[Enregistrement électronique]
Le jeudi 11 mai 1995
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte.
Nous poursuivons notre examen du projet de loi C-76. Notre dernier témoin cet après-midi est Mme Traci Walters, directrice nationale de l'Association canadienne des centres de vie autonome.
Bienvenue madame Walters. Nous sommes impatients d'entendre votre témoignage.
Mme Traci Walters (directrice nationale, Association canadienne des centres de vie autonome): Merci. Je trouve très difficile de me présenter devant vous pour discuter de ce projet de loi et l'analyser. Je peux à peine le lire, alors j'essaierai en fait de simplifier ce que je sais, les éléments que je comprends. L'expression que je comprends bien, c'est le «financement global». Voilà une question dont je pourrais peut-être parler.
J'aimerais vous parler un peu du mouvement pour la vie autonome. Vous avez reçu Laurie Beachell, de la Coalition des organisations provinciales, ombudsman des handicapés. C'est l'organisme politique et systémique national de défense des personnes handicapées.
Le mouvement pour la vie autonome a vu le jour aux États-Unis et a fait son chemin jusqu'au Canada. L'objectif est d'habiliter les gens à l'échelle locale et de collaborer avec eux. La Coalition des organisations provinciales, ombudsman des handicapés et l'Association canadienne des centres de vie autonome travaillent ensemble et avec les personnes handicapées.
Ce mouvement est donc très intéressant, et j'aimerais vous en glisser quelques mots. Il nous est arrivé des États-Unis dans les années 1970, lorsque de nombreux soldats sont revenus de la guerre du Viêt-Nam et ne pouvaient pas tolérer la façon dont les personnes handicapées étaient traitées. Ils entreprirent de définir les services nécessaires, parce qu'en général, les organismes ou les grandes administrations créent des services qui ne répondent pas aux besoins des personnes handicapées.
C'est à Berkeley, en Californie, qu'on a mis sur pied le premier centre de ressources pour la vie autonome. On en compte aujourd'hui 350 aux États-Unis. Nous en avons 21 au Canada, et un certain nombre de demandes sont à l'étude.
Ces organismes sont dirigés par et pour les personnes ayant une déficience quelconque - auditive, visuelle ou intellectuelle, mobilité réduite ou problème de santé mentale. Nous dirigeons les organismes. Nous dirigeons les conseils d'administration. La majorité des administrateurs, des employés et des membres sont des personnes handicapées.
C'est très important parce que les gens qui assistent à une réunion du conseil d'administration, qui ont l'une ou de l'autre de ces déficiences, sont au courant des problèmes. Ce ne sont pas des bien-pensants qui prennent le thé en faisant semblant de connaître les problèmes. Ces personnes sont aux prises quotidiennement avec les obstacles que présente les moyens transport et les services aux locataires. Ces centres servent les gens de la collectivité.
Nous utilisons et mettons à profit les connaissances spécialisées et l'expérience des gens et nous les partageons avec d'autres pour trouver des solutions. On ne trouve pas de solutions dans les livres de médecine. Il faut habituellement puiser dans son expérience en tant que personne handicapée. Prenons par exemple une femme qui n'a qu'un bras et qui a dû trouver un moyen d'allaiter son enfant. La réponse ne se trouve dans aucun livre. Il faut obtenir l'information de personnes qui ont trouvé une solution.
Donc, c'est un centre de ressources. Les centres aident aussi les gens à cerner leurs besoins et à les exprimer. Ils vérifient quels services sont offerts dans la collectivité. Ils s'assurent que les services sont administrés de façon efficace, qu'il n'y a pas d'abus dans les établissements et ils cherchent à empêcher qu'on cesse de construire de nouveaux établissements. C'est très bien pour assurer l'équilibre des pouvoirs dans une collectivité.
Il serait préférable, à mon avis, que je parle de mon expérience de vie personnelle parce que vous pourrez ainsi comprendre ce que représente ce financement en bloc pour la collectivité. Je crois que cela a très bien fonctionné avec Laurie, alors vous comprenez.
Mais je tiens juste à vous signaler que nous avons été très occupés ces derniers mois à nous préparer pour votre livre sur la réforme de la sécurité sociale. Pendant des mois, nous avons consacré beaucoup de temps et d'énergie à expliquer au gouvernement fédéral l'importance de ce genre de modèle ainsi que l'importance de participer et de s'intégrer complètement à la société.
Quoi qu'il en soit, le livre est sorti. C'est la Chambre des communes qui l'a publié, et nous sommes le seul organisme mentionné comme groupe que le gouvernement fédéral devrait appuyer. C'est rentable, et trop de problèmes liés aux incapacités sont classés comme problèmes médicaux. Tout ce qui touche à une incapacité est classé comme problème de santé. Nous le traitons comme un problème médical et ça vous coûte des milliards de dollars. Par l'entremise de Développement des ressources humaines Canada, on nous a cités dans le rapport comme un très bon modèle.
Le rapport a été rangé sur les tablettes et nous avons maintenant ce projet de loi.
J'ai l'impression que je pourrai seulement transmettre mon message si je parle de mon expérience de vie personnelle et de ce qui se passe à l'échelle locale, afin de vous montrer combien d'argent vous gaspillez.
Je suis atteinte d'une maladie chronique, et j'étais réellement un fardeau financier pour le gouvernement fédéral, la province et l'administration locale. Maintenant que j'ai les quelques appuis dont j'ai besoin, je paie pas mal d'impôts à votre gouvernement. Il faut que je m'explique, et vous comprendrez alors comment cela pourrait affecter des millions de personnes handicapées.
Quand j'habitais à Port Colborne - le coin de pays de M. Pillitteri - j'étais très malade. Mon système immunitaire est trop actif. C'est le contraire du SIDA; il attaque mon corps. J'étais toujours malade; je pouvais à peine marcher.
Les gouvernements ont investi beaucoup d'argent. Ils ont rénové ma maison. Les travaux ont coûté 30 000$. C'était un programme à frais partagés entre le gouvernement fédéral et la province. Ensuite, j'ai eu des conseillers en réadaptation. Je suis allée en réadaptation et j'ai été suivie par des ergothérapeutes, des physiothérapeutes et des travailleurs sociaux. J'ai pris pas mal de médicaments, qui étaient payés par le gouvernement parce que je n'avais pas d'assurance. J'avais un triporteur et un dispositif élévateur à l'arrière de mon véhicule.
Je ne sais même pas - et je n'ose même pas deviner - combien cela a coûté, mais j'étais sur le point de ne plus pouvoir travailler tellement j'étais malade. Si cela s'était produit, il aurait probablement fallu que vous déboursiez entre 20 000 et 25 000$ pour subvenir à mes besoins et à ceux de mes deux enfants aux termes du PF et du RPC; j'aurais été admissible aux deux régimes. Ensuite, il vous aurait fallu payer tous mes médicaments ainsi que tout appareil dont j'aurais pu avoir besoin ultérieurement. J'estime que vous auriez déboursé entre 40 000 et 50 000$ par année.
J'ai ensuite déménagé à Ottawa où j'occupe maintenant un emploi. Il s'est produit un certain nombre de choses... et d'autres facteurs sont aussi entrés en ligne de compte. J'ai eu des problèmes de ménage et d'autres difficultés également.
À Port Colborne, où j'habitais avant, le programme de soins à domicile ne prévoyait pas les services d'une personne qui viendrait me faire une injection une fois par semaine. Je reçois un traitement de chimiothérapie en faibles doses. On me demandait de me rendre chez le médecin aussi souvent que je le pouvais. L'hiver, en particulier, je ne me donnais pas la peine d'y aller, car j'avais deux jeunes enfants à habiller et je pouvais à peine bouger. Je restais alors de deux à trois semaines sans traitement. Mon état empirait progressivement et mes forces déclinaient très rapidement.
J'ai déménagé à Ottawa. Ici, on offre un programme de soins à domicile différent qui est administré par des personnes qui voient les choses autrement. Elles ont décidé que j'avais besoin des services d'une infirmière de l'ordre de Victoria, qui viendrait me faire une injection toutes les semaines. Je bénéficie d'un traitement de façon régulière. Je reçois des services de soutien à domicile pour mes enfants ainsi que de l'aide quelques soirs par semaine afin que je puisse faire des choses importantes dans la maison. Je suis une tout autre personne.
