Passer au contenu
TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 2 mai 1995

.1534

[Traduction]

Le président: Nous entendrons maintenant Kathleen Connors et Carol Richardson, respectivement présidente et directrice générale de la Fédération nationale des syndicats d'infirmières et d'infirmiers, qui nous présenteront leur témoignage sur le projet de loi C-76.

Nous vous remercions beaucoup de prendre le temps de nous présenter votre point de vue; il me tarde d'entendre votre exposé.

Mme Kathleen Connors (présidente, Fédération nationale des syndicats d'infirmières et d'infirmiers): Merci. Nous sommes ravies d'être ici. Comme vous devez vous en douter, le fait de comparaître devant le Comité des finances constitue un important aspect de notre travail, mais le fait de préparer ce mémoire...

Le président: C'est probablement la chose la plus importante qu'un Canadien ou une Canadienne ne soit appelé à faire dans toute sa vie.

Mme Connors: Disons, en tout cas, que nous espérons que notre témoignage servira à quelque chose.

La Fédération nationale des syndicats d'infirmières et d'infirmiers a été fondée au début des années quatre-vingt, et elle compte maintenant plus de 50 000 membres syndiqués dans une fédération de syndicats provinciaux d'infirmiers et d'infirmières. Ce sont nos membres qui fournissent directement aux consommateurs les services de santé. Ils agissent comme des éducateurs et soignent ceux qui souffrent de maladies chroniques et aiguës dans le cadre des services de santé publique et à domicile ainsi que dans les établissements de soins à long terme de tout le pays. Nos membres sont des intervenants actifs au sein du système de santé canadien et s'intéressent de très près à la façon dont les décisions du gouvernement fédéral se répercutent sur le système.

La raison d'être de la Fédération, comme le prévoit notre Constitution, consiste en partie à promouvoir l'adoption de lois et de politiques progressistes dans des dossiers qui revêtent une importance nationale pour les infirmières et les infirmiers syndiqués. Dans cette optique, nous nous intéressons à une vaste gamme de questions liées au système canadien de sécurité sociale et nous considérons que les programmes de santé et les programmes sociaux constituent un très important maillon du filet de sécurité sociale au Canada.

La Fédération nationale des syndicats d'infirmières et d'infirmiers estime que le budget fédéral, présenté en février 1995, traduit les valeurs et priorités politiques du gouvernement actuel. Le budget est l'expression tangible d'une vision politique et il doit refléter les valeurs et préoccupations de la majorité des Canadiennes et des Canadiens. Il devrait répondre aux besoins et assurer ainsi des emplois, des revenus, des logements, des services à l'enfance, des services de santé et des services d'éducation qui soient respectables et garantis, tout en favorisant un environnement sain et sécuritaire. Voilà la vision que nous préconisons pour notre pays et pour le peuple canadien.

.1535

La Loi d'exécution du budget qu'étudie le Comité permanent des finances ne respecte pas cette vision. Nous avons examiné le budget qu'a présenté le ministre fédéral des Finances ainsi que le projet de modification et d'abrogation de certains textes législatifs aux termes de ladite loi.

Les lignes directrices du budget de 1995, qui reposent sur une analyse de la conjoncture économique, sont viciées. Conjugué à une analyse douteuse des finances gouvernementales, ce problème a poussé le gouvernement à élaborer un plan économique qui n'est pas conséquent avec notre vision d'une société juste.

Nous ne cherchons pas à proposer des modifications à la Loi d'exécution du budget, mais tenons à souligner que nous nous opposons à cette Loi et au budget dont elle découle. Notre objectif est ici de signaler les difficultés qu'affrontent les services de santé et les services sociaux et de vous prouver qu'il existe un meilleur moyen de les résoudre.

Je me permettrai ici de reprendre les recommandations que contient notre mémoire.

Recommandation 1: Au lieu d'éliminer la Loi sur le financement des programmes établis, la Loi d'exécution du budget doit rétablir la clause d'indexation de base aux termes du FPE, dans le but ultime de restaurer la formule qui servait, en 1977, à déterminer la part fédérale du financement du régime d'assurance-maladie.

Recommandation 2: Le projet de loi C-91, qui accordait aux sociétés pharmaceutiques multinationales un monopole de vingt ans sur la vente de tout nouveau médicament, doit être rescindé. Le rétablissement subséquent de la concurrence entre les entreprises pharmaceutiques aura pour effet de réduire de 25 p. 100 à 30 p. 100 le prix de la plupart des nouveaux médicaments ainsi que de 4 à 7 milliards de dollars le coût du régime de santé au cours des vingt prochaines années.

J'aimerais ici faire un petit préambule à notre recommandation sur les services de santé.

Le régime canadien de santé publique est sur le point de se faire démanteler. Les modifications à la formule du FPE et les dispositions des budgets fédéraux de 1982, 1986, 1991, 1992 et 1993 ont eu pour effet de réduire le financement fédéral des services de santé à un point tel qu'il n'existera plus de transferts de fonds dans moins d'une décennie. Cela signifie que le gouvernement fédéral sera dépossédé des pouvoirs d'exécution que lui conférait la Loi canadienne sur la santé et que le régime d'assurance-maladie périclitera.

Depuis 1982, les provinces ont perdu quelque 41 milliards de dollars à cause des réductions des transferts de fonds; les gouvernements provinciaux ont par conséquent dû réduire considérablement les services de santé, et les municipalités, les organismes bénévoles et les familles ont dû en supporter les coûts. Le nombre des lits d'hôpitaux diminue, les mises à pied augmentent, tout comme la sous-traitance. La liste des services médicaux et des médicaments qui ne sont plus assurés s'allonge. Les compagnies privées se pressent de combler le vide à mesure que les gouvernements provinciaux se retirent des régimes d'assurance-médicament et de soins dentaires. Pièce par pièce, les services de santé sont privatisés. C'est cette érosion insidieuse du système qui pose la plus grande menace pour notre population et notre régime d'assurance-maladie, ce régime de soins de santé universel, à payeur unique.

On ne peut s'attendre qu'un seul budget rétablisse un système de santé qui décline depuis dix ans. Mais il faut éviter que la situation ne s'aggrave et, à cette fin, il importe d'appuyer fermement et sans équivoque le régime d'assurance-maladie et de s'opposer à sa privatisation.

Cela nous ramène à la recommandation selon laquelle il convient d'établir un fonds fédéral qui contribuera à l'amélioration et à la restructuration du régime de santé, compte tenu du fait que les soins de santé sont de ressort provincial.

Recommandation 4: Non seulement il importe de maintenir le niveau actuel de financement du programme à l'intention des femmes, mais aussi il convient de le rétablir à son niveau précédent.

Recommandation 5: Il y a lieu de mettre de côté le projet de loi d'exécution du budget et de constituer une commission royale d'enquête, qui se rendrait dans toutes les régions du Canada, pour déterminer la valeur que les Canadiennes et les Canadiens accordent à leur sécurité sociale, et ce, parce que le débat sur la sécurité sociale n'a pas porté sur les répercussions de la Loi d'exécution du budget sur les services de santé.

.1540

Voilà pour les recommandations; nous serions ravies de répondre à vos questions et de discuter de tout point qui vous intéresse.

Le président: Je vous remercie, madame Connors. Avez-vous une opinion sur le pourcentage de notre PIB qui devrait être affecté aux soins de santé au Canada?

Mme Connors: J'estime qu'il devrait être très important, à la lumière des commentaires qu'a formulés le premier ministre sur la proportion qu'il représente au Canada par rapport à celle d'autres pays membres de l'OCDE. Je considère que la proportion est considérable et c'est pour cela que nous avons précisé dans notre mémoire que nous considérons les soins de santé et les services sociaux comme liés de façon intrinsèque.

Il est vrai que le Canada consacre plus d'argent aux services de santé que ne le font d'autres pays membres de l'OCDE. Cependant, ces autres pays affectent des sommes considérablement supérieures à leurs programmes sociaux. Globalement, je pense que le Canada peut se permettre de consacrer plus de fonds et d'instaurer des mécanismes d'aide sociale qui permettront d'éviter que les dépenses ne soient imputées au système des soins de santé.

En tant qu'infirmière, je sais que la hausse du taux de chômage occasionne l'augmentation des coûts du système de santé. D'excellents travaux de recherche ont porté sur le coût du chômage pour le système de santé. L'accessibilité de programmes d'éducation postsecondaire judicieux, la pureté de l'eau et la propreté de l'environnement, la qualité du logement et de l'alimentation sont tous des facteurs qui influent sur les types de services de santé auxquels on recourt.

Si notre pays était doté d'un système de sécurité sociale qui prévoit toutes ces choses, alors, oui, il serait possible de réduire nos dépenses en matière de santé; la population jouirait en effet d'une meilleure santé grâce à un solide filet de sécurité sociale semblable à celui d'autres pays de l'OCDE. Nous pourrions réduire nos dépenses en matière de santé. Mais ne mêlons pas les pommes et les oranges, et ramenons d'abord au niveau des pays de l'OCDE les dépenses que le Canada engage au titre des programmes sociaux et nous discuterons après de ce que devrait représenter le pourcentage des dépenses en matière de santé.

Le président: Bien sûr, si nous avions l'argent, ce serait bien.

Monsieur Crête.

[Français]

M. Crête (Kamouraska - Rivière-du-Loup): Dans votre mémoire, vous dites que, pour vous, le système de santé canadien est en voie de démantèlement. Si j'ai bien compris, vous dites que si des mesures ne sont pas prises en vue d'atteindre les objectifs que l'on s'était donnés il y a 20 ou 25 ans, vous proposez, comme voie d'action, la mise sur pied d'une commission royale d'enquête sur la perception des Canadiens concernant ce qu'ils sont prêts à mettre dans les domaines de l'éducation et de la santé. Est-ce qu'il n'aurait pas été plus intéressant que le gouvernement s'assure que les provinces soient présentes au Forum national sur la santé et qu'il y ait une consultation garantie entre ceux qui gèrent quotidiennement le système de santé et le bailleur de fonds? Est-ce que le Forum national sur la santé serait un endroit intéressant pour ce genre de débat?

Deuxièmement, êtes-vous au courant des amendements au projet de loi annoncés par le ministre ce matin en Chambre? Si vous les connaissez, vous semblent-ils satisfaisants?

[Traduction]

Mme Connors: Pour répondre à votre première question, je vous dirai que nous avons discuté du sujet car nous sommes au courant de la tenue du forum national sur la santé. Mais je tiens à dire que nous sommes plutôt désillusionnés et très préoccupés quant à la composition du forum proposé car il ne semble qu'aucun prestataire direct de soins de santé n'y participera. Par contre, beaucoup d'universitaires et d'avocats seront de la partie. Les compagnies privées d'assurance y seront représentées, mais pas les prestataires directs de soins de santé. On peut donc s'interroger sur le type de consultation...

Le gouvernement a été élu il y a de ça quelque temps déjà, mais il n'a pas encore consulté les prestataires de soins de santé, ceux qui savent de quels services de santé et de quels services sociaux la population a besoin. C'est pourquoi nous nous opposons à un forum national et préconisons plutôt la constitution d'une commission royale d'enquête.

.1545

Les deux commmissions royales d'enquête précédentes ont formulé de très importantes recommandations, dont beaucoup n'ont pas encore été mises en oeuvre. Il me semble que nous devrions les réexaminer. Elles ne sont pas acceptables, car on préconise l'élimination... Nous affirmons sans hésiter que cette Loi d'exécution du budget ne répondra pas aux besoins des Canadiennes et des Canadiens que nous servons et que nous connaissons.

[Français]

M. Crête: Si vous aviez à définir quelques grands principes essentiels par rapport à la pérennité du système de santé canadien, quels seraient-ils?

[Traduction]

Mme Connors: Je pense que les principes fondamentaux ont déjà été posés. Ils sont définis clairement comme les cinq principes de la Loi canadienne sur la santé. Très simplement, il s'agit de l'universalité, de l'intégralité, de l'accessibilité, de la transférabilité et de la gestion publique sans but lucratif des services de santé au Canada.

[Français]

M. Crête: Donc, selon vous, étant donné les coupures annoncées, le gouvernement fédéral ne peut continuer d'imposer des normes nationales s'il n'a pas les fonds nécessaires.

[Traduction]

Mme Connors: Tout à fait. Ce qui nous inquiète dans la Loi d'exécution du budget, c'est qu'elle ne cherche aucunement à freiner la diminution des transferts de fonds qui ont permis au gouvernement fédéral de dire aux provinces que les services ne devraient pas être privatisés et qu'il retiendrait dollar pour dollar l'équivalent des recettes provenant des frais modérateurs, etc. Nous avons tous entendu Mme Marleau annoncer que plusieurs provinces imposaient déjà des frais modérateurs, l'Alberta notamment qui en fournit l'exemple le plus patent.

À mon avis, l'autre importante répercussion de cette Loi d'exécution du budget est qu'elle modifie la Loi canadienne sur la santé. On y lit notamment que le gouvernement fédéral est libéré de l'obligation de faire des retenues. La décision sera dorénavant laissée à la discrétion du Cabinet.

Je me demande bien qui sera habilité à prendre des décisions au sein du caucus. Les représentants du ministère des Finances ou bien ceux du ministère de la Santé? Quoi qu'il en soit, il ressort très clairement de ce budget que c'est le ministère des Finances et non celui de la Santé qui a le pouvoir de déterminer le type des programmes sociaux et du régime de santé qui seront offerts au Canada. Puisque le gouvernement est libéré de son «obligation» aux termes de la Loi canadienne sur la santé, il me semble que les Canadiennes et les Canadiens auront raison de s'inquiéter de la façon dont le gouvernement fédéral appliquera les cinq principes en vertu desquels nous bénéficions des services de santé.

Le président suppléant (M. St. Denis): Monsieur Grubel.

M. Grubel (Capilano - Howe Sound): Pourquoi faudrait-il que le gouvernement fédéral détermine pour les habitants de l'Alberta ou de la Nouvelle-Écosse le genre de services de santé qu'il leur faut? Pourquoi les provinces ne pourraient-elles pas décider d'elles-mêmes, démocratiquement, qu'elles veulent une combinaison de services publics et privés, ou qu'elles veulent instituer des frais modérateurs ou toute autre chose du genre? Si les habitants de la Nouvelle-Écosse s'opposent aux mesures que prend leur gouvernement, ils pourront toujours en élire un autre aux prochaines élections. Je considère qu ce système est parfaitement démocratique. Pourquoi tenez-vous à ce que le gouvernement fédéral établisse des normes?

Mme Connors: Je suppose que c'est sur cette question que nous serons incapables de nous entendre. Si nous permettons à un gouvernement, fédéral ou provincial, de mettre sur pied un système à deux paliers, un pour les riches - ceux qui ont les moyens de payer, ceux qui passent avant les autres - et un autre pour les pauvres, nous nous orientons rapidement vers un système de type américain.

.1550

J'ai eu l'occasion au cours des dernières années de discuter longuement avec des prestataires et des bénéficiaires de soins de santé aux États-Unis. C'est ainsi que j'ai appris qu'ils aimeraient jouir d'un système semblable au nôtre, pour lequel le gouvernement fédéral établirait clairement des normes, des critères de prestation, des normes fondamentales qui s'appliquent au pays tout entier.

Avec ce qui se produit maintenant en Alberta, on s'aperçoit de ce qu'il advient de l'accessibilité des installations privées d'imagerie par résonance magnétique (IRM). Qui prétendra que les pauvres n'ont pas le même droit que les autres de passer un examen ou encore de subir l'intervention chirurgicale par IRM?

M. Grubel: Je vous demande pardon. Je suis entièrement d'accord là-dessus, mais ce n'est pas ça qui est en jeu. Je vous ai posé une question. Si vous arriviez à convaincre les autorités de mettre gratuitement ces extraordinaires services à la disposition de toute la population - sans système à deux paliers - pourquoi donc insisteriez-vous pour que le gouvernement fédéral s'en charge au lieu du gouvernement de l'Alberta? Pouvez-vous répondre à cette question-là?

Mme Connors: Peut-être est-ce une question de convictions politiques. Si nous avions laissé la province de l'Alberta gérer son propre système, nous pouvons imagnier le type de système qui existerait aujours'hui dans cette province. Aussi bien oublier les principes de l'universalité, de l'intégralité, de l'accessibilité, de la transférabilité, de la gestion publique à but non lucratif, puisque la province a déjà défié...

M. Grubel: Qu'est-ce qui vous le prouve? Peut-être le gouvernement actuel... Si les habitants de l'Alberta sont mécontents, ils mettront leurs dirigeants à la porte et en choisiront d'autres.

N'est-il pas fondamentalement antidémocratique de votre part de prétendre que les Albertains ne savent pas ce qu'ils veulent? Vous voulez que le gouvernement fédéral prenne des mesures de coercition pour que le gouvernement de l'Alberta souscrive à votre perception des choses plutôt que de donner aux habitants de la province la liberté de choisir.

Mme Connors: Il est évident que les habitants de l'Alberta ne sont pas satisfaits de leur régime de santé.

M. Grubel: Vous n'avez pas à vous en préoccuper.

Mme Connors: Si 15 000 personnes se regroupent pour manifester contre la fermeture d'un hôpital communautaire d'Edmonton, il va sans dire que le gouvernement devrait les écouter. Mais il a préféré agir d'une façon non démocratique.

Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que les Canadiennes et les Canadiens ont très clairement indiqué, il y a déjà bien longtemps, qu'ils voulaient un système de soins de santé qui soit national.

M. Grubel: Peut-être ont-ils changé d'avis?

Mme Connors: J'en doute. Je pense que les sondages donnent une bonne idée de la faveur de la population pour un régime de santé.

M. Grubel: Êtes-vous en train d'affirmer publiquement que le gouvernement de l'Alberta agit d'une façon qui n'est pas démocratique?

Mme Connors: C'est bien l'impression qui nous est restée de notre passage en Alberta.

M. Grubel: Merci.

Le président suppléant (M. St. Denis): Madame Brushett.

Mme Brushett (Cumberland-Colchester): Merci d'être venues cet après-midi. J'ai trouvé votre exposé très intéressant.

Comme j'ai passé beaucoup de temps autrefois dans le secteur de la santé, des sciences et de la recherche, j'ai l'impression que mes questions seront quelque peu différentes des autres.

Pour commencer, j'aimerais vous signaler que... Vous avez soulevé la question des sociétés pharmaceutiques, mais j'aimerais signaler que les sommes qu'il faut affecter de nos jours à la recherche dans le domaine pharmaceutique sont faramineuses. Si nous n'élargissons pas la portée de la loi et si nous ne faisons pas de recherches... Je connais très bien certaines des nouvelles drogues que l'on prescrit pour le traitement de la schizophrénie, par exemple; elles font des merveilles dans le cas de désordres et de troubles mentaux et permettent à certains malades de mener une vie normale. Dites-moi donc comment il serait possible de poursuivre les recherches si on n'élargissait pas la portée de cette loi?

Mme Connors: Il me semble que nous revenons au débat sur la loi qui a donné lieu à l'adoption du projet de loi C-91. Au bout du compte, nous savons que le Canada ne sera jamais un lieu d'activité fébrile de recherche et de développement en matière de produits pharmaceutiques. Je suis moi aussi au courant de bon nombre de ces activités. Une compagnie apporte des changements mineurs à certains médicaments, obtient un nouveau brevet pour prolonger la protection du premier et peut ainsi augmenter ses prix...

Je pense que, dans les faits, la législation sur les brevets de médicaments n'a pas forcément favorisé la recherche et le développement au Canada, mais elle a plutôt permis de considérablement augmenter les profits des compagnies pharmaceutiques transnationales. C'est essentiellement pour cela que nous nous opposons à la protection des brevets. Nous constatons que le coût des produits pharmaceutiques grimpe rapidement.

.1555

En tant qu'infirmières et infirmiers, nous sommes conscients de ce que les médicaments revêtent une grande importance dans le processus du retour à un certain niveau de santé - ils sont importants - , mais c'est le prix de ces médicaments qu'il nous faut remettre en question. Vous savez, tout ça s'inscrivait dans le cadre du GATT et de l'ALENA. Ces accords ne devaient-ils pas favoriser la concurrence? Et pourtant, une loi pareille a pour effet de créer des monopoles pour les compagnies pharmaceutiques transnationales, et je m'y oppose fondamentalement.

