[Enregistrement électronique]
Le mercredi 17 mai 1995
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte. Nous poursuivons l'étude du projet de loi C-76.
Nous accueillons aujourd'hui Marie Boyd de la Prince Edward Island Health Coalition. Je vous remercie d'avoir réorganisé votre programme pour venir nous parler. Nous avons bien hâte de vous entendre.
Mme Marie Boyd (Prince Edward Island Health Coalition): Merci, monsieur le président et membres du comité.
La Prince Edward Island Health Coalition a été fondée en 1979 à cause de la surfacturation par les médecins et d'autres atteintes à notre régime de soins de santé universels et financés par le public. La coalition se compose de groupes syndicaux et confessionnels, de producteurs primaires, de travailleurs dans le domaine des soins de santé, d'enseignants, d'employés des postes et de groupes de lutte contre la pauvreté. Son objectif consiste à appuyer et à renforcer les cinq principes de l'assurance-maladie, c'est-à-dire l'universalité, l'accessibilité, la transférabilité, l'intégralité et l'administration publique sans but lucratif. Ces principes garantissent que l'être humain passe avant tout et que l'on maintient certains niveaux d'égalité d'un bout à l'autre du pays.
La PEI Health Coalition est heureuse de pouvoir témoigner aujourd'hui devant le Comité permanent des finances pour exprimer ses préoccupations et même son opposition au projet de loi C-76 relativement au transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Nous incitons le comité à parcourir le pays pour demander aux Canadiens pourquoi ils craignent ce projet de loi et s'y oppossent.
La coalition s'oppose au projet de loi C-76 non seulement à cause de l'incidence qu'il aura sur les soins de santé au Canada, mais aussi à cause des conséquences qu'il aura pour l'enseignement postsecondaire, le bien-être social, les garderies et le filet de sécurité sociale en général. Nous nous opposons aussi à d'autres compressions budgétaires, plus particulièrement l'élimination des 45 000 postes dans la fonction publique, les réductions apportées aux prestations d'assurance-chômage et aux bureaux administratifs de l'assurance-chômage, de même que la suppression du tarif du du Pas-du-Nid-du-Corbeau et de la subvention pour le transport des marchandises dans la région de l'Atlantique, vu que cela va pénaliser encore des groupes importants de la population, surtout ceux qui ont le moins les moyens d'assumer ces réductions. La réduction des prestations d'assurance-chômage et des prestations de pensions ne résoudrait rien et maintiendrait la tendance qu'on a déjà trop dans notre société à blâmer les victimes.
Ces mêmes victimes sont atterrées de constater que le projet de loi C-76 réduira les dépenses gouvernementales comme pourcentage du PIB à son plus faible niveau depuis 1950 et changera de façon fondamentale le rôle que joue le gouvernement fédéral dans le domaine des mesures sociales. Nos programmes sociaux nationaux en seront certainement affaiblis et finiront par disparaître si le gouvernement fédéral leur coupe les vivres graduellement.
Je vais vous expliquer pourquoi la situation nous inquiète à l'Île-du-Prince-Edouard. Il y a bon nombre de raisons à cela. Sur le plan financier, la province perdrait 16,9 millions de dollars, ou 14 p. 100 de son budget total pour la santé et les services, pendant la première année, en 1996-1997. Si les paiements de transfert sont divisés également, elle perdrait encore 12,9 millions de dollars en 1997-1998, ce qui ferait au total 29,4 millions de dollars ou 34 p. 100 de son budget en deux ans. Il y aurait ensuite d'énormes réductions chaque année jusqu'en 2006-2207.
Nous pourrions donner bon nombre d'exemples des conséquences de cette perte, par exemple, des réductions considérables dans les budgets des hôpitaux et le nombre de lits d'hôpitaux, et dans bien des cas dans les régions rurales. Cela pourrait aussi entraîner d'énormes réductions dans la rémunération des travailleurs des services de santé ou dans les fonds disponibles pour le matériel essentiel.
Cela fait déjà quelques années que les soins de santé dans l'Île-du-Prince-Edouard sont en état de crise et nous n'avons surtout pas besoin de nouvelles réductions budgétaires. En 1995, par exemple, le gouvernement provincial a réduit d'encore 10 millions de dollars son budget au titre de la santé et des services sociaux. Chaque nouvelle réduction a de graves conséquences.
Le principal thème lors de la rencontre des conseils provinciaux de la santé la fin de semaine dernière était la désinstitutionnalisation. C'est sans doute une bonne idée là où c'est possible, mais uniquement lorsqu'on a les appuis appropriés, par exemple des infirmières et un personnel de soins à domicile bien formé, et le fait est que nous manquons d'infirmières à domicile dans l'Île-du-Prince-Edouard. Ce qui est ironique aussi, c'est que l'on semble promouvoir les soins à domicile pour les personnes âgées et comme solution de rechange à l'hospitalisation, mais que le budget des soins à domicile a déjà été réduit. Cela veut dire que les maisons de convalescence et les hôpitaux seront remplacés par un service qui est déjà touché par des réductions budgétaires. Pour justifier tous les changements, on invoque la nécessité de réduire le déficit plutôt que de tenir compte des besoins de services et de soins.
C'est à l'Île-du-Prince-Edouard qu'on trouve le plus fort pourcentage de personnes du troisième âge au Canada, notamment en raison du fait que le taux de chômage oscille autour de 17 p. 100 depuis de nombreuses années, ce qui incite les jeunes à partir. Un grand nombre de ces personnes âgées de l'Île-du-Prince-Edouard attendent d'être admises dans un foyer. Certaines n'y arrivent jamais. Lorsqu'elles meurent, elles sont encore sur la liste d'attente. À cause des longues listes d'attente, ces foyers ne seront jamais vides de toute façon mais, entre temps, les besoins de nombreuses personnes qui attendent et espèrent restent sans réponse. Le foyer le plus important, la Maison du Sacré-Coeur à Charlottetown, va fermer à cause d'une insuffisance de financement et certains lits ont été fermés dans des foyers du secteur de Summerside.
En matière de soins intensifs, le roulement des patients dans les hôpitaux est très élevé et les infirmières et assistantes-infirmières y sont soumises à une tension beaucoup plus considérable. Le fort taux de roulement alourdit énormément le fardeau administratif à l'admission et au renvoi des patients. Les médecins doivent choisir: doivent-ils renvoyer une personne qui n'est pas prête pour pouvoir hospitaliser une personne plus malade, ou doivent-ils s'efforcer de soigner le patient à domicile? Les lits réservés aux soins intensifs sont remplis et les patients qui doivent être admis sont gardés dans des salles d'urgence.
Les listes d'attente sont longues également pour la chirurgie et les interventions spécialisées et bon nombre de services ne sont d'ailleurs pas disponibles sur l'Île-du-Prince-Edouard. Par exemple, l'attente est très longue pour les cataractes et les chirurgies de la hanche. Notre spécialiste en radiothérapie veut prendre sa retraite en juin, mais il n'y a personne pour le remplacer. Le seul neurologue que nous avions a déjà quitté. Il n'y a aucun gérontologue, un spécialiste dont les services seraient appréciés par les personnes âgées. Nous avons un dermatologue. Depuis, cinq mois, nous avons un nouveau spécialiste de la chirurgie esthétique. Sa liste d'attente s'étend déjà sur sept mois. Il se demande bien où il en sera à cet égard dans un an.
Certains indices permettent de croire qu'il n'y aura plus que deux services de soins intensifs sur l'île, une fois que certains changements auront été faits. Il s'agirait de Charlottetown et de Summerside. Cela rendra la vie très difficile aux gens des milieux ruraux et aura pour effet de créer un régime à deux paliers.
De plus, il est déjà question de soumettre les personnes âgées à une évaluation du revenu pour déterminer leur admissibilité au programme d'assurance- médicaments. Les médicaments coûtent déjà très cher aux personnes âgées. Dans le cas des habitants de l'Île-du-Prince-Edouard qui vont à l'étranger, les visites au ministère de la Santé provinciale, les inoculations et bon nombre d'autres services doivent être payés. Des droits d'utilisation sont déjà imposés à cet égard.
Des membres de notre groupe ont parlé à une femme âgée de 71 ans qui préparait sa déclaration d'impôt le 1er mai. Elle nous a montré ses factures de médicaments, qui totalisaient 2 000$. Elle a déclaré ne recevoir aucune aide à cet égard.
Les autorités provinciales prétendent qu'elles vont offrir de meilleurs services. Cependant, nous ne voyons que des compressions, pour le moment. On n'accorde aucun soutien pour l'homéopathie ou pour d'autres programmes très importants qui favorisent le bien-être.
Le régime de soins de santé de l'Île-du-Prince-Edouard a besoin non pas de compressions additionnelles mais plutôt de stabilité. Il n'y a pas lieu de faire porter l'odieux à des établissements qui sont nécessaires et de prétendre que les soins à domicile vont régler tous les problèmes financiers. Il faut assurer l'équilibre et l'intégration entre les soins à domicile et les soins en établissement, il faut un plan qui vise l'amélioration de la santé et des soins à donner aux patients, et non pas un processus de compressions budgétaires qui engendre sa propre bureaucratie.
À l'Île-du-Prince-Edouard, l'introduction du nouvel organisme de santé et de services sociaux a donné naissance à une bureaucratie considérable, axée sur l'expansion des soins à domicile. Pourtant, dans la mesure où les soins à domicile prennent de l'ampleur, de nouvelles ressources seront nécessaires, tout au moins à court terme. Le service doit être établi avant que le système actuel ne puisse être modifié, ce qui pose problème, du fait que la réforme a lieu au moment même où les gens s'affairent à déterminer quels sont leurs vrais besoins. Nous avons donc besoin d'une période de stabilité de trois ans environ, au cours de laquelle nous ne subirons pas de coupures; cela nous donnera le temps d'effectuer les changements qui permettront d'améliorer les soins de santé.
Dans l'Île-du-Prince-Édouard, les médecins, les infirmiers et infirmières et les autres professionnels sont poussés à la limite. On ne les consulte pas au sujet des changements, le public non plus. Au contraire, nous avons constitué des commissions, qui attirent notre attention sur la nécessité de promouvoir la démocratie, la reddition de comptes et la responsabilité dans notre régime de soins de santé.
Une infirmière albertaine en visite chez nous a remarqué une annonce dans laquelle on cherchait une personne qualifiée pour former des travailleurs de la santé et du personnel hospitalier sans qualifications. Elle a déclaré que ces derniers remplaceront les infirmières et infirmiers et feront baisser les salaires si cette tendance se maintient. C'est exactement ce qui se passe en Alberta.
Nous devrions être fiers d'avoir un personnel très qualifié dans nos hôpitaux en ce moment, et nous avons besoin de les conserver au sein du système. C'est très important.
À l'inverse, je vais vous parler du cas d'un homme âgé qui vit tout seul - sa situation n'est pas inhabituelle. Il a subi une opération et l'hôpital l'a congédié précocement. On lui a affecté une aide auxiliaire à 35$ de l'heure. On lui a dit que ses besoins étaient limités et que la préposée pouvait s'en occuper. Celle-ci a constaté qu'il fallait lui apporter beaucoup de soins. Le patient était abandonné à lui-même en fin de semaine. Si c'est le genre de normes que nous avons actuellement, vous pouvez bien imaginer quelle sera la situation après les compressions imposées par le projet de loi C-76.
La P.E.I. Health Coalition croit qu'à cause du projet de loi C-76, il sera impossible de maintenir des normes nationales. Nous pourrions nous retrouver dans une situation telle que chaque province va dans une direction différente. Cela nous préoccupe, car dans l'Île-du-Prince-Édouard, nous avons encore du rattrapage à faire. Nos concitoyens ne peuvent pas se permettre de quitter la province pour obtenir des services de santé qui n'existent pas sur place. Les services ambulanciers sont remboursés s'ils ont été utilisés à l'intérieur de la province, et tous les autres frais sont assumés par le malade. S'il n'existe pas de normes nationales, cette inégalité s'aggravera. Les fonds seront répartis pour des raisons politiques et le citoyen ordinaire n'aura aucun moyen de le savoir.
La Loi canadienne sur la santé doit être maintenue sous l'autorité du gouvernement fédéral, qui aura le pouvoir de sanctionner les provinces contrevenantes.
Si vous organisez des consultations publiques - et la P.E.I. Health Coalition vous exhorte à le faire - vous constaterez que les Canadiens veulent que la Loi canadienne sur la santé les protège contre les honoraires supplémentaires et les tickets modérateurs, et qu'ils sont en faveur d'un système de santé solide.
Les normes relatives à la santé dans l'Île-du-Prince-Édouard s'effriteront sérieusement si le projet de loi C-76 est adopté, car une province qui est petite et pauvre ne peut pas survivre sans transferts de fonds, et nous constatons qu'il en est de même des provinces plus grandes et plus riches. Les provinces n'ont tout simplement pas les moyens d'accroître leurs revenus à ce point. Les transferts de fonds sont également un moyen permettant aux provinces de respecter les principes qui sous-tendent la Loi canadienne sur la santé. Il faut investir dans les soins de santé, l'enseignement postsecondaire et l'assistance sociale. Il n'est pas nécessaire que ces programmes s'excluent mutuellement. Nous ne pouvons pas survivre sans transferts fédéraux aux provinces.
Le Canada n'a consacré que 7 p. 100 de son PIB aux soins de santé l'année dernière, et non pas 10 p. 100 comme nous l'entendons de temps en temps. Même si les pays de l'OCDE ont consacré 6 p. 100 de leur PIB aux soins de santé, la part des services sociaux a été plus importante, soit 15 p. 100, contre 12 p. 100 dans le cas du Canada. Les pays européens membres de l'OCDE consacrent 5 p. 100 de leur PIB à la santé contre 17 p. 100 aux programmes sociaux.
L'importance des fonds alloués aux programmes sociaux réduit les coûts des soins de santé, car avec de bons programmes sociaux, la population est en bonne santé. De toute évidence, ces pays-là accordent plus d'importance à la valeur de l'être humain qu'aux intérêts des grandes entreprises qui ne pensent qu'à s'enrichir, intérêts qui semblent maintenant prioritaires pour notre gouvernement fédéral, de la même manière qu'ils l'ont été pour le gouvernement Mulroney. La population n'est pas dupe. La réduction de la dette procède davantage d'une idéologie qui vise à réduire les effectifs du gouvernement et à promouvoir la privatisation et cela n'exclut pas la rentabilisation du régime de santé.
Le plein emploi, un filet de sécurité sociale solide, des salaires convenables et de bonnes conditions de travail, de même que des logements adéquats, une bonne nutrition et un environnement sain, sont toutes des politiques susceptibles de maintenir les gens en santé et de réduire les coûts des soins de santé.
J'ai pu le constater de première main quand je me suis rendue dans une région rurale pour rencontrer un groupe d'environ 17 assistés sociaux. Ils étaient tous relativement jeunes, dans la vingtaine ou dans la trentaine, mais tous souffraient d'un problème de santé majeur. La plupart d'entre eux avaient subi une opération chirurgicale majeure. J'ai soudainement compris que la mauvaise nutrition due à des revenus faibles - ils étaient tous assistés sociaux - pouvait causer tant de torts à leur santé et par conséquent entraîner des coûts plus élevés pour les soins.
Hier je parlais à une assistée sociale, qui est diabétique, et qui m'a confié qu'elle avait déjà dépensé tout l'argent de ses prestations. Hier soir, pour le dîner, elle a dû emprûnter deux boulettes de hamburger à un voisin. Son fils reçoit 167$ par mois et un montant équivalant à une partie de son loyer. Elle-même touche 250$ et un montant équivalant à une partie de son loyer et c'est tout ce sur quoi elle peut compter pour ses besoins personnels, ses médicaments - rappellez-vous qu'elle est diabétique - pour sa nourriture, ses vêtements et son transport. Elle souffre de la cataracte. Elle est inscrite sur une liste d'attente pour subir l'opération. Elle n'a pas les moyens d'acheter des verres fumés, elle a mal aux yeux.
Elle m'a parlé de son voisin qui a subi une opération au genou. À part le loyer, lui et sa femme reçoivent à eux deux 350$ et il leur faut un téléphone à cause de leur santé. La femme va donc chez les religieuses du couvent et ailleurs pour mendier de la nourriture. Son mari n'a pas pu obtenir les prestations d'accidenté du travail et pourtant j'ai entendu dire que la Commission se vantait d'avoir réduit ses coûts l'année dernière à cause de coupures dans les prestations.
Voilà donc des problèmes très réels. Il ne s'agit pas de cas isolés.
Du côté de l'éducation, on propose de mettre un terme aux transferts pécuniaires que le gouvernement fédéral verse aux établissements d'enseignement supérieur et de donner l'argent aux étudiants. Le président de l'Université de l'Île-du-Prince-Édouard m'a dit qu'un tel changement ferait grimper les frais de scolarité de quelque 150 p. 100 et que cela signifierait sans doute la fermeture de son université. Pour les étudiants de l'Île, il serait tout aussi bon marché d'aller s'inscrire dans d'autres universités.
Je voulais aussi préciser que l'Île-du-Prince-Édouard est la province canadienne qui dépense le moins, per capita, pour l'éducation primaire. Nous dépensons encore moins qu'aux États-Unis.
Ce qui vaut pour la Loi canadienne de la santé vaut également pour le RAPC. La citoyenneté canadienne confère certains droits. Si on enterre le RAPC, un grand nombre de ces droits vont disparaître. Il est tout à fait inacceptable que les citoyens de ce pays perdent le droit à un revenu quand ils sont dans le besoin, perdent le droit à un certain niveau de revenu qui tiendrait compte de leur situation budgétaire particulière - et je viens de vous donner des exemples où c'est le cas - perdent le droit de recours, perdent le droit de ne pas être obligés de travailler pour toucher des prestations d'aide sociale et perdent le droit à l'aide au revenu qu'ils détenaient autrefois quelle que soit la province d'où ils venaient.
Il est vrai que les sondages indiquent un appui vigoureux au gouvernement actuel, mais je dois vous dire que c'est en train de changer. Je viens de consulter un sondage fait par le Centre canadien de recherche en politiques de rechange. Le sondage indique que le budget de rechange présenté recueille davantage la faveur populaire que le budget Martin. C'est ce qu'ont pu constater les membres du réseau Action Canada qui distribuaient des dépliants à la porte du bureau de Revenu Canada à Charlottetown le 1er mai, c'est-à-dire la date limite pour faire sa déclaration d'impôt sur le revenu.
Plus de 1 000 personnes ont été contactées et 95 p. 100 étaient mécontentes du budget fédéral. La majorité étaient très mécontentes et nombreuses sont celles qui ont déclaré pouvoir donner 30 raisons de leur colère. Ce pourcentage négatif est analogue au pourcentage des opposants à la TPS et aux coupes pratiquées par le gouvernement précédent dans l'assistance médicale.
Les gens croyaient voter pour une alternative à la politique de démolition de l'ancien gouvernement. Ils pensaient même que l'ALÉNA serait renégocié. Aujourd'hui, ils ont beau écouter, à leur grand désespoir, ils n'entendent plus parler des promesses du Livre rouge.
Les auteurs du projet de loi C-76 ont perdu tout contact avec la réalité du pays. Votre comité doit aux Canadiens d'un océan à l'autre d'écouter ce qu'ils ont sur le coeur. Cela fait déjà un certain nombre d'années que les choses ne vont pas bien et les auteurs de certains de ces projets de loi semblent l'ignorer.
Que le gouvernement fédéral coupe progressivement le financement de ses programmes sociaux en les démantelant par le biais de mesures législatives aussi restrictives que le projet de loi C-76 sans consulter la population est un grave coup porté à la démocratie.
La part publique de dépenses consacrées à la santé représentera environ 5,8 p. 100 du PIB en 1995 - c'est-à-dire moins que ce que le Canada dépensait en 1987. L'augmentation des coûts au Canada est à imputer aux services de santé privés et à but lucratif et non pas aux services publics.
Des modifications aussi fondamentales au programme qui est le reflet le plus fidèle de nos valeurs canadiennes ne devraient pas être entérinées par un comité incapable de se déplacer pour consulter la population.
Il y a toutes sortes d'autres solutions. J'ai parlé de celle du budget. D'autres solutions ont été proposées. Lorsque le comité des ressources humaines a fait le tour du pays, de nombreux groupes ont proposé des solutions de rechange. Je sais qu'elles ont été présentées devant ce Comité sous diverses formes: par exemple, sous la forme d'une stratégie de plein emploi, de taxation des riches et des sociétés, de la collecte de l'intérêt sur prêt de 40 milliards de dollars que les sociétés doivent sous forme de taxes reportées, de paiement des impôts qu'elles ne paient pas, de taxation des détenteurs d'obligations non-résidents et des spéculateurs internationaux, et d'une majoration de 7 p. 100 à 30 p. 100 de la part de dettes de la Banque du Canada, etc.
Beaucoup de solutions de rechange ont été proposées qui permettraient de rendre ces services abordables. Il existe des moyens.
Nous constatons une aggravation des tensions dans la collectivité au fur et à mesure que la population s'appauvrit et qu'elle craint de nouvelles réductions, mais il existe des moyens de construire une société canadienne plus bonne et plus généreuse sans disparité régionale tout en tendant la main à nos voisins du monde qui souffrent de pauvreté chronique car le dernier budget et le budget précédent ont aussi prévu des réductions au niveau de l'APD.
Plutôt que de fabriquer plus de pauvres, permettez-moi de vous rappeler le rôle des politiciens ou plutôt le rôle que nombre de gens comme moi leur attribuent, à savoir sauvegarder le bien commun et intervenir chaque fois que les divers intérêts de la société se battent pour obtenir ce qui leur est justement dû, la noble mission que votre situation privilégiée vous confère de sauvegarder ces droits au nom de la justice.
Je me souviens des propos de l'archevêque Romero - et ils resteront gravés dans nos esprits: ce sont les pauvres qui sont le plus près de Dieu. Nous ne voulons pas de multiplication des pauvres dans ce pays. Nous en avons déjà trop. Ceux d'entre nous qui croient en la justice veulent une diminution de leur nombre.
J'espère que les cris et les craintes exprimés par les pauvres vous toucheront autant qu'ils me touchent et que vous conviendrez qu'il y a de meilleures solutions que le projet de loi C-76.
Merci.
Le président: Merci, madame Boyd. Monsieur Easter, qui vient de l'Île-du-Prince-Édouard, nous a fait part de ses regrets de ne pouvoir se joindre à nous. Mais il nous a avertis que nous devions vous traiter comme il faut, puisque vous veniez vous aussi de l'Île-du-Prince-Édouard.
Pour ce faire, nous cédons d'abord la parole au Bloc.
[Français]
Monsieur Brien.
M. Brien (Témiscamingue): Bienvenue au Comité des finances. J'ai une seule question parce que vous avez fait un exposé très clair.
Vous avez soulevé les craintes légitimes qui circulent de plus en plus chez ceux qui connaissent l'existence du projet de loi et toute la nouvelle vision du Transfert social canadien. Pensez-vous - vous l'avez exprimé, mais j'aimerais que vous le disiez de façon directe - qu'il sera possible pour les provinces, notamment la vôtre, de se conformer aux normes qui sont fixées par la Loi canadienne sur la santé avec le niveau de financement qui leur sera disponible?
[Traduction]
Mme Boyd: Non, je ne le crois pas. J'ai justement essayé de vous expliquer que nous avons déjà, aujourd'hui, du mal à y parvenir. Au cours des dix dernières années, notre région a subi des compressions de 125 millions de dollars. Ce n'est peut-être pas beaucoup pour une grande province, mais rappelez-vous que l'Île-du-Prince-Édouard est une petite province dont la population est faible.
Je réponds par non. Nous avons déjà du mal, et ces compressions supplémentaires seront catastrophiques. J'imagine mal demain que le fédéral cesse d'alimenter financièrement une province comme l'Île-du-Prince-Édouard et je ne vois comment nous pourrions survivre à de grosses compressions ou même à d'autres compressions, quelles qu'elles soient.
En fait, on devrait même nous augmenter. L'autre budget disait qu'il était possible d'injecter 1 milliard de dollars de plus dans les soins de santé cette année, plutôt que d'imposer des compressions et de continuer ainsi.
Donc, nous ne le pourrions pas, et de plus, nous ne devrions pas avoir à le faire, car il existe des solutions de rechange.
[Français]
Mr. Brien: Thank you.
[Traduction]
M. Pillitteri (Niagara Falls): Vous ai-je entendu dire que quelqu'un vous expliquait hier soir ou la semaine dernière qu'il recevait 167$ par mois? Est-ce là toute l'aide sociale que reçoit cette personne à titre de célibataire?
Mme Boyd: Oui, et elle reçoit aussi une partie de son loyer.
M. Pillitteri: Monsieur le président, je voudrais apporter une précision officielle: hier soir, le «Social Planning Council of Metropolitan Toronto» a présenté son mémoire dans lequel il exposait le montant des allocations sociales par province et les allocations de logement.
Tout d'abord en Ontario, les allocations pour personne seule se chiffrent à 7 935$ par année. À Terre-Neuve, le montant est de 4 372$. Pour l'Île-du-Prince-Édouard, le montant est l'un des plus élevés, soit 7 956$. Je tiens à faire cette précision. Et on donne les chiffres pour les autres provinces. En fait, en comparaison, les prestations sont bien moindres pour une personne seule avec un enfant, car le montant n'est que de 11 052$.
Ce n'est pas que je veuille vous contredire, mais je tiens à apporter cette précision. On pourrait peut-être reprendre ces chiffres.
Mme Boyd: Il est très difficile de voir comment certains de ces chiffres s'appliquent à l'Île-du-Prince-Édouard. La différence entre les statistiques et la vraie vie...
Ainsi, d'après vos chiffres, on a l'impression que l'Île-du-Prince-Édouard est l'une des provinces les moins pauvres du Canada, alors qu'en réalité, nos salaires par habitant arrivent à l'avant-dernier rang. Notre taux de chômage est parmi les plus élevés de toutes les provinces. Nous comptons énormément de travailleurs saisonniers et beaucoup de nos habitants vivent d'aide sociale.
Je ne sais pas qui peut bien inventer ces chiffres.
La semaine dernière, je parlais à un homme qui me disait recevoir 500$ environ d'aide sociale par mois, mais que cette somme avait été désormais réduite à 200$. Je sais que le fils de la femme dont je vous ai parlé reçoit une partie de son loyer plus 167$. Ça, c'est la réalité. Il est un célibataire chômeur qui vit avec sa mère.
C'est peut-être à cause de son âge, car je sais que les hommes célibataires et chômeurs qui n'ont plus droit à des prestations d'assurance-chômage voient leurs prestations réduites considérablement. Il faut que vous écoutiez ce que les gens ont à vous dire. C'est cela notre message. Parcourez le pays. Nous allons faire témoigner les gens devant vous; c'est de cette façon seulement que vous apprendrez quelle est la situation en réalité. Je sais bien que nous avons besoin de statistiques, mais parfois elles sont trompeuses.
Mme Brushett (Cumberland - Colchester): Je suis très heureuses que Marie Boyd soit ici aujourd'hui pour représenter l'Île-du-Prince-Édouard.
J'aimerais revenir sur certains points que vous avez soulevés, à commencer par l'Université de l'Île-du-Prince-Édouard. Les autorités de l'univesité vous ont dit - =comme le recommande le Livre vert - que nous allions financer l'étudiant, le laisser choisir son université et contracter l'emprunt dont il a besoin au lieu de financer la maison d'enseignement.
On vous aurait dit que cela forcerait presque l'université à fermer ses portes ou à augmenter ses frais de façon exorbitante. Pourquoi est-ce que l'université ne pourrait pas offrir des cours et des avantages suffisants, dans un cadre rural enchanteur, pour attirer un grand nombre de jeunes gens.
Mme Boyd: Eh bien, ce n'est pas ce qui se passe. Comme vous le savez, il y a beaucoup de maisons d'enseignement à proximité et il n'y a pas beaucoup de gens de l'extérieur de l'île qui viennent à l'Université de l'Île-du-Prince-Édouard. Les frais de scolarité augmenteraient.
Je n'ai pas entendu toutes les explications de M. Eliott, mais les frais seraient si élevés que l'université serait hors de prix et c'est pourquoi elle pourrait fermer ses portes.
Mme Brushett: Pourtant, l'Université de Mount Allison est l'une des meilleures au pays et n'a pas ces craintes-là. D'autres universités de la région de l'Atlantique disent qu'elles trouveront un moyen de soutenir la concurrence parce que toutes ne peuvent pas offrir le programme de chimie ou offrir la même chose partout. Il faut une certaine restructuration pour qu'elles puissent offrir les cours de qualité qui ont fait leur renommée. C'est une idée qu'il faudra faire comprendre aux jeunes de toutes les régions du pays. C'est une des solutions - pas nécessairement celle qui sera retenue - pour régler ce genre de problème.
Mme Boyd: D'après M. Eliott, les frais de scolarité vont monter en flèche à l'Université de l'Île-du-Prince-Édouard. C'est pourquoi elle ne pourrait plus soutenir la concurrence. Même avec le Collège vétérinaire de l'Atlantique, le seul dans la région, cela créerait de grosses difficultés.
Mme Brushett: J'aimerais soulever autre chose. En ce qui concerne l'aide sociale, beaucoup d'entre nous ont participé à quantité d'assemblées publiques dans nos circonscriptions pour entendre ce que nos électeurs des régions rurales avaient à nous dire. Comme vous le savez, cela coûte cher pour un comité comme le nôtre de voyager. Beaucoup de lois nous attendent à la Chambre et il faut opérer des choix sur la façon d'employer notre temps et notre argent.
C'est pourquoi nous avons tenu beaucoup de petites assemblées publiques. Beaucoup de questions qui me sont posées à cette occasion portent sur le fait que quelqu'un qui travaille est souvent plus pauvre que celui qui reste à la maison et touche des prestations d'aide sociale. Les gens se plaignent amèrement de ça. Quand ils ont fini de payer le transport, le vêtement et tout ce qu'il faut pour aller travailler, ils se retrouvent à la fin de la semaine avec moins d'argent à dépenser et donc plus pauvres que le prestataire qui reste à la maison.
Dans ma circonscription, beaucoup de gens disent que nous devrions les aider à leur trouver un emploi pour qu'ils cessent de dépendre de l'aide sociale et deviennent des paticipants à part entière dans notre société, des êtres productifs, plutôt que d'affecter encore plus d'argent à l'aide sociale.
Mme Boyd: D'après moi, il y a deux groupes de gens qui vivent dans la pauvreté: ceux qui vivent de l'assistance sociale et ceux qui travaillent. S'ils ne sont pas aussi riches que les prestataires d'aide sociale, cela signifie que pendant toute la semaine de travail ils vivent sous le seuil de la pauvreté. Et puis, les gens ne se rendent pas compte combien il est difficile de trouver un emploi. Il y a bien des jours à Charlottetown où il n'y a qu'un seul emploi d'offert au bureau régional d'emploi. Le taux de chômage est très élevé.
Dans l'Île-du-Prince-Édouard, beaucoup d'emplois sont saisonniers et ces emplois touchent tous les secteurs de la société. Quatre-vingt-trois pour cent des prestataires d'assurance-chômage dans l'Île-du-Prince-Édouard sont des travailleurs saisonniers.
Les gens qui vont à vos assemblées publiques ne réfléchissent pas aux conséquences de ce qu'ils disent quand ils recommandent que tout le monde devrait travailler.
L'autre chose qui est vraiment triste c'est que des gens m'ont dit qu'ils ont suivi un de ces programmes où les gens décrochent de l'aide sociale pendant six mois et travaillent quelque part et puis qu'ils s'inscrivent à nouveau au bien-être social. Une femme m'a dit que c'est ce qu'elle fait depuis 1983 ou 1984 et personne ne lui a jamais offert un emploi permanent.
C'est pourquoi il faut donc lutter contre le taux élevé de chômage. C'est pourquoi tous nos groupes demandent au gouvernement fédéral de faire de la création d'emploi sa principale politique et la principale mesure de lutte contre le déficit et non pas contre le travail saisonnier, le travail à temps partiel ou à salaire minimum, des emplois qui offrent des conditions de travail décentes, décemment rémunérés et des emplois qui redonneront aux gens leur dignité.
Mme Brushett: Madame Boyd, c'est justement l'objectif du gouvernement, de créer des emplois qui permettront aux gens de devenir des participants à part entière dans l'économie et qui donneront un but à nos jeunes gens. Ce n'est pas toujours aussi simple qu'on le voudrait.
C'est notre objectif. Fournir un emploi pour qu'ils deviennent des citoyens à part entière.
Mme Boyd: C'est un objectif qui ne saurait être atteint trop tôt.
Mme Brushett: Nous en sommes conscients.
Le président: Vous nous avez présenté de nombreux exemples concrets de citoyens qui souffrent sous le régime actuel avant même qu'on y apporte des changements ou des compressions. Comme députés, nous sommes témoins d'un grand nombre de cas de citoyens dans nos circonscriptions qui vivent dans la misère. Cela fait partie de notre travail.
Vous nous suggérez de parcourir le pays pour rencontrer un plus grand nombre de personnes dans cette situation. Cela fait partie de notre travail à tous, y compris les députés de l'opposition. Nous sommes confrontés à cette réalité quotidiennement. Nous en sommes très conscients. Je vous assure, cela ne nous réjouit pas de devoir faire des coupures.
En ce qui concerne la suggestion que vous avez faite, les mesures fiscales, nous avons examiné chacune de ces idées l'automne dernier. Encore une fois cette année, à l'automne, nous allons tenir des consultations prébudgétaires et je vous invite à nous présenter des précisions sur les mesures que vous voudriez que nous prenions. Nous cherchons tous la solution miracle. Nous cherchons des moyens d'augmenter les recettes car, croyez-moi, la suppression des programmes n'est pas le passe-temps préféré des hommes et des femmes politiques, quel que soit leur parti.
Je vous remercie au nom de nous tous de nous avoir rappelé avec tant d'éloquence nos responsabilités vis-à-vis de ceux qui sont dans le besoin. Je vous remercie beaucoup, madame Boyd.
Mme Boyd: Merci beaucoup. Je veux remercier personnellement Wayne Easter de vous avoir demandé d'être gentils avec moi.
Le président: Madame Boyd, rien n'a été plus facile.
Mme Boyd: Je veux aussi dire publiquement que Wayne Easter est un député très respecté dans l'Île-du-Prince-Édouard. Nous sommes très heureux qu'il soit notre représentant.
Le président: Voilà qui me dépasse, madame Boyd.
Des voix: Oh, oh!
Le président: Nous sommes d'accord avec vous.
Nous entendrons maintenant les représentantes de la section d'Ottawa-Carleton du Groupe de défense des enfants pauvres, mesdames Helen Saravanamuttoo, présidente sortante, Harriet Lang, présidente, et Lynn Sherwood, membre.
Veuillez faire votre exposé.
Mme Helen Saravanamuttoo (présidente sortante, Section d'Ottawa-Carleton, Groupe de défense des enfants pauvres): Merci, monsieur le président. Nous avons préparé pour vous un mémoire et des dépliants.
