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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 16 mai 1995

.1530

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte.

Le Comité des finances poursuit son examen du projet de loi C-76.

Cet après-midi, nous recevons le président national de l'Alliance de la Fonction publique du Canada, M. Daryl Bean.

Monsieur Bean, je vous souhaite la bienvenue. Veuillez présenter ceux qui vous accompagnent avant de commencer votre exposé.

M. Daryl T. Bean (président national, Alliance de la Fonction publique du Canada): Merci, monsieur le président.

Je suis accompagné par Susan Giampietri, vice-présidente exécutive de l'Alliance de la Fonction publique du Canada, John Baglow, également vice-président exécutif de l'Alliance de la Fonction publique du Canada, et Stephen Jelly, adjoint exécutif auprès du comité exécutif de l'Alliance.

Permettez-moi d'abord de faire un commentaire. On vient de m'informer que, contrairement à ce qui se faisait auparavant, notre mémoire ne fera pas partie du procès-verbal. En pareil cas, j'aurais normalement réagi en faisant lecture de mon mémoire, cependant...

Le président: C'est extrêmement coûteux pour nous de reproduire tous les témoignages. Ce sont des raisons d'économie qui dictent nos règles. Nous estimons que tous ceux qui ont comparu ont été en mesure de faire valoir leur point de vue et nous avons pu consacrer tout le temps voulu aux questions et réponses.

M. Bean: Je comprends fort bien. Cependant, j'aurais cru que pour une question aussi importante, on aurait peut-être voulu...

Le président: Nous sommes conscients de la valeur de votre témoignage, monsieur Bean, ainsi que de celle de tous les témoins qui comparaissent devant nous.

M. Bean: Je ne voulais pas laisser entendre que j'étais un témoin spécial, mais plutôt que les questions à l'étude avaient une importance considérable.

Le président: D'après nous, toutes les questions dont nous traitons sont importantes. Nous réduisons les coûts par souci d'économie. Le café n'est plus servi à toutes les réunions. Nous nous efforçons de réduire les coûts par tous les moyens possibles.

M. Bean: J'aurai bien l'occasion, je suppose, de vous soumettre un autre mémoire au sujet des mesures d'économie que vous pourriez prendre sans nécessairement les appliquer aux témoins qui comparaissent devant le Comité.

Le président: Nous l'apprécierions.

M. Bean: Bon. Je croyais l'avoir déjà fait, mais... Je crois qu'il ressortira du compte rendu que nous ne sommes pas d'accord avec cette façon de faire les choses.

Je tiens à vous dire également que ma déclaration liminaire a été considérablement modifiée par rapport à ce qui était prévu, en raison des déclarations faites devant vous hier par M. Eggleton. Evidemment, nous avons dû modifier considérablement notre approche.

Au nom des membres de la Fonction publique du Canada, je tiens à remercier le Comité de nous donner une occasion de comparaître dans le cadre de votre étude du projet de loi C-76. Nous avons rédigé un long mémoire afin d'exprimer nos opinions sur cette mesure législative et de proposer un certain nombre d'amendements et de changements au projet de loi C-76. Nous demandons au Comité de les prendre en considération. Tous les amendements, modifications et suppressions proposés sont bien fondés et nous sommes tout à fait disposés à répondre à toute question du Comité à ce sujet.

J'aimerais tout d'abord faire ressortir un certain nombre de revendications et de recommandations qui, selon nous, doivent nécessairement être portées à la connaissance de votre Comité, dans le cadre de ses délibérations sur le projet de loi C-76.

Selon nous, le projet de loi C-76 est une mesure législative antidémocratique qui dépouille les travailleurs de leurs droits et de leurs conventions collectives. Certaines dispositions signées d'une convention collective sont supprimées unilatéralement, ce qui devrait inquiéter l'ensemble de la population canadienne. Ce sont par ailleurs surtout ceux qui ont été élus pour gouverner qui devraient s'en inquiéter.

Les travailleurs ont notamment le droit fondamental de s'associer, d'unir leurs efforts pour négocier d'une seule voix avec leurs employeurs. Dans une société démocratique, ces mêmes travailleurs ont tout lieu de s'attendre à ce que de tels droits ne leur soient pas retirés. Ils peuvent aussi raisonnablement s'attendre à ce que ceux qui sont élus pour gouverner protègent ces mêmes droits. Si vous étiez vous-mêmes au nombre des travailleurs de la fonction publique qui s'attendent à ce que ces droits soient protégés aussi bien par la loi que par les législateurs, vous seriez déçus et attristés.

.1535

Permettez-moi de vous signaler que l'AFPC n'est pas seule à juger antidémocratique le projet de loi C-76. En effet, l'Organisation internationale du travail arrivait à la conclusion, le mois dernier, que les modifications apportées à la Loi sur les restrictions salariales du secteur public par le projet de loi C-113 allaient «au-delà de ce qui est admissible comme limitation de la négociation collective». Ainsi, le gouvernement du Canada s'est fait dire que la Loi sur les restrictions salariales du secteur public, que le projet de loi C-76 vise à modifier et à élargir, est inacceptable pour la collectivité internationale. Il s'est fait dire que la mesure viole les principes de la liberté d'association et qu'elle constitue un affront à la démocratie.

Si le projet de loi C-76 est adopté, l'AFPC inscrira une autre plainte auprès de l'OIT. Compte tenu des décisions antérieures rendues par cette organisation, nous avons tout lieu de prévoir une autre décision favorable aux travailleurs et qui condamnerait le gouvernement canadien.

Le projet de loi C-76 est une mesure législative injuste, du fait qu'il revient, et ce de façon unilatérale, sur une convention collective signée. Il est injuste du fait qu'il rend possible la suppression de 45 000 emplois. Il est injuste étant donné qu'il fait varier les droits et les avantages des employés selon le ministère ou l'organisation dont il relève.

Très tôt dans nos discussions avec l'employeur, nous avons proposé une solution de rechange aux mécanismes de compression contenus dans le projet de loi C-76. Nos propositions, aussi bien en matière de production de recettes que de réduction de dépenses, auraient permis au gouvernement de réaliser ses objectifs financiers. Les membres de votre Comité sont au courant de certaines de ces propositions, puisqu'elles étaient contenues dans l'exposé que nous avons fait le 17 novembre 1994 devant le Comité.

Lorsqu'il est devenu clair que les solutions de rechange aux mesures de compressions étaient rejetées, tout d'abord par votre Comité et, par la suite, dans le cadre du budget de février 1995, l'AFPC a fait porter son attention sur les moyens de s'assurer que la compression de 45 000 emplois se ferait de façon équitable. Nous avons proposé des recommandations précises au gouvernement. Elles visaient à rendre la gestion des compressions d'effectifs aussi humaine et responsable que possible.

Nous avons surtout proposé que les programmes d'encouragement à la retraite anticipée et d'incitation au départ anticipé aient un caractère volontaire et qu'ils soient offerts de façon générale, à l'ensemble des fonctionnaires. Nous avons été heureux d'apprendre hier que le président du Conseil du Trésor avait annoncé qu'il allait publier des lignes directrices qui permettraient le remplacement dans le cadre du processus de compression.

Depuis le 27 février 1995, les membres de la l'AFPC se sont efforcés, partout au Canada, de rencontrer leur député, de lui écrire ou de lui faire valoir leur point de vue, de manière à ce que l'ensemble de mesures soit appliquée de façon plus équitable et générale à l'ensemble de la fonction publique. D'après les rapports que nous avons reçus, des députés de tous les partis politiques ont manifesté leur appui à cette démarche, tant en privé que sur la place publique. Bon nombre d'entre eux, y compris certains députés libéraux, ont écrit au président du Conseil du Trésor pour faire valoir leurs points de vue.

Nous accueillons favorablement l'initiative du président du Conseil du Trésor, et je tiens à profiter de l'occasion qui m'est donnée de remercier publiquement les députés qui nous ont appuyés. Je tiens également à reconnaître publiquement la valeur des initiatives particulières et plus générales prises par des milliers de membres de l'Alliance qui ont fourni temps et efforts pour faire en sorte que le processus soit aussi équitable que faire se peut, non pas simplement dans leur propre intérêt mais dans celui de l'ensemble des travailleurs de la fonction publique.

Nous nous assurerons, grâce à une consultation très étroite avec l'employeur, que la solution de rechange proposée sera mise en oeuvre et offerte à l'ensemble de la fonction publique.

.1540

Aujourd'hui nous dirons aux membres de l'AFPC qui désirent avoir recours à ce système de rechange de communiquer par écrit à leurs ministères pour en faire la demande. Nous recommanderons également qu'un système de surveillance stricte relève des comités d'adaptation mixtes nationaux régionaux, qui seront mis sur pied sous peu.

Pour rendre le système le plus efficace possible, il faut donner suffisamment de temps aux ministères et aux employés pour s'adapter à la nouvelle situation. Ainsi, nous recommanderons au gouvernement que tous les ministères et organismes gouvernementaux disposent de 90 jours de plus pour mettre sur pied et mettre en application le programme de rechange avant de faire parvenir aux fonctionnaires un avis indiquant le nombre d'employés excédentaires. Ainsi les ministères pourront mieux administrer le programme de réduction des effectifs et pourront offrir aux employés touchés de meilleurs services.

Nous espérons que le comité appuiera non seulement l'initiative de rechange mais également la proposition visant à accorder aux ministères 90 jours de plus pour mettre sur pied et mettre en application le programme de réduction des effectifs.

Nous ne croirons jamais qu'il est nécessaire de faire disparaître 45 000 postes au sein de la fonction publique fédérale et nous n'accepterons jamais que les Canadiens soient privés des services offerts par ses fonctionnaires; cependant nous collaborerons avec le gouvernement afin d'assurer que l'impact de ces réductions soit le plus limité possible.

Comme je l'ai dit plus tôt, le projet de loi C-76 est une mesure législative qui va à l'encontre de tous les principes démocratiques - pas simplement parce qu'il fait fi des droits des travailleurs, mais parce que d'autres dispositions auront un impact dramatique et très négatif sur notre pays et sur les programmes sociaux qui nous tiennent tant à coeur. Cependant, votre comité offre au public et aux intéressés une des rares chances de faire connaître leur opinion sur la question; malheureusement, très peu de Canadiens ont l'habilité ou les ressources nécessaires pour communiquer leur opinion à votre comité.

En raison de l'impact que cette mesure législative aura sur les travailleurs, leurs familles et leurs collectivités ainsi que sur les programmes sociaux qui tiennent tant à coeur aux Canadiens, comme l'assurance-maladie, nous exhortons votre comité à reconsidérer sa décision de ne tenir des audiences qu'à Ottawa et de n'entendre que les groupes nationaux.

Nous appuyons également la proposition formulée la semaine dernière par le Congrès du Travail du Canada lorsqu'il s'est adressé au comité; en effet, il avait proposé la mise sur pied d'une commission spéciale composée de personnes très distinguées qui seraient chargées d'évaluer les modifications proposées au projet de loi C-76. Nous exhortons le comité à prendre les mesures qui s'imposent pour que ce processus soit vraiment démocratique. Dans une société démocratique, les citoyens ont certainement le droit d'avoir voix au chapitre avant qu'on apporte des changements fondamentaux dans les domaines importants comme les soins de santé et les programmes sociaux.

Merci beaucoup. Nous sommes maintenant disposés à répondre à vos questions.

Le président: Je tiens à vous remercier de cet exposé fort concis.

[Français]

Nous allons commencer la période de questions avec M. Brien.

M. Brien (Témiscamingue): Merci.

Mes questions vont porter principalement sur la première partie de votre document. Celles qui ont trait aux transferts aux provinces ont été abordées avec d'autres témoins. Elles le seront encore.

Nous allons donc nous concentrer sur l'abolition de postes dans la Fonction publique. Vous maintenez que bon nombre de postes pourraient être abolis sur une base volontaire. Si on fonctionnait comme maintenant, ou d'une façon différente, serait-on capable de se rendre à un nombre considérable de réductions de postes dans la Fonction publique, simplement sur une base volontaire?

[Traduction]

M. Bean: Je dois dire d'entrée de jeu que je ne saurais vous dire combien de postes pourraient être abolis volontairement. Cependant, nous avons constaté lors de consultations avec nos membres que si la solution de rechange était offerte, un bon nombre d'entre eux seraient disposés à quitter leur emploi et que d'autres, qui auraient été mis à pied, pourraient les remplacer ou participer à un programme de travail partagé avec eux. J'estime donc qu'il est certain qu'un nombre important d'employés de la fonction publique se prévaudrait du programme d'incitation au départ anticipé dans la mesure où il y aurait substitution pour des postes de même classification et qu'il ne serait pas nécessaire de revenir sur des conventions collectives signées par nous et le gouvernement, lesquelles sont en vigueur à l'heure actuelle.

.1545

[Français]

M. Brien: Dans le paragraphe 67 suivant la recommandation numéro un, vous dites que tout le cadre législatif qu'on met de l'avant va donner au gouvernement la possibilité de réduire davantage que 45 000 postes s'il le veut, dans le futur. Est-ce que vous pensez que le cadre législatif, qui est en train de se mettre en place, prépare même une deuxième vague de coupures à venir dans la Fonction publique éventuellement?

[Traduction]

M. Bean: Certainement, la chose est fort possible sans qu'il soit nécessaire de revenir devant le Parlement. Le gouverneur en conseil peut mettre en oeuvre un programme et ajouter divers ministères à tout moment. Nous avons dressé une liste des mesures que le gouverneur en conseil peut mettre en oeuvre sans faire rapport au Parlement ou sans qu'il soit nécessaire que le Parlement en discute, tout simplement en ajoutant des ministères à la liste des ministères les plus touchés.

Un certain nombre d'autres questions sont abordées à la page 32 de la version anglaise. Le paragraphe 123 contient une liste des mesures qui relèvent exclusivement du gouverneur en conseil et que ce dernier peut modifier sans faire rapport au Parlement. Ainsi, j'estime en effet qu'il serait tout à fait possible d'aller au-delà de 45 000 postes et de ne pas respecter les conventions collectives que nous avons signées avec le gouvernement.

[Français]

M. Brien: On ne peut pas dire qu'on va couper 45 000 personnes sans qu'il y ait un impact sur le niveau de services. Je pense que vous le dites. C'est un peu tenir un faux discours que de dire qu'on va garder les mêmes services avec moins de gens. Y aura-t-il une pression plus forte pour aller vers la sous-traitance? C'est une des choses qui est revenue à l'occasion. N'y aura-t-il pas maintenant la tentation pour le gouvernement de faire faire plus de travaux à contrat et de les accorder même dans toutes sortes de conditions?

[Traduction]

M. Bean: Il ne fait pas de doute, comme on a pu le constater dans le cas du gouvernement conservateur antérieur au moment où il a supprimé quelque 13 000 postes, que la sous-traitance est multipliée par deux. Il est tout à fait certain également que, depuis l'arrivée au pouvoir du présent gouvernement, elle a pris de l'ampleur. Selon nos évaluations, sa valeur est de l'ordre de 7,7 milliards de dollars par année. Nous sommes donc tout à fait convaincus que la mise en oeuvre des mesures proposées entraînerait une hausse de la sous-traitance. La Commission de la capitale nationale laisse d'ailleurs déjà entendre que les travailleurs auraient le droit de soumettre des offres au sujet de leurs propres tâches dans le cadre d'un processus d'impartition. Il semble donc assez clair que c'est l'orientation qui sera prise.

L'autre aspect qui m'inquiète encore davantage est celui que vous avez soulevé, à savoir qu'une baisse importante de services est à prévoir et que cela entraînera des risques considérables pour le public canadien. Fait à noter, pas plus tard que la semaine dernière, les insuffisances des systèmes de prévisions météorologiques utilisés à un aéroport auraient contribué à un accident d'avion qui a entraîné la mort de neuf personnes... Ce ne sera pas le dernier, étant donné que les systèmes de prévisions météorologiques automatisées qu'on est à implanter à l'heure actuelle ne sont pas du tout fiables. Le gouvernement le sait fort bien.

Le même genre de système a été essayé aux États-Unis et n'a pas fonctionné.

Le gouvernement a déjà eu des exemples à cet égard. À Edmonton, alors que le système de prévisions météorologiques automatisées indiquait un temps parfait, un blizzard faisait rage. Heureusement, l'appareil de Canadien avec une centaine de passagers à son bord a pu se poser sans accident.

Également, depuis que les aéroports ont réduit, parfois même à zéro, le nombre de pompiers, il semble certain qu'en cas d'écrasement d'un appareil, les risques de brûlure pour les passagers augmenteront.

Le domaine de l'inspection des aliments est un autre sujet.

Nous avons signalé des répercussions dans divers domaines et on nous a accusés de semer la peur au sujet des systèmes de prévisions météorologiques automatisées.

.1550

Nous avons maintenant une preuve irréfutable, et ce à la suite d'une enquête indépendante au sujet d'un accident d'avion, que ce facteur a joué un rôle non négligeable.

[Français]

M. Brien: J'ai une dernière question. Dans votre recommandation 12, vous abordez un peu l'angle discriminatoire que pourraient prendre les coupures. Selon votre expertise, en ce qui a trait aux jeunes ou aux femmes dans la fonction publique, est-ce que vous avez déjà, sans avoir fait d'analyse très poussée, une indication de ce que sera la tendance suite à ces coupures?

[Traduction]

M. Bean: Comme je vous l'ai déjà dit, nous ne pouvons nous fier qu'à l'expérience. Mme Susan Giampietri voudra peut-être ajouter quelque chose à cet égard.

L'expérience nous montre que, par le passé, les compressions ont surtout touché les niveaux inférieurs de classification de la fonction publique. Ils ont touché la majorité, à savoir les femmes.

Nous nous inquiétons également du fait que, dans diverses situations, on a recouru abusivement aux occasionnels, qui ne sont pas protégés du tout par des mesures d'adaptation de la main-d'oeuvre. Il semble donc assez évident que bon nombre d'autochtones, de personnes handicapées et de membres de minorités visibles qui occupent des postes d'employés occasionnels seront visés par les compressions. Voilà pourquoi nous avons proposé, à la recommandation 11, que le programme fasse l'objet d'une analyse d'impact selon le sexe avant sa mise en oeuvre. Nous sommes tout à fait convaincus que ce qui s'est déjà produit va se reproduire à nouveau.

Susan, vous auriez peut-être quelque chose à ajouter.

Mme Susan Giampietri (vice-présidente exécutive, Alliance de la fonction publique du Canada): Selon nos statistiques des dernières années au sujet des employés mis à pied et des employés excédentaires, il semble qu'ils fassent partie, dans leur grande majorité, de la catégorie de l'administration. Cela n'est pas étonnant, étant donné que c'est une catégorie où l'introduction de changements technologiques a pris une grande importance. Ceux qui font partie de cette catégorie ne bénéficient pas de la formation qu'on devrait leur fournir pour qu'ils soient plus mobiles, aussi bien à l'intérieur du gouvernement fédéral que dans le secteur parapublic et le secteur privé.

Ainsi, dans les statistiques au sujet des personnes qui ont été déclarées excédentaires au cours de la dernière décennie et qui ont perdu leur emploi, on constate une très forte représentation de la catégorie de l'administration. Il s'agit de commis, de secrétaires et de préposés au traitement des données. Or, 83 p. 100 environ des personnes qui font partie des groupes professionnels concernés sont des femmes. Ainsi, toute proportion gardée, les femmes sont davantage visées par les changements proposés par l'employeur.

De plus, il faut tenir compte du nombre de travailleurs à temps partiel - les travailleurs les plus vulnérables - et, comme l'a souligné Daryl, du travail occasionnel. C'est à cet égard que l'employeur a pu montrer qu'il n'était pas inactif en matière d'équité d'emploi. Cependant, il suffit d'analyser la situation aux paliers décisionnels, ceux des cadres moyens ou des cadres supérieurs, pour se rendre compte que les femmes sont très peu présentes là où s'exerce le pouvoir de décider. Les membres des catégories visées par les mesures d'équité en matière d'emploi y sont encore plus rares. Ainsi, toutes les données relatives à la population active, dans ce secteur comme dans d'autres, nous permettent de conclure que ce sont des groupes désavantagés comme les femmes, les autochtones, les personnes handicapées et les minorités visibles qui vont continuer à souffrir.

M. Campbell (St. Paul's): Monsieur Bean, vous avez parlé du processus de discussions ou de négociations avec le gouvernement fédéral, notamment avec le président du Conseil du Trésor et ses fonctionnaires. Est-il vrai que 14 sur 15 des syndicats représentant les travailleurs du secteur public sont tombés d'accord sur un programme d'adaptation de la main-d'oeuvre, l'exception étant celle du syndicat que vous représentez? Auriez-vous un commentaire à faire à ce sujet?

M. Bean: Oui, certainement. Je vous remercie d'avoir posé cette question.

En réalité, un seul des autres syndicats s'est dit d'accord. Les autres syndicats ont déclaré qu'ils étaient disposés à soumettre la proposition à leur conseil d'administration, ce que j'ai moi-même fait.

.1555

Après le rejet de la proposition par l'AFPC, les autres syndicats ne l'ont pas présenté à leurs conseils. Le rejet de l'AFPC a fait en sorte qu'on n'y a pas donné suite. Par conséquent, le mythe selon lequel tous les autres syndicats, à l'exception de l'AFPC, étaient d'accord n'est rien d'autre qu'un mythe, justement.

Permettez-moi de vous signaler que, étant donné que nous représentons 75 p. 100 des travailleurs qui seront le plus durement frappés par le programme, nous n'aurons certainement pas à rougir de notre décision de rejeter la proposition, même si cela était vrai.

M. Campbell: Je ne voulais pas des excuses, mais tout simplement des précisions.

Il me semble, monsieur le président, que certains syndicats qui ont comparu devant le Comité ont déclaré qu'ils étaient disposés à accepter l'entente à laquelle les syndicats et le gouvernement étaient arrivés. J'ai peut-être tort, mais c'est ce donc je me souviens.

Le président: C'est vrai.

M. Bean: L'Institut professionnel l'a effectivement acceptée. Tous les autres syndicats, sauf un, avaient convenu de s'en remettre à leur conseil. L'autre syndicat avait convenu de consulter ses membres, tout en faisant savoir qu'il ne recommandait pas l'entente. Ce dernier syndicat se proposait de soumettre la proposition au vote de ses membres. Même s'ils n'étaient pas d'accord, les représentants de ce dernier syndicat prévoyaient que leurs membres accepteraient l'entente de toute manière. Voilà les faits.

Mme Stewart (Brant): Vous avez dit qu'il vous avait fallu réagir en vitesse aux déclarations faites hier par le ministre devant le Comité. Quels sont donc les éléments de son exposé qui vous ont incité à réagir rapidement?

M. Bean: Nous préconisons depuis février la mise en oeuvre d'un programme de substitution, un programme qui englobe tous les ministères. Ainsi, hier, lorsque le ministre a annoncé qu'il était d'accord, tout en parlant plutôt de remplacement...

Mme Stewart: Des nuances d'ordre sémantique.

M. Bean: ...ce qui me semblait être du pareil au même...je tenais évidemment à dire dans mes déclarations liminaires que nous étions d'accord. Je m'inquiète tout de même que, du fait qu'on ait attendu le mois de mai plutôt que de prendre la décision en février, au moment où nous en avons fait la proposition, si le Comité recommande - comme je suppose, puisque les Libéraux y sont majoritaires - que la mesure législative soit adoptée, nous n'ayons pas le temps voulu pour instaurer un système dont l'AFPC a proposé l'instauration dès février, pour que la personne intéressée par le programme d'encouragement à la retraite anticipée ou le programme d'incitation au départ anticipé puisse être identifiée.

Le ministre a déclaré que cela devait se passer avant qu'une personne ne soit déclarée excédentaire. Autrement, cela entraînerait des délais. Il a déclaré que tout système de remplacement ou de substitution devait être établi avant qu'une personne ne soit déclarée excédentaire.

Voilà pourquoi nous avons dit que nous n'avions pas été consultés. Nous ne connaissons pas les lignes directrices qui sont sur le point d'être annoncées. Nous ne savons pas non plus qui aura la responsabilité de contrôler leur application. Si on ne confie la tâche qu'aux ministères, comment va-t-on assurer les communications entre les divers ministères de manière à ce qu'ils sachent que madame une telle du ministère X est disposée à se prévaloir du programme d'encouragement à la retraite anticipée ou d'incitation au départ anticipé et que monsieur un tel du ministère Y est sur le point d'être déclaré excédentaire, de manière à ce qu'ils puissent échanger leurs emplois? Il faut instaurer ce système.

Mme Stewart: Vous avez tout à fait raison à ce sujet. Je crois d'ailleurs que nous avons pu constater d'après les témoignages et certainement d'après nos conversations avec divers syndicats qui représentent la fonction publique que certains systèmes de ce genre ont vu le jour spontanément. Compte tenu de sa souplesse et des modalités d'application prévues, la mesure législative suscite déjà des initiatives. De toute manière, j'apprécie fort vos commentaires.

Ainsi donc, vous avez été content...

M. Bean: Absolument.

Mme Stewart: ...de la réponse du ministre hier. Je crois que la majorité de ceux qui oeuvrent dans la fonction publique sont d'accord également.

M. Bean: J'ai toutes les raisons de le croire. C'est certainement ce qu'on semble constater.

Mme Stewart: Ainsi, votre prochain motif de satisfaction... Le ministre a parlé abondamment au cours du débat - et il s'en est entretenu avec vous, j'en suis convaincue - de la création de comités patronaux-syndicaux et des mesures à prendre pour assurer le bon fonctionnement du programme. Je ne crains donc pas que la stratégie ne voie qu'un côté des choses. Il a dit à de nombreuses reprises qu'il collaborera avec les comités patronaux-syndicaux durant la mise en oeuvre de tout le programme.

.1600

M. Bean: C'est très louable et nous sommes d'accord avec cela. Le problème - et c'est pourquoi j'ai dit qu'il faudrait se dépêcher d'y trouver une solution - c'est que ces comités, je l'espère, seraient chargés de surveiller cela, mais puisque personne ne nous en a parlé, nous n'en sommes pas encore sûrs. Ces comités n'existent pas encore, on est en train de les créer. En fait, Mme Giampietri représentera l'AFPC au sein du comité national. Mais rien n'a encore été fixé de façon définitive.

Ce qui m'inquiète, c'est l'échéancier qu'on nous impose. Aurons-nous suffisamment de temps...

Mme Stewart: Mais vous seriez d'accord avec l'idée d'un comité national, si c'est la stratégie adoptée, et pour jouer le rôle de contremaître chargé d'informer ceux qui élaborent les politiques, n'est-ce pas?

M. Bean: Tout à fait. En fait, nous recommandons qu'un comité national et des comités régionaux participent pleinement à ce processus. Le problème c'est que nous devons maintenant trouver le moyen d'avertir les travailleurs de la Fonction publique, et j'ai commencé à le faire dans toute la mesure du possible.

Mme Stewart: J'ai l'impression qu'ils le savent.

M. Bean: Eh bien non, ils ne le savent pas. Jusqu'à hier encore on leur a dit qu'il n'y aurait pas de substitution dans la hiérarchie des ministères; ils ne le savent donc pas. Il n'y a pas de liste des personnes prêtes à prendre une retraite anticipée ou à quitter la fonction publique qui puisse servir à réaffecter les personnes qui ont déjà été déclarées excédentaires. Il n'existe pas de liste.

Dans un petit groupe, cela va bien, car il est facile de savoir qui veut quoi, parce que le nombre des employés est limité. Toutefois, je suis certain que dans les grandes collectivités, un grand nombre de personnes seraient prêtes à échanger leur poste, mais elles ne savent pas encore que c'est possible. Et puis, avec qui doivent-elles communiquer? Ce que je leur conseille, à partir d'aujourd'hui, c'est de faire connaître leur désir au ministère et, également, de communiquer avec le service compétent de l'Alliance de façon à ce que nous puissions commencer à mettre en place le processus nécessaire. C'est tout ce qui me préoccupe à cet égard.

Mme Stewart: Très bien.

Mme Brushett (Cumberland - Colchester): Vous avez dit entre autres, monsieur Bean, que d'après vous, les fonctionnaires n'ont pas eu l'occasion d'exprimer leur point de vue au gouvernement. Vous avez dit que très peu de Canadiens sont capables de faire connaître leurs opinions. Eh bien, j'ai rencontré les représentants de deux syndicats, samedi matin dernier, dans ma circonscription de la Nouvelle-Écosse. Ils ont exprimé leurs opinions avec éloquence quant à ce que nous devrions faire du projet de loi C-76. Je les ai écoutés avec beaucoup d'intérêt et j'ai transmis leurs préoccupations au Comité. En outre, j'ai offert mon appui à John McEwen, au Nouveau-Brunswick, et aux autres de toute la région de l'Atlantique. Les gens ont donc la possibilité de s'exprimer. Je ne suis pas d'accord avec vous. J'affirme qu'ils sont capables d'exprimer leurs opinions de façon très éloquente.

M. Bean: Tout d'abord, malgré tout le respect que je vous dois, les quelques personnes que vous avez rencontrées ne sauraient représenter les quelque 200 000 employés de la fonction publique. Je ne prétends pas représenter chacun des membres de l'AFPC. Je fais de mon mieux. Mes opinions ne font pas toujours l'unanimité.

Quant aux programmes sociaux et aux effets du projet de loi, je doute très fort que John McEwen se soit dit en accord avec ce qui est proposé. Je connais très bien John McEwen. Je ne crois pas qu'il se soit dit en faveur du projet de loi C-76, dans lequel on propose un programme qui met en péril les programmes d'assurance-maladie et divers programmes sociaux.

.1605

Mme Brushett: Je voulais dire que les gens ont non seulement l'occasion d'exprimer leur opinion, mais aussi quelqu'un auprès de qui le faire: un député qui est là pour les écouter. À mon avis, les députés jouent un rôle précieux dans ce domaine. Il est peut-être plus important d'écouter nos commettants, qu'ils soient fonctionnaires ou vendeurs de journaux dans les rues. Les gens ont l'occasion d'exprimer leur opinion sans que notre Comité ait à se déplacer dans tout le pays et à dépenser encore plus d'argent pour les entendre.

M. Bean: C'est important qu'ils puissent faire connaître leur opinion à leur député, j'en conviens. Si j'avais eu des doutes à ce sujet, l'influence qu'ont exercée nos membres pour amener le ministre à accepter la substitution aurait certes suffi à me convaincre de la valeur de cette façon de procéder.

Mais à cela s'ajoute autre chose. Il y a un comité qui siège - même si, je dois l'avouer, il n'y a pas trop de députés ici...

Le président: Ce qui compte, c'est la qualité, monsieur.

M. Bean: Il est important que nos membres puissent parler à tous les membres du Comité, autant que possible, s'ils sont là. Ce serait satisfaisant.

Le président: Monsieur Bean, il y a proportionnellement aujourd'hui dans cette salle plus de représentants de notre Comité que de votre syndicat.

M. Bean: C'est bien possible, mais si vous voulez que nous corrigions cette disproportion, cela peut s'arranger.

Le président: Oh, j'en ai rencontré un grand nombre.

M. Bean: Je peux prendre les mesures nécessaires. Je pourrais en réunir un grand nombre ici, en très peu de temps, mais vous n'apprécieriez peut-être pas la chose.

Le président: Je pourrais peut-être les rencontrer chez moi.

M. Bean: D'accord, nous allons organiser une réunion chez vous.

Le président: Merci.

M. Bean: Je crois que c'est le tour d'Eugenia Repetur.

Mme Eugenia Repetur Moreno (directrice générale, Association canadienne des travailleurs sociaux): Je ne saurais laisser passer de tels commentaires, car ils ne sont pas justes. Dire que tous les Canadiens ont accès à leur député, ce n'est vrai qu'en partie. Il s'agit ici d'un projet de loi qui met en oeuvre des décisions annoncées dans un budget. Si je me rappelle bien, c'est la deuxième fois seulement qu'un projet de loi omnibus touche autant de questions importantes. Même si les Canadiens peuvent communiquer avec leurs députés, un trop grand nombre de citoyens touchés par les décisions de ce budget n'ont pas les ressources nécessaires pour influer sur les décisions qui sont prises.

