[Enregistrement électronique]
Le mardi 12 décembre 1995
[Français]
Le président: Conformément à l'alinéa 108(3)d) du Règlement, nous allons procéder aujourd'hui à l'étude du chapitre 9 du Rapport du vérificateur général du Canada d'octobre 1995, plus précisément l'Information destinée au Parlement - Les déficits et la dette: Pour comprendre les choix.
Nos témoins aujourd'hui sont M. Thiessen, gouverneur de la Banque du Canada. M. Thiessen est accompagné de M. Noël et M. O'Regan. Je vais d'abord passer la parole à M. Thiessen qui fera sa déclaration d'ouverture. Ensuite, nous procéderons comme d'habitude et vous pourrez adresser vos questions à nos trois témoins.
Monsieur Thiessen.
[Traduction]
M. Gordon G. Thiessen (gouverneur, Banque du Canada): Merci, monsieur le président. Pour commencer, j'aimerais dire qu'à mon avis, la déclaration du vérificateur général au sujet des déficits et de la dette décrit très bien les enjeux. La seule chose que je devrais peut-être ajouter à votre intention a trait au rôle des taux d'intérêt dans l'augmentation constante de la dette publique.
[Français]
La grande question que le vérificateur général nous invite à examiner et à résoudre est la suivante: À quel niveau la dette publique fédérale devrait-elle se situer par rapport à la taille de notre économie? Le vérificateur général met l'accent sur la détérioration des finances publiques au cours de la majeure partie des 20 dernières années et il signale que, vraisemblablement, la dette s'alourdira encore si le gouvernement ne réalise pas d'importants excédents primaires.
[Traduction]
À la Banque du Canada, nous avons souligné, surtout au cours des deux ou trois dernières années, la nécessité pour tous les niveaux de gouvernement au Canada de ramener leur situation budgétaire sur une trajectoire plus viable. Pour cela, il faut au moins que soient prises des mesures pour arrêter la hausse du ratio de la dette publique au produit intérieur brut. De toute évidence, ce ratio ne peut continuer de croître sur de longues périodes sans engendrer des pressions intenables au niveau des coûts du service de la dette, des déficits et du financement de la dette. Bien sûr, s'il est faible au départ, sa hausse peut être soutenue pendant un certain temps, comme nous avons pu le voir. Toutefois, lorsque l'endettement atteint des niveaux très élevés, il se peut qu'il ne suffise plus de stabiliser le ratio de la dette au PIB et qu'il faille le faire baisser.
Malheureusement, l'analyse économique seule ne peut pas nous donner de réponse simple à la question de ce que serait un ratio approprié de la dette au PIB. Nous serions probablement tous d'accord avec le vérificateur général pour dire que notre société doit en venir à déterminer les niveaux d'imposition et la taille du secteur public qu'elle juge acceptables, car ces facteurs peuvent influer sur le montant de la dette qu'elle est en mesure d'assumer. Toutefois, lorsque le ratio de la dette au PIB atteint un niveau élevé, la volonté des investisseurs sur les marchés financiers de détenir les emprunts émis par nos gouvernements contribue aussi dans une large mesure à définir le niveau qui est soutenable.
[Français]
Je ne veux pas dire par là que les marchés financiers pourraient décider subitement de ne plus prêter aux administrations publiques canadiennes. Ce qui se passe en fait, comme on a pu le voir récemment, c'est que lorsque les niveaux d'endettement sont très élevés, les investisseurs peuvent devenir de plus en plus inquiets et décider de ne conserver les titres de dettes de nos gouvernements que s'ils reçoivent pour cela un taux d'intérêt beaucoup plus élevé.
[Traduction]
Ceci m'amène à la question des taux d'intérêt et j'aimerais situer leur rôle à l'égard de la dette et des déficits dans un contexte plus large que celui purement arithmétique invoqué par le vérificateur général dans son rapport.
Je veux surtout faire ressortir que les taux d'intérêt au Canada sont influencés par les politiques économiques que nous mettons en oeuvre, notamment celles qui concernent la dette et les déficits publics. C'est en partie pour cette raison que les taux d'intérêt ont été faibles par rapport à la croissance de l'économie avant 1980 et qu'ils se sont élevés par la suite, comme le montre le graphique de la page 12 de la version française du rapport du vérificateur général. C'est aussi parce que les taux d'intérêt ont augmenté à l'échelle internationale.
Ainsi, en matière de politique économique, les politiques de réglementation en vigueur au cours des années 50 et 70 imposaient un plafond aux taux d'intérêt que les banques pouvaient exiger et d'autres restrictions en matière de crédit, de sorte que les gouvernements ne subissaient pas, de la part des emprunteurs du secteur privé, la même concurrence que maintenant pour obtenir du financement. À partir de 1967, une bonne partie de cette réglementation a été éliminée de façon à donner aux emprunteurs privés, et surtout aux ménages, un meilleur accès au crédit. En raison de la concurrence accrue entre les emprunteurs, les taux d'intérêt ont dû augmenter pour que s'établisse un équilibre entre l'offre et la demande de crédit. Aussi, les gouvernements ont-ils dû payer leur financement plus cher lorsque, dans les années soixante-dix, ils ont commencé à laisser leurs déficits se creuser.
[Français]
Le niveau des taux d'intérêt a aussi été influencé par l'inflation. Lorsque celle-ci a commencé à s'accélérer au cours des années 1970, bien des épargnants et des prêteurs ont été pris par surprise et, pendant un certain temps, ils ont cru que l'inflation n'était qu'un phénomène temporaire. Par conséquent, les taux d'intérêt nominaux sont restés faibles par rapport à l'inflation et à la croissance de l'économie. Le gouvernement n'a donc eu aucun mal à assurer le service de sa dette, mais ce sont les épargnants qui en ont fait les frais. À la fin des années 1970, toutefois, on a commencé à s'attendre à ce que l'inflation demeure élevée. Et parce qu'il est très difficile de prédire le taux d'inflation lorsqu'il est élevé, les épargnants, les investisseurs et les prêteurs en sont venus à exiger des taux d'intérêt suffisamment élevés pour les dédommager de l'inflation attendue, ainsi qu'une prime en contrepartie de l'incertitude au sujet de l'inflation. Cette prime de risque a fait augmenter les taux d'intérêt que doivent payer tous les emprunteurs, et les coûts du service de la dette publique se sont mis à croître plus rapidement que l'économie.
[Traduction]
Mais la situation budgétaire du secteur public se serait détériorée à partir du milieu des années 70 même sans l'alourdissement du service de la dette. Comme je l'ai déjà mentionné, une fois que le ratio de la dette au PIB a atteint des niveaux élevés, les investisseurs ont commencé à s'inquiéter au sujet de la capacité et de la volonté des gouvernements de continuer à assurer le service de leur dette. Donc, même si notre taux d'inflation a fléchi, nos taux d'intérêt sont restés relativement élevés. Bien que l'incertitude au sujet de l'inflation soit sans doute encore un élément des primes de risque incorporées à nos taux d'intérêt, ces primes sont maintenant davantage imputables aux préoccupations suscitées par la dette et les déficits.
Une bonne indication du niveau des primes de risque est fournie par les écarts observés entre les taux d'intérêt canadiens et américains pour le moyen et le long terme. Actuellement, ces écarts sont assez grands, ce qui signifie que les taux d'intérêt se situent à des niveaux coûteux pour le Canada sur une longue période. Des taux d'intérêt élevés découragent les investissements consacrés à l'amélioration de la productivité qui pourraient contribuer à relever le niveau de vie des Canadiens à l'avenir. En outre, dans la mesure où nos titres de dette sont détenus par des étrangers, les primes de risque actuellement incorporées à nos taux d'intérêt font augmenter les coûts du service de la dette que nous payons à l'étranger et nous appauvrissent en tant que pays.
[Français]
De plus, à cause de nos niveaux d'endettement actuels, la moindre mauvaise nouvelle, comme une hausse des taux d'intérêt à l'échelle internationale ou un regain de l'incertitude politique au Canada, rend les investisseurs plus inquiets encore au sujet de la capacité et de la volonté des administrations publiques canadiennes d'assurer le service de leur dette à l'avenir. En conséquence, ils exigent des primes de risque encore plus élevées pour détenir les emprunts de nos gouvernements, et les coûts en intérêts, les déficits et la dette elle-même continuent d'augmenter. Un gouvernement peut alors se trouver dans un cercle vicieux, où la hausse des taux d'intérêt entraîne l'aggravation de la dette et vice versa. C'est ce type de pressions qu'a subi le gouvernement pendant un certain temps, après la montée des taux d'intérêt américains qui s'est amorcée au début de 1994 et de nouveau, au début de 1995, par suite de la crise monétaire au Mexique.
[Traduction]
Les mesures prises par le gouvernement fédéral et la plupart des administrations provinciales cette année pour corriger leurs déséquilibres budgétaires ont permis de dissiper en partie la nervosité que suscite sur les marchés financiers la situation des finances publiques. Je suis convaincu que cela a été utile durant la période d'incertitude politique liée à la campagne référendaire.
Toutefois, si l'on en juge par l'importance des écarts qui subsistent entre les taux canadiens et américains des obligations à moyenne et à longue échéance, nous demeurons vulnérables à tout choc qui pourrait attiser les inquiétudes des investisseurs au sujet de la capacité des administrations publiques canadiennes de rester dans la voie qu'elles se sont fixée en matière budgétaire. Cela me porte à croire que, si nous voulons réduire notre vulnérabilité à la volatilité des marchés financiers et au niveau élevé des coûts en intérêts, il faut que le ratio de la dette au PIB pour l'ensemble des administrations publiques canadiennes soit plus bas qu'il ne l'est à l'heure actuelle.
Merci, monsieur le président. Mes collègues et moi-même sommes prêts à répondre à vos questions.
[Français]
Le président: Merci, monsieur Thiessen. Nous allons maintenant passer à la période de questions. Nous allons débuter comme d'habitude avec M. Laurin.
Monsieur Laurin, vous avez dix minutes.
M. Laurin (Joliette): Monsieur le gouverneur, étant donné que nos taux d'intérêt sont influencés, comme vous le disiez, par la crédibilité du gouvernement fédéral et qu'il semble aussi reconnu par plusieurs que le fait de ne pas fixer d'échéancier à long terme pour la réduction de la dette entache en partie cette crédibilité, pourriez-vous nous dire quel impact a sur les taux d'intérêt le fait que le gouvernement ne se fixe pas d'échéancier à long terme pour la réduction de sa dette?
