Passer au contenu
Début du contenu

JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS

COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 17 février 2000

• 1115

[Traduction]

Le vice-président (M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.)): Je tiens à remercier les témoins de comparaître devant nous, et au cas où vous croyez ne pas être importants, détrompez-vous, vous l'êtes.

J'ai appris avec le temps que les comités parlementaires qui débutent leurs travaux sont habituellement un peu comme une page blanche. Nous écoutons les témoignages, et d'après les témoignages que nous recevons, nous décidons de la meilleure façon de précéder. Contrairement à ce qu'on vous a peut-être dit, Ottawa n'est pas la source de tout le savoir. Nous écoutons.

Donc nous allons commencer par écouter. Si vous voulez bien vous présenter, je crois que vous représentez deux groupes. Pourriez-vous vous restreindre à dix ou douze minutes—je suis assez tolérant—après quoi nous poserons des questions. Donc quel est le groupe qui est prêt à commencer?

M. Irwin Koziebrocki (vice-président, Criminal Lawyers' Association): Bonjour. Je m'appelle Irwin Koziebrocki. Je suis vice-président de la Criminal Lawyers' Association. J'assure aussi la présidence de notre comité de la législation et j'ai donc eu l'occasion de comparaître devant votre comité.

Comme toujours, la Criminal Lawyers' Association vous remercie de lui offrir l'occasion de comparaître devant vous. Je suis accompagné de Carol Letman, qui fait partie de notre organisation et qui représente la région de Peel, tout près de la région de Toronto. Elle préside notre comité des jeunes contrevenants et a examiné ce projet de loi et aura certains commentaires à faire dans un instant.

J'aimerais faire certaines remarques préliminaires. Tout d'abord, la Criminal Lawyers' Association reconnaît qu'il n'est pas facile de s'occuper de la question de la criminalité chez les jeunes, et que la solution ne consiste pas à considérer que tous les crimes commis par des adolescents devraient être traités sévèrement comme s'il s'agissait de crimes commis par des adultes. Il y a aussi des cas où il ne convient pas de les dorloter. Il est important de prévoir une certaine souplesse et de fournir les moyens qui permettront de faire face à toutes les éventualités dans le cadre du système de justice pour les adolescents.

Nous savons que certains gouvernements provinciaux, entre autres, considèrent que ce projet de loi n'est pas suffisamment sévère, tandis que d'autres trouvent qu'il va trop loin et qu'il est inutile de modifier la Loi sur les jeunes contrevenants. Nous, à la Criminal Lawyers' Association, après des années d'expérience, ne sommes pas suffisamment naïfs pour croire qu'aucun changement ne sera apporté au système de justice pour les adolescents.

Nous considérons que tout changement qui sera apporté doit tenir compte des principes fondamentaux qui doivent régir la façon dont nous nous occupons des questions concernant les adolescents: à savoir que les adolescents manquent de maturité, qu'ils ont besoin d'être guidés, et parallèlement, qu'ils doivent assumer la responsabilité de leurs actes. Un régime prévoyant la déjudiciarisation et l'orientation constitue une dimension importante du développement de membres productifs de la société, surtout dans les cas où les jeunes viennent du milieu défavorisé.

Il y en a qui prétendent que l'incarcération et le châtiment sont la solution à tous les maux de notre société. Nous estimons que c'est tout à fait faux. Il ne faut pas oublier que l'incarcération a un bas âge ne règle pas forcément les problèmes mais risque plutôt de créer davantage de problèmes à l'avenir. La moralité de l'adolescent est influencée par celle de détenus plus âgés. La société risque de ne pas trouver très réconfortante les leçons que l'adolescent y apprendra.

Il existe des problèmes plus fondamentaux auxquels doit s'attaquer la société, à savoir pourquoi les jeunes sont-ils devenus incontrôlables; pourquoi n'y a-t-il pas de discipline ni de symbole d'autorité à la maison, et pourquoi y a-t-il des familles dysfonctionnelles. Nous considérons que le présent régime doit tenir compte de ces facteurs.

Récemment, plusieurs arrêts de la Cour suprême du Canada ont porté sur la question de l'incarcération—l'arrêt Gladue, traitant des détenus autochtones, et l'arrêt Proulx, qui portait sur la condamnation à l'emprisonnement avec sursis. La Cour suprême du Canada a déclaré que le Canada avait un dossier peu enviable au niveau de l'incarcération. Nous arrivons en fait au deuxième rang des pires démocraties occidentales à ce chapitre. Il devrait exister des solutions de rechange à ces problèmes, et l'incarcération devrait être réservée aux délinquants vraiment violents. C'est le cas pour les délinquants adultes et ce devrait à notre avis être d'autant plus le cas lorsqu'il s'agit d'adolescents. Il faut prévoir des solutions de rechange à l'incarcération.

• 1120

Ce projet de loi donne suite jusqu'à un certain point à cette préoccupation mais néglige certains autres aspects. Je demanderai à Mme Letman de vous signaler ces aspects en particulier.

Je vous remercie, monsieur le président.

Mme Carol Letman (directrice, région de Peel, Criminal Lawyers' Association): Je pense que certains mémoires ont été présentés par notre organisation, et nous allons surtout mettre l'accent sur deux aspects de la loi.

L'une concerne les infractions désignées et les peines pour adultes. Auparavant, j'aimerais dire que ce qui à mon avis préoccupe surtout la défense et ceux d'entre nous qui travaillent souvent dans les tribunaux pour adolescents, c'est que la loi semble répondre superficiellement à l'idée selon laquelle nous reconnaissons que les jeunes ont des besoins au niveau de leur développement. Ils ont des besoins spéciaux et ils manquent de maturité.

Parallèlement, la loi semble aller trop loin parce qu'elle établit des procédures très complexes conçues pour imposer des sanctions pour adultes à des adolescents qui n'ont que 14 ans. Le processus prévu à l'article 30 qui restreint la liberté au moyen de la détention soulève certaines préoccupations parce que même dans le libellé de cette disposition, on y parle de détention avant le prononcé de la peine, plutôt que de détention avant le procès. On s'est peut-être trompé dans le libellé, mais certainement cela laisse présumer qu'un adolescent sera détenu avant que sa peine soit prononcée.

En ce qui concerne les infractions désignées, l'élargissement de cette catégorie pour qu'elle comprenne la règle de la troisième faute, associé à la question des infractions avec violence ou des infractions graves avec violence, suscite une grande préoccupation sur le plan de la défense, parce qu'en raison du libellé, où l'on peut lire: «qui cause des lésions corporelles ou risque fort d'en causer», nous avons affaire à une définition très ouverte.

Par exemple, quiconque conduit en état d'ébriété pourrait causer des lésions corporelles ou risque fort d'en causer. Il est peu probable que les rédacteurs voulaient vraiment que les infractions désignées englobent la conduite en état d'ébriété, mais si l'on s'en tient au libellé de la définition proprement dite, de toute évidence quiconque conduit en état d'ébriété—non pas que vous voulions que les adolescents le fassent—risque fort de causer des lésions corporelles. La même chose s'appliquerait à quiconque met le feu à un bâtiment vacant, parce que même si cette personne savait ou ne savait pas qu'il était vacant, nous avons élargi cette catégorie pour y inclure les infractions d'incendie criminel.

En utilisant l'expression «qui cause des lésions corporelles ou risque fort d'en causer», nous avons élargi la catégorie des infractions visées et fait en sorte que cette définition s'applique dans des circonstances où un adolescent est censé être traité comme un adulte et assujetti à une peine d'adulte en raison de deux déterminations précédentes, des déterminations aussi peu graves que des cas de voies de fait causant des lésions corporelles, qui auraient pu être le résultat, par exemple, d'une bagarre entre deux jeunes dans une cour d'école ou l'un se retrouve avec le nez cassé.

Cette situation est très courante dans les tribunaux pour la jeunesse. Les jeunes se bagarrent constamment dans les cours d'école. Une fois que ce verdict de culpabilité est rendu au sujet de cet adolescent, cela de toute évidence augmente la possibilité que s'il s'attire encore des ennuis, il peut être automatiquement assujetti à une peine pour adultes. Il lui incombe alors de prouver au tribunal qu'il doit être traité comme un adolescent.

Le recours aux peines pour adultes ne doit viser qu'à imposer des peines plus longues que celles prévues à l'alinéa 41(2)n), je crois, qui prévoit une peine minimale de trois ans dont une période est purgée sous garde et une autre sous surveillance. En examinant les dispositions relatives aux peines pour adultes, conjugués à l'élargissement de la catégorie des infractions désignées afin qu'elles comprennent les «infractions graves avec violence», il ne fait aucun doute que cela augmentera considérablement le fardeau des tribunaux puisqu'il faudra tenir des audiences pour déterminer si une infraction correspond à cette catégorie.

• 1125

Il existe une disposition selon laquelle même si le tribunal conclut qu'une infraction n'est pas une infraction désignée, l'avocat de la Couronne peut quand même demander d'assujettir quelqu'un à une peine pour adultes, ce qui nécessitera encore une autre audience. Donc, en plus du procès et de l'audience de détermination de la peine, je pense qu'on peut dire sans se tromper que cela allongera au moins du double la durée des actions en justice, sans compter les importantes difficultés juridiques que cela imposera au système. Ce sont des conséquences que nous allons tous ressentir à mon avis au sein du système judiciaire, compte tenu des sollicitations dont fera l'objet le système de justice pour les adolescents. Il faudra aussi sérieusement tenir compte de la nécessité de former les divers intervenants.

Donc en ce qui concerne l'élargissement de la portée des peines pour adultes, il semble contradictoire d'aborder la Loi sur les jeunes contrevenants en tenant compte des besoins particuliers et de l'immaturité des jeunes tout en déclarant du même souffle que nous voulons qu'un plus grand nombre de nos adolescents, ainsi que ceux âgés de 14 ans, soient assujettis à des peines pour adultes.

La lecture du projet de loi me laisse clairement entrevoir la possibilité qu'un adolescent de 14 ans soit condamné à l'emprisonnement dans un pénitencier. Cela contraste nettement avec le prétendu accent mis sur la réinsertion. Le fait que ce type de peine puisse ne jamais être imposé à un adolescent vu la rareté de telles circonstances, ou la réticence d'un officier de justice à imposer ce type de peine, ne saurait nous rassurer. La possibilité même que ce genre de chose puisse se produire donne des frissons et c'est une possibilité à laquelle le public n'a sûrement pas été sensibilisé, à savoir que nous pourrions mettre des jeunes de 14 ans dans un pénitencier.

J'aimerais aussi traiter de la question des renonciations. C'est l'autre aspect sur lequel j'ai mis l'accent dans nos mémoires écrits. Nous sommes sérieusement préoccupés par l'article 56 original, qui a été reformulé à l'article 145 du projet de loi et qui a fait l'objet d'un certain nombre de contestations depuis que la Loi sur les jeunes contrevenants est entrée en vigueur.

Dans la région de Peel, d'où je viens, l'un de mes collègues a passé beaucoup de temps à s'occuper de cette question et, lorsque la police régionale de Peel a mis au point sa déclaration initiale de renonciation, il est allé jusqu'à la contester devant les tribunaux. Il a obtenu gain de cause. À la suite de cette contestation, la police a été obligée tout d'abord de réécrire la renonciation en question selon une formule plus appropriée afin de protéger les droits d'un adolescent. À la suite de ces mesures, les avocats de la Couronne ont réussi à faire admettre un plus grand nombre de déclarations.

Là où je veux en venir, c'est qu'il me semble que pour que les jeunes comprennent et exercent leurs droits comme il se doit, il faudrait mettre davantage l'accent sur la police et la formation des policiers qui traitent avec les adolescents. Lorsque nous remanions les dispositions telles qu'elles sont libellées ici pour prévoir des mesures de sauvegarde que la loi existante a considéré nécessaires et que divers tribunaux y compris la Cour suprême ont appuyées, compte tenu des besoins spéciaux des adolescents, et qu'ensuite nous faisons volte-face et nous indiquons au paragraphe 145(6) que dans les cas où les conditions n'ont pas été remplies, le tribunal pour adolescents peut admettre en preuve une déclaration faite par l'adolescent poursuivi s'il est convaincu que cela n'aura pas pour effet de déconsidérer l'administration de la justice, que sommes-nous en train de dire?