Mme Brushett: Tâchons donc d'être plus brefs. Nous avons beaucoup de pain sur la planche.

Je considère qu'on effectue encore au Canada beaucoup de recherches. Mais nos chercheurs ne font pas breveter autant de produits qu'ils le devraient ou qu'ils le pourraient. Je voudrais que l'on sache que toutes les universités du pays effectuent d'excellents travaux de recherche par petits segments, par parties.

Par ailleurs, pour ce qui est des examens IRM ou TDM et de la haute technologie sur laquelle se fonde l'imagerie diagnostique, beaucoup de services dentaires et d'autres services professionnels s'établissent maintenant dans les grands centres commerciaux, par exemple, et reçoivent des patients le soir et le samedi; ce service professionnel est donc davantage accessible au public.

Que pense votre syndicat professionnel du fait que les examens IRM ou TDM sont offerts dans les centres commerciaux dans le but de mieux rentabiliser des appareils qui valent des millions, plutôt que de les laisser dormir, dans le but de mieux exploiter nos installations et nos ressources?

Une voix: Ces appareils appartiennent-ils à des particuliers ou sont-ils du domaine public?

Mme Connors: Si vous me permettez, avant de poursuivre, nous tenons à signaler, en ce qui concerne la recherche et le développement, que la Loi d'exécution du budget aura de profondes répercussions sur le financement de la recherche à cause de la création du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux et de la place qui sera réservée à l'éducation postsecondaire... C'est pour cela que je m'interroge sur le type des travaux de recherche et de développement qui seront effectués dans nos universités - lesquelles sont, j'en conviens, de calibre international - advenant l'adoption d'une pareille loi d'exécution du budget.

La Fédération nationale des syndicats d'infirmières et d'infirmiers croit qu'il existe des façons différentes et meilleures de fournir des soins de santé aux Canadiennes et aux Canadiens. Cela fait déjà une vingtaine d'années que nous préconisons l'établissement de centres de santé communautaires avec pignon sur rue et aux points d'accès divers, c'est-à-dire sans qu'une consultation préalable d'un médecin ne soit requise. Des centres où l'on ne peut consulter différents praticiens de la santé.

Mais le problème est ici que les Canadiens adorent les fanfreluches. Je veux parler des IRM et autres appareils du genre. Il nous faut analyser la qualité des résultats de nombreux tests et procédés. Je ne doute pas qu'il existe de meilleures façons d'utiliser l'équipement.

Pour illustrer, je vous raconterai que, quelque vingt ans après avoir terminé mon cours d'infirmière, je suis allée à mon ancienne école et on m'a montré le nouvel équipement IRM. C'était un samedi, la porte était verrouillée et les lumières éteintes; personne ne travaillait. Sachant que la liste de ceux qui attendent pour passer un examen IRM est très longue, je me suis demandé où étaient donc les personnes qui auraient dû être en train de faire passer le test à tous ces gens sur la liste d'attente. Et vous savez quoi, c'est parce que les médecins ne voulaient pas travailler le samedi, ni le dimanche, ni le soir ni la nuit, que le service était fermé.

La façon dont le système est conçu présente des problèmes fondamentaux qu'il faut régler, à mon avis. Nous ne prétendons pas qu'il faut offrir tous ces tests sophistiqués que beaucoup considèrent comme nécessaires, mais nous préconisons la mise en oeuvre de services de santé plus rentables et accessibles, comme les centres de santé communautaires.

Mme Brushett: Monsieur le président, j'aurais voulu poser deux autres questions, mais j'attendrai un prochain tour.

Le président suppléant (M. St. Denis): Nous pourrions passer à M. Bonin et puis, si personne ne s'y oppose, revenir à vous, madame Brushett.

M. Bonin (Nickel Belt): Je vous remercie, monsieur le président; j'essaierai d'être bref.

Nous vivons à une époque d'efficience et d'optimisation; cela tout le monde le sait et personne n'est mieux placé que les professionnels qui s'autoréglementent pour expliquer aux administrateurs d'hôpitaux - qui fournissent des soins de santé - comment devenir efficients; mais ce n'est pas ce qu'ils font. J'ai plutôt l'impression qu'une profession cherche à rejeter le blâme sur une autre.

.1600

J'aimerais savoir comment les membres de votre profession s'y prennent pour exercer des pressions auprès de provinces où, comme en Ontario, il est encore possible de se faire rembourser un changement de sexe, où une femme peut passer une échographie pour découvrir si elle est enceinte d'un garçon ou d'une fille, et où on peut repasser la même batterie de tests chez le médecin de famille que chez les spécialistes. Je pense que vous avez un travail à faire et des pressions à exercer pour aider le gouvernement fédéral à devenir plus rentable.

Je me suis intéressé de très près au domaine de la santé, et je ne constate aucun changement. Je remarque toutefois que les professions se blâment les unes les autres, mais rien n'y change. Vous vous trouvez sur la première ligne et je pense que vous êtes en mesure de faire des recommandations. J'aimerais savoir si votre fédération est plus active que je ne le crois.

Mme Connors: Les infirmiers et infirmières saisissent toutes les occasions qui se présentent, par l'intermédiaire de leurs syndicats organisés, pour faire connaître leur vision de la façon dont les soins de santé devraient être dispensés. Malheureusement pour nous, on nous claque très souvent la porte au nez.

On nous donne très rarement l'occasion et on nous invite tout aussi rarement à participer à des débats... Je mentionnerai, par exemple, qu'aucun infirmier ou infirmière syndiqué, ce professionnel qui a tous les jours des rapports avec les clients du système de santé, ne participera au Forum national sur la santé et ne pourra donc expliquer la vision et les valeurs de notre groupe quant à ce que devrait être un système de santé et comment les services devraient être dispensés... Bien entendu, quelques infirmiers et infirmières représentant le gouvernement fédéral y assisteront, mais ils sont plutôt des théoriciens. Ils ne travaillent pas jour après jour auprès des malades dans le système.

Nous avons remis au ministre de la Santé et au premier ministre une liste de noms de personnes qui pourraient intervenir lors du forum, mais les avenues étaient bouchées et puis d'autres choses se sont produites au niveau provincial. Par ailleurs, cela fait des années que nous demandons que des infirmières et infirmiers soient autorisés à siéger au conseil d'administration des centres de santé communautaires; mais on nous claque toujours la porte au nez. Même si nous avons beaucoup à offrir, on hésite encore, entre autres choses, à nous laisser entrer et provoquer des discussions sur l'orientation que devrait prendre le système de soins de santé et sur le type de financement et de législation qu'il convient d'instituer au niveau fédéral.

M. Bonin: Je comprends que votre fédération s'est efforcée d'être représentée à des forums et à des conseils, mais qu'avez-vous vraiment fait? Il y a les médias, il y a tant de ressources à votre disposition pour sensibiliser une collectivité à un problème.

Dans cet hôpital, on fait passer beaucoup plus d'échographies qu'ailleurs. On fait des recherches, mais les travailleurs de première ligne ne réagissent pas. Si le gouvernement doit permettre l'autoréglementation, il lui faut pouvoir compter sur votre aide à tous les niveaux.

En effet, ce serait bien de siéger à des forums et à des conseils d'administration. Je siège moi-même au conseil d'administration d'un hôpital qui a accepté que des infirmières et infirmiers en soient membres. Je crois à la représentation. Mais il existe aussi d'autres façons de procéder et j'estime que nous devrions pouvoir compter sur l'appui des travailleurs de première ligne.

Mme Connors: Sachez que nous avons diffusé la semaine dernière une annonce sur la vision qu'ont les infirmiers et infirmières du système de santé dont nous avons besoin, invitant la population à nous téléphoner pour en discuter. L'annonce a passé à l'émission Newsworld. Il faut reconnaître que les efforts de ce type sont très coûteux. Et les ressources que nous pouvons affecter à ce genre de promotion sont limitées.

Pensons aux efforts qui sont déployés dans bon nombre de provinces; vous vous souviendrez que les soins de santé étaient le principal sujet d'intérêt lors des dernières élections provinciales au Manitoba. Et ce n'est pas un hasard. En effet, c'est parce que les infirmiers et infirmières, par l'intermédiaire de leurs syndicats, ont attiré l'attention de la population sur la question par des publireportages et des réclames, et qu'ils se sont exprimés clairement.

Il faut reconnaître que les médias ne s'arrêtent qu'à ce qui les intéressent. Nous tentons d'exploiter toutes les avenues. Nous avons même préparé un film vidéo sur notre vision des soins de santé et nous envisageons de le diffuser à plus grande échelle. Peut-être devrions-nous en faire parvenir une copie à chacun des députés. Comme il ne dure que six minutes, tout le monde pourrait le regarder. La façon dont les infirmiers et infirmières envisagent l'avenir des services de santé y est clairement expliquée.

Le président suppléant (M. St. Denis): Merci, monsieur Bonin.

Nous laisserons maintenant M. Crête poser une brève question.

.1605

[Français]

M. Crête: Votre exposé et les questions posées permettent de constater qu'il est peut-être nécessaire de faire une enquête ou de clarifier les choses. Vous me reprendrez si je me trompe. En gros, le système canadien de santé n'a pas de problème de contrôle des coûts. Comparativement au système américain ou à d'autres systèmes, il n'a pas de problème de contrôle des coûts. Les salaires sont très raisonnables et le total des dépenses est beaucoup moindre qu'ailleurs. Il s'agit plutôt de reconnaître le coût réel de fonctionnement du système. Est-ce que vous partagez ce point de vue?

[Traduction]

Mme Richardson: En termes de coût réel du fonctionnement du système, nous pensons en effet que le système fonctionne, mais nous nous préoccupons surtout des mesures de réforme des services de santé qu'ont récemment adoptées les provinces. Nous nous sommes rendu compte que la réforme et la restructuration des services de santé se sont soldées par la fermeture d'hôpitaux et une réduction du nombre de lits. Telle que nous l'envisagions, la réforme aurait dû, par exemple, permettre de diminuer le taux d'hospitalisation des personnes âgées.

Le système fonctionne, oui, mais il a sans aucun doute besoin d'être amélioré. Les deux vidéos que nous avons produits traitent de la méthode que nous préconisons pour y arriver; il en est aussi question dans notre mémoire. Nous savons qu'une réforme s'impose, mais ce n'est pas en réduisant tout d'un coup les services et le nombre de lits dont ont besoin ceux qui souffrent de maladies chroniques ou aiguës que nous arriverons à quelque chose. C'est pour cela que nous sommes en faveur d'une commission royale d'enquête. Il faut faire des études, certes, mais ce n'est pas uniquement le financement fédéral qu'il faudrait réduire.

M. Peterson (Willowdale): Très brièvement, pouvez-vous me dire quel est le pourcentage des services dispensés aujourd'hui par les médecins, aux termes de la Loi canadienne sur la santé, que pourraient dispenser d'autres membres du secteur de la santé, les infirmières et infirmiers, par exemple?

Mme Connors: Beaucoup de recherches révèlent que de 20 à 40 p. 100 des services dispensés par les généralistes pourraient être dispensés par d'autres travailleurs professionnels de la santé, dont les infirmiers et les infirmières.

M. Peterson: Je vous remercie.

Mme Brushett: Vous avez maintes fois répété que le corps infirmier n'est aucunement représenté à ce que vous appelez le forum sur la santé, mais je pense que vous faites allusion au Conseil de la santé au Canada. À cet égard, j'aimerais revenir à une tendance qui se dégage aujourd'hui dans beaucoup des hôpitaux que je connais et qui consiste à exiger des infirmiers et des infirmières qu'ils détiennent un baccalauréat ou une maîtrise en sciences infirmières. Lorsque les infirmières et infirmiers arrivent à ce niveau, ils sont alors appelés à remplir des tâches administratives et il ne reste plus personne pour s'occuper directement des malades alités. C'est un phénomène que l'on peut observer d'un bout à l'autre du Canada.

Votre remarque m'incite à me demander si une infirmière ou un infirmier administratif représente mieux votre groupe qu'une infirmière ou un infirmier qui intervient directement auprès des malades; comment cela influe-t-il sur le coût des services de santé? Sommes-nous sur la bonne voie?

Mme Connors: Permettez-moi deux commentaires. Étant donné les réductions - et j'en suis fermement convaincue - de la contribution financière du gouvernement fédéral au titre des soins de santé au fil des ans, les provinces ont réagi de différentes manières. J'aimerais ici soulever la question des soins axés sur le patient, ce modèle américain qui s'est infiltré en Ontario, au Manitoba, en Alberta. On constate que les établissements qui ont adopté ce genre de modèle pour la prestation de soins de santé - qui est d'ailleurs totalement basé sur des motifs budgétaires - ont éliminé le tiers des postes d'infirmières et infirmiers autorisés ou auxiliaires.

À l'hôpital de Saint-Boniface, à la suite de l'instauration de services axés sur les patients, tous les infirmiers et infirmières auxiliaires ont perdu leur emploi; cet emploi qu'acquittaient les travailleurs syndiqués qualifiés est maintenant exercé par ceux que l'on appelle les préposés aux malades qui sont bien moins rémunérés et qui ne reçoivent qu'une brève formation en cours d'emploi. Les infirmiers et infirmières autorisés sont tout de même considérés comme responsables, parce que, devant la loi, nous sommes responsables de la qualité des soins que fournissent ces prestataires de soins non autorisés.

.1610

Nous considérons que la qualité des soins diminue et que les initiatives de ce type sont basées sur des motifs entièrement budgétaires.

Il me semble que la formation revêt une importance majeure. J'en conviens, on a toujours besoin de parfaire nos connaissances, mais, en raison des changements qu'occasionnera le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux que prévoit la Loi d'exécution du budget, les infirmières et les infirmiers n'aurons plus de possibilités de parfaire leur éducation puisqu'il n'y aura plus de fonds.

Les travailleurs sociaux, les responsables de l'enseignement postsecondaire et les prestataires des soins de santé ne vont pas s'entendre sur la façon dont les fonds devraient être répartis entre les provinces. Ce faisant, le gouvernement fédéral se lave les mains et laisse les provinces agir à leur guise; des infirmières et des infirmiers perdront ainsi toute possibilité de perfectionnement. Je pense que nous assisterons de plus en plus à l'adoption d'initiatives de type américain. Les Canadiens ont intérêt à savoir quels professionnels dispensent les soins, parce que la personne que vous croyez être infirmière ne le sera probablement plus dans cinq ans.

Mme Brushett: Une dernière question. Vous avez souligné tout à l'heure, en ce qui concerne les soins de santé et le bien-être des Canadiens, que les retombées sociales - le chômage, les difficultés financières, etc. - se conjuguent au détriment du bien-être des Canadiens et minent le système de santé. Donc, si nous pouvions créer de meilleurs emplois, le coût du système de santé serait moindre, ce qui est probablement vrai - mais le phénomène est universel et on n'y peut rien; on ne peut prétendre que d'autres emplois seront créés alors que la haute technologie et la révolution technologique les font disparaître de plus en plus. Comment donc composer avec la conjoncture globale et maintenir la qualité des services de santé que réclament les Canadient?

Mme Connors: Je me dois de rappeler ici qu'un nombre considérable de fonctionnaires fédéraux - 45 000 si je ne m'abuse-perdront leur emploi à la suite de la mise en oeuvre de la Loi d'exécution du budget. Par conséquent, vu l'incidence du chômage sur la santé, le gouvernement devra reconnaître que la santé de tous ceux qui s'interrogent sur leurs perspectives d'emploi s'affaiblit car, tandis que la fonction publique rétrécit, on n'observe aucune augmentation de l'emploi dans le secteur privé.

Où les fonctionnaires fédéraux trouveront-ils de nouvelles possibilités d'emploi, ces travailleurs qui perdront leur emploi à cause de la Loi d'exécution du budget? Quelle incidence cela aura-t-il sur la santé des Canadiens? Manifestement, le chômage augmentera le stress, la dépendance aux drogues et à l'alcool, et les troubles cardiaques. À mon avis, cet aspect de la question doit être sérieusement pris en considération.

Le Canada est doté d'un des meilleurs systèmes de santé au monde et nous n'avons rien à envier aux autres pays. À mon avis, nous pouvons repenser la prestation des soins de santé, mais devons éviter de réduire le déficit fédéral aux dépens du système de santé et des fournisseurs de soins de santé.

Le président suppléant (M. St. Denis): Je vous remercie beaucoup, mesdames Connors et Richardson. Vos questions sont très pertinentes. Je ne serais pas étonné que le premier ministre vous demande un jour de lui rédiger un discours. L'éloquence que vous avez manifestée à la défense du système canadien de santé est remarquable et je vous en remercie. Merci encore d'avoir bien voulu témoigner aujourd'hui.

Mme Connors: Merci.

Le président suppléant (M. St. Denis): Nous prendrons quelques minutes avant d'entendre nos témoins suivants, les porte-parole de l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale.

.1613

PAUSE

.1616

Le président: Nous reprenons nos travaux.

Les témoins suivants représentent l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale.

[Français]

Ce sont M. Bourgeois, vice-président général, M. Vincent Blais, adjoint administratif, et M. Louis Erlichman, directeur canadien de la recherche.

Vous êtes les bienvenus et nous attendons avec impatience votre présentation.

M. V.E. Bourgeois (vice-président général, Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale): Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Nous tenons à remercier le comité de nous donner l'occasion de comparaître et de lui présenter notre point de vue sur le projet de loi C-76.

L'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale représente quelque 52 000 travailleurs canadiens de divers secteurs du pays.

Le projet de loi C-76 est une loi extrêmement importante. Elle nous éloigne considérablement des normes nationales de l'assurance-santé et des services sociaux. Il est clair qu'elle signale un changement majeur dans la répartition des pouvoirs constitutionnels. C'est pour cette raison que nous, ainsi que plusieurs de nos sections locales de tout le pays, avions demandé au comité de tenir ses audiences d'un bout à l'autre du Canada. Nous sommes déçus de ce que le comité en a décidé autrement.

Avant d'aborder directement la question du projet de loi, nous aimerions vous entretenir brièvement de ce qui nous paraît être à l'arrière-plan économique de ce budget et de cette loi.

Ces vingt dernières années, le Canada a été en proie à un programme économique néo-conservateur radical, dont l'objet consistait à empêcher la hausse des revenus des travailleurs et à accroître le sentiment d'insécurité des travailleurs, au profit du monde des affaires. Ce programme se composait principalement de politiques fiscales régressives, déplaçant le fardeau des grandes entreprises et des riches vers les gagne-petit; d'accords commerciaux qui affaiblissent les gouvernements démocratiques dans leurs rapports avec l'industrie privée; de politiques fiscales et monétaires strictes qui ralentissent la croissance économique, maintiennent des taux élevés de chômage et obligent les travailleurs à se résigner à un niveau de vie stagnant ou en déclin; et la création d'une crise de la dette publique, qui fournit aux finances internationales encore plus d'emprise sur les gouvernements démocratiques.

Comme l'ont révélé des récentes études effectuées par Statistique Canada, la quasi-totalité de la dette fédérale est le fait des politiques de taux d'intérêt élevés du gouvernement fédéral. Ces dix dernières années, en particulier, les taux d'intérêt réels à court terme ont été maintenus à des niveaux sans précédent.

Les dépenses que le gouvernement fédéral engage au titre des programmes et des transferts aux provinces n'ont cessé d'être comprimées au cours de la dernière décennie, sans que cela ne réduise pour autant le déficit de façon durable, l'effet des compressions ayant été plus que compensé par des taux d'intérêt élevés et une croissance réprimée.