Je me permets de préciser, monsieur le gouverneur, que cela a aussi été mentionné par la maison de cotation Moody's, lorsqu'elle a baissé la cote de crédit du Canada de AAA à AA1 sur les obligations du gouvernement fédéral. L'agence new-yorkaise avait justifié sa décote en invoquant le manque d'objectifs clairs du gouvernement en matière de réduction du déficit au-delà des années 1996-1997. M. Martin continue à faire des projections n'excédant pas deux ans. Voilà pourquoi je vous pose cette question.
M. Thiessen: Je ne sais pas vraiment... Il faut que les objectifs soient crédibles. Étant donné que le Canada a connu plusieurs gouvernements qui ont fixé des objectifs qu'ils n'ont pas pu réaliser, il y a maintenant un manque de crédibilité quand un gouvernement fixe des objectifs pour réduire son déficit budgétaire. Je ne sais pas exactement quelle est la meilleure solution, mais il faudrait certainement exiger que le gouvernement réalise ses objectifs, sinon sa crédibilité se détériorera.
[Traduction]
Je préciserai, pour être absolument clair, qu'il faut avoir des objectifs crédibles. Si vos objectifs ne le sont pas, si vous ne vous sentez pas liés par rapport à eux et ne pensez pas pouvoir les atteindre, cela fait plus de mal que de bien.
[Français]
M. Laurin: Je vais poser ma question de façon plus précise, monsieur le gouverneur. Quel est l'impact de ce comportement du gouvernement sur les taux d'intérêt, selon vous?
M. Thiessen: Je ne le sais pas. Si le gouvernement établit des objectifs, mais que ces objectifs ne sont pas crédibles, les écarts entre nos taux d'intérêt et les taux d'intérêt aux États-Unis augmenteront, ce qui fera augmenter les primes de risque. Les objectifs sont utiles seulement s'ils sont crédibles.
M. Laurin: Je trouve étonnant, monsieur le gouverneur, que vous ne puissiez nous donner une opinion là-dessus puisque la maison d'évaluation Moody's se base là-dessus pour évaluer l'impact de cette conduite. De plus, comme la Banque du Canada contrôle, d'une certaine façon, les taux d'intérêt, comment se fait-il que vous ne puissiez évaluer l'impact d'une telle conduite politique?
M. Tim E. Noël (sous-gouverneur, Banque du Canada): L'important pour les marchés, c'est non seulement d'avoir des objectifs très crédibles, mais aussi de réussir à les atteindre d'année en année. C'est ça qui va avoir un effet sur les primes de risque sur le marché.
Il est beaucoup plus important de faire ça que de faire, comme les gouvernements ont fait dans le passé, une projection cinq ans à l'avance qu'ils n'ont pas réussi à atteindre. Donc, pour avoir de la crédibilité, il faut avoir des objectifs crédibles, mais aussi atteindre ces objectifs d'année en année.
M. Laurin: Est-ce que vous pourriez évaluer, en pourcentage de taux d'intérêt, à combien s'élève cette prime de risque actuellement?
M. Noël: Il est difficile de dire à combien exactement s'élève la prime de risque.
Une façon de regarder la prime de risque sur le marché canadien, en ce moment, est de regarder les obligations à rendement réel du gouvernement du Canada, qui, actuellement, sont cotées à environ 4,5 p. 100.
Dans le long terme, on est à environ 7,80 p. 100, ce qui donne 3,30, mais ce sont des attentes inflationnistes. En fait, ce sont des primes de risque qui incluent toutes sortes de choses, comme l'incertitude quant à l'inflation et la situation fiscale du gouvernement canadien.
Il est très difficile de déterminer quelle partie de la prime de risque est spécifiquement attribuable à ce que vous disiez dans votre question.
M. Laurin: Mais sur un taux de 7 ou 8 p. 100, on ne peut pas évaluer, à peu près, à combien s'élèverait la partie attribuable à la prime de risque?
M. Thiessen: On peut dire que l'écart entre les taux d'intérêt au Canada et aux États-Unis, pour le long terme, est d'environ 175 points de base. C'est très élevé. Normalement, l'écart se situe entre 50 et 75 points de base. À l'heure actuelle, il est beaucoup plus élevé.
Mais on ne saurait dire quel est le taux exact de la prime. On ne peut en être certain. Ce qu'on sait, cependant, c'est que les écarts entre nos taux d'intérêt et les taux aux États-Unis sont excessivement élevés.
M. Laurin: Monsieur le gouverneur, puisque la Banque du Canada contrôle le taux d'intérêt, croyez-vous que la politique monétaire de la Banque du Canada pourrait être plus souple et s'adapter à un objectif de réduction du ratio de la dette par rapport au produit intérieur brut? Autrement dit, la Banque va-t-elle poursuivre essentiellement, dans sa politique monétaire, un objectif de contrôle de l'inflation, ou peut-elle devenir moins restrictive et s'adapter à un objectif de réduction du ratio dette-PIB?
M. Thiessen: Je ne crois que ça serait une bonne idée. Pour avoir les taux d'intérêt les plus bas possibles, il faut avoir un taux d'inflation très, très bas. Ce n'est qu'avec des objectifs de contrôle du taux d'inflation que la Banque pourra encourager les taux d'intérêt les plus bas possibles. C'est ce qui va aider le gouvernement à réduire son niveau d'endettement très élevé.
Je crois qu'il est vraiment impossible pour la Banque du Canada d'avoir un objectif comme le ratio dette-PIB. Cela ne va vraiment pas avec la politique monétaire. On ne peut avoir une politique monétaire qui peut réduire la dette du gouvernement.
M. Laurin: Monsieur le gouverneur, je ne suis pas un économiste, évidemment, mais je suis toujours étonné lorsqu'on parle d'inflation. Il me semble que le taux d'intérêt, c'est le coût qu'on paye pour l'argent qu'on veut emprunter.
M. Thiessen: Oui.
M. Laurin: Alors, si c'est le coût qu'on paye pour l'argent qu'on veut emprunter, le taux d'intérêt est donc lui-même un facteur d'inflation.
Lorsqu'on ne veut pas que le coût des marchandises augmente, on s'organise pour les payer moins cher, mais vous avez la maîtrise des taux d'intérêt, qui correspondent au coût de l'argent, que vous pouvez vous-même les fixer plus bas. Est-ce que ça ne serait pas une mesure qui aiderait à réduire l'inflation?
M. Thiessen: Pas vraiment. C'est un niveau de demande globale très élevé qui peut causer les pressions inflationnistes. Avec une politique monétaire restrictive, on peut réduire la pression de la demande globale sur la capacité de l'économie. Cela, c'est beaucoup plus important que le coût des taux d'intérêt.
[Traduction]
Pour être plus clair, j'ajouterai que la politique monétaire agit au niveau de la demande globale et des pressions qui en découlent sur la capacité de production de notre économie. C'est lorsque la demande exerce une pression trop forte sur les capacités de notre économie que l'on a une inflation persistante. C'est, à longue échéance, la cause fondamentale de l'inflation. En tant que facteurs de coût, les taux d'intérêt ne jouent pas un rôle très important parce que, si vous êtes dans les affaires, vous ne pouvez pas répercuter une augmentation de vos coûts à moins que la demande existant dans l'économie ne soit très forte.
Le président: Monsieur Williams, vous avez dix minutes.
M. Williams (St-Albert): Merci, monsieur le président.
Bonjour, monsieur M. Thiessen et messieurs. Je suis heureux que vous soyez ici aujourd'hui pour nous donner quelques explications au sujet de la dette et du déficit. Le vérificateur général a souligné que c'est une question qui préoccupe fortement l'ensemble de la population canadienne.
Dans votre déclaration d'ouverture, monsieur Thiessen, je remarque que vous dites qu'il faut au moins prendre des mesures pour faire baisser la dette. Vous ajoutez:
- ...lorsque l'endettement atteint des niveaux très élevés, il se peut qu'il ne suffise plus de
stabiliser le ratio de la dette au PIB et qu'il faille le faire baisser.
- ...il faut que le ratio de la dette au PIB pour l'ensemble des administrations publiques
canadiennes soit plus bas qu'il ne l'est à l'heure actuelle.
M. Thiessen: J'aimerais pouvoir vous donner une réponse simple. Mais j'indique également dans ma déclaration d'ouverture que l'analyse économique ne peut pas nous fournir une façon simple et directe de dire que l'on sait que les chiffres devraient se situer à tel ou tel niveau. Ce que nous savons, c'est qu'avec les ratios de la dette au PIB actuels de l'ensemble des administrations publiques canadiennes, qui dépassent maintenant largement 100 p. 100 du PIB, nous nous retrouvons avec des taux d'intérêt très élevés - des taux d'intérêt incluant une importante prime de risque et qui sont très différents de ceux des États-Unis.
Nous savons également qu'avec des ratios de la dette au PIB de ce genre, nous sommes vulnérables à la volatilité des marchés et, quand une mauvaise nouvelle arrive, les investisseurs, qu'ils soient canadiens ou étrangers, examinent la situation canadienne et disent que les pouvoirs publics vont apparemment avoir encore plus de difficulté à assurer le service de leur dette à l'avenir. On peut alors se retrouver dans un cercle vicieux: les gens hésitent plus à vous prêter de l'argent et ne le font qu'à des taux d'intérêt plus élevés. Cela augmente le coût du service de la dette, alourdit plus rapidement cette dette et inquiète encore plus les investisseurs.
Nous savons qu'avec les ratios de la dette au PIB actuels, nous sommes très vulnérables. Nous devons donc essayer de les abaisser. Je crains de ne pas pouvoir me livrer à une analyse objective qui me permettrait de vous dire qu'il se trouve que je sais quel est le chiffre à atteindre.
M. Williams: Dans son rapport sur la situation de la dette de décembre 1995, le ministre des Finances indique que les particuliers et les petites entreprises ne veulent plus prêter de l'argent à l'État. Le montant des titres de dette détenus par cette catégorie de gens a baissé de 17 p. 100, soit 10 milliards de dollars, une baisse importante. Les Canadiens commencent-ils à se méfier de la dette du Canada?
M. Thiessen: Je ne crois pas que je dirais cela. Il est certainement vrai que tous les investisseurs, aussi bien canadiens qu'étrangers, ne sont prêts à détenir ces titres de dette que si nos taux d'intérêt sont nettement supérieurs à ceux des autres pays, surtout par rapport à ceux des États-Unis. Cela montre qu'ils s'inquiètent au sujet de l'avenir et de la préservation de la valeur de leurs investissements s'ils investissent dans des titres de dette du gouvernement canadien et, même, du Canada en général.
