[Enregistrement électronique]
Le jeudi 19 octobre 1995
[Français]
Le président: À l'ordre, s'il vous plaît. Nous poursuivons aujourd'hui l'étude du projet de loi C-103.
Notre premier témoin est M. Jean Paré, vice-président de l'Association québécoise des éditeurs de magazines. Monsieur Paré, vous êtes le bienvenu.
M. Jean Paré (vice-président, Association québécoise des éditeurs de magazines): Madame, messieurs, je vous remercie, au nom de l'Association québécoise des éditeurs de magazines, de nous accueillir ici. Je n'ai pas l'habitude des commissions parlementaires et je ne sais pas comment cela se passe. Si je fais des accrocs au protocole, je vous prie de m'en excuser et de m'indiquer la voie à suivre.
Je représente l'Association québécoise des éditeurs de magazines qui a été créée en 1989, c'est-à-dire 200 ans exactement après la fondation du premier magazine canadien, le Halifax Magazine, et deux ans avant la fondation du deuxième magazine canadien, le Magazine de Québec.
Madame et messieurs les représentants des consommateurs et des électeurs canadiens, de leurs intérêts et de ceux de notre pays, j'aimerais vous parler d'un problème qui inquiète beaucoup les 53 magazines de langue française membres de l'Association, problème dont nous parlons depuis quatre à cinq ans sans parvenir à trouver une solution.
Les membres de l'AQEM appuient très fermement le projet de loi C-103 et demandent au gouvernement d'en faire l'adoption sans autre délai. Les choses ont déjà beaucoup traîné, et ce retard à faire respecter les principes qui sont à la base de la législation canadienne sur le sujet depuis 30 ans a sans doute déjà coûté des investissements à l'industrie du magazine.
Hier, à une réunion, j'ai noté que depuis l'apparition de la question qui nous réunit ici aujourd'hui, celle des split runs ou des éditions dédoublées, il n'y a eu à peu près pas de lancements de nouveaux magazines canadiens malgré une reprise de l'économie, alors que, depuis 20 ans, l'industrie canadienne du magazine était en plein développement. Il semble que ce développement a été ralenti, sinon arrêté par cette question-là. Pourquoi créer des entreprises qui pourraient bientôt se trouver dans une situation difficile à cause de la négligence des pouvoirs publics à faire respecter nos lois et l'esprit de nos lois?
Par conséquent, les membres de l'AQEM appuient pleinement et entièrement la position exprimée par la Canadian Magazine Publishers Association dans le mémoire qu'elle présentera plus tard au comité.
Je suis également membre de la CMPA et représentant de l'AQEM au CMPA et je sais un peu ce que mes collègues s'apprêtent à dire, en particulier Mme Maureen Cavan qui va parler au nom de la CMPA. Je voudrais donc éviter de vous faire perdre votre temps en répétant leur partie de l'argumentation.
Nous appuyons leur position et leur mémoire à l'exception d'une phrase dont je veux vous parler. Elle se lit ainsi:
- The English Canadian magazine industry is in a precarious...position.
Il ne s'agit pas d'un phénomène américain. Il ne s'agit pas de nos voisins immédiats. Aujourd'hui, les grands éditeurs sont français et ils ont pris pied sur le marché nord-américain. Ils sont des concurrents très forts; ils sont allemands, hollandais, italiens, belges et suisses. C'est à ces gens que nous avons affaire.
En effet, l'industrie canadienne et québécoise du magazine partage désormais non seulement une frontière, mais désormais, à cause de l'internationalisation des marchés, des organisations et des technologies, toutes les frontières du monde, peu importe la langue. Le Canada français est le deuxième marché de langue française au monde, avant la Belgique et la Suisse. En fait, c'est un marché qui est plus grand que l'ensemble de tous les 40 autres pays membres de la Communauté des pays de langue française à part les deux que je viens de nommer et la France.
J'aimerais vous signaler, et ce n'est pas dans mon mémoire, que les magazines que je reçois à Montréal, en provenance de Paris et de Bruxelles, sont déjà très différents de ceux que je pourrais acheter à Paris. Ce sont des magazines qui ont été dépouillés de toutes les publicités françaises, suisses ou belges. On me les envoie ici et on n'attend qu'une petite chance, une petite autorisation, une petite exception pour les remplir de la publicité qui, actuellement, permet la publication de nos magazines.
Ces gens sont polis; ils attendent à la frontière et n'ont pas essayé d'entrer par la fenêtre. Mais ils sont là et ils sont très puissants. Ce sont des industries qui sont 5, 10 et 20 fois plus grosses que la nôtre. Plus de 20 millions de Canadiens lisent des magazines canadiens, des news magazines, des magazines d'intérêt général, des magazines féminins, des magazines spécialisés et des magazines professionnels.
Peu de ces 20 millions Canadiens, et même la plupart d'entre vous, qui avez la responsabilité de faire appliquer nos lois, ne se rendent pas compte que la majorité de ces magazines, qu'ils lisent avec intérêt et auxquels ils tiennent, n'existeraient pas sans les mesures éclairées que les gouvernements successifs du Canada ont prises depuis 30 ans pour remettre à niveau les chances des Canadiens dans le marché international et assurer l'équité de la concurrence. Je ne sais pas comment on va traduire le mot «équité», mais en anglais, je dirais «fairness».
La preuve de ce que nous avançons, c'est qu'avant l'adoption de ces lois, il y a 25 et quelques années, notre industrie était inexistante. Le magazine que je dirige aura 20 ans en 1996. Il a paru pour la première fois en septembre 1976. À l'époque, sur le marché de Montréal, il y avait seulement trois magazines de langue française. Aujourd'hui, on en compte 300, dont 57 sont membres de notre Association. Ils sont les plus importants, les plus gros et, disons-le, les meilleurs.
Lors de la fondation de L'Actualité, il n'existait donc que trois des 57 magazines que je représente aujourd'hui. Le tirage annuel combiné des magazines existants, en 1976, il y a 20 ans, n'était que de 6 millions d'exemplaires. Aujourd'hui, le tirage de nos 57 membres atteint 80 millions, c'est-à-dire 15 fois plus. Et si l'on ajoute les magazines qui ne sont pas membres de notre Association, soit près de 300 magazines, on parle de 138 millions d'exemplaires. Donc, il est clair, net et évident que les lois adoptées il y a 25 ans ont déclenché l'investissement dans ces entreprises. Nous en remercions les gouvernements de l'époque qui ont agi de façon éclairée.
L'évolution de l'industrie du magazine est à peu près identique au Canada anglais, et je vais laisser mes collègues de la CMPA vous en faire la description. On pourrait croire, à voir cette évolution et ces chiffres, qu'il s'agit d'un secteur robuste et florissant de l'industrie des communications. Il n'en est rien. Neuf sur 10 de tous les magazines canadiens ne sont pas rentables et n'existent, au fond, que par le soutien de quelques grands frères et grandes soeurs des magazines rentables qui paient pour les autres dans l'attente d'un profit éventuel. Je pourrais dire que dans notre industrie, hope is stronger than greed.
Cette minorité de magazines rentables doit se contenter de profits qui ne dépassent guère, en moyenne, 10 p. 100, et parfois moins. C'est 10 p. 100 quand il n'y a pas de récession. Cela est bien en dessous des normes considérées comme minimales aux États-Unis, où les magazines vont chercher des profits qui dépassent toujours les 15 p. 100 et qui peuvent parfois atteindre 20, 25 et même 30 p. 100.
De 60 à 75 p. 100 des revenus de nos magazines viennent de la publicité. Une réduction de l'assiette publicitaire de 10 p. 100, qu'elle soit due à la concurrence ou à des récessions, liquiderait probablement la plus grande partie de l'industrie du magazine au Canada.
L'industrie canadienne du magazine réclame donc le maintien, la sauvegarde des conditions qui prévalent depuis 30 ans et qui sont nécessaires à cause de l'exiguïté du marché canadien. Le marché du Canada est le dixième du marché américain. Et, de la même façon, le marché, au Canada français, est le dixième du marché français. Nous sommes dans la même situation par rapport à nos concurrents français que les Canadiens par rapport aux concurrents américains. Les Français nous aiment beaucoup, nous du Québec. Ils nous aiment comme j'aime les huîtres et le chocolat: pour nous manger!
La situation est pire pour le marché du Canada français que pour le marché canadien dans son ensemble, parce que nous ne représentons que le tiers du marché du Canada anglais. La langue n'est pas une protection. C'est l'illusion que je voudrais détruire, le cliché que je voudrais que l'on oublie.
Les géants de l'édition ne publient pas qu'en anglais. Notre concurrence vient des sociétés allemandes, françaises, britanniques et américaines. Dans le domaine des magazines d'affaires et professionnels, elle est aujourd'hui hollandaise et britannique. Ces entreprises sont gigantesques; elles possèdent des centaines de titres.
Personnellement, je m'occupe de trois titres qui ont du succès: L'Actualité, Châtelaine et Le Bulletin des agriculteurs. C'est ce qu'on appelle chez nous une chaîne.
En France, quand on parle d'une chaîne, on parle de centaines de titres. Aux États-Unis, c'est la même chose. Et certains de ces titres les plus petits sont parfois plus grands que les plus grands tirages canadiens. Ils publient dans toutes les langues. Ils adaptent leurs contenus dans des éditions réduites, rapetissées, amincies, de façon à écrémer les revenus publicitaires dans le plus grand nombre de marchés possibles, et pas seulement au Canada. Ces éditeurs internationaux sont actuellement en train de nous découvrir comme Christophe Colomb a découvert les aborigènes.
Le projet de loi C-103 n'apporte rien de neuf et ne change rien aux règles du jeu; il les perpétue et les protège. Il ne fait que consolider la situation actuelle et ne change rien aux conditions de travail et d'exploitation de nos collègues des autres pays, du moins pas avant qu'ils ne tentent de profiter d'une faille dans le libellé des lois pour en contourner l'esprit.
Le projet de loi C-103 n'ajoute pas à la protection des magazines. Il ajoute à la capacité du gouvernement du Canada de faire appliquer ses lois et d'en faire respecter l'esprit.
C'est un projet de loi pour le pays autant que pour les éditeurs. En effet, les lois actuelles interdisent le transport au Canada d'éditions publicitaires locales de magazines étrangers par camion, par train ou par avion. En toute logique, il est difficile de prétendre que le transport électronique n'est pas du transport.
Si le transport électronique n'était pas du transport, vous nous permettriez de transporter nos fonds illégalement au-delà des frontières pourvu qu'on le fasse électroniquement. Or, je sais que ce n'est pas le cas.
L'ensemble des lois et réglementations que consolide le projet de loi C-103 est un ensemble sage. Cet appareil qui a permis la naissance et le développement de l'industrie canadienne du magazine a été établi après un grand nombre d'études et d'enquêtes publiques qui ont toutes été unanimes.
Peu de secteurs ont été aussi étudiés et analysés aussi soigneusement, et les recommandations sont toutes allées dans le même sens, depuis la Commission O'Leary jusqu'au Comité Tassé-O'Callaghan, en passant par la Commission Kent, la Commission Davey et de nombreux comités d'études. Depuis, il n'est rien survenu qui permette de penser que ces recommandations sont désuètes. Il ne s'est rien écrit, ni récemment ni au cours des dernières années, il ne s'est fait aucune étude, il ne s'est publié aucun rapport qui remette en question les conclusions et les recommandations de ces nombreuses commissions gouvernementales. On comprendrait mal que les pouvoirs publics remettent soudain en cause une telle quantité de recommandations et mettent en péril une industrie aussi importante du point de vue politique, culturel, social et économique. Ce serait de l'improvisation.
Dans le passé, le gouvernement et les organismes publics n'ont pas surveillé le respect de ces lois avec autant d'attention pour nos magazines de langue française qu'ils ne l'ont fait pour les magazines de langue anglaise. Plusieurs éditeurs européens ont tenté, sans trop de succès, par manque d'expérience, je pense, de produire des éditions canadiennes de leurs magazines et ont vendu illégalement de la publicité au Canada. Nous ne nous sommes pas défendus parce que nous étions à peine nés, parce que nous n'avions pas d'association, et non pas parce que cela ne nous nuisait pas.
J'aimerais signaler que les magazines sont peut-être les plus canadiens de tous les médias. Ils le sont plus, je pense, que les quotidiens et les hebdomadaires et probablement plus que la radio et la télévision. Aucun quotidien n'a d'équivalent dans l'autre langue; tous sont indépendants.
À part Radio-Canada, toutes les chaînes de télévision sont indépendantes, ou de langue française ou de langue anglaise, et propriétés de groupes de langue française ou de langue anglaise.
Seuls les éditeurs de magazines, pas seulement la société pour laquelle je travaille, mais presque toutes les grandes sociétés d'édition de magazines, se sont donné la peine de créer des magazines jumeaux, ce que j'appelle des magazines siamois, avec, sous le même nom ou sous des noms différents, des éditions dans les deux langues qui servent un public d'un océan à l'autre. C'est le cas de publications comme Coup de pouce à Montréal et Canadian Living à Toronto, TV Guide à Toronto et TV Hebdo, à Montréal, ainsi que Maclean's à Toronto et L'Actualité à Montréal. Châtelaine porte le même nom dans les deux villes, mais les contenus des deux éditions sont différents.
J'aimerais signaler que non seulement ces éditeurs représentent fidèlement la nature profonde du Canada...
Le président: Excusez-moi, monsieur Paré. Combien de minutes reste-t-il à votre présentation?
M. Paré: Quatre ou cinq.
Le président: Mes chers collègues, étant donné que M. Paré a admis que sa présentation était la même que celle de la CMPA, ne pourrions-nous pas écouter les deux présentations avant de poser des questions? Les deux pourraient comparaître devant nous ensemble. Êtes-vous d'accord?
Cela vous va-t-il, monsieur Paré?
M. Paré: Je vais accélérer et passer au dernier paragraphe.
Le président: Cela nous est égal, car nous sommes ici pour vous servir et pour apprendre de vous. Mais, avec votre permission, avant de vous poser des questions, nous allons écouter la CPMA.
M. Leroux (Shefford): M. Paré est-il d'accord sur cela ou préférerait-il répondre personnellement à nos questions?
M. Paré: J'ai l'impression d'avoir pris un peu trop de temps. Je veux bien répondre aux questions tout de suite ou plus tard; cela m'est égal. J'aimerais tout de même parler du dernier paragraphe.
Le président: Certainement. Veuillez continuer.
M. Paré: Notre industrie a une importance qui dépasse les chiffres. J'allais vous parler des 6 000 emplois indirects et des 4 200 emplois directs que nous avons à Montréal, seulement dans les magazines, mais je trouve que l'importance de notre industrie est plus grande que cela.
Les magazines étrangers sont excellents, mais ils sont étrangers. Sauf à quelques rares exceptions, on peut dire qu'il ne s'est à peu près jamais publié de portraits ou d'entrevues des membres de ce comité ou de vos collègues de la Chambre des communes et du Sénat dans un seul de ces nombreux magazines étrangers qui n'attendent qu'un relâchement de votre part pour envahir notre marché.
Je doute qu'un seul des propos qui se tiennent ici, dans cette pièce, apparaisse jamais dans ces magazines étrangers, sauf peut-être pour défendre leurs intérêts.
En appuyant le projet de loi C-103, nous ne voulons pas réduire la circulation des marchandises, car elle est totale aujourd'hui, ni l'échange et la communication d'information. Au contraire, nous sommes favorables à la libre circulation de l'information et c'est pour cela que nous voulons la protéger.
Il n'y a pas de liberté d'expression sans moyens d'expression. Nous pourrions les perdre si nos ressources étaient la proie d'une concurrence inéquitable par des éditeurs qui ne paient ici ni salaires ni cachets aux auteurs et artistes canadiens.
On assisterait à la destruction de nos moyens d'expression et, par conséquent, à une réduction de notre liberté d'expression. Nous ne voulons pas revenir aux années 1960. Je vous remercie.
Le président: Merci, monsieur Paré. Restez à la la table, s'il vous plaît. Je demanderais aux représentants de la CMPA de s'approcher.
[Traduction]
Nous avons aussi comme témoins les représentants de la Canadian Magazine Publishers' Association, Diane Davy, présidente du conseil d'administration, Catherine Keachie, présidente, Maureen Cavan, éditrice du magazine Harrowsmith et vice-présidente de Télémédia, James Warrillow, président des éditions McLean-Hunter Publishing Limited, et Jeff Shearer, président du comité des affaires politiques de la CMPA.
Mme Maureen Cavan (Canadian Magazine Publishers' Association): Merci, monsieur le président et bonjour mesdames et messieurs.
Je suis vice-présidente de Telemedia Publishing, éditeur des magazines Canadian Select Homes et Harrowsmith. Je suis aussi membre du comité politique de la Canadian Magazine Publishers' Association (CMPA), l'Association canadienne des éditeurs de magazines. Je suis venue vous parler aujourd'hui au nom de la CMPA et de ses 350 magazines membres.
Le président: Avant que vous ne commenciez, madame Cavan, êtes-vous d'accord avec M. Paré pour dire que vos positions sont identiques?
Mme Cavan: Oui.
Le président: Merci.
Mme Cavan: Je suis accompagnée ici aujourd'hui d'une délégation assez importante afin que vous saisissiez bien la solidarité de la position des membres de notre industrie. Notre position sur ce projet de loi est simple et claire: nous appuyons le projet de loi C-103 sans restrictions. Les mesures qu'il propose sont essentielles à la survie de l'industrie canadienne du magazine.
Du point de vue de la politique gouvernementale, il n'y a rien de nouveau dans ce projet de loi. Les mesures qu'il propose ne font que mettre à jour les moyens d'application d'une politique gouvernementale qui s'oppose aux éditions à tirage dédoublé et qui est vieille de 30 ans. Il s'agit de mesures qui ont fait, pendant plus d'un an, l'objet de sérieuses recherches par un groupe de travail du gouvernement fédéral. Ces mesures ont également été étudiées de très près par les ministères du Patrimoine, des Finances et du Commerce. Et l'industrie canadienne du magazine, le groupe de travail fédéral et les trois différents ministères sont tombés d'accord pour dire que, parmi toutes les options possibles, ces mesures constituent la solution la plus simple, la moins dérangeante et la moins coûteuse pour continuer à soutenir la politique canadienne d'opposition aux éditions à tirage dédoublé.
Dire que ces mesures ont été étudiées dans le moindre détail serait un euphémisme et je n'ai pas l'intention de refaire ici avec vous l'historique de toutes ces recherches et études. Je suis certaine que, tous et toutes, vous êtes au fait des analyses, justifications et autres statistiques pertinentes à la question. Je voudrais plutôt m'attarder quelques minutes sur deux aspects essentiels à la survie de notre industrie, deux points mal compris et pourtant au coeur de ce projet de loi, deux idées fausses souvent utilisées pour le combattre.
Comme vous le savez, le Canada applique déjà des règlements dont le but est d'interdire aux éditions à tirage dédoublé l'accès au marché publicitaire local. Cependant, il existe une faille dans ces règlements, faille qu'a su utiliser le magazine Sports Illustrated. Une faille qui, si elle n'est pas comblée, permettra l'entrée sur notre marché publicitaire de centaines d'autres magazines américains, qui sont en mesure de suivre la voie riche en profits ouverte par Sports Illustrated.
Les règlements actuels ont été pensés pