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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 3e SESSION

Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 1 avril 2004




Á 1105
V         Le président (M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.))
V         M. Allan Hutchinson (professeur, Osgoode Hall Law School, Université York, À titre personnel)
V         Le président
V         M. F.L. (Ted) Morton (professeur, Département de science politique, Université de Calgary, À titre personnel)

Á 1110
V         Le président
V         M. Peter McCormick (professeur et président, Science politique, Université de Lethbridge, À titre personnel)

Á 1115

Á 1120
V         Le président
V         M. Allan Hutchinson

Á 1125

Á 1130
V         Le président
V         M. Kevin Sorenson (Crowfoot, PCC)
V         Le président
V         M. Kevin Sorenson
V         Le président
V         M. Allan Hutchinson
V         M. Kevin Sorenson
V         M. Allan Hutchinson

Á 1135
V         Le président
V         M. F.L. (Ted) Morton

Á 1140
V         Le président
V         M. Peter McCormick
V         Le président
V         M. Richard Marceau (Charlesbourg—Jacques-Cartier, BQ)
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         M. Richard Marceau

Á 1145
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         M. Allan Hutchinson
V         M. Richard Marceau
V         M. Allan Hutchinson
V         M. Peter McCormick

Á 1150
V         Le président
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         Le président
V         L'hon. Lorne Nystrom (Regina—Qu'Appelle, NPD)
V         M. Allan Hutchinson
V         L'hon. Lorne Nystrom
V         M. Allan Hutchinson
V         L'hon. Lorne Nystrom
V         M. Allan Hutchinson
V         L'hon. Lorne Nystrom
V         M. Allan Hutchinson

Á 1155
V         L'hon. Lorne Nystrom
V         M. Allan Hutchinson
V         L'hon. Lorne Nystrom
V         M. Peter McCormick
V         L'hon. Lorne Nystrom
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         L'hon. Lorne Nystrom
V         M. F.L. (Ted) Morton

 1200
V         Le président
V         L'hon. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.)
V         M. Peter McCormick
V         L'hon. Paul DeVillers
V         M. Peter McCormick

 1205
V         M. Allan Hutchinson
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         L'hon. Paul DeVillers
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         M. Allan Hutchinson
V         M. Peter McCormick
V         Le président
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         L'hon. Paul DeVillers
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         M. Peter McCormick
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         L'hon. Paul DeVillers

 1210
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         Le président
V         M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, PCC)
V         M. Peter McCormick
V         M. Allan Hutchinson
V         M. F.L. (Ted) Morton

 1215
V         Le président
V         L'hon. Stéphane Dion (Saint-Laurent—Cartierville, Lib.)
V         Le président
V         L'hon. Stéphane Dion
V         Le président
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         Le président
V         M. Robert Lanctôt (Châteauguay, Lib.)
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         M. Robert Lanctôt

 1220
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         M. Robert Lanctôt
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         M. Robert Lanctôt
V         Le président
V         M. Richard Marceau
V         M. F.L. (Ted) Morton

 1225
V         M. Allan Hutchinson
V         M. Peter McCormick
V         Le président
V         L'hon. Stéphane Dion
V         M. Allan Hutchinson

 1230
V         L'hon. Stéphane Dion
V         M. Allan Hutchinson
V         Le président
V         L'hon. Stéphane Dion
V         Le président
V         L'hon. Stéphane Dion
V         Le président
V         L'hon. Stéphane Dion
V         Le président
V         L'hon. Stéphane Dion
V         Le président
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         L'hon. Stéphane Dion
V         M. Peter McCormick

 1235
V         L'hon. Stéphane Dion
V         Le président
V         M. Kevin Sorenson
V         M. Peter McCormick
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         Le président
V         Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         Mme Paddy Torsney

 1240
V         M. Peter McCormick
V         Mme Paddy Torsney
V         M. Peter McCormick
V         Mme Paddy Torsney
V         M. Peter McCormick
V         Mme Paddy Torsney
V         M. Peter McCormick

 1245
V         Mme Paddy Torsney
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         Mme Paddy Torsney
V         Le président
V         M. Richard Marceau
V         M. Allan Hutchinson
V         M. F.L. (Ted) Morton

 1250
V         Le président suppléant (M. Chuck Cadman)
V         L'hon. Sue Barnes
V         M. Allan Hutchinson
V         L'hon. Sue Barnes
V         M. Allan Hutchinson
V         L'hon. Sue Barnes
V         M. Peter McCormick

 1255
V         L'hon. Sue Barnes
V         M. Peter McCormick
V         L'hon. Sue Barnes
V         M. Peter McCormick
V         L'hon. Sue Barnes
V         M. Allan Hutchinson
V         L'hon. Sue Barnes
V         M. Allan Hutchinson
V         L'hon. Sue Barnes
V         Le président
V         L'hon. Sue Barnes
V         Le président
V         M. F.L. (Ted) Morton

· 1300
V         Le président
V         M. Chuck Cadman
V         M. Allan Hutchinson
V         M. Chuck Cadman
V         Le président
V         L'hon. Lawrence MacAulay (Cardigan, Lib.)
V         M. Allan Hutchinson
V         L'hon. Lawrence MacAulay
V         M. Allan Hutchinson
V         L'hon. Lawrence MacAulay
V         M. Allan Hutchinson
V         L'hon. Lawrence MacAulay
V         M. Allan Hutchinson
V         L'hon. Lawrence MacAulay
V         M. Allan Hutchinson
V         L'hon. Lawrence MacAulay
V         M. Allan Hutchinson

· 1305
V         Le président
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         L'hon. Lawrence MacAulay
V         M. F.L. (Ted) Morton
V         Le président

· 1310
V         M. Peter McCormick
V         Le président
V         M. Peter McCormick
V         Le président
V         M. F.L. (Ted) Morton

· 1315
V         Le président
V         L'hon. Paul DeVillers
V         Le président










CANADA

Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile


NUMÉRO 009 
l
3e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 1 avril 2004

[Enregistrement électronique]

Á  +(1105)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.)): Chers collègues, nous avons le quorum. Nous allons commencer la séance.

    Nous poursuivons notre étude d'un mécanisme qui donnerait au Parlement un rôle dans la nomination des juges à la Cour suprême du Canada.

    Nous allons entendre aujourd'hui trois éminents professeurs: M. Ted Morton, du département de sciences politiques de l'Université de Calgary, M. Peter McCormick, président du département de sciences politiques de l'Université de Lethbridge, et M. Allan Hutchinson, de la Osgoode Hall Law School de l'Université York.

    Je vous remercie de bien vouloir participer à nos travaux. Je suis certain que vos observations nous seront d'un grand secours.

    Selon la formule habituelle, les témoins présentent d'abord une déclaration préliminaire. Nous vous donnons 10 minutes maximum pour le faire—je crois que c'est ce que nous avons fait jusqu'ici—et nous passons ensuite aux questions de mes collègues.

    Avez-vous tiré au sort pour savoir qui commencerait ou devrions-nous procéder par ordre alphabétique? Si vous n'avez pas de préférence, nous allons tout simplement procéder par ordre alphabétique.

    Monsieur Hutchinson.

+-

    M. Allan Hutchinson (professeur, Osgoode Hall Law School, Université York, À titre personnel): Je préférerais que l'on suive l'ordre de l'avis de convocation. Je n'ai eu qu'un peu plus d'une journée pour me préparer et je sais que mes collègues ont rédigé des observations écrites; je préférerais donc parler après eux.

+-

    Le président: Très bien.

    Si cela vous convient, monsieur Morton, nous allons commencer avec vous.

+-

    M. F.L. (Ted) Morton (professeur, Département de science politique, Université de Calgary, À titre personnel): Je remercie le comité de m'avoir invité à Ottawa pour vous livrer mon point de vue sur la question de la réforme du processus de nomination des juges à la Cour suprême du Canada.

    Deux faits illustrent fort bien l'importance des travaux de votre comité. Premièrement, jusqu'en 2013, soit dix ans après que Jean Chrétien ait quitté la politique, les juges qu'il a nommés lui-même à la Cour suprême du Canada représenteront encore une majorité. Deuxièmement, si les électeurs invitent les libéraux à former un autre gouvernement majoritaire cette année, Paul Martin aura à combler les deux postes qui sont vacants depuis le départ de Mme Harbour et de M. Iacobucci. Cela veut dire que huit des neuf juges de la Cour auront été nommés par les libéraux, ce qui veut dire qu'un parti qui a obtenu en moyenne 40 p. 100 des votes au cours des quatre dernières élections aura choisi 90 p. 100 des juges de la Cour suprême du Canada.

    J'estime qu'un pouvoir qui survit si longtemps à son détenteur—qui se traduit par la domination d'un parti sur le plus haut tribunal constitutionnel du pays—est incompatible avec les normes démocratiques et surprendrait beaucoup les parlementaires et les juristes européens. Toutes les grandes démocraties européennes reconnaissent que les juridictions constitutionnelles nationales jouent un rôle essentiellement politique et non juridique et elles ont mis sur pied des processus de nomination des juges de ces cours qui assurent une représentation pluraliste à laquelle on est en droit de s'attendre dans une démocratie moderne.

    Les nouvelles démocraties de l'Europe de l'Est ont adopté des systèmes semblables de nomination des juges et je pense qu'il est grand temps que le Canada abandonne la méthode désuète et autocratique qui consiste à confier au premier ministre le monopole des nominations judiciaires et que notre pays devienne enfin une démocratie du XXIe siècle.

    La réforme qui a le plus souvent été débattue devant votre comité propose de faire examiner par un comité parlementaire, sans doute par le vôtre, les candidats à la Cour suprême présentés par le premier ministre. J'appuie cette réforme sans réserve, pour toutes les raisons que vous ont fait valoir les autres témoins. J'inviterais cependant le comité à ne pas se contenter de prévoir des audiences parlementaires publiques et à examiner les modèles européens pour voir s'ils ne pourraient pas être adaptés à la démocratie fédérale canadienne. Plus précisément, j'attire votre attention sur les quatre éléments suivants.

    La première consiste à limiter le mandat des juges. La France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne nomment tous les juges de leur juridiction constitutionnelle pour un mandat non renouvelable de neuf ans. Un tel mandat écarte toute possibilité, réelle aux États-Unis et éventuelle au Canada, qu'un seul président ou un seul parti domine le tribunal bien après avoir quitté le pouvoir. Je note entre parenthèses que seuls trois des 50 États américains accordent aux juges des juridictions étatiques des mandats à vie ou les nomment à titre inamovible. Ce n'est donc pas uniquement un phénomène européen; on retrouve également cette pratique aux États-Unis.

    Deuxièmement, il serait bon de confier à plusieurs autorités le pouvoir de participer à ces nominations. En France, en Allemagne, en Italie et en Espagne, personne, aucun titulaire de fonction ni aucune institution n'a le monopole de la nomination des juges de la juridiction constitutionnelle. Ce pouvoir est habituellement partagé entre différentes autorités et institutions. Selon le modèle fédéral des États-Unis, le pouvoir de nomination appartient conjointement au président et au Sénat. C'est un modèle que nous devrions examiner de près.

    Troisièmement, il y a les nominations bipartisanes. Dans les démocraties européennes, le gouvernement et l'opposition ont le droit de proposer des candidats à la magistrature. Le processus de sélection des membres de la juridiction constitutionnelle autorise habituellement les partis d'opposition à nommer un nombre de juges proportionnel au pourcentage que l'opposition représente à l'assemblée législative. Certains États américains ont également adopté cette pratique.

    Posez-vous la question suivante: pourquoi est-ce qu'un parti qui a obtenu 40 p. 100 des votes devrait-il nommer 100 p. 100 des juges d'une juridiction nationale ayant autant de pouvoirs?

    Quatrièmement et dernièrement, il y a la participation des régions aux nominations. Dans des États fédéraux comme l'Allemagne, ou des États quasi fédéraux comme l'Espagne et l'Italie, il existe des dispositions qui prévoient la représentation des régions dans la nomination des juges de la juridiction constitutionnelle. Le Canada a déjà adopté en partie cette pratique, puisqu'il tient compte, aussi bien en droit qu'en fait, de la représentation des différentes régions. Nous aurions pu aller plus loin dans cette direction, avec l'Accord du lac Meech, qui prévoyait la participation des provinces à la nomination des juges de la Cour suprême. Je vous invite vivement à vous pencher à nouveau sur cet aspect.

    Les partisans du statu quo—évidemment, ils sont nombreux parce qu'ils en bénéficient—soulèveront l'épouvantail de l'indépendance de la magistrature et du risque de politiser la Cour suprême. Permettez-moi de commencer par l'indépendance de la magistrature.

Á  +-(1110)  

    Nous sommes tous convaincus que l'indépendance de la magistrature est la clé de voûte de notre principe séculaire de la primauté du droit. Il n'y a rien de plus important dans une société libre. Mais ce principe ne s'applique que partiellement aux juridictions constitutionnelles de dernier ressort. L'indépendance est un aspect essentiel lorsque l'institution a pour fonction d'appliquer de façon impartiale des règles qui ont été adoptées par un autre organisme.

    Pour prendre un exemple actuel, je pense qu'au début des séries de la coupe Stanley, il ne serait certainement pas acceptable que l'équipe locale choisisse les arbitres et les juges de ligne—à moins que ce ne soit à Toronto. Mais lorsqu'une cour d'appel nationale a le pouvoir de se prononcer sur la constitutionnalité des lois, de surveiller les lois adoptées par le Parlement, cette cour ne fait pas qu'appliquer les lois; elle a également un rôle législatif. Dans une démocratie du XXIe siècle, les institutions qui ont des pouvoirs législatifs doivent être représentatives et tenues de rendre des comptes; elles ne doivent pas être indépendantes.

    Si vous avez des doutes sur le manque de légitimité qui touche les institutions législatives qui ne sont pas tenues de rendre des comptes, il suffit de regarder de l'autre côté de la rue, le Sénat canadien. Si vous avez le moindre doute sur le rôle de législateur attribué à la Cour suprême, je peux vous citer toute une série de déclarations faites par des juges de cette juridiction à ce sujet.

    À ceux qui disent que des audiences parlementaires publiques auraient pour effet de politiser le tribunal, je répondrais qu'il est un peu tard pour avoir ce genre de fausse pudeur politique. Les grandes manoeuvres visant à influencer le choix des juges de la Cour suprême ont déjà commencé. Là encore, je peux vous donner des exemples, si vous le souhaitez.

    Le système actuel est loin d'empêcher la politisation du processus de nomination des juges, comme ses partisans voudraient nous le faire croire; il a simplement pour effet de dissimuler les luttes politiques et de les cacher au public. Vous êtes tous des hommes politiques; vous ne serez donc pas surpris si je vous dis que la règle d'airain de la politique est que toute personne qui détient du pouvoir a tendance à l'utiliser pour influencer les décisions. Ce qui est mauvais, ce n'est pas que l'on fasse du lobbying au sujet des nominations à la magistrature mais que cela se fasse en secret et derrière des portes closes. Votre comité rendrait un grand service à notre pays s'il recommandait fortement des réformes qui introduiraient plus de transparence dans le processus de nomination des juges de la Cour suprême et si ce processus se déroulait en pleine lumière, publiquement, comme cela devrait se faire dans une démocratie.

    Je terminerai en disant qu'il n'y a aucune raison pour que ce comité se contente de proposer des audiences parlementaires publiques. La Constitution du Canada appartient aux Canadiens. Elle n'appartient pas uniquement aux juges, aux facultés de droit ou à l'Association du Barreau canadien. Elle n'appartient pas uniquement aux groupes de défense des droits, subventionnés par des fonds publics, qui comparaissent si souvent devant la Cour suprême.

    La Constitution appartient à tous les Canadiens. Vous, les députés, représentez tous les Canadiens dans toute leur diversité. Il serait tout à fait conforme au mandat démocratique que vous avez reçu et aux traditions de notre démocratie parlementaire d'adopter des réformes grâce auxquelles la Cour suprême, selon sa constitution, refléterait mieux notre diversité. Il n'existe aucune raison de conserver un système qui permet à un parti qui n'a obtenu que 40 p. 100 des votes de nommer 100 p. 100 des juges du plus haut tribunal du pays.

    Merci.

+-

    Le président: Je vous remercie. Vous avez respecté votre temps de parole.

    Le témoin suivant est monsieur Peter McCormick, je vous en prie.

+-

    M. Peter McCormick (professeur et président, Science politique, Université de Lethbridge, À titre personnel): Merci.

    Eh bien, je vais commencer par ce qui est le plus évident: le processus actuel de nomination des juges à la Cour suprême du Canada est un anachronisme absurde. Une seule personne fait ce choix selon un processus qui peut se limiter à un coup de téléphone et à un communiqué de presse.

    Les témoins que vous avez entendus vous ont dit qu'il y avait le risque hypothétique qu'un premier ministre trafique les nominations à la Cour suprême mais que cela n'est en fait jamais arrivé. Je ne suis pas d'accord, et je citerai sur ce point la transformation qu'a fait subir Trudeau à la Cour suprême au cours des années 70. La plupart des universitaires diraient que ces changements étaient pour le mieux, mais ce genre de chose est toujours dangereux. Dans un régime politique sain, les grandes institutions politiques ne devraient pas être influencées par la philosophie juridique, par les priorités politiques ou, tout simplement, par les caprices personnels d'une seule personne, même si cette personne est le premier ministre du Canada.