Tandis que le programme néo-conservateur semble avoir servi les intérêts étroits de la grande entreprise, les travailleurs canadiens se sont appauvris et sont devenus de plus en plus vulnérables au cours des deux dernières décennies. Le niveau de vie de la famille canadienne moyenne n'est pas supérieur à ce qu'il était il y a vingt ans, en dépit du fait qu'un plus grand nombre de membres de la famille sont obligés de travailler à l'extérieur pour joindre les deux bouts. Par contre, les détenteurs de capital, tant ici qu'à l'étranger, se sont enrichis grâce aux taux d'intérêt élevés et à la spéculation des devises.

Par le budget qu'il nous a présenté le 27 février, M. Martin prouve bien qu'il est un bon soldat légionnaire du capital international, tout comme l'étaient Mulroney, Wilson et leur bande. Les membres de la bande changent, oui, mais la ritournelle reste la même.

.1620

Dans son budget, M. Martin promettait d'ébranler encore plus la sécurité des travailleurs canadiens, en réduisant davantage les prestations d'assurance-chômage et en s'attaquant au système public des pensions dès l'automne. On croirait presque entendre la voix de Brian Mulroney chantant en harmonie, dans les coulisses.

Quant au projet de loi C-76, il reprend les trois principales composantes du programme néo-conservateur: l'attaque contre la fonction publique fédréale, le démantèlement continu de notre système national de transport et le rabaissement de nos normes nationales en matière de prévoyance sociale et d'assurance-maladie.

Bien que nous tenions à vous entretenir surtout de l'attaque contre les régimes d'aide sociale et d'assurance-maladie, permettez-nous de dire quelques mots sur deux autres points que soulève le projet de loi C-76. Ce texte législatif a pour effet de changer, une fois de plus et arbitrairement, les termes des conventions négociées avec les syndicats de la fonction publique. Bien que seule une poignée de nos membres soient des fonctionnaires fédéraux, le dédain qu'a manifesté une fois de plus le gouvernement fédéral pour la libre négociation collective est une insulte pour l'ensemble de nos membres.

Le gouvernement fait de tout pour donner l'impression que l'élimination des 45 000 emplois de la fonction publique fédérale servira simplement à amincir la bureaucratie, mais le projet de loi C-76 se répercutera bien au-delà de la fonction publique fédérale. En effet, le gouvernement fédéral est, directement et indirectement, une des principales sources d'emplois au pays, et ces compressions se feront sentir partout, et en particulier dans les provinces de l'Atlantique d'où je suis.

L'offensive dont fait l'objet la fonction publique fédérale est une attaque contre tous les travailleurs. La fonction publique fédérale a été la cible d'attaques continuelles tout au long de la dernière décennie. Par ces compressions, le gouvernement fédéral sera de moins en moins en mesure de s'acquitter de ses responsabilités.

Nous nous contenterons de vous donner en exemple une situation que nous connaissons bien. Ces quinze dernières années, le Bureau de la sécurité des transports du Canada a mené deux enquêtes judiciaires et présenté d'innombrables rapports dont il est ressorti que Transports Candaa n'avait pas les ressources nécessaires pour s'acquitter de son mandat de procéder à d'efficaces vérifications de la sécurité des transporteurs aériens canadiens et d'assurer le suivi. Avec la privatisation croissante du secteur des transports aériens, la réglementation revêt une importance encore plus grande; aussi faut-il augmenter considérablement les ressources et non imposer les compressions qu'entraînera le projet de loi C-76.

En dépit de toute la rhétorique que contient la Loi nationale sur les transports, selon laquelle la sécurité est prioritaire, on continue de comprimer les ressources affectées à la réglemenation alors que le stress et les dangers minant nos transporteurs aériens déréglementés ne cessent d'augmenter. On ne peut que conclure que le gouvernement cherche à jeter le discrédit sur le secteur public en ne lui consacrant pas les ressources qui lui sont nécessaires pour accomplir sa tâche.

Le projet de loi C-76 mettra fin aux subsides sur lesquels comptent les transporteurs des régions de l'Atlantique et de l'Ouest du Canada pour maintenir notre système ferroviaire national. Ce n'est pas parce que j'ai déjà été machiniste pour les chemins de fer que je me lamente sur la volonté manifeste du gouvernement de détruire notre système ferroviaire national. Il est carrément criminel de mettre fin à une infrastructure à haut rendement énergétique et favorable à l'environnement qui pourrait continuer à bien nous servir au siècle prochain.

Le projet de loi C-76 et la privatisation du Canadien National, annoncée par le ministre des Finances, seront des coups fatals que ne pourra supporter notre système ferroviaire national.

Enfin, venons-en à la partie du projet de loi C-76 qui porte sur les «arrangements fiscaux et autres matières»; il s'agit-là d'un autre chapitre de la longue histoire du recul des normes nationales et de la responsabilité fédérale. Au fil des ans, nous sommes passés du financement à frais partagés au financement global, accompagné d'une diminution des fonds de transfert relatifs à l'assurance-santé et à l'éducation et d'un plafonnement des contributions fédérales au régime d'aide sociale de certaines provinces. Avec le projet de loi C-76, nous nous débarrassons du Régime d'assistance publique du Canada (RAPC) en l'intégrant, ainsi que le financement des programmes établis, le FPE, au Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, le TCSPS.

.1625

Les montants à transférer aux provinces, en particulier les versements en espèces, seront considérablement rétrécis. Les transferts aux termes du TCSPS, au cours des trois prochaines années, seront de près de 7 milliards de dollars de moins qu'aux termes du régime actuel. Nous transférons ainsi des responsabilités aux provinces sans toutefois leur fournir les ressources correspondantes pour s'en décharger.

La promesse de sabrer encore davantage dans l'assurance-chômage rend la réduction des transferts de protection d'aide sociale encore plus dévastatrice. À cause des compressions successives des prestations d'assurance-chômage ces dernières années, plus de la moitié des chômeurs n'étaient déjà plus admissibles à l'assurance-chômage en 1994. Des réductions additionnelles refouleront un nombre encore plus élevé de chômeurs vers l'aide sociale à un moment où la capacité financière des provinces de fournir des prestations d'assistance sociale s'érode graduellement.

Malgré tous ses discours sur la nécessité de mettre en oeuvre des politiques dynamiques de la population active pour améliorer les compétences des travailleurs, le gouvernement fédéral continue de réduire le financement du secteur de l'éducation. Les maigres sommes destinées à la formation professionnelle sont puisées dans les caisses que constituent les travailleurs et les employeurs pour servir au soutien du revenu.

Tandis qu'il prétend offrir une marge de manoeuvre aux provinces, le gouvernement fédéral donne en fait aux provinces la liberté d'affamer les pauvres et les chômeurs afin que quelques-uns d'entre eux puissent obtenir une formation et une éducation inadéquates.

Chacune des provinces a une capacité économique différente. Tandis que diminuent les transferts fédéraux, les provinces moins nanties n'auront pas les ressources nécessaires pour maintenir les normes nationales. Nous assisterons ainsi à une érosion soutenues des normes nationales en matière d'assurance-santé, d'éducation et d'aide sociale.

Le président: Permettez-moi de vous interrompre. À cet égard, quelles sont les normes nationales en vigueur en matière d'éducation?

M. Bourgeois: Eh bien, si vous me permettez, je continuerai mon exposé et vous répondrai ensuite.

Le président: Je voudrais être sûr de comprendre ce que vous êtes en train de nous dire. Vous parlez d'un rabaissement des normes nationales d'éducation. Je ne suis pas certain d'avoir bien compris ce dont il s'agit et c'est pourquoi je vous demande de clarifier ce point.

M. Louis Erlichman (directeur canadien de la recherche, Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale): Eh bien, nous parlons précisément de la réduction, par le biais de ce nouveau transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, du montant total des fonds transférés aux provinces.

Le président: Mais, dans votre exposé, vous parlez du recul des normes nationales d'éducation.

M. Erlichman: En effet.

Le président: Quelles sont les normes nationales d'éducation? Qui les établit maintenant?

M. Erlichman: Ce n'est pas que nous préconisions l'établissement d'un ensemble fixe de normes nationales; nous prétendons que la norme de l'enseignement postsecondaire baissera puisque moins de fonds seront affectés à ce secteur d'un bout à l'autre du pays.

Le président: D'accord, je vois. Je regrette, je n'avais pas compris. Je vous remercie.

M. Bourgeois: Le projet de loi C-76 efface toutes les normes nationales des programmes provinciaux d'aide sociale à l'exception de l'interdiction d'exiger une durée minimale de séjour.

La partie V du projet de loi C-76 stipule que le ministre du Développement des ressources humaines consulte les provinces au sujet de «principes et objectifs partagés» pour les programmes sociaux. Mais avec la disparition de la contribution financière fédérale, comment le gouvernement fédéral préservera-t-il des normes nationales?

La même chose s'applique aux normes nationales d'éducation et, tout particulièrement, aux principes de la Loi canadienne sur la santé. Si le gouvernement fédéral ne fournit pas d'argent, comment empêchera-t-on la dilution de la qualité des soins de santé, d'abord dans certaines provinces, puis dans le pays tout entier? De fait, le projet de loi C-76 abandonne la mise en application de la Loi canadienne sur la santé au bon vouloir du conseil des ministres du jour. Rien de tout ceci n'est de la spéculation théorique.

.1630

Le régime d'aide sociale est déjà sapé par des programmes tels l'assistance-travail qui contreviennent aux principes de la Loi canadienne sur la santé. Le projet de loi C-76 accélérera l'effritement de nos programmes sociaux nationaux. Je suppose que nous ne devrions pas en être étonnés.

Si le gouvernement désire intensifier le sentiment d'insécurité des travailleuses et travailleurs canadiens et de leurs familles, pourquoi s'arrêterait-il aux compressions de l'assurance-chômage quand il pourrait de surcroît miner leur protection sociale et leur faire craindre d'avoir à payer des frais de soins de santé considérables? Voilà l'un des bonis supplémentaires de l'accord de libre-échange conclu avec les États-Unis.

Qui sait, peut-être partagerons-nous bientôt les craintes justifiables de l'Américain moyen quant à la ruine financière que pourrait lui causer, à lui et à sa famille, une grave maladie. C'est évidemment-là l'essence même de l'Accord de libre-échange nord-américain, l'ALÉNA - un rabaissement de nos programmes sociaux au niveau de ceux des États-Unis et du Mexique. C'est exactement ce qui nous arrive maintenant, avec l'aimable concours du Parti libéral qui, pourtant, devait nous protéger des conséquences néfastes de cet accord.

Les changements fondamentaux que subiront les transferts fédéraux-provinciaux aux termes du projet de loi C-76 comportent des répercussions quasi constitutionnelles; en effet, les principes de l'équité et du partage des ressources qui sont l'essence même de notre système fédéral en seront graduellement ébranlés. La population canadienne s'est opposée à la décentralisation et à l'écroulement des normes nationales qu'aurait prévus l'Accord de Charlottetown. Le projet de loi C-76 produira à peu près le même résultat. Il ne peut que donner des munitions à ceux qui remettent en question les fondements de la fédération canadienne.

Comme le constatera le comité, nous considérons que le projet de loi C-76 comporte des problèmes fondamentaux, mais les problèmes portent bien au-delà du texte législatif proprement dit. Depuis plus de dix ans, nos gouvernements ne cessent de nous ruiner. Mais cette débâcle financière n'a pas été causée par des dépenses irréfléchies au titre des programmes sociaux, dont la plupart ont été sans cesse comprimés. D'après les chiffres fournis par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Canada traîne à l'arrière de tous les pays d'Europe occidentale, hormis l'Espagne, en ce qui concerne la proportion des dépenses sociales exprimée en pourcentage du produit intérieur brut.

Notre problème d'endettement prend sa source dans les politiques fiscales et monétaires qui ne servent que les intérêts des détenteurs de capitaux. C'est nous, les autres, qui avons payé le prix de ces politiques inopportunes. Si nous voulons mettre fin à la hausse des prix, nous devons dès maintenant renverser la direction de ces politiques.

Nous disposons de très peu de latitude, et on ne peut s'attendre à une reprise du jour au lendemain; nous demandons néanmoins instamment au comité d'avertir le gouvernement que son projet de loi est inopportun. Il est malheureux que vous n'ayez pu vous rendre dans les diverses régions du pays pour entendre les Canadiens vous exprimer leurs sentiments à cet égard.

Au lieu de mettre en oeuvre les mesures proposées dans le projet de loi C-76, le gouvernement doit formuler une nouvelle série de politiques économiques visant la création d'emplois et l'amélioration de la qualité de vie des travailleuses et des travailleurs canadiens et de leurs familles. Le gouvernerment doit revenir à la libre négociation collective avec les employés de la fonction publique et déterminer ses dépenses à la lumière des ressources qui lui sont nécessaires pour remplir efficacement son rôle, au lieu de s'accrocher à une notion primitive d'un gouvernement qui rétrécit peu à peu.

Au lieu d'accélérer l'anéantissement de notre système ferroviaire, le gouvernement doit formuler des propositions visant l'utilisation améliorée et élargie de notre réseau ferroviaire dans le cadre d'une politique des transports qui serait axée sur un développement national viable, tant économique que social.

La condition première d'une réelle reprise économique est une baisse des taux d'intérêt. Il nous faut aussi un régime fiscal plus progressif qui reposerait moins sur les taxes de vente et davantage sur un impôt plus équitable sur les sociétés, un impôt sur le revenu plus progressif et un impôt sur les grandes accumulations de richesses.

.1635

Nous devons considérer comme prioritaires le maintien de l'assurance-santé et l'engagement d'améliorer les programmes d'aide sociale, dont le réseau national de garderies promis dans le Livre rouge. Nous vous prions en outre de demander au gouvernement de ne plus sabrer dans le régime d'assurance-chômage et de ne pas toucher à notre système public de pensions.

Nous avons beaucoup à faire pour réparer les dommages causés par de longues années de politiques néo-conservatrices radicales. Nous espérons que le comité saura montrer le chemin en amorçant ce travail. Merci.

Le président: Merci, monsieur Bourgeois.

M. Grubel: Oui. J'ai été surpris par le caractère idéologique, par l'absolu idéologique de cet exposé qui fait constamment mention des riches, des entreprises, de la classe des propriétaires de capitaux et ainsi de suite. Je pensais que ces notions avaient disparu il y a quelques années avec la chute du régime socialiste en Union soviétique.

Je préfère ne pas entrer dans des considérations idéologiques. J'aimerais simplement savoir sur quoi se fondent certaines de vos assertions. Selon vous, les politiques fiscales régressives ont eu pour effet de déplacer le fardeau fiscal des riches vers les gagne-petit. Dites-moi, s'il vous plaît, quelle était, en 1993, la part de tout l'impôt sur le revenu des particuliers qu'ont assumée les 10 p. 100 de contribuables aux revenus les plus élevés au Canada?

M. Erlichman: Je n'ai pas les chiffres ici.

M. Grubel: Faites une estimation, alors.

M. Erlichman: Je ne suis pas ici pour conjecturer. Le système de l'impôt sur le revenu a subi des changements régressifs ces 15 dernières années, et c'est ce sur quoi je veux insister.

M. Grubel: Qu'est-ce que ça représente, à peu près?

M. Erlichman: Je n'en ai aucune idée.

Le président: Dites-le nous donc, Herb.

M. Grubel: Cinquante pour cent. À quoi s'élevait cette part en 1992?

M. Erlichman: De toute évidence, vous le savez aussi.

M. Grubel: Cinquante pour cent. Remontez 15 ans en arrière, et c'est toujours 50 p. 100.

D'où tenez-vous vos chiffres? Dites-moi en quoi l'impôt était régressif.

Le président: Ils ont écouté le discours électoral du Parti libéral; c'est ce que nous avons dit.

M. Grubel: Dites-moi en quoi il est régressif.

M. Erlichman: Comment le changement a-t-il été régressif? Eh bien, par suite de la réduction des taux marginaux les plus élevés.

M. Grubel: Ce n'est pas exact. Ils perçoivent encore le même montant du revenu total qu'avant.

M. Erlichman: Mais on rend l'impôt moins progressif en réduisant les taux marginaux les plus élevés, en les ramenant essentiellement à deux ou à trois niveaux. C'est ainsi qu'on aplatit le régime fiscal.

M. Grubel: J'aurais cru que si les 10 p. 100 de Canadiens aux revenus les plus élevés payaient toujours 50 p. 100, ils supporteraient le fardeau. Comment le système est-il devenu moins équitable?

M. Erlichman: Bon, d'accord.

M. Grubel: Quelles autres preuves pouvez-vous nous offrir? En avez-vous d'autres?

M. Erlichman: Pour ce qui est de l'impôt régressif...

M. Grubel: Vous dites qu'il est devenu progressivement plus régressif.

M. Erlichman: La principale preuve réside dans le fait que le système a été aplati et que nous avons opté pour des taxes de vente, lesquelles sont moins progressives. En fait, elles sont régressives.

M. Grubel: Ah, je pensais que les taxes de vente venaient remplacer la taxe d'accise générale, celle des fabricants. On a insisté sur le fait que la taxe de vente n'avait rien à voir avec le revenu, qu'elle en était tout à fait indépendante. La taxe d'accise générale s'appliquait aux produits et, par conséquent, elle affectait tout le monde de la même façon que la TPS. Qui plus est, le gouvernement a versé un remboursement de crédit pour TPS à tous les contribuables du bas de l'échelle. Qu'y a-t-il de régressif à cela?

M. Erlichman: Les taxes de vente, comme vous le savez fort bien...

M. Grubel: La TPS, oui.

M. Erlichman: Les taxes de vente, la TPS, la taxe de vente provinciale, toutes les taxes.

M. Grubel: Nous parlons ici du gouvernement fédéral. Si vous voulez discuter des taxes provinciales, adressez-vous aux provinces. Dites-moi donc comment le système est devenu régressif?

M. Erlichman: Les taxes de vente.

M. Grubel: Oui, comment le fait d'avoir remplacé la taxe d'accise du fabricant par la TPS a-t-il rendu le système plus régressif?

M. Erlichman: Je n'ai pas prétendu que l'élimination de la taxe d'accise...

M. Grubel: Dites-moi alors comment le système est devenu plus régressif au cours des 10 ou 15 dernières années?

.1640

M. Erlichman: Je n'ai pas dit que la taxe de vente est devenue plus régressive ces 15 dernières années. C'est l'ensemble du système qui l'est devenu.

M. Grubel: Dans votre document, vous avancez que les politiques néo-conservatrices ont rendu les taxes plus régressives en allégeant le fardeau fiscal des riches et en accroissant l'impôt sur le revenu. Cela est faux, puisque le groupe des 10 p. 100 de Canadiens aux revenus les plus élevés a continué d'assumer les 50 p. 100 de tout l'impôt sur le revenu. Manifestement, la TPS a été conçue de façon à ne pas être régressive, car les gagne-petit obtiennent des remboursements de TPS et elle a simplement remplacé la taxe d'accise.

Maintenant, une dernière question si vous le voulez bien. Vous dites aussi que les politiques monétaires ont servi les intérêts des propriétaires de capitaux. Quels sont les plus gros détenteurs de capitaux au Canada?

M. Erlichman: Voilà une bonne question. Une énorme partie des capitaux est investie dans les fonds de pension. Il y a eu un transfert aux fonds de pension, ce qui, à mon avis, a créé une grande distorsion, dans la pratique, étant donné les taux de rendement très élevés. Comme les taux d'intérêt sont si élevés - j'entends par là les taux d'intérêt réels à court terme - leur taux de rendement est aussi très élevé et leur taux de risque est très faible. Il s'agit d'une distorsion des modes d'investissement, ne serait-ce que ça.

M. Grubel: Vous disiez qu'il était très négatif et dangereux que les taux d'intérêt élevés - qui ne font l'affaire d'aucun de nous d'ailleurs - ne profitent qu'aux propriétaires de capitaux. En fait, la majeure partie des capitaux est investie dans les fonds mutuels et les fonds de pension, lesquels appartiennent aux travailleurs et à la classe moyenne.

M. Erlichman: Ainsi qu'aux riches. Les riches ont une plus grosse part des capitaux, une proportion bien plus élevée. Ces capitaux ne sont aucunement distribués...

M. Grubel: Quoi qu'il en soit, ils acquittent les 50 p. 100 de tout l'impôt sur le revenu lorsqu'ils obtiennent le rendement de leur capital.

De toute façon, j'ai dit ce que j'avais à dire. Je vous remercie beaucoup. Je comprends maintenant ce sur quoi se fonde votre idéologie: la fiction.

Le président: Comme toujours.

Monsieur Bonin.

M. Bonin: J'aimerais revenir à une question que vous soulevez dans votre mémoire, soit la privatisation des chemins de fer. Vous représentez les travailleurs des chemins de fer tout autant que les travailleurs des compagnies aériennes. Ayant moi-même travaillé pour Air Canada avant de prendre ma retraite, les effets de la privatisation me sont assez familiers.

Je considère que l'emploi idéal consiste à travailler pour quelqu'un qui fait de l'argent et qui procède avec efficacité. La société Air Canada a été privatisée durant une crise économique. Vu le succès de l'opératioan, l'entreprise a déclaré un profit l'an dernier, et les gens que vous représentez sont du même coup plus sûrs de garder leur emploi. Ce sont les personnes que vous représentez qui me le disent. Je suppose qu'Air Canada se trouverait aujourd'hui au bord de la faillite si elle n'avait été privatisée.

Je suppose que nous conviendrons tous que le secteur privé sait mieux s'y prendre que le gouvernement pour gérer ses activités. À CP Air, il n'y avait pas 16 personnes pour faire le travail de cinq, comme à notre bureau d'Air Canada. Donc, si le CN prend la même voie qu'Air Canada, je suppose que les travailleurs n'auront aucune sécurité d'emploi, surtout lorsque des concurrents s'efforcent d'acheter la société.

Si la privatisation a permis à Air Canada de faire un profit durant une récession, ne pensez-vous pas que, s'il s'orientait dans la même voie, c'est maintenant que le CN devrait agir, tandis que nous sommes en période de reprise économique?

M. Vincent Blais (adjoint administratif, Association internationale des machinistes et travailleurs de l'aérospatiale): Je ne pense pas que le profit et le succès d'Air Canada soient uniquement le fait de la privatisation. Je pense plutôt qu'ils sont dus à un changement d'attitude tant de la part des dirigeants que de la part des représentants des employés, qu'il s'agisse du syndicat des agents de bord, de celui des pilotes ou encore du nôtre, celui des machinistes.

Puisque vous êtes un ancien employé d'Air Canada, vous êtes sûrement conscient des efforts que déploie aujourd'hui la société de concert avec les syndicats, et particulièrement le nôtre, pour préserver sa position et, de fait, pour l'améliorer en devenant plus concurrentielle, plus attirante. C'est pour cela que je ne pense pas qu'il faille attribuer les résultats obtenus à Air Canada à la seule privatisation. Il y a eu un changement d'attitude, et c'est de ça que dépend la réussite.

.1645

M. Bourgeois: Nos membres, tout comme ceux des autres groupes, ont dû accepter des compressions de salaire pour y arriver.

M. Bonin: Oui, c'est exact. J'ai dû prendre ma retraite à cause de la privatisation et de la réduction des effectifs, mais j'appuie ces mesures parce que le personnel jouit maintenant d'une sécurité d'emploi.

Les personnes que je représente à Capreol n'ont aucune sécurité au CN. Tous les trois ou quatre ans, on menace de fermer le chemin de fer. Ce n'est pas ainsi qu'on motive les travailleurs, et la privatisation offre une sécurité à ceux qui restent. Vous faites preuve d'une plus grande efficience; les compagnies aériennes l'ont prouvé et j'estime que c'est ce qui pourrait arriver de mieux au CN. Si vous n'êtes pas d'accord, j'aimerais vraiment connaître votre point de vue, car la preuve a été faite pour l'industrie de l'aviation.

M. Bourgeois: Tout d'abord, je vous signale que nous ne représentons plus les travailleurs du CN depuis le vote que nous avons perdu au sujet de l'article 18 que réclamaient les employés des chemins de fer.

C'est par segments que le CN sera privatisé. Il n'existera plus de liaison nationale. Si j'ai bien compris, on procédera petit à petit, région par région. C'est sans doute la région du centre qui aura le meilleur sort, et la majeure partie du chemin de fer descendra vers le sud et reviendra au Canada par la côte ouest.

M. Bonin: J'ignore d'où vous tenez cela. Si c'est juste, j'aimerais en savoir davantage parce que, bien entendu, si le chemin de fer est privatisé segment par segment, il perd toute chance de survie. Disposez-vous de renseignements fiables, ou êtes-vous en train d'inventer?

M. Bourgeois: Nous avons eu le même type d'information que sur l'éventuelle fermeture du chantier naval de Terre-Neuve. Nous avons appris hier à peine qu'à compter de jeudi, le chantier naval de Terre-Neuve sera désaffecté. Nous nous sommes adressés au député de St. John's et nous attendons toujours que M. Baker nous rappelle. On nous dit que si nous voulons prendre connaissance des résultats de la vérification qu'a effectuée Marine Atlantic, il nous faudra nous adresser au gouvernement.

M. Bonin: Je m'en voudrais de consacrer tant de temps à une question qui n'en est pas une. Je parlais des chemins de fer.

M. Bourgeois: Eh bien, c'est sur le point de changer. On ne peut se fier qu'aux rumeurs que circulent les employés de certains bureaux. Si on avait des renseignements plus fiables, je serais ravi de vous les communiquer car l'avenir des habitants d'endroits comme Capreol nous préoccupe. Je crois que le Canadien National a l'intention de supprimer certains de ces endroits.

M. Bonin: Je vous remercie de votre réponse. Je tenais simplement à ce qu'on sache que vous fondez votre position sur des rumeurs. Il fallait le signaler.

M. Blais: Non, je ne pense pas qu'il s'agisse uniquement de rumeurs. À l'époque où nous représentions encore les travailleurs du CN, par exemple, le CN avait un atelier de réfection dont on nous a dit qu'il fonctionnait très bien. Cet atelier a été séparé du CN, il a été privatisé, et il s'appelle maintenant l'atelier AMF, dont vous avez probablement déjà entendu parler. Si vous détachez toute activité lucrative du CN, si vous la morcelez, la privatisez ou je ne sais quoi encore, alors ce qu'il vous restera ne vaudra probablement pas grand-chose.

Si la société Air Canada avait cédé le triangle d'or à d'autres à l'époque de sa privatisation, pensez-vous qu'elle aurait pu subsister sans les liaisons Montréal-Toronto et Toronto-Ottawa? Je pense qu'il en va de même pour le CN. Si on commence à le morceler... Si c'est ce qu'on avait fait à Air Canada, la société n'aurait jamais eu une seule chance de survivre et d'en arriver là où elle est aujourd'hui.

M. Bonin: Je suis d'accord, mais les syndicats doivent collaborer tout autant que les employeurs.

M. Blais: Bien sûr, mais nous ne pouvons collaborer si on démantèle l'entreprise.

M. Bonin: C'est exact, mais vous avez mentionné l'atelier de Capreol. Nous savons tous que les employés qui souhaitaient acquérir l'atelier voulaient que le CN s'engage à leur fournir du travail. Le CN y était disposé, mais les syndicats ont dit par la suite qu'ils allaient recourir à la sous-traitance, si bien que leurs propres membres n'allaient pouvoir obtenir du travail de leur ancien employeur. Il est vrai que les employés sont représentés par de nombreux syndicats et qu'un seul d'entre eux a fait cette déclaration; on ne peut donc les blâmer tous.

.1650

Lorsqu'on privatise, tous doivent travailler ensemble, parce que la concurrence ne se limite pas à CP Rail, elle vient des États-Unis, elle vient de partout dans le monde.

M. Blais: Le syndicat et M. Bourgeois ont parlé des chantiers maritimes de Terre-Neuve, et de l'AIMTA et des autres syndicats sur place. Comme vous le savez, il s'agit d'un conseil des syndicats en l'occurrence. Nous avons offert de collaborer aux efforts de privatisation du chantier maritime. Des propositions ont été faites à l'employeur, mais nous apprenons finalement aujourd'hui qu'entre 350 et 400 travailleurs seront sans emploi jeudi. Les contremaîtres seront tous mis à pied demain, et les autres travailleurs du chantier, jeudi. Ils ne savent pas si le chantier sera fermé définitivement. Ils ne savent pas si les acheteurs éventuels sont encore intéressés. Personne ne nous dit rien. Pendant ce temps, le nombre de chômeurs ne cesse d'augmenter.

Oui, les syndicats sont prêts à collaborer avec les employeurs. Dans certains cas, même si nous sommes acculés au pied du mur et que la privatisation est la seule solution, il est évident que nous surveillerons l'évolution des choses. Mais il faut travailler ensemble, et non pas procéder comme on le fait en ce moment.

M. Bonin: À Air Canada, vous avez réussi. Je vous en félicite. Votre succès est évident.

[Français]

Le président: Monsieur Brien, s'il vous plaît.

M. Brien (Témiscamingue): Peut-être y a-t-il des choses qui sont basées sur des hypothèses qui ne sont pas toujours vérifiées, mais il y a néanmoins là-dedans des des faits. Les coupures de 7 milliards de dollars, au niveau du Transfert social canadien, sont des chiffres qui sont dans le dernier budget. C'est une réalité.

Vous dites, dans votre deuxième paragraphe, que cette loi est extrêmement importante et qu'elle nous éloigne considérablement des normes nationales de l'assurance-santé et des services sociaux.

Ma compréhension de ce paragraphe est un peu le contraire. Ces normes-là vont quand même rester; elles pourraient même, dans certains cas, être renforcées, selon ce que le gouvernement fédéral décidera. Il parle de conclure une entente. C'est quand même lui qui a le gros bout du bâton dans les négociations. Quand on négocie avec le couteau sur la gorge, c'est toujours difficile. Pourquoi pensez-vous que les normes nationales vont être réduites, alors qu'au contraire, elles pourraient être encore là, mais sans que les provinces aient les ressources financières pour les rencontrer? Telle est notre objection.

M. Bourgeois: Je dirais que l'une des raisons majeures est que les provinces auxquelles on fait le transfert n'auront pas les sommes nécesaires pour faire face aux coûts, à cause de la réduction des transferts aux provinces.

M. Brien: Vous dites qu'on ne pourra pas respecter les normes parce que les ressources financières ne seront pas suffisantes. Très bien. On s'entend.

[Traduction]

M. Erlichman: Le bâton de base-ball raccourcit. Si les transferts pécuniaires diminuent, comme c'est effectivement le cas, à quoi peut-on s'attendre, quelles seront les pertes, d'après vos prévisions, d'ici dix ou quinze ans... Même s'il existe des normes sur papier et qu'elles ajoutent même quelques points à la Loi canadienne sur la santé, le gouvernement fédéral n'a aucun moyen de faire respecter ces normes. Celles-ci pourraient n'exister que sur papier.

Le président: Vous préconisez, à la page 6, l'adoption de politiques économiques favorisant la création d'emplois. Lesquelles? Quelles politiques préconisez-vous?

M. Erlichman: Il faudrait évidemment commencer par réduire sensiblement les taux d'intérêt.

Le président: Cela n'entraînerait aucun problème.

M. Erlichman: Oh, cela entraînerait toutes sortes de répercussions intéressantes, notamment des effets sur le dollar canadien et toute une série d'autres effets. Ce ne sera pas chose facile. Comme on le dit dans le mémoire, on s'enfonce depuis de nombreuses années. Il s'agit d'un moyen évident, d'un moyen très direct.

Le président: Pourquoi un pays serait-il prêt à payer des taux d'intérêt plus élevés que les taux nécessaires?

M. Erlichman: Parce que, comme ce fut le cas ici, il y avait un désir...

Le président: Vous, en tant que débiteur, ne le seriez pas.

M. Erlichman: ...d'éviter une éventuelle... Remontons aux années 1989, 1990, 1991. La TPS allait entrer en vigueur. Le gouvernement craignait apparemment une poussée inflationniste.

.1655

Le président: Parlons de ce que nous ferons maintenant et laissons le passé derrière.

M. Erlichman: Il faudrait alors se demander pourquoi nos taux d'intérêt réels... Vous parlez de taux d'intérêt réels à court terme de près de 6 p. 100. Actuellement, vous vous intéressez aux taux supérieurs à 6 p. 100, mais au cours de la dernière décennie les taux se sont étabis à 6 p. 100 en moyenne.

Le président: Croyez-vous que nous pourrions simplement, très facilement, sans conséquences défavorables, baisser le taux d'intérêt à court terme? Ce serait mon voeu le plus cher. Tout le monde est en faveur de taux d'intérêt plus faibles.

M. Erlichman: Il y aurait des conséquences pour le dollar. Il faudrait vivre avec ces conséquences.

Le président: Y aurait-il des conséquences pour les taux d'intérêt à long terme?

M. Erlichman: Oh, bien sûr.

Le président: Ils augmenteraient, n'est-ce pas?

M. Erlichman: Pas nécessairement, à long terme. La courbe serait différente.

Le président: Alors, nous devrions demander au ministre de réduire le taux d'intérêt à court terme, et nous épargnerons des millions et des millions de dollars.

M. Erlichman: Des milliards.

Le président: Pardon, des milliards. Très intéressant.

Y a-t-il d'autres questions? Non?

Au nom de tous les membres du comité, je vous informe que nous avons décidé à l'unanimité de renoncer aux déplacements, qui entraînent des coûts très élevés. Si vous estimez que vous n'êtes pas dûment représentés, si vous estimez que vos membres locaux n'ont pas été dûment représentés dans le cadre de votre comparution devant nous, nous vous demandons instamment de les inviter à s'adresser à leur député pour lui faire part de leur point de vue. Je suis certain que vous appréciez les efforts que nous faisons pour réduire nos dépenses au minimum.

Au nom des députés de tous les partis, j'aimerais vous remercier pour l'exposé que vous nous avez présenté. Nous ne pourrons en arriver à un consensus sur l'applicabilité d'un certain nombre de ces solutions, mais permettez-moi de vous dire que ce que je considère comme le plus important, c'est votre discussion avec M. Bonin sur la nécessité pour la partie patronale et la partie syndicale de faire preuve d'ouverture à l'égard l'une de l'autre, de mettre en commun leur expérience et leurs forces, et de poursuivre sur la voie de la collaboration plutôt que sur celle de l'affrontement. Nos résultats n'en seront que meilleurs. Je vous remercie de votre participation.

Notre témoin suivant est Mme Barbara Scott, conseillère municipale à la ville de Calgary.

Mme Barbara Scott (conseillère municipale, ville de Calgary): J'essaierai d'être brève. Je sais que vous devez participer à un vote.

Le président: Prenez tout votre temps. Nous pouvons revenir après le vote.

Mme Scott: La ville de Calgary apprécie beaucoup d'avoir l'occasion de présenter son point de vue sur les décisions cruciales que vous prendrez en ce qui concerne le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Malheureusement, notre maire, qui était en ville ce matin, a dû partir pour se rendre à une réunion prévue tôt demain matin. Il comptait vous présenter lui-même notre exposé et il est désolé de ne pouvoir le faire. Il m'a chargée de vous présenter ses excuses.

Notre ville est considérée comme l'une des villes canadiennes les plus intéressantes pour la qualité de vie qu'elle offre. L'air et l'eau non pollués, le système de transport, les parcs, les activités culturelles et récréatives et les services de bénévolat contribuent tous à une qualité de vie remarquable à Calgary. Notre ville est très riche; elle vient au quatrième rang parmi les 25 premières villes canadiennes pour ce qui est du niveau de revenu.

.1700

Pourtant, malgré ces atouts précieux, il y a une ombre au tableau. En effet, 45 000 jeunes de moins de 18 ans vivent dans la pauvreté. Ce nombre correspond à la population d'une ville de la taille de Red Deer. Nos banques alimentaires doivent aider mensuellement environ 7 300 personnes. Sans compter les quelque 500 personnes - il s'agit là d'un chiffre très conservateur - qui sont sans abri, dont des femmes et des enfants.

Vous comprenez donc pourqoi la ville de Calgary s'intéresse au plus haut point au Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux et particulièrement au volet programmes sociaux. La province a déjà réduit sensiblement le financement des programmes sociaux. Si l'on ajoute à ces réductions les réductions annoncées par le gouvernement fédéral à ce chapitre - soit 7 milliards de dollars au cours d'une période de trois ans - nous craignons que l'administration municipale et les organismes bénévoles ne soient pas en mesure de répondre aux besoins des démunis de Calgary.

Nous savons que le budget fédéral a été arrêté. Nous savons que le gouvernement a examiné différents moyens de répondre aux besoins au titre du financement des programmes sociaux. Les taxes nous déplaisent tout autant qu'à vous. Néanmoins, à cause des répercussions éventuelles de la réduction du financement des programmes sociaux, nous ne pouvons vous empêcher de demander au gouvernement fédéral d'examiner la possibilité d'augmenter ses revenus, par exemple, par le biais de certaines taxes qui pourraient être acceptables pour les Canadiens - un impôt minime sur les successions ou une légère réduction des contributions maximales autorisées au REER. Il s'agit là d'un moyen d'améliorer le financement des dépenses sociales.

Je tiens à mentionner clairement que nous ne vous demandons pas de prélever plus d'impôts. Nous nous demandons si en consultant les Canadiens et en trouvant des moyens d'augmenter les revenus le gouvernement fédéral ne parviendrait pas à freiner la réduction du financement des dépenses sociales. C'est tout ce que nous disons; il ne s'agit pas nécessairement d'augmenter les impôts.

Monsieur le président, la raison de notre présence ici, le but fondamental de ce...

Le président: Vous ne voulez pas qu'on utilise l'impôt foncier, bien sûr. N'est-ce pas?

Mme Scott: Nous avons le même problème que vous, à une autre échelle.

Le but fondamental de ce voyage des plus inhabituels à Ottawa pour vous présenter un exposé, c'est de vous demander de prévoir dans le cadre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux la consultation des municipalités et l'établissement d'un partenariat avec les trois paliers de gouvernement.

En tant qu'administrations publiques les plus près de la population, les municipalités font face au problème relié au nombre croissant de personnes démunies. Nous intervenons nécessairement dans l'élaboration de politiques socio-économiques locales et nous sommes engagés à cet égard, et compte tenu de nos impôts fonciers, nous sommes désormais partenaires avec vous. Nous contribuons au financement de certains services sociaux en association avec les gouvernement provincial et fédéral, principalement dans le cadre du Régime d'assistance publique du Canada. C'est pour ces raisons que nous vous demandons de reconnaître et d'appuyer l'établissement d'un partenariat entre les gouvernements fédéral, provincial et municipal pour planifier et développer des services sociaux et trouver les ressources que nécessitent ces services.

Plus précisément, nous demandons que des représentants des municipalités soient invités en tant que partenaires à participer aux consultations du ministre du Développement des ressources humaines pour élaborer les principes et les objectifs du volet programmes sociaux du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Nous demandons donc une modification du paragraphe 13(3) proposé de la partie V en vue d'inclure les représentants des municipalités dans le libellé de cette disposition.

Le thème du partenariat revient tout au long de notre mémoire. Le partenariat visé dans le Régime d'assistance publique du Canada, prévoyant la participation des municipalités au financement des services sociaux nécessaires, est particulièrement clair. Par exemple, la ville de Calgary alloue aux programmes d'aide sociale environ 20 millions de dollars à même les impôts fonciers qu'elle perçoit. Environ la moitié de ces fonds sont utilisés conjointement avec les gouvernements fédéral et provincial pour financer les services sociaux préventifs en application de l'actuel Régime d'assistance publique du Canada et de notre loi provinciale pertinente, la Family and Community Support Services Act.

Il s'agit de programmes généralement assurés par des organismes bénévoles, puisque nous travaillons également en collaboration avec la collectivité, et de programmes visant à empêcher que des programmes sociaux ne surgissent ou ne s'aggravent. Mentionnons, par exemple, une aide à domicile pour les personnes âgées fragiles ou les personnes handicapées, des programmes d'action communautaire pour les personnes isolées, ou des programmes de garde avant et après l'école pour des enfants qui sont généralement issus de familles monoparentales dirigées par une maman qui travaille à l'extérieur.

