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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 10 février 2000

• 1534

[Traduction]

Le président (l'honorable Andy Scott (Fredericton, Lib.)): Je déclare la séance ouverte et je demanderai aux témoins qui sont ici de ne pas se préoccuper de ce signal lumineux. Veuillez vous avancer et prendre place. Je sais ce que c'est.

M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, Réf.): J'aimerais proposer une motion, s'il vous plaît.

Le président: Est-ce qu'il s'agit d'un avis de motion?

M. Chuck Cadman: J'aimerais proposer une motion exigeant l'unanimité pour déroger à la règle des 48 heures.

Le président: Nous n'avons pas le quorum.

M. Chuck Cadman: D'accord.

• 1535

Le président: Nous accueillons aujourd'hui des témoins qui nous parleront du projet de loi C-3, la Loi concernant le système de justice pénale pour les adolescents, et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence.

Nos témoins qui représentent le Tribunal de la famille de London sont le Dr Alan Leschied, directeur adjoint, et Ned Jackson. Il y a aussi Kami Pozniak et Kim Pate, directrice adjointe de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry.

Je vous fais nos excuses d'avance. Depuis deux jours, nous perdons beaucoup de temps en allers et retours entre ici et la Chambre des communes où nous sommes appelés à voter, entre autre. Je ne veux pas nous porter malchance, mais il n'est pas impossible que cela arrive.

Nous commencerons par le Tribunal de la famille de London. Comme toujours, nous demanderons aux témoins de limiter la durée de leur exposé à une dizaine de minutes. Ainsi, nous aurons la possibilité d'entendre les autres témoins aujourd'hui. Après cela, il y aura une discussion ouverte avec mes collègues.

Je vous cède la parole, monsieur Leschied.

M. Alan W. Leschied (directeur adjoint, Tribunal de la famille de London): Merci, monsieur Scott.

Je tiens à remercier le comité de cette invitation à le rencontrer aujourd'hui. C'est pour nous un privilège que de pouvoir parler avec vous de cette loi. J'ai déjà eu la chance de témoigner devant le comité depuis presque 18 mois où il est question de la Loi sur les jeunes contrevenants. Il est intéressant de remarquer la continuité des discussions, et parfois leur discontinuité. J'apprécie dont cette occasion qui m'est offerte.

Puisque nous n'avons que 10 minutes, j'aimerais aussi présenter Ned Jackson, qui est membre de l'équipe de thérapie multisystémique ici, à Ottawa.

Je voudrais porter votre attention sur les recommandations 5 et 6 du premier rapport sur le renouvellement du système de justice pour les jeunes. On y parle de solutions de rechange au placement sous garde des jeunes à risque élevé.

Permettez-moi de vous expliquer mon rôle dans ce programme. J'enseigne à l'université Western Ontario. Je travaille aussi au Tribunal de la famille de London. Nous participons à l'évaluation d'une solution de rechange au programme de garde.

Ned Jackson est un thérapeute spécialisé qui va dans les foyers des familles où vivent des jeunes à risque élevé. Ce sont des jeunes qui seraient mis en établissement s'il n'y avait pas d'autre solution dans leur communauté. Il existe maintenant de telles solutions à Ottawa, à Barrie, à Orillia, à Mississauga et à London.

J'aimerais vous situer un peu en contexte. Premièrement, pour ne pas répéter toujours l'expression thérapie multisystémique, j'utilise l'acronyme TMS. C'est l'abréviation d'une démarche spécifique et unique qui vise les jeunes à risque élevé. Conformément aux recommandations 5 et 6, lorsque nous cherchons d'autres solutions que la mise sous garde, nous essayons non seulement de trouver des moyens plus efficaces de composer avec les jeunes à risque plutôt que de les faire mettre sous garde, mais aussi d'être attentifs à créer des communautés plus sûres et à fournir des services qui présentent un bon rapport coût-efficacité. Le mémoire que j'ai soumis, et dont je crois vous avez des exemplaires, est une espèce de rapport d'étape sur le déroulement du programme et sur le point où en est l'évaluation.

La deuxième chose que j'aimerais préciser est que le gouvernement fédéral a là une chance vraiment unique de participer, à titre expérimental, à une démarche très innovatrice de traitement des enfants dans leur propre foyer.

Le Tribunal de la famille de London est subventionné, pour mener cette évaluation, d'abord par le ministère de la Justice et aussi par le Centre national de la prévention du crime, mais elle la réalise en collaboration avec le ministère ontarien des Services sociaux et communautaires, qui finance le service directement offert dans ces communautés. Ned fait donc partie d'un groupe d'Ottawa appelé Eastern Ontario Young Offenders Services. Ils font partie du ministère des Services sociaux et communautaires.

Autre chose qu'il faut que vous sachiez, c'est que nos équipes ont reçu une formation spécialisée grâce au soutien et à la collaboration d'un groupe de l'Université de la Caroline du Sud. Ce sont eux qui, les premiers, ont acquis l'expertise du travail avec les jeunes contrevenants. Donc, dès 1997, quand nous avons lancé nos programmes pilotes en quatre endroits, nous nous sommes en fait lourdement appuyés sur l'aide et la formation qu'offraient ce groupe et le professeur Scott Henggeler, de la Caroline du Sud.

Lorsque j'en ai parlé, monsieur Scott, c'était un peu comme les négociations pour la paix au Moyen-Orient. Il nous a fallu négocier l'aide financière du gouvernement fédéral pour pouvoir évaluer un programme de compétence provinciale en quatre endroits différents et auquel participaient près de huit organismes différents, et pour assurer la formation du personnel dans un important centre de recherche des États-Unis. Vous avez donc maintenant une idée générale de ce que nous faisons.

• 1540

En réalité, ce programme vise à déterminer si le fait de placer les jeunes sous garde rend les communautés plus sûres, ou s'il y a d'autres solutions. Vous avez tous entendu à de nombreuses reprises que le Canada met beaucoup de jeunes en établissement fermé, alors je ne le répéterai pas. Le problème est de savoir si nous incarcérons assez de jeunes ou trop, si c'est une solution efficace par rapport au coût et si cela améliore la sécurité dans la communauté? D'après les données que nous avons et que nous observons depuis la fin des années 80, l'incarcération des jeunes n'est pas peut-être pas une dépense valable. Même si cette solution respecte le cadre de responsabilisation, elle n'offre aucun cadre de réadaptation.

Donc, que faire? Dans le cadre de ce programme, nous observons les jeunes qui ne sont pas mis sous garde, et dans notre mémoire, nous avons tenté de vous démontrer à quoi ressemblent les jeunes qui frappent aux portes des établissements de garde de leur propre communauté. Ce ne sont pas seulement des jeunes qui ont commis des délits graves, ce qui est le cas, mais aussi ils ont en commun la caractéristique d'éprouver des difficultés à l'école, de venir de familles à problèmes et ils tendent à s'intégrer à des groupes de leurs pairs qui consomment beaucoup de drogues et d'alcool. Il y a tout un ensemble de facteurs qui amènent des jeunes à entrer en conflit avec leur collectivité.

La thérapie multisystémique est un bien grand terme pour dire que l'on veut comprendre que, même s'il faut responsabiliser les jeunes, pour qu'un traitement soit efficace nous devons observer les systèmes qui les entourent. Donc, au lieu de voir les enfants d'après une perspective individuelle, nous les regardons évoluer au sein de leur famille, parmi leurs amis et dans leur école. Ned vous dira qu'il passe le plus clair de son temps dans la collectivité, dans les familles ou dans les écoles. Il n'a pas de bureau. D'ailleurs, je suis allé voir Ned et son équipe ce matin ici à Ottawa, et leur bureau n'est qu'une espèce de grand placard. Ils n'y passent pas grand temps. Donc, les jeunes ne viennent pas les voir; ce sont eux qui vont voir les jeunes.

Nous ne nous occupons que d'un petit nombre de cas à la fois. L'intensité du service que nous offrons exige de nos thérapeutes qu'ils ne s'occupent que de quatre familles à la fois. En Ontario, la charge professionnelle des agents de probation est de 60 à 70 jeunes. Il faut que vous compreniez que nos thérapeutes qui appliquent la TMS ne peuvent travailler qu'avec quatre familles. Leurs fonctions les occupent intensivement, 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Ils sont sur appel et ils répondent à l'appel des familles quand elles ont besoin d'eux.

Aussi, ils essaient de stimuler les forces systémiques de chaque famille. Parfois, on regarde nos enfants et leur comportement et on se demande quel serait le point fort qu'on pourrait renforcer dans la famille. Nos thérapeutes tentent de cerner les points forts de chaque famille et de travailler en fonction de ces points forts.

Même si je ne peux vous donner qu'un tableau très incomplet de nos activités, je tiens à ce que vous preniez conscience que les jeunes à risque élevé qui, autrement auraient été envoyés dans un établissement fermé, restent dans leur communauté et se font assigner un thérapeute du programme TMS, et ces thérapeutes travaillent intensivement avec eux pendant une moyenne de 4,8 mois, presque cinq mois. Cela correspond à la durée moyenne de la mise sous garde en Ontario, qui évolue aux alentours de six mois.

Je vous ai exposé aussi la situation au sujet de la réduction des cas de récidive, avec ce programme intensif. Nous faisons ce que nous appelons un essai clinique aléatoire, l'une des rares études jamais faite au Canada qui renferme un élément aléatoire, donc le contrôle expérimental présente très probablement le plus haut degré d'intégrité qu'on puisse obtenir d'un programme de services sociaux comme celui-ci.

Les conclusions que nous avons tirées après une première année, que j'ai exposées dans le mémoire, sont que nous réussissons à réduire le taux de récidive de 20 à 30 p. 100 chez les jeunes qui participent au programme de TMS, comparativement aux jeunes placés en établissement de garde. Cela signifie donc une moyenne de 20 à 30 p. 100 de moins d'infractions au Code criminel. Je ne parle pas de manquement aux conditions de l'approbation ou de lettre d'avertissement. Ce sont des réductions réelles des récidives d'infraction à la loi, comparativement au groupe de jeunes qui ont séjourné dans des établissements fermés pendant une certaine période.

La dernière chose que je tiens à dire avant de laisser la parole à Ned est que nous ne cherchons pas seulement des moyens de renforcer les points forts de nos systèmes pour fournir un service efficace, mais aussi de réduire la délinquance tout en maintenant un bon rapport coût-efficacité. En Ontario, la garde en milieu fermé coûte en moyenne 106 000 $ par année, par personne. Vous l'avez sûrement déjà entendu dire. Le coût du service—je peux en parler très brièvement si cela vous intéresse, monsieur Scott.

Le président: Peut-être, mais pas tout de suite.

M. Alan Leschied: Permettez-moi tout de même d'en glisser un mot. Avec un thérapeute qui s'occupe de quatre familles à la fois pendant une moyenne de près de cinq mois, il en coûte entre 7 500 $ et 9 500 $ par famille. Cela a été un élément important de notre évaluation, parce que très franchement, nous savions que si nous pouvions offrir ce service, nous réussirions à réduire le taux de délinquance. Ce qu'il nous fallait, c'était pouvoir démontrer que les taux d'utilisation et les coûts du service vont, en fait, baisser.

• 1545

Pour le prix du séjour de deux délinquants par année en établissement fermé, nous pouvons financer une équipe de TMS de quatre thérapeutes—c'est-à-dire trois thérapeutes et un superviseur—qui s'occuperont de 45 familles dans une communauté. Donc c'est entre 7 500 $ et 9 500 $ par famille, comparativement à près de 100 000 $ pour une garde en milieu fermé.

Nous terminerons notre période de quatre ans d'essai clinique au printemps 2001. Nous assemblerons toutes les données, y compris celles du rapport coût-efficacité, pour le Centre national de prévention du crime, et aussi pour le ministre de l'Ontario des Services sociaux et communautaires. C'est très stimulant. J'oeuvre dans le milieu de la justice criminelle et de la justice pour les jeunes depuis plus de 20 ans. C'est un peu comme quelque chose qu'on espère pouvoir toujours réaliser, et nous voilà en train de recueillir les données qui permettront cela. C'est pourquoi je suis si heureux d'être ici aujourd'hui pour vous parler de tout cela.

J'aimerais laisser brièvement la parole à Ned Jackson, qui est thérapeute. Il vous donnera une idée de ce qu'il fait avec les jeunes et leur famille, et en quoi consiste la journée d'un thérapeute.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Jackson, je crois qu'il vous reste un peu moins de la moitié du temps accordé.

M. Ned Jackson (thérapeute de la TMS, Eastern Ontario Young Offenders Services): J'essaierai d'être bref, alors.

En fait, je rends quotidiennement visite aux familles chez elles, ce qui me permet de voir comment je peux aider les parents, qui sont souvent très stressés, à faire face à une situation difficile et à atteindre des objectifs généralement assez simples et pragmatiques, comme inscrire Pierrot au hockey. Nous savons que si Pierrot pouvait faire partie d'une équipe de hockey, il serait moins susceptible de récidiver.

J'ai aussi une responsabilité légale. Je suis travailleur social de profession et tous les jours, je m'entretiens avec les parents chez eux, avec les enseignants, avec l'agent de probation, avec quiconque est souvent en rapport avec l'enfant dont je m'occupe. Il m'arrive très souvent de leur rendre visite chez eux tous les jours, ou au moins de parler aux familles au téléphone quotidiennement. Alors je sais que mon intervention auprès de la famille fait une différence.