    Il faut se pencher sur trois aspects de la question des nominations. Le premier est l'aspect professionnel, c'est un aspect que nous connaissons bien. Notre solution est de choisir des candidats parmi les juges des cours d'appel fédérales ou provinciales; c'est de loin le groupe le plus important des juges de la Cour suprême du Canada. Cette solution permet de choisir des juges qui ont de l'expérience, et aussi d'examiner leurs antécédents. Elle donne également la possibilité de se prononcer en fonction de la philosophie politique et des priorités juridiques d'un juge particulier. Mais un processus ne peut être uniquement basé sur les seules qualités professionnelles d'un juge. Il est tout simplement impossible de choisir les deux, 12, 20 ou 50 meilleurs juges et avocats canadiens, en utilisant une méthode objective, simple, directe, mesurable et reproductible. Ce n'est donc qu'un aspect du problème, c'est évident.

    Il y a des professeurs américains qui ont proposé de mettre sur pied un tournoi pour les juges, qui permettrait de classer les juges des cours de district du système judiciaire fédéral en leur donnant des notes basées sur un certain nombre de facteurs; les gagnants iraient alors combler les postes vacants sur les cours d'appel; cela mettrait un terme au blocage qui sévit actuellement dans le système judiciaire américain. Avec tous les commentaires que j'ai lus, je ne sais pas si c'est une blague ou si c'est une proposition sérieuse, mais je sens, d'après vos réactions, que cela ne prendrait pas au Canada, je vais donc passer à autre chose.

    Le deuxième aspect est l'aspect démocratique. Lorsqu'il faut choisir entre un grand nombre de juges très compétents, il faut que les personnes qui effectuent ces choix comprennent des personnes élues, préférablement plusieurs, préférablement constituées en groupe, de façon à pouvoir concilier les différents points de vue et encadrer le jeu politique.

    Le troisième aspect, qui est curieusement absent de la discussion récente que je viens d'entendre, est l'aspect fédéral; c'est une omission curieuse parce que cette question domine le débat depuis une quinzaine d'années. Dans un système fédéral, la juridiction suprême nationale a notamment pour rôle de faire respecter, de façon impartiale, la répartition des pouvoirs législatifs entre les provinces et le gouvernement fédéral. L'équipe nationale ne devrait pas pouvoir confier à ses propres arbitres le soin d'arbitrer le jeu du fédéralisme, mais bien sûr, c'est ce qui s'est toujours fait au Canada. C'est pourquoi il faut permettre à des intervenants provinciaux aussi bien que nationaux de participer au processus de nomination.

    Je n'ai pas été uniquement invité ici pour vous décrire le problème que vous avez à résoudre, ce que je viens de faire. J'ai été invité pour vous proposer une solution et je vais essayer de ne pas vous décevoir.

    Il me semble que ces trois aspects débouchent directement sur une solution institutionnelle que j'appellerais la commission judiciaire fédérale, c'est juste une étiquette, il n'y a rien de magique dans ce choix de termes; cette commission serait formée chaque fois qu'un poste de juge à la Cour suprême devient vacant. Les membres de cette commission comprendraient en premier lieu cinq juges choisis par le Conseil canadien de la magistrature parmi ses membres. Le deuxième élément serait formé de cinq premiers ministres qui seraient choisis par une conférence des premiers ministres, ou pour être plus modernes, nous devrions l'appeler le Conseil de la Fédération. Le troisième élément comprendrait cinq membres de votre comité qui seraient choisis de façon à représenter tous les partis officiels reconnus à ce moment-là. Les seules autres règles seraient qu'aucun juge de la Cour suprême ne peut être membre de cette commission, que la commission ne peut proposer que soit nommé au poste de juge un de ses membres, et peut-être que le juge ayant le plus d'ancienneté la préside.

    Cette commission pourrait intervenir à deux étapes du processus. La première étape serait celle de la confirmation du choix. Lorsque l'on procède par confirmation, un seul nom est proposé, et le candidat est retenu ou écarté. Il me semble que la confirmation débouche sur deux conséquences opposées, dont aucune n'est satisfaisante. La première est l'approbation automatique du candidat proposé, ce qui n'est pas toujours une mauvaise chose si cette approbation a une valeur symbolique, mais son défaut est que personne ne pensera que cette approbation vaut quelque chose. L'autre extrême est la confrontation, le refus de ratifier la candidature proposée représente alors une attaque directe contre la personne qui a proposé le candidat. Sous sa forme extrême, il y a un blocage, c'est ce qui se passe aux États-Unis et qui explique la crise actuelle qui sévit dans la nomination des juges des cours d'appel de circuit.

Á  +-(1115)  

    Il me semble qu'il serait préférable de charger cette commission de proposer des candidats; elle établirait une liste de noms, dont chacun serait accepté à une majorité renforcée et le choix définitif serait fait par une autre autorité. Un tel système fonctionnerait mieux. Un organisme chargé de concilier les différents intérêts et préoccupations pourrait influencer sensiblement le processus de sélection, sans toutefois procéder au choix final. Il serait bon, d'après moi, que cette commission établisse une liste de cinq candidats, mais il semble que je sois bloqué aujourd'hui sur ce chiffre cinq, c'est un détail. Je pense que les comités ont tendance à prendre des décisions peu controversées, mais en demandant à cette commission de choisir au moins cinq candidats, elle aurait une certaine latitude pour retenir des personnes compétentes mais peu conventionnelles. Certaines études indiquent que les votes à une majorité renforcée introduisent de toute façon une certaine diversité dans la liste des candidats, tout en laissant un véritable choix au décideur final.

    Qui devrait être ce décideur final? Je remarque qu'en Grande-Bretagne, un pays qui est également en train de modifier profondément son système judiciaire, on affirme souvent dans les études sur ce sujet que, bien entendu, le premier ministre ne devrait aucunement participer à ce processus, et certainement pas en tant que décideur final. Dans notre contexte, je pense que cela serait une erreur. Je pense que jusqu'ici j'ai plutôt minimisé, certains diraient évacué, le rôle que doit jouer le gouvernement national dans la commission judiciaire, et je pense qu'il serait bon de lui redonner de l'importance à ce moment-là. Je crois que c'est le premier ministre qui devrait exercer ce pouvoir discrétionnaire final sur une question pour laquelle il jouissait auparavant d'un pouvoir totalement discrétionnaire.

    On peut également se demander si le premier ministre aurait le droit de rejeter la liste de candidats. Je pense qu'il ne devrait pas pouvoir le faire. La commission judiciaire que j'ai décrite est suffisamment importante pour que l'on ne puisse pas la contourner, elle serait suffisamment professionnelle pour qu'elle ne retienne que des candidats capables et elle serait suffisamment diversifiée pour ne pas avoir de motivations secrètes. Cela dit, si le premier ministre pouvait rejeter toutes les personnes mentionnées sur la liste des candidats, cela reviendrait à exiger qu'on lui fournisse des noms jusqu'à ce qu'il obtienne celui ou celle qu'il voulait depuis le début, et cela irait à l'encontre du but recherché.

    Le dernier élément de cette solution consisterait à demander au nouveau juge de comparaître devant le comité pour une séance comme celle-ci, mais celle-ci serait diffusée sur Internet et sur l'équivalent du C-SPAN, comme le CPAC, mes étudiants seront déçus de ne pas me voir à la télévision aujourd'hui, mais je n'en mourrai pas. Le but est d'aménager la participation des citoyens intéressés. Je ne pense pas que cette séance devrait se terminer par un vote, parce que je ne pense pas qu'il soit nécessaire de prévoir une confirmation formelle, si le processus de mise en candidature est bien fait; néanmoins, il me paraît tout à fait approprié d'organiser un échange public entre les députés élus et le nouveau membre de la Cour suprême.

    Je vous remercie de m'avoir permis de vous présenter mes réflexions sur cette question très importante.

Á  +-(1120)  

+-

    Le président: Merci.

    Nous allons maintenant passer à Allan Hutchinson.

+-

    M. Allan Hutchinson: Merci.

    Je me trouve dans une position assez inconfortable puisque je suis obligé d'être d'accord avec mes collègues, attitude qui m'est normalement étrangère, comme ils le savent très bien. Je pense que la plupart des suggestions qu'ils ont faites vont manifestement dans la bonne direction, même si je pourrais critiquer certains détails. Ma position est très simple, tout vaudrait mieux que ce que nous avons actuellement.

    J'aimerais faire trois remarques préliminaires. Premièrement, le débat porte beaucoup trop sur le risque de politiser le processus de nomination. Cette question est réglée depuis très longtemps. Le processus est politisé. Il est difficile d'imaginer comment il pourrait en être autrement. Les faits indiquent que si les premiers ministres ont effectivement tendance à nommer des gens de leur propre parti, ils sont encore plus décidés à ne nommer personne qui soit membre d'un parti opposé. Les statistiques indiquent qu'il est très rare que des juges qui ont ouvertement pris position pour un parti d'opposition soient nommés à la Cour suprême.

    Deuxièmement, le mot démocratie semble être utilisé de nos jours comme un simple appendice. C'est presque un gros mot de nos jours. La démocratie est une notion importante et pas uniquement parce qu'elle permet d'obtenir de meilleurs résultats; ce n'est pas uniquement un moyen. La démocratie est une valeur en soi. Pour moi, la démocratie passe par la participation et la transparence et un processus qui se déroule derrière des portes fermées et qui permet d'échafauder des hypothèses sur ce qui se passe vraiment n'est pas du tout conforme à nos traditions et à nos aspirations démocratiques. Il serait donc très souhaitable d'adopter un processus plus transparent.

    Troisièmement, et c'est peut-être là l'essentiel, il me semble important de tenir compte du rôle des juges. Nous aimerions beaucoup que les juges fassent leur travail de façon automatique, mais ce n'est qu'un voeu pieux. Le fait est, et mes collègues semblent être d'accord avec moi sur ce point, que les valeurs et les idées politiques font partie intégrante de la personnalité du juge, en particulier au niveau de la Cour suprême du Canada. Il n'est plus réaliste de considérer un juge comme un automate, comme un technicien qui n'est pas influencé par les valeurs et les idées politiques. Lorsque je pense aux bons juges qui ont siégé à la Cour suprême, et c'est bien ceux-là que nous voulons choisir, il me semble que, si nous pensons aux bons juges ou aux grands juges canadiens, nous nous apercevrons que si ces juges ont été grands, ce n'est pas malgré leurs valeurs et les engagements qu'ils avaient pris dans leur vie mais en grande partie à cause de ces engagements et de ces valeurs. Chacun peut établir sa propre liste d'excellence pour ces juges, mais c'est habituellement à cause et non pas malgré les valeurs qui les animaient qu'ils seraient choisis.

    Il me paraît donc important de reconnaître que les juges s'appuient sur des valeurs, que le droit ne s'applique jamais de façon parfaitement automatique et qu'il doit être interprété par les personnes à qui ce pouvoir est confié. Il est donc important de bien connaître les personnes que nous nommons, puisqu'un homme averti en vaut deux. Il me paraît tout à fait faux de penser que nous pouvons faire l'économie d'un débat sur les valeurs en évitant de poser des questions, cela est particulièrement vrai dans une démocratie.

    Lorsque je dis que le droit et la justice sont liés aux valeurs, cela ne veut pas dire que je pense que les tribunaux doivent fonctionner comme des organes politiques, comme l'est la Chambre des communes. Il est important de préserver l'indépendance de la magistrature, comme mon collègue l'a suggéré, et il existe actuellement de nombreux mécanismes qui protègent les tribunaux de toute intervention de la part du pouvoir législatif ou exécutif. Il me paraît toutefois que, si l'on veut accorder ce genre de pouvoir à des personnes pour qu'elles puissent décider librement en fonction de leurs propres valeurs, il est encore plus important de connaître ces valeurs avant qu'elles n'assument ces responsabilités. Nous voulons des personnes de mérite, et cela veut dire qu'il faut examiner non seulement leurs connaissances juridiques, mais également leurs valeurs. Si nous voulons choisir les meilleurs candidats, il faut d'abord bien les connaître. J'ai du mal à imaginer qu'un processus qui ne porte pas sur la question des engagements et des valeurs pourrait permettre de choisir le meilleur juge. Si c'était le cas, ce serait plutôt par hasard.

Á  +-(1125)  

    Quelle serait ma solution préférée? Comme je l'ai dit, à peu près tout sauf ce que nous avons actuellement. J'ai tendance à faire preuve de pragmatisme dans ce genre de situation et je partage la plupart des idées de mes collègues au sujet des commissions. Je serais favorable à une commission composée un peu différemment de celle que proposait mon collègue, M. McCormick. J'aimerais que cette commission comprenne des juges, des politiciens et de simples citoyens. Je pense que les citoyens ont un rôle à jouer puisque nous sommes après tout dans une démocratie.

    Je remarque que même au Royaume-Uni, et cela vous donne une indication du pays d'où je viens, on envisage de procéder à des réformes qui placeraient ce pays bien avant le Canada pour ce qui est des principes démocratiques. Je dirais toutefois entre parenthèses qu'il est quelque peu paradoxal que ces réformes aient été bloquées par la Chambre des lords. Cela me paraît paradoxal parce qu'une tentative de démocratiser le processus a été stoppée par une institution profondément antidémocratique. Je pense toutefois que nous devrions devancer le gouvernement britannique et reconnaître qu'il nous faut un processus beaucoup plus transparent et démocratique.

    Je partage également le point de vue de mes collègues au sujet de la nécessité de limiter la durée du mandat des juges de la Cour suprême.

    J'aimerais pour terminer vous inviter à ne pas trop vous préoccuper de ce qui se passe au sud de la frontière. Certains craignent que l'on introduise au Canada le système des audiences de confirmation qui existe aux États-Unis. Les gens en parlent comme si c'était la décision définitive qui se prenait à ce moment. Je ferai quelques observations à ce sujet. Ces audiences ressemblent à un cirque aux États-Unis, en partie parce que ce sont les États-Unis. Nos traditions sont beaucoup plus discrètes et moins polarisées; je ne vois pas comment un processus de confirmation d'une nomination pourrait fonctionner de cette façon. Deuxièmement, pour les gens qui n'aiment pas ce processus, je leur dirais que ce n'est pas parce qu'on le supprimerait que cela aurait pour effet de dépolitiser le processus utilisé aux États-Unis. Cela aurait uniquement pour effet, comme l'a indiqué M. Morton, de camoufler cet aspect. Je pense que si nous avions un processus plus transparent au Canada, nous l'utiliserions à bon escient et de façon raisonnable.

    L'idée de rendre plus transparent le processus de nomination des juges n'aura pas pour effet de politiser ce processus. Il s'agit en fait de reconnaître que ce processus est de toute façon de nature politique et qu'il faut le traiter de cette façon dans une démocratie. Si nous sommes obligés d'accepter une aristocratie judiciaire, et j'ai mes idées sur cette question, mais nous ne pouvons pas changer le fait que la Cour suprême interprète la Charte et va continuer à le faire pendant des années, il faudrait au moins que cette aristocratie comporte un fort élément de démocratie.

    Merci.

Á  +-(1130)  

+-

    Le président: Merci, monsieur Hutchinson.

    Voilà trois points de vue très intéressants. Je sais que mes collègues ont des questions à poser. Je vais commercer avec des rondes de sept minutes. Je rappelle à mes collègues que nous nous sommes entendus tout à l'heure pour que le président intervienne après trois minutes lorsque le député n'a pas encore posé sa question.

    Monsieur Sorenson.

+-

    M. Kevin Sorenson (Crowfoot, PCC): Merci, monsieur le président.

    Encore une fois, je souhaite la bienvenue à nos témoins. C'est un débat qui a pris de l'importance dernièrement, non seulement à cause des témoins que nous avons entendus, mais à cause du fait que les Canadiens en général commencent à reconnaître que le processus utilisé actuellement pour la nomination des juges, non seulement à la Cour suprême mais à la magistrature en général, fait l'objet d'un examen approfondi, depuis que le gouvernement et l'opposition parlent de déficit démocratique.

    Je ne dirais pas que ce débat s'explique parce que la population n'est pas satisfaite du travail de la magistrature. Je ne pense pas que qui que ce soit ait affirmé que nous avions de mauvais juges. Ce n'est pas la raison pour laquelle nous examinons cette question. Nous voulons toutefois examiner le processus actuel et faire en sorte que nous puissions avoir confiance dans sa qualité.

    J'ai bien aimé ce que l'un d'entre vous a dit, à savoir que peu importait le gouvernement au pouvoir, le processus était de toute façon mauvais. Cet aspect a fait l'objet d'un examen depuis quelques années, avec l'arrivée de la Charte. Nous avons des juges qui sont nommés par des politiciens et qui ont le pouvoir de déclarer invalides des lois qui ont été adoptées par les représentants élus de la population.

    Vous pourriez peut-être dire quelques mots de l'activisme judiciaire. C'est un des aspects dont nous aimerions entendre parler. J'ai une autre question, compte tenu de cet activisme judiciaire, et je sais que vous avez déjà abordé ce sujet, et nous avons tous parlé des comités que l'on pourrait créer pour dresser une liste de candidats, à savoir dans quelle mesure est-ce que l'on peut... Je ne voudrais pas utiliser le mot «interrogatoire», mais poser des questions aux candidats? Si les candidats sont interrogés par les députés, quelles sont les qualités que nous devrions rechercher? Devrait-ce être des qualités qui se rapportent aux décisions que ces personnes ont prises antérieurement? Quelles sont les autres caractéristiques qui devraient jouer un rôle? L'origine ethnique? Le sexe? Ce sont des questions que nous devons nous poser.