Où un chômeur pourrait-il aller chercher les ressources nécessaires pour analyser les conséquences qu'auront sur lui les changements apportés à l'assurance-chômage? Comment des mères seules, qui arrivent à peine à survivre, sous le seuil de la pauvreté, pourraient-elles obtenir l'argent nécessaire pour faire faire une analyse montrant comment elles seront touchées par les changements que vous proposez d'apporter aux transferts faits aux provinces?

Que les députés soient là pour écouter leurs commettants, c'est bien, mais lorsqu'il s'agit de fournir des opinions et des analyses aux décideurs du pays, cela ne suffit pas.

Le président: Merci.

Mme Brushett: Pour répondre à votre observation, vous ne tenez pas compte de ce que, les samedis matin, une foule de commettants viennent à nos bureaux pour exprimer leur opinion de façon très éloquente, faire savoir ce qu'ils attendent du gouvernement et de la société et discuter des problèmes. Vous vous faites une opinion fausse des citoyens. Ils sont très capables de nous le faire savoir exactement... La plupart d'entre nous ont des lignes téléphoniques sans frais. En outre, les citoyens ont entre autres des groupes qui les représentent dans la collectivité.

Mes commettants ne se gênent pas pour me faire connaître leur opinion. Bien sûr, comme l'a dit M. Bean, nous ne sommes pas toujours d'accord. Mais ils ont néanmoins la possibilité de discuter et d'échanger des idées sur la façon la plus efficace d'offrir les programmes payés avec l'argent des contribuables.

.1610

M. John Baglow (vice-président exécutif, Alliance de la Fonction publique du Canada): Les travaux de votre Comité auront pour aboutissement les décisions qui seront prises au sujet du projet de loi C-76.

Il ne suffit pas de dire que les bureaux de comté sont ouverts à tous. Mme Stewart nous a demandé de faire des propositions - ses propos ne sont pas officiels, monsieur. Nous avons proposé que le Comité plénier se déplace pour entendre les témoignages des habitants des régions quant aux effets que les dispositions du projet de loi C-76 auront sur leurs régions et les économies locales. C'est un moyen bien plus efficace d'obtenir des renseignements, pour un comité qui, après tout, a un rôle énorme à jouer dans les décisions qui seront prises. C'est plus efficace que d'entendre quelques citoyens à son bureau de comté le samedi matin.

En fait, nous nous écartons du sujet. Il ne s'agit pas de savoir dans quelle mesure les députés écoutent leurs commettants. Il s'agit d'un processus d'étude en comité et de la façon dont il est possible de participer à cette étude.

Le président: Madame Stewart, voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Stewart: Non, merci. La réponse de M. Baglow est suffisante.

Le président: Permettez-moi d'intervenir. Les députés, plus encore que le public, profitent du travail incroyable que font les fonctionnaires. Comme vous l'avez dit, votre syndicat représente 75 p. 100 d'entre eux.

D'après mes quelques années d'expérience en politique, je peux dire que nous sommes remarquablement bien servis par nos fonctionnaires. Lorsque j'ai eu affaire à eux, j'ai été très satisfait. C'est tout à leur honneur, de même qu'à celui des dirigeants syndicaux et, dans certains cas, de leurs patrons.

Je sais que vous aviez convenu d'accepter des gels de salaire en retour d'une sécurité d'emploi; cet accord n'existe plus. Ce n'est pas par plaisir que nous siégeons ici pour organiser les mises à pied de 45 000 fonctionnaires. Au contraire, nous le faisons la mort dans l'âme. Lorsque vous dites, à la page 44 de votre mémoire, que «beaucoup de membres de la l'AFPC craignent, et à juste titre, que la réduction de 45 000 emplois aboutira à les placer dans des situations où ils auront personnellement besoin d'assurance sociale», les membres du Comité sympathisent avec vous. Nous nous faisons énormément de souci.

Je suis très content que le ministre ait annoncé hier d'autres moyens de collaborer avec vous en vue d'effectuer des substitutions qui permettront, dans une grande mesure, de procéder par départ volontaire.

Pour veiller à ce que cette proposition de substitution, de départ volontaire, ou d'autres solutions donne de bons résultats, seriez-vous prêts à travailler en étroite collaboration avec le Conseil du Trésor, de façon à ce que le choix des employés excédentaires soit fait de façon équitable, que les substitutions soient conformes aux lignes directrices et qu'elles se fondent sur le mérite et non sur le favoritisme?

M. Bean: Oui. Toutefois, je ne sais pas encore quelles sont les lignes directrices. Si les lignes directrices nous satisfont, nous sommes tout à fait prêts à collaborer.

Le président: Seriez-vous prêts à collaborer avec le Conseil du Trésor pour l'élaboration de ces lignes directrices?

M. Bean: Tout à fait. Nous serions très heureux de participer à leur élaboration.

Le président: Les membres du Comité auraient vraiment préféré qu'on puisse en arriver à une solution entièrement négociée. Mais comme ce n'est pas possible, nous voulons éviter que des fonctionnaires compétents soient retirés de leur poste parce que sont appliquées des lignes directrices ou des directives ministérielles autocratiques. Nous serions très satisfaits de pouvoir procéder par départ volontaire. Votre collaboration pour atteindre ces objectifs accroîtra nos chances d'en arriver à des solutions équitables pour tous.

M. Bean: J'en serais très heureux. Même si nous ne sommes pas d'accord avec les 45 000 mises à pied, nous ne sommes pas...

Le président: Cela ne nous fait pas plaisir non plus.

M. Bean: Permettez-moi de terminer et vous verrez que nous sommes d'accord. Nous ne sommes pas ici pour débattre des 45 000 mises à pied. Je l'ai dit moi-même au président du Conseil du Trésor. J'accepte le fait que ces mises à pied auront lieu, mais cela ne me fait pas plaisir.

.1615

Je suis ici pour vous parler d'équité. Cela devrait être possible en imposant la retraite ou le départ anticipé à ceux qui y sont admissibles en raison de leur âge ou de leur fonds de pension, tandis que ceux qui autrement seraient licenciés et qui ont des compétences semblables pourraient occuper leur poste en échange. Voilà ce que nous voulons faire. C'est notre but.

Le président: D'après ce que M. Eggleton a annoncé hier, je ne sais pas si c'était bien détaillé, et il est possible qu'aucun d'entre nous ne le sache avant de voir les lignes directrices, votre collaboration et votre participation à la mise en vigueur des mesures nous aideront sans doute énormément.

Au nom de tous les membres du Comité, je voudrais vous remercier, non seulement pour votre présentation d'aujourd'hui, mais également pour votre contribution à notre pays.

M. Bean: Merci beaucoup.

[Français]

Le président: Nous poursuivons maintenant avec M. Serge Morin et Mme Michèle Giguère de la Table de concertation.

Est-ce vrai que M. Dubé est votre député?

Une voix: Oui.

Le président: Est-ce un bon député?

M. Antoine Dubé (Lévis): [inaudible]

Le président: C'est vrai. [inaudible]

Monsieur Morin, veuillez commencer.

M. Serge Morin (Table de concertation): Je m'appelle Serge Morin. J'ai 28 ans et je suis chômeur. Je n'ai pas complété mes études universitaire. J'ai la moitié d'un bac à l'université et j'ai une dette d'étudiant de 10 000$ à rembourser.

Ça fait deux ans que je travaille avec des personnes âgées et j'ai constaté qu'il y a un grand manque dans les foyers, les foyers privés, l'aide à domicile et dans tout ce qui concerne les aînés de notre société.

J'essaye de me trouver un emploi depuis maintenant deux ans. J'ai un projet dans la tête, celui d'ouvrir une maison pour les aînés, mais on me demande entre 30 000$ et 40 000$ pour pouvoir acheter une maison. Où puis-je trouver ce montant d'argent qui m'aiderait à aider la société?

J'ai décidé de continuer et de rêver à autre chose. Je tente maintenant de vivre dans cette société du mieux que je peux. J'essaye de «joindre les deux bouts» avec un salaire de 700$ par mois et un loyer de 400$ à 450$. Cela fait deux mois que je n'ai pas fait d'épiceries et que je mange chez des amis, dans ma famille, etc. J'ai hâte de pouvoir vivre de façon plus décente.

Vous pensez peut-être que ça ne paraît pas que je n'ai pas fait d'épiceries, mais la réalité est différente. Plusieurs personnes dans mon entourage m'aident et vivent avec moi cette situation. Présentement, je pense mettre sur pied un projet communautaire qui aiderait les gens âgés de 18 à 30 ans qui, comme moi, vivent des difficultés monétaires ou émotives. Il n'y aucun doute que lorsqu'on commence à vivre dans la pauvreté, dans la misère, la «déprime» s'installe.

Moi, j'ai naturellement un bon moral.

.1620

Il y a des gens autour de moi qui m'aiment et qui me motivent. Je peux continuer à rire un peu. Mais c'est vite le cas des personnes seules de tomber dans une espèce de «déprime», la tristesse est là et tout s'ensuit: des problèmes de santé mentale, des problèmes de violence avec les conjoints, avec les amis, etc.

On cherche de l'emploi. On «galvaude» d'un emploi à l'autre. On n'a plus de patience. On arrive à un nouvel emploi: on s'adapte toujours à nouveau. On est vraiment constamment déplacé et dans ses sentiments et dans sa vie personnelle.

J'ai essayé de lire le projet de la réforme, etc. J'aurais une question à poser: Quand aurons-nous des documents un peu plus vulgarisés qui permettront à une population normale, à une population sans trop d'instruction, de comprendre tout ce jargon, tout ce langage politicoéconomique?

Vous me poserez peut-être des questions sur tel ou tel article, mais je n'y comprends rien. J'ai essayé, pendant toute la fin de semaine, de me «débroussailler» et de lire tout cela. Je me suis dit: J'y vais avec tout ce que j'ai en-dedans, avec ma réalité de vie et c'est ce que je viens de vous présenter.

Ce n'est pas nécessairement en faisant des coupures qu'on peut réussir à changer ou à aider une population. Il faut mieux répartir l'argent. Je trouvais cela bien étrange parce qu'aujourd'hui, pour le prix d'une personne que vous pouviez aider à venir ici, nous sommes venus à deux pour le même prix. Donc, je crois qu'il est possible, dans une vie ordinaire, avec une certaine somme d'argent, d'aider deux personnes au lieu d'une en répartissant les frais, etc.

Nul n'est besoin de vous dire que la semaine dernière encore, lorsque j'ai eu de la difficulté à vivre ou à «joindre les deux bouts», avec plusieurs de mes amis, dans mon entourage, on a vu - ce n'est peut-être pas l'endroit pour le dire, mais je le dis quand même - M. Chrétien qui se trouvait en Europe aux fêtes du 50e anniversaire de la fin de la guerre, etc. Si on s'arrête à célébrer les choses du passé et qu'on n'aide pas les projets d'avenir, je ne sais où peut aller l'argent. C'était très fâchant de voir, pendant plusieurs jours, toutes les dépenses qui ont pu s'accumuler. J'aimerais mieux ne pas le savoir.

Je suis d'accord sur le fait qu'on se souvienne d'un tel jour parce que c'était un moment vraiment important pour la population, mais de là à étendre les festivités pendant des jours et des jours...

Également, j'ai vécu une expérience personnelle en me rendant au Centre d'emploi, il y a quelque temps. Je m'informais au sujet d'un progamme qui s'appelle l'article 25, un programme, d'ailleurs, qui subira des coupures et dont je ne pourrai pas bénéficier.

Je demande de l'information sur l'article 25. «Monsieur, il n'y a personne pour vous donner des renseignements. Ils sont tous en réunion.» Alors, je dis: Au nombre d'employés qui se trouvent dans ce bureau, il y a sûrement quelqu'un qui peut me donner des réponses. Je ne pars pas tant que je n'airai pas eu d'information sur l'article 25. «Monsieur, il n'y a personne.» Je dis: J'attends. Il n'y a personne derrière moi et j'attends ici.

L'employé se tourne vers un autre employé et dit : Mme Leblanc pourrait peut-être... On téléphone à Mme Leblanc. Elle est absente. J'attends. Un deuxième: non. Un troisième: non. On était rendu au quatrième: non. Aucune personne ne pouvait me renseigner sur le programme. Finalement, à la quatrième personne, j'ai rencontré quelqu'un qui a pu me renseigner sur le programme de l'article 25. Si j'avais baissé la tête et si j'étais reparti tout de suite, même s'ils offraient le service et qu'ils pouvaient me donner le renseignement, je ne l'aurais pas eu si je n'avais pas tenu tête. C'est dur pour quelqu'un qui n'a pas le moral à vouloir reprendre le travail, de demander une information et de se faire «retourner».

Comme message final, si vous avez des questions, je serais prêt à y répondre. Dans vos décisions... je ne le sais pas... parfois, je sens qu'on est rendu à un tournant. Essayer de mettre des visages sur une loi qu'on veut appliquer ou sur un changement de loi qu'on veut faire... Je pense que si on a des changements à faire au niveau des services sociaux, il faudra augmenter les budgets dans le domaine de la criminalité, au niveau des forces policières et des forces de maintien de la paix. La déprime, la violence, tout ça va s'installer et augmenter. Avec plus de violence, c'est la santé qui écope et au niveau de la santé, on veut couper aussi.

Donc, la prévention, ce serait peut-être plus d'agir au niveau des personnes, de leur qualité de vie et de leur dignité en tant que personnes, au lieu de se préoccuper de chiffres et de tout ce qui peut aider économiquement les plus fortunés, bien souvent. Merci.

.1625

Le vice-président (M. Campbell): Je vous remercie.

Nous commençons les questions. Monsieur Dubé.

M. Dubé: J'ai appris hier qu'un citoyen et une citoyenne de ma circonscription avaient demandé à comparaître aujourd'hui devant le Comité des finances. Je les connais, puisqu'ils sont de ma circonscription. J'aimerais qu'ils nous parlent de la table de concertation elle-même, qui concerne les jeunes de 18 à 30 ans.

Votre témoignage, en effet, a été très éloquent et a bien montré le désarroi d'un grand nombre de jeunes face à la situation de l'emploi, face au risque de diminution des programmes sociaux.

J'aimerais que vous nous disiez qui vous représentez. Moi, je le sais, mais j'aimerais que vous le fassiez pour l'édification des autres membres du Comité.

M. Morin: D'accord. Nous faisons partie d'une table de concertation qui essaie de rassembler des jeunes de 18 à 30 ans, un secteur de la société qui est souvent mis de côté ou qui ne réussit pas à prendre sa place.

Au cours des dernières années, heureusement les choses ont bien marché. Il existe plusieurs programmes pour les jeunes de 12 à 18 ans, pour les maisons de jeunes, pour tout ce qui concerne l'aide aux jeunes, avant qu'ils ne soient majeurs. Quand ils le deviennent, du jour au lendemain les services n'existent plus. Ils ne reçoivent plus d'aide, n'ont plus personne à qui s'adresser.

Notre groupe essaie de trouver des solutions. Appartenant à une région semi-rurale ou semi-urbaine par comparaison avec les populations de la circonscription qui vivent dans des régions hors du circuit urbain, on connaît quand même aussi les problèmes de pauvreté qui peuvent exister dans des régions moins accessibles: pas de transport en commun, etc.

Nous cherchons donc à mettre sur pied un café ou un lieu de rencontre, ce qui briserait l'isolement dans lequel se trouvent ces personnes. Durant la journée, au lieu de rester chez elles à ne rien faire, elles pourraient être invitées à venir y passer un peu de temps. Souvent, seulement en brisant l'isolement, en rencontrant des gens qui vivent la même situation qu'elles, elles se sentent moins seules et il leur naît des idées de projets.

Ces idées, nous aimerions les mener à terme, par exemple, si les gens veulent ensemble mettre sur pied une entreprise ou simplement une source de renseignements sur les services existants. Quand les gens restent chez eux, ils ne peuvent se rencontrer. Certains trouvent intimidant de se déplacer, d'aller au CLSC, dans des services d'entraide ou dans des endroits spécialisés, ou encore d'entrer dans un local ou d'être identifié par des amis, sur la route, alors qu'ils vont chercher des coupons d'épicerie, ou à l'épicerie alors qu'ils passent à la caisse avec des coupons de Centraide.

On veut essayer de déraciner cette sensation d'être pointé du doigt, d'être remarqué de cette façon, grâce à un lieu de rencontre ouvert à tout le monde, grâce à un café où tout le monde peut venir. À cet endroit, les personnes peuvent obtenir des menus à bon marché, parce qu'on leur fait un prix spécial ou parce qu'ils ont des intérêts dans ce lieu. Par exemple, on leur servirait un café ou une soupe à 1,50$ le midi, au lieu de 3$ ou 4$, comme dans un restaurant ordinaire, peut-être par le biais d'une carte que nous connaissons. Tout ceci afin qu'ils puissent mener une vie sociale somme toute normale par rapport à celle d'autres citoyens.

C'est un de nos projets. On pense aussi à tout le côté artistique et culturel qui, souvent, sommeille chez ces personnes. Ce sont souvent des artistes, des personnes un peu marginales qui se retrouvent dans des conditions de vie plus précaires. Elles auraient ainsi un lieu où s'exprimer, où faire valoir leur art et où se faire connaître. Leur dignité humaine en serait grandie.

Est-ce que ça répond à votre question? Michèle pourrait aussi en parler un peu.

M. Dubé: Oui.

Mme Michèle Giguère (Table de concertation): Nous sommes un groupe de gens réunis par le truchement du CLSC. C'est un des travailleurs du CLSC qui s'est rendu compte que ce secteur de la population souffrait d'isolement et de manque de services. Il nous a rassemblés.

Ce que nous essayons de faire, c'est de trouver une solution à cette situation pour répondre à ce besoin, grâce à la mise sur pied d'un café, d'un centre de «ressourcement».

.1630

Nous aiderions les gens en leur apprenant comment se trouver de l'emploi, à se «ressourcer», à se restimuler, à réintégrer le marché du travail et à développer un sentiment d'appartenance à la communauté, car les gens perdent ce sentiment-là quand ils perdent l'estime de soi à cause de la perte d'un emploi. C'est ce que nous voulons faire.

M. Morin: Oui, et avec l'idée que c'est les jeunes avec les jeunes qui s'aideront à s'en sortir. Et non pas nécessairement aller voir des adultes ou des fonctionnaires... On a quand même besoin de toutes les subventions, de toute l'aide des fonctionnaires, pour des entreprises ou des projets.

Mais, quand les jeunes veulent avoir le palier entre les deux, quand ils rencontrent d'autres jeunes qui peuvent les aider à faire le pivot entre l'équipe de fonctionnaires qui nous aident et l'équipe de jeunes qui arrivent, alors qu'ils ne savent pas où aller, on pourrait être un peu la transition entre les deux.

M. Dubé: Il existe toute une série de programmes s'adressant aux jeunes, des programmes autant fédéraux que provinciaux. J'en ai dénombré à peu près 101. Le chiffre exact se situe entre entre 103 et 108; il existe plus de 100 programmes;

Cependant, souvent on se rend compte que le gouvernement fédéral a tendance à prévoir des programmes s'adressant aux prestataires d'assurance-chômage. Le gouvernement provincial a tendance à prévoir des programmes qui s'adressent aux bénéficiaires de l'aide sociale. Mais, il se trouve des gens qui, à un moment donné dans leur vie, se retrouvent dans une autre catégorie. Je voudrais savoir si cela correspond à la lecture de la société que je fais à cet égard. Il se trouve un bon nombre de gens qu'on appelle les sans-chèque, c'est-à-dire les entre deux. Je sais que vous avez entendu parler de ces gens-là. Comment trouvez-vous cette situation là? Dans le projet de loi C-76, il y a une partie qui porte sur des normes, c'est-à-dire sur la possibilité de modifier les normes nationales.

Maintenant, il y a deux points de vue là-dessus: le point de vue québécois qui trouve qu'on a toujours trop de normes nationales qui viennent du gouvernement fédéral et le reste du Canada qui a tendance à dire qu'il en faudrait plus pour contraindre les provinces. J'aimerais que vous me parliez des problèmes des personnes qu'on appelle les sans-chèque.

Mme Giguère: Parfois, ils n'ont pas accès... Par exemple, si une personne travaille au salaire minimum, à temps partiel, elle est aussi pauvre que quelqu'un qui dépend de l'aide sociale, elle n'a peut-être pas le peu d'avantages qu'elle aurait en tant que prestataire d'aide sociale et il lui est plus difficile d'obtenir des services, de l'aide.

Par exemple, quelqu'un qui est assisté social peut aller au service d'entraide de sa communauté et recevoir des coupons de «bouffe» au supermarché, mais ce n'est pas le cas pour les personnes qui travaillent. C'est plus difficile pour les personnes qui sont sans-chèque, comme vous dites.

M. Morin: Ça ne fait pas longtemps que je suis prestataire parce que je travaille dans un foyer, comme je l'ai dit auparavant. Mais, j'ai mentionné que le propriétaire du foyer a un bon emploi dans la voierie, pour refaire les routes; il travaille pour des compagnies qui font de l'asphalte et construisent des chemins.

Ses timbres de chômage sont si élévés qu'il peut se permettre de m'enlever mon emploi, de recevoir son assurance-chômage, de rentrer mes petites payes à 6$ l'heure et moi, je n'ai pas mon emploi parce que lui - en plus de son assurance-chômage - , il peut gagner jusqu'à 200$ par semaine tandis que pour moi, ce montant de 200$ me ferait vivre décemment.

Mais, lui, en tant que travailleur, il peut gagner, selon la loi, jusqu'à 300$ ou 250$ par semaine, en plus de recevoir un chèque d'assurance-chômage. Donc, il m'enlève mon emploi et reçoit un double salaire pendant ce temps-là. Cela est injuste, mais il en a le droit parce que la loi le lui permet.

S'il y avait une réforme à faire, ces gens-là seraient aussi pénalisés après avoir obtenu un deuxième emploi, lorsqu'ils reçoivent l'assurance-chômage à cause de timbres si élevés.

Mme Giguère: Un gros «chômage».

M. Morin: Un gros «chômage» qui me permet de ne pas avoir de travail parce que lui...

M. Dubé: Je laisserais peut-être le Parti libéral poser une question et puis, s'il reste du temps, je me réserve la possibilité...

Le vice-président (M. Campbell): Madame Brushett.

[Traduction]

Mme Brushett: Je voudrais remercier M. Dubé de vous avoir demandé de fournir des détails sur votre organisme. Je l'ai beaucoup apprécié car je ne connaissais pas votre groupe.

.1635

Permettez-moi de dire également que cela me fait plaisir d'entendre votre témoignage. Tous les députés du pays s'inquiètent de la situation du groupe d'âge que vous représentez, Serge et Michèle, c'est-à-dire les jeunes de 20 à 30 ans qui essaient d'entrer sur le marché du travail. Il semble que même ceux qui ont fait des études supérieures n'arrivent pas à trouver un emploi.

Dans votre café, lorsque les gens vous racontent leurs déboires, que vous essayez de les encourager et de les orienter, vous est-il possible de les aiguiller d'une façon quelconque vers un emploi, par le truchement de l'assurance-chômage ou d'un autre bureau?

Mme Giguère: Oui, notre rôle consiste entre autres à renvoyer les gens à différents groupes. Mais ce n'est pas toujours possible. Parfois, les gens ne sont pas prêts à réintégrer le marché du travail. Les gens qui n'ont pas travaillé depuis longtemps sont démotivés et ne sont pas en mesure de faire tout de suite ce pas. Il leur faut retrouver leur estime d'eux-mêmes. Ils ont besoin d'un endroit sûr où ils peuvent obtenir des petites victoires et progresser tout doucement. On ne peut pas se contenter de les renvoyer ici et là. Ils ont besoin d'une transition.

Mme Brushett: Viennent-ils au café pour de grandes périodes de temps?

Mme Giguère: Nous n'avons pas encore ouvert le café. Nous y travaillons; nous attendons des subventions.

Mme Brushett: Vous attendez des fonds?

Mme Giguère: Oui. Nous attendons des réponses.

Mme Brushett: À votre demande? D'accord.

Dans mon travail de députée, je tiens souvent des réunions dans les hôtels de ville de ma circonscription. L'un des problèmes qui ressort souvent, comme vous l'avez dit, c'est que des travailleurs, surtout des jeunes qui acceptent des emplois au salaire minimum, ont moins d'argent pour vivre et payer leurs factures que d'autres qui reçoivent de l'aide sociale. Certaines de nos politiques ont pour effet d'encourager les gens à avoir recours à l'aide sociale, plutôt que d'accepter un emploi. Des jeunes vous ont dit également, nous avez-vous dit, qu'il est parfois plus avantageux de recevoir de l'aide sociale en raison de certains des avantages qui en découlent.

Avez-vous des recommandations à faire à ce sujet, des propositions sur la façon dont on pourrait résoudre ce problème afin que les gens acceptent les emplois qui existent?

M. Morin: Je vais essayer de répondre à votre question. Mon budget mensuel est de 700$. À la fin du mois, il ne me reste rien. Il me manque toujours de 50 à 80$. J'ai pensé que je pourrais avoir recours à l'aide sociale. Je ne sais pas si cela me donnerait moins d'avantages, mais est-ce que cela vaut la peine de travailler sans cesse pour toujours se retrouver sans argent?

Lorsque j'ai préparé mon rapport d'impôt, j'ai dû payer 70$ de plus. J'étais tellement découragé. C'est peut-être à juste titre que je devais payer cet argent, mais cela représentait presque 800$. Le gouvernement du Québec m'a remboursé 600$, mais je devais en payer 800 au gouvernement fédéral. Il me manquait 70$, et j'ai dû envoyer un chèque à la fin du mois. Je me demandais bien pourquoi. J'ai gagné 10 000$ au cours de l'année et je dois encore payer. C'est très dur pour les gens. J'avais envie de tout laisser tomber.

Mme Brushett: Que peut faire le Comité des finances, que peuvent faire les députés? Que pourrions-nous faire pour faciliter la vie aux personnes qui vivent sur la corde raide?

Mme Giguère: De toute évidence, il faut réévaluer le programme d'assurance-chômage et l'aide sociale.

.1640

Toutefois, cette réévaluation ne devrait pas être faite dans l'orientation actuelle, mais plutôt dans l'autre direction - pas en vue de les réduire, mais pour les rendre plus efficaces et pour aider les gens.

On parle de gens qui n'ont pas de prestation, mais il y a aussi ceux qui reçoivent des prestations d'assurance-chômage. Je connais des gens qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts et qui ne peuvent recevoir d'aide sociale parce qu'ils doivent recevoir des prestations d'assurance-chômage. S'ils travaillent trop, ils perdront leurs prestations. Ils ne peuvent travailler suffisamment pour gagner leur vie et ils ne peuvent pas se passer de l'assurance-chômage. Ils ne savent pas quoi faire et vivent dans une très grande pauvreté. C'est terrible. C'est à cela qu'il faut trouver des solutions, au lieu d'effectuer des compressions.

Mme Brushett: Dans la réforme sociale, nous envisageons des solutions comme la possibilité de travailler tout en recevant des prestations d'assurance-chômage ou d'aide sociale. Les sommes gagnées ne seraient pas soustraites du montant des prestations.

Mme Giguère: Sans pénalité.

Mme Brushett: Oui, et cela inciterait les gens à gagner leur vie...

Mme Giguère: Pour s'établir.

Mme Brushett: ...et à se libérer, si possible, de leur dépendance. Croyez-vous que ce soit la bonne orientation?

Mme Giguère: Oui, ce serait utile. Les pauvres s'endettent car ils n'ont jamais assez d'un mois à l'autre. Ils doivent emprunter chaque mois. Tous les gens que je connais empruntent chaque mois car ils ne peuvent joindre les deux bouts.

Même si vous finissez par trouver un emploi, vous devez rembourser vos prêts étudiants. Vous devez de l'argent à la société d'électricité. Tout le monde vous tombe dessus lorsque vous commencez à travailler. C'est une situation impossible.

[Français]

M. Peterson (Willowdale): D'après moi, les membres du Comité du développement des ressources humaines devraient vous entendre. Est-ce que vous avez comparu devant eux?

Mme Giguère: Non.

M. Dubé: Le Comité est allé à Lévis.

M. Peterson: J'aimerais bien qu'on écoute vos problèmes ainsi que les solutions que vous avez proposées. Puis-je vous poser une autre question? Il s'agit de la dette que ma génération vous a imposée. D'abord, croyez-vous qu'il soit nécessaire de faire quelque chose concernant la dette ou est-il possible de l'ignorer? Deuxièmement, est-ce que vous ne trouvez pas un peu injuste que nous ayons profité de cette dette pour ensuite laisser ce fardeau à votre génération?

M. Morin: Est-ce que nous devons l'ignorer? Peut-être pas. Comme je l'ai dit tout à l'heure, ce serait comme si on ignorait la guerre qui a duré 50 ans. Cela fait partie de notre histoire et ça nous appartient. De plus, je suis du genre à penser que je suis aussi responsable de ma collectivité et de cela.

Est-ce que c'est juste? Non plus. C'est surtout injuste lorsque je vois que dans le Budget fédéral, on ne va pas chercher de l'argent dans les grandes entreprises pour régler la dette, mais on va couper dans les besoins que nous avons, nous, les gens simples. Donc, on ne cherche pas à nous aider à alléger ce fardeau. J'ai une amie, fille-mère, qui a eu un bébé l'année dernière et quand l'enfant criait et qu'elle ne savait pas pourquoi, je lui disais que c'était parce qu'il savait qu'il avait déjà 20 000$ de dettes. Il faut vivre avec cela.

Donc, cela nous appartient, mais il faut aller chercher les solutions là où il y a de l'argent et non pas là où il n'y en a pas. Si on laisse ces gens-là continuer à avoir de l'argent, on continuera à avoir la dette. Si on va chercher l'argent chez ceux qui n'en ont pas, on ne pourra jamais éponger la dette. Pour moi, c'est logique.

De là à dire que c'est injuste, je me dis que l'histoire est injuste, du début à la fin.

.1645

Je suis prêt à l'assumer, mais là où il faut.

[Traduction]

M. Peterson: Votre solution ressemble un peu à l'histoire du voleur de banque à qui le juge demandait pourquoi il volait les banques et qui lui a répondu: «Parce que c'est là qu'on trouve l'argent».

[Français]

J'aimerais vous remercier de votre témoignage et du travail que vous faites chez les jeunes et les chômeurs. Merci beaucoup.

Le vice-président (M. Campbell): Il nous reste quelques minutes. Si vous avez d'autres questions, monsieur Dubé...

M. Dubé: On voit, d'après ses questions, que monsieur le président a beaucoup d'expérience. Et cela vous a permis de livrer l'essentiel de votre message aujourd'hui. La question était très bonne pour permettre de synthétiser ce message. Je vais me faire un peu l'avocat du diable en disant que certaines personnes de ma génération - j'ai eu 48 ans hier - ont l'impression que les jeunes n'utilisent pas nécessairement tous les moyens pour se sortir de leur situation. Certains autres disent que parmi les moyens utilisés, lorsqu'on était dans les années 1968-1970, en France ou ailleurs, on voyait les jeunes se regrouper dans des mouvements de masse incroyables et pourtant, la dette n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui, ni la situation économique. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus difficile, et vous dites vous-même que, d'une certaine façon, c'est même très injuste. Comment se fait-il que les jeunes aient tant de difficulté à se regrouper maintenant? Comment expliquez-vous la chose?