Nous sommes très heureuses de venir vous rencontrer aujourd'hui. Nous vous avons déjà rencontrés l'automne dernier, lorsque le comité permanent tenait des audiences dans le cadre des consultations prébudgétaires. Nous avions à cette époque présenté un mémoire.
Je m'appelle Helen Saravanamuttoo, et voici Lynn Sherwood. Nous vous avons donné quelques renseignements au sujet de notre groupe. Cela se trouve à la dernière page de notre mémoire. Nous avons également une brochure sur notre groupe.
Comme vous pouvez le voir, nous sommes un groupe de défense de l'intérêt public. Nous ne recevons aucun fonds du gouvernement. Nous représentons les quelque 18 000 enfants pauvres de la région d'Ottawa-Carleton. Il s'agit des enfants qui se rendent à l'école l'estomac vide et qui vivent dans un climat de tension constante. Nous tenons à porter cette situation à votre attention. En fait, le nombre des enfants pauvres au Canada a augmenté. Il y en a maintenant près de 1,4 million, ce qui est un nombre incroyable d'enfants pauvres. Cela représente environ 21 p. 100 de tous les enfants.
Parlons maintenant des changements proposés au Régime d'assistance publique du Canada. Nous sommes très inquiets de ce que ces changements accroîtront la pauvreté chez les enfants. Permettez-moi de vous donner quelques explications à cet égard.
Le Régime d'assistance publique modifie le Canada de façon essentielle. Il s'agit d'une nouvelle façon d'offrir des services sociaux, et il n'y a pas eu de discussion politique sur ce sujet. En fait, lorsque le gouvernement Mulroney était au pouvoir, un certain nombre de personnes parlaient de réforme par camouflage. Je crains que cette mesure n'aille dans le sens de l'exemple donné par les conservateurs, ce qu'aucun gouvernement libéral voudrait imiter.
Le président: Ne croyez-vous pas que c'est sans doute la pire insulte que l'on puisse faire à un parti politique?
Mme Saravanamuttoo: C'est peut-être le cas, qui sait?
Nous craignons que la mesure législative proposée n'offre aucun moyen de protection. Je sais que, dans le projet de loi C-76, on dit que des accords seront conclus avec les provinces, mais nous ne croyons pas que cela puisse être fait. L'ancien Régime d'assistance publique du Canada conférait quatre droits, dont trois n'existeront plus dans la nouvelle loi: il s'agit du droit à l'aide sociale en fonction du besoin, du droit d'appel et du droit à ne pas être assujetti au travail obligatoire en échange de prestations. L'idée que l'aide sociale ne se fonde plus sur le besoin détruira à notre avis le concept même d'aide sociale.
Il y a aussi la question du droit d'appel. Que faire, si la demande d'aide sociale est rejetée? Nous entendons déjà des gens nous dire qu'ils doivent porter en appel des changements apportés aux prestations d'assistance sociale qu'ils reçoivent. Les choses ne feront qu'empirer.
Il y a également le droit de ne pas être assujetti au travail obligatoire. Je ne comprends pas comment on peut parler de travail obligatoire de nos jours, alors que même pour la formation, il y a des listes d'attente. Dans certains cas, il est même impossible de s'inscrire à la liste d'attente, encore plus d'obtenir des cours de formation. À une époque où il y a autant de bénévolat que possible, cela n'a aucun sens. Par le passé, on a constaté que le travail obligatoire était hasardeux et menait souvent à l'exploitation des travailleurs. Nous espérons qu'une telle mesure ne sera pas préconisée de nouveau.
Dans tous nos mémoires - nous avons présenté en effet un mémoire au Comité des ressources humaines juste après vous en avoir présenté un - nous nous disons convaincus qu'il faut accorder des prestations suffisantes. Je vous expliquerai pourquoi. Nous vous demandons d'assortir la nouvelle loi d'une condition relative à des prestations d'un montant suffisant et nous vous fournirons certains critères pour cela.
À l'heure actuelle, on a constaté à de nombreuses reprises que les compressions au programme d'assurance-chômage vont obliger davantage de gens à avoir recours à l'aide sociale. Le nombre des assistés sociaux vient de monter en flèche. En fait, cela revient à se décharger de ce fardeau sur les provinces. Nous ne croyons pas que cela ait servi les intérêts de qui que ce soit.
Nous n'avons pas eu de discussions publiques sur ce changement fondamental et nous espérons que vous organiserez une vaste discussion sur les conséquences de cette mesure législative.
Permettez-moi maintenant de parler de l'idée qu'il n'est pas nécessaire de financer les services sociaux. Jusqu'à présent, on a discuté d'assistance sociale, mais les services sociaux sont également importants. Nous parlons des soins aux enfants, et des services de bien-être destinés aux enfants et des services de santé mentale des enfants. Sans ces services, les enfants de nos collectivités seront en danger.
À l'heure actuelle, dans la région d'Ottawa-Carleton, et je sais que mes collègues pourront vous en dire davantage, il est très difficile d'obtenir des services auprès de la Société de l'aide à l'enfance. Seuls les cas patents d'agression font l'objet d'enquêtes. Déjà, il y a des enfants laissés pour compte dans le système.
Il y a aussi la question du financement des prestations de bien-être social. Si l'on veut qu'il y ait des normes garantissant des prestations d'un montant suffisant, c'est pour éviter que les services soient offerts sans uniformité à travers le pays. La situation actuelle est déjà assez terrible. Le montant des prestations de bien-être social est dans certains cas bien en-dessous du seuil de pauvreté, parfois même sous la moitié du seuil de pauvreté, et en Ontario, de 80 à 85 p. 100 du seuil de pauvreté. Toutefois, certains enfants sont élevés dans des conditions de pauvreté extrême.
Il y a également de grandes variations à travers le pays. Comme vous le savez, il y a eu énormément de compressions apportées à ce programme en Alberta. Dans cette province, le nombre des assistés sociaux a diminué de 29 p. 100. Ne croyez pas que ce soit une réussite, car il y a eu parallèlement une augmentation de 9 p. 100 en Colombie-Britannique, la province voisine à l'ouest, et en Saskatchewan, la province voisine à l'est, une augmentation de 18,8 p. 100.
En outre, on a pu voir aux nouvelles, en Ontario - comme vous le savez sans doute - que le gouvernement de l'Alberta paie aux assistés sociaux le transport en autobus pour venir en Ontario. Le nombre des assistés sociaux en Ontario a augmenté, je crois, de 5 ou 6 p. 100.
D'une façon générale, le nombre des assistés sociaux dans tout le Canada a augmenté de 4,2 p. 100, environ, alors qu'il y a eu parallèlement une diminution de 29 p. 100 en Alberta et de 6 ou 7 p. 100 au Nouveau-Brunswick. Nous sommes déjà bien loin du Canada uni. Nous oublions le fait que nous avons des programmes que nous avons défendus.
Lorsque le Régime d'assistance publique du Canada a été mis en place, c'était dans le but d'essayer d'aider les désavantagés à trouver leur place dans la société. Avec des compressions exagérées, nous les empêchons maintenant d'y arriver.
En adoptant sans condition une mesure législative, on élargira le fossé qui sépare les riches des pauvres et on augmentera la pauvreté des familles et des enfants.
Permettez-moi d'attirer votre attention sur le bulletin. Nous avons un bulletin de 1994 et donc, des chiffres de 1992. En 1992, le nombre des enfants pauvres était de 1 265 000, soit 18,9 p. 100 du nombre total des enfants. Le Conseil national du bien-être a depuis publié des chiffres révélant une augmentation de plus de 20 p. 100, soit de 1,4 million.
À l'endos de ce rapport, on peut voir les variations entre les différentes parties du pays. Nous avons des chiffres pour plusieurs provinces. La dernière colonne, pour Terre-Neuve, l'Île-du-Prince-Édouard, etc., montre le pourcentage des changements dans les prestations d'aide sociale. Il y a de grandes différences à travers le pays.
Une recherche qui sera bientôt publiée montre les effets de cet écart dans les revenus. Voilà, je vous l'ai signalé. L'écart entre les riches et les pauvres devient manifeste. Voilà le vrai problème. Nous devons résoudre le problème que pose la distribution du revenu. Je vous en dirai également un peu plus à ce sujet.
Si vous regardez de l'autre côté du bulletin, vous verrez que les pauvres ne reçoivent qu'une partie plus petite de l'ensemble des revenus. Cela se trouve dans la deuxième moitié. Vous verrez également que leur part a diminué. Les groupes à revenu élevé, le quintile le plus riche, s'accaparent maintenant 39,7 p. 100 des revenus, comparativement à 39,3 p. 100 en 1989. L'écart dans la répartition des revenus s'accroît constamment.
Une très importante étude vient de sortir. Je peux vous donner les références. Elle est intitulée Unfair Shares, et l'auteur est Richard G. Wilkinson. C'est une étude sur ce qui s'est passé au Royaume-Uni à l'époque des profonds bouleversements de la répartition du revenu au Royaume-Uni.
Les chercheurs ont constaté une baisse de la sécurité de la société qui se traduit notamment par une hausse de la criminalité violente. En fait, ils ont constaté une augmentation de la criminalité en général au Royaume-Uni, mais en particulier une augmentation de la criminalité violente surtout chez les jeunes, ainsi qu'un accroissement du taux de dépression et de suicide, notamment chez les jeunes là-encore. Le taux de suicide chez les jeunes est très élevé.
Ils ont aussi constaté une détérioration du fonctionnement des familles. Il y a beaucoup plus de séparations, de toxicomanie, de problèmes avec les enfants. Les jeunes se font expulser de l'école plus souvent. Ils s'attirent plus d'ennuis. Ce qui est aussi très inquiétant à notre époque, où l'on veut former les gens à de nouvelles professions techniques, c'est la détérioration des performances scolaires.
Le phénomène ne touche pas seulement les membres de groupes vivant dans une pauvreté relative, il touche tout le monde.
Non seulement le coût de la santé, des services sociaux et de l'école augmentent, mais l'espérance de vie régresse dans près de la moitié de la population, ce qui est stupéfiant. On s'aperçoit que l'espérance de vie diminue non seulement chez ces groupes de pauvre, mais aussi comme je vous le disais, chez près de la moitié de la population.
Les chercheurs constatent aussi que bien que certaines catégories de pauvre aient plus de réfrigérateurs et de machines à laver - et soient donc plus à l'aise - c'est l'écart des revenus qui fait la différence.
Il faut donc réagir. Si nous voulons préserver la société pacifique que nous avons eue jusqu'à présent au Canada, où les gens avaient à coeur de travailler ensemble et non de s'enrichir sur le dos de tous les autres, nous devons nous pencher sur tous ces problèmes.
En Nouvelle-Zélande, par exemple, on parle du miracle néo-zélandais. En fait, au cours de la période que je qualifierais de «rajustement structurel», on a constaté une augmentation si brutale de la criminalité violente que ce pays est devenu le pays du monde développé qui a le plus haut taux de criminalité violente. Et pourtant c'était un pays extrêmement paisible avant la mise en place de ces mesures. On constate aussi, soit dit en passant, que sa dette a presque quadruplée.
Par conséquent, ces façons de réduire le déficit et la dette ne marchent pas. On s'aperçoit que les gens, et les jeunes en particulier ne sont plus à l'aise dans la société et ils ne se sentent plus concernés par la société.
J'ai entendu la personne qui nous précédait parler tout à l'heure de création d'emplois. En fait, nous avons insisté là-dessus dans le mémoire que nous vous avons adressé avant le budget. Nous ne saurions insister assez sur l'importance d'un emploi pour les jeunes en particulier.
D'après certaines statistiques, le taux de chômage serait de 20 p. 100 chez les hommes jeunes. Selon certaines informations, il y aurait même un taux fonctionnel de 30 p. 100. Près d'un jeune homme sur trois ne trouve pas de travail. C'est toute une génération que nous sommes en train de perdre, sans parler des problèmes sociaux que nous sommes en train de créer.
Lynn va vous parler un peu des conséquences qu'entraîne le fait de grandir dans la pauvreté. Harriet vous parlera des coupures dans les services. Ensuite, nous passerons à nos recommandations.
Le président: Auparavant, je voudrais m'excuser auprès de Mme Lang pour avoir commencé avant son arrivée. Ce n'est pas votre faute - c'est la nôtre. Nous sommes heureux de vous accueillir parmi nous.
Mme Harriet Lang (présidente, Section d'Ottawa-Carleton, Groupe de défense des enfants pauvres): Merci beaucoup. Je croyais comparaître à 16h15.
Le président: C'est juste. C'est notre faute. Nous avons fait un changement et vous étiez ici à 16h10. Vous avez aussi manqué l'excellent exposé de votre collègue.
Mme Lang: On ne peut pas nous reprocher d'être à l'avance.
Mme Lynn Sherwood (membre, Section d'Ottawa-Carleton, Groupe de défense des enfants pauvres): Je travaille auprès d'enfants et de leurs parents depuis environ 25 ans. Au nom des enfants, je voudrais essayer de vous expliquer quelles sont les conséquences de la pauvreté pour des êtres qui ne peuvent s'exprimer eux-mêmes.
Quand j'ai commencé à aider les mères célibataires et leurs enfants dans un centre de protection de l'enfant et de santé mentale pour enfants, je ne comprenais pas pourquoi elles n'avaient jamais de dents. J'ai fini par apprendre qu'elles n'avaient pas les moyens de se nourrir convenablement pendant leur grossesse. Pour cette raison, le calcium de leurs dents est absorbé par l'organisme pour nourrir le foetus. Quand elles atteignent l'âge de 25 ans, la plupart ou en tout cas un grand nombre d'entre elles n'ont plus de dents. Sans dents, il est impossible de consommer beaucoup d'aliments sains et son état de santé ne fait qu'empirer. Sans compter que son apparence n'est pas très flatteuse quand on se présente pour demander un emploi.
Beaucoup de femmes avec qui je travaille ne quittent jamais le logement social où elles élèvent leurs enfants. Elles ne sortent pas. Le monde extérieur est un mystère pour elles. Leurs enfants grandissent dans le désespoir, l'abattement et la violence. Ils ne pénètrent pas dans le monde qui est le nôtre. Ils passent leur enfance à écouter Melrose Place et Berverly Hills 90210 à la télé et ils pensent que le monde entier est comme ça et qu'eux ne sont pas normaux parce qu'ils sont différents. Ils nous appellent «les riches» - et c'est ce que nous sommes.
Le degré de civilisation d'une société se mesure à la façon dont elle traite ses membres les plus vulnérables. De loin, les plus vulnérables, les moins visibles et les plus désespérés, ce sont les enfants. Je vous conjure de ne pas les oublier - c'est si facile de les oublier. Ils ne font pas de tapage tant qu'ils n'ont pas 18 ans et se mettent à tuer de gens. Et après, on les accuse d'être violents.
Si vous fouillez le passé de ces jeunes dont on parle dans les journaux et qui tuent des vieilles dames ou je ne sais quoi encore, vous découvrirez pourquoi. Vous découvrirez que les services dont ils avaient besoin brillaient par leur absence. Vous saurez que la garderie qui a décelé chez l'enfant des troubles dès l'âge de 4 ans n'a pas réussi à le confier à un thérapeute. Vous saurez que la mère est incapable d'élever convenablement ses enfants. Vous découvrirez les ensembles démesurés de logements sociaux où vivent dans la pauvreté des centaines de femmes désespérées qui essaient d'élever leurs enfants dans des conditions que vous et moi serions incapables de tolérer plus de 15 minutes.
Je ne sais pas quoi dire de plus pour vous faire comprendre combien il faut se souvenir d'eux parce qu'ils ne peuvent pas se faire entendre eux-mêmes. Ils ne votent pas, mais ils existent et ils doivent être entendus. Mon travail m'a convaincue que si l'on faisait disparaître la misère de cette classe sociale, ce qui n'est pas impossible, on éliminerait la plupart de nos problèmes sociaux de tous les jours. On pourrait faire disparaître la criminalité et la plupart des cas de maladie mentale et d'alcoolisme.
Mme Lang: Depuis 20 ans, je travaille dans le domaine de l'éducation dans les quartiers défavorisés, d'abord auprès d'enfants d'âge préscolaire puis comme conseillère scolaire et enfin comme membre du Conseil d'administration du Comité canadien pour l'éducation en milieux défavorisés. Si l'avenir et le bien-être de la société canadienne nous tiennent à coeur, il faut commencer à améliorer en très bas âge le sort de nos jeunes pour qu'ils puissent devenir des citoyens productifs.
Notre groupe de défense des enfants pauvres se préoccupe de la situation des familles vivant dans la pauvreté et qui ont besoin d'une aide adéquate. Les statistiques nous disent que les enfants pauvres échouent dans leurs études, décrochent avant d'avoir obtenu leur diplôme et deviennent un fardeau pour la société et un coût important pour le Trésor dans une proportion bien plus élevée que les autres étudiants.
La pauvreté entraîne le stress, la colère et la frustration au foyer, privant les enfants du milieu sécurisant dont ils ont besoin pour s'épanouir et apprendre. Les enfants pauvres sont souvent affamés et mal vêtus, ils ne possèdent que quelques livres et n'ont aucun équipement sportif. En conséquence, ils sont plus souvent malades, ils manquent d'assiduité à l'école, ils n'ont pas une très bonne opinion d'eux-mêmes et ont peu de chance de succès.
Un appui suplémentaire est nécessaire à l'école et dans la communauté. Certaines provinces apportent une aide aux programmes des écoles offrant un petit-déjeuner ou un déjeuner. De tels programmes devraient être toujours disponibles là où ils sont nécessaires. On sait qu'une meilleure alimentation contribue à l'amélioration de l'apprentissage scolaire. Les commissions scolaires qui comptent des poches de pauvreté sur leur territoire fournissent des resources supplémentaires aux écoles des secteurs les plus démunis, plus particulièrement pour l'alimentation, le développement verbal et l'enrichissement des programmes.
Pour aider les enfants et les adolescents pauvres à réussir, nous devons faciliter l'amélioration du milieu familial. Dans bien des familles, il faut deux salaires pour éviter la pauvreté, et cela demande des services de garde fiables subventionnés. Des places supplémentaires au niveau préscolaire et à celui des classes élémentaires sont nécessaires, et le besoin est urgent. On a promis une augmentation des places subventionnées, mais cela ne s'est pas réalisé.
Des programmes préscolaires, du genre Bon départ, permettent de réaliser des économies à long terme. Les études font état des avantages que l'on peut obtenir de programmes préscolaires qui préparent les enfants pour l'école et les mettent plus ou moins sur un pied d'égalité par rapport à leurs camarades mieux nantis. Des études à long terme révèlent que pour chaque dollars consacré à la prévention, on économise 7$ sur les programmes correctifs. Ces mêmes études démontrent également qu'une fois arrivé à l'âge adulte et après avoir formé leur propre famille, les sujets se révélaient être parents plus compétents.
Pour assurer l'avenir de notre pays, il est très important de veiller à ce que la génération montante soit bien préparée pour assumer sa place dans notre société. Nous devons aider les parents désavantagés dans leurs tâches en fournissant aux familles l'aide nécessaire telle les services de garde subventionnés. À cette fin, il est essentiel d'avoir des normes nationales. Sans cela, en effet, les services fournis pourraient être fort différents d'une région à l'autre. Nos recommandations visent à appuyer les familles vivant dans la pauvreté, à assurer l'avenir des enfants et à leur permettre de devenir des citoyens productifs.
Merci.
Mme Saravanamuttoo: Nos recmmandations apparaissent à la deuxième page de notre texte.
Premièrement, et au sujet du transfert canadien, attendu que l'on constate une croissance continue du nombre de cas de chômage ou d'assistance sociale dans tout le pays; attendu que cette augmentation a entraîné la croissance de la pauvreté parmi les enfants, étant donné que certaines provinces ont déjà réduit considérablement les transferts d'aide sociale; attendu que la pauvreté des enfants a des conséquences très graves pour les personnes en cause, leur famille et la société; attendu que la pauvreté des enfants signifie la pauvreté des familles qui ne peut qu'augmenter en l'absence de normes sur le caractère adéquat des prestations, nous recommandons que le Régime d'assistance publique du Canada ne soit pas révoqué tant que les consultations publiques ne seront pas terminées et que des mesures de protection et des normes exécutoires n'auront pas été établies d'un commun accord par les provinces et le gouvernement fédéral.
Deuxièmement, en ce qui concerne le crédit d'impôt pour enfants, attendu que le bien-être des enfants intéresse tous les Canadiens, attendu que la pauvreté des enfants est le principal indicateur de faibles possibilités de réussite; et étant donné que le crédit d'impôt pour enfants est le dernier programme social fédéral qui nous reste pour soulager la pauvreté des enfants, nous recommandons que le comité permanent demande au ministère des Finances d'étudier la façon de renforcer ce programme.
Le président: Merci beaucoup.
[Français]
M. Brien: Dans la dernière partie de votre discours, vous avez fait allusion aux normes nationales. Le discours sur les normes nationales agace beaucoup de gens au Québec.
Ne pensez-vous pas qu'il serait préférable que les neuf provinces, à l'exception du Québec, s'entendent sur leurs propres normes et qu'on laisse le Québec choisir ses propres normes?
Je vais vous donner des exemples. Il existe des fédérations canadiennes d'étudiants et de professeurs de cégep ou d'université, mais il y a toujours aussi un regroupement québécois. Ils reconnaissent qu'il y a des réalités différentes. Ne pensez-vous pas qu'il serait préférable d'avoir la même attitude face aux normes nationales, c'est-à-dire laisser au Québec la possibilité d'avoir ses propres normes?
[Traduction]
Mme Saravanamuttoo: Je pense que l'on ne s'entend pas sur le sens du mot «norme». Par normes nous entendons les principes, pour ainsi dire. Nous entendons par là des principes que ne constesteraient aucun Québécois, je pense. Les particularités culturelles ne devraient pas faire de problème. Nous pensons à des normes sur le revenu suffisant pour que les gens aient de quoi vivre et n'aient pas à aller dans les banques d'aliments. Ce n'est pas une norme qui varie selon la culture.
Nous songeons en fait peut-être à des principes car je pense que tous les services sociaux devraient aujourd'hui être conçus localement. Je ne pense d'ailleurs pas que ce soit la province qui doive s'engager non plus. Pour moi, cela devrait se faire au niveau des localités. En revanche, il nous faut des normes ou des principes si vous voulez pour les guider. L'objectif devrait être d'aider les enfants à réaliser leur potentiel, par exemple, et veiller à ce que les enfants puissent grandir sans subir les préjudices que cause la misère extrème.
[Français]
M. Brien: Je comprends votre point de vue. Il est souvent plus facile de s'entendre lorsqu'on parle de principes généraux, flous, mais ce n'est pas le cas lorsqu'on discute de ces mêmes principes de façon plus concrète, plus précise.
À l'avenir, le gouvernement fédéral définira les grands principes tout en participant de moins en moins au financement des programmes.
En Ontario, il y a deux députés, l'un du fédéral et l'autre du provincial. Celui du fédéral dit: Oui, on va défendre les principes, et l'autre répond: Oui, mais on va devoir gérer cela avec les moyens du bord et on aura du mal à se conformer aux principes définis. Il va y avoir un sérieux problème. On ne peut pas jouer seulement le beau rôle et laisser à l'autre le mauvais rôle. Ne pensez-vous pas que ça va créer un problème à un moment donné?
[Traduction]
Mme Saravanamuttoo: C'est exactement ça le problème. Vous avez mis dans le mille. C'est pourquoi nous vous demandons de ne pas supprimer le Régime d'assistance publique du Canada. C'est justement là qu'est le problème. Avec le nouveau transfert social, il ne sera plus possible d'appliquer quoi que ce soit selon nous.
Mme Sherwood: Je crois que le vrai problème, c'est celui de la responsabilité. Nous travaillons dans ce domaine depuis trop longtemps. Nous savons ce qui se passe. Si personne n'est responsable, il ne se passe rien. Nos clients ne peuvent pas faire d'ennui. Ils ne peuvent pas défiler sur la colline du Parlement. Ils vont souffrir un peu plus, c'est tout. Personne n'a de compte à rendre et je pense que c'est la responsabilité du gouvernement fédéral de veiller à ce que quelqu'un ait à s'expliquer. Les provinces n'ont pas d'argent, alors elles refilent la responsabilité aux municipalités et elles décident de ne pas donner de l'argent à tel ou tel groupe ou à quelqu'un qui vit dans le bois depuis 40 ans parce que les autorités municipales savent qu'il boit.
Il faut que quelqu'un soit responsable. Il faut que ça parte du gouvernement fédéral et que ça aille jusqu'au niveau local.
Mme Saravanamuttoo: Ce que nous demandons, c'est que le gouvernement fédéral joue un rôle dans le développement des enfants.
Avec l'introduction des allocations familiales, en 1946, si je me souviens bien, le gouvernement fédéral a montré qu'il s'intéressait au bien-être des enfants, qu'il estimait que l'éducation des enfants était un rôle partagé, que la collectivité avait tout à gagner de cette façon et qu'ainsi elle devait investir les ressources nécessaires.
Comme vous pouvez en juger d'après la documentation que nous vous avons soumise aujourd'hui et d'après les rapports qui s'y trouvent, certaines provinces agissent à cet égard, d'autres non. Nous disons que tous les enfants canadiens devraient avoir une chance. Nous ne croyons pas qu'il devrait exister des inégalités chez les enfants.
M. Brien: Merci.
M. Discepola (Vaudreuil): Je ne partage pas le point de vue de mon collègue du Québec au sujet des normes nationales. Dans le débat au sujet des normes nationales - c'est peut-être dû au fait que j'ai fait de la politique municipale - je trouve que ce que veulent les politiciens et les élitistes du Québec c'est garder le contrôle des normes pour le Québec.
Bon sens, si c'est bon pour les neuf autres provinces, qu'on soit noir ou blanc, francophone ou anglophone... la pauvreté est la pauvreté. S'il peut y avoir des normes nationales pour le reste du pays, je suis convaincu qu'il peut y en avoir pour le Québec également.
Malheureusement, ces politiciens interviennent dans le débat et parlent de pouvoir - non pas de «normes»; ils préfèrent parler de «pouvoir» - que leur province ou leur municipalité devrait avoir.
Je me souviens d'un dicton qui dit qu'il est préférable de montrer à quelqu'un à pêcher, de façon à ce qu'il puisse se nourrir le reste de sa vie, que de lui donner un poisson qui le nourrira qu'une seule fois. Quel que soit le nombre de poissons que nous donnions aux groupes sociaux ou aux pauvres, nous ne semblons pas pouvoir régler le problème. Je souhaiterais que nous puissions montrer aux gens à pêcher plutôt que de leur donner continuellement des poissons.
Je félicite Mme Sherwood d'avoir parlé de responsabilité. Pour moi la responsabilité et l'établissement de normes sociales vont de pair. Je pense que le débat devrait porter sur l'établissement de normes adéquates, oui... mais également sur la nécessité de rendre des comptes, et ce sont les personnes qui donnent les services qui sont le mieux placées pour le faire.
J'en ai fait l'expérience. Si quelqu'un avait des problèmes de déneigement, il appelait son maire et il obtenait satisfaction. Aujourd'hui, en tant que député, je suis à l'écart de ces questions et je ne reçois plus ces appels.
Ne croyez-vous pas que si les services sont établis au niveau le plus bas possible, au niveau local, sans doute le niveau le plus approprié, comme vous l'avez indiqué, il devient également possible de demander des comptes? Également, pourquoi êtes-vous aussi sceptiques, pourquoi dites-vous que les provinces ne feront pas leur part, qu'elles se déchargeront de leurs responsabilités sur le dos des municipalités, etc.? Pouvez-vous répondre à ces deux questions?
Mme Saravanamuttoo: D'abord, en ce qui concerne la possibilité de montrer aux gens à pêcher, je pense que c'est très important; mais je dis qu'il faut comprendre pourquoi les enfants pauvres n'arrivent pas à apprendre aussi bien que les autres. Ils viennent affamés à l'école, ils ne peuvent se concentrer, ils manquent plus de journées d'école que les autres parce que leur maison est froide, ils n'ont pas pris de petit déjeuner, ils sont plus exposés à la maladie, aux rhumes, etc. Ils n'ont pas autant de possibilités d'apprendre que les autres. C'est le premier obstacle.
Si nous voulons montrer aux gens à pêcher ou à apprendre, nous devons d'abord leur donner des conditions propices.
Je suis d'accord avec vous sur ce point. Nous devons également leur donner des emplois, comme nous l'avons dit, de façon à ce qu'ils puissent pêcher après avoir appris à le faire. En ce qui concerne les normes appropriées, oui, les normes doivent être locales et les gens doivent rendre des comptes à l'échelon local.
Maintenant, pour ce qui est du scepticisme vis-à-vis des provinces, il est peut-être dû au fait que les provinces sont également éloignées de l'échelon local. Elles le sont peut-être autant que vous l'êtes vous-mêmes.
Pourquoi céder ces responsabilités aux provinces en particulier? Pourquoi ne pas les céder aux instances locales? En ce qui concerne les normes... si nous n'aimons pas le terme, nous pouvons parler de principes. Et les principes en cause sont des principes d'humanité. Ils visent à assurer que chaque enfant puisse se développer normalement, ce dont il a besoin pour grandir et apprendre. C'est tout ce que nous voulons. Nous notons que ce n'est pas ce qui se passe actuellement.
Mme Sherwood: Il y a des enfants qui ont besoin de services en psychiatrie et qui doivent attendre de quatre à six mois pour avoir accès à ces services de l'hôpital pour enfants. Les enfants à qui nous voulons montrer à pêcher devraient avoir droit aux services de base. Ces services ne sont pas disponibles actuellement et personne ne semble en porter la responsabilité. Les intervenants du milieu, ceux qui offrent les services sociaux, sont épuisés, rendus à bout, en ont assez, estiment ne plus être en mesure d'effectuer leur travail correctement. Cette situation ne peut plus durer.
Mme Saravanamuttoo: Nous estimons que le gouvernement fédéral doit continuer à jouer un rôle compte tenu de l'attitude des provinces de façon générale par le passé. C'est le gouvernement fédéral qui a fourni le leadership nécessaire jusqu'ici. Il doit continuer à le faire. À notre avis, le gouvernement fédéral doit se garder des pouvoirs en la matière.
M. Discepola: Vous avez dit, dans votre déclaration d'ouverture, que vous offrez des services à 18 000 enfants dans la région d'Ottawa et ce, sans aide du gouvernement fédéral ni du gouvernement provincial. Je vous en félicite.
En tant que législateur, je ne peux pas me convaincre du fait que lorsque le gouvernement donne des poissons, intervient jour après jour, il résoud le problème. Ne rendons-nous pas service qu'à un seul enfant, celui qui reçoit une ration supplémentaire un jour, un mois ou une année en particulier? Les gouvernements se succèdent et affirment qu'ils vont changer les choses. Cependant, parviendrons-nous jamais à éliminer la pauvreté? Nous devrions peut-être aller au fond des choses. Comme je l'ai dit, nous devrions peut-être nous attaquer au problème à un autre échelon, plutôt que de dépenser constamment davantage. Nous n'obtenons pas les résultats que nous escomptons.
Mme Saravanamuttoo: Tant que nous ne donnerons aux gens l'occasion de travailler, nous n'aurons pas d'autre choix.
M. Discepola: Vous dites donc tant qu'il y aura du chômage il y aura de la pauvreté. Comment pouvez-vous l'éliminer, puisque c'est là le problème, selon vous?
Mme Saravanamuttoo: Ce que nous vous disons dans notre recommandation c'est de ne pas abolir le Régime d'assistance publique du Canada avant d'avoir examiné les répercussions de votre geste. Ce que nous disons, c'est que compte tenu de la pauvreté qui existe, si vous faites trop de réductions, vous supprimez à jamais les chances que ces enfants pourraient avoir de se hausser au même niveau que les autres.
M. Discepola: Je ne veux pas trop insister, mais je vous invite à examiner le Régime d'assistance publique du Canada. En vertu du régime, tel qu'il existe actuellement, en particulier pour le Québec, la partie en espèces sera éliminée d'ici quatre ou cinq ans. Le danger que les provinces exercent tous les pouvoirs en la matière, comme vous le signalez, existe en vertu du système actuel.
Mme Saravanamuttoo: Non. Le Régime d'assistance publique du Canada prévoit actuellement, sauf pour ce qui est de l'Ontario, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, le partage à 50-50.
M. Discepola: Seulement pour ce qui est du bien-être social.
Mme Saravanamuttoo: Pour les services, c'est 50, 30, 20, je crois. C'est une de nos préoccupations.
M. Discepola: Vous craignez que les provinces n'en fassent pas autant que maintenant.
Mme Saravanamuttoo: Oui, parce que, comme vous le dites vous-même, elles sont éloignées des populations dans le besoin et parce qu'elles n'ont pas prouvé par le passé qu'elles pouvaient bien servir les gens, répondre aux besoins des enfants, du moins aussi bien que le gouvernement fédéral.
Mme Sherwood: Même à Ottawa, nous commençons à voir une diminution des services aux enfants. La situation est alarmante. Les services disparaissent. Il y en a moins qu'il y a dix ans.
M. Discepola: Merci, monsieur le président.
Mme Lang: Nous nous inquiétons du sort des enfants dans toutes les régions du pays. Nous savons que les provinces n'ont pas le même souci du bien-être des enfants. Nous craignons que si le gouvernement fédéral abdique ses responsabilités, il y aura des régions du pays où il n'y aura pas de service.
Mme Brushett: Je reviens sur un certain nombre des points que vous soulevez. Ce gouvernement est extrêmement préoccupé par le problème de la pauvreté des enfants au pays. Comme vous l'indiquez, il se situe en grande partie au niveau des mères célibataires. Et il prend de l'ampleur. Le pourcentage est passé de 30 p. 100 à 41 p. 100.
Nous constatons ce phénomène dans tout le pays. L'enfant qui vit de façon isolée dans un vieil appartement quelque part avec un parent célibataire, l'enfant qui n'est pas nourri adéquatement, et qui ne va à l'école que de façon irrégulière est un enfant malheureux, malade, un enfant qui risque d'abandonner l'école en cours de route, et ainsi, le cycle se perpétue. Nous savons également depuis quelques années que plus la mère de famille est scolarisée, qu'elle soit seule ou fasse partie de famille traditionnelle, plus l'enfant a des chances de rester à l'école, peut avoir une éducation qui lui permettra de trouver de l'emploi et de faire carrière avec succès plus tard dans la vie.
Revenons aux chiffres. Les gens ont tendance à associer un chiffre magique, un montant quelconque aux normes. Cependant, ce n'est pas essentiellement question d'argent. C'est une question de responsabilité.
Vous parlez d'une action locale, vous savez qui sont les gens à ce niveau...au niveau local, les gens ont tendance à s'entraider et à assumer des responsabilités.
