[Enregistrement électronique]
Le mardi 16 mai 1995
[Traduction]
Le vice-président (M. Dromisky): La séance est ouverte. Je vous remercie tous d'être arrivés à l'heure. Malheureusement, il n'y a pas quorum. Toutefois, nous sommes assez nombreux pour entendre vos témoignages. À titre de président, je déclare la séance ouverte et j'entame immédiatement notre ordre du jour, parce qu'il est fort chargé.
Ce matin, nous avons la chance d'entendre Audrey Macklin, professeur de droit de l'immigration et des réfugiés à l'Université Dalhousie. Actuellement en congé de l'université, elle fait partie de la CISR. J'ai feuilleté son mémoire et j'ai été vivement impressionné par sa riche expérience dans le domaine. Nous avons tous hâte de l'entendre ce matin.
Professeur Macklin, nous allons commencer par entendre votre exposé.
Le professeur Audrey Macklin (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup. Je vais vous résumer mon mémoire en reprenant ce qui me semble en être les points saillants. Je vais vous les présenter sous forme de questions et réponses. Quand j'aurai terminé, je répondrai avec plaisir à toute autre question sur les autres sujets que j'aborde dans mon mémoire.
La première question que je veux poser, c'est pourquoi faut-il des lignes directrices? Je répondrai tout d'abord que les centaines de tribunaux administratifs qui existent doivent tout à la fois rendre des décisions conséquentes et respecter l'indépendance des décideurs.
D'une part, pour ceux qui se présentent devant un tribunal, il est important de savoir que quel que soit l'endroit au Canada où ils comparaîtront, les mêmes principes seront appliqués à leurs affaires et qu'ils seront jugés équitablement. D'autre part, tous les membres de ces tribunaux doivent être indépendants et ne pas se faire imposer une décision.
Il existe diverses méthodes pour garantir une certaine cohérence des décisions rendues par les juges-arbitres. Je pourrai vous les exposer en détail tout à l'heure si vous le voulez. L'adoption de lignes directrices est certes une technique permettant d'encourager une certaine uniformité et, selon les observateurs, elle serait utile. Les tribunaux judiciaires aussi l'ont approuvée en indiquant dans diverses affaires que les lignes directrices étaient un bon moyen pour les organismes administratifs de favoriser la cohérence des décisions rendues par les divers tribunaux administratifs.
Il n'y a rien d'intrinsèquement mauvais ou problématique dans des lignes directrices encourageant les membres des tribunaux administratifs à suivre une certaine orientation, dans la mesure où elles ne sont pas impératives.
Si les tribunaux administratifs privilégient les lignes directrices, c'est notamment parce que les lois qu'ils doivent interpréter sont souvent rédigées d'une façon vague et générale. Ce n'est pas la faute des légistes, c'est le résultat de notre processus d'adoption des lois. En outre, des situations que le législateur n'a pas pu prévoir au moment où la loi a été adoptée, peuvent surgir éventuellement.
De plus, le nombre de membres d'un tribunal peut augmenter de telle sorte qu'il devienne difficile pour les membres de discuter régulièrement entre eux des diverses manières d'aborder certaines questions.
Pour toutes ces raisons, les lignes directrices constituent une façon simple et pratique de permettre à un tribunal administratif de favoriser l'uniformité qui garantit l'équité tout en préservant l'indépendance de chacun de ses membres. Comme je l'ai dit plus tôt, de nombreux tribunaux administratifs en ont adopté. Il y a par exemple le CRTC, la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario, et de nombreux autres.
D'ailleurs, dans sa grande sagesse, le Parlement a expressément conféré au président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié le pouvoir de donner des directives en vertu du paragraphe 65(3) de la Loi sur l'immigration.
On pourrait fort bien supposer que le législateur comprend l'utilité des directives et les raisons pour lesquelles il peut être avantageux d'en avoir, mais qu'il ne saisisse pas vraiment la raison pour laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a besoin de directives concernant expressément les femmes. Il est temps de se demander pourquoi il y a des directives concernant expressément les femmes.
Je n'étais pas membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié lorsque les directives ont été adoptées mais, de toute façon, je ne fais pas partie du groupe de gestion de la Commission. Néanmoins, à titre d'universitaire, je peux fournir deux ou trois explications justifiant l'existence de ces directives.
Premièrement, le sexe du réfugié est pertinent dans une foule de questions à trancher. Tout d'abord, il peut falloir en tenir compte pour choisir la procédure à suivre lors de l'audition de l'affaire, les membres du tribunal qui l'entendront et les mesures à privilégier pour obtenir les meilleurs témoignages possible.
Deuxièmement, le sexe peut être pertinent en ce qui concerne les documents. Les membres de la Commission craignent souvent que la preuve documentaire au sujet des droits de la personne dans un pays donné soit insuffisante. Jusqu'à tout récemment, il était très difficile de se procurer des documents sur la condition des femmes en particulier. Je crois que c'est en train de changer, mais j'estime qu'il faut tenir compte du sexe lorsqu'on apprécie les documents produits.
Il peut être important de se demander si la documentation est insuffisante parce qu'il n'y a eu aucune recherche sur le sujet ou parce qu'il n'y a aucun problème à signaler.
Troisièmement, le sexe peut être pertinent quant à la définition même de réfugié. Ainsi, certaines formes de persécution ne visent que les femmes. Autrement dit, une forme de persécution n'aura pas nécessairement le même effet selon qu'on est un homme ou une femme.
On fait aux femmes certaines choses qui, pour toutes sortes de raisons, ne sont jamais faites aux hommes. Il peut être important d'en tenir compte lorsqu'il faut évaluer si certaines actions constituent ou non de la persécution. Par exemple, je présume que l'excision et l'infibulation sont manifestement deux opérations que l'on ne pratique pas sur les hommes.
Toute notre jurisprudence intéressant la persécution a fait peu de cas de certaines formes de persécution spécifique des femmes. Il peut être important de tenir compte du sexe lorsqu'il faut déterminer si un acte constitue de la persécution ou non.
De plus, les motifs de la persécution peuvent être liés au sexe. Il faut donc se demander si une femme est persécutée parce qu'elle est une femme. Évidemment, les femmes sont persécutées pour toutes sortes de raisons, mais il se pourrait que le fait d'être femme soit le motif de la persécution.
Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que le sexe d'un réfugié peut influer à de multiples égards sur la détermination de son statut. Un membre de la Commission peut avoir du mal à évaluer seul ces multiples facettes. Il peut donc être utile d'avoir un cadre d'analyse facilitant l'appréciation systématique de tout ce qui concerne particulièrement les femmes réfugiées. C'est pourquoi il est sans doute opportun de donner des directives concernant expressément les femmes.
Certains peuvent concevoir l'utilité des directives, comprendre pourquoi celles-ci sont de mise en général et même reconnaître qu'il est bon d'avoir des directives concernant particulièrement les femmes, mais ils peuvent désapprouver la teneur de ces directives. Autrement dit, ils estiment que ce que prévoient les directives au sujet des femmes n'est pas approprié.
En réplique à cela, je vous renvoie à un tableau de mon mémoire qui se trouve à la page 3 et dans lequel j'essaie de montrer que ce qui est prévu dans les directives concernant les femmes ne constitue en gros qu'une application particulière aux femmes des principes de droit actuels. Autrement dit, en droit des réfugiés, il existe déjà un principe selon lequel une peine considérablement disproportionnée par rapport au crime pour lequel elle est infligée, peut constituer de la persécution.
Or, ce principe n'a rien à voir avec le sexe. Déclarer qu'imposer 74 coups de fouet pour avoir refusé de porter le voile en Iran constitue de la persécution n'est en fait qu'une application d'un principe général dans un contexte sexiste.
Le reste de mon tableau donne bien d'autres exemples encore de la manière dont les principes généraux du droit des réfugiés sont appliqués aux femmes. J'essaie de démontrer que les directives se fondent sur des principes généraux reconnus du droit des réfugiés. On n'a rien inventé.
Je veux aussi montrer que bon nombre des directives soit découlent des décisions judiciaires soit ont été ultérieurement confirmées par les tribunaux. Cela revient à dire que ces directives interprètent correctement le droit.
Par exemple, selon les directives, la violence conjugale systématique et à répétition peut constituer de la persécution. C'est une simple recommandation, mais quand la cour dans l'arrêt Narvaez ou dans l'affaire Mayers contre Marcel statue qu'effectivement la violence conjugale peut constituer de la persécution, cela devient un principe incontournable que tous les tribunaux de la Section du statut de réfugié sont tenus de respecter. C'est aussi une manière pour la cour de déclarer que les directives sont justifiées.
Bref, la teneur des directives concernant les femmes a été inspirée à bien des égards par les arrêts des cours de justice ou a été ultérieurement confirmée par elle. Par conséquent, les membres de la Section du statut de réfugié doivent se conformer à ces directives.
Enfin, je vais traiter brièvement d'une question susceptible de surgir lors de vos délibérations, si j'ai bien compris les autres mémoires que vous avez reçus.
Je n'ai pas effectué une étude systématique de la jurisprudence depuis l'adoption des directives. Je n'ai donc pas examiné chacune des décisions de la Commission dans laquelle soit on a tenu compte des directives concernant les femmes, soit on aurait dû le faire. Par conséquent, je ne peux pas savoir s'il y a application uniforme ou non des directives. Mais si d'aucuns devaient affirmer que les directives ne sont pas appliquées de façon constante, je vous invite à vous pencher sur les causes de ce problème et sur les solutions possibles.
Certains proposent que les directives soient incorporées dans la loi afin de garantir l'uniformité de leur application. Je réplique à cette suggestion que deux juges peuvent avoir à appliquer les mêmes dispositions du Code criminel à deux situations fort comparables et arriver pourtant à des conclusions différentes. Que l'on applique une loi ou une directive, les risques de divergences sont les mêmes et c'est pourquoi je doute qu'il soit possible de régler les problèmes d'application en intégrant les directives à la loi.
J'ai abordé tous les points que je voulais souligner dans mon exposé. Je traite diverses autres questions dans mon mémoire. Je vais maintenant m'arrêter et répondre à vos questions.
Le vice-président (M. Dromisky): Merci beaucoup.
Je donne d'abord la parole à Mme Debien.
[Français]
Mme Debien (Laval-Est): Bonjour, madame Macklin. Bienvenue à notre Comité et merci beaucoup pour la présentation de votre mémoire. Vous avez brossé là un bon tableau de l'ensemble de la problématique quant à la procédure, à la documentation et aux fonds.
Quant aux fonds, vous venez de soulever un aspect qui m'a frappée par rapport à ce qui est écrit dans votre texte. Vous nous avez beaucoup parlé de de l'indépendance des décideurs et de l'importance d'avoir des principes cohérents afin que les commissaires ne prennent pas de décisions différentes et incohérentes.
Votre dernière intervention a été de nous dire, et vous me corrigerez si ce n'est pas le cas: «Il faudrait peut-être légiférer concernant les directives afin d'assurer une meilleure cohérence». C'est bien ce que vous avez dit?
Mme Macklin: Je vais vous répondre en anglais.
[Traduction]
Je ne recommande pas de légiférer car j'estime que ce n'est pas la solution au problème de manque d'uniformité.
Je peux vous expliquer en détail les raisons de cette opinion. Quand on est convaincu que deux personnes vont interpréter différemment la même situation, en fait ce n'est pas une loi qui pourra y changer quelque chose. Les juges interprètent différemment des faits tout à fait semblables.
Si vous estimez qu'il y a un problème parce que les membres de la Section du statut n'appliquent pas les directives - c'est-à-dire qu'ils n'en tiennent pas compte - , dans certains de ces arrêts, la cour fédérale a statué que les tribunaux administratifs commettaient une erreur de droit en refusant de tenir compte des directives. Ils ne sont donc pas obligés de s'y conformer, mais ils sont au moins obligés d'en tenir compte et d'indiquer pourquoi ils ne les appliquent pas.
Enfin, je le répète, les membres des tribunaux administratifs ne sont pas tenus de se conformer aux directives, mais ils sont obligés de respecter la jurisprudence. Dans la mesure où certains arrêts ont confirmé la validité de principes énoncés dans les directives, ils ne peuvent plus en faire abstraction.
C'est ainsi que les membres n'ont plus le loisir de déclarer que la violence conjugale ne constitue pas de la persécution. Ils n'ont plus la liberté d'affirmer que le sexe ne peut pas être un critère pour former un groupe social. Ce n'est pas parce que c'est prévu dans les directives mais parce que la cour l'a affirmé.
[Français]
Mme Debien: Enfin, vous avez quand même mis une nuance parce qu'à la page 9 de votre mémoire, vous vous posiez la même question, à savoir s'il fallait modifier la définition de la Loi sur l'immigration pour y ajouter un autre motif de persécution, celle fondée sur le sexe. C'était un peu contradictoire par rapport à ce que vous veniez de dire, mais vous l'avez bien expliqué.