M. Noël: Je pourrais peut-être ajouter quelque chose. Ces chiffres concernent ce qui est détenu directement par cette catégorie de gens.
L'une des choses qui se passent est qu'un certain nombre de particuliers possèdent des titres de dette du gouvernement du Canada par l'intermédiaire de fonds mutuels qui investissent eux-mêmes dans ces titres. Ce n'est donc pas quelque chose qu'ils détiennent directement, mais indirectement. Les chiffres ont dont tendance à exagérer la réduction des montants détenus par ces gens-là.
M. Williams: La politique officielle du gouvernement est de faire passer la dette à long terme de 55 p. 100 de la dette du marché actuellement à 65 p. 100. Les titres de dette détenus à l'étranger, qui constituent environ 25 p. 100 de notre dette, sont de plus en plus souvent des bons du Trésor et des valeurs à court terme. Ces investisseurs délaissent les titres à long terme en faveur des titres à court terme à cause de la vulnérabilité dont vous parlez, monsieur Thiessen, ce qui va à l'encontre de la politique du gouvernement qui privilégie la dette à long terme.
Pouvons-nous rapatrier cette dette étrangère pour essayer d'atteindre les objectifs que s'est donnés le gouvernement? Sinon, que faire si nous préférons le long terme alors que les prêteurs étrangers insistent pour avoir des titres à court terme? Comment régler ce problème?
M. Thiessen: Je ne sais pas si les prêteurs étrangers insistent absolument pour avoir des titres à court terme. L'intérêt que présentent des titres à plus long terme pour la dette du gouvernement canadien est que l'on échappe ainsi en partie aux variations brusques qui se produisent lorsque les taux d'intérêt à court terme passent par des hauts et des bas, ce qui peut avoir de lourdes répercussions sur votre déficit budgétaire d'une année à l'autre et constitue une source importante de préoccupation et d'incertitude.
Donc, si la dette est à un peu plus long terme, les coûts du service de la dette sont plus réguliers et, en conséquence, le déficit ne fluctue pas autant d'une année à l'autre. Cela me paraît en effet constituer quelque chose de très attrayant.
Je dois toutefois dire qu'à ma connaissance, les étrangers n'insistent pas pour détenir seulement des titres à court terme. Je pense néanmoins qu'il est vrai qu'ils détiennent des titres à terme un peu plus court. Mon collègue Tim Noël me signale justement que le ratio penche en effet un peu plus vers le court terme. Je dois toutefois dire qu'en écoutant ce que les gens disent du Canada, je n'ai pas l'impression qu'ils sont décidés à prêter au gouvernement canadien seulement à très court terme.
M. Williams: C'est la deuxième fois que le vérificateur général publie un document concernant les dettes et les déficits et il demande que la population canadienne et le Parlement soient mieux informés.
Je m'inquiète des coûts cachés que représentent les obligations à rendement réel qui prévoient un paiement libératoire au bout de 30 ans, quand elles arrivent à échéance, pour refléter l'inflation [Inaudible - Éditeur] l'intérêt accumulé sur les bons d'épargne du Canada, ceux qui sont payés sur une base cumulative quand ils viennent à échéance au bout d'un certain nombre d'années. En outre, il y a seulement environ un an, le gouvernement a changé sa méthode comptable pour amortir les frais d'émission initiaux des titres de dette sur la totalité de leur période de validité.
Tout cela revient à reporter les coûts de l'exercice en cours. Quelle somme reportons-nous en ce qui concerne ces obligations à rendement réel, ces bons d'épargne du Canada à intérêt composé qui représentent un coût réel pendant l'exercice en cours mais sont reportés à une année ultérieure?
M. Thiessen: Je laisse la parole à mes collègues qui connaissent cette situation un peu mieux que moi.
M. Vaughn O'Regan (conseiller, Banque du Canada): À ma connaissance, les pratiques comptables du gouvernement tiennent compte annuellement du montant amorti aussi bien en ce qui concerne les bons d'épargne du Canada à intérêt composé, comme on les appelle, que les obligations à rendement réel. Il me semble au moins que la comptabilité effectuée chaque année doit refléter ce qui se passe.
Pour ce qui est de la proportion, dans le cas des obligations à rendement réel, il y a un versement d'intérêt qui est effectué chaque année et qui se monte généralement à environ 4,25 p. 100. Dans la mesure où ce paiement d'intérêt inclut également l'inflation, cela le diminue peut-être de moitié. L'autre moitié reste attachée à l'obligation et, comme vous l'indiquez, elle est payée lorsque le titre vient à échéance. Cela constitue une indexation du capital.
Le montant reporté représente environ la moitié du coût relié à ces obligations à rendement réel. À l'heure actuelle, la valeur des titres en circulation est d'environ 5,5 milliards de dollars. Comme vous le savez, la dette totale dépasse 500 milliards de dollars; la catégorie dont vous parlez n'en représente donc qu'une proportion assez faible.
M. Williams: Je pensais que si le facteur d'inflation s'élevait à environ 2 ou 3 p. 100 de 5 milliards de dollars, cela ferait entre 100 et 200 milliards de dollars cette année et, pour autant que je sache, ces obligations à rendement réel pourraient représenter une partie plus importante du portefeuille et devenir donc un facteur de plus en plus important. Si l'inflation ne reste pas à son faible niveau actuel, cela pourrait représenter un coût caché qui imposera une charge financière croissante pour la population canadienne à l'avenir, soit à peu près la même chose que le passif non capitalisé et la dette que nous avons accumulés.
Le ministre des Finances a dit qu'il était fermement décidé à atteindre les objectifs qu'il avait établis. Si, à la fin du cycle économique actuel - et tout s'est bien passé pendant ce cycle - , nous constatons un fléchissement ou un ralentissement de l'économie qui diminue les recettes et exige peut-être une réduction des dépenses, quelle sera la politique de la Banque du Canada vis-à-vis de l'inflation dans une telle situation? Allez-vous permettre au ministre d'atteindre ses objectifs si stricts en laissant peut-être un peu de champ à l'inflation ou allez-vous vous en tenir à votre politique de maintien de l'inflation à l'intérieur de certaines limites?
M. Thiessen: Comme je l'ai dit tout à l'heure en répondant à une autre question, la politique monétaire est conçue pour lutter contre l'inflation et certainement pas pour aider le gouvernement à réduire sa dette ou le ratio de la dette au PIB.
La Banque du Canada est absolument déterminée à maintenir l'inflation à l'intérieur d'une fourchette de 1 à 3 p. 100. Si l'activité économique ralentit quelque peu, cela aura tendance, en fin de compte, à faire baisser un petit peu les projections quant à l'évolution du taux d'inflation. Dans ces conditions, cela permet à la Banque de prendre des mesures monétaires moins rigoureuses permettant de soutenir une économie affaiblie.
Fondamentalement, nos objectifs en matière de lutte contre l'inflation constituent un ensemble de stabilisateurs automatiques. Si l'économie est très dynamique, elle est inflationniste, ce qui tend à nous encourager à imposer des conditions monétaires strictes. Si l'économie est peu active et que l'inflation a tendance à descendre vers le bas de la fourchette prévue ou même en dessous, cela nous encourage à assouplir nos conditions monétaires. Cela aide l'économie à fonctionner avec moins d'à-coups. Tel est justement l'objectif de la politique monétaire. Nous ne dirions en aucun cas qu'il pourrait être, d'une façon ou d'une autre, bon pour l'économie d'avoir une inflation plus élevée. Absolument pas. C'est une politique contraire aux objectifs recherchés et qui crée plus de difficulté qu'il n'en faut. Tout cela entraîne une forte augmentation des taux d'intérêt et des coûts du service de la dette et les déficits publics empirent à moins que les gouvernements ne réagissent en prenant certaines mesures.
Le président: Monsieur Assad.
M. Assad (Gatineau - La Lièvre): Monsieur Thiessen, nous avons ici l'occasion de discuter certaines de ces questions. Depuis que le vérificateur général a indiqué que nous devions avoir un débat public sur la dette et le déficit, j'ai également l'impression que le moment est peut-être venu d'envisager la possibilité d'une réforme monétaire.
En 1939-1940 et jusqu'au début des années 50, la Banque du Canada a consenti des prêts très importants au gouvernement fédéral à des taux d'intérêt très bas qui sont même descendus, si je me souviens bien, jusqu'à un demi pour cent. Ces prêts ont contribué pour une large part à permettre à notre pays de sortir de la grande dépression des années 1930 et à financer le vaste effort de guerre des années 1940 et l'expansion de notre économie dans l'après-guerre.
Ma question porte sur la chose suivante. Si la Banque du Canada a pu agir ainsi lorsque le Canada faisait face à une crise très grave en 1939, pourquoi ne pourrait-elle pas prendre des mesures face à notre grave crise nationale actuelle?
Je ne pense pas que ce soit une exagération. Le déficit public augmente fortement, des centaines et des milliers d'emplois disparaissent de façon permanente aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. Dans le secteur privé, c'est sans doute dû au libre-échange plus qu'à tout autre facteur. La chute inévitable du niveau de vie de millions de Canadiennes et de Canadiens et la grave menace d'une division de notre pays... À mon avis, les facteurs économiques se sont fait sentir lors du référendum au Québec il y a quelques semaines.
Plus précisément, si l'un ou l'autre des premiers ministres qui ont des déficits annuels élevés dus dans une large mesure aux intérêts à payer pour assurer le service de leur dette croissante, s'adressait à la Banque du Canada en lui demandant, premièrement, de lui accorder des taux d'intérêt très bas - disons 2 p. 100 - pour remplacer les emprunts à taux d'intérêt élevés au fur et à mesure qu'ils arrivent à échéance et, deuxièmement, de financer les projets d'investissement nécessaires aux niveaux provincial et municipal et si le gouvernement fédéral était d'accord, la Banque du Canada approuverait-elle et consentirait-elle de tels prêts? Si non, pourquoi?
M. Thiessen: La réponse est non. La Banque du Canada n'est pas prête à consentir de tels prêts. La raison en est que cela correspondrait en fait à faire marcher la planche à billets. Nous savons très bien que si l'on met en circulation une quantité d'argent supérieure aux besoins de l'économie, cela ne fait que contribuer à l'inflation. Cela se traduit par des taux d'intérêt plus élevés et les gouvernements fortement endettés vont se retrouver dans une situation pire qu'auparavant. Cela ne sert tout simplement à rien.