M. Morin: Je crois qu'on est dans une société qui prône la solitude, qui prône le chacun pour soi. On mange autour d'une table à deux ou quatre, alors qu'autrefois, c'était à six ou huit et avant ça, c'était à douze ou quinze. On était habitué à avoir du monde autour de soi, à passer ses bottes à son frère etc., alors que maintenant, on ne fait plus ça. C'est la même chose dans la vie. On a des difficultés, mais on ne pense pas à demander de l'aide au voisin. Ça ne se fait pas aussi naturellement qu'avant. Et si on ose le faire, si un assisté social ose le faire et qu'on le découvre, on lui coupe des allocations. Donc, on reste chacun chez soi ou on double les coûts pour obtenir le plus possible, mais ce n'est certainement pas la solution. D'autre part, le rêve d'une vie meilleure est peut-être absent, car c'est souvent la «déprime». Les émissions de télévision étaient peut-être moins bonnes en ce temps-là, je ne sais pas. C'est une question que je me pose aussi. Mais, il est certain que l'idée de s'isoler est très forte, de ne pas aller chercher de l'aide ailleurs, parce qu'on n'est pas habitué à vivre en communauté ou de profiter des ressources de l'autre.

Mme Giguère: Je pense aussi que les gens souffrent énormément, dans ce groupe-là, de problèmes de santé mentale, de dépression, d'angoisse, etc.... Ce sont des problèmes de santé mentale légers, mais c'est tout de même sérieux parce que les gens ne vivent pas normalement. Et l'isolement ne vient rien arranger.

M. Dubé: Cela m'amène à poser une autre question. Dans la région où vous êtes, Chaudière-Appalaches, au Québec, vous savez sans doute que le taux de suicides est le plus élevé du Québec. On sait déjà le Québec est le deuxième endroit du monde où le taux de suicides est le plus élevé. C'est effrayant!

.1650

En dehors de toute partisanerie, vous avez très bien présenté le vécu de votre génération, de votre groupe de jeunes qui vivent dans la même situation, et je vous en félicite. Mais, vous avez dit au début de votre intervention que, si nous pouvions vous aider, ce serait dans le partage. Alors, dans le sens de simples mesures comme celle-là, voyez-vous d'autres solutions qui seraient à la portée des gouvernements pour aider davantage les jeunes et qui leur donneraient de l'espoir? C'est important, l'espoir, et cela me préoccupe beaucoup, d'autant plus que nous allons bientôt changer de siècle, de millénaire, et il faut donc se demander ce qui pourrait donner de l'espoir.

Mme Giguère: Je pense qu'il est absolument impératif de réserver plus d'argent et de donner la priorité aux services offerts aux jeunes. Il est nécessaire de faire de la prévention auprès des adolescents, afin de les préparer à affronter l'avenir. Il faut offrir de meilleurs services à ce groupe de personnes qui devraient pouvoir aller plus facilement à un bureau d'aide sociale ou de chômage. Il faut absolument améliorer le fonctionnement de tous ces services.

M. Dubé: Qu'est-ce qui pourrait changer? Parce que nous sommes en ce moment dans un contexte de diminution des ressources humaines et aux prises avec des problèmes budgétaires. Que faudrait-il changer dans le fonctionnement des bureaux gouvernementaux?

Mme Giguère: Les services sont de plus en plus difficiles à obtenir. Quand on se présente à un bureau, il est normal d'attendre une heure avant de pouvoir parler à quelqu'un. D'autre part, les fonctionnaires sont stressés parce qu'ils ont trop de travail et ils deviennent agressifs. C'est donc une situation stressante pour tout le monde. Si le personnel diminue encore, ce sera catastrophique.

M. Dubé: Pour terminer, je voudrais encore une fois vous féliciter pour votre détermination. Je voudrais aussi rappeler que ces jeunes sont venus d'eux-mêmes de Lévis, et non pas sur mon incitation, pour vous faire connaître leurs problèmes et leurs difficultés.

Le président: Même si cela avait été à votre instigation, c'était utile. Merci monsieur Dubé.

Le vice-président: Monsieur Dubé vient de nous dire qu'il a 48 ans et j'ai moi-même 45 ans. Quand j'avais 18 ans, on disait qu'il ne fallait jamais avoir confiance en quelqu'un qui avait 30 ans. Est-ce qu'on dit cela encore ou non?

Mme Giguère: Moi, j'approche de cet âge-là...

Le président: Oh! Oh!

M. Morin: Peut-être que ça se dit encore, mais j'essaie d'inspirer la confiance chez les autres.

[Traduction]

Mme Brushett: Nous n'allons quand même pas tous dévoiler notre âge, non?

Le vice-président (M. Campbell): Votre témoignage a été très intéressant et très utile et vous nous avez fait grande impression. Je vous remercie d'avoir pris le temps et, comme l'a dit M. Dubé, d'avoir fait preuve d'une telle initiative et d'avoir eu l'énergie de venir nous rencontrer. Je vous souhaite bon succès dans tout ce que vous faites et surtout pour cette subvention pour votre café.

[Français]

Le vice-président: Merci bien. À la prochaine!

Mme Giguère: Merci beaucoup.

.1655

[Traduction]

Le vice-président (M. Campbell): Nous allons maintenant faire une pause de cinq minutes.

.1656

PAUSE

.1705

Le président: Nous reprenons nos travaux.

Nous poursuivons l'examen du projet de loi C-76.

Nous accueillons maintenant, de l'Association canadienne des travailleurs sociaux, des personnes que nous connaissons bien, Mme Julie M. Foley, présidente, et Mme Eugenia Moreno, directrice générale.

Mme Julie M. Foley (présidente, Association canadienne des travailleurs sociaux): J'aimerais tout d'abord m'excuser de ne pas vous avoir fait parvenir notre mémoire plus tôt. Pour ce genre de choses, notre organisme compte sur le bénévolat, compte sur le fait que ceux parmi nous qui travaillent 50 ou 60 heures par semaine feront cela en plus.

Je veux également m'excuser du fait que le mémoire n'est qu'en anglais. Nous allons faire traduire ce mémoire pour nos membres, et nous serions heureux de vous le faire parvenir alors afin qu'il n'y ait pas double emploi.

Le président: Merci. Ne vous inquiétez pas; rares sont ceux qui nous font parvenir leur mémoire à l'avance ces temps-ci. Vous n'êtes donc pas les seuls.

Mme Foley: Merci.

L'Association canadienne des travailleurs sociaux, une fédération, regroupe 10 organismes provinciaux qui représentent environ 14 000 travailleurs sociaux dans tout le Canada. L'association se veut le chef de file national dans la lutte pour renforcer et défendre la profession au Canada. Nous appuyons fortement l'excellence dans l'exercice de la profession et cherchons à élaborer, à promouvoir, à appuyer et à maintenir des normes nationales. Par son engagement à promouvoir l'examen et l'élaboration de politiques sociales, à favoriser et à préconiser l'action sociale et la recherche, l'association travaille en vue d'assurer à tous les résidents canadiens la justice sociale et le bien-être.

L'association représente la collectivité canadienne des travailleurs sociaux à l'Association internationale des travailleurs sociaux et y joue un rôle très actif.

Nos propos aujourd'hui se limitent aux aspects pratiques du transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux et aux changements marqués que cela représente au niveau de la politique fédérale. À notre avis, le budget de 1995 ne constitue pas simplement un plan financier visant à respecter un contrat social conclu préalablement. Il s'agit plutôt d'une modification importante au contrat social établi depuis longtemps sans consultation publique ni analyse d'incidence.

Les travailleurs sociaux canadiens travaillent dans plus d'une dizaine de domaines, y compris le bien-être de l'enfance, l'éducation, la pratique privée, l'orientation industrielle et le domaine correctionnel. Nombre de nos membres travaillent dans le domaine de la santé, mais le plus grand nombre travaillent dans ce que l'on appelle généralement les services sociaux, c'est-à-dire qu'ils travaillent avec des personnes et des familles qui sont confrontés aux effets de la violence familiale, de la victimisation, de la pauvreté, du chômage et de ces autres facteurs qui amoindrissent les possibilités personnelles et les contributions éventuelles à la collectivité.

Certaines tragédies dont nous sommes témoins quotidiennement sont le résultat du hasard, mais dans nombre d'autres cas, il s'agit du résultat d'un système et d'une culture du Canada des années 1990. À notre avis, le gouvernement a la responsabilité de s'attaquer à ces facteurs.

Les travailleurs sociaux travaillent non seulement en première ligne avec les Canadiens et leurs familles, mais ils travaillent également dans les domaines de l'élaboration et de la mise en oeuvre de politiques. Cet exposé tient donc compte de notre expérience personnelle du problème, de notre compréhension de l'origine de nombre de ces problèmes ainsi que de notre expérience des subtilités et complexités de l'élaboration de politiques.

Nous aimerions d'abord aborder la question de la politique sociale comparée à la politique économique. On a souvent débattu la question de savoir si la politique économique devait être formulée en fonction d'objectifs de la politique sociale ou vice versa. Néanmoins, je pense qu'en dernière analyse on convient généralement que ces deux domaines de politique sont inextricablement liés.

Nous comprenons que nous ne vivons pas dans le vide. Nous savons que de nombreux facteurs au Canada sont influencés par ce qui se produit ailleurs dans le monde. La même logique doit s'appliquer à la relation entre la politique sociale et la politique économique. Les objectifs de la politique sociale doivent donner un aperçu des réalisations de la politique économique en fonction des limites réaliste que nous impose notre situation financière.

Toutefois, la direction donnée par le budget de 1995, et plus particulièrement par le transfert, révèle qu'une politique économique précise oriente le programme de la politique sociale: la réduction du déficit à tout prix. Le budget reprend la philosophie actuelle des marchés monétaires, philosophie qui n'est à toutes fins utiles pas contestée dans le débat général auquel se livrent les médias, la Chambre des communes et le milieu des affaires au Canada.

.1710

Nous avons un problème d'endettement et de déficit auquel il faut accorder toute notre attention. Toutefois, si nous nous concentrons exclusivement sur notre déficit économique en fermant complètement les yeux sur notre déficit social, qui prend déjà de l'ampleur, nous risquons de perdre les gains économiques à cause des conséquences d'une plus grande dissension au sein de la société.

Le déficit social se manifeste par des taux de chômage et de sous-emploi constamment élevés, par une augmentation de la pauvreté chez les enfants et par une très grande réduction des possibilités pour les jeunes familles, ce qui est particulièrement inquiétant, puisque sans l'espoir que l'avenir sera différent, l'espoir même est encore réduit. Le désespoir qui en résulte crée un ressentiment dirigé contre les groupes défavorisés comme s'ils étaient la cause du problème.

Nous voulons vous mettre au défi, honorables députés, et vous faire comprendre qu'il y a des choix à faire dans les valeurs et les objectifs fondamentaux et dans les moyens utilisés pour discuter de ces valeurs et de ces objectifs avec les Canadiens. Or, ce sont les valeurs qui sont au coeur même de la fibre sociale du Canada qui sont implicitement contestées dans le budget de 1995.

Le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux proposé regroupera trois grands domaines financés à même les deniers publics: la santé, les services sociaux et l'enseignement postsecondaire. Ces secteurs se feront maintenant concurrence comme jamais auparavant pour obtenir leur part du gâteau économique réduit. Examinés ensemble, il ressort clairement que ces trois secteurs n'auront pas les mêmes possibilités. De plus en plus, dans le coeur et l'esprit des Canadiens, ils n'occupent plus la même place. Toutefois, comme dans les cas de la politique économique et de la politique sociale, ces trois domaines sont reliés, et tout changement dans un secteur entraînera immanquablement des changements dans les autres.

Parmi les trois secteurs, c'est probablement celui de la santé que les Canadiens estiment le plus. C'est en partie ce qui nous définit et ce qui nous distingue des Américains. C'est également un programme universel, contrairement aux deux autres. Nous utilisons tous ou nous pouvons imaginer que nous utilisons le régime de soins de santé, et nous voulons donc qu'il soit accessible et performant lorsque nous en avons besoin. Ce que les Canadiens comprennent moins bien, c'est que la santé est beaucoup plus étroitement liée à l'éducation, à l'emploi et à la pauvreté qu'aux hôpitaux ou aux soins.

Dans un document du gouvernement de l'an dernier, on reconnaissait que les facteurs déterminants de la santé globale d'une population incluent le revenu, les services sociaux, l'éducation, l'emploi, le milieu physique, le développement harmonieux de l'enfant, la capacité d'adaptation, la biologie et la supériorité génétique. Tous ces facteurs sont expliqués dans Strategies for Population Health.

Il est généralement admis que les composantes de notre régime de soins de santé coûteux et très technique - nombreux sont ceux qui diraient trop technique - ont peu à voir avec la santé. Ces composantes sont en fait devenues nécessaires pour combattre et soigner les conséquences parce que nous n'avons pas fait attention aux facteurs déterminants de la santé. Toutefois, dans une comparaison avec les soins de santé, même l'enseignement postsecondaire obtiendra une priorité inférieure, parce que nous sommes nombreux à ne pas s'en être prévalus bien que nous voulions peut-être que nos enfants puissent en bénéficier.

Si la santé et l'éducation sont au premier et au deuxième rangs, les services sociaux se placent au troisième rang, loin derrière. Les services sociaux sont fréquemment synonymes de bien-être social ou d'abus. Les services sociaux, particulièrement l'assistance sociale, ne sont pas des services que la plupart des Canadiens qui n'en ont pas fait l'expérience peuvent même s'imaginer utiliser. On ne comprend pas non plus très bien la contribution de cette myriade de services sociaux à l'amélioration d'un ou plusieurs des facteurs déterminants de la santé. Afin de tirer profit de cette connaissance, nous devons nous assurer que dans un premier temps les budgets seront préservés et même augmentés plutôt que de permettre le sabotage que le projet de loi C-76 finira par entraîner.

Nous savons également que les services qui ne touchent pas nos cordes sensibles - et le bien-être social figure certainement dans cette catégorie - les problèmes qui n'ont pas de solution facile, et les services que l'on ne peut s'imaginer utiliser, tout cela n'a pas un grand appui chez le public. Nous pensons que M. Martin et les rédacteurs du budget de 1995 ont très bien compris la valeur différente que le public assigne à ces trois composantes et ont su en profiter.

.1715

Ce n'est pas une simple coïncidence que dans le projet de loi C-76 on tente de préserver les principes fondamentaux de la Loi canadienne sur la santé tout en réduisant à un seul les critères d'assistance sociale.

Nous appuyons vigoureusement le gouvernement fédéral dans sa tentative de préserver le régime de soins de santé que nous connaissons. Toutefois, le traitement différent accordé à l'assistance sociale mine encore plus un service conçu à l'intention des plus vulnérables. C'est déjà le cas dans les trois provinces «riches»: l'Ontario, la Colombie-Britannique et l'Alberta. Ces provinces ont presque perdu leur rang de provinces «riches» à cause du plafonnement du Régime d'assistance publique du Canada. À titre d'exemple, la part fédérale moyenne par bénéficiaire de l'assistance sociale en 1993-1994 en Ontario n'était que de 1 900$. Dans les autres provinces, ce montant était de 3 200$. Vu l'engagement pris par le gouvernement libéral d'être équitable, il faut remédier à cette injustice, et non pas l'aggraver par le projet de loi C-76.

Si l'assistance sociale ne bénéficie pas d'un financement qui lui soit propre, parce que l'on semble penser qu'il n'y a pas suffisamment d'argent pour tout financer, ce secteur perdra du terrain dans la tentative de préserver l'assurance-maladie. Le choix sera fondé sur les sentiments et quelques préjugés.

Les clients de l'assistance sociale sont peu influents et n'ont aucun poids dans les antichambres du pouvoir. Ceux qui prennent leur défense sont dénigrés sous le vocable de «groupes d'intérêts spéciaux», comme si les chambres de commerce, les banques et les grandes sociétés ne constituaient pas également des groupes d'intérêts spéciaux. Tous ces groupes contribuent au débat, mais pas plus que les autres.

À une époque où l'on reconnaît que l'intégration des systèmes de services dans les domaines de la santé, des services sociaux et de l'éducation constitue le moyen d'offrir de meilleurs services et d'en avoir le plus pour son argent, le projet de loi C-76 renforce les obstacles traditionnels entre les secteurs. C'est inacceptable. On met ainsi en place une concurrence inacceptable entre les enfants affamés et les vieillards malades. Les innovations que l'on commence à voir dans tout le pays, et qui sont fondées sur une collaboration entre secteurs, seront les premiers domaines coupés parce qu'ils sont moins établis et que souvent ils ne sont pas exploités par les élites.

En ce qui concerne les normes nationales, de notre point de vue, il est essentiel de s'interroger sur ce concept, de déterminer pourquoi nous avons ces normes et si celles-ci continuent à avoir une valeur pour les Canadiens du 21e siècle. Les programmes nationaux de service social découlent d'un consensus national voulant que les familles n'aient plus jamais à souffrir du désespoir et de l'indignité qu'elles ont endurés au cours de la crise des années trente. Ce consensus national s'est élargi pour inclure les prestations pour les personnes âgées et les soins de santé.

Les temps ont beaucoup changé. Les véhicules conçus avec le temps doivent être réexaminés et mis à jour. De nombreux Canadiens ne sont pas assez âgés pour se rappeler pourquoi on a mis ces programmes en place, mais le désespoir du chômage, actuel ou anticipé - et à notre avis il est aussi douloureux d'anticiper que de vivre l'événement - et la douleur de se voir incapable de nourrir sa famille sont exactement les mêmes aujourd'hui qu'en 1935. On a à peu près autant de contrôle individuellement sur cette situation qu'en 1935.

Qu'il s'agisse des villages de pêcheurs de Terre-Neuve ou du centre industriel dévasté de l'Ontario, le Canada est confronté à un chambardement économique en profondeur. Les changements structurels exigent que nous pensions clairement, que nous contestions les opinions traditionnelles et que nous agissions dans l'intérêt de tous les Canadiens.

.1720

Nous devons réfléchir sérieusement aux valeurs à partir desquelles nous allons élaborer ou modifier les systèmes; nous devons contester l'idée traditionnelle voulant que ce soient les programmes sociaux ou leurs utilisateurs qui sont à blâmer; nous devons agir de façon à ce que tout particulièrement les Canadiens vulnérables ne soient pas menacés dans une plus grande mesure. Sinon, le coût collectif sera énorme: perte de contributions à la collectivité; pauvreté accrue; crainte croissante chez le public au sujet de sa sécurité personnelle - entraînant la mise en place de barricades coûteuses afin de protéger ceux qui sont plus ou moins avantagés.

Outre l'obligation morale du gouvernement national de s'assurer que tous ses citoyens sont traités sur un pied d'égalité, il existe également une obligation sur le plan juridique. Comme l'ont souligné les Citoyens pour la justice publique dans leur mémoire au comité, l'article 36.1 de la Constitution assigne une responsabilité en la matière:

Nous sommes persuadés que le projet de loi C-76 annonce la fin de cet engagement pris à l'égard de tous de maintenir des normes nationales dans les domaines de la santé, de l'enseignement postsecondaire et de l'assistance sociale. Nonobstant l'intention de maintenir les cinq principes de la Loi canadienne sur la santé, il est utopique et naïf sur le plan politique de croire que la fin des transferts monétaires aux provinces permettra au gouvernement fédéral de continuer à imposer des normes nationales, dans les faits ou juridiquement.

Il y a déjà de nombreuses preuves que dans certaines provinces on serait heureux d'abandonner certaines des normes prévues dans la Loi canadienne sur la santé. Nous faut-il plus de preuves encore ou des contestations coûteuses devant les tribunaux pour nous apprendre ce que nous savons déjà? Les choses ne sauraient être que plus graves dans le cas de l'assistance sociale.

Les 14 000 membres de l'Association canadienne des travailleurs sociaux estiment qu'il est important pour le 21e siècle d'avoir des normes nationales. Celles-ci nous aident à définir notre identité comme Canadiens; elles réduisent la concurrence entre les provinces; mais, plus important encore, elles assurent un traitement égal pour tous les Canadiens au niveau des services essentiels.

Le budget de 1995 et le projet de loi C-76 représentent l'abandon marqué de valeurs bien établies et d'arrangements de partage des coûts dans les domaines de la santé, de l'enseignement postsecondaire et des services sociaux au Canada.

Le gouvernement Mulroney nous avait lancés sur la route rocailleuse du passé en modifiant furtivement la politique sociale. Les Canadiens ont cru, tout comme nous, que le gouvernement libéral avait l'intention de faire le contraire. Si l'on veut donner suite à cette intention, il faut tenir des consultations publiques élargies afin de revoir les anciennes valeurs avant d'en adopter inopinément de nouvelles.

Cette consultation publique doit se faire de façon à permettre à tous les Canadiens de comprendre les ramifications des propositions actuelles. Pour la plupart des Canadiens, la seule conséquence du budget de 1995, c'est l'augmentation du prix de l'essence. Ils ne se doutent pas du tout que cela va beaucoup plus loin. Ils ne savent pas qu'il ne s'agit pas uniquement d'un plan financier, mais également d'un plan pour un Canada très différent de ce que nous avons connu par le passé.

L'appui généralisé du budget représente, à notre avis, le résultat d'hypothèses fragiles, à peine formulées.

À certaines époques, le gouvernement est en tête de file; à d'autres il est à la remorque. Le gouvernement de la Saskatchewan de M. Tommy Douglas a joué le rôle de chef de file en mettant en place l'assurance-maladie. Le gouvernement libéral fédéral de M. Lester Pearson a suivi avec l'adoption de la Loi canadienne sur la santé. Ces deux mesures étaient importantes, et nous en avons bénéficié.

.1725

Le moment est venu pour le gouvernement de prendre la tête du peloton, comme prévu, pour réexaminer le système de sécurité sociale.

Qu'est-il arrivé au Comité permanent du développement des ressources humaines de M. Axworthy? Son objectif était de réformer la sécurité sociale tout en assurant un climat financier sain. A-t-on sacrifié cet objectif au dieu de la réduction du déficit à tout prix?

L'objectif devrait consister à promouvoir la compréhension et à obtenir des Canadiens un consensus réfléchi relativement à une politique sociale progressiste dont en dernière analyse nous profiterons tous, et à produire des revenus qui financeront de façon adéquate un développement économique et social durable.

L'Association canadienne des travailleurs sociaux ne constitue pas une force conservatrice qui préconise le maintien du statu quo. Nos membres participent déjà sur de nombreux terrains à des changements systémiques efficaces: les soins de santé, la sensibilisation aux réalités ethnoculturelles, le développement communautaire. Toutefois, nous préconisons une réforme bien pensée qui n'entraînera pas une plus grande différence entre les Canadiens, une réforme qui présente des options justes et responsables.

À cette fin, nous avons deux recommandations précises à faire.

D'abord, que le gouvernement fédéral s'acquitte de ses responsabilités en matière de leadership en tenant une consultation nationale sur les changements fondamentaux qu'il propose dans nos valeurs. Il n'est pas trop tard pour le faire. En fait, la question est beaucoup trop importante pour ne pas tenir de consultation. Le processus démocratique et nos traditions exigent la participation du public avant que le gouvernement n'entreprenne, de façon plutôt arbitraire, des changements aussi énormes pour lesquels il n'a reçu aucun mandat.

Deuxièmement, que l'examen des options de financement de la santé, des services sociaux et de l'éducation porte non seulement sur les questions des valeurs fondamentales, mais également sur toute la gamme des options disponibles en matière de revenus.

Merci.

Le président: Merci, madame Foley.

[Français]

Monsieur Dubé, vous pourriez peut-être commencer.

M. Dubé: Merci, monsieur le président. Merci pour votre intention de traduire votre mémoire éventuellement. J'arrive personnellement à bien lire l'anglais, mais j'ai plus de difficulté à comprendre. C'est pour cette raison que je veux parler en français.

Vous avez raison de dire que la population n'a pas nécessairement pris conscience de tous les impacts du Budget. Bien que vous ayez parlé d'ordre national, ce que je vois surtout - je veux voir si j'ai bien compris - c'est que vous vous inquiétez des coupures dans les transferts aux provinces pour ce qui est des programmes sociaux. Vous avez dit finalement que, vu que vous représentiez le domaine des services sociaux, vous déplorez la concurrence et que vous craignez de façon particulière que, parmi les trois cousins, ce soit le domaine des services sociaux qui soit le plus affecté. J'aimerais que vous m'expliquiez davantage pourquoi vous craignez que ce secteur-là, plus que les deux autres, soit affecté.

[Traduction]

Mme Foley: Tout d'abord, je tiens à souligner que nous pensons que cela devrait être le contraire. Nous ne pensons pas que la santé et l'enseignement postsecondaire doivent être coupés à l'avantage des services sociaux. Par contre, si nous pensons que les services sociaux sont le troisième cousin, c'est que le public est très attaché aux soins de santé, ce qui empêcherait que ce secteur soit d'abord coupé. C'est un service plus universel, dont nous faisons tous usage; l'enseignement postsecondaire, dans une moindre mesure.

Les gens de ma génération n'ont pas tous fait des études postsecondaires, mais je pense que nous voulons tous que nos enfants en fassent, alors que les services sociaux sont exclus d'un usage généralisé.

.1730

La classe moyenne peut bénéficier de soins de santé et a accès à l'éducation postsecondaire - en tout cas elle peut y aspirer - tandis qu'il existe une aversion pour l'assistance sociale, parce qu'on croit parfois, à tort, que la plupart des assistés sociaux le sont par leur propre faute. C'est cette attitude à l'égard de l'assistance sociale qui va aboutir à l'érosion de services, alors que l'attitude à l'égard de la santé et de l'éducation est bien différente.

Cela répond-il à votre question?

[Français]

M. Dubé: Oui. Vous avez dit, à la page 7 de votre mémoire, au premier paragraphe, que l'Ontario, au chapitre du RAPC, ne recevait plus que 1 900$ tandis que les autres provinces recevaient 3 200$. Si je comprends bien, le programme du RAPC se basait sur l'aide fédérale à 50 p. 100, jusqu'à un certain plafond de services, et au-delà de cela, le gouvernement fédéral ne contribuait plus. Est-ce que je comprends bien quand vous me dites qu'en Ontario, l'aide fédérale est plus basse que la moyenne nationale, ce qui veut dire que l'Ontario aurait réduit sa propre contribution dans de tels écarts? Je n'arrive pas à comprendre. Ce que je connais de l'Ontario, c'est qu'il y a là un niveau de services sociaux plus important que la moyenne.

[Traduction]

Mme Foley: Je me rends bien compte que cette référence à 3 200$ pour les provinces autres que l'Ontario est une moyenne. Cette somme n'est pas la même dans chaque province. Il s'agit d'une moyenne dans les autres provinces. Il s'agit de la part du gouvernement fédéral par prestataire.

Le taux d'assistance sociale en Ontario est le plus élevé du pays, de sorte que le gouvernement provincial verse une contribution beaucoup plus élevée par prestataire que les autres gouvernements provinciaux. Cela s'explique du fait qu'en Ontario, surtout dans les secteurs industriels et manufacturiers, la récession du début des années 90 s'est fait ressentir durement. Ainsi, en Ontario, le nombre d'assistés sociaux a grossi davantage que dans n'importe quelle autre province. Au moment où le nombre des assistés sociaux grimpait en Ontario, on a fixé un plafond à la part du gouvernement fédéral. Ainsi, parce qu'un plus grand nombre de prestataires est visé par ce plafond, la moyenne de la contribution fédérale par prestataire baisse. La part du gouvernement fédéral est moins grosse en moyenne par personne.

Le plafond imposé au RAPC ne pouvait pas venir à un moment plus inopportun pour l'Ontario. C'était précisément au début de la récession.

Est-ce que...?

[Français]

M. Dubé: Oui. L'explication que vous donnez, c'est que le nombre d'individus qui bénéficiaient de l'aide sociale à cette période-là était plus important proportionnellement en Ontario. Est-ce que c'est encore la situation cette année?

[Traduction]

Mme Foley: Dans le Globe and Mail d'aujourd'hui, on rapporte qu'actuellement, en Ontario, le pourcentage des assistés sociaux par rapport à la population est plus élevé que dans n'importe quelle autre province. Cela est lié à deux facteurs: tout d'abord - et c'est celui qui pèse le plus - le taux de chômage ou le sous-emploi, et, ensuite, les modifications aux prestations d'assurance-chômage, car des gens qui par le passé pouvaient toucher l'assurance-chômage ne le peuvent plus désormais et deviennent donc assistés sociaux. C'est une statistique qui étonne, car on ne s'attend pas à cela.

[Français]

M. Dubé: Je vais ajouter quelque chose après.

Le président: Vous pouvez continuer.

M. Dubé: Je vais laisser la parole à mes collègues. Si on a un autre témoin ou s'il reste quelques minutes, je continuerai.

.1735

[Traduction]

Mme Brushett: Vous avez dit que les services sociaux pourraient être le cousin pauvre et que c'est sans doute là que les provinces rogneraient le plus au moment de répartir les sommes allouées. Puisque quotidiennement vous avez affaire à des gens qui sont touchés directement par les services sociaux, je vous demanderais si vous estimez que le statu quo est acceptable. Il me semble que tous les ans on injecte davantage d'argent dans les services sociaux et que l'on encourage presque les gens - comme par exemple les représentants de certains groupes que nous avons entendus plus tôt aujourd'hui - à croire qu'il est parfois plus avantageux d'être assisté social que d'accepter un travail à faible rémunération.

Pour ma part, j'ai consulté mes commettants à propos de la réforme sociale et sur ces questions précisément. Sans cesse, on m'a répété que les gens préféraient travailler, et on m'a dit que le statu quo, c'est-à-dire le système actuel, ne fonctionnait pas. Ainsi, si vous vous portez à la défense du système, est-ce à dire essentiellement que vous appuyez par exemple le régime actuel, où des mères seules, avec enfants, sont laissées à elles-mêmes dans de vieux appartements? Ce faisant, nous ne leur rendons pas service. Elles demandent une assistance sous d'autres formes, car l'argent n'est pas toujours la réponse.

Mme Foley: Vous avez tout à fait raison à cet égard. Il est en tout cas très clair à la dernière page de notre mémoire que nous ne préconisons pas le statu quo.

Il faut faire deux choses.

A mon avis, les programmes qui ont été conçus dans le contexte d'une autre époque doivent être réexaminés impérieusement. Nous estimons que parfois il n'y a pas eu assez d'analyses de l'incidence des divers éléments. Vous avez tout à fait raison: il ne suffit pas d'injecter plus d'argent pour régler certains problèmes. Il est nécessaire de les aborder sous un angle différent.

Mme Brushett: Tout à fait.

Mme Foley: Il faut se tourner vers la motivation, vers les éléments qui contribuent à l'édification de l'estime de soi. L'évaluation de certains programmes prouve que certains ont une incidence, mais d'autres n'ont pas été assez bien évaluées, alors qu'il serait nécessaire de le faire. Il est indéniable que nous n'avons pas réussi dans certains cas à trouver le moyen de tirer le potentiel maximal de tous les programmes.

En revanche, il faut bien dire qu'il est impossible, au niveau d'une famille de quatre personnes ou dans une entreprise de 10 000 employés avec un chiffre d'affaires énorme, de mettre au point une structure ou un régime qui répondra aux besoins de chacun tout le temps. Il faut donc se pencher sur le genre de risques que nous souhaitons prendre. Si notre régime est généreux et qu'il répond aux besoins d'un grand nombre de gens, il y aura des abus. Par contre, si l'on s'attarde uniquement à ces abus, nous risquons de les supprimer, mais en même temps nous risquons d'exclure des gens qui auraient pu en profiter. Il faut donc évaluer les risques en même temps que l'incidence réelle d'un programme.

Nous serions les premiers à vous signaler qu'on n'a pas toujours choisi la meilleure façon de faire.

[Français]

M. Dubé: Je vous remercie d'être venu témoigner. Je crois que vous avez raison dans votre postulat de base quand vous dites que les gens ne sont pas assez au courant.

Je suis membre du Comité du développement des ressources humaines. Dans le cadre de la réforme Axworthy, il y a eu une soi-disant large consultation. Pourtant, selon votre point de vue, il n'y a pas encore eu assez de consultation. Je ne comprends pas, il y a quand même 1 200 groupes qui ont présenté des mémoires à cette occasion. Je sais qu'ici, c'est au niveau du Comité des finances, mais vous dites bien qu'il faudrait davantage de consultation. Pourriez-vous expliquer votre point de vue là-dessus?