Sauf le respect que je vous dois, il semble que les dispositions du paragraphe 145(2), qui traitent des droits qui doivent être assurés, ont pour objet de faire en sorte que les droits des adolescents devant les tribunaux n'aient pas pour effet de déconsidérer l'administration de la justice, afin que nous sachions que les adolescents peuvent exercer leurs droits comme il se doit. Le fait de faire volte-face et de dire que ce n'est pas grave si vous ne vous y conformez pas tant que le fait d'admettre cette déclaration en preuve n'aura pas pour effet de déconsidérer l'administration de la justice se trouve à nier la valeur des dispositions précédentes.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Je vous demanderais de prendre juste une minute de plus, je vous prie.

• 1130

Mme Carol Letman: Oui, j'arrive à mon dernier argument.

La raison pour laquelle je considère cela préoccupant, c'est à cause d'une étude qui a été faite—que j'ai apportée bien que je n'en aie pas beaucoup d'exemplaires—et qui rend compte de recherches faites aux États-Unis sur la question de la compréhension par les adolescents de leurs droits et de leurs renonciations.

Cette recherche indique essentiellement que les adolescents, surtout les jeunes de moins de 15 ans, lors de leurs premiers démêlés avec le système judiciaire, renoncent couramment à leurs droits. Ils ne veulent pas que leurs parents soient présents parce qu'ils ne veulent pas qu'ils sachent qu'ils ont été arrêtés. Par conséquent, ils renoncent à leurs droits, sans comprendre en quoi ils consistent. Ce sont les adolescents plus âgés et plus mûrs qui peuvent être portés à exercer leur droit de ne rien dire ou leur droit à la présence d'un avocat, ce qui est ce que nous...

Ces droits sont prévus pour éviter que les jeunes soient intimidés par des personnes en position d'autorité, pour qu'ils ne soient pas amenés à faire des déclarations éventuellement fausses. Si l'on regarde les bandes vidéo d'interviews de jeunes, on constate à l'évidence l'influence que les agents de police ont sur eux. Il se peut qu'ils ne comprennent pas qu'ils ont le droit de garder le silence ou de demander la présence d'un parent—si l'on supprimait cela pour garantir que ceux qui commettent des crimes plus graves seront poursuivis, on ferait fi de la recherche qui indique que les jeunes ne comprennent pas et on renoncerait au genre de protection qu'il convient de prévoir pour nos jeunes.

Ce sont les deux aspects que j'avais dit vouloir surtout examiner. Je pense qu'ils représentent le côté le plus grave, et je prévois qu'ils donneront lieu à des contestations importantes qui encombreront l'appareil judiciaire. Il est vrai que le projet de loi a fait progresser les choses sur le plan de la déjudiciarisation mais il y a lieu de s'inquiéter énormément des dernières dispositions.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, madame Letman.

Nous allons maintenant entendre les représentants de la Commission des services juridiques. Je suis désolé de vous imposer mon mauvais français mais je ne reçois pas l'interprétation ici.

Étant donné que vous êtes trois, nous allons faire une entorse à la règle des 10 minutes mais essayer quand même de vous restreindre pour que nous ayons le temps de poser des questions. Nous adorons les questions.

[Français]

Me Diane Trudeau (coordonnatrice du Comité jeunesse, Commission des services juridiques): Bonjour à tous et à toutes. Je m'appelle Diane Trudeau et je représente la Commission des services juridiques du Québec, organisme qui chapeaute l'ensemble des bureaux d'aide juridique du Québec. Plus d'une cinquantaine d'avocats et avocates représentent les jeunes au quotidien, sur tout le territoire du Québec, tant sur le plan de la protection de la jeunesse qu'en tant que jeunes contrevenants.

Plusieurs fois dans le passé, la Commission des services juridiques a présenté des mémoires commentant les modifications apportées à la Loi sur les jeunes contrevenants. Après une étude de l'actuel projet de loi C-3 par le Comité jeunesse de la Commission des services juridiques, nous avons décidé de commenter trois éléments essentiels de ce projet de loi. Je vous parlerai d'abord de la déclaration de principes.

Mon confrère Me Benoît Gingras de Québec vous parlera des dispositions sur le renvoi au tribunal des adultes et, pour finir, Me Mario Gervais de Longueuil vous parlera des déclarations extrajudiciaires faites aux policiers par les jeunes et des garanties constitutionnelles que l'on trouve ou non dans le projet de loi.

Comme mes confrères sont des avocats de la jeunesse qui travaillent sur le terrain, ils compléteront leurs réflexions par la présentation de cas concrets qu'ils ont eu à défendre, tout en veillant, évidemment, à conserver l'anonymat de leurs jeunes clients.

Voici nos commentaires généraux. Alors qu'on avait réussi, après des années, à enfin établir une jurisprudence claire—je vous réfère à la décision R. c. J.J.M. de la Cour suprême, où il est clairement reconnu que la Loi sur les jeunes contrevenants permet de rechercher un juste équilibre entre la protection de la société et la situation particulière et les besoins des jeunes—, avec le présent projet de loi, on assiste à un revirement complet: on nous propose une justice pour les jeunes calquée sur la justice pénale pour adultes.

Il s'agit donc d'un virage inquiétant en matière de justice appliquée aux mineurs. À l'heure même où on assiste à une diminution de la criminalité chez les jeunes—vous pouvez vous référer à notre mémoire—, on présente ce projet de loi, qui entraînera certainement un durcissement de l'appareil judiciaire envers les jeunes. Il s'agit donc d'un recul important pour les mineurs, sur le plan de la justice, dans ce pays.

Je vous réfère à un texte extrait du rapport Jasmin, intitulé Au nom...et au-delà de la loi et publié en 1995:

    Il est souvent plus facile de modifier une loi que de changer les pratiques d'intervention. Il peut être tentant de se laisser aller à croire qu'en durcissant la loi on apportera une solution aux problèmes que posent la délinquance. Les réponses simples sont un leurre lorsqu'elles s'adressent à des problèmes complexes. Elles en occultent l'ampleur en créant la fausse impression que l'on fait le nécessaire pour les régler.

Voici maintenant nos commentaires concernant la nouvelle déclaration de principes, que l'on retrouve à l'article 3 du projet de loi. Il est clair, à la lecture que nous en faisons, que la protection de la société prime sur les besoins et les droits des jeunes.

• 1135

Ainsi, on peut lire à l'alinéa 3(1)a):

      a) le système de justice pénale a pour but premier de protéger le public...

C'est totalement différent des alinéas 3(1)a.1) et 3(1)c.1) de la Loi sur les jeunes contrevenants actuelle. Dans celle-ci, il est écrit que les adolescents ne sauraient, dans tous les cas, être assimilés aux adultes quant à leur degré de responsabilité. La protection de la société, qui est l'un des buts premiers, ne peut être mieux servie que par la réinsertion sociale, en tenant compte des besoins et circonstances du jeune. Nous sommes donc en total désaccord sur ce changement dans la déclaration de principes.

Les principes élaborés à l'article 3 de la Loi sur les jeunes contrevenants sont tout à fait appropriés et doivent être maintenus sans modification, en particulier les alinéas 3(1)a.1) et 3(1)c.1), qui sont le fruit d'une évolution très lente, au cours de laquelle les juges sont arrivés peu à peu à définir un équilibre délicat et difficile à atteindre entre la protection de la société, la responsabilisation des jeunes et la garantie de la protection de leurs besoins.

Vous pourrez lire une citation de la décision J.J.M. de la Cour suprême dans le mémoire.

Donc, en précisant, comme on le fait à l'article 3, que l'objectif premier du projet de loi C-3 est la protection de la société et que la réadaptation et la réinsertion sociale ne sont que des considérants sur lesquels on doit mettre l'accent—et ce sont bien les mots que l'on retrouve à l'alinéa 3(1)b) du projet de loi—, on désamorce tout ce bel équilibre graduellement atteint et reconnu par la Cour suprême.

Par cette philosophie visant à sanctionner les gestes déviants de nos jeunes, orientée surtout vers les conséquences des délits et considérant comme secondaires les besoins du jeune, on occulte toute l'appréciation subjective de la criminalité particulière de cette étape de la vie qu'est l'adolescence.

En effet, la situation d'un jeune est particulière, et sa maturation est progressive. Il est important que le système de justice des mineurs respecte l'évolution des jeunes, qui traversent divers stades vers l'exercice complet de leurs capacités d'adulte. Ainsi, pour citer la juge Wilson, dans l'arrêt Hill de la Cour suprême de 1986, dans le cas des jeunes, la norme applicable aux adultes ordinaires doit être modifiée d'une façon graduelle qui tienne compte de la responsabilité réduite de l'accusé à cause de son âge.

En encadrant de façon plus répressive les principes sous-tendant l'application de la loi, on change définitivement et en profondeur la façon dont les juges analyseront...

[Traduction]

Le vice-président (M. Ivan Grose): Je prie le témoin de ralentir car les interprètes ont du mal à le suivre.

[Français]

Me Diane Trudeau: D'accord.

[Traduction]

Le vice-président (M. Ivan Grose): Je vais vous donner le temps.

[Français]

Me Diane Trudeau: Très bien.

En encadrant de façon plus répressive les principes sous-tendant l'application de la loi, on change définitivement et en profondeur la façon dont les juges analyseront et puniront les jeunes. Il ne faut pas sous-estimer le caractère important et fondamental d'une déclaration de principes et son empreinte subtile mais très réelle sur la philosophie générale d'une loi.

Ainsi, les juges de la Cour suprême ont exprimé, dans la décision R. contre J.J.M., en 1993, ce qui suit:

    L'article 3, qui énumère des principes applicables, n'est pas un simple préambule mais doit recevoir la force générale attribuée aux dispositions de fond.

Voici maintenant quelques mots sur le préambule du projet de loi C-3. Même si, dans ce préambule, il est prévu que la société se doit de répondre aux besoins des jeunes et de les aider dans leur développement, cela ne change rien à nos commentaires, parce qu'il est reconnu dans la jurisprudence et la doctrine qu'un préambule n'a pas un impact majeur sur un projet de loi. Un préambule a une portée toute relative; il a une valeur plus pédagogique qu'interprétative. Il est accessoire et a peu d'impact. Au fond, le préambule n'est là que pour éclairer ce qui semble obscur.

Ainsi, si le préambule est en contradiction avec le texte de loi, ici la déclaration de principes à l'article 3, c'est le texte de loi qui l'emporte. Je vous réfère au livre Interprétation des lois, de Pierre-André Côté, et à la décision Viger c. Ville de Lachine—1919, 28BR184. Merci.

Me Benoît Gingras (avocat, région de Québec, Commission des services juridiques): Comme le mentionnait préalablement ma collègue Me Trudeau, je me présente d'abord comme un avocat spécialisé en droit de la jeunesse dans un bureau d'aide juridique à Québec. On a choisi délibérément de vous présenter en langage commun des exemples concrets de «travail sur le plancher», comme on dit chez nous, qui a donné des résultats. Je veux vous dire aujourd'hui que, somme toute, la loi actuelle, dans sa forme et dans son contenu, est satisfaisante et donne des résultats probants.

• 1140

D'emblée, on est en désaccord sur les nouvelles dispositions, qui parlent maintenant d'assujettir des jeunes de 14 ans et plus à des peines pour adultes. En créant volontairement une infraction dite désignée, on allonge la liste des accusations pour lesquelles un jeune pourrait se voir assujetti éventuellement à une peine pour adultes. On prévoit également que, dans certaines circonstances, certaines infractions accompagnées de violence pourraient également entraîner l'assujettissement à une peine pour adultes d'un jeune de 14 ans et plus.

On abaisse forcément l'âge. Depuis un moment, je vous parle de 14 ans et plus, alors que dans le texte de la loi actuelle, certaines infractions permettent la présomption de renvoi pour des jeunes de 16 ans et plus, présomption qui peut être renversée par la défense.