Je ne dis pas que tous les gens se transformeront comme je l'ai fait, mais si vous bénéficiez du soutien dont vous avez besoin, du soutien que vous jugez réellement nécessaire pour vous prendre en main... Maintenant que ma maladie est sous contrôle, j'ai un bon emploi et je gagne un bon salaire. Je paye ma bonne part d'impôt. Je possède deux maisons - hypothéquées bien sûr - pour lesquelles je paye des taxes foncières. J'ai souscris à une assurance médicale. C'est donc la compagnie d'assurance privée qui paye tous mes médicaments. Je gagerais que je vous verse 30 000$ par année en taxes, et je n'exclus pas la taxe sur l'essence pour mon auto. Je ne suis par un fardeau financier.
Quels services sont requis? Des services limités de soutien à domicile, ce qui a été jugé nécessaire dans mon cas, et des injections appropriées de médicaments.
Eh oui, je verse probablement maintenant je ne sais combien d'argent au gouvernement au lieu d'être un fardeau pour lui.
Je tenais juste à vous expliquer cela de sorte que vous puissiez comprendre combien ces programmes vous coûteront si vous continuez à mener vos affaires de la façon que vous l'avez toujours fait.
Je ne souhaite pas démolir le gouvernement fédéral, car il a offert énormément de leadership au cours de la dernière décennie, et l'idée qu'il pourrait retirer ses services à ce moment-ci me fait réellement peur. La situation est bien peu rassurante, et ce qui se passe au Canada est très inquiétant pour les personnes handicapées.
Ce qui va se passer selon moi, c'est que vous allez vous décharger de toutes vos responsabilités sur les provinces. C'est ce qui se passe dans bien des provinces... tous ces conseils locaux que l'on met sur pied. En Ontario, pa exemple, on a établi des conseils de district qui répartissent maintenant les fonds pour les services de soins de longue durée et les services de santé. C'est ce qui se passe - c'est la tendance - dans toutes les régions du pays.
C'est ce qui explique pourquoi mon cas a été traité différemment à Ottawa. La raison pour laquelle ils m'ont accordé des services de soutien à Ottawa, c'est qu'ils savent qu'il n'est pas obligatoire qu'une personne atteinte d'une maladie reste à la maison pour bénéficier d'une aide. À Port Colborne, ils ont dit que si tu as une maladie, tu ne dois pas travailler et que la seule façon d'obtenir du soutien est de rester à la maison et de chômer. C'est pourquoi je ne pouvais obtenir d'aide. Il existe deux interprétations différentes.
Vous allez donc transférer toutes vos responsabilités aux provinces. Celles-ci, à leur tour, vont se libérer de leurs responsabilités sur le dos des administrations régionales. Vous aurez alors plusieurs milliers de ces conseils locaux qui veilleront sur les prestations versées aux personnes handicapées. Il n'y aura plus aucune uniformité. Je vous jure que ce sera un vrai fouillis et un véritable cauchemar. Je ne veux pas condamner le processus en entier, car il nous sera peut-être possible de trouver ensemble des moyens de rendre la situation vivable.
J'ai mentionné plus tôt, monsieur le président, que 4,5 millions de personnes au Canada sont handicapées. À l'heure actuelle, on estime que le fait d'empêcher les gens de travailler coûte 4,6 milliards de dollars par année au Canada. De ces 4,5 millions de personnes, 2,4 millions sont en âge de travailler, mais seule une faible proportion de celles-ci travaillent.
Celles qui ne peuvent pas travailler vous coûtent également des millions de dollars. Vous dépenseriez moins pour les personnes présentement dans des foyers de soins si elles habitaient en appartement et qu'elles pouvaient gérer elles-mêmes leurs affaires en comptant sur des services de soutien auxiliaires. Ces personnes ne vous coûteraient alors plus 500$ par jour, mais peut-être seulement 60$ par jour. Il y a toujours des secteurs où l'on peut réaliser d'important ses économies.
Les systèmes existent pour que quelqu'un s'enrichisse. L'industrie de l'invalidité - je le répète, c'est bel et bien une industrie - est très, très rentable. Pourtant, les personnes handicapées gagnent en moyenne moins de 10 000$ par année.
Des fortunes sont versées aux médecins et aux professionnels parce que vous avez fait de l'invalidité une maladie. Vous l'avez classée dans les problèmes de santé. Chaque fois que nous déménageons, nous devons obtenir une lettre du médecin. Un autre exemple est l'achat de chaussures orthopédiques. Avant de les obtenir, nous devons passer par trois médecins, ergothérapeutes et physiothérapeutes, pour qu'ils déterminent si nous en avons besoin. Cela coûte sans doute plusieurs centaines de dollars.