[Traduction]

Mme Foley: J'ai deux choses à dire en réponse à cette question. Le comité Axworthy a entendu le témoignage d'un grand nombre de particuliers et de groupes des quatre coins du pays. Mais il semble que cela soit resté lettre morte. Aucune mesure n'a été prise à la suite du travail du comité. On a l'impression que ce travail a été mis en veilleuse et que l'entreprise désormais suit un programme autre, tout à fait différent.

Nous ne reprochons qu'une chose au comité Axworthy: il n'a pas ratissé assez large. Il s'est borné à étudier une partie de la réforme du système. En outre, il ne s'est pas penché sur toutes les possibilités pouvant accroître les recettes, et il n'a pas pris en compte certains services destinés aux personnes âgées. Néanmoins, c'était un bon début, qui a donné l'occasion d'entendre d'excellents témoignages de sources diverses.

.1740

Le président: Puisque vous nous demandez d'envisager toute une gamme de moyens d'augmenter les recettes, je vous incite à nous présenter les idées que vous auriez à cet égard. Quelle aubaine si nous avions plus d'argent.

Je ne peux pas être d'accord avec vous sur un point. À la page 7 de votre mémoire vous dites:

Notre régime a le défaut de ne pas permettre à assez de gens de défendre les intérêts des plus pauvres. Je vous remercie infiniment non seulement pour le rôle que vous jouez dans la vie quotidienne de bien des Canadiens, mais également pour le rôle très important et constant que vous jouez auprès du Comité des finances.

.1742

PAUSE

.1744

Le vice-président (M. Campbell): Il faut bien dire que nous avons commencé à temps et sans dépassement de budget cette séance où nous poursuivons l'étude du projet de loi C-76.

M. Duncan Cameron (président, Centre canadien de recherche en politiques de rechange): Tout d'abord, je voudrais inviter les membres du comité à un déjeuner que le Centre de recherche en politiques de rechange donnera le 29 mai. Notre conférencier invité est le professeur James Tobin, prix Nobel d'économie. Vous recevrez un carton sous peu, et nous serons ravis si vous pouvez venir.

Le vice-président (M. Campbell): C'est une invitation tout à fait opportune.

.1745

[Français]

M. Cameron: Monsieur le président, comme on a distribué un exemplaire des notes que j'ai préparées en anglais, je vais faire ma présentation en français.

J'ai l'intetion de soulever trois sujets aujourd'hui. Premièrement, j'aimerais faire un commentaire sur les implications fiscales du projet de loi C-76. Deuxièmement, j'aimerais discuter de la question très importante des taux d'intérêt et, troisièmement, je vais faire une suggestion quant à l'ordre du jour de vos travaux pour les mois à venir.

Dès le début, mon organisation, le Centre canadien de recherche en politiques de rechange, a accepté que la priorité pour la politique macroéconomique, c'est de combattre le chômage. Dans le contexte actuel, il y a deux aspects qui sont importants: la réduction des taux d'intérêt réels et un système fiscal équitable. Évidemment, si on avait les deux, la croissance de la dette publique serait moindre. Quant à cette priorité, les groupes d'affaires disent souvent qu'il est impératif de réduire les dépenses courantes pour les programmes du gouvernement car la croissance de notre dette est tellement importante que c'est l'ennemi numéro 1.

Lorsqu'on réduit les dépenses pour les programmes, comme on va le faire par le projet de loi C-76, il n'y a pas de doute que le résultat sera d'augmenter le chômage, de ralentir la croissance de l'économie, de réduire les revenus du gouvernement et d'augmenter le déficit qui, pour sa part, est déjà intolérable.

Bien sûr, si les dépenses dans les programmes étaient accompagnées d'une chute automatique des taux d'intérêt, ça pourrait compenser pour la baisse de l'activité économique. Mais, si la Banque du Canada décide d'augmenter les taux d'intérêt en même temps qu'on entreprend des réductions de dépenses, nous aurons comme résultat une récession et ce, même en l'absence d'une récession aux États-Unis.

Donc, votre Budget, à moins qu'il y ait une réduction des taux d'intérêt, va léser tous les Canadiens les plus pauvres. Si vous le permettez, c'est pour cette raison que je veux revenir sur la question de la politique monétaire.

Au sujet de la politique fiscale, l'implantation de transferts canadiens termine le régime d'assistance canadien. C'est notre dernier programme à frais partagés avec les provinces. Ça veut dire que les dépenses du gouvernement vont être rattachées à l'augmentation du Produit intérieur brut. Donc, lorsque l'économie va aller en récession - et c'est inévitable - , il y aura moins d'argent à mettre dans les poches des pauvres exactement au moment où ils en auront le plus besoin.

Autrement dit, vous avez retiré l'aspect contre-cyclique de notre programme d'assistance sociale. En plus, évidemment, vous n'aurez plus de leviers de dépenses pour influencer les priorités nationales dans le domaine de l'éducation postsecondaire et dans celui des soins de santé. Ça, tout le monde le sait.

Vous obligez les provinces à choisir leurs propres priorités. À cause de l'abolition du régime d'assistance canadien, en fait, les provinces n'auront plus le droit de dépasser de 50 cents le dollar pour combattre la pauvreté. Elles vont peut-être choisir de dépenser dans le secteur des frais médicaux qui, à leur tour, augementeront parce qu'il y aura plus de pauvres et plus de chômeurs... donc, plus de malades dans la société.

Je vous épargne les commentaires sur les résultats du projet de loi C-76 en matière sociale. Je veux juste vous dire qu'au cours de la prochaine récession au Canada, nous nous attendons de voir une accélération du nombre de sans-abri, de suicides, de cas d'alcoolisme, de violence contre les femmes, d'abus contre des enfants, de la criminalité et de la dislocation familiale.

.1750

Je me trouve dans une situation un peu ironique. Ceux qui prêchent contre le déficit et qui conseillent une politique de réduction des dépenses vont accélérer la prochaine récession. Ceux qui veulent en priorité combattre le chômage ont une stratégie qui mettra les dépenses publiques sous contrôle sans réduire les services communs payés par les impôts.

Dans le débat public, les gens comme nous qui argumentons en faveur de combattre le chômage semblent avoir moins d'attention que ceux qui utilisent ce qu'il convient d'appeler le terrorisme du déficit.

Pour moi, les groupes tels que l'Institut C.D. Howe ou celui de Tom D'Aquino, lorsqu'ils parlent contre le déficit, contre les dépenses des programmes, c'est essentiellement un prétexte parce que c'est ce qu'ils veulent voir de toute façon.

Ils veulent voir une société dans laquelle les forces du marché ont libre cours, où nos représentants, nos députés, ont moins de voix dans la société, ont moins la capacité de voter les services publics.

Ils utilisent et cherchent à identifier les questions telles que l'inflation, le concurrence internationale et le déficit, ce qui leur permet de conseiller exactement la même chose à chaque fois, soit la réduction des dépenses gouvernementales.

On n'a pas besoin d'avoir lu Voltaire's Bastards, par John Ralston Saul, pour voir la faille dans ce genre de raisonnement. C'est ce qu'on appelle en français la pensée unique. Peu importe le problème, on offre toujours la même solution.

Le consensus des entreprises dans le besoin de transformer le rôle du gouvernement sur le libre-échange, la privatisation, la réglementation, c'était un projet des années 1980 et il y a des personnes chez les économistes qui ont élaboré une théorie pour soutenir cette idée.

Ce n'est pas juste les idéologies des entreprises, ni la nouvelle orthodoxie en sciences économiques, qui sont en jeu ici dans ce Budget. Il y a aussi les fonctionnaires du ministère des Finances - je suis un ancien fonctionnaire moi-même - qui ont fait l'analyse de l'impact sur l'économie des changements du côté de l'impôt et qui évaluent les conditions du marché monétaire, du marché des titres et des obligations.

Lorsque j'ai lu le Budget Martin, j'avoue que la réaction que j'ai eue, c'était que le gouvernement n'est pas sérieux quant à la lutte contre le déficit parce que s'il l'avait été, il aurait supprimé un certain nombre d'échappatoires fiscales.

À ce sujet, je vous réfère à notre alternative budgétaire fédérale de 1995, qui a été préparée en collaboration avec un groupe au Manitoba, sous la direction du professeur John Loxley, du département d'économie de l'Université du Manitoba. Je n'ai pas l'intention de m'attarder là-dessus.

Ce que j'aimerais aborder avec vous, c'est l'impact de vos coupures dans les programmes du gouvernement sur les taux d'intérêt. J'ai été stupéfié de lire un témoignage devant ce comité au début d'avril où un sous-ministre adjoint du ministère des Finances est venu dire ici: «S'il y a une croissance dans la dette canadienne, il y aura automatiquement une croissance dans les frais de remboursement de la dette». C'est comme si les taux d'intérêt n'existaient pas.

En fait, la dette canadienne pourrait doubler demain matin et, si les taux d'intérêt étaient réduits de moitié, les frais de remboursement de la dette seraient les mêmes. Il y a le ministère des Finances, il y a the Investment Dealers Association of Canada, qui ont enfin reconnu ce qu'on dit depuis cinq ans, à savoir que l'augmentation du déficit du gouvernement fédéral est attribuable à 100 p. 100 aux taux d'intérêt au Canada et aux frais de remboursement de la dette, point à la ligne.

.1755

Aussi longtemps que les taux d'intérêt réels au Canada seront supérieur à l'augmentation du produit intérieur brut, la dette va augmenter. Vous pouvez couper dans les programmes gouvernementaux autant que vous le voulez, et vous ne toucherez jamais à la question du déficit. Jamais!

Donc, le problème financier du Canada, ce sont des taux d'intérêt à court et à long termes qui sont trop élevés. Ce ne sont pas les dépenses gouvernementales. Cependant, le ministère des Finances soutient que seule une réduction des dépenses gouvernementales va enfin nous permettre de réduire les taux d'intérêt à long terme. D'autres, dont Pierre Fortin et nous-mêmes, disent que la Banque du Canada devrait avoir le pouvoir de réduire les taux d'intérêt à court terme et que la réduction des taux d'intérêt à court terme va faire en sorte que le choix de portefeuille des investisseurs va se porter sur les obligations à long terme, ce qui va réduire aussi les taux d'intérêt à long terme.

En fait, deux stratégies financières peuvent être identifiées, mais il me semble que le gouvernement a pris panique et pense qu'il n'y en a qu'une seule. Ces deux stratégies sont, premièrement, soutenir la monnaie canadienne et, deuxièmement, soutenir le marché des titres. La stratégie découlant du Budget qui est présente dans le projet de loi C-76, c'est d'essayer d'attirer l'argent étranger dans les obligations canadiennes à court terme, en dollars canadiens, de sorte qu'on aura plus de facilité à financer la dette canadienne.

Il est clair qu'au début des années 1990, étant donné que nos taux d'intérêt à court terme étaient cinq points plus élevés, et parfois plus, que les taux américains, les étrangers achetaient beaucoup de titres canadiens. Lorsqu'on a réduit l'écart entre les taux d'intérêt à court terme canadien et américain, le dollar a baissé et l'économie canadienne a commencé sa période de relance. Le ministère des Finances veut maintenant dire aux détenteurs de titres étrangers que la chute du dollar s'est arrêtée, que la valeur de leurs portefeuilles se maintiendra et que les coupures dans les programmes gouvernementaux réduiront les emprunts.

Le gouvernement ne peut pas jouer des deux côtés de la médaille. Lorsqu'il y a une chute du dollar, la Banque du Canada hausse les taux d'intérêt à court terme. Chaque fois qu'elle fait cela, elle hausse en fait les taux d'intérêt à long terme parce que le marché des titres à long terme va également baisser.

Pour maintenir la valeur du dollar canadien, la Banque du Canada est obligée d'emprunter des dollars américains et d'acheter des dollars canadiens sur le marché, ce qui est coûteux parce qu'il faut rembourser ces emprunts avec intérêt. Si la stratégie de la Banque du Canada et du gouvernement fonctionne tel que prévu, nous allons nous retrouver dans une situation où un pourcentage plus élevé de notre dette sera détenu à l'étranger, ce qui va nous donner encore moins de marge de manoeuvre pour réduire nos taux d'intérêt.

Si, plutôt que d'essayer de maintenir la valeur du dollar canadien et de rassurer les marchés internationaux, le gouvernement du Canada décidait de soutenir le marché des titres canadiens, s'il achetait, par exemple, des bons du Canada, des bons du Trésor pour son propre compte plutôt que d'essayer de persuader les étranger d'acheter des titres, les taux d'intérêt baisseraient et probablement aussi la valeur du dollar canadien.

.1800

Cependant, le gouvernement y gagnerait parce que les taux d'intérêt et les frais de remboursement de la dette seraient moindres, et nous aurions donc moins besoin d'emprunter. C'était bien l'objectif au départ, n'est-ce pas?

Lorsqu'on réduit les taux d'intérêt canadiens par une action directe de la Banque du Canada sur les taux d'intérêt, il nous en coûte moins que lorsqu'on le fait par une intervention sur le marché des devises. La Banque du Canada peut emprunter elle-même pour acheter les bons. J'ajouterai qu'en 1975, la Banque du Canada détenait 20 p. 100 des titres du gouvernement du Canada et qu'aujourd'hui elle en détient environ 7 p. 100.

Parlons du vrai problème. La dette canadienne est détenue au Canada essentiellement par les institutions financières et par nos banques à charte. Le problème est que le ministère des Finances a peur que nos banques vendent les titres canadiens et se dirigent vers d'autres monnaies.

Je suggère au ministre Martin de convoquer les banquiers canadiens à une réunion et de leur expliquer qu'ils ont été au début de la ligne de ceux qui ont fait les grands profits et que le moment est venu pour eux de reprendre leur place derrière cette ligne. Plutôt que d'essayer d'acheter le soutien des marchés financiers et de les rassurer, le gouvernement devrait réglementer davantage le marché des titres et des dettes.

Je reconnais qu'une telle stratégie impliquera que le gouvernement s'attaque aux riches, aux gens puissants de la société. Le gouvernement a fait son choix: il préfère attaquer les pauvres et les faibles, et cela, mesdames et messieurs, est le vrai sens de cette stratégie financière du gouvernement, le vrai sens du projet de loi C-76.

Pour moi comme pour vous, l'enjeu principal actuel des finances gouvernementales est de faire en sorte que les frais de remboursement de la dette n'éliminent pas les dépenses des programmes dont nous avons grandement besoin.

Ayant étudié ces questions depuis 30 ans, je crois qu'avec la complicité du ministère des Finances, le financement du gouvernement a été en quelque sorte sujet à une prise de pouvoir par la Banque du Canada. La Banque, plutôt que de jouer le rôle de serviteur du Parlement, en est devenue le maître. Ceci est inacceptable dans une démocratie où ce sont les élus, et non pas les fonctionnaires nommés, qui sont censés gouverner.

En conclusion, monsieur le président, j'ai une suggestion à vous faire. C'est que vous ajoutiez à l'ordre du jour de cette année une enquête importante sur les politiques des taux d'intérêt au Canada.

Vous devriez convoquer les fonctionnaires du ministère des Finances et de la Banque de Canada à faire part au public canadien de leur évaluation de la situation. Vous devriez également inviter les participants des marchés des titres et les banquiers à présenter leur point de vue et demander à un certain nombre d'économistes et même aux journalistes financiers, qui sont les conduits de ces idées, de comparaître devant le Comité des finances.

Vous devriez également regarder l'expérience d'autres pays où les taux d'intérêts sont moins élevés qu'au Canada. Au Centre canadien de recherche en politiques de rechange, il nous ferait plaisir de vous aider dans vos délibérations. Je vous remercie de votre attention.

[Traduction]

Le vice-président (M. Campbell): Merci, monsieur Cameron.

Je tiens à faire une précision. Nous avons reçu dernièrement le gouverneur de la Banque du Canada, et il va comparaître devant nous à intervalles réguliers parallèlement à la publication d'un rapport semi-annuel au sujet des politiques de la Banque. À de nombreuses reprises, y compris pendant les consultations pré-budgétaires à l'automne dernier, nous avons consulté des experts sur tous les aspects de la question des taux d'intérêt et des autres questions dont vous avez parlé. Je ne veux pas donner l'impression que nous n'avons pas étudié à fond ces questions depuis les 18 mois que le Comité existe. Nous allons continuer à les étudier, et nous sommes heureux d'entendre votre témoignage sur ces questions ce soir.

.1805

M. Cameron: Permettez-moi de répondre. Il va sans dire que je lis les délibérations de votre Comité depuis des années. C'est la source la plus riche de documentation sur notre système financier. À mon avis, ce serait fort dommage que le Parlement du Canada cesse de publier ces délibérations.

Je ne dis pas que vous n'avez pas entendu d'experts. Cependant, si vous demandez à un groupe d'économistes d'expliquer comment les taux d'intérêt sont déterminés - et je peux vous donner une réponse; je crois savoir comment on détermine les taux d'intérêt - vous allez obtenir des réponses différentes. Il faut pour cela une étude en profondeur. Il faut faire faire des recherches à l'externe. Donc, je ne dis pas que vous n'avez pas tenu des consultations très larges - j'ai comparu devant le Comité au moins 12 fois - mais je dis qu'il faut que cette question fasse l'objet d'une enquête poussée. Vous devriez peut-être aller consulter des gens à Tokyo. Le taux d'intérêt est de 1,75 p. 100 à Tokyo. Cela vaudrait peut-être la peine que vous alliez au Japon si vous pouviez déterminer comment obtenir un tel taux d'intérêt au Canada.

M. Peterson: Il s'agit de la productivité.

Le vice-président (M. Campbell): Je pourrais peut-être vous demander d'intervenir pour nous aider à obtenir le budget nécessaire pour faire un tel voyage. Je pense qu'avec les compressions budgétaires, un tel projet est irréaliste, mais je comprends ce que vous voulez dire. Merci.

Je donne d'abord la parole à M. Dubé.

[Français]

M. Dubé: De ce côté-ci, vous avez un représentant de l'Opposition officielle issu du Québec. Quand on entend un point de vue comme le vôtre, le travail de l'opposition s'en trouve facilité.

Mon but n'est pas de faire de la partisanerie. Je vous ai écouté avec intérêt. C'est la première fois que je vous entends, mais votre réputation s'était rendue jusqu'à moi. Je voudrais vous poser quelques questions pour préciser certaines choses avant d'aller plus loin.

J'ai bien aimé que vous mettiez l'accent sur les fameux taux d'intérêt. En donnant l'exemple du Japon, vous démontrez très concrètement qu'il existe des politiques de taux d'intérêt différentes dans le monde qui produisent des résultats différents. J'aimerais avoir une explication pour le bénéfice de mes collègues. Lorsqu'on coupe les dépenses publiques, ceci a un impact sur l'emploi. Est-ce que vous avez des chiffres là-dessus?

M. Cameron: Il est très tôt pour évaluer le Budget. Par exemple, je reçois des questions de Statistique Canada. Ils m'expliquent que depuis quatre ou cinq mois, on a créé, au Canada, environ 4 000 emplois. Quand je regarde le Budget de cette année, je vois qu'on s'attend à une augmentation de l'emploi de 3 p. 100, ce qui représente environ 400 000 emplois. Si dans les trois ou quatre premiers mois de l'année, on a créé 4 000 emplois, je me demande comment, au cours des huit prochains mois, on va créer les 396 000 autres.

Pour moi, l'emploi est créateur d'emplois. Plus vous créez d'emplois, plus vous avez de chance d'en créer d'autres. Dans le Budget, on élimine 45 000 emplois au gouvernement fédéral. On peut dire qu'il y aura certainement 45 000 autres personnes quelque part au Canada qui vont perdre leur emploi.

Lorsque le gouvernement épargne un dollar en dépenses salariales, il n'épargne pas un dollar, parce que 25c. de ce dollar lui seraient revenus sous forme de revenu. Donc, il y aura une baisse de revenu. Deuxièmement, on doit payer de l'assurance-chômage et de l'aide sociale à cette personne. On parle là de 25c. ou 35c. supplémentaires. Finalement, on fait une épargne de 35c. en réduisant les dépenses salariales de 1 $.

.1810

De plus, ces 35c. qu'on pense avoir épargnés seraient allés dans la poche de mon oculiste, par exemple, dont les activités baissent énormément, dans un magasin du coin ou dans la poche d'un propriétaire de maison. Donc, quand on épargne un dollar, on le perd l'année suivante. Ce n'est pas moi qui l'invente. C'est la science économique.

La seule situation où on pourrait dire le contraire, c'est dans le cas où toutes ces réductions de dépenses réduiraient les taux d'intérêt à un point tel que les gens se mettraient à dépenser plus, ou que les Américains achèteraient davantage nos produits de sorte que cela aurait un moindre impact. Mais en l'absence d'un autre facteur, je vous annonce officiellement que le secteur gouvernemental au Canada est en récession à tous les niveaux depuis un an.

M. Dubé: Je ne me rappelle pas exactement l'année de l'entrée au pouvoir de Balladur, le premier ministre français, qui avait suivi un peu votre suggestion en vue de diminuer l'impact des investissements étrangers sur la gestion des finances de la France. Il avait fait appel à la population française pour les bons du Trésor. Il a fait ceci et, pourtant, ma dernière lecture des taux de chômage en France m'indique qu'au niveau des jeunes notamment, le chômage est plus élevé qu'ici, au Canada. Je me fais l'avocat du diable, mais j'essaie de mettre votre théorie à l'épreuve.

M. Cameron: Je trouve qu'il y a un manque d'effort et d'imagination du côté du ministère des Finances, qui dépasse en fait toute raison. On propose d'emprunter cette année 26 milliards de dollars en plus de tout le recyclage qui doit être fait de la dette. C'est toute une tâche. Je ne sous-estime pas l'importance de le faire et de bien le faire.

Alors, pourquoi n'avez-vous pas, par exemple, pour les citoyens canadiens, une obligation de 30 ou 60 jours du gouvernement du Canada qui serait renouvelée automatiquement? Pourquoi ne crée-t-on pas agressivement un marché de titres pour les obligations gouvernementales? Aucune entreprise au monde ne s'attend à ce que le marché apparaisse devant elle. Il faut créer le marché. Nous devons donc créer un marché beaucoup plus large et beaucoup plus vaste auprès du public.

La dette canadienne, c'est un avoir. J'aimerais avoir deux ou trois fois plus de la dette canadienne dans ma poche. Ceci rapporte un taux d'intérêt. C'est une sécurité pour l'avenir des gens. Ceci devrait être beaucoup plus répandu chez les citoyens canadiens et l'être beaucoup moins chez les grands, surtout à l'étranger. Cela n'a pas de sens. Quand Balladur instaure un programme d'obligations de la France, il permet aux Français d'investir dans l'avenir.

Je regarde, par exemple, le gouvernement Rae en Ontario. Il a divisé son budget des dépenses en deux parties. Une partie comprend les dépenses courantes, ce que M. Parizeau appelle l'argent de l'épicerie. Le budget de fonctionnement, le budget de l'épicerie doit être, à mon avis, équilibré sous le cycle des affaires. Mais il y a toute une série de dépenses qui ne rapportent que dans 20 ans. Par exemple, l'investissement dans l'éducation d'un étudiant va rapporter pour le reste des jours de cet étudiant-là. Si on n'investit pas d'argent dans l'éducation de nos jeunes, si on ne permet pas aux gens de sortir de la pauvreté, c'est un désinvestissement. Si les gens investissent dans la société et qu'on emprunte pour payer la note aujourd'hui, ce sont les citoyens eux-mêmes qui vont en bénéficier avec un taux raisonnable et une répartition plus équitable de la dette parmi les membres de la société.

M. Dubé: Merci.

[Traduction]

Le vice-président (M. Campbell): Madame Brushett.

Mme Brushett: Merci, monsieur le président. Je vous remercie de comparaître devant nous, monsieur Cameron. Je dois avouer que j'ai moins d'expérience que le député Dubé, et que je ne vous connais pas de réputation. Je suis membre du Comité depuis quelques mois seulement.

Donc, je vous demanderais de bien vouloir m'expliquer ce que fait le Centre canadien de recherche en politiques de rechange. D'où obtenez-vous votre financement et qui servez-vous?

.1815

M. Cameron: Je suis professeur d'économie politique à l'Université d'Ottawa. Je travaille comme bénévole pour le Centre canadien de recherche en politiques de rechange, et j'en suis le président.

Cette organisation a été créée en 1980. Son énoncé de mission stipule clairement qu'elle a pour but de promouvoir des politiques économiques menant au plein emploi et à l'égalité des chances pour les hommes, les femmes et les citoyens défavorisés comme ceux qui souffrent d'un handicap, ainsi que les privilégiés. On a tellement dit de nous que nous penchions du côté des gauchistes que nous devrions toucher le sol maintenant. On nous a aussi qualifiés de groupe d'intellectuels qui défendent les travailleurs, ce qui n'est pas inexact.

Nos fonds proviennent de nombreux particuliers. Le premier ministre de l'Ontario est membre de notre organisation depuis sa création. Nous comptons également plusieurs députés libéraux parmi nos membres. Il y a possibilité d'être membre à titre personnel ou en tant qu'organisation. Nous comptons notamment dans nos rangs le Centre de santé communautaire de la Côte-de-Sable, de nombreuses sections syndicales locales ainsi que diverses organisations syndicales. Nous avons un budget tellement petit que les finances ne sont pas un gros problème.

Mme Brushett: Vos membres financent-ils la totalité de votre budget?

M. Cameron: Nous nous en tirons pas mal sur le marché. Nos vendons nos publications. Nous battons l'Institut C.D. Howe qui donne des publications. Nos ventes annuelles se chiffrent entre 50 000$ et 75 000$. Nous acceptons également les particuliers. Nous organisons des dîners comme celui auquel on avait invité M. Tobin. Le budget a doublé depuis que je suis président. Nous avons maintenant un budget d'environ 300 000$.

Mme Brushett: Recevez-vous de l'argent des contribuables?

M. Cameron: Oui, indirectement, du fait que nous bénéficions d'une déduction d'impôt à titre d'organisme de charité enregistré. Nous avons obtenu trois contrats du gouvernement. Pour le moment, nous avons un contrat pour le ministère du Développement des ressources humaines; il s'agit de faire une étude sur les perspectives de création d'emplois dans le tiers secteur, c'est-à-dire celui qui n'est ni commercial ni public. Nous avons obtenu un contrat du gouvernement de la Colombie-Britannique pour étudier l'incidence de l'Accord de libre-échange sur la province. Nous avons également fait un tout petit travail pour le gouvernement néo-démocrate de l'Ontario.

Nous sommes le seul institut national de recherche canadien dont les fonds de base ne viennent pas des entreprises ou des pouvoirs publics. Tous les autres en reçoivent, y compris ceux qui sont financés par des entreprises commerciales. Depuis la suppression du Conseil économique du Canada, il y a l'institut de recherches politiques. Au début, nous recevions de l'argent du secteur privé. Nous sommes le seul institut de recherche à ne pas recevoir des fonds publics.

Mme Brushett: À en juger d'après votre exposé, j'ai l'impression que les taux d'intérêt sont la réponse à tout. J'ai moi-même été dans les affaires et je trouve que la plupart du temps, ce n'est pas facile de survivre: il faut affronter le banquier, payer les employés, fabriquer les produits, trouver des consommateurs pour les acheter et soutenir la concurrence. Il y a quelques autres problèmes, en plus des taux d'intérêt, qui viennent compliquer la tâche.

M. Cameron: Ma réponse sera toute simple. À supposer que tout aille bien, que considérez-vous comme une bonne augmentation de vos revenus commerciaux pour cette année? Ce n'est pas mal si le chiffre de vente augmente de 8 p. 100, si je ne m'abuse.

Mme Brushett: Cela aiderait à tenir le coup.

M. Cameron: Si vous payez un intérêt de 12 p. 100 sur vos prêts commerciaux, vous venez de perdre 4 p. 100.

Mme Brushett: Que se passerait-il, d'après vous, si l'on baissait les taux d'intérêt?

M. Cameron: Si les taux d'intérêt étaient de 4 p. 100, vous auriez fait un bénéfice de 4 p. 100, ce qui est raisonnable. Pour la plupart des Canadiens, les taux d'intérêt sont le facteur déterminant de la réussite ou de l'échec.

Mme Brushett: J'ai une question à poser à ce sujet. Que deviennent les autres facteurs comme l'inflation et la concurrence? Comment trouver quelqu'un pour acheter les obligations si les taux d'intérêt ne sont pas alléchants? Qui va les acheter? Comme trouverez-vous des consommateurs en inondant le marché canadien d'obligations à 4 p. 100 d'intérêt?

M. Cameron: C'était un exemple, bien sûr. Ce que je veux dire...

Mme Brushett: Qui est là dans la réalité de tous les jours?

M. Cameron: De 1930 à 1982, le taux de rendement moyen des instruments financiers a été d'environ 1,7 p. 100. Qu'est-il à l'heure actuelle?

Mme Brushett: Je l'ignore. Est-ce 5 p. 100, 6 p. 100 ou 7 p. 100?

M. Cameron: Il est de l'ordre de 7 p. 100 à 8 p. 100.

.1820

C'est de l'usure ça, madame. À l'époque où je travaillais au ministère des Finances, la Loi sur les banques précisait qu'il est absolument interdit au Canada de prêter de l'argent à un taux d'intérêt supérieur à 6 p. 100. On a supprimé le plafond pour promouvoir la concurrence. Pourquoi ne pas songer à le rétablir?

Au Canada, la politique monétaire est l'oeuvre de gens qui ne savent pas ce qu'ils font, il faut l'avouer franchement. J'en suis arrivé à cette conclusion après y avoir réfléchi pendant 30 ans. Le modèle utilisé est celui de la ville de Londres au XIXe siècle, où il y avait partout des entrepôts remplis de marchandises, d'épices et de textiles. Si les taux d'intérêt bougeaient de 0,5 p. 100 ou de 1 p. 100, les marchands abaissaient leurs prix et vendaient leurs marchandises pour ne pas devoir supporter les frais de stockage.

Transposez ce système à l'économie canadienne. À quoi ressemble celle-ci? Elle est faite de toute une série de gigantesques projets d'immobilisation, de chemins de fer, d'avions, d'édifices, de mines et de petites entreprises qui supportent des frais d'inactivité des capitaux. Lorsque la Banque du Canada fait bouger les taux d'intérêt comme elle l'a fait, elle détruit la valeur de ces actifs.

En faisant cela, elle crée du chômage. Nous avons évalué le coût du chômage dans une étude, dont je vous enverrai volontiers un exemplaire, qui a été faite par les deux économistes les plus sérieux du Canada, Mmes Diane Bellemare et Lise Poulin-Simon. Après avoir étudié la question de l'emploi pendant une dizaine d'années, elles ont évalué le coût du chômage au cours des deux dernières années du règne du gouvernement Mulroney à 100 milliards de dollars. C'est le gouvernement qui a payé la plus grosse partie de la facture. Ce niveau de chômage lui a coûté 47 milliards de dollars. Il est un fait que plus le nombre de travailleurs est élevé, plus il y a de gens qui paient des impôts et des taxes.

Mme Brushett: Je vous remercie d'être disposé à vous donner ce mal. Vous pouvez l'expédier directement à mon nom. J'ai fini, monsieur le président.

M. Peterson: Nous souhaitons tous des taux d'intérêt plus bas. Nous souhaitons tous une baisse du chômage.

Pouvez-vous me citer un pays qui est déjà parvenu à monétiser sa dette et par conséquent à faire diminuer considérablement les taux d'intérêt, sans que cela entraîne un taux d'inflation à deux chiffres?

M. Cameron: C'était le cas du Canada entre 1939 et 1945. La Banque du Canada détenait 80 p. 100 de la dette qui avait été contractée pour faire la guerre dont nous avons commémoré la fin cette année. À la fin de cette période, la proportion du PIB représentée par la dette était à peu près le double de maintenant. C'est alors, monsieur Perterson - si je peux vous appeler ainsi - qu'a commencé la période...