On dit que - c'est une opinion courante - les directives exposent le Canada à un afflux de femmes revendiquant le statut de réfugiées parce qu'elles font l'objet de discrimination dans leur pays d'origine. À partir de votre expérience à la Commission et de ce que vous savez des directives qui ont été émises depuis 1993, quel est votre avis là-dessus? C'est une opinion que certains groupes et certaines personnes véhiculent et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.
[Traduction]
Mme Macklin: Je n'ai pas apporté avec moi de statistiques sur le nombre de femmes...
[Français]
Mme Debien: Je vous demande spontanément votre avis.
[Traduction]
Mme Macklin: Je vois.
Personnellement, je n'ai pas l'impression que les femmes se sont précipitées ici et je ne crois pas que ce soit le cas du moins dans un avenir prévisible. Cela, pour la simple et bonne raison que les femmes ont énormément de mal à s'échapper quand elles sont persécutées.
Pour des raisons culturelles, sociales, financières et autres, les femmes ont souvent beaucoup plus de mal qu'un homme à quitter leur pays d'origine ou leur milieu. Le manque de ressources, des craintes pour leur sécurité et des attitudes culturelles sur la possibilité pour les femmes de gagner leur vie et d'agir de façon autonome sont toutes des contraintes qui briment les femmes. En un sens, les raisons qui amènent des femmes à revendiquer le statut de réfugié au Canada nuisent en même temps à leur capacité d'arriver jusqu'ici.
J'ajouterais que même si je faisais erreur quant au nombre de femmes qui pourraient arriver au pays - et je suis vraiment convaincue qu'elles seront fort peu nombreuses et qu'elles continueront de l'être - en droit des réfugiés, on ne refuse pas un réfugié sous prétexte qu'en l'acceptant, on permettrait à un trop grand nombre d'autres personnes elles aussi le statut de réfugié.
En ce moment même, d'innombrables personnes partout dans le monde sont persécutées à cause de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un groupe social. Jamais on ne songerait à refuser le statut de réfugié à l'un d'entre eux parce qu'en le lui conférant, on risquerait d'être obligé d'accepter un trop grand nombre d'autres réfugiés dans une situation comparable. Ce n'est pas un principe du droit des réfugiés et il ne faut certainement pas faire un tel raisonnement quand les réfugiés sont des femmes.
M. Assadourian (Don Valley-Nord): Je voudrais exprimer certaines réserves.
J'ai lu votre page 8 sous la rubrique Compelling Reasons. Dans le deuxième paragraphe, vous donnez un exemple hypothétique, celui d'une femme bosniaque musulmane qui est violée par les forces adverses pour qu'elle devienne enceinte dans le cadre de leur politique de «purification ethnique».
Tout d'abord, je crois que si vous posez des hypothèses, vous ne devriez pas préciser une nationalité quelconque; ensuite, vous présumez que les hommes bosniaques musulmans ne violent pas les femmes. Vous essayez de corriger un tort en prenant un exemple hypothétique qui pourrait offenser certaines personnes. Est-ce que je me fais comprendre?
Mme Macklin: Oui. Je vous prie de m'excuser. Je n'avais pas l'intention d'offenser qui que ce soit. Ce n'était pas mon propos. Si j'ai pu vous offenser, je vous prie de bien vouloir m'en excuser.
M. Assadourian: Très bien. Je vous remercie.
[Français]
Mme Debien: Madame Macklin, vous nous avez donné un bon cadre théorique quant à la problématique que nous avons devant nous et que nous étudions depuis quelques mois déjà. Vous avez été, si j'ai bien compris au départ, commissaire à la CISR au moment où les directives n'étaient pas en vigueur.
[Traduction]
Mme Macklin: Non. J'en suis membre maintenant, mais je ne l'étais pas au moment où les directives ont été adoptées.
[Français]
Mme Debien: Je m'excuse, j'ai perdu le début de votre présentation. C'est la raison pour laquelle je m'interrogeais sur votre statut.
Vous êtes actuellement membre de l'association? D'accord. Depuis que vous êtes à la Commission, avez-vous senti qu'il y avait parmi les commissaires une préoccupation importante en ce qui a trait à toute la question dont nous traitons ici ce matin? Pensez-vous que les commissaires sont suffisamment sensibilisés?
Je n'ai peut-être pas à vous poser cette question. Comme femmes, on a cette sensibilité presque innée en nous. Parlons plutôt de l'ensemble des commissaires. Nous avons reçu ici de nombreux organismes qui s'occupent des femmes réfugiées et ces groupes nous ont dit que les commissaires n'étaient pas bien formés et bien documentés, et on a même parlé des agents de visas à l'étranger qui n'avaient absolument aucune sensibilité à la problématique des femmes réfugiées.
Je ne vous demande pas de porter un jugement de valeur sur qui que ce soit, surtout sur vos collègues, mais j'aimerais que vous me donniez votre opinion ou votre impression là-dessus.
Vous en glissez un mot dans votre document, mais cela reste toujours dans un cadre très théorique et j'aimerais, si c'est possible, que vous dépassiez le cadre théorique dont vous faites état dans votre mémoire pour nous donner votre vécu à vous, vos impressions à vous face à cela. Que faudrait-il faire pour améliorer cette perception d'une absence de sensibilité, d'information, de formation et de documentation des commissaires et des agents de visas à l'étranger?
Ce sont les principaux problèmes qui nous ont été soumis par tous les organismes qui se sont présentés ici.
[Traduction]
Mme Macklin: J'avoue travailler dans une toute petite région où l'on a relativement peu de contact avec la grande majorité des membres de la Commission. À ce chapitre, je n'ai vraiment pas un vécu dont je pourrais vous faire part.
Je peux toutefois vous dire que ces observations vous ont été transmises par des organismes qui ont affaire aux membres de tout le pays. Il y a un certain mécontentement et je crois qu'il faut le prendre au sérieux et en tenir compte au moment de préparer les séances de formation des membres. Je ne suis pas en mesure de vous dire si les membres sont assez sensibilisés ou non tout d'abord parce que je ne le peux pas, et aussi parce que j'ai eu affaire à bien peu d'entre eux.
La formation est toujours utile. La formation et la sensibilisation ne peuvent jamais nuire. Le fait de suggérer une amélioration ou une plus grande sensibilisation ne signifie pas qu'on critique les membres de la Commission ni aucun décideur. Je ne fais pas abstraction de la commission de l'immigration et du statut de réfugié pas plus que n'importe quel autre tribunal administratif.
Quant aux agents des visas à l'étranger, la Commission n'a aucun pouvoir sur eux. Dans mes recommandations, je suggère des liens structurés entre les membres de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui s'intéressent particulièrement au problème des femmes ou qui sont spécialisés dans le domaine et les agents des visas à l'étranger, précisément parce que, comme vous l'avez dit, on est très préoccupé par la façon dont ces agents abordent la persécution particulière aux femmes.
Le vice-président (M. Dromisky): Je vous remercie beaucoup.
Nous allons laisser M. Mayfield s'organiser et passer à M. Peric.
M. Mayfield (Cariboo - Chilcotin): Merci, Votre Seigneurie.
M. Peric (Cambridge): Madame Macklin, je vais poursuivre dans la foulée de Sarkis puisque je connais très bien la situation en Bosnie.
Qu'est-ce que votre organisme a fait jusqu'à présent? Avez-vous communiqué avec des camps de réfugiés en Croatie? Avez-vous informé l'ONU? Évidemment, on savait ce qui se passait là-bas, surtout l'histoire des viols en Bosnie, mais on m'a personnellement demandé d'aider certains réfugiés de la Bosnie à venir au Canada.
Qu'a fait la Commission? Pourquoi a-t-elle attendu aussi longtemps? Pourquoi ne pas avoir communiqué avec notre Comité plus tôt?
Le vice-président (M. Dromisky): Monsieur Peric, je crois que votre question est irrecevable. Il est impossible pour le témoin de vous répondre puisque cela ne relève pas d'elle. Si je ne m'abuse, elle s'est occupée de demandes de statut de réfugié présentées au Canada et non pas à l'étranger.
Ai-je raison?
Mme Macklin: C'est exact.
Le vice-président (M. Dromisky): Si vous désirez répondre à la question, je vais vous permettre de le faire, ou alors vous pouvez traiter comme vous l'entendez de cette question qui lui tient particulièrement à coeur.
Mme Macklin: Je ne suis qu'un des membres de la Commission. Je ne m'occupe que des causes qui me sont présentées. C'est néanmoins une situation qui nous préoccupe tous.
En fait, cela nous ramène à une question que Mme Debien a posée plus tôt au sujet de la documentation. Nous voulons toujours obtenir toute l'information disponible et nous demandons souvent qu'on nous remette toutes les informations recueillies. Nous demandons des renseignements spéciaux. Néanmoins, je ne m'occupe que des cas qui me sont soumis. Je n'ai aucun pouvoir ni aucune compétence en ce qui concerne les autres.
Le vice-président (M. Dromisky): Merci beaucoup. Passons maintenant à M. Mayfield.
M. Mayfield: Bonjour.
L'aspect de la question à l'étude qui m'intéresse plus particulièrement est les priorités. Je me demande tout le temps, et je suppose que je devrais vous poser la question, comment faire pour établir des priorités avec tous les réfugiés qui nous arrivent, avec leurs besoins et leur désespoir, compte tenu de notre capacité limitée pour faire face à cet énorme problème? De toutes les revendications qui nous sont soumises, lesquelles doivent être traitées en priorité?
Mme Macklin: Quand les gens viennent au Canada et revendiquent le statut de réfugié, aucune priorité n'est établie parmi ceux qui ont une crainte fondée de persécution. Si vous répondez aux conditions, vous êtes admis; autrement, vous ne l'êtes pas. Ce critère-seuil ne change pas en fonction du nombre de revendicateurs. Ou bien vous avez une crainte justifiée de faire l'objet d'actes qui constituent de la persécution pour une raison prévue dans la Convention, auquel cas vous êtes un réfugié au sens de la Convention, ou bien vous ne répondez pas à ce critère.
M. Mayfield: Je suppose que le fait d'avoir affaire à une telle masse de réfugiés, dont certains sont capables de venir au Canada et d'autres pas, pose aussi un problème. Il faudrait savoir où s'applique notre responsabilité en premier. Dans cet esprit, j'aimerais vous demander s'il n'y aurait pas lieu de vous attacher moins au processus concernant les réfugiés de l'intérieur pour vous intéresser davantage à la sélection de ressortissants étrangers.
Le vice-président (M. Dromisky): Monsieur Mayfield, votre question se rapporte-t-elle aux directives sur le sexe des revendicateurs? Est-ce à cela que vous faites allusion?
M. Mayfield: C'est exact, monsieur le président. Les directives doivent être appliquées, mais il faut déterminer à qui elles s'appliquent et comment.
Le vice-président (M. Dromisky): Si notre témoin souhaite intervenir, elle est libre de le faire.
Mme Macklin: Je ne suis pas sûre de pouvoir répondre. Il y a des gens qui viennent au Canada réclamer le statut de réfugié, et cela va continuer. Certaines de ces personnes ont une crainte fondée de persécution pour un motif prévu dans la Convention. Il n'y a pas de politiques, pas de barrières assez élevées ni de verrous assez solides pour empêcher les gens de fuir leur pays et de venir au Canada. Certaines de ces personnes ont une crainte fondée de persécution, et je suis convaincue que cela ne changera pas.
M. Mayfield: Deux anciens membres de la CRIS qui ont témoigné devant nous, nous ont dit que ces directives pouvaient servir à adapter les demandes des réfugiés pour qu'ils aient de meilleures chances d'être acceptés. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation?
Mme Macklin: Comment pourraient-elles servir à adapter les revendications? Je ne vois pas très bien comment cela pourrait se faire.
M. Mayfield: Au lieu de servir exclusivement dans le cadre du processus de sélection, les directives pourraient servir à élaborer des demandes sur mesure. Je pense que l'épithète passe-partout a été utilisée à cet égard.
Mme Macklin: Vraiment? Je ne sais pas. Cela suppose que les revendicateurs du statut de réfugié prennent le temps de lire les directives, ce qui m'étonnerait beaucoup.
M. Mayfield: Ni leurs représentants?
Mme Macklin: Insinuez-vous que leurs avocats leur conseillent de...
M. Mayfield: Ce n'est pas moi qui le dis, mais deux anciens membres de la Commission.
Mme Macklin: Je ne dirais pas cela.
Mme Cohen (Windsor - Sainte-Clair): Leur mandat n'a donc pas été renouvelé.
M. Mayfield: Ou bien ils ont démissionné. Je ne sais pas exactement ce qui est arrivé.
Mme Macklin: Je n'ai aucune raison de croire que ce soit le cas. Rien ne me porte à penser qu'il puisse en être ainsi. Je ne sais pas sur quoi ces personnes fondent leurs conclusions. Personnellement, je n'ai aucune preuve de cela.