    Pensez-vous que la commission ou le conseil qui serait créé devrait comprendre des représentants des organismes autochtones, comme un témoin nous l'a suggéré?

+-

    Le président: Vouliez-vous poser cette question à une personne en particulier?

+-

    M. Kevin Sorenson: Non, n'importe lequel d'entre vous peut y répondre.

+-

    Le président: Cette question s'adresse à tous les témoins.

+-

    M. Allan Hutchinson: Je suis prêt à vous répondre en premier, mais je ne voudrais pas...

+-

    M. Kevin Sorenson: Pour poursuivre sur cette question, je sais que M. McCormick a parlé de cinq juges, de cinq premiers ministres et de cinq membres du comité. Quelles sont les caractéristiques que devraient avoir ces personnes?

+-

    M. Allan Hutchinson: Je serais très heureux de répondre à votre question.

    Je ne pense pas que nous devrions avoir peur de dire qu'il y a de mauvais juges à la Cour suprême du Canada. Bien sûr qu'il y a des mauvais juges à la Cour suprême du Canada. Il y a de mauvais professeurs, de mauvais hommes politiques. Je serais très surpris s'il n'y avait pas de juges médiocres parmi ceux qui siègent à la Cour suprême du Canada. La plupart des gens seraient prêts à mentionner le nom de certains juges qui ont déjà siégé, s'ils n'y siègent pas encore, à la Cour suprême.

    Je ne pense pas qu'il faut être craintif dans ces domaines. Nous vivons dans une démocratie. Il est important que les décisions publiques puissent faire l'objet de vifs débats et de désaccords. Il est vrai que les juges n'aiment pas être critiqués, mais je n'ai jamais compris pourquoi. J'ai du mal à imaginer un poste plus stable que celui de juge à la Cour suprême du Canada. Les juges écrivent des jugements de 100 pages qui contiennent leur opinion, et je me demande pourquoi ils craignent qu'on les critique.

    Il me paraît important que cette cour soit représentative de la société canadienne, si l'on pense que le fait de juger a des aspects politiques, entre autres; je ne pense pas de toute façon que ces juges soient des idéologues. Nous devrions toutefois nous efforcer de renforcer la représentativité de notre Cour suprême. N'oublions pas que, depuis la création de la Cour suprême du Canada, il n'y a eu que quatre femmes, j'espère que je ne me trompe pas, qui ont été nommées juges, et si nous en nommons une autre, elle sera la cinquième; aucune personne de couleur, aucun Autochtone n'a jamais siégé à ce tribunal; il est possible qu'il n'y ait jamais eu de juge ayant une orientation sexuelle différente, c'est pourquoi je pense qu'il faut veiller à ce que la Cour suprême représente différents points de vue. Je ne dis pas cela parce que les gens doivent défendre leur groupe d'origine, mais il me semble que la place qu'une personne occupe dans la société reflète les expériences qu'elle a eues et lui permet de mieux comprendre ce que vivent les autres.

    Les gens s'inquiètent de l'action positive. Il me semble pourtant que cela fait longtemps que nous faisons de l'action positive en faveur des Blancs adultes pour ce tribunal. Il n'y a aucune raison de ne pas chercher à avantager d'autres groupes. Il demeure toutefois certaines réticences lorsque vient le moment de demander aux juges de donner leur point de vue sur différentes questions, en supposant que nous avons adopté un processus qui permette de leur poser des questions. C'est quelque chose que je ne comprends pas.

    Ces gens ont des points de vue, il faut le présumer, sinon, nous ne voudrions pas les nommer juges. S'ils ont des opinions, nous avons droit de les connaître. Il est possible qu'ils changent d'opinion en fonction des affaires qu'ils ont à juger. Il est toujours difficile de savoir comment les idées d'un juge vont influencer l'issue d'une affaire donnée. Je n'hésiterais pas à leur poser des questions à ce sujet.

    Voici une des qualités que je rechercherais, bien entendu, à part la compétence et l'expérience. Ce n'est pas de personnes sans opinions dont nous avons besoin, ce que certains appellent des personnes «neutres», mais des personnes qui ont des opinions, mais qui sont ouvertes à la possibilité d'examiner d'autres opinions, à agir en fonction de leurs opinions et qui ne font pas semblant qu'elles n'en ont pas.

    Les gens changent avec le temps. Il y a d'excellentes biographies de juges canadiens qui étaient, disons, très libéraux, au moment de leur nomination, je pense à Bora Laskin sur ce point, et qui se sont avérés être par la suite des juges très conservateurs. Les qualités d'un juge ne se limitent pas à sa compétence dans le domaine du droit, mais aussi à sa capacité de formuler des opinions, d'écouter les opinions des autres et de respecter les principes dans les affaires difficiles.

    Un dernier point, parce que je crois que j'abuse du microphone, le débat sur l'activisme est, d'après moi, un faux débat. Si toutes les affaires mettent en jeux des valeurs, alors tous les juges sont des activistes. Nous avons tendance à qualifier d'activistes les juges qui prennent des décisions que nous n'aimons pas. Si vous n'aimez pas les décisions d'un juge, il suffit de le qualifier d'activiste; si vous aimez ses décisions, alors vous lui donnerez un autre qualificatif.

    Je demande toujours aux personnes qui critiquent l'activisme ce qu'elles voudraient que je fasse si ce n'est prendre une attitude activiste. Quel est le mode d'emploi magique qui me permettrait de cesser d'être un activiste si j'étais nommé juge? Il est difficile de répondre à cette question.

    Merci.

Á  +-(1135)  

+-

    Le président: Monsieur Morton.

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Eh bien, puisque contrairement à nos habitudes M. Hutchinson et moi sommes d'accord sur ce que nous avons dit plus tôt, je ne serais pas d'accord avec ce qu'il vient de dire.

    Les recherches que j'ai faites, tout comme celles de M. McCormick, et aussi le sens commun, montrent que les juges en arrivent à des conclusions différentes sur les questions qui leur sont soumises, et ils ne parviennent pas à ces conclusions par hasard; ils le font bien souvent de façon très systématique. Cela vient du fait qu'ils adoptent des principes d'interprétation qui sont différents, notamment des principes d'interprétation constitutionnelle. Il y a des juges qui respectent davantage le sens original des textes, ce qui est écrit dans la Constitution, ce qui est écrit dans la Charte, les débats parlementaires portant sur la disposition à interpréter. S'il est clair qu'un certain élément ne figure pas dans la disposition à interpréter, disons qu'il s'agit de l'article 15, alors toutes choses étant égales par ailleurs, les juges ne devraient pas modifier, compléter la Constitution par le biais de l'interprétation. On appelle ce point de vue la méthode interprétative.

    D'autres juges ont une philosophie tout à fait contraire; selon eux, les textes constitutionnels n'ont jamais un sens déterminant, ils sont toujours sujets à interprétation. Il est presque toujours possible d'en arriver à des conclusions contradictoires sur la nature de l'intention initiale ou sur l'idée à la base de la disposition en question, et les juges ont le devoir de combler ces lacunes pour mettre à jour la Constitution.

    Chacune de ces méthodes peut fort bien se justifier. J'ai ma préférence et je crois que M. Hutchinson préfère peut-être une autre méthode que moi. Mais la population canadienne a le droit de savoir quelle est la philosophie constitutionnelle des juges avant qu'ils soient nommés à la Cour suprême. C'est un des grands avantages qu'offrirait la tenue d'audiences publiques par votre comité.

    On parle beaucoup des défenseurs de la Cour suprême actuelle, des décisions qu'elle a rendues depuis une dizaine d'années, on parle beaucoup également de dialogue au sujet de la Charte, de dialogue entre le Parlement et les tribunaux. Je pense qu'on parle davantage de dialogue qu'on ne le pratique, mais nous pensons, je crois, tous les trois qu'il n'y aucune raison de limiter ce dialogue au point de vue du Parlement et à celui de la Cour. Les Canadiens ont également le droit de participer à ce dialogue. La Chambre des communes et votre comité pourraient élargir le débat en tenant des audiences publiques.

    Il y a donc des différences d'approche. Des audiences publiques permettraient de mieux connaître ces différentes approches et renforceraient la démocratie chez nous, tous en amenant le parti qui prend la décision finale à assumer ses responsabilités.

Á  +-(1140)  

+-

    Le président: Monsieur McCormick.

+-

    M. Peter McCormick: Je pourrais peut-être dire quelques mots au sujet de la représentativité de la Cour.

    Il est certes vrai que, depuis quelques dizaines d'années, la composition de la Cour est beaucoup plus diversifiée qu'elle ne l'était auparavant. Il faut bien sûr parler ici de représentation virtuelle, parce qu'il n'y a pas d'électeurs, pas de processus de sélection, et les femmes ne sont pas appelées à choisir les juges de sexe féminin qui vont siéger à ce tribunal. C'est une représentation virtuelle qui est, d'après la théorie politique, la forme de représentation la plus primaire, mais qui joue néanmoins un certain rôle.

    En outre, pour ce qui est de proposer... Il faut toujours éviter d'être trop précis, car cela vous rend très vulnérable, je l'ai appris trop tard. Je pensais à une composition assez souple. Je préférerais ne pas créer un organisme qui serait conçu pour privilégier certains types de juges ou des juges provenant de certains groupes. J'ai délibérément voulu confier à trois organismes différents la responsabilité de choisir ces personnes. Bien sûr, l'avantage du conseil des premiers ministres est que, de nos jours, cela comprend les territoires et qu'habituellement, les premiers ministres des territoires sont des Autochtones. C'est un mécanisme simple qui permet d'assurer cet aspect de la représentativité, si cela est souhaité.

    Je propose un système souple, qui n'est pas conçu pour garantir que les groupes A, B, C, D, E et F seront toujours représentés. C'est une formule qui pourrait être appropriée à un moment donné mais il se pourrait que l'on souhaite modifier la liste par la suite ou qu'une telle commission privilégie un style de décision que l'on pourrait regretter par la suite. C'est pourquoi je préfère préserver une certaine souplesse. Je pense toutefois que, de nos jours, un organisme chargé de nommer des juges ou de présenter des candidats serait sensible aux avantages de la diversité et en tiendrait compte dans ses décisions.

+-

    Le président: Monsieur Marceau.

[Français]

+-

    M. Richard Marceau (Charlesbourg—Jacques-Cartier, BQ): Merci, monsieur le président.

    Je remercie les témoins d'être venus aujourd'hui. Vous avez été tous les trois très sévères à l'endroit du système actuel. Je partage ce sentiment.

    Mon premier commentaire s'adresse au professeur McCormick. Vous avez dit que l'élément fédéral du processus de nomination avait été absent de la discussion. Je vous assure qu'au contraire, il a été très présent, du moins dans mon esprit et dans celui de mes collègues de ce côté-ci de la table, au cours des discussions.

    Ma première question porte sur le caractère public des audiences que vous suggérez, professeur Morton. Si on adopte un processus public, est-ce que, selon vous, il y a des questions qui ne devraient pas être posées et des enjeux qui ne devraient pas être touchés? Si oui, comment peut-on contrôler cela? Sinon, n'avez-vous pas peur que cela se transforme en une chasse aux sorcières?

[Traduction]

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Il y a évidemment une question que l'on ne peut pas poser à un candidat éventuel ou à un juge de la Cour, c'est de savoir comment il se prononcerait dans une affaire soumise à la Cour ou qui le sera bientôt.

    Il est par contre tout à fait légitime de lui demander ce qu'il pense de la décision qu'a prononcée la Cour dans telle ou telle affaire.

    Qu'est-ce qui serait un bon exemple? Quelle est l'affaire constitutionnelle qui...

[Français]

+-

    M. Richard Marceau: Je pense au mariage de conjoints de même sexe, par exemple. Si on adoptait votre processus d'audiences publiques pour remplir les deux postes à la Cour suprême, est-ce que ce comité public pourrait demander au juge ou à la juge s'il croit que les conjoints de même sexe devraient pouvoir se marier?

Á  +-(1145)  

[Traduction]

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Nous savons que cette question va être examinée par la Cour et c'est donc le genre de question directe qu'il ne faut pas poser et à laquelle aucun candidat ne pourrait ou ne devrait répondre.

    Vous pourriez poser des questions sur l'importance que revêt pour le candidat le fait que les débats parlementaires indiquent que l'orientation sexuelle a été intentionnellement laissée de côté du texte de l'article 15 lorsqu'il a été rédigé en 1980-1981, ou lui demander ce qu'il pense des réparations accordées dans l'affaire Vriend, une affaire albertaine. La réparation qu'a accordée la Cour a soulevé un vif débat, parce que celle-ci a interprété les lois de l'Alberta, ou leur a donné un sens nouveau, alors que le gouvernement de l'Alberta avait examiné à trois reprises la possibilité de modifier les dispositions en question et s'en était abstenu.

    Avec ce genre de question, des questions rétrospectives, il est possible de tirer quelques conclusions générales sur ce que ferait le juge dans une situation donnée.

+-

    M. Allan Hutchinson: Je vais répéter ce que j'ai déjà dit. Je ne partage pas ces réticences, ni l'idée qu'il faut prendre beaucoup de précautions avec ces personnes. Si l'on met sur pied un processus de ce genre, il faut reconnaître que l'aboutissement du processus aura pour effet de donner à ces personnes un pouvoir considérable. Je ne comprends pas très bien pourquoi nous nous inquiétons du genre de questions que l'on pourrait leur poser.

    Je reconnais que leur poser des questions au sujet d'affaires précises qui sont sur le point d'être tranchées soulève des problèmes. Mais il me paraît important de pouvoir leur poser n'importe quelle autre question. Il faut présumer que ces personnes ont des opinions. Elles vont nécessairement se baser sur ces opinions pour rendre leurs décisions.

[Français]

+-

    M. Richard Marceau: Prenons l'exemple de l'avortement, qui est si évident. Pourrais-je demander à M. le juge ou Mme la juge potentiel quel est son point de vue sur l'avortement, ou si la vie commence à la conception ou à la naissance? Serait-ce le genre de questions que l'on pourrait poser à un tel juge?

[Traduction]

+-

    M. Allan Hutchinson: D'après moi, vous pouvez poser n'importe quelle question; ce qui est important, c'est de savoir si ces personnes y répondront, et l'importance que nous accorderons à leurs réponses. Par exemple, supposons que je sois très favorable à l'avortement. Je demeurerais favorable à l'avortement même dans l'hypothèse où vous voudriez me nommer à la Cour suprême. Le fait est que j'ai une opinion. Il me semble idiot de vouloir nommer des gens qui n'ont pas d'opinion sur l'avortement ou de prétendre qu'ils ont une opinion mais qu'il est préférable de ne pas la connaître. Je ne comprends pas non plus cette attitude dans un pays démocratique.

    Il me semble pourtant que les bonnes réponses... Il y a des questions détaillées qui ne me concernent pas beaucoup comme juge. Comme juge, je dois me prononcer conformément à la Constitution. Certaines de ces questions ont déjà été tranchées. Il arrive qu'elles soient soumises à nouveau à la Cour. J'écouterais les arguments, mais je serais tenu de suivre les décisions qui ont déjà été prises. C'est, d'après moi, la bonne façon de procéder.

    Je ne vois pas très bien ce qui nous dérange dans ces questions, étant donné que ces personnes ont le pouvoir, comme vos collègues l'ont dit, d'annuler des dispositions législatives et des décisions prises par les élus du peuple. Il me semble raisonnable de vouloir savoir ces choses-là.

    On pourrait prendre comme exemple Bertha Wilson, qui a été la première femme nommée juge de la Cour suprême. Elle a rendu un jugement très important au sujet de l'avortement dans l'affaire Morgentaler. Il aurait été important de connaître quelles étaient ses opinions à ce sujet avant sa nomination. Elle avait des opinions ou elle n'en avait pas; mais le fait de ne pas l'interroger à ce sujet ne saurait modifier le fait qu'elle en avait ou qu'elle n'en avait pas.

    Tout semble venir de l'idée qu'il ne faut pas trop bousculer la Cour suprême, parce que si nous le faisions, elle s'écroulerait. Il me paraît sain de considérer que la Cour suprême est composée de neuf personnes qui essaient de faire un travail difficile dans des circonstances difficiles; cette façon de voir est bonne pour la démocratie.

+-

    M. Peter McCormick: Concrètement, le fait que la plupart des juges de la Cour suprême du Canada ont siégé longtemps comme juges des cours d'appel fédérale ou provinciales veut dire que l'on peut obtenir les réponses à une bonne partie des questions que l'on pourrait se poser à leur sujet. Il faudrait faire une recherche qui serait peut-être un peu lassante, mais ces personnes ont prononcé des décisions, des jugements; elles ont expliqué leur philosophie juridique et politique et leurs priorités de façon détaillée pendant cinq, 10 ou 15 ans. Il est donc possible d'apprendre beaucoup de choses à leur sujet.

    Sur l'essentiel, je suis d'accord avec mes collègues. L'idée de vouloir défendre ces pauvres juges contre les gens qui leur posent des questions difficiles me paraît irréaliste. Si ces candidats ne sont pas capables de résister à ce genre de pression, il est préférable de le savoir avant qu'après.