M. Peterson: Monsieur Cameron, vous pouvez m'appeler Jim, si vous voulez.

M. Cameron: C'est alors qu'a commencé la période dans laquelle nous avons vécu notre enfance et notre adolescence, et ça a été la période la plus prospère de l'histoire du Canada et de tout le monde occidental.

M. Peterson: Est-ce que cela ne faisait pas de différence que l'on soit en guerre, que l'on soit rationné, que les gens ne puissent rien acheter, que toutes les ressources soient mobilisées pour l'effort de guerre?

M. Cameron: Je crois que cela faisait une différence considérable. On ne tient pas à reproduire les conditions que l'on a connues pendant la guerre, c'est-à-dire la réglementation stricte des prix et des salaires et toutes les autres mesures de ce genre. Ce n'était qu'un exemple, mais...

M. Peterson: Y en a-t-il d'autres?

M. Cameron: Je crois que c'est le meilleur.

M. Peterson: Si le Canada en temps de guerre est le seul exemple, j'estime que dans de telles circonstances on peut être en mesure de faire marcher la planche à billets rien que pour essayer d'en sortir.

M. Cameron: Nous la faisons marcher tout le temps.

M. Peterson: Une petite seconde.

M. Cameron: Non. Nous faisons marcher continuellement la planche à billets.

M. Peterson: Puis-je avoir la parole, monsieur Cameron? Y voyez-vous un inconvénient?

M. Cameron: Absolument aucun.

M. Peterson: Vous pourrez avoir tout le temps que vous voudrez.

D'après vous, il suffit de faire marcher la planche à billets, de racheter notre dette et de la détenir. Si une telle initiative n'entraîne pas une forte poussée inflationniste, si elle fait baisser les taux d'intérêt, le gouverneur de la Banque du Canada est complèment fou de ne pas la prendre. Si la solution est aussi simple, il doit être stupide.

D'après vous, il suffit donc qu'il fasse marcher la planche à billets, qu'il rachète la dette gouvernementale, surtout la dette étrangère pour que les taux d'intérêt baissent, que la dette diminue et que nous nous portions tous mieux. En toute franchise, je ne vois pas pourquoi tous les gouvernements qui ont des dettes n'ont pas recours à cette solution.

C'est d'une simplicité formidable, à mes yeux. On ne peut pas perdre et cela se fait sans peine. C'est merveilleux. Je voudrais que vous nous soumettiez par écrit des questions que nous pourrons poser au gouverneur de la Banque du Canada la prochaine fois qu'il viendra témoigner. Je lui répéterai ce que vous avez dit. Je lui dirai: «Monsieur le gouverneur, il y a une solution facile pour s'en sortir; nous en faisons voir de toutes les couleurs aux Canadiens.» Voilà le commentaire que je tenais à faire.

Merci beaucoup, monsieur le président.

.1825

Le vice-président (M. Campbell): Voulez-vous répondre, monsieur Cameron?

M. Cameron: Il faut réduire le coût de notre dette. Il existe plusieurs moyens d'y arriver. La solution que je préconise n'entraîne pas de changement de politique en ce sens que la majorité de l'argent est créée par les banques à charte, car celles-ci font en effet marcher la planche à billets quand elles font des prêts. Ce sont elles qui créent l'argent.

J'adorerais tenir un colloque à ce sujet pour les députés parce que c'est le Parlement qui a octroyé des chartes aux banques et qui leur a permis de créer de l'argent, et elles ne s'en privent pas.

Grâce au nouveau règlement de la Banque des règlements internationaux, les banques à charte ont acheté la dette gouvernementale. Si vous leur demandez quelle est la proportion de cette dette qu'elles détiennent et sur laquelle elles paient de l'intérêt, vous verrez que cela est énorme et que leur participation s'est accrue en un rien de temps. Elles créent de l'argent pour acheter cette dette et cela nous coûte 8 ou 9 p. 100 d'intérêt.

Je ne parle pas de faire racheter la totalité de la dette détenue par les banques à charte par la Banque du Canada. Je préconise seulement que sa part passe de 7 p. 100 à 8 p. 100, puis à 9 p. 100, puis à 10 p. 100. Je ne recommande pas que la Banque du Canada monétise la dette du jour au lendemain. Je suggère par exemple de remettre en oeuvre la politique de prudence que le Canada a adoptée pendant de longues années, à savoir d'obliger les banques à charte à mettre des réserves en dépôt à la Banque du Canada, celle-ci ne devant leur payer aucun intérêt, et de les réglementer davantage.

M. Peterson: Si je comprends bien, le seul résultat, c'est que cela fera augmenter les frais que les banques imposent à tous leurs autres clients. Si elles ne touchent pas d'intérêt sur les réserves en dépôt à la Banque centrale, il faudra qu'elles aillent chercher l'argent dans la poche des emprunteurs.

M. Cameron: La solution que je préconise les encouragerait et les aiderait à se tirer du pétrin dans lequel elles se sont mises en faisant des prêts non garantis aux Reichmann sans le moindre contrôle ou en investissant en Amérique latine ou encore en achetant les devises des pays du Tiers monde.

M. Peterson: Comment peut-on les empêcher d'investir dans des devises de pays du Tiers monde en les obligeant à faire des réserves, à mettre de côté de l'argent sur lequelle elles ne touchent pas d'intérêt?

M. Cameron: Ma réponse sera très directe. Il faut que les banques soient traitées de la même façon que les entreprises de service public, car nous avons besoin d'eau, nous avons besoin de crédit et nous avons besoin de lignes téléphoniques. Il faut les réglementer et les obliger à obtenir des autorisations. Je voudrais que le secteur bancaire soit beaucoup plus actif dans le domaine des investissements. Les Conservateurs...

M. Peterson: Une seconde. Excusez-moi. Je ne vois pas comment le fait d'accroître les dépenses des banques en les obligeant à faire des dépôts sans intérêt à la Banque centrale pour constituer des réserves les empêchera de faire des investissements stupides et risqués, notamment dans l'immobilier ou dans la dette du Tiers monde.

M. Cameron: Vous avez peut-être raison; il est possible que cela ne les empêche pas de faire ce genre de bêtises. Il faudrait donc trouver une autre solution.

M. Peterson: Oh merci!

Le vice-président (M. Campbell): M. Dubé a encore une petite question à poser, juste avant de terminer.

Nous sommes presque en retard, monsieur Dubé.

M. Cameron: Pour terminer, je dirais que...

Le vice-président (M. Campbell): Monsieur Cameron, je crois que nous sommes presque en retard. M. Dubé s'est montré très patient et je tiens à lui donner l'occasion de poser sa question.

[Français]

M. Dubé: J'ai posé la plupart de mes questions tout à l'heure. J'aimerais en poser une d'ordre général.

Vous avez parlé de la situation d'autres instituts, d'autres groupes de recherche dans les domaines économique et social qui ont beaucoup d'influence. Vous déploriez cette influence.

Vous avez donné l'exemple du Club de Lisbonne qui commence à dire que les limites du libre-échange mondial et la concurrence vont faire en sorte qu'il y aura un nivellement par la base qui peut conduire assez loin. On tend toujours vers les plus bas salaires, ce qui peut amener d'autres effets.

Même si nous sommes en désaccord sur certains de vos propos, comment expliquez-vous le fait qu'un institut comme le vôtre n'ait pas plus d'influence sur l'élaboration des politiques canadiennes? Sur le plan politique, on trouve les réformistes, les libéraux qui se situent au centre et nous qui sommes plus à gauche. Comment expliquez-vous votre peu d'influence sur l'élaboration des politiques canadiennes?

M. Cameron: On avait plus d'influence lorsque les libéraux étaient dans l'opposition que maintenant. Cela, c'est la réalité.

Personnellement, je fais de l'économie politique. C'est mon métier. C'est Aristote qui a donné la définition du mot «politique» au Ve siècle avant Jésus-Christ. La politique, c'est le combat entre les riches et les pauvres. Les gens qui se situent du côté des pauvres ont, je pense, au moins la satisfaction de savoir qu'ils se battent du bon côté. Ils acceptent aussi de perdre souvent. Ce n'est pas pour rien que les riches sont riches. Ils ont plus de pouvoir.

.1830

J'ai remarqué le commentaire fait par le ministre du Québec sur le contrôle des médias. Je trouve lamentable qu'il n'y ait pas eu un seul article, dans les journaux que j'ai lus, sur les travaux de votre Comité.

On laisse entendre que l'intention du projet de loi C-76 est d'améliorer le sort des pauvres au Canada, ce qui est absolument faux, puisque dans l'éventualité de l'adoption d'une telle loi, on n'aurait plus aucune protection contre la pauvreté au Canada.

Je parie que si on posait la question à des dizaines de journalistes, à Ottawa, ils ne sauraient y répondre puisqu'ils n'assistent pas aux séances de votre Comité.

Alors on crée un problème énorme avec les médias et, à mon avis, en contrôlant les moyens de communication, on réduit notre espace comme citoyens.

M. Dubé: Merci.

[Traduction]

Le vice-président (M. Campbell): Excusez-moi, monsieur Cameron. Si vous aviez été là quand des représentants syndicaux sont venus témoigner, pas plus tard qu'hier, vous auriez pu constater que les journalistes étaient présents. On dirait qu'ils ne manquent pas de venir quand témoignent les syndicats qui sont d'ailleurs affiliés à votre organisation. Il se peut qu'ils ne couvrent pas votre exposé.

M. Cameron: Je n'ai pas vu d'articles à ce sujet. Je lis le Citizen, The Globe and Mail et Le Devoir tous les jours. Je n'ai pas vu un seul article.

Le vice-président (M. Campbell): Ils étaient là en grand nombre plus tôt dans la journée et hier, lorsque nous avons entendu les témoignages des syndicats. On dirait qu'ils sont au courant et qu'ils n'ont pas de difficulté à venir dans ces cas-là. Je ne sais pas s'il y a des journalistes aujourd'hui, mais on ne peut pas dire qu'ils n'aient pas donné leur opinion. Ils ont avancé en bonne partie les mêmes arguments que vous.

Monsieur Dubé, il ne nous reste plus de temps.

Monsieur Cameron, il me reste à vous remercier pour votre exposé, qui était, comme toujours, intéressant. Je suis content de vous avoir reçu encore une fois.

Nous allons faire une courte pause pendant que les autres témoins viennent s'asseoir. Nous reprendrons dans quelques minutes. Merci beaucoup.

.1832

PAUSE

.1846

[Français]

Le président: Monsieur Dubé, merci beaucoup de votre contribution à nos discussions de cet après-midi.

M. Dubé: On est toujours présents.

Le président: Les témoins qui sont venus de votre circonscription étaient bien.

M. Dubé: Merci.

Le président: Madame Lalonde, ce sera intéressant. Nous allons maintenant aborder les programmes de la nouvelle gauche.

Mme Lalonde (Mercier): Je l'espère bien.

[Traduction]

Le président: Nous sommes prêts, monsieur Walker.

M. Walker (Winnipeg-Nord-Centre): Puis-je vous présenter officiellement la quasi-totalité des amendements qui seront examinés...

Mme Lalonde: Oh yes.

[Français]

M. Walker: M. Loubier est toujours le premier et ensuite c'est le reste du Comité.

[Traduction]

Voici les amendements à examiner. On va les photocopier et ils vous seront distribués d'ici quelques minutes.

Le président: Formidable! Est-ce que ce sont des amendements proposés par le gouvernement?

M. Walker: Oui.

[Français]

Madame Lalonde, je pense qu'il y aura un autre changement. C'est dans le domaine de l'agriculture et des transports.

Mme Lalonde: C'est l'agriculture et les transports?

M. Walker: Oui, peut-être jeudi matin.

Le président: Fantastique! Merci beaucoup, monsieur Walker. Ils seront distribués ce soir.

[Traduction]

Nous poursuivons nos audiences sur le projet de loi C-76. Notre témoin est Mme Armine Yalnizyan du «Social Planning Council of Metropolitan Toronto». Bonjour madame. Nous sommes tout oreilles.

Mme Armine Yalnizyan («Social Planning Council of Metropolitan Toronto»): Merci beaucoup.

Le président: Vous avez joué un rôle important dans ces discussions et nous le reconnaissons; nous sommes très heureux de vous avoir ici.

Mme Yalnizyan: J'apprécie beaucoup votre message de bienvenue et le fait d'avoir l'occasion de venir témoigner. Je suis certaine qu'étant donné l'heure et le fait que cela dure depuis plusieurs semaines, vous devez être très fatigués.

Le président: Pas du tout.

Mme Yalnizyan: Je tiens à profiter de l'occasion pour remercier la greffière du Comité pour la patience dont elle a fait montre pour me permettre de changer la date de mon témoignage.

Je ne mettrai pas votre patience à l'épreuve en faisant des commentaires d'ordre général sur le projet de loi. Je voudrais avant tout expliquer en quoi consiste le «Social Planning of Metropolitan Toronto» à l'intention de ceux et celles qui ne le connaissent pas.

Mme Brushett avait, si je ne me trompe, des questions à poser au sujet du CCP. Je tiens à signaler qu'à l'instar des autres conseils de planification du pays, le «Social Planning Council of Metropolitan Toronto» est principalement financé par Centraide. Nous faisons de la recherche et de l'analyse de politiques ainsi que l'évaluation des besoins locaux et autres outils de planification de ce genre, pour les différents organismes de Centraide, qui sont financés localement, ainsi que pour d'autres municipalités. Nous recevons une petite subvention de l'administration municipale et rien d'autre des autres paliers du gouvernement, à l'exception des contrats pour lesquels nous sommes rémunérés à l'acte.

.1850

Bien entendu, nous avons des fonds qui proviennent également de nos publications et de nos membres, comme l'organisation de M. Cameron. Voilà ce que nous sommes et le genre d'organisations que nous desservons. Nous avons fait des observations sur les programmes nationaux depuis que les effets du budget de 1989 se sont fait sentir en 1990. Les budgets nationaux ne font que réaménager ce dont bénéficient les résidents de la communauté urbaine de Toronto depuis un certain nombre d'années.

Les observations que je veux faire sur le projet de loi C-76 au nom du Conseil se veulent constructives et portent en particulier sur le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Je tiens à mentionner que votre gouvernement a essentiellement réalisé un tour de force comptable. Le budget dont vous avez hérité lorsque vous êtes arrivés au pouvoir en 1993 avait un déficit d'exploitation de quatre milliards de dollars. Après trois ans, vous avez réussi à convertir ce déficit en un excédent d'exploitation de 29 milliards de dollars.

Il y a une certaine qualité exaspérante dans le budget de cette année dans la mesure où vous avez réussi à associer un tour de vis fiscal et des frais d'utilisation. On pourrait parler de cercle vicieux à cet égard. L'effet combiné des réductions et de l'aspect potentiellement inflationniste du changement structurel des frais d'utilisation ainsi que de la privatisation et de la commercialisation va très probablement occasionner une augmentation systémique des prix, et cette combinaison va probablement entraîner une augmentation des taux d'intérêt, c'est-à-dire une augmentation des frais de la dette. Cela signifie également que nous avons un phénomène où l'excédent d'exploitation, aussi impressionnant soit-il, ne sera pas suffisant pour atteindre les cibles fixées pour réduire le déficit et que nous devrons passer par une autre série de compressions importantes. Je crois que c'est ce que signifient le discours du budget de M. Martin ainsi que d'autres discours adressés au secteur privé.

À notre Conseil, nous nous préoccupons du fait que nous n'avons pas encore vu les effets négatifs que vont avoir ces décisions budgétaires. Nous pensons avoir un certain nombre d'observations à faire sur le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, afin d'éviter de pénaliser toute une génération de Canadiens et de les priver des programmes qui nous ont permis de prospérer. Je pense que tout cela est fort compromis.

Je voudrais faire quatre observations fondamentales: premièrement, diviser le projet de loi C-76 et examiner le transfert en matière de santé et de programmes sociaux selon ses propres mérites, comme on le fait pour d'autres textes de loi; deuxièmement, donner aux principes qui figurent dans le RAPC, un texte de loi qui sera abrogé par le projet de loi C-76, la même importance que les principes qui figurent dans la Loi canadienne sur la santé, comme vous l'avez fait avec le projet de loi C-76; troisièmement, réserver des fonds pour les trois différents secteurs de programmes qui sont prévus au transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux; quatrièmement, faire en sorte que l'argent ne disparaisse pas du système, ce qui se produira probablement dans la structure actuelle, même s'il s'agit d'un texte de loi provisoire en vue d'un transfert et que le texte de loi principal viendra plus tard. Ce projet de loi en réalité ne fait que déterminer la structure du FPE, ce que nous estimons être un problème.

Je vais limiter mes observations pour que nous puissions dialoguer. Premièrement, nous voulons diviser le projet de loi C-76 car nous croyons comprendre que le gouvernement fédéral n'avait pas le mandat de présenter le transfert des services sociaux et de santé à titre de mesure budgétaire. En fait, le budget fédéral, selon nous, confond votre mandat politique bien clair qui est de réduire le déficit avec une absence absolue de mandat politique, c'est-à-dire de reformuler son contrat avec le Canada.

Ce contrat social s'exprime, du moins en partie, au moyen de ces programmes sociaux essentiels prévus au titre du transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Votre gouvernement n'a pas indiqué son intention de se retirer progressivement de ces secteurs essentiels pendant la période pré-électorale ni pendant les périodes pré-budgétaires, des consultations ou du dialogue public. Les Canadiens ne vous ont pas élus sur la double plate-forme d'une réduction du déficit et d'une réduction des prestations de la sécurité sociale; on vous a élus parce que vous avez fait campagne en faveur d'une croissance durable des emplois comme moyen de réduire le déficit.

Des études ont montré à maintes reprises - je vous renvoie à l'étude de Ekos Research qui a été publiée le jour du budget - que les Canadiens ne souhaitent pas que leurs protections et leurs assurances sociales soient réduites. Je pense qu'il y a un très réel problème dans la façon dont le gouvernement fédéral, que ce soit par le biais de ses fonctionnaires ou de la classe politique élue, traduit les souhaits du public. Il est vrai que les gens ne sont pas toujours d'accord sur la façon dont on doit réduire le déficit, mais il est certain que la population a déclaré clairement qu'elle souhaite protéger les services essentiels comme l'assurance-maladie.

.1855

Deuxièmement, avec le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, le projet de loi C-76 interrompt l'application régulière de la loi. Par exemple, l'examen de la sécurité sociale a été lancé avec la participation du public. Il s'est agi d'un processus hautement politique et médiatisé. La loi devrait être adoptée à l'automne et, essentiellement, le budget limite ce que cette loi peut nous offrir. Il établit un certain cadre, un corset financier, dans lequel le ministre du Développement des ressources humaines et le régime de sécurité sociale lui-même peuvent commencer à reformuler les programmes sociaux pour la prochaine génération de Canadiens.

Je vous rappelle à nouveau que ce n'est pas votre génération qui va subir les effets de ces changements. C'est pour la prochaine génération de Canadiens que nous reformulons les programmes sociaux.

Sans amendement, le projet de loi C-76 va nous bloquer dans une démarche inconditionnelle de financement des programmes sociaux, démarche qui avait été rejetée par les gouvernements canadiens précédents en tant que méthode appropriée de financement des programmes sociaux. Plus particulièrement, dans le document de travail sur la sécurité sociale, on en avait soulevé la possibilité, mais on se posait toujours très clairement la question de savoir s'il s'agissait d'une façon appropriée pour financer les principaux programmes sociaux. Autrement dit, offrir sans condition une somme forfaitaire aux provinces et les laisser déterminer la façon d'affecter ces fonds et ce qu'elles offriront à leurs citoyens.

Si, comme le gouvernement l'a dit au début du processus, l'examen de la sécurité sociale pouvait offrir une certaine stabilisation, modernisation ou une reformulation des programmes sociaux pour faire face aux déficits sociaux actuels, ce budget a essentiellement mis fin à cette possibilité. Le déficit l'emporte sur toutes les autres considérations et la politique publique.

On nous dit bien entendu que cela est inévitable en raison de la situation financière. J'aimerais vous rappeler qu'au cours de la période pré-budgétaire, notre organisation, à l'instar de nombreuses autres, a indiqué qu'il existait un certain nombre de recettes pour réduire le déficit. Nous avons tous reconnu la nécessité de mettre de l'ordre dans la maison pour réduire le déficit et que les réductions des dépenses n'étaient pas, de loin, la seule option. Nous avons été extrêmement déçus que dans le budget, on n'ait pas sérieusement tenu compte de ces différentes façons d'atteindre les cibles de réductions du déficit.

En divisant le projet de loi C-76, vous établirez essentiellement une autorité publique pour le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Nous ne prétendons pas qu'il ne devrait pas y avoir de transfert; nous disons que cela exige du temps et que cela mérite tout autant votre attention, en tant que Parlement, que n'importe quel autre texte de loi.

Ce projet de loi couvre un grand nombre de questions, depuis le recouvrement des coûts consulaires au tarif du nid-de-corbeau, en passant par les transferts d'impôt sur le revenu des entreprises d'utilité publique et les programmes des anciens combattants. Il y a toute une variété de questions que soulève le projet de loi budgétaire.

Par contre, il y a d'autres questions, comme le contrôle des armes à feu, que vous traitez en tant que telles dans le cadre du processus parlementaire. Par exemple, un des projets de loi sur lequel vous avez travaillé au cours de cette session a été une loi visant à mettre en oeuvre la convention sur les oiseaux migrateurs au Canada et aux États-Unis qui a retenu toute l'attention du Parlement. Je vous demande donc si le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux ne devrait pas mériter le même genre de considération. Retirez-le du projet de loi budgétaire et accordez-lui le même statut qu'un projet de loi budgétaire, dont vous avez de toute évidence pensé qu'il méritait votre attention.

La deuxième question qui porte sur les principes et les normes a trait à ce qui s'est passé à propos de la Loi canadienne sur la santé. Lorsque les documents budgétaires ont été publiés, on n'y trouvait aucune assurance ni dans les documents budgétaires ni dans les discours budgétaires, que nous allions avoir des lignes directrices. Mais lorsque le projet de loi C-76 est apparu, les principes de la Loi canadienne sur la santé ont été garantis dans le texte de loi lui-même. Simultanément, le RAPC, qui établit certains principes à l'égard de la prestation des services d'assistance sociale et des services sociaux, a été abrogé à une exception près, le droit de résidence. Nous pouvons en parler si vous ne connaissez pas bien cette question. Je ne peux pas imaginer que vous ne soyez pas au courant de ces différents principes.

Vous savez, bien entendu, que la loi régissant le RAPC prévoit le partage des coûts pour l'assistance sociale afin de garantir certains droits et normes minimums aux citoyens canadiens depuis 1966. Cela n'a pas empêché les provinces de pouvoir innover en dehors du contexte du RAPC. Cela ne fait que limiter les coûts que le gouvernement fédéral va partager.

En abrogeant cet article, vous avez essentiellement perdu tous ces droits - ils sont énumérés à la page 3 du mémoire - comme le droit de recevoir un revenu en cas de nécessité, quel qu'en soit le coût. Implicitement, il y a aussi le droit de ne pas avoir travaillé ou d'avoir suivi une formation pour obtenir cette aide comme condition pour la recevoir. Il y a aussi le droit à un certain niveau d'assistance qui tient compte des exigences fondamentales, en particulier la nourriture et un logement. Quatrièmement, il y a le droit d'appel et, cinquièmement, le droit à une aide au revenu, quelle que soit la province d'origine. Voilà en quoi consiste bien entendu le critère de résidence.

.1900

Le critère de de résidence est donc maintenu, mais vidé de sa substance. On dit également que le moyen par lequel nous allons protéger les Canadiens dans la nouvelle structure d'assistance sociale est un processus négocié dans le cadre duquel les provinces sont libres de venir négocier des normes communes. En fait, on les appelle des principes ou des objectifs.

Je vous demande de vous mettre à la place des provinces qui vont venir ensemble négocier ces principes et ces objectifs mutuellement acceptés alors qu'on leur a retiré énormément de fonds et de programmes. Je suis sûre qu'elles vont se trouver dans une situation politique très difficile lorsqu'elles devront expliquer à leurs électeurs comment elles vont maintenir certains services.

Dans ce genre de climat post-budgétaire, on voit clairement que le principal sujet de discussion lors de ces conférences fédérales-provinciales va être la façon d'affecter ce qui reste aux provinces, plutôt que l'élaboration de normes communes dans tout le pays. Là encore, les perdants ne vont pas être les gouvernements en tant que tels mais les Canadiens.

La deuxième recommandation faite par notre Conseil est de donner aux principes du Régime d'assistance publique du Canada la même importance que les principes de la Loi canadienne sur la santé dans le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux.

Troisièmement, il y a la question des allocations nominales. théorique. Tous ceux qui se trouvent autour de cette table connaissent plus que quiconque le sentiment qu'ont les Canadiens de payer davantage et de moins recevoir, en particulier pour ce qui est du système public. Vous avez connu des révoltes de contribuables juste avant le budget.

Un des aspects de la révolte des contribuables n'est pas simplement que les gens ne veulent pas payer davantage, mais qu'ils veulent savoir où va leur argent. Ils ont l'impression qu'ils paient davantage et qu'ils obtiennent moins.

Dans le contexte de ce désenchantement général, lorsque vous décidez de transférer des fonds aveuglément d'un niveau de gouvernement à un autre sans y associer de conditions, au lieu de rendre le processus gouvernemental plus transparent, vous le rendez impénétrable pour le citoyen moyen. Celui-ci sait qu'il paie tel montant d'impôt et il s'attend à recevoir un certain niveau de soins médicaux. Dorénavant, les gens ne seront plus en mesure de retracer aussi facilement qu'avant cet argent, du niveau fédéral jusqu'à la prestation des services.

Votre tâche en tant que gouvernement fédéral, en particulier en des temps troublés, est de rendre le système plus transparent. En fait, c'est le mandat dont vous essaierez de vous acquitter. Or, le financement global va totalement à l'encontre d'un système plus responsable et transparent. C'est ce qui nous amène à la recommandation de fonds réservés.

Si vous placez tout l'argent dans un même panier - même si la première année, ce panier semble plus grand - vous financez maintenant trois programmes au lieu de deux avec un peu plus d'argent, mais cet argent commence à disparaître. Vous n'offrez aucune protection comme telle pour chacun de ces secteurs de programmes. Il devient impossible pour les électeurs d'exercer des pressions, des pressions compensatrices, pour la protection des trois secteurs de programmes.

Cela revient à un simple calcul politique. Si vous donnez les fonds aux provinces, celles-ci doivent se contenter de moins. C'est la bonne vieille méthode du rapiéçage. Nous savons que dans le cas de ces trois secteurs de programmes, la pièce la plus importante sera appliquée à l'assurance-maladie. Lorsque l'on a moins d'argent, on s'en prend à certains programmes pour pouvoir consolider l'assurance-maladie. C'est un calcul politique simple et évident.

Lorsque l'on a conçu le transfert en matière de services sociaux et de santé, on n'a pas demandé aux Canadiens s'ils souhaitaient payer davantage pour conserver ces services; on a simplement supposé que les gens ne voulaient pas payer davantage. Alors que là encore, si je vous renvoie à l'étude d'Ekos Research, vous verrez une contradiction profonde entre les Canadiens qui souhaitent que le gouvernement assume une plus grande responsabilité financière mais sans réduire ce qu'ils considèrent comme les trésors de la vie publique au Canada.

Le fait de ne pas demander aux Canadiens s'ils souhaitent payer une prime nationale pour la préservation et peut-être même l'expansion des soins de santé et de regrouper ces autres programmes entraîne automatiquement une érosion des droits aux prestations plutôt qu'une expansion, qui est possible à terme. Nous n'avons jamais posé la question à la population canadienne.

.1905

En outre, s'il y a regroupement de ces trois programmes, les services d'aide sociale vont être nécessairement les perdants dans tous les cas et dans toutes les provinces, et il ne faut pas avoir trop d'imagination pour voir comment cela fonctionne.

On nous a dit de faire confiance au processus politique et à la capacité des provinces pour agir dans l'intérêt de leurs citoyens. Mais je vais vous donner deux exemples qui se sont produits récemment.

Premièrement, en Alberta, le premier ministre de cette province a reçu le mandat explicite de retirer les personnes seules aptes au travail des services d'aide sociale et, au moyen d'une série de compressions, a réussi à réduire effectivement le nombre de moitié. Donc, la question évidente est celle de savoir où vont aller ces gens qui ne reçoivent plus d'aide sociale. Nous ne le savons pas exactement. C'est peut-être une coïncidence, mais au moment où ces 97 personnes disparaissaient des listes de l'Alberta, 90 nouveaux cas apparaissaient en Colombie-Britannique et en Saskatchewan. Au nom de son intérêt, il semble bien que l'on essaie d'exporter ses pauvres pour tenter de réduire le déficit.

Au même moment en Ontario, nous avons une course au leadership et le candidat du Parti conservateur s'est engagé publiquement à réduire les prestations d'aide sociale à 10 p. 100 au-dessus de la moyenne des neuf autres provinces. Cela semble généreux au profane. Si cela devait se produire, cela voudrait dire qu'une personne seule bénéficiant de l'aide sociale verrait son paiement annuel maximum se limiter à un peu plus de 6 000$, une réduction de 1 500$ par rapport aux niveaux actuels, et une mère seule avec un enfant perdrait presque 3 000$ par rapport aux niveaux actuels. Cela laisserait donc une personnes seule sans personne à charge avec un total de 5,55$ par jour pour répondre à tous les besoins autres que le logement, et une mère seule avec un enfant avec 8,20$ par jour pour répondre à tous ses besoins autres que le logement.

Nous sommes engagés dans une course perdue d'avance en nous lançant dans le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux et en laissant les provinces poursuivre leurs propres intérêts. Dix intérêts provinciaux ne font pas un intérêt national.

Je vous demande donc d'étudier très sérieusement la possibilité d'adopter le principe de crédits réservés et d'allocations en titre dans le cadre du transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux afin de ne pas en arriver à un financement global. C'est exactement le contraire de ce qu'est un financement global. Le financement global vise à créer une seule enveloppe financière, et nous prétendons que ce n'est pas le meilleur moyen de financer ce genre de programmes. Vous ne voulez pas permettre ou valoriser le maquignonnage des besoins publics légitimes à tous les niveaux de gouvernement. Je suis sûre que vous ne voulez pas être les architectes de ce processus.

Enfin, dans la structure de financement actuelle du transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, le modèle de financement suivi est celui du financement des programmes établis qui, en raison des changements apportés à la loi en 1986 et 1989, comporte non pas une indexation, mais un ralentisseur du financement, ce qui veut dire que les fonds disparaissent très rapidement.

Comme vous le savez, chaque province ne verra pas le fond du tonneau au même moment. Le Québec sera la première province à pâtir de l'absence de transfert de fonds, ce qui se produira très bientôt, vers l'an 2003 ou 2004, selon la plupart des estimations. Ces estimations supposent qu'il n'y aura pas de nouvelles réductions des contributions en espèces dans le cadre du transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, et ces dates ne sont pas certaines de toute façon, étant donné que M. Martin s'est engagé à réduire encore davantage les programmes sociaux et les dépenses générales. Dans huit ans déjà, il n'y aura plus de mécanisme d'application pour faire en sorte que les provinces intransigeantes respectent les principes que ce gouvernement a déclaré vouloir maintenir, en ce qui concerne au moins les principes minimum de la Loi canadienne sur la santé.

Comment donc maintenir une présence fédérale et des assurances publiques dans ce climat? Il est bien évident que l'on ne peut pas le faire sans argent. Il faut un mécanisme très simple permettant de revenir à un engagement financier - et je ne parle pas du statu quo, je parle de maintenir un système dans lequel les fonds ne vont pas simplement disparaître. Il faut donc réintroduire la clause d'échelle mobile, c'est-à-dire la façon dont ce programme de financement a été conçu au départ. Il n'était pas conçu pour être de 2 ou de 3 p. 100 inférieur au PIB. Il a été conçu pour être indexé au taux de croissance de l'économie et en particulier à la production de la richesse par habitant et au taux de croissance de la population.