Pourquoi une personne handicapée ne peut-elle pas simplement dire qu'elle a besoin d'une paire de chaussures orthopédiques? Je ne pense pas qu'il existe un gros marché noir pour ces chaussures car elles sont généralement très laides. Je ne pense pas non plus que nous les personnes handicapées trompons le système en accumulant de grandes quantités de chaussures orthopédiques. Nous avons cependant l'impression qu'on nous prend pour des voleurs qu'il faut contrôler et surveiller.
Il faut donc que cela cesse.
Chaque fois que nous avons besoin d'un permis de stationnement pour personne handicapée, il faut faire la même chose. Si notre invalidité est permanente, pourquoi devons-nous recommencer chaque année et toujours...? Si on a déterminé que notre invalidité est permanente et que notre état ne s'améliorera jamais... Pourquoi tant d'obstacles?
Je veux revenir sur la question des conseils locaux. Ici à Ottawa, ça n'a pas toujours été rose. C'est très bien en bonne partie, mais le conseil local est composé de 33 membres - le conseil de santé du district. La plupart de ces personnes sont des intervenants, des gens qui ont leur mot à dire sur le placement des fonds.
Trois personnes handicapées pouvaient siéger au conseil. J'y suis allée ainsi que deux de mes associés, des personnes handicapées qui travaillent pour le gouvernement et qui savent s'exprimer. Aucun de nous n'a tenu le coup. Nous avons tous démissionné il y a quelques mois parce que pendant huit mois, nous avons passé le plus clair de notre temps à demander pourquoi les personnes handicapées n'étaient pas consultées d'abord avant de présenter des demandes ou de faire des propositions. Pourquoi ne pas demander l'avis des personnes handicapées avant de se lancer dans des projets à coûts faramineux? C'en était trop et nous avons démissionné tous les trois.
Lorsque commencera la passation de pouvoirs à la province, si vous pensez qu'au niveau local les gens pourront tenir le coup et lutter contre ces institutions, vous vous trompez. Nous trois n'avons pas réussi, même si c'est ainsi que nous gagnons notre vie. Voilà exactement ce qui va se passer.
Vous devez également considérer le niveau de stress que les personnes handicapées subissent, le niveau d'aptitudes qu'il nous faut. Vous pouvez vous imaginer, il faut être capable de trouver les mots pour débattre avec tous ces médecins qui siègent au conseil et pour présenter son point de vue.
Je ne pense donc réellement pas que ça va marcher. Je pense plutôt que dans cinq ou dix ans, vous allez devoir tout reprendre, car ce sera un vrai fouillis. Voilà mon opinion.
Je pense que Laurie vous a dit l'autre jour qu'il nous fallait un contrôle social quelconque afin que les droits des personnes handicapées soient respectés. À mon avis, ce sont des normes nationales dont nous avons besoin. Même si on dit dans les journaux que M. Martin ne veut rien savoir des normes nationales, nous devons néanmoins faire quelque chose.
Je sais que vous allez dire que l'invalidité fait partie des services sociaux ou des soins de santé et que par conséquent, elle relève de la province. Nous ne sommes pas du tout d'accord. Il est question ici de citoyenneté, du droit de participer entièrement à la société canadienne; ça c'est la responsabilité du gouvernement fédéral. Il est question de participation, d'équité et d'autodétermination. Vous ne pouvez pas vous départir de ces responsabilités.
Ce que nous essayons donc de vous dire... Je vous ai remis un document intitulé Canadian Independant Living Movement - Helping Governments Innovate. Nous voulons vous parler de la possibilité de former un partenariat avec vous, de travailler avec vous de quelque façon pour garantir la mise en place d'un filet de sécurité, sous une forme ou une autre, pour les personnes handicapées.
Si, dans tout ce branle-bas, vous allez faire quelque chose pour les personnes handicapées, afin qu'elles sachent que vous n'allez pas leur couper l'herbe sous les pieds, avec la Coalition des organisations provinciales, ombudsman des handicapés, l'ACCVA et notre réseau de centres de vie autonome dans tout le pays, nous pouvons être là d'une façon ou d'une autre pour surveiller la situation pour vous, pour s'assurer que les gens peuvent faire savoir aux administrations provinciales et municipales ce qui, au juste, - peut-être faudrait-il établir certains principes directeurs - devrait être financé en ce qui concerne les personnes handicapées.