Elle peut être renversée, oui, puisqu'on aura l'occasion, dans certaines circonstances, de faire valoir certains critères. Me Trudeau vous a entretenus des critère subjectifs, ceux qui sont fondés sur les besoins de l'adolescent. Cependant, il y a aussi des critères qui sont fondés sur la protection du public.

Or, j'ai un cas à vous soumettre. Il s'agit d'un adolescent que j'ai représenté en janvier 1999 et qui était accusé de crimes très graves. C'était un garçon de l'extérieur de Québec qui, lors d'un court séjour à Québec en hiver, un peu après le Jour de l'an, soit le 5 janvier 1999, avait commis une voie de fait grave sur une dame âgée qui descendait de l'autobus, tout simplement dans l'intention de lui voler son sac à main.

Avant de commettre cette infraction, le garçon avait pris du PCP, une drogue aux effets extrêmement nocifs. Après cette infraction, il était allé se réfugier dans un immeuble à logements, où il avait agressé sauvagement un livreur, encore une fois parce que, dans son espèce de délire paranoïde, il pensait que cet individu allait l'attaquer.

Je rencontre le jeune homme, puisque je suis de garde, et on me demande de le représenter. Il n'est pas dans un très bon état. Il faut savoir qu'après avoir consommé du PCP, même après 24 heures, on ne reconnaît pas grand-chose. Il n'est donc pas dans de très bonnes dispositions pour discuter avec son avocat.

D'emblée, l'avocat de la défense que je suis se trouve devant des faits graves, des voies de fait sérieuses. Et, d'emblée, le cas n'est pas sympathique. Qu'est-ce qu'on fait d'un jeune comme celui-là? Quels sont les outils avec lesquels on peut travailler? Qu'est-ce qu'on peut faire pour lui?

Voilà donc le garçon qui revient en cour, vers la fin janvier. Entre-temps, brièvement, il s'est évadé alors qu'il était sous garde légale; il est disparu pendant cinq jours avant qu'on ne le retrouve. Tous les intervenants du secteur disaient qu'il fallait absolument le retrouver car il était dangereux pour la société. On l'a retrouvé et on a comparu avec lui à la fin de janvier. Finalement, il a plaidé coupable aux accusations, et le ministère public a invoqué les dispositions qui autorisaient son renvoi. Le renvoi a donc été ordonné par la cour.

Entre-temps, le garçon avait été vu par un psychiatre, et on avait diagnostiqué qu'il était sous un choc toxique. Puis il a commencé à reconnaître les faits et la gravité de ses gestes ou délits.

On a pris connaissance d'un rapport sur le renvoi qui disait que ce garçon avait un antécédent judiciaire dans son district. Il avait déjà dû faire 130 heures de travaux communautaires pour des infractions commises sur des biens, et il a bien fait ces travaux. L'expérience avait été valable pour lui, ce qui dénotait déjà une possibilité d'adaptation ou de réadaptation. Voilà un garçon qui avait accepté de s'engager dans les travaux communautaires imposés lors d'une décision antérieure.

Ce garçon avait été élevé par une mère qui n'était pas très disponible. Son père, séparé de sa femme, était beaucoup absent et consommait de l'alcool. Le jeune avait une faible estime de lui-même, était peu scolarisé et n'avait pas d'expérience de travail significative en dehors des travaux compensatoires qu'il avait réussis. Il n'avait jamais vécu de réadaptation de longue durée.

Compte tenu des regrets et des remords manifestés par le jeune, le criminologue qui en avait fait l'évaluation préconisait que ce garçon, qui avait 16 ans ou plus à ce moment-là et pour lequel il y avait présomption de renvoi, demeure dans le réseau juvénile.

• 1145

Il y est donc demeuré et, quelque temps après, un rapport prédécisionnel fait état du cheminement positif de ce garçon, qui se mêle aux autres jeunes et répond bien à l'encadrement qui lui est fourni, c'est-à-dire aux ressources offertes en milieu juvénile. Il répond bien à tout cela.

Je vous dis que je ne peux pas l'oublier. Je vous ai parlé tout à l'heure du droit social, de nous, avocats de l'aide juridique, qui pratiquons le droit social. Nous avons cru en ce jeune-là. Nous avons pu y croire parce que nous estimions avoir une pratique sociale du droit. Comme avocats de la jeunesse, nos objectifs ne sont pas de banaliser les conséquences futures, mais plutôt de faire valoir auprès du jeune des objectifs de réadaptation et d'alimenter sa réflexion sur la gravité des gestes qu'il a commis.

On se retrouve donc en fin de processus avec un jeune qui a bien répondu à tout cela, pour lequel le juge de la Chambre de la jeunesse a ordonné une mise sous garde de 10 mois en milieu fermé, avec un jeune qui n'a jamais été mis en détention, mais qui a connu 10 mois de mise sous garde fermée dans un milieu de réadaptation intensive, qui accepte de recevoir des soins de désintoxication et qui y est fidèle.

Cela s'était passé en janvier 1999, et la décision a été rendue le 19 mai 1999. En janvier de cette année, nous nous sommes présentés en cour pour demander qu'on examine la décision, ce qui a été accordé par la cour. En fait, ce garçon était très malléable et, pourrait-on dire, poreux, dans le sens qu'il était ouvert à nos interventions. On en parle comme d'un success story, d'une histoire à succès. Voilà.

Je termine là-dessus, monsieur le président. Des délits de cette gravité n'auraient jamais permis de penser qu'on obtiendrait de tels résultats.

Me Mario Gervais (avocat, région de Longueuil, Commission des services juridiques): Bonjour. Je m'appelle Mario Gervais.

[Traduction]

Le vice-président (M. Ivan Grose): Tenez-vous en à deux ou trois minutes.

Me Mario Gervais: Je n'y manquerai pas.

[Français]

Les règles portant sur l'admissibilité des déclarations faites par les adolescents aux policiers ou à d'autres personnes sont définies dans l'article 145 du nouveau projet de loi. Essentiellement, ces nouvelles dispositions vont conférer au tribunal pour adolescents une discrétion pour admettre en preuve une déposition qui ne respecterait pas chacune des formalités que la loi exige. Nous sommes en désaccord sur cette modification parce qu'il nous apparaît nécessaire de maintenir les droits et les garanties spécifiques qui sont déjà prévus à l'article 56 de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Les tribunaux avaient déjà reconnu, bien avant l'entrée en vigueur de la Loi sur les jeunes contrevenants, que la capacité d'un enfant à comprendre la nature de ses droits et à se protéger contre les adultes était limitée. Dans ce contexte, au cours des années, des critères de plus en plus sévères ont été édictés par les tribunaux de façon à bien encadrer l'admissibilité d'une déclaration d'un adolescent faite à un agent de la paix.

Cependant, on était dans un système où les règles n'étaient pas tout à fait claires, tout à fait édictées par une loi. On se trouvait dans la situation où l'on savait très bien que dans tel procès, devant tel juge, la déclaration serait déclarée inadmissible en preuve, alors que devant tel autre juge, le jugement serait tout à fait contraire, tout dépendant de la sensibilité du juge au respect des droits fondamentaux des adolescents. C'est justement à cette situation que la Loi sur les jeunes contrevenants a voulu mettre fin, à ces flottements, à ces fluctuations, de façon à ce qu'au plan de l'équité procédurale, la loi soit la même pour tous, en toutes circonstances.

Dans une société de droit soucieuse d'assurer l'équité procédurale du processus judiciaire, il nous apparaît essentiel de maintenir des règles claires sur un élément aussi important que l'admissibilité en preuve d'une déclaration à un policier. Cet élément ne doit pas être laissé à la discrétion judiciaire d'un magistrat ou d'un autre.

Ce qu'il faut avoir à l'esprit, c'est que les règles de l'article 56 sont claires et maintenant bien comprises des policiers, 15 ans plus tard. Dans les faits, elles sont bien appliquées parce qu'il y a peu de procès où l'on conteste maintenant l'admissibilité des déclarations parce que, dans ce contexte justement, on a pu régler ce litige.

• 1150

Je vais vous présenter une analogie. Au Canada, l'âge de la responsabilité pénale est établi à 12 ans. La société canadienne part du principe que le niveau de développement des adolescents est suffisant pour que leur compréhension du bien et du mal leur permette de distinguer entre un comportement qui constitue une infraction et ce qui ne l'est pas. Bien que le Code criminel soit un document très volumineux, qui contient tout un répertoire d'infractions, la règle «nul n'est censé ignorer la loi» s'applique aux adolescents.

Prenons maintenant le cas du policier qui a devant lui l'article 145, qui comporte des règles claires lui demandant de s'adresser à un adolescent dans des termes appropriés à son niveau de compréhension: avisez-le qu'il a le droit de consulter son père, sa mère, un adulte idoine ou un avocat; avisez-le qu'il a le droit que cette personne consultée soit présente au moment de l'interrogatoire.

Ce sont des règles claires. Pourquoi l'adolescent de 12 ans serait-il censé ne pas ignorer la loi alors que le policier qui n'aurait pas respecté une formalité contenue dans l'article 145, formalité très clairement exprimée, pourrait faire état de sa bonne foi devant le tribunal? La bonne foi, ce n'est pas la douce quiétude de l'ignorance tranquille. Comment le policier pourrait-il voir son omission tolérée alors que l'adolescent de 12 ans, lui, ne pourrait jamais dire qu'il ne savait pas, qu'il ne connaissait pas la loi?

Comme juristes, on sait que, sur le terrain, il y a des cas où la responsabilité criminelle est difficile à établir. La frontière entre la simple présence sur les lieux de l'infraction et un début de complicité est assez ténue. Or, un enfant de 12 ans ne pourrait jamais plaider l'ignorance de la loi.

Vous me faites signe, monsieur le président. Je vais terminer là-dessus, me réservant peut-être la liberté de faire quelques autres commentaires à l'occasion des questions qui seront posées.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Gervais.

[Traduction]

Monsieur Forseth.

M. Paul Forseth (New Westminster—Coquitlam—Burnaby, Réf.): Le temps des témoins est-il écoulé?

Le vice-président (M. Ivan Grose): Effectivement mais j'ai cru utile de le prolonger. Nous en sommes à la partie difficile—le contre-interrogatoire. Allez-y monsieur Forseth.

M. Paul Forseth: Nous ne sommes pas au tribunal et loin de moi l'idée de contre-interroger. Aujourd'hui, tous deux, vous avez abordé la question des renonciations et vous avez donné certains exemples. J'aimerais que vous développiez votre pensée.

Vous vous souviendrez que cette question de renonciation dans les dispositions visant les jeunes contrevenants a été soulevée au moment où la charte n'existait pas encore. D'où ces articles spéciaux. Maintenant que la charte existe, je voudrais que vous me donniez des arguments convaincants pour insérer ici des articles identiques à ceux qui visent les adultes—afin que la législation soit un modèle pour tous, une indication, et qu'elle précise la jurisprudence à cet égard. À cause de l'aspect particulier que cela revêt, cela nous a valu un grand nombre d'instances.

Je voudrais que nos deux témoins nous expliquent pourquoi il est nécessaire d'insérer cela dans la loi, étant donné que cette question est une pomme de discorde. La loi contient des aspects complexes repris d'ailleurs, qui ne sont pas fondés sur des preuves sociales solides prouvant leur nécessité. Voudriez-vous tous deux, plutôt que de vous attarder à la jurisprudence, examiner les motifs sociaux qui vous poussent à affirmer que cet aspect-là exige un libellé et des critères spéciaux qui seraient différents des renonciations accordées aux adultes? Le représentant de l'association des criminalistes pourrait peut-être commencer.

M. Irwin Koziebrocki: Je vous dirai brièvement que les jeunes n'ont pas le même vécu qu'un adulte pour pouvoir prendre des décisions fondamentales qui tirent à conséquence pour leur vie. Une des décisions importantes quand on a des démêlés avec la justice est de savoir traiter avec les personnes qui sont en position d'autorité.