Je crois que cette démarche a des effets phénoménaux. Je me sens plus en sécurité dans ma collectivité à Ottawa parce que je sais que j'ai un contrôle sur les enfants avec qui je travaille. Nous travaillons avec les enfants qui présentent les risques les plus élevés. Nous regardons qui est susceptible de récidiver. Ils nous sont envoyés par les agents de probation. Nous devons parler au directeur adjoint de l'école. Souvent, nous devons travailler avec la famille ou avec la mère ou le père célibataire, l'aider dans son rôle parental, faire en sorte que Pierrot aille à l'école et recourir à certains des systèmes qui les entourent parce que très souvent, ce sont des parents isolés qui luttent avec ces problèmes, et ils veulent de l'aide.

Lorsqu'à l'occasion, je vais devant un tribunal, à peu près chaque fois que je suis appelé à témoigner à propos de l'un des jeunes dont je m'occupe—et avec ma charge professionnelle de quatre délinquants, cela m'est possible—je peux m'adresser au jury, à l'avocat de la Couronne, à celui de la défense, au juge et dire ce qui à mon avis, est de l'intérêt de ce jeune-là. Souvent, tout ce qu'ils veulent, c'est avoir quelqu'un qui les oriente. Ils recherchent désespérément quelqu'un qui peut venir leur parler et qui n'a pas une charge professionnelle de 60 jeunes comme à Toronto et peut-être une trentaine à Ottawa, et dont les agents de probation n'ont même pas le temps de venir au tribunal. S'il se présente quelqu'un qui connaît en profondeur le cas en cause et qui amène les parents, ils ont les assises dont ils ont besoin pour prendre des décisions éclairées. Je n'obtiens pas toujours ce que je veux, mais au moins je participe au processus.

Le système judiciaire est en lutte à cela. Je l'ai particulièrement constaté à Toronto, où je vivais et où j'ai travaillé avec les jeunes contrevenants, et maintenant à Ottawa. Ils ont désespérément besoin de ce genre d'information, parce qu'ils ne tiennent pas à envoyer en établissement des jeunes qui n'ont pas besoin d'être enfermés. Ils veulent s'assurer que la communauté est en sécurité, et parfois cela signifie qu'ils doivent décider, pour le bien de la communauté, de faire enfermer les jeunes. Il n'est peut-être pas absolument nécessaire de faire incarcérer quelqu'un pour du vol à l'étalage ou quelque chose du genre, mais ils ne voient plus d'autres solutions. Lorsque le système a des solutions à offrir, les intervenants du système ne sont que trop heureux de s'en prévaloir.

Aussi, nous collaborons avec la force policière. Ottawa—Carleton a un excellent service de police qui est très engagé dans la communauté, et nous sommes constamment en contact avec lui.

Je crois que vous avez maintenant une idée des systèmes, des différents intervenants et de la vie des jeunes. Ces jeunes ne me sont pas envoyés au premier délit. Je les vois après plusieurs récidives, et souvent après qu'ils aient commis des crimes violents. Je crois que cela nous permet de cibler les jeunes qui ont le plus besoin d'aide, et ainsi la communauté et l'ensemble du système judiciaire ont les outils dont ils ont besoin pour prendre les bonnes décisions. Ils reçoivent l'information dont ils ont besoin pour décider qui il convient de faire mettre sous garde, et qui peut en être épargné.

Je crois que c'est l'un des grands avantages de la MTS. Je pense que la formation et la responsabilisation des agents sont très pertinentes, mais je n'en dirai pas plus là-dessus.

• 1550

Pour illustre un peu ce que je fais, j'ai récemment aidé un jeune homme à entrer dans une équipe de hockey. Il n'avait pas joué depuis deux ans parce que sa mère n'en avait pas les moyens. Elle ne pouvait pas payer son inscription, ni son équipement. Elle a obtenu de l'argent du grand-père de l'enfant, qui était très coopératif. Elle a aussi dû y mettre une partie de son chèque d'aide sociale, elle a vendu des billets de loterie et notre organisme a fait une petite contribution de 100 dollars. Ce jeune-là n'a pas manqué une partie ni un entraînement, mais il a un dilemme cette fin de semaine parce qu'il doit aller à un camp de Scout et il a une partie la même fin de semaine. Voulez-vous parier que ce jeune-là sera bien moins susceptible de prendre des drogues ou d'entrer dans le système de justice criminelle, ou encore de faire du mal à quelqu'un?

Sa mère me dit qu'elle ne manque aucune partie. Elle est très fière du fait que son fils joue au hockey. Elle a même assisté à l'une d'entre elles alors que son fils passait la nuit chez son grand-père. Elle n'était pas obligée d'y assister, elle n'avait pas besoin de l'y amener, mais cela lui faisait tellement plaisir d'aller voir évoluer son fils qu'elle aime passionnément. Il y a à peine un an, il avait un comportement suicidaire et s'est retrouvé dans un établissement fermé. Il ne s'agissait pas d'un établissement de justice pénale, mais dans un établissement psychiatrique. Les services policiers sont intervenus à quelques reprises avant que les services de thérapies multisystémiques interviennent. J'en aurai bientôt fini avec cette famille et la boucle sera... enfin, la boucle ne sera pas...

C'est l'histoire d'une réussite, une des réussites à laquelle je m'accroche. Il risquera moins de se retrouver en prison, de blesser quelqu'un. Il fréquente maintenant l'école. Des choses formidables se sont produites. C'est vraiment l'histoire d'une réussite, mais je crois que c'est un bon exemple de ce que la thérapie multisystémique peut faire pour un jeune de 14 ans qui vit ici à Ottawa et qui, je pense, risque moins de se retrouver dans le système de justice pénale où, je crois, le syndrome de la porte tournante se confirme, comme vous le savez très bien. Il risque simplement d'autant moins d'aller en prison, d'y retourner encore et encore, de devenir un cas désespéré, de se blesser et d'en blesser d'autres.

Le père de ce jeune est décédé des suites de la cocaïnomanie. Il en consommait et en faisait le trafic dans la région d'Ottawa—Carleton. Telle était la dure réalité de ce jeune garçon. Il a vu son père consommer de la cocaïne et en mourir. Sa mère a aussi été cocaïnomane, mais n'en consomme plus depuis dix ans. C'est le haut niveau de risque. La violence familiale et tout ce qui l'entoure ont été son lot quotidien.

Je suis loin de penser qu'il est guéri, mais n'a-t-il pas de meilleures chances? N'a-t-il pas la possibilité de vivre une vie lui permettant de ne pas blesser d'autres personnes, d'être un membre productif de la société, d'occuper un emploi et de ne pas vivre des prestations de bien-être social? Tu parles.

Le président: Merci beaucoup.

Madame Pate, et ensuite madame Pozniak.

Mme Kim Pate (directrice exécutive, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry): Merci beaucoup. Je veux aussi remercier le comité de nous avoir invitées à comparaître et à présenter un mémoire.

Je compte bien présenter notre mémoire. Nous espérons que certains travaux de recherche que nous avons fait en collaboration avec d'autres groupes, relativement à des jeunes femmes qui ont été cataloguées comme violentes, seront bientôt terminés. Nous pourrons alors inclure certaines des conclusions dans notre mémoire. Si cela ne devait pas se produire dans les prochaines semaines, nous allons présenter notre mémoire et ferons allusion aux conclusions. Cependant, nous aimerions bien, de toute évidence, pouvoir les inclure pour le comité.

J'aimerais aussi vous présenter Kami Pozniak. Comme Kami est un peu nerveuse, elle m'a demandé de vous parler beaucoup d'elle à la fin des observations générales que nous ferons au sujet du projet de loi. Cependant, il va sans dire qu'elle est disposée à répondre aux questions que voudront bien lui poser les membres du comité et qu'elle se sentira peut-être plus à l'aise si l'on procède de cette manière.

J'aimerais aussi profiter de l'occasion pour vous présenter notre présidente, Dawn McBride, qui était avocate de l'aide juridique et qui pratique maintenant en cabinet privé.

Le président: Nous l'invitons à s'avancer et à s'asseoir.

Mme Kim Pate: Lorsque le ministère de la Justice a commencé à parler de son intention de modifier la Loi sur les jeunes contrevenants et, la ministre McLellan, d'abroger la Loi sur les jeunes contrevenants, nous avons été parmi les groupes qui se sont fortement opposés à ces exercices. Aujourd'hui, toutefois, je viens vous dire que, après toutes les recherches qui ont été effectuées et tous les efforts qui ont été déployés pour l'élaboration du projet de loi C-3, nous sommes favorables à un grand nombre d'aspects de cette mesure législative. Ils constituent une grande amélioration par rapport à certains des aspects du système de justice pour les adolescents qui est en vigueur à l'heure actuelle au Canada et nous croyons qu'ils sont très prometteurs pour l'avenir.

Il y a des éléments comme l'utilisation d'un préambule. Il y a le renforcement des principes. Ils sont à notre avis plus exhaustifs et plus cohérents que ceux que l'on trouve à l'heure actuelle dans la Loi sur les jeunes contrevenants.

• 1555

Nous mettons en garde le comité, toutefois, contre ce dont nous avons été témoins en ce qui a trait à la Loi sur les jeunes contrevenants au cours de presque deux décennies. Je veux parler de l'évidement et de l'obscurcissement des principes très solides et très importants de la loi. Il nous importe que cela ne se produise pas.

Nous nous réjouissons également du nouveau sous-alinéa 3(1)c)(iv) qui fait directement allusion aux problèmes de genre et de culture. Nous aimerions suggérer au comité de renforcer ces dispositions. Plus particulièrement, nous voulons faire en sorte que les juges et les systèmes soient forcés de tenir compte des jeunes Autochtones en général et des jeunes femmes Autochtones en particulier.

Nous recommandons au comité d'intégrer à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents des dispositions semblables aux articles 77, 80, 81 et 84 que l'on trouve actuellement dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Ces dispositions englobent pour ainsi dire le devoir de consulter les organisations féminines relativement aux problèmes se rapportant aux femmes—ou dans ce cas, les jeunes femmes et les jeunes filles—de même que les peuples autochtones sur les questions entourant les jeunes Autochtones des deux sexes.

Nous croyons aussi que les articles 81 et 84 qui prévoient la signature d'ententes directement avec les communautés autochtones pour la prestation de services, sont extrêmement importants. Lorsque nous jetons un coup d'oeil aux statistiques, surtout celles du Manitoba et de la Saskatchewan, nous y constatons une importante surreprésentation de nos jeunes Autochtones dans les établissements de garde. Nous croyons qu'il faut à tout prix chercher des moyens d'infliger des peines extrajudiciaires, de même que des options de garde et de remise en liberté, dans les communautés autochtones, tant dans les milieux urbains que non urbains.

Nous croyons aussi qu'il est important de reconnaître, étant donné la décision de la Cour suprême du Canada, la décision Gladue, qu'il faut se pencher sur des considérations spéciales pour la détermination des peines dans le cas des jeunes Autochtones, surtout des jeunes femmes autochtones.

En outre, plus particulièrement dans le cas des jeunes femmes, si vous n'en avez pas déjà entendu parler, vous devez savoir qu'en fait la plupart des jeunes femmes sont logées dans des établissements de détention et dans des établissements de libération, foyers collectifs pour jeunes contrevenants, avec les jeunes hommes et que, d'après les conclusions de la recherche dont j'ai parlé, la plupart d'entre elles parlent de problèmes de harcèlement, de harcèlement sexuel, d'agression sexuelle et dans certains cas de viol. Nous parlons là de questions importantes.

Je vais parler plus précisément du cas de Kami et de certains des défis que cela pose. En recourant à des dispositions du genre des articles 80 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, vous pourriez avoir des dispositions qui permettraient de personnaliser les approches pour les jeunes femmes dans la collectivité de sorte que nous y souscrivons.

Nous croyons aussi qu'il est important de protéger l'application régulière de la loi. Le fait que les niveaux de garde puissent maintenant être déterminés par les administrations provinciales constitue un pas en arrière. En fait, cela devrait relever du système judiciaire. Cela devrait continuer à relever de la Loi sur les jeunes contrevenants et un pouvoir discrétionnaire pourrait être prévu quant au lieu de garde. Cela devrait relever exclusivement des autorités correctionnelles.

Une fois de plus, surtout lorsque nous parlons de jeunes femmes, nous avons constaté que, de façon disproportionnée, les jeunes femmes ont fini par se retrouver dans des établissements de garde en milieu fermé, habituellement dans une section d'une institution pour garçons ou avec des jeunes garçons.

Nous croyons aussi que si vous deviez décider de conserver la disposition qui habilite les autorités correctionnelles à prendre cette décision, elles devraient alors en rendre compte à un organisme de l'extérieur. Il faut alors prévoir un organisme administratif à qui cette tâche sera confiée.

Nous croyons également que le paragraphe 30(3) devrait être modifié de manière à indique que les jeunes adolescents devraient toujours être tenus à l'écart des adultes. Nous recommandons respectueusement qu'aucun adolescent détenu ne soit tenu de purger quelque partie de sa peine dans une prison pour adultes. Nous aimerions que cet article soit modifié en ce sens.