.1705

Dans le cas de certains programmes, les municipalités peuvent, avec l'accord de la province, accéder directement aux fonds du Régime d'assistance publique du Canada. Cette flexibilité permet d'obtenir des fonds sans délai au besoin. La simplification des processus intergouvernementaux et des systèmes bureaucratiques permet de réaliser des économies. Elle contribue à réduire les coûts.

Nous demandons donc que le partenariat financier tripartite soit maintenu et qu'en outre les municipalités puissent accéder directement aux fonds prévus au titre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, comme c'est le cas actuellement avec le Régime d'assistance publique du Canada.

Nous demandons, en l'occurrence, une modification au paragraphe 13(1) et à l'alinéa 13(1)a) proposés de la partie V de manière à autoriser les municipalités à accéder directement aux fonds destinés aux programmes sociaux. Ce point est traité à la page 6.

Le critère du besoin et du caractère vraisemblable du besoin est un critère fondamental dans le cadre du Régime d'assistance publique du Canada, et nous demandons instamment que ce critère soit maintenu dans le cadre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Nous savons que vous avez établi une norme prévoyant qu'aucun délai minimal de résidence ne peut être exigé en ce qui concerne l'assistance sociale. Mais nous vous demandons de rétablir le critère fondamental actuellement prévu dans le Régime d'assistance publique du Canada: le besoin et le caractère vraisemblable du besoin.

Nous craignons que si des enveloppes distinctes ne sont pas expressément prévues pour les différents volets du transfert, la santé, l'enseignement postsecondaire, les programmes sociaux risquent d'être négligés à la faveur des programmes plus populaires. De plus, les critères du besoin et du caractère vraisemblable du besoin constituent les normes nationales fondamentales pour l'accès aux fonds alloués aux services sociaux et devraient contribuer à favoriser l'utilisation équitable du fonds dans tout le pays et faciliter le traitement des demandes de financement présentées par les provinces et les municipalités.

Par conséquent, nous demandons une révision de l'alinéa 1c) afin d'y inclure le critère du besoin et du caractère vraisemblable du besoin et de permettre l'inclusion d'autres critères éventuellement, au fur et à mesure des consultations entreprises par le ministre du Développement des ressources humaines en application de l'article 3.

Monsieur le président, nous, les municipalités, n'existons pas aux termes de la Constitution; pourtant nous existons bel et bien dans la réalité pour les personnes nécessiteuses. Dans tout le Canada on constate des besoins sociaux croissants dans les villes, auxquels on peut répondre le plus efficacement par la coopération et la collaboration, par la mise à contribution des trois paliers de gouvernement et des organismes bénévoles. Nous vous prions instamment d'appuyer ces partenariats entre les municipalités et les gouvernements provinciaux et fédéral, et de maintenir, comme norme nationale fondamentale dans le cadre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux le critère du besoin et du caractère vraisemblable du besoin.

Je vous remercie beaucoup.

Le président: Merci, madame Scott.

Étant donné que les municipalités sont plus près de la population et que nous, en tant que gouvernement fédéral, avons le portrait global de la situation, croyez-vous que nous pourrions passer outre au palier provincial et traiter directement avec vous?

Mme Scott: Ce serait bien si toutes les municipalités étaient des municipalités métropolitaines comme Edmonton, Calgary, Toronto et Ottawa - de grandes municipalités. Mais il faut également tenir compte des petites municipalités, et je crois que le concept de cité-État, dont vous parlez en fait, nous semble, à nous, de la ville de Calgary, très intéresant, mais il n'est pas applicable dans tout le Canada.

Le président: D'accord.

Monsieur Brien.

[Français]

M. Brien: Dans votre première recommandation, vous demandez au gouvernement de considérer une réforme de la taxe. Nous aussi, nous l'attendons toujours et je sais que le monde municipal est particulièrement inquiet, mais ce n'est pas ce dont je veux vous parler.

Vous parlez dans votre deuxième recommandation, et d'ailleurs le gouvernement a déposé aujourd'hui un amendement qui ressemble à ça, de faire en sorte que le ministre du Développement des ressources humaines s'entende avec d'autres gens impliqués, entre autres le monde municipal et les provinces, pour définir des normes nationales.

Vous parlez de la définition initiale, mais ne trouvez-vous pas qu'il est un peu indécent de dire que le gouvernement fédéral va continuer à définir des normes nationales, alors qu'il va financer de moins en moins les programmes sociaux? Est-ce que l'élaboration de ces normes ne pourrait pas être plutôt la responsabilité des provinces? Si moi et Herb avons à discuter et à définir des normes, nous allons peut-être discuter longtemps et que nous ne nous entendrons pas. Si lui peut faire les siennes chez lui et moi, les miennes chez moi, ça va aller beaucoup plus vite et on va être plus efficaces. Donc, ne pensez-vous pas qu'on devrait permettre cette souplesse-là?

.1710

[Traduction]

Mme Scott: Je crois que le projet de loi permet effectivement cette souplesse.

Ce que je dis, c'est qu'il y a deux critères fondamentaux, soit, d'une part, le besoin et le caractère vraisemblable du besoin et, d'autre part, l'absence de délai minimal de résidence. S'ajouteront éventuellement d'autres normes, que les provinces, en consultation avec les municipalités, je l'espère, et le ministre du Développement des ressources humaines, pourront élaborer. Il me semble que des normes minimales doivent être appliquées à l'échelle du Canada, et je suis franchement d'avis que le besoin est l'une de ces normes minimales.

[Français]

M. Brien: Vous demandez qu'ils s'entendent ensemble sur une division des programmes sociaux. Il y aurait alors encore des normes qui ressortiraient d'une forme d'entente. Il y aurait sûrement des gens qui ne seraient pas satisfaits, et à ce moment-là, le gouvernement fédéral pourrait toujours leur imposer... Vous savez, quand on a de l'argent, on peut toujours négocier comme on le veut; et il y a des formes de taxes qui s'en viennent et d'autres choses. Le gouvernement fédéral a encore beaucoup de cartes dans son jeu pour négocier avec les provinces. Il y a peut-être seulement deux grands principes actuellement, sur la santé et sur l'aide sociale, peu importe le territoire de résidence, mais la porte est ouverte à d'autres normes nationales et il va sûrement y en avoir d'autres qui vont s'ajouter. Cela ne vous agace-t-il pas qu'on veuille instutionnaliser cela, à la suite de ce que vous suggérez? On va discuter de ces normes, on va les établir, et ensuite on va les institutionnaliser.

[Traduction]

Mme Scott: Je ne vois pas de problème à ce que la norme fondamentale du besoin soit institutionnalisée. Cela me paraît tellement évident que j'ai du mal à comprendre pourquoi vous seriez préoccupés de ce que cette norme soit la norme nationale fondamentale.

En plus de cette norme, chacune des provinces et des municipalités négociera individuellement et, effectivement, les dix provinces et les deux territoires pourraient éventuellment s'entendre sur des objectifs communs qui pourraient évoluer et prendre la forme de nouvelles normes.

À mon avis, le paragraphe 13(3) proposé, une fois les municipalités incluses, constitue une partie très positive du projet de loi C-76, parce qu'il prévoit exactement le genre de latitude dont vous parlez, la souplesse au sein de chacune des provinces, la possibilité d'élaborer des normes ou des critères, ou peu importe la manière dont vous les appelez, qui tiennent compte des conditions et des besoins locaux à un moment donné.

En même temps, cependant, il faut tenir compte du fait que nous formons un seul pays. Le Canada, dans mon esprit, comprend le Québec. Sans vouloir donner une connotation politique à mes propos, je tiens à préciser que pour le moment nous formons un pays, et il me semble que des normes minimales peuvent être appliquées efficacement à l'échelle du pays, normes que le gouvernement fédéral peut, avec l'appui des provinces et des municipalités, inclure dès aujourd'hui dans le projet de loi.

Le président: Monsieur Grubel.

M. Grubel: Madame Scott, vous avez présenté un exposé très vivant; je vous remercie beaucoup.

J'aimerais vraiment en savoir davantage sur l'ampleur du problème de la pauvreté au Canada. Permettez-moi de vous poser une question très précise. Vous avez mentionné un chiffre. Vous avez dit que 152 000 personnes à Calgary, dont 45 000 sont des enfants, vivent sous le seuil de la pauvreté. Comment avez-vous obtenu ce nombre, au juste?

Mme Scott: Nous nous sommes basés sur les données concernant le seuil de faible revenu publiées par Statistique Canada.

M. Grubel: Je vois. Quel est le lien entre faible revenu et pauvreté?

Mme Scott: On ne peut comparer la pauvreté qu'on connaît au Canada à l'extrême pauvreté et à la misère que connaissent le Rwanda ou certains endroits comme ceux-là et dont on peut juger par les scènes qui sont présentées à la télévision. Ici, la pauvreté découle d'un manque de fonds, de ressources financières, qui fait en sorte qu'il est impossible de se loger ou de s'alimenter adéquatement.

Je m'arrête ici. Je pourrais en dire davantage, mais j'ai de la difficulté à formuler mes pensées.

.1715

M. Grubel: Je crois que vous auriez intérêt à vérifier ces chiffres, étant donné qu'alors que vous parlez de seuil de la pauvreté, Statistique Canada, dans chaque communiqué, dit que ces chiffres ne correspondent pas au nombre de personnes pauvres. Ce que dit Statistique Canada, c'est que ces chiffres correspondent au nombre de personnes à faible revenu. Il dit que dans chaque pays, par définition, à moins que la distribution des revenus ne soit tout à fait égale, 20 p. 100 de la population se situent au bas de l'échelle. Ce que dit et répète Statistique Canada, dans chaque communiqué de presse, c'est que ces chiffres ne correspondent pas au nombre de personnes pauvres, mais au nombre de personnes à faible revenu.

Personnellement, je suis très mécontent que vous soyez venue dire que 152 000 personnes vivent sous le seuil de la pauvreté à Calgary. Je n'accepte pas ce chiffre, compte tenu des données sur lesquelles ils reposent. Vous savez peut-être quelque chose que je ne sais pas, mais compte tenu des renseignements que vous m'avez fournis, il n'est pas question que j'accepte vos chiffres.

Mme Scott: Nous considérons les données sur le seuil de faible revenu - c'est ce qu'elles sont - comme un indice de faible revenu et de pauvreté. Les pauvres sont en quelque sorte des exclus de la société, si vous préférez cette expression.

Je conviens que certains peuvent s'alimenter, que certains peuvent se loger, mais il n'en demeure pas moins qu'ils vivent en marge de la société. Le fait qu'à Calgary - une ville très riche - au moins 500 personnes soient sans domicile fixe me donne à penser que nous avons un problème de pauvreté.

M. Grubel: D'où vient ce chiffre?

Mme Scott: À ma demande, notre service de recherche effectue un recensement tous les deux ans. Le dernier recensement remonte à mai 1994, et le centre d'accueil, qui est un endroit horrible, soit dit en passant, fait état d'une augmentation de la clientèle de l'ordre d'environ 70 p. 100. Il s'agit d'une estimation très conservatrice.

M. Grubel: Comment ces personnes ont-elles été identifiées?

Mme Scott: Nous avons embauché des travailleurs communautaires qui se sont rendus sous les ponts en mai 1994 pour déterminer le nombre de personnes qui s'y réfugiaient. Nous effectuons un recensement des clients du centre d'accueil. Le centre d'accueil est un endroit où les clients installent leur matelas par terre, côte à côte. Il y a tellement de matelas en ce moment qu'il n'y a pas le moindre espace entre eux. Nous avons fait un recensement à l'Armée du salut et nous avons demandé à une demi-douzaine de travailleurs communautaires de patrouiller sous les ponts, dans les parcs, près des bouches d'aération des édifices.

Vous pouvez argumenter quant à la question de savoir s'il y en a 502 ou 495. D'accord, vous pouvez contester ce point, mais ces chiffres sont essentiellement justes, et j'estime que notre ville et notre société méritent d'être condamnées pour le simple fait d'accepter qu'il puisse y avoir des sans-abri.

Le président: Merci, monsieur Grubel.

Nous devrons partir dans quelques minutes. Monsieur St. Denis, la parole est à vous.

M. St. Denis (Algoma): Je vous remercie, madame Scott, de votre présence parmi nous. Avant de poser ma question, qui porte sur les normes, un sujet que j'estime d'une importance capitale, je crois devoir commenter la question de la pauvreté et du seuil de pauvreté, etc.

Je crains que le Parti réformiste ne tente de définir la pauvreté en fonction de l'apport calorique, et il semble insinuer que si la personne est pour ainsi dire vivante, mais n'a pas les moyens de payer les 5$ requis pour que son fils qui est scout puisse passer une nuit à l'extérieur...

M. Grubel: Le Parti réformiste n'a pas pris position sur cette question.

M. St. Denis: Bien, je suis désolé si j'ai...

M. Grubel: J'ai simplement demandé leur définition de la pauvreté. Rien de plus... Cette remarque était superflue.

M. St. Denis: À mon avis, le document du C.D. Howe, produit par Chris Sarlo, décrit relativement bien...

M. Grubel: Il s'agit d'un document du Fraser Institute.

M. St. Denis: Désolé, Herb, du Fraser Institute. Quoi qu'il en soit, je ne crois pas que nous puissions définir la pauvreté en fonction de critères minimaux. Dans notre société, la définition de la pauvreté suppose une qualité de vie minimale.

Je passe maintenant à la question des normes, madame Scott. Il me semble que vous, comme un grand nombre d'Albertains, croyez qu'il faut appliquer, à l'échelle du pays, des normes minimales qui permettraient de traiter les Canadiens également, d'un bout à l'autre du pays. Avez-vous l'impression que ce budget oblige les provinces ou les municipalités à adhérer à un ensemble de normes dont elles ne veulent pas, ou croyez-vous que fondamentalement les provinces et les municipalités s'attendent à ce que le gouvernement fédéral prenne l'initiative d'établir des normes raisonnables dans les domaines des programmes sociaux, de l'éducation et de la santé, et apprécient qu'il le fasse?

.1720

Mme Scott: Je parle du domaine social seulement. Je ne viendrais certes pas demander l'ajout d'une norme au moins si je ne croyais pas que les municipalités et les provinces en général acceptent, voire souhaitent, que le gouvernement fédéral prenne le leadership quant à l'établissement des normes. Par ailleurs, ce projet de loi laisse place à beaucoup de souplesse, et c'est là l'autre aspect.

En fait, le gouvernement fédéral, dans le paragraphe 13(3) de la partie V, décentralise les normes, ce qui laisse place à une certaine souplesse et permet de tenir compte des besoins individuels. Si le critère du besoin est accepté comme norme fondamentale, alors cette souplesse et cette prise de décision à l'échelle locale sont appropriées.

M. St. Denis: Je vous remercie.

Le président: Madame la conseillère, nous sommes très heureux de votre présence parmi nous, et je le dis en tant que politicien s'adressant à un autre politicien. Votre exposé a été très convaincant et très clair. Je vous remercie beaucoup.

Mme Scott: Je vous remercie beaucoup à mon tour. Cependant, je vous demande de ne pas oublier le but de notre présence ici, s'il vous plaît, incluez les municipalités explicitement dans le projet de loi. Je vous en prie, modifiez ce projet de loi.

Le président: Merci.

.1721

PAUSE

.1809

Le président: Nous poursuivons nos audiences sur le projet de loi C-76.

Nous sommes heureux d'avoir parmi nous cet après-midi, Jack Wilkinson, président de la Fédération canadienne de l'agriculture, et Sally Rutherford, directrice générale, des personnes qui ne nous sont pas étrangères.

Bienvenue. Nous attendons votre bref exposé avec impatience.

M. Jack Wilkinson (président, Fédération canadienne de l'agriculture): Je vous remercie beaucoup. Nous nous excusons d'avoir manqué le créneau de temps qui nous était réservé. En fait, nous sommes arrivés tôt à l'autre salle de réunion, mais nous n'avions pas été informés du changement de salle.

Le président: Avez-vous eu l'impression que nous cherchions à vous éviter?

M. Wilkinson: Loin de nous cette idée, mais sachez que nous ne cherchions pas à vous éviter non plus.

Nous avons un exposé relativement court à vous présenter. Quinze minutes devraient suffire pour couvrir tous les points, et vous pourrez ensuite poser toutes les questions que vous pourriez avoir...

.1810

Je crois que la plupart des membres du Comité en connaissent un peu au sujet de la FCA, qu'ils savent qu'il s'agit d'un organisme cadre agricole national. La FCA compte actuellement environ 200 000 membres.

Plusieurs parties de l'exposé porteront sur la question du transport. Une autre portera sur certains points qui, à notre avis, devraient être examinés et sur les changements à la loi qui suscietent des questions. Le mémoire comprend une autre partie dont nous ne parlerons pas, à moins qu'il y ait des questions sur son contenu. Dans cette partie, on traite de quelques-unes des conséquences qu'auront le versement des indemnités dans le cadre de la LTGO et le changement apporté à la politique sur le transport, tant en ce qui concerne l'aide au transport des céréales fourragères dans l'est et son incidence éventuelle sur les programmes assurant des filets de sécurité, les programmes de soutien des revenus agricoles, et les mesures d'adaptation. Nous nous contenterons de commenter le premier des changements à la LTGO.

Comme vous le savez sans doute d'après les exposés que vous avez déjà entendus, ces changements auront des répercussions majeures sur la collectivité agricole de l'ouest du Canada. Ces changements auront une incidence sur les coûts que devra assumer chacun des agriculteurs, avec des variations importantes selon le lieu de résidence dans les Prairies.

Quant à l'ampleur des répercussions, un certain nombre d'agriculteurs qui habitent à la limite de la Saskatchewan et du Manitoba ou dans divers endroits au Manitoba pourraient subir des augmentations variant entre 12 000 et 25 000$. Nous nous sommes effectivement entretenus avec l'avocat durant la pause... je crois que toute la question des effets qu'auront ces changements sur le versement de l'indemnité est importante - le fait que le projet de loi indique assez clairement que l'indemnité sera versée au propriétaire foncier, les agriculteurs qui sont locataires risquent de ne pas avoir droit à l'indemnité et, en même temps, de ne plus jouir des avantages prévus par la LTGO quant à la compensation au titre des frais de transport. Ainsi, il pourrait y avoir des différences majeures, même au sein de la collectivité agricole, quant aux effets de ces changements sur chacun des agriculteurs.

Nous sommes également préoccupés par une autre question à ce chapitre, soit l'utilisation des 300 millions de dollars du fonds d'adaptation. Cela me paraît plus clair maintenant. Le ministre a mentionné un certain nombre de domaines qui, à son avis, devraient être pris en compte lorsqu'il s'agira de déterminer quand et comment on pourrait utiliser ces fonds. Il y aura peut-ètre encore place pour une certaine souplesse en l'occurrence, mais il semble, d'après quelques-unes de nos organisations, que les avantages pourraient être sensiblement différents d'une province à l'autre.

Par exemple, si l'on parle de l'amélioration du rail léger, de l'amélioration des routes ou des négociations avec le secteur de la déshydratation de la luzerne, il y a des différences majeures. Nous craignons que ce fonds de 300 millions de dollars ne profite guère à certaines provinces, comme le Manitoba.

De plus, en ne traitant pas de la question de la mise en commun du transport et de la perte de la mise en commun en même temps que le changement a été annoncé... cette question aurait dû être traitée dans le cadre de la discussion au sujet des 300 millions de dollars, parce qu'on est d'avis que les frais de transport augmenteront considérablement par suite de la perte de la mise en commun, alors que les 300 millions de dollars ne permettront absolument pas de compenser une partie de l'augmentation des coûts pendant un certain nombre d'années. Nous aimerions donc que la question soit traitée avec plus de souplesse et d'une manière moins restrictive. Et nous espérons que chacune des provinces aura la possibilité de participer aux discussions.

Nous aimerions faire quelques suggestions en ce qui concerne la loi; d'abord, ne pas abolir nécessairement dans le délai de cinq ans le plafond visant les taux marchandises indiqués dans le projet de loi et attendre plutôt de voir comment le processus va évoluer et agir en conséquence.