Une telle solution sous-entendrait d'une certaine façon que l'on peut tromper les gens et qu'en quelque sorte, ils ne réagiront pas face à l'augmentation de l'inflation, que les épargnants continueront d'épargner et qu'ils prêteront de l'argent à des taux d'intérêt bas ne permettant pas de compenser les effets de l'inflation. Nous savons que les choses ne se passent plus comme cela. Les épargnants sont préoccupés par l'inflation. Ils sont préoccupés par la valeur de l'argent qu'ils économisent. Donc, s'ils prêtent de l'argent au gouvernement, ils veulent être sûrs qu'ils finiront par le récupérer.
Le bilan de la Banque du Canada est tout petit par rapport aux besoins des pouvoirs publics. Si nous devions prêter d'importantes sommes d'argent, il se produirait une augmentation énorme de notre bilan, ce qui serait en fait l'équivalent contemporain du recours à la planche à billets. Cela ne peut tout simplement pas constituer une solution à nos problèmes.
M. Assad: Très bien, sinon que j'ai déjà lu cela par le passé et que je vais vous poser à nouveau la question. Vous supposez que la Banque se prononcerait contre un tel prêt parce qu'elle en craindrait les effets inflationnistes. Il est évident que la Banque du Canada a analysé soigneusement cette possibilité - c'est certain. Supposons qu'elle consent un tel prêt aux provinces. Le résultat monétaire en serait simplement une augmentation du bilan de la Banque du Canada.
Je mentionne cela parce que je me rends compte que ce n'est pas une solution simple, sinon qu'il me paraissait logique que, comme c'est ce que nous avions fait pendant la guerre et l'après-guerre... Comme je le disais, cela se ramènerait simplement à une augmentation du bilan de la Banque du Canada. En actif, elle aurait une créance envers le gouvernement provincial concerné. Du côté passif, il y aurait une augmentation équivalente de la somme que la province emprunteuse déposerait dans une banque à charte. Les dépôts très importants que les banques à charte auraient alors auprès de la Banque du Canada augmenteraient bien entendu considérablement leurs réserves de trésorerie. Si la Banque décidait d'utiliser cet argent pour augmenter énormément les prêts qu'elle accorde aux entreprises et aux consommateurs du Canada, cela aurait bien entendu un effet inflationniste. Je pense que nous comprenons cela.
Ne pourriez-vous pas, le gouvernement fédéral et vous-même, prévenir facilement une telle situation en exigeant que les banques à charte déposent certaines réserves auprès de la Banque du Canada, ces dépôts étant alors en fait gelés à un niveau permettant d'éviter tout risque d'effet inflationniste?
Je me rends bien compte que nous avons laissé nos réserves disparaître progressivement; avec le Royaume-Uni et la Suisse, cela fait trois pays dans le monde qui sont dans cette situation. Ce que nous cherchons tous ici est une solution de rechange au programme de repli sur soi que notre gouvernement a dû imposer aux provinces et aux municipalités et qui élimine des emplois. Les gouvernements provinciaux n'ont pas pu faire autrement qu'adopter ces politiques afin de pouvoir maîtriser leur déficit.
Pendant la guerre et à la fin de la dépression, la Banque du Canada a pris ces mesures extraordinaires. Il y avait une crise. Dieu sait que nous sommes également en crise maintenant.
Je lisais récemment The Financial Post. Il y avait là votre photo en même temps que celle, je crois, d'Alan Greespan de la réserve des États-Unis. On citait les propos d'un banquier international allemand - il travaillait peut-être pour la banque centrale d'Allemagne - qui disait qu'il ne nous restait plus grand-chose d'autre que les instruments monétaires.
Bon, il faut faire des réductions lorsqu'il y a du gaspillage, mais nous allons bien devoir réfléchir à une réforme monétaire. De telles mesures paraissent-elles tellement tirées par les cheveux qu'on ne pourrait pas même les envisager?
M. Thiessen: Je crois malheureusement devoir répondre qu'en effet, elles me paraissent plutôt tirées par les cheveux. Je dois dire qu'il faudrait que je vérifie les dossiers de la Banque, mais, à ma connaissance, elle n'a pas prêté des sommes importantes au gouvernement pendant la guerre. Elle a certainement contribué à aider le gouvernement à financer ses besoins pendant cette période, mais, à ma connaissance, elle n'a pas consenti directement des prêts au gouvernement. Je vais certainement vérifier cela lorsque je serai de retour à mon bureau, mais, à ma connaissance, elle ne l'a pas fait.
La solution que vous proposez, dans le cadre de laquelle la Banque prêterait aux provinces... Si ses actifs augmentent, il faut quelque chose d'équivalent au passif. Vous dites à juste titre que, dans des conditions normales, lorsque la Banque achète des actifs ou accorde des prêts, on inscrit alors à son passif les dépôts des banques à charte, des caisses Desjardins, des caisses populaires et des compagnies de fiducie. La seule façon de pouvoir accorder des prêts importants à qui que ce soit serait d'augmenter ce genre de dépôts, ce qui serait très inflationniste.
Vous demandez maintenant pourquoi on n'augmenterait pas les réserves obligatoires? Ces réserves obligatoires constituent en fait une sorte d'impôt sur les banques et les caisses populaires. C'est en fait un impôt sur les dépôts.
Il me semble que si l'on veut augmenter le niveau d'imposition pour que le gouvernement fédéral puisse accorder des prêts aux provinces, il faut le faire directement. En le faisant par l'intermédiaire de la Banque du Canada, il me semble qu'on enveloppe simplement d'un voile de mystère quelque chose qui n'est en réalité rien d'autre qu'une augmentation des impôts.
M. Assad: D'après mes connaissances limitées dans ce domaine, il me paraît évident que si des dépôts sont versés à une banque à charte - disons que je fais un dépôt - , elle peut prendre ce dépôt... et quel est son coefficient de multiplication, neuf? Ce sont les banques à charte qui ont les moyens de faire croître mon dépôt.
M. Thiessen: Non, ça ne marche pas comme ça. En fait, les banques à charte doivent attirer des emprunteurs et des déposants. Elles doivent constamment payer les taux du marché pour attirer des déposants si elles veulent pouvoir prêter de l'argent aux emprunteurs. Il n'y a pas de coefficient de multiplication magique.
La notion que certains d'entre nous ont apprise dans leurs manuels d'économie autrefois, selon laquelle il y aurait ce multiplicateur monétaire miraculeux - on verse 10$ qui se transforment soudain en 1 000$... Non, ça ne marche pas comme ça. Il y a plutôt un grand nombre d'épargnants qui décident s'ils préfèrent épargner ou consommer. Ils examinent les taux d'intérêt qu'ils peuvent recevoir. En fonction de cela, ils décident s'ils veulent économiser cet argent ou le consommer. De l'autre côté, il y a les emprunteurs qui décident aussi s'il vaut mieux qu'ils contractent un emprunt pour l'investir ou qu'ils consomment.
C'est tous ces gens ensemble qui décident quel genre de taux d'intérêt nous allons avoir dans notre économie. Nous sommes également très fortement influencés par ce qui se passe dans le reste du monde.
Mais non, il n'y a pas de multiplicateur monétaire magique permettant aux banques de créer je ne sais comment du crédit et de l'argent à partir de rien. Non, monsieur.
[Français]
M. Fillion (Chicoutimi): Je vais me placer au niveau d'un commettant de ma circonscription et vous poser les questions qu'il se pose normalement lorsque je le rencontre.
Nos commettants nous disent que le problème d'endettement du gouvernement est imputable à deux choses: le pouvoir de dépenser du gouvernement et aussi, en grande partie, la politique de taux d'intérêt très élevés de la Banque du Canada. C'est l'analyse que font nos commettants. Ces gens-là nous demandent quelle est la part de responsabilité de la Banque du Canada dans les déficits élevés du pays. La planification gouvernementale telle qu'on la connaît, basée sur des objectifs de deux ans, affecte-t-elle la politique monétaire de la Banque?
M. Thiessen: Je ne suis pas certain d'avoir bien compris votre question.
M. Noël: Vous dites qu'en fait, une bonne partie de l'augmentation de la dette du gouvernement canadien est attribuable à la politique monétaire de la Banque du Canada, parce que vous prétendez que c'est la Banque du Canada qui contrôle les taux d'intérêt.
M. Fillion: Exactement. Ce sont des questions que nos commettants nous posent et ce sont les réponses qu'ils obtiennent. Ils finissent par se dire que l'endettement actuel est attribuable à ces deux aspects-là, surtout aux taux élevés déterminés par la Banque du Canada.
M. Thiessen: Mais la Banque du Canada ne peut pas déterminer les taux d'intérêt de façon arbitraire. On ne peut pas décider aujourd'hui qu'on aura un taux d'intérêt de 3 p. 100. Les choses ne fonctionnent pas comme cela. La politique monétaire peut avoir de l'effet sur la situation budgétaire du gouvernement via le taux d'inflation. Si la Banque du Canada pouvait contrôler le taux d'inflation, on pourrait avoir des taux d'intérêt plus bas et cela pourrait réduire les coûts de financement du gouvernement.
Si la Banque poursuit une politique monétaire inflationniste, les taux d'intérêt vont augmenter, le service de la dette du gouvernement va augmenter et la position budgétaire du gouvernement se détériorera.
M. Fillion: La politique monétaire serait-elle différente si l'endettement du pays était moindre?
M. Thiessen: Non, pas vraiment. Cela aiderait la mise en oeuvre de la politique monétaire, parce qu'on pourrait éviter la volatilité dans les marchés financiers, ce qui est souvent le cas actuellement. Même si la situation budgétaire était beaucoup plus saine que maintenant, la Banque du Canada poursuivrait une politique de contrôle de l'inflation, parce que c'est la meilleure contribution qu'on puisse faire au bon comportement de notre économie.
M. Noël: Si on avait une situation budgétaire plus saine, on aurait évidemment des taux d'intérêt moins élevés sur toute la courbe, parce que la prime de risque baisserait.