Je propose donc, avec l'accord de notre comité et de l'ensemble du mouvement, que nous formions un partenariat.
Et maintenant, nous allons franchir un pas et proposer quelque chose de très radical. J'ai pensé vous en parler aujourd'hui pour voir ce que vous en pensez.
Il y a des coûts additionnels en ce qui concerne l'aide versée aux personnes handicapées. Vous allez transférer ce financement global aux provinces. Comme Laurie le disait l'autre jour, vous ne savez pas si ces dernières ne vont pas affecter les fonds à la réfection des routes. Vous devriez y penser un peu. Une grande partie de cet argent est consacrée au processus administratif. L'argent va aux professionnels. Il sert à l'administration générale.
Qu'est ce qui arriverait si les personnes handicapées recevaient un transfert direct en espèces afin de se procurer les services nécessaires dont elles ont besoin pour faire partie intégrante de la société canadienne? Qu'en serait-il si une partie du financement global était versée directement aux personnes handicapées? Vous n'auriez pas à vous préoccuper de l'énorme machine administrative, de tous les différends qui en résultent. Les gens recevraient plus d'argent pour s'acquitter des frais additionnels qu'occasionne leur incapacité. Aussi les services au niveau local évolueraient de manière à répondre efficacement aux besoins réels et non aux besoins du processus administratif.
Je sais que tout cela est assez radical, mais les choses se déroulent déjà de cette façon à quelques endroits. Un projet pilote est présentement en marche à Toronto, en Ontario, et ce grâce au mouvement pour la vie autonome. Le gouvernement provincial a attribué quatre millions de dollars sur deux ans à cent personnes handicapées pour leur permettre d'acheter leurs propres services auxiliaires. Ces gens ont de grands besoins. Ils ont une quadraplégie ou une autre incapacité de ce genre.
Les dépenses, sur deux ans, s'élèvent en moyenne à 20 000$ par personne par année. Certains ont besoin de moins d'aide, d'autres d'une aide plus considérable. Auparavant, il en coûtait de 50 000$ à 100 000$ par année, dans vos établissements ou ailleurs. Maintenant les gens ont l'argent. Ils embauchent leurs voisins ou ceux qu'ils veulent. Ils ne sont pas limités dans leurs projets de vie autonome. En temps normal, on peut seulement obtenir des services auxiliaires dans son appartement et il faut y rester. Maintenant, la personne handicapée peut demander à son accompagnateur de le suivre à l'école, au travail, partout où elle veut aller. Il s'agit donc d'une formule souple, portative. Cela peut sembler un peu radical, mais ça marche.
Les choses se passent ainsi à Winnipeg. Un programme axé sur l'autogestion des fonds est en place là-bas. Et il s'avère efficace pour quelque 32 personnes.
J'aimerais que vous songiez à ce concept. Il vous permettrait d'éliminer beaucoup de gaspillage et les gens obtiendraient exactement ce dont ils ont besoin.
En bref, voici ce que nous disons. Si vous transférez des fonds sans conditions, les choses vont être chaotiques et bien des personnes handicapées se retrouveront dans la rue à mendier, comme le disait Laurie. Je suis convaincue que c'est ce qui va se produire. Ce sera un vrai cauchemar!
Encore une fois, nous pensons tous qu'en ce qui concerne le financement global, il faut travailler en partenariat avec le mouvement pour la vie autonome afin de garantir que les personnes handicapées ne se butent pas à plus de difficultés et qu'elles ne sont pas davantage isolées ou opprimées. Il faut trouver une façon d'établir des normes qui permettent aux gens de voyager et de faire ce qu'ils veulent comme tous les autres, n'importe où au pays.
Pour terminer, si vous voulez tenter quelque chose de différent, présentez une notion nouvelle. L'idée des transferts directs en espèces est très rentable et elle répond aux besoins des destinataires. Il s'agirait d'une mesure sans pareil pour ce gouvernement fédéral.
Voilà à peu près ce que je voulais vous dire. Je suis certaine que vous avez des questions.
[Français]
Le président: Monsieur Plamondon, s'il vous plaît.