.1815

Nous croyons que cela devrait être facultatif. On déterminerait si le plafond doit disparaître selon le rendement, la situation, la période où on se fonderait sur certaines méthodes pour décider s'il doit demeurer en vigueur en tout ou en partie. Nous estimons qu'il faut modifier cet aspect sinon ce sera tout simplement automatique.

Il faudrait également modifier le paragraphe 181(18) proposé afin que l'examen prévu pour 1999 permette de déterminer si les agriculteurs recevront leur juste part des bénéfices ou des économies réalisés et d'établir, au besoin, un plafond continu en ce qui concerne le transport des marchandises. Il faudrait également supprimer le paragraphe 181(19) proposé, qui abroge une disposition du projet de loi C-76 sur le plafond relatif aux marchandises.

La question qui se pose est donc celle de l'abandon des lignes de chemin de fer. On craint évidemment que les chemins de fer vont éliminer assez rapidement un certain nombre de lignes, surtout celles qui servent uniquement au transport du grain, et on estime que les agriculteurs devraient bénéficier de ces gains de rendement qui sont transmis également aux compagnies de chemin de fer.

Le système actuel est assez coûteux, et on imputait cet état de choses au fait que des lignes largement inefficaces avaient été conservées. On peut donc supposer que l'élimination de certaines lignes fera baisser le coût global du transport la tonne. À notre avis, il faut se pencher attentivement sur cette question afin que les avantages accordés aux compagnies de chemin de fer en vertu du plafond soient transmis aux producteurs et que ces derniers puissent ainsi profiter d'un système moins coûteux.

Les subventions relatives au transport du grain ne devraient être transférées à la Loi sur les transports nationaux que s'il est prouvé que cette mesure assurera une protection adéquate aux producteurs captifs de grain et d'oléagineux. Nous croyons que ce transfert ne devrait pas être automatique. Il faudrait déterminer à ce moment-là si les projections se vérifient et aller de l'avant seulement si c'est le cas.

Nous avons déjà fait des observations sur la somme de 300 millions de dollars.

J'aimerais commenter davantage la question de la mise en commun. Il semble que des propositions aient été faites en ce qui concerne toute la question de la mise en commun; on a proposé l'adoption de tarifs marchandises régionaux - il semble que la suggestion soit venue de la Commission canadienne du blé - variant selon la distance par rapport à la frontière américaine, le côté de la ligne où l'on se trouve, la destination du trafic (Thunder Bay ou les ports de l'Ouest) et toute la question de Churchill.

Comme les changements arrivent si tard et que la mise en commun survient plus tard encore, nous craignons qu'un certain nombre de producteurs n'aient pas le temps de modifier leurs schémas de mise en culture ou de faire face aux changements apportés sur ce plan avant de subir toutes les répercussions du problème. Nous avions demandé que certaines de ces questions soient traitées dans le Fonds d'adaptation, et ce commentaire va dans le même sens.

Des propositions ont été faites au sujet du versement des indemnités, et nous voulons dire clairement que certaines personnes ont suggéré qu'elles soient versées à même le compte de stabilisation du revenu net (CSRN) ou le Régime d'assurance du revenu brut (RARB), programmes actuels de soutien du revenu agricole qui sont en place. Nous estimons que les indemnités ne devraient pas être versées de cette façon, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, le CSRN ne s'applique pas à tous les producteurs ni à tous les produits. C'est un système auquel les agriculteurs choisissent de participer. Certaines personnes ne participeraient à aucun de ces programmes. Il faudrait trouver un moyen d'effectuer réellement le paiement, et il serait bon de trouver simplement le système qui serait le mieux à même d'atteindre cet objectif plutôt que de recourir aux deux systèmes différents qui existent à l'heure actuelle, soit le CSRN et le RARB.

Il semble, par ailleurs, qu'on ait décidé des types de grain qui feraient partie de la campagne agricole de 1994 ou qu'on ait fait certaines annonces à ce sujet. On craint davantage qu'une assez grande quantité de grain soit en stockage à la fin de la campagne agricole de 1994 à cause de la grève. À notre avis, tout ce grain devrait être couvert tout au long de son passage dans le système. Ce n'est pas la faute des producteurs s'il y a eu une grève des transports et si le grain a été retenu pendant des jours ou des semaines à l'intérieur du système.

.1820

Il faudrait veiller à ce que la campagne agricole de 1994 bénéficie du soutien nécessaire pour être intégrée dans le système plutôt que de demeurer dans les silos-élévateurs. En situation normale, la majeure partie de cette campagne aurait été intégrée dans le système, mais la grève a compliqué les choses.

Mis à part plusieurs commentaires sur les filets de sécurité et la question plus global des répercussions du transport sur un certain nombre d'autres programmes et sur leurs frais, ce sont là nos préoccupations et nos recommandations en ce qui concerne la Loi sur le transport du grain de l'Ouest (LTGO).

Le président: Je vous remercie, monsieur Wilkinson, d'avoir été clair et précis. Votre travail nous est très utile.

[Français]

M. Brien: J'ai manqué le début de votre présentation. Il y a des compensations de prévues en raison des décisions que le gouvernement a prises dans le cadre de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest. Il y a eu d'autres coupures dans le monde agricole, mais les compensations, notamment dans le secteur laitier, ont été beaucoup plus faibles. Est-ce que l'Union des producteurs agricoles et la Fédération canadienne de l'agriculture ont la même position?

[Traduction]

M. Wilkinson: Nous sommes inquiets des coupures qui ont été faites à la LTGO ces dernières années. La LTGO et la Loi sur l'aide au transport des céréales fourragères ont subi des coupures pendant trois ans. Ces réductions ont précédé celles qui ont frappé l'industrie laitière. Nous nous inquiétons évidemment des réductions effectuées dans les deux secteurs.

Ce sont, à notre avis, deux questions bien différentes. La décision du gouvernement de verser l'indemnité prévue par la LTGO est une compensation assez faible pour ce que les gens considèrent comme un engagement à long terme de la part du gouvernement envers le transport et le grain.

Nous sommes tout à fait favorables à ce que les producteurs de lait du Canada puissent recouvrer les coûts de la réduction de la subvention au moyen de leur formule d'établissement des prix. Ils considèrent les subventions versées dans l'industrie laitière comme une subvention aux consommateurs, et s'il doit y avoir d'autres réductions dans ce secteur, il faudra combler leur déficit au moyen de leur formule d'établissement des prix afin qu'ils ne se retrouvent pas dans le même genre de situation.

Est-ce que cela répond bien à la question?

[Français]

M. Brien: J'ai une question plus générale. Lorsque les compensations auront été versées et que les détails mécaniques auront été réglés, dans cinq ans, à la suite de ces modifications, quel sera, selon vous, le portrait de l'agriculture, notamment dans l'Ouest canadien? À quoi est-ce que cela va ressembler?

[Traduction]

M. Wilkinson: Je pense qu'il faudra régler un certain nombre de questions en suspens avant de pouvoir brosser le tableau de l'agriculture dans les prairies. Les changements proposés nous permettent de croire que les répercussions peuvent être majeures. La meilleure explication consiste peut-être à dire que, par exemple, les producteurs de certaines régions du Manitoba devront payer 25$ la tonne de plus pour transporter leurs marchandises. C'est le prix qu'ils pourront obtenir pour un certain nombre de ces produits qui déterminera en grande partie s'ils auront un revenu net suffisant pour pouvoir continuer à les cultiver de façon rentable.

Je vous donne un exemple. Le canola, que je cultive moi-même, est une culture importante dans les prairies. Ils se vendait 250$ la tonne il y a trois ans; cette année, on pouvait en obtenir 425$ ou 416$. Si le prix demeure à ce niveau, il est bien évident que, dans bien des régions des prairies, on pourra absorber la hausse du coût de transport, mais s'il revient à 250$, ce sera très critique puisqu'on se situera alors tout près du coût de production et même à quelques dollars au-dessous.

Bien des gens ont affirmé sans équivoque que les changements apportés au soutien au transport, qui ont pour effet de réduire le transport des matières premières aux points d'exportation, entraîneront beaucoup de valeur ajoutée - farine, pâtes, oléagineux concassés, tout un secteur d'élevage qui s'épanouira à cause des changements. Jusqu'à maintenant, ce sont essentiellement des paroles. L'année ou les deux années qui viennent diront si elles deviendront réalité.

.1825

Par exemple, si on est à moins de 200 milles d'une usine de pâtes alimentaires et qu'on est producteur de blé, on peut probablement transporter sa marchandise par camion à un coût qui ne dépasse pas celui que l'on paie actuellement pour la transporter à un point d'exportation.

Nous ne connaîtrons probablement pas avant un certain nombre d'années la proportion de cette production qui sera transformée et celle qui sera envoyée à titre de matière première pas plus que nous ne connaîtrons les répercussions sur les agriculteurs. Il est juste de dire que ce sera une transition majeure, et selon l'endroit où l'on vit et la suite des événements, elle variera selon les changements apportés à la réglementation et la réduction des coûts du transport qui découlera des gains d'efficacité du secteur ferroviaire. Il y a maintenant une foule de questions essentielles à régler si l'on veut contrebalancer certains des effets de la perte du soutien au domaine du transport.

M. Brien: Merci.

Le président: Monsieur Discepola, la parole est à vous.

M. Discepola (Vaudreuil): Je pense qu'il y a eu un faux débat, en particulier du point de vue de [Inaudible--Éditeur], au cours duquel on a tenté de dire que l'on avait donné un traitement préférentiel aux agriculteurs de l'Ouest, même si le programme de subventions avait en fait été supprimé, et aux producteurs laitiers, surtout du Québec, où le programme a été réduit de beaucoup.

Vous indiquez aussi dans votrer mémoire, et vous l'avez mentionné dans votre exposé, que les producteurs perdent effectivement entre 12 000$ et 25 000$ de recettes. Vous avez indiqué dans votre réponse à M. Biren que, dans le cas des producteurs laitiers, les consommateurs absorberont probablement en dernière analyse le coût suppléemntaire par l'intermédiaire de rajustements des prix. Est-ce à dire que, dans les deux cas, les agriculteurs n'auront pas à absorber le coût total et qu'une partie pourrait être absorbée par les consommateurs?

M. Wilkinson: J'aimerais clarifier les choses. Je pense avoir dit - mais peut-ètre ne l'ai-je pas fait - que l'industrie laitière avait toujours considéré que les subventions qui lui avaient été versées avaient, en fait, été des subventions aux consommateurs. Ce fait ne s'est pas reflété dans les prix fixés et il a contrebalancé la subvention, ce qui a eu pour effet de conserver le prix du lait à la barrière plus bas qu'il ne l'aurait été si cette subvention n'avait pas existé.

M. Discepola: Est-ce à cause de la loi ou du processus naturel?

M. Wilkinson: En fait, toute indemnité prévue par la formule d'établissement des prix et versée à l'industrie laitière est soustraite de cette formule. Cette subvention a été soustraite dans une grande mesure, au moins psychologiquement, sinon dans les faits, du prix que les producteurs pouvaient demander pour le lait industriel. Tout ce que j'ai dit, c'est que si effectivement le programme continue à être grugé, les producteurs laitiers du Canada ont dit qu'ils voulaient être pleinement indemnisés dans le cadre de la formule d'établisssement des prix afin de pouvoir effectivement transmettre les coûts aux consommateurs.

M. Discepola: Alors, ces mesures n'ont pas beaucoup d'effet en réalité.

M. Wilkinson: Jusqu'ici cependant, il n'y a pas eu d'entente là-dessus, mais nous espérons que cela viendra.

M. Discepola: J'ai deux autres points à soulever rapidement. Vous dites que les indemnités prévues sont destinées aux propriétaires fonciers. Les ententes actuelles sur la location des terres continnent-elles des dispositions permettant aux personnes qui exploitent ou cultivent la terre de recevoir l'indemnité? Il ne semble pas logique de la donner au propriétaire foncier.

M. Wilkinson: C'est une préoccupation pour nous. Premièrement, la loi est assez claire en ce qui concerne les bénéficiaires des indemnités. Mais le Ministre semble avoir annoncé, dans plusieurs discours, qu'il voulait établir un genre de système d'arbitrage permettant aux gens de renégocier ces locations et non le partage des indemnités.

M. Discepola: Je me demandais si les locations ordinaires que vous approuvez contenaient des clauses directes permettant cela ou si nous devions les prévoir au moyen d'un amendement.

M. Wilkinson: Je crois qu'elles n'en contiennent pas parce que la plupart des locations reposent sur l'hypothèse selon laquelle, même si l'indemnité du grain de l'Ouest devait diminuer encore, comme elle l'a fait depuis quelques années, il n'est pas évident qu'elle serait éliminée; si elle l'était, l'indemnité à laquelle elle donnerait lieu n'est pas évidente non plus.

En ce qui concerne les bénéficiaires des indemnités, une foule de gens disent que si les terres devaient être dévaluées en raison des changements apportés à la LTGO, ce qui m'apparaît clair dans certaines régions, il serait alors tout à fait indiqué de verser l'indemnité aux propriétaires fonciers. Mais les gens seront touchés de façon très différente selon l'endroit où ils vivent.

.1830

Il serait peut-être bon de donner un exemple. Un producteur de grain qui vit très près d'une entreprise d'engraissemnt importante et dynamique de l'Alberta peut être en mesure de transporter la production de sa ferme céréalière jusqu'à cette entreprise. Il peut être assez peu touché par la réduction des subventions parce qu'il ne fait pas beaucoup de transport vers un port de l'Ouest, par exemple, et qu'il achemine la majeure partie de sa production à une grande entreprise d'engraissement située 15 ou 20 milles plus loin. Son exploitation agricole sera peut-être très peu touchée mais il n'en recevra pas moins l'indemnité prévue par la loi.

Mais certains secteurs à la frontière de la Saskatchewan et du Manitoba pourraient être très touchés parce que la plupart de leurs produits transitaient par Thunder Bay ou à un coût supérieur et, évidemment, vers la côte ouest à un coût beaucoup plus élevé à cause de la distance et de l'absence d'un secteur d'élevage.

Ce que nous voulons souligner, c'est que les effets des changements varieront énormément selon l'endroit où sont situées les exploitations et selon que l'exploitant est propriétaire ou locataire. Nous rappelons au Comité que, selon les termes précis de la loi, l'indemnité va au propriétaire foncier même si le ministre de l'Agriculture a dit qu'on songeait à instaurer d'autres systèmes qui permettraient de la partager. Nous ne sommes pas sûrs que cette démarche puisse être entreprise. Si la loi est adoptée dans sa forme actuelle où elle énonce clairement que l'indemnité doit être versée au propriétaire foncier, il n'est pas sûr que cett démarche puisse être entreprise légalement. Il est difficile d'imaginer comment on pourrait superposer un système d'arbitrage imposant le partage de l'indemnité.

M. Discepola: Je voudrais, en dernier lieu, traiter de la question du plafond. Certaines des mesures que vous recommandez en ce qui concerne l'article 181 en particulier entraîneraient-elles des frais pour le gouvernement et, si c'était le cas, dans quels domaines?

M. Wilkinson: Il y a une formule d'établissement des prix qui indique comment le système pourrait fonctionner efficacement - d'après ce que nous croyons comprendre, un rendement garanti des investissements et une certaine rentabilité des chemins de fer selon la formule du plafond.

Je crois que nous ne voulons pas que cela soit inclus implicitement dans la loi avant qu'on ait eu le temps de suivre l'évolution de l'ensemble du système parce qu'on peut avoir des raisons d'envisager un aspect différent au cours de la quatrième année ou d'une autre année quelconque. Mais si la loi prévoit l'élimination complète de ce système, on n'aura plus une grande marge de manoeuvre au cours de cette période.

Nous ne pensons pas que le gouvernement aura une obligation fiancière. Il se peut qu'on doive examiner une autre possibilité d'action pour la période visée, mais il faudra que la loi laisse une certaine souplesse sinon il sera quasi impossible de réexaminer la situation à l'approche de la cinquième année.

Le président: Évidemment, les compagnies de chemin de fer disent qu'il n'est pas nécessaire de fixer un plafond, à cause de la concurrence, et qu'elles garderont les prix à un bas niveau. Est-ce que l'expérience que vous avez eue avec ces compagnies est conforme à ce point de vue?

M. Wilkinson: Je crois qu'il est très difficile d'en avoir la preuve. Les coûts du transport ont continué à monter ces dernières années.

Les agriculteurs des Prairies se sont dits inquiets des lacunes du système de manutention ferroviaire, des terminaux, de l'abritrage des conflits de travail; ils ont demandé que les terminaux soient ouverts en tout temps pour traiter le volume et tout, et ils n'ont pas eu de réponse. Je crois qu'on s'inquiète passablement de ce que les compagnies de chemin de fer vont retirer tous les bénéfices et être beaucoup plus libres d'abandonner leurs embranchements non rentables. Je crois qu'on peut dire, sans craindre de se tromper, que les gens estiment avec un peu d'amertume que les compagnies vont s'empresser de rentabiliser le système et de transmettre les bénéfices aux actionnaires.

Le président: Les syndicats de producteurs des Prairies nous ont dit que le coût du transport était d'environ 24 ou 25$ la tonne au Canada. Il est d'environ 54$ canadiens la tonne aux États-Unis. N'avons-nous pas un énorme avantage sur les Américains?

M. Wilkinson: Je ne suis pas sûr de ces chiffres. Je ne peux que vous croire sur parole. Je ne croyais pas que l'écart entre les coûts était important. Il serait intéressant de savoir, par exemple, pourquoi les producteurs de potasse de la Saskatchewan prévoient d'acheter un terminal à Seattle et d'acheminer leur produit par les États-Unis jusqu'à ce terminal. C'est un écart important. Je ne savais pas qu'il était si important. Je regrette de ne pas pouvoir faire de commentaires.

.1835

Le président: Si vous avez effectivement des chiffres sur notre situation concurrentielle, j'aimerais les connaître car ce sera là un des facteurs déterminants du revenu des agriculteurs et de l'avenir du secteur agricole dans ce régime très nouveau et très différent qui a déjà soulevé des controverses dans le passé. Je me souviens des changements que nous avons apportés en 1984 ou 1983; ils étaient très durs tant pour les agriculteurs que pour nous, les politiciens.

M. Wilkinson: La FCA s'en souvient bien. Les luttes internes de nos organisations membres ont failli signer l'arrêt de mort de la Fédération.

Le président: L'indemnité à verser aux agriculteurs ou aux compagnies de chemin de fer, les répercussions sur le Québec, les répercussions sur l'Ouest, c'était une période très difficile.

De toute évidence, vous avez joué un rôle important dans cette question. Vous nous avez proposé des moyens de faciliter la transition et de faire en sorte qu'elle profite non seulement aux agriculteurs et aux producteurs mais au pays tout entier, et nous transmettons votre message au Ministre.

Une fois de plus, le Comité des finances a reçu un excellent exposé et, au nom de tous les membres, j'aimerais vous en remercier.

M. Wilkinson: Merci beaucoup. Nous vous remercions de votre attention.

Le président: Merci d'avoir été parmi nous.

Le prochain témoin est M. Bert Crossman, président de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC).

Merci d'être parmi nous, monsieur Crossman. Pourriez-vous nous présenter les personnes qui vous accompagnent?

M. Bert Crossman (président, Institut professionnel de la fonction publique du Canada): Oui. Merci beaucoup, monsieur le président. Sally Diehl est analyste de la rémunération à la Section de la recherche de l'Institut professionnel. Bob McIntosh est directeur des négociations collectives et des relations de travail à l'Institut.

Ce soir, nous étudierons de plus près les répercussions du projet de loi C-76 sur les employés du secteur public, et en particulier les membres de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada. Le 2 février 1995, le Conseil du Trésor a présenté une offre aux 16 agents qui négocient avec lui, et les éléments de cette offre sont énumérés à la page 3 de notre mémoire.