Nous croyons aussi qu'il faut supprimer les infractions désignées pour lesquelles une peine applicable aux adultes serait infligée. Il faudrait à tout le moins le faire en ce qui concerne l'article portant sur les infractions graves avec violence. Ce qui nous inquiète particulièrement dans le cas de ces dispositions et, une fois de plus, en ce qui concerne précisément les adolescentes, surtout les jeunes femmes autochtones, c'est que nous constatons un taux d'incarcération disproportionné en ce qui a trait aux adolescentes accusées de voies de fait. Lorsque nous jetons un coup d'oeil à la plupart de ces inculpations de voies de fait, elles ne découlent pas de situations mineures, mais en ce qui a trait aux conséquences ou aux blessures, elles n'auraient certes pas ce que nous croirions souvent être de graves conséquences.

• 1600

Il n'en reste pas moins que le mal est fait, mais je crois que la recherche effectuée par la Dre Marge Reitma-Street, dont elle a publié les conclusions l'année dernière, faisait ressortir le fait que, tout particulièrement en ce qui concerne les jeunes filles, quoiqu'il y ait relativement peu d'adolescentes qui commettent des infractions, surtout des infractions graves, un nombre disproportionné de gens craignent que les filles soient en train de se déchaîner.

C'est ainsi que nous voyons les agents de police porter des accusations qui entraînent des procédures judiciaires et des peines à l'avenant. D'après les conclusions de sa recherche, nous avons été témoins d'une hausse entre 1982 et 1996: le recours à la mise sous garde et à la probation pour les adolescentes est passé de 7,8 à 23,4 p. 100 en ce qui a trait à la mise sous garde et de 27,9 à 54,8 p. 100 en ce qui a trait à la probation. Il s'agit là d'une hausse incroyable lorsque vous considérez les peines proportionnellement.

Nous croyons qu'il faut absolument—et nous ne pouvons insister trop là-dessus—conserver les options de remise en liberté qui sont proposées dans le projet de loi C—3. Nous croyons qu'à tout le moins une option de remise en liberté deux tiers/un tiers pour les adolescents est dans l'intérêt de la protection du public. Idéalement nous aimerions que la mise en liberté se fasse plus vite, mais nous estimons particulièrement important de conserver cette disposition pour les très jeunes adolescents qui sont considérés comme représentant le plus grand risque et le plus grand défi en matière de protection et de sécurité du public. Ne pas prévoir une période d'intégration supervisée dans la collectivité c'est, selon nous, non seulement contre-intuitif, mais est tout à fait improductif sur le plan des coûts humains, tant pour les autres que pour les jeunes eux-mêmes.

En fait, si quelque chose laisse présager que vous ne voulez pas considérer ce genre de mesures pour tous les jeunes, vous devriez absolument vous assurer qu'elles sont en place pour les adolescents qui sont considérés comme étant plus dans le besoin, étant donné qu'il s'agit de ceux qui auront le plus besoin d'aide et d'intervention lorsqu'ils réintégreront leur communauté.

Nous croyons que l'inclusion dans le projet de loi d'un large éventail d'options de détermination de la peine, y compris la réprimande, que de nombreux agents de police... Comme nous avons participé à la formation d'agents de police lorsque la Loi sur les jeunes contrevenants est entrée en vigueur pour la première fois, nous savons qu'un grand nombre d'entre eux estimaient qu'ils ne pouvaient recourir à ces mesures. Je pense qu'il est utile de leur signaler qu'ils peuvent le faire et qu'ils disposent d'un large éventail d'options.

Nous avons des réserves au sujet des dispositions plus intensives, surtout les ordonnances de placement et de surveillance dans le cas d'un programme intensif de réadaptation. Elles peuvent être très efficaces mais nous croyons également qu'elles risquent de faire l'objet d'abus. Nous demandons donc d'insérer dans la loi un mécanisme qui en permettra un contrôle strict. Si les provinces en abusent, il faut être en mesure de remettre leur décision en question et prévoir un mécanisme pour qu'elles y recourent de façon avec beaucoup de parcimonie comme le laisse entendre pour l'instant très clairement le projet de loi ou les rédacteurs de la loi, pour l'instant.

Nous croyons que l'abolition de l'audition sur le renvoi avant le procès et son remplacement par le renvoi aux tribunaux pour adulte après la déclaration de culpabilité constitue une amélioration importante. Comme je le dirai dans le cas de Kami, nous croyons que le placement d'adolescents dans des établissements pour adultes devrait être complètement défendu. Mais à tout le moins, en ce qui concerne les critères des peines applicables aux adultes prévus dans le projet C-3 à l'heure actuelle, nous croyons que c'est beaucoup mieux que les dispositions sur le transfert telles qu'elles sont formulées dans la Loi sur les jeunes contrevenants en vigueur.

Il faudrait, à notre avis, limiter le recours à la détention avant le procès. Là encore, je vais citer le cas de Kami à titre d'exemple.

Étant donné que les niveaux requis de sécurité ne sont pas définis, plus d'établissements de garde en milieu fermé risquent d'être construits, sans compter que les jeunes sont plus facilement incarcérés, notamment ceux qui sont à faible risque, les jeunes femmes et les jeunes femmes autochtones en particulier.

Nous croyons également que la publication du nom des jeunes gens déclarés coupables d'une infraction, alors qu'ils ont moins de 18 ans, devrait être interdite.

Selon nous, le paragraphe 145(6) devrait être supprimé afin de ne pas permettre au tribunal d'admettre en preuve ce qui serait autrement inadmissible. Il importe de noter ici que des travaux importants ont été faits par des gens comme Rona Abramovitch, Karen Higgins-Biss et Stephen Biss à propos de l'incompréhension générale des jeunes au sujet des mises en garde par la police et des dispenses, ainsi que des questions très graves soulevées en ce qui concerne la capacité des jeunes à exercer leurs droits.

• 1605

Par ailleurs, l'article autorisant le recouvrement des frais de l'aide juridique dans le cas des personnes, autres que les accusés, qui sont capables de payer, devrait être supprimé. Nous sommes extrêmement préoccupés par le fait que cela limite la possibilité qu'ont les jeunes d'avoir accès à des services d'avocat, surtout lorsque les parents interviennent et craignent d'avoir à rembourser.

La publication des noms ne sert généralement à rien d'utile. Comme beaucoup d'entre vous le savez, ce n'est pas sanctionné par les spécialistes dans ce domaine. Cela entrave certainement la réinsertion sociale des jeunes.

Veuillez m'excuser d'aller un peu vite.

J'ai rencontré Kami pour la première fois lorsqu'elle se trouvait en établissement fédéral et dans l'unité de sécurité maximale des femmes du pénitencier de la Saskatchewan. Elle avait 18 ans à l'époque. Son délai d'appel était écoulé. Ceux d'entre vous qui sont avocats se rendront compte de l'illégalité de ce phénomène; c'est quelque chose que nous continuons d'essayer de faire corriger. Kami a été condamnée à purger une peine de prison de deux ans dans un établissement fédéral après avoir été transférée du système applicable aux jeunes; elle devait faire trois années de probation, 400 heures de travail communautaire et ne pouvait absolument pas sortir entre 19 heures et 7 heures. Le problème bien sûr consiste à établir un lien entre la peine fédérale et la probation. C'est ce qui nous préoccupe.

Kami a été arrêtée pour la première fois, alors qu'elle était âgée de 16 ans. Elle a été alors renvoyée sous garde pendant plus de deux ans dans un établissement provincial où elle était isolée des autres la majeure partie de cette période. Au moment de son inculpation, elle conduisait une voiture où un jeune homme, le passager, tirait sur les passants; il a ainsi tué un autre jeune—situation horrible, infraction horrible, résultat horrible. Kami peut vous parler de ses propres sentiments et de sa responsabilité à cet égard.

Comme beaucoup d'autres jeunes gens, elle a d'abord été inculpée pour meurtre au premier degré et cette disposition est restée en place. Comme beaucoup d'entre vous le savez, souvent l'inculpation commence très haut et une fois l'audience de renvoi terminée, l'inculpation est souvent diminuée, ce qui s'est passé immédiatement dans ce cas-là. Elle a été déclarée coupable d'homicide involontaire coupable.

Le juge a indiqué initialement dans son jugement qu'il aimerait la condamner à une seule année de prison, mais la perspective de la renvoyer une autre année, isolée des autres, dans l'établissement provincial où elle avait été n'était pas acceptable. Son avocat, le procureur et le juge ont convenu qu'elle devrait purger deux années dans l'une de ces nouvelles belles prisons régionales construites pour les femmes.

À cause de la nature de l'inculpation et du fait qu'à l'origine il s'agissait de meurtre au premier degré, elle n'a pas été envoyée dans l'une de ces nouvelles belles prisons, comme la Edmonton Institution for Women ou la Okimaw Ohci Healing Lodge, mais dans l'unité de sécurité maximale pour les femmes du pénitencier de la Saskatchewan.

La première fois que je l'ai rencontrée, elle en était à sa deuxième tentative de suicide. Elle n'avait jamais purgé de peine de prison avant cette affaire. C'est maintenant une jeune femme autochtone de 21 ans qui est devant vous et qui essaye de terminer ses études, de remplir les conditions d'une ordonnance de probation qui, à notre avis, n'est même pas légale, et qui tente de reprendre sa vie en main.

Non seulement a-t-elle dû passer du temps dans un établissement pour hommes, mais aussi, lorsqu'elle a été mise en libération, à cause de la nature de son infraction, elle est apparue comme quelqu'un qu'il fallait peut-être détenir. À la suite de la présentation d'arguments importants, elle n'a pas été emprisonnée, mais libérée aux termes d'une libération d'office dans une maison de transition pour hommes où elle a dû passer la période de libération d'office jusqu'à expiration du mandat—dans une maison de transition pour hommes.

Elle a malheureusement connu certaines des pires expériences de notre système et certaines des pires expériences du système actuel. Lorsqu'elle a entendu parler de la loi, elle a demandé si elle pouvait d'une façon ou d'une autre faire en sorte que cela ne puisse jamais arriver à d'autres jeunes gens. J'ai été heureuse de lui donner cette possibilité qu'elle a acceptée, avec inquiétude toutefois, car bien sûr c'est évidemment une situation difficile pour elle.

Je vous présente donc Kami. Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Avant de passer aux questions, j'aimerais apporter une précision; nous avons eu hier la même situation et je me suis senti un peu mal d'être intervenu au moment où je l'ai fait; c'était simplement dans la foulée des questions d'un des membres du comité; je ne voulais pas calomnier qui que ce soit.

• 1610

Bienvenue. Nous sommes heureux que vous soyez là. Nous pensons que si vous êtes ici, Kami, si vous voulez bien me permettre de vous appeler Kami—je suis Andy, si cela peut faciliter les choses—c'est pour nous aider à avoir la meilleure loi possible. C'est ainsi que nous comprenons votre participation. Vous êtes invitée à dire tout ce que vous voulez dire, mais ne pensez pas que vous devez tout dire. Je pense que nous comprenons tous la raison pour laquelle vous êtes ici et vous faites preuve de beaucoup de courage.

M. Cadman va commencer, pour sept minutes.

M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.

Merci à vous tous d'être venus aujourd'hui.

J'ai simplement une courte question que j'aimerais vous poser, monsieur Leschied et monsieur Jackson. Vous dites que votre programme, votre expérience, va se terminer au printemps 2001?

M. Alan Leschied: C'est exact.

M. Chuck Cadman: Une fois ce programme terminé, une fois que vous en aurez fait rapport, qu'espérez-vous? J'imagine que c'est une question nébuleuse, vague en quelque sorte. Il semble que vous réussissiez dans votre entreprise. Quelle suite aimeriez-vous voir et quel est d'après vous l'impact du projet de loi C-3, si tant est qu'il y en est un, d'après vous? Pourrait-on changer les choses?

M. Alan Leschied: C'est une question importante, monsieur Cadman, sur laquelle nous nous penchons à l'heure actuelle.

Nous avons pratiquement consacré trois années à ce projet de quatre ans. Bien sûr, nous avons beaucoup travaillé à la formation, au développement de l'expertise et à l'élaboration d'un bon protocole de recherche pour justifier ce programme et le tout est presque terminé. Ce ne serait pas la première fois qu'un programme échoue.

Nous avons développé une capacité en Ontario... Je vais simplement parler de l'Ontario, car c'est là que l'intérêt s'est manifesté. Cela aurait pu se produire en Saskatchewan ou ailleurs. Nous avons mis au point une capacité de formation en Ontario, avec l'aide des groupes de l'Université de la Caroline du Sud. Nous avons maintenant des gens qui peuvent en former d'autres dans ce domaine. D'autres collectivités manifestent beaucoup d'intérêt, mais nous préférons attendre d'avoir toutes les données. Nous disposons maintenant toutefois de la capacité interne de former d'autres collectivités pour l'établissement de programmes.

D'autres collectivités s'intéressent également à notre programme et de nouvelles nous contactent régulièrement, monsieur Cadman, pas seulement en Ontario, mais aussi ailleurs, comme par exemple, Saskatoon, qui a manifesté son intérêt l'année dernière à cause des taux élevés d'incarcération dans la province de la Saskatchewan. Ce n'est pas pour singulariser la Saskatchewan, soit dit en passant, mais c'est là que je me trouvais et c'est là qu'on retrouve cette préoccupation.

Nous pouvons donc former les gens. Nous pouvons développer l'expertise dans d'autres collectivités. J'espère bien que nous aurons le soutien, et bien sûr, un financement s'impose. Plus particulièrement, comment transférer les fonds—qui sont actuellement affectés à la détention—dans des programmes communautaires qui n'ont pas pu encore démontrer leur efficacité? C'est le grand défi auquel est confronté votre comité. Le prévoyez-vous dans la loi, ou, selon les recommandations, s'agit-il de l'une de ces questions de négociation relative aux paiements de transfert, où le gouvernement fédéral essaye d'encourager les provinces à se lancer dans des programmes de financement comme celui-ci, programmes qui se révèlent efficaces, plutôt que de mettre l'accent sur un système de détention qui ne semble pas efficace?