Á  +-(1150)  

+-

    Le président: Le temps consacré aux questions est écoulé, mais je vais demander à M. Morton de vous fournir une brève réponse.

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Ce sont en fait de brèves observations.

    Si un juge annonçait à l'avance quelle serait sa position dans une affaire en cours, il devrait se récuser et ne pas entendre l'affaire, parce que les parties doivent être convaincues que tous les juges sont disposés à examiner l'affaire sans idées préconçues. Voilà qui répond à une de vos questions.

    Pour ce qui est des valeurs des juges, ce dont parlait M. Hutchinson, il est évident que les juges ont des opinions sur l'avortement ou sur les droits des homosexuels, par exemple, mais la plupart des juges ont également ce que j'ai appelé une philosophie constitutionnelle ou une théorie de l'interprétation judiciaire. Il est fort possible qu'un juge affirme être contre l'avortement ou que pour lui la vie commence au moment de la conception mais qu'il constate qu'on a tenté de garantir le droit à la vie d'un foetus dans la Charte en 1980-1981 et que cette tentative a échoué; par conséquent, même si je suis contre l'avortement, je ne choisirais pas des juges qui sont prêts à modifier la Constitution en fonction de leurs préférences personnelles.

    Il ne s'agit pas seulement de savoir quelle est l'opinion d'un juge sur telle ou telle question, mais surtout de connaître leur conception du rôle du juge, par exemple, en matière d'interprétation constitutionnelle.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Nystrom, vous avez sept minutes.

+-

    L'hon. Lorne Nystrom (Regina—Qu'Appelle, NPD): Je vais poursuivre sur ce sujet. Vous avez parlé de Bertha Wilson mais elle n'a pas pris la décision toute seule, il y avait plusieurs autres juges et certains d'entre eux étaient peut-être ce que vous appelez «pro-vie», qui est aussi une expression que je conteste, je le signale en passant.

+-

    M. Allan Hutchinson: Ce n'est pas moi qui ai utilisé le terme «pro-vie», je vous le signale.

+-

    L'hon. Lorne Nystrom: Non, mais M. Morton a utilisé l'expression «pro-vie» et, pour reprendre cette expression, que je conteste vivement, il y a peut-être eu des juges qui avaient d'autres points de vue et qui ont également participé à cette décision.

    Je me demande en fait si les juges prononcent leurs décisions sans se préoccuper des aspects juridiques, et qu'ils arrivent à leurs décisions parce qu'ils ont des idées préconçues sur ce qu'elles devraient être. Il me semble que la plupart des décisions sont fondées sur les analyses juridiques des juges.

    J'ai participé aux discussions constitutionnelles en 1980-1981, parce que j'étais un critique à cette époque-là. Vous avez parlé d'un amendement pro-vie. Nous étions deux à avoir proposé un amendement sur l'égalité en matière d'orientation sexuelle à cette époque également et il a été refusé par la majorité du comité, le procès-verbal le montrerait.

    Quoi qu'il en soit, avez-vous des commentaires sur ce point?

+-

    M. Allan Hutchinson: Je veux être clair. Je pense que les politiques, les aspects politiques, les valeurs font inévitablement partie de l'opération qui consiste à juger, mais je ne veux pas dire par là que juger revient simplement à décider ce qu'on veut ou ce qu'on ne veut pas.

    Il faut évidemment présenter les arguments selon les règles existantes mais j'estime, et c'est ce que je crois montre la Cour suprême du Canada, que les juges arrivent à des décisions complètement contradictoires. Il leur arrive d'avoir des positions tout à fait opposées. J'estime que c'est parce qu'ils ont des principes particuliers lorsqu'ils interprètent le droit, ce qui me paraît important, mais il est également important de se demander pourquoi il y a si peu de juges qui rendent des décisions en affirmant «je suis tout à fait en désaccord avec le résultat, mais c'est celui que le droit exige». Je n'ai pas vu beaucoup de jugements de la Cour suprême du Canada où on pouvait lire quelque chose de ce genre.

    Il faut donc se demander si c'est vraiment une coïncidence que les juges semblent être d'accord avec ce qu'ils écrivent et approuver les résultats auxquels ils arrivent. Je crois que ce n'est pas le cas, parce qu'il est impossible de séparer l'analyse juridique des opinions du juge. Les personnalités diffèrent, mais l'analyse du droit est toujours influencée par les valeurs particulières du juge qui l'effectue.

+-

    L'hon. Lorne Nystrom: J'aimerais revenir sur un commentaire que vous avez fait, et que peut-être d'autres ont fait également, selon lequel il est possible de poser à peu près n'importe quelle question au candidat à un poste de juge qui est interrogé par un comité, cela me rappelle le cas de Clarence Thomas. Pensez-vous vraiment qu'il est possible de poser des questions personnelles?

+-

    M. Allan Hutchinson: Il me semble...

+-

    L'hon. Lorne Nystrom: Y a-t-il une limite à ne pas dépasser et où doit-elle être tracée?

+-

    M. Allan Hutchinson: Je pense qu'il y a une limite à ne pas dépasser, tout d'abord... Si l'on pense à un comité qui veut bien faire son travail, il est certain qu'il aura une raison pour souhaiter poser certaines questions.

Á  +-(1155)  

+-

    L'hon. Lorne Nystrom: Et si l'on mentionne la marijuana: «Avez-vous déjà fumé de la marijuana? Fumez-vous encore de la marijuana?»

+-

    M. Allan Hutchinson: Bien sûr, si le comité pense que cela est pertinent... Je pense que l'on peut poser d'autres questions si l'on veut troubler la personne interrogée ou la discréditer, et cela peut arriver devant n'importe quel comité. Si on lance une chasse aux sorcières, il y a beaucoup de gens qui en souffriront, mais si les membres d'un tel comité posent des questions parce qu'ils estiment qu'elles sont importantes, alors je pense qu'il est normal de les poser.

+-

    L'hon. Lorne Nystrom: Y a-t-il d'autres points de vue?

+-

    M. Peter McCormick: Nous parlons essentiellement d'un organisme comme le vôtre.

    Vous me placez dans une position difficile. C'est vous qui suggérez que les membres de ce comité pourraient aller jusqu'à poser des questions qui nous paraîtraient irresponsables, et c'est moi le professeur naïf qui est en train de vous dire que vous êtes des représentants élus, que vous exercez très sérieusement les attributions du comité, que vous avez des valeurs personnelles qui vous tiennent à coeur et des principes politiques qui vous sont chers, que vous êtes également membres d'un parti politique. Tout cela fait partie de vous et vous traitez les gens comme nous de façon responsable et courtoise, dans un but d'intérêt public. Je ne pense pas que cela changerait.

    Vous ne seriez peut-être pas tous d'accord sur le genre de questions qu'il est approprié de poser dans le cas hypothétique où le candidat à un poste de juge à la Cour suprême serait contre-interrogé, mais vous savez tous qu'il y a des limites et j'imagine que vous en parleriez entre vous, en donnant au président le pouvoir de faire respecter les limites sur lesquelles vous vous seriez entendus.

    Nous reconnaissons tous qu'il y a des limites. Je ne vais même pas essayer de vous donner des exemples, parce que cela serait choquant. Il y a des questions qu'aucun d'entre vous ne penserait jamais poser à un candidat à la Cour suprême. Il y en a d'autres qui vous paraîtrait peut-être des cas limites, mais qui mériteraient d'être posées alors que la personne à côté de vous pourrait fort bien penser que vous allez trop loin. C'est un aspect que votre comité devra régler progressivement.

+-

    L'hon. Lorne Nystrom: J'ai posé cette question parce que ce qui me paraît approprié pourrait fort bien ne pas vous paraître approprié à vous, et vice versa.

    Monsieur Morton.

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Évidemment, les questions qui constituent des propos diffamatoires devraient être exclues. Je me demande toutefois comment les éviter. Je crois que je suis d'accord avec Peter McCormick; c'est une question de mesure et de prudence de la part des membres du comité.

    Il y a deux choses et je crois que Allan en a parlé plus tôt. Je pense que la Chambre des communes ne se comporterait pas comme le comité judiciaire du Sénat. Il y a des différences de style et de tradition, notamment. Ce n'est pas parce que cela arrive à Washington que cela devrait se produire ici.

    Je rappellerais également que la nomination de Clarence Thomas et, dans une certaine mesure, celle de Bork, constituent des exceptions dans l'histoire de la nomination des juges à la Cour suprême des États-Unis. Ces nominations ont toujours comporté un aspect politique et suscitent parfois des conflits entre le Sénat et le président, mais elles n'ont jamais débouché sur la situation qui existe actuellement. Ce qui se passe en ce moment au sud de la frontière est en fait une anomalie et une exception, même dans le contexte de l'histoire des États-Unis.

    Un des plus grands juges libéraux qui ait jamais été nommé à la Cour suprême, Benjamin Cardozo, de la Cour suprême du comté de New York, a été nommé par Herbert Hoover en 1930 ou 1931, avant que ce dernier ne soit évincé par Franklin D. Roosevelt et que les démocrates prennent le pouvoir. Cette nomination n'a pratiquement suscité aucune opposition de la part des membres du Sénat.

+-

    L'hon. Lorne Nystrom: J'aimerais demander aux témoins comment vous définissez l'expression activisme judiciaire et qu'entendez-vous par là? Nous entendons souvent cette expression. Une des raisons pour lesquelles les tribunaux sont plus fréquemment appelés à se prononcer sur des questions d'orientation générale est que nous avons une charte, de sorte que, par définition, les juges doivent rendre des décisions qu'ils n'auraient pas eu à rendre avant 1980-1981. Dans ce contexte, que voulez-vous dire exactement par activisme judiciaire?

    Je vais poser une dernière question, monsieur le président. Je pense que M. Hutchinson a mentionné qu'à l'heure actuelle, le processus est politisé. Que voulez-vous dire par là?

    Quelqu'un veut-il faire des commentaires sur l'activisme judiciaire et sur la politisation du processus actuel? Oui ou non et dans quelle mesure?

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: L'expression activisme judiciaire est utilisée de deux façons très différentes, qui malheureusement peuvent se traduire par des approches tout à fait opposées. Dans son sens premier et le plus simple, on parle d'activisme judiciaire pour décrire la fréquence avec laquelle un tribunal annule des choix politiques effectués par une assemblée législative élue. Lorsqu'un tribunal ou un juge annule fréquemment des lois, on peut parler d'activisme judiciaire.

    Dans un deuxième sens plus complexe, et sur certains points plus important, l'activisme fait référence à ce que j'ai appelé le genre d'interprétation constitutionnelle qu'utilise un juge, et la mesure dans laquelle celui-ci se considère obligé de respecter le sens original, tel qu'il le comprend, d'un droit ou d'une disposition constitutionnelle, ou la mesure dans laquelle le juge se sent libre de lui attribuer un sens nouveau, et en fait de modifier ce qui paraissait être le sens initial.

    Prenons la question des juges et de la liberté de parole et de la presse. On pourrait penser qu'un juge qui est activiste dans le sens où il est prêt à modifier le sens d'une disposition constitutionnelle serait également activiste, dans le sens qu'il invaliderait facilement des dispositions législatives. Cela est vrai dans certains domaines, comme les affaires concernant les droits des homosexuels. La Cour a ajouté le critère de l'orientation sexuelle à l'article 15 en interprétant la Constitution, en faisant de l'interprétation judiciaire. Par son interprétation, la Cour a essentiellement modifié l'article 15 et, ce faisant, elle a invalidé des lois de l'Alberta, de l'Ontario et du Canada.

    On aurait pu également penser, d'après les affaires portant sur la liberté de parole, que ce droit, reconnu en 1982, aurait pu protéger les critiques adressées aux politiques gouvernementales. Et pourtant, les modifications apportées à la Loi électorale du Canada à partir de 1982 ou 1984 ont commencé à interdire la publicité payée par des tiers dans le contexte des élections fédérales. C'est pourtant là une restriction assez grave à la liberté de parole, sur le plan politique.

    Sur le plan politique, on considère habituellement que la liberté de parole est la liberté la plus importante ou la plus essentielle. Et pourtant, la Cour, ou du moins certains juges de cette Cour, ont eu tendance à écarter une définition absolue de la liberté de parole qui aurait permis d'annuler cette loi pour retenir une conception relative, permettant d'apporter des nuances à la notion de liberté de parole et à justifier ce genre de restriction. Dans ce cas-ci, l'interprétation activiste de la liberté de parole a en fait débouché sur la confirmation de la validité d'une loi. Ce sont donc deux choses différentes.

  +-(1200)  

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur DeVillers.

+-

    L'hon. Paul DeVillers (Simcoe-Nord, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Je vais commencer par dire que je ne suis pas d'accord avec M. McCormick lorsqu'il affirme que la précision rend vulnérable. Je pense que c'est tout à fait le contraire. Je suis heureux que vous ayez fourni tous ces renseignements au comité et je pense que cela répond à la plupart de mes questions, sauf une.

    Lorsque vous parlez de majorité renforcée, exigez-vous autre chose qu'une majorité simple? Est-ce bien là le sens de cette expression?

+-

    M. Peter McCormick: Oui.

+-

    L'hon. Paul DeVillers: Très bien. Merci.

    Je m'adresse à votre groupe; nous avons des témoins qui nous ont affirmé que c'était là une question fort complexe, étant donné que les possibilités étaient très nombreuses et que la composition d'une commission ou d'un comité chargé d'examiner les nominations, que cela se fasse au début ou à la fin, sous forme de confirmation, etc. Ils nous ont invités à prendre notre temps.

    Vous savez fort bien qu'il y aura bientôt deux postes vacants à la Cour suprême. J'aimerais que vous nous disiez si vous pensez qu'il serait préférable d'adopter rapidement un mécanisme que l'on pourrait appliquer immédiatement à la prochaine ronde de nominations, et qui sait, il pourrait peut-être y en avoir une autre d'ici quatre ou cinq ans, et de prendre ensuite le temps d'élaborer une solution mieux conçue et qui bénéficierait de l'expérience acquise. Comment réagissez-vous à cette suggestion?

+-

    M. Peter McCormick: Premièrement, il est évidemment impossible de prédire avec exactitude à quel moment il y aura des postes vacants à la Cour suprême. Nous en avons deux que personne n'avait prévus, ce qui montre très bien la justesse de cette remarque.

    Nous ne parlons pas ici de modification constitutionnelle. C'est un aspect du problème. Le processus de nomination des juges de la Cour suprême n'est pas prévu par la Constitution de sorte que nous pouvons le modifier à notre guise. L'essentiel, d'après moi, serait de ne pas tarder mais de commencer à modifier certaines choses le plus rapidement possible pour voir les résultats que l'on obtient et pour vérifier s'il est possible de s'entendre sur un nouveau processus qui soit satisfaisant.

    Je reconnais que pratiquement n'importe quoi sera meilleur qu'un appel téléphonique et un communiqué de presse. Je suis d'accord avec mes collègues sur ce point. Si l'on voulait concevoir le pire processus de nomination à la principale instance judiciaire du pays, on choisirait celui qui existe actuellement. Vous risquez, en n'agissant pas immédiatement, de laisser passer une occasion.

    Vous aurez une autre chance d'agir lorsque Major prendra sa retraite. D'ici deux ans, il y aura un autre poste vacant. Après cela, je crois qu'il faudra attendre un peu. Il serait décevant de voir qu'on se contente de parler de réforme, en se disant que de toute façon il faudra attendre dix ans pour en voir les effets; ce serait une façon bien décevante de réagir à la possibilité d'introduire un changement important qui permettrait de remédier, et là je vais utiliser le terme à la mode, au déficit démocratique.

  +-(1205)  

+-

    M. Allan Hutchinson: Il y a un bon conseil que je n'ai pas suivi dans ma vie, le voici: «agissez avec précipitation, vous aurez toujours le temps de le regretter après».

    Je ne sais pas trop quoi vous répondre sur ce point. J'aimerais vous suggérer de suivre la voie que vous propose M. McCormick, mais je crains que, si vous faites un choix, vous ne puissiez peut-être pas le modifier plus tard. Si vous mettez en place un mécanisme temporaire, il se pourrait que ce mécanisme devienne définitif.

    Je ne sais pas très bien ce que dirait à ce sujet un pragmatiste. C'est une décision que vous devez prendre. Si vous pensez pouvoir prendre certaines mesures maintenant sans bloquer les choses pour l'avenir, alors c'est ce que je vous suggérerais de faire. Si vous pensez par contre que vous n'aurez qu'une occasion de mettre en place un nouveau processus, alors je ne m'obligerais pas à le mettre sur pied dans les deux mois qui viennent, puisque la nomination doit être faite avant le 1er juillet.

    J'aurais tendance à penser que, si vous voulez vraiment faire quelque chose à ce sujet, vous devriez mettre en place soit un processus temporaire qui est clairement temporaire ou alors attendre et mettre sur pied un processus plus complet, auquel devraient non seulement participer la Cour suprême du Canada mais également, d'une façon plus générale, les juges nommés par le gouvernement fédéral.

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Il me semble qu'il serait prudent de prévoir deux étapes à cause de la nécessité de procéder à des nominations et du fait que deux postes seront bientôt vacants. Il me semble que le comité pourrait fort bien recommander, en particulier s'il était unanime, au premier ministre de tenir des audiences parlementaires publiques, par le biais de votre comité, lorsque le premier ministre aura choisi les deux nouveaux juges.

    Cela offrirait notamment l'avantage de bien montrer à tous ceux qui soutiennent que ces audiences ne servent à rien qu'ils sont dans l'erreur. Je pense que votre comité pourrait facilement prouver le contraire, et montrer qu'une audience publique au Canada ne ressemble pas nécessairement aux audiences du comité qui a entendu Bork ou Thomas à Washington.

    Cela pourrait être la première mesure que vous pourriez prendre au cours des trois prochains mois, tandis que les autres types de mécanisme que vous examinez exigeraient qu'on y consacre davantage de temps, de réflexion et de consultations.

+-

    L'hon. Paul DeVillers: Pour ce qui est des audiences publiques, quel est le degré de publicité que les travaux du comité devraient avoir? Faudra-t-il tenir les audiences à huis clos, pour les réviser ensuite avant de présenter les recommandations? Devrait-on tenir des audiences publiques auxquelles la presse aurait accès, etc.?

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: En fait, j'ai montré la semaine dernière à une de mes classes les enregistrements vidéo qui montraient pratiquement l'intégralité de l'audience de nomination de Bork. Je serais très heureux d'envoyer des copies de cet enregistrement au comité. Cela vous permettrait, je crois, de constater que cette audience a en fait pris la forme d'un cours public de droit constitutionnel, auquel je crois que la plupart d'entre vous auraient aimé assister, et c'est pourquoi j'estime qu'il est très important que ce genre d'audience soit télévisée.

+-

    M. Allan Hutchinson: Je partage ce point de vue.

+-

    M. Peter McCormick: Lorsqu'il s'agit de confirmation, oui, mais dans le cas d'une commission qui élimine progressivement les noms d'une longue liste de candidats pour n'en retenir que quelques-uns, je ne pense pas qu'il serait utile de faire cela devant les caméras et de le diffuser. Tout d'abord, ce serait sans doute l'émission la plus ennuyeuse que l'on puisse imaginer, mais il pourrait y avoir des moments qui seraient extrêmement embarrassants, en particulier s'ils étaient pris hors contexte. Cela me paraît très dangereux.

+-

    Le président: Oui, monsieur Morton.

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Je suis d'accord avec M. McCormick. Les audiences publiques et la télévision devraient intervenir à la fin du processus, à l'étape de la confirmation.

+-

    L'hon. Paul DeVillers: Et sur cette question, la différence entre la mise en candidature ou la confirmation, je pense que M. McCormick décrit ces deux possibilités dans sa proposition, mais quel devrait être d'après vous le rôle de la commission? Devrait-elle s'attacher principalement à proposer des candidats, en partant d'une liste de candidats possibles, ou intervenir plutôt vers la fin, pour confirmer le choix fait par le premier ministre ou une autre personne selon le système actuel?

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Est-ce que la proposition de M. McCormick prévoit qu'une liste de cinq personnes serait transmise au premier ministre et qu'ensuite, seule la personne choisie par le premier ministre serait examinée par le comité?

+-

    M. Peter McCormick: Oui, c'est ma suggestion.

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Vous demandez s'il faudrait que tous les cinq...

+-

    L'hon. Paul DeVillers: Êtes-vous favorable à la proposition selon laquelle les cinq candidats arriveraient tous à l'étape finale?

  +-(1210)  

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Je pense qu'avoir cinq candidats introduirait une grande confusion.

    J'aimerais prendre l'occasion de dire que je pense à deux types de commissions chargées de présenter des candidats qui sont tout à fait différents. J'aime bien le modèle qu'a proposé M. McCormick, mais pas du tout ceux qu'ont proposés mes excellents amis Peter Russell et Jacob Ziegel, dans lesquels le choix des candidats serait «dépolitisé» puisque le comité chargé de faire ce choix serait principalement composé de juges et d'avocats.

    Il est impossible de dépolitiser le pouvoir. De la même façon que le système actuel n'a pas pour effet de dépolitiser le processus, mais plutôt celui de dissimuler le jeu politique, de nombreux États américains ont essayé ce que j'appelle le processus de sélection en fonction du mérite, ou le plan Missouri. Les spécialistes des sciences politiques, comme moi, ont étudié cette expérience de façon approfondie. Cela a simplement pour effet d'amener les forces politiques à s'exprimer ailleurs. C'est presque aussi mauvais que le jeu des forces politiques dans une université.

    L'avantage que je vois dans la proposition de M. McCormick est qu'avec cinq candidats et un comité de candidatures composé de groupes aussi divers que les premiers ministres, les membres du comité, des juges, combiné à l'exigence d'une majorité renforcée, qui pourrait s'appuyer sur l'étude que j'ai faite des majorités renforcées exigées pour les nominations judiciaires en Europe, cela voudrait dire que, sur une liste de cinq candidats, il faudrait faire des compromis. Le premier ministre recevrait une liste de candidats très variés. Cela est une bonne chose. C'est même excellent. Le premier ministre pourrait ensuite choisir celui ou celle qu'il préfère et cette personne aurait alors à défendre ses opinions devant le comité.

    Un tel système préserve la responsabilité politique et laisse jouer au grand jour les différents intérêts politiques, alors qu'avec le type de comité que propose mes amis Russell et Ziegel, il me semble que la dépolitisation du processus, bien qu'attrayante en principe, ne fonctionnerait pas en pratique.

+-

    Le président: Merci.

    Nous allons maintenant passer à des rondes de trois minutes.

    Monsieur Cadman.

+-

    M. Chuck Cadman (Surrey-Nord, PCC): Merci, monsieur le président.

    Pour ce qui est des questions, je pense que la plupart des gens accepteraient qu'il faut imposer certaines limites en matière d'examen des candidats, mais je me demande si vous avez des idées ou pourriez nous fournir des conseils sur le genre de questions que l'on pourrait poser. Quels sont les principaux sujets sur lesquels le comité devrait interroger le candidat?

    Vous avez parlé de la façon dont le juge conçoit son rôle sur le plan constitutionnel. Y a-t-il d'autres sujets que le comité devrait, d'après vous, aborder? Suffirait-il de poser des questions, ou devrait-on examiner certains points essentiels?

+-

    M. Peter McCormick: Eh bien, très brièvement, il y a un genre de question qui ne devrait pas être posé; on ne devrait pas demander au candidat comment il aurait voté dans une affaire donnée ou comment il voterait dans un cas hypothétique. Je pense que toutes les questions qui chercheraient à savoir comment le candidat aurait voté ne devraient pas pouvoir être posées.

+-

    M. Allan Hutchinson: On peut penser que ces candidats ne seraient pas totalement des inconnus, comme M. McCormick l'a dit. La plupart d'entre eux seraient des juges. La plupart d'entre eux auraient rédigé des motifs de jugement. On peut penser qu'ils auraient été choisis à cause de leurs décisions antérieures. Il me paraît raisonnable d'aborder ce genre de questions.

    Encore une fois, je dois dire que je ne vois pas vraiment pourquoi nous devrions prendre autant de précautions au sujet de ces questions. Nous pouvons leur demander ce que nous voulons. Bien souvent, les juges vont éviter ce genre de questions, comme le font les politiciens. Éviter de répondre à une question est un art et les gens devront décider ce qu'ils veulent faire.

    Là encore, je ne vois pas très bien pourquoi nous devrions être aussi circonspects dans ce genre de situation. La plupart de ces choses sont, d'après moi, publiques. Je suis d'accord avec ce qu'a dit M. McCormick. Il ne faudrait sans doute pas poser des questions sur des affaires particulières, mais je dirais qu'en fin de compte, nous allons accorder à ces personnes des pouvoirs considérables, alors il ne faudrait pas trop s'inquiéter.

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: J'irais même peut-être plus loin et je dirais que l'on peut poser des questions au sujet d'affaires déjà tranchées. La plupart des grandes décisions qu'a prononcées la Cour suprême au sujet du fédéralisme et de la Charte ne sont pas unanimes. Manifestement, si un, deux ou plusieurs juges d'une cour ne s'entendent pas sur la façon dont l'affaire doit être tranchée, je pense qu'un autre juge peut prendre parti pour l'un de ces juges sans outrepasser gravement les limites de la raison ou du droit. La Cour elle-même ne s'entend pas sur ces questions.

    Il y a aussi la possibilité de leur demander ce qu'ils pensent du principe du précédent à l'égard des décisions constitutionnelles. C'est une question qui a suscité un débat intéressant. Habituellement, dans les pays de common law comme le nôtre, les juges sont tenus de suivre les précédents, mais certains soutiennent que le droit constitutionnel étant difficile à faire évoluer, il ne faudrait pas que les tribunaux se sentent tenus de suivre les précédents constitutionnels et le droit constitutionnel. Certains répondent à cela que les assemblées législatives peuvent toujours intervenir en ayant recours à la clause nonobstant. C'est donc là une question qui mérite d'être débattue.

    Mais j'aurais une question. Si le comité est amené à interroger un ou plusieurs candidats au cours des deux ou trois prochains mois, j'aimerais que vous posiez une question.

    La juge en chef du Canada a envoyé une lettre à tous les doyens des facultés de droit aux environs du 21 ou du 22 mars 2000. Je serais heureux de vous remettre une copie de cette lettre. Elle mentionne dans cette lettre qu'elle a appris qu'un professeur de droit envoyait des documents non sollicités aux adjoints judiciaires, dont la plupart ont étudié, bien sûr, dans sa faculté de droit, dans lesquels ce professeur propose et analyse des arguments concernant des affaires soumises à la Cour. Elle poursuit en disant que cette façon de procéder est tout à fait inacceptable, que tous ces documents ont été retournés sans avoir été ouverts, et elle demande que les doyens disent à leurs professeurs de cesser une telle pratique.

    Bien entendu, ce genre de pratique n'est pas seulement inapproprié. Elle constitue une communication ex parte et c'est une question grave. Étant donné qu'il a été mentionné que certains anciens professeurs de droit pourraient être candidats à un poste à la Cour suprême, il serait bon de demander à ces personnes si elles ont déjà participé à ce genre de lobbying secret auprès de la Cour.

  +-(1215)  

+-

    Le président: Merci de nous avoir mentionné cela.

    Le temps est écoulé. Cela n'est sans doute pas nécessaire à moins que... Y a-t-il parmi vous quelqu'un qui souhaite obtenir une copie de cette lettre ou pouvons-nous nous contenter d'en prendre note telle que l'a décrite M. Morton? Simplement en prendre note.

    Je vous remercie d'avoir attiré notre attention sur ce point.

+-

    L'hon. Stéphane Dion (Saint-Laurent—Cartierville, Lib.): Nous aimerions en avoir une copie.

+-

    Le président: Vous aimeriez avoir une copie de la lettre envoyée par la Cour suprême.

+-

    L'hon. Stéphane Dion: Oui, dans les deux langues.

+-

    Le président: Est-ce possible, monsieur Morton?

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Je n'ai que la version anglaise de cette lettre. Je maintiens mon offre de vous envoyer des copies des enregistrements vidéo de la nomination de Bork.

+-

    Le président: Monsieur Morton, je tiens à vous dire que vous avez parfaitement le droit de communiquer avec le comité dans la langue officielle de votre choix. Peu importe la langue dans laquelle est rédigée cette lettre; je vous demande de nous l'envoyer, si cela est possible. Nous la distribuerons aux membres du comité.

    Très bien, du côté du gouvernement, j'ai M. Lanctôt, Dio, Torsney, Barnes. Il y aura également une deuxième ronde de questions pour les membres de l'opposition.

    Monsieur Lanctôt.

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt (Châteauguay, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Monsieur Morton, en tant que procureur, je suis inquiet quand je vous entends tenir certains propos. Le public se demandera certainement lui aussi où se situe l'équilibre judiciaire dans tous les cas jugés. Imaginez qu'en dépit de l'ensemble de la preuve soumise durant le procès, le juge en vienne à dire par la suite qu'il a rendu son jugement à cause d'une situation ou d'une valeur personnelle donnée. Il se peut que son procureur ait oublié de présenter un élément de preuve particulier.

    La chose jugée est un des principes les plus fondamentaux de notre société. La démocratie est bien belle, mais elle est aussi très fragile. On peut percevoir, en raison des questions posées au sujet d'un jugement, que le système judiciaire comporte des failles énormes. À mon avis, il doit y avoir des limites, surtout s'il s'agit d'une séance publique. Si vous parliez ici d'une séance à huis clos, dans le cadre d'une commission, je pourrais être d'accord avec vous. En revanche, lorsque vous accordez publiquement un droit d'appel indirect, je trouve cela très dangereux.

    Je ne sais pas comment vous en arrivez à penser que toutes ces questions pourraient être remises en cause. Il s'agit là d'un principe des plus fondamentaux.

[Traduction]

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Vous parlez du projet d'audiences parlementaires télévisées auquel participeraient les candidats à la Cour suprême. Est-ce cela qui vous inquiète, qui risque de saper...

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt: On parle ici de poser publiquement des questions sur des choses jugées.

  +-(1220)  

[Traduction]

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Vous craignez que cela sape le respect que l'on doit avoir pour la magistrature et le principe de légalité.

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt: Oui, à l'égard du système judiciaire.

[Traduction]

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Lorsqu'on aborde ces questions, il y a toujours le risque de confondre les juridictions constitutionnelles et le droit constitutionnel avec tous les autres domaines du droit, droit civil, droit pénal, et droit administratif public. Il est vrai que les tribunaux créent également du droit, par le biais de l'interprétation, dans ces autres domaines. Je pense néanmoins que nous serions tous les trois d'accord pour dire que cela vaut pour le domaine du droit constitutionnel, un domaine qui représentait 5 p. 100 de la charge de la Cour il y a une vingtaine d'années et qui en représente aujourd'hui 25 p. 100, et nous ne parlons pas des autres domaines du droit qui représentent 90 p. 100 de cette charge. C'est surtout en droit constitutionnel, comme l'a dit M. Hutchinson, et je suis d'accord avec lui sur ce point, que l'importance des principes et des règles juridiques cède le pas aux opinions et aux principes personnels qui jouent un plus grand rôle dans l'élaboration des décisions judiciaires. Je ne suis donc pas d'accord avec vous. Je ne vois pas comment cela pourrait saper la confiance dans la magistrature ou dans le rôle que joue la Cour suprême. Nous saurions tout simplement mieux où nous allons. Loin de saper ces valeurs, cela ne pourrait que renforcer la démocratie constitutionnelle.

[Français]

+-

    M. Robert Lanctôt: C'est tout. Je suis néanmoins entièrement en désaccord sur cela.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Marceau, pour trois minutes.

[Français]

+-

    M. Richard Marceau: Merci, monsieur le président.

    Parce qu'à l'heure actuelle, le premier ministre fait plus ou moins cavalier seul pour ce qui est du choix, même s'il procède à certaines consultations, il arrive, lorsqu'on parle des problèmes de division des pouvoirs entre les provinces et le fédéral, qu'on le considère comme juge et partie. Il est le seul à nommer l'arbitre lorsque la Cour suprême doit trancher un problème de juridiction.

    Étant donné que vous semblez vouloir laisser le choix ultime au premier ministre--c'est du moins ce que je comprends--, la liste des candidats potentiels ne devrait-elle pas venir en premier lieu des provinces? Ces dernières pourraient en effet soumettre une liste de candidats à partir de laquelle un comité formé de parlementaires ou de gens de différents horizons pourrait arrêter son choix. De cette façon, les provinces auraient la possibilité d'enclencher le processus en présentant des noms. Qu'en pensez-vous? Je vais poser la question au panel dans son ensemble. Le professeur Morton pourrait commencer.

[Traduction]

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: C'est pour l'essentiel ce que proposait l'Accord du lac Meech. Les gouvernements provinciaux devaient proposer des candidats parmi lesquels le premier ministre effectuait un choix. C'est un des rares aspects de l'Accord du lac Meech que j'aimais, mais il n'a pas été suffisamment important pour que j'appuie l'ensemble de l'accord. Je pense que la commission dont parlait M. McCormick, qui comprendrait cinq premiers ministres, reflète, d'une certaine façon, le but recherché. Comme vous pourriez vous y attendre, je suis tout à fait en faveur de l'idée d'accorder aux provinces un rôle important dans la sélection des juges qui composent la juridiction chargée d'arbitrer les différends entre le gouvernement fédéral et les provinces dans notre système fédéral.

    J'ai assisté au mois de janvier à une conférence à Londres sur le choix des membres de la magistrature en droit comparé. Plusieurs exposés ont porté sur les juridictions internationales, en particulier parce que l'Union européenne a créé plusieurs tribunaux chargés de régler les questions juridiques qui se posent au sein de l'UE. Les États membres nomment les juges qui siègent sur ces tribunaux. Donc, encore une fois, ce n'est pas une particularité canadienne. Il est donc courant que dans les régimes fédéraux ou quasi fédéraux, les États membres participent à la nomination des juges qui composent la juridiction chargée d'arbitrer les litiges entre l'instance nationale et les instances de niveau inférieur.

  +-(1225)  

+-

    M. Allan Hutchinson: Selon ma proposition, le premier ministre ne participerait pas à la sélection des juges, ce pouvoir serait confié à une commission convenablement choisie ou à un comité comme le vôtre. Bien sûr, cela ne veut pas dire que le premier ministre n'exercerait aucune influence sur ce mécanisme, mais cette influence ne s'exercerait pas comme elle s'exerce à l'heure actuelle, elle ne serait plus aussi directe ou officielle.