Vous voyez à la page 4 que la majorité des agents négociateurs ont approuvé cette offre même si elle entraînait la suspension complète de la Directive sur le réaménagement des effectifs dans plusieurs ministères et des concessions en faveur de l'employeur dans les cas où la version modifiée de la directive demeurerait en vigeur. Les agents négociateurs estimaient qu'il était préférable de négocier une entente que de se voir imposer des mesures par voie législative.

Comme le processus de négociation repose sur le consensus, l'offre a été rejetée par la suite parce que toutes les parties ne l'avaient pas acceptée. Toutefois, cette impasse n'aurait pas dû empêcher la poursuite de négociations pour en arriver à un règlement satisfaisant pour toutes les parties.

Le président: Étiez-vous près du consensus?

M. Crossman: Les présidents de tous les agents négociateurs qui avaient reçu l'offre avaient convenu de recommander à leurs instances décisionnelles de l'entériner.

Le président: Combien d'instances décisionnelles l'ont rejetée par la suite?

M. Crossman: Une instance l'a rejetée à l'assemblée de son conseil d'administration.

Le président: Sur 17.

M. Crossman: Oui. Il y avait, en fait, 16 agents négociateurs qui pouvaient voter sur cette offre parce que l'un d'entre eux, celui du Conseil national de recherches, en aurait été exclu.

Le président: Quel agent négociateur l'a rejetée?

M. Crossman: C'est l'Alliance de la Fonction publique du Canada, à l'assemblée de son conseil d'administration, le 2 février. Je crois que c'était cet après-midi là.

.1840

Nous présentons, aux pages 5 et 6 du rapport, une suite troublante de promesses de restauration de la négociation collective, des promesses qui n'ont pas été tenues. Nos membres de la fonction publique en ont évidemment été très déçus.

Nous faisons remarquer, à la page 7, que l'organisme international qui régit les relations de travil, l'OIT, a condamné de nouveau les lois qui retirent unilatéralement les droits des fonctionnaires. Nous concluons en nous demandant pourquoi un employeur du secteur public aurait le droit de refuser de négocier si un employeur du secteur privé n'a pas le droit de le faire. L'employeur fait preuve d'abus de pouvoir en adoptant des mesures législatives qui vont à l'encontre des droits de ses employés.

Nous mentionnons à la page 9 que le projet de loi C-76 empêche l'utilisation d'un mécanisme qui permettrait aux deux parties de régler leurs différends. Nous vous recommandons, à la page 10, de modifier ces mesures législatives pour renvoyer l'examen de la directive sur le réaménagement des effectifs à la tribune appropriée, soit la table de négociation, une tribune dont le gouvernement se proclame le champion.

[Français]

À la page 11, on parle des effets néfastes sur les employés qui restent. Beaucoup de tort a été causé aux fonctionnaires. Les résultats des sondages menés par l'Institut auprès des employés en 1992-1993 montraient que le moral était déjà très bas. Les restrictions salariales et les menaces de compressions ont eu pour effet d'intensifier le stress déjà considérable dans le milieu du travail.

Les employés se sentent impuissants et entièrement à la merci des décisions unilatérales prises par les gestionnaires et le gouvernement.

Dans son article intitulé The Impact of Layoffs on the Survivor, le Dr Joel Brockner explique que les licenciements peuvent causer une grande variété de réactions émotives chez les survivants, notamment de l'anxiété face à leur propre sécurité d'emploi, de la culpabilité parce qu'ils ont toujours un emploi et de la colère envers le processus qui a mené au licenciement de collègues.

Les conséquences émotives des licenciements peuvent se répercuter sur le rendement, la motivation et l'engagement envers l'organisation. Un milieu de travail négatif peut également mener à la perte des meilleurs et des plus brillants employés.

[Traduction]

Les mesures législatives proposées comportent des injustices puisqu'elles s'appliqueront à certains secteurs de la fonction publique visés par les licenciements alors que d'autres n'auront pas accès à ces avantages. Nous estimons qu'il serait plus équitable d'étendre les programmes d'encouragement à l'ensemble de la fonction publique. Départs volontaires par rapport aux licenciements forcés.

Le Conseil du Trésor a informé les agents négociateurs qu'aucune substitution ne serait possible tant pour la prime de départ anticipé que pour le Programme d'encouragement à la retraite anticipée car un tel procédé serait un cauchemar administratif. Il ne fait aucun doute que ce procédé comporterait des difficultés administratives, mais c'est peu comparativement aux avantages que représenterait le jumelage des employés qui désirent rester à ceux qui désirent quitter. Forcer des employés à démissionner alors que leurs collègues qui voudraient quitter leur emploi n'en ont pas la possibilité mènera à un gaspillage tragique des ressources humaines. Dans bien des cas, le mécontentement grondera tant chez ceux qui restent que chez ceux qui quittent. Les contribuables canadiens paieront cher ces mesures administratives à court terme.

Nous indiquons, à la page 14, que le sous-alinéa 7.2(1)a) proposé limite l'application des programmes d'encouragement aux ministères ou secteurs désignés par le gouverneur en conseil. Il serait possible de réduire considérablement le nombre de départs involontaires en étendant les programmes à l'ensemble des ministères. L'institut a entrepris de mettre sur pied une liste d'employés intéressés à devenir des substituts pour ceux qui sont déclarés excédentaires. Cette liste pourrait être utile à l'employeur dans la gestion des substitutions.

Je vous ai apporté un renseignement que j'ai pris à mon bureau juste avant de partir. Nous avons demandé aux membres d'indiquer s'ils seraient intéressés à une substitution. Ils ont probablement reçu notre message il y a huit ou neuf jours. Nous avons déjà obtenu 150 réponses.

.1845

Le président: Sur combien?

M. Crossman: Je ne sais pas.

Bob, le savez-vous?

M. Bob McIntosh (gestionnaire, Négociations collectives et relations de travail, Institut professionnel de la fonction publique du Canada): Le message a été envoyé à presque tous les membres, soit 30 000 personnes.

M. Crossman: Environ 30 000 personnes l'auraient reçu par la poste. Ces réponses nous sont donc parvenues très rapidement.

Le président: Vous avez reçu 100 réponses après dix jours.

M. Crossman: Oui, et dix jours après la date d'envoi.

Le président: On aurait pu croire que les gens auraient besoin d'au moins un mois pour prendre une décision si importante pour eux.

M. Crossman: Je croyais effectivement qu'un délai de 30 jours était raisonnable. Je ne vous donne que le nombre des réponses qui nous sont parvenues tôt, et ce nombre comprend celles qui sont arrivées hier. Je ne l'avais pas plus tôt, mais l'échéancier est très serré.

Le président: Pourriez-vous demander à votre commis de nous transmettre le nombre exact de réponses positives que vous aurez reçues après un mois?

M. Crossman: Oui. Nous pouvons également ventiler les données par ministère si cela vous intéresse. Nous les classons ainsi.

Je poursuis mon exposé. Les employés qui ont actuellement le statut d'excédentaires sont visés par la version actuelle de la Directive sur le réaménagement des effectifs. Toutefois, les mesures législatives proposées prévoient que, au moment où l'article 3 de la Loi entrera en vigueur, le nouveau programme s'appliquera à ces employés, ce qui constituera un changement de statut rétroactif.

L'indemnité de départ de 15 semaines prévue par la directive sur le réaménagement des effectifs dans le cas des employés qui choisissent la retraite anticipée disparaît, et c'est là une perte importante. Il est inconcevable que le gouvernement change les règles du jeu à mi-chemin, et c'est d'autant plus inquiétant à la lumière des récentes affirmations du premier ministre au Parlement. Sur la question des pensions pour les députés, le très honorable Jean Chrétien déclarait, le 27 février 1995:

Les employés déclarés excédentaires en vertu de la version actuelle de la Directive sur le réaménagement des effectifs doivent conserver leurs droits s'ils le veulent. Toutefois, ils ne devraient pas être privés de l'accès volontaire aux indemnités de départ proposées. Je voudrais ajouter que les plans de mise en oeuvre de certains ministères viendront aggraver une situation déjà mauvaise. Ainsi, Industrie Canada vise à couper 1 250 postes au cours de la période de trois ans de l'examen des programmes, mais elle supprimera 1 100 de ces postes la première année.

[Français]

Les programmes de retraite anticipée pour les autres employeurs: Le Programme d'encouragement à la retraite anticipée est présentement offert aux employés excédentaires aux termes de l'annexe I, Partie I, de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. L'accès à la prime de départ anticipée est réservé aux employés des ministères fédéraux les plus touchés qui sont énumérés à cette annexe. Ceci constitue de la discrimination envers les fonctionnaires d'autres organismes qui ont fait l'objet des mêmes restrictions sous la Loi sur la rémunération du secteur public et qui cotisent au Régime de pensions de la Fonction publique.

Dans la plupart des cas, ces fonctionnaires fédéraux n'ont pas la même sécurité d'emploi que leurs collègues dont l'employeur est le Conseil du Trésor. Ces organismes ne sont pas plus immunisés contre les coupures et les licenciements que le reste de la Fonction publique. Par exemple, au moins 50 personnes ou 8 p. 100 des employés perdront leur emploi à l'Office national du film pendant le présent exercice.

Le Conseil national de recherches du Canada sera de nouveau amputé de fonds considérables, soit un montant de 76 millions de dollars. Les employés des musées qui sont licenciés ne sont protégés que par une DRE antérieure à la version actuelle en raison de leur date de constitution en société d'État.

Il semble que plusieurs employeurs distincts demanderont à être visés par le PRA et qu'en temps opportun, une décision sera prise à cet égard. Pour le moment, nous voulons insister sur l'importance d'étendre ce programme à tous ces employés au nom de la justice et de l'équité.

De plus, leurs employeurs doivent avoir accès au fonds de transition de 2,6 milliards de dollars annoncé dans le Budget 1995 pour ne pas être contraints de financer le coût des compressions à même leur budget actuel.

.1850

[Traduction]

Les employés seront aux prises avec une des plus importantes décisions de leur vie quand ils devront choisir entre demeurer des fonctionnaires régis par la Directive sur le réaménagement des effectifs telle que modifiée ou accepter une prime de départ anticipé (PDA) et démissionner de la fonction publique.

Si le projet de loi est adopté, il est possible que l'information concernant la PDA ne sera pas connue avant la sanction de la loi. Par conséquent, les employés qui seront éventuellement déclarés excédentaires auront peu de temps pour évaluer l'offre finale avant de prendre une décision très difficile. En outre, si les ministères sont pressés de satisfaire aux réductions proposées aux budgets de fonctionnemente, ils se sentiront obligés d'envoyer des avis d'employés excédentaires dès l'entrée en vigueur de la loi.

Les employés qui prendront le temps d'évaluer leur situation personnelle écourteront d'autant leur période d'employés excédentaires rémunérés. Pour ces raisons, l'Institut professionnel de la fonction publique demande au gouvernement d'établir une période de 60 jours en plus de la période d'emploi excédentaire de six mois rémunérée. Ou bien, on pourrait prolonger la période de soixante jours de façon à inclure 30 jours de plus avant le début de la période d'emploi excédentaire de six mois rémunérée.

[Français]

À la page 20, on parle d'un autre régime de travail. Les fonctionnaires ont actuellement accès, grâce à leur convention collective, à différents régimes de travail qui leur permettent de réduire temporairement ou graduellement leurs heures de travail et, de ce fait, de réduire également la charge salariale de la Fonction publique.

Une suggestion faite par plusieurs membres de l'Institut mérite d'être examinée. Un grand nombre de professionnels hautement spécialisés, surtout dans les groupes scientifiques, qui ont consacré leur carrière à la fonction publique, font face à un licenciement. La nature de leur travail et le caractère spécifique des recherches les limitent souvent aux entreprises du gouvernement. Autrement dit, le secteur privé n'est ni en mesure de mener ces projets de recherche et de développement ni intéressé à le faire. Dans le contexte économique actuel, la valeur actuelle et la valeur éventuelle de ces activités risquent d'être passées sous silence malgré leurs bienfaits pour le public.

Comme solution temporaire à ce problème, ces employés pourraient être disposés à continuer à travailler à temps plein en ne recevant qu'une part de leur rémunération du gouvernement fédéral. Ces employés pourraient ainsi poursuivre leurs projets et continuer de mettre en application les compétences et l'expérience acquises au cours des années.

Il serait possible d'obtenir des fonds additionnels par voie de partenariat avec les industries, les universités ou d'autres administrations publiques. Il faudrait négocier les détails avec les parties, mais ces arrangements se sont avérés viables dans plusieurs universités canadiennes.

[Traduction]

Je pense qu'il est essentiel de transmettre aux agents négociateurs tous les renseignements concernant l'administration du programme de compressions échelonné sur trois ans. D'énormes pouvoirs sont octroyés aux gestionnaires en ce qui a trait à la mise en oeuvre de changements profonds dans les effectifs et ils doivent être tenus de rendre des comptes à cet égard.

Il faut établir un mécanisme d'information et, dans la mesure du possible, de consultation. Nous proposons la création d'un comité mixte syndical-patronal chargé de contrôler et de faciliter le réaménagement des effectifs découlant de l'examen des programmes, réaménagement qui touche les membres de l'Institut professionnel de la fonction publique. Ce comité aurait pour mandat de tenir un répertoire national des plans ministériels comportant le déplacement des fonctionnaires représentés par l'Institut professionnel; d'échanger de l'information sur la mise en oeuvre de ces plans; de définir et de prendre des mesures propres à faciliter le réaménagement des effectifs.

Le but du comité serait de créer un climat de collaboration propice à l'examen de meilleures pratiques, des problèmes et des incohérences dans le réaménagement des effectifs à l'intérieur des ministères. Les parties s'engageraient à privilégier des façons justes et équitables qui respecteraient les intérêts des employés tout en permettant de réaliser les objectifs de l'examen des programmes.

Nous croyons fermement que si toutes les parties travaillent main dans la main pour atteindre l'objectif des politiques publiques, les changements peuvent se faire sans perturbations et sans bouleversements personnels. En cette période difficile, il est particulièrement important de traiter les employés avec dignité et respect et de préserver leurs droits individuels et collectifs. Une bonne gestion de la fonction publique repose sur le traitement juste et équitable des employés. Comme il ressort de ce que nous avons expliqué, les mesures législatives proposées ne répondent pas à ces critères.

Nous offrons des solutions de rechange pour faciliter l'adaptation de tout changement survenant dans le milieu de travail, et nous souhaitons vivement collaborer avec vous à la rédaction de modifications précises au projet de loi afin de remédier aux problèmes que nous soulevons dans notre mémoire.

.1855

Je vais passer en revue avec vous les recommandations qui figurent aux pages 24 et 25 de notre mémoire.

[Français]

Nous recommandons la suppression des parties du projet de loi C-76 qui traitent de la Fonction publique et tout particulièrement des changements à la Loi sur la rémunération du secteur privé et à la Directive sur le réaménagement des effectifs, ainsi que le renvoi de ces questions aux parties concernées pour qu'elles reprennent les négociations.

Deuxièmement, nous recommandons que les coûts de la prime de départ anticipé soient défrayés à même les 2,6 milliards de dollars de frais de restructuration annoncés dans le budget. Si le ministère doit défrayer ces coûts à même son budget de fonctionnement, cette situation engendrera de nombreux problèmes et entraînera davantage de licenciements.

Troisièmement, nous recommandons que la période de 60 jours accordée aux employés pour décider entre la Directive sur le réaménagement, telle que modifiée, et le PDA ne compte pas dans les six mois donnés aux employés excédentaires rémunérés. Les employés ne seront pas en mesure de prendre cette importante décision tant qu'ils n'auront pas en main tous les faits concernant les options offertes. Par ailleurs, la période de 60 jours pourrait être prolongée à 90 jours et la période excédentaire rémunérée de six mois pourrait commencer le 31e jour.

[Traduction]

Quatrièmement, que les programmes d'encouragement à la retraite anticipée et au départ anticipé s'étendent à tous les employés excédentaires visés par l'annexe I, partie II de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, ainsi qu'aux employés des musées qui sont devenus des sociétés d'État. En toute équité, il faut leur donner accès à ces programmes.

Par exemple, pourquoi les employés du Conseil national de recherches qui cotisent au régime de pension et dont le salaire et les avantages ont été gelés par la Loi sur la rémunération du secteur public, n'ont-ils pas droit à la protection d'une offre d'emploi raisonnable garantie par la DRE actuelle? Cet employeur distinct sera amputé de 76 millions de dollars de financement, ce qui équivaut à environ 500 postes. Les employés des musées visés par les anciennes mesures lors de leur constitution en sociétés d'État sont tout de même frappés par le gel salarial et ils cotisent toujours au régime de pension.

Cinquièmement, et cette recommandation me semble capitale, il faudrait qu'un programme de substitution soit mis sur pied pour qu'un employé souhaitant quitter la fonction publique puisse échanger son poste avec un employé déclaré excédentaire, pourvu que le remplaçant ait les qualifications nécessaires pour occuper le poste. Ceci est particulièrement important pour les postes professionnels spécialisés dont le nombre est limité et que l'on retrouve dans plus d'un ministère.

Sixièmement, que l'on mette sur pied un comité mixte pour contrôler et faciliter le réaménagement des effectifs faisant suite à l'examen des programmes.

Septièmement, que les fonctionnaires déclarés excédentaires sous le régime de la DRE actuelle conservent leurs droits s'ils le veulent sans toutefois être privés de l'accès volontaire aux indemnités de départ proposées.

[Français]

Merci beaucoup. Il me fera plaisir de répondre à vos questions.

M. Brien: Votre présentation était très claire et très bien structurée, et je vous en remercie.

Évidemment, l'objectif n'est pas d'éliminer des postes, mais il y a là un souci budgétaire. Des gens disent que lorsqu'on fait des coupures, on va souvent vers la sous-traitance et, à ce moment-là, les économies qu'on aurait voulu réaliser ne sont pas aussi significatives qu'elles auraient pu l'être. Avez-vous des craintes à cet égard?

M. Crossman: Il est fort probable qu'en éliminant un emploi, il soit possible qu'un gestionnaire le remplace par la sous-traitance. Je comprends bien que, selon les règlements actuels, cela ne devrait pas arriver. Si on élimine les postes, on ne comblera pas le poste par la sous-traitance par la suite.

Je crois que c'est la façon de faire les choses, mais nous n'avons pas d'expérience jusqu'à maintenant étant donné que le programme est nouveau.

M. Brien: D'accord. Dans ma région, un travailleur qui pourrait probablement se classer pour la retraite anticipée m'expliquait qu'un certain nombre de personnes ayant accumulé un certain nombre de jours de congé de maladie pensaient à être relocalisées dans la structure. Certains auront tendance à faire cela pour essayer d'écouler leurs congés de maladie, mais pas nécessairement pour partir.

Dans la prime du départ, on ne tient pas compte du nombre de jours de congé de maladie accumulés. Est-ce qu'il y a moyen d'en tenir compte? Est-ce que ces gens ont raison de se poser des questions ou de sentir qu'ils se sont fait avoir? Ils ont été de bons employés durant un certain nombre d'années et maintenant ils se retrouvent en situation où ils ne pourront jamais utiliser ces congés.

Je ne connais pas exactement la situation de ceux qui parlent, mais souvent, de gros changements causent beaucoup de stress. Je suis fortement convaincu qu'il y a certains employés à qui leur médecin pourrait recommander de prendre des congés.

.1900

Je ne pense pas que cela tire son origine du projet de loi C-76 dont on parle ici aujourd'hui. Je pense que ça ne s'applique pas nécessairement aux recommandations qu'on fait au Comité. C'est une autre partie de la convention collective.

J'aimerais que vous m'expliquiez. Vous parlez de fonctionnaires excédentaires. Vous dites que ceux qui veulent quitter doivent avoir la possibilité de le faire sur une base volontaire pour permettre aux employés excédentaires de se reclassifier. Est-ce qu'une telle mesure pourrait facilement être mise en oeuvre?

M. Crossman: Je peux vous donner un exemple dans le domaine du génie. Dans les ministères les plus affectés, il y a des gens excédentaires. Dans les ministères qui ne sont pas affectés, il y a des postes en génie qui peuvent être comblés par ces professionnels excédentaires.