Je défends cette thèse en Nouvelle-Écosse depuis presque 20 ans. En essayant de régler le problème à coup d'argent, en tant que femme, j'ai l'impression de rendre un mauvais service à mes consoeurs. J'en suis agacée. Si nous voulons vraiment régler le problème et aider les enfants sans défense à s'aider eux-mêmes, nous devons veiller à ce qu'une jeune fille de 15 ou 16 ans ne se retrouve pas isolée dans un vieil appartement quelque part. C'est une enfant elle-même, qui est chargée d'élever un autre enfant. Elle n'a pas de soutien. Tout ce qu'elle sait, c'est que plus de bébés signifie plus d'argent.
Nous devons faire quelque chose. Je pense personnellement que si on pouvait maintenir cette jeune fille dans un cadre familial quelconque et lui permettre d'aller à l'école, quitte à aider financièrement la famille de façon à ce que son chef puisse subvenir adéquatement à ses besoins, on obtiendrait de bien meilleurs résultats.
Mme Saravanamuttoo: N'oubliez pas que l'éclatement de la famille est très souvent dû à la pauvreté. Les statistiques le montrent pour les enfants des familles pauvres. Plus l'écart des revenus s'accroît, plus les familles éprouvent des difficultés. Les familles à faible revenu sont soumises à des pressions énormes.
Je reviens à ce que vous avez dit au sujet de la possibilité de rendre un mauvais service aux femmes. Je conviens avec vous que nous devons permettre aux intervenants d'aider les adolescentes qui ont des bébés.
Mme Brushett: Le statu quo ne donne pas les résultats escomptés.
Mme Saravanamuttoo: Je suis bien d'accord avec vous.
Mme Brushett: La pauvreté s'accroît, malgré le fait que nous dépensons de plus en plus d'argent. Nous devons trouver une autre solution.
Mme Saravanamuttoo: Nous ne dépensons pas de plus en plus. Nous réduisons au contraire.
Mme Brushett: Au cours des 10 dernières années, nous avons investi des sommes considérables.
Mme Saravanamuttoo: Oui, mais parce que le nombre d'assistés sociaux a augmenté. Les emplois sont devenus rares.
Mme Brushett: Nous encourageons quand même les jeunes femmes à abandonner leurs études secondaires.
Mme Saravanamuttoo: Pas du tout. Vous n'avez qu'à voir ce qui se passe.... Si vous voulez, nous pouvons organiser une visite et vous montrer les listes d'attente pour la formation; nous pouvons vous faire voir un certain nombre de choses. Beaucoup d'efforts sont faits pour que les jeunes continuent leurs études.... Au Conseil scolaire d'Ottawa, par exemple, il y a des tas de programmes destinés à encourager la poursuite des études.
Harriet est une ancienne commissaire au Conseil scolaire d'Ottawa. Elle pourrait vous donner des détails à ce sujet.
Mme Lang: Nous avons au moins trois programmes pour les écoles secondaires; nous en aurons un autre bientôt. Dans le cadre de ces programmes, les adolescentes bénéficient de services de garderies pour leurs enfants à l'école même.
C'est une façon d'encourager ces jeunes à poursuivre leurs études; beaucoup accèdent aux études postsecondaires. Nous essayons de donner aux enfants un excellent départ. Nous pensons y parvenir à bien des égards. Nous voulons inciter les jeunes parents en particulier à aller de l'avant et à améliorer leur scolarité.
Mme Brushett: Ne ferions-nous pas mieux au départ d'encourager cette jeune fille de 15 ans à rester à la maison, où elle pourrait avoir le soutien nécessaire? Beaucoup de mes commettants estiment qu'en tant que politiciens nous avons créé la présente situation au cours des 10 dernières années en permettant aux jeunes d'aller vivre seuls, sans soutien, dans un appartement. La naissance d'un enfant aggrave le problème. Nous dépensons des montagnes d'argent, et celui-ci est de plus en plus rare, sans parvenir à résoudre le problème.
Mme Sherwood: Il y a deux choses à dire à ce sujet. D'abord, oui, il y a des jeunes qui quittent la maison et qui deviennent assistés sociaux. C'est déplorable. Nous ne devrions pas le permettre. Cependant, ce qu'il faut, c'est un meilleur contrôle et une meilleure surveillance de l'aide sociale. Cela signifie moins de cas pour les travailleurs sociaux et plus de travailleurs sociaux. C'est le premier point.
Il faut plus d'argent pour les services sociaux de façon à ce que les travailleurs sociaux n'aient plus à s'occuper de 150 cas. Il leur faudrait s'occuper de 25 cas pour éviter ces situations - où ils sont à intervenir au sein d'une famille qui fonctionne normalement parce que l'adolescent ou l'adolescente de la famille veut aller vivre seul.
Il convient de mentionner que beaucoup de ces enfants n'ont pas de famille. J'ai vu bien des cas où la mère a 35 ans, l'enfant en a 15, et celle-ci a un bébé. La situation se perpétue de génération en génération. La seule façon d'y mettre fin est d'intervenir énergiquement lorsque la personne peut encore changer et apprendre.
Mme Brushett: Vous pensez que le statu quo est acceptable et que c'est une question d'argent.
Mme Sherwood: Pas du tout. J'ai passé ma vie à essayer de changer le statu quo.
Mme Saravanamuttoo: C'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui. Nous ne pensons pas que le statu quo est acceptable. Nous estimons cependant qu'agir au niveau du Régime d'assistance publique du Canada, réduire les montants accordés aux provinces ne fera qu'empirer les choses.
Nous préconisons un certain nombre de mesures. Nous sommes très en faveur de la réglementation des services à l'échelon local. Vous pouvez obtenir le soutien nécessaire à ce niveau et vous assurer que les services soient vraiment efficaces. M. Discepola a raison de dire que c'est là que la responsabilité en la matière doit s'exercer.
Il y a un autre point qu'il convient de mentionner... Je pense que près de 95 p. 100 des enfants de la rue ont été victimes d'agressions sexuelles ou physiques dans des foyers violents. Personne ne souhaite que ces enfants restent dans de tels foyers.
Le problème n'est pas simple. Il est extrêmement complexe. Pourquoi cette hâte à s'en prendre à un régime qui a au moins offert certaines garanties et qui a fonctionné tant bien que mal? Certains programmes ont donné d'excellents résultats, en particulier chez les chefs de famille monoparentale. Le Zonta Club d'Ottawa-Carleton est de ceux-là. Ces programmes aident beaucoup les jeunes. Le Régime d'assistance publique du Canada paie pour des services de garderie dans les écoles.
De tels programmes ont du succès. Si vous tenez à abolir le Régime d'assistance publique du Canada coûte que coûte, vous risquez de jeter le bébé avec l'eau du bain. Ce qu'il faut, c'est une meilleure imputabilité.
Nous vous encourageons à voir les choses de cette façon et à prévoir des services qui fonctionnent vraiment. Il suffit de rendre le Régime d'assistance publique du Canada plus souple. Nous appuyons cette orientation. Cependant, nous sommes contre l'abolition pure et simple des quelques garanties qui restent.
Le président: Merci, madame Brushett.
Nous avons été profondément émus par votre témoignage aujourd'hui ainsi que par les exemples des gens auprès de qui vous travaillez quotidiennement et qui méritent tellement notre appui. Merci à toutes les deux de votre exposé et du travail que vous effectuez. Ce travail est crucial pour un grand nombre de personnes et pour notre avenir collectif. Nous vous en sommes reconnaissants.
Mesdames et messieurs les députés, voulez-vous continuer ou faire une pause?
PAUSE
Le président: Nous recevons maintenant Maggie Fietz de la Family Service Association of Metropolitan Toronto.
Nous vous souhaitons la bienvenue et nous vous remercions d'être venue.
Mme Maggie Fietz (directrice exécutive, Family Service Association of Metropolitan Toronto): En fait, je représente l'organisme Services à la famille Canada. Family Service of Metropolitan Toronto présentera un autre exposé un peu plus tard et m'a donc demandé de venir vous parler.
Services à la famille Canada est un organisme bénévole national qui a pour mission d'améliorer le bien-être des familles canadiennes. Nous sommes heureux de cette occasion de présenter nos opinions et d'exprimer nos préoccupations en ce qui concerne le Régime d'assistance publique du Canada et le financement des programmes établis.
Nous reconnaissons l'importance du budget fédéral, et nous savons que le Canada doit absolument contrôler ses dépenses et réduire la dette nationale. Nous savons que les familles et les particuliers que nous représentons dans tout le Canada sont des contribuables également et que l'avenir financier, social et parfois même spirituel du Canada est pour eux une grande source de préoccupation.
Toutefois, les changements qu'on se propose d'apporter au financement des programmes établis et au Régime d'assistance publique du Canada auront des répercussions sérieuses sur les familles canadiennes. Je sais que ce n'est pas la première fois que vous entendez cela aujourd'hui, et j'aimerais tout à l'heure répondre à certaines questions que vous avez posées aux témoins précédents.
Le soutien fédéral et le partage des coûts des services de santé, de sécurité sociale et d'éducation postsecondaire ont permis aux provinces et, par voie de conséquence, aux municipalités, d'offrir des services et d'assurer un accès universel et des normes de soutien minimales.
Avec ces modifications, ce système de services sociaux, qui n'a jamais été populaire, va entrer en concurrence directe avec les secteurs dominants de la santé et de l'éducation, ce qui aggravera encore la concurrence, pas seulement pour les fonds disponibles, mais également pour des fonds fédéraux qui sont plus limités qu'avant.
Le public pense souvent que les services sociaux ne sont pas véritablement essentiels. Après tout, si les gens le voulaient, ils pourraient gagner leur vie, se débrouiller tout seuls, et nous pourrions continuer indéfiniment dans cette veine pour exprimer l'opinion générale face au système de bien-être.
Par contre, les Canadiens considèrent les services de santé comme un droit inaliénable. Nous devrions pouvoir consulter non seulement un médecin, mais cinq ou six médecins, si les conseils du premier ne nous plaisent pas. Chaque fois que notre société approuvera la concurrence entre les services de santé et les services sociaux, ce sont les services de santé qui l'emporteront et les services sociaux qui perdront.
Services à la famille Canada a toujours considéré le Régime d'assistance publique du Canada comme une législation éclairée, et même en avance sur son temps à l'époque où elle a été mise en place. C'est également une législation qui a bien servi les Canadiens. Elle a permis aux provinces et, par voie de conséquence, aux municipalités, d'offrir des programmes et des services sociaux à des gens dans le besoin, des services qui, autrement, n'auraient pas été offerts dans toutes les provinces du Canada.
En tout cas, dans la région d'Ottawa-Carleton et dans l'est de l'Ontario, nous avons des exemples évidents de municipalités qui n'offrent aucun service supplémentaires à leurs citoyens. Par contre, la municipalité d'Ottawa-Carleton, elle, offre ces services. Quand le Régime d'assurance publique du Canada est entré en vigueur, les municipalités en marge ont pu, à leur tour, offrir des programmes et des services qui, autrement, auraient été hors de leur portée. Vous avez beaucoup entendu parler de normes aujourd'hui et les jours précédents, mais ces normes de services, et les mesures d'imputabilité qui faisaient partie intégrante de cette législation, qui en faisaient un instrument applicable, étaient particulièrement importantes.
Le financement des programmes établis et le Régime d'assistance publique du Canada ont permis d'axer ces services sur les Canadiens dans le besoin au lieu de les offrir uniquement aux Canadiens qui avaient des ressources financières. La législation qu'on nous propose, et qui ne permet pas d'imposer des normes de service et d'accès, va créer un système de santé et de services sociaux à deux niveaux.
Cela aura un impact considérable et très négatif sur les familles qui, soit temporairement, soit à long terme, sont forcées de faire appel aux services de bien-être. On recommencera à penser que les gens qui reçoivent du bien-être sont paresseux et profitent du système. Les programmes de soutien et de responsabilisation, qu'on qualifie souvent de services sociaux «permissifs», disparaîtront lorsque la concurrence pour obtenir les fonds augmentera. La garde d'enfants et les subventions destinées à la garde d'enfants deviendront encore plus insuffisantes qu'à l'heure actuelle.
Selon notre expérience, et c'est également l'expérience de plus de 100 organismes de service à la famille dans tout le Canada qui constituent le réseau de Services à la famille Canada, lorsqu'on aide les familles et les particuliers quand ils en ont besoin, cela leur donne les compétences et la force nécessaires pour traverser des périodes difficiles. Les prestations de santé et d'assistance sociale sont essentielles à certains moments de la vie d'un particulier ou d'une famille. Jusqu'à présent, les systèmes de santé, d'éducation et de services sociaux ont permis aux gens de faire appel à ces services lorsqu'ils en avaient besoin sans les forcer à aller s'installer dans d'autres provinces, à abandonner leur foyer pour obtenir des services de santé essentiels ou pour rembourser les frais de leur éducation postsecondaire tout au cours de leur vie.
Nos organismes travaillent quotidiennement avec des familles. Services à la famille Canada est une organisation nationale qui soutient tout un réseau d'organismes qui assurent ces services. Nous ne sommes pas un organisme de défense des citoyens, nous sommes un organisme de service.
Nos agences travaillent avec des familles qui sont victimes des effets du chômage, des familles où les deux parents ont des emplois mal payés, parfois des emplois de nuit, ce qui pose un problème pour la garde des enfants et ne permet pas de créer une atmosphère familiale propice à la croissance et à l'épanouissement des enfants. Nous avons souvent l'occasion de constater à quel point le poids des conditions économiques est un facteur en cas de séparation et de divorce.
Pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas les organismes de service à la famille, il existe environ 120 agences dans tout le Canada, dans tous les provinces et territoires. Certaines d'entre elles sont appelées des centres ou associations de «service aux familles». Certaines ne contiennent pas l'expression «service aux familles» dans leur titre, mais elles n'en servent pas moins les familles. Elles offrent des services et des programmes aux particuliers et aux familles dans tous les domaines. Et certaines d'entre elles administrent des garderies ou des programmes destinés aux personnes âgées. Toutes offrent des services de conseils, des services d'éducation sur la vie de famille et sur les questions sociales. Elles offrent des conseils sur les relations humaines, mais certaines offrent également des services matériels, comme des banques d'alimentation ou des services de cantine mobile.
Il y a toute une gamme de services, selon la communautés et les besoins de chaque communauté: intervention en cas de crise, solutions des problèmes, enseignement et prévention. Une de nos agences à Calgary offre un programme très complet aux mères adolescentes. On a mentionné ce sujet lors d'un autre témoignage. C'est un programme qui a été financé en partie par le gouvernement fédéral dans le cadre du programme Grandir ensemble.
Ce programme offre des services de soutien aux mères adolescentes qui retournent à l'école. On a installé une garderie dans l'école d'éducation aux adultes. Ce n'est pas le genre de garderie où les mères laissent leurs enfants toute la journée. Pendant les pauses et pendant l'heure du déjeuner, les mères peuvent aller nourrir leurs enfants et discuter avec le personnel qui joue alors un rôle éducatif. Cela donne l'occasion de discuter des problèmes en dehors de l'école, problèmes de logement ou stress émotif. Ce programme est extrêmement efficace et permet à ces jeunes adolescentes de s'assurer à elles-mêmes et à leurs enfants, un meilleur avenir.
À l'heure actuelle, les organismes de service aux familles financent un grand nombre de programmes grâce au financement des programmes établis et aux dispositions du Régime d'assistance publique du Canada. Beaucoup d'organismes ont des ententes pour l'achat de services-conseils par l'entremise de leur municipalité, des services dont les coûts sont partagés à 80-20 p. 100 avec la province qui, elle, les partage à 50-50 p. 100 avec le Régime d'assistance publique du Canada. Beaucoup de programmes pour lutter contre la violence familiale et pour aider les victimes d'abus sexuels dans leur enfance sont financés par les provinces et par l'entremise du Régime d'assistance publique du Canada. Il y a également de nombreux services destinés aux parents et des programmes de lutte contre la pauvreté par l'entremise de Santé Canada.
Beaucoup de ces programmes vont disparaître avec les compressions prévues par le budget fédéral et si le transfert social canadien entre en vigueur en 1996. Notre réseau d'agences a pu constater l'impact positif de ces services et de ces programmes qui rejoignent les gens quotidiennement et qui améliorent la qualité de leur vie. Nous savons que cela fonctionne vraiment.
Je tiens à ajouter, car je n'en ai pas parlé dans mon exposé, que de nombreux programmes offerts par ces agences sont financés également par Centraide. Comme vous le savez probablement, toutes les campagnes de Centraide au Canada s'efforcent actuellement de recueillir autant de fonds que par le passé.
Par exemple, cette année dans Ottawa-Carleton on s'inquiète de l'incidence sur la campagne des compressions de la Fonction publique fédérale et du fait que la principale université impose un programme de retraite anticipée. Autrement dit, il y a plus de gens qui vont être forcés de quitter la main-d'oeuvre que de gens qui pourront s'y joindre dans Ottawa-Carleton. Dans cette région, pour la première fois de son histoire, le taux de chômage est supérieur à la moyenne canadienne. C'est un simple exemple pour vous expliquer à quel point cela affectera le financement des organismes.
Je crois également, et je n'en ai pas parlé dans mon exposé, mais je sais pour avoir été directrice d'une agence locale de service aux familles pendant huit ans, que l'argent que nous recevons grâce au Régime d'assistance publique du Canada, grâce aux municipalités, voit sa valeur doublée grâce aux services des bénévoles auxquels nous faisons appel. Malheureusement, sans ce financement de base, sans cet argent-là pour amorcer le mouvement, il est très difficile de lancer un programme et de trouver et de recruter des bénévoles, et de les faire participer à cet effort. Je suis donc persuadée que les fonds recueillis à cet effet doublent de valeur, si ce n'est plus.
Un de nos organismes membres, le Family Service Association of Metropolitan Toronto vient de terminer un projet de recherche sur les jeunes familles intitulé «The Outsiders: The Prospects for Young Families». (À l'écart: l'avenir des jeunes familles.) Les conclusions de ce rapport sont particulièrement importantes si on considère les travaux de votre Comité. Cette étude conclut, entre autres choses, car je me contenterai de mentionner un ou deux passages, que:
- Les jeunes familles qui ont à leur tête des personnes de moins de 35 ans risquent tout
particulièrement d'être marginalisées définitivement. Plus que celles des générations passées,
elles risquent d'être pauvres, elles risquent d'être au chômage et si elles travaillent, elles sont
susceptibles d'avoir de faibles salaires, de «mauvais» emplois, des emplois à temps partiel.
- Les foyers dirigés par une personne jeune reçoivent plus souvent que la moyenne des
prestations dans le cadre de programmes de soutien du revenu du gouvernement: elles ont cinq
fois plus de chances qu'une famille avec des chefs de famille plus âgés de recevoir des fonds de
l'assistance sociale et deux fois plus de chances de toucher l'assurance-chômage.
- Et pourtant, ce sont ces gens-là qui élèvent des enfants à l'heure actuelle.
Les propositions du projet de loi C-76 et le transfert en matière de santé et de services sociaux ne répondront pas aux besoins des jeunes familles.
Il importe de reconnaître l'interdépendance du travail, de la famille, de la communauté et du pays, et d'en tenir compte lorsque nous élaborons des mesures financièrement et socialement responsables et saines. C'est un concept à la fois cyclique et circulaire: une économie saine produit des communautés saines constituées de familles et de particuliers sains, et vice versa. Par conséquent, nous prions instamment le Comité permanent des finances de chercher des moyens de restructurer nos programmes sociaux et le marché du travail en vue de soutenir et d'améliorer la situation des jeunes familles et les possibilités qui leur sont offertes.
Le projet de loi C-76 contient l'avenir même du Canada, un avenir qui est trop important pour être décidé dans le cadre d'un projet de loi omnibus. Par conséquent, nous demandons au Comité permanent des finances de remettre les décisions relatives au financement des programmes établis et au Régime d'assistance publique du Canada, et de consacrer plus de temps à l'étude de l'impact de ces changements, quels qu'ils soient. Nous prions également le Comité de rechercher des moyens véritablement créatifs de défendre l'intérêt de toutes les familles canadiennes sur les plans financiers et sociaux.
Le président: Merci, madame Fietz.
M. Discepola: Dans votre conclusion, vous nous demandez d'envisager de restructurer les programmes.
Après avoir siégé à ce comité et après avoir entendu les interventions jour après jour après jour, je me demande comment des gens comme vous et d'autres groupes semblables au vôtre peuvent craindre à ce point les mesures que nous voulons prendre. J'aimerais que vous m'expliquiez cela, ou peut-être que vous m'éclairiez, car avec le projet de loi C-76, notre gouvernement se contente de donner aux provinces - à leur demande - un an ou deux de préavis avant d'apporter des changements majeurs, quels qu'il soient. Nous leur avons déjà dit que nous allions nous écarter des méthodes de financement des décennies passées pour leur donner dorénavant une somme forfaitaire. La seule restriction minime que nous leur imposions à l'heure actuelle, c'est qu'elles respectent les conditions de la Loi sur la santé, et il y a une autre restriction au sujet de la mobilité quant aux versements de bien-être.
Nous ne faisons rien d'autre dans le projet de loi C-76. Et pourtant, tout le monde peint un tableau très sombre des conséquences de cette mesure. Je ne comprends pas pourquoi vous tirez de telles conclusions.
Vous dites également que nous n'avons pas mené de consultations. Mais c'est justement ce que nous faisons, c'est le processus annoncé par le budget de M. Martin.
Mme Fietz: À mon avis, il y a eu beaucoup de consultations et ces craintes, qui sont évidentes, tiennent au fait que nous sommes maintenant en concurrence avec la santé et l'éducation puisque le projet de loi C-76 va dorénavant permettre de verser un financement global aux provinces qui pourront décider de la façon de dépenser cet argent. En théorie, cette décentralisation nous semble à tous une bonne chose, et plus on répond aux besoins des gens au niveau régional et provincial, c'est-à-dire sans une ingérence excessive du gouvernement central, mieux cela vaut, du moins en théorie.
Toutefois, l'expérience passée nous a démontré qu'en l'absence de règles strictes - et de moyens pour les faire appliquer - il y a des gens qui sont totalement oubliés. Autrement dit, il faut préciser un accès égal aux services, il faut préciser que le bien-être est à la disposition de tous et ne doit pas être accordé sur la base du mérite de l'un ou du démérite de l'autre.
Voilà la source de nos craintes. Elles viennent de notre propre histoire.
M. Discepola: Mais on maintient le même système qu'à l'heure actuelle.
Mme Fietz: Si c'est le cas, ce n'est pas clair.
M. Discepola: Je vais vous donner des exemples. En ce qui concerne le bien-être, le gouvernement fédéral se contente de contribuer 1$ pour chaque dollar. Nous n'avons rien à dire en ce qui concerne l'organisation des programmes dans une province ou dans une autre. Aux termes de l'entente actuelle, chaque fois qu'une province consacre 1$ au bien-être, nous devons verser la même somme.
Mme Fietz: Mais l'entente actuelle précise également que les provinces doivent prouver au gouvernement fédéral que les gens qui sont au bien-être sont véritablement dans le besoin, il faut donc établir la preuve de ce besoin. Si cette preuve disparaît, les provinces vont pouvoir décider des méthodes à employer pour établir cela ou encore adopter de nouveaux critères en ce qui concerne les candidats au bien-être. À l'heure actuelle, l'établissement de cette preuve fait partie du processus.
M. Discepola: Il y a d'autres indications. Nous avons étudié la question. D'après ces études, certaines provinces consacrent des sommes considérables à l'éducation pendant que d'autres assurent le même service en dépensant très peu de leur propre argent. Tout est fourni par le gouvernement fédéral.
Autrement dit, nous n'avons pas tellement notre mot à dire, et pourtant, tout le monde applaudit le RAPC, réclame le statu quo et prétend que c'est préférable à tout ce que nous pourrions négocier. Je dis seulement que cela vaut la peine d'essayer. Les gens semblent refuser d'emblée, ils sont convaincus que ça ne marchera pas, avant même d'avoir commencé à négocier avec les provinces.
Mme Fietz: Des groupes comme Services à la famille Canada, qui ont été particulièrement actifs, comme je l'ai dit, dans le domaine des services sociaux, viennent vous dire que l'opinion qui l'emporte systématiquement est celle qui dit qu'il faut être «méritant», qu'il faut s'aider soi-même, qu'il ne faut pas se contenter d'aumônes, et que le régime actuel d'assistance publique du Canada constitue en réalité un processus d'appel qui permet à la communauté de dire qu'elle ne tolérera pas cela, et qui ensuite s'arrange pour que ce soit maintenu.
Il n'est pas évident que le projet de loi offre le même pouvoir et la même justification pour que le gouvernement fédéral puisse refuser de donner l'argent.
La situation de la santé en Alberta constitue une leçon très importante. Cela ne fait aucun doute, en Alberta, on évolue vers des cliniques privées...
M. Fewchuk (Selkirk - Red River): Ne faites pas confiance aux hommes politiques locaux. Je comprends ce que vous dites.
Mme Fietz: Nous connaissons le principe des usagers payeurs en matière de santé... Regardez ce que l'on a déjà mis à l'essai, avant même le projet de loi C-76. Voilà le passé dont nous sommes chargés.
Cela offre à des groupes comme Services à la famille Canada l'occasion de manifester leur inquiétude. Nous sommes prêts à travailler et à donner sa chance au système qui sera adopté, nous n'avons certainement pas l'intention d'abandonner.
M. Discepola: Nous devons discuter, à tous les niveaux...
Mme Fietz: Oui, absolument.
M. Discepola: ...et discuter d'un système de prestation des services juste, et d'un système d'imputabilité adéquat.
Lorsque des groupes viennent nous dire que tant de pourcent devrait être consacré à la santé, aux services de santé, et tant de pourcent aux services sociaux, je ne suis pas d'accord. Ils veulent que le gouvernement fédéral continue à participer activement à l'élaboration de normes nationales. Et pourtant, vous voulez également que nous, «le gouvernement fédéral», déclarions que non seulement nous allons couper les 7 milliards de dollars sur une période de deux ans, mais que nous allons également dire aux provinces comment elles doivent dépenser ce qui reste. Je n'ai pas l'impression que les provinces seraient très favorables à cette idée-là.
Un programme bien adapté à Terre-Neuve n'est pas forcément bien adapté à ma province, le Québec. Nous devons leur laisser une certaine marge de manoeuvre. Et comment faire pour ménager cette marge de manoeuvre si nous leur imposons des critères qui vont au-delà de ce que je considère comme des normes nationales fondamentales?
Mme Fietz: Mais il y a divers moyens d'imposer les choses. S'il s'agit d'imposer des normes et non pas des sommes données, cela devient une base de travail utile.
M. Discepola: C'est justement le cas. Les provinces savent combien d'argent elles touchent.
Mme Fietz: Cela n'est pas évident.
M. Discepola: Si, elles le savent. Au départ, il y avait environ 20 milliards de dollars qui vont être réduits de 7 milliards.
Mme Fietz: La somme globale est évidente, je comprends cela, mais notre organisme, Services à la famille Canada, ne veut pas qu'on attribue 50 p. 100 ou 10 p. 100 de cette somme aux services sociaux.
M. Discepola: C'est une préoccupation qui vous est propre.
Mme Fietz: Non. C'est une de nos préoccupations, mais ce qui nous inquiète véritablement, c'est ce qui se produira en l'absence de ces normes. Les exigences en matière de résidence... Je le répète, à l'heure actuelle, il y a des normes et des principes. Le gouvernement peut dire que l'argent doit être utilisé de telle façon. Certains principes doivent être respectés. Si ces principes ne sont pas respectés, l'argent n'est pas débloqué.
M. Fewchuk: Je comprends ce que vous dites, vous voulez que nous gardions la cassette et...
Mme Fietz: Garder la cassette?
M. Fewchuk: Oui, pour pouvoir ensuite dire aux provinces ce qu'elles doivent en faire.
Mme Fietz: Oui.
M. Pillitteri: Vous avez parlé d'une norme nationale. J'ai ici des chiffres. Comment ne pas faire confiance à une province? Mon collègue a dit que nous dépensons la même somme que les provinces, que le gouvernement fédéral verse 1$ pour chaque dollar versé. En réalité, ce n'est pas le cas en Ontario. En Ontario, pour chaque dollar dépensé, le gouvernement fédéral ne verse que la somme de 29 cents au chapitre de l'aide. Le gouvernement fédéral qui était alors au pouvoir a imposé une limite, parce qu'il trouvait qu'il dépensait trop d'argent.
Nous n'arrivons plus à faire confiance aux gouvernements provinciaux et, pourtant, l'Ontario est la province qui dépense le plus pour l'aide sociale. Comment pouvons-nous perdre confiance en une province qui reçoit moins que les autres provinces canadiennes où le gouvernement fédéral investit 1$ pour chaque dollar...?
Une personne qui vit seule à l'Île-du-Prince-Édouard reçoit à peu près 7 900$ tandis qu'au Nouveau-Brunswick, où les prestations sont les plus basses, le montant correspondant est de 3 060$ et au Québec, de près de 6 000$. Pourtant, en Ontario, ces chiffres s'élèvent presque à 8 000$. Si on prend une personne qui élève seule son enfant, l'Ontario se trouve en tête de liste avec 14 700$. Et, dans cette province, le gouvernement fédéral ne dépense que 29 cents pour chaque dollar versé. Comment dire que nous ne pouvons pas faire confiance au gouvernement provincial? Nous avons ici l'exemple de l'Ontario qui, depuis six ans, reçoit beaucoup moins que les autres provinces et qui, pourtant, offre les services qu'elle croit pouvoir offrir.
Lorsqu'on nous répète que nous ne pouvons pas faire confiance aux provinces, j'ai l'impression qu'on met la charrue devant les boeufs. Je viens de vous donner un exemple probant. Les chiffres que je vous ai donnés parlent d'eux-mêmes.
Mme Fietz: Si le premier ministre Rae était parmi nous aujourd'hui, il vous dirait que les provinces n'en peuvent plus elles non plus, car cela ne fait qu'ajouter à leur déficit. Nous savons tous ce que l'Ontario a dit à propos de son déficit. Nous savons tous aussi qu'il y aura bientôt des élections dans cette province et qu'aucune promesse de largesses n'a été faite.
M. Pillitteri: Par contre, M. Rae et tous les autres premiers ministres aiment bien l'idée d'un financement global. Aucun d'eux n'a dit qu'il s'opposait au financement global. Ils disent qu'ils se font rouler, qu'ils reçoivent moins d'argent, que le gouvernement fédéral est en train de les rouler, et ils ont tous des chiffres à montrer pour prouver que c'est le cas. Mais jusqu'à maintenant, aucun gouvernement provincial n'a dit qu'il s'opposait au financement global.
Mme Fietz: Si je représentais la province de l'Ontario, je serais moi aussi en faveur du financement global. Malheureusement, je dirais la même chose à la province de l'Ontario, parce que les provinces tout comme les municipalités vont envoyer promener les services sociaux; nous le savons tous.
Il ne fait aucun doute que si l'on cesse d'accorder de l'argent pour l'aide sociale précisément, il va falloir se demander où trouver l'argent pour venir en aide aux familles, pour payer les soins de jour et les soins de garde. Il va falloir se pencher sur la question et c'est ce que je voulais dire quand j'ai parlé des services «permissifs».
M. Pillitteri: Mais il ne faut pas oublier non plus que les provinces tout comme le gouvernement fédéral voudraient savoir au juste comment l'argent est dépensé. Lorsqu'on a un programme qui est financé à parts égales par les deux paliers de gouvernement, je dirais que personne n'est prêt pour le moment à assumer la responsabilité des dépenses qui ne représentent que 50 cents au lieu d'un dollar.
C'est pourquoi je pense que les gens devraient exercer des pressions non seulement sur le gouvernement fédéral, mais aussi sur les provinces pour savoir comment cet argent va être dépensé.
Le moment ne pourrait pas être mieux choisi pour soulever cette question, surtout en Ontario où il va bientôt y avoir des élections.
Mme Fietz: C'est ce que nous faisons, croyez-moi. Toutefois, en tant qu'organisation nationale, nous croyons fermement que nous avons besoin de normes nationales pour que notre pays demeure uni. Si nous n'avons rien qui fait que le Canada est vraiment canadien, notre pays va se démanteler ou nous allons avoir un système très étrange.
M. Pillitteri: J'ai une dernière question, une question que j'ai posée à nos témoins d'hier soir. Je dirais que l'Ontario est l'une des trois provinces les plus riches au Canada.
Je me pose une question au sujet de l'argent qui va à l'aide sociale. L'Ontario regroupe à peu près 38 p. 100 de la population canadienne et pourtant, on y retrouve 46 p. 100 de tous les assistés sociaux. Pensez-vous que cela a quoi que ce soit à voir avec le montant des prestations? Est-ce parce qu'il n'y a pas de travail ou que les besoins sont plus grands en Ontario? Ou cela a-t-il quoi que ce soit à voir avec le fait que c'est la province où les prestations d'aide sociale sont les plus élevées?
Mme Fietz: Je crois personnellement que c'est parce que l'Ontario est la dernière province à avoir été touchée par la récession économique. Il lui aura fallu plus de temps que bien d'autres provinces pour s'en ressentir. C'est ce qui explique les statistiques que nous avons ici aujourd'hui.
[Français]
M. Brien: Avant de poser ma question, je voudrais émettre un commentaire. C'est une crainte que je viens d'entendre. Nous ne connaissons pas beaucoup la répartition future du nouveau Transfert social canadien et nous ne savons pas vraiment qui en sera le plus affecté.
Vous avez mentionné quelque chose d'important, à savoir la concurrence qu'il y aura lieu entre la santé, l'éducation et l'aide sociale pour la répartition de cette enveloppe.
M. Discepola disait tantôt qu'on avait regroupé l'argent et mis seulement deux critères, mais on a quand même coupé 7 milliards de dollars sur une période de deux ans. Donc, il y a moins d'argent, et il est certain que les groupes devront se battre entre eux. Tous ces gens sont dans des domaines d'intervention directe, dans le filet de sécurité sociale ou presque. Comment sera-t-il possible de s'en sortir avec la concurrence qui existera et le choix que devront faire les provinces? Seront-elles en mesure d'arriver à une répartition satisfaisante avec les moyens financiers dont elles disposeront pour la santé, l'éducation et l'aide sociale, ou s'il y a une crise à l'horizon?
[Traduction]
Le président: Excusez-moi un instant.
Excusez-moi un instant. Il y a un vote à la Chambre. Je vais rester, et Pierre aussi.
Est-ce que quelqu'un d'autre pourrait rester ici? Il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire sur le financement des partis politiques.
Merci. Nous allons ainsi conserver le quorum qu'il faut pour entendre des témoins.
[Français]
M. Brien: Même s'il y a encore des normes nationales, cela ne vous donnera pas une plus grande sécurité. Les principes seront là, mais nous ne pourrons pas les respecter avec les moyens financiers dont nous disposerons. Donc, les normes nationales ne sont pas nécessairement une solution qui vous offre une sécurité absolue.