N'oubliez pas que dans dix ans, au moment même où les fonds vont disparaître du système, vous allez faire face à une demande énorme de services de soins de santé du fait du vieillissement de la population.

.1910

Nous allons donc avoir une collision entre un modèle financier - qui est parfaitement évitable - vous avez l'occasion de l'éviter dès maintenant - et les exigences d'un public qui demande des soins de santé décents, puisque le système va nécessiter de plus en plus d'argent.

Je ne vais pas lire ce texte, mais je vais simplement ajouter qu'il existe des mécanismes qui sont transparents et incroyablement faciles à remettre en vigueur et qui garantiront que les fonds ne vont pas s'évaporer pour cette génération ou la suivante.

Je tiens à y revenir car je pense que l'objet de ces quatre recommandations - réinstaurer la clause d'indexation originale; introduire des allocations nominales; enchâsser les principes du RAPC; diviser le projet de loi pour permettre à tout cela de se produire... nous faisons ces recommandations en espérant que vous modifierez le projet de loi afin que cette étape de réduction du déficit ne devienne pas quelque chose d'irréversible dans la vie des Canadiens, que lorsque nous allons sortir du pétrin, comme nous l'espérons tous, le système des assurances sociales ne sera pas tellement modifié, pour ce qui est de la coopération fédérale-provinciale et de ce qui est offert au niveau du public, que l'on ne pourra plus revenir en arrière.

Je pense qu'il existe des moyens de préserver le système de façon à pouvoir l'améliorer à nouveau et qu'il existe des moyens de le préserver sans pour autant pénaliser toute une génération.

Je vous présente ce plaidoyer non seulement en votre qualité de gardiens des comptes publics, ce que vous êtes en tant que membres du Comité des finances, mais également en tant que gérants de la vie publique, puisque vous êtes les représentants élus du peuple. J'espère que nous pourrons parler de ce processus de gérance au cours de notre dialogue.

Le président: Voilà une excellente présentation. Je pense que je peux dire avec certitude que les députés de ce côté-ci de la Chambre sont d'accord avec vous lorsque vous dites que nous avons besoin d'argent.

[Français]

Madame Lalonde.

Mme Lalonde: Merci beaucoup de cette excellente présentation.

Vous comprenez qu'étant du Bloc québécois et venant du Québec, je comprends une partie des choses que vous dites quand je tiens compte des besoins du Canada, besoins qui ne peuvent me convenir en tant que Québécoise. Cependant, je pense qu'il est extrêmement important que vous fassiez valoir ici ce point de vue.

On revient au débat que nous, membres du Comité du développement des ressources humaines, avons fait à travers le Canada. Si je mets de côté ce qui concerne l'agriculture et le budget en soi, il s'agit de la capacité pour le Canada de maintenir des programmes sociaux à la hauteur de ses besoins. Dans le fond, c'est un peu ce que vous nous dites, c'est-à-dire qu'il faudrait au moins faire ce débat pour lui-même parce que le débat va être complètement évacué.

Dans le Budget, avec les Parties IV et V, avec la décision sur le financement global, on se trouve à disposer du débat sur les programmes sociaux et cela, de la pire façon, puisque les provinces seront prises elles-mêmes à faire les arbitrages avec le peu d'argent qui va leur rester.

Je vous pose tout de suite la question que d'autres vont vous poser. Si on fait ça, où va-t-on prendre l'argent?

[Traduction]

Mme Yalnizyan: Vous remarquerez que dans les allocations nominales...

[Français]

Vous m'excuserez, madame Lalonde, mais je suis beaucoup trop fatiguée pour parler en français ce soir.

Mme Lalonde: Oui, vous semblez très fatiguée. Je vais vous écouter avec plaisir dans votre langue.

[Traduction]

Mme Yalnizyan: Vous remarquerez que dans mes commentaires, je parle en particulier des allocations nominales, ce qui serait l'article de prix unitaire élevé, et qui déterminerait exactement à combien de moins que les 26,9 milliards de dollars on en arriverait dans ce projet de loi. Bien entendu, le projet de loi ne traite que de la première année, 1996-1997. On ne mentionne pas les années suivantes.

Je ne parle pas d'une allocation chiffrée. Je crois que ces chiffres devraient être négociés, et il y a de nombreuses façons de déterminer ces allocations.

Par exemple, nous avons en fait des droits égaux par habitant pour les soins de santé et l'éducation postsecondaire en vertu du FPE. Nous n'avons pas ces mêmes droits dans le cadre de l'aide sociale. Il y a une grande disparité entre les provinces.

.1915

Le gouvernement fédéral serait-il prêt à établir une sorte de droit fondamental égal par habitant en matière de services sociaux, ou peut-être de droit égal par usager, de façon à intégrer un facteur de stabilisation qui existe actuellement avec le RAPC mais ne peut exister dans un système de financement global?

Ce sont là des choses qui sortent du cadre des questions que je peux aborder. Je ne sais pas ce que donneront ces négociations.

Si je m'adresse à vous, c'est d'abord pour vous dire que cette tribune n'est pas adéquate pour déterminer combien il y aura d'argent la deuxième année ou quelle sera la structure du mécanisme de financement. À mon avis, ce projet de loi établit une structure de transfert qui est quasiment irréversible en ce qui concerne la réduction des fonds, la notion de responsabilité publique et la protection des droits du citoyen. Voilà mes principales préoccupations.

Quand nous parlons de réduction des fonds, nous prévoyons en fait leur disparition complète dans huit, neuf ou dix ans. C'est en effet ce qui sera nécessaire pour répondre aux besoins du gouvernement en matière de réduction du déficit. Notre espoir est d'encourager un débat de façon à éviter que la réduction du déficit continue de se faire uniquement aux dépens de ce secteur particulier de programmation. C'est l'élément le plus important du budget. Or, si l'on parle de paiements de transfert, 7 milliards de dollars sur trois ans représentent une coupure considérable.

[Français]

Mme Lalonde: Est-ce que vous avez remarqué que, dans le Budget, il y a une prévision quant à l'utilisation de l'assurance-chômage et une prévision quant à une nouvelle réforme de l'assurance-chômage, ce qui aura pour effet que le gouvernement central et les programmes dont il est responsable seront à l'abri de la prochaine récession? Le gouvernement aura même un surplus et, avec le Fonds d'investissement en ressources humaines, il aura un lieu où il pourra intervenir davantage.

Au moment où le gouvernement central se met à l'abri, il prive les provinces de sommes importantes et de façons différentes selon qu'elles sont plus riches ou plus pauvres. Le gouvernement central va donc intervenir directement davantage avec les provinces. Qu'est-ce que vous pensez de cet avenir qui peut se dessiner avec les dispositions qui sont présentes dans le Budget?

[Traduction]

Mme Yalnizyan: Je le répète, madame Lalonde, je tiens à focaliser mon intervention sur le TCSPS.

Il y a tant de choses à déplorer dans ce budget, comme le fait que le TCSPS est un facteur de déstabilisation de l'économie plutôt que de stabilisation, et le fait que les budgets de l'assurance-chômage seront amputés probablement à l'aube de la prochaine récession. Tous ces facteurs de déstabilisation, conjugués aux compressions budgétaires, inquiètent profondément le conseil mais, à l'évidence, ils n'inquiètent pas certaines autres personnes.

Tout ce que nous pouvons donc espérer en nous adressant au Comité est de contribuer à une prise en considération plus sérieuse des facteurs strictement humains, de façon à prendre le temps nécessaire pour formuler une version plus adéquate du transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Je le répète, mon intervention se limite à cela. Certes, je pourrais parler longuement des modifications relatives à l'assurance-chômage, mais ce serait relativement aléatoire puisque nous ne savons pas exactement quelle forme elles prendront, tout comme nous ne savons pas ce que nous réserve le TCSPS la deuxième année.

[Français]

Mme Lalonde: Ce que nous savons, c'est qu'avec cette importante diminution, il y aura des personnes qui, au bout du compte, vont souffrir, et des choix devront être faits par les provinces, soit des choix entre l'aide sociale et l'éducation, la santé étant davantage préservée.

[Traduction]

Mme Yalnizyan: Je ne réponds pas précisément à votre question, mais je crois que ce qui est arrivé lorsque le Québec a déposé son budget, l'autre jour, c'est-à-dire les vives réactions de la part d'Ottawa et Québec sur la question de savoir si le gouvernement québécois prenait les électeurs en otage en disant qu'ils devraient payer plus en restant au Canada, sincèrement, il ne me paraît pas très honnête de dire que c'est la seule circonstance dans laquelle les gens paieront plus.

.1920

Ce qu'a fait le Québec, c'est de préciser aux Québécois qu'ils devront payer eux-mêmes les coûts des services publics, s'ils décident de rester au Canada, car l'argent ne viendra pas d'ailleurs. Or, c'est précisément ce que doivent également envisager les autres Canadiens: s'ils veulent préserver la qualité de vie à laquelle ils sont habitués, ils vont devoir trouver le moyen d'en payer le prix. La «Paying for Canada Coalition», dont fait partie notre Conseil, a formulé plusieurs recommandations à ce sujet. Hélas, elles n'ont pas été sérieusement prises en considération. On fait des recommandations, mais elles ont tendance à s'évaporer.

[Français]

Mme Lalonde: On fait ce qu'on peut.

Mme Yalnizyan: Exactement.

Le président: Merci, madame Lalonde.

[Traduction]

Madame Stewart.

Mme Stewart: Je serai brève car je sais que le temps passe vite. Je vous remercie beaucoup de votre excellent exposé. Je sais que vous êtes fatiguée, mais je crois que vos déclarations valaient la peine d'être entendues.

Je voudrais obtenir une précision. Vous avez dit que vos recommandations budgétaires n'auraient pas été prises sérieusement en considération, ce que je me dois de contester, car je sais que nous nous sommes penchés attentivement sur toutes les options qui nous ont été soumises. Le fait que nous ne les ayons pas retenues ne veut aucunement dire que nous ne les avons pas examinées sérieusement.

Mme Yalnizyan: J'en conviens.

Mme Stewart: C'était une sorte de coup au coeur.

Mme Yalnizyan: Pour nous aussi.

Mme Stewart: En ce qui concerne le fait que nous ne devrions pas avoir 10 programmes provincaux, comme vous l'avez dit, je vous répondrai que nous en avons actuellement dix et qu'ils ne sont pas adéquats. Vous-même avez expliqué pourquoi. Au fond, le système actuel ne saurait être acceptable à vos yeux, mais il ne l'est pas plus aux nôtres.

En ce qui concerne la disparition des fonds, je dois vous dire que l'un des objectifs du financement global est précisément de préserver la valeur et la durée des mécanismes de transfert. Ce n'est peut-être pas parfait, mais cela nous permet de les préserver.

Comme l'a dit le président, nous sommes probablement unanimes à dire qu'il faut préserver le financement au-delà des deux premières années, et que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer en ce qui concerne l'élaboration des orientations à long terme de nos politiques sociales.

Pour ce qui est de la responsabilité du gouvernement devant le public, pourquoi dites-vous qu'elle est réduite dans un système de financement global? Les gens votent et, s'ils veulent des services sociaux, ils peuvent voter en conséquence. D'ailleurs, aujourd'hui, certaines sommes sont prévues dans certains domaines, mais elles ne sont pas dépensées comme vous le voudriez. Pourquoi êtes-vous tellement convaincue que le financement global vous prive de la possibilité d'exercer des pressions pour obtenir des changements?

Mme Yalnizyan: Je vais répondre à vos trois questions. Tout d'abord, si nous avons des systèmes à l'heure actuelle et qui ne sont pas adéquats, pourquoi ne pas vouloir les changer? Je vous réponds que c'est précisément ce que nous souhaitons. Je dois dire que nous nous trouvons dans une situation assez bizarre - et ce, depuis plusieurs années - puisque nous donnons l'impression de défendre le statu quo. Mais vous savez que le Conseil de planification sociale existe depuis 50 ans et qu'il ne cesse de réclamer des changements progressistes. Au cours des cinq dernières années, nous avons constaté que des droits qui avaient été durement acquis sont disparus du jour au lendemain à cause de décisions budgétaires. En conséquence, quand nous entendons aujourd'hui parler de «changement»...nous ne pouvons nous empêcher de songer à ce qui s'est passé pendant les cinq dernières années, lorsque nous avons perdu des choses auxquelles nous avions droit, à cause d'un changement qui n'était pas progressiste.

Oui, il y a dix systèmes à l'heure actuelle, et ils sont incroyablement mauvais. Il n'en reste pas moins que certaines mesures peuvent encore être appliquées en vertu du RAPC, même s'il est vrai qu'elles le sont de moins en moins vigoureusement depuis quelques années.

Je vais vous raconter quelque chose qui concerne Winnipeg. À la différence de l'Ontario, Winnipeg offre un supplément pour l'alimentation des bébés. Il s'agit de 170$ par mois pour les bébés de mères seules, tributaires de l'assistance sociale. Lorsque Winnipeg a connu sa crise budgétaire, des universitaires ont dit que la valeur monétaire des besoins nutritifs des bébés s'élevaient en réalité à 75$ par mois et non pas à 170$, et que le supplément devrait donc être réduit en conséquence. Cette proposition a été contestée grâce aux dispositions du RAPC, et elle a été rejetée.

Si vous détruisez le RAPC, vous nous privez de la possibilité de résister à des décisions arbitraires comme celle-là. Aujourd'hui, les gens ne savent plus quoi faire, madame Stewart, parce qu'ils sont confrontés à d'énormes difficultés. Vous dites que nous ne perdrons pas le moyen d'exercer des pressions publiques si tout est financé au moyen d'un système global, mais vous vous trompez. Quand on élimine sept milliards de dollars d'un mécanisme de financement global, on garantit que quelqu'un, quelque part, devra prendre des décisions extrêmement difficiles, à moins de trouver de l'argent frais. Voilà de quoi parlait le Québec. Vous savez aussi bien que moi que les élus sont fort peu enthousiastes à augmenter la pression fiscale en ce moment. Supposons donc que la plupart des gouvernements ne puissent pas percevoir les recettes supplémentaires nécessaires pour compenser leur manque à gagner en matière de transferts fédéraux.

.1925

S'ils ont moins d'argent, ils devront décider d'abolir certaines choses. Évidemment, les services médicaux passent avant tout. Ce n'est pas magique, ce n'est pas scientifique, ce n'est pas arithmétique. C'est la réalité pure et simple. Vous savez aussi que le bien-être social vient au dernier rang des trois secteurs de programmes sociaux. S'il y a quelque chose à abandonner, que croyez-vous qu'on abandonnera? Les pauvres qui dépendent du bien-être social, évidemment, parce que ce sont de toute façon des bons à rien, n'est-ce pas? Ils ne font aucun effort pour gagner leur argent. Voilà dans quel climat nous vivons aujourd'hui.

La raison pour laquelle j'ai comparé la situation de l'Alberta à celle de l'Ontario est que l'abolition des dispositions du RAPC - même si les principes actuels sont insatisfaisants et devraient être améliorés - nous place à une course à la déchéance. La lutte va être sauvage. La question est de savoir qui va s'effondrer le premier. Il n'y a plus d'argent. Et on ne va pas obtenir que les citoyens réclament que l'on protège les mères célibataires en se débarrassant de l'assurance-maladie. Voyez-vous ce que je veux dire? Ce n'est pas très compliqué. Certes, je n'ai pas d'assurance absolue que c'est comme cela que les choses vont se passer, mais cela me paraît quand même assez évident.

Je discutais avec un membre du caucus qui me disait que la qualité d'une démocratie se voit dans la manière dont elle traite ses minorités. Si tel est le cas, le fait que nous exposions nos minorités à ce genre de pression montre que nous vivons dans une bien mauvaise démocratie. Et tout cela pour 7 milliards de dollars que l'on aurait pu trouver ailleurs - mais je ne devrais même pas parler de 7 milliards de dollars, même s'il est évident que l'on aurait pu les trouver ailleurs.

Vous avez entendu des représentants de l'Association médicale canadienne et de HEAL. Au cours des dix dernières années, 3 milliards de dollars ont été prélevés du FPE, au moyen de divers changements. Depuis 1990, dans le seul domaine des programmes sociaux, 25 milliards de dollars ont été éliminés pour mener la guerre au déficit. On ne pourra cependant pas toujours continuer comme cela et ce ne sont pas les banques alimentaires qui vont pouvoir nous sortir du mauvais pas.

Je vais vous raconter quelque chose sur les banques alimentaires. J'ai entendu cela l'autre jour et je n'en croyais pas mes oreilles.

Je travaillais avec des gens de la Daily Bread Food Bank qui me disaient que 80 p. 100 des personnes qui s'adressent à elle chaque mois en repartent en ayant faim. Vingt-cinq pourcent des gens qui font appel à ses services sont des enfants qui ont faim. Autrefois, il arrivait que les parents se privent de manger à la fin du mois pour pouvoir nourrir leurs enfants. Aujourd'hui, ils ne peuvent même plus nourrir les enfants de cette manière. Soixante-quinze pourcent des gens qui s'adressent à la Daily Bread Food Bank viennent à pied parce qu'ils n'ont pas les moyens de payer un billet de transport public. Vingt-cinq pourcent n'ont plus de téléphone.

Nous avons parlé du candidat anti-impôt en Ontario qui prétend pouvoir réduire les impôts de 30 p. 100, malgré ces réductions des paiements de transfert. S'il fait vraiment ce qu'il annonce, une personne seule et capable d'occuper un emploi n'aura que 5,55$ par jour pour survivre. On se demande bien où elle va pouvoir dépenser tout ça.

Il y a d'autres solutions pour s'en sortir. J'ai la ferme conviction que vous trouvez ici des recommandations qui vous permettraient de conserver l'intégrité de ce que votre parti a bâti au cours des 30 dernières années. Vous n'êtes pas obligés de tout démolir d'un seul coup.

Le président: Monsieur Fewchuk, avez-vous une question à poser?

M. Fewchuk (Selkirk - Red River): C'est une question très simple.

L'une des priorités des autorités municipales est de veiller à ce que personne ne soit jamais affamé. Je m'oppose vigoureusement au fait que vous ayez laissé entendre que c'est une très faible priorité des élus municipaux. Croyez-moi, quand j'étais élu municipal, j'ai vu des bébés arriver dans des boîtes en carton. On donnait aux parents de l'argent, un abri, du lait, du pain et du beurre. Je me souviens fort bien de cette époque.

Une voix: Et vous faisiez aussi des accouchements?

M. Fewchuk: Presque.

Venir prétendre aujourd'hui que les autorités locales n'ont pas de coeur...

En outre, ce sont les municipalités qui s'occupent du bien-être social. Quand il y avait de l'argent, nous savions que la province s'occuperait des services de santé car nous estimions que c'était sa responsabilité. Notre rôle était de nous occuper du bien-être social, si nécessaire en relevant les taxes municipales. C'était la province qui devait s'occuper des services de santé, en utilisant l'argent que lui envoyait le gouvernement fédéral. Dès qu'une élection était annoncée, la province annonçait la construction d'un nouvel hôpital. Ce n'était pas de notre faute. Nous ne l'avions pas demandé. Il nous arrivait de nous opposer à cette décision, de dire que nous n'en avions aucunement besoin et que nous n'avions pas le personnel nécessaire. Hélas, c'est comme cela que le système fonctionnait.

.1930

Ce n'est pas la faute du gouvernement fédéral. Ce sont les responsables provinciaux qui utilisent l'argent que leur envoie le gouvernement fédéral. J'aimerais bien que quelqu'un vienne nous exposer cela en détail. Cela fait 30 ans que je suis ici, mais je n'ai jamais entendu personne venir à Ottawa expliquer cela.

Mme Yalnizyan: Et votre question est que...?

M. Fewchuk: Ce n'est pas la faute d'Ottawa. La question est de savoir ce que les provinces font de l'argent qu'envoie le gouvernement fédéral. Je n'ai jamais entendu personne venir l'expliquer.

Le président: Voudriez-vous répondre brièvement, madame Yalnizyan?

Mme Yalnizyan: Je n'ai toujours pas réussi à voir où est la question. J'ai entendu dire que ce n'est pas la faute du gouvernement fédéral...

M. Fewchuk: C'est la province qui est responsable. C'est elle qui reçoit l'argent fédéral. Dites-le.

Mme Yalnizyan: C'est précisément ce que j'ai dit. Si vous laissez toutes les responsabilités aux provinces, et s'il n'y a plus de normes nationales, ou si vous ne pouvez plus les faire respecter, les choses vont empirer.

M. Fewchuk: Il n'y a pas une ligne dans votre document disant que ce n'est pas la faute du gouvernement fédéral. Nous savons que l'argent part d'Ottawa vers les provinces, et nous savons que les provinces ne font pas ce qu'il faut avec l'argent qu'elles reçoivent.

Mme Yalnizyan: Dans ce cas, à vous de resserrer le système de responsabilité publique, plutôt que de l'abolir.

Le président: Merci, monsieur Fewchuk. M. Pillitteri pour terminer.

M. Pillitteri (Niagara Falls): Merci, monsieur le président. Je félicite le témoin pour son exposé.

Vous nous avez donné des chiffres. Vous dites qu'il y a 10 gouvernements différents et que nous allons tous devoir nous battre pour éviter de tomber dans le trou, c'est-à-dire pour ne pas devenir tributaires de l'assistance publique.

J'ai vu dans votre document des chiffres sur le nombre de personnes tributaires de l'assistance publique dans chaque province. Je trouve cependant étrange que le nombre total, dans la dernière colonne, soit de 2 800 000 personnes. Croyez-vous que cela influe sur le nombre de personnes qui sont capables de contribuer au financement de l'assistance sociale, étant donné qu'il y en a de plus en plus qui en sont tributaires? Croyez-vous qu'il y a un lien à ce sujet?

L'Ontario regroupe près de 28 p. 100 de la population canadienne, mais environ 45 p. 100 des personnes bénéficiant de l'assistance sociale. Croyez-vous que le fait d'être une des provinces les plus riches...? Certaines provinces essaient-elles d'offrir plus de prestations?

Mme Yalnizyan: Je pense en fait, dans le cas de l'Ontario, que si nous avions eu - la tentation a dû être très forte, à l'époque du RAPC, de réduire les prestations. À mon avis, il est presque héroïque que les prestations n'aient pas été réduites pendant cette période, étant donné que le nombre de prestataires a tellement augmenté et que le financement fédéral a tellement diminué.

Je crois cependant que l'on ne peut pas continuer indéfiniment comme cela. Je pense que les prestations sont restées à leur niveau parce qu'on estimait que les changements de régime finiraient bien par rétablir l'équité du système. Autrement dit, on reviendrait au principe du partage des coûts.

À mon avis, ce n'est pas par hasard que l'on voit aujourd'hui des provinces littéralement exporter leurs pauvres. Par exemple, le nombre de prestataires a augmenté de près de 75 000 personnes en Colombie-Britannique alors qu'il a baissé de 97 000 en Alberta.

M. Pillitteri: Voulez-vous dire que la situation aurait été encore pire en Ontario, s'il n'y avait pas eu le RAPC, parce que les autres provinces auraient exporté leurs pauvres vers l'Ontario? Comme nous voyons déjà...

Mme Yalnizyan: Les gens ne sont pas infiniment mobiles.

M. Pillitteri: Ils le sont. Dans la société d'aujourd'hui, nous le sommes beaucoup plus qu'il y a 10 ans...

Mme Yalnizyan: Surtout lorsqu'on vous donne un ticket d'autobus, comme en Alberta.

M. Pillitteri: Il est clair, d'après vos chiffres, que c'est en Ontario que la situation est la plus regrettable, puisque l'on trouve 38 p. 100 de la population, mais 45 p. 100 des prestataires d'assistance sociale. Si l'on n'avait pas plafonné le montant des prestations pouvant être accordées en Ontario, ne croyez-vous pas que les chiffres seraient encore pires et que l'on trouverait peut-être dans la province jusqu'à la moitié des assistés sociaux de la nation?

Mme Yalnizyan: Peut-être, mais n'oubliez pas que les prestations de bien-être social ne sont pas particulièrement généreuses, même en Ontario. En outre, si elles sont peut-être un peu plus élevées qu'ailleurs, le coût de la vie l'est aussi. De fait, ce que le prestataire du bien-être social finit par conserver ne lui permet certainement pas d'aller faire la fête.

.1935

M. Pillitteri: Je comprends bien, mais il faut reconnaître aussi que c'est le taux le plus élevé au Canada. En outre, si nous faisions une ventilation par région, nous constaterions que c'est la région de Toronto qui a le pourcentage le plus élevé, parce qu'il y a là plus de....

Mme Yalnizyan: Laissez-moi répondre à cela. Lorsque la Colombie-Britannique a été confrontée à une hausse spectaculaire des prestataires, soit 75 000 de plus, le gouvernement a dit qu'il ne pouvait faire face à ce genre d'augmentations et qu'il devrait réduire les taux. La Saskatchewan, en comparaison, a vu le nombre de ses prestataires augmenter d'environ 20 000. Elle a vu ce qui s'était passé en Colombie-Britannique et a décidé de ne pas rendre les chiffres publics, pour ne pas devoir baisser les prestations. Mais cela n'est pas une solution valable à long terme.

M. Pillitteri: Non, mais je voudrais dire que je ne vois pas les provinces venir témoigner ici pour s'opposer projet de loi C-76. Elles présentent les mêmes arguments que vous au sujet de la réduction des budgets, mais elles ne viennent pas s'opposer au principe du financement bloqué. Je n'ai pas entendu beaucoup de messages de cette nature de leur part. De fait, il me semble que les dix gouvernements provinciaux veulent préserver leur pouvoir.

Mme Yalnizyan: Je suis d'accord avec vous, et c'est précisément ce qui fait la distinction entre les gagnants et les perdants du nouveau système. Je crois que les provinces veulent plus de souplesse, car chaque palier de gouvernement semble être uniquement préoccupé par son déficit. Elles veulent donc plus de souplesse pour pouvoir y faire face. Si vous leur donnez un financement bloqué, elles peuvent prendre les mesures qu'elles jugent les plus adéquates.

Malheureusement, ce sont les intérêts du citoyen qui sont laissés de côté dans ce processus. Toutes les décisions sont prises en fonction des chiffres plutôt que des besoins de la population. Voilà pourquoi j'ai tenté, dans une certaine mesure, de faire appel à votre compassion. Vous êtes plus que les fiduciaires des deniers publics. Vous êtes responsables de la vie publique. Je peux comprendre pourquoi les provinces tiennent à avoir la souplesse requise pour faire face à leur déficit, mais cela ne devrait pas être le seul critère de gestion de la vie publique.

M. Pillitteri: Merci.

Le président: Merci. Je dois vous dire que nous avons accueilli plusieurs organismes représentant les personnes les plus défavorisées de notre société, et que vous êtes certainement l'un de ceux qui les ont défendues avec le plus de vigueur et de crédibilité.

Mme Yalnizyan: Merci beaucoup.

Le président: Nous avons une double responsabilité. Nous devons nous attaquer au déficit, qui signifie que nous manquons chaque année de 40 milliards de dollars pour faire les choses que nous voudrions faire, et vous avez dit qu'il y a peut-être d'autres solutions. Je dois vous laisser savoir que nous avons examiné attentivement bon nombre des propositions formulées par le conseil.

Dès l'automne prochain, nous entreprendrons une autre ronde de consultations prébudgétaires. Nous en profiterons pour chercher à nouveau d'autres solutions, car nous ne sommes évidemment pas satisfaits de ne pas pouvoir trouver l'argent nécessaire, de manière pratique et réaliste. Nous avons entendu des propositions complètement farfelues, mais d'autres tout à fait valables. Considérant votre crédibilité, je crois qu'il serait très utile que vous participiez à notre prochaine ronde de consultations, à l'automne. Sachez que ce que vous nous avez dit ce soir nous a fortement impressionnés. Je vous en remercie en notre nom à tous.

Mme Yalnizyan: Je tiens à vous remercier sincèrement - et surtout Christine - d'avoir réorganisé votre programme pour me permettre de comparaître. Merci à nouveau.

Le président: Merci.

[Français]

Où est Francine Lalonde? Peut-être pouvons-nous attendre son retour car nous n'avons pas quorum pour le moment.

.1939

PAUSE

.1941

Le président: Nous recevons maintenant les représentants de la Centrale de l'enseignement du Québec, Daniel Lachance, vice-président, et Richard Langlois, économiste. Vous êtes les bienvenus. Nous attendons votre présentation avec impatience.

M. Daniel Lachance (vice-président, Centrale de l'enseignement du Québec): Bonsoir.

Je voudrais, en premier lieu, vous signaler que Richard Langlois, qui m'accompagne, est économiste à la Centrale de l'enseignement du Québec; pour ma part, je suis vice-président de la Centrale de l'enseignement du Québec.

Je voudrais vous remercier de nous recevoir ce soir pour vous faire part de nos vues sur l'important projet de loi C-76. Ce projet, s'il était adopté avec ses paramètres actuels, mettrait en péril certains de nos programmes sociaux, tout en déstabilisant gravement les finances publiques du Québec. Le visage même du pays risquerait d'en être profondément modifié. Notre présence ici a pour but de vous alerter avant qu'il ne soit trop tard. Cependant, avant d'entrer dans le vif du sujet, une brève présentation de notre organisation ainsi que certains rappels s'imposent.

Au sein du mouvement syndical québécois, la Centrale de l'enseignement du Québec représente, comme vous devez le savoir, d'une façon particulière les travailleuses et les travailleurs du monde de l'éducation: enseignantes et enseignants, éducatrices et éducateurs, professionnels et employés de soutien. Nous regroupons aussi des gens du secteur des communications et des travailleuses et des travailleurs de garderies. Au total, la CEQ regroupe donc plus de 125 000 membres.

Je tiens à vous préciser d'entrée de jeu que notre intervention ne porte que sur la refonte proposée des transferts aux provinces qui se traduirait à terme par la création du Transfert social canadien. Comme le projet de loi C-76 s'inscrit dans la foulée du projet de réforme des programmes sociaux du ministre Axworthy et du dernier budget de M. Martin, il nous apparaît important de vous souligner qu'à l'occasion des consultations menées par le Comité permanent du développement des ressources humaines, nous nous étions montrés favorables, de concert avec la CSN et la FTQ, à une révision de nos politiques sociales afin, notamment, de combattre l'augmentation inacceptable de la pauvreté et des inégalités sociales qui existent au Québec, mais qui existent aussi dans l'ensemble du Canada.

Malheureusement, nous avons constaté que l'actuel gouvernement canadien poursuit, au contraire, l'oeuvre de son prédécesseur, qu'il avait par ailleurs dénoncée, en sabrant dans les programmes sociaux et en rétrécissant le champ de ses responsabilités publiques. C'est pourquoi, globalement, nous nous sommes opposés aux hypothèses soumises dans le document de travail intitulé La sécurité sociale dans le Canada de demain. En tant qu'organisations favorables à la souveraineté du Québec, nous avons également réaffirmé notre conviction que seule la récupération pleine et entière de la maîtrise d'oeuvre, par le gouvernement du Québec, de tous les leviers économiques, sociaux et culturels créerait l'environnement propice à l'épanouissement de toutes les potentialités de la société québécoise.

Plus récemment, lors du dépôt du deuxième budget du ministre Martin, nous avons déploré la mise au rancart, par le gouvernement fédéral, de l'emploi, une priorité qui s'est rapidement effacée derrière la lutte au déficit. Nous avons aussi marqué notre opposition à toute stratégie de lutte au déficit qui mise démesurément sur la réduction des dépenses publiques et, en particulier, des dépenses sociales.

Nous pensons que la création du Transfert social canadien est une initiative propice à de nouvelles incursions fédérales dans la cour des provinces.