C'est facile à voir. Nous recevons déjà des formules dans les différents ministères. On voit qu'il y a des gens qui sont intéressés. Cela pourrait peut-être causer des problèmes administratifs au Conseil du Trésor et aux agents de la Commission de la Fonction publique du Canada. Cela veut dire que les gestionnaires sont forcés de travailler un peu plus fort pour gérer le système, mais si on ouvre le programme à tous les employés de la Fonction publique, il y aura très peu de gens déplacés et très peu de gens qui seront obligés de prendre leur retraite ou de quitter tôt leur emploi contre leur gré. C'est pour cela qu'il est très important de mettre au point un tel système.

L'Institut professionnel de la Fonction publique du Canada est prêt à donner un coup de main à l'employeur et à lui indiquer comment il envisage le fonctionnement d'un tel système.

M. Brien: Vous suggérez aussi qu'il y ait un comité de travail formé pour échanger de l'information et pour voir comment on pourrait mettre en oeuvre ce que vous suggérez.

M. Crossman: Exactement. Les cadres ont une grosse responsabilité, car ils doivent prendre des décisions très importantes. Il faut qu'ils soient responsables de leurs décisions.

Nous pouvons être une partie du processus. Nous pourrions être là pour surveiller et pour donner de de l'informations. Nous connaissons nos membres et leur situation. On parle souvent avec les employés des autres ministères. Quelquefois, les cadres d'un ministère n'ont peut-être pas la chance de savoir ce qui se passe dans les autres domaines. C'est nous qui avons l'expérience.

Le président: Merci, monsieur Brien. Vous avez posé une bonne question.

[Traduction]

Mme Stewart (Brant): Monsieur Crossman, madame Diehl et monsieur McIntosh, je vous remercie de votre excellente présentation.

J'aimerais tout d'abord souligner qu'au cours des bons entretiens que nous avons eus avec l'Institut professionnel de la fonction publique au cours des derniers mois, j'ai toujours trouvé les représentants de votre association extrêmement professionnels et positifs. Les réflexions contenues dans votre mémoire sont très claires et constructives, et je vous en félicite.

Je trouve vos arguments très convaincants. Comme vous le savez, nous avons déjà discuté de ce sujet. J'aimerais, cependant, savoir si le projet de loi qui a été déposé est très différent des mesures auxquelles les agents négociateurs avaient donné leur accord?

M. Crossman: Si vous vous reportez à la page huit de notre mémoire, vous verrez, dans le bas de la page, les modifications convenues à la directive sur le réaménagement des effectifs. J'attire votre attention sur les deux paragraphes en retrait. La suspension de l'indemnité de cessation d'emploi...

Mme Stewart: [Inaudible - Éditeur]... c'est quelque chose qu'on avait déjà vu.

M. Crossman: C'est vrai, on a supprimé cette indemnité.

Quant aux restrictions géographiques applicables aux offres de nomination garanties faites dans les cas de privatisation ou de sous-traitance au sens de la directive, les agents négociateurs avaient accepté que la zone d'affection soit porté à 40 kilomètres. Cependant, le projet de loi indiquait que cette zone était étendue à toute la province - , ce qui nous avait semblé quelque peu discriminatoire. En effet, si vous travaillez dans une province aussi grande que le Québec et que vous risquez fort d'être muté dans une autre ville, votre sort ne se compare pas à celui d'un fonctionnaire de l'Île-du-Prince-Édouard. Ensuite, on a étendu encore davantage la zone d'affectation, qui pouvait aller jusqu'à 40 kilomètres à l'extérieur de la province. On voit que la portée de cette mesure a été considérablement étendue.

.1905

Là où nous avons perdu, c'est qu'on a retiré ce qui faisait le principal attrait [Inaudible] l'entente qu'on nous proposait sur le réaménagement des effectifs. On nous avait offert la possibilité de reprendre la négociation collective, de négocier tout sauf les clauses salariales. Et ainsi, nous aurions pu avoir droit à l'arbitrage; nous n'aurions pas eu le droit de grève pendant que la loi était en vigueur, mais au moins nous aurions pu discuter des conditions d'emploi de nos membres.

Nous comptons parmi nos membres des fonctionnaires du groupe de la gestion des systèmes d'ordinateurs qui sont sans convention collective depuis 1988, et on sait combien l'informatique a évolué depuis. Je pense que beaucoup de ministères auraient intérêt à revenir à la table de négociations pour discuter de certains de ces cas.

On nous a fait miroiter la possibilité de reprendre les négociations collectives, et, bien entendu, cette possibilité n'existe plus dans le projet de loi, parce qu'elle a été sensiblement réduite. Nous pourrions bien revenir à la table de négociations, mais ce ne serait que pour discuter de mesures qui n'entraîneraient aucune augmentation des coûts; la portée d'éventuelles négociations collectives s'est vraiment rétrécie et nous avons été très déçus de voir cette possibilité disparaître elle aussi.

Nous avons travaillé très fort, dans nos pourparlers avec le gouvernement, pour obtenir cette possibilité, et ce qu'on nous offrait au départ n'avait rien à voir avec ce que nous avons obtenu en fin de compte. Quant à moi, j'espérais qu'après avoir vu tout le travail que nous avions abattu à la table de négociations, le gouvernement aurait jugé bon d'intégrer nos propositions dans le projet de loi, même si nous n'avions pas pu obtenir l'accord du syndicat dissident. Mais il semble qu'en fin de compte, on ait ajouté à notre intention des mesures punitives supplémentaires, si vous me passez l'expression. Et pourtant, nous n'avions rien fait du tout pour compromettre le déroulement des négociations, nous avions déployé tous les efforts possibles pour parvenir à un consensus.

La suite des événements telle qu'elle a été décrite dans un article paru dans le Ottawa Citizen le 3 février indiquait qu'il était impossible de poursuivre les discussions, alors que nous étions prêts à travailler pendant toute la fin de semaine, quatre jours de suite, avec nos équipes. Les dirigeants du CNM étaient présents et nous étions tout à fait prêts à traduire cette entente en termes concrets. J'ai donc été très déçu d'entendre le président du Conseil du Trésor nous annoncer ces mesures punitives le 21 février.

Mme Stewart: Lorsque les fonctionnaires du Conseil du Trésor ont comparu devant nous, je les ai interrogés au sujet de leur stratégie et de l'approche qu'ils avaient adoptée: désigner certains postes au lieu d'offrir l'ensemble de mesures à un plus grand nombre de fonctionnaires. Ils m'ont répondu que cette façon de procéder leur avait semblé la plus efficace. Comment réagissez-vous à cette position, à cette idée de l'efficacité?

M. Crossman: Je suppose que mon point de vue diffère quelque peu de celui des gestionnaires à qui il incombera, en dernier essor, de mettre à exécution le programme de substitution.

Permettez-moi de souligner que nos membres sont des professionnels dotés de connaissances et de compétences indispensables à l'administration publique fédérale. Beaucoup d'entre eux ont plus d'un diplôme et des années d'expérience. Ce sont des employés très brillants qui sont capables de s'adapter à un nouveau milieu de travail, dans un autre ministère. L'employé qui travaille dans un domaine scientifique précis et qui a les compétences nécessaires peut être muté à un autre ministère. Il lui faudra peut-être un certain temps pour atteindre sa vitesse de croisière mais allons-nous accepter de perdre tout ce que nous avons investi dans cet employé pendant 20 ou 25 ans alors qu'il serait possible de le muter à un autre ministère?

Plus tôt, nous avons parlé des ingénieurs, des agents de commerce. Industrie Canada est un ministère qui sera durement touché par la compression des effectifs. Or, les fonctionnaires de ce ministère ont des compétences extrêmement variées qui les qualifient pour toute une gamme de postes de professionnels. Certains d'entre eux ont fait des études de génie et pourraient très bien se présenter à un concours visant à combler un poste d'ingénieur dans un autre ministère, advenant qu'un ingénieur veuille prendre sa retraite.

Il y a beaucoup de possibilités de ce genre mais je pense que le projet de loi, sous sa forme actuelle, les limite grandement. Si on adoptait la formule que nous proposons, tout le monde y gagnerait. S'il acceptait d'apporter les modifications de cette nature au projet de loi, le gouvernement montrerait qu'il se soucie du bien-être de ces personnes. En fin de compte, il arriverait peut-être à supprimer les 45 000 postes prévus sans provoquer la colère ni le mécontentement. Dans le pire des cas, il n'y aurait qu'une poignée - plutôt que des milliers - de mécontents.

Mme Stewart: À votre avis, est-ce que le contribuable qui reçoit les services - le véritable client, en définitive - fera les frais d'une telle formule?

M. Crossman: Non, je ne le crois pas. La seule chose qui intéresse le contribuable, c'est la facture, ce qu'il en coûtera d'appliquer cette formule.

.1910

Des fonds ont été réservés pour la formation dans ces programmes, et je crois que dans bien des cas ce transfert pourra se faire sans qu'il en coûte grand chose. L'un dans l'autre, l'on arrivera peut-être même à faire quelques économies grâce aux compétences que certains employés pourront mettre à contribution dans leurs nouveaux postes.

Il me semble que nous nous sommes engagés dans une voie qui laisse peu de place à la créativité; aucune largeur de vue. Nous sommes obnubilés par l'idée d'atteindre l'objectif de 45 000 postes à couper parce qu'il faut à tout prix réduire le déficit dans les années à venir. Mais je pense qu'au bout du compte nous rendons un mauvais service au contribuable puisqu'en licenciant un grand nombre d'employés, nous perdons une énorme mine de compétences.

Mme Stewart: En vous écoutant parler de cette idée de substitution et de la pensée créative ou, si l'on veut de largeur de vue, je me demande si vous ne constatez pas justement que les gestionnaires à qui incombe cette tâche difficile, ceux qui seront appelés à rendre des comptes à cet égard, font preuve de plus de créativité et d'une vision plus large que prévues. Je me demande, en fin de compte, si nous n'avons pas là la preuve d'une grande souplesse - Dieu merci - qui s'explique justement par la qualité des fonctionnaires qui sont chargés de mettre le programme en application.

M. Crossman: Je suis heureux de vous l'entendre dire, d'autant plus que quand cette idée des substitutions d'employés a été proposée pour la première fois, et que j'avais encore espoir que les pourparlers sur le réaménagement des effectifs se poursuivraient, j'ai cru comprendre que la plupart des ministères rejetaient catégoriquement cette idée. Depuis, j'ai eu l'occasion de discuter avec des cadres supérieurs, lors de conférences, par exemple et je dois dire que bon nombre d'entre eux ont déclaré qu'ils appuyaient l'Institut professionnel et qu'ils se demandaient pourquoi on ne pourrait pas envisager les mutations d'employés entre différents ministères.

Il y a une dizaine de jours, j'ai pris la parole devant une centaine de cadres supérieurs d'Agriculture Canada, et ils ont bien accueilli l'idée de substitution. Je leur ai dit que je comparaîtrais devant votre Comité pour pouvoir faire valoir les avantages de cette formule.

Il y a même des gestionnaires qui voudraient que ces substitutions puissent se faire non seulement à l'intérieur de leur ministère mais aussi à l'extérieur. C'est le cas tout particulièrement des ministères où beaucoup de membres travaillent dans des secteurs scientifiques; les gestionnaires sont conscients des avantages qu'il y aurait à élargir les zones dans lesquelles pourraient s'effectuer des substitutions de fonctionnaires. Il y a donc effectivement des cadres qui sont d'accord avec notre proposition.

Mme Stewart: J'ai moi-même pu le constater en parlant à certains gestionnaires avec lesquels je suis régulièrement en contact, et j'ai été très heureuse de constater leur largeur de vue sur cette question et la souplesse dont ils semblent faire preuve à cet égard.

Je suppose que le comité d'information tel que vous le proposez devient alors encore plus important, puisque les cadres auront une certaine marge de manoeuvre pour appliquer cette formule. Les renseignements sur les possibilités de bénéficier de cette souplesse doivent être bien communiqués à tous les intéressés. C'est sans doute pour cela que vous proposez un mécanisme de communication.

M. Crossman: Effectivement.

Il y a quelques années, en 1992 ou 1993, nous avons fait des sondages auprès de nos membres et nous en avons fait connaître les résultats le 17 mars 1994 dans le livre rouge publié par l'Institut. Une des plaintes exprimées très clairement par les employés professionnels était que très souvent, ils n'étaient pas consultés et ils n'avaient pas la possibilité de participer à la prise de décision en faisant valoir leur point de vue.

Je vous assure que l'Institut professionnel de la fonction publique est très intéressé à ce qu'un tel comité soit créé et qu'il ne mettra pas de bâtons dans les roues. Nous souhaitons y apporter notre contribution, notre expérience collective et les connaissances que nous avons accumulées au fil des ans pour aider les fonctionnaires touchés.

Je pense qu'à notre époque, il faut collaborer pour régler les problèmes, parce que si un gestionnaire a un problème, c'est son employé, notre membre, qui finit par avoir un problème et ce problème devient ainsi le nôtre. Nous devons tendre vers cette coopération, et c'est ainsi que je vois ce comité, il doit être animé d'un esprit constructif. J'espère que parmi les membres qui y siègeront, il y aura des cadres d'une certaine largeur de vue, des gestionnaires qui ne sont pas aveuglés par l'idée pure et simple d'atteindre un nombre cible de licenciements. Je sais qu'ils devront atteindre cet objectif, mais il y a plus d'une façon d'y arriver. Et la façon de procéder qu'ils privilégiaient au départ peut très bien évoluée vers d'autres formules.

Quand j'entends dire qu'au ministère de l'Industrie cette année, on veut procéder à presque toutes les coupures projetées, c'est-à-dire 1 250 postes, et qu'il ne resterait que quelques centaines de fonctionnaires en poste, je me demande comment on pourra faire preuve de souplesse dans un délai si court? Vous risquez de perdre des employés que vous auriez pu conserver pendant un an ou deux de plus grâce à un arrangement quelconque avec un autre ministère, par exemple. Cela aurait permis à ces employés de bénéficier de conditions avantageuses en quittant la fonction publique, sans qu'il en coûte un dollar de plus aux contribuables.

.1915

Mme Stewart: Je tiens à vous dire combien j'apprécie tout le travail que vous avez fait afin de proposer cette solution, et je suis persuadée que vos membres l'apprécient également.

M. Crossman: Merci, madame.

Le président: Pourquoi pensez-vous que, si le gouvernement reprenait les pourparlers avec les syndicats, l'Alliance de la fonction publique donnerait son accord à des mesures qui seraient acceptables?

M. Crossman: Au risque de m'aventurer, je voudrais rappeler que la semaine après l'interruption des négociations, nous sommes tous les deux allés voir le président du Conseil du trésor et les médias pour leur parler du programme de substitution. Nous avons alors déclaré que si cette formule était admise, ce serait un compromis acceptable qui permettrait de reprendre les pourparlers. Aujourd'hui, je constate que votre comité réagit favorablement à l'idée de substitution entre fonctionnaires. Je pense que l'acceptation de cette formule pourrait très bien avoir un influence favorable sur la décision des dirigeants de l'Alliance.

Je m'empresse cependant d'ajouter, je me garderai bien de parler au nom de l'Alliance. Loin de moi l'idée de le faire.

Le président: Allez, je vous en prie.

M. Crossman: Il n'en est pas question. Je rappelle simplement que c'est de ce sujet que nous voulions discuter la semaine du 6 et du 10 février, c'est cette solution que nous tentions de proposer. On nous a opposé un «non» catégorique à ce moment-là, mais si à présent nous constatons une plus grande réceptivité à cette idée, cela nous aidera peut-être à prendre certaines décisions.

Je suis persuadé que le gouvernement aura tout intérêt à parvenir à un règlement négocié. Cela donnerait de lui une image plus favorable en tant qu'employeur et cela donnera le ton de ses futures relations avec ses employés.

L'écart est tellement grand entre les solutions convenues par toutes les parties et les mesures imposées. Même si les mesures décrétées par la voie législative sont presque les mêmes que celles auxquelles les négociations auraient abouti, il n'en demeure par moins que l'on a balayé du revers de la main le droit fondamental de négocier. À mon avis, rien ne pourrait envoyer un message plus fort que de convenir d'une formule aux termes d'une négociation collective.

Le président: Il me semble que les fonctionnaires du Conseil du Trésor nous ont dit, lorsqu'ils ont comparu devant notre comité, qu'on ne pouvait permettre la substitution parce que, selon le Vérificateur général, cette formule serait inefficace ou innapplicable. Est-ce que je me trompe?

M. Crossman: Je demanderais à Bob de répondre à cette question.

M. McIntosh: La difficulté que le Vérificateur général a soulevé ne se posait pas vraiment dans le cas d'un programme de substitution. Il parlait du cas où le poste d'un employé déclaré excédentaire et licencié demeurerait après le départ de l'employé et où l'on tenterait de muter un autre fonctionnaire à ce poste ou encore de retenir par contrat les services du fonctionnaire licencié, pour faire le même travail. Autrement dit, il parlait de cas où le licenciement ne serait pas légitime. Ce n'est donc pas la même chose.

Comme M. Crossman l'a signalé, nous avons déjà le nom d'environ 150 employés qui souhaitent quitter la fonction publique. Si leurs compétences correspondent à celles de 150 fonctionnaires déclarés excédentaires, on se trouvera à éviter le licenciement de 150 employés. Si on appliquait cette formule à l'ensemble de la fonction publique, on pourrait toucher des milliers de poste.

Le président: Dans votre syndicat, pouvez-vous savoir, d'une façon officieuse quels postes pourraient se prêter à une substitution?

M. Crossman: Oui. C'est justement ce que la liste que j'ai devant moi indique.

Le président: Ces employés sont prêts à quitter la fonction publique?

M. Crossman: Oui. Ils ont donné divers renseignements les concernant: leur nom, leur adresse, etc.

Le président: Qui serait chargé de mettre ce programme à exécution? Qui aurait les ordinateurs, les qualifications voulues; qui pourrait transmettre ainsi à divers ministères des milliers de noms?

M. Crossman: Je pense qu'il faudrait confier cette tâche à une organisme central, la Commission de la fonction publique, par exemple.

Le président: Nous avons vu beaucoup de gens qui se sont présentés à notre audience ce matin qui ne semblaient pas avoir grand chose à faire. Je suis persuadé qu'ils seraient ravis de s'en charger.

M. Crossman: Nous ne manquerions pas de leur faire connaître nos idées au sujet de la façon d'appliquer un tel programme.

Je pense qu'il faut que ce soit une entreprise de coopération. Les ressources nécessaires pour mener à bien ces opérations existent. Par le passé, ils nous est arrivé de mettre sur pied un bureau central à l'intention du personnel excédentaire. Il faudra le faire à plus grande échelle, mais nous savons comment nous y prendre. Au fil des ans, nous avons beaucoup appris au sujet du réaménagement des effectifs et nous aimerions mettre nos connaissances à contribution.

Le président: Au nom de tous les membres de notre comité, je vous remercie de votre excellent mémoire. Vous y présentez des arguments très solides et très convaincants. Vous n'avez pas contesté la décision du gouvernement d'intervenir de façon très brutale dans ce dossier. Vous l'avez acceptée tout en faisant valoir qu'il y a d'autres façons de mettre cette décision à exécution. Vous avez présenté des arguments très solides qui, je crois, ont su convaincre tous les membres de notre Comité.

.1920

En tant que président du Comité, je ne peux pas, bien entendu, me prononcer parce que je suis en conflit d'intérêts. Mon greffier est membre de votre syndicat et je dépends beaucoup du travail des excellents greffiers qu'on a affecté à notre comité. Je vous remercie pour tout le travail que vous avez fait et pour votre excellent exposé.

M. Crossman: Merci, monsieur le président. C'est un honneur pour nous de comparaître devant le Comité et nous vous remercions de nous avoir écouté.

Le président: Bert, votre Français est excellent. Mes compliments.

M. Crossman: Merci beaucoup, monsieur le président.

Le président: La séance est levée jusqu'à 15h30 demain.

Retourner à la page principale du Comité

;