[Traduction]
Mme Fietz: Ce n'est qu'une solution partielle, mais je pense que si nous pouvons compter sur des normes nationales, nous pourrons travailler ensemble: la province avec les organisations qui sont au service des familles et avec les municipalités. Nous pourrons tous travailler la main dans la main au lieu de nous battre au sujet des normes de sorte que toutes les énergies seront consacrées à la recherche de programmes qui fonctionnent et qu'il en coûtera moins cher pour des programmes beaucoup plus efficaces.
Mais s'il n'existe pas de normes, au lieu de dépenser l'argent à bon escient pour venir en aide à ceux qui en ont besoin, on consacrera une bonne partie des énergies à la définition de normes, surtout dans le secteur des services sociaux à cause des préjugés envers les assistés sociaux et à cause aussi de tout ce dont nous avons parlé. C'est ce qui me tient à coeur: que nous utilisions nos énergies de la manière la plus efficace possible.
[Français]
M. Brien: Je prends l'exemple du Québec. Il me semble que c'est le contraire chez nous. C'est un peu cela, mais s'il y a des normes nationales, nous allons nous battre longtemps sur la définition de ces normes.
Je suis persuadé que le public exercerait des pressions sur le gouvernement du Québec si ce dernier avait à définir ses propres normes. Les gens sont attachés au filet de sécurité sociale et vont exercer suffisamment de pression sans qu'ils soit nécessaire que les deux paliers s'entendent entre eux.
J'ai l'impression que ce débat est moins présent au Québec et que nous sommes convaincus que nous pourrons exercer des pressions sur le gouvernement provincial, peu importe ce qui arrivera à l'avenir, pour qu'il définisse des normes qui correspondent à nos besoins. Je crains que si des normes nationales doivent être définies au niveau du Canada, toute l'énergie sera dépensée pour cela. On se battra pour définir ces normes, on ne saura pas qui en est responsable, on se perda dans des discussions sans fin et il n'y aura pas d'action.
[Traduction]
Mme Fietz: Je pense que lorsqu'on parle de normes, on ne parle pas nécessairement de quotas et on ne dit pas non plus combien d'argent devra être mis de côté.
Pour moi, une norme correspond à définir le droit fondamental des Canadiens à un service, et ce qu'ils doivent faire pour obtenir ce service. S'il n'existe pas de normes bien définies et s'il n'y a aucun moyen de les appliquer... Si le gouvernement fédéral établit des normes en ce qui concerne les sommes transférées, il ne pourra pas pour autant contrôler l'argent qu'obtient une province ou une municipalité par ses propres moyens ou par le biais de sa propre structure fiscale, mais il pourra leur indiquer comment utiliser l'argent qu'il leur donne grâce aux normes qu'il aura établies.
Ce n'est pas une question facile, mais elle nous tient à coeur. Nous y tenons tant à cause de ce qui s'est passé, dans cette province-ci et dans toutes les autres, où il a été très difficile d'obtenir l'assurance d'un accès universel aux services sociaux.
Le président: Vous avez réussi à très bien cerner l'une des questions les plus difficiles qui se posent, à savoir qui est notre pays et quels sont les liens entre le gouvernement fédéral et les provinces. Parce que mon chef nous a demandé de ne plus jamais parler de la Constitution, je vais m'en abstenir, mais comme bien d'autres groupes et témoins, vous nous avez indiqué très clairement que vous voulez qu'il existe certaines normes.
Je ne sais pas si nous allons arriver à en définir d'un commun accord avec les provinces. Personne ne peut le prédire.
Si nous essayons de définir des normes par la négociation mais que nous n'y arrivons pas, nous devrons peut-être alors en imposer unilatéralement. Comme bien d'autres témoins, vous nous avez certes indiqué qu'il en fallait.
Vous nous avez fait un exposé très convaincant. Nous vous remercions des efforts que vous y avez consacrés, mais aussi du travail que vous faites tous les jours.
Mme Fietz: Merci beaucoup. N'hésitez pas à communiquer avec nous si vous avez besoin de notre aide.
Le président: Tenez-vous au courant et demeurez en rapport avec nous.
Nos prochains témoins représentent le Projet Genèse. Ce sont Yetta Kleinman, Nadia Rotter, Abba Brodt et Denyse Lacelle.
[Français]
Bonjour. Qu'est-ce que le Projet Genèse?
[Traduction]
Mme Yetta Kleinman (bénévole, Projet Genèse): C'est avec plaisir que nous allons vous expliquer en quoi il consiste durant la première partie de notre exposé.
[Français]
Le président: Ah, bon.
J'ai habité Côte-des-Neiges. J'attends votre présentation avec impatience.
Mme Denyse Lacelle (organisatrice communautaire, Projet Genèse): Cela nous fait plaisir. Permettez-moi d'abord de vous présenter les gens qui m'accompagnent. Ce sont M. Abba Brodt, qui est bénévole au Projet Genèse au niveau des services individuels, Yetta Kleinman, également bénévole, Nadia Rotter et moi-même, Denyse Lacelle, qui suis organisatrice communautaire.
Avant de commencer la lecture de notre mémoire, nous voudrions vous remercier de nous recevoir. Nous sommes convaincus que le point de vue très concret et réaliste d'un petit organisme communautaire enraciné dans un quartier a sa place dans les réflexions qui entourent le projet de loi C-76. S'il est adopté tel quel, celui-ci aura des impacts très importants et plutôt dramatiques sur la population de notre quartier, un quartier pauvre.
Selon Statistique Canada, en 1991, 40 p. 100 des familles et 55 p. 100 des personnes vivant seules dans notre quartier était sous le seuil de la pauvreté et 52 p. 100 de la population était d'origine autre que britannique ou française, donc issue de l'immigration plus ou moins récente. C'est un quartier qui vit avec son lot de problèmes sociaux de toutes sortes.
Notre mandat étant de défendre les droits de ces gens, nous trouvons important de prendre position dans le débat qui entoure, entre autres, l'abolition du Régime d'assistance publique du Canada.
Dans un premier temps, nous vous présenterons le Projet Genèse. Nous allons ensuite vous présenter ce que nous pensons des effets de l'abolition du RAPC sur l'aide sociale. Troisièmement, nous allons parler des effets de cela au niveau du système de santé canadien et, finalement, y aller de quelques suggestions de notre cru sur ce que le gouvernement pourrait faire à la place de ce qu'il fait actuellement.
Je vais céder la parole à Mme Kleinman pour la présentation du Projet Genèse.
[Traduction]
Mme Kleinman: Historique du projet Genèse.
Projet Genèse est un organisme communautaire qui a été fondé en juin 1977 après que des recherches eurent été effectuées à l'École de service social de l'Université McGill sur les besoins de la population juive de Côte-des-Neiges vivant dans la pauvreté. Les recherches ont porté sur les conditions de vie des pauvres du quartier d'origine juive, mais on s'est aperçu que les résutats pouvaient être généralisés à l'ensemble de la population de Côte-des-Neiges.
Depuis, ceux qui oeuvrent pour le projet Genèse travaillent non seulement au sein de la collectivité, mais en collaboration avec ses membres pour améliorer leur qualité de vie et les aider à régler des problèmes communautaires.
Situé dans une vitrine du 5940, avenue Victoria à Montréal, le Projet Genèse est accessible au public qu'il dessert. Nos bénévoles, qui sont plus d'une centaine, sont représentatifs de la communauté où ils travaillent. Nos programmes s'adressent essentiellement aux résidents de la collectivité et à l'ensemble de la population montréalaise. Nous croyons qu'avec un minimum d'aide les gens peuvent arriver à cerner les problèmes qui se posent pour les individus et la collectivité et à y trouver des solutions.
Les services d'information, d'aiguillage et de défense des droits offerts sur place sont le pivot de Projet Genèse et permettent à des bénévoles qui ont reçu la formation voulue de donner chaque année à plus de 2 000 personnes qui se rendent sur place ou téléphonent des conseils sur des problèmes concernant les pensions, l'aide sociale, le chômage, l'immigration, les services de santé et sociaux, le logement, les ressources qui existent pour les sans-abri, etc. Ces services sont offerts en 14 langues, y compris le créole, l'anglais, le français, le hongrois, le polonais, le russe, l'espagnol, le tamoul, le yiddish et le vietnamien.
L'aide offerte sur place vise à assurer que tous ont accès aux services et aux avantages auxquels ils ont droit et disposent de suffisamment de renseignements pour faire valoir leurs droits. Nos bénévoles offrent davantage qu'un service d'information et d'aiguillage puisqu'ils sont là pour défendre les droits de ceux qui s'adressent à eux et pour les aider à défendre eux-mêmes leurs droits.
Ceux qui font appel à nos services sont véritablement désavantagés à cause de leur pauvreté, de leur statut d'immigrants récents, de leur âge avancé ou de leur faible niveau de scolarité. Plus de 40 bénévoles offrent leurs services à la communauté sur place, soit comme réceptionnistes soit comme conseillers. Des gens de 46 pays différents ont profité de nos services en 1993-1994.
Les services englobent un service annuel d'impôt sur le revenu où environ 300 familles et personnes âgées à faible revenu viennent profiter des conseils de comptables qui font don de leur temps. Vingt-quatre comptables nous ont offert leurs services l'année dernière.
Un programme d'aide aux personnes âgées est venu s'ajouter récemment aux services que nous offrons. Il s'adresse aux personnes âgées et aux personnes handicapées qui sont confinées chez elles et qui ne peuvent plus venir nous rencontrer sur place, mais qui ont quand même besoin des services qu'offre le Projet Genèse.
Plus de 21 p. 100 de la population de Côte-des-Neiges a plus de 65 ans par comparaison à une moyenne de 10 p. 100 pour le Québec, et 10 p. 100 de la population a plus de 75 ans. Il était donc essentiel d'adapter nos services en fonction des besoins changeants de la collectivité.
Le programme d'aide aux personnes âgées est offert grâce à l'aide de 15 bénévoles qui sont pour la plupart des personnes âgées.
Un service d'aide juridique est offert un soir par semaine par des avocats bénévoles et cinq jours par semaine par des étudiants en droit. Douze étudiants en droit ont fait profiter la collectivité de leurs services l'année dernière et donné des conseils et des renseignements d'ordre juridique à plus de 1 570 clients. Des clients à faible revenu ont pu leur faire part de problèmes liés à un divorce, à des questions familiales, à l'immigration, à des questions de pauvreté, à des dettes et à la faillite de même qu'aux droits des propriétaires et des locataires.
Le Programme d'extension des services nous permet de rejoindre les membres les plus isolés de la communauté. Une équipe de bénévoles frappe aux portes des logements où vivent un pourcentage élevé de pauvres, de nouveaux immigrants, de personnes âgées ou de familles monoparentales. Ils les informent de nos services, les orientent vers d'autres services communautaires et gouvernementaux, offrent leur aide sur-le-champ en cas de crise et cernent les besoins communautaires auxquels les gens peuvent répondre avec l'aide de leurs voisins. Plus de 3 000 familles ont ainsi été rejointes grâce à ce programme l'année dernière.
L'Extension sert non seulement à cerner les besoins, mais aussi à aider ceux qui ont de la peine à améliorer leur qualité de vie. C'est grâce au Programme Extension que Projet Genèse a réussi à amener les résidents à s'attaquer à des problèmes qu'ils identifient eux-mêmes, par exemple des comités de locataires ont été formés pour s'attaquer aux problèmes que pose la sécurité en favorisant l'instauration d'un esprit communautaire. Malgré leurs différences, les résidents du quartier ont pu s'intéresser à des questions sociales plus vastes, comme la réforme des programmes sociaux et la promotion du logement social.
Notre programme d'organisation communautaire est l'instrument par lequel nous travaillons avec les résidents du quartier pour améliorer leur qualité de vie, renouveler ou améliorer les services, favoriser la création de groupes d'entraide, améliorer les conditions de vie, sensibiliser la population et opérer des changements sociaux. C'est aussi le programme dont se sert Projet Genèse pour travailler avec d'autres organismes communautaires et des institutions publiques à la recherche de solutions à des problèmes plus vastes.
Je vais me contenter de citer, au nombre de nos initiatives récentes, les pressions que nous avons exercées, et avec succès, pour faire reconnaître le droit des sans-abri à l'aide sociale, la fondation du Conseil communautaire de Côte-des-Neiges/Snowdon et l'organisation d'une campagne annuelle de sensibilisation à la discrimination dans le logement qui se tient maintenant à l'échelle de la ville. Nous avons établi Multi Caf et fait en sorte qu'il acquière son indépendance. Nous avons investi des énergies dans l'aménagement de ressources récréatives communautaires: une piscine et un gymnase. Nous avons collaboré à la création de la CDEC, ou Corporation de développement économique communautaire, et avons mis en place des services spécialisés pour aider les personnes âgées à conserver leur autonomie, etc. Comme organisation, nous nous sommes toujours intéressés aux questions de politique sociale en collaborant avec les résidents du quartier et en étant un membre actif de diverses coalitions.
[Français]
M. Abba Brodt (bénévole, Projet Genèse): Cette section s'appelle «Impact du projet de loi C-76 sur les programmes de sécurité du revenu».
Un des aspects majeurs de ce projet de loi concerne le Régime d'assistance publique du Canada, dont on prévoit l'abolition à compter du 1er avril 1996. Jusqu'à maintenant, les Canadiennes et les Canadiens ont pu compter sur le soutien du gouvernement fédéral eu égard à l'aide sociale, au bien-être des enfants, aux soins de santé, aux soins en établissement, aux services de garde, aux services de réadaptation, etc.
Le discours du Budget, livré par le ministre Paul Martin en février dernier, prévoit l'abolition du RAPC et la fusion en un Transfert social canadien des contributions fédérales à l'aide sociale, à la santé et à l'éducation.
Trois dimensions liées à cette annonce nous préoccupent vivement en raison de leur impact dramatique sur les résidents de notre quartier, ainsi que sur l'ensemble des Canadiennes et des Canadiens à revenu modeste et moyen. D'abord, le RAPC prévoit un certain nombre de droits qui nous apparaissent fondamentaux. Avec son abolition, on ne conservera que le droit à l'aide sociale sans considération quant à la province d'origine. Le droit à un revenu en cas de besoin, le droit à un montant qui prenne en considération les besoins matériels de la personne, le droit d'interjeter appel et le droit de ne pas être obligé de travailler en échange de prestations, tout cela disparaît. Les conséquences peuvent en être désastreuses. Les provinces pourraient ainsi décider d'abolir complètement l'aide sociale pour certaines catégories de la population, comme l'ont déjà fait certains États américains, ou encore d'imposer de strictes limites au montant des prestations.
Déjà, jour après jour, nous rencontrons des gens désespérément à la recherche d'un emploi et incapables de payer le loyer et la nourriture, obligés de compter sur les banques alimentaires et les refuges. La misère des gens est inacceptable. Nous ne pouvons imaginer que nous acceptions, comme société, qu'ils descendent plus bas. Sans ces droits, une province pourrait également décider de retirer le droit d'en appeler d'une décision jugée injuste ou erronée. Connaissant le cauchemar qu'est déjà notre régime d'aide sociale, de même que le nombre astronomique d'erreurs commises par des agents, penser à retirer le droit d'en appeler nous apparaît rien de moins qu'une aberration.
Chaque année, plus de 20 000 personnes s'adressent au Projet Genèse. La proportion de celles-ci aux prises avec des problèmes d'aide sociale, par exemple mauvais classement, coupures injustifiées, erreurs de toutes sortes, etc. a augmenté de 136 p. 100 entre 1992 et 1993-1994.
Sans ces droits, une province pourrait également décider d'imposer de façon obligatoire la participation à des mesures de développement de l'employabilité, à des stages ou à du travail forcé, élégamment qualifié de bénévolat, en échange de prestations.
Cette perspective nous inquiète à deux niveaux. Il nous apparaît que c'est là une voie dans laquelle le gouvernement du Québec pense sérieusement à s'engager en ce qui concerne les prestataires de la sécurité du revenu aptes au travail. De même, le ministre des Finances indique qu'il souhaite réformer le système d'adhésion au chômage de manière à ce qu'on passe d'un système de soutien passif à un système actif. Nous sommes portés à croire que c'est aussi vers ces critères qu'il souhaite orienter.
Permettez-nous de prendre quelques minutes pour vous présenter nos oppositions à ce type de workfare et de vous parler de l'importance de préserver l'interdiction actuellement en vigueur d'en faire des mesures obligatoires.
Au Québec, depuis déjà plus de six ans, nous vivons avec une Loi sur la sécurité de revenu qui prévoit de façon non obligatoire, mais tout de même sous peine de pénalité, la participation à diverses mesures de développement de l'employabilité, six ans qui ont amplement suffi à faire la démonstration de l'inanité d'un tel système.
À quoi sert-il en effet d'embrigader des gens, de gré ou de force, dans des programmes qui, de toute façon, ne conduiront à aucun emploi? À ce sujet, notons qu'une étude effectuée par le ministre de la Sécurité du revenu du Québec quant à l'impact de ces mesures au chapitre de l'accessibilité de l'emploi et de la durée de l'emploi concluait que les participants au programme se trouvent un emploi plus rapidement que les non-participants, soit deux semaines plus vite, et qu'ils gardent cet emploi plus longtemps, soit 0,8 mois plus longtemps.
À quoi sert-il de prétendre que l'on fait de la formation alors que l'on n'a aucune idée de ce que pourrait être une formation pertinente eu égard aux besoins du marché de l'emploi? À quoi bon donner espoir aux gens qu'ils pourront s'en sortir pour les laisser par la suite retomber encore plus bas dans le désespoir?
Que l'on s'entende bien: nous n'avons rien contre les programmes de formation, à la condition toutefois que l'on parle d'une formation réellement qualifiante, ce qui suppose qu'on accepte d'y investir temps et argent de façon significative. Nous n'avons rien non plus contre l'idée de développer l'employabilité, pourvu que l'on prenne les moyens qui s'imposent pour qu'un véritable emploi se trouve au bout de la ligne.
Nous sommes également convaincus de la valeur de l'action bénévole, sur laquelle repose une part essentielle du travail de Projet Genèse. Mais le bénévolat doit demeurer une activité volontaire, gratuite et non se transformer en une espèce de sentence de travaux communautaires que l'on impose à ceux et celles considérés coupables d'être sans emploi, comme si les gens étaient responsables du taux de chômage constamment au-dessus de la barre des 10 p. 100 depuis des années, comme si les gens étaient responsables des mises à pied en série auxquelles nous ne cessons d'assister, tant dans le secteur privé, comme c'est le cas des 10 000 emplois que Bell Canada fait disparaître pour ne citer que cet exemple, que dans le secteur public.
Au Québec, le système de santé compte éliminer 10 000 postes seulement à Montréal, et le projet de loi que nous commentons présentement prévoit également un mécanisme pour faire disparaître pas moins de 45 000 emplois. C'est pour ces raisons que l'alinéa 15(3)a) du RAPC nous apparaît aussi essentiel.
Nous nous posons également quelques questions sur le financement en bloc. Dans un tel contexte, comment le gouvernement fédéral pourra-t-il s'assurer que tous les Canadiennes et Canadiens jouissent des mêmes droits et possibilités? Comment pourra-t-il imposer des normes comparables d'une province à l'autre?
Finalement, les coupures prévues pour les trois prochaines années suscitent notre plus vive opposition. L'aide sociale, la santé et l'éducation sont des domaines essentiels déjà sous-financés. Le gouvernement ne doit pas, sous prétexte de lutter contre le déficit, se livrer à la guerre contre les pauvres. Les coupures annoncées auront pour effet de réduire encore davantage les minces chèques sur lesquels comptent 808 000 Québécois pour survivre, alors qu'ils et elles se situent déjà à un niveau de revenu variant entre 40 et 55 p. 100 du seuil de la pauvreté. Elles auront pour effet de comprimer encore davantage les soins de santé, ouvrant toute grande la porte à la désassurance, à la privatisation et au développement accéléré d'un système de santé à deux vitesses, une pour les pauvres et une pour les riches. Elles auront comme conséquences de limiter encore davantage le droit à l'éducation, compromettant l'avenir de la jeunesse dans une conjoncture où l'on ne cesse de clamer l'importance d'une main-d'oeuvre hautement qualifiée. Nous ne croyons pas que nous ayons, comme nation, le moyen de nous payer de tels choix politiques qui conduiront une partie encore plus grande de la population à l'exclusion.
[Traduction]
Mme Nadia Rotter (bénévole, projet Genèse): L'impact du projet de loi C-76 sur le régime des soins de santé.
La dévolution du Régime d'assistance publique du Canada (RACP) sonne le glas de soins de santé universels et accessibles à tous. Prétendre le contraire serait priver la population canadienne de son droit à une discussion franche et ouverte.
Des remontrances ou recommandations ne sauraient à elles seules garantir l'application de normes nationales. Une fois que les contributions pécuniaires fédérales seront chose du passé, les cinq grands principes dont s'inspire la Loi canadienne sur la santé le seront eux aussi: l'universalité, l'accessibilité, l'intégralité, la transférabilité et la gestion publique. Les contributions pécuniaires sont le seul outil dont le gouvernement fédéral dispose encore pour s'assurer du respect de normes nationales.
Nous savons par expérience que lorsque le gouvernement fédéral parle de réforme directe, et nous pensons notamment à la réforme Axworthy et aux consultations qui ont suivi, il entend habituellement par là des coupures, des coupures qui ont pour victimes les Canadiens les plus pauvres. Ce que le budget propose aujourd'hui aux Canadiens ne leur plaît pas plus que ce qu'ils ont refusé d'accepter dans le cadre de la réforme Axworthy, d'autant plus qu'ils n'ont pas tellement la chance de dire ce qu'ils pensent ou d'être informés.
Les Canadiens et Canadiennes ont déjà été forcés d'accepter de dures coupures au titre des soins de santé et le système ne peut pas répondre aux besoins des gens que nous rencontrons dans nos locaux chaque jour. Ils sont obligés de payer eux-mêmes leurs médicaments ou de s'en passer s'ils ne sont plus couverts par l'assurance-maladie. Les personnes âgées ont besoin de soins à domicile, secteur dans lequel il y a eu tellement de coupures qu'elles sont obligées d'embaucher des auxiliaires familiales ou de se passer de services. Par conséquent, il arrive souvent qu'elles doivent à nouveau être hospitalisées.
Les personnes âgées qui ont de la difficulté à se déplacer nous téléphonent régulièrement, lorsqu'elles ont rendez-vous chez le médecin, pour que nous leur fournissions un service de transport, service qui est offert par des bénévoles qui sont souvent eux-mêmes des personnes âgées et qui sont loin de pouvoir répondre à la demande, même pour une petite partie de la collectivité. Pourtant, il est de toute évidence plus rentable pour le gouvernement d'offrir des soins adéquats à domicile que d'hospitaliser une personne âgée qui n'arrive plus à faire l'entretien de sa maison, à faire sa lessive ou ses repas.
À Montréal, par suite des coupures du gouvernement provincial dans le secteur des soins de santé, 1 200 lits d'hôpitaux vont disparaître et neuf hôpitaux seront fermés. En revanche, il a proposé d'allouer aux soins de santé un budget de 21 millions de dollars, ce qui représente moins de la moitié de la somme qui, de l'avis du Conseil régional, aurait été nécessaire pour satisfaire à la demande de soins à domicile avant même que soit annoncée la décision concernant les chirurgies d'un jour et la limitation des services hospitaliers. Les hôpitaux vont fermer leurs portes au cours des huit prochains mois, mais aucune mesure concrète n'a encore été prévue pour ce qui est de soins à domicile supplémentaires. À quoi les personnes âgées et celles qui sont malades doivent-elles s'attendre lorsque des changements seront apportés aux paiements de transfert au titre du RAPC en 1996?
Les Canadiens ont beaucoup entendu parler de notre déficit, de notre dette et du fardeau que notre régime d'assurance-maladie et nos programmes sociaux imposent à notre économie. Des efforts considérables ont été faits pour que tous les Canadiens sachent que nous ne pouvons plus financer notre Régime d'assurance-maladie.
Pourtant, l'impression que nos coûts échappent à tout contrôle n'est pas fondée sur des faits. Les soins de santé coûtent en moyenne 1 500$ par habitant au Québec par comparaison à 2 000$ par personne en France. Le Régime de soins de santé du Canada est moins coûteux que celui des États-Unis, et ce malgré le fait que plus de 37 millions d'Américains n'ont pas d'assurance-maladie. Les États-Unis, à qui notre gouvernement ne cesse de se comparer, sont l'un des pays les plus riches au monde, mais ils ont l'un des dossiers les moins reluisants à en juger d'après toutes les mesures internationales de normes sociales. Voulons-nous nous en inspirer comme modèle?
Nous sommes ici pour vous dire que les Canadiens ne veulent pas d'un style de vie à l'américaine. Nous ne sommes pas d'accord pour dire que nous n'avons pas le choix. Les coûts de nos soins de santé ne sont pas exorbitants. Au Québec, ces coûts n'ont pas augmenté plus rapidement que le taux de croissance du PIB depuis de nombreuses années. De manière générale, nos programmes sociaux n'ont contribué qu'à une augmentation de 6 p. 100 de la dette depuis 1975.
De véritables réformes sont nécessaires, mais cela n'est pas synonyme de coupures. Cela signifie des réformes destinées à améliorer notre système, à réduire le gaspillage, à s'assurer que nos aînés reçoivent des services de soins à domicile adéquats, à élaborer et à financer des solutions de rechange, pour que les soins hospitaliers qui coûtent cher deviennent moins nécessaires, et à investir dans les programmes de prévention au lieu de tout éliminer sauf les services d'urgence.
Au Canada, les soins de santé tombent dans le champ de compétence des deux paliers de gouvernement. Le gouvernement fédéral a un autre rôle critique à jouer, celui de s'assurer que l'on élabore et que l'on respecte des normes nationales. Se décharger de cette responsabilité en permettant aux provinces de contrôler toutes les contributions fédérales équivaut à dire aux Canadiens que ces normes ne sont plus considérées comme une priorité dans notre pays.
La réputation du Canada dans le monde est due essentiellement à la rectitude de ses programmes sociaux et à l'accessibilité des soins de santé et de l'éducation; et ce sont ces programmes que l'on se propose maintenant d'amputer. On nous demande d'accepter plus que de simples coupures. C'est à une nouvelle notion de la responsabilité que nous sommes confrontés alors que le gouvernement rejette les siennes sur la collectivité. La façon dont le gouvernement envisage les choses ne fait pas l'unanimité, et cela signifie des responsabilités accrues et des missions différentes pour le secteur du bénévolat, des responsabilités accrues pour les familles, notamment les femmes, qui vont devoir aider ceux qui sont dans le besoin: les pauvres, les malades. Peut-être les gouvernements n'ont-ils pas remarqué à quel point nos collectivités et nos familles ont changé au cours des 50 dernières années, ce qui fait que ces solutions ne peuvent pas marcher.
Pauvreté et mauvaise santé vont de pair. En réduisant le financement de nos programmes sociaux, le gouvernement fédéral va être responsable de l'accroissement de la pauvreté et va grever davantage notre système de soins de santé. Va-t-il réagir en imposant tout simplement d'autres coupures?
En discutant du budget avec les gens qui vivent au sein de nos collectivités, nous nous sommes aperçus que la plupat des Canadiens ne se rendaient pas compte de l'impact direct que les coupures budgétaires allaient avoir sur eux. Pour la plupart des gens, des expressions comme «Régime d'assistance publique», «points d'impôt» et «transferts aux provinces» ne veulent rien dire.
Nous vous demandons instamment, à vous qui êtes nos représentants élus, de dire franchement quelles sont les mesures que l'on envisage. Au lieu de parler d'un nouveau transfert en matière de programmes sociaux, dites précisément aux gens ce que signifie le transfert des responsabilités du gouvernement fédéral aux gouvernements provinciaux et permettez-leur de donner leur avis. Si l'on envisage de démanteler la politique nationale sur les soins de santé, la population devrait au moins avoir une chance de donner son avis, ne pensez-vous pas?
[Français]
Mme Lacelle: Finalement, vivre selon nos moyens. Il ne fait nul doute dans notre esprit que l'intention réelle du gouvernement n'est pas de moderniser, soi-disant, nos programmes sociaux, pour reprendre l'euphémisme de M. Axworthy. Il est bien question de réduire les dépenses des programmes servant aux plus pauvres sous prétexte que nous n'avons pas le choix. Nous nous inscrivons en faux contre une telle affirmation. Nous avons d'autres choix.
[Traduction]
Si le gouvernement veut sérieusement s'attaquer au déficit, nous estimons qu'il y a beaucoup de choses à faire dans d'autres secteurs. A notre avis, la première cause du déficit a été la chute des recettes gouvernementales, due en partie à des lacunes du système fiscal, ainsi qu'aux taux d'intérêt.
[Français]
Qu'il nous soit permis de questionner le choix douteux de la Banque du Canada qui, sous prétexte de lutter contre on ne sait quelle inflation, a maintenu des taux d'intérêt exagérément élevés, contribuant ainsi à gonfler nos paiements d'intérêts sur la dette. Qu'il nous soit permis également de demander pourquoi la proportion de la dette appartenant d'une part à la Banque du Canada et d'autre part aux particuliers a tant diminué au profit des banques à charte, dont on fait la fortune, et des marchés étrangers. Cela nous apparaît comme une politique à courte vue plutôt coûteuse.
Par ailleurs, il nous semble qu'il eût été possible de renflouer les caisses de l'État de façon plus importante si l'abolition de l'exemption sur les gains en capital avait été immédiate l'an dernier, et non progressive sur plusieurs années, et si elle avait été complète plutôt que partielle. De la même façon, on reste songeurs devant le délai accordé jusqu'en 1999 aux riches particuliers avant d'abolir les fiducies familiales. Nous pourrions, dans la même veine, vous citer des dizaines d'exemples issus, pour la plupart, des rapports annuels du vérificateur général, qui mettent en lumière que le gouvernement se prive scandaleusement de revenus au profit des grandes corporations et des particuliers les mieux nantis, alors qu'il n'hésite pas à sabrer dramatiquement dans les programmes sociaux qui profitent à tous et à toutes et en particulier aux gens à revenu modeste ou moyen.
Je vous remercie.
Le président: Merci beaucoup. Monsieur Loubier, s'il vous plaît.
M. Loubier (Saint-Hyacinthe - Bagot): Bienvenue, mesdames et monsieur, au Comité des finances.
Je n'ai pas de question particulière, mais un commentaire sur ce que j'ai entendu. Je suis tout à fait d'accord sur votre analyse. Il y a d'autres façons de s'occuper des finances publiques et d'en assurer un contrôle à long terme. Je ne veux pas faire de partisanerie aujourd'hui, mais je dois dire que l'on répète au gouvernement depuis un an et demi qu'il y a des solutions pour régler les finances publiques, entre autres une révision complète de la fiscalité fédérale.
Il est impensable que nous soyons, parmi les pays développés, celui qui ait le moins révisé sa fiscalité et celui qui ait le moins modernisé cette fiscalité, étant donné les besoins actuels et l'émergence de l'économie au noir. À ce sujet, je vous dirais que nous talonnons le gouvernement depuis que nous sommes ici.
L'autre aspect intéressant de votre mémoire est celui où l'on parle des échappatoires fiscales et des fiducies familiales. C'est un peu de l'hypocrisie, vous en conviendrez, que de dire qu'on répond aux critiques de l'opposition et de la population en général qui demandent l'abolition de ces fiducies, alors qu'on attend 1999 pour le faire. On avertit le voleur deux ans à l'avance que la police va arriver.
Je vous dirai donc que je vous appuie totalement dans votre analyse et dans les solutions de rechange que vous présentez. Je vous encouragerais même à dire un peu plus fort encore au gouvernement qu'il serait peut-être temps de revoir tout cela au lieu de faire payer les plus démunis, les malades et les personnes du troisième âge. Il y a peut-être des gens au Québec et au Canada qui ne paient pas leur juste part d'impôt alors qu'ils devraient le faire.
C'étaient là les commentaires que je voulais faire, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président: Monsieur Pillitteri, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Pillitteri: Oui. Je ne vais pas poser la question à M. Loubier, je vais plutôt m'adresser aux personnes qui ont fait l'exposé.
En ce qui concerne le financement en bloc proposé dans le projet de loi C-76, le seul changement se trouve à la rubrique assistance sociale, au point disant qu'aucun critère de résidence ne doit être imposé. Les cinq autres points de la Loi sur la santé demeurent. Si les coupures au Québec vont plus loin, c'est strictement...vous savez ce que c'est: il faut couper tant à tel niveau. Cela n'a rien à voir avec les coupures qui affectent le transfert. C'est parce que le gouvernement du Québec a choisi d'imposer des coupures plus profondes que celles qui découlent du transfert proposé.
Dans votre exposé, vous utilisez comme exemple des coupures qui ont déjà été faites, non celles que l'on va faire. Ce projet de loi traite uniquement de celles que l'on va faire. Vous vous reportez à ce qui est arrivé dans le passé. Je me demande si les Québécois ont choisi Ottawa à cause du côté politique...mais non, ils ont choisi un autre moyen, voter oui à n'importe quel prix.
Je me demande s'il existe dans la Loi actuelle sur la santé des dispositions qui représentent quelque chose pour les Québécois. Ce n'est pas à vous de répondre. C'est éventuellement quelque chose avec quoi vous devez vivre. Comment pouvez-vous dire que ces changements auraient en ce moment des effets aussi dévastateurs?
Il y a très peu de changement. On ne trouve rien en ce qui concerne le transfert au titre de l'éducation postsecondaire et rien sous la rubrique aide sociale. Les cinq principes de la Loi sur la santé sont bel et bien maintenus. Il n'y a rien en fait de changement sauf que l'on donne aux provinces, en particulier au Québec, la possibilité de contrôler leur propre avenir. On leur a donné encore plus de latitude pour faire ce qu'elles veulent dans le secteur de l'aide sociale et de l'éducation postsecondaire. D'après ce que je crois comprendre, aucune province n'a vraiment dit qu'elle était contre les changements. En réalité, les provinces sont favorables à ces changements.
Quelle réponse avez-vous à donner?
Mme Lacelle: J'aimerais répondre à certains des points que vous avez soulevés.
[Français]
Premièrement, vous dites que ce qu'on expose dans notre mémoire tient des choix du gouvernement du Québec. C'est un fait. On a voulu démontrer que, compte tenu de la situation actuelle, les coupures de 7,5 milliards de dollars à venir au cours des prochaines années vont avoir un impact dramatique sur les gens. La situation est déjà noire. Chaque cent de coupure accroîtra la pauvreté et les problèmes sociaux de toutes sortes. C'est ce qu'on voulait démontrer.
Le débat n'est pas de savoir si le Québec serait mieux ou non s'il était seul et avait ses propres impôts. Tel n'est pas le point qu'on veut faire ressortir. On voulait simplement dire que les coupures à venir et celles qui ont déjà été imposées dans les derniers budgets du gouvernement fédéral, que ce soit ceux du gouvernement libéral ou ceux du précédent gouvernement conservateur, dans le domaine de l'assurance-chômage et dans l'ensemble des programmes sociaux ont fait mal au Québec et ailleurs au Canada. D'après nous, on est dans une situation où toute autre coupure nous ferait franchir la ligne qu'on ne peut pas se permettre de franchir.