+-

    M. Peter McCormick: Le problème que pose le système actuel n'est pas que nous pensons que... Personne ne prétend que le premier ministre n'en fait qu'à sa guise, qu'il agit de façon irresponsable, ou qu'il choisit les juges de façon machiavélique. Le fait est que l'on compromet l'intégrité de la Cour suprême lorsqu'on s'en remet à un processus de nomination qui est vulnérable à certaines attaques.

    Je pourrais prendre comme exemple la fois où la Saskatchewan s'est fâchée après la décision sur la potasse et l'arrêt CIGOL à la fin des années 70. Il s'agissait de la Saskatchewan, une province en général tranquille; ce n'était pas l'Alberta qui se fâche assez fréquemment, pour le plaisir. Le premier ministre de la Saskatchewan a vivement réagi à l'arrêt de la Cour suprême et a fait certains commentaires au sujet de cette cour qui auraient pu être faits par les premiers ministres du Québec ou de l'Alberta, mais pas par ceux des autres provinces.

    Je crois qu'il y a là une faiblesse réelle qui pourrait nuire, à un moment donné, à la Cour suprême. C'est la raison pour laquelle nous nous intéressons à la procédure de nomination des juges, pour éviter que ce genre de chose se produise.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Dion, vous avez trois minutes.

+-

    L'hon. Stéphane Dion: Thank you very much.

    Je dirais que le comité a entendu trois groupes d'opinion. Ces trois groupes d'opinion nous proposent tous de modifier le statu quo. Personne ne nous a demandé de ne rien changer.

    Le premier groupe consiste à dire que le système actuel n'est pas politisé du tout, que les juges sont excellents et reconnus comme tels au Canada et à l'étranger. C'est un processus de consultation qui est loin de se limiter à un appel téléphonique et à un communiqué de presse. On procède à des consultations approfondies. Il faudrait néanmoins renforcer la crédibilité du processus en le rendant plus transparent.

    La deuxième catégorie d'opinion consiste à dire que le système actuel est trop politisé et qu'il faut le dépolitiser.

    La troisième catégorie est celle que vous avez mentionnée, avec M. Manfredi; d'après ces opinions, le processus est politisé; il faut l'accepter et il suffit d'en tenir compte.

    Je ne suis pas sûr qu'en fin de compte les conclusions diffèrent tellement. Les deux autres groupes d'opinion nous demandent de mettre sur pied un comité judiciaire, mais un comité qui serait principalement composé de juristes, de spécialistes, de doyens de faculté, de juges, de représentants des barreaux, qui serait ouvert aux parlementaires mais qui demeurerait confidentiel. Ce comité présenterait une recommandation au premier ministre et le président du comité pourrait peut-être par la suite témoigner devant votre comité et expliquer le processus qui a été suivi.

    Même si vous dites vous-mêmes que ce processus est politisé, j'ai remarqué que vous êtes un peu gêné, peut-être à l'exception de M. Hutchinson, lorsqu'on vous interroge sur le genre de questions que l'on pourrait poser. Vous avez mentionné qu'il faudrait préserver une certaine confidentialité. Je vous demande donc encore une fois s'il y a des questions qu'il ne faudrait pas poser. Par exemple, demander au candidat pour quel parti il a voté la dernière fois, voilà qui ne serait sans doute pas acceptable.

    Si un candidat décide de ne pas répondre à une question, est-ce une réaction qui pourrait lui nuire ou qui jouerait en sa faveur? M. Russell a déclaré que le candidat qui fait connaître ses opinions personnelles montre qu'il n'est pas prêt à être juge. Il devrait être possible de refuser de fournir ses opinions personnelles; cela paraît une réaction professionnelle.

    Pour ce qui est de la confidentialité des discussions, proposez-vous des restrictions dans ce domaine ou suggérez-vous de tenir uniquement des audiences publique à la fin du processus? Confidentialité et questions, je vais vous demander ce que vous entendez par la politisation du processus. Y a-t-il des aspects du processus qui ne devraient pas être politisés mais qui devraient être confidentiels et confiés à des spécialistes?

+-

    M. Allan Hutchinson: D'après moi, et je crois que je suis très clair sur ce point, on peut poser n'importe quelle question; ce sont les personnes qui posent les questions qui décideront de leur caractère approprié. Comme l'a dit M. McCormick, on peut également penser que le travail du comité fera l'objet d'un examen. Je crois que l'on peut aborder à peu près tous les sujets. Pour ce qui est des questions concernant le parti pour lequel le candidat a voté à la dernière élection, je dirais qu'il me paraît approprié que l'on ne soit pas obligé de révéler ce genre de chose dans une démocratie et je ne le ferais pas. Si vous demandiez au candidat s'il a déjà travaillé pour un parti politique, s'il en a été membre, cela me paraîtrait tout à fait approprié.

    Je suis toutefois prêt à reconnaître qu'il y a des questions délicates. Si quelqu'un me demande si je suis homosexuel, par exemple, et il serait naïf de ma part de penser que ces choses ne peuvent pas arriver, il me semble que le candidat aurait le droit de faire la réponse qu'il souhaite faire. Il pourrait dire non, parce qu'il n'est pas homosexuel, il pourrait dire que son orientation sexuelle n'est pas un aspect important; les gens pourraient dire que cet élément est important.

    Là encore, je ne sais pas très bien pourquoi nous protégeons ces personnes. Elles veulent devenir des figures publiques, car c'est ce qu'elles sont. Ils se disent des juges, mais ce sont également des figures politiques très puissantes. Lorsque quelqu'un a une vie publique, il fait l'objet de toutes sortes d'examens et il me semble qu'il n'y a pas de raison pour que ces personnes ne soient pas soumises elles aussi à ce genre de contrainte. Dans votre rôle de politiciens, il y a beaucoup de questions que vous pourriez considérer comme étant inappropriées et je pense que les mêmes règles vaudront pour ces personnes.

  +-(1230)  

+-

    L'hon. Stéphane Dion: Est-ce que les audiences seraient confidentielles?

+-

    M. Allan Hutchinson: Je pense que le huis clos devrait toujours être l'exception et non la règle. Je ne vois pas très bien pourquoi ces audiences devraient se tenir à huis clos.

+-

    Le président: Sur cette question, si vous le permettez, il est tellement rare que le président pose des questions ici, il m'est venu à l'esprit, lorsque je réfléchissais ces jours derniers, que nous avons trois types de pouvoirs au gouvernement : les tribunaux, le pouvoir exécutif et il y a le Parlement, l'assemblée législative. Toutes les délibérations et les décisions de nos tribunaux sont prises à huis clos et elles sont rendues publiques à la fin. Toutes les délibérations et les décisions du pouvoir exécutif se font à huis clos, elles sont confidentielles et rendues publiques par la suite. Et même au Parlement, nous avons, en vertu de la loi, un bureau de la régie interne qui tient ses réunions à huis clos, elles sont confidentielles, et il arrive que nos comités siègent à huis clos.

    Je reconnais donc que la gouvernance implique la transparence et l'ouverture, mais je tenais à signaler que le processus décisionnel, un aspect essentiel de notre gouvernance, qui en représente les trois quarts, si je peux mettre un chiffre, prend la forme de délibérations et de décisions qui ont lieu à huis clos. Je tenais à signaler cet aspect aux témoins. Je ne veux pas que vous me répondiez à ce sujet, mais si vous répondez aux autres membres du comité, vous pouvez y faire référence.

    Je donnerai la parole à M. Sorenson pour trois minutes.

+-

    L'hon. Stéphane Dion: Monsieur le président.

+-

    Le président: Je suis désolé, monsieur Dion.

+-

    L'hon. Stéphane Dion: Monsieur le président, vous avez utilisé mon temps de parole. Je vous ai demandé...

+-

    Le président: Non, ce n'est pas ce que j'ai fait.

+-

    L'hon. Stéphane Dion: Nous attendions les réponses des deux autres professeurs.

+-

    Le président: Je pensais qu'ils avaient donné leur réponse.

+-

    L'hon. Stéphane Dion: Un d'entre eux seulement a eu le temps de répondre.

+-

    Le président: Y avait-il d'autres témoins qui voulaient répondre à la question de M. Dion?

    Monsieur Morton. Je suis désolé, je pensais qu'ils avaient terminé.

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Vous devriez visionner l'enregistrement des audiences du Comité judiciaire du Sénat concernant d'autres personnes que Bork, parce que Bork était une exception. Il a répondu à pratiquement toutes les questions, ce qui a été une erreur, on l'a constaté après coup. Il pensait qu'il avait des capacités intellectuelles suffisantes pour répondre à toutes les questions du comité. Mais les juges Ginsburg, Souter et certainement le juge Thomas ont très souvent... ils ont refusé à plusieurs reprises de répondre à des questions pour le motif qu'ils pensaient qu'il serait inapproprié d'y répondre, parce que cela risquait, et cela répond peut-être aussi à votre question, de les amener à se prononcer sur un sujet qu'ils risqueraient d'avoir à trancher plus tard.

    Par conséquent, le candidat aurait parfaitement le droit de refuser de répondre à n'importe question, pour le motif qu'il considère qu'il serait inapproprié de le faire.

+-

    L'hon. Stéphane Dion: Et il devrait savoir si le fait de ne pas répondre sera retenu contre lui ou pris en sa faveur.

+-

    M. Peter McCormick: Ce sera aux membres du groupe dont nous parlons d'en décider. Il arrive que l'on respecte quelqu'un pour les questions auxquelles il refuse de répondre, parce qu'il refuse de communiquer certaines choses; par ailleurs, ce refus pourrait donner lieu à des critiques. Mais c'est exactement pour cette raison que l'on pose des questions, que l'on donne à cette personne la possibilité de refuser d'y répondre si elle le souhaite; c'est à chacun ensuite de juger les choix qui ont été faits et de se dire : il n'aurait pas dû répondre à cette question, ou, oui, il a éludé la question, ou d'avoir une autre réaction. Comment pourrions-nous vous dire comment il faut réagir à la façon dont il a été répondu ou non à une question?

  +-(1235)  

+-

    L'hon. Stéphane Dion: Je pensais que vous aviez dit que certaines questions étaient inappropriées au comité, et non pas envers les membres.

+-

    Le président: Très bien, parfait.

    Nous allons maintenant donner la parole à M. Sorenson.

+-

    M. Kevin Sorenson: Je vais faire quelques observations, très rapidement.

    Pour répondre à ce dont parlait M. Dion, et je crois que l'un d'entre vous a attiré notre attention sur ce point, il arrive que les questions mal choisies n'aient aucune conséquence pour le candidat mais qu'elles en aient pour la commission ou pour la personne qui les pose. C'est pourquoi les membres de cette commission devraient être très prudents.

    Nous sommes en train de parler de nomination à la magistrature, mais en fait, à la Cour suprême, et ne conviendrait-il pas non plus de changer la façon dont sont nommés les juges des juridictions inférieures? Bien évidemment, la plupart de ces juges étaient des praticiens. Cela entraîne un certain niveau de confidentialité. Ils ne veulent pas que l'on sache qu'ils veulent quitter la pratique du droit et qu'ils envisagent de devenir juges. Devrait-on introduire des changements dans ce processus?

    Je voudrais poser une autre question très brève. Très bien, nous avons cette Charte depuis 20 ans et il y a eu au cours de cette période deux gouvernements au pouvoir. Les conservateurs ont été au pouvoir pendant huit ans, ou à peu près, et aujourd'hui, les libéraux sont au pouvoir depuis longtemps. La durée de ces gouvernements pose peut-être certains problèmes. S'il y avait un changement de gouvernement, serait-il possible de nommer à la Cour suprême un juge qui serait, disons, très conservateur?

    Je sais que lorsque l'on parle de conseils, lorsqu'on exploite une entreprise, il faut des gens qui puissent travailler ensemble; il faut que le groupe puisse fonctionner. Le premier ministre pourrait-il se dire eh bien, nous avons un groupe de juges assez conservateurs ou assez à droite, pour parler comme on le fait aux États-Unis, et je vais donc nommer un libéral, un vrai libéral de gauche? Faut-il nommer quelqu'un de l'extrême gauche ou de l'extrême droite? Est-il grave d'avoir des décisions majoritaires? Est-il important d'avoir l'unanimité sur certaines décisions? Quel est l'équilibre à atteindre ici? Est-ce un aspect qui devrait nous préoccuper?

+-

    M. Peter McCormick: Si vous me permettez de répondre, puisque c'est moi qui ai accusé Pierre Trudeau d'avoir paqueté la Cour, j'aimerais apporter une nuance sur un aspect. Je pense que Trudeau a reconstruit la Cour, et pour ce faire, il a dû la paqueter.

    Sur un autre plan, je dirais que j'ai aimé le fait que Trudeau ne s'est pas contenté de faire une série de nominations; il y avait de la diversité dans les personnes qu'il a nommées. Il y a donc eu Bora Laskin, mais le même premier ministre a également nommé de Grandpré. Dans le même domaine, il y a d'un côté Wilson, mais aussi, de l'autre, McIntyre. Je crois que cela a favorisé un dialogue au sein de la Cour, un dialogue qui m'a paru très utile et très intéressant.

    Chaque fois que je commence à parler d'un mécanisme de nomination... et c'est pourquoi les comités m'inquiètent; ils sont ternes et ont tendance à choisir la facilité. Nous risquons peut-être de perdre à tout jamais cette diversité et ce genre de dialogue, ce que je regretterais.

    C'est pourquoi je pense qu'il est important qu'il y ait de la diversité parmi les membres de la Cour, parce que même au sein des professions juridiques, même parmi des juges très respectés, il existe des désaccords considérables sur les questions qui sont soumises aux tribunaux. L'important est de trouver un mécanisme qui permette de traduire cette diversité dans la composition de la Cour.

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Je suis tout à fait d'accord avec M. McCormick.

+-

    Le président: Très bien, voilà une conclusion.

    Nous allons revenir du côté du gouvernement. Madame Torsney.

+-

    Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.): Merci.

    Ma principale question s'adressait à M. Morton.

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Je vais revenir.

+-

    Mme Paddy Torsney: Eh bien, pendant qu'il a quitté la salle, j'aimerais vous dire, monsieur McCormick, que vous avez une conception plutôt naïve de la façon dont les députés peuvent se conduire lorsque la situation est grave, même si j'aimerais me tromper. C'est la réalité. La situation est parfois très tendue en période préélectorale. L'opposition pourrait avoir intérêt à embarrasser le candidat du premier ministre. Il est possible que ma conception de l'activisme judiciaire diffère de celle de quelqu'un d'autre. J'aimerais peut-être que quelqu'un soit plus interventionniste et que je n'aime pas un candidat qui n'est pas prêt à faire des vagues.

    Il faut donc reconnaître que les députés ne sont pas toujours courtois. Il est facile de poser une question, même si quelqu'un déclare ensuite qu'elle est contraire à un règlement, mais le mal est fait, les paroles ont été prononcées et cela a modifié la situation.

    Hier, à la Chambre, il y a un député qui a enfreint le règlement, mais ce qu'il a dit figure encore au procès-verbal, d'une certaine façon.

  +-(1240)  

+-

    M. Peter McCormick: Très bien, peut-être pas naïf, mais poli, peut-être.

+-

    Mme Paddy Torsney: Optimiste.

+-

    M. Peter McCormick: Premièrement, nous parlons de circonstances inhabituelles la plupart du temps, même au cours de la période des questions, qui est de toutes les choses que fait la Chambre des communes, celle qui ressemble le plus à une atmosphère de cirque. Même pendant cette période-là, le comportement des députés se conforme à des limites assez larges que tout le monde peut comprendre.

    Pour revenir sur ce que nous avons dit, nous parlons de personne qui vont exercer un pouvoir considérable pendant une longue période et qui vont, dans une autre instance, en utilisant une autre langue, aborder des questions très importantes qui nous concernent tous. Si ces personnes ne sont pas en mesure de faire face à des confrontations qui pourraient être embarrassantes, si elles ne peuvent pas résister à une séance un peu difficile d'un comité de la Chambre des communes, alors je me demande si nous voulons vraiment nommer ce genre de personne. La plupart des juges ont un sens très clair des questions auxquelles ils peuvent répondre et des questions auxquelles ils se refusent de répondre, des questions que l'on peut explorer en public et de celles qui ne s'y prêtent pas, de la façon de se protéger, de la façon d'éluder les questions qui leur paraissent inappropriées. Je ne pense pas que ce sont des personnages falots qui ne résisteraient pas à une question embarrassante.

+-

    Mme Paddy Torsney: Eh bien, monsieur McCormick, quel est le meilleur professeur, celui qui publie et qui fait beaucoup de recherche ou celui qui intéresse les étudiants auxquels il enseigne?

+-

    M. Peter McCormick: Je viens d'un établissement qui valorise et la recherche et l'enseignement. Si un professeur ne peut pas faire les deux, il ne dure pas très longtemps dans mon établissement. Les administrations ont tendance à préférer ceux qui publient, et c'est là une de nos difficultés récurrentes.