Depuis que la charte existe, nous avons compris que la Cour suprême du Canada et nos cours de justice font une distinction fondamentale quand l'article 24 de la charte est invoqué, quand il s'agit d'admettre certaines preuves qui pourraient déconsidérer éventuellement l'administration de la justice, et on fait une différence entre l'obtention de preuves matérielles utilisables—qui, si elles sont exclues, risquent de déconsidérer l'administration de la justice—et des déclarations renfermant une incrimination de soi-même proférées par quelqu'un qui ne jouirait pas de toutes les protections nécessaires.

• 1155

La Cour suprême a décidé qu'une des protections très importantes était le droit à l'assistance d'un avocat. Il semble que ce soit capital et bien des jugements ont été cassés du fait que ces droits découlant de l'article 10 n'avaient pas été respectés dans le cas d'adultes. Que dire alors s'il s'agit de jeunes.

Prenez le cas d'un adulte qui a une certaine expérience de la vie et qui prend une décision fondamentale, en l'occurrence parler ou ne pas parler à un agent de police. Ensuite il y a le cas d'un un jeune qui a une très brève expérience de la vie et qui, face à l'autorité, doit répondre à des questions éventuellement intimidantes, surtout s'il n'a que 12 ou 14 ans. On ne peut pas dire que ce jeune est exactement dans la même position qu'un adulte de 35 ans qui a une certaine expérience de la vie... Voilà pourquoi nous prenons la décision fondamentale d'établir ici une différence en assortissant la renonciation de certaines règles.

Même dans le système pour adultes, les tribunaux ont décrété qu'une renonciation devrait être faite en connaissance de cause... Que la personne doit être consciente des conséquences de son geste. Il y a bien des cas où les adultes ont renoncé à leurs droits et les tribunaux ont décrété que ces renonciations étaient malavisées. Selon moi, il est encore plus nécessaire d'offrir ce genre de protection à un jeune.

M. Paul Forseth: Je pense que vous abondiez dans mon sens à la fin de vos remarques quand vous avez expliqué ce qui était la renonciation pour les adultes, le contentieux et les lignes directrices à cet égard. Les représentants de la province de Québec pourraient peut-être aussi répondre à cette question.

Je vois au paragraphe C de votre témoignage que vous écrivez: «nous sommes totalement en désaccord avec les dispositions de l'article 145». Je vous demande donc à vous aussi de parler de cette question de clarté et de nous dire pourquoi vous y voyez une difficulté.

[Français]

Me Mario Gervais: Il faut comprendre que les adolescents sont des personnes qui ont un niveau de développement et de compréhension plus limité qu'un adulte. C'est la raison pour laquelle les tribunaux ont commencé très longtemps avant l'entrée en vigueur de la loi à exiger le respect de conditions spécifiques aux adolescents.

À quoi sert-il d'établir des droits s'ils ne sont pas compris par la personne visée? Voilà pourquoi il est nécessaire d'établir des règles distinctes pour des adolescents. C'est pour cela que la loi précise l'obligation de s'adresser à l'adolescent en termes appropriés au niveau de sa compréhension. S'il a le droit de garder le silence, s'il a le droit de savoir que tout ce qu'il dira aux policiers sera susceptible d'être utilisé en preuve contre lui, s'il n'est pas en mesure de comprendre la mise en garde en raison d'exigences supplémentaires qu'on impose lors de l'interrogatoire d'un adolescent, on se retrouvera dans une situation où les garanties spécifiques n'auront qu'une valeur académique. C'est la raison pour laquelle il y a nécessité d'un système distinct pour les adolescents en ce qui a trait à l'admissibilité en preuve des déclarations aux policiers.

[Traduction]

M. Paul Forseth: C'est tout pour l'instant.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Forseth.

[Français]

Madame Venne.

Mme Pierrette Venne (Saint-Bruno—Saint-Hubert, BQ): Mesdames, messieurs, je constate que les deux groupes qui sont devant nous aujourd'hui n'ont pas tout à fait la même approche face à cette loi, mais une chose est certaine: vous vous entendez bien sur le paragraphe 145(6).

Je vais commencer par la Criminal Lawyers' Association of Ontario. Croyez-vous qu'il était nécessaire de faire cette nouvelle loi sur le système de justice pénale pour les adolescents? Est-ce qu'on n'aurait pas tout simplement pu améliorer la loi actuelle? Est-ce que cela vous aurait satisfaits?

J'ai une autre question à vous poser. N'est-ce pas plutôt l'application de la loi qui pose problème actuellement? Qu'est-ce qu'on aurait pu suggérer pour remédier à cette situation? Je parle évidemment de quelque chose de très précis, de très concret.

• 1200

[Traduction]

Mme Carol Letman: Pour répondre à la première partie de votre question, quant à savoir si cette mesure législative est nécessaire, je dirai en toute franchise que je ne pense pas qu'un seul de nos membres qui ont affaire à une population de jeunes estime qu'elle soit nécessaire. On aurait pu remanier la loi actuelle pour atteindre les objectifs voulus, en tenant compte des infractions violentes qui semblent être celles qui suscitent le plus d'angoisse dans le public. Il est intéressant de constater que cette mesure est présentée à un moment où la violence décroît un petit peu chez les jeunes, même si on s'inquiète quand même de cet aspect-là. Mais je ne pense pas que ce soit nécessaire.

L'inquiétant, et c'est pourquoi j'en ai parlé tout à l'heure, c'est la très grande complexité et difficulté de cette mesure législative qui aura des conséquences pour notre appareil judiciaire à bien des égards. Tout d'abord, il faudra passablement de temps pour former les divers intervenants, les juges ou les juges de paix, les procureurs, les agents de police, les avocats de la défense, les agents de probation rattachés aux bureaux des directeurs provinciaux, etc. Avec l'élargissement de la catégorie des infractions désignées et le recours à des peines pour adultes, mesures qui exigent diverses mises en oeuvre, l'appareil judiciaire pour les jeunes va être énormément sollicité puisque les cours de justice vont devoir se pencher longuement sur les contestations.

Déjà avec la mise en oeuvre de la Loi sur les jeunes contrevenants, l'appareil judiciaire pour les adolescents a pris des proportions énormes, si l'on compare à la situation de l'époque de la Loi sur les jeunes délinquants, son prédécesseur. Au fil des ans, la quantité de comportements qui ont été criminalisés a abouti à un mini-appareil judiciaire. Avec ce projet de loi, nous allons doubler la charge de travail actuel à un moment où tous ceux qui en sont les acteurs contestent la nécessité de le faire, hormis dans le cas d'un très petit nombre de jeunes qui commettent des infractions violentes.

On aurait très bien pu accomplir la même chose sans un projet de loi omnibus de ce type qui va imposer des contraintes inévitables à mon avis à l'appareil judiciaire.

[Français]

Mme Pierrette Venne: Merci.

Je vais maintenant passer au Comité jeunesse de la Commission des services juridiques. Dans votre cas, seul le retrait pur et simple de la loi vous satisferait.

Dans votre mémoire, vous commentez les articles 18 et 19 de la loi qui nous est proposée. Vous dites que vous êtes en désaccord sur l'instauration de comités de justice pour la jeunesse et de groupes consultatifs. Pouvez-vous me dire pourquoi vous êtes spécialement en désaccord sur ces comités, qui seront des comités de citoyens, d'après ce que je comprends? Est-ce que vous vous méfiez des mesures extrajudiciaires que la population pourrait vous suggérer ou vous recommander dans certains cas? J'aimerais savoir pourquoi vous êtes en désaccord sur ces deux articles.

Me Diane Trudeau: Cela ne faisait pas partie des points essentiels dont on a traité ce matin. Franchement, on ne s'est pas beaucoup penchés sur cette question. En tant qu'avocats de défense, ce qui nous a frappés, c'est le fait qu'il y a un risque que des renseignements concernant le jeune puissent être transmis à plein de gens. On n'aurait pas de contrôle sur le bris de la confidentialité de l'information concernant le jeune. Dans la loi proposée, on parle de comités de justice qui peuvent exister même au niveau de l'enquête policière. Il n'y a pas vraiment de balises, ce qui nous porte à croire qu'on n'a pas pensé à cette question de la confidentialité. Je vous avoue que c'est le seul commentaire qui nous est venu à l'esprit lors de nos discussions. Ce n'est pas un point majeur de notre mémoire.

Mme Pierrette Venne: D'accord. Je vous ai posé cette question parce que c'était à l'intérieur du mémoire.

Me Mario Gervais: Madame Venne, si vous me le permettez, j'aimerais ajouter quelque chose au sujet de la première partie de votre question.

Mme Pierrette Venne: J'allais justement y revenir. Allez-y.

Me Mario Gervais: Vous nous avez demandé pourquoi nous étions en faveur du maintien de la loi actuelle.

• 1205

Je vous dirai qu'en 1992, la Cour suprême écrivait dans un jugement à propos de l'actuelle Loi sur les jeunes contrevenants qu'elle constituait:

    ...un effort honnête pour établir un juste équilibre dans la façon d'aborder un problème social très complexe.

    Les juges et les autres professionnels travaillant auprès des adolescents qui enfreignent les lois pénales ont besoin d'un ensemble de principes complexe et équilibré comme ceux que l'on retrouve dans la LJC.

Combien de lois édictées par le Parlement font l'objet de commentaires aussi élogieux de la part de la Cour suprême? Combien de ces lois nos savants juges de la Cour suprême, les sages, les gardiens de la Constitution, ont-ils saluées de façon aussi élogieuse en disant qu'elles permettaient l'atteinte d'un compromis dans la conciliation si difficile d'objectifs bien déterminés? Je pense qu'il faut y penser deux fois avant d'écarter cette loi qui, justement, a été si bien accréditée par la Cour suprême.

Mme Pierrette Venne: En dernier lieu, j'aimerais vous demander ce qui pose problème, selon vous, dans la loi actuelle. Il y a certainement quelque chose, quelque part, qui a posé un problème puisque le ministre de la Justice—je vais lui en donner le crédit—a décidé de pondre ce projet de loi C-3. Il y avait certainement des problèmes quelque part dans la loi actuelle. Pour vous, est-ce qu'il y en avait? Dites-nous où il y en avait et ce qu'il aurait fallu faire pour remédier à la situation.

Me Mario Gervais: Je pense que le principal défaut de la Loi sur les jeunes contrevenants est qu'elle mal connue de la population canadienne. Elle est victime de cette méconnaissance. À partir du moment où les gens sont bien informés des principes fondamentaux de loi, et non pas juste par le côté spectaculaire d'un événement rapporté par les médias, ils comprennent.

Me Gingras vous a raconté un success story. Si ce cas s'était produit sous l'égide du projet de loi, je ne sais pas de ce qui aurait pu arriver à cet adolescent, qui est maintenant un citoyen utile et responsable réintégré dans la société.

Donc, la principale faille de la Loi sur les jeunes contrevenants est qu'elle est méconnue de la population. Elle en souffre beaucoup.

Me Benoît Gingras: Madame Venne, cela se trouve d'ailleurs dans le document de stratégie de renouvellement du système de justice pour les jeunes du ministère de la Justice du Canada. C'est une intention. On dit:

    Il est aussi nécessaire d'améliorer l'accès du public à l'information sur la criminalité chez les jeunes et sur le système de justice qui les régit. [...] Le public est moins fréquemment informé des «histoires à succès» du système de justice pour les jeunes, lesquelles s'appliquent à la majorité des jeunes qui ne commettent qu'une seule infraction et ne récidivent pas.

Dans le document, il y a des statistiques qui nous permettent de comprendre qu'il n'y a pas beaucoup de crimes violents. C'est une intention qu'on retrouve ici. Il y a des faits, et on a voulu relater des exemples pour vous dire qu'il y a effectivement des histoires à succès avec les outils qu'on possède actuellement, avec la loi actuelle.

[Traduction]

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, madame Venne.

C'est au tour de M. MacKay, pour environ sept minutes.

[Français]

M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC): Je remercie tous les témoins de leurs présentations.

[Traduction]

Merci à tous de vos remarques, forts utiles.