Le vice-président (M. Dromisky): Merci beaucoup.
Mme Cohen: La dernière série de questions laisse entendre implicitement que, pour une raison ou pour une autre, il faut établir des priorités parce qu'il y a trop de gens qui viennent au Canada revendiquer le statut de réfugié et occuper de l'espace au Canada...
M. Mayfield: Non, ce que vous dites est inexact. Vous vous reportez à mes questions et en tirer, je crois, des conclusions erronées...
Le vice-président (M. Dromisky): Laissez-la terminer son intervention, je vous prie.
Mme Cohen: Merci, monsieur le président.
M. Mayfield: On me fait dire ce que je n'ai pas dit, et j'en ai assez.
Mme Cohen: Je peux attendre que M. Mayfield ait terminé. Allez-y.
M. Mayfield: J'aimerais simplement que vous posiez vos questions sans faire allusion à moi.
Le vice-président (M. Dromisky): Poursuivez, je vous prie.
Mme Cohen: Il était implicite dans la dernière question que, pour une raison ou pour une autre, des priorités doivent être établies dans le système de sélection. Cela laisse supposer, à mon avis, que certaines limites seront bientôt atteintes ou qu'il y a trop de gens qui présentent des demandes ou encore trop de demandeurs qui utilisent...
M. Mayfield: Monsieur le président, il n'y a rien d'implicite ou de sous-entendu dans cette question.
Le vice-président (M. Dromisky): Nous vous croyons sur parole. Madame Cohen, poursuivez, je vous prie.
Mme Cohen: Je suis certaine qu'en tant que membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, vous restez à l'écoute des déclarations que peut faire le gouvernement au sujet du nombre de réfugiés que nous comptons accueillir au Canada au cours de l'année, chiffres qui font partie des projections d'immigration que nous vous fournissons tous les ans. Je crois également savoir que la Commission prend note du nombre de demandes qu'elle reçoit, du nombre de demandes qui sont acceptées ou rejetées, et je penserais, depuis quelques années, voire de nombreuses années, que le nombre de revendications du statut de réfugié qui ont été acceptées n'a jamais été aussi élevé que celui prévu par le gouvernement. C'est exact, n'est-ce pas?
Mme Macklin: J'ai cru comprendre que les agents des visas n'ont pas atteint leurs contingents annuels de sélection à l'étranger ces dernières années.
En ce qui concerne la Commission, je dois admettre que je ne sais pas comment fonctionne la planification générale. Ma tâche se limite à entendre les causes et à juger si les personnes en question répondent ou non aux critères énoncés dans la définition. Je ne suis au courant d'aucune prévision ou projection globale. Cela ne relève tout simplement pas de ma compétence. Je suis uniquement habilitée à régler les cas qui me sont soumis.
Je sais que les agents des visas à l'étranger n'ont pas atteint les contingents qui leur avaient été fixés, mais je ne sais pas pourquoi. D'aucuns pourraient en déduire que le flot de réfugiés dans le monde s'est tari et que c'est pour ça que les contingents ne peuvent être atteints, ou encore que le processus de sélection a été appliqué de façon plus stricte que de coutume. Je vous laisse le soin, à vous, les députés, d'en déterminer les causes.
Mme Cohen: L'autre point découlant de questions précédentes que je voulais aborder est l'idée qui a été mentionnée, que les demandes soient traitées différemment selon qu'elles proviennent de l'intérieur ou de l'étranger. Savez-vous de source sûre que, du simple fait qu'il se trouve au Canada au moment où il présente sa demande, le revendicateur se sent moins persécuté et a effectivement été moins persécuté qu'un autre revendicateur qui présente une demande depuis l'étranger? Cela fait-il partie de vos critères?
Mme Macklin: Non, je ne tiens pas compte de cela. J'aimerais préciser cependant que le critère sur lequel se fonde la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour établir le statut d'un revendicateur est la définition de réfugié, point final.
J'ai entendu dire que les bureaux des visas à l'étranger fondent leurs décisions sur la définition de réfugié et, dans une certaine mesure, sur les chances qu'a le revendicateur d'être un bon candidat à l'établissement. Je ne sais pas comment on fait pour concilier ces deux critères, car on imagine facilement qu'il puisse y avoir des gens qui ont très peur et dont la crainte est justifiée, mais qui sont peu instruits et ne présentent pas les meilleures chances d'établissement rapide.
Il s'agit d'un point important à mon avis et j'aimerais revenir à la question du sexe des revendicateurs pour faire remarquer ce qui suit: si, outre la crainte fondée de persécution, les chances d'établissement entrent également en ligne de compte dans la sélection outre-mer, cela va influer sur le pourcentage de femmes désignées comme réfugiées par sélection à l'étranger parce que, presque partout dans le monde, les femmes sont défavorisées du point de vue de l'éducation, des ressources et de ce genre de choses.
Quand on mesure les possibilités d'établissement de la façon dont bien des gens le font, les femmes risquent d'être désavantagées par rapport aux hommes. Je crois qu'il s'agit là d'une importante considération reliée au au sexe qui joue dans la sélection à l'étranger.
Mme Cohen: Merci.
Le vice-président (M. Dromisky): Merci beaucoup. La présentation de Mme Macklin tire à sa fin, mais avant de terminer, j'aurais une question d'ordre général. Je serais curieux de connaître les rapports qui existent entre les lois et règlements du Canada et ceux du pays d'où vient un réfugié.
Cherche-t-on à harmoniser de quelque façon les lois des divers pays en cette matière? Les lois existantes se contredisent-elles? Y a-t-il, dans d'autres pays, des lois qui empêchent les réfugiés de comparaître devant nous? Comment faire pour harmoniser les lois du pays? Quel type de rapports existe-t-il entre les lois du pays? Cela nous empêche-t-il de bien faire notre travail et d'appliquer les directives?
Mme Macklin: À quel genre de lois pensez-vous?
Le vice-président (M. Dromisky): N'importe quel code ou loi qui peut exister dans le pays d'où vient un réfugié. Devons-nous nous croiser les bras et refuser de nous occuper des réfugiés d'un pays donné pour la simple raison que la question est très délicate du point de vue du droit international ou en raison de nos relations diplomatiques, parce que nous avons signé des conventions ou des ententes avec ce pays? Il y a toutes sortes d'influences qui s'exercent dans le domaine juridique, et légalement parlant.
Mme Macklin: Si j'ai bien compris, vous voulez savoir entre autres si les rapports qu'entretient le Canada avec le pays d'où vient un réfugié constituent ou devraient constituer une considération pertinente dans le processus de reconnaissance du statut de réfugié. C'est ce que vous demandez, n'est-ce pas?
Le vice-président (M. Dromisky): Oui.
Mme Macklin: Non, ce n'est pas une considération pertinente. Le but de la Convention sur les réfugiés est de protéger les personnes qui fuient la persécution. Les rapports qu'entretiennent deux pays et le fait de vouloir ménager les susceptibilités ou éviter de porter atteinte à la réputation d'un autre pays ne constituent tout simplement pas des considérations pertinentes. La Convention sur les réfugiés vise à protéger les gens qui ont besoin de protection, et toute préoccupation quant à savoir ce qui est bon pour les relations diplomatiques et qui pourrait entraver ou corrompre ce processus de prise de décision n'entre tout simplement pas en ligne de compte.
Le vice-président (M. Dromisky): Merci beaucoup d'être venus nous rencontrer aujourd'hui.
M. Mayfield: Si vous me le permettez, avant de terminer, j'aimerais faire une dernière intervention.
Le vice-président (M. Dromisky): Allez-y.
M. Mayfield: Merci beaucoup.
Je tenais à préciser, pour mémoire, que ce qui me préoccupe, ce ne sont pas les chiffres mais les priorités. Je m'inscris en faux contre ce que Mme Cohen a dit à ce sujet.
Ma crainte est que les priorités ne soient pas adéquates. On entend parler de gens admis comme réfugiés qui vont passer leurs vacances dans le pays qu'ils avaient supposément fui. Le Sri Lanka est un exemple souvent cité.
Deuxièmement, quand des femmes ont cherché refuge au Canada pour échapper à des situations familiales intenables dans leur pays et que ces mêmes femmes veulent ensuite parrainer les membres de leur famille qui les maltraitaient pour qu'ils puissent venir s'établir au Canada, je pense qu'il y a lieu d'examiner les priorités. Beaucoup de gens ont besoin du refuge que nous pouvons leur offrir.
Le vice-président (M. Dromisky): Ces préoccupations ont déjà été soulevées et notées. Merci beaucoup, monsieur Mayfield.
Merci beaucoup.
Mme Macklin: Merci.
Le vice-président (M. Dromisky): Nous accueillons maintenant notre prochain groupe de témoins. De la «Refugee Lawyers Association», nous avons Christen Marshall, membre de l'Association, et Connie Nakatsu, qui est aussi membre de l'Association.
Merci beaucoup d'être ici ce matin.
Mme Connie Nakatsu (membre exécutif, «Refugee Lawyers Association»): Permettez-moi de nous présenter brièvement. La «Refugee Lawyers Association», comme son nom l'indique, est un organisme réunissant des avocats qui pratiquent le droit de l'immigration et plus particulièrement le droit des réfugiés.
Nous comparaissons souvent devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Par conséquent, nous espérons vous présenter un point de vue différent au sujet des directives concernant le sexe des revendicateurs. Comme vous avez déjà reçu copie de notre mémoire, je vous en épargnerai la lecture.
Après avoir pris connaissance des présentations qui ont été faites par les témoins qui nous ont précédés, nous avons décidé de ne pas répéter ce que des groupes comme le Conseil canadien pour les réfugiés ou Amnistie internationale ont déjà dit. Tout en appuyant leur position, nous souhaitons mettre l'accent sur des points différents.
Nous avons choisi de parler plus particulièrement de l'importance des directives concernant la persécution fondée sur le sexe, en dépit du fait que la Cour suprême du Canada ait rendu sa décision dans l'affaire Ward contre le Procureur général du Canada. En somme, cette décision ajoute foi à l'analyse faite dans les directives.
Dans notre présentation, nous avons étayé notre argument d'exemples pour faire ressortir le besoin de directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Nous y expliquions également pourquoi, à notre avis, des directives supplémentaires devraient être élaborées en ce qui touche les demandes pour des motifs de compassion ou des raisons humanitaires entre autres.
Même si cela ne fait pas partie de l'étude du Comité, nous avons profité de l'occasion pour protester contre l'imposition de droits de 975$ au titre de l'établissement. Nous l'avons fait à partir d'une analyse en fonction du sexe.
Voilà en somme le contenu de notre présentation. Nous vous remercions de nous avoir donné l'occasion de témoigner devant vous et nous nous ferons un plaisir de répondre aux questions que vous pourriez avoir au sujet de notre mémoire. Merci.
Le vice-président (M. Dromisky): Merci beaucoup. Nous commencerons par vous, madame Debien.
[Français]
Mme Debien: Bonjour, mesdames. Je vous remercie de vous être présentées devant notre Comité. Nous n'avons reçu votre mémoire qu'hier au cours de la journée. Malheureusement, la traduction n'est pas été faite, et je n'ai donc pas eu le plaisir de le lire dans ma langue pour en comprendre toutes les subtilités.
Indépendamment de cela, je voudrais que vous élaboriez sur votre dernière observation concernant votre opposition au droit de 975$ que le ministre exige maintenant des personnes qui veulent obtenir l'autorisation de venir au Canada. J'aimerais que vous nous donniez les raisons de votre opposition, s'il vous plaît.
[Traduction]
Mme Christen Marshall (membre exécutif, «Refugee Lawyers Association»): Dans notre présentation, nous avons tenté de nous concentrer essentiellement sur son incidence sur les femmes et, dans ce cas, sur les réfugiées.
Nous nous opposons à l'imposition de ces frais en plus des frais d'administration qui ont été proclamés en avril 1994. Il y a des frais d'administration de 500$ associés à une demande du droit d'établissement ainsi que 100$ supplémentaires pour une personne à charge.
À la page 8 de notre présentation, nous précisons qu'une femme qui a été acceptée comme réfugiée au sens de la Convention a 60 jours pour déposer sa demande de droit d'établissement, conformément à la Loi sur l'immigration et ses règlements.
Si elle ne paie pas les frais exigés, sa demande risque de n'être pas traitée, et l'attente peut être longue. L'imposition de ces frais supplémentaires s'avère très onéreuse pour bien des gens que nous représentons, en particulier les femmes qui sont arrivées ici avec des enfants à charge et qui ne travaillent pas encore.
Nous estimons qu'il n'y a pas eu de consultations ni de discussions suffisantes au sujet de ces frais. Cela a été annoncé lors du budget et nous craignons que cette absence de consultations ait empêché de bien comprendre les répercussions possibles.