+-

    Mme Paddy Torsney: Monsieur Morton, vous avez parlé d'activisme judiciaire. Il y a un certain nombre d'exemples de personnes qui auraient pu être perçues comme étant activistes et qui ont en fait rendu des décisions qui ne l'étaient pas beaucoup, les lois sur la correction physique, qui ont été confirmées, l'arrêt Keegstra, le cas assez choquant d'ailleurs des arrangements prénuptiaux conclus par les avocats. Est-ce que l'activisme judiciaire n'est pas tout simplement une étiquette que l'on appose sur les décisions que l'on n'aime pas?

    Même lorsqu'on pose des questions à ces personnes pour essayer de comprendre comment elles conçoivent leur rôle, je crois que l'on commence à politiser les jugements qu'elles pourraient prononcer à l'avenir Ne serait-il donc pas préférable de laisser ces personnes prendre des décisions en fonction des circonstances de l'affaire qui leur est soumise au lieu d'essayer de déterminer si elles sont de droite, de gauche ou autre chose; même si j'étais pro-choix ou anti-choix, je n'essaierais pas d'examiner chaque affaire selon mes opinions; je devrais être évalué sur la façon dont je prends des décisions en me basant sur les données qui me sont fournies par les parties.

+-

    M. Peter McCormick: Je vais commencer par répondre à votre dernière remarque, et je dirais que c'est une excellente théorie du rôle du juge, mais nous savons, en tant que spécialistes de la science politique, et même en tant que professeurs de droit, que les juges ont des conceptions différentes de la vie en général, de l'interprétation constitutionnelle en particulier et qu'ils rendent des décisions très différentes à partir des mêmes faits et des mêmes précédents. Étant donné que la Cour suprême n'est plus seulement une instance qui applique les lois mais qu'elle les fait aussi, il faut reconnaître que les opinions générales des juges au sujet de la théorie constitutionnelle, des régimes politiques, leur vision du monde jouent un rôle important dans leurs décisions. Étant donné que ces personnes ont en fait un droit de veto sur les décisions du Parlement du Canada et des assemblées législatives de chacune des provinces, des institutions composées de députés, je crois qu'il est bon pour la démocratie que les gens sachent qui sont les personnes choisies pour remplir ces fonctions.

    Pour ce qui est de votre première remarque, je dirais que les juges n'adoptent pas toujours la même attitude activiste ou non à l'égard des différentes affaires qui leur sont confiées. Les recherches quantitatives que j'ai publiées confirment, par exemple, ce que les gens savaient de façon intuitive. Il y a par exemple des juges qui sont très activistes dans les affaires qui touchent les politiques sociales et les droits à l'égalité reconnus par la Charte, mais qui ont une attitude opposée dans les affaires pénales. Je peux même être plus précis que cela dans les affaires qui touchent les questions reliées au féminisme. Madame la juge L'Heureux-Dubé a participé je crois à 28 affaires et n'a jamais voté une seule fois contre ce que l'on peut qualifier de thèse féministe dans les affaires qu'elle a jugées. Cela n'est peut-être pas très conforme à la théorie juridique ou judiciaire, mais c'est ce qui se passe concrètement dans le monde du droit constitutionnel.

  +-(1245)  

+-

    Mme Paddy Torsney: Mon temps de parole est écoulé mais je tenais simplement à dire, monsieur Morton, que la Cour peut fort bien annuler certaines lois pendant une certaine période, mais ce sont les parlements qui font les lois et s'ils n'aiment pas l'interprétation que la Cour suprême a donnée d'une loi qui a été adoptée, c'est son obligation de la modifier. La Cour suprême fournit donc des indications sur la façon d'interpréter les lois, mais c'est le Parlement qui adopte les lois.

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Je suis très partisan de la clause nonobstant et je suis ravi d'entendre cela ici, à Ottawa.

+-

    Mme Paddy Torsney: Il y a d'autres façons d'atteindre cet objectif, sans recourir à la clause nonobstant.

+-

    Le président: Monsieur Marceau, pour trois minutes.

[Français]

+-

    M. Richard Marceau: Merci beaucoup, monsieur le président.

    Le professeur McCormick a proposé sa solution. Il a fait une suggestion pour la composition d'une commission. J'aimerais entendre l'opinion des deux autres témoins à ce sujet. De façon plus précise, y a-t-il de la place sur ce comité potentiel pour, premièrement, des représentants des barreaux des provinces ou des régions concernées et, deuxièmement, pour des représentants du milieu universitaire?

[Traduction]

+-

    M. Allan Hutchinson: Je trouve qu'il y a déjà suffisamment de bavards dans ce genre de commission sans vouloir y ajouter des universitaires.

    Ma proposition était semblable à celle de M. McCormick, mais la composition de la commission envisagée était différente. Il me semble que les cinq juges et avocats pourraient représenter les différents points de vue des professions juridiques. Les cinq députés de la Chambre des communes pourraient représenter les différents points de vue des différents partis politiques et il est important d'avoir également cinq citoyens dans cette commission.

    Je trouve important qu'il y ait de simples citoyens parce que, pour moi, la démocratie doit chercher à combler l'écart entre les gouvernants et les gouvernés, et il est toujours souhaitable que les citoyens participent aux décisions qui les concernent. On écarte habituellement cette idée en disant que ces discussions sont beaucoup trop techniques pour les simples citoyens. Je suis tout à fait contre cet argument; je crois qu'il sert uniquement à protéger les intérêts des personnes qui les utilisent.

    Je serais prêt à examiner toutes sortes de propositions visant à représenter tous les partis, non pas pour dépolitiser le processus, ni pour le repolitiser, mais tout simplement pour reconnaître que ces nominations comportent des aspects politiques et qu'il est bon de faire ces choix non pas en se cachant les yeux, mais en essayant de les ouvrir un peu.

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Je pense qu'il faut absolument exclure les universitaires; ils ont déjà eu beaucoup trop d'influence sur la façon dont la Charte a été interprétée jusqu'ici.

    Je suis favorable à ce que de simples citoyens participent au choix des juges de niveau provincial, mais cela me paraît peu pratique dans le cas de la Cour suprême. Il y a des personnes que l'on va qualifier de simples citoyens mais qui en fait n'en seront pas. Comment choisir cinq personnes sur un pays qui en compte 32 ou 33 millions? Si l'on procède au hasard, Dieu seul sait qui pourrait bien être choisi et si l'on ne choisit pas ces personnes au hasard, on aura des gens qui auront été choisis en fonction de buts particuliers.

    Je crois que la composition proposée par M. McCormick est excellente, cinq juges, cinq premiers ministres et cinq membres du comité. Si le comité était chargé de choisir cinq candidats, il y aurait une bonne diversité. Il serait probablement possible d'avoir un candidat qui serait sensible au point de vue du NPD, par exemple. Je me demande quelle est la dernière fois que le gouvernement a nommé un juge qui était sensible aux idées du NPD.

    Sur un sujet connexe, comme M. McCormick l'a fait remarquer, l'immense majorité des juges de la Cour suprême viennent des cours d'appel des provinces. Même si cet aspect ne fait pas partie du mandat qui a été confié à votre comité, il y a une modification qui pourrait améliorer énormément la diversité des juges nommés à la Cour suprême; elle consisterait à confier aux provinces la nomination des juges provinciaux.

    Le Canada est dans la position assez triste d'être l'un des trois seuls pays, parmi les démocraties avancées, où les juges des provinces ou des États membres sont nommés par le gouvernement fédéral. Les deux autres sont l'Inde et l'Autriche, pour des raisons que je ne comprends pas pour l'Autriche; mais en Inde et au Canada, c'est un héritage dépassé de l'empire britannique, qui remonte d'ailleurs au XIXe siècle et qui n'a pas sa place dans une démocratie du XXIe siècle.

    Si les gouvernements provinciaux nommaient les juges des cours d'appel provinciales, il y aurait eu depuis une vingtaine d'années un certain nombre de juges NPD et péquistes nommés au Québec et dans les provinces de l'Ouest, ce qui donnerait un bassin beaucoup plus diversifié dans lequel on pourrait choisir les candidats à la Cour suprême.

    Avec la situation actuelle, cela fait dix ans que tous les juges nommés à la Cour suprême l'ont été par un premier ministre libéral ou par un gouvernement libéral; d'après les études qui ont été faites, plus de 50 p. 100 des juges semblent avoir des liens avec le Parti libéral.

    Ce serait donc une autre façon d'améliorer le bassin des candidats destinés à la Cour suprême.

  +-(1250)  

+-

    Le président suppléant (M. Chuck Cadman): Les témoins veulent-ils faire d'autres commentaires?

    Merci.

    Madame Barnes.

+-

    L'hon. Sue Barnes: Merci.

    J'ai beaucoup aimé vos témoignages, ce matin. Je vous remercie d'être venus nous les présenter.

    Je sais que d'autres démocraties ont déployé beaucoup d'efforts pour modifier leur mécanisme de nomination des juges. Je note que, même au Canada, nous ne faisons que commencer cette réflexion. On vient de nous apprendre qu'il y aura des consultations à Toronto le mois prochain, en avril, je crois, sur cette question. Cela commence à intéresser la population. C'est une excellente chose et c'est très positif.

    Il faut absolument moderniser notre système. Il faut le faire correctement et ne pas faire d'erreur, parce qu'une fois qu'ils sont nommés, ces juges siègent pour très longtemps. Nous devons donc être très prudents.

    Par exemple, j'aimerais une réponse très brève de M. Hutchinson: j'aimerais savoir depuis combien de temps est-ce que la Grande-Bretagne réévalue son processus et j'aimerais savoir quelle est l'ampleur des consultations qui ont été tenues à ce sujet.

+-

    M. Allan Hutchinson: Dans un certain sens, ce processus peut durer indéfiniment, mais cela ne fait que quelques années que cette réforme est à l'étude et il y a un ministère qui a publié un rapport à ce sujet.

+-

    L'hon. Sue Barnes: Je voulais faire remarquer que cela ne s'est pas fait en quelques semaines ni en quelques mois.

+-

    M. Allan Hutchinson: Non.

+-

    L'hon. Sue Barnes: Et je pense que vous seriez tous d'accord pour dire qu'il faut être prudent. Oui.

    Monsieur Morton, vous êtes d'accord aussi? Oui.

    Monsieur McCormick? Absolument. Très bien.

    Nous avons reçu toutes sortes de suggestions très différentes les unes des autres, certaines visaient le début du processus et d'autres la fin, et je sais que le comité essaie d'alimenter sa réflexion en écoutant et en évaluant les idées qui lui sont proposées. Une des suggestions qui nous a été faite portait sur une commission mixte composée de spécialistes, de personnes d'expérience, combinée à des politiciens et qui serait chargée d'interroger le candidat retenu. Cette proposition ne portait je crois que sur un seul candidat, c'était donc une commission qui intervenait à la fin du processus. J'aime votre idée d'avoir des représentants des quatre partis.

    J'aimerais aussi dire quelques mots de la suggestion que vous nous avez faite, au sujet d'une commission chargée d'établir une liste de candidats, et je note qu'elle est principalement composée de politiciens. Un premier ministre ou un député est un représentant élu. Là encore, vous visez la diversité et la création de groupes représentant le palier fédéral et le palier provincial et dont tous les membres seraient différents. Manifestement, il s'agirait d'une commission de mise en candidature ad hoc dont la composition évoluerait avec le temps, parce que les gouvernements provinciaux et territoriaux ont des élections, et il y a des gens qui siègent ou ne siègent pas à une assemblée législative. Il en va de même pour le gouvernement fédéral. Les membres de cette commission changeront souvent.

    Pensez-vous qu'il faudrait constamment ajuster la composition de cette commission, puisqu'en fait il ne serait pas possible de conserver les mêmes membres? Pensez-vous qu'il faudrait attendre... Voyez-vous ce que je veux dire? Je me place sur un plan très concret. J'aimerais obtenir des précisions sur cet aspect.

+-

    M. Peter McCormick: Je vais répondre à vos trois remarques.

    Premièrement, il n'est pas possible de comparer ce que vous faites avec la réforme du système britannique. Le Royaume-Uni va supprimer le poste de lord chancelier et la Chambre des lords en tant qu'instance d'appel. Il y aura une nouvelle Cour suprême dans ce nouveau système. Si l'on vous avait demandé d'examiner l'article 96 de la Constitution, votre travail serait plus proche de ce qui se fait au Royaume-Uni. Si je compare ce que vous faites avec ce qu'ils sont en train d'abîmer, et abîmer est la seule façon de qualifier ce qu'ils font, je dirais que votre rôle est beaucoup plus circonscrit et plus facile.

    Votre deuxième remarque portait sur la diversité des membres d'une commission. Lorsque j'ai réfléchi à la composition de la commission que je vous proposais, je voulais que les membres viennent d'organismes préexistants qui possèdent déjà une réputation de sérieux, une structure, et des membres.

  +-(1255)  

+-

    L'hon. Sue Barnes: C'est là où je voulais en venir.

+-

    M. Peter McCormick: Les membres de cette commission seraient tous recrutés parmi les membres d'autres organismes; ce ne serait pas un groupe nouvellement constitué. En fait, j'ai copié le système britannique. Ce système comprend une commission chargée de présenter une liste de candidats dont les membres sont choisis parmi les membres d'autres organismes; cet aspect m'a paru intéressant. Il serait tentant d'ajouter des membres du grand public, mais quel est l'organe qui correspondrait au comité, à la conférence des premiers ministres ou au conseil de la magistrature? Je me suis dit que s'il n'existait pas d'organisme qui, en plus d'autres activités publiques, pouvait être raisonnablement ajouté à cette liste, il ne serait peut-être pas très utile d'avoir des représentants des «groupes qu'il serait intéressant à faire participer à ce processus».

    Troisièmement, je pensais à un organe ad hoc. Dès qu'un poste est vacant, on choisit les membres de la commission et celle-ci débute ses travaux. Je ne pensais pas à une commission qui aurait deux ans pour trouver le juge parfait—je n'avais même aucune idée du temps que cela pourrait prendre—, je pensais plutôt à un délai beaucoup plus court. C'est pourquoi je n'avais pas envisagé le problème que pourrait causer le déclenchement d'élections en plein milieu des travaux de cette commission, avec le risque qu'un gouvernement soit défait. Je comprends le sens de vos remarques.

+-

    L'hon. Sue Barnes: Je ne vais pas politiser cette question parce que ce n'est pas notre rôle ici. On nous a demandé de décrire ce que pourrait être un système de nomination modernisé.

    En fin de compte, s'il y avait une commission de confirmation, comment cela se terminerait-il en pratique? Y aurait-il un vote? Est-ce que l'on consacrerait deux heures à ce genre d'audience ou est-ce qu'il faudrait attendre la fin d'une session à huis clos pour que les membres de la commission aient terminé? Que se passerait-il s'il y avait confirmation de la nomination?

    Là encore, je pense qu'il faut envisager la tenue d'audiences à huis clos. Il me semble qu'il faut traiter avec beaucoup de respect et de courtoisie la personne qui pourrait être nommée à la Cour suprême.

    Vous connaissez ma question. Allez-y.

+-

    M. Peter McCormick: Pour les raisons que j'ai indiquées dans mon exposé, je n'ai pas choisi une commission de confirmation et j'ai plutôt pensé à une commission chargée de choisir des candidats. C'est pourquoi je pensais tout simplement à rendre ces débats publics, à donner à la population la possibilité de voir les candidats discuter avec des représentants élus dans un cadre assez formel, comme celui-ci, mais sans vote.

+-

    L'hon. Sue Barnes: Monsieur Hutchinson.

+-

    M. Allan Hutchinson: Je ne suis pas devin mais je sens néanmoins que pour vous, et pour d'autres intervenants aussi, ces juges sont des personnes spéciales qui doivent recevoir un traitement spécial.

+-

    L'hon. Sue Barnes: Je pense qu'ils occupent un poste spécial.

+-

    M. Allan Hutchinson: Je pense qu'ils occupent un poste spécial. Il faut bien sûr les traiter avec respect, mais pourquoi avoir peur de leur poser certaines questions? Pourquoi ne pas leur demander de participer à des audiences au cours desquelles on leur poserait des questions difficiles et à la suite desquelles ils pourraient se voir refuser le poste recherché? C'est pourtant là une épreuve que l'on impose à la plupart des candidats, quel que soit l'emploi souhaité. Pourquoi devrait-il en aller autrement pour les futurs juges?

    J'estime qu'il est plus sain de reconnaître que ces personnes n'ont rien de spécial.

+-

    L'hon. Sue Barnes: Puis-je revenir plus tard sur cette question?

+-

    Le président: Je sais que nous abordons des sujets intéressants et que mes collègues ne s'opposent pas à ce débat, mais nous avons déjà pris sept minutes et demie. Vous avez fait de l'excellent travail.

+-

    L'hon. Sue Barnes: Par respect pour mes aînés, je vais m'arrêter là.

+-

    Le président: M. Cadman veut poser une question; M. MacAulay et Mme Barnes voudront peut-être intervenir à nouveau.

    Monsieur Morton.

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Cette dernière question me paraît importante. J'ai la même conception que M. McCormick. Il ne s'agit pas d'une audience de confirmation, mais d'une audience visant à informer la population. Même s'il s'agissait d'une audience de confirmation, il est probable qu'un gouvernement majoritaire disposerait d'une majorité sur cette commission et que celle-ci confirmerait la nomination. Il ne s'agit pas du tout d'amener la Chambre des communes ou votre comité à empêcher le premier ministre de procéder à une nomination. Il s'agit plutôt d'informer la Chambre des communes, les représentants du peuple, et d'informer la population générale par la télévision, du fait qu'il va y avoir une Bertha Wilson ou un McIntyre, ou bien un La Forest ou une L'Heureux-Dubé. Ce sont là des différences considérables. S'il y avait neuf de ces juges, par opposition à neuf juges différents, les résultats obtenus seraient totalement différents.