D'entrée de jeu et vous en avez le mérite, je dois vous dire que je suis d'accord avec vous, qu'en effet ce que vous avez dit concernant cette loi est tout à fait juste, en particulier en ce qui concerne la répartition des ressources.

Mes collègues d'en face l'ont déjà entendu dire: à une exception près, les témoins que nous avons entendus nous ont dit que cette mesure législative allait constituer une mine pour les avocats, les juges et les travailleurs sociaux. Cette législation crée la fausse impression, le faux espoir, qu'on pourra régler certains des fléaux sociaux constatés dans l'application de la loi actuelle sur les jeunes contrevenants et qu'on s'en remettra davantage à la capacité des professionnels de la justice d'avoir recours à des mesures de rechange. Cependant, sans une augmentation des ressources disponibles, les réalisations seront maigres.

Je voudrais revenir sur certains problèmes particuliers que vous avez soulevés, notamment l'admissibilité des déclarations. À une époque, j'ai été avocat de la défense et je serais fort étonné si vous n'éprouviez pas des difficultés en ce qui concerne une mesure qui va faciliter les choses à la Couronne et à la police quand il s'agira de faire des déclarations au tribunal. Quand son client a trop jasé, l'avocat de la défense en est mortifié.

• 1210

D'après ce que je vois, l'article 145 contient un certain nombre de mesures de protection, énoncées dans la loi, en particulier une protection en vertu de la charte. On utilise le même libellé que la charte lorsque l'on parle de déconsidérer l'administration de la justice. Le vaste pouvoir judiciaire discrétionnaire est encore une forme de protection.

De la part des policiers comme des procureurs, j'ai souvent entendu dire que l'un des plus gros inconvénients des anciennes dispositions concernant les déclarations des jeunes contrevenants tenait à leur extrême complexité. On pouvait dire six, sept, huit, neuf fois à un jeune de ne pas parler à la police, mais en même temps on souhaitait que les dispositions donnent à la police la possibilité de se servir de ses témoignages en preuve. Pouvez-vous nous dire comment cet article va empêcher un jeune de se protéger contre les méthodes abusives d'un agent de police zélé, c'est-à-dire comment cette disposition le prive de cette protection. Tout est énoncé clairement dans la loi, le droit à l'assistance d'un avocat, le droit de consulter ses parents et le droit de s'abstenir de répondre. Cela est inscrit dans la loi à titre d'avertissement.

Mme Carol Letman: Tout en lui donnant ces droits, on les lui retire et c'est l'inquiétude dont je dois vous faire part au nom des avocats de la défense. En effet, on se fonde sur les mêmes paramètres qu'à l'article 56, qui a causé des difficultés lors de la rédaction.

Quand j'en ai pris connaissance et que j'ai rencontré les représentants du ministère de la Justice, la question posée par notre comité des jeunes contrevenants à Toronto a été celle-ci: Pourquoi a-t-on besoin de faire cela? Y a-t-il tant de causes perdues parce que la police a obtenu une renonciation de façon irrégulière? Est-ce à cause de cette idée de déconsidération que l'on veut contourner disposition ou conviendrait-il mieux d'apprendre aux policiers la façon correcte d'obtenir une renonciation?

Je rencontre encore des causes où nous contestons couramment les déclarations mais elles sont déboutées car la police n'a pas récité correctement les droits du jeune et il est clair que la l'adolescent n'a pas parfaitement compris quels étaient ses droits. Si par ailleurs on met ces dispositions en pratique tout en disant en même temps que même s'il n'y a pas eu respect des droits, la déclaration peut être utilisée dans la mesure où elle ne déconsidère pas l'administration de la justice... Puisqu'il s'agit ici de protéger les droits du jeune, pourquoi les anéantir par la porte arrière? Pourquoi ne pas consacrer les ressources nécessaires pour former les policiers à une utilisation correcte de la renonciation, à l'application de ces dispositions?

En outre, voyez ce qui se passe dans certains États américains, où l'on refuse d'entendre la déclaration d'un jeune à moins que son père ou sa mère soit présent. Mettons qu'il s'agit de jeunes vulnérables sous la protection de leurs parents. Un agent de police est une figure d'autorité importante mais si l'on permet aux jeunes de s'en tirer en disant qu'ils ne veulent pas que leurs parents soient présents parce qu'ils veulent leur cacher les faits, explication que l'on entend en général de la part des adolescents qui ont fait des déclarations... Ils disent: «Je pensais que cela signifierait que mes parents ne seraient pas mis au courant», surtout quand il s'agit d'une vétille. Ils ne se rendent pas compte que leurs parents vont l'apprendre tôt ou tard. Ils pensent que s'ils disent aux policiers: «Non, je ne tiens pas à téléphoner à mes parents», leurs parents ignoreront ce qui leur arrive jusqu'à ce qu'ils aient l'occasion de leur en parler eux-mêmes.

Tout à l'heure, j'ai fait référence à une étude et je ne vous ai pas donné la citation. Elle a paru dans la Revue canadienne de criminologie et on y dit plus particulièrement que les adolescents ne comprennent pas leurs droits et qu'ils donnent une renonciation couramment sans comprendre ce que cela engage. Ainsi, si les études démontrent que c'est déjà le cas, pourquoi a-t-on besoin de faire mettre en oeuvre des dispositions qui piétinent encore davantage leurs droits?

M. Peter MacKay: Madame Letman, pouvez-vous en faire une généralité et affirmer que la plupart des adolescents ne comprennent pas leurs droits? Vous êtes une avocate de droit pénal expérimentée. Il y a des jeunes qui pourraient nous en apprendre sur leurs droits. Il y a des cas où il faut reconnaître que recueillir une déclaration est la méthode la plus efficace permettant à la police de résoudre un crime.

Je conviens avec vous qu'il faut être extrêmement prudent, qu'il ne faut pas porter atteinte aux droits des jeunes, et, je le reconnais, il faut appliquer une norme différente aux jeunes qu'aux adultes. Mais préconiser qu'un parent soit toujours présent, d'abord...

• 1215

Mme Carol Letman: Ce serait un peu exagéré.

M. Peter MacKay: Bien des jeunes n'ont pas de parents ou leurs parents sont morts.

Mme Carol Letman: Juste.

M. Peter MacKay: Deuxièmement, bien des fois, l'avocat de la défense, vous, sait qu'un enfant a le droit de dire: «Je ne veux pas que mes parents soient mêlés à cela.»

Mme Carol Letman: C'est vrai parfois. Je ne préconise pas cette position extrême, comme cela est pratiqué aux États-Unis. Toutefois, c'est un élément à prendre en considération. Je prends un peu de recul et je dis que... Vous avez raison, il y a des adolescents de 16 ou 17 ans qui connaissent parfaitement leurs droits et qui vont demander à garder le silence. À la vérité, on veut obtenir une déclaration sans doute de la part des adolescents qui ont commis des infractions graves.

Je m'inquiète toutefois des jeunes plus vulnérables, en plus bas âge, de sept, huit ou neuf ans, qui ne comprennent pas très bien la situation. Dans ma pratique comme avocate de la défense, je constate au contraire dans les cas courants de conduite avec facultés affaiblies, que l'on donne ni plus ni moins au prévenu le téléphone, et le numéro de l'avocat de service est déjà composé, parce que les policiers savent très bien que s'ils ne donnent pas au prévenu l'occasion de parler au conseiller de service, ils se retrouveront bredouilles. Mais je vois exactement le contraire dans les entrevues de jeunes qui n'ont pas été précédées de la consultation de l'avocat de service, le jeune de toute évidence ne comprenant pas clairement que c'est une possibilité. On ne leur donne pas facilement l'occasion de le faire. On ne leur tend pas la téléphone. On ne leur dit pas: «Voilà, nous allons appeler un avocat pour que vous lui parliez, que vous y teniez ou non.»

Je suis terrorisée à l'idée que l'on aille si loin pour protéger certains jeunes dans certains cas, en fournissant un téléphone à un jeune qui ne réclame même pas un avocat, et pourtant dans les mêmes conditions, un jeune de 12, 13 ou 14 ans, se mettra à tout raconter parfois sans enregistrement vidéo, alors qu'on s'attend à ce qu'ils comprennent parfaitement ce qu'ils font et renoncent totalement à ce à quoi ils ont droit.

M. Peter MacKay: Mais nous pouvons faire les deux.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Peter, il ne vous reste pas grand-chose. Soyez bref.

M. Peter MacKay: Je comprends et je respecte vos arguments. Mais je pense que nous pouvons faire les deux. Nous pouvons apprendre aux policiers à appliquer la procédure correcte.

J'aimerais faire un petit commentaire sur la justification de cet exercice, sur les raisons pour lesquelles le gouvernement propose cette nouvelle loi. Je dirais que oui—et mes commentaires s'adressent plus particulièrement à nos témoins québécois—, je tiens compte de ce que vous avez dit sur les louanges de la Cour suprême pour ce projet de loi. Je tiens également compte du fait que malheureusement, dans de nombreux cas, la Cour suprême, en termes de perception, semble très souvent être à contre-courant de l'opinion publique. La perception de la présente Loi sur les jeunes contrevenants, pas la loi proposée, est qu'elle n'est pas efficace. C'est peut-être plus le cas dans les autres provinces qu'au Québec, mais le sentiment général est qu'elle ne donne pas les résultats escomptés. Elle donne l'impression de protéger les jeunes par opposition à protéger la société.

Le gouvernement en a nettement conscience. C'est la perception qui compte. C'est comme le projet de loi sur la clarté qui est perçu comme devant clarifier la situation à propos du Québec. Nous savons que c'est exactement le contraire qui va arriver mais c'est le problème d'un autre comité. Cette mesure législative, cette proposition de loi, à mon avis, est une tentative sincère de réponse à ce sentiment d'insécurité de la nation qui estime que notre système de justice est tout simplement inefficace en matière de délinquance juvénile.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur MacKay. Si je peux me répéter, monsieur McKay.

[Français]

Me Benoît Gingras: Monsieur le président...

[Traduction]

Le vice-président (M. Ivan Grose): Je m'excuse, vous voulez répondre?

[Français]

Me Benoît Gingras: Monsieur MacKay, aviez-vous une question particulière ou si c'était plutôt un commentaire que vous faisiez?

[Traduction]

Le vice-président (M. Ivan Grose): J'ai pensé que c'était simplement un commentaire.

M. Peter MacKay: Votre commentaire de mes commentaires m'intéresserait.

Des voix: Oh, oh!

[Français]

Me Benoît Gingras: Monsieur MacKay, vous soulevez un peu ce qu'on disait par rapport à la stratégie, qui est mentionné dans le document. Je ne connais pas exactement vos fonctions ici, à la Chambre des communes, mais il est très certainement dans votre mandat que de l'expliquer à partir d'histoires qui finissent bien. Il faut faire attention, parce que ce que vous dites laisse à entendre que les décisions ne sont pas sérieuses, que ce n'est pas crédible, que la société est mal servie par les décisions qui sont rendues, qui seraient trop banales. Il faudrait peut-être parler de situations où des jeunes ont finalement réussi. L'un des objectifs fondamentaux de notre société est de répondre immédiatement, de façon correcte, aux adolescents qui commettent des crimes pour en faire des adultes adaptés, des citoyens canadiens adaptés dans notre société. Dans le fond, je fais un commentaire. Je vous dis que c'est votre mandat et notre mandat. On travaille tous ensemble.

• 1220

Me Diane Trudeau: J'aimerais ajouter quelque chose à ce que Benoît vient de dire. Au fond, le document que vous avez produit, Stratégie de renouvellement du système de justice pour les jeunes, reconnaît que les Canadiens considèrent que la criminalité chez les jeunes a diminué. Donc, dans le document Stratégie de renouvellement, vous indiquez vous-mêmes clairement que les Canadiens considèrent que la criminalité chez les jeunes a bien diminué. Donc, à mon avis, et sur cela je rejoins mes collègues, le problème en est un de manque d'information sur les conséquences réelles des mesures punitives qui sont prises à l'égard des jeunes. On peut imposer à un jeune ou à une jeune la garde fermée pendant six mois, mais avec un suivi probatoire d'un an. Pendant cette année, le jeune recevra des traitements et sera bien encadré.