Nous voudrions que ces frais soient annulés pour les personnes qui ont été reconnues comme réfugiées au sens de la Convention et qui ont besoin de la protection du Canada. Cela serait conforme à notre tradition humanitaire, ou autrement, nous aimerions tout au moins, puisqu'il s'agit de frais associés au droit d'établissement, que ces frais soient perçus à la fin de la procédure du droit d'établissement, qui peut facilement prendre jusqu'à 12 mois. Cela donnerait aux gens le temps suffisant pour tenter d'obtenir l'argent.
Mme Nakatsu: J'aimerais ajouter également que les femmes gagnent traditionnellement moins d'argent. Je pense que même au Canada, il existe des données qui indiquent que les femmes gagnent moins, et que dans de nombreux pays, les femmes font moins d'études. Elles n'ont pas les possibilités que nous avons ici. Par conséquent, soit elles travaillent dans des emplois moins rémunérateurs, soit elles ont besoin d'un recyclage pour travailler au Canada. Nous pensons que si on leur donne suffisamment de temps pour travailler et économiser, elles seraient mieux en mesure de payer.
Nous avons dit que ces frais de droit d'établissement pourraient être payés à la fin du processus, mais nous préférerions qu'ils soient complètement annulés. Les femmes arrivent souvent avec des personnes à charge, leurs enfants, et elles ont souvent beaucoup de difficultés à trouver cet argent supplémentaire.
Mme Marshall: J'aimerais souligner un aspect dont j'ai oublié de parler, à savoir que sans le paiement de ces frais, non seulement la demande du droit d'établissement n'est pas traitée, mais s'il y a des membres de la famille à l'étranger, des personnes à charge et des enfants dans des situations vulnérables dans les pays d'origine, ils s'y trouvent bloqués. Rien ne se fera pour les faire sortir du pays et réunir la famille.
M. Mayfield: Puisque nous parlons d'argent, je me demande qui paie l'avocat des réfugiés.
Mme Marshall: En général, la majorité de nos cas sont financés par le Régime de l'aide juridique de l'Ontario.
M. Mayfield: Y aurait-il d'autres sources?
Mme Marshall: Il y en a quelques-unes. Une petite minorité de revendicateurs ont les ressources pour payer les avocats eux-mêmes. Mais en général, la plupart arrivent sans économies ni fonds à cet effet.
M. Mayfield: Qu'en est-il dans les autres parties du pays? Vous avez parlé de l'Ontario. Chaque province aurait-elle des moyens semblables?
Mme Marshall: Je crois savoir qu'il existe un système semblable.
Mme Nakatsu: Le Québec est doté d'un système semblable, mais je ne suis pas certaine de ce qui existe dans les autres provinces. Je pense que la Colombie-Britannique a un système du même genre également. Je crois que ce sont les trois provinces qui reçoivent la majorité des revendicateurs du statut de réfugié.
Je devrais ajouter que mes collègues et moi-même avons offert nos services gratuitement lorsque nous estimons qu'ils le méritent et que les personnes ne peuvent pas obtenir un financement.
Le vice-président (M. Dromisky): J'aimerais demander à tous les membres du Comité de poser leurs questions dans le sens des directives. C'est la raison pour laquelle les témoins sont ici.
M. Mayfield: D'accord. On a dit que les directives sont davantage un outil qu'une règle. D'après votre expérience, est-ce vrai?
Mme Marshall: Absolument. Elles ne sont ni obligatoires ni exécutoires. D'après mon expérience, il s'agit d'un outil et non pas d'un programme fixe. Il s'agit simplement d'un document d'information.
Chaque revendicateur que nous représentons présente des situations différentes et nous nous servons des directives par analogie ou en suivant les règles. Dans certains cas, il est dommage qu'il n'y ait pas davantage de règles. Comme vous le voyez dans notre mémoire, il existe bien des cas pour lesquels les directives ne sont pas du tout respectées, en infraction évidente de la décision de la Cour suprême du Canada dans Ward contre le Procureur général du Canada et des directives elles-mêmes.
M. Mayfield: Pouvez-vous alors nous expliquer comment vous utilisez les directives?
Mme Nakatsu: J'utilise les directives en suivant certains aspects de l'analyse et parfois les exemples ponctuels qui sont donnés, pour voir si le revendicateur que je représente correspond à la situation ou non. J'utilise les directives non seulement pour voir si les faits correspondent mais également pour ma propre analyse. C'est en particulier le cas lorsque je fais ma présentation à la fin de l'étude du cas et pour sensibiliser les membres à ce qu'ils doivent prendre en compte en ce qui concerne le cas lui-même et sur la façon dont les faits correspondent ou non aux directives.
Je crois que c'est un outil que doivent utiliser non seulement les membres de la Commission et les agents d'audience, mais également les avocats eux-mêmes, et qu'il doit nous sensibiliser à ce que nous devons rechercher.
M. Mayfield: Je pense que la première responsabilité d'un avocat est de satisfaire les demandes de son client en se servant de son temps, de ses compétences et de ses services. Pensez-vous que les directives sont utilisées de telle façon que si elles peuvent contribuer à votre cas, vous les utiliserez, mais dans le cas contraire, vous essaierez d'autres moyens pour obtenir ce pourquoi on vous a engagée? Je me pose des questions sur la légitimité des directives si elles ne sont pas utilisées systématiquement et si vous ne les utilisez que si elles sont pratiques ou peuvent contribuer à votre cas.
Mme Marshall: Les directives ne sont qu'un élément parmi bien d'autres qui sont pertinentes à l'étude de la Commission lors d'une audience.
Les directives en elles-mêmes ne sont pas suffisantes pour qu'une revendication du statut de réfugié fondée sur le sexe soit acceptée. Nous passons beaucoup de temps à réunir des preuves documentaires pour appuyer la revendication. En ce sens, les directives ne sont qu'un outil qui permet de mieux comprendre les questions à étudier. Dans bien des cas, ces questions devront être corroborées avec des preuves objectives sur la situation dans le pays d'origine.
Je ne comprends peut-être pas bien votre question. Il y a toutes sortes d'éléments à prendre en compte; le témoignage oral de la revendicatrice, qui est son expérience et son expérience seulement, et qui doit avoir son importance; les preuves documentaires et finalement les directives.
Mais on ne présente pas simplement les directives en disant que cette revendication particulière est conforme et qu'on doit l'accepter. Il y a bien d'autres aspects.
Mme Nakatsu: J'aimerais ajouter quelque chose.
En tant qu'avocat, nous ne pouvons pas toujours ne pas tenir compte de l'existence d'un document comme les directives. Nous pouvons penser que notre cause n'est pas très solide si nous nous en tenons aux directives. Mais cela ne tient pas compte du fait que les membres de la commission et les agents d'audience savent très bien que les directives existent. C'est pourquoi j'essaie toujours de souligner les forces et les faiblesses du cas de mes clients.
Je ne pense pas que nous puissions ignorer les directives en disant simplement qu'elles affaiblissent la cause de notre client.
M. Mayfield: Vous avez mentionné que les tribunaux eux-mêmes sont très critiques à l'égard de l'absence de l'utilisation de...
Le vice-président (M. Dromisky): Votre temps est écoulé, monsieur Mayfield. Merci beaucoup.
Mme Cohen: Je suppose que vous êtes tous les deux membres du Barreau du Haut-Canada. Est-ce exact?
Un témoin: Oui.
Mme Cohen: Peut-être pourriez-vous expliquer au Comité ce qui se passerait si vous-mêmes, en tant que membres du Barreau du Haut-Canada, deviez conseiller à un client de mentir pour que sa revendication soit plus conforme aux directives. Qu'arriverait-il si vous étiez découvertes?
Je ne dis pas que vous le faites. Quelqu'un d'autre a suggéré que l'on pourrait utiliser les directives pour modeler les preuves. Pourriez-vous expliquer exactement ce qui se passe lorsqu'un avocat fabrique des preuves ou conseille à un client de fabriquer des preuves et qu'il modèle les preuves pour qu'elles correspondent aux conditions énoncées dans les directives? Que se passerait-il?
Mme Marshall: Au Barreau, nous suivons un code d'éthique. Si vous conseillez à un revendicateur de se parjurer, vous êtes rayé du Barreau.
Mme Cohen: Vous n'avez jamais connu d'avocat qui ait pris ce risque?
Mme Marshall: Non.
Mme Cohen: Dans un tribunal, il me semble que les directives peuvent vous être très utiles pour évaluer la force de votre cause et pour dire à votre cliente si la cause justifie d'être poursuivie ou non et si elle correspond réellement à la définition d'un réfugié ou non. Serait-ce une utilisation juste des directives selon vous?
Mme Nakatsu: C'est la façon dont la plupart d'entre nous les utilisont. Les gens que je connais dans la profession et les membres de notre association les utilisent de cette façon, en même temps que la jurisprudence et les preuves documentaires dont nous disposons.
Mme Cohen: Les directives elles-mêmes constituent donc un outil qui vous aident à décider par exemple si une revendication n'est pas assez solide ou ne devrait peut-être pas, selon vous, passer devant la Commission.
Mme Nakatsu: Oui. C'est toujours très difficile, mais nous avons souvent à dire à notre cliente que sa revendication n'est pas recevable.
Mme Cohen: Donc, cela se produit.
Mme Nakatsu: Oui.
Mme Cohen: Dans ce cas, l'utilisation des directives permettrait de gagner beaucoup de temps, n'est-ce pas, dans la mesure où vous pouvez vous concentrer sur certains points et vous assurer que lorsque vous passez devant la Commission, vous ne présentez pas des généralités mais vous concentrez sur deux ou trois aspects qui vous permettront de bien présenter la situation de votre cliente?
Mme Marshall: Je pense qu'il est important de souligner l'intérêt des directives, mais une bonne partie de notre présentation traite des directives dans le cadre de la loi et indique qu'il existe certaines exigences juridiques comme le stipule la décision Ward.
Vous pouvez représenter une femme dont le cas vous semble être conforme aux conditions fixées dans les directives, mais il existe une exigence juridique fixée par la décision Ward selon laquelle s'il s'agit d'un cas de violence familiale, vous devez faire la preuve de l'incapacité de l'État à protéger la personne. Les directives sont certainement très utiles pour savoir si l'on doit se présenter devant la Commission ou non, mais il existe aussi d'autres facteurs pertinents.
Mme Cohen: Vous êtes une bonne avocate; vous allez plus vite que moi car j'allais en venir à cette question.
Les directives ne permettent pas en elles-mêmes de décider d'un cas. Elles constituent en fait un cadre qui permet à la Commission d'appliquer la loi à la situation que vous présentez. Est-ce une définition exacte?
Mme Nakatsu: En effet. Ce n'est qu'un des éléments que nous présentons. Nous ne pourrions pas faire notre travail si nous n'avions que les directives. Nous devons également utiliser d'autres éléments.
Mme Cohen: Admettons que je vienne vous voir et que je vous dise que je viens du pays étranger X et que je suis revendicatrice du statut de réfugié craignant d'être persécutée en raison de mon sexe et que je vous présente les faits. En supposant que vous teniez compte des directives, de la loi et de la Convention - les décisions des tribunaux - ne dois-je pas dire finalement à la Commission: «Voilà ce qui m'est arrivé dans le pays X avant que je n'arrive ici?» et finalement, la décision de la Commission ne doit-elle pas être fondée sur ce qu'elle pense de votre sincérité?
Mme Marshall: À la fois sur la sincérité mais également sur les preuves qui viennent étayer une crainte bien fondée.
[Français]
Mme Debien: Mesdames, plusieurs groupes et organismes sont venus nous parler de l'inclusion, dans la convention internationale ou dans le droit canadien, d'un sixième motif pouvant justifier une demande de statut de réfugié. Malheureusement, comme je vous le disais plus tôt, je n'ai pas eu l'occasion de lire votre mémoire. J'aimerais que vous me donniez votre avis. Nous avons eu des avis partagés à ce sujet.
Deuxièmement, dans votre pratique comme consultantes, quels sont les principaux problèmes rencontrés par les femmes réfugiées indépendamment du droit d'accès de 975$ dont vous avez parlé plus tôt et qui est une barrière de plus à l'accessibilité? Vous avez certainement vu dans votre pratique quotidienne d'autres problèmes importants que les femmes réfugiées rencontrent et j'aimerais que vous les énumériez et que vous nous en parliez un peu.
[Traduction]
Mme Nakatsu: Sur la question du sixième motif, nos membres sont assez divisés. Bon nombre d'entre eux croient que le sexe devrait être inclus mais beaucoup d'autres estiment que si nous utilisons les directives, la jurisprudence et les conventions internationales, nous n'avons pas besoin d'un sixième motif, mais que nous devons en réalité trouver d'autres outils et instruments à utiliser plutôt que d'ajouter un sixième motif. Nos membres sont divisés sur cette question.