.1945

On se rappellera que, dès le lendemain de la publication du budget Martin, une majorité de commentateurs ont vu dans la création du Transfert social canadien une manifestation de l'ouverture du gouvernement fédéral face à une vision plus décentralisée de la fédération canadienne. Le gouvernement fédéral, avec ce projet, allait couper l'herbe sous le pied des souverainistes du Québec en faisant preuve d'une nouvelle flexibilité, entendait-on de la bouche de plusieurs commentateurs. Illusion, avons nous-mêmes dit à ce moment-là. Il aurait seulement fallu attendre le dépôt du projet de loi concrétisant la proposition budgétaire pour saisir jusqu'à quel point certains ont pris leurs rêves pour la réalité, car rien dans ce projet ne nous indique une quelconque volonté fédérale de s'orienter vers un fédéralisme plus souple. Au contraire, il semble évident qu'Ottawa cherche à maintenir tous ses pouvoirs actuels et à les accroître en s'immisçant davantage dans des champs dont la responsabilité incombe aux provinces.

En effet, le projet de loi C-76 maintient les normes nationales en santé et laisse le champ libre à l'introduction de nouvelles normes nationales dans les domaines de l'éducation postsecondaire et de l'aide sociale, qui sont clairement du ressort des provinces. Le ministre Martin a beau déclarer que son gouvernement n'a pas l'intention d'imposer de nouveaux contrôles aux provinces, pourquoi alors en prévoir l'éventualité dans son projet de loi? Que se passerait-il en cas de désaccord avec les provinces au sujet de l'établissement de nouvelles normes nationales? Ottawa aura-t-il le pouvoir d'imposer des normes sans leur consentement unanime? Et pourra-t-il dicater des sanctions à celles d'entre elles qui se montreront récalcitrantes?

Ces questions et plusieurs autres nous inquiètent vivement. Quand on sait que, dans ce projet de loi, l'éducation postsecondaire est consacrée «programme social» et que cela permettrait au gouvernement fédéral d'envahir encore plus ce secteur clé pour l'avenir du Québec, il n'y a vraiment pas lieu de se réjouir. Nous croyons que le gouvernement du Québec doit demeurer le seul maître d'oeuvre en éducation et que le projet de loi C-76 ne doit laisser planer aucun doute à ce sujet.

En ouvrant également la porte à des incursions dans d'autres secteurs tels l'aide sociale ou encore les services de garde, le gouvernement fédéral ne semble guère préoccupé par l'urgence de mettre fin aux chevauchements et aux dédoublements que de plus en plus d'observateurs jugent scandaleusement inefficaces et coûteux. De plus, l'établissement de nouveaux principes nationaux uniformes d'un océan à l'autre irait à l'encontre des aspirations d'une majorité de Québécoises et de Québécois qui souhaitent que la détermination des orientations et la conception des mesures et programmes dans ces secteurs névralgiques demeurent la seule responsabilité du gouvernement du Québec. Lorsqu'on constate l'ampleur du gâchis dans le domaine de la formation professionnelle et l'entêtement d'Ottawa à demeurer là où il n'a pas d'affaire, on frémit à l'idée qu'un tel fonctionnement puisse bientôt paralyser d'autres champs de la politique sociale. Dans son discours du Budget, le ministre des Finances avait déjà annoncé la création d'un Fonds d'investissement en ressources humaines pour créer, entre autres, des services d'orientation, d'alphabétisation, de formation en compétences de base et de formation en milieu de travail. S'inscrivant dans ce courant, la fusion dans le Transfert social canadien de l'ensemble de ces transferts aux provinces aux titres de la santé, des services sociaux et de l'enseignement postsecondaire nous fait craindre le pire. Et le plus incroyable est que cet excès d'ingérence se produise en ces temps mêmes où Ottawa se désengage fébrilement du financement de ces activités!

Le désengagement fédéral dans les transferts aux provinces ne date pas d'hier, loin de là. Il remonte en fait au début des années 1980 et s'est poursuivi à un rythme tel que le manque à gagner cumulatif, pour le Québec, s'élève déjà à plusieurs milliards de dollars. Le ministère des Finances du Québec l'établit à 14 milliards de dollars au cours de la période s'échelonnant de 1982 à 1995. Vous conviendrez avec nous qu'il s'agit là de coupures considérables dont les effets ont été fortement déstabilisants pour les finances publiques québécoises. Conséquemment, les gouvernements successifs à Québec, à l'instar des autres gouvernements provinciaux d'ailleurs, n'ont eu d'autre choix que d'accroître leur propre déficit, d'augmenter leurs taxes ou de couper dans leurs dépenses. Et comme toujours, c'est la population, le monde ordinaire, les travailleuses et les travailleurs, les personnes sans emploi qui ont subi les contrecoups de ces politiques marquées au sceau de l'austérité.

.1950

Or, par rapport aux sommes que prévoyait verser le gouvernement fédéral avec le FPE et le RAPC, on nous apprend que le niveau total du Transfert social canadian sera inférieur de 2,5 milliards de dollars en 1996-1997 et de 4,5 milliards de dollars en 1997-1998. Les transferts fédéraux diminuaient déjà de manière vertigineuse avant le budget Martin. Avec le projet de loi C-76, ils fondront à vue d'oeil! On imagine aisément l'érosion des programmes sociaux qui découlera de ce désengagement. Au Québec, nous sommes aux premières loges pour constater les dégâts de ces politiques à courte vue: taux de pauvreté le plus élevé au pays, chomage endémique malgré la croissance économique, fermetures d'hôpitaux dans un climat qui frôle la panique. On ne peut que craindre les effets de cette nouvelle vague de coupures, d'autant plus que le projet de loi C-76 prévoit qu'en 1996-1997, le Québec subira une coupure de 650 millions de dollars et que, dans l'hypothèse où le Transfert social canadien serait réparti entre les provinces au prorata de la population, le manque à gagner pour le Québec, en 1997-1998, atteindrait 1,9 milliard de dollars. Dans cette éventualité, le Québec assumerait 42 p. 100 des coupures totales, ce qui est inadmissible. Le ministre Martin nous dit que la formule de répartition sera déterminée après consultation avec les provinces. Cela revient à nous consulter pour nous demander combien de bras et de jambes nous voulons bien nous faire couper!

Quoi qu'il en soit, on sait d'ores et déjà que, même si le critère retenu pour répartir le Transfert social canadien est la part des droit totaux du FPE et du RAPC en vertu du système actuel, le Québec se verrait tout de même privé de 1,2 milliard de dollars en 1997-1998. Cela demeure énorme dans un contexte où les services publics et les programmes sociaux suffoquent déjà par manque de financement. Si on s'en remet aux estimations du ministère des Finances du Québec, les coupures cumulatives dans les transferts fédéraux en direction du Québec auront totalisé 24 milliards de dollars de 1982-1983 à 1997-1998 en incluant les effets, bien sûr, du projet de loi C-76. Nous assistons donc de toute évidence à une opération de délestage du déficit fédéral sur le dos des provinces, qui auront l'odieux de supporter les coûts politiques de ce vaste désengagement financier. Or, depuis maintenant trop longtemps, le Québec fait largement les frais de cette stratégie et cela se traduit notamment par une baisse continue de la part des transferts fédéraux dans les revenus du gouvernement du Québec qui est passée de 28,9 p. 100 en 1983-1984 à 20,7 p. 100 en 1994-1995, et une chute progressive de la participation fédérale au financement des programmes sociaux au Québec.

À notre avis, le Québec ne peut se permettre plus longtemps de regarder passivement le gouvernement fédéral saborder ce qui reste des programmes sociaux dans ce pays tout en refilant la facture aux provinces et en les soumettant au diktat de normes qui les empêchent d'assumer leur pleine maîtrise d'oeuvre dans des champs qui relèvent de leurs responsabilités.

Nous ne prétendons pas parler au nom des citoyennes et des citoyens des autres provinces qui, pour plusieurs, peuvent souhaiter une présence fédérale forte dans les domaines de la santé, de l'éducation postsecondaire et de l'aide sociale. Nous respectons cette vision tout en étant convaincus qu'elle ne représente pas une option viable pour le Québec. Nous avons trop vu les conséquences néfastes des luttes sans fin entre les deux ordres de gouvernement qui se tirent sans arrêt dans les jambes pendant que les citoyens contribuables et bénéficiaires font les frais de ces querelles inutiles.

Nous croyons donc qu'il est urgent pour le Québec de rapatrier la totalité des ressources affectées à la santé, à l'éducation postsecondaire et à l'aide sociale. En cédant dès maintenant au Québec ce qui reste des transferts financiers sous forme de points d'impôt, le gouvernement pourrait faire oeuvre utile en lui permettant de gérer enfin ses programmes comme il l'entend. De toute façon, nous croyons que, tôt ou tard, nous en viendrons là. Le Québec récupérera tous les leviers économiques, sociaux et culturels essentiels à son plein épanouissement. Aussi, pourquoi ne pas profiter du présent débat pour avancer quelque peu dans cette direction?

En guide de conclusion, il est de bon ton de nous présenter les stratégies budgétaires sous-jacentes au projet de loi C-76 comme inéluctables. L'État fédéal est surendetté, la marge de manoeuvre au plan fiscal est inexistante, et le gouvernement doit forcément couper dans les dépenses au risque de se faire dicter ses politiques par le Fonds monétaire international. Voilà ce que nous disent les ténors du gouvernement, qui reprennent à leur compte un discours et surtout des politiques qui ont lamentablement échoué au cours des années 1980, ici comme ailleurs.

.1955

Qu'il nous suffise de rappeler que de 1984 à 1990, la dette fédérale a plus que doublé malgré les coupures de dépenses récurrentes appliquées par les conservateurs. Je pense que M. Cameron est venu ici pour vous parler de politique monétaire.

Le président: Excusez-moi. Êtes-vous d'accord sur la politique monétaire de M. Cameron?

M. Lachance: Je n'ai pas vu le texte de M. Cameron.

Le président: Ah, bon. Et vous n'avez pas étudié la politique monétaire de M. Cameron?

M. Lachance: Non, je n'ai pas étudié sa politique monétaire.

Le président: Excusez-moi. Comme vous l'avez mentionnée, j'avais l'impression que vous y aviez peut-être réfléchi.

M. Lachance: Ce dont je suis sûr, par ailleurs, c'est que nous partageons de façon générale les propos de M. Cameron concernant l'impact des taux d'intérêt élevés sur la dette fédérale et l'accroissement de cette dette qu'on veut nous faire payer aujourd'hui, entre autres au moyen du Transfert social canadien.

La politique des taux d'intérêt excessivement élevés et l'effondrement des recettes budgétaires ont creusé le fossé entre les dépenses et les revenus. Voilà pourquoi nous disons aux membres du Comité permanent des finances qu'il est temps d'essayer autre chose pour sortir de l'impasse budgétaire.

Nous admettons, bien sûr, la gravité de la situation budgétaire fédérale et nous demeurons ouverts à une meilleure gestion des dépenses. Le désormais classique contentieux Québec-Ottawa en matière de formation professionnelle constitue, à notre avis, le summum de l'inefficacité et rien ne justifie plus l'immobilisme du fédéral dans ce dossier. On pourrait multiplier les exemples de chevauchements et de dédoublements coûteux et il faut, bien sûr, s'y attaquer. Cependant, il est faux de prétendre que la dette découle d'une explosion des dépenses, tout comme il est illusoire de croire qu'on la résorbera en sabrant aveuglément dans ces dernières.

À cet égard, seule une stratégie équitable de lutte au déficit est susceptible de s'avérer efficace et de recueillir l'adhésion de la majorité de la population. Dans cette perspective, il faut élargir le débat pour y inclure d'autres dimensions de l'équation budgétaire, à savoir les revenus, l'emploi, la politique monétaire, la gestion de la dette, etc.

Sur le plan des revenus, on aura beau dire n'importe quoi, le Canada est au 14e rang en ce qui a trait au fardeau fiscal global lorsqu'on le situe au sein des 24 pays de l'OCDE. Les entreprises canadiennes sont les moins taxées dans ce même groupe de pays. Alors, qu'on cesse de nous dire que nous sommes surtaxés! Nous sommes plutôt mal taxés, et seule une réforme fiscale en profondeur serait susceptible de rétablir un certain équilibre tout en procurant des revenus additionnels à l'État. À cet égard, nous croyons qu'un vrai ménage dans les dépenses fiscales s'impose de toute urgence.

En ce qui concerne l'emploi, doit-on rappeler au gouvernement fédéral ses promesses électorales? Nous sommes convaincus que l'assainissement des finances publiques est indissociable de la situation de l'emploi et qu'il ne sert à rien de rêver au «déficit zéro» tant qu'on comptera les sans-emploi par millions.

L'assouplissement de la politique monétaire apparaît également une condition essentielle au rééquilibrage des finances publiques. La raison en est bien simple: tant que les gains réalisés au chapitre des dépenses de programmes seront annulés et même surpassés par l'augmentation des frais d'intérêt, on continuera de faire un pas en avant et deux pas en arrière.

Certaines avenues en matière de gestion de la dette fédérale doivent par ailleurs être envisagées afin de réduire notre dépendance vis-à-vis de l'étranger. Mentionnons, à titre d'hypothèse, comme nous l'avions fait d'ailleurs lors des audiences sur le Livre vert de M. Axworthy, l'émission d'«obligations pour le déficit» ou encore le recours accru à nos caisses de retraite pour financer la dette. Actuellement, en fouillant de plus en plus à l'extérieur, elles financent plutôt les emplois et les dettes des pays étrangers. Nous avions parlé à ce moment-là d'une proposition de nationalisation de la dette.

Bref, en s'articulant entre autres autour des leviers précédents, nous croyons que la lutte au déficit aurait davantage de chances d'être couronnée de succès sans parallèlement sacrifier nos infrastructures sociales, comme le préconise malheureusement le projet de loi qui nous est soumis.

Nous avions cru, monsieur le président, à la suite de audiences publiques sur le Livre vert de M. Axworthy, que ce livre était disparu de la circulation, de même que les hypothèses qui y étaient contenues, mais quand nous avons vu le Budget Martin, nous avons compris que la porte d'un placard avait été ouverte et que ce qui était devenu un fantôme redevenait réalité.

.2000

Comme nous nous étions opposés à l'ensemble des mesures contenues dans ce Livre vert, sans toutefois nous fermer à des discussions ouvertes sur une révision des programmes sociaux, nous sommes dans la situation où ce qu'on a devant nous, c'est l'articulation d'une partie de ce Livre vert. Par conséquent, nous ne pouvons qu'être contre l'essentiel de ce qu'il y a dans ce Transfert social canadien. Nous pensons que vos suggestions, sous l'angle des revenus, pourraient permettre à la population québécoise, de même qu'à la population canadienne, de protéger entre autres l'essentiel de nos programmes sociaux, ce qui est un élément fondamental au Québec et au Canada. Je vous remercie de votre attention.

Le président: Merci, monsieur Lachance. Madame Lalonde.

Mme Lalonde: Je vais vous poser la question que j'ai posée tout à l'heure à Mme Yalnizyan. Est-ce que vous ne trouvez pas étrange que dans le projet de loi C-76, on ne retrouve pas le Fonds d'investissements en ressources humaines et que, par ailleurs, dans l'ensemble du Budget, on voie une augmentation du surplus accumulé à l'assurance-chômage? On prévoit d'ailleurs une accumulation sur trois ans de 13 milliards de dollars, dont un coussin d'au moins cinq milliards de dollars. Est-ce que cela ne vous frappe pas?

Cela veut dire que, pour ce qui est de l'assurance-chômage, qui permet au gouvernement fédéral d'accumuler une caisse, on ne laisse pas le choix aux travailleurs et aux entreprises, mais pour ce qui est du Transfert social canadien, on a choisi de couper et de réduire de façon très considérable l'architecture même de tout l'ensemble social canadien, et surtout québécois, parce que le Québec va écoper davantage et se trouve déterminé par ces gestes-là.

M. Lachance: Quand le Budget Martin a été déposé, nous avions signalé très rapidement qu'il y avait une approche stratégique de la part de M. Martin dans sa façon d'articuler ces réformes. Elles n'étaient pas annoncées. On savait qu'il y aurait des éléments dans le Transfert social canadien, qu'à une autre étape côté, on aborderait l'assurance-chômage et qu'à une autre étape, on aborderait le Régime de pensions du Canada. Cette façon éclatée de regarder l'ensemble des programmes sociaux, avec les impacts que cela pouvait avoir sur les provinces, permettait de couper les jambes à une certaine réaction articulée de certains grands secteurs de la population à ces politiques restrictives.

On l'avait signalé et, de toute façon, on voit bien ce qui s'en vient, même s'il n'y a pas de projet de loi. En ce qui a trait à l'assurance-chômage, on s'attend fort bien à ce qu'on fasse à nouveau payer aux chômeurs et aux chômeuses une responsabilité en matière de formation, par exemple, alors que, paradoxalement, le gouvernement fédéral s'est lui-même retiré du financement de la caisse d'assurance-chômage. On est surpris et en même temps on ne l'est pas, parce que ce scénario était prévisible dans la façon dont M. Martin avait annoncé la suite des choses. Richard a peut-être quelque chose à ajouter.

Le président: Merci, madame Lalonde. Est-ce qu'il y a d'autres questions?

Monsieur St. Denis.

[Traduction]

M. St. Denis (Algoma): Merci d'être venu nous voir aujourd'hui.

J'ai deux questions à vous poser.

Un peu plus tôt, si je vous ai bien compris, vous sembliez dire qu'un des motifs cachés du gouvernement fédéral concernant les normes - je crois que vous avez parlé de normes postsecondaires - était que peut-être le gouvernement fédéral essayait de trouver une façon d'imposer des normes aux provinces en matière d'éducation. Il est cependant clair que M. Martin a bien dit que toutes normes, que ce soit du domaine de l'aide sociale ou de l'éducation - quoiqu'il n'ait pas mentionné l'éducation - se feraient en collaboration et en consultation avec les provinces.

.2005

Cela dit, il y a bien des témoins qui ont demandé au gouvernement fédéral de s'intéresser aux normes fédérales en matière d'éducation. Il y a un témoin, aujourd'hui même, de l'Association des collèges communautaires, qui regroupe aussi les Cégeps du Québec, qui nous a appris que nous en sommes déjà à parler de normes internationales. À certains égards, nous traînons de l'arrière.

Donc, même si les provinces ont la responsabilité en matière d'éducation postsecondaire, n'est-il pas logique d'en venir à un accord à propos de certaines normes nationales afin que le Canada, vis-à-vis de la communauté internationale, puisse prendre toute la place qui lui revient et peut-être même l'améliorer à mesure que la concurrence internationale augmente?

[Français]

M. Lachance: Il y a un consensus clair qui existe au Québec de la part de tous les partenaires, et je ne parle pas que des partenaires syndicaux, mais aussi des partenaires sur le plan des entreprises, y compris ceux des grandes associations, que ce soit des collèges, des commissions scolaires ou des universités. Il est clair pour tout le monde au Québec que l'enseignement primaire, secondaire et postsecondaire doit être de juridiction exclusivement provinciale et qu'il n'est aucunement question que des normes nationales puissent dicter au Québec comment procéder dans ce domaine.

Même si les collèges du Québec sont membres de l'Association des collèges communautaires, il me surprendrait beaucoup que la Fédération des collèges du Québec partage ce point de vue. C'est une association comme d'autres associations qui pensent que ces questions, comme les questions de formation professionnelle et de formation de la main-d'oeuvre, doivent être de juridiction provinciale. Je vous rappellerai que l'année dernière, il y a eu une rencontre des ministres de l'Éducation à Montréal.

[Traduction]

M. St. Denis: Je suis d'accord avec vous. Je suis d'accord pour dire que l'éducation relève d'un mandat provincial. Mais cela signifie-t-il que les provinces ne peuvent pas s'entendre sur une norme nationale en collaboration avec le gouvernement fédéral? Si elles croient qu'il est nécessaire d'avoir des normes, ne serait-il pas logique de les créer en collaboration avec les provinces et le gouvernement fédéral?

J'accepte que les provinces ont la responsabilité de l'éducation.

[Français]

M. Lachance: Au-delà du fait qu'il s'agit d'une question de juridiction provinciale, je pense que les organisations québécoises et le gouvernement du Québec lui-même ont signalé, à plus d'une reprise, qu'il n'était pas question qu'il y ait de normes nationales.

[Traduction]

M. Fewchuk: J'aimerais un complément d'information. Essayez-vous de me dire que quelqu'un du Québec ne peut pas aller au Manitoba? Qu'on ne devrait pas avoir de norme parce que son permis en réfrigération n'est pas le même? Vous êtes d'accord avec cela? Ne croyez-vous pas que nous devrions avoir une norme nous permettant de travailler et au Québec et au Manitoba grâce au même permis?

[Français]

M. Richard Langlois (économiste, Centrale de l'enseignement du Québec): Le problème n'en est qu'un de définition de normes nationales. Nous sommes en faveur des normes nationales, mais définies au Québec par le gouvernement du Québec. Vous comprenez? Cela ne veut pas dire que ces normes nationales ne peuvent pas s'harmoniser par la suite avec celles d'autres États ou d'autres ordres de gouvernement. Les normes nationales, à notre sens, sont des normes nationales québécoises définies par l'État québécois avec les partenaires au Québec. Maintenant, cela ne dispense pas de la nécessité de s'harmoniser avec d'autres États. On est évidemment dans un monde ouvert.

M. Lachance: J'ajouterais que dans le cadre de l'ALENA, le Québec, sur la base de ses propres normes nationales, sera amené à travailler à une harmonisation encore plus large qu'une harmonisation avec le Canada.

.2010

Les universités du Québec ont déjà des discussions avec d'autres universités du Canada, des universités des États-Unis et du Mexique. Il ne s'agit pas de dire que les normes doivent être complètement différentes. Il s'agit surtout de dire que ces normes nationales doivent être édictées par le Québec.

Le président: Vous avez indiqué que les entreprises canadiennes n'étaient pas assez taxées. Seriez-vous prêts à imposer une surtaxe à toutes les entreprises canadiennes, y inclus les entreprises pharmaceutiques du Québec?

M. Lachance: Tout d'abord, je ne comprends pas le sens de votre question.

Le président: Vous avez mentionné à la page 7 de votre mémoire que les entreprises canadiennes sont les moins taxées de l'OCDE, et je crois que vous voulez dire qu'elles sont mal taxées. Seriez-vous donc prêts à imposer une surtaxe aux entreprises canadiennes, y compris l'industrie pharmaceutique du Québec?

M. Lachance: Je ne ferais pas d'exception pour les entreprises pharmaceutiques du Québec, mais je vous donnerai quelques chiffres pour que l'on puisse comprendre ces comparaisons. L'argument invoqué le plus souvent, c'est que le fait d'augmenter le fardeau fiscal des entreprises, au Canada ou au Québec, nous désavantagerait sur le plan de la compétitivité internationale. Or, certains chiffres nous démontrent clairement la place de ces taxes au Canada.

Le président: Je le sais, mais est-ce vous seriez prêts à augmenter les taxes des entreprises canadiennes? Oui, ou non?

M. Lachance: Eh bien, quand on fera une réforme fiscale, on regardera les choses dans leur ensemble et on sera en mesure d'établir une réforme fiscale qui tiendra compte des différents secteurs économiques.

Au Québec, quand on parle d'une réforme de la fiscalité, on sait fort bien qu'on traitera différemment la petite et moyenne entreprise et la grande entreprise. Alors, on considérera l'industrie pharmaceutique comme d'autres industries, comme les banques, par exemple, ou les compagnies d'assurance, dans le cadre d'une réforme fiscale plus globale.

Pour l'instant, je ne suis pas en mesure de vous dire comment on va taxer le secteur pharmaceutique par rapport à un autre secteur. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il y a de la place au Canada pour une réforme de la fiscalité dans laquelle il y aurait une augmentation du fardeau fiscal des entreprises sans altérer la compétitivité de l'entreprise canadienne afin que nous nous donnions les moyens de maintenir des programmes sociaux de qualité et de faire en sorte que la population y ait accès.

Le président: J'aimerais bien trouver beaucoup plus d'argent, et c'est la raison pour laquelle vos idées et vos suggestions sont les bienvenues. Mais vous n'avez rien dit concernant une augmentation de taxes pour les entreprises canadiennes, même si vous avez dit qu'elles n'étaient pas assez taxées en ce moment. Nous devons prendre des décisions concrètes. Devons-nous imposer des surtaxes, oui ou non?

M. Lachance: Oui.

Le président: Quand je vous ai posé cette question, vous m'avez répondu que vous ne pouviez pas me le dire clairement, parce que cela devait faire partie d'une grande étude, mais vous savez bien que les entreprises canadiennes ne sont pas assez taxées. Nous ne pouvons cependant pas nous permettre le luxe de jouer comme cela. Nous devons essayer de trouver un système équilibré qui permette la compétitivité et qui fournisse assez d'argent pour payer les programmes sociaux. Dès que vous aurez des idées concrètes, j'aimerais bien que vous m'en fassiez part.

M. Lachance: Il y a un certain nombre d'idées concrètes sur lesquelles Richard pourrait vous donner plus de détails. À titre d'exemple, le retour d'une grille d'imposition sur le revenu plus progressive procurerait à l'État fédéral des milliards de dollars de revenus additionnels. Je voudrais ne donner qu'un exemple. Si les taux marginaux d'imposition, qui sont présentement à 17 p. 100, 26 p. 100 et 29 p. 100, passaient à 19 p. 100, 29 p. 100 et 33 p. 100, les recettes fiscales du gouvernement augmenteraient de 13 milliards de dollars par année. Ce n'est qu'un exemple.

Le président: Est-ce que vous suggérez une augmentation des impôts personnels?

M. Lachance: Nous croyons que l'impôt devrait être progressif.

.2015

Le président: Je vous demande si vous et vos membres suggérez une augmentation des impôts personnels au Canada en ce moment, oui ou non.

M. Langlois: Monsieur le président, nous ne répondrons pas par oui ou non à cette question, ce soir. Ce n'est pas aussi simple que cela, malheureusement. Je pense qu'il faut se donner une vue d'ensemble, avoir un portrait global. Le problème du projet de loi C-76 et du Budget Martin qui, pour chaque dollar de revenu perçu, a coupé 7 dollars dans les dépenses, c'est que M. Martin a trop joué dans la colonne des dépenses. L'objectif principal du Budget Martin est la lutte contre le déficit et contre la dette, et cela se traduit dans ce projet de loi tout comme cela se traduira dans d'autres projets de loi. Nous disons qu'il y a différentes façons de lutter contre le déficit et que certaines façons sont plus équitables que d'autres.

Le président: Ce sont des idées, mais nous n'avons pas des années...

M. Langlois: Si vous me laissez finir, je vais vous donner quelques indications, mais ne comptez pas sur une recette miracle.

Le président: Lesquelles?

M. Langlois: Nous voulions seulement vous montrer à quel point la fiscalité dérape au Canada et à quel point il est urgent d'entreprendre un débat sur la fiscalité pour obtenir une image globale de la situation budgétaire au Canada. Il ne s'agit pas seulement de voir la colonne des dépenses, mais aussi celle des revenus.

Le président: Vous préconisez un débat au lieu de nous faire maintenant quelques suggestions.

M. Langlois: Nous croyons qu'au bout du processus, on va se rendre compte que les entreprises canadiennes ne paient pas leur juste part. Nous en sommes, en tout cas, persuadés. Mais pour en être complètement sûr, il faut approfondir la question et avoir une vision plus claire et plus précise.

Le président: Vous n'avez donc pas de suggestions concrètes pour augmenter nos ressources. Mais je voudrais vous inviter à participer à nos discussions prébudgétaires à l'automne. Nous l'avons fait l'année passée et nous continuons à le faire.

J'aimerais vous remercier de votre présentation qui était assez complète et intéressante. Merci beaucoup.

Notre prochain témoin est M. Bruce Porter

[Traduction]

du groupe intitulé the Charter Committee on Poverty Issues.

M. Bruce Porter (Charter Committee on Poverty Issues): J'ai fait distribuer deux documents aux membres du comité et je m'excuse de les avoir en anglais seulement. Vous avez reçu la note de mon exposé, que je vais vous résumer brièvement. L'autre document est une copie de la lettre du Comité des droits économiques, sociaux et culturels à Genève à l'ambassadeur du Canada dont il est question dans mon exposé et qui a déjà fait l'objet d'une mention au cours de l'exposé du professeur Craig Scott de l'Université de Toronto.

Je représente ici le Charter Committee on Poverty Issues qui, comme vous le savez peut-être, se veut le porte-parole des pauvres au Canada. Les cours de justice ainsi que les organismes des Nations Unies responsables de la protection des droits de la personne représentent le milieu dans lequel nous évoluons habituellement. Normalement, c'est l'Organisation nationale anti-pauvreté, notre consoeur, qui se charge de l'aspect politique des choses.

.2020

Si nous sommes là ce soir, c'est pour vous exhorter à renoncer à abroger les droits les plus fondamentaux des pauvres par le biais du projet de loi C-76.

Comme vous le savez très bien, ce projet de loi abroge en fait la Loi concernant le Régime d'assistance publique du Canada ainsi que tous les droits traditionnels dont elle est assortie. Les quatre droits fondamentaux des pauvres, qui cesseront d'exister après avril 1996, sont le droit de recevoir de l'aide financière quand on est dans le besoin, celui de recevoir une aide financière tenant compte des besoins matériels, celui d'interjeter appel en cas de refus d'aide financière et le droit des assistés sociaux de ne pas être forcés de travailler contre leur gré. Dans le cadre du RAPC, ces droits étaient inclus dans les ententes de partage des frais.

D'aucuns considèrent le RAPC comme un accord financier ou comme une mesure faisant partie de la législation sociale. Aux yeux des pauvres cependant, ces éléments du RAPC représentent bien plus que des normes nationales ou une politique sociale. Ils enchâssent les droits fondamentaux de la personne sur lesquels les pauvres comptent. Ce sont en quelque sorte des droits quasi constitutionnels en ce sens que les autorités publiques sont tenues de les respecter. Ce sont des droits qui permettent aux pauvres de s'adresser aux tribunaux lorsque leurs intérêts ou leurs droits ont été bafoués pour signaler que «le gouvernement ne respecte pas les droits fondamentaux reconnus par le Régime d'assistance publique du Canada». C'est ce qui ressort du jugement qui a été rendu dans l'affaire Finlay; en effet, la Cour suprême du Canada a confirmé à cette occasion qu'un assisté social a le droit de porter plainte contre un programme provincial d'aide sociale qui ne respecte pas les normes prévues dans le RAPC.

Pourquoi les pauvres ont-ils besoin de droits? Il est bon de rappeler que le comité a certainement entendu plusieurs témoins affirmer que l'on peut se passer de l'intervention fédérale dans des secteurs relevant de la compétence des provinces. J'estime toutefois qu'il est important de faire la distinction entre les questions de juridiction et les questions de droits fondamentaux de la personne, droits qui sont reconnus dans toute la législation correspondante, y compris dans le droit international.

Ce sont des droits essentiels si l'on veut que la démocratie soit valable pour tous les citoyens. Si ces droits ne sont pas protégés, les besoins et les intérêts des membres les plus vulnérables et les plus désavantagés de la société risquent d'être bafoués ou mal compris et ce, principalement parce que ces gens-là ne se trouvent pas en position de force. Par conséquent, les droits de la personne, tels que nous les entendons, servent à rectifier la tendance que l'on a dans les régimes démocratiques à privilégier les opinions et les intérêts de la majorité et à faire en sorte que les groupes marginalisés soient en mesure de se faire mieux entendre dans le cadre du processus démocratique.

Plusieurs tribunaux canadiens ont reconnu que les pauvres ont de tout temps eu tendance à faire l'objet de discrimination et à être désavantagés, ce qui veut dire que les mesures de protection des droits de la personne sont nécessaires pour leur permettre de faire valoir leurs doléances dans un régime démocratique.

Les pauvres sont de plus en plus victimes d'attitudes discriminatoires qui ressemblent beaucoup aux formes de discrimination les plus injustes comme celles qui sont fondées sur la race, le sexe ou un handicap. Les pauvres sont souvent victimes de discrimination et de préjugés et ils entendent beaucoup trop souvent des affirmations comme celle-ci: «Ils ont trop d'enfants, il faut les stériliser» et, Dieu nous pardonne, «ils sont inférieurs sur le plan génétique.»