Il ne faut pas penser que le tribunal de la jeunesse est différent du tribunal des adultes ou qu'il lui est secondaire. C'est un tribunal qui fonctionne avec les mêmes règles de preuve, mais qui a des procédures adaptées à la condition particulière des jeunes. Cette évolution a commencé dès le début du siècle. Cette chose a été analysée par plusieurs décisions de jurisprudence. Vous parliez de la Cour suprême. Le public trouve parfois que les décisions de la Cour suprême... Ce ne sont pas juste les décisions de la Cour suprême. C'est depuis le début du siècle que de multiples instances, dans toutes les provinces, se prononcent sur l'importance de prendre en considération des facteurs subjectifs dans le cas des jeunes.

Tout cela est bien étrange. En ce moment, dans le domaine du droit criminel des adultes, on assiste à un mouvement très fort en faveur de la justice réparatrice et des mesures de rechange. En Colombie-Britannique, les mesures de rechange s'étendent jusqu'aux homicides involontaires. Paradoxalement, pour les jeunes, on sévit, alors que le taux de criminalité a diminué chez les jeunes.

[Traduction]

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, madame Trudeau.

Même quand ce ne sont que des commentaires, ceux de M. MacKay suscitent de longues réponses.

Monsieur McKay.

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Merci, monsieur le président.

Mesdames et messieurs, je vous remercie de la contribution que vous apportez à ce problème fort complexe.

J'aimerais demander aux représentants de la Criminal Lawyers' Association de se reporter au dernier paragraphe de la première page de leur mémoire. Il dit:

    Cette croissance de recours se traduira d'au moins deux façons: premièrement, par une multiplication du nombre de jeunes dont les délits tomberont dans la catégorie, désormais élargie à deux titres, des infractions désignées et qui seront traduits devant les tribunaux pour adultes...

Je ne comprends pas pourquoi vous prévoyez une multiplication de renvois devant les tribunaux pour adultes. Je croyais que l'objectif de ce projet de loi était de maintenir toute la procédure devant les tribunaux pour adolescents et qu'il y serait décidé de prononcer ou non une peine pour adulte.

Est-ce que vous pourriez vous expliquer, s'il vous plaît?

M. Irwin Koziebrocki: Nous parlons de procès par jury devant des tribunaux pour adultes. En cas d'infraction désignée, dorénavant ces jeunes seront jugés par des tribunaux pour adultes et ce seront des procès devant jury. Il est certain qu'en cas de traduction devant un tribunal pour adultes pour homicide, homicide volontaire ou multirécidive, ces décisions seront invariablement contestées et les demandes à la Cour supérieure de procès devant jury seront multipliées puisque ces jeunes voudront être jugés par un jury.

M. John McKay: Soyons clairs. Vous dites que cela se limite à ces jeunes qui choisissent d'être jugés par un jury?

M. Irwin Koziebrocki: Ce seront sans doute les cas les plus fréquents.

M. John McKay: Et c'est la seule raison pour laquelle un jeune pourrait choisir d'être jugé par un tribunal pour adultes plutôt que par un tribunal pour adolescents?

M. Irwin Koziebrocki: Exactement.

M. John McKay: C'est exact. Votre commentaire se limite donc aux procès devant jury.

• 1225

M. Irwin Koziebrocki: Ceci dit, en tant qu'avocat d'appel, ce que je suis depuis 25 ans, je ne peux que me frotter les mains quand je vois ce genre de loi car ce ne peut qu'être bon pour les affaires.

M. John McKay: Nous sommes ici pour vous aider, monsieur Koziebrocki.

M. Irwin Koziebrocki: Je comprends.

M. John McKay: Vous ajoutez dans ce même paragraphe:

    ...deuxièmement, par une augmentation du temps que mettront les tribunaux à déterminer si une infraction est une «infraction grave avec violence»

...en fait, ce qui constitue une infraction grave avec violence. Je dois avouer que lorsque je lis la définition de «infraction grave avec violence», j'ai l'impression de lire une définition tautologique. Une infraction grave avec violence est une infraction grave avec violence.

La question est la suivante: la façon d'améliorer cette définition serait-elle de l'accompagner d'une liste de ce qui constitue des infractions graves avec violence?

M. Irwin Koziebrocki: Un des problèmes que me pose cette définition, c'est qu'elle parle d'un geste qui risque fort de causer des lésions corporelles graves, ce qui ouvre la porte à la subjectivité puisqu'il y a toutes sortes d'infractions qui pourraient relever de cette catégorie mais qui n'en relèvent pas forcément.

Un des exemples que nous avons donnés aujourd'hui est celui de la conduite avec facultés affaiblies. La conduite avec facultés affaiblies ne semble pas relever, de prime abord, de cette catégorie, mais elle peut très bien faire courir le risque de lésions corporelles graves aux passagers, au conducteur ou à toute personne frappée par le véhicule conduit dans cet état.

L'entreposage négligent d'une arme à feu n'est pas considéré comme une infraction grave avec violence mais cette négligence peut très bien aboutir à une infraction grave avec violence.

Je vais vous donner un exemple que j'ai eu en cour d'appel il n'y a pas très longtemps: une voie de fait grave. C'est le genre d'inculpation dont vous vous dites qu'elle correspond exactement à cette définition. Il s'agissait d'une bagarre entre deux types. Ils avaient pas mal bu et l'un des deux a mordu le doigt de l'autre et l'a coupé. On peut parler de blessure puisqu'il avait coupé le doigt de l'autre et que du sang avait été répandu. En vertu de la définition, cela relève de cette catégorie, mais considéré objectivement, c'est ridicule.

C'est à ce niveau que se situent les problèmes car le seul moyen de faire la preuve qu'il y a eu ce type d'infraction c'est d'émettre un certificat. Donc si j'émets un certificat dans un tel cas, je parle de voie de fait ayant causé des lésions corporelles et le type écope d'une peine avec sursis. Il s'agit alors de savoir si c'était une simple bagarre...

M. John McKay: Je ne comprends pas. Qu'est-ce que vous entendez par «certificat»?

M. Irwin Koziebrocki: Le seul moyen de prouver que quelqu'un a déjà commis une de ces infractions c'est en déposant un certificat de tribunal.

M. John McKay: En le faisant inscrire à son dossier.

M. Irwin Koziebrocki: Oui.

Le problème c'est que cela sera contesté sous le motif de: «Ça ressemble à une infraction qui relève de cette catégorie, mais j'exige une détermination judiciaire. Je veux que tous les faits concernant cette affaire soient retrouvés et je veux que vous les révisiez pour déterminer si oui ou non cette infraction relève de cette catégorie».

M. John McKay: Vous voulez revenir sur toutes les infractions antérieures pour établir qu'il y a multirécidive.

M. Irwin Koziebrocki: Absolument.

M. John McKay: Mais en fait, cette bagarre n'était pas bien méchante.

M. Irwin Koziebrocki: Exactement, une bonne gifle ou quelque chose comme ça.

M. John McKay: À propos de l'article 145, je peux reconnaître avec vous que «peut admettre» au paragraphe (5) et encore au paragraphe (6), «s'il est convaincu que (l'admission) n'aura pas pour effet de déconsidérer l'administration de la justice» est assez vague, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais d'un autre côté, selon M. MacKay, l'absence de ce genre de disposition pourrait poser des problèmes à la police.

• 1230

Est-ce qu'en conséquence vous recommandez que les paragraphes 145(5) et 145(6) soient purement et simplement supprimés et que l'admissibilité de la déclaration ne soit soumise qu'aux critères énumérés aux sous-alinéas 145(2) b) i) à 145(2) b) iv)?

M. Irwin Koziebrocki: C'est la recommandation que nous devons faire car pour les adultes, l'admission d'une déclaration est sous réserve de toutes les dispositions de la charte. Et si tous les critères de volontarisme existent toujours, il y a ces nouveaux critères de violation de la charte qui s'appliquent—les violations de l'article 10, le droit à un avocat ou le droit à être informé de l'infraction. Une fois ces déterminations faites par le tribunal, sur la base de l'article 24 de la charte, il détermine si cette déclaration devrait ou non être admise sur la base des critères invoqués. Dans la majorité des cas, comme je l'ai déjà dit, quand il s'agit d'une violation des droits conférés par la charte, la déclaration n'est pas admise car c'est une preuve autoincriminante.

En vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants, il était déterminé que ces événements étaient des préalables à la prise de déclarations et à l'admissibilité d'une déclaration en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants. Et effectivement, vous dites que si ces critères n'ont pas été respectés, il y a violation de la charte, si on peut faire cette analogie.

M. John McKay: Et votre objectif, c'est d'en tirer le maximum?

M. Irwin Koziebrocki: Exactement. Vous devez donc faire toutes ces choses avant d'arriver à l'éventualité d'une admission. C'est comme si vous partiez de l'hypothèse que ce sont des violations de la charte et que par conséquent, vous devez les respecter pour pouvoir arriver à l'étape de l'admission. C'est la logique même quand il s'agit d'un jeune contrevenant.

M. John McKay: Y aurait-il un avantage à légiférer l'utilisation de technologies—je n'ai pas vraiment réfléchi à la question—sous la forme de vidéo, d'enregistrement, ou quelque chose de ce genre, si bien que sur la base de cet enregistrement sonore ou visuel, il y aurait une présomption en faveur de...? J'allais dire de l'admissibilité mais ce ne pourrait être une présomption en faveur de l'admissibilité. L'objectif c'est d'éviter et de réduire au minimum les arguments entre la police et la défense quant à l'admissibilité ou l'inadmissibilité de la déclaration. Y aurait-il avantage à envisager un support technologique pour couper court aux arguments?

M. Irwin Koziebrocki: J'ai toujours pensé qu'étant donné la nature de la procédure de prise de déclarations, toutes les déclarations que les autorités ont l'intention d'utiliser comme preuve devraient être enregistrées sur vidéo. Avocat de la défense, j'adore cette absence d'enregistrement parce que cela me facilite grandement la tâche surtout quand la technologie existe.

Mais si j'oublie que je suis avocat de la défense, du point de vue de la justice criminelle, étant donné l'héritage de ces déclarations, l'héritage de la common law et les craintes de coercition pour une raison ou pour une autre, il serait logique que ces déclarations soient toujours enregistrées sur vidéo. Je crois que l'administration de la justice y gagnerait. Quelqu'un pourrait alors dire, en toute objectivité, oui, cette déclaration devrait être versée au dossier car rien ne s'y oppose, ou, non, elle ne devrait pas l'être car elle n'a pas été faite dans les règles.

M. John McKay: Merci.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur McKay. Vous êtes maintenant l'égal de votre homonyme.

M. John McKay: Je n'ai pourtant pas fait de discours.

Le vice-président (M. Ivan Grose): C'est vrai.

Monsieur Forseth.

M. Paul Forseth: J'aimerais revenir à la page 4 du projet de loi et vous demander à nouveau de réfléchir à ce qui est écrit. Il s'agit de la définition de «infraction grave avec violence». La définition donnée est la suivante: «toute infraction qui cause des lésions corporelles graves ou risque fort d'en causer», et par «infraction sans violence», on entend toute infraction qui ne cause pas de lésions corporelles ou risque peu d'en causer».

Serait-il utile de se reporter à d'autres dispositions du Code criminel sur les sévices graves à la personne et qui prévoient des peines d'emprisonnement indéterminées? Il y a toute une jurisprudence sur la question. Il y a une liste claire accompagnée de décisions indiquant clairement le sort à réserver aux délinquants avec le passage dans une catégorie différente en cas de récidive. Cela me semble relativement analogue.

• 1235

Pourriez-vous me dire quels enseignements nous pourrions tirer de la procédure pour adultes de peines d'emprisonnement indéterminées et de la définition de sévices graves à la personne du Code criminel? Toutes les définitions et toutes les lois relatives permettraient peut-être de trouver une solution à l'ambiguïté de ces deux définitions.

M. Irwin Koziebrocki: Pourrais-je répondre? J'ai trois demandes de déclaration de délinquants dangereux sur mon bureau et il semblerait que cela devient une habitude.

Sauf votre respect, je crois avoir déjà avoir répondu à votre question tout à l'heure. Pour ce qui est de l'application de la demande de déclaration de délinquants dangereux, oui, le Code criminel contient cette définition. Les choses sont assez simples dans le Code criminel et oui, vous pouvez faire appel à la jurisprudence pour déterminer si oui ou non certains actes correspondent à la définition du Code criminel. Ceci dit, chaque infraction doit être examinée particulièrement pour déterminer si oui ou non elle relève de la catégorie définie par le Code criminel. Ce problème reste donc à surmonter et cela ne nous fait pas progresser sur la question qui nous occupe aujourd'hui.

M. Paul Forseth: Donc une liste et une définition claire de ce qu'on entend par, si je ne m'abuse, «sévices graves à la personne» ne faciliteraient pas la procédure?

M. Irwin Koziebrocki: Bien sûr, vous aurez à votre disposition toute une jurisprudence mais vous ne pourrez échapper à la nécessité de faire une détermination particulière pour l'infraction concernée.

M. Paul Forseth: Est-ce que l'autre délégation a des commentaires sur ce sujet? Non? Dans ce cas, j'en resterai là. Merci.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci.

Monsieur Maloney, pour trois minutes.

M. John Maloney (Erie—Lincoln, Lib.): J'ai une question précise à poser à Mme Letman, monsieur le président.

Pourriez-vous m'indiquer l'article dans le projet de loi qui pourrait à la rigueur offrir la possibilité qu'un jeune purge sa peine dans un établissement pour adultes, dans un pénitencier?

Pour votre gouverne, je vous signale que les principes de détermination de la peine sont exposés aux articles 37 et 38 et qu'il y a de nombreuses références à des mesures extrajudiciaires et à des solutions de rechange. Pourquoi cette impression que cette nouvelle loi aboutira peut-être à plus de mesures d'incarcération que la précédente.

J'aimerais également vos commentaires sur la disposition de mise sous garde suivie par une période de surveillance qui n'existe pas dans la loi actuelle. Est-ce une amélioration?

Mme Carol Letman: Je commencerai par votre dernière question. Oui, je crois que potentiellement c'est une amélioration. Encore une fois, j'ai une mémoire terrible pour les numéros d'articles, mais il y a une disposition différente dans certaines circonstances et je crois que c'est un pas dans la bonne direction.

Pour ce qui est de la question des peines extrajudiciaires et de savoir si oui ou non je pense qu'il y aura augmentation du recours à l'incarcération, l'orientation vers des mesures extrajudiciaires et des sanctions extrajudiciaires est excellente, mais cette possibilité est laissée à la discrétion des procureurs généraux. Elles dépendent toutes de la bonne volonté de ces procureurs qui «peuvent» faire ceci ou cela, décider ceci ou cela. Nous avons déjà eu ce problème la dernière fois avec les solutions de rechange proposées par la Loi sur les jeunes contrevenants. Donc prenant acte de la réalité et sachant comment la justice est administrée dans notre région, je crains qu'il n'y ait pas d'amélioration au niveau du recours à des sanctions extrajudiciaires pour le moment, étant donné les difficultés que nous connaissons déjà avec les solutions de rechange.

Quant à savoir s'il y aura plus de cas de mise sous garde, je ne pense pas que cette loi ait un tel effet dans le cas de délits non violents, autrement dit, dans le cas de délits contre la propriété. Dans ce domaine-là, il n'y aura pas de différence marquée. En fait, si les juges tiennent compte des pieuses déclarations d'intention qui se trouvent dans la loi, la nécessité d'éviter l'incarcération, de tenir compte des intérêts des jeunes, etc., il pourrait même y avoir moins de cas de mise sous garde pour les délits non violents, les délits contre la propriété, comme des vols, qui constituent une bonne part des affaires qui parviennent devant les tribunaux.

• 1240

Par contre, dans le cas des «infractions avec violence», il risque d'y avoir des peines de placement sous garde plus nombreuses et plus longues. Comme je l'ai dit plus tôt, la définition est assez vague pour englober plus d'infractions que ce que nous considérons traditionnellement comme des infractions violentes. La conduite avec facultés affaiblies, par exemple, pourrait figurer dans cette liste, et évidemment, les menaces, qui pour l'instant ne sont pas forcément considérées comme des infractions violentes car il s'agit surtout de paroles. Avec cette définition, toutefois, les menaces entreraient clairement dans la catégorie des infractions graves avec violence. Un jeune pourrait déclarer: «Je vais te faire sauter la tête avec un fusil»—et c'est le genre de chose que les enfants peuvent dire—mais dorénavant, il pourrait être inculpé.

Là encore, j'ai parcouru ce passage, et en ce qui concerne la détermination de la peine au niveau adulte, je me suis dit qu'un jeune qui vient d'avoir 14 ans, qui a peut-être été inculpé à deux reprises de voies de fait causant des lésions corporelles avant d'avoir 14 ans, pourrait être considéré par la Couronne comme adulte s'il commet un cambriolage ou une autre voie de fait causant des lésions corporelles... Peut-être ne devrais-je pas parler... Ce que je voulais dire, c'est que la possibilité d'emprisonnement dans un pénitencier existe.

Les voies de fait causant des lésions corporelles sont certainement en bas de l'échelle, mais supposons que ce jeune commette une agression avec voies de fait graves, une agression sexuelle grave, ou un cambriolage grave passible d'un emprisonnement à vie dans le cas d'un adulte: la Couronne pourrait réclamer une peine pour adulte sous prétexte que ce jeune a plus de 14 ans et qu'il a déjà été inculpé d'infractions graves avec violence graves à deux reprises par le passé. Cette décision pourrait être prise, et avec ce scénario, d'après ce que j'ai pu voir dans les différents articles, ce jeune-là pourrait aboutir dans un pénitencier. Cela m'inquiète. Franchement, je ne pense que cela se produise jamais, mais avec le texte actuel, c'est une possibilité.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Maloney. Si vous avez une autre question, comme nous ne sommes pas nombreux, vous pouvez y aller.

M. John Maloney: J'ai d'autres questions dans d'autres domaines.

Le vice-président (M. Ivan Grose): Je vais vous laisser rassembler vos idées.

Monsieur McKay.

M. John McKay: C'est une question qui s'adresse à la délégation du Québec. Je comprends bien qu'à votre avis il n'est pas vraiment nécessaire de faire quoi que ce soit, qu'on devrait laisser les choses telles qu'elles sont parce que cela fonctionne très bien, merci beaucoup. Cela a été le message de pratiquement toutes les délégations du Québec.

Ce qui continue à me préoccuper, c'est que si on décide que tout va bien, merci beaucoup, qu'on devrait garder le même système, cela veut dire, implicitement ou explicitement, qu'il ne servirait à rien de donner des peines de prison plus nombreuses, que les peine de placement sous garde ne fonctionnent pas, et que c'est une affreuse façon de traiter les jeunes. Intuitivement, j'ai l'impression que c'est vrai, mais il y a un corollaire dont on ne parle pas: Comment pouvez-vous savoir que ce système «par la douceur» fonctionne vraiment? Pouvez-vous nous indiquer des preuves solides, je ne parle pas d'anecdotes, quelque chose qui confirme que cela fait baisser le taux de récidivisme, et que, parmi les jeunes québécois, la criminalité a véritablement baissé?

[Français]

Me Diane Trudeau: Vous trouverez dans le mémoire, au bas de la page 4, les mentions des statistiques sur la criminalité au Canada en 1997 et en 1998, qui sont commentées par Anthony Doob, qui précise que les infractions ont régressé de 7 p. 100 chez les jeunes et qu'on a assisté à une chute de 12 p. 100 du taux de la criminalité. Nous avons aussi des statistiques sur la baisse du taux de criminalité au Québec.

• 1245

Me Mario Gervais: J'ai devant moi un document qui émane du ministère de la Justice de Québec. Je ne peux pas vous en donner la source exacte, mais dans les tableaux que j'ai devant moi, on indique qu'au Québec, le taux de criminalité pour 10 000 adolescents, selon les données policières, se situe nettement en-dessous de la moyenne canadienne. Il y a des écarts très importants. On parle d'un taux de criminalité qui s'est à peu près maintenu, au Québec, depuis le début des années 1990, alors qu'il y a une différence marquée ailleurs. En Ontario, par exemple, ce taux est à peu près le double de ce qu'il est au Québec, alors que dans les Prairies, il est trois fois plus élevé qu'au Québec.

Si vous me donnez un peu de temps, je pourrai certainement vous faire parvenir la référence exacte, ainsi que le tableau, ce qui vous permettra de vérifier cette information.

Me Benoît Gingras: Monsieur McKay, il en est également question dans le document fédéral. On y dit que, selon des données statistiques, seulement un petit nombre de jeunes commettent des actes criminels graves et répétés. Je vous réfère à la page 6 de ce document, que vous avez certainement.

[Traduction]

M. John McKay: Statistiquement, je reconnais que nous n'avons pas une vague de criminalité parmi les jeunes. C'est exact. Toutefois, reste à savoir si, au Québec, il existe un schéma de criminalité parmi les jeunes notablement différent des schémas de criminalité dans les autres provinces. Je sais bien que les taux d'inculpation sont très différents, et il certain que le Québec n'inculpe pas les jeunes comme cela se fait dans d'autres provinces. Toutefois, ce qui m'ennuie, c'est que ce qu'on met dans le système, c'est précisément ce qui finit par en sortir. Par conséquent, j'aimerais que vous me donniez un moyen de comparer—je vais utiliser une expression anglosaxone—des pommes avec des pommes et des oranges avec des oranges.

D'autre part, la fréquence des mesures extrajudiciaires est certainement très différente au Québec que dans les autres provinces, mais la déjudiciarisation semble s'étendre au système de protection de l'enfance. En fin de compte, pour l'instant du moins, il semble y avoir autant de jeunes sous garde au Québec. Si vous choisissez la porte de gauche, avec la législation sur les jeunes contrevenants, vous choisissez une situation de garde. Par contre, la porte de droite vous conduit dans une situation de garde dans le cadre d'une législation de protection de l'enfance. Le comité se débat avec cette question car, jusqu'à présent, tout semble indiquer que le système québécois donne d'excellents résultats

Je sais bien que ma question n'est pas très précise, je suis presque en train de faire un discours comme M. MacKay, mais j'aimerais savoir ce que vous pensez de me «pensée du jour». N'oubliez pas que nous écoutons des témoignages depuis un certain temps déjà et j'aimerais pouvoir cerner un peu mieux ces points-là.

[Français]

Me Mario Gervais: Pour répondre à votre question,

[Traduction]

non, le schéma de criminalité chez les jeunes n'est pas différent.

[Français]

Ce n'est certainement pas le cas. Ce qui distingue le Québec, c'est le traitement qu'il fait de la délinquance une fois qu'elle se manifeste. Ce n'est pas la délinquance en soi qui est distinctive d'un endroit à l'autre, mais plutôt la réaction une fois qu'elle se manifeste.

Comme société, on a fait un choix. On a décidé de mettre l'accent sur des ressources axées sur la réadaptation et la réhabilitation des adolescents, ce qui, à moyen et à long terme, se traduit par une criminalité juvénile moins élevée. C'est à ce niveau-là que ça se traduit.

• 1250

Si l'expérience qui s'est vécue au Québec devait faire l'objet d'un choix de société similaire dans d'autres provinces, je suis convaincu qu'on arriverait à des résultats similaires. On assisterait dans les autres provinces à un abaissement du taux de la criminalité chez les jeunes parce qu'on aurait mis l'accent sur les ressources de réadaptation disponibles. La distinction se situe donc dans le traitement et non pas dans la clientèle à l'origine.

Me Benoît Gingras: Dans la même veine, je dirais que la lumière est mise sur le sujet. On a traité tout à l'heure du sujet adolescent ayant commis une infraction, grave ou autre. Je pense que c'est cela, la distinction. On a parlé du traitement. À partir du moment où on reconnaît l'individu pour ce qu'il est, on ne met pas de côté le crime ou l'infraction, mais on examine ce qu'il est et on examine surtout les services qu'on peut lui donner pour accentuer sa réadaptation. Cela donne de bons résultats.