M. Plamondon (Richelieu): Je vous remercie. C'est un exposé intéressant. il nous fait découvrir toute l'importance du soutien gouvernemental aux personnes handicapées. Vous êtes un bel exemple de réussite et je pense que quand le gouvernement prend le temps de soutenir ces personnes-là, en plus de les aider, il recouvre son argent par les taxes, comme vous l'avez dit, que ces gens-là paient ensuite.
Vous vous interrogez sur le transfert aux provinces. Ça m'ennuie un peu de voir que vous ne faites pas confiance aux provinces parce que c'est un peu en contradiction avec ce que vous avez dit, c'est-à-dire que vous vouliez une diminution de l'appareil administratif, qui coûte très cher en administration, car on ne consulte pas assez, par exemple, les personnes handicapées, et où il y a trop de bureaucratie avant d'arriver directement aux services. Il me semble que si on élimine un niveau de gouvernement et qu'on rapproche l'administration et les pouvoirs des personnes en donnant les pouvoirs aux provinces plutôt qu'à la grosse bureaucratie pancanadienne, on répondrait à une de vos interrogations. Vos deux points me semblent contradictoires.
Quant au niveau du transfert direct dont vous avez parlé, je suis d'accord avec vous. C'est pour cette raison que je n'aurai qu'une seule question à ce niveau. Je laisserai ensuite les gens du gouvernement, ceux d'en face, réagir, je l'espère, avec beaucoup d'enthousiasme et de positivité quant à vos demandes afin de combler vos espérances.
Le président: Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur Pillitteri?
M. Plamondon: Est-ce qu'elle va me répondre?
Le président: Est-ce que vous aimeriez répondre, madame Walters?
[Traduction]
M. Walters: Merci. Vos observations sont intéressantes.
Je suis d'accord avec vous pour dire que dans certains cas, les services seraient plus facilement accessibles au niveau local. Cependant, il n'y a souvent pas suffisamment d'expérience ou de connaissances à ce niveau. Dans certaines endroits, on est peut-être mieux préparé qu'ailleurs. À l'heure actuelle, il y a d'importantes divergences à l'échelle du pays; certaines provinces se trouvent dans une meilleure situation que d'autres.
Je comprends ce que vous dites, mais je ne connais pas la solution. Il faudrait peut-être que les particuliers assument eux-mêmes la responsabilité de déterminer leurs propres besoins.
[Français]
M. Plamondon: Merci.
[Traduction]
M. Pillitteri (Niagara Falls): Madame Walters, c'est rafraîchissant de vous entendre parler ainsi; la plupart des exposés présentés ici se fondent sur un programme politique ou ne sont qu'une répétition du discours des partis politiques ou des groupes d'intérêts politiques. Votre exposé, cependant, est réellement honnête et j'en suis heureux. Certaines personnes parmi nous pourraient en apprendre quelque chose, et il y a certainement des points qui nous préoccupent.
Il y a un instant, vous avez dit que nous ne savons pas si les fonds seront utilisés demain pour la réfection des routes ou à une autre fin. En fait, à l'exception des cinq parties de la Loi canadienne sur la santé, c'est ce qui peut se faire maintenant avec ce transfert global. On dit que certaines provinces le font déjà avec les transferts prévus pour l'éducation postsecondaire et l'assistance sociale.
Vous avez mentionné la différence dans l'assistance que vous receviez lorsque vous habitiez dans une autre région, comparativement à ce que vous recevez maintenant. Cette différence à l'intérieur de la même province m'a surpris. Et cette année, l'assistance était transportable dans une région de la province mais pas dans l'autre. Où est-ce que ça finit? En quoi cela diffère-t-il de ce que nous voulons faire avec ce transfert global si les conditions sont les mêmes que celles liées à la Loi canadienne sur la santé, avec une collaboration possible dans le secteur de l'éducation?
À votre avis, y aurait-il des changements réels si on continuait à imposer certaines de ces conditions?
Mme Walters: Oui, certainement. Par exemple, lorsque je parlais du niveau local, comment se fait-il que dans bien des endroits au Canada, les personnes handicapées doivent être considérées inaptes au travail pour bénéficier de services? Si on acceptait comme principe directeur qu'une personne handicapée a droit à des services qu'elle travaille ou non, chacun pourrait alors travailler sans vivre dans la crainte de perdre ses services auxiliaires.