Deuxièmement, vous dites que le projet de loi C-76 apporte très peu de changements. Ce n'est pas vrai. On trouve deux choses dans le discours du Budget qui a été livré par M. Paul Martin au mois de février. Parlant du transfert social canadien, M. Martin nous assure que les cinq principes de la Loi canadienne sur la santé seront maintenus. Nous voulons bien qu'ils soient maintenus.
Le président: C'est vrai.
Mme Lacelle: Cependant, dans la mesure où le gouvernemnt fédéral a l'intention de réduire continuellement sa contribution financière aux provinces, quelle arme lui restera-t-il pour faire en sorte que ces cinq principes soient respectés? Nous pensons que sans contribution financière directe, on fait face à des voeux pieux.
En ce qui concerne les programmes de sécurité du revenu, M. Martin a affirmé qu'on maintiendrait l'obligation de ne pas imposer les critères de résidence qu'on avait dans le RAPC, mais les autres critères disparaîtront, soit un revenu en fonction des besoins de la personne, l'interdiction du bénévolat forcé, ou du workshare comme on l'appelle, faire en sorte qu'on ait droit à un revenu, peu importe la notion du besoin, etc. Ces principes qui étaient contenus dans le RAPC vont disparaître. On s'est engagé à n'en garder qu'un sur cinq, ce qui nous semble très dangereux.
[Traduction]
Mme Rotter: J'aimerais ajouter que ce qui nous effraie dans le financement global, c'est que les sommes allouées aux provinces ne sont pas aussi importantes qu'elles l'étaient. Chaque province aura le droit de disposer de cet argent comme elle l'entend. Le système ne sera pas le même d'une province à l'autre. Cela est très dangereux car le Régime de santé du Canada était censé assurer un accès égal à toutes les provinces. Toutefois, si les provinces reçoivent un financement en bloc, elles pourront chacune disposer de ces fonds comme elles l'entendent. On crée là un précédent dangereux.
M. Pillitteri: Aujourd'hui, dans les conditions qui s'appliquent à l'heure actuelle, il n'y a pas de normes en matière d'aide sociale qui s'appliquent dans tout le Canada. Cela varie d'une province à l'autre. De fait, cela change d'une région à l'autre. Par conséquent, il faut compter avec les pressions exercées par les Québécois, ou par la population de quelque province canadienne que ce soit... les pressions exercées sur le système; sur le gouvernement en place.
Ce qui se passe ici, en Ontario, illustre bien cela puisque la contribution du gouvernement fédéral à l'aide sociale ne s'élève qu'à 29c. par dollar, et pourtant c'est la contribution la plus élevée dans tout le pays. Cela signifie que la province a veillé à réserver à l'aide sociale davantage de fonds que tout autre province canadienne. Cela n'est pas dû au fait que les normes sont élevées.
Pour ce qui est de l'égalité des contributions en matière d'aide sociale, le Nouveau-Brunswick est la province dont l'apport est le moins élevé puisqu'il se situe à environ 3 000$ par personne, alors qu'à l'Île-du-Prince-Édouard, c'est tout à fait le contraire. Dans l'état actuel des choses, il n'y a donc pas de normes nationales.
Ce financement en bloc... comme je l'ai dit, la province de l'Ontario agit presque comme si elle recevait un financement en bloc. Je ne vois pas en quoi cette mesure peut avoir des retombées vraiment négatives. Je ne crains pas la réaction des provinces autant que vous - à moins que ce que vous craignez ce soit la situation politique dans cette province.
Mme Rotter: Il y a, par exemple, le cas de l'Alberta.
Mme Lacelle: Vous avez raison de dire qu'actuellement, la situation n'est pas la même d'une province à l'autre. Ce que nous voulions souligner c'est que, pour moi, certains droits fondamentaux découlant du RAPC sont encore garantis d'un océan à l'autre; des droits qui assurent un revenu minimum, quelle que soit la raison pour laquelle les gens en ont besoin. Vous avez droit à ce revenu sans être obligé de faire un travail quelconque, d'entreprendre des études ou de suivre des programmes qui, d'après notre expérience, ne sont d'aucun secours.
Il s'agit de droits fondamentaux qui n'ont rien à voir avec le fait que les prestations peuvent être plus ou moins élevées d'une province à l'autre. Nous tenons à souligner que ces droits fondamentaux ont pour nous beaucoup d'importance.
M. Pillitteri: C'est la même chose en ce qui concerne l'éducation postsecondaire. Les provinces obtiennent des paiements de transfert mais ne sont pas tenues de dépenser l'argent dans ce secteur. Nous pouvons citer des exemples. De fait, je pourrais dire que la seule province qui se montre plus honnête, dans un sens, et qui consacre bel et bien cet argent à l'éducation postsecondaire, est la province de Québec. Les autres provinces ne dépensent pas les sommes qui leur sont versées à ce titre pour financer l'éducation postsecondaire. À l'heure actuelle, sauf en ce qui concerne les soins de santé, c'est la seule province qui respecte vraiment les cinq conditions; et c'est une contribution comparable à un financement en bloc.
Mme Rotter: La question des soins de santé, de l'assurance-maladie, nous préoccupe car, tant que le gouvernement finançait le régime public d'assurance-maladie, il avait la possibilité de retenir des fonds au cas où une province ne respectait pas les cinq principes. Cependant, dans le cas d'un transfert en bloc, le gouvernement n'a plus le pouvoir de retenir des fonds sur sa contribution au régime d'assurance-maladie, car il ne sait pas à quoi l'argent est consacré.
La province de l'Alberta essaie déjà d'instaurer un système à deux paliers qui permet, par exemple, à certaines personnes de se faire hospitaliser dans une clinique privée. Cela va à l'encontre...
M. Pillitteri: C'est ce qu'ils essaient de faire. Cela n'est pas encore fait. Ils essaient.
Mme Rotter: Ils essaient. C'est déjà quelque chose.
M. Pillitteri: Le système reste protégé en vertu de la Loi canadienne sur la santé; et il continuera de l'être si ce projet de loi est adopté.
Mme Rotter: Selon nous, c'est dangereux.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Pillitteri.
[Français]
Nous partageons votre appréhension concernant le manque d'argent du gouvernement fédéral.
[Traduction]
Nous avons déjà déclaré qu'à notre avis, le gouvernement devait maintenir une contribution financière suffisante pour assurer le respect des normes dont vous avez parlé. Je ne pense donc pas qu'en ce qui nous concerne, cela doive vous préoccuper.
Je pense qu'il y a une chose dans votre mémoire qui nous serait fort utile de développer, ce sont les solutions de rechange que vous proposez. Vous avez dit que l'on devrait accroître la portion de la dette dont la Banque du Canada est responsable. Comment faut-il procéder pour y parvenir? Pouvez-vous nous expliquer cela?
Mme Lacelle: Je ne sais pas comment l'on procède pour parvenir à cela. Nous avons déjà écrit à M. Martin pour lui demander pourquoi cette partie....
[Français]
Le président: Je peux vous l'expliquer. On peut imprimer de l'argent. On peut s'en servir pour acheter nos dettes, comme l'ont fait, il y a 20 ans, tous les pays en voie de développement, notamment l'Argentine et le Brésil, où le taux d'inflation a augmenté énormément. S'il était aussi facile d'éliminer les dettes nationales, tous les pays du monde feraient imprimer de l'argent et supprimeraient toutes leurs dettes.
Vous nous avez très bien expliqué ce que vous faites pour les gens de votre circonscription et de votre ville. Vous nous avez aussi très bien expliqué le problème des coupures et la manière dont celles-ci toucheront les gens que vous devez servir. Pour le travail que vous faites, nous vous sommes tous très reconnaissants. Merci pour votre comparution devant nous et bonne chance.
Nous faisons maintenant une petite pause.
Pause
[Traduction]
Le président: Le groupe que nous accueillons maintenant représente Campagne 2000. Il y a Rosemarie Pophan, la coordonnatrice, Mary Pat MacKinnon du Groupe de défence des enfants pauvres, et Kristin Underwood de l'Institut canadien de la santé infantile.
Je vous prie de m'excuser d'avoir retardé votre présentation; nous sommes toutefois impatients de vous entendre. Merci beaucoup.
Je vous défends de dire quoi que ce soit sur ce qui s'est passé entre vous et moi lorsque nous étions ensemble à l'école secondaire.
Mme Rosemarie Pophan (coordonnatrice, Campagne 2000): Promis.
Le président: Ou encore, ce qui serait encore pire... ce qui ne s'est passé.
Mme Pophan: Promis.
Je crois savoir que Campagne 2000 est le dernier groupe qui comparaît. Je ne me trompe pas?
Le président: Non, nous allons siéger ce soir jusqu'à plus de 22 heures.
Mme Pophan: Nous allons respecter les délais qui nous sont impartis. Au cours des quatre dernières années, nous avons toutes trois fait des exposés à divers comités sur la pauvreté parmi les enfants et je pense, personnellement, que la situation n'a jamais été aussi urgente. Tout en reconnaissant la complexité de la tâche qui vous a été confiée et la gravité du déficit, nous sommes ici aujourd'hui pour vous demander de faire en sorte que le gouvernement fédéral n'abandonne pas son rôle de chef de file dans la lutte contre la pauvreté des enfants.
Comme un certain nombre d'entre vous le savent, Campagne 2000 est un organisme non partisan qui regroupe 50 associations partenaires; nous opérons dans tout le Canada et nous nous sommes engagés à assurer la mise en oeuvre de la résolution adoptée en 1989 par tous les partis, laquelle était de parvenir à éliminer la pauvreté des enfants d'ici à l'an 2000. Depuis que vous avez été élus, Campagne 2000 vous a rappelé cet engagement et vous a fait parvenir le relevé de notes que l'organisation établit tous les ans ainsi qu'une copie du document intitulé Investing in the Next Generation: Policy Perspectives on Children and Nationhood, le schéma directeur des mesures qui, à notre avis, devraient être prises au niveau fédéral pour soutenir les familles qui ont des enfants.
J'aimerais vous rappeler ce qui s'est passé il y a un an aujourd'hui, un événement qui nous a beaucoup encouragés: le gouvernement libéral a déclaré qu'un des objectifs-clés de la réforme de la sécurité sociale était de réduire la pauvreté des enfants. Le document publié par M. Axworthy pour compléter son Livre vert fait la liste d'un petit nombre de conséquences de la pauvreté chez les enfants: la mortalité infantile est deux fois plus élevée dans les quartiers pauvres qu'ailleurs; les enfants pauvres courent plus de risques de mourir de blessures que les autres, et c'est donc une question de vie ou de mort; les enfants pauvres courent plus de risques que les autres de souffrir de problèmes de santé chroniques; et les enfants pauvres courent plus de risques d'être victimes de maladies psychiatriques, ils réussissent moins bien à l'école et n'ont pas les aptitudes requises pour s'intégrer dans la société.
Et la liste ne s'arrête pas là. Les conséquences vont encore plus loin et sont encore plus graves. Nous avons apporté des copies d'un relevé de notes établis en 1994, au cas où vous auriez perdu celui que nous vous avons transmis auparavant; c'est un rapport bien documenté et extrêmement inquiétant sur 1,5 million d'enfants pauvres, un chiffre qui représente une augmentation de 53 p. 100 depuis 1989.
Il est aujourd'hui évident que c'est ce comité qui est en réalité responsable de la réforme de la sécurité sociale au Canada. Si l'objectif du gouvernement est toujours de réduire la pauvreté des enfants, il faut alors que ce Comité parvienne à apporter une réponse à cinq questions que nous voulons vous poser. Si le gouvernement n'a plus pour objectif de mettre un terme à la pauvreté des enfants ni de réduire cette pauvreté, alors, il faut que les Canadiens le sachent.
À notre avis, le Comité des finances, au nom des enfants du Canada, doit se poser cinq questions à propos du projet de loi C-76: 1) les enfants sont-ils une priorité pour le gournement fédéral; 2) quelle sera l'incidence de ce projet de loi sur les familles et les enfants, notamment les familles à revenus faibles ou modestes; 3) les Canadiens veulent-ils que le gouvernement fédéral prenne la tête de la lutte contre la pauvreté des enfants; 4) que peut faire le gouvernemnt fédéral pour lutter contre la pauvreté des enfants; et 5) que peut faire le Comité des finances en faveur des familles à revenus faibles et modestes qui ont des enfants?
Commençons par la première question: les enfants sont-ils une priorité pour le gouvernement fédéral? On peut déterminer quelles sont les priorités d'un pays en examinant la façon dont il dépense l'argent dont il dispose. Le rapport mondial sur le développement humain publié en 1993 par les Nations unies accordait au Canada la deuxième place pour sa contribution en ce domaine. C'était un bon point. Mais lorsqu'on tenait compte du taux de pauvreté parmi les enfants, le Canada tombait à la septième place. Il était facile d'expliquer cela: nous dépensions moins que les autres pays industrialisés dans le secteur de la sécurité sociale et des programmes destinés aux familles et aux enfants.
Dans une étude effectuée en 1994 et portant sur 20 pays, le Canada est arrivé au 16e rang en ce qui concerne les dépenses allouées à la Sécurité du revenu exprimées en pourcentage du PIB. Lorsque nous avons vu, dans le Budget de 1995, que le gouvernement s'engageait à ramener au niveau de 1951, le pourcentage des dépenses publiques par rapport au PIB, cela nous a beaucoup inquiétés.
Les préoccupations concernant le déficit ont maintenant fait passer à l'arrière-plan l'engagement déjà fragile vis-à-vis le financement des familles et des enfants. Comme Mary Pat et moi-même allons le démontrer dans notre exposé, ainsi que Kristin lorsqu'elle répondra à vos questions, le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux anéantit tout espoir que le gouvernement fédéral accorde une quelconque priorité aux enfants, étant donné que c'est le déficit qui est devenu la seule priorité du Canada.
Mme Mary Pat MacKinnon (groupe de défense des enfants pauvres, Campagne 2000): La deuxième question est la suivante: Quel sera l'impact du projet de loi C-76 sur les familles qui ont des enfants, particulièrement les familles à faible et modeste revenu? Nous estimons que le projet de loi C-76 indique que le gouvernement fédéral ne tient plus à jouer un rôle de premier plan dans le secteur des services destinés aux enfants.
La pauvreté des enfants et l'instabilité dont souffrent les familles sont des problèmes nationaux qui exigent des solutions nationales. Le gouvernement fédéral devrait être le premier parmi les pouvoirs publics à se charger de contribuer à la sécurité du revenu des familles qui ont des enfants, comme il le fait dans le cas des personnes âgées. Toutefois, le projet de loi C-76 élimine la plupart des stratégies de premier plan dont le but est de fournir un soutien à l'échelle nationale pour les familles qui ont des enfants.
Le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux est une mesure qui va tout à fait à l'encontre des recommandations formulées par Campagne 2000; en effet, par le biais de cette mesure, le gouvernement fédéral retire son soutien aux familles à faible et modeste revenus plutôt que de contribuer davantage à assurer la sécurité du revenu des familles qui ont des enfants.
Les deux programmes dont bénéficient ces familles sont la prestation fiscale pour enfants et les services de garde. Le Budget de 1995 porte un coup fatal aux services de garde et ne fait aucunement allusion à la prestation fiscale pour enfants. Le démantellement du RAPC donne une autre preuve du désengagement du gouvernement fédéral vis-à-vis les enfants canadiens. Le RAPC a joué un rôle de premier plan pour assurer un juste partage du revenu, pour prévenir la pauvreté et pour fournir des services sociaux aux familles désavantagées, et pour veiller à ce que tous les enfants aient droit à un soutien financier et social de base.
Même si nous sommes les premières à admettre que le Régime d'assistance publique du Canada n'est pas parfait, il présente toutefois le grand avantage de confirmer les obligations à respecter vis-à-vis tous les enfants et assurer un minimum de services aux enfants canadiens, quelle que soit leur adresse. Le RAPC signifiait que le Canada avait ses enfants à coeur, où qu'ils habitent, qui que soient leurs parents et quelle que soit leur situation économique.
Le projet de loi C-76 enfoncera encore plus profondément dans la pauvreté les enfants qui sont déjà pauvres. Le démantellement du RAPC ainsi que la réduction des dépenses laisseront moins d'argent pour les enfants qui vivent dans la pauvreté. Les deux tiers des enfants pauvres dépendent de l'aide sociale financée par le biais du RAPC. Les enfants des familles pauvres vivent en moyenne, à 8 000$ environ sous le seuil de pauvreté. Ils ne vivent pas au seuil de la pauvreté; ils sont 8 000$ sous le seuil.
Le démantellement du RAPC signifie que les familles à faible et modeste revenus disposeront de moins de services sociaux et d'un soutien moins important; et lorsque nous parlons de familles à «revenu modeste», il s'agit de familles dont le revenu se situe entre 30 000$ et 40 000$. L'importance des services de garde pour les enfants canadiens a été abondamment documentée par les meilleurs experts. Toutefois, on passe souvent rapidement sur les autres services financés par le biais du RAPC. Par exemple, l'aide sociale pour les enfants, le counselling, l'aide ménagère, les refuges pour les femmes et les enfants victimes de violence. Que l'on ne s'y trompe pas, si le gouvernement fédéral retire son soutien au secteur des services sociaux, les âmes charitables ne vont pas se précipiter pour combler le besoin que cela va créer. Cela signifiera que la quantité et la qualité des services destinés aux enfants à faible et modeste revenus qui en ont le plus besoin vont diminuer.
Le projet de loi C-76 porte un coup fatal à la notion de responsabilité collective vis-à-vis les enfants canadiens. À notre avis, tous les Canadiens sont responsables d'assurer des soins adéquats aux enfants et les élus ont la responsabilité de veiller à ce que notre pays s'acquitte de ses engagements vis-à-vis les enfants.
Le Sommet des Nations unies consacré aux enfants en 1990 a confirmé le principe selon lequel les enfants devraient être les premiers à bénéficier des ressources d'un pays quand tout va bien, mais aussi quand tout va mal. Toutefois, le Budget de 1995 va à l'encontre de la tradition de notre pays en ce domaine et, de fait, creuse à fossé entre ceux qui continueront à vivre dans un confort relatif et ceux qui souffriront. Cette stratégie est source de division et se révèlera au bout du compte contre-productive, aussi bien sur le plan économique que sur le plan social.
De nombreux rapports produits par des groupes comme la Banque mondiale et l'OCDE ont signalé la relation entre les écarts de revenu et la baisse de la productivité. Comme l'un de nos collègues l'a remarqué amèrement suite à la publication du Budget, il est bon que les Libéraux consacrent davantage d'argent au maintien de l'ordre public; nous allons en avoir besoin.
Notre collègue découragé a fait allusion aux constatations troublantes du rapport sur la pauvreté dans l'enfance fait par un comité du Sénat et paru en 1989, établissant un lien manifeste entre les risques multiples associés à l'enfance pauvre et l'apparition, chez les adultes, de problèmes sociaux pouvant nécessiter des solutions et des interventions coûteuses.
Le gouvernement de la Nouvelle-Zélande, faisant fi de constatations analogues, a entrepris de sabrer dans les programmes sociaux au cours des années 1980. Aujourd'hui, ce pays est, de tous les pays industrialisés du monde, celui où les taux de suicide et de criminalité violente chez les adolescents sont les plus élevés. De même, le ciblage et l'adoption de politiques répressives en matière d'aide sociale ont engendré une classe marginale permanente aux États-Unis. Avec le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, notre pays semble s'engager dans une voie qui nous fera commettre les mêmes erreurs que ces deux pays.
Le projet de loi C-76 creuse le fossé qui existe entre les enfants pauvres et les autres ainsi qu'entre les enfants des diverses provinces. La disparition du système fédéral encourageant de partage des frais qui existe depuis longtemps et dans le cadre du RAPC ainsi que la concurrence qui s'établira pour le financement des programmes de santé et de l'enseignement postsecondaire venant s'ajouter à des coupes sombres dans les crédits fédéraux font qu'une polarisation accrue est pratiquement inévitable.
Les enfants ne subiront pas tous de la même façon les contrecoups du TCSPS. Les familles prospères continueront à s'adresser au secteur privé pour les services sociaux, l'éducation, les loisirs et la culture. Les enfants de ceux et celles qui se trouvent autour de cette table ne risquent guère de sombrer dans le dénuement.
Les revenus des assistés sociaux varient considérablement d'une province à l'autre. Au Nouveau-Brunswick, le revenu d'une famille monoparentale comprenant un enfant est d'enviroin 195$ par semaine alors qu'en Ontario, il s'élève à 323$ par semaine. La suppression de la responsabilité fédérale dans le domaine de l'aide sociale creusera certainement davantage l'écart qui existe entre les enfants, selon la province où ils vivent. La plate-forme électorale de deux partis ontariens dans le domaine du bien-être social indique qu'ils font la course vers le plus petit dénominateur provincial commun.
En fait, le projet de loi C-76 marquera une régression pour l'enfance dans le domaine de la santé et du bien-être et elle sera surtout marquée chez ceux qui vivent déjà dans la pauvreté. Comme nous l'avons déjà indiqué, la diminution des crédits dans le domaine de l'aide sociale entraînera une recrudescence de la pauvreté. On constate davantage de problèmes de santé chroniques chez les enfants pauvres que chez les autres; ces enfants fréquentent davantage les services d'urgence des hôpitaux et ils sont hospitalisés plus souvent que les autres.
La recrudescence des problèmes de santé chez les enfants pauvres soumettra le système de soins médicaux à des pressions supplémentaires. Si l'on ajoute à cela les compressions budgétaires, les listes d'attente pour les services riquent de s'allonger. Les parents qui ont les moyens de payer pour ces services échapperont certainement à la période d'attente. Par contre, les enfants de petits salariés et de personnes ayant des revenus modiques attendront plus longtemps pour recevoir des services dont ils besoin de toute urgence. Bien que ce ne soit pas l'intention déclarée du projet de loi C-76, il semble inévitable qu'il va engendrer un système à deux niveaux en matière de soins de santé pour les enfants.
Les enfants pauvres ont deux fois plus de chance que les autres d'abandonner l'école. Alors que le TCSPS n'aura pas des répercussions immédiates sur l'enseignement primaire et secondaire, il est évident que, du fait qu'elles recevront moins d'argent, les provinces devront puiser davantage dans la caisse provinciale et que les dépenses dans le domaine de l'éducation seront touchées.
Des histoires horribles concernant les conséquences des compressions dans le documaine de l'éducation annoncent d'ores et déjà l'avènement d'un système à deux niveaux. Il y a environ un mois, 400 aide-enseignants, travailleurs sociaux et psychologues ont été licenciés par le conseil scolaire de Toronto. Les parents qui ont les moyens pourront engager des professeurs particuliers ou s'adresser à des travailleurs sociaux ou à des psychologues du secteur privé. Les parents économiquement faibles et leurs enfants devront probablement se passer de ces services, comme l'indique déjà l'apparition de droits de scolarité pour la maternelle en Alberta.
Mme Pophan: La troisième question que le gouvernement devrait se poser est la suivante: les Canadiens veulent-ils que le gouvernement fédéral prenne la direction de la lutte contre la pauvreté dans l'enfance. La population canadienne est incontestablement préoccupée par ce problème. En outre, les Canadiens chargent le gouvernement fédéral de la responsabilité de s'occuper des enfants pauvres.
D'après un sondage effectué en 1994 par la société Decima, pas moins de 89 p. 100 des Canadiens estiment que c'est un problème prioritaire et que le gouvernement fédéral doit s'en occuper. D'après un sondage effectué en février 1995 par la société Ekos, il est clair que la pauvreté dans l'enfance est un problème auquel les Canadiens accordent beaucoup d'importance. Cette pauvreté, qui occupe la troisième place dans une liste de 25 «priorités pour le gouvernement fédéral», n'est précédée que par les problèmes du déficit et du chômage. Les Canadiens se soucient du sort des enfants pauvres et ils estiment que le gouvernement fédéral devrait s'en occuper.
Il semble que l'on ne soit pas nombreux à avoir réfléchi aux répercussions qu'aura le projet de loi visant à mettre en oeuvre les mesures budgétaires pour les familles avec des enfants. Il est évident que les Canadiens ne comprennent pas que le projet de loi C-76 signifie que le gouvernement fédéral cessera de diriger la lutte contre la pauvreté dans l'enfance.
Il y a un dernier sondage, plus aléatoire, que nous avons effectué avec le concours de Campagne 2000 et de Body Shop Canada pendant la campagne électorale fédérale. Plus de 50 000 Canadiens ont signé des cartes postales dans lesquelles ils pressent le gouvernement fédéral de prendre la responsabilité de supprimer la pauvreté chez les enfants, quel que soit le parti au pouvoir.
Les Canadiens ont indiqué clairement qu'ils veulent que le gouvernement fédéral prenne la direction des opérations. Nous n'arrivons pas à comprendre comment le gouvernement fédéral peut continuer à maintenir les engagements qu'il a pris dans ce domaine tout en envisageant d'adopter une mesure législative qui aurait pour conséquence de supprimer pour ainsi dire l'intervention fédérale dans ce domaine. Nous pensons que les Canadiens auront les mêmes questions que nous à vous poser lorsqu'ils auront compris les conséquences du TCSPS.
La quatrième question concerne ce que le gouvernement fédéral peut faire pour s'attaquer à ce problème. Premièrement, il devrait mettre au point un problème de prestations fiscales pour enfants qui serait la pierre angulaire du système fédéral de sécurité du revenu pour les familles et les enfants. Tous les pays industrialisés reconnaissent d'une façon ou d'une autre les risques et les responsabilités que prennent les parents en élevant des enfants.
Le programme qui existe au Canada s'appelle le crédit d'impôt pour enfants. Comparativement aux programmes en vigueur dans d'autres pays, c'est celui qui représente les prestations les plus faibles pour les familles à revenu moyen. Ce n'est guère mieux en ce qui concerne les familles pauvres. Dans un effort de ciblage, certains changements ont été apportés au système de prestations fiscales pour enfants au cours de la dernière décennie. Du coup, les familles pauvres ont moins reçu en 1994 que ce qu'elles auraient touché si l'on s'était contenté d'indexer en fonction de l'inflation les prestations versées en 1984.
Le fait que le budget ne prévoit aucune indexation et à plus forte raison aucune hausse de ces prestations a beaucoup dérangé Campagne 2000. Nous estimons qu'une telle indexation est nécessaire si le gouvernement veut utiliser de façon responsable le seul mécanisme qui lui reste pour lutter contre la pauvreté dans l'enfance, c'est-à-dire les prestations fiscales pour enfants et le soutien aux familles à revenu modique.
Par ailleurs, le gouvernement fédéral peut honorer sa promesse de créer davantage de places de garderies, qu'il a faite au cours de la campagne électorale. Le fait que cela ne soit plus à son programme nous préoccupe beaucoup. Son retrait d'un autre secteur de soutien critique pour les familles avec des enfants indique de façon indéniable le genre de priorité qu'il accorde aux enfants.
La performance des provinces en la matière est très irrégulière. Sans la présence fédérale incarnée par le système de partage des coûts prévus dans le FAPC, les provinces seront encore moins susceptibles de créer des places de garderie supplémentaires. Le gouvernement fédéral doit tenir la promesse qu'il a faite dans son Livre rouge.
Enfin, le gouvernement fédéral doit instaurer un fonds d'investissement social pour les familles avec des enfants. Je vais vous expliquer ce que nous entendons par là. Le projet de loi C-76 nous montre qu'il faut protéger les enfants contre les conséquences des mesures de réduction du déficit budgétaire. Cela a beau être important, il ne faut pas que cela se fasse à leurs dépens ni à celui des familles à revenu faible ou modique. Il faut que la société prenne à nouveau en charge le bien-être des enfants et il faut les protéger contre les répercussions de la réduction du déficit.
La solution que préconise Campagne 2000 est la création d'un fonds spécial pour les familles avec des enfants qui s'appellerait «Fonds d'investissement social». Le fonds serait alimenté à la fois par les citoyens, les entreprises et les pouvoirs publics, par l'intermédiaire des programmes existants. On peut trouver plus de détails sur ce fonds d'investissement social dans le document intitulé Investing in the Next Generation que nous avons publié en juillet 1994. Un exemplaire de ce document a été remis à tous les députés le jour de la Fête du Canada, c'est-à-dire le 1er juillet 1994.
Mme MacKinnon: La dernière question est la suivante: que peut faire le Comité des finances pour les familles à revenus faibles et moyens ayant des enfants.
Campagne 2000 estime qu'il faudrait une loi établissant un niveau garanti de soutien fédéral pour les programmes sociaux. Je sais que nous ne sommes pas les premiers à émettre ce voeu.
Tel qu'il est prévu, le TCSPS avec sa formule de financement fondée sur un mélange de points d'impôt et de transferts pécuniaires entraînera la disparition des crédits fédéraux pour les services sociaux liés à l'aide sociale, l'enseignement postsecondaire et les soins médicaux, dès l'an 2000 pour le Québec et vers la fin de la première décennie pour les neuf autres provinces. Vous avez entendu des experts éminents vous décrire en détail cette réalité et avancer des arguments éloquents en faveur du maintien des crédits fédéraux.
Le président: Nous sommes de votre avis et nous l'avons annoncé.
Mme MacKinnon: Cela fait du bien à entendre.
Quelle que soit la formule de calcul adoptée par le gouvernement fédéral pour le TCSPS, un nouveau projet de loi ou l'adoption du projet de loi C-76, il est impératif de remplacer la formule actuelle prévue dans le cadre du système de financement des programmes établis par une autre qui garantit un certain niveau de crédits fédéraux pour l'aide sociale et les services correspondants.
Campagne 2000 exorte le Comité des finances à prendre trois initiatives. Premièrement, il faut séparer le TCSPS du projet de loi C-76 et charger un comité composé d'éminents experts d'étudier la question. Deuxièmement, il faut faire en sorte que d'ici l'an 2000, une prestation fiscale améliorée pour enfants devienne la pierre angulaire de la sécurité du revenu pour les familles avec des enfants. Troisièmement, nous recommandons la création d'un fonds d'investissement social pour ces familles.
En bref, les enfants pauvres sont éminemment vulnérables. Tel qu'il est proposé, le TCSPS ne fera qu'accentuer cette vulnérabilité. Nous vous demandons de ne pas perdre de vue cette réalité toute simple mais critique lorsque vous répondrez aux cinq questions que nous vous avons soumises. Comme vous l'avez dit vous-même dans le rapport sur les consultations prébudgétaires que vous avez présentées à la Chambre, «sous prétexte de résoudre nos problèmes financiers, il ne faut pas remplacer la dette monétaire nationale par une dette sociale nationale». Il n'est pas trop tard pour mettre ce principe à exécution.
Mme Pophan: Il y a une quinzaine de mois, le gouvernement s'était engagé à lutter contre la pauvreté chez les enfants. Aujourd'hui, nous vous prions de nous dire comment ce sera possible si le projet de loi C-76 est adopté tel quel.
Le président: Est-ce votre exposé?
Mme Pophan: Ce sont nos questions également.
M. Walker (Winnipeg-Nord-Centre): Merci d'être venu. Le nombre de témoins qui sont venus indique que le transfert social a fait vibrer une corde sensible chez les Canadiens, au sein de groupes d'intérêt comme les vôtres. Nous écoutons très attentivement.
À titre d'éclaircissement avant ma question sur le transfert en espèces, le président a déjà mentionné ce que nous avons dit publiquement, que c'est une question qui nous intéresse beaucoup.
Je signale qu'aucune des mesures prévues dans ces projets de loi ne sera en vigueur pour plus de deux ans. Il n'y est nullement question, de façon directe ou indirecte, que le gouvernement suspende définitivement ces contributions pécuniaires, que ce soit dans un article ou dans le préambule. À titre d'expert en matière de politique sociale, je sais que le désir du gouvernement fédéral de se retirer du jeu est une question qui préoccupe les groupes depuis longtemps. Je ne vois pas les choses ainsi.
La question est de s'assurer dans quelle mesure les provinces font ce qu'il y a à faire et de voir combien de conditions il faut établir. Nous avons commencé par dire que les seules conditions seraient reliées à l'admissibilité et à la mobilité. Nous avons abandonné trois autres critères.
Mise à part la question de paiement en espèces, je voudrais savoir si vous estimez que les provinces ne feront pas ce qu'il y a à faire dans le contexte de l'exécution des services sociaux. Pourriez-vous m'expliquer certaines de vos considérations? Les autres témoins peuvent me reprendre si je me trompe, mais je ne crois pas que depuis la création du RAPC, c'est-à-dire depuis 1966, le gouvernement fédéral ait dû, ne fut-ce qu'une seule fois, refuser d'accorder des fonds à une province pour mauvaise conduite. Je voudrais que vous me donniez des précisions à ce sujet.
N'allez pas mal interpréter ce que je vous dis et n'allez pas croire que je nie l'importance du problème. Au contraire, je comprends son importance. Je voudrais toutefois savoir quelles sont au juste les craintes que ceux qui viennent témoigner ici ont au sujet des provinces.
Mme Pophan: Il est important de situer nos craintes dans leur contexte. Ce n'est pas une question de faire un acte de foi à cet égard. La dure réalité, c'est que quoi qu'elles fassent, les provinces vont devoir se contenter de beaucoup moins d'argent. C'est cela qui nous préoccupe beaucoup et c'est un point sur lequel on n'insistera jamais trop.
Quant aux craintes que nous avons au sujet des provinces, je vous signale, monsieur Walker, que malgré vos affirmations, il est un fait certain que les provinces commencent à moins bien respecter les engagements qu'elles ont pris en matière d'aide sociale, et que certaines d'entre elles refusent d'ores et déjà cette aide dans certains cas.
M. Walker: Cela se fait toutefois dans le cadre du régime actuel.
Mme Pophan: C'est exact. Elles le font malgré les principes en vigueur. Mais il n'y a pas eu de répercussions. L'avantage d'avoir des principes établis, c'est qu'il pourrait y avoir des répercussions si le gouvernement fédéral décidait de les faire appliquer.
Le président: Vous recommandez par conséquent d'établir avec le concours des provinces des principes ayant pour but d'enrayer le problème de la pauvreté chez les enfants.
Mme Pophan: Oui.
Le président: ...principes qui n'existent pas actuellement.
Mme Pophan: Je ne crois pas que nous recommandions de remplacer ceux qui existent déjà. Ceux-ci constituent sans aucun doute un bon point de départ. Nous n'avons pas préconisé de supprimer les principes sur lesquels est fondé le Régime d'assistance du Canada.
Le président: À supposer qu'un certain nombre d'organisation nous aient recommandé d'essayer de les renforcer en faisant de la consultation. Le revers de la médaille, c'est que si l'on n'arrive pas à renforcer les critères par voie de consultation et de consentement mutuel, nous serons obligés de les imposer unilatéralement.