En période de récession, lorsqu'il y a davantage de pauvres et que ceux-ci sont plus vulnérables aux forces économiques défavorables, l'hostilité et les préjugés augmentent malheureusement, d'après les sondages. C'est précisément lorsqu'on aurait tendance à croire que les gens éprouveraient davantage de sympathie pour les pauvres, quand il y a pénurie flagrante d'emplois et que la pauvreté est engendrée par des forces qui échappent à notre contrôle, c'est précisément alors que les attitudes de la société à l'égard des pauvres se durcissent et frisent l'hostilité.

Les sondages indiquent qu'au cours de la dernière récession, la population éprouvait beaucoup moins de sympathie pour les pauvres qu'auparavant.

Quelles sont par conséquent les obligations du Canada à l'égard des pauvres dans le contexte des mesures de protection des droits de la personne? Le droit d'avoir un niveau de vie suffisant est peut-être le droit fondamental sur lequel comptent les pauvres. Il l'a toujours été au cours de l'après-guerre, c'est-à-dire tout au long de l'évolution qui s'est produite dans ce domaine.

.2025

Le droit à un niveau de vie suffisant est protégé par la Déclaration universelle des droits de l'homme qui a été adoptée en 1948 par les Nations Unies, puis il a été défini de façon plus précise dans le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui a été ratifié par le Canada en 1976 et que notre pays s'est ainsi engagé à respecter.

Ce qui ressort clairement de la législation internationale en la matière, c'est que le droit à un niveau de vie suffisant n'impose pas seulement au Canada l'obligation d'améliorer progressivement la situation des pauvres, qui est un élément très important des obligations contractées par le Canada et que celui-ci n'a malheureusement pas respectées; notre pays est également tenu d'enchâsser le droit dans la législation canadienne. C'est pourquoi, à l'occasion de toutes ses comparutions quinquennales devant le comité des Nations Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels qui ont eu lieu depuis la ratification de ce pacte, le Canada a toujours insisté sur le fait que le Régime d'assistance publique du Canada constituait un élément essentiel de ses mesures de protection des droits socioéconomiques. En abrogeant maintenant ces droits, on prend une initiative très grave, qui est probablement sans précédent dans les annales de notre pays, et qui constitue en fait un énorme pas en arrière. La législation internationale relative aux droits de la personne impose l'obligation de progresser dans ce domaine.

Lorsqu'un le gouvernement abroge des droits qui sont enchâssés depuis un certain temps dans la législation nationale, son initiative doit être passée au crible fin. Le droit à un niveau de vie suffisant consacré par le RAPC existe depuis une génération, c'est-à-dire depuis près d'une trentaine d'années, et j'estime que l'on ferait une régression sans précédent en abrogeant ce droit sans le remplacer par un autre mécanisme d'exécution, comme le fait le projet de loi C-76.

Le document que j'ai distribué, c'est-à-dire la lettre de M. Philip Alston, qui est président du comité des droits économiques, sociaux et culturels, constitue en fait une façon très diplomatique de signaler au gouvernement du Canada, et à ce comité, qu'il convient d'examiner très sérieusement la question de la compatibilité du projet de loi C-76 avec la législation internationale sur les droits de la personne et qu'il faut envisager d'y apporter certains amendements pour écarter toute possibilité d'infractions importantes et fondamentales aux droits de la personne.

Ce qui préoccupe surtout ce comité, c'est que le droit fondamental à un niveau de vie suffisant et le droit de choisir librement un emploi ont été abrogés de la législation canadienne.

Notre organisation est parmi celles qui ont témoigné devant le comité des Nations Unies en 1993, lorsqu'il vérifiait si le Canada appliquait la législation internationale et, en particulier, s'il respectait le droit à un niveau de vie suffisant. Nous avons constaté une très grande différence d'attitude entre les représentants d'autres pays et les Canadiens dans ce domaine. Nos compatriotes semblaient trouver loufoque qu'un comité des Nations Unies fasse des reproches au Canada pour des problèmes de pauvreté. Nous sommes convaincus que la pauvreté fait plus de ravages dans la plupart des autres pays et que nous nous en tirons relativement bien.

Pourtant, ce qui nous a frappés à ce moment-là, c'est que ce sont les représentants de pays en développement qui étaient les plus bouleversés d'apprendre qu'il y avait des personnes affamées et des sans-abri au Canada, même si le problème se pose avec beaucoup moins d'acuité que chez eux. Les membres du comité estimaient que c'était une honte que la pauvreté et la famine continuent à sévir dans un pays aussi riche que le Canada. Nous sommes en fait le pays le plus riche à avoir ratifié le pacte puisque les États-Unis, qui sont le seul pays plus riche que le nôtre, ne l'ont pas fait.

Dans cette lettre, le comité invite en toute amitié le Canada à entamer un dialogue constructif. Il savait comment avait réagi le gouvernement antérieur aux critiques acerbes qui ont été faites à l'endroit du Canada, il savait que l'on avait fait la sourde oreille. C'était la première fois qu'un organisme international accusait le Canada d'avoir enfreint les droits internationaux de la personne, contrairement à ses habitudes.

À notre avis, le comité des Nations Unies nous tend la perche et nous recommande d'entretenir un dialogue constructif, comme autrefois; cela lui permettrait d'exprimer ses doléances et le Canada pourrait alors les prendre au sérieux et essayer d'améliorer la situation. Nous exhortons les membres du comité à aborder cette question précisément avec cette attitude positive. Le comité a de graves préoccupations; les inquiétudes que les Canadiens pauvres ont concernant leurs droits sont sérieuses et méritent que vous vous en occupiez très sérieusement.

.2030

En conclusion, je tenais à signaler que le projet de loi C-76 non seulement retire aux pauvres d'importants droits de la personne, mais également, selon nous, il semble exercer une discrimination à l'endroit des pauvres. Il est louable qu'il préserve des normes universelles en matière de santé, mais pourquoi en même temps retire-t-il ces droits au groupe le plus vulnérable? En niant aux pauvres ce à quoi ils ont droit et, en même temps, en adoptant le mécanisme de financement global suivant lequel les pauvres sont en concurrence avec les besoins en matière de santé et d'éducation pour obtenir leur part d'un budget très mince, il nous semble que c'est faire en sorte que les pauvres jouent perdants. Il est très clair que primeront les intérêts de ceux qui se soucient davantage de l'éducation et de la santé que du niveau de vie des assistés sociaux.

Les conséquences à long terme du projet de loi pourraient être très graves. Dans notre nouvelle économie, il nous faut des droits sociaux valorisés. Nous ne pouvons pas permettre qu'au Canada des provinces se fassent concurrence pour supprimer des droits sociaux qui existent depuis une génération. Nous ne pouvons pas permettre qu'une province, pour attirer des investisseurs, annonce: «Venez chez nous, où les impôts et le salaire minimum sont moins élevés et où nous ne versons pas grand-chose en prestations d'assistance sociale. Nous mettons fin aux droits d'un grand nombre d'assistés, de sorte que notre province est propice aux investissements.» Ainsi, les autres provinces seraient forcées de réduire au plus bas dénominateur commun dans la course aux investissements.

De la même façon, on ne peut accepter qu'une province porte atteinte aux droits des pauvres en négligeant, grâce à l'assistance sociale et à d'autres mesures, de leur donner un niveau de vie adéquat, car cela pourrait les forcer à aller dans une autre province afin de subsister. À cet égard encore, il faut craindre le nivellement par le bas.

Il faut assurément dans cette conjoncture des protections et des droits sociaux plus rigoureux afin de garantir des règles fondamentales communes à tout le Canada dans un monde où les capitaux circulent avec tant d'aisance. À défaut de cela, nous pensons qu'en voulant régler notre déficit financier nous accumulerons pour la génération suivante un déficit social qui aura proportionnellement des conséquences beaucoup plus graves et qui au bout du compte sera beaucoup plus coûteux.

Le président suppléant: (M. St. Denis) : Merci, monsieur Porter.

[Français]

Mme Lalonde: Permettez-moi une courte intervention. Monsieur Porter, merci d'être venu.

Il y a trois éléments à mon intervention. Premièrement, il me semble que le RAPC n'obligeait pas les provinces à avoir un programme d'assistance sociale. Tout ce que prévoyait le RAPC, c'était le financement à 50 p. 100. On pourrait prendre un exemple. Une province aurait pu décider, en vertu du RAPC, de ne pas avoir de programme d'assistance sociale, et ceci aurait été tout. Donc, c'est une sourdine par rapport à tout ce que vous dites du droit. Dans la mesure où déjà les provinces avaient un programme, le fédéral intervenait à raison de 50 p. 100 et pouvait établir ces règles-là.

Cela dit, vous connaissez la situation particulière du Québec. Je vais vous dire que je suis d'accord sur le contenu de ce qu'il y a comme droits. Pendant la campagne électorale, le Bloc et moi-même avons dit que nous allions défendre ces droits au Québec, mais que nous n'allions pas nous battre pour qu'ils soient défendus au niveau du Canada. C'était mon deuxième élément.

Troisièmement, si j'étais à Toronto ou au Nouveau-Brunswick, je parlerais comme vous parlez. En effet, le Régime d'assistance publique du Canada a permis à tous ceux qui travaillent au niveau des gens les plus démunis de défendre un minimum.

.2035

Je le dis à répétition. Je vous dirai aussi que comme membre du Comité du développement des ressources humaines, j'ai répété à qui voulait l'entendre qu'il y avait un fort besoin de ces strong national standards au Canada. Je tenais donc à dire à la fois que je vous comprends et que, comme membre du Bloc québécois, je ne suis pas d'accord avec vous sur les moyens d'atteindre les mêmes objectifs. Voilà.

Merci beaucoup d'être venu faire cette intervention.

[Traduction]

M. Porter: Merci beaucoup de vos remarques. En réponse à la première, je vous dirais qu'il est vrai que le RAPC n'oblige pas une province à offrir un régime d'assistance sociale. Mais si on pousse l'argument à l'extrême, si une province refusait catéroriquement d'aider les gens dans le besoin, on pourrait certainement invoquer l'article 7 de la Charte des droits, par exemple. Ainsi, au niveau global, on obtient ce que je disais: la reconnaissance de certains droits fondamentaux aux citoyens d'un bout à l'autre du Canada.

Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre comme il se doit à ce que vous avez dit à propos du Québec. J'ajouterai cependant que nous avons été forcés de remarquer que les décisions prises au Québec, plus particulièrement là que n'importe où ailleurs au Canada, ont été prises dans un souci d'observer le droit international conformément à ce que nous prions les autres instances de faire.

Nous ne disons pas nécessairement qu'il faille maintenir le RAPC tel quel. Cela pourrait ne pas être un argument percutant en ce moment. En fait, le RAPC comportait des lacunes du point de vue de la question des droits dont je parlais. Le recours Finlay dont on se sert pour dénoncer les atteintes à certains droits au titre du RAPC est quelque peu indirect. Nous préférerions que le droit soit défini plus précisément, de sorte que si une province avait un niveau d'assistance sociale qui n'était pas adéquat, cela pourrait tout simplement être contesté par quelqu'un en particulier, et il pourrait obtenir gain de cause sans toutefois mettre en cause le financement de tout le programme - autrement dit, ces droits seraient respectés de façon plus directe. On constate donc qu'il y a encore certainement des améliorations à apporter.

À la fin de mon exposé, j'ai dit qu'il fallait s'orienter vers de nouveaux moyens d'améliorer les choses. À mon avis, si l'on conçoit et analyse toute la question du point de vue des droits fondamentaux, plutôt que du point de vue des compétences, certaines des difficultés que vous avez énoncées seraient moins épineuses.

Nous avons pu constater que nous sommes entièrement d'accord avec des organisations du Québec et d'ailleurs au Canada pour reconnaître ces droits-là comme des droits fondamentaux reconnus dans la charte et qui ont un statut en droit international. Au fur et à mesure que le comité acceptera de voir dans toute cette question une question de droits fondamentaux de la personne, nous découvrirons que nous sortons petit à petit de la querelle de compétence.

M. Walker: Vous soulevez des arguments que nous avons entendus à plusieurs reprises, et, il faut bien le dire, les membres du comité, quel que soit le parti auquel ils appartiennent, veulent garantir que ce changement spectaculaire en matière de politique sociale sera accompli comme il se doit. Nous sommes bien conscients de vos préoccupations.

Nous avons entendu parler à plusieurs reprises du rapport des Nations unies, et, avec la permission du président, je souhaiterais lire la réponse officielle du gouvernement. Ensuite, j'aborderai des questions précises soulevées dans votre rapport.

Le Canada s'engage à respecter ses obligations en vertu de la Convention des Nations unies sur les droits sociaux, économiques et culturels. Par le passé, le Canada a toujours offert son entière coopération à tous les comités des Nations unies et a été cité en exemple. Le Canada a toujours pris ces obligations-là avec le plus grand sérieux et continuera de le faire.

Les articles de ce projet de loi qui portent sur le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux disposent que les provinces auront la possibilité d'innover et d'améliorer leurs programmes sociaux pour mieux répondre aux besoins des citoyens qui vivent sur leur territoire et pour respecter les obligations du Canada en vertu de la convention des Nations unies. Sous la houlette du ministre du Développement des ressources humaines, nous allons travailler ensemble à l'élaboration d'un processus en vue de dégager un consensus sur l'élaboration de principes communs. Dans le cadre de ce processus, tous les gouvernements canadiens seront à même de réaffirmer leur engagement à l'égard du bien-être social de leurs ressortissants conformément à la convention des Nations Unies.

.2040

J'ai fait des recherches dans ce domaine par le passé, et je vous pose ces questions à ce sujet pour savoir exactement ce que vous en pensez, à savoir si à votre avis cette modification empiète automatiquement sur les quatre droits, comme vous l'avez expliqué, compte tenu de la jurisprudence et de l'application de la Charte des droits et des décisions de la Cour suprême. Peut-on dire sans exagérer que ces quatre droits vont totalement disparaître?

M. Porter: Oui, dans un sens très important. Je tiens à faire une distinction entre deux situations, ou plutôt deux questions différentes. Dès que le RAPC ne sera plus en vigueur, à compter d'avril 1996, quoi que fassent les provinces, quels que soient les changements qu'elles apportent à leurs programmes respectifs, même si elles continuent d'offrir les mêmes programmes qu'aux termes du RAPC, la différence sera qu'une personne aura perdu le droit de saisir le tribunal pour contester toute mesure qui, à son avis, enfreint ces droits.

Je dirais donc que cette situation est semblable à celle d'un fervent partisan de l'égalité dans une province qui décide de supprimer la législation sur les droits de la personne. Cette personne, même avant de faire l'objet d'une injustice quelconque, se sentirait très différente. Elle aurait l'impression d'être lésée d'une partie de sa citoyenneté, car elle serait vulnérable. Elle saurait simplement que si quelqu'un violait ses droits, elle n'aurait aucun recours.

La première étape de la violation d'un droit, ce qui nous inquiète et devrait inquiéter vivement le comité, c'est la suppression du droit proprement dit: la possibilité de contester quelque chose devant un tribunal et d'obliger nos gouvernements à rendre des comptes à l'égard de certains droits. Ce droit disparaîtrait. Les gouvernements, dans leur grande bonté, pourraient devenir des États providence. Nous n'en savons rien. C'est toutefois peu probable, étant donnés les fonds qu'ils vont recevoir. L'impossibilité de saisir les tribunaux lorsqu'on a l'impression d'être lésés signifie que les pauvres ont été en grande partie privés de leurs droits.

Il est très difficile d'imaginer comment cela pourrait être reformulé sous forme de principes.

M. Walker: Nous nous retirons d'un secteur et nous disons que le RAPC disparaît, et qu'il y aura un transfert, tout comme en 1956, à l'époque où le gouvernement fédéral a pris l'initiative et créé ces droits. En théorie, qu'est-ce qui empêcherait la province d'invoquer simplement les premiers paragraphes du mandat du RAPC et d'appeler le programme Régime d'assistance publique du Québec, Régime d'assistance publique de l'Ontario, du Manitoba, etc., et de continuer d'appliquer les mêmes principes?

M. Porter: Si ces droits étaient enchâssés dans toutes les lois sur les droits de la personne, ainsi que dans la Charte du Québec, les droits prévus aux termes du Régime d'assistance publique du Canada feraient désormais partie intégrante de la législation provinciale sur les droits de la personne et obligeraient donc les gouvernements provinciaux... Même cela n'est pas certain, car il est possible que les tribunaux, aux termes des lois sur les droits de la personne, n'aient pas les même recours qu'en vertu de la Loi sur le Régime d'assistance publique du Canada. Toutefois, s'il existait une législation provinciale garantissant que ces droits l'emportent sur tout autre droit - autrement dit, ayant un caractère obligatoire pour le gouvernement - nous serions en bonne voie de préserver la protection.

Si nous enchâssions ces droits dans la Charte des droits et libertés et déclarions que le droit à un niveau de vie suffisant et le droit de choisir librement son travail font partie intégrante de notre charte, cela garantirait le même genre de protection.

Toutefois, en l'absence de telles protections, les droits prévus dans le RAPC étaient les seuls vraiment existants pour les Canadiens pauvres.

Il s'agit là d'une question des plus importantes, et je ne prétends pas que nous ayons agi du mieux possible. C'est un secteur qu'il serait très intéressant d'examiner à fond. À notre avis, si nous désirons revoir la façon dont nous avons garanti la protection de ces droits sociaux dans le droit canadien, il faut le faire de façon constructive, et non pas en en saisissant le Comité des finances - sous le couvert d'une foule de mesures budgétaires qui présentent un caractère d'urgence et transforment de fond en comble la structure juridique des protections, en ne garantissant plus les protections essentielles au Canada - de façon aussi draconienne. Ce n'est absolument pas la bonne façon de procéder.

Les questions que vous soulevez sont donc précisément celles qui, à mon avis, devraient faire l'objet d'un examen approfondi.

.2045

M. Walker: On peut dire que le comité a signalé le problème de façon officieuse au ministre en cause et qu'il le fera sans doute de façon plus officielle lorsqu'il aura terminé cette étude, car tous les groupes qui ont comparu devant le comité ont porté ces questions à notre attention et exprimé leurs inquiétudes à ce sujet, outre les personnes avec lesquelles nous avons travaillé par le passé. Cette façon de procéder nous laisse une plus grande marge de manoeuvre, à notre avis.

Les représentants du milieu universitaire, dans leur argumentation, nous mettent en garde contre d'éventuels gouvernements provinciaux retors et font valoir la nécessité d'un équilibre des pouvoirs. Je ne suis pas aussi convaincu que certains - ce n'est pas du tout ce que vous avez dit, mais on peut le lire dans certains rapports - que, par définition, la source du mal vienne de ce que les États américains sont de droite, et que le mouvement parmi les gens de droite au niveau provincial... Je n'irais pas jusqu'à qualifier cette tendance de conservatrice avec un petit «c», comme l'a été l'historique du mouvement aux États-Unis. On pourra peut-être me prouver le contraire, mais c'est le pas en avant qui préoccupe vivement toutes les parties intéressées à l'heure actuelle. C'est le nouveau terrain dans lequel nous nous aventurerons. À mon avis, le gouvernement actuel n'a pas encore résolu la question de savoir comment préserver cet équilibre.

M. Peterson: Nous serait-il difficile de réinsérer dans le projet de loi, disons, le droit de recevoir une aide financière lorsqu'on est dans le besoin et le droit d'interjeter appel, d'y réinsérer certaines conditions de façon unilatérale?

M. Porter: Je ne pense pas que ce soit difficile. Il s'agit selon moi d'une omission flagrante - il existe sans nul doute certains droits dans le domaine de la santé, et ils sont manifestement absents quant aux droits du groupe vulnérable qui est tributaire de l'aide sociale. Notre position, au Comité de la charte et des questions de pauvreté, est celle que j'ai décrite quant au rôle des droits de la personne dans une société démocratique, à savoir qu'il faut disposer d'une structure dans laquelle les gens pauvres peuvent reconnaître les cas de violation de leurs droits et avoir accès à un juste...

M. Peterson: Eh bien, vous semblez souhaiter un amendement à la Charte des droits, ce qui serait idéal.

M. Porter: Dans une certaine mesure, sauf qu'il ne serait pas souhaitable de devoir la modifier chaque fois qu'un problème de pertinence se pose. Il vaut mieux en fait qu'il existe une sorte de droit général semblable à ce que prévoit la déclaration universelle de la convention internationale, et ensuite ce qu'on appelle des lois de mise en oeuvre, de sorte qu'il existe des définitions plus précises des normes à remplir pour garantir la protection de ce droit. Après, vous pourrez avoir vos commissions d'examen de l'aide sociale, des tribunaux, etc.; il sera inutile d'invoquer la Charte devant les tribunaux chaque fois qu'un problème se pose.

M. Peterson: Permettez-moi de vous dire, tout d'abord, que les conditions liées au RAPC à l'heure actuelle sont extrêmement minimes. En second lieu, M. Axworthy a notamment pour mandat d'aller négocier avec les provinces une série de normes beaucoup plus générales. Étant donné que nous ne sommes que l'une des sources de financement de ce régime, il nous faut le consentement des provinces. Pour le moment toutefois, c'est un bon point de départ que d'essayer d'obtenir des normes plus strictes pour aider un plus grand nombre de gens, même si les ressources disponibles diminuent quelque peu.

M. Porter: Nous sommes affolés par l'issue éventuelle de ces négociations. Au cours des discussions qui ont abouti à l'accord de Charlottetown, nous avons constaté entre autres que les élus politiques au Canada ne s'entendaient pas, même si les sondages laissaient entendre qu'il existait un fort consensus parmi la population quant à, par exemple, l'importance d'un niveau de vie suffisant comme droit de la personne fondamental. Le grand public était nettement en faveur d'une charte sociale vraiment applicable, mais lorsque les politiques eurent terminé leurs négociations, nous avons obtenu dans l'accord de Charlottetown un énoncé de principes allant tout à fait dans le sens contraire, selon lequel il ne s'agissait pas vraiment de droits, mais plutôt de simples objectifs politiques.

.2050

Vous remarquerez que, dans ses observations finales, en 1993, le comité des Nations Unies exprimait précisément son inquiétude devant le fait que, lors des négociations constitutionnelles, les politiques canadiens semblaient avoir ramené des droits de la personne fondamentaux à de simples objectifs politiques.

Il y a une énorme différence à notre avis entre des principes négociés entre deux paliers de gouvernement et des droits qui nous permettent de déterminer s'il y a eu violation et de saisir les tribunaux pour obtenir réparation, ce qui, selon nous, est essentiel au bon fonctionnement du régime démocratique dans l'intérêt des groupes qui, autrement, seront lésés dans leurs droits. Les gens pauvres ont besoin d'avoir des droits au même titre que les autres groupes défavorisés, et ils ont besoin de droits susceptibles d'être respectés. Les seuls principes négociés par les divers paliers de gouvernement ne leur suffisent pas.

M. Peterson: Vous voulez donc que le gouvernement fédéral accorde des droits de façon unilatérale, et ce sont les seuls que vous êtes prêts à accepter.

M. Porter: Le gouvernement fédéral peut continuer d'exercer l'effet de levier qu'il possédait en vertu du RAPC, en fixant comme condition à l'obtention des fonds le respect de certains droits fondamentaux, et en déclarant qu'en cas d'infraction à ces droits l'entente est rompue et ne peut plus être mise en vigueur.

M. Peterson: Vous souhaitez donc que le RAPC reste sous sa forme actuelle.

M. Porter: Pas nécessairement, mais simplement que le mécanisme d'application reste le même.

M. Peterson: Avec une formule de partage des frais.

M. Porter: En tant que condition du TCSPS.

M. Peterson: Vous voulez qu'on maintienne le RAPC avec ses quatre conditions selon un système de partage des frais, n'est-ce pas?

M. Porter: C'est en tout cas nettement préférable au transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, en effet; quelle que soit la nouvelle entente à laquelle on arrivera, ce que nous disons, c'est qu'il faut que les droits fondamentaux soient préservés et que l'élément aide sociale n'entre pas en concurrence directe avec les autres aspects du programme.

M. Peterson: Ces droits fondamentaux étant établis par le gouvernement fédéral.

M. Porter: Ils peuvent être établis par n'importe quel moyen...

M. Peterson: Il ne faut pas qu'ils soient négociés avec les provinces. Selon vous, c'est au gouvernement fédéral d'établir ces droits.

M. Porter: Ils pourraient faire l'objet d'une négociation dans une certaine mesure, mais il faudra qu'à un moment donné ils deviennent une condition essentielle au financement.

M. Peterson : Je comprends. Très bien. Vous souhaitez qu'il existe un mécanisme fédéral pour les faire respecter.

M. Porter: C'est cela.

M. Walker: Il est arrivé souvent que le gouvernement fédéral reproche à un gouvernement provincial sa méthode d'administration de l'assurance-maladie et menace de ne plus contribuer au financement. J'essayais de me rappeler si, au moins au cours des 15 dernières années, le gouvernement fédéral a dû à plusieurs reprises menacer les provinces de retirer des fonds pour faire respecter les conditions de base du RAPC.

M. Porter: Non. À ma connaissance, le seul cas est l'affaire Finlay.

M. Walker: Il s'agissait d'une affaire personnelle, en effet - et c'est d'ailleurs un de mes électeurs.

M. Porter: Le recours était fondé sur le fait que cette personne contestait le financement. C'est possible, à mon avis. Je ne suis pas un expert en la matière, mais il devrait être possible de concevoir le programme de façon à prévoir un moyen de recours beaucoup plus facile pour une personne, de façon à éviter le genre d'incertitude juridique qui existait dans le cadre du RAPC ou quant à l'autorité d'une personne comme Finlay pour contester les cas de violation de certains droits. On pourrait prévoir dans le cadre de l'accord financier que ces droits sont applicables en droit.

M. Peterson: Si on pouvait les faire respecter, il y aurait un droit d'appel ou de refus, n'est-ce pas?

M. Porter: Je parle des cas où une province n'aurait pas de système d'appel satisfaisant ou établirait des critères inacceptables.

M. Peterson: Je regrette.

M. Pillitteri: Monsieur Porter, votre exposé diffère quelque peu de ceux qui nous sont habituellement présentés, du moins d'après mon expérience. À vous entendre, j'ai l'impression que vous cherchez à utiliser les pauvres du Canada pour vous aider à promouvoir les droits de la personne. Dans bon nombre de passages de votre mémoire, vous faites une distinction entre tous les éléments de la société canadienne, entre les hommes et les femmes, par sexe, par religion, tous les facteurs possibles, et vous essayez d'invoquer cet argument pour étayer votre défense des droits de la personne, mais je pense qu'en fait vous n'atteignez pas l'objectif voulu. Je crois surtout que vous essayez de profiter de cet argument.

.2055

C'est l'impression que j'ai en vous écoutant. Je ne sais pas ce qu'en pensent mes collègues du comité. Il est possible que, si je faisais partie de ce groupe, vous n'auriez pas fait avancer ma cause au Canada. J'ai l'impression que, au lieu de promouvoir la cause des droits de la personne, vous avez dénigré les pauvres du Canada.

J'ai presque l'impression de comparaître devant un tribunal international et de m'entendre dire que nous profitons des Canadiens pauvres en mettant en oeuvre ces mesures budgétaires et le projet de loi C-76. Vous auriez dû faire une argumentation mieux fondée du point de vue juridique au lieu d'invoquer continuellement la cause des pauvres du Canada. De ce côté-ci de la table, nous sommes convaincus d'avoir une conscience sociale et d'avoir à coeur les intérêts des Canadiens.

Cela dit - et bien entendu vous avez déjà répondu à certaines questions que je voulais poser - pensez-vous que, dans le cadre du projet de loi C-76, nous faisons disparaître tous les droits des Canadiens pauvres?

M. Porter: Oui, vous supprimez des droits très fondamentaux. Vous ne les supprimez pas tous, mais vous faites disparaître ceux qui sont les plus fondamentaux, ceux qui ont rapport à un niveau de vie acceptable. Il est possible que certains de ces droits soient protégés par la Charte des droits, en vertu de la sécurité de la personne - du moins nous l'espérons - mais ce sont les seuls pour lesquels il y ait la moindre certitude.

Pour répondre à ce que vous avez dit plus tôt, je regrette que vous ayez eu cette impression en nous écoutant. C'est peut-être dû à la façon dont nous avons présenté notre exposé. Le Comité de la charte et des questions de pauvreté est un groupe composé de gens pauvres. Je suis leur représentant. Je ne vis pas personnellement dans la pauvreté.

M. Pillitteri: Je le vois bien.

M. Porter: Par exemple, lorsque nous avons comparu devant le comité des Nations Unies, une personne à faible revenu a témoigné en même temps que moi. Dans toutes nos affaires de contentieux, nous avons ce que nous appelons des équipes de projet, et l'équipe se compose d'une majorité de gens pauvres. Toutes les décisions au sujet du litige et de l'argumentation sont prises par des gens pauvres.

Ce qui explique en partie cette gêne lorsqu'on parle des questions de qualité par rapport aux questions de pauvreté, c'est la façon dont la situation a évolué au Comité de la charte et des questions de pauvreté; c'est pourquoi nous parlons de plus en plus librement du fait que les pauvres sont un groupe vulnérable et défavorisé, un groupe qui recherche l'égalité, au même titre que les autres groupes victimes de discrimination. J'ai parfois l'impression que lorsqu'on entend ce genre de choses pour la première fois cela semble un peu insultant ou dégradant pour les pauvres.

M. Pillitteri: Vous voyez, monsieur, si vous teniez ces propos au Canada et devant des Canadiens, je pourrais le comprendre. Toutefois, dès l'instant où vous nous confrontez à un tribunal international, comme dans l'autre exposé que vous avez fait, c'est un peu comme si moi, Canadien, j'étais mis en procès à l'étranger pour avoir lésé des Canadiens. C'est ce que j'ai ressenti. Je ne pense pas être le seul. Vous n'avez pas replacé le problème dans le contexte canadien. Vous l'avez soulevé dans une perspective étrangère.

M. Porter: Nous avons jugé bon de participer à des tribunes internationales, car il arrive parfois qu'au Canada on tourne en rond en débattant de ces questions. Le fait de nous tourner vers l'extérieur pour examiner des normes plus universelles en matière de droits de la personne peut nous obliger à envisager les choses sous un jour différent.

Pour ma part, j'ai été très ému de participer aux réunions du comité des Nations Unies en 1993. Lorsque j'ai vu la réaction des membres du comité originaires de pays pauvres face à la situation existant au Canada, j'ai éprouvé un sentiment de honte en pensant à ce que nous tolérons dans notre pays.

Dans le cadre de mes recherches, j'ai été choqué par la comparaison entre les ressources dont dispose notre pays et celles des autres pays qui comparaissent devant le comité. J'ai été choqué de constater que le Canada était le pays le plus riche des principaux pays qui ont ratifié la convention. Le Canada était plus riche que le Japon et l'Allemagne. Je ne le savais pas. J'aurais dû le savoir, mais je ne le savais pas.

À l'issue de ces discussions au niveau international, je me suis en fait senti mû par une énergie nouvelle, convaincu que nous pouvons faire quelque chose pour lutter contre la pauvreté au Canada. C'est un problème que nous pouvons résoudre. Il suffit simplement de penser à toutes les ressources dont nous disposons pour le résoudre et à trouver la volonté de le faire.

.2100

Loin de moi l'idée de donner l'impression de dénigrer les pauvres en parlant de ces réunions internationales. L'expérience des pauvres qui y ont participé a été des plus positives.

M. Pillitteri: Il aurait été beaucoup plus utile que, en témoignant devant notre comité, vous exprimiez les préoccupations du Canada et rassuriez les Canadiens au lieu de laisser l'impression que vous avez donnée lors de votre exposé.

Le président suppléant (M. St. Denis): Au nom de tous les membres du comité, monsieur Porter, nous vous remercions de votre témoignage. Personne ne niera que vous avez représenté avec beaucoup d'éloquence votre organisme et le groupe que vous défendez.

La séance est levée.

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