M. Thiessen: Oui, exactement.
M. Fillion: Au moment où l'on se parle, contrôlez-vous l'inflation?
M. Thiessen: Oui.
M. Fillion: C'est actuellement entre 1 et 3 p. 100. C'est cela, votre objectif?
M. Thiessen: C'est cela.
M. Fillion: Au moment où on se parle, est-ce que vous contrôlez l'inflation?
M. Thiessen: Oui.
M. Fillion: Est-elle entre 1 p. 100 et 3 p. 100?
M. Thiessen: Oui.
M. Fillion: C'est votre objectif?
M. Thiessen: Oui, c'est ça.
M. Fillion: Donc, vous atteignez actuellement votre objectif principal, qui est de contrôler l'inflation?
M. Thiessen: Exactement.
[Traduction]
M. Silye (Calgary-Centre): J'ai lu votre déclaration d'ouverture. Je voudrais me concentrer sur la dernière phrase:
- ...si nous voulons réduire notre vulnérabilité à la volatilité des marchés financiers et au niveau
élevé des coûts en intérêts, il faut que le ratio de la dette au PIB pour l'ensemble des
administrations publiques canadiennes soit plus bas qu'il ne l'est à l'heure actuelle.
Un économiste demandait si, plutôt que sur le pourcentage du PIB que représente le déficit, on ne pourrait pas plutôt se concentrer sur le ratio de la dette au PIB qui est ce sur quoi vous vous concentrez également? Cet économiste - j'oublie son nom - laissait entendre qu'au lieu du chiffre actuel de 73 p. 100, le ministre des Finances pourrait peut-être se donner pour objectif d'en arriver aussi rapidement que possible à 71 p. 100.
Après les avoir ainsi situées dans leur contexte, je poserais trois questions. Je vais les exposer et vous pourrez y répondre. Ensuite, mon intervention sera terminée.
Au dire de la plupart des spécialistes financiers, la dette représente actuellement 73 p. 100 du PIB. Ma première question est la suivante: d'après vous, c'est une des premières choses auxquelles le gouvernement devrait s'attaquer - mais de combien devrait-il abaisser ce chiffre? Il est de73 p. 100. De combien devrait-il baisser et quand devrait-on y parvenir? Faudrait-il atteindre71 p. 100? Soixante-dix pour cent? Je sais que cela peut varier, mais que proposeriez-vous?
Deuxièmement, quel niveau d'endettement pouvons-nous nous permettre? Tout ce débat tourne autour de savoir ce que notre pays peut se permettre. À l'heure actuelle, pour le gouvernement fédéral, nous en sommes à 568 milliards de dollars. Jusqu'où pouvons-nous aller? À la fin du présent mandat, nous aurons largement dépassé 600 milliards de dollars si nous utilisons même les 2 p. 100 prévus dans le budget de Paul Martin. Nous dépasserons largement les 600 milliards de dollars. Pouvons-nous aller jusqu'à un billion de dollars? Quelle est notre capacité d'emprunt? Dans quelle mesure pouvons-nous nous endetter encore plus? Jusqu'à quel point pouvons-nous hypothéquer notre pays?
Troisièmement, combien de temps cela peut-il durer? Cela fait maintenant 30 ans que nous n'avons pas remboursé un dollar de notre dette. Cela fait 30 ans qu'elle augmente sans arrêt depuis 1968. Jusqu'où pouvons-nous aller avant de commencer à la rembourser?
Voilà mes trois questions.
M. Thiessen: Je ne peux malheureusement pas vous donner de belles réponses simples. Comme je l'ai dit dans ma déclaration d'ouverture, l'analyse économique ne permet pas à elle seule de fournir une réponse simple et directe aux questions que vous avez posées. Aucune analyse objective ne permet de dire que oui, le chiffre actuel est d'environ 70 p. 100 - je préfère d'ailleurs dire que, de mon point de vue, il est bien supérieur à 100 p. 100 pour le secteur public dans son ensemble - et il faudrait qu'il se situe à tel ou tel niveau.
Il y a certainement un niveau d'endettement que nous pouvons nous permettre. Il dépend des niveaux d'imposition que, en tant que société, comme l'a souligné le vérificateur général, nous jugeons appropriés et des niveaux de service gouvernementaux que nous souhaitons. Il faut tenir compte de ces deux facteurs, ce qui donne alors une idée du niveau d'endettement que le pays peut supporter. Mais ce sont finalement des choix politiques au sens large du terme, des choix de société que les gens doivent faire.
Je dois dire qu'il m'est difficile de vous suggérer quelque chose. Ce que je sais, c'est qu'au niveau actuel des ratios de la dette au PIB, nous sommes vulnérables. Nous sommes vulnérables à la volatilité de nos marchés financiers. Nous sommes vulnérables aux taux d'intérêt élevés. Les primes de risque incorporées à nos taux d'intérêt nous coûtent très cher. Pour terminer cette déclaration, j'en conclus que les ratios d'endettement devraient être plus bas.
Je ne peux pas vous dire quel est le chiffre exact qu'il faudrait atteindre. Je dois dire que, personnellement, je pense que nous devrions chercher à abaisser ces primes de risque et, plus particulièrement, à réduire l'écart entre le taux d'intérêt du Canada et celui des États-Unis.
M. Silye: Vous avez répondu à mes deux premières questions. Pouvez-vous dire quelques mots au sujet de la dernière?
Combien de temps encore pouvons-nous continuer à aggraver notre problème? Combien de temps encore pouvons-nous continuer à alourdir la dette? Peu m'importe qu'on parle de30 milliards, de 10 milliards ou de 2 milliards de dollars par an. Quand devons-nous cesser de l'alourdir et quand devons-nous commencer à la rembourser?
M. Thiessen: Cela dépend de l'état de notre économie. Si nous avons une économie productive en expansion, le niveau de la dette, en termes monétaires, peut augmenter.
On peut, par exemple, avoir, disons, un ratio de la dette au PIB de 25 p. 100 ou 30 p. 100. Avec une économie productive en croissance, le niveau de la dette peut virtuellement s'accroître indéfiniment en même temps que l'économie, parce que les gens seront absolument convaincus que l'on est capable d'assumer cette dette et d'en assurer le service. C'est quand on atteint des niveaux élevés que les difficultés commencent.
Il est très peu vraisemblable qu'il y ait un certain niveau à partir duquel, d'un seul coup, plus personne n'est prêt à vous prêter de l'argent. Je ne crois pas que l'on puisse se retrouver soudain face à un mur ou à une falaise.
Ce qui se passe, c'est que les taux d'intérêt coûtent de plus en plus cher et on se retrouve de plus en plus pris dans le cercle vicieux dont je parlais tout à l'heure, c'est-à-dire qu'à la moindre mauvaise nouvelle, les investisseurs s'inquiètent aussitôt à votre sujet et exigent une prime de risque encore plus élevée. Votre situation paraît donc encore pire, ce qui les trouble encore plus qu'auparavant. Ce n'est pas une situation souhaitable.
M. Silye: Je vous remercie d'avoir répondu à ces trois questions. Je viens simplement de penser à une autre chose et ensuite j'aurai fini.
Hier soir, le premier ministre parlait avec des gens ordinaires sur les ondes du réseau anglais de Radio-Canada. Il a dit que notre pays a une dette et que nous payons les intérêts sur cette dette; il n'y a donc pas de problème.
Est-ce que nous empruntons de l'argent pour payer ces intérêts ou en empruntons-nous pour assurer nos dépenses de programmes?
M. Thiessen: Je ne sais pas si l'on peut réellement répondre que...
Une voix: Oh, oh!
M. Thiessen: ...malheureusement, en effet, comme on dit...
M. Silye: Il y a donc un problème, n'est-ce pas?
M. Thiessen: ...l'argent est fongible et l'on ne peut pas dire quelle somme va servir à quoi.
Oui, je pense qu'il y a un problème. Le ratio de la dette au PIB est trop élevé.
M. Silye: Merci.
Le président: Monsieur Telegdi.
M. Telegdi (Waterloo): Monsieur le président, merci beaucoup.
Vous savez, on se croirait un peu à une séance de la Chambre. Il y a d'un côté le ministre qui dit que nous établissons des objectifs crédibles que nous allons atteindre, des objectifs réajustés périodiquement. Je suis heureux d'entendre vos commentaires à ce sujet, mais les médias ont déjà diffusé des commentaires identiques.
Il y a surtout deux questions qui me préoccupent. Vous avez parlé du prix de l'instabilité politique et de l'augmentation de la dette qui en résulte aussi bien pour le gouvernement que pour les particuliers, surtout pour ceux qui ont une hypothèque, parce que quand les taux d'intérêt sont plus élevés, il faut dépenser plus. Vous pourriez peut-être nous parler de cela.
Ce qui me préoccupe aussi est que, lors de la dernière récession, des témoins comparaissant devant le Comité de l'industrie ont dit beaucoup de choses dont la presse s'est largement fait l'écho. En supprimant arbitrairement des prêts, des marges de crédit, les banques ont poussé beaucoup d'entreprises dans la récession ou la faillite, ce qui a eu des répercussions sur le PIB. Elles ont manifestement contribué à renforcer la récession.
Pour ce qui est du déficit et de la dette, je pense qu'il en existe deux sortes. D'une part, on peut investir pour réaliser un profit à un moment ou un autre; c'est ce que font les entreprises. Elles empruntent de l'argent en s'attendant à ce que cela leur rapporte ensuite un profit. Si elles ne s'endettent pas, elles ne réaliseront pas de profit.
Les gouvernements font aussi des investissements. Ils en font dans la recherche et le développement, ce qui est clairement différent d'un investissement consacré à un parc national, si vous voulez, du point de vue des retombées économiques.
Si nous n'investissons pas, il est évident que cela aura des conséquences à long terme sur l'économie. Il n'y aura ni expansion ni croissance.
Pouvez-vous commenter ces deux notions? Pour la deuxième, peut-on faire une distinction entre ce que l'on dépense pour encourager la croissance économique et ce que l'on dépense comme déficit, de toute évidence pour financer certains programmes qui ne contribuent pas à la croissance économique?
M. Thiessen: Eh bien, on peut certainement défendre l'idée que les gouvernements devraient faire une distinction entre les dépenses courantes et les investissements, tout comme on le fait dans le secteur privé, dans les entreprises.
Si vous voulez investir dans un projet d'immobilisation qui vous rapportera quelque chose au cours des quinze années suivantes, vous pouvez alors dire qu'il est parfaitement légitime d'emprunter pendant quinze ans et d'étaler le coût du service de cette dette sur quinze ans. Dans la mesure où le taux de rendement du capital investi est supérieur à ce que vous coûte l'argent emprunté, vous avez tout à fait raison de le faire.
Les pouvoirs publics ont souvent du mal à faire de telles distinctions. Il n'est pas aussi facile d'établir une ligne de démarcation entre un compte de capital et un compte courant.