Je pense qu'il y a eu de légers progrès. Le gouvernement fédéral a fait preuve d'initiative et de leadership pour améliorer le sort des personnes handicapées. Il a fait comprendre à l'ensemble du pays qu'il faut se mettre à leur écoute. Il nous a donné l'argent nécessaire pour créer notre propre organisme de façon à ce que nous puissions exprimer nos besoins. Voilà un exemple de leadership. Certaines choses doivent être dites, et nous pouvons formuler bien des recommandations quant à la façon de procéder. Mais, évidemment, nous pouvons accomplir beaucoup nous-mêmes.
M. Pillitteri: Pour faire suite à ce que vous dites, Traci, si je peux vous appeler ainsi, nous ne pouvons dans le moment obliger les provinces à rendre compte de l'utilisation des fonds transférés à ces fins. Vous n'exercez pas de pressions; vous faites un exposé au gouvernement fédéral au nom de votre groupe.
Qu'est-ce qui retient les gens de l'Ontario, les résidents de l'Ontario...? Ils sont en pleine période électorale. Ils ne profitent pas de l'occasion pour poser des questions pertinentes aux dirigeants de la province: «Dans quels secteurs allez-vous dépenser l'argent? Vous dites que vous protégez l'assurance-maladie, vous dites que vous protégez ceci, mais combien d'argent consacrez-vous au régime d'assurance-maladie?» Si nous devons assumer notre part de responsabilité au palier fédéral, les électeurs de la province de l'Ontario doivent obliger les dirigeants à répondre de leurs actions.
Mme Walters: Je suis du même avis, mais j'expliquais aussi les obstacles auxquels se heurtent les personnes handicapées. En ce moment, tout le mouvement pour la vie autonome - je ne vous en ai pas encore parlé, mais je vais le faire très brièvement. Il s'agit d'un programme de démonstration du gouvernement fédéral, qui est en vigueur depuis sept ans. Le gouvernement fédéral espérait que le modèle proposé inciterait les gouvernements provinciaux à partager les coûts.
Maintenant, vous avez éliminé le RAPC, vous l'avez démantelé. Nous essayons tous maintenant, à l'échelle du pays, de déterminer ce que nous ferons pour garder nos portes ouvertes dans dix mois. Nous aimerions nous mobiliser, être présents partout et avoir des stratégies provinciales, mais nous n'avons que des ressources très limitées - je ne parle même pas des finances, tout juste des ressources humaines et des compétences - pour tenir tête aux gros établissements d'éducation et de santé. La tâche est énorme, mais je sais que nous devons l'accomplir. Grâce au soutien accordé et si les circonstances sont favorables, nous y parviendrons peut-être au cours du processus de transfert qui doit s'échelonner sur cinq ans.
Nous devrions pouvoir faire quelque chose pour nous organiser à l'échelle du pays, de sorte que les personnes handicapées puissent bel et bien exercer des pressions et exprimer leurs opinions. Si vous nous abandonnez maintenant, si vous nous coupez l'herbe sous les pieds, il ne nous reste plus qu'à insérer dans le journal The Globe and Mail une annonce du genre: «Avis aux personnes handicapées: retournez dans vos établissements». C'est d'ailleurs ce qui va se produire. Du moins c'est ce que nous pensons.
M. Pillitteri: Merci.
Le président: Je dois dire que je suis très touché par cet exposé. Je trouve que c'est une bonne idée que de songer à donner l'argent directement aux particuliers afin qu'ils puissent faire leurs propres choix, tout comme nous, les non-handicapés, faisons bien ce que nous voulons de notre argent. J'aime bien aussi le fait que les personnes handicapées puissent se rassembler pour se faire part de leurs expériences et trouver leurs propres solutions.
J'ignore quelles mesures nous pourrions prendre pour régler toute cette question. M. Axworthy continue de participer à l'élaboration des normes nationales. Allez-vous collaborer à ce travail?
Mme Walters: Nous travaillons de très près avec M. Axworthy. Lorsque vous aurez terminé, je vous expliquerai ce que vous pouvez faire. Nous avons aussi eu des réunions avec M. Martin. Puis-je vous donner des précisions à ce sujet?
Le président: Allez-y.