J'aimerais pouvoir ouvrir un centre de formation susceptible de développer cette expertise dans d'autres collectivités, maintenant que nous avons cette capacité en Ontario.

M. Chuck Cadman: Monsieur Jackson?

M. Ned Jackson: Je suis entièrement d'accord avec les propos de M. Leschied.

M. Chuck Cadman: D'autres collectivités ont manifesté un intérêt? Je pourrais probablement penser à plusieurs personnes en Colombie-Britannique qui aimeraient bien vous parler.

M. Alan Leschied: En fait, l'un de mes collègues a participé à une conférence en novembre dernier, juste à l'extérieur de Vancouver; un groupe disait qu'il appliquait un programme TMS; ses membres qui n'ont pas la formation, souhaiteraient l'avoir.

Comment assurer donc cette formation et comment appuyer le personnel intéressé? C'est une formation assez rigoureuse, soit dit en passant, monsieur Cadman. Il a fallu deux à trois années à nos équipes pour arriver à adopter ce modèle et obtenir les résultats actuels. Nous avons tiré les leçons des erreurs passées.

Je devrais également vous dire, soit dit en passant, que la Norvège vient juste d'adopter ce programme pour tout son système. Ned et ses collègues d'Ottawa vont passer quelque temps en Norvège en juin prochain pour y former des équipes. N'est-il pas ironique que nous suscitions ce genre d'intérêt? C'est véritablement intéressant. Il ne s'agit pas simplement d'un...

M. Chuck Cadman: Le financement pose problème, d'après vous.

M. Alan Leschied: Le financement est le gros problème. Ce n'est pas tant que nous ayons besoin de nouveau financement; il faudrait réaffecter le financement existant pour appuyer ce genre de programmes, au lieu de s'en servir pour construire de nouveaux centres de détention.

M. Chuck Cadman: J'ai une autre question à vous poser, monsieur Jackson, puisque vous travaillez avez les délinquants dans les maisons de transition. Vous êtes quotidiennement en contact avec eux. Vous avez parlé de certains procédés, comme par exemple susciter l'intérêt des jeunes dans le domaine du hockey. Que faites-vous des victimes de ces jeunes dans tout cela? Vous avez dit que certains de ces incidents étaient assortis de violence.

• 1615

M. Ned Jackson: Malheureusement, ce n'est que récemment que les victimes sont appelées à jouer un plus grand rôle en Ontario. Le seul endroit où je vois les victimes, c'est la salle de tribunal, mais je pense qu'il est certainement possible d'établir la liaison et de trouver des procédures qui permettent de tenir davantage compte du point de vue des victimes.

M. Chuck Cadman: Pensez-vous que votre programme—ce que vous faites—pourrait les englober, au lieu de simplement les laisser en dehors?

M. Ned Jackson: Absolument. À mon avis, les victimes de crimes qui sont des membres de la collectivité, qu'il s'agisse d'un homme d'affaires dont une vitre a été cassée ou de quelqu'un qui a été victime de violence, devraient jouer un rôle et s'assurer que le délinquant ne va pas simplement être incarcéré pour peut-être sortir de prison en pire état qu'avant. Les victimes doivent s'assurer que quelque chose de positif, de proactif sera mis en place, afin que pareille situation ne puisse se reproduire. D'après moi, il est possible de travailler avec les victimes, sauf qu'il n'existe pas de mécanismes à l'heure actuelle qui permette de le faire en toute sécurité. Vous pouvez imaginer et comprendre qu'il est important de garantir la sécurité des victimes.

M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup.

[Français]

Je vous accorde sept minutes, monsieur Bellehumeur.

M. Michel Bellehumeur (Berthier—Montcalm, BQ): Madame Pate, je vous ai écoutée attentivement et j'ai retenu entre autres l'exemple de Kami, qui est assise à côté de vous. De quelle façon le projet de loi C-3 aidera-t-il davantage une jeune ou un jeune aux prises avec certains problèmes judiciaires, comme ce fut le cas de Kami?

[Traduction]

Mme Kim Pate: À mon avis, sous le libellé actuel du projet de loi, j'imagine que le procès de Kami se déroulerait en fonction de la preuve présentée. Il est ressorti très clairement du jugement qu'elle n'était pas en fait considérée comme ayant joué le rôle important qui lui avait été initialement imputé à l'audience de renvoi, comme l'a prouvé le fait que le juge ne veuille lui infliger qu'une peine d'une année de prison. En fait, elle n'aurait probablement pas passé autant de temps en détention avant le procès. Son procès aurait eu lieu et le processus n'aurait pas pris autant de temps. J'imagine qu'elle n'aurait pas été envoyée dans un établissement fédéral au bout du compte et qu'elle aurait pu purger sa peine dans un établissement pour jeunes.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Le problème de Kami me semble se situer beaucoup plus au niveau des moyens que sa province met à la disposition des jeunes aux prises avec un problème de justice qu'à celui de l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants. Je suis du Québec et, bien que je suive cette situation d'assez près, je n'ai pas entendu parler de choses semblables. C'est peut-être parce que notre province s'est dotée d'institutions et a investi davantage dans ce domaine-là qu'une autre province. Que l'on soit au Québec ou dans l'Ouest canadien, on applique la même loi à l'heure actuelle. Cependant, on ne retrouve pas ce problème au Québec.

Si une province n'investit pas à ce chapitre à l'heure actuelle et qu'elle n'a pas jugé nécessaire d'investir pour appliquer la Loi sur les jeunes contrevenants, qu'est-ce qui va la convaincre d'investir pour appliquer les dispositions de cette nouvelle loi encore plus complexe, entre autres au niveau des mesures extrajudiciaires, de la détention préventive et du suivi?

[Traduction]

Mme Kim Pate: Ce que vous dites est important, je crois. Il est tout à fait vrai qu'à l'heure actuelle, les transfèrements à un établissement pour adultes ne se font pas de la même façon au Québec que, par exemple au Manitoba, d'où vient Kami, surtout en ce qui concerne les jeunes Autochtones. Les modèles de détermination de la peine ne sont pas les mêmes qu'en Saskatchewan où Kami a fini par purger le gros de sa peine.

• 1620

Ce que vous dites me paraît important et c'est un point que nous avons également soulevé. Pour ce qui est de la mise en oeuvre de ces mesures, une grande part de la décision va relever des provinces. C'est en partie la raison pour laquelle nous proposons que certaines des grandes catégories soient supprimées et que les juges aient droit de dérogation, si vous voulez—par exemple, si des mesures extrajudiciaires ne sont pas prévues dans une province, un juge pourrait toujours les ordonner et la province serait obligée de les mettre en oeuvre—nous encourageons également la surveillance de l'administration de la justice, bien sûr dans les provinces, mais aussi dans tout le pays. Nous avons indiqué qu'il y aurait des façons de le faire en fonction des ressources affectées aux provinces.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Ma dernière question s'adresse à M. Jackson ou à son collègue. Je n'ai pas encore lu de façon approfondie le mémoire que vous avez soumis, mais je vais le faire. J'ai écouté votre présentation, que j'ai trouvée très intéressante, et j'ai pris des notes.

Ceux qui disent qu'à l'heure actuelle, la Loi sur les jeunes contrevenants ne nous permet pas de faire de belles choses ne vous ont sûrement pas rencontré.

[Traduction]

M. Alan Leschied: Je ne suis pas sûr que nous ne puissions pas le faire légalement, monsieur Bellehumeur, et je ne sais pas si l'accent mis dans la loi sur la responsabilité a fait que le système soit plus axé sur la mise sous garde.

La situation du Québec est différente, je pense. En Ontario, par exemple, 80 p. 100 des paiements de transfert fédéraux-provinciaux pour le système applicable aux jeunes contrevenants sont affectés à la détention des jeunes; il ne reste donc que 20 p. 100 des fonds pour des programmes comme celui-ci. Franchement, le Québec montre comment il est possible de fonctionner différemment et de conserver des fonds pour des services comme le Centre des services sociaux de Ville-Marie, à Montréal, par exemple, que je connais très bien. Ce centre est en mesure d'offrir des programmes communautaires semblables à ceux dont nous parlons ici.

Je ne sais pas vraiment si le fait de ne plus mettre autant l'accent sur la mise sous garde est une question législative ou une question de volonté politique. Lorsque j'ai commencé mon intervention, je me suis appuyé sur les recommandations 5 et 6 qui ne sont pas véritablement de nature législative, mais qui visent plus spécifiquement la façon dont les partages de coûts fédéraux-provinciaux pourraient mettre l'accent sur des mesures communautaires au lieu de mesures de mise sous garde.

[Français]

Le président: Merci, monsieur Bellehumeur.

[Traduction]

Monsieur Mancini, pour sept minutes.

M. Peter Mancini (Sydney—Victoria, NPD): Merci, monsieur le président.

Tout d'abord, j'aimerais demander aux témoins de bien vouloir m'excuser de mon retard. Certaines de mes questions ont peut-être été abordées dans vos déclarations auquel cas je vous demanderais de bien vouloir m'excuser.

Le projet de loi renferme quelques aspects au sujet desquels j'aimerais connaître votre avis. Je voudrais parler d'abord des droits aux services d'un avocat. L'article 25 du projet de loi prévoit les droits aux services d'un avocat lorsque la province n'offre pas d'aide juridique; il prévoit également le recouvrement des honoraires auprès du jeune à la fin du procès.

Kim pourrait peut-être répondre à cette question.

Mme Kim Pate: Nous ne sommes pas en faveur de cette façon de procéder. Nous sommes extrêmement préoccupés par l'impact que cela pourrait avoir sur les droits des jeunes à l'application régulière de la loi. En fait, à la fin de mon exposé, j'ai brièvement indiqué que nous nous inquiétons du fait que les jeunes gens ne vont pas... Ceux parmi nous qui ont travaillé avec les jeunes dans le système savent que dans les cas où des parents peuvent payer des honoraires d'avocats ou dans les cas où des parents vont sans doute se présenter au tribunal, les jeunes sont souvent encouragés à plaider coupables au lieu d'opter pour un procès où ils pourraient bénéficier d'une défense à leur avantage. Nous sommes très inquiets que cette mesure n'entrave les droits des jeunes à l'application régulière de la loi.

M. Alan Leschied: Je me fais l'écho de ce que Kim vient juste de dire; les jeunes doivent avoir accès aux services d'un avocat à toutes les étapes des poursuites.

M. Peter Mancini: La deuxième question porte sur les solutions de rechange dans le cas de jeunes délinquants graves qui souffrent de sévères problèmes psychologiques. Je me demande même pourquoi ceux qui ont des problèmes psychologiques graves se retrouvent dans le système pénal et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

• 1625

M. Alan Leschied: Si vous permettez, je fais beaucoup d'évaluations de jeunes qui ont de graves problèmes judiciaires. Étant donné qu'il est très difficile de prouver que les jeunes en question sont des enfants qui ne sont pas en mesure de comprendre la nature des poursuites et de constituer un avocat, ces jeunes passent par le système de justice pénal en partie, parce que c'est la seule façon pour eux d'avoir accès aux services nécessaires pour les problèmes graves dont ils souffrent. Notre système provincial ne devrait pas exiger que ces jeunes passent par le système applicable aux jeunes contrevenants uniquement pour obtenir les services dont ils ont besoin.

Je suis donc partagé à ce sujet. Franchement, il y a des enfants qui, nous le savons, ne comprennent pas les poursuites, mais qui passent par le tribunal; nous nous arrangeons pour leur faire comprendre ce qui se passe, uniquement parce que c'est là que se trouvent les ressources. Nous ne devrions pas avoir à le faire, mais franchement, c'est la seule façon dont nous pouvons leur garantir un accès aux ressources.

Dans le système provincial, il se peut qu'ils ne répondent pas aux critères de l'aide sociale prioritaire, car ils sont peut-être âgés de 15 ans et vont bientôt avoir 16 ans, si bien que l'Aide à l'enfance est portée à ne pas s'attarder sur leurs cas afin de pouvoir continuer à se consacrer aux cas des plus jeunes enfants. Franchement, le système de santé mental pour enfants en Ontario a un tel arriéré que le système des jeunes contrevenants est le seul système qui soit offert à ces jeunes.

Mme Kim Pate: Comme nous l'avons vu dans le cas de Kami, ce qui nous inquiète, c'est que l'on risque de se retrouver dans une situation—je crois que c'est déjà le cas dans certaines compétences—où les services de santé mentale offerts aux jeunes gens en vertu de la loi applicable aux jeunes contrevenants ou dans le cadre des établissements pour jeunes, sont préférables à ceux de la communauté ou, à tout le moins, d'accès plus facile. Cela crée un dilemme horrible semblable à celui dans lequel s'est retrouvé le juge dans l'affaire de Kami; il a pensé qu'elle obtiendrait de meilleurs services dans une institution fédérale au lieu d'une institution provinciale. Dans ce cas particulier, l'audience de renvoi avait déjà été faite si bien que lorsque toutes les preuves ont été présentées, il n'était plus possible de la renvoyer dans le système applicable aux jeunes—c'est du moins l'interprétation qui en a été faite, ce que je tiens à souligner.

Étant donné que les dispositions de la loi, son préambule et ses principes sont très clairs, nous espérons que dans un cas comme celui-ci, on ne risque pas de se retrouver dans une situation ou, pour obtenir des services de santé mentale ou psychologiques, une jeune personne doit être renvoyée dans le système. En fait, nous espérons que cela donne une très bonne occasion à l'avocat de refuser et de prétendre que ce cas doit être traité en dehors du système judiciaire pour les jeunes et relever du système de santé mentale, forçant ainsi le système de santé mentale à offrir les services.

M. Peter Mancini: Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Merci, monsieur le président.

Je tiens à remercier aussi les témoins, en particulier Kami. Nous apprécions beaucoup votre présence ici. Compte tenu de ce que Kim Pate nous dit, je suis désolé de l'horrible expérience qu'a été la vôtre au sein du système de justice. Comme M. Scott l'a dit, c'est très courageux de votre part d'être ici aujourd'hui.

Madame Pate, j'aimerais revenir sur une observation que vous avez faite au sujet de la publication de l'identité des jeunes contrevenants, et qui m'inquiète quelque peu. Je vous ai peut-être mal comprise, mais je crois vous avoir entendu dire qu'à votre avis, cela est tout à fait inutile. J'estime qu'il y a des cas où cela peut être utile, notamment lorsqu'un jeune est en fuite et que les autorités tentent de le retrouver pour assurer sa protection ou celle du public si le jeune en question représente une menace réelle pour la population en raison de son état d'esprit ou d'un acte qu'il a commis. Ne pensez-vous pas qu'il peut y avoir des cas où un juge peut être justifié d'ordonner la diffusion de l'identité de cette personne, compte tenu du fait que la loi prévoit qu'un processus doit être respecté.

Mme Kim Pate: Je parlais précisément de la publication de l'identité des jeunes qui ont été mis en liberté ou qui font face à une sentence d'adulte. À mon avis, il ne devrait pas y avoir de raison pour que leur identité soit rendue publique.

Dans le contexte d'une enquête, cette disposition existe. À ma connaissance, elle a été très rarement utilisée. Ce n'est pas ce à quoi je faisais allusion dans mes commentaires.

Mais si l'on parle d'une personne qui a été remise en liberté, et ce, sans aucune surveillance, je ne crois pas qu'il faille l'identifier. En fait, une telle identification, comme nous l'avons constaté dans le système pour adulte, peut souvent amener les gens à fuir d'une communauté à l'autre.

Ce qui est important, particulièrement pour les jeunes, c'est d'avoir été tenus responsables de leurs actes; ils ont payé leur dette envers la société en purgeant leur peine, ce qui, dans bien des cas, supposait une forme de remboursement à la collectivité ou aux victimes; et maintenant, ils sont à un tournant et doivent essayer de réintégrer la communauté.

• 1630

Kami, vous pourriez peut-être nous expliquer ce que c'est de ne pas pouvoir obtenir un emploi ou aller à l'école sans que tout le monde sache qui vous êtes puisque votre visage et votre nom ont été affichés partout.

M. Peter MacKay: Je souhaite vivement entendre Kami. Nous reconnaissons tous qu'indéniablement, un élément de honte est associé à la révélation de l'identité.

Cependant, je reviens encore une fois à la nécessité de protéger le public. Chose certaine, Kami, je ne parle pas du tout de vous en l'occurrence. Mais si un adolescent qui a purgé sa peine—et j'appuie les efforts de réinsertion sociale—manifeste un comportement antisocial grave, et je songe particulièrement à des agressions sexuelles contre des enfants ou à une tendance à se livrer à de telles agressions, à ce moment-là, il est nécessaire que les voisins et les membres de la communauté soient mis au courant.

Il faut aussi reconnaître que peu importe si le nom a été rendu public, même si l'affaire a été instruite par un tribunal de la famille et qu'on a déployé des efforts précisément pour ne pas révéler l'identité du contrevenant, dans les petites communautés, les gens savent ce qu'il en est. Je songe par exemple au cas d'un adolescent qui fréquente l'école et qui s'absente soudainement pour une longue période. Je pense parfois que nous nous leurrons lorsque nous pensons pouvoir garder cette information à l'insu de la communauté.

Mais j'aimerais entendre Kami nous parler de son expérience.

Mme Kami Pozniak (témoignage à titre personnel): Tous les jours, lorsque je sors, des tas de gens reconnaissent mon nom lorsque je leur suis présentée. J'ai eu du mal à trouver un emploi. Lorsque je fréquentais l'école, mes professeurs savaient qui j'étais. Plus tard, mon professeur de droit l'a su également. J'ai trouvé dur d'être connue en tant que contrevenante, d'avoir cette étiquette du passé collée à moi au lieu d'être connue pour qui je suis. Cette réalité m'est renvoyée au visage tous les jours que je passe dans la communauté.

M. Peter MacKay: Kami, j'aimerais vous interroger au sujet du concept de la justice réparatrice, qui est largement inspiré de la culture autochtone. Je pense que par le biais de cette mesure législative, nous tentons d'établir une distinction entre les contrevenants violents et non violents et de réconcilier une personne avec sa communauté. Dans le contexte du processus de ressourcement, pensez-vous qu'il aurait été bon pour vous de rencontrer la famille de la victime? Je ne connais pas les circonstances. Je suppose que dans ce cas, la victime a été tuée. Vous aurait-il été utile de rencontrer les membres de la famille de cette victime?

Mme Kami Pozniak: En fait, j'ai toujours voulu les rencontrer. Au moment du prononcé de ma sentence, je me suis excusée auprès de la famille d'avoir été impliquée dans cette affaire. Mais je suppose qu'ils ne sont pas prêts à me voir de sorte que j'attends le moment où cela se produira. Alors, je m'assoirai avec eux et je leur parlerai. Je pourrais leur dire ce que j'ai à leur dire et écouter ce qu'ils ont à me dire.

M. Peter MacKay: Pensez-vous que cela accélérerait votre processus de guérison et votre capacité de tourner la page?

Mme Kami Pozniak: Oui.

M. Peter MacKay: Merci.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, Peter.

Kim.

Mme Kim Pate: Vous avez parlé de la diffusion de l'identité des jeunes dans les communautés, et je conviens que dans les petites communautés, tout le monde sait qui sont les jeunes en question. Dans les plus grandes collectivités—et ce n'est pas uniquement du point de vue professionnel que je parle, mais en tant que mère de jeunes enfants—, j'estime que la démarche consistant à envisager d'autres mesures... Il y a bon nombre d'autres jeunes et d'ailleurs, d'adultes, qui n'ont pas été reconnus coupables d'une infraction et qui représentent tout de même une menace pour mes enfants. Étant opposée au fait de nommer ou de rendre publique l'identité des personnes que nous avons appréhendées, inculpées, condamnées et emprisonnées et maintenant identifiées, je préfère de loin m'investir auprès des jeunes et auprès de mes propres enfants pour qu'ils sachent comment assurer leur propre sécurité et se sortir de toutes sortes de situations.

Lorsque j'étais membre du conseil d'administration de la garderie que fréquentait mon fils, nous avons pris des dispositions pour assurer la sécurité. Cela va à l'encontre du faux sentiment de sécurité issu de la conviction que les seules personnes qui présentent vraiment des risques sont les rares contrevenants qui ont été condamnés et ensuite remis en liberté après une peine d'emprisonnement.

• 1635

Si quelqu'un arrive dans la communauté, généralement les gens sont au courant; même dans les grandes villes, on sait qu'on a un nouveau voisin à côté. Cette disposition a toujours existé en guise de prévention. Cela relève de la responsabilité des autorités policières que de prévenir le crime. Nous savons tous que la police peut et doit faire ce genre de travail; les agents sont prêts à rencontrer les gens de la communauté.

M. Peter MacKay: Les policiers devraient-ils avoir le pouvoir discrétionnaire de rendre publique l'identité d'un contrevenant? Je ne veux pas trop insister ou vous utiliser comme exemple, mais si un adolescent a été incarcéré à 17 ans et remis en liberté à 21 ans après avoir purgé sa peine pour avoir commis de multiples délits et qu'il a des tendances pédophiles, si vous avez de jeunes enfants, ne voudriez-vous pas que les autorités policières puissent vous le laisser savoir, en somme, vous prévenir?

Mme Kim Pate: Non, je ne voudrais pas que des agents de police viennent me révéler l'identité d'un adolescent. C'est simplement que je tiens organiser ma vie en sachant que dans les faits, des tas d'adolescents pourraient se retrouver dans une telle situation, simplement parce que... Je ne prétends pas avoir l'expertise d'Alan ou de Ned, mais avec les jeunes gardiens ou gardiennes... Nous savons tous les problèmes liés à l'adolescence et à l'éveil des sens...

Il y a des précautions que nous devons tous prendre en tant que parents d'enfants qui risquent d'être en contact avec des adolescents qui vivent ce processus. Je pense que nous devons nous attacher davantage à des mesures de prévention.

Le président: Merci.

Monsieur Saada.

[Français]

M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Je vous remercie tous d'être venus. Comme je le disais à Kim avant que nous commencions, elle vient ici tellement régulièrement qu'elle est pratiquement membre honoraire du comité.

M. John McKay (Scarborough-Est. Lib.): Elle a toute notre sympathie.

M. Jacques Saada: Oui. Merci beaucoup.

[Français]

J'aimerais poser deux ou trois questions importantes.

[Traduction]

Monsieur Leschied, monsieur Jackson, concrètement, comment les juges savent-ils que vous existez?

M. Alan Leschied: Nous avons fait beaucoup de travail dans les quatre collectivités retenues avant le lancement du programme. Nous avons collaboré avec la police, les avocats de la défense, les avocats de la Couronne et la magistrature pour les mettre au courant de notre existence. À l'origine, nous les avons formés non pas sur la façon de fournir des services mais de nous acheminer des candidats. Nous voulions qu'ils connaissent la nature du programme. Il faut déployer énormément d'efforts dans une communauté pour la sensibiliser.

Les juges nous disent qu'ils ont horreur d'envoyer des jeunes en détention et qu'ils ignoraient qu'il y avait des solutions de rechange. En fait, il n'y en a pas. Ce n'est pas que les juges ne soient pas au courant; elles n'existent tout simplement pas. Par conséquent, l'une des choses qu'il a fallu faire à Ottawa, à Mississauga, à Barrie, à Orillia et à London, a été de passer énormément de temps avec les juges pour s'assurer qu'ils sachent bien que ce n'est pas un programme qui convient à tous les jeunes. Nous cherchions en fait les jeunes présentant des risques très élevés, des jeunes sur le point d'être incarcérés et ce, pour mettre le programme à l'épreuve. Cela a exigé énormément de formation.

M. Jacques Saada: Vous oeuvrez surtout dans des grandes villes, si je comprends bien, comme London, Barrie...

M. Alan Leschied: Ces collectivités ont été choisies afin de donner un élément de diversité. Notre programme à Mississauga est dirigé à partir de Mississauga, mais il s'applique également dans le comté de Halton, une collectivité rurale qui s'étend vers la partie nord de Toronto. Nous avons un programme à Orillia-Barrie parce que la région englobe une réserve des Premières nations, juste au nord d'Orillia, la réserve Rama. Nous l'avons choisie délibérément afin d'examiner la prestation de services aux jeunes Autochtones. Nous ne recherchions pas uniquement de jeunes citadins, et c'est cette perspective que notre choix reflète.

M. Ned Jackson: Monsieur Saada, permettez-moi de répondre en me fondant sur mon expérience quotidienne.

M. Jacques Saada: Bien sûr.

M. Ned Jackson: Chaque fois que je vais au tribunal, je parle à l'avocat de la Couronne, à l'avocat de la défense et à l'agent de probation, s'il est là. J'ai présenté au tribunal des mémoires pour sensibiliser les juges à la brochette des programmes disponibles, à ce que nous pouvons offrir. Je leur signale que je suis présent dans la communauté et je les informe du niveau de surveillance et d'aide que je peux apporter à la famille et en particulier, aux jeunes. C'est une démarche que nous avons faite au début, mais nous la répétons pratiquement chaque fois que nous allons au tribunal, et nous sommes présents à presque toutes les audiences du tribunal lorsque nous travaillons avec la famille.

M. Jacques Saada: Je voudrais faire une observation à Kim et à Kami. Ensuite, je vous reviendrai avec une autre question.

• 1640

Je tiens à vous dire que je partage entièrement vos préoccupations au sujet de la publication des noms des contrevenants. Je continue de ne pas voir l'utilité de susciter ce faux sentiment de sécurité. J'ai également des réserves au sujet des répercussions que la publication de l'identité d'un jeune peut avoir sur ses parents. J'ai remarqué que lorsque vous en avez parlé, Kami a opiné du chef. Elle n'a pas pu nous communiquer intégralement son expérience en une seule fois, mais cela en disait long.

L'une des choses que j'ai du mal à comprendre est la suivante. Vous êtes un exemple d'une organisation qui offre des mesures de rechange au cours de l'incarcération, des mesures qui visent à faciliter, à promouvoir la réinsertion sociale. En fait, c'est un acte de foi et cela fonctionne.

M. Alan Leschied: Ce n'est pas un acte de foi. C'est fondé sur l'expérience et les données générées par d'autres programmes.

[Français]

M. Jacques Saada: J'aurais peut-être dû m'exprimer en français. Ce que je voulais vous dire, c'est que vous êtes absolument convaincu que c'est la voie de l'avenir.

Vous dites que le gouvernement ontarien dépense 80 p. 100 de ces fonds pour l'incarcération et vous affirmez en même temps qu'il vous appuie. Je ne comprends pas le point de vue que vous avez exprimé. Soit qu'il a confiance dans ce que vous pouvez apporter, soit qu'il n'a pas confiance et qu'il fasse la promotion de l'incarcération. Pourriez-vous expliquer cette dichotomie que je ne comprends pas?

[Traduction]

M. Alan Leschied: Cela mis à part... Monsieur Saada, c'est un dilemme pour nous également. C'est paradoxal, n'est-ce pas? Je serai franc: parfois, je pense que nous sommes le secret le mieux gardé de l'Ontario car en grand nombre, nous allons à l'encontre du système officiel ontarien qui privilégie un recours accru à la garde et à l'incarcération.

Mais il y a quatre ans environ, il y avait suffisamment de volonté politique pour lancer des projets pilotes afin d'affirmer qu'il y avait moyen de faire les choses différemment, que l'on pouvait être plus efficace que le système actuel qui est fondé sur la garde. Comme vous le savez, il y a aussi en Ontario un camp d'inspiration militaire. Je pense que c'est l'une des options que notre gouvernement, à diverses instances, a décidé d'envisager.

Que puis-je dire? Je pense qu'à certains égards, nous contredisons l'idée fort répandue selon laquelle l'Ontario est une province championne de la ligne dure où les taux d'incarcération sont élevés. Je m'en tiendrai là.

M. Jacques Saada: Kim, j'ai quelques...

Le président: Il vous reste une minute.

M. Jacques Saada: Kim, l'article 38 du projet de loi, et plus particulièrement le paragraphe (2) de l'article 38 stipule, et je vais le citer en français:

[Français]

    (2) Le tribunal pour adolescents n'impose le placement sous garde qu'en dernier recours après avoir examiné toutes les mesures de rechange proposées...

[Traduction]

Et on poursuit. Je vais passer au paragraphe 38(5):

[Français]

    (5) Le placement sous garde ne doit pas se substituer à des services de protection de la jeunesse ou de santé mentale...

Au paragraphe 38(9), on lit:

    (9) Toute peine spécifique comportant une période de garde doit donner les motifs...

[Traduction]

Si j'ai bien compris, vous êtes en faveur de toutes ces mesures. Voici ma question. Pensez-vous qu'au moyen de ces dispositions, nous pouvons faire plus qu'aux termes de l'ancienne mesure?

Mme Kim Pate: Oui. C'est d'ailleurs en partie pourquoi nous avons modifié notre position initiale, qui était de réclamer le maintien de la loi. À mon avis, ces dispositions améliorent sensiblement la situation. En fait, elles font plus qu'améliorer les choses, elles précisent clairement au tribunal qu'il devrait, en premier lieu, envisager des solutions hors du système de justice pour les jeunes ou du système de justice pénal pour les jeunes. Bien que cela ait été le point de départ de la Loi sur les jeunes contrevenants, nous en sommes tellement loin maintenant que je pense qu'il faut...

En outre, il n'y a jamais eu de dispositions aussi vigoureuses. Elles n'ont jamais été aussi clairement exprimées, à mon avis. On a toujours dit que la garde devait être utilisée en dernier recours et qu'il fallait envisager des solutions de rechange, mais je ne pense pas qu'on soit jamais allé jusqu'à dire que le juge est tenu de donner les raisons pour lesquelles il n'a pas envisagé d'autres systèmes ou d'autres solutions que la garde. Je pense que tout est plus clair. J'estime qu'il serait beaucoup plus difficile de faire autrement. Je m'inquiète parce qu'il existe des catégories et qu'il demeurera possible d'essayer de se soustraire aux dispositions, mais à mon sens, ce sera beaucoup plus difficile à faire que ce l'était dans le cadre du système actuel.

M. Alan Leschied: Si vous me permettez d'ajouter...

Le président: Allez-y.

M. Alan Leschied: ... quelque chose brièvement. C'est bien beau que cela figure dans la loi, mais ce ne sera pas suffisant tant que nous n'aurons pas toute une brochette de ressources à présenter aux juges. Le juge dira: «J'ai dû opter pour la garde ou l'incarcération parce que je n'avais pas d'autre choix.» C'est ce que diront de nombreux juges.

• 1645

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Cadman. Vous avez trois minutes.

M. Chuck Cadman: J'ai une brève question au sujet de la publication et de l'identification—et je veux mettre l'accent sur l'identification, et non la publication. Je ne parle pas de publication à grande échelle.

Ma question s'adresse à vous, madame Pate. Vous avez dit à M. MacKay que vous ne voulez pas savoir si le voisin présente un risque potentiel pour votre enfant. Vous préférez enseigner à votre enfant comment prendre des précautions, comment reconnaître le danger. Mais comment dire à un enfant de cinq ou six ans de ne pas jouer avec le jeune homme d'à côté?

Mme Kim Pate: Le fait est que le jeune homme d'à côté peut présenter un risque pour mon enfant à l'heure actuelle sans que je le sache, même s'il n'a pas de casier judiciaire.

M. Chuck Cadman: Mais comment s'y prendre pour...?

Mme Kim Pate: En partie en s'assurant que de jeunes enfants ne sont pas laissés avec une personne qu'ils ne connaissent pas bien, dans un lieu où il n'y a pas de surveillance.

M. Chuck Cadman: Mais je parle de jouer tout simplement en face de la maison.

Mme Kim Pate: Malheureusement, ce qui est plutôt triste, il va de soi que mes jeunes enfants ne jouent pas à l'extérieur de la maison sans surveillance que ce soit la mienne ou celle de voisins. Nous savons où ils se trouvent et nous nous assurons qu'ils jouent en groupe.

Malheureusement, il y a certaines réalités avec lesquelles nous devons composer et notamment la nécessité de s'assurer que nos enfants sont sensibilisés à certains problèmes. Pour notre part, nous devons être suffisamment sensibilisés pour nous inquiéter à bon escient car, comme nous le savons, cela n'est pas nouveau. Ce genre de choses est arrivé à nos contemporains lorsque nous étions enfants. Bien souvent, nous ignorions tout. Cela s'est produit en l'absence de certaines précautions.

Par conséquent, c'est en prenant des mesures comme instaurer un cadre de surveillance pour les jeunes, s'assurer que les enfants ne sont pas laissés seuls pendant de longues périodes de temps avec une personne qu'ils ne connaissent pas. Ce sont certaines mesures que l'on peut prendre. Je suis convaincue qu'il y a des tas d'autres précautions que les gens utilisent et j'en prendrai note volontiers. Mais le fait est qu'aujourd'hui, il y a peut-être à côté de chez moi quelqu'un qui est susceptible d'agresser mon enfant. Ce risque n'est pas nécessairement plus ou moins grand selon que la personne en question a été inculpée d'agressions sexuelles.

M. Chuck Cadman: D'accord. Pour ce qui est du gardiennage, comment reconnaître...? Accepteriez-vous qu'un adolescent plus âgé ou un jeune garçon garde votre fille? Avez-vous tout simplement pris le parti de ne pas autoriser cela?

Mme Kim Pate: C'est ce que font certaines personnes. Dans notre famille, il nous est arrivé d'embaucher deux jeunes ensemble pour prendre soin des enfants si nous ne les connaissions pas tellement bien. Nous avons pris des mesures.

Chose certaine, lorsque j'étais membre du conseil d'administration de la garderie, nous avons pris des dispositions pour améliorer la formation des employés. En outre, notre politique interdisait qu'un employé soit seul avec les enfants, au lieu de simplement vérifier les dossiers de chacun, ce qui est l'une des politiques adoptées par certains centres dont les dirigeants supposent qu'ils pourront écarter toute menace en examinant les antécédents des employés.

M. Chuck Cadman: Je suppose que ces mesures donnent de bons résultats dans le contexte d'une garderie mais cela n'est pas facile à appliquer dans un ensemble de maisons en rangée quand on a besoin d'un gardien ou d'une gardienne pour deux heures en soirée.

Mme Kim Pate: C'est exact. Dans notre travail auprès des femmes et en particulier, des mères célibataires, nous avons mis énormément l'accent sur le recours au modèle coopératif. Ainsi, les femmes peuvent s'échanger des services de gardiennage au lieu de se fier à quelqu'un de peu sûr dans une situation comme celle que vous venez d'évoquer.

Il ne s'agit pas de soupçonner tout le monde, mais lorsqu'on a affaire à une personne inconnue, il va de soi qu'il faut prendre certaines précautions, qu'il s'agisse d'une personne qui assurera une surveillance auprès des enfants ou qui sera fréquemment en contact avec eux.

M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.

Le président: C'est nous qui vous remercions.

Précisons aux fins du compte rendu que l'exposé qu'a fait Mme Pate était à titre de témoin expert, de mère.

Des voix: Oh, oh!

Le président: Comme j'ai rencontré son fils, je peux le confirmer.

Je vous cède la parole, monsieur McKay.

M. John McKay: Merci, monsieur le président.

Je voulais interroger Kami et Mme Pate au sujet du renvoi. Je présume qu'après l'inculpation, la décision a été prise en faveur d'un procès devant un tribunal pour adulte. Est-ce bien ce qui est arrivé dans ce cas particulier? Et combien de temps tout cela a-t-il pris?

• 1650

Mme Kami Pozniak: J'ai passé environ un an en détention préventive avant l'audition relative au renvoi. Mon affaire a été portée devant le tribunal pour adulte sous prétexte que j'étais une enfant des rues. Je n'ai pas collaboré avec la police, donc, cela a fait de moi une enfant des rues, une dure à cuire. C'est en réalité là-dessus qu'on s'est appuyé pour me faire comparaître devant un tribunal pour adulte.

Mais tout cela a pris environ un an et demi, parce qu'il y a eu une nouvelle loi entre temps, alors j'ai dû revenir me battre devant la Cour du Banc de la Reine pour tenter d'obtenir une audition relative au renvoi, et ensuite il y a eu l'audition. Tout cela a pris pas mal de temps.

M. John McKay: Y avait-il des coaccusés avec vous?

Mme Kami Pozniak: Il y en avait trois.

M. John McKay: Est-ce que c'était aussi des délinquants juvéniles?

Mme Kami Pozniak: Oui.

M. John McKay: Donc, il s'est écoulé toute une année avant que le procès en tant que tel commence?

Mme Kami Pozniak: Deux ans.

Le président: Pardonnez-moi. Avant de poursuivre, je tiens à vous rappeler, Kami, que vous êtes libre de ne pas en dire plus que ce que vous voulez dire. Je veux m'assurer que vous ne sentiez pas obligée de révéler plus que vous ne le souhaitez.

Mme Kami Pozniak: Non.

Le président: D'accord.

M. John McKay: Elle me semble tout à fait capable de se défendre.

Je suis d'accord avec le président, si mes questions vont trop loin, n'hésitez pas à me le dire.

Je suis désolé, mais je n'ai pas entendu votre réponse. Vous avez dit que cela a pris au moins un an?

Mme Kami Pozniak: Cela a pris deux ans avant que la peine en tant que telle soit prononcée. À l'audition relative au renvoi, j'étais accusée de meurtre au premier degré, donc on m'a jugée encore plus sévèrement. En fin de compte, je n'ai été trouvée coupable que d'homicide involontaire.

Si, à l'audition relative au renvoi, je n'avais été accusée que d'homicide involontaire et que les preuves qui ont été recueillies après l'audience préliminaire—mon renvoi s'est fait avant l'audience préliminaire... Lorsque la poussière est retombée et qu'on a vu plus clair dans ce à quoi j'avais participé ou non, on a compris que je n'étais pas coupable de meurtre au premier degré, et c'est pourtant ce qui a fait que j'ai été jugée devant un tribunal pour adulte.

M. John McKay: Madame Pate, si je comprends bien, avec le projet de loi qui est proposé, elle aurait pu faire deux années de prison en moins. Est-ce bien cela?

Mme Kim Pate: Eh bien, nous en avons déterminé que ç'aurait été au moins un an. Il y a eu une année de détention avant l'audition relative au renvoi, et puis il y a eu les batailles procédurales, parce que si vous vous rappelez, c'est à ce moment-là qu'ont été mises les dispositions en vue du renvoi.

M. John McKay: Oui.

M. Kim Pate: J'ai ici les clauses dont parle Kami. Elle a donc été prise dans cette bataille-là aussi.

Si la loi avait été telle qu'elle est maintenant, si je comprends bien son fonctionnement, les preuves contre Kami auraient été présentées en premier lieu.

M. John McKay: Oui.

Mme Kim Pate: Et on examinerait dans quelle mesure elle est responsable du décès, et d'après tout cela, on déterminerait s'il y a eu lieu de la renvoyer à un tribunal pour adulte.

M. John McKay: Cela fait une différence assez importante.

Le président: Merci, monsieur McKay.

Monsieur Bellehumeur.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Je n'ai pas d'autres questions.

Le président: Monsieur Saada.

M. Jacques Saada: Je voudrais poser une seule question aux représentants des deux organisations.

[Traduction]

La Loi sur les jeunes contrevenants, telle qu'elle est maintenant, donne aux victimes accès aux dossiers. C'est reconnu comme un droit avec cette nouvelle loi. Qu'en pensez-vous?

Mme Kim Pate: Ce que nous craignons, comme nous avons travaillé sur des programmes...

M. Jacques Saada: Je suis désolé, je ne vous demande pas ce que vous craignez à son sujet, mais ce que vous en pensez?

Mme Kim Pate: Je sais, mais elle m'inspire certaines craintes.

M. John McKay: La crainte est une opinion, en quelque sorte.

Mme Kim Pate: Comme j'ai travaillé avec des femmes et des enfants qui ont été des victimes, et comme j'ai collaboré aussi à des programmes de rapport ou de médiation entre les victimes et les délinquants, je crains que cela suscite des espoirs de participation qui pourraient être déçus.

Les victimes ont des besoins très réels et je pense qu'on pourrait espérer, avec ces clauses, que la loi permettra de combler ces besoins, ce qui à mon avis n'arrivera pas.

Pour répondre aux besoins des victimes, nous devons envisager certaines dispositions—des dispositions extrajudiciaires, si vous voulez—qui assureraient la mise en place de mesures de soutien et de ce genre de chose. Je crois que les éléments de justice réparatrice donnent une chance aux victimes d'y participer. Kami le disait, et d'autres qui ont vécu le même genre d'expérience le diraient aussi, ce pourrait être utile à certaines personnes. Cela répondra à leur besoin, parce qu'elles tiennent à participer. Pour d'autres, ce ne sera rien.

• 1655

Alors comme je le disais, ce que je crains à son sujet c'est que l'on s'attendra d'un côté à plus d'engagement, et de l'autre côté on pourrait s'attendre à ce que les victimes participent plus lorsqu'elles n'y tiennent pas forcément.

M. Jacques Saada: C'est un droit. Elles sont libres de l'exercer ou non.

Mme Kim Pate: Exactement.

M. Alan Leschied: Une petite précision, d'après le fonctionnent des cercles judiciaires dans notre communauté, il s'agit des victimes qui ont accès non pas à l'information qui se trouve dans les dossiers, mais à de l'information tout court, dans le cadre d'un échange où les victimes sont intégrées à une partie du cercle judiciaire en vue de la réconciliation. Il faut beaucoup de préparation avant d'en arriver là. Cette préparation est assurée par les membres de la communauté qui font partie du cercle judiciaire.

Je ne crois pas que les victimes seraient capables de gérer cette information sans beaucoup de soutien. Je le répète, il faut beaucoup de soutien et de préparation pour amener les gens au point où ils peuvent accéder à l'information et en tirer les éléments positifs.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Mancini.

M. Peter Mancini: J'ai une ou deux questions qui s'adressent à M. Leschied.

Vous avez dit plus tôt—et je serais d'accord avec vous—que la nouvelle loi jouit d'un certain soutien dans la mesure où elle est assortie des ressources appropriées. J'ai déjà exercé dans le domaine de l'aide juridique et je sais comme vous que le juge soit bien obligé, parfois, d'avouer qu'il aimerait bien appliquer les dispositions de la loi mais qu'il n'en a pas les ressources. Je ne veux pas interpréter vos propos, mais j'ai l'impression que votre appui est conditionnel à l'octroi de ressources appropriées aux provinces, pour qu'elles puissent veiller à l'observation de la loi.

M. Alan Leschied: C'est juste, et peut-être devrais-je le dire aux fins du compte rendu, monsieur Mancini, les nouvelles solutions en matière de détermination de la peine, qui prévoient des programmes intensifs de réadaptation, sont aussi assorties de recommandations visant les paiements de transfert qui permettent l'octroi des ressources. L'un ne va pas sans l'autre.

M. Peter Mancini: En fait, il n'y a que deux domaines—et peut-être auriez-vous des observations à faire là-dessus, Kim—qui constituent des changements au Code criminel. Je crois d'ailleurs qu'ils viennent d'un projet de loi émanant d'un député, M. Cadman, qui prévoit l'augmentation de la peine de prison pour ceux qui ne s'acquittent pas de leur obligation de supervision. Je crois que cela fait partie intégrante de la loi en ce qui concerne les signataires d'une entente de supervision de l'enfant ou de l'adolescent. S'ils ne s'en acquittent pas correctement, la peine est augmentée. J'aimerais connaître votre opinion sur ce changement au Code criminel.

Aussi, j'aimerais savoir ce que vous pensez de ce que j'appellerais le relâchement des restrictions sur l'admissibilité des déclarations de jeunes personnes?

Mme Kim Pate: Cette clause nous cause certainement du souci parce qu'elle pourrait faire punir quelqu'un parce que quelqu'un d'autre dont il ou elle a la garde ne respecte pas les conditions, et surtout parce que cela découragerait des gens d'accepter la responsabilité, particulièrement ceux qui travaillent dans les centres de jeunes, ou les travailleurs sociaux. Ce sont souvent ces adultes qui s'occupent des jeunes les plus problématiques pour le système, qui cherchent à les en faire sortir justement, donc c'est sûr que cette clause m'inquiète. En plus, dans un contexte où il y a très peu de ressources pour les aider, certains parents pourraient se trouver coincés. C'est en partie ce qui nous préoccupe.

Si on pense aux parents en particulier, et je pense surtout à certaines mères célibataires qui auraient du mal à s'assurer que leurs enfants soient au tribunal au moment voulu et qui essaient, elles-mêmes, de se rendre au travail, de telles dispositions leur seraient très défavorables. Je crois qu'elles seraient confrontées à un choix, entre faire courir des risques potentiels à leurs autres enfants ou renoncer à aider un enfant. Il me semble que ce serait pour elles une situation absolument terrible.

Pardonnez-moi, mais est-ce que vous pourriez répéter votre deuxième question?

M. Peter Mancini: Il s'agissait de l'admissibilité des déclarations.

Mme Kim Pate: Comme je le disais dans mon exposé, ces dispositions nous préoccupent beaucoup. En fait, nous trouvons qu'elles devraient être supprimées de la loi.

Le président: Merci.

Monsieur Maloney, vous avez la parole.

M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): Mme Pate a dit dans son témoignage que son groupe s'inquiète de la clause de recouvrement des frais d'aide juridique, parce que, je crois, les parents pourraient dissuader leur enfant de demander de l'aide juridique parce qu'ils ne veulent pas en assumer la responsabilité financière. Monsieur Leschied, êtes-vous du même avis? Est-ce que ce serait la même chose?

M. Alan Leschied: Oui.

• 1700

M. John Maloney: Pourtant, ces dispositions font partie des conséquences dont tient compte cette loi. Comment pourrait-on les présenter de manière à ce qu'elles soient plus acceptables, et d'ailleurs, est-ce possible?

Mme Kim Pate: Je ne sais pas si c'est possible. Mon expérience, à ce sujet, vient en partie de mon travail auprès de jeunes qui faisaient l'objet de renvois, si vous l'envisagez dans le sens de mesures les moins intrusives de la Loi sur les jeunes contrevenants, c'est-à-dire les solutions de rechange. Lorsque j'étais chargée de la mise en oeuvre, puis de la surveillance de certains programmes, nous avons remarqué que nous renvoyions au moins un enfant sur 10 devant le tribunal lorsqu'ils souhaitaient tenter les solutions de rechange, parce que leurs parents le leur conseillaient plutôt que de subir un procès. Selon les dispositions en vigueur actuellement, si vous n'assumez pas votre responsabilité, vous devez passer par le système. Dans la plupart de ces cas-là, c'étaient souvent les parents qui disaient: «Ça m'est égal que tu n'aies rien fait. Moi, je ne vais pas devant le tribunal». Nous étions confrontés à cela dans la moins intrusive des situations, où de parents adoptaient ce genre d'attitude alors que nous insistions pour suggérer un renvoi à la Couronne. La plupart du temps, la Couronne ne maintient pas l'inculpation, parce que c'est pour des petites choses comme la complicité de vol à l'étalage ou quelque chose du genre.

Il y aurait encore des parents pour opposer toutes sortes d'arguments dans ces cas-là. J'ai vu cela arriver avec des jeunes lorsque je fournissais des services d'aide juridique. J'avais à peine terminé mes études de droit, et la loi venait d'être promulguée. Il y avait des parents pour dire qu'ils n'allaient pas perdre tout ce temps, bien qu'ils savaient que nous, étudiants, passions un nombre incalculable d'heures sur une affaire, et pour conseiller aux jeunes de plaider la culpabilité et de subir les conséquences de leurs actes.

Je ne cherche surtout pas à dire que ces jeunes ne devraient pas être tenus responsables de leurs actes, mais il arrive qu'un jeune ne doive pas avoir à porter cette responsabilité. Ils n'ont pas en fait commis d'infraction, mais les parents présument que parce qu'ils se tenaient avec les jeunes qui ont commis l'infraction, ils devraient eux aussi en assumer la responsabilité.

Je crois que les problèmes sont réels, et n'importe quelle clause de ce genre-là poussera les parents en ce sens, parce que la réalité veut que beaucoup de parents n'aient pas les moyens de prendre des risques. Ils travaillent, mais ils gagnent peu, et c'est une menace à leur stabilité financière. Je ne cherche pas nécessairement à rejeter la faute sur les parents, mais je crois que nous devons voir les choses telles qu'elles sont... Si nous devons de plus en plus faire assumer les responsabilités aux jeunes et les rendre passibles de poursuites au criminel, il me semble que nous sommes aussi tenus de prévoir des procédures de recours.

M. John Maloney: Vous avez aussi dit qu'à votre avis, un jeune ne devrait absolument pas être incarcéré dans un établissement pour adultes. Il y a d'excellentes raisons à cela, mais que faire des établissements où il y a des jeunes de 21, 22 ou 23 ans qui côtoient des adolescents de 14 ou 15 ans? Est-ce que cela vous pose un problème?

Mme Kim Pate: Absolument, c'est un problème. Ce qui me préoccupe aussi, c'est ce que fait là un jeune de 14 ou 15 ans. En fait, d'après la formulation des dispositions du projet de loi C-3, nous espérons—et je dis bien «espérons» parce que, comme d'autres l'ont dit, la mise en oeuvre y fera beaucoup—que bien des choses dépendront des ressources octroyées à la communauté, et aussi du degré d'autorité que les juges seront disposés à assumer pour pousser les choses et dire qu'ils n'enverront pas ces jeunes en détention en attendant le procès, et qu'ils exigeront des choix de solutions extrajudiciaires pour les jeunes.

Avant l'entrée en vigueur de la Loi sur les jeunes contrevenants, lorsque nous réfléchissions tous à ce qui devrait être dans la nouvelle loi, dans beaucoup de territoires, l'âge était fixé à 16 à 24 ans et non pas à 12 à 18 ans. C'est pourquoi je pense qu'il y a de vrais problèmes à faire enfermer ces jeunes- là. Les jeunes vieillissent—Kami a maintenant 21 ans, et je pense qu'elle ne devrait pas plus être renvoyée au pénitencier de la Saskatchewan qu'elle n'y était à sa place lorsque je l'y ai rencontrée il y a trois ans. Elle n'a pas parlé de certains des problèmes, de l'automutilation, de toutes ces choses qui se passent là-bas et de l'expérience qu'elle y a vécue. Je ne pense pas que ce soit le genre de choses que nous voulons imposer à nos jeunes.

Le président: Merci beaucoup.

Je laisse la parole à Peter MacKay.

M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président.

Je ne vous dirai pas combien il est frustrant de n'avoir que trois minutes pour poser nos questions. C'est à peine le temps qu'il faut pour vous demander comment s'est passée votre journée.

Quand je vous entends dire qu'un jeune de 14 ans ne devrait pas se trouver là, je ne peux pas m'empêcher d'être étonné. N'envisagez-vous pas de situations où il est vraiment de l'intérêt non seulement de la société, mais du jeune, qu'il soit incarcéré? J'ai remarqué que vous n'avez pas vraiment répondu à la question lorsqu'on vous a demandé s'il devrait arriver qu'une personne de 21 ans soit retirée de la population générale pour être mise dans un établissement où elle côtoierait des jeunes de 14 ans.

• 1705

Mme Kim Pate: Je suis désolée, alors, si ma réponse n'était pas claire. Selon mon expérience avec les jeunes dans des établissements fermés, les adolescents de 14 ans ne devraient simplement jamais se trouver dans de tels établissements. Dans absolument tous les cas où j'y ai vu des jeunes de 12, 13 ou 14 ans, qu'ils y soient temporairement ou à des fins de détention, leur situation aurait pu être réglée par l'entremise de l'aide sociale.

M. Peter MacKay: Peu importe le crime commis?

Mme Kim Pate: Leur comportement soulevait certes des questions, et s'ils ont été incarcérés, c'est parce qu'ils ont commis des crimes. Mais le fait est que ces jeunes auraient dû, et auraient pu, être pris en charge par les services d'aide à l'enfance ou, dans certains cas, par les services de santé mentale dotés de ressources adéquates.

M. Peter MacKay: Quand la peine était purgée en milieu ouvert?

Mme Kim Pate: Pas nécessairement. Un des problèmes avec la Loi sur les jeunes contrevenants, c'est qu'elle permettait au jeune de suivre un traitement en milieu fermé, sauf que cette option n'a pas été utilisée à bon escient en raison d'un manque de ressources. Or, je crois comprendre que les nouvelles dispositions seront assorties de ressources. Nous pourrons donc nous prévaloir de cette option.

Je me souviens avoir assisté à une réunion avec plusieurs thérapeutes, mes collègues et confrères en Alberta. Au début, ils ont dit qu'ils voulaient que les jeunes suivent obligatoirement un traitement. Nous en avons discuté, et ce qu'ils voulaient au fond, c'est que les jeunes soient envoyés dans des établissements de traitement. Nous nous sommes donc penchés là-dessus.

Quand nous avons commencé à fournir aux jeunes la possibilité de suivre un traitement en milieu fermé au lieu d'être renvoyés sous garde, ils se sont mis à choisir cette option. Ils seraient donc placés dans un établissement, si vous voulez, mais pour y suivre un traitement. Ils avaient ainsi accès à l'aide et au soutien dont ils avaient besoin. C'est le genre de mesure que j'aimerais voir instaurée.

M. Peter MacKay: Tous les témoins, presque sans exception, nous disent que la nouvelle loi constitue un pas dans la bonne direction. Toutefois, ils déplorent le fait qu'il n'y ait pas de ressources. Si l'on manque de ressources dans le régime actuel et que l'on s'attend à ce que la nouvelle loi donne aux policiers un plus grand pouvoir discrétionnaire, mais aussi plus de travail, qu'elle donne aux travailleurs sociaux, aux spécialistes en counselling, aux personnes comme vous qui misent sur les solutions de rechange à l'incarcération...

Si la loi soulève toutes ces attentes et qu'elle n'est pas assortie des ressources nécessaires à sa mise en oeuvre, si l'on manque de ressources dans le régime actuel, nous serons confrontés à de sérieux problèmes. Cela ne fera qu'accroître le cynisme que ressentent non seulement les intervenants, mais également la population en général, à l'égard du système de justice pénale.

Mme Kim Pate: Il est vrai que le manque de ressources pose un sérieux problème. Compte tenu du libellé du projet de loi, il sera plus difficile pour les provinces d'éluder leurs responsabilités. Elles essaient effectivement de se soustraire à certaines de celles-ci, comme elles ont essayé de le faire en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants. Il a fallu attendre deux ans avant que cette loi ne soit adoptée, parce que les provinces voulaient construire des prisons pour les jeunes, alors que le projet de loi mettait l'accent sur les solutions communautaires. Elles ont obtenu ce qu'elles voulaient, et les ressources ont servi à construire des prisons, et c'est un legs avec lequel nous devons maintenant composer. Or, l'appareil judiciaire doit lui aussi démontrer qu'il est prêt à mettre en oeuvre ces dispositions.

Je ne dis pas que, dorénavant, tout sera parfait, mais le projet de loi est plus sévère. J'ai mentionné les dispositions qui ne le sont pas assez et qui doivent être supprimées, mais la loi est plus sévère. Et si nous avons des juges comme ce juge autochtone en Saskatchewan qui a ajourné les procédures, exigé qu'on lui fournisse la liste des ressources auxquelles pourrait avoir accès cette jeune Autochtone atteinte du SAF, le syndrome d'alcoolisme foetal, exigé de savoir quelles ressources étaient disponibles avant qu'elle ne prononce sa sentence, eh bien, cela ne pourra que faire avancer les choses.

Le président: Merci.

John.

M. John McKay: Ma question s'adresse à M. Leschied. J'ai du mal à voir quel type de personne vous ciblez. Existe-t-il un profil de la personne que vous essayez de cibler?

• 1710

M. Alan Leschied: Voilà une question intéressante.

En fait, vous donnons, dans notre mémoire, un profil des quelque 150 jeunes qui ont participé dans un premier temps au programme. En bref, ce sont des délinquants qui commettent les infractions les plus graves au sein de la communauté, des jeunes qui devraient être placés sous garde. Ce sont des délinquants violents, des récidivistes qui commettent des crimes graves contre les biens. Autrement, presque deux tiers des enfants proviennent de familles monoparentales, où la mère est l'unique soutien. La pauvreté, les besoins en matière d'éducation, la dépression constituent de sérieux problèmes. Les thérapeutes passent beaucoup de temps avec les mères, les familles. Ils consacrent moins de temps aux enfants, et cela peut vous paraître étonnant, parce que le profil des besoins des enfants englobe l'école, la famille, les amis. Nous suivons ces enfants de près, et nous essayons d'en faire état dans tous les rapports que nous produisons.

M. John McKay: Est-ce que tous les cas vous sont soumis par les tribunaux?

M. Alan Leschied: Oui, sauf à Ottawa, où nous nous occupons également d'enfants âgés de moins de 12 ans, dont le cas ne peut manifestement nous être soumis par les tribunaux. Ce sont les services de police ou la Société d'aide à l'enfance qui les orientent directement vers notre service.

Il y a une chose que je devrais mentionner. À Ottawa, en raison du mandat d'un des organismes qui travaille avec les jeunes de moins de 12 ans qui présentent des troubles de comportement, mais qui ne sont pas encore des délinquants, tous les cas qui nous sont soumis le sont par des agents de probation et des juges.

Le président: Merci beaucoup. Notre temps est écoulé.

Je pense que Kami souhaite dire quelque chose. Nous devrions lui donner la chance de s'exprimer.

Mme Kami Pozniak: Avant d'aller en prison, j'étais sous la tutelle du CFS. Je n'avais pas de famille. Je me suis retrouvée en prison alors que j'étais très jeune, et j'en suis ressortie à l'âge adulte. Quel genre de ressources offrez-vous aujourd'hui à ces personnes? Je n'ai toujours pas de famille. Je dois payer mes factures, louer un appartement. Quel genre de soutien allez-vous offrir aux jeunes qui sortent de prison une fois devenus adultes et qui n'ont pas de famille?

Le président: Je pense que c'est là le plus gros problème auquel nous sommes confrontés. Le fait que nous soyons en train de discuter du système de justice pénale applicable aux adolescents prouve que nous avons failli à la tâche. Malheureusement, nous n'arriverons pas à régler ce problème ici. Nous espérons toutefois être en mesure d'améliorer la situation.

Michel souhaite faire un commentaire.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Je ne poserai pas nécessairement une question; je ferai plutôt une remarque. Les deux témoins ont fait allusion au préambule de la loi. Ils ont indiqué qu'il s'agissait d'un préambule extrêmement important et qu'ils souhaitaient qu'il fasse en sorte que les provinces se sentent davantage liées.

Je vous ferai remarquer que dans l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants, on retrouve beaucoup plus d'éléments à l'article 3, sous le titre «Déclaration de principes», et qu'en droit, il faut vraiment faire une distinction entre un préambule qui est là, that's it, et un article de loi qui pourra être interprété par les tribunaux. Malgré la déclaration de principes de l'article 3, plusieurs provinces n'ont pas investi comme elles auraient dû le faire. Je vous invite à faire attention. On a peut-être inscrit ce préambule seulement pour se donner bonne conscience. L'avenir nous le dira.

En réponse à Peter, j'aimerais souligner le fait que de nombreux témoins sont venus dire qu'ils n'appuyaient pas le projet de loi C-3. Ce n'est pas la majorité des témoins qui s'y sont opposés; c'était surtout le cas des témoins du Québec.

[Traduction]

Le président: Y a-t-il d'autres commentaires? Monsieur Cadman.

M. Chuck Cadman: Je voudrais tout simplement ajouter une précision. M. Mancini a fait allusion à la responsabilité parentale. Les membres du comité doivent se rendre compte que nous ne cherchons pas ici à pénaliser ou à punir le parent pour le crime commis par l'enfant. Le problème ici vient du fait que le parent a délibérément négligé de se conformer à l'ordonnance du tribunal. Nous n'essayons pas de punir le parent pour le geste posé par l'enfant. Le problème se situe du côté du parent qui a délibérément négligé de se conformer à l'ordonnance du tribunal. C'est le genre de situation que tente de corriger cette disposition.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur MacKay.

M. Peter MacKay: Merci, monsieur le président. Je voulais poser une question à Kami, et peut-être que Kim peut répondre aussi.

Si j'ai bien compris, vous avez eu droit à une audience de renvoi, ensuite à une audition préalable devant le tribunal, après quoi il y a eu négociation de plaidoyer. J'ai défendu un cas qui, à première vue, ressemble beaucoup au vôtre, sauf qu'il était question ici d'un meurtre au premier degré. Un très grand nombre de détails avaient été fournis lors de l'audience de renvoi, et la Couronne et la défense disposaient d'une très grande marge pour ce qui était de la divulgation des faits. Ce que j'essaie de comprendre, c'est pourquoi les renseignements entourant le rôle très secondaire que vous avez joué dans ce crime n'ont-ils été divulgués qu'après l'audience de renvoi, et pourquoi on a accepté un plaidoyer d'homicide involontaire coupable.

• 1715

Mme Kami Pozniak: Sept personnes étaient visées. Quatre ont accepté de témoigner contre nous. Il y a eu beaucoup de fausses déclarations qui ont été faites...

M. Peter MacKay: D'accord.

Mme Kami Pozniak: ... et il manquait un rapport d'enquête. Beaucoup de choses ont été éclaircies lors des audiences préalables...

M. Peter MacKay: Donc, il y a eu de nombreuses irrégularités lors de l'audience de renvoi.

Mme Kami Pozniak: Oui.

M. Peter MacKay: Je vois.

Mme Kim Pate: Il est important de préciser qu'il n'y a pas eu de plaidoyer en vue de réduire la gravité de l'infraction. L'accusation a par la suite été changée à celle d'homicide involontaire coupable.

Mme Kami Pozniak: Non, il y a eu négociation de plaidoyer.

Mme Kim Pate: Vraiment? Je pensais qu'on avait réduit la gravité de l'infraction.

Mme Kim Pozniak: Non, il a fallu négocier.

Mme Kim Pate: D'accord. Je m'excuse. Je me suis trompée. Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Je tiens à remercier les témoins. Nous avons beaucoup appris. Je pense que les membres du comité ont tous été très heureux de vous rencontrer.

Puis-je demander aux membres du comité de rester pendant quelques instants? La sonnerie d'appel n'a pas été déclenchée. Nous allons laisser partir les témoins.

Chers collègues, nous allons, mardi, nous pencher sur certaines questions à la fin de la réunion. Il y en a une que nous pourrions peut-être régler aujourd'hui. Elle porte sur la liste des témoins que nous avons reçue—nous ne la distribuerons, parce que nous en discuterons mardi. Si vous vous souvenez bien, nous avons décidé dès le départ de ne pas entendre de nouveaux témoins, de nous limiter uniquement à ceux qui figurent déjà sur la liste, et de voir, à la fin du processus, s'il y a lieu d'en convoquer d'autres.

Le greffier me dit qu'ils ont besoin de temps pour préparer le dossier à partir du moment où vous dites que vous souhaitez convoquer un témoin. Nous avons déjà apporté un changement au processus. Je serais prêt à accepter une motion invitant le greffier à informer les 12 autres personnes qui entrées en contact avec nous que nous ne prévoyons pas convoquer de nouveaux témoins en dehors de ceux qui ont déjà été invités à comparaître devant nous. Il doit les aviser pour ne pas les faire attendre. Je pense que nous leur devons cette courtoisie.

Maintenant, nous pourrons discuter plus à fond de cette question mardi. Si vous êtes d'accord, c'est ce que nous allons faire.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Pourquoi annulerait-on la comparution des 12 autres témoins?

Le greffier du comité: On ne l'annule pas.

[Traduction]

Le président: Il n'est pas question d'annuler la comparution de certains témoins. Ce que je dis, c'est que nous avons décidé au début d'entendre les témoins dont les noms figurent sur la liste. Nous allons nous conformer à cette liste jusqu'à la fin du mois. Nous avons entre-temps reçu des demandes d'autres personnes qui souhaitent comparaître devant le comité. Nous avons déjà décidé qu'elles ne seraient pas nécessairement entendues. Nous pouvons en discuter davantage mardi, s'il y a lieu. J'essayais tout simplement de voir si nous ne pouvions pas nous entendre là-dessus.

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Je n'ai pas en main la liste des témoins que nous vous avions remise. Je crois que certains témoins du Québec dont les noms figuraient sur la première liste ne sont toujours pas venus témoigner. J'en discutais justement hier avec le greffier. Il y a entre autres M. Lamarche, la coalition et ainsi de suite. Je vous ferai part mardi des noms des témoins qui ont été omis. J'aurai probablement alors communiqué avec ces personnes-là et je serai en mesure de vous dire si elles désirent venir témoigner. J'aimerais qu'on s'assure qu'on pourra entendre les témoins dont les noms figuraient sur la première liste.

• 1720

[Traduction]

Le président: Puis-je apporter une précision? Je m'excuse. Je ne me suis pas bien exprimé. Nous allons entendre tous les témoins que nous avons accepté d'entendre. Tous ceux que nous avons accepté d'entendre seront...

[Français]

M. Michel Bellehumeur: Leurs noms ne figurent pas sur la liste.

[Traduction]

Le président: Il y a d'autres personnes qui ont communiqué avec le bureau...

Le greffier: Puis-je intervenir?

Le président: Allez-y.

Le greffier: M. Bellehumeur dit que certains témoins ne figurent pas sur la liste. Ou bien ils n'ont pas répondu à notre invitation, ou bien...

[Français]

Nous avons invité à comparaître toutes les personnes dont les noms figuraient sur la liste que nous avions approuvée à l'origine, mais certaines d'elles ne nous ont pas encore répondu. Le président parle maintenant d'une liste de témoins qui ont communiqué avec nous à la suite de notre approbation de la liste originale.

[Traduction]

Le président: Nous allons en discuter davantage mardi. Prenez- en note. Nous devrons également discuter du budget et des travaux futurs du comité. Nous en discuterons mardi, à la fin de la réunion.

Merci.