Toutefois, vous le savez, quand on atteint des niveaux d'endettement très élevés, toute la marge de manoeuvre qui existerait dans des circonstances normales a tendance à disparaître. À moins de faire quelque chose pour reprendre le contrôle de la situation, les taux d'intérêt finissent par coûter très cher et ils finissent également par coûter très cher à l'ensemble du pays parce que les taux gouvernementaux déterminent généralement les taux d'intérêt minimums auxquels on a accès dans notre économie.
On se retrouve donc dans une situation qui ne laisse guère de choix. L'inaction face à la dette et au déficit coûte trop cher. On ne peut tout simplement pas dire qu'on va s'en accommoder. Ce n'est plus un choix possible.
M. Telegdi: L'une des façons d'agir est alors, de toute évidence, de relancer l'économie.
Il y a, dans ma circonscription, l'Université de Waterloo. Nous avons toute une gamme d'entreprises d'informatique. Leur activité économique connaît une croissance très rapide. Elles se demandent surtout si, au cours des 10 prochaines années, elles trouveront assez de gens ayant une formation adéquate. Bien entendu, si elles ne les trouvent pas, elles devront déménager ailleurs.
Le gouvernement a manifestement un rôle à jouer auprès des universités et il doit faire en sorte que les personnes nécessaires pour occuper des emplois disponibles puissent être formées. Sinon, on se retrouvera dans un beau pétrin.
Voilà le genre de choses à quoi je fais allusion. Je ne sais pas si les investissements en recherche et développement relèvent du compte de capital ou du compte courant. Ce n'est pas très clair.
M. Thiessen: Non.
M. Telegdi: Les banques ne comprennent pas grand-chose au secteur de l'informatique, elles le connaissent plutôt mal. Ce n'est pas comme acheter un gratte-ciel dont on sait qu'il possède une certaine valeur.
M. Thiessen: Mais si vous voulez dire, d'une façon ou d'une autre, qu'il ne faut pas essayer de régler le problème du déficit et de la dette à cause de cela, je vous dirai que ce n'est pas la solution.
M. Telegdi: Non, non, ce n'est pas du tout ce que je veux dire. Mais si nous devions supprimer toutes ces sortes de dépenses que nous effectuons actuellement, nous nous retrouverions dans un beau pétrin et il n'y aurait aucune croissance économique.
M. Thiessen: Il est hors de doute qu'il faut faire des choix difficiles et, en tant que chef de la banque centrale canadienne, je dois dire qu'à mon avis, je n'ai pas à dicter à qui que ce soit au Parlement quel type de choix il faudrait faire. C'est fondamentalement à vous de les faire. Les choix à faire sont des choix de sociétés.
Je ne peux que vous expliquer certaines des implications financières de la situation dans laquelle nous nous trouvons. En fin de compte, c'est vous qui aurez la tâche difficile de décider quelles dépenses il faut ou non supprimer.
Une voix: Je choisis la faillite.
Une voix: C'est pour cela qu'il y a des élections.
Une voix: Oh, oh!
M. Telegdi: Le vérificateur général a dit qu'il faudrait ouvrir un débat au sujet du déficit et de la dette et de ce que nous sommes prêts à assumer. Pour moi, il y a différentes sortes de dettes.
Pour reprendre votre terminologie, s'il y a des comptes courants et qu'ils ne servent qu'à financer des choses qui ne contribuent aucunement à la croissance de l'économie...
M. Thiessen: Certainement.
M. Telegdi: ...c'est évidemment quelque chose qui ne peut pas durer. Mais si nous désirons une croissance économique, nous devons certainement prendre certains risques comme le font les gens d'affaires quant aux orientations que nous choisissons.
Bon, il est hors de doute qu'il s'agit d'adopter une approche équilibrée. Au Parti libéral fédéral, nous avons une approche équilibrée. Je pense néanmoins que nous devons reconnaître qu'il existe différentes sortes de dettes et que, dans certains cas, une dette peut aussi représenter un investissement.
M. Thiessen: Bien sûr, mais si vous avez déjà au départ des niveaux d'endettement très élevés, je pense que vous aurez certaines difficultés même si vous avez un capital investi qui contrebalance tout cet endettement.
Si vous partiez de zéro et disiez qu'il est bon d'investir de cette façon parce que cela sera bénéfique pour l'économie et que l'on va emprunter à cette fin, je pense que tout le monde dirait que c'est parfaitement légitime. Mais si vous avez déjà accumulé une dette importante et si vous n'avez pas de capital productif en contrepartie, je pense que votre situation de départ n'est pas très confortable.
Le président: Monsieur O'Brien.
M. O'Brien (London - Middlesex): Merci, monsieur le président.
Monsieur Thiessen, j'ai trouvé votre déclaration d'ouverture intéressante et je vous prie de m'excuser pour mes quelques minutes de retard.
Monsieur le président, j'ai une question au sujet de tout ce problème du déficit et du ratio de la dette. Je représente la circonscription de London - Middlesex et c'est notre ville qui a été en quelque sorte choisie pour une grève d'une journée organisée pour protester contre les mesures prises par le gouvernement Harris. Certains parleraient de la stratégie de la terre brûlée adoptée par le gouvernement Harris.
Je crois cependant que vous avez très bien expliqué combien il est important de décider quel niveau de dette et de déficit nous pourrons assumer... Vous avez dit que c'était une décision politique au sens large du terme et je suis d'accord avec vous. Je pense que c'est aussi une décision politique au sens plus étroit du terme, c'est-à-dire qu'elle appartient aux gouvernements. Comme vous l'avez dit, je pense, à juste titre et comme le vérificateur général l'a dit lui aussi par le passé, ce n'est certainement pas une décision simple et ce n'est pas la Banque ou le vérificateur général qui doit la prendre, mais les gouvernements élus.
En réponse à une question que je lui avais posée l'année dernière, le vérificateur général a félicité le ministre des Finances pour les consultations qu'il effectuait, c'est-à-dire au moins pour la mesure dans laquelle le gouvernement actuel avait consulté la population. Je peux assurer à mes amis de l'autre côté que cela va continuer cette année.
À cette fin, j'ai organisé, de concert avec mes collègues, une assemblée publique avec les habitants de London la semaine dernière pour entendre leurs opinions très variées.
La première question que je poserai au sujet de la consultation de la population est la suivante: quel rôle pensez-vous que la Banque du Canada devrait jouer en matière de sensibilisation du public et, à votre avis, pourrait-elle jouer un rôle plus important à cet égard?
M. Thiessen: Oui, je pense certainement que la Banque pourrait jouer un rôle plus important en matière de sensibilisation du public. Nous sommes déjà beaucoup plus actifs dans ce domaine qu'il y a quelque temps.
Il est tout à fait clair que les institutions publiques ont des comptes à rendre à la population canadienne. Nous avons l'obligation d'expliquer ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons. C'est pour cela que nous avons consacré une partie plus importante de notre rapport annuel au chapitre dans lequel nous rendons des comptes sur les activités de la Banque.
Nous publions également un rapport semestriel sur la politique monétaire dans lequel nous essayons d'expliquer exactement, de façon beaucoup plus détaillée qu'auparavant, ce que nous comptons faire et pourquoi. Et nous essayons de placer cela dans un contexte davantage tourné vers l'avenir afin qu'il ne soit pas seulement question du passé mais que ce rapport donne également certaines indications au sujet de la façon dont nous envisageons l'avenir.
En outre, nous nous rendons dans tous les coins du pays pour expliquer aux gens ce qu'est la politique monétaire, mais également pour les écouter, car la politique monétaire doit être une politique nationale. Or, comme nous savons que notre pays se compose de toute une quantité de régions différentes, il faut que nous sachions ce qui se passe dans chacune d'elles.
Voilà en effet ce que nous faisons, une sensibilisation du public. Ce terme paraît représenter un peu quelque chose d'unilatéral. Je dois dire que je préfère parler de communication, car il me semble que cela va dans les deux sens.
M. O'Brien: C'est exact. J'appuie ce commentaire puisque, comme je l'ai dit, nous venons d'avoir notre troisième assemblée publique pour communiquer avec la population locale.
Je vous inviterai à présenter des critiques constructives, en quelque sorte, au sujet du gouvernement et du ministre des Finances actuels et à dire comment vous pensez que le gouvernement pourrait améliorer le processus de consultation. Même si, d'après ce que semblent dire des observateurs objectifs, le niveau de la consultation engagée par le gouvernement et le ministre des Finances actuels est apparemment sans précédent, comment le gouvernement et le ministre pourraient-ils faire encore mieux?
M. Thiessen: Je pense que vous abordez un domaine qui n'est pas du tout de mon ressort. Je ne connais pas d'assez près ce processus de consultation pour pouvoir vraiment le commenter.
M. O'Brien: Ma dernière question fait suite à ce qu'a dit mon collègue, M. Assad. Je suis un peu un professeur d'histoire du Canada et, à ma connaissance, pendant la guerre, la vente des obligations de guerre, qui a apporté une contribution essentielle à notre effort de guerre et qui a permis à la population canadienne de manifester son patriotisme... N'est-il pas vrai que la Banque du Canada a acheté certaines de ces obligations et les a créditées aux comptes du gouvernement? N'est-ce pas là en fait une sorte de prêt déguisé, en quelque sorte? Je crois que c'est une des choses que mon collègue souhaitait vous entendre commenter.
M. Thiessen: Là encore, la Banque détient toujours une certaine proportion de la dette publique. Nous avons un bilan d'environ 28 milliards de dollars et pratiquement tous nos actifs sont investis sous forme d'obligations et de bons du Trésor du gouvernement du Canada. C'est ce que nous faisons depuis la fondation de la Banque en 1935. Toutefois, d'après ce que je sais de l'histoire de la Banque, il ne me semble pas qu'elle ait accordé des prêts spéciaux au gouvernement pendant la guerre. Comme je l'ai dit, c'est quelque chose qu'il faudra que je vérifie pour en être absolument sûr. Nous avons néanmoins certainement participé aux efforts entrepris pour faciliter la vente de ces obligations à la population. C'est tout à fait vrai.
M. O'Brien: Merci beaucoup.
M. Grose (Oshawa): Monsieur Thiessen, comme de coutume, je poserai une question relativement simple. Comme cela, j'ai une bonne chance de comprendre la réponse. Cela m'amènera peut-être à vous raconter ma vie, mais ne craignez rien, chers collègues, ma vie s'est toujours déroulée à un rythme très rapide et cela ne prendra donc pas beaucoup de temps.