Mme Walters: Je ne sais pas si vous êtes d'accord. M. Martin s'est réuni avec un certain nombre de membres de mon comité et moi-même. Il manifeste beaucoup d'intérêt et d'enthousiasme pour l'idée. Il a dit qu'il aimerait montrer comment on pourrait ainsi arriver à économiser. Alors, nous travaillons avec ses adjoints spéciaux ainsi qu'avec des adjoints spéciaux du ministère de M. Axworthy. Il était très emballé, et j'imagine qu'il prend connaissance aujourd'hui des discussions que nous avons tenues lors de notre dernière rencontre.
Le président: Et si nous recommandions que ces discussions se poursuivent?
Mme Walters: Ce serait absolument merveilleux.
Le président: Je ne peux pas parler au nom des autres membres du comité, mais j'ai envie de le faire.
Je tiens à vous remercier sincèrement au nom de tous les membres de votre témoignage très mémorable et important.
Mme Walters: Merci.
Le président: Notre témoin suivant est M. Farber. Monsieur Farber, madame Brickman, nous vous souhaitons à nouveau la bienvenue.
Monsieur Walker.
M. David Walker (secrétaire parlementaire du ministre des Finances): Merci, monsieur le président.
J'aimerais proposer une façon de procéder, et j'en ai déjà parlé avec les représentants de l'opposition officielle et du troisième parti.
Tous ont eu l'occasion d'entendre des témoins et de recevoir la séance d'information du ministère, et en fait, les mesures prévues dans le projet de loi C-70 ne découlent pas du budget de cette année, mais de celui de l'an dernier. Les trois partis ont convenu qu'il n'était pas nécessaire d'entendre des témoins.
Pour le compte rendu, je suis accompagné de deux fonctionnaires de la division de l'impôt du ministère, Len Farber et Lucy Brickman. Nous répondrons volontiers aux questions précises que les membres du comité auront à poser dans le cadre de l'examen des amendements.
Monsieur le président, j'ai en tout huit amendements à proposer. J'en ai discuté avec les partis de l'opposition. Il s'agit de modifications de forme bien simples. Il y a toujours des erreurs qui se glissent au moment de la rédaction d'un projet de loi, et les gens les soulignent quand le document est publié. Ce sont donc des erreurs minimes bien précises qui ont été relevées par les gens.
Le président: Même si c'était bon la première fois, monsieur Walker?
M. Walker: Contrairement aux budgets.
Le président: Allons monsieur Walker. C'est votre première expérience; vous ferez mieux au prochain budget.
M. Len Farber (directeur, Division de la législation de l'impôt, ministère des Finances): Monsieur le président, nous acceptons l'entière responsabilité de ces erreurs typographiques.
M. Walker: Il s'agit de toute évidence d'un problème mineur.
Je crois qu'on peut procéder avec dissidence.
Le président: Sommes-nous d'accord?
M. Walker: J'aimerais éclaircir cela maintenant. Comment aimeriez-vous procéder? Article par article? Aimeriez-vous examiner les amendements? Est-ce que je dois présenter les amendements?
[Français]
Le président: Monsieur Plamondon.
M. Plamondon: J'aurais une proposition à faire, monsieur le président. Je proposerais qu'on adopte les articles 1 à 82 inclusivement, avec dissidence.
Le président: Il faut aussi adopter les amendements. Donc, tel qu'amendé.
M. Plamondon: D'accord.
[Traduction]
Monsieur Walker, si vous pouviez nous indiquer très rapidement les amendements aux divers articles, nous pourrions tout régler très vite.
M. Walker: D'accord. Ce n'est pas nécessaire. Il dit tel qu'amendé.
M. Plamondon: Tel qu'amendé.
Le président: D'accord.
M. Discepola (Vaudreuil): Il a rarement de bonnes idées.
Le président: Combien d'amendements? Huit?
M. Walker: Huit.
Les articles 1 à 82 sont adoptés avec dissidence [voir Procès-verbaux et témoignages]
Le président: Est-ce que le titre est adopté?
Des voix: D'accord.
Des voix: Avec dissidence.
Le président: Est-ce que le projet de loi est adopté?
Des voix: D'accord.
Des voix: Avec dissidence.
Le président: Dois-je renvoyer le projet de loi tel qu'amendé à la Chambre?
Des voix: D'accord.
Des voix: Avec dissidence.
Le président: Le comité s'ajourne, pour se réunir de nouveau sur convocation du président, lundi à 11 heures. Merci beaucoup.