Je ne sais pas si cela répond à votre question ou à votre préoccupation. Vous avez parlé d'une autre loi, soit la Loi sur la protection de la jeunesse, qui, elle, met l'accent uniquement sur la protection du jeune parce que ce dernier a des besoins spécifiques, des difficultés de comportement, et j'en passe, car je ne veux pas m'étendre sur cette question.

La Loi sur les jeunes contrevenants, dans son traitement, identifie le sujet avec ses difficultés. La problématique du jeune n'est pas seulement une question de l'infraction qu'il a commise; il y a aussi de la mésadaptation et des difficultés de comportement. On lui donne donc un service qui l'aidera à corriger son tir afin qu'il ne récidive pas.

[Traduction]

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur McKay.

Monsieur Maloney.

M. John Maloney: Je reviens à la question de la protection des jeunes et de la mise sous garde sous le régime de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Un témoin nous a dit hier qu'il y avait peut-être une certaine distorsion dans vos statistiques sur la garde du fait qu'au Québec il y a plus de jeunes sous garde sous le régime de la Loi sur la protection de la jeunesse que dans les autres provinces. D'après ce que j'ai lu, il pourrait s'agir de 40 p. 100 des cas de garde qui relèvent de la Loi de la protection sur la jeunesse. Si c'est exact, j'aimerais savoir si ces jeunes-là se trouvent dans les mêmes établissements ou bien s'il y a des établissements différents pour la protection de la jeunesse et pour la LJC? Est-ce que vous mettez ensemble des jeunes qui ont été inculpés et des jeunes qui sont là pour leur propre protection?

[Français]

Me Mario Gervais: Dans la pratique, dans les faits, il arrive souvent qu'un même centre accueille les deux clientèles, mais ce sera dans des unités distinctes, avec une approche de traitement un peu différente. Bien sûr, on met beaucoup plus l'accent sur l'accès à la communauté, sur la fréquentation scolaire à l'externe, sur la fréquentation d'établissements axés sur une désintoxication à l'externe. La liberté est beaucoup moins restreinte.

Il est très rare qu'un adolescent ayant commis un vol qualifié, par exemple, se retrouve dans une unité réservée à la réadaptation de jeunes placés en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse et qui ont des comportements qui pourraient être dangereux pour eux-mêmes.

Cette règle n'est pas absolue, et je ne vous dirai pas qu'elle ne souffre jamais d'exceptions parce que les restrictions budgétaires font en sorte que les ressources ne sont pas aussi parfaites qu'on le souhaiterait, mais il reste que le principe général persiste. En protection de la jeunesse, il existe davantage de structures et elles sont peut-être plus légères que celles qu'on retrouve en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants.

[Traduction]

M. John Maloney: Vous avez des chiffres? D'après ce que j'ai pu lire, environ 40 p. 100 relèvent de la protection la jeunesse.

[Français]

Me Mario Gervais: Je voudrais être très précis, mais je ne peux pas répondre de façon précise. Plutôt que de commettre une erreur, je vais m'abstenir.

[Traduction]

M. John Maloney: Nous ne voulons pas faire d'erreur, c'est certain.

Voilà ma dernière question; aux termes des dispositions de la loi actuelle, il y a une audience de renvoi, et si on décide que l'enfant ou l'adolescent doit être jugé par un tribunal pour adultes, il y a ensuite une autre audience puis une détermination de la culpabilité ou de l'innocence. Avec ce projet de loi, on suggère une audience sur l'infraction, et si on détermine la culpabilité, le juge décide alors s'il convient d'imposer une peine pour adultes. Qu'en pensez-vous? Est-ce que c'est une amélioration? Pensez-vous que ce soit préférable? Est-ce que cela vaut la peine de changer les choses?

Irwin, peut-être.

• 1255

M. Irwin Koziebrocki: Vous me mettez au pied du mur.

En fait, ce type de situation provoque une certaine incertitude. Évidemment, un avocat de la défense aime savoir à quoi s'en tenir pour pouvoir conseiller son client, lui expliquer les conséquences d'un type de procédure donné. Ainsi, il peut dire: «Si nous procédons de cette façon-là, si vous êtes reconnu coupable, voilà ce que vous risquez.» Ce genre de chose est rassurant, en tout cas pour moi, en ma qualité d'avocat, et également pour mon client, qu'il s'agisse d'un jeune ou d'un adulte. De cette façon-là, on peut se dire: Si nous choisissons cette voie, voilà ce qui risque d'arriver. C'est sur cette base qu'on fait un choix, en toute connaissance de cause.

Cela est comparable à la législation sur les délinquants dangereux: pendant tout le procès, vous supposez que si on vous reconnaît coupable, votre peine sera déterminée normalement, et puis tout d'un coup, le procureur général de l'Ontario frappe à votre porte et vous dit: «Vous savez quoi, voilà un certificat, nous allons essayer de faire reconnaître que vous êtes un délinquant dangereux». Toute la procédure change alors.

Cette disposition m'inquiète à cause de l'incertitude que cela provoque, et également parce qu'il est très difficile de conseiller efficacement son client. C'est encore plus difficile lorsqu'il s'agit d'un jeune, car dans ce cas-là au moins, une chose qui est vraiment importante...

Avec les années, vous avez changé la teneur de ces lois. Quand j'ai commencé, à l'époque c'était la Loi sur les jeunes délinquants, et tout se passait dans une salle de tribunal, le juge mettait son bras autour des épaules du jeune accusé, le menaçait de son index et il lui disait: «Je veux te revoir ici à toutes les semaines pour m'assurer que tu vas bien à l'école»; voilà comment cela se passait.

Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il s'agit d'un véritable tribunal et d'un véritable procès au cours duquel on convoque des témoins, c'est un système accusateur, une sorte de Cour suprême, en présence d'un jury. Dans certains cas, c'est parfait. Dans les cas les plus graves, je n'y vois pas d'inconvénients. Par contre, dans d'autres cas je pense que nous avons perdu cette mesure de familiarité qui nous permettait jadis de penser à protéger les jeunes, de tenir compte de leurs besoins et de ceux de la communauté.

Voilà donc une façon encore de s'écarter de cette façon de faire, de placer tout cela sur le plan accusatoire. Au cours des années, j'ai pu constater que nous nous écartions de plus en plus de ce modèle-là pour nous rapprocher d'un modèle accusatoire.

Un des éléments positifs dans cette loi, à supposer que les gouvernements le fassent vraiment, c'est qu'il y a plusieurs types de recours. J'ai toujours dit qu'il s'agisse d'un jeune ou d'un adulte, que le juge devrait disposer d'une vaste gamme de moyens pour régler le problème, pour trouver quelque chose qui soit vraiment adapté aux besoins de l'intéressé et de la communauté, mais ce n'est pas toujours le cas. Il y a beaucoup de solutions possibles lorsqu'il s'agit d'un jeune, quand on peut voir une lumière au bout du tunnel, même si dans d'autres cas c'est une cause perdue, pour une raison ou pour une autre. Il faut espérer que ce n'est jamais une cause perdue. C'est là que la législation peut être utile. Je pense que ces dispositions, qui prévoient un plus grand nombre de recours et de solutions, pourraient donner de bons résultats.

J'hésite beaucoup à le dire, mais après avoir examiné cela, je me suis dit que c'était peut-être Revenu Canada qui avait rédigé cette loi. Je deviens de plus en plus vieux, et j'ai de plus en plus de mal à suivre les événements, mais si je suis forcé de me familiariser avec cette nouvelle loi, Seigneur, je crois que je vais devenir menuisier.

Des voix: Bravo, bravo!

M. John Maloney: Et qu'en est-il du système actuel? N'y a-t-il pas un certain préjugé? Si vous êtes promu ou propulsé vers un tribunal pour adultes, y a-t-il une certaine présomption de culpabilité ou d'innocence, cela veut-il dire que l'infraction est si grave ou si terrible qu'il est nécessaire de considérer le coupable comme un adulte? Est-ce que vous avez eu l'occasion de constater cela?

M. Irwin Koziebrocki: J'ai eu plusieurs procès, plusieurs procès avec jury mettant en cause des jeunes. Je peux vous dire qu'une situation où vous avez un jeune de 15 ans dans le banc de l'accusé, et 12 personnes en face pour juger ce jeune, ce n'est vraiment pas une expérience facile. Les gens se tiennent la main, on essaie désespérément de faire comprendre à tout le monde ce qui se passe, y compris le jeune qui est assis dans le banc de l'accusé. Tout d'un coup, on lui a fait porter un costume, on l'a installé sur ce banc en face d'un jury de 12 adultes et d'un juge en costume avec un grand insigne sur sa poitrine.

• 1300

C'est extrêmement intimidant, et pour vous dire la vérité, je pense que personne n'apprécie ce genre de situation, si ce n'est les médias. Les médias ont toujours l'air d'apprécier particulièrement les procès de jeunes, pour eux c'est particulièrement important, mais je pense que si on considère l'ensemble de la communauté, il doit y avoir de meilleures façons d'aborder ces problèmes.

M. John McKay: Le fait que les avocats de la défense ne font jamais la cour aux médias me rassure beaucoup.

M. Irwin Koziebrocki: Pas dans la plupart des cas.

[Français]

Me Diane Trudeau: J'aimerais faire un commentaire sur la question que vous posiez sur le renvoi au tribunal des adultes. Évidemment, on s'oppose à ce qu'on élargisse la présomption de renvoi aux jeunes de 14 ans et à ce qu'on ajoute une cinquième catégorie d'infractions, qui ne semble pas du tout définie et qui implique plein de crimes dont les collègues de l'autre groupe parlaient. Nous nous opposons aussi à ce qu'on impose des peines d'adultes aux jeunes.

Cependant, vous posez une question quant au processus, quant au déplacement du renvoi pour le mettre à la fin du processus judiciaire. En d'autres termes, il s'agit d'imposer une peine d'adulte à la fin. Ce nouveau processus est intéressant pour le jeune. Il y a toujours de l'information. On prévoit qu'un avis doit être donné par le procureur général de l'exigence qui doit être faite d'une peine d'adulte. C'est prévu à l'article 63. Quant au processus lui-même, on trouve qu'il est intéressant de déplacer le renvoi à la fin, mais on est contre la présomption de renvoi à partir de 14 ans, contre la mention de la cinquième catégorie de crimes et contre l'imposition de peines pour adultes.

Me Mario Gervais: Ce qui est souvent oublié dans le cas de la présomption de renvoi, c'est que cela ne veut pas dire que les jeunes de 14 et 15 ans ne peuvent pas être renvoyés devant le tribunal pour adultes. Ils peuvent être renvoyés devant le tribunal pour adultes dans le cadre d'une motion présentée par le ministère public. J'ai représenté un adolescent de 14 ans qui avait été accusé de meurtre prémédité et qui a fait l'objet d'un renvoi au tribunal pour adultes. Le dossier a été contesté, mais la décision du tribunal, confirmée en appel, a été justement d'ordonner le renvoi de l'adolescent devant le tribunal pour adultes, à 14 ans. La loi actuelle ne rend pas cette éventualité impossible. Ce à quoi nous nous opposons, c'est à une présomption de renvoi, c'est-à-dire présumer de l'abdication du système juvénile pour les jeunes de 14 et 15 ans.

[Traduction]

Le vice-président (M. Ivan Grose): Merci, monsieur Maloney.

J'aimerais maintenant remercier les témoins. J'aimerais vous rappeler également que vous n'avez pas perdu votre auditoire. Ne vous inquiétez pas, nous avons tous des obligations qui se chevauchent, et nous ne pouvons pas, comme vous, demander un renvoi. Nous pouvons seulement faire notre possible.

À titre personnel, je ne suis pas avocat, j'aimerais vous dire que j'ai compris, ou du moins que je crois avoir compris tout ce que vous avez dit. Je vous remercie infiniment.

La séance est levée.