Nous n'avons rien conclu de définitif, mais je pense que la majorité dirait que nous avons ce dont nous avons besoin. Il s'agit simplement de l'améliorer, en particulier la jurisprudence.
[Français]
Mme Debien: Quels sont les principaux problèmes que les femmes réfugiées rencontrent, mis à part le droit de 975$ qu'elles doivent payer et qui est une barrière de plus à l'accessibilité? Il y a certainement d'autres problèmes que les femmes rencontrent. J'aimerais que vous nous en parliez.
[Traduction]
Mme Marshall: Voulez-vous parler des problèmes qu'elles rencontrent lorsqu'elles sont ici et qui ne concernent pas le processus de détermination de la revendication?
[Français]
Mme Debien: Outre le processus global, quels sont leurs problèmes selon vous?
[Traduction]
Mme Marshall: L'un des problèmes, qui a été abordé dans d'autres présentations, tient aux circonstances particulières des réfugiées ou même à la documentation des violences dont sont victimes les femmes...
Pour ce qui est de ces problèmes, la Convention avait d'abord été rédigée en pensant aux hommes. C'est un problème pour ce qui est de valider ou de comprendre la persécution dont font l'objet les femmes ou ce que les femmes subissent. Je pense que les directives permettent dans une large mesure de rectifier cette lacune.
Il y a également des difficultés d'installation.
Mme Nakatsu: Nos clientes connaissent des difficultés d'installation, notamment pour ce qui est de trouver du travail, mais un des problèmes que nous rencontrons souvent et dont Christen a parlé, c'est le fait de ne pas trouver la documentation qui justifie les revendications de nos clientes dans leur pays d'origine. Ce n'est pas qu'elles n'existent pas, mais cela demande énormément de travail. Je ne sais pas si cela tient au fait que les circonstances particulières des femmes dans d'autres pays ne sont pas aussi bien documentées que la situation générale du pays.
Certains de mes collègues ont des difficultés par exemple à documenter l'absence de logements pour les femmes qui ont été battues, si l'on parle de la violence familiale dans un pays comme la Grenade. Ce serait un problème lors de l'audience.
Mais je suis d'accord avec Christen sur le fait qu'il existe des problèmes généraux de réinstallation, en particulier lorsqu'une femme est séparée de ses enfants. Elles ont du mal à s'adapter.
M. Mayfield: Je ne suis pas avocat, mais il me vient à l'esprit quelques exemples d'avocats qui n'ont pas respecté les règles et ont eu des difficultés avec leurs barreaux locaux.
M. Knutson (Elgin - Norfolk): Cela se produit.
Une voix: Cela arrive à des ministres également.
M. Mayfield: Vous disiez que l'on utilisait les directives pour réunir l'information et pour informer la CISR de la situation possible d'une réfugiée. La CISR elle-même n'est-elle pas censée connaître la situation des femmes à l'étranger?
Mme Marshall: C'est une question difficile. La CISR ne pourrait pas avoir ce que l'on pourrait appeler la connaissance d'office de la situation des droits de la personne dans tous les pays d'où viennent des revendicateurs du statut de réfugié.
En fait, bon nombre de membres de la «Refugee Lawyers Association» représentent des gens qui viennent de nombreux pays, mais nous participons à des audiences pour des revendicatrices qui viennent du même pays plusieurs fois par an. Chaque fois, compte tenu de la situation particulière de cette revendicatrice, nous devons recommencer les recherches depuis le début. Ce que nous pouvons utiliser pour une personne d'un pays donné peut être très différent de ce qui servira à une autre, selon les faits que nous voulons établir.
C'est pourquoi je pense que ce serait trop demander à la Commission de connaître toutes les questions car chaque cas est spécifique et doit être documenté. Les membres de la Commission ne peuvent pas tout savoir.
M. Mayfield: Je pense aux difficultés que les membres de la CISR peuvent avoir au cours d'une audience. Le processus est censé être non conflictuel.
Certains témoins nous ont parlé des difficultés que connaissent les membres de la CISR lorsqu'ils entendent un cas, notamment l'attitude agressive des avocats.
On nous a dit, dans la dernière présentation, que les quotas jouent un rôle dans les directives concernant les revendications fondées sur le sexe. Ces quotas jouent-ils un rôle dans vos rapports avec la CISR?
Mme Nakatsu: Je ne suis pas certaine de comprendre votre question. S'agit-il du rôle des quotas dans notre travail, dans le nombre de cas permis en vertu des directives, ou...?
M. Mayfield: Les quotas jouent un rôle dans...
Le vice-président (M. Dromisky): Monsieur Mayfield, de quels quotas parlez-vous?
M. Mayfield: Le quota des cas qui passent devant la CISR.
Mme Marshall: Nous ne pouvons pas avoir vraiment de quotas. Comme Connie l'a mentionné plus tôt, c'est nous qui choisissons de passer devant la Commission suivant les cas. Il y a des revendicatrices à qui nous devons dire qu'elles ne correspondent pas au statut de réfugiée au sens de la Convention. Mais nous n'employons pas nous-mêmes de quotas. Nous ne faisons que représenter les gens. Je ne suis pas certaine que votre question soit vraiment pertinente au travail que nous faisons.
M. Mayfield: Le dernier témoin était un membre de la CISR. J'essaie simplement de rapprocher ce qu'elle nous a dit de votre expérience à cet égard. Je me demande comment les quotas dont elle a parlé jouent un rôle de votre point de vue, en tant qu'avocates.
Le vice-président (M. Dromisky): Monsieur Mayfield, je pense que nous devons donner quelques précisions. Au Canada, nous n'avons pas de quotas. Les revendications sont présentées et nous les traitons. Mais il peut y avoir un quota. Je ne suis pas sûr si vous parlez des quotas qui sont établis en fonction du nombre de revendicateurs à l'étranger. Est-ce ce dont vous parlez, les réfugiés sélectionnés?
M. Mayfield: Les quotas dont a parlé le membre de la CISR.
Mme Nakatsu: Les seuls quotas que je connaisse - et c'est simplement parce que j'ai fait du parrainage de groupes privés - sont établis à l'étranger. Je pense que les différents bureaux de visa établissent le nombre de gens qui peuvent entrer au Canada, parrainés par le gouvernement ou par des groupes privés. Je ne suis pas très sûre qu'il existe des quotas pour les parrainages de groupes privés, mais je sais qu'il y en a pour les réfugiés pris en charge par le gouvernement. Mais je n'ai jamais entendu parler de quotas lorsque j'ai comparu devant la Commission, pour ce qui est des revendications au Canada.
Le vice-président (M. Dromisky): Merci beaucoup. Je pense que vous avez très bien répondu.
Monsieur Knutson.
M. Knutson: Je sais, monsieur le président, que vous voulez que nous posions nos questions sur les directives, mais j'aimerais que vous m'autorisiez à poser une question sur les 975$.
Si nous rendions le prêt automatique, les réfugiés auraient automatiquement droit au prêt sans passer par un examen de crédit, et compte tenu du fait que les immigrants dépassent généralement les Canadiens après un certain temps sur le plan de leur contribution économique, pensez-vous que cela représenterait une difficulté indue?
Mme Nakatsu: Je ne pense pas que ce serait le cas pour la plupart de mes clients car la majorité trouve du travail peu après avoir été déclarés réfugiés au sens de la Convention. Il leur faut davantage de temps pour rembourser le prêt, mais ils travaillent et sont prêts à contribuer. C'est pourquoi je pense que s'ils peuvent obtenir un prêt, s'ils pouvaient en disposer facilement, ils le rembourseraient. Les avocats ont toujours de ces clients pour lesquels ils ont travaillé gratuitement et qui leur versent 25$ par mois pendant un certain nombre d'années. Ils sont donc prêts à rembourser.
M. Knutson: Vous seriez d'accord?
Mme Marshall: Encore une fois, je pense que nos membres ont des avis quelque peu divergents sur la question. Bon nombre d'entre eux soutiennent que l'on ne devrait absolument pas demander les 975$ car il s'agit de gens qui, de notre propre aveu, requièrent notre protection. Mais si cela n'est pas possible, alors, oui, si seulement il n'était pas aussi difficile d'obtenir le prêt. Et il se peut fort bien, encore une fois, que si l'on garantissait aux gens de pouvoir obtenir un prêt en bout de ligne, au moment où ils arrivent, il ne serait probablement pas nécessaire de leur prêter tout l'argent, parce qu'ils ont eu cette année pour se préparer.
M. Knutson: A-t-il été difficile d'obtenir le prêt?
Mme Marshall: Extrêmement difficile. Il faut démontrer que vous êtes capable de rembourser. Bien des gens sont acceptés avant d'avoir eu la possibilité de trouver du travail, car seulement quelques mois se sont écoulés, notamment les femmes qui ont des jeunes enfants à la maison. Ces gens-là n'ont pas de travail et on leur refusera donc le prêt si bien qu'ils se retrouveront dans ce vide social auquel il est vraiment difficile de faire face. Comme nous l'avons indiqué, sans le droit d'établissement, ils ne peuvent pas non plus reprendre des études pour améliorer leurs compétences. Cela crée donc un cercle vicieux.
M. Knutson: Pourriez-vous me dire, comme ça - donnez-moi un chiffre, en gros - quel est le pourcentage des gens à qui l'on refuse d'accorder le statut de réfugié? Est-ce moitié-moitié, ou s'agit-il de plus de la moitié?
Mme Nakatsu: Je viens de lire dans les journaux que c'était moitié-moitié, mais je n'ai pas de statistiques précises.
M. Peric: M. Knutson vient de poser une question. La mienne va probablement dans le même sens. Combien de gens voient leur demande rejetée à cause de cette taxe d'établissement?
Mme Marshall: Vous voulez dire à qui l'on refuse le prêt ou à qui l'on refuse le statut d'immigrant reçu?
M. Peric: Non, je veux dire dont on refuse la demande à cause de cette taxe d'établissement. Combien de requérants ont été affectés par cette taxe d'établissement?
Mme Marshall: Étant donné que nous ne nous occupons vraiment que...
Le vice-président (M. Dromisky): J'ajouterai que c'est une question à laquelle il est très difficile de répondre étant donné tout simplement que cela n'entre pas dans leur champ de compétences. Nous nous occupons ici des directives. Les témoins ne sont pas chargées de tâches administratives et ne travaillent pas avec le ministère...
M. Peric: Alors, monsieur le président, je vais poser la question d'une façon différente.
À la page 10 de votre déclaration, vous indiquez que le processus pose des difficultés. Vous parlez de la taxe d'établissement de 975$ et de frais d'administration qui s'élèvent seulement à 500$. Or, selon vous, l'obligation de payer dans les 16 jours pose un problème. Ma question est la suivante: combien de personnes ont vu leur demande rejetée à cause de ce problème?
Mme Marshall: Je n'ai pas ce genre de données statistiques, mais je peux dire que la majorité des gens qui défilent dans mon bureau et dans celui de ma collègue qui représente de nombreux ressortissants du Burundi et du Rwanda, éprouvent des difficultés. Je ne peux toutefois pas malheureusement être plus précise que cela.
M. Peric: Voulez-vous dire que cela est plus fréquent maintenant qu'avant le budget fédéral?
Mme Marshall: Sans aucun doute. C'est qu'il s'agit de payer environ 1 000$ de plus.
Mme Nakatsu: Je pense que tous mes collègues, c'est ce que je constate lorsque je leur parle, ont une histoire navrante à raconter, et c'est ce genre d'informations que nous avons accumulées. Il y a l'histoire des gens qui... Par exemple, une femme originaire du Rwanda avait recueilli l'argent. Il avait été établi en décembre qu'elle avait droit au statut de réfugiée au sens de la Convention et, éventuellement, avec l'aide d'une église, elle avait réussi le 27 février à ramasser 500$ afin de pouvoir déposer sa demande d'établissement. Lorsqu'on l'a reçue le 1er mars, il était trop tard et maintenant, elle essaie de trouver 975$. Donc, janvier, février, deux mois pour amasser 500$. Cela a été difficile et cela n'a été possible qu'avec l'aide de l'église. Nous pouvons tous citer ce genre d'histoire de clients...
Le vice-président (M. Dromisky): Deux minutes chacun.
Madame Debien, avez-vous une autre question?
Monsieur Mayfield, voudriez-vous poser une autre question?
M. Mayfield: Juste pour faire un bref suivi.
Qu'arrive-t-il à ces demandeurs du statut de réfugié? Vous avez dit que la demande était arrivée trop tard. Alors, que leur arrive-t-il?
Mme Nakatsu: Dans un cas, mon collègue a fait repasser l'affaire au stade de l'enquête car la personne concernée n'avait pas fait de demande d'établissement. L'enquête n'a pas encore eu lieu. Donc, s'ils n'ont pas fait de demande d'établissement, on peut les rappeler et il se peut qu'ils doivent...