Nous avons parlé tout à l'heure de l'objectif consistant à réduire l'inflation à zéro. J'ai connu cette situation. Cela ne m'a pas plu. Pendant les années 1930, la vie était difficile. En 1939, nous avons trouvé de l'argent je ne sais comment, nous sommes partis en guerre et nous avons prospéré. D'après ce qu'on me dit, nous avons aussi emprunté beaucoup d'argent. Je ne dis pas que c'est vous qui nous l'avez prêté, mais nous l'avons apparemment remboursé. La raison pour laquelle nous avons contracté notre dette actuelle est différente.
Comme je l'ai dit, j'ai connu des périodes où l'inflation n'existait pas, où elle était modérée ou encore où elle était comparativement très élevée et j'aime beaucoup mieux les périodes d'inflation. Je vivais beaucoup mieux, je m'amusais beaucoup plus et les gens semblaient prospères.
À long terme, si vous me dites ce qui est à la source d'une partie du problème actuel, c'est très bien. Mais je me demande pourquoi nous attachons tant de prix à l'idée que l'absence d'inflation peut régler tous nos problèmes alors que cela n'a pas été le cas au cours des années 1930.
M. Thiessen: Cela ne permet pas de régler tous nos problèmes - très certainement non. Les années 1930 ont été en fait une période de déflation. Les prix baissaient. Notre but est de maintenir l'inflation entre 1 p. 100 et 3 p. 100. Si en moyenne, en valeur absolue, les prix baissaient dans notre pays, je considérerais cela comme un signe d'inadaptation de notre politique monétaire tout autant que si l'augmentation des prix dépassait 3 p. 100. C'est une politique symétrique. La déflation n'est pas bonne pour l'économie et l'inflation non plus. Notre objectif est de maintenir l'inflation à un niveau extrêmement bas et, de façon générale, d'avoir une situation plus stable que par le passé.
Je pense vraiment que cela permet une meilleure croissance économique. Quand j'ai commencé à travailler, à partir du milieu des années 1950 et pendant les années 1960, l'inflation était très faible. C'était aussi une période prospère pendant laquelle les gens prenaient des décisions en matière d'investissement sans s'inquiéter de ce que les prix allaient devenir. Les gens étaient prêts à épargner. Ils étaient prêts à prêter de l'argent sur 25 ans. De nos jours, personne n'est plus prêt à prêter de l'argent dans ces conditions, sinon au gouvernement et, dans ce cas, à des taux d'intérêt très élevés.
Le résultat de l'inflation est qu'énormément d'épargnants sont inquiets au sujet de l'avenir. C'est à cause d'elle que, tout au long des années 1970 et 1980, beaucoup de gens n'ont pas réalisé des investissements productifs pouvant améliorer le niveau de vie et ont plutôt essayé de se protéger contre l'inflation, en essayant même de prospérer grâce à elle, d'en tirer profit. On peut le constater au vu du grand essor de la spéculation à la fin des années 1970 et au cours des années 1980. Il s'agissait souvent de spéculation immobilière.
L'augmentation des prix de l'immobilier n'améliore pas la situation économique du Canada. Il y a simplement un transfert qui s'effectue entre deux personnes. Si toute cette énergie avait été consacrée à des investissements productifs, notre société serait beaucoup plus prospère aujourd'hui.
M. Grose: En fait, vous avez répondu à ma question. On me la pose souvent. Je voulais connaître votre avis et c'est la première fois que j'ai l'occasion de vous le demander. Je vous remercie beaucoup.
Donc, en d'autres termes, vous diriez que, même si l'inflation est agréable sur le moment, il faut ultérieurement en payer le prix.
M. Thiessen: Absolument.
M. Grose: Cela n'est pas évident pour les gens ordinaires qui en profitent d'une façon ou d'une autre.
Je dirai en passant que je suis d'accord avec vous. J'ai eu, à un moment donné, une hypothèque sur 30 ans. Si je l'avais conservée, je serais sur le point de la rembourser complètement. Vous avez raison. Maintenant, je ne peux pas obtenir une hypothèque de plus de 2 ans. Cela veut dire que je n'ai aucune idée de ce qui m'attend dans deux ans.
M. Thiessen: Exactement.
M. Grose: Si c'est le but que vous cherchez à atteindre en maintenant l'inflation à un bas niveau, je suis tout à fait en faveur de cela, mais c'est la meilleure explication que j'aie jamais entendue et je vous en remercie.
M. Thiessen: Les choses sont ainsi. Pensez aux épargnants qui avaient prêté de l'argent à long terme à 3 p. 100 ou 4 p. 100 lorsque l'inflation a augmenté. C'est eux qui ont été victimes de cette situation. Elle a profité aux emprunteurs mais les épargnants en ont été les victimes. Il y a eu un important transfert de revenus. Beaucoup de gens ont constaté que leur retraite était gravement menacée par ce phénomène.
M. Grose: Monsieur le président, je n'ai plus qu'une brève question à poser.
Pensez-vous que l'indicateur de l'inflation est exact, qu'on peut s'y fier et qu'il est réaliste?
M. Thiessen: Nous avons fait des recherches à ce sujet. Elles ne sont pas terminées. D'après ce que nous savons maintenant, je dirais que oui, il est vraiment tout à fait exact.
À notre avis, pour l'indice des prix à la consommation, le biais n'est sans doute pas supérieur à un demi-point, mais il reste du travail à faire à ce sujet. Je sais que, ces temps-ci, les Américains craignent qu'il n'y ait un biais beaucoup plus important dans leur indice. Certains parlent même d'un chiffre atteignant 2 points, ce qui me paraît terriblement élevé.
D'après nos recherches, Statistique Canada fait un très bon travail pour ce qui est de l'indice des prix à la consommation, mais nous allons à nouveau nous pencher sur la question, surtout quand nous voyons certaines des études que réalisent actuellement nos amis Américains; nous voulons nous assurer que nous continuons à faire ce qu'il faut.
M. Grose: Merci beaucoup.
Merci, monsieur le président.
[Français]
M. Laurin: Monsieur le gouverneur, plus tôt, vous avez dit que certaines décisions étaient des choix politiques et relevaient du gouvernement. La lutte contre l'inflation n'est-elle pas en soi un choix politique à faire?
M. Thiessen: Notre objectif de contrer l'inflation est basée sur une entente entre le ministre des Finances et moi-même.
M. Laurin: Quelle est l'influence du gouvernement sur les décisions de la Banque du Canada?
M. Thiessen: Lorsqu'on établit une fourchette cible pour l'inflation, c'est la Banque du Canada qui prend les décisions en ce qui a trait à la politique monétaire.
M. Laurin: Si on en venait à penser que la politique de lutte contre l'inflation favorise plus la province de l'Ontario que le Québec et si on avait besoin d'une baisse des taux d'intérêt pour créer davantage d'emplois, qui déciderait que vous allez faire preuve de plus de souplesse pour les taux d'intérêt plutôt que pour l'inflation?
M. Thiessen: La politique monétaire est une politique nationale. Quand on prend les décisions, on regarde le pays dans son ensemble. On ne regarde pas seulement l'Ontario ou le Québec, mais le pays dans son ensemble. C'est une politique nationale. C'est nous qui prenons les décisions.
M. Laurin: Quand vous dites nous, c'est la Banque du Canada.
M. Thiessen: Oui.
M. Laurin: Qu'est-ce qui vous fait dire que demain matin, vous devrez mettre l'accent sur la lutte contre l'inflation plutôt que sur la création d'emplois?
M. Thiessen: Personnellement, je pense que la lutte contre l'inflation est la meilleure contribution que la politique monétaire puisse faire au bon comportement de l'économie. Cela va encourager davantage l'emploi qu'une politique de taux d'inflation plus élevé, ce qui ne fonctionne pas.
M. Laurin: Vous dites que cette décision est prise conjointement par le ministre des Finances et le gouverneur de la Banque. Est-ce exact?
M. Thiessen: Quand on établit les fourchettes cibles pour l'inflation, c'est décidé conjointement par le ministre et la Banque du Canada.
M. Laurin: Si on choisit la création d'emplois plutôt que l'inflation, vous n'avez plus de fourchette. Qui prend la décision de lutter contre l'inflation plutôt que de favoriser la création d'emplois? Est-ce vous ou le ministre des Finances?
M. Thiessen: Le ministre peut toujours émettre une directive à la Banque du Canada pour exiger un changement de la politique monétaire, mais c'est la Banque du Canada qui doit prendre les décisions quotidiennes quant à la politique monétaire.
Ce n'est pas vrai qu'il y a un trade-off entre l'emploi et l'inflation. Cela n'existe pas.
M. Laurin: Plus tôt, je vous demandais s'il pouvait être avantageux que le gouvernement mette une date limite pour l'élimination du déficit. Lors des consultations prébudgétaires, plusieurs témoins sont venus nous dire qu'une plus grande souplesse dans les taux d'intérêt pourrait être avantageuse. Êtes-vous d'accord avec ces témoins-là?
M. Thiessen: Je ne sais pas vraiment. Comme je l'ai dit plus tôt, c'est vraiment une question de crédibilité. Si vous pouvez établir des objectifs crédibles pour la politique budgétaire, cela aidera beaucoup. Si vous établissez des objectifs qui ne sont pas crédibles, cela n'aidera pas.
M. Laurin: Selon votre expérience, le fait d'établir un programme pour les cinq prochaines années est-il de nature à améliorer la crédibilité pour un emprunteur? Cela vaut-il mieux que de présenter un programme de un an ou deux ans?
M. Thiessen: Cela dépend si vous réalisez vos objectifs.
Pendant les années 1980, on a établi beaucoup d'objectifs quinquennaux, mais ils n'ont pas été réalisés. Maintenant, les gouvernements, partout au Canada, manquent de crédibilité pour ce qui est des objectifs comme ceux-là.
[Traduction]
Le président: Monsieur Williams, vous avez trois minutes.
M. Williams: Merci, monsieur le président.
Monsieur Thiessen, vous avez dit que vous ne croyez pas que nous puissions nous retrouver face à un mur ou à une falaise en ce qui concerne la dette. Néanmoins, si nous remontons à 1987, nous ne croyions pas qu'une crise boursière se profilait à l'horizon jusqu'à ce qu'elle se produise. La même sorte de chose est arrivée en 1989. Bien entendu, il y avait eu la grande crise de 1929. On ne peut pas prédire que des choses comme cela vont arriver; on peut seulement le constater après coup.
Serait-il possible que nous nous retrouvions dans une situation semblable avec le niveau élevé de dette et de déficit que nous avons actuellement et qu'un beau matin, nous constations que nous nous heurtons à ce mur?