Mme Pophan: L'un de vous a répondu à d'autres témoins que le gouvernement fédéral pourrait imposer des normes unilatéralement. C'est la première fois que j'ai entendu dire cela. C'était très rassurant. Je voudrais que l'on en parle davantage.
Dans notre esprit, on n'adopterait que des principes ou des objectifs approuvés par les provinces.
Mme Stewart (Brant): C'est le gouvernement fédéral qui a lancé l'initiative et qui a encouragé les provinces à apporter certains changements dans le cadre de ses programmes. On s'est habitué au RAPC. Il n'est pas parfait. Nous sommes certainement d'accord tous les deux sur le fait que c'est mieux que ce que l'on avait avant. C'est toutefois le gouvernement fédéral qui, à un certain moment, a décidé de faire davantage.
J'ai de la difficulté à comprendre pourquoi vous voudriez peut-être remettre cela à plus tard alors que ce ne serait plus possible. Vous avez parlé de suppressions de l'aide fédérale, du glas de la responsabilité sociale, de la disparition de la responsabilité fédérale, de la fin de la participation fédérale, vous dites qu'avec ce transfert, le rôle du gouvernement fédéral sera pour ainsi dire réduit à néant. Pourtant, parmi vos recommandations, il y en a une qui préconise l'examen du transfert canadien en matière de programmes sociaux. D'après ce que vous venez de dire, il me semble que la principale préoccupation serait de savoir s'il y aurait une contribution pécuniaire. Il n'est pas spécifiquement question dans le budget qu'il n'y en aura pas mais c'est la conclusion à laquelle vous êtes arrivée, à ce que je peux voir.
Il est toujours possible d'améliorer la prestation fiscale pour enfants. Vous voulez qu'elle soit plus importante alors que rien ne change. Nous avons dit en fait que nous voulions faire quelque chose à ce sujet. Le ministre Axworthy veut discuter avec les provinces d'une éventuelle fusion des systèmes.
Quant au fonds d'investissement social, cela constitue une nouvelle stratégie. D'après vous, le gouvernement peut établir des stratégies différentes durant certaines périodes de son mandat. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi vous faites des commentaires aussi sévères au sujet de la suppression du contrôle fédéral, compte tenu de la recommandation que vous avez faite par la suite.
Mme MacKinnon: Pourrais-je revenir à la question de la diminution des transferts en espèces? C'est une question vraiment critique. Les principaux experts en la matière sont des gens du Caledon Institute of Social Policy. Keith, MM. Banting et Beaudoin ont étudié la question. À la lecture du projet de loi, il est très difficile d'interpréter les choses autrement que comme la volonté implicite d'utiliser la formule du FPE. Ce n'est pas une simple supposition; c'est un fait. Qu'est-ce qui viendra combler ce vide par la suite?
Ce n'est pas une question d'ordre purement technique ou financier. Il s'agit de décider quel rôle le gouvernement fédéral continue à se donner dans le cadre du programme qui constituait un programme de dernier recours vers lequel on pouvait se tourner quand plus rien n'allait, quand on ne pouvait plus obtenir des prestations de chômage.
C'était leur seul recours. C'était un programme très important quand il a été instauré, c'est-à-dire dans les années 1960. Ce n'est pas une mince affaire de le supprimer. Par conséquent il faut bien comprendre que cela nous préoccupe beaucoup. C'est en effet la première fois que j'entends dire que vous vouliez trouver une autre solution.
Nous voudrions savoir ce que vous pensez. Quelle clause d'indexation va-t-on utiliser pour les transferts fédéraux? Va-t-on se baser sur le PIB, sur la croissance démographique provinciale? À quoi pensez-vous? C'est à notre tour de vous poser la question. Qu'est-ce qui nous garantit dans vos propos que le gouvernement fédéral continuera à assurer en permanence aux familles avec des enfants une sécurité du revenu telle que l'on sera certain qu'elle n'est pas disparue. Il n'y a rien qui nous permette d'être rassuré à cet égard.
Il ne faut pas oublier que cela représente une réduction de 7 millions de dollars. J'ai parlé à de hauts fonctionnaires du gouvernement ontarien qui font de la réforme de l'aide sociale depuis les années 1980. L'un d'entre eux m'a dit que lorsque le TCSPS sera en vigueur, il entamera des discussions sur les programmes de santé et l'éducation, et la réforme de l'aide sociale que l'on essaie de faire deviendra un couperet. Il faudra sabrer dans les dépenses. C'est aussi simple que cela. On réduira le montant des prestations.
Le monsieur qui était là tout à l'heure a demandé comment il se fait que les sommes consacrées à l'aide sociale par le gouvernement de l'Ontario ont augmenté au moment où l'on a imposé un plafond au RAPC. Ce que l'on n'a pas dit et qu'il faut dire, c'est que l'Ontario s'est engagée dans une réforme de l'aide sociale visant à soustraire les enfants à cette aide et à créer, si vous voulez, l'équivalent ontarien de prestation fiscale pour enfants en envisageant la possibilité de la combiner avec celle du gouvernement fédéral. Le plafond imposé sur le RAPC a fait avorter cette initiative. Le gouvernement de l'Ontario n'avait pas les ressources financières nécessaires pour mettre son porojet à exécution.
Mme Stewart: Merci.
Le président: Vous avez fait un plaidoyer très éloquent en faveur des gens qui ont besoin de notre aide. Il n'y a rien qui nous touche plus que les enfants. Vous nous avez lancé un véritable défi, à savoir comment concilier les deux dans le cadre de compressions budgétaires qui sont absolument nécessaires si l'on veut arriver à équilibrer le budget, à réduire le déficit, alors que ces compressions font peser une très lourde menace sur tous nos programmes sociaux. Il ne faut pas oublier qu'il va nous falloir 50 milliards de dollars par an au lieu de 40 milliards, rien que pour payer les intérêts sur la dette et qu'il va falloir supprimer ce déficit avant de pouvoir commencer à réduire la dette. Vous faites un plaidoyer très enflammé et très éloquent en faveur de la protection de l'enfance. J'espère que nous arriverons à trouver une formule qui laisse cette porte ouverte et que les dirigeants, à tous les paliers de gouvernement, à relever ce défi ensemble.
Au nom de tous mes collègues, je tiens à vous remercier infiniment pour votre excellent exposé.
Mme Pophan: Serait-il possible de revenir à une des questions qui avait été posée?
Le président: Bien sûr.
Mme Pophan: On nous a demandé si l'on craignait que les gouvernements provinciaux ne fassent pas ce qu'il y a à faire. Nous sommes venues témoigner aujourd'hui parce que c'est vous qui avez la responsabilité en ce qui concerne les initiatives du gouvernement fédéral. Comme je l'ai déjà dit, c'était très rassurant d'entendre parler de la possibilité que le gouvernement fédéral impose unilatéralement des normes si les négociations avec les provinces n'aboutissent à rien. Y a-t-il quelqu'un qui pourrait nous donner quelques détails à ce sujet et nous dire comment on pourrait procéder ou s'il existe déjà un plan, et qui pourrait nous dire, qui, dans ce cas, en est responsable?
Le président: Il n'existe pas de plan à ma connaissance. Tout ce que je peux vous dire en toute sincérité, c'est que M. Axworthy a été chargé d'étudier chacun de ces programmes avec ses homologues provinciaux. C'est indiqué dans le projet de loi.
Mme Pophan: Nous savons. Nous nous sommes rencontrés.
Le président: Il est à mon avis absolument essentiel que vous fassiez connaître vos opinions à M. Axworthy et à ses homologues provinciaux. Si nous pouvons vous faciliter la tâche, nous le ferons et nous sommes également disposés à dire à M. Axworthy que vous avez des choses d'une importance capitale à lui dire.
Mme Pophan: C'est une offre fantastique. En effet, ce serait formidable que vous jouiez le rôle de facilitateur dans le domaine de la politique sociale. J'aimerais continuer sur ce sujet et voir...
C'est manifestement un des problèmes qui se posent. Vous élaborez la politique sociale. Monsieur Axworthy est parfaitement conscient de nos inquiétudes et il nous a dit que ce sont les provinces qui décideront s'il y aura des principes ou des objectifs. Aussi, j'aimerais beaucoup...
Le président: Ce n'est pas parce que nous sommes le Comité des finances que nous sommes sans coeur. Cela ne veut pas dire que nous sommes en politique parce que nous ne nous préoccupons pas des gens qui ont le plus besoin de notre aide.
Mme Pophan: Ce n'est pas ce que j'insinuais. Je voulais tout simplement vous parler de l'offre de faciliter les choses d'une façon ou d'une autre.
Le président: Absolument. Je le ferai bien volontiers. Nous sommes tous disposés à vous aider.
M. Walker: Une autre question sur laquelle nous aimerions connaître votre avis, c'est celle de la part qu'il conviendrait d'accorder dans le cadre du transfert aux allocations par habitant et celle qu'il faudrait accorder aux allocations théoriques traditionnelles qui a trait aux provinces. Comment faudrait-il d'après vous définir la notion de besoin dans ce contexte? Je dirais que pour le moment, le gouvernement n'a pas encore la moindre idée de ce qu'il faut faire.
Mme Pophan: Nous accepterions bien volontiers de revenir pour en discuter.
M. Walker: Merci.
Mme Stewart: Je voudrais obtenir une dernière précision. Nous sommes le Comité des finances. Ce projet de loi établit un cadre budgétaire, un cadre financier. Mais cela ne s'arrête pas là, ce n'est qu'un début.
Il n'y a pas eu un programme qui ait été vraiment efficace. Le programme actuel constitue certainement une amélioration par rapport à ce qu'il existait dans les années 1960. Il faut toutefois trouver mieux. Il faut trouver un nouveau moyen de traiter qui soit fondé sur le consentement mutuel et qui nous rende solidaires.
Je crois que ce sont vos propos que je trouve frustrants. Vous insinuez en fait que c'est le coup de grâce. Je crois qu'il faut décider de considérer cela comme un renouveau et édifier une nouvelle série de programmes. Cela peut paraître frustrant et inquiétant, mais il y a des possibilités.
Mme MacKinnon: Sauf votre respect, j'estime que le problème est dû en partie au fait que nous avions tous entamé un processus de réforme de la sécurité sociale.
Mme Stewart: Ne croyez pas que le gouvernement n'en tienne plus compte.
Mme MacKinnon: D'accord, mais nous avons entamé ce processus, et maintenant tous nos projets tombent à l'eau à cause d'un budget qui, vous devez bien tous l'admettre, est pas mal dur.
Mme Stewart: Absolument.
Mme MacKinnon: On a en effet retiré 7 milliards de dollars d'une enveloppe. Ce sont des réalités.
Vous avez beau dire que l'on peut tous admettre qu'il y aurait un moyen d'améliorer les programmes sociaux et qu'il existe beaucoup de possibilités, que l'on a encore beaucoup de marge de manoeuvre. Il reste qu'en fin de compte, on est confronté à des réalités très dures qui découlent de ce budget.
Je suppose que si nous sommes là aujourd'hui, c'est pour essayer d'influencer les recommandations que vous ferez dans votre rapport à la Chambre.
Le président: Vous nous avez influencés. Je peux vous l'assurer.
Je vous remercie au nom de tous mes collègues.
La séance est suspendue jusqu'à 20 heures.
PAUSE
Le président: La séance est ouverte. Nous poursuivons notre examen du projet de loi C-76, loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposées au Parlement le 27 février 1995.
Nous accueillons aujourd'hui l'Union des pêcheurs des Maritimes, représentée par son secrétaire exécutif, Michael Bellibeau, et son secrétaire trésorier, Graeme Gawn. Merci à vous deux, messieurs, d'être venus. Nous sommes prêts à vous écouter.
M. Michael Belliveau (secrétaire exécutif, Union des pêcheurs des Maritimes): Merci de nous avoir invités, monsieur le président. Il faut dire qu'on nous a en quelque sorte pris par surprise. Nous avons déjà comparu devant des comités de la Chambre, mais comme c'est la première fois devant un comité des finances, nous sommes en fait assez nerveux. Nous essayerons de faire de notre mieux et d'être brefs.
Le président: Si vous croyez être nerveux, sachez que nous le sommes aussi, car c'est la première fois que nous recevons votre union.
M. Belliveau: Bon. Je suis heureux de vous l'entendre dire.
Notre mémoire a été rédigé à la hâte, et nous ne le lirons donc pas intégralement. Nous allons en exposer des grandes lignes.
Pour commencer, je suis sûr que les membres du Comité des finances ne connaissent pas bien l'Union des pêcheurs des Maritimes. Nous sommes une union de nom et de notre affiliation historique. Nous représentons les pêcheurs qui pratiquent la pêche côtière dans les provinces Maritimes. Nos membres quant à eux représentent quelque 2 000 exploitations de pêche côtière.
À certains égards, notre situation est différente de celle des pêcheurs de Terre-Neuve. Nos membres ne dépendent pas vraiment du poisson de fond, et toute la nation est au courant de l'effondrement qui s'est produit dans le secteur de l'exploitation du poisson de fond.
Nous représentons les exploitants de ce que nous appelons les bateaux de pêche côtière. Nous allons essayé d'examiner le projet de loi C-76 eu égard à son incidence sur la société côtière et les communautés côtières. Vous voudrez certainement poser des question à Graeme Gawn, qui m'accompagne. C'est un pêcheur du Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse et il est membre exécutif de l'Union des pêcheurs des Maritimes.
Bien que nos membres ne dépendent pas directement du poisson de fond pour assurer leus subsistance, l'effondrement de ce secteur a, comme vous devez vous en douter, créé tout un bouleversement dans l'industrie de la pêche dans la région atlantique. Il en est résulté beaucoup de changements au sein du ministère des Pêches et des Océans. Nous avons pu constater que la disparution de la morue a eu entre autres conséquences celle de miner les relations de confiance entre les pêcheurs et les dirigeants et les fonctionnaires du ministère.
Cette rupture de confiance a donné lieu à deux réponses bien distinctes de la part du ministère fédéral. Il semble en effet qu'il existe une sorte d'inertie, qui fait que l'on continue à faire exactement ce qu'on a fait au cours des 15 ans qui ont précédé l'effondrement de cette pêche. En fait, on applique le même type de système de gestion à des zones plus restreintes. La deuxième réaction consiste en quelque sorte à abdiquer le mandat historique du ministère, qui était de gérer les pêches. Cette réaction s'inscrit dans le contexte des réductions de personnel du ministère, de l'examen des programmes et des coupures de budget.
En fait, nous nous demandons si le ministère n'a plus le cran qu'il faut pour continuer d'exercer son rôle de gestionnaire d'une des plus importantes ressources au Canada. C'est une chose que nous tenions à dire.
Ce que nous disons dans notre document, et je suis sûr que vous l'avez déjà entendu dire à propos des divers ministères, c'est que l'une des conséquences de ce qui se passe ici c'est qu'on parle de partenariats avec l'industrie. Nous ne savons pas vraiment ce que cela signifie pour nous, et nous en sommes très préoccupés. Nous voyons qu'on crée une série de partenariats avec ce que nous pourrions appeler le secteur commercial de la pêche, et le secteur commercial est représenté par le Conseil des pêches du Canada. Je ne sais pas si vous les avez entendus au cours de vos audiences sur cette question. Quoi qu'il en soit, il représente généralement les entreprises de pêche qui sont plutôt intégrées verticalement et ces entreprises ont soumis une vision des pêches de l'Atlantique, et nous ne savons pas encore si le ministère adopte leur vision ou une vision tout à fait différente présentée par les pêcheurs et leurs organisations de tout le pays.
Nous avons récemment rédigée un document avec l'Union des pêcheurs de la Colombie-Britannique, l'Union des pêcheurs de Terre-Neuve et certaines autres organisations de pêcheurs. Il s'intitule Creating New Wealth from the Sea. Nous aimerions attirer l'attention de tous les membres du Comité des finances sur ce document. Nous souhaitons le déposer à l'intention de votre comité.
Je sais que vos délibérations et vos études ont une grande portée, mais étant donné que ce document s'intitule Creating New Wealth from the Sea, je dirais que nous considérons la pêche dans le Canada Atlantique d'un tout autre oeil que ne le fait le Conseil des pêches du Canada, qui, il nous semble, adhère à cette idée que la pêche est en quelque sorte un fardeau pour l'économie canadienne. C'est plutôt une des pierres angulaires de notre économie.
Nous savons qu'il est question d'une région, mais si vous examinez le document, vous verrez que même des économistes parmi les plus réputés estiment que la pêche rapporte directement et indirectement de 4 à 5 milliards de dollars par an à l'économie nationale, qu'elle crée des emplois, directement ou indirectement, bien au-delà des provinces Atlantiques, qu'elle crée indirectement au moins 100 000 emplois dans le Centre du Canada. Ce sont les évaluations de l'économiste que nous avons consulté pour une partie de cette étude.
Voilà une perspective un peu différente de celle qu'on nous sert souvent. On nous décrit souvent comme un secteur qui représente une perte sèche pour le gouvernement canadien et l'économie canadienne. Si vous regardez ceci, c'est le contraire que vous verrez. La pêche peut largement être considérée comme un gain net pour l'économie. Je ne connais pas les données exactes par coeur, mais c'est de l'ordre de 425 millions de dollars.
Le président: Nous sommes bien au fait du rôle exceptionnel que joue votre secteur dans l'ensemble de l'économie. Nous sommes très bouleversés par le fait qu'une partie de celui-ci ait dû mettre fin à ses activités, mais nous collaborons avec vous.
M. Belliveau: Merci pour ces mots d'encouragement.
Quoi qu'il en soit, je tenais à exposer ce contexte parce qu'on vous présente ici le point de vue des pêcheurs, de ceux qui récoltent le poisson. Vous avez un autre point de vue qui vient du secteur commercial, et nous ne savons pas lequel prime au ministère des Pêches et des Océans. Je pense en fait que nous ne savons pas très bien en tant que gouvernement national quelle orientation nous prenons eu égard aux pêches.
L'autre idée générale que j'aimerais aborder tient au fait que Pêches et Océans a toujours essayé de gérer cette ressource pour des raisons socio-économiques et pour des raisons de conservation. On semble se détourner complètement des questions d'accès et d'équité, des considérations socio-économiques, pour mettre l'accent sur la seule protection et la seule conservation des ressources. Quant au reste, on semble s'en désintéresser également. C'est ce que veulent les compagnies, mais ce n'est pas ce que veulent les pêcheurs.
En bref, nous sommes préoccupés par les réductions prévues dans ce budget pour Pêches et Océans. Nous ne souscrivons pas nécessairement à toutes les politiques du Ministère ni à l'idée qu'on s'y fait de la façon dont on doit gérer les pêches dans la région Atlantique, mais pour ce qui est des types de réduction des dépenses dont il est ici question, on prévoit qu'en termes absolus les dépenses diminueront de 40 p 100 d'ici cinq ans, comparativement à, je crois savoir, une réduction de 10 p. 100 pour l'ensemble des dépenses du gouvernement.
Le président: Avez-vous parlé à M. MacDonald, qui préside le comité des pêches? Il est d'Halifax. L'avez-vous rencontré?
M. Belliveau: Nous ne l'avons pas rencontré sur cette question précise.
Le président: Je pense qu'il serait extrêmement important que nous fassions en sorte que vous le rencontriez de même qu'aussi peut-être le personnel du Cabinet de M. Tobin.
M. Belliveau: Nous le rencontrons régulièrement.
Le président: Vous avez déjà rencontré les gens du Cabinet de M. Tobin, le Cabinet du Ministre. Peut-être pourrions-nous faciliter votre rencontre avec des gens du comité des pêches.
M. Belliveau: Nous serions effectivement heureux de rencontrer le comité permanent des pêches.
Le président: Très bien, nous y verrons.
M. Belliveau: Je vais m'interrompre pour céder la parole à Graeme, mais nous en serions heureux. Il faudra pas mal de temps pour effectuer cette transition. Quoi qu'il arrive à Pêches et Océans, cela va prendre du temps.
J'aimerais maintenant vous féliciter publiquement. Je ne sais pas si cela vous intéresse tellement, mais il arrive de temps à autre qu'à notre avis le gouvernement fasse des choses positives, comme par exemple les efforts qu'ont faits le ministre Tobin et son ministère pour régler une question extrêmement controversée et explosive, la question de la pêche au crabe dans la région Atlantique, et pour apporter des changements qui en fait entament une forteresse de privilèges extrêmement concentrés et apporter des changements qui pourraient bénéficier à un très grand nombre de pêcheurs qui pratiquent la pêche côtière.
Cette année, ils ont essayé quelque chose dont nous les félicitons, nous y sommes tout à fait plongés et cela nous occupe grandement. Je sais que l'Alliance des pêcheurs du Québec appuie tout à fait cette mesure et s'en occupe de très près, et je sais que les pêcheurs qui pratiquent la pêche côtière à Terre-Neuve s'en occupent beaucoup eux aussi. C'est une tentative de règlement du problème de distribution que connaît le secteur des pêches, où il y a d'innombrables pêcheurs qui s'en tirent à peine et quelques exploitations concentrées qui bénéficient de très grands privilèges.
Cela dit, le compliment est fait et...
Le président: Nous adorons les compliments. Poursuivez.
M. Belliveau: Que pourrions-nous vous dire encore de bon? Bien, nous allons vous faire un autre compliment.
Le processus de consultation concernant l'examen de l'ensemble des programmes nous cause bien des soucis, qu'on le présente de la façon dont Bob White l'a fait à votre comité ou de la façon dont nous concevons les choses dans le secteur des pêches. Mais quand le groupe de travail qui a été constitué pour étudier le travail saisonnier et l'assurance-chômage, comité présidé par Aldéa Landry, a présenté son rapport à l'honorable Brian Axworthy, nous avons jugé que c'était là un mode de consultation réfléchi, utile et productif.
On a consulté la base, les communautés côtières, les régions rurales du Canada, et on a produit un rapport plein de bon sens. On a renoncé à cette idée d'un système d'assurance-chômage à deux niveaux. Nous leur attribuons donc la meilleure note pour ce travail qu'ils ont accompli.
Pour conclure, nous mentionnons ici une vaste question qui nous cause bien du souci. Graeme en parlera peut-être de façon plus détaillée, mais au ministère des Pêches non seulement on réduit le personnel et on effectue des compressions, mais on propose aussi maintenant au secteur de la pêche un programme de recouvrement des coûts.
Ce n'est pas le seul cas. La garde côtière prend aussi cette voie. Elle réduit également les services qu'elle nous fournissait. Elle nous propose un certain recouvrement des coûts, mais pas de la même façon qu'au ministère des Pêches. Pêches et Océans va essayer de tirer cette année seulement quelque chose comme six fois le montant des revenus provenant des droits de licence qu'ils avaient jamais perçus auparavant.
Nous sommes doublement frappés. D'une part, on réduit, en tant que gouvernement canadien, les services offerts à la population, de même que les services offerts au secteur des pêches. D'autre part, on s'en prend à un secteur qui tente d'échapper à la catastrophe et on tente d'y recouvrer 50 millions de dollars de plus au titre des coûts. Cela nous cause bien des problèmes, et je pense qu'on vous le redira bien des fois avant que nous ayons terminé.
Il y a une chose que j'aimerais ajouter, monsieur le président, c'est que nous - combien de temps nous reste-t-il en fait?
Le président: Encore 14 minutes.
M. Belliveau: Je vais terminer dans quelques instants. Si vous avez des questions à poser ensuite et si Graeme veut faire quelques observations, nous pourrions procéder ainsi.
Je fais ressortir les grandes questions. Elles sont contenues dans le document, mais je ne vais pas suivre l'ordre précis dans lequel elles figurent.
Le président: Vous les énoncez bien clairement.
M. Belliveau: Ce qui pourrait également vous intéresser à titre de comité permanent, c'est les fonds qu'on dépense pour les offices d'adaptation des pêches.
Je ne sais pas si vous êtes au courant ou non, mais on a alloué 300 millions de dollars pour restructurer les pêches de l'Atlantique. Je ne parle pas du programme fiscal ni du soutien du revenu des particuliers, mais des 300 millions de dollars dont on dispose pour réduire l'effort de pêche.
Je pense que nous parlons bien au nom de nos membres et de bien d'autres gens de la région Atlantique. On est assez préoccupé, non pas tant par l'objectif du programme que par le fait que nous ne pensons pas que cela y contribuera, et c'est un problème que vous ne pourrez pas régler en tant que comité des finances puisque c'est encore là une question de politique.
Nous pensons que si l'on ne tient pas compte de la façon dont la pêche est répartie dans les provinces atlantiques, on aura beau dépenser ces 300 millions de dollars et d'autres sommes, on n'aura toujours pas réglé le problème. Il existe un processus d'attribution qui a évolué sur une période de 20 ans et où, vraiment, la plupart des ressources sont toujours concentrées dans les mains d'un très petit nombre d'exploitations intégrées et d'un très petit nombre de navires qui peuvent litéralement tuer le poisson. Tant qu'on s'en tiendra à ces répartitions, même avec le recouvrement des coûts, on se heurtera toujours au même problème.
Nous ne voyons donc pas d'un bon oeil que les offices d'adaptation des pêches soient affectés là-bas et chargés de réduire l'effort de pêches. Mais la grande question, la question fondamentale de l'attribution n'est pas abordée. C'est quelque chose que nous tenions à dire publiquement aussi.
En terminant, j'aimerais dire que, comme d'autres, nous sommes un peu préoccupés par ce budget, par l'orientation que prend le gouvernement du Canada. Nous sommes préoccupés par les programmes sociaux et l'effet que ce budget aura sur les zones rurales - et je m'écarte ici du secteur des pêches, je parle de façon générale. Ce qui nous inquiète dans l'idée du financement global, c'est l'éventualité que l'on n'applique plus de normes nationales dans les soins de santé, notamment.
Sans pour autant en avoir fait une analyse poussée, nous avons l'impression que les régions rurales du Canada seront plus durement frappées par cette facon de faire qui préconise à la fois les compressions budgétaires et le financement global. J'aimerais faire part officiellement de nos inquiètudes, même s'il y a sand doute des gens beaucoup plus compétents que nous pour en discuter en détail. J'ai remarqué que M. White avait comparu, et nous partageons certaines des préoccupations du Congrès du travail du Canada en ce qui concerne l'incidence du projet de loi sur la société et sur la vie canadienne.
Si vous me le permettez, j'ai personnellement beaucoup de difficulté à accepter ce que j'appelle l'hystérie du déficit. On a beaucoup discuté sur les raisons qui ont causé ce déficit. Le déficit n'est peut-être pas dû uniquement aux dépenses gouvernementales. Notre propre ministère des Pêches essuie compressions de dépenses sur compressions depuis 1985. Les citoyens du Canada savent que les dépenses gouvernementales, hormis le service de la dette, sont désormais maîtrisées. Ce qui me chiffonne, c'est la politique monétaire et la façon dont le Canada traite le déficit et la dette. Il doit bien y avoir d'autres façons de faire que de sabrer dans le secteur public, dans les services et dans la présence du gouvernement.
Nos villages de pêcheurs perdent petit à petit leurs ports à cause du programme de rationalization. Le ministère des Pêches et Océans ferme des bureaux. Même dans ce secteur là, on efface petit à petit la présence du gouvernement fédéral. Si vous ajoutez à cela à tout ce qui se fait dans les autres secteurs, la question de la présence fédérale dans notre pays devient de plus en plus problématique. Et si je vous le dis, c'est de façon sentie et avec beaucoup d'émotion. Je ne sais pas quelles solutions vous proposez, mais je veux faire valoir ce point de vue qui constitue une digression de la question du ministère, mais qui est une note beaucoup plus personnelle. Voilà pour mon opinion.
M. Graeme Gawn (secrétaire-trésorier, Maritime Fisherman's Union): Merci, monsieur le président.
Je vous parlerai de la pêche et de l'orientation de la gestion de la pêche en terme d'économie. Tout cela est une question de finance, car une bonne partie de ce qui se passe découle des compressions budgétaires et de l'obsession du déficit dont on a parlé.
Dans notre région, le grand problème, c'est l'économie. Et si l'économie bat de l'aile, c'est à cause de l'emploi. Nous craignons que ceux qui ne sont pas en contact avec ce qui se passe dans les Maritimes aient l'impression que la pêche est une cause perdue et devrait être éliminée, car plus rien ne peut la sauver. Peut être que vous, vous n'êtes pas de cet avis, mais c'est en tout ca ce que pensent certains Canadiens.
Les pêcheurs ont préparé un document intitulé Creating New Wealth from the Sea suggérant de nouvelles façon de créer des emplois avec ce qui nous reste de poissons. Il y a des dizaines de milliers de chômeurs chez les pêcheurs, qui n'auraient pas dû perdre leur emploi au départ. Il n'était pas nécessaire de détruire la pêche. Si nous pouvons redonner des emplois aux Canadiens, alors nous remettrons l'économie sur la bonne voie. Ce n'est pas en réduisant les dépenses et en faisant assumer à d'autres les frais d'utilisation et le recouvrement des coûts que l'on résoudra le problème. En effet, cela n'aura comme résultat que de produire plus de chômeurs à long terme.
Le droit de permis dont M. Béliveau vous a parlé a été sextuplé. En fait, voici comment fait le ministère des Pêches et Océans. Il cherche qui décharge la plus grosse quantité brute de poissons et impose à ces gens des augmentations de droits de permis allant jusqu'à 2 600 p. 100. Si votre permis de pêche aux pétoncles dans la Baie de Fundy vous coûte aujourd'hui 30$, le ministère se propose de l'augmenter à 8 600$, en se fondant sur les quantités débarquées brutes, sans tenir compte des coûts et des revenus nets de cette pêche.
Or, c'est une pêche qui nécessite relativement beaucoup de main-d'oeuvre. Cette pêche emploie jusqu'à 10 hommes par bateau et autant à terre. Il s'agit d'emplois réels. Dans cette obsession de vouloir recouvrer les coûts - et quels coûts exactement veut-on recouvrer? Nous ne comprenons pas que vous considériez la pêche comme un coût: c'est plutôt un profit pour notre société. Les 20 emplois dont j'ai parlé sont un véritable atout pour notre région, et surtout pas un coût.
Si vous aviez tenu compte des recommandations des exploitants pêcheurs il y a de cela 20 ans, notre pêche se porterait mieux aujourd'hui et l'économie des régions de l'Atlantique ne se porterait pas si mal. J'en suis convaincu.
C'est bien beau de dire qu'il faut recouvrer ces coûts, mais qu'entendez-vous par coût? Pour l'exploitant pêcheur, c'est subventionner des sociétés inefficaces qui ont tué les poissons qui représente le coût de la gestion. Grâce à ce poisson, on aurait pu renvoyer en mer 30 000 personnes.
Comme le disait M. Belliveau, nous n'avons toujours rien dit sur la répartition des poissons et sur les techniques de capture des poissons. Ce n'est ni le recouvrement des coûts, ni les droits de permis ni d'autres tactiques encore qui freineront la destruction des stocks halieutiques. Par contre, ils vont envoyer au chômage les gens les moins destructeurs qui soient. Alors, vers quoi nous tournerons-nous? Il n'existe aucun profit dans les collectivités côtières et les coûts de l'assistance sociale seront plus élevés que les coûts de l'assurance-chômage.
Si vous regardez l'étude économique, vous constaterez que le secteur de la pêche produit des recettes pour le gouvernement. Je ne sais ce que je pourrais ajouter de plus à ce qu'a dit mon collègue, à part le fait que cela ne veut pas dire pour autant qu'il faut fermer les yeux sur le déficit et les réalités économiques. Ce que nous disons, c'est qu'il faut tenir compte des répercussions que cela peut avoir sur la pêche.
Le président: Merci, monsieur Gawn, monsieur Belliveau.
Si je vous laissais mon numéro de téléphone, mon cabinet pourrait essayer de vous organiser une rencontre demain avec le Comité des pêches. Certains des grands thèmes que vous avez mentionnés, comme vos liens avec le ministère et les liens qui existent entre certaines des grandes entreprises et le syndicat sont des questions de politique qui, comme vous l'avez si bien souligné, touchent directement le Comité des pêches.
En ce qui concerne ce que vous avez dit au sujet du budget, vous avez raison: c'est extrêmement difficile pour nous de faire ces coupures car nous savons les répercussions qu'elles pourront avoir sur les Canadiens d'un océan à l'autre. Nous aimerions bien recommuniquer avec vous lorsque nous discuterons des solutions de rechange au budget. Si vous pouviez nous aider à trouver d'autres sources de recettes, nous serions ravis d'entendre vos suggestions.
Au nom de tous les membres, je vous remercie d'avoir comparu ce soir. Je vous assure que tous les membres de notre Comité sont conscients du fait que la pêche au Canada a été l'une des forces motrices dans l'édification de notre riche pays. Nous sommes de tout coeur avec vous qui éprouvez des difficultés temporaires et espérons qu'elles ne dureront pas. Merci beaucoup d'être venus.
M. Gawn: Merci, monsieur le président.
Le président: Laissez-moi vous donner mon numéro de téléphone et vous pourrez communiquer avec les gens de mon personnel. Je les aviserai. Merci beaucoup.
M. Belliveau: J'espérais quelque... J'ai l'impression que nous avons fait une erreur ici: nous aurions dû dire cinq minutes et avoir quelques réactions. Or, nous partons sans savoir pourquoi le Comité nous a demandé de comparaître, à dire vrai. Nous avons essayé de vous faire part, dans le minimum de temps, d'un grand nombre d'expériences que nous avons vécues, mais nous ne savons toujours pas pourquoi vous nous avez demandé de venir.
Est-ce simplement par courtoisie que vous nous avez invités? Si c'est le cas, c'est apprécié.
[Français]
Le président: Il vient de demander la raison pour laquelle on leur a demandé de comparaître devant le Comité.
M. Loubier: Nous voulions avoir votre opinion sur le projet de loi C-76.
[Traduction]
Nous voulions savoir avec plus de précision ce que vous pensiez du projet de loi C-76. L'année dernière, votre représentant est venu lors des consultations prébudgétaires. Il s'inquiétait de l'avenir de votre industrie et de la sécurité de revenu pour vous. Il y a deux semaines, j'ai donc pensé qu'il serait intéressant pour notre Comité d'entendre vos commentaires, et je maintiens que c'est une bonne idée.
M.Belliveau: Nous vous remercions de cela.
M. Loubier: Je suis d'accord avec la suggestion du président de vous envoyer rencontrer le Comité des pêches, car c'est aussi une bonne idée.
Le président: Merci beaucoup. Nous serons heureux de retravailler avec vous. Il est bon d'apprendre à vous connaître.
M. Belliveau: Votre Comité a-t-il l'intention de venir dans notre région?
Le président: Sans doute à l'automne prochain.
M. Belliveau: L'autre jour, nous avons rencontré la Banque nationale à Moncton, et celle-ci se plaignait du fait que votre Comité n'ait pas tenu d'audiences dans les Maritimes.
Le président de la Banque nationale était assez dur à l'égard des travailleurs saisonniers et à l'égard des régions du Canada: d'après lui, si nous ne pouvions tenir le coup, il fallait rendre notre tablier et nous installer dans le centre du Canada. Notre propre syndicat fait affaire avec la Banque nationale, et je vous assure que si la banque ne rabroue pas son président, nous allons fermer notre compte. Cette attitude de la part d'un président national est inadmissible; il ne comprend absolument rien.
Le président: D'accord avec vous.
[Français]
Notre prochain témoin représente l'Union des producteurs agricoles. C'est avec plaisir que je vous souhaite, messieurs, la bienvenue. J'ai de bonnes nouvelles pour vous. Je dois vous dire franchement qu'il n'est pas nécessaire que vous comparaissiez devant notre comité ce soir puisque votre ancien collègue et employé nous a mis au courant de toutes vos affaires, de tous vos problèmes et de toutes vos solutions. Alors, merci de l'effort, mais ce n'est pas nécessaire.
M. Laurent Pellerin (président général, Union des producteurs agricoles): Il y a déjà plusieurs années que M. Loubier nous a quittés. Alors, je veux m'assurer de transmettre moi-même nos préoccupations.
Le président: Il a fait un bon travail pour vous, ici, devant notre comité, devant tout le Parlement.
M. Loubier: Ça commence à être inquiétant de recevoir des félicitations des libéraux de cette façon. Je m'inquiète. Il est temps qu'on passe à autre chose.
Le président: Oui, faites attention.
Vous êtes les bienvenus, messieurs Pellerin et Lebeau. Qui va commencer?
M. Pellerin: J'aimerais dire quelques mots au sujet de l'UPA pour commencer. L'UPA est présentement l'organisation agricole des producteurs de tout le Québec et regroupe quelque 50 000 producteurs. C'est une confédération de 16 fédérations régionales et de 20 fédérations ou syndicats spécialisés. Il y a donc 36 affiliés. L'UPA a fêté ses 70 années d'histoire, l'an passé. Il s'agit donc d'une organisation solidement établie au Québec.
Notre présence devant vous, ce soir, est directement liée à nos préoccupations économiques qui découlent du projet de loi C-76 et du Budget. Dans un premier temps, je vais vous remercier de l'occasion que vous me donnez de vous rencontrer, de présenter les préoccupations de l'Union des producteurs agricoles ce soir.
Les opinions que nous allons exprimer au cours de cet exposé sont, bien sûr, celles de l'UPA. Elles ont cependant été rédigées suite à des consultations auprès de trois de nos partenaires, c'est-à-dire les ministères de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec, de l'Association professionnelle des meuniers du Québec et de la Coopérative fédérée de Québec.
Le présent mémoire vise à commenter le Budget Martin et certaines dispositions énoncées dans le projet de loi C-76, dont celle visant à l'abrogation de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest et la Loi sur le transport des marchandises dans la région Atlantique. Je profite également de cette rencontre pour vous faire part de notre réaction et vous indiquer nos attentes suite aux différents communiqués qui ont été émis pour annoncer les mesures de transition et d'adaptation que le gouvernement fédéral entend utiliser pour pallier l'abandon des différents programmes de transport qui touchent le secteur agricole.
Dans les jours qui ont suivi le discours du Budget, l'UPA a souligné la «raideur» de ce Budget qui affecte durement le secteur agricole. Aujourd'hui, après une analyse un peu plus détaillée des données du Budget, du dépôt du projet de loi C-76, le 20 mars dernier, et des différents communiqués émis pour annoncer les fonds d'adaptation et de transition, l'UPA conclut que le secteur agricole est durement touché, démesurément, en fait.
Nous comprenons aisément que M. Martin fut placé dans une situation telle qu'il n'avait d'autre choix que de porter de grands coups. Nous étions prêts à faire notre part. Nous pensons, cependant, qu'il nous demande plus que notre part, qu'il demande à l'agroalimentaire plus qu'il ne mérite, compte tenu de son importance dans l'économie, compte tenu de sa contribution à la balance commerciale du pays, quant au surplus de la balance des exportations de marchandises, et compte tenu aussi de son importance dans la vitalité des régions rurales et de l'occupation du territoire.
En effet, les documents budgétaires déposés le 27 février font voir que les dépenses d'Agriculture et Agroalimentaire Canada auxquelles on a ajouté la...
Le président: Excusez-moi, monsieur Pellerin. Puis-je vous demander de ralentir juste un peu? L'interprétation est assez difficile. Merci.
M. Pellerin: Très bien.
Dans les documents budgétaires qui ont été déposés le 27 février, on fait voir que les dépenses d'Agroalimentaire et Agriculture Canada, auxquelles on a ajouté la subvention de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest, sont presque en chute libre. Elles ont diminué, en effet, entre 1987-1988 et 1994-1995, de 33 p. 100. En 1997-1998, elles auront diminué de 58 p. 100 si on suit les prévisions du Budget Martin. Si on exprime maintenant ces dépenses en pourcentage des dépenses totales du gouvernement, on constate une chute encore plus importante, passant de 3,5 p. 100 du Budget total du gouvernement en 1987-1988, à 1,6 p. 100 en 1994-1995, puis à 1,2 p. 100 en 1997-1998. Donc, la part relative du secteur agroalimentaire dans le Budget total canadien diminue de façon très alarmante.
Les documents budgétaires indiquent que la compression à Agriculture et Agroalimentaire Canada, pour la période couverte par ce Budget (de 1994-1995 à 1997-1998), est de 21,5 p. 100 par rapport à une moyenne de 19 p. 100 dans une série de ministères dont les programmes font aussi l'objet d'une révision. Toutefois, si on ajoute au budget de l'agriculture les compressions liées à l'abandon du Programme d'aide au transport du grain de l'Ouest et la subvention au transport des marchandises de la région Atlantique, la réduction des dépenses du gouvernement fédéral est de 40 p. 100 pour le secteur agroalimentaire.
C'est ce qui nous fait dire que les dispositions de ce Budget affectent de façon vraiment démesurée les régions rurales en général, dont, évidemment, celles du Québec.
J'aimerais tout d'abord vous rappeler que les trois programmes de transport qui sont abandonnés avaient pour objet de compenser les désavantages compétitifs de certaines régions en raison de leur éloignement. Il ne faut pas oublier, en effet, que l'agriculture est finalement la principale source d'emploi et de revenu des régions rurales et la base de l'occupation du territoire. Passons en revue ces programmes et tentons d'évaluer l'impact de leur élimination sur l'Est du Canada et en particulier sur le Québec.
Commençons par le Programme d'aide au transport du grain de l'Ouest. L'élimination de ce programme aura pour effet de faire baisser le prix des grains disponibles pour l'alimentation animale dans les provinces des Prairies, selon les experts, de 8 à 15 dollars la tonne métrique, venant ainsi briser l'équilibre concurrentiel entre l'Est et l'Ouest.
L'élimination d'un deuxième programme, soit le Programme d'aide au transport des céréales fourragères, aura, quant à elle, l'effet de faire augmenter le prix des grains disponibles pour l'alimentation animale dans l'Est, au moins dans les régions où cette subvention était disponible : les Maritimes et les régions périphériques du Québec.
Enfin, l'abandon d'un troisième programme, soit le Programme de la subvention au transport des marchandises de la région Atlantique, aura inévitablement un impact sur les coûts de production des entreprises agricoles situées dans les régions concernées par ce programme. Les secteurs agricoles et de la forêt privée du Québec sont touchés par une coupure de 10 millions de dollars à cause du retrait de cette subvention.
Les producteurs de lait et de viande de ces régions auront donc un double désavantage compétitif par rapport à leurs concurrents de l'Ouest, simplement par les nouvelles réalités de marché issues des décisions budgétaires. Les productions animales sont à la base de l'économie agricole du Québec; elles représentent près de 80 p. 100 des recettes monétaires brutes provenant des opérations agricoles de la province.
Mais, il y a encore plus. Il y a d'abord la compensation de 1,6 milliard de dollars qui sera versée aux producteurs de l'Ouest et, ensuite, le fonds d'adaptation de 300 millions de dollars qui sera versé au secteur agricole des Prairies. Si la compensation de 1,6 milliard de dollars est versée aux propriétaires de terres arables, donc sans la cibler vraiment sur les producteurs exportateurs de grain, les producteurs de produits animaux de l'Ouest auront un autre avantage compétitif par rapport à ceux de l'Est.
Également, nous sommes très préoccupés par l'utilisation du fonds d'adaptation de 300 millions de dollars. Il y a là, à notre avis, un premier principe fondamental que le gouvernement fédéral doit respecter, à savoir que les taxes payées par l'ensemble des contribuables de l'Est du Canada ne devraient en aucun temps servir à subventionner des projets dans l'Ouest qui risqueraient de faire compétition à l'agriculture de l'Est. En d'autres termes, les fonds alloués par le biais de ce programme devraient en priorité servir à améliorer le transport des céréales et non pas, comme il a été annoncé, à financer des équipements ou des infrastructures sans en préciser la nature ou, encore, des projets de diversification qui viendraient concurrencer les productions dans lesquelles nous avons investi au Québec au cours de 25 dernières années.
Le deuxième principe, dont devrait se préoccuper le gouvernement actuel, est que toute réforme envisagée doit l'être dans le respect de l'équité. Ceci se traduit par deux objectifs fondamentaux, soit l'établissement d'un environnement compétitif équitable, ce qui a déjà été soulevé, et l'équité des dépenses du gouvernement fédéral dévolues au secteur agricole dans les différentes régions du Canada. En d'autres termes, il nous apparaît clair que l'abandon des subventions dans l'Ouest canadien sera compensé par le gouvernement fédéral par des mesures de transition et d'adaptation. Par contre, la rupture de l'équilibre compétitif à la défaveur de l'Est ne semble pas être prise suffisamment en compte.
En effet, on parle d'un programme d'adaptation de 60 millions de dollars, dont les deux tiers sont déjà engagés, notamment dans des programmes nationaux en gestion agricole, sur l'examen des revenus agricoles ou sur la sécurité à la ferme et le reste étant destiné à d'autres initiatives à l'échelle canadienne.
Il nous semble que la majeure partie ou la presque totalité de ce fonds devrait être réservée à l'Est en contrepartie de ce qui est versé à l'Ouest. Il est en effet essentiel que le Québec obtienne une part équitable de ce qui est versé aux producteurs de l'Ouest pour nous permettre de nous adapter au nouvel environnement économique auquel le secteur agricole est confronté aujourd'hui. Selon les études réalisées par les experts, les montants alloués au Québec pour compenser l'abandon du programme d'aide au transport du grain de l'Ouest devrait se situer entre 24 millions de dollars et 64 millions de dollars par année au cours des quatre prochaines années.
Finalement, pour terminer sur ce principe d'équité entre l'Est et l'Ouest, nous nous attendons à recevoir des programmes de compensation équivalents à ceux des producteurs de l'Ouest au regard des traitements fiscaux et du montant forfaitaire qu'on leur accorde. À cet égard, vous savez sans aucun doute que les propriétaires de terres arables de l'Ouest obtiendront un paiement en capital ex gratia de 1,6 milliard de dollars en deux versements, ce qui équivaut à environ 2,2 milliards de dollars, si on considère l'exemption fiscale qui leur est accordée. Nous nous attendons donc à obtenir de tous les programmes de transition et d'adaptation offerts pour compenser le retrait de l'État fédéral une part équitable de ce qui est offert dans l'Ouest.
Parlons maintenant des mesures pour compenser l'abandon de l'aide au transport des céréales fourragères. Il y a le fonds de compensation de 62 millions de dollars sur 10 ans qui a été annoncé dans le cadre de l'abandon du Programme d'aide au transport des céréales fourragères. D'abord, nous réclamons que les 13 millions de dollars nécessaires à la prolongation de ce programme jusqu'au 31 décembre 1995 proviennent d'une enveloppe budgétaire autre que celle du Fonds général d'adaptation et de développement rural. Ensuite, nous demandons d'obtenir les parts historiques qui nous ont été consenties au cours des 10 dernières années par le biais de ce programme.
Enfin, il y a le fonds d'adaptation de 326 millions de dollars sur six ans qui a été annoncé pour pallier l'abandon de la subvention au transport des marchandises de la région Atlantique. Nous croyons d'abord que, compte tenu des objectifs de ce programme, c'est-à-dire «de procurer, dans les taux, certains avantages aux personnes et aux industries des provinces et régions touchées par ce programme», les sommes consenties suite à l'abandon de celui-ci devraient permettre aux expéditeurs de s'ajuster et de s'adapter à la nouvelle structure des coûts de transport. Deuxièmement, comme je vous l'indiquais précédemment, la part du Québec agroalimentaire et sylvicole était d'environ 10 millions de dollars, somme annuellement consentie en vertu de ce programme. Il nous apparaît important de signaler que l'industrie agroalimentaire et sylvicole québécoise exige de recevoir rien de moins que la part historique qu'elle détenait. Finalement, il nous apparaît primordial que le type d'intervention soit ciblé pour éviter qu'une province concentre ce programme d'adaptation à des activités de production qui provoqueraient une distorsion sur les marchés.
Il est difficile, en ce moment, de prédire quelles seront l'ampleur et la vitesse des changements dans le virage de l'agroalimentaire canadien que les décisions budgétaires annoncées entraîneront. Il est certain que de tels changements prendront place. Ils risquent de ne pas être positifs pour le secteur au total, pour celui de l'Est en particulier qui en est un de production animale surtout. ll s'ensuit que le gouvernement fédéral devrait prendre tous les moyens pour faciliter la transition suite à l'abandon des programmes agricoles, particulièrement au niveau des provinces de l'Est, dont le Québec.
Quelle doit être la suite?
Au regard du Budget, nous nous demandons si monsieur Martin n'a pas oublié que, d'une part, même dans un pays endetté et en difficulté, les raisons d'investir dans l'agroalimentaire demeurent et que, d'autre part, dans l'obligation de mettre fin à l'abandon de certains programmes agricoles, un tel retrait de l'État ne devrait jamais se faire au détriment de certaines régions et, en particulier, du Québec. En conséquence, le gouvernement canadien devrait considérer les éléments suivants avant d'adopter le projet de loi C-76:
- assurer le maintien et l'amélioration de la compétitivité du secteur qui permettent à la population de se nourrir à bon marché. Les Canadiens sont privilégiés sur ce plan et ils doivent le demeurer. (Nous joignons à notre présentation un tableau avec des chiffres de l'USDA, pour illustration).
- assurer la sécurité du revenu de ceux et celles qui vivent de la production agricole, sans avoir de contrôle sur les risques climatiques et les risques de marchés auxquels ils sont exposés et qui ne vont pas en diminuant.
Il faut aussi comprendre que, déjà, avant cet exposé budgétaire, l'agroalimentaire canadien devait faire face à des défis importants, dont celui de s'ajuster aux nouvelles réalités commerciales internationales, issues de la dernière négociation, qui accentuent l'ouverture des marchés et la pression de concurrents, à qui les gouvernements ne semblent pas en voie de réduire leur soutien aussi radicalement que le gouvernement canadien.
Compte tenu de ces observations, nous attendons du gouvernement canadien:
- qu'il revoie les données de son Budget de trois ans pour libérer les millions qui manquent afin de lui permettre d'éviter d'attribuer à l'agroalimentaire le traitement de défaveur que le ministre des Finances lui a réservé dans son discours du mois de février dernier.
- qu'il veille à cibler, le plus possible, le versement de la compensation de la LTGO aux producteurs de grain qui devront absorber le choc de la hausse des frais du transport de grain, pour ne pas que l'abandon du programme de cette subvention au transport soit compensé par un programme de diversification.
- qu'il offre aux producteurs de l'Est un programme de compensation équitable par rapport au programme offert aux producteurs de l'Ouest au regard des traitements fiscaux et du montant forfaitaire qu'il leur accorde. Tous les programmes abrogés devraient être visés par cette mesure.
- qu'il modifie la destination des sommes allouées au Fonds général d'adaptation et de développement rural pour pallier l'avantage compétitif de l'Ouest, suite à la baisse du prix des céréales. Et, comme certains experts l'estiment, le Québec devrait obtenir des remboursements se situant entre 24 et 46 millions de dollars annuellement au cours de 4 prochaines années, pour rééquilibrer la compétition Est-Ouest.
- que le fonds de compensation de 62 millions de dollars, prévu dans le cadre de l'abandon du programme d'aide au transport des céréales fourragères, soit versé en totalité et non réduit du montant nécessaire à sa reconduction jusqu'au 31 décembre 1995 et que le Québec obtienne au minimum la part historique qu'il détient depuis 10 ans.
- que le fonds d'adaptation consenti pour pallier l'abandon des programmes d'aide au transport des marchandises de la région Atlantique permette aux expéditeurs de s'adapter à la nouvelle structure des coûts de transport et que l'industrie agroalimentaire de la forêt privée québécoise reçoive rien de moins que la part historique qu'elle détenait.
Dans cet exposé, nous avons commenté de façon plus particulière le Budget Martin et les dispositions touchant les programmes de transport.
Il est indéniable que ce budget aura également des répercussions sur la recherche et le programme de sécurité du revenu, sujet que nous n'avons pu approfondir ce soir.
Au terme de cet exposé, je réitère notre position des 15 dernières années, soit que le gouvernement fédéral accorde un traitement équitable pour le secteur agricole du Québec, pour pouvoir admettre que l'agroalimentaire et les régions rurales, particulièrement celles de l'Est ne sont pas injustement traitées par ce budget. Je vous remercie de votre attention.
Le vice-président (M. Campbell): Je vous remercie. Nous commençons par M. Loubier.
M. Loubier: Merci, monsieur le vice-président, devenu président entre-temps.
Monsieur Pellerin, félicitations pour votre mémoire. Je suis très heureux que vous soyez venu parce que je me suis aperçu que les choses avaient évolué depuis 1991. Cela me met vraiment au parfum de l'actualité agroalimentaire québécoise, surtout en ce qui a trait aux politiques fédérales.
Monsieur le président, j'aimerais déplorer l'absence des Réformistes. Je ne sais pas ce qui se passe depuis deux semaines, mais les Réformistes sont absents de nos débats, sont absents durant la comparution des témoins alors que le projet de loi C-76 les concerne au premier chef puisqu'ils représentent des producteurs de l'Ouest.
S'ils avaient été présents ce soir, je crois qu'ils auraient compris ce dont on parlait lorsqu'on parlait d'équilibre est-ouest dans les productions animale et céréalière. Ils auraient peut-être cessé de dire n'importe quoi sur les exigences du Québec, comme nous les avons entendus cet après-midi s'exprimer dans le cadre de la politique laitière. C'est ma première remarque.
Deuxièmement, j'aimerais poser une question à nos témoins. La Coalition pour la survie de l'agroalimentaire existe-t-elle encore? Si oui, tentera-t-on de mettre tout en oeuvre pour faire comprendre au gouvernement qu'adopter une politique de ce genre - en abolissant la subvention du Nid-de-Corbeau sans compenser pour le déséquilibre créé au niveau de la compétitivité est-ouest - n'a pas de sens et qu'il faut qu'il revienne sur sa décision de ne compenser uniquement que les producteurs de l'Ouest?
M. Pellerin: Le texte que nous vous présentons ce soir est la position de l'UPA, mais cette position était aussi regardée avec les partenaires historiques de la coalition québécoise sur toute la question de l'abolition des subventions du transport des grains de l'Ouest.
Depuis 15 ans cette situation a évolué. La position des partenaires du Québec a aussi évolué. Une des grandes objections que nous avions historiquement était justement le versement de sommes d'argent directement aux producteurs.
Si nous nous sommes rangés du côté de l'option d'un versement aux producteurs, c'était à certaines conditions. Ce changement d'attitude a eu lieu lorsque le dernier panel d'experts a siégé sur la question du transport des grains de l'Ouest. Dans le rapport du comité, on voyait l'élimination de la subvention sur une période de cinq à sept ans avec une compensation pour ses effets distordants sur le Québec et les autres provinces touchées. Nous avons donné un certain accord à ce rapport du comité même si toute la solution n'était pas très plaisante.
Ce qui est un peu différent dans la proposition du budget Martin c'est que la compensation examinée par le comité d'experts porte sur une période de temps beaucoup plus courte. Je rappellerai ici - et j'aimerais que vous le communiquiez à M. Martin et à tous ses confrères - que cette subvention qu'on abolit en est une qui date de 100 ans, presqu'une des raisons de départ du regroupement des dix provinces.
C'est quelque chose d'historique que le budget Martin vient de faire en abolissant la subvention du transport des grains de l'Ouest. L'abolition de cette subvention va sûrement apporter des changements de marché qui ne se produiront pas uniquement dans les deux ou trois prochaines années. L'abandon d'une subvention qui est là depuis 100 ans peut très bien provoquer encore des changements pour les 15 prochaines années.
Ne soyez pas surpris de nous voir revenir à la charge parce que nous allons suivre de près les impacts que l'abandon de cette subvention pourraient avoir sur les productions animale et céréalière du Québec.
Les provinces maritimes et l'Ontario vont sûrement essayer d'être aussi vigilants que nous sur cette question. Ce n'est pas un mince changement, c'est 100 ans d'histoire. Nous voulons bien revenir au marché qui a eu un effet pendant 100 ans.
Pendant ces 100 ans, il y a sûrement eu des pratiques commerciales qui se sont établies et qui vont devoir changer. Il serait un peu léger de penser que cela va se produire rapidement, soit dans un ans ou deux. Je crois que nous aurons des effets à moyen terme.
Je ne suis pas sûr que le budget Martin prévoit ces effets à moyen terme parce que la mesure d'adaptation porte sur une trop courte période de temps. C'est ce que nous déplorons ce soir.
M. Loubier: Pour le bénéfice de mes collègues, je crois qu'il serait bon de préciser que cette subvention avait pour but de développer l'économie agricole de l'Ouest. Quand nous parlons de développer, nous parlons de développer à la fin du siècle dernier, en 1897.
Les producteurs de l'Est n'avaient pas rechigné à l'adoption de cette structure tarifaire préférentielle du Nid-de-Corbeau pour l'exportation ou le développement céréalier, parce qu'on disait, à ce moment-là: «nous allons établir un équilibre entre l'Est et l'Ouest, entre la production céréalière de l'Ouest et la production animale de l'Est».
D'un seul coup, nous venons de briser cet équilibre, et c'est très grave. Sans partisanerie, je vous dirai que j'ai été associé dès 1982 à ce dossier. Je n'étais pas avec l'UPA à ce moment-là, je travaillais pour le gouvernement fédéral. On voyait déjà qu'il y avait des impacts sur la structure de production d'Est en Ouest suivant l'abolition du Nid-de-Corbeau.
S'il n'y avait que l'abolition, nous pourrions dire: «il y aura des changements structurels au cours des prochaines années et nous tenterons de nous y adapter», mais en plus de cette abolition qui fait chuter le prix des céréales et qui incite à la production animale dans l'Ouest, à l'encontre probablement de la production de l'Est, on compense maintenant les producteurs directement pour l'abolition de la subvention du Nid-de-Corbeau.
Au lieu de compenser uniquement ceux qui seront touchés par l'abolition pour une période de temps déterminée, nous versons la subvention à l'ensemble des propriétaires de terres arables, qu'ils aient exporté ou non auparavant, qu'ils aient été affectés ou non par l'abolition du Nid-de-Corbeau.
L'UPA mentionne que nous manquons de ciblage dans les subventions que nous donnons. Nous ne versons pas uniquement à ceux qui exportaient et qui sont les victimes de l'abolition de la subvention du transport ferroviaire, mais nous donnons à tous ceux qui pourraient développer une production animale à l'encontre des provinces de l'Est et à partir de subventions fédérales qui viennent des contributions non seulement des producteurs de l'Ouest mais également des producteurs de l'Est. Cela peut avoir un impact assez considérable dans le temps.
D'ailleurs, je vous rappelerais, et je pense que je vais le rappeler - si ce n'est pas en Chambre, ce sera dans le cadre des travaux de d'autres comités - à M. André Ouellet, qui est maintenant un de vos illustres ministres, qu'il était, en 1982, ministre responsable de l'application de la nouvelle politique de votre gouvernement, pas le présent mais celui qui était là en 1982, la première cuvée - comme on dit: «les vins deviennent bons en vieillissant» car nous retrouvons encore ces gens-là aujourd'hui...
En 1982, M. Ouellet était responsable du Nid-de-Corbeau et à plusieurs reprises, rappelez-vous...
Non, mais puisque nous avons le temps et que c'est pour votre plus grand bénéfice...
Le vice-président (M. Campbell): Quelqu'un veut poser une question.
M. Loubier: Cela vous dérange, hein! Juste une petite seconde.
En 1982, M. Ouellet avait participé à plusieurs rencontres avec les producteurs et les hauts fonctionnaires. Après presqu'un an de débat, il s'est rendu compte que notre analyse était la bonne. Vous demanderez à M. Ouellet s'il se souvient de ce débat.
Le vice-président (M. Campbell): Pour quelqu'un qui travaille maintenant avec vous au Comité, monsieur Loubier, je me demande s'il vous manque.
M. Loubier: Bien sûr, l'agriculture est un domaine intéressant.
M. Pellerin: Il a été très difficile à remplacer mais avec le commentaire qu'il a fait de notre texte ce soir, nous avons fini par le remplacer.
Le vice-président (M. Campbell): Parfait. Je cède la parole à M. St. Denis.
[Traduction]
M. St. Denis (Algoma): Je vous remercie d'être venus ce soir. Si j'ai bien compris, Yvan a passé quelque temps à l'UPA. Vous l'avez bien formé. Il fait un bon travail comme député, même si nous ne sommes pas toujours d'accord. Je ne suis pas un expert en la matière ni sur la situation qui existait il y a 100 ans, comme vous l'êtes vous-même Yvan, et comme le sont d'autres personnes, et peut-être aussi Jane. Nous savons tous cependant que le monde a beaucoup évolué depuis.
Si je ne m'abuse, l'une des conséquences négatives du tarif du Nid de corbeau et du Programme de subventions au transport des provendes dans les Maritimes a été de nuire au développement d'industries secondaires et tertiaires dans la région, vu qu'il était facile d'y transporter les marchandises. Pourquoi se donner la peine de développer des industries secondaires et tertiaires si l'on peut produire toutes sortes de denrées et les transporter à peu de frais?
D'après certains, l'un des avantages de cette mesure, c'est qu'elle entraînera la création d'industries secondaires et tertiaires dans l'est et dans l'ouest du Canada.
Si je me rappelle bien, quand il en avait été question il y a 10 ou 15 ans, les producteurs du Québec s'étaient opposés énergiquement à la suppression du tarif du Nid de corbeau justement à cause de cela, parce que cela entraînerait la création de nouvelles industries de transformation dans l'ouest. Ai-je raison? Mes souvenirs sont-ils exacts?
M. Pellerin: Oui.
M. St. Denis: Si c'est encore le cas, pourquoi la réaction est-elle beaucoup moins forte maintenant? Est-ce parce que l'on s'est rendu compte que le monde avait évolué et qu'il y a maintenant le commerce dans la région d'Asie-Pacifique, que nous n'avions pas il y a 100 ans, alors que nous avons dans l'est le commerce avec les États de l'Est américain, et ainsi de suite, et qu'il se fait beaucoup plus de commerce du Nord au Sud et outremer qu'auparavant? Même s'il y a quelques problèmes d'adaptation, croyez-vous que, dans cinq, 10 ou 50 ans, le Canada et les diverses régions seront en meilleure posture si nous adoptons cette mesure?
[Français]
M. Pellerin: Premièrement, je ne suis pas un expert, je ne suis qu'un producteur agricole, un producteur de porc du Québec. Nous avons très bien surveillé la production porcine à travers le pays dans les dix dernières années.
Quand nous vous disons que l'abandon de la subvention provoquera des augmentations de production animale ou de transformation dans l'Ouest canadien, ce n'est pas à partir de projections, ce ne sont pas des hypothèses que nous émettons pour l'avenir, c'est à partir d'observations au cours des dernières années.
Avec le fameux programme Alberta Crow Benefit Offset Program, l'Alberta a connu des augmentations de production animale substantielles, soit 10 p. 100 par an pendant plusieurs années, ce n'est pas mince. Ce ne sont pas des hypothèses pour l'avenir, cela s'est déjà réalisé dans une certaine partie de l'Ouest canadien.
L'abandon total du Programme de transport des grains de l'Ouest, devrait provoquer la même chose en Saskatchewan et au Manitoba... D'ailleurs, ces deux gouvernements viennent d'annoncer des intentions de doubler la production porcine.
Suite à l'abandon de ce programme, il est facile de penser, et ce ne sont pas des hypothèses puisqu'ils viennent d'en faire l'annonce, - il y a des intentions politiques - qu'il y aurait des impacts à court et à moyen termes sur l'agriculture du reste du pays. Est-ce que dans 5, 10 ou 15 ans, on pourrait se retrouver en meilleure situation suite à l'abandon de ce programme? J'en doute.
Il y a, bien sûr, aux signes que vous faites, une espèce de gageure, mais nous doutons fort que l'abandon de ce programme maintienne le cours de l'histoire comme elle s'est déroulée dans les cent dernières années. Ce programme a influencé, de façon significative, la place du Canada sur les marchés d'exportation de céréales. L'abandon du programme devrait changer cette situation et devrait changer aussi le cours de l'évolution de l'agriculture dans le reste du Canada.
Est-ce que ce sera au bénéfice des producteurs, des commerçants, des transformateurs, des multinationales qui commencent déja à s'établir dans les productions animales ici au Canada? Peut-être, mais je doute que ce soit au bénéfice des producteurs canadiens.
M. St. Denis: Merci, monsieur le président.
Le vice-président (M. Campbell): J'aurais une toute petite question. Reste-t-il une place, un «job» pour M. Loubier?
M. Pellerin: Malheureusement, on l'a remplacé. Il a un mandat pour plusieurs années ici, à Ottawa.
Le vice-président (M. Campbell): Oui, ici à Ottawa!
M. Pellerin: Certains disent que l'avenir est très certain.
Le vice-président (M. Campbell): Je vous remercie.
[Traduction]
Merci beaucoup d'être venu et de nous avoir fait profiter de vos connaissances. Merci de nous avoir permis aussi de voir à quel point M. Loubier s'y connaît dans ce domaine.
[Français]
Je vous remercie infiniment.
Nous allons faire une petite pause en attendant l'arrivée des prochains témoins.
PAUSE
[Traduction]
Le président: Nous reprenons la séance.
Notre dernier groupe de témoins ce soir et au sujet du projet de loi C-76 représente le Somerset West Community Health Centre, en la personne de Jim Dooley, Diana Ralph et Jean Trickey.
Mme Sue MacLatchie (agente de développement communautaire, Somerset West Community Health Centre): Je remplace Jean, qui n'a pu venir.
Le président: Nous vous souhaitons la bienvenue à sa place. Nous sommes heureux de vous accueillir et nous écoutons vos remarques.
Mme MacLatchie: Nous vous remercions beaucoup de nous donner l'occasion de faire part de nos préoccupations au Comité des Finances. Nous remercions aussi Mac Harb, notre député fédéral, qui nous a aidés à obtenir cette invitation.
Après vous avoir présenté nos collègues, je vous dirai pourquoi le Somerset West Community Health Center s'intéresse à ce sujet et je vous parlerai un peu des gens de notre quartier.
Madame Diana Ralph est l'auteur de «What's Wrong with Bill C-76», document qui vous a été distribué, du moins je l'espère. Diana est ici ce soir à titre de membre du conseil d'administration du centre. Elle est aussi professeur à l'École de travail social de l'université Carleton.
Jim Dooley est le directeur des programmes du centre.
Je travaille moi-même au centre et y suis chargée du développement communautaire.
Notre centre de santé a été créé par un groupe communautaire il y a 26 ans pour répondre au besoin de services sociaux et de santé qui soient accessibles. Le quartier Dalhousie est un des quartiers de la région d'Ottawa-Carleton où les revenus sont les plus bas. Effectivement, 46 p. 100 des familles ont un revenu inférieur au seuil de pauvreté et le salaire moyen est de 11 682$ dollars. Notre clientèle se compose en grande partie de nouveaux Canadiens, de personnes âgées, de jeunes mères et d'adolescents. Nous dispensons des services en neuf langues et, chaque jour, nous rencontrons des gens de la collectivité qui subissent les effets de la pauvreté.
Certains estiment peut-être que la santé, c'est une question de médecins et d'hôpitaux, mais nous, nous savons que de nombreux autres facteurs contribuent à la santé. Nous estimons qu'une personne instruite est en meilleure santé, qu'une personne instruite est en meilleure santé, qu'une personne qui a des amis est en meilleure santé. Nous croyons que la sécurité qu'offrent des programmes sociaux tels que le Régime d'assistance publique et l'assurance-maladie ont des effets importants sur la santé des gens.
Nous nous préoccupons de la justice sociale, parce que nous savons qu'elle a une incidence énorme sur la santé. C'est pourquoi nous sommes résolus à travailler avec la collectivité pour que tout ses membres aient un revenu suffisant, de l'instruction, un emploi, de la nourriture et un logement.
Plus de 12 000 personnes s'adressent à notre centre de santé chaque année. Bon nombre de ces personnes vivent en marge de la société; si nous devons réduire les services que nous leur dispensons, il en résultera des souffrances et des maladies.
J'aimerais maintenant vous parler de deux personnes de notre collectivité qui souffriront davantage si le projet de loi C-76 est mis en oeuvre dans sa forme actuelle.
Xuan, est une jeune femme qui a indiqué à notre agent d'aide sociale qu'elle allait commencer à travailler sous peu et, par conséquent, ses prestations d'aide sociale ont été supprimées. Or, plutôt que de commencer à travailler, Xuan est tombée malade et a été admise à l'hôpital psychiatrique. À sa sortie de l'hôpital, on a refusé de lui verser des prestations d'aide sociale sous prétexte qu'elle avait un emploi. En outre, elle n'a pu obtenir ses médicaments. Il est donc essentiel de prévoir un processus d'appel pour les personnes dans ce genre de situation, et c'est ce que garantit le RAP à l'heure actuelle.
Le deuxième cas est celui de Ken, un ouvrier de la construction de 58 ans qui est venu à notre centre pour obtenir de l'aide dans sa recherche d'emploi. Ken ne sais pas très bien lire, et on lui a récemment indiqué qu'il souffre de problèmes cardiaques qui l'empêchent de continuer à travailler dans le domaine de la construction. Toutefois, il peut faire des travaux peu pénibles.
Si les hommes célibataires aptes au travail, n'avaient pas droit à l'aide sociale, Ken serait parmi les gens qui ne pourraient plus recevoir d'aide sociale. On pourrait obliger Ken à participer à un programme de travail obligatoire, mais il serait sans doute obligé d'abandonner pour des raisons de santé. Si il n'y avait pas de mesures législatives garantissant un droit fondamental à l'aide sociale, Ken serait peut-être sans abri.
Nous voyons tous les jours des gens qui ont ce genre de problèmes. En leur nom, nous voulons vous exhorter à biffer les parties I, IV et V du projet de loi C-76.
Mme Diana Ralph (professeur, membre du conseil d'administration, Somerset West Community Health Centre): Je vous remercie de nous avoir attendus.
Nous avons plusieurs préoccupations au sujet du projet de loi, et Sue y a fait allusion. Tout d'abord, comme vous l'avez entendu déjà à de nombreuses reprises, j'en suis certaine, l'élimination du Régime d'assistance publique du Canada affectera tous les Canadiens.
Comme vous le savez, la Loi sur le Régime d'assistance publique du Canada incorporait le principe selon lequel chacun mérite une protection de base, un minimum afin de ne pas souffrir de la faim. Il s'agit du principe des prestations adéquates. Il n'y a jamais eu de prestations adéquates, mais la présence du Régime d'assistance publique du Canada a en fait exercé un effet important de dissuasion.
Lorsque je travaillais en Saskatchewan pour la défense des droits à l'aide sociale, nous pouvions utiliser les accords multidimentionnels et la loi pour empêcher le gouvernement Devine de faire des propositions de programme de travail obligatoire arbitraires et pour obtenir que le gouvernement renverse sa décision de supprimer l'aide sociale pour des milliers de gens qui ne répondaient pas aux critères mineurs de la Loi sur le programme de travail obligatoire qu'il avait adoptée.
À l'heure actuelle, l'aide sociale touche un Canadien de notre génération sur quatre. Avec un niveau de chômage plus élevé, c'est sans doute un Canadien sur trois. Cela veut dire que cela touche directement une bonne partie d'entre nous. Cela nous touche car les gens qui sont obligés de demander de l'aide sociale sont nos parents, nos enfants, nos amis, d'autres membres de notre famille, nos étudiants ou des gens qui sont obligés de mendier dans la rue. Ainsi, l'aide sociale nous touche tous directement.
Il est particulièrement important à ce moment-ci de nous protéger contre ce genre de misère, car le taux de chômage est très élevé. Déjà, plus d'un travailleur sur quatre est obligé de retirer de l'assurance-chômage chaque année, et un travailleur sur trois épuise ses prestations d'assurance-chômage avant de trouver un autre emploi. En fait, toutes les statistiques montrent que la main-d'oeuvre «juste-à-temps» va augmenter ce genre de proportion.
En plus d'aider ceux qui sont actuellement dans le besoin, le RAPC nous aide tous indirectement, plus particulièrement les gens de la classe ouvrière. L'aide sociale sert de salaire minimum non-officiel. C'est le salaire que même les employeurs qui exploitent le plus leurs employés doivent offrir s'ils veulent attirer des travailleurs.
En réduisant les normes, en transférant les niveaux et en exigeant que les points d'impôt servent pour l'aide sociale, le projet de loi C-76 fera baisser considérablement les prestations sociales dans de nombreuses provinces et peut-être même dans toutes. Ce sera laissé à la discrétion du parti qui est au pouvoir.
Lorsque les prestations sociales baisseront en raison du projet de loi C-76, nous pourrons nous attendre à ce que les salaires de tous les travailleurs baissent également, plus particulièrement pour ceux qui gagnent le salaire minimum. La baisse des prestations sociales et la diminution des droits feront en sorte qu'il sera plus difficile pour les travailleurs d'oser protester contre des conditions de travail dangereuses ou illégales, pour les femmes de quitter une situation de violence familiale et pour les gens opprimés, de tenir le coup en attendant de trouver un travail où on les exploite moins.
Le RAPC est le pivot des programmes sociaux au Canada. Sans le RAPC, tous les autres programmes peuvent être éliminés, car les gens sont beaucoup plus vulnérables. S'attaquer au RAPC, c'est s'attaquer directement aux droits et au bien-être de tous les Canadiens.
Cela semble être l'objectif de l'Institut C.D. Howe et du Conseil canadien des chefs d'entreprise. En fait, on le répète de façon explicite dans leur documentation. Mais ils représentent les entreprises les plus riches, moins de 1 p. 100 de la population. Si l'on sape le pouvoir de négociation de toute la population active, c'est ce groupe d'intérêts spéciaux qui risque le plus d'en profiter.
Nous vous demandons de prendre une position fondée davantage sur des principes, une position représentant la vaste majorité des Canadiens, vos électeurs.
Notre deuxième préoccupation concerne le financement global qui élimine les normes nationales.
Le projet de loi C-76 vise à remplacer la formule de partage des frais sans réserves en matière de santé et d'aide sociale par un système de points fiscaux et de transferts pécuniaires dégressifs. Pour justier cette mesure, on prétend que cela donnerait une plus grande marge de manoeuvre aux provinces. Toutefois, les provinces sont déjà totalement libres de mettre en vigueur des façons originales d'offrir leurs services. La seule latitude dont elles ne disposent pas à l'heure actuelle, c'est le droit d'enfreindre les normes nationales, et le projet de loi C-76 semble justement avoir pour principal objet de supprimer ces normes.
Le financement global aura pour effet de supprimer toutes les normes garanties par rapport à l'aide sociale aux termes du RAPC: le droit de recevoir des prestations d'aide sociale suffisantes en fonction uniquement des besoins, et non du caractère méritoire, contrairement aux États-Unis où il faut être mal-voyants ou parents célibataires pour obtenir de l'aide sociale; le droit d'interjeter appel des décisions; la protection contre le travail obligatoire et aucune exigence en matière de résidence. Le projet de loi C-76 supprime toutes ces normes sauf la dernière, très ouvertement, mais en l'absence d'un droit d'appel, même la norme relative à non-exigence de résidence est difficile à appliquer.
En supprimant progressivement les fonds affectés par le fédéral au domaine de la santé, le gouvernement renonce à sa capacité de protéger les normes nationales relatives à l'assurance-santé. Il semble le faire de propos délibérés. La ministre a déjà parlé en long et en large de la question de savoir si elle prendra des mesres pour empêcher les tickets modérateurs et la privatisation des services en Alberta, et le premier ministre a déclaré publiquement, à tort, que l'assurance-santé n'a jamais visé à payer de façon permanente les services de santé fondamentaux.
La troisième chose qui nous préoccupe, c'est que le projet de loi C-76 vise à sabrer dans les fonds alloués à la santé et l'aide sociale. Les niveaux de financement global seront nettement inférieurs aux paiements de transfert et aux points fiscaux actuels. C'est prévu dans le budget. Quant à l'avenir, lorsqu'on a mis en place un système de subventions forfaitaires, il est très difficile de fonder la subvention sur les besoins par habitant, comme c'est le cas en vertu du système actuel.
Le transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux plafonne, en fait, le financement des services de santé et d'aide sociale au niveau actuel, ce qui ôte toute marge de manoeuvre aux provinces pour faire face aux périodes de taux de chômage élevé ou d'augmentation des frais de santé.
Il n'y aucune garantie que le niveau du financement global restera ausi élevé au fil des ans, comme en témoigne la suppression du financement accordé en vertu des crédits d'impôt en 1977. Jusqu'en 1991, les prestations versées dans le cadre du RAPC n'étaient pas fixes, mais plutôt fondées sur le niveau réel de besoins des particuliers. Sous le gouvernement conservateur, le projet de loi C-32 a imposé de façon punitive un plafond aux bénéficiaires qui vivaient dans les trois provinces qui n'ont pas reçu de transferts pécuniaires en 1991. En vertu du financement global, le projet de loi C-76 plafonne les dépenses au titre de l'aide sociale dans toutes les provinces, quel que soit le nombre de personnes démunies ou le niveau des besoins de ces dernières.
En quatrième lieu, nous reprochons au projet de loi de s'attaquer aux travailleurs des services publics. Les membres de la classe ouvrière et les gens à faible revenu comptent sur de bons services publics. En fait, les membres de la classe moyenne également. Après 20 années de coupes sombres dans la fonction publique, les Canadiens ont déjà perdu du terrain quant à la possibilité d'avoir accès aux services d'urgence et courants auxquels ils ont droit. Cette attaque contre les fonctionnaires représente la compression la plus importante depuis l'entrée en vigueur des programmes nationaux d'aide sociale.
Les victimes ne seront pas seulement des travailleurs dévoués qui perdront leurs emplois, mais également les petites entreprises qui dépendent des contrats de sous-traitance et du pouvoir d'achat des fonctionnaires. Les dépenses à la consommation diminueront également. Les plus gros perdants, toutefois, seront les Canadiens en général, et surtout les plus vulnérables d'entre eux, ceux qui utilisent notre centre et qui comptent sur les services offerts par ces travailleurs.
Notre plus grande source d'inquiétude vient de ce que le projet de loi C-76 oblige les Canadiens les plus pauvres à assumer la plus grosse partie du fardeau du déficit. En vertu du projet de loi C-76, les pauvres devront faire les frais de la dette créée essentiellement par les grandes sociétés et les riches de notre pays. Plus de 90 p. 100 du déficit est dû aux taux d'intérêt artificiellement gonflés par la Banque du Canada, au taux de chômage élevé découlant de ces taux d'intérêt gonflés et à d'autres politiques du gouvernement fédéral, notamment le fait de n'avoir pas réglementé la spéculation sur les capitaux au niveau international, et de n'avoir pas suffisamment imposé les grandes sociétés et les Canadiens les plus riches.
Seulement 4,5 p. 100 de la dette globale est dû aux programmes d'aide sociale, et pourtant, le gouvernement veut les réduire. Le chômage cause un manque à gagner de recettes fiscales de plus de 100 milliards de dollars par an. Si le chômage s'établissait à ne serait-ce que 7 p. 100, ce qui il y a encore quelques années était jugé comme un taux beaucoup trop élevé, les recettes fiscales augmenteraient suffisamment pour éponger tout notre déficit de fonctionnement.
Le président: Nous serions ravis si nous pouvions ramener le taux de chômage à 7 p. 100, ou encore moins.
Mme Ralph: Je n'en doute pas, si ce n'est que les taux d'intérêt, qui étaient nettement inférieurs à 2 ou 3 p. 100 pendant des années, ont été gonflés de façon artificielle, uniquement en raison de l'actuel...
Le président: Êtes-vous certaine de ce que vous avancez?
Mme Ralph: Absolument.
Le président: Ces taux ne sont pas fixés par les marchés internationaux?
Mme Ralph: Non, j'en suis convaincu. Il suffit de lire l'ouvrage de Linda McQuaig intitulé Shooting the Hippo ou The Deficit Made Me Do It. Si vous le désirez, je pourrais citer d'autres ouvrages également.
Le président: Cameron?
Mme Ralph: Oui.
Le président: Oui, nous les avons lus.
Mme Ralph: Je suis certaine que vous en avez entendu parler aussi.
Réduire les dépenses consacrées aux fonctionnaires et à répondre aux besoins fondamentaux de tous les Canadiens va probablement accroître le déficit plutôt que le réduire, car cela va provoquer une hausse du chômage, un accroissement des coûts sociaux liés à la pauvreté en termes de maladies et de crimes, et une baisse de l'efficacité de la Fonction publique. Nous avons vu que tel en était le résultat en Nouvelle-Zélande et dans des provinces comme la Saskatchewan sous le règne de Grant Devine. J'ai habité dans cette province et je peux vous dire que c'est exactement ce qui s'est passé. Il n'y avait jamais eu de déficit jusqu'à ce que l'on mette en place des politiques de ce genre, tout à coup, il y a eu un déficit monstre créé artificiellement par l'élimination des sources de revenu sur lesquelles le gouvernement comptait auparavant.
Il est évident que le véritable but n'est pas de réduire le déficit, mais plutôt de mener à son terme le programme draconien entamé par le gouvernement Mulroney: une stratégie à long terme visant à supprimer la protection assurée par l'État-providence et à forcer les travailleurs canadiens à être à la merci des forces du marché, comme on l'a fait aux travailleurs en Angleterre en 1834 dans le cadre de la prétendue réforme des lois sur la pauvreté.
Le projet de loi C-76 sacrifie les gens que nous sommes censés servir sur l'autel du déficit. Ces gens-là n'ont pas causé le déficit; ils en sont les victimes. Pourquoi le gouvernement ne s'attaque-t-il pas plutôt aux mille sociétés canadiennes les plus rentables qui ont amassé l'année dernière des bénéfices de 19,8 p. 100, ou encore aux chefs d'entreprises comme le président de Magna, M. Frank Stronach, qui a gagné l'année dernière 40,7 millions de dollars, dont une bonne partie exempte d'impôts? Chaque année, 20 milliards de dollars de profits réalisés par les sociétés sont totalement exemptés d'impôts.
Fondamentalement, le projet de loi C-76 est un choix en faveur des plus riches, qui sont une poignée, à l'encontre des plus pauvres, qui sont très nombreux.
Les Canadiens sont parmi les peuples qui dépensent le moins pour les programmes sociaux, en pourcentage du PNB. Le Canada ne consacre que 12,8 p. 100 de son PNB aux programmes d'aide sociale et de sécurité sociale, en comparaison de 18 à 30 p. 100 en Allemagne, en France, en Autriche, en Belgique, aux Pays-Bas, au Danemark, en Suède et en Norvège. Les États-Unis sont à peu près le seul pays qui dépense moins que nous à ce chapitre, soit 11,5 p. 100.
L'impôt sur les sociétés représentait 19 p. 100 de l'ensemble des recettes fiscales canadiennes en 1969-1970. Aujourd'hui, il ne représente plus que 7 p. 100 des recettes. Le Canada et l'Australie sont les seuls grands pays industrialisés où il n'existe pas de taxe sur la richesse sous une forme quelconque. Une taxe de 1 p. 100 sur les actifs supérieurs à un million de dollars aurait rapporté en 1989 quatre milliards de dollars en Ontario seulement.
Il est évident que nous pouvons nous permettre nos programmes sociaux. Ce que l'on vous demande de faire par le projet de loi C-76, c'est de choisir d'accorder la priorité à la cupidité des plus riches au détriment des besoins de tous les Canadiens, à une époque où ces derniers ont le plus grand besoin d'aide.
Quel sera le résultat du projet de loi C-76? Les pauvres en souffriront. Les salaires vont baisser pour tous. Les soins de santé seront dispensés dans le cadre d'un régime à deux niveaux, seuls les riches ayant accès à des soins de qualité. Le taux de chômage augmentera à mesure que l'on réduira les services publics. Le déficit financier augmentera, même s'il sera camouflé par un transfert aux provinces et aux municipalités. Le déficit social, c'est-à-dire le crime, la maladie, les conflits, le sinistre, le désespoir, connaîtra une hausse exponentielle. Et les banques et les employeurs s'enrichiront davantage.
Au nom des 12 000 personnes que nous servons, nous vous demandons instamment et respectueusement de supprimer les parties I, IV et V du projet de loi C-76. Le RAPC et l'assurance-maladie sont des services essentiels qui sont ce que le Canada a de mieux à offrir. Ces services ne sont pas périmés et ils ne sont pas en crise. Ils sont par ailleurs tout à fait abordables. Ceux que nous servons ont besoin de bons services publics et des travailleurs qui sont chargés de les fournir.
Vous êtes dans une position clé. Vous pouvez défendre courageusement la grande majorité de vos commettants. Nous vous supplions d'avoir le courage de défendre les Canadiens contre ce projet de loi dangereux.
Le président: Cela met-il fin à votre présentation? Merci beaucoup.
[Français]
Nous allons commencer les questions avec M. Loubier.
M. Loubier: Mesdames et messieurs, je vous remercie pour votre excellente présentation. Je peux vous dire, en mon nom et au nom de mon parti, que nous appuyons l'essentiel de votre analyse et de vos recommandations. D'ailleurs, depuis que nous avons été élus députés, il y a quinze mois, indépendamment du débat constitutionnel, nous avons été les seuls à défendre les vrais électeurs, les les vrais citoyens et citoyennes qui nous ont amenés ici, et non pas les grandes corporations et les grands contributeurs de la caisse des vieux partis.
Je vous dirai également qu'au cours des prochaines semaines, lorsque viendra le temps d'apporter des amendements au projet de loi C-76 et d'énoncer les mauvaises cibles et les mesures qui nous apparaissent injustes - comme le fait que vous mentionniez tout à l'heure - soit 1 000 entreprises qui n'ont pas payé un cent d'impôt tout en étant profitable. En 1991, on en dénombrait 77 000.
Compte tenu de tout cela, et le fait que le gouvernement «ne mette pas ses culottes» pour réformer la fiscalité au profit des vrais citoyens, nous allons véhiculer vos positions et vos analyses au cours des prochaines semaines.
Je vous remercie de votre excellente présentation.
[Traduction]
Mme Ralph: Merci.
Le président: Merci, monsieur Loubier.
Monsieur St. Denis.
M. St. Denis: Je regarde les bandes dessinées et je les trouve très utiles. En voyant ces quatre dessins, je me demande si cela représente tout à fait fidèlement le budget fédéral.
Monsieur Martin a dit clairement que l'on dégagerait des principes communs à l'égard de normes nationales. Prenons par exemple le numéro deux, le droit d'avoir un revenu quand on est dans le besoin. Est-il possible, selon vous, d'imaginer que les provinces interprètent les changements apportées au RAPC de telle manière que cela entraîne le scénario que vous dépeignez ici? J'ai beaucoup de compassion pour les gens que vous représentez. Mais néanmoins, est-il possible, à votre avis, que les provinces prennent une mesure aussi rétrograde que de réduire autant que vous le laissez entendre les prestations accordées à ceux qui sont dans le besoin?
Mme Ralph: Il y a des provinces qui ont déjà supprimé l'aide sociale à des milliers de gens pour des raisons insignifiantes. Quand j'habitais en Saskatchewan, on enlevait l'aide sociale à des gens parce qu'ils s'étaient présentés trois fois en retard à un bureau de placement de travail obligatoire. On a coupé l'aide sociale à environ 10 000 personnes, complètement et illégalement. Ce serait légal après l'adoption du projet de loi C-76.
Au Québec, on a déjà coupé l'aide sociale à des milliers de gens. En Alberta et au Nouveau-Brunswick, beaucoup de gens ont déjà perdu leur chèque d'aide sociale. Je ne suis pas certaine que je suis d'accord avec le scénario précis que dépeint ce dessin, mais cela pourrait arriver. Le problème à mes yeux est que l'on pourrait établir des catégories de gens, tout comme on l'a fait aux États-Unis. Je sais que vous avez entendu hier les représentants de l'ONAP qui vous ont dit qu'au Massachusetts, on a coupé l'aide sociale aux personnes célibataires capables de travailler. Les mères célibataires, après deux ans, ne peuvent plus toucher l'aide sociale dans beaucoup d'États du Sud. Dans bien des endroits, les gens ne peuvent plus avoir d'aide sociale du tout simplement parce qu'il n'y a plus d'argent.
Le projet de loi permet essentiellement à chaque province de décider si elle va dépenser l'argent. Nous savons que la pauvreté entraîne un stigmate, que l'on impute aux plus pauvres la faute de leur propre pauvreté. On pourrait fort bien avoir un Ralph Klein qui dirait que ces gens-là n'ont qu'à cesser de se tourner les pouces, qu'ils doivent travailler et qu'ils ne méritent pas d'assistance sociale. Oui, cela pourrait arriver; en fait, cela arrive déjà.
M. Campbell (St. Paul's): Mon intervention sera brève, car la journée a été longue pour nous tous. Je vous remercie d'être venus nous rencontrer. C'est la fin d'une longue journée pour vous, et pour nous aussi, car nous avons tenu une très longue séance aujourd'hui.
Les propos que vous avez tenus sur la fiscalité exigent une réponse. C'est une litanie de griefs que nous entendons régulièrement. Comme cela revient souvent, j'ai fait un petit peu de recherche sur la question. Je tiens donc à présenter la question sous un autre angle.
Vous avez dit que l'impôt sur le revenu des sociétés ne cesse de diminuer en pourcentage des recettes fiscales totales. Mais si vous jetez un coup d'oeil sur les statistiques, comme je l'ai fait, vous constaterez que ce n'est pas parce que les taux ont baissé, mais au contraire parce que les profits ont été frappés tellement durement pendant les années financières 1990 à 1993.
En fait, le taux d'imposition réel total a augmenté au cours de cette période, au lieu de diminuer. Les rentrées fiscales totales en pourcentage de l'ensemble des recettes fiscales ont diminué.
J'ai également fait des recherches sur la fiscalité des particuliers et je signale qu'actuellement, les contribuables qui sont dans la tranche supérieure, de 10 p. 100, sur le plan des revenus paient la moitié de tout l'impôt sur le revenu.
Enfin, quelque a fait des calculs à ce propos. Si l'on confisquait tous les revenus supérieurs à 60 000$, ce qui pourrait paraître attrayant aux yeux de certains, et si l'on augmentait radicalement l'impôt sur les sociétés sans tenir compte des répercussions que cela aurait pour notre compétitivité dans le monde, et si l'on ramassait ainsi continuellement, car il serait contre-indiqué de faire seulement une ponction en une seule fois, si l'on ramassait donc des milliards et des milliards de dollars, eh bien, il faudrait encore trouver beaucoup d'autres milliards de dollars ne serait-ce que pour commencer à éliminer le déficit. Je ne veux pas que les gens retiennent du témoignage que nous venons d'entendre qu'il y a une panacée consistant à taxer les riches, particuliers et sociétés, sans avoir à faire quoi que ce soit d'autre.
Mme Ralph: Je suis d'accord avec vous qu'il ne sera pas suffisant de taxer les riches. Le principal problème, c'est le taux de chômage élevé; c'est pour cela que le coût des programmes sociaux a augmenté et c'est pour cela que les recettes fiscales ont tellement diminué. Or ce chômage élevé est principalement dû au taux d'inflation élevé, à l'absence d'investissement dans l'infrastructure, à l'absence d'investissement dans un programme national de garde d'enfants, etc.
Le taux d'imposition des riches Canadiens a augmenté d'environ 4 p. 100, tandis qu'au cours de la même période qui est je crois de 20 ans, le taux d'imposition des Canadiens les plus pauvres a augmenté de 394 p. 100. Les taux d'imposition ont augmenté, mais la part des recettes fiscales payée par les classes moyennes et inférieures a augmenté de façon spectaculaire. C'est un fait. Je suis d'accord avec vous pour dire que les 10 p. 100 les plus riches paient plus de 50 p. 100 du total de l'impôt sur le revenu, mais quel pourcentage de la richesse du pays ces 10 p. 100 détiennent-ils? C'est plus de 80 p. 100.
M. Campbell: Proposez-vous d'imposer le revenu ou la richesse?
Mme Ralph: Cela pourrait être les deux, mais la richesse... Il faut une taxe sur la richesse. Il faut également une taxe sur la spéculation financière.
M. Campbell: Je suppose que cela aurait des répercussions sur le problème de l'emploi qui, selon vous, est absolument prioritaire.
Mme Ralph: Oui, je le crois, car la plus grande partie de cette spéculation a très peu à voir avec la création d'emplois. Elle a surtout à voir avec le blanchiment d'argent aux taux les plus élevés possible. C'est un tour de passe-passe.
Le président: À ce sujet, quel genre de transactions financières devrions-nous taxer, à votre avis?
Mme Ralph: Je ne suis pas fiscaliste, mais les sources que j'ai consultées disent qu'il y a 1 billion de dollars en circulation. James Tobin viendra parler d'une éventuelle taxe sur la spéculation internationale des devises; c'est un élément.
Le président: Vous parlez de la taxe Tobin, je sais de quoi vous parlez.
Mme Ralph: Oui, c'est bien la taxe Tobin.
M. Campbell: C'est sur le plan international, non pas au Canada.
Mme Ralph: Oui, je comprends. Une partie de cette spéculation se fait au Canada.
Il y a aussi une taxe sur la richesse. Je suis sûre que Neil Brooks vous a présenté toutes sortes de possibilités.
Le président: Nous avons entendu M. Brooks à deux reprises au moins; nous l'avons écouté et nous avons étudié attentivement bon nombre de ses propositions.
Mme Ralph: J'en suis ravie.
Le président: Toutefois, nous n'en avons pas acceptées beaucoup. Nous procédons à de larges consultations sur ces questions, mais cela ne veut pas dire qu'après avoir examiné les propositions qu'on nous fait, nous les trouvons nécessairement réalisables. Nous cherchons la perle rare.
Si nous trouvions la solution miracle, nous n'aurions pas besoin d'opérer ces compressions extrêmement pénibles et difficiles.
Mme Ralph: Nous ne sommes pas d'accord sur les causes du déficit et les moyens d'y remédier.
Pouvez-vous m'expliquer en quoi le fait d'opérer des coupes sombres dans le RAPC, l'assurance-chômage, les pensions et les logements va réduire le déficit?
Le président: Tout cela va le réduire de 7 milliards en deux ans.
Maintenant, vous pouvez tout à fait légitimement dire que l'on s'en prend aux mauvaises personnes.
Mme Ralph: Oui.
Le président: À mes yeux, vous avez beaucoup de crédibilité quand vous venez nous dire: «Ne faites pas mal à ces gens avec qui nous travaillons. Nous savons que leurs besoins sont réels et qu'ils ne vous volent pas d'argent. Si vous leur enlevez les dernières miettes de soutien, ils deviendront un boulet encore plus lourd à traîner pour vous et ils n'auront plus le moindre espoir de se sortir de la pauvreté.» Quand vous nous tenez un discours de ce genre, vous avez une crédibilité immense.
Par ailleurs, quand vous venez accuser la Banque du Canada de vouloir conserver artificiellement les taux d'intérêt trop élevés, parce qu'elle veut que l'on souffre et que l'on paie des taux d'intérêts plus élevés, que l'on soit moins compétitifs et que l'on des déficits plus élevés... et bien, vous n'êtes pas les seuls. Si l'on pensait ne serait-ce qu'une seconde que tout ce qu'il y a à faire, c'est d'abaisser les taux d'intérêt ou d'imprimer de l'argent, comme Duncan Cameron est venu nous le dire l'autre soir, pour rembourser la dette, mon Dieu, que ce serait magnifique! Nous n'aurions plus aucun souci. Ce serait extraordinaire. À ce compte-là, on pourrait éliminer la pauvreté partout dans le monde, parce que tous les pays qui sont endettés pourraient s'en sortir de cette façon.
Mme Ralph: Comment cela se fait-il, si le déficit est tellement important, que l'on ne mette pas la priorité sur les sources d'argent les plus riches et que la priorité n'est pas de remettre les Canadiens au travail, par exemple, au lieu d'établir ces minuscules programmes de création d'emplois et de ruiner du même coup les universités?
Le président: Si vous savez comment créer des emplois, nous aimerions bien vous l'entendre dire. N'hésitez pas, expliquez-le nous et dites-nous combien cela coûtera.
Mme Ralph: Un programme national de garde des enfants créerait beaucoup d'emplois.
Le président: Combien cela nous coûterait-il par emploi? Et qui payerait?
Mme Ralph: Les impôts en financeraient probablement la majeure partie.
Le président: Combien voulez-vous que le gouvernement paie les employés des garderies?
Mme Ralph: Je voudrais que vous donniez aux gens un salaire honnête.
Le président: Le chiffre de 20 000$ conviendrait-il?
Mme Ralph: Ce serait probablement plutôt aux alentours de 30 000$.
Le président: Si le gouvernement, que ce soit le gouvernement provincial, fédéral ou municipal, paie 30 000$ par employé pour un programme de garderie, vous dites que les taxes sur ce revenu seront plus que suffisantes pour payer le programme?
Mme Ralph: Ce ne sera pas plus que suffisant, cela vous coûtera quand même de l'argent. Mais il y a aussi des recettes fiscales que l'on peut aller chercher ailleurs.
Le président: Mais vous m'avez dit que les taxes seraient plus que suffisantes pour payer le programme.
M. Jim Dooley (membre, Somerset West Community Health Centre): Je vous invite à considérer que la totalité de ce revenu de 30 000$ est réinjecté dans l'économie.
Le président: Il y a donc effet multiplicateur parce qu'il y a plus d'argent en circulation.
M. Dooley: Je ne parle pas des gens qui mettent leur agent de côté, ce qui retire l'argent de la circulation.
Le président: À ce compte-là, nous devrions donner 30 000$, y compris aux pauvres. Au lieu de leur donner une portion congrue aux termes du RAPC, nous ferions mieux de leur donner carrément 30 000$. L'argent circulerait et nous serions tous plus riches. Certains économistes l'ont proposé.
[Français]
Monsieur Loubier.
M. Loubier: Ce n'est pas cela que les témoins nous ont dit, monsieur le président. Plus tôt, j'écoutais les arguments techniques de M. Campbell, sa façon de vouloir mettre en boîte nos témoins et les arguments un petit peu fallacieux que vous venez de présenter, comme si les arguments de ces derniers n'étaient pas crédibles, et je trouve cela déplorable.
J'aimerais revenir sur les arguments de M. Campbell qui prétend que les chiffres de répartition - les revenus du gouvernement fédéral provenant des entreprises et des particuliers - ne sont pas crédibles. À mon avis, c'est tout à fait le contraire. Lorsque M. Campbell affirme que la conjoncture a fait en sorte que les profits et la part des impôts payés par les entreprises ont diminué depuis 1990, je m'excuse, mais depuis 1990, la récession n'a pas seulement touché les corporations mais aussi les revenus des particuliers.
Il y a eu plus de chômeurs, donc moins de taxes et d'impôt ont été payés. Normalement, l'impact de cette récession aurait dû être équilibré par les rentrées fiscales. La réalité, c'est qu'il y a 50 ans, il y avait 50 p. 100 des revenus du gouvernement fédéral qui provenaient des corporations et 50 p. 100 des particuliers. Aujourd'hui, depuis le milieu des années 1980, entre 16 et 19 p. 100 des revenus proviennent des entreprises et le reste provient des particuliers. Donc, il y a là quelque chose de structurel.
Cela nous donne comme indice qu'il faut modifier la fiscalité, qu'elle est pleine de trous; qu'il y a des gens à la grandeur du Canada, que ce soit des entreprises ou des hauts salariés, même de très hauts salariés qui ne fournissent pas leur juste part à l'assiette fiscale. Le jour où ils contribueront leur juste part, peut-être qu'à ce moment-là, on aura suffisamment d'argent pour créer des places en garderie. Mais il ne faut pas donner 30 000$ à tout le monde pour faire rouler l'économie, ce n'est pas cela que nos témoins nous ont dit.
Deuxièmement, il y a la question des taux d'intérêt. C'est trop facile de dire qu'on n'a aucune influence sur cela. Si on n'en a aucune sur les taux d'intérêt, qu'on abolisse la Banque du Canada. À part de vendre des titres du gouvernement fédéral et d'en acheter, que fout-elle? Elle a une influence certaine sur les taux d'intérêt, mais les remèdes de cheval qu'on nous a appliqués, depuis 1988, consistaient à avoir à peu près cinq points de différence entre les taux d'intérêt canadiens et américains. On a foutu le Canada en pleine récession à peu près 18 mois avant tout le monde, avant les États-Unis, avant l'Europe. Si on n'avait pas d'influence sur les taux d'intérêt, comment se fait-il qu'ils se sont retrouvés cinq points supérieurs dans une conjoncture où normalement ils n'auraient pas dû être à cinq points. Il faut faire attention quand on présente des choses comme celle-là.
Troisièmement, M. St. Denis a dit quelque chose d'intéressant. Il disait: «Pensez-vous que les provinces sont assez rétrogrades pour couper dans les programmes sociaux»? Écoutez! Il y a une chose qu'il ne faut pas oublier en partant. C'est le gouvernement fédéral qui a été rétrograde dans ces décisions au cours des deux derniers budgets. Il a fait des coupures de 2,5 milliards de dollars dans le fonds de l'assurance-chômage alors qu'il ne contribue plus une maudite cent dans ce fonds-là; 2,5 milliards de dollars cette année; 2,5 milliards de dollars l'an prochain; 7,5 milliards de dollars de coupures dans les transferts aux provinces.
N'oubliez pas cela. Ce ne sont pas les provinces qui l'ont fait. C'est le gouvernement fédéral qui a transféré ses problèmes de déficit dans la cour des provinces en plus de s'attaquer aux plus démunis. Il ne faut pas l'oublier, il ne faut vraiment pas mettre cela de côté.
C'est tout ce que j'avais à dire, monsieur le président. Encore une fois, je déplore le fait que, lorsqu'on a des témoins qui viennent des milieux sociaux, on tente, par des arguments trop techniques et parfois tirés par les cheveux par rapport à ce qu'ils ont dit, de les mettre en boîte. Je n'ai jamais admis cela, et je ne l'admettrai pas non plus pour nos travaux futurs. Merci.
[Traduction]
M. Campbell: Monsieur le président, je tiens à dire que je fais allusion à certaines informations, à certaines recherches que j'ai menées, et que Mme Ralph a eu la gentillesse de me communiquer certaines de ses données. Je n'avais pas l'intention de ridiculiser les témoins; je voulais seulement aborder la question d'un autre point de vue. Elle a répondu avec les informations qu'elle avait.
C'est tout ce que j'avais à dire, monsieur le président.
Le président: À mon avis, il faut continuer de trouver de nouvelles façons de hausser les recettes de façon équitable. Nous poursuivrons notre recherche, notamment dans le cadre de nos consultations prébudgétaires de l'automne prochain. Nous continuerons de nous demander si les politiques monétaires de la Banque du Canada et du gouvernement peuvent être améliorées, parce que nous aimerions bien que les taux d'intérêt baissent.
Mme Ralph: Puis-je poser encore une question?
Le président: Certainement.
Mme Ralph: Je crois qe vous devez... Vous avez pinaillé sur les autres sources de recette que nous avons signalées. Or, il ne m'incombe pas à moi de trouver d'autres sources de recette. Est-ce qu'il m'incombe...
Le président: Excusez-moi, madame Ralph, puis-je intervenir? Il est vrai que ce n'est pas à vous que ça incombe, mais vous avez décidé de nous faire des suggestions à cet égard. Étant donné que vous avez soulevé la question vous même, que vous avez assumé cette responsabilité en public, devant notre Comité, je me suis senti obligé de commenter vos suggestions.
Nous poursuivrons notre recherche de nouvelles sources. Mais j'ajouterai ceci. Vous êtes une spécialiste. Vous connaissez bien les gens avec qui vous faites affaires, ceux que nous ne pouvons négliger, et vous êtes tout à fait en droit de dire: «Mon dieu, il y a bien des gens et des groupes riches. Pourquoi ne vous attaquez-vous pas à eux? Nous ne connaissons pas la meilleure solution, mais il serait juste que les plus riches, ceux qui en ont les moyens ou ceux qui ont un revenu plus élevé contribuent davantage, parce que les démunis n'ont rien à nous donner et ont même besoin de notre aide».
Je crois que vous avez plaidé leur cause devant nous ce soir de façon très impressionnante.
Je vous félicite de l'excellent travail que vous faites et je vous remercie d'être venu témoigner ce soir devant notre comité. Merci beaucoup.
Nous siégerons de nouveau dans cette salle-ci demain, à 9h30.
La séance est levée.