M. Mayfield: Alors, il ne s'agit jamais de les renvoyer là d'où ils viennent.
Mme Nakatsu: Nous n'en sommes pas encore sûrs. Nous ne sommes pas au bout du processus.
M. Mayfield: Je vois.
J'ai une brève question à vous poser concernant les priorités. De mon point de vue, c'est vraiment là l'essentiel. Le débat sur les critères fondés sur le sexe a tendance à tourner autour de la question de savoir qui, parmi les réfugiés qui font la queue pour entrer au Canada, devraient avoir priorité. On n'arrête pas de nous parler de ces 19 millions de réfugiés qu'il y a dans le monde. Je trouve ce chiffre renversant. À mon avis, c'est une terrible illustration de la situation dans laquelle se trouve l'humanité. Et combien en accepte-t-on? Nous acceptons 25 000 réfugiés par an et cela montre bien qu'il est tout à fait de mise de concentrer notre attention sur la question des priorités.
Permettez-moi simplement de vous demander qui, de votre point de vue, devrait avoir priorité sur cette liste. D'après votre expérience, à qui devrait-on accorder la priorité?
Mme Marshall: Je ne sais pas trop de quelle liste vous parlez. Mais je suis d'accord avec vous... Il y a actuellement plus de 19 millions de réfugiés. Il y a à travers le monde des millions et des millions de réfugiés...
M. Mayfield: Que l'on en compte 19 millions ou 20 millions, c'est énorme.
Mme Marshall: ...et parmi eux, la plupart sont des femmes.
Si je comprends bien ce que vous dites, c'est-à-dire que les directives permettent d'une certaine façon de donner la priorité à certaines femmes et de les faire passer en haut de la liste, ce qui en exclut d'autres à l'extérieur de nos frontières...
M. Mayfield: Non, ce n'est pas vraiment... C'est une question plus franche que je vous pose.
Étant donné les ressources que nous consacrons à cela - il s'agit de combien, 25 000 personnes - qui devrait vraiment faire partie de ces 25 000 réfugiés, qui, parmi tous les autres, devrait avoir la priorité? Comment peut-on déterminer qui a le plus besoin de notre aide et, ce qui est peut-être plus important, qui doit recevoir le bénéfice des ressources que nous offrons? Qui cela devrait-il être?
Mme Marshall: C'est la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui prendra une décision à propos des 25 000 demandes émanant de gens qui sont ici, au Canada. La Commission pèsera le pour et le contre et évaluera chaque demande. Je peux me tromper, mais je ne pense pas qu'il y ait des priorités. La Commission évalue chaque demande selon ses mérites.
Le vice-président (M. Dromisky): Merci beaucoup.
M. Knutson: Je ne veux pas que l'on m'accuse de faire dire à mon collègue ce qu'il ne veut pas dire, mais je pense que sa question est la suivante: prenons le cas d'un gars qui vient d'Amérique du Sud, qui voyage par la route, clandestinement, qui arrive au Canada et qui présente une demande et dont la demande est acceptée car il est plus facile de faire approuver ce genre de demande lorsqu'on est ici que cela ne le serait, par exemple, pour une femme ou quelqu'un d'autre qui le mériterait peut-être davantage, qui serait peut-être l'objet de plus de persécution, et qui se rendrait à Mexico pour faire une demande auprès de notre consulat. C'est nous qui avons conçu ce système. Nous avons dit: si vous parvenez à venir ici, il est probable que vous aurez le droit de rester, mais si vous faites une demande à l'étranger, vos chances ne sont pas aussi bonnes.
Je crois que sa question a pour objet de savoir si nous devons réévaluer ou modifier tout le système afin d'établir des priorités. Dans ce cas, il faudrait sans doute mettre davantage l'accent sur la sélection des candidats à l'étranger plutôt que de s'en tenir à cette sorte d'auto-sélection qui favorise ceux qui ont les ressources nécessaires pour acheter un billet d'avion ou des amis qui les aident à entrer dans la clandestinité, ou je ne sais quoi d'autre. Mon collègue vous demande votre avis sur tout le...
M. Mayfield: Ou ceux qui ont les ressources d'engager un avocat.
M. Knutson: Par exemple.
Mme Nakatsu: Je sais que c'est un point dont les membres de notre association ont discuté et, encore une fois, nous avons des points de vue divergents parce que certains estiment que ce sont les gens qui sont le plus dans le besoin qui sont laissés pour compte. Ce sont ceux qui n'ont même pas les ressources nécessaires pour acheter un billet d'avion. C'est probablement, à mon avis, le cas des femmes. Dans de nombreuses cultures, non seulement les femmes ne voudraient pas se séparer de leurs enfants, mais souvent, elles s'occupent de toute une famille qui comprend leurs parents et leurs beaux-parents. Certaines d'entre elles estiment qu'il leur incombe d'amener tout le monde. Évidemment, elles ne peuvent pas amener tout le monde et elles ne viennent pas, en partie à cause des frais que cela représente et parce qu'elles n'ont pas les ressources économiques nécessaires pour venir.
Comme je l'ai dit, certains pensent que les réfugiés que nous accueillons font partie de ceux qui sont les plus privilégiés, si l'on peut dire.
M. Knutson: Alors, que feriez-vous pour essayer de corriger cela?
Mme Nakatsu: Si seulement j'étais le roi Salomon. Je ne crois pas que nous ayons trouvé la réponse parfaite à cette question. Nous en discutons cependant. Nous en discutons parce que nous ne pouvons pas revoir notre travail sans avoir une vision plus globale.
Tout ce que je peux dire, c'est que nous en discutons et nous en débattons, mais nous n'avons pas trouvé de réponse non plus.
Le vice-président (M. Dromisky): Merci beaucoup d'être venu devant le comité ce matin. Nous apprécions beaucoup vos commentaires, qui nous permettront d'apprendre et de mieux comprendre le processus, surtout en ce qui a trait à certains aspects reliés aux directives.
Votre mémoire est excellent. Merci beaucoup.
Un témoin: Merci.
Le vice-président (M. Dromisky): Nous allons maintenant recevoir deux membres de l'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration. Nous avons le bonheur d'avoir parmi nous ce matin Pascale Vigneau et Marie-Louise Côté.
Je vous remercie beaucoup de comparaître devant nous ce matin. Aimeriez-vous commencer par faire un exposé?
Me Marie-Louise Côté (avocate, Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration): Oui, nous avons préparé quelque chose. Nous allons donc le présenter en français et répondre à vos questions dans l'une ou l'autre des deux langues officielles.
Le vice-président (Dromisky): Merci. Allez-y.
Me Côté: Nous avons envoyé un mémoire écrit hier; nous espérons donc qu'on l'a reçu.
Le vice-président (M. Dromisky): Oui, nous l'avons reçu.
[Français]
Me Côté: Me Vigneau et moi-même sommes ici ce matin au nom de l'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration. Notre association regroupe une centaine de membres qui pratiquent en matière d'immigration, de citoyenneté et de refuge. Nous sommes très heureuses de participer à cette étude sur un sujet qui nous tient particulièrement à coeur, c'est-à-dire les femmes réfugiées qui basent leurs revendications sur le motif du sexe.
Nous pratiquons de façon concrète et quotidienne avec les revendicatrices. Nous avons à faire des représentations fréquentes devant la Section du statut de réfugié, devant les agents d'immigration. Les commentaires qu'on vous fait ce matin découlent de cette expérience pratique.
D'abord, en ce qui a trait au contenu des directives qui ont été émises par la présidente, le 9 mars 1993, disons d'abord qu'elles ont été accueillies avec beaucoup d'enthousiasme parce qu'elles répondaient à un besoin criant. Jusqu'alors, on ne parlait que très peu des femmes revendicatrices au Canada. La jurisprudence avait été établie principalement en fonction de l'expérience masculine. Il y avait donc un vide qu'il fallait combler de façon urgente.
D'une part, on peut dire des directives qu'elles ont sensibilisé les intervenants à toute la problématique et permis de conceptualiser la définition de «réfugié» en fonction de la réalité des femmes.
Du côté positif, les directives sensibilisent les commissaires en leur offrant un cadre d'analyse qui tient compte de la réalité telle que la discrimination systématique et institutionnalisée, et les répressions qui sont énoncées dans des politiques, des lois et des rituels religieux.
Les directives font aussi en sorte que les formes particulières de la persécution qui est faite aux femmes sont reconnues. Évidemment, on parle du mariage imposé, de violence familiale, ce qui est tout à fait innovateur dans le secteur du refuge.
Les directives reconnaissent aussi textuellement qu'on peut inclure le sexe dans le motif «appartenance à un groupe social particulier». D'ailleurs, cette interprétation qu'on faisait des directives en mars 1993 a été entérinée par la Cour suprême dans l'arrêt Ward.
Les directives traitent aussi de la procédure qui doit être suivie lors des audiences et invitent les commissaires à faire preuve de sensibilité face aux différences culturelles et à démontrer une attitude compréhensive, surtout lorsque les femmes relatent des expériences de violence sexuelle.
Certes, il y a eu des changements majeurs d'apportés par les directives et il faut les souligner. Par contre, ce matin, on veut aussi faire des critiques sur certaines choses qui n'ont pas été accomplies par les directives et qui restent à faire.
D'abord, au niveau du contenu des directives, il y a des concepts qui n'ont pas été abordés du tout. Parlons de la notion de refuge interne dans un pays. Si une femme réussit à démontrer que, dans une partie particulière de son pays, elle craint d'être persécutée, elle doit quand même démontrer qu'elle serait en danger dans toutes les autres parties de son pays. On sait que les femmes sont beaucoup moins mobiles que les hommes pour toutes sortes de raisons d'ordre financier, juridique, etc. Il faut donc adapter le concept de refuge intérieur à la réalité des femmes, et les directives sont silencieuses à cet effet.
Évidemment, les directives sont appliquées par des commissaires, et de leur sensibilité va dépendre le résultat de ces directives. Donc, nous rappelons l'importance de nommer des commissaires qui, de par leur expériences et leur attitudes, ont démontré un intérêt et une sensibilité aux problématiques de femmes.
On pourrait aussi dire qu'il serait important de modifier la Loi sur l'immigration pour y ajouter un sixième motif, qui serait celui du sexe. Il faudrait donc le faire textuellement. Si le Canada prenait ce pas, cela pourrait inviter les autres pays à en faire de même. On se rappelle que la définition de «réfugié», au sens de la Convention, est vieille. Elle n'a jamais été modifiée depuis son adoption et il est temps de l'adapter à la réalité qui a changé.
Pour les femmes qui ont à relater des expériences de violence sexuelle, il peut être particulièrement difficile de témoigner. Cela peut même mettre en péril leur capacité de témoigner. Dans les cas où il est question de violence sexuelle, surtout lorsqu'un rapport psychologique est soumis, on demande que les dossiers fassent l'objet d'une procédure accélérée qui se tiendrait à Montréal, en présence d'un agent d'audience qui ferait par la suite des recommandations à un commissaire, ce qui éviterait, dans certains cas, d'avoir à subir une audience. À Montréal, on a le processus accéléré, mais très peu de cas de femmes qui invoquent la violence sexuelle y sont référés.
On recommande que la jonction d'instances automatique dans les dossiers de revendicateurs d'une même famille soit abolie. Il faudrait que ce soit laissé à la discrétion des intéressés parce qu'il arrive souvent, particulièrement dans certaines cultures, que les femmes soient très réticentes à prendre la parole lorsque leur conjoint est dans la salle, surtout quand on parle de viol. Il y a une question de honte et de stigmate qui est associée à cela et souvent les femmes ne veulent pas parler de cela devant leur conjoint.
La notion de protection de l'État est vitale, surtout lorsqu'on parle, par exemple, de violence conjugale. La revendicatrice doit réussir à prouver que l'État est incapable de la protéger. L'arrêt Ward de la Cour suprême dit que ce fardeau de preuve est très élevé. Il faut qu'on amène une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État à protéger une femme. Le fardeau est donc élevé et, en plus, on a une présomption que l'État est capable de protéger ses citoyens. Notre fardeau de preuve est élevé et le problème est que l'on n'a pas de documentation qui traite de la situation des femmes dans bon nombre de pays, ce qui fait que même lorsqu'une revendicatrice témoigne de façon crédible, il arrive souvent que l'on perd la revendication parce qu'on n'a pas de documents pour appuyer sa crédibilité.
Le rôle du Centre de documentation est vital. On suggère de lui allouer davantage des ressources financières pour qu'il puisse se doter de données et d'informations qu'il n'a pas actuellement.
Nous recommandons également que la Commission du statut de réfugié appuie de façon concrète et financière les organismes tels que le Rapporteur sur la violence contre les femmes, donc qu'on fournisse des fonds à ces organismes pour que la collecte d'information soit facilitée.