M. Thiessen: On ne peut jamais exclure aucune possibilité, mais je ne le pense pas. Vraiment pas.
On peut peut-être imaginer une situation telle que le niveau d'endettement serait plus élevé, le déficit échapperait manifestement à tout contrôle et le gouvernement ne serait pas capable de prendre les décisions nécessaires. Peut-être n'aurait-il pas une majorité au Parlement, je n'en sais rien. Peut-être peut-on imaginer une conjugaison d'événements qui pourrait donner un tel résultat.
Si nous parlons de la situation dans laquelle nous nous trouvons au Canada ou dans laquelle nous pourrions nous retrouver d'ici peu, je ne crois pas que cela soit une bonne façon de définir ce qui pourrait arriver. Je ne veux pas dire qu'il n'y aurait pas un prix à payer si nous ne prenions aucune mesure pour régler le problème de la dette et du déficit. Comme je le disais tout à l'heure, on se retrouverait contraint de payer des taux d'intérêt de plus en plus élevés.
M. Noël: Excusez-moi, mais je pense qu'au lieu de se heurter au mur de la dette, on constaterait qu'on finit par payer des taux d'intérêt toujours plus élevés dans toute la courbe de rendement. En fait, si l'on examine ce qui se passe actuellement dans beaucoup de pays du monde industrialisé, ceux qui ont un ratio de la dette au PIB élevé paient des taux d'intérêt bien supérieurs aux autres. Il y a assurément une corrélation entre le ratio de la dette au PIB et le montant des taux d'intérêt réels payés par les pays qui doivent financer une telle dette.
Le président: Monsieur Williams, il vous reste une dernière question.
M. Williams: Je vais changer de sujet, monsieur le président.
Notre dette se monte au moins à 600 milliards de dollars. Nous avons aussi environ650 milliards de dollars de passif non capitalisé pour le Régime de pensions du Canada, ce que je considère en fin de compte comme une dette avec un taux d'intérêt nul parce que c'est un passif, même s'il ne coûte pas un certain montant chaque année.
Si on ajoute les deux, on se retrouve avec un montant d'environ 1,25 billion de dollars à quoi il faut ajouter la dette des provinces. Cela donne une somme supérieure à 125 000$ par membre de la manoeuvre active dans notre pays - peut-être même plus, et c'est un calcul très approximatif. Comment allons-nous rester compétitifs face au reste du monde si chaque travailleur doit assumer une dette de 125 000$ ou plus avant même de penser à contracter un prêt pour acheter une automobile ou des biens de consommation ou encore une hypothèque et n'allons-nous pas nous rendre compte que cette situation nous impose certaines limitations?
Quand le déficit sera éliminé et que le budget sera équilibré, nous serons seulement en mesure de restituer aux Canadiens 60 p. 100 de chaque dollar perçu en impôt et il faudra consacrer 40¢ aux intérêts sur la dette. Si nous pensons que les Canadiens ont l'impression de payer trop d'impôts aujourd'hui, ce n'est rien à côté de ce qui se passera quand ils constateront qu'il n'y a que 60 p. 100 de l'argent qu'ils investissent qui leur rapporte quelque chose.
Comment peut-on être sûr de parvenir à atteindre des objectifs en matière d'inflation si la situation est telle que nous devenons moins concurrentiels et que les gens se sentent pressurés par les impôts élevés, le bas niveau des services qu'ils reçoivent en retour, etc.?
M. Thiessen: Je pense que nous pouvons atteindre nos objectifs en matière d'inflation dans ces conditions, mais il se peut certainement qu'il faille payer des taux d'intérêt très élevés. Si nous ne maîtrisons pas la situation, il faudra en payer le prix. Nous aurons à l'avenir une économie moins florissante si nous ne maîtrisons pas notre dette et notre déficit. Tant que nous continuons à payer des taux d'intérêt comportant des primes de risque élevées, notre pays sera plus pauvre que ce ne serait le cas autrement. Plus la situation empire, plus les primes de risque augmentent et plus nous nous appauvrissons. Cela ne nous empêche pas de conserver une politique privilégiant un faible taux d'inflation. En fait, dans ces conditions, il est probablement absolument essentiel de le faire, car c'est la seule chose qui rassurera plus ou moins les investisseurs s'ils prêtent de l'argent à qui que ce soit.
Le président: Monsieur Shepherd.
M. Shepherd (Durham): Je voudrais simplement revenir sur la question de l'inflation et sur la chose qui, je le sais, dépend de vous, la valeur du dollar canadien. En venant au travail ce matin, j'ai entendu que de fortes pressions s'exerçaient sur le dollar canadien et que vous étiez en fait en train de relever les taux d'intérêt pour le soutenir.
Je vois aussi certaines statistiques qui viennent de votre banque et qui indiquent en gros une augmentation de la masse monétaire. Le M2 révèle une croissance annualisée de 4,5 p. 100, et ainsi de suite. À mon avis, puisque cela dépasse le taux de croissance de l'économie, certains pourraient être conduits à penser que c'est en soi inflationniste et pourraient hésiter à soutenir le dollar canadien à un niveau supérieur au niveau actuel.
Ce que j'aimerais donc en fait savoir est quelle est la valeur à long terme du dollar canadien. J'ai entendu de nombreux économistes dire qu'il faudrait le faire baisser, ce qui aiderait nos industries d'exportations, etc.
M. Thiessen: Je pense qu'il est très difficile de dire qu'un chiffre donné représente la valeur à long terme du dollar canadien, car il y a trop de facteurs qui entrent en jeu et ils changent au fur et à mesure. Il y a certaines choses qui contribuent à la fermeté du dollar canadien, comme les cours relativement élevés des matières premières ou le fait que notre taux d'inflation a tendance à être inférieur à celui des États-Unis.
Par contre, les fameuses primes de risque incorporées dans notre taux d'intérêt dont je viens de parler ont tendance à l'affaiblir. La contrepartie de ces primes de risque a tendance à être l'affaiblissement de la valeur du dollar canadien. Ces primes de risque nous appauvrissement, ce qui se traduit par un dollar canadien plus faible. Voilà en gros comment le système fonctionne. Il me paraît très difficile de dire qu'on se trouve à savoir quel est le juste niveau du dollar canadien. On n'en sait rien.
En ce qui concerne l'accroissement de la masse monétaire, il peut paraître un peu élevé par rapport à la croissance de l'économie, mais c'est ce qui se passe traditionnellement dans ce domaine. Son taux d'accroissement est généralement légèrement supérieur à la croissance de l'économie. En fait, ce que ces chiffres nous indiquent est que l'inflation est bien maîtrisée. Ils donnent généralement une bonne indication de ce qu'il va advenir de l'inflation. Cela montre que, comme nous l'espérions, l'inflation va rester près du milieu ou dans la moitié inférieure de la fourchette que nous ciblons.
Le président: Monsieur Shepherd, une dernière question.
M. Shepherd: Une question qui m'intéresse - et qui concerne la politique gouvernementale - est celle de l'augmentation apparemment énorme de l'endettement des consommateurs, tout au moins par rapport au revenu disponible des particuliers. Cela montre que le secteur privé a tout autant de mal à maîtriser ses dettes que le gouvernement. Nous vivons au-delà de nos moyens.
Ce qui me préoccupe en matière de politique monétaire est la façon dont le secteur bancaire et d'autres peuvent accroître cet endettement. Il est maintenant si élevé qu'il atteint 90 p. 100 du revenu disponible des particuliers. Étant donné que, lorsque les gens commencent à se retrouver en défaut de paiement, cela retombe sur le gouvernement, ne peut-on pas en conclure qu'il faudrait limiter davantage l'accroissement de l'endettement des consommateurs?
M. Thiessen: C'est une bonne question, mais il est difficile d'y répondre, je dois vous l'avouer. Nous ne disposons pas d'une bonne analyse qui nous indique jusqu'à quel point les consommateurs peuvent s'endetter.
Pour autant que je me souvienne, l'endettement des consommateurs par rapport à leur revenu est plus élevé aux États-Unis qu'ici, par exemple. Dans d'autres pays, il est plus faible. Jusqu'à quel niveau d'endettement les consommateurs peuvent-ils aller? Nous n'en savons rien. L'augmentation du niveau de cet endettement par rapport au revenu nous paraît plutôt inquiétante.
Par contre, si l'on fait une comparaison entre les coûts du service de la dette et le revenu, on constate qu'ils diminuent. Ils ont légèrement augmenté récemment mais, dans l'ensemble, ils ont tendance à baisser.
On peut également comparer l'endettement des consommateurs et la valeur de leurs biens. Là encore, on constate que le ratio correspondant n'a pas tellement augmenté.
Que conclure de tout cela? À vrai dire, je n'en sais rien. Mais je ne pense pas que nous soyons sur le point de constater que les consommateurs sont d'un seul coup incapables de faire face à leur endettement. Je ne pense pas que nous en soyons là.
Toutefois, vous savez, je dois dire que les gens s'inquiètent à ce sujet et ce ratio ne cesse d'augmenter. Jusqu'à présent, la plupart des gens s'en sortent. À vrai dire, d'après les prêteurs, le nombre de consommateurs qui ne remboursent pas leurs dettes ne pose pas un grave problème à l'heure actuelle.
M. Shepherd: Pas encore. Je me demande simplement ce que cela donne pour les gens qui appartiennent à des générations différentes. Il y a une génération plus âgée qui possède une énorme quantité de biens et n'a pas de dette alors que la génération montante a des dettes importantes et ne possède aucun bien. Quelles en sont les conséquences pour le pays?
M. Thiessen: Il faut s'attendre à quelque chose de ce genre. Cela fait partie d'un cycle naturel. On s'attend à ce que les jeunes contractent des dettes, achètent des maisons et des automobiles. Les gens plus âgés ont tendance à économiser et à payer leurs dettes. Cela fait partie des choses auxquelles on s'attend sur le plan économique. Bien entendu, on commence à s'inquiéter quand le niveau d'endettement devient tel que les consommateurs sont si vulnérables que la moindre mauvaise nouvelle les accule à la faillite.
Je ne pense pas que nous en soyons là. J'ai l'impression que, après la récession de 1990-1991, beaucoup de consommateurs se sont certainement retrouvés coincés. Je n'ai pas l'impression qu'ils aient contracté des dettes au cours de la période actuelle avec la même insouciance qu'ils le faisaient à la fin des années 1980.
[Français]
Le président: Messieurs Thiessen, Noël et O'Regan, je vous remercie d'être venus rencontrer les membres du comité et d'avoir répondu à leurs questions sur la dette et le déficit canadiens. C'était très intéressant.
La séance est levée.