    Il est essentiel que cela soit connu publiquement, aussi bien à la Chambre des communes à Ottawa que dans les différentes régions, et que l'autorité finale en matière de nomination appartienne au premier ministre. C'est lui qui doit rendre des comptes. Ce n'est pas aux juges de le faire. C'est au parti du premier ministre qui a procédé à ces nominations qui doit être tenu responsable. Si un premier ministre veut nommer neuf L'Heureux-Dubé ou neuf Bertha Wilson, alors cela pourrait influencer les électeurs, tout comme si le premier ministre avait nommé neuf La Forest ou neuf McIntyre.

    C'est un cours de droit national. C'est une occasion exceptionnelle, c'est un cours de démocratie constitutionnelle, et votre comité en serait le centre. Cela serait un excellent moyen de renforcer notre démocratie.

·  +-(1300)  

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Cadman.

+-

    M. Chuck Cadman: Merci, monsieur le président.

    Brièvement, monsieur Hutchinson, vous avez proposé que la commission comprenne cinq simples citoyens. M. Morton a signalé que ce choix pourrait soulever certains problèmes. Qu'entendez-vous par simples citoyens? Comment feriez-vous pour choisir cinq citoyens?

+-

    M. Allan Hutchinson: Il est évident que cela est difficile et, bien souvent, je présente une proposition tout en sachant qu'elle ne sera pas nécessairement acceptée entièrement.

    Il existe toutefois de nombreuses façons de rechercher ces personnes. Il y a les personnes du monde des affaires, les représentants des travailleurs, il y a les syndicats; il y a toutes sortes d'institutions qui peuvent présenter des suggestions. Il n'est certes pas facile de faire ces choix, mais il me paraît très important de ne pas laisser le gouvernement à des spécialistes qui ont souvent tendance à défendre leurs intérêts particuliers, et d'essayer plutôt de renforcer l'ouverture et la transparence du processus.

+-

    M. Chuck Cadman: Merci.

+-

    Le président: M. MacAulay avait une question à poser.

+-

    L'hon. Lawrence MacAulay (Cardigan, Lib.): Merci.

    Je me considère comme un simple député de la Chambre des communes et j'aimerais vous demander votre avis sur ce que j'ai entendu depuis quelque temps.

    Vous utilisez des expressions comme «activiste judiciaire» et mentionnez le fait que les juges prennent des décisions qui ne vont pas souvent à l'encontre des intérêts de leur propre sexe, et ce genre de choses. Pouvez-vous me proposer un autre mécanisme et une façon de trouver des juges qui ne rendraient pas de décisions comme celles qui ont été prises? Lorsque j'écoute ce que vous dites, je crois comprendre que vous pensez que certaines décisions étaient erronées.

    J'aimerais avoir vos commentaires sur ces sujets. Est-ce que les décisions prises étaient inappropriées?

+-

    M. Allan Hutchinson: Je comprends ce que vous voulez. Si nous pouvions trouver un juge parfait, neutre, au-dessus de toutes les intrigues politiques et le reste, je comprends parfaitement cette aspiration. Je ne sais toutefois jamais très bien si c'est un rêve ou finalement un cauchemar; mais de toute façon, ce n'est pas ce qui se passe en réalité. Le fait est que tous les juges font appel à leurs convictions intimes lorsqu'ils rendent des décisions, en partie parce que je ne sais pas vraiment comment on peut prendre une décision sans se situer par rapport à ses valeurs et à ses engagements personnels.

    Il faut se poser la question suivante. Sachant que l'élaboration d'une méthode appropriée soulève toutes sortes de problèmes, mais tout est relatif, il faut se demander si la solution envisagée est préférable à la solution actuelle. Le mieux est l'ennemi du bien. Si nous n'arrivons pas à créer un processus parfait, il ne faudrait pas s'abstenir de faire quoi que ce soit pour cette raison, n'êtes-vous pas d'accord?

    Il y a le fait, si vous reconnaissez, comme nous le faisons apparemment tous les trois, que ce processus comporte un aspect politique; il faut donc que le processus de nomination reconnaisse ce fait et en tienne compte. Cet aspect ne disparaîtra pas tout simplement parce que nous prétendons qu'il n'existe pas.

+-

    L'hon. Lawrence MacAulay: Si je comprends bien ce que vous me dites, c'est qu'en nommant quelqu'un, cela dépolitise le processus. Est-ce pour cette raison que vous estimez que le travail que nous effectuons est tellement important, parce qu'il n'est pas politisé? Nous aurions de meilleurs juges et de meilleurs tribunaux, n'est-ce pas?

+-

    M. Allan Hutchinson: Comme l'a dit M. Morton, nous aurions des citoyens mieux informés. À l'heure actuelle, tous ces facteurs interagissent et la question est de savoir si nous laissons ces forces jouer en secret ou si nous introduisons davantage de transparence. Il me semble que les principes démocratiques nous forcent à agir dans le sens d'une plus grande transparence. Le fait de rendre ce processus transparent ne le politisera pas; il rendra tous simplement plus visibles les aspects politiques.

+-

    L'hon. Lawrence MacAulay: Est-ce que, d'après vous, cela améliorerait notre système judiciaire? Est-ce que cela améliorerait le système?

+-

    M. Allan Hutchinson: Cela améliorerait notre système, mais je ne sais pas si cela améliorerait toutes les décisions...

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    L'hon. Lawrence MacAulay: Est-ce que cela améliorerait la magistrature?

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    M. Allan Hutchinson: Cela dépendrait des juges qui seraient nommés. En fin de compte...

+-

    L'hon. Lawrence MacAulay: Cela veut dire que vous pensez que les personnes qui ont été nommées n'étaient pas les personnes qui auraient dû l'être.

+-

    M. Allan Hutchinson: Je ne dirais pas qu'elles n'auraient pas dû être nommées; je dirais cependant que la plupart des citoyens n'ont aucune idée des opinions des personnes nommées et croient à tort que ces juges rendent justice de façon parfaitement neutre. Il faut absolument faire comprendre à la population que cela n'est pas le cas. Ces personnes ne peuvent être neutres; elles réagissent en fonction de leurs opinions politiques.

+-

    L'hon. Lawrence MacAulay: Mais vous ne pensez pas que cela améliorerait la qualité de la magistrature. Cela va simplement sensibiliser le public à certaines choses.

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    M. Allan Hutchinson: Cela améliorerait notre processus politique général et permettrait à la population de constater que la justice n'est pas un don des dieux lorsqu'elle est rendue par la Cour suprême. C'est simplement une autre instance influencée par le jeu des forces politiques.

·  +-(1305)  

+-

    Le président: Monsieur Morton.

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Il y a deux façons de défendre les réformes proposées; on peut se placer sur le plan des principes ou sur celui des résultats. Sur le plan des principes, je dirais que je suis encore une fois d'accord avec M. Hutchinson. Si l'on veut renforcer l'aspect démocratique de notre régime constitutionnel, il faut reconnaître que ces réformes renforceraient effectivement cet aspect.

    Pour ce qui est des résultats, il est impossible de prédire comment l'ouverture du processus, que ce soit une ouverture restreinte, par le biais d'audiences parlementaires, ou plus large, en se basant sur des candidats proposés par l'opposition ou par les provinces, comme cela a été suggéré à titre de réforme d'envergure, influencerait le tribunal, mais il serait différent. Il est impossible de dire à l'avance s'il serait plus libéral ou plus conservateur.

    Ce que l'on peut dire, au moins si l'opposition parlementaire participe à ce processus, c'est que le tribunal sera plus diversifié, et il sera par conséquent plus représentatif de la diversité des opinions que l'on retrouve dans notre pays. Je dirais que le tribunal qui entend ces appels depuis une dizaine ou une quinzaine d'années représente un secteur relativement limité de l'éventail des idées et des théories juridiques. Je pense qu'avec un processus de sélection élargi où il y aurait plus d'intervenants ou plus de candidats, nous aurions d'autres juges.

    La cour serait-elle plus libérale ou plus conservatrice? Cela est impossible à dire. Mais on peut tout de même dire qu'elle refléterait mieux la façon dont les opinions sont réparties dans la société canadienne, et j'estime que cela serait une bonne chose.

+-

    L'hon. Lawrence MacAulay: Dans mon esprit, peu importe que la magistrature soit plus libérale ou plus conservatrice; ce qui m'importe, c'est de savoir si les juges peuvent se limiter aux affaires qui leur sont soumises. Si j'ai bien compris, le juge idéal serait celui qui ne tient compte que des faits.

    Vous nous avez dit que les juges ne peuvent se limiter aux faits, que leurs sentiments personnels influencent toujours leurs décisions. Le processus ne modifierait pas cet aspect.

+-

    M. F.L. (Ted) Morton: Je crois que nous disons tous les trois qu'il existe une grande différence entre un juge de la Cour provinciale qui entend une cinquantaine d'affaires par jour, des affaires d'introduction par effraction, des affaires pénales mineures, où il s'agit uniquement d'appliquer les règles de droit aux faits et de rendre un jugement toutes les 15 ou 20 minutes et d'autre part, un juge de la Cour suprême du Canada, qui siège au sommet de la pyramide et qui applique des principes fondamentaux aux grandes orientations publiques. Dans ce dernier cas, les antécédents du juge et ses caractéristiques personnelles sont des facteurs qui influencent le résultat final. Je crois que nous avons tous dit la même chose.

+-

    Le président: Merci.

    N'oubliez pas que cette initiative visait au départ à améliorer le rôle du Parlement sur les mécanismes de gouvernance du Canada plutôt qu'à remédier aux insuffisances de la Cour suprême du Canada. De toute façon, ces choses se rejoignent.

    J'aimerais vous poser une question, parce que vous avez fait allusion à certains aspects qui diffèrent de ce que nous avons entendu de la part d'autres témoins. Cela touche les valeurs personnelles des juges.

    D'anciens juges d'expérience nous ont dit que tous les juges de la Cour suprême se fondaient sur les principes juridiques, sur le droit, et utilisaient les techniques reconnues d'analyse juridique et de résolution de conflit et qu'il n'y avait guère de place pour leurs valeurs personnelles.

    Je reconnais que si le droit est muet sur un point donné, le tribunal est obligé de combler cette lacune, et lorsqu'il n'y a rien d'autre sur quoi se baser, il est possible que les valeurs personnelles d'un juge influencent la norme sur laquelle le juge va fonder sa décision.

    Aucun d'entre vous n'a siégé comme juge, mais vous avez peut-être des idées sur cette question. Êtes-vous en mesure de me convaincre que les valeurs dont s'inspirent, d'après vous, tous les juges, jouent un rôle concret ou ont un effet concret sur les décisions qu'ils prennent?

·  +-(1310)  

+-

    M. Peter McCormick: La première remarque à faire au sujet de la Cour suprême du Canada est que 45 p. 100 des décisions ne sont pas unanimes. Les juges ne s'entendent pas sur la décision appropriée ou sur la façon appropriée de justifier le résultat, sur le plan juridique. Ces désaccords sont parfois mineurs mais ils sont parfois très importants.

    Lorsqu'ils ne sont pas d'accord avec la majorité des juges, les juges minoritaires ne font pas preuve d'incompétence, ils n'accusent pas non plus leurs collègues d'être incompétents. C'est ce qui se fait aux États-Unis, mais ils ont un style différent. Au Canada, ce n'est pas de cette façon que les désaccords s'expriment. Les juges de notre Cour suprême savent que certains types de questions sont abordées de façon différente par chacun des juges concernés; ils utilisent des valeurs différentes, des ensembles de priorités différentes parmi les principes qu'ils acceptent tous et qu'ils évaluent différemment les forces en jeu et celles qui doivent jouer un rôle dans certains types d'affaires.

    Je ne dis pas du tout qu'ils défendent un groupe particulier, parce qu'ils en sont membres, et se fichent des autres. Je n'insulterai pas nos juges en disant qu'ils ont ce genre d'attitude. Ils ne doivent rien à personne et n'ont pas à juger d'une certaine façon pour rembourser des dettes. Les grands penseurs politiques de notre époque siègent à la Cour suprême du Canada et ils débattent de questions qui touchent les grandes questions philosophiques. Il y a en jeu... Lorsque vous lisez les motifs de Sopinka et de L'Heureux-Dubé, ou de La Forest et Lamer, vous constatez qu'ils ne se contentent pas de dire voilà ce que je préfère ou voilà ce que préfèrent les gens de mon quartier; ils parlent en fait de la meilleure façon de comprendre le droit. En fin de compte, ils se respectent mutuellement, mais cela ne les empêche pas de dire à un autre juge qu'il a tort, de dire qu'ils ne sont pas d'accord sur certains points, et qu'ils n'ont pas changé d'idée.

    C'est un aspect très important du fonctionnement de la Cour suprême du Canada. Il est impossible de lire une série d'arrêts de la Cour sans constater que les juges sont très conscients des valeurs qui les animent et de la nécessité d'expliquer ces valeurs dans leurs motifs.

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    Le président: Lorsque vous parlez de «valeurs», vous comprenez les valeurs publiques et les valeurs qui touchent l'intérêt public, toutes les valeurs en général, ou les valeurs personnelles d'un juge donné?

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    M. Peter McCormick: Je reconnaîtrais avec le juge dont vous avez parlé plus tôt que, finalement, les juges de la Cour suprême du Canada ont des conceptions différentes des valeurs juridiques, du sens exact des principes juridiques, et de l'application de ces principes aux affaires qui leur sont soumises. Il s'agit très rarement de réactions purement émotives ou purement personnelles, vous savez, du genre ah, j'ai beaucoup aimé ce film. Il ne s'agit pas du tout de ça. C'est un débat qui porte sur les valeurs et le terme «valeurs» recouvre beaucoup de choses. Mais les membres de votre comité constatent parfois l'existence de ces différences, tout comme les juges, et même les juges qui examinent une affaire sans passion, de façon professionnelle, analytique, prudente et conforme au droit.

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    Le président: Très bien.

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    M. F.L. (Ted) Morton: Le fait qu'a signalé M. McCormick, à savoir que les juges ne s'entendent pas entre eux et s'opposent parfois vivement, montre que ce n'est pas une simple question de plomberie juridique ou de technique du droit.

    Il faudrait également signaler que l'histoire constitutionnelle américaine, qui est plus longue dans ce domaine que la nôtre, montre que les modifications apportées au pouvoir de nomination des juges entraînent des changements radicaux sur le plan des politiques ou de l'idéologie. Il est donc incontestable que l'orientation générale d'un tribunal change progressivement, en fonction des coalitions d'intérêt qui contrôlent la Maison-Blanche et le Sénat.

    Enfin, j'aimerais vous lire les commentaires qu'a livrés le juge Bastarache dans une entrevue qu'il a accordée à Lawyers Weekly en 2001. Le juge Bastarache a déclaré au sujet de l'arrêt Marshall que la Cour suprême a prononcé en 1999, et qui étendait les droits de pêche des Autochtones dans la région atlantique du Canada, qu'il craignait que le public pense «que la Cour est très axée sur les résultats et prête à inventer des droits qui n'existaient même pas dans les traités qui ont été présentés au tribunal dans cette affaire». Lorsqu'on lui a demandé ce qu'il voulait dire exactement par «axée sur les résultats», il a répondu «C'est lorsque vos propres valeurs et vos convictions personnelles jouent un rôle déterminant dans la décision; le résultant étant, bien entendu, que vous risquez de vous prononcer selon ce que devrait être le droit, d'après vous, et non pas selon ce qu'il est en fait, d'après vous, actuellement».

    Les juges sont professionnellement tenus de nier le fait que leurs décisions sont basées sur des facteurs non juridiques, parce que leur autorité vient de la perception qu'a la population qu'ils appliquent des règles, et qu'ils ne recherchent pas des résultats particuliers; à certains moments, il y a tout de même des juges de la Cour suprême qui admettent que cela n'est pas toujours le cas.

·  -(1315)  

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    Le président: Très bien, voilà qui a été très utile. Merci d'avoir précisé ce point.

    La séance est presque terminée. Permettez-moi premièrement de remercier les témoins. Cette séance a été fort intéressante. Vos opinions m'ont paru particulièrement éclairantes et originales. Je sais qu'elles ont intéressé mes collègues. Je vous remercie d'être venus, malgré un préavis relativement court et, dans le cas de M. Hutchinson, d'un préavis en fait très court. Nous apprécions vraiment les efforts que vous avez faits pour nous aider dans notre réflexion.

    Je signale à mes collègues que nous avons fixé une réunion pour mardi. Nous entendrons trois témoins. Je crois qu'il y en a un des États-Unis, un autre du Royaume-Uni, et que tous deux ont participé à la conférence...

+-

    L'hon. Paul DeVillers: Quel mardi?

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    Le président: Excusez-moi, le mardi qui suit notre retour.

    Le troisième témoin pourrait être un représentant du Conseil canadien des avocats de la défense. Ce sera donc peut-être un groupe de trois témoins.

    Je peux maintenant lever la séance. Merci.