La réforme de la Loi sur l'immigration, qui entrera en vigueur sous peu, affectera, entre autres, la procédure qui sera suivie. On aimerait souligner le changement qui fera en sorte que les notes qui ont été prises par un agent d'immigration au point d'entrée seront automatiquement acheminées au commissaire. Ces notes sont prises dans des circonstances très particulières qui font que, souvent, leur contenu n'est pas exact et représente mal la réalité des revendicatrices. Ce sont des notes prises dans un contexte où les revendicateurs, en général, arrivent nerveux, épuisés, fatigués, très craintifs. Ils fuient la persécution quand il s'agit de réfugiés de bonne foi. Leur premier contact avec un agent d'immigration est très intimidant, surtout pour les femmes qui peuvent avoir développé une méfiance face aux personnes qui représentent l'autorité dans leur pays. Nous sommes tout à fait contre cette pratique de référer automatiquement les notes prises au point d'entrée.
D'ailleurs, les questions posées par l'agent d'immigration portant sur les raisons pour lesquelles la personne demande le statut de réfugié nous apparaîssent hors juridiction, hors mandat. L'agent d'immigration n'a pas le mandat de poser des questions sur les raisons pour lesquelles la personne a peur d'être persécutée. L'agent d'immigration a juridiction uniquement sur la recevabilité. On ne peut comprendre pourquoi de telles questions sont posées au point d'entrée.
Le comportement des agents d'immigration devrait faire l'objet de directives, parce qu'on nous rapporte fréquemment des abus qui sont commis au point d'entrée, alors qu'il n'y a pas de représentant pour accompagner la revendicatrice. Nous sommes très inquiètes en ce qui a trait à la pratique et à la loi qui font en sorte qu'une personne doit, dès son arrivée au point d'entrée, revendiquer le statut de réfugié. Sinon, elle fera l'objet d'une mesure de renvoi exécutoire et, de ce fait, ne pourra plus revendiquer par la suite. Elle sera à ce moment-là irrecevable.
On ne comprend pas pourquoi une personne qui arrive au point d'entrée, qui est inquiète, etc., doit se prononcer dès ce moment et prendre une décision finale, à savoir si elle revendique ou non le statut de réfugié. À tout le moins, il faudrait que ces gens-là aient accès à un avocat et puissent consulter l'avocat à l'aéroport pour prendre cette décision.
La sélection des réfugiés à l'étranger n'est pas notre domaine de compétence. Nous avons fait quelques commentaires brefs là-dessus. Nous soulignons l'importance, pour le programme de sélection des réfugiés à l'étranger, de compenser les difficultés qu'ont les femmes à venir au Canada. Tout notre système au Canada fait en sorte qu'on favorise les personnes qui réussissent d'une façon quelconque à contourner la nécessité d'avoir des visas et les difficultés financières pour se rendre au Canada.
Les femmes ne réussissent pas souvent à venir et cela explique le fait qu'on n'a que 30 p. 100 de revendicatrices au Canada. Pour compenser cela, notre position est de recommander l'imposition d'un quota minimal de 50 p. 100 pour la sélection à l'étranger.
Le dernier point, qui nous apparaît aussi très important, se situe au niveau des deux recours qui concernent, d'une part, l'évaluation des risques de retour et, d'autre part, les motifs humanitaires. On n'a qu'à regarder les résultats qui émanent de ces deux recours pour se rendre compte qu'ils sont pratiquement illusoires. Le nombre de personnes qui sont acceptées est minime et il faut souligner l'importance de ces deux recours parce que le système de détermination du statut de réfugié n'est pas suffisant. Il y a beaucoup de personnes qui, pour plusieurs raisons, ne pourront pas se qualifier comme réfugiés et vont devoir se tourner vers les motifs humanitaires ou vers les risques de retour.
Autant la CISR a fait certains progrès, autant le ministère n'a fait aucun progrès. Il y a eu plusieurs consultations qui ont débouché sur des recommandations et on ne peut dire que le fait d'appliquer les recommandations qui ont déjà été faites constituerait un poids énorme. On pourrait se contenter de regarder toutes les recommandations qui ont déjà été faites à ce sujet-là.
Donc, nous prônons une révision globale des processus de révision humanitaire et de risque de retour. Nous sommes contre les droits exigés de 975$ qui nous apparaissent exorbitants.
En conclusion, il nous semble que les progrès qui ont été accomplis au niveau de la section du statut de réfugié sont remarquables. Par contre, pour ce qui est du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, il n'y a eu aucun progrès. On assiste pratiquement à un recul. Merci.
[Traduction]
Le vice-président (M. Dromisky): Merci.
Voulez-vous ajouter quelques commentaires?
Me Pascale Vigneau (avocate, Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration): Non.
Le vice-président (M. Dromisky): C'est bien.
Madame Debien.
[Français]
Mme Debien: Bonjour, madame Vigneau et madame Côté, et bienvenue à notre Comité. Je vous remercie beaucoup de vous être présentées devant nous et j'apprécie beaucoup votre mémoire. D'une part, vous nous donnez un cadre théorique de toute la problématique à laquelle nous sommes confrontés et que nous étudions depuis plusieurs mois et, d'autre part, vous rendez votre mémoire très concret au moyen d'exemples. Vous appuyez chacune de vos interventions par des exemples bien concrets et par une série de recommandations. Personnellement, je l'apprécie beaucoup. C'est très concret et on touche à des choses précises.
Vous avez, dans votre mémoire, fait le tour de presque tous les problèmes que rencontrent les femmes réfugiées. D'ailleurs, Mme Clancy, la semaine dernière, avait fait un brillant exposé en résumant les nombreux problèmes d'accès des femmes réfugiées, dont vous faites aussi état dans votre mémoire.
Vous avez parlé du droit de 975$. Comme ce droit est assez récent, avez-vous pu constater qu'il constituait un obstacle majeur depuis qu'il est en vigueur?
Ma deuxième question a trait à l'asile intérieur. On demande de tenir compte du sexe de la personne. Si j'ai bien compris, vous demandez qu'on tienne compte du sexe de la personne pour établir la possibilité de trouver refuge dans une autre partie du même pays. C'est cela?
Me Vigneau: C'est exact.
Mme Debien: Considérez-vous que cela devrait faire partie des directives?
Troisièmement, vous êtes-vous rendu compte que, depuis que les lignes directrices existent, il y a eu une amélioration à la CISR quant à la perception des problèmes que vivent les femmes réfugiées et quant à la sensibilisation des commissaires et des agents de visa à l'étranger?
Me Vigneau: Les frais de 975$ limitent beaucoup l'accès des gens démunis - ce sont souvent des femmes, surtout lorsqu'elles ont des enfants - à la résidence permanente, ce qui permet par la suite d'avoir accès à des programmes de prêts et bourses et de s'intégrer dans la société canadienne. Donc, le fait qu'on exige d'elles beaucoup d'argent pour une demande de résidence permanente va limiter leur accès.
En plus, il y a actuellement un problème criant. Le système de prêts ne fonctionne pas parce que les critères sont encore trop élevés. L'application que fait le ministère des critères fait en sorte que la personne a le même fardeau de preuve qu'à une banque. Elle doit être solvable et prouver qu'elle sera en mesure de rembourser le prêts.
Les femmes sur l'aide sociale ne pourront pas prouver qu'elles sont solvables. On va peut-être remédier à ce problème-là, et c'est nécessaire. Autrement, le système sera complètement figé, et il n'y aura pas de demandes de résidence permanente.
Mme Debien: À ce sujet, vous avez mentionné, dans votre mémoire, que les femmes immigrantes ou les femmes réfugiées, pour la plupart, étaient des femmes pauvres, illettrées, qui avaient de gros problèmes de mobilité et qui étaient assujetties la plupart du temps à des contraintes conjugales ou familiales. Elles sont souvent mères de plusieurs enfants. Vous dites que la possibilité d'accéder au statut de réfugié relève pour elles de la pure fiction et de l'exploit incroyable. Si on ajoute à cela une barrière financière, cela devient presque impossible. Rêvons en couleurs!
Me Vigneau: On fait référence à cela surtout pour les femmes et les enfants réfugiés à travers le monde. Pour les femmes avec des enfants, il est extrêmement difficile d'obtenir un faux passeport pour venir au Canada. On ne voit pas de raison de leur rendre la procédure compliquée une fois qu'elles sont arrivés.
Vous avez soulevé la question de fuite ou de l'asile interne. Nous recommandons que ce point-là soit spécifiquement traité dans les lignes directrices parce que, très souvent, les femmes font face à des problèmes particuliers quand elles veulent se réfugier à l'intérieur du pays. Elles sont moins mobiles en raison de leur situation familiale, et le contexte culturel du pays ne leur est pas favorable.
Il est beaucoup plus difficile pour une femme d'aller vivre en dehors de la cellule familiale, dans un autre endroit du pays où elle n'a pas de famille. C'est très souvent pratiquement impossible, et cette réalité-là devrait être traduite concrètement dans les lignes directrices.
[Traduction]
Le vice-président (M. Dromisky): Un instant, s'il vous plaît. Vous pourrez répondre à la dernière question lors du prochain tour.
Nous allons maintenant passer à M. Mayfield.
M. Mayfield: Merci beaucoup. C'est tout simplement un éclaircissement. Je veux être certain d'avoir bien entendu.
Avez-vous dit, dans votre exposé, qu'il y a des abus aux points d'entrée? Est-ce la déclaration que vous avez faite?
Me Côté: J'ai utilisé le terme «abus» dans le sens que, oui, on nous cite des exemples.
Par exemple, une femme est arrivée avec trois jeunes enfants. Nous parlons ici du point d'entrée, le point d'entrée Blackpool, qui est du côté canadien de la frontière canado-américaine.
Elle est arrivée au point d'entrée, et on l'a obligée à attendre. Je suis allée voir cette femme au point d'entrée. Elle est arrivée à 16 heures de l'après-midi. Je voulais savoir quand elle serait examinée. Ils ont répondu qu'ils ne le savaient pas, et qu'il ne m'était donc pas utile de rester pendant des heures.
On l'a obligée à attendre jusqu'à minuit. Ensuite, on l'a renvoyée aux États-Unis. On lui a dit de revenir le lendemain à 16 heures de l'après-midi.
Maintenant, tentez de visualiser cette situation. Elle a trois jeunes enfants. Elle les pousse dans une poussette. On lui dit de retourner, puis elle revient le lendemain, et elle se fait insulter.
La colère au bureau de l'immigration, telle qu'elle me l'a décrite, n'était vraiment pas nécessaire. Qu'est-ce qui rend certains des agents d'immigration si réticents ou négatifs à l'égard de ces gens?
Nous avons des exemples qui nous sont donnés. En ce sens, oui, je parle d'abus,
[Français]
des abus de comportement.
[Traduction]
M. Mayfield: Je voulais avoir un éclaircissement à ce sujet. Je ne l'ai pas vécu, mais des électeurs sont venus à mon bureau et se sont plaints de ce genre de comportement à des bureaux canadiens à l'étranger.
Je crois qu'il y a des différences au Québec en ce qui a trait aux immigrants par rapport à la situation dans le reste du pays. Y a-t-il des différences dans le processus de détermination du statut de réfugié au Québec? Est-il le même à travers...
[Français]
Me Vigneau: Le processus de détermination du statut de réfugié est exactement le même puisque c'est administré par la CISR et le ministère qui sont des organismes fédéraux.
Pour ce qui est du paiement des allocations, des cours ou de l'aide sociale, c'est un système qui est semblable, mais administré par le Québec.
[Traduction]
Me Côté: Par contre, certains de nos clients nous disent qu'ils ont fait transférer leur cas à Montréal, parce qu'il paraît qu'à Montréal, c'est soit plus vite, soit moins sévère. Je ne sais pas si c'est vrai ou non.
M. Mayfield: Non, je...
Me Côté: C'est une remarque qui circule.
M. Mayfield: Certaines des choses que vous avez dites à propos des définitions du mot «réfugié» ont retenu mon attention. Je crois que ce que vous voulez, c'est aller plus loin que les directives actuellement en vigueur et faire les modifications nécessaires pour que le mot «réfugié» soit applicable spécifiquement aux femmes. Est-ce cela que vous préconisez?
Me Côté: C'est exact.
M. Mayfield: Je viens de penser que la persécution fondée sur le sexe est déjà incluse dans la décision qui a été rendue à propos de l'affaire Ward. C'est exact, n'est-ce pas?
Me Côté: C'est exact.
M. Mayfield: Je me demandais quelle modification vous apporteriez à la définition.
Me Côté: J'ajouterais tout simplement un autre motif: quiconque, du fait de sa race, de sa religion, de sa nationnalité, de ses opinions politiques, de son sexe, a un motif pour faire une demande. J'ajouterais quelque part, au milieu des cinq motifs qui sont actuellement énumérés, le mot «sexe».
M. Mayfield: Êtes-vous d'avis que même si des directives ont été publiées, le système qui s'applique actuellement aux revendications du statut de réfugié est défavorable aux femmes, car il accorde une plus grande place aux demandes soumises par des réfugiés qui sont déjà ici?
Me Côté: Absolument.
M. Mayfield: Êtes-vous d'avis que les femmes bénéficieraient davantage d'un système où l'on accorderait une plus grande place à la sélection de réfugiés à l'étranger?
Me Côté: Absolument.
M. Mayfield: Eh bien, nous ne sommes pas d'accord sur tout, mais nous partageons certains points de vue qui sont très importants, et je vous remercie beaucoup.
Le vice-président (M. Dromisky): Merci beaucoup, monsieur Mayfield.
[Français]
Me Vigneau: Est-ce que je peux ajouter quelque chose?
[Traduction]
Le vice-président (M. Dromisky): Oh, à leur réponse?
Me Vigneau: Oui. À ce propos, je dirais que oui, si à l'étranger on accordait à plus de femmes le statut de réfugié, cela serait sans aucun doute à l'avantage des femmes. Mais si l'on veut être réaliste, il faut bien voir qu'il est très difficile d'empêcher les gens de venir au Canada. Par conséquent, il faudrait que nous augmentions le nombre de réfugiés acceptés au Canada.
Il n'est pas possible de dire que, parce que nous acceptons plus de réfugiés à l'étranger, nous allons réduire les quotas en ce qui concerne ceux qui sont déjà ici. Ce n'est pas possible. Ce n'est pas une décision justifiable.
Me Côté: L'un n'exclut pas l'autre. Pas du tout. Il n'est pas question d'accepter plus de demandes du statut de réfugié à l'étranger et de réduire le nombre de celles qui sont approuvées ici, pas du tout.
Ce que l'on devrait faire, c'est conserver le même système, l'appliquer au Canada, mais, pour compenser les difficultés auxquelles les femmes font face lorsqu'elles veulent venir ici, accepter davantage de demandes soumises à l'étranger.
Et donc, bien sûr, il y aura plus de réfugiés.
M. Assadourian: Lorsque nous parlons du... [Inaudible - Editeur] ...pour être acceptées à titre de réfugiées, la plupart d'entre elles sont celles auxquelles le gouvernement n'accorde aucune protection. Par exemple, si vous êtes membre d'un parti politique dans tel ou tel pays et que l'on vous persécute, c'est le gouvernement qui est responsable.
Quand il s'agit de persécution fondée sur le sexe, je présume que ce sont des particuliers qui sont responsables la plupart du temps. N'est-ce pas?
Me Vigneau: Non, cela pourrait être...
M. Assadourian: Un gouvernement peut violer quelqu'un? Est-ce cela que...
Me Vigneau: Dans certains cas, ce sont des particuliers qui sont responsables et dans d'autres...
M. Assadourian: Un gouvernement peut encourager...
Me Côté: En Inde, par exemple, les viols dans les prisons sont monnaie courante. Absolument...les agents de police. Les choses peuvent se présenter de différentes façons...
M. Assadourian: Restons-en à l'Inde et à l'exemple que vous donnez. Un agent de police viole une femme, et cette femme a la possibilité de s'adresser quelque part pour se plaindre au gouvernement, pour dire: cet agent de police m'a violée. Alors, on la punit. C'est bien cela que vous me dites?
Me Côté: En Inde notamment, lorsque vous êtes violée par un agent de police, par exemple, et que vous voulez vous plaindre, les autorités ne vous accorderont aucune protection. Il n'y a personne à qui s'adresser. De fait, la façon dont les tribunaux interprètent la notion de viol fait que, lorsqu'il s'agit d'un viol perpétré dans une prison par des agents de police, c'est tout simplement comme si cela ne s'était pas passé.
Ainsi, concrètement, il n'y a personne à qui s'adresser. Dans ce cas, c'est un agent de l'État qui est responsable de la persécution.
Il pourrait également s'agir d'un conjoint. La situation est alors complètement différentes, mais, dans les deux cas, il faut toujours démontrer que l'État, de manière générale, n'est pas prêt à vous aider ou n'est pas capable de vous protéger.
Il y a toujours ce fardeau de la preuve. Parfois il est plus lourd. Si l'agent est plus loin de l'État, le fardeau de la preuve est plus lourd; il est plus difficile de démontrer que l'État ne vous protège pas.
M. Assadourian: Et si on peut démontrer que l'État s'occupera de cette femme violée?
Me Côté: Alors, elle ne sera pas admissible en tant que réfugiée.
M. Assadourian: D'accord.
Le vice-président (M. Dromisky): Merci beaucoup. Madame Terrana.
[Français]
Mme Terrana (Vancouver-Est): Bonjour. Vous avez dit, et d'autres l'ont dit, que même si les lignes directrices avaient été changées et qu'on avait un meilleur système, il n'y avait pas plus de femmes qui étaient acceptées. Selon vous, pourquoi? Est-ce pour des raisons économiques?
Me Vigneau: Tout d'abord, il n'y a pas beaucoup de femmes qui peuvent venir au Canada. Les femmes ne sont pas plus mobiles parce qu'au Canada, il y a des lignes directrices qui peuvent leur être favorables.
Deuxièmement, on constate que le nombre de femmes qui ont été acceptées par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié n'a pas sensiblement augmenté.
On pense que les lignes directrices ont fait que l'attitude des commissaires est plus sensible et que le processus est donc plus équitable, plus rapide et moins traumatisant. Mais au niveau des résultats, il n'y a pas de différence significative.
Mme Terrana: Vous dites que les femmes sont moins mobiles, et je comprends cela. Mais on nous a aussi dit qu'à l'étranger, il était très difficile pour ces femmes d'obtenir un permis pour venir au Canada ou même d'être interviewées parce que les fonctionnaires ne vont pas en tournée. Avez-vous des recommandations à faire à ce sujet-là? Je crois que si on pouvait changer cela à l'étranger, on pourrait avoir un meilleur système. Je suis d'accord avec vous qu'on devrait renforcer le système à l'étranger.
Me Côté: Il faudrait augmenter le nombre d'agents. On a coupé dans le personnel des bureaux de visas et des ambassades. Pour toute une région, la personne doit se rendre dans un autre pays simplement pour avoir accès à un représentant canadien. Donc, on embarque dans le domaine des affaires étrangères. Il faudrait augmenter, à l'étranger, le nombre de représentants canadiens qui pourraient recevoir ces demandes-là. Autrement, c'est illusoire.
Mme Terrana: Vous le pensez?
Me Vigneau: Si on augmente les quotas, si on dit qu'il faut qu'il y ait 50 p. 100 de femmes qui soient acceptées, les agents vont devoir...
Mme Terrana: Vous pensez que si ces agents allaient en tournée dans les camps de réfugiés pour voir ces personnes-là... Les femmes savent-elles qu'elles ont des droits à l'étranger?
Me Vigneau: S'ils se rendaient dans un camp peuplé à 80 p. 100 par des femmes et des enfants, comme en Éthiopie, ils pourraient faire une séance d'information, mais il faudrait aussi que le traitement soit fait assez rapidement parce que les gens sont souvent dans des situations de détresse. Les camps ne restent pas toujours ouverts pendant des années.
Mme Terrana: Les femmes dans ces camps savent-elles qu'elles ont des droits? Ont-elles assez d'éducation pour cela?
Me Vigneau: Elles ont très peu d'information.
Mme Terrana: Il n'y a pas d'information.
Me Côté: Il y a très peu d'information. Les gens attendent et croupissent dans les camps, ni plus ni moins. Il faut augmenter de beaucoup le travail que le Canada fait à l'étranger, de différentes façons. Il faut le faire, et c'est urgent.
Mme Terrana: Merci.
[Traduction]
Le vice-président (M. Dromisky): Merci beaucoup. Je ne sais pas pourquoi on sonne le timbre.
Mme Cohen: C'est un vote.
Le vice-président (M. Dromisky): Je voudrais faire quelques annonces avant que les députés partent. Nous allons poursuivre, et je vais accorder deux minutes à chaque député lors de la prochaine ronde. Notre attaché de recherche vous enverra des documents à lire et étudier pour la réunion de jeudi.
La réunion de jeudi n'aura pas lieu ici; elle aura lieu à la salle 705 de l'Édifice La Promenade. Vous allez recevoir un avis, et d'ailleurs la réunion commencera à 9 heures, non pas à 8h30. Vous allez aussi recevoir des informations au sujet du budget des dépenses. Il nous faut commencer notre étude du budget des dépenses ce jour-là.
Maintenant nous allons poursuivre avec nos questions. Madame Debien, vous avez deux minutes.
[Français]
Mme Debien: Vous n'aviez pas répondu à ma troisième question. Donc, limitons-nous à celle-là.
Dans votre mémoire, vous avez parlé du Rapporteur spécial sur la violence. Veuillez excuser mon ignorance, mais j'aimerais que vous m'expliquiez en quoi consiste le rôle de ce rapporteur spécial. De qui relève-t-il? Quelles sont ses fonctions?
Me Vigneau: Le troisième point, tel que je l'avais noté, avait trait à l'amélioration des lignes directrices. Oui, nous pensons qu'il y a certainement eu une amélioration, mais trop souvent encore, cela dépend de la sensibilité du commissaire qui va entendre les revendications.
Certains commissaires connaissent très bien les difficultés de mobilité des femmes et le contexte particulier des femmes. Cependant, certains commissaires les connaissent moins. Quant à nous, la difficulté principale réside dans le fait que si un commissaire n'est pas très informé, il devient extrêmement difficile d'avoir des preuves documentaires.
Par exemple, les femmes algériennes peuvent-elles habiter seules dans un appartement? Quant à l'Arabie saoudite, la réponse est évidente.
Cela nous amène au dernier point que vous avez soulevé, le Rapporteur spécial. Les rapporteurs spéciaux travaillent bénévolement pour le compte des Nations unies pour rendre compte d'une situation de violation des droits de l'homme par rapport à des pays spécifiques ou à des sujets spécifiques.
À l'été 1994, un rapporteur spécial a été nommé en ce qui a trait à la question de la violence faite aux femmes. Il s'agit d'une femme qui a pour mandat de rendre compte de la situation de violence faite aux femmes, de la discrimination et de la protection dans plusieurs pays du monde. Elle doit faire rapport de l'attitude de l'État par rapport à cette violence-là. Des rapports annuels seront publiés sur cette question-là.
Mme Debien: Cela est-il récent?
Me Vigneau: C'est tout nouveau.
[Traduction]
M. Mayfield: Merci beaucoup. Dans votre mémoire, vous dites que l'on devrait accélérer l'examen du dossier des femmes victimes de violence sexuelle. C'est bien cela?
Me Côté: C'est exact.
M. Mayfield: En disant cela, faites-vous allusion au fardeau de la preuve démontrant que ce genre de violence a été perpétrée ou non, ou que le pays d'où vient la réfugiée en question offre ou non une protection légale contre cette violence? Est-ce que cela entre dans le cadre de ce que vous pensez, ou en avez-vous fait état lors de votre exposé, et est-ce que j'ai laissé passer quelque chose?
Me Côté: Il y a plusieurs choses dans ce que vous dites. Tout d'abord, il y a la procédure elle-même. Il est très intimidant d'avoir à témoigner lorsqu'on a été victime d'une chose comme la violence sexuelle. On devrait modifier la procédure, et si du premier coup d'oeil sur un dossier on s'aperçoit qu'il y a eu violence sexuelle, on devrait accélérer les choses. C'est juste que la décision sera prise plus vite et plus facilement. Cela n'a rien à voir avec le fardeau de la preuve.
Toutefois, en ce qui concerne le fardeau de la preuve, cela soulève une autre question. Dans le cadre d'une procédure accélérée ou d'une audience, lorsque l'on a peu d'information sur un pays, il me semble qu'il faut compenser cela. On peut par exemple demander à d'autres réfugiés qui sont au Canada et qui se sont révélés des témoins crédibles de venir témoigner sur la situation qui existe dans ce pays, ou demander à des professeurs, des anthropologues, des sociologues, ou autres, de venir nous donner ces renseignements afin que la preuve soit la même. Il faut faire preuve d'imagination et trouver d'autres moyens de satisfaire aux exigences en matière de preuve.
La troisième chose que je voudrais dire, c'est que, en ce qui concerne le fardeau de la preuve lui-même, j'en suis venue à la conclusion que, lorsqu'on a présumé dans l'affaire Ward que l'État peut protéger ses citoyens, cela ne tient pas, historiquement parlant, pour les femmes dans de nombreux pays, et que l'on devrait présumer le contraire.
Le vice-président (M. Dromisky): Est-ce que quelqu'un de ce côté-ci de la table souhaite poser une question?
Je vous remercie d'avoir comparu devant le comité ce matin. Vos réponses ont été claires et nettes et très instructives. Nous allons apprécier votre contribution, et cela va rendre notre tâche plus facile. Merci beaucoup.
Me Côté: Je vous en prie.
Le vice-président (M. Dromisky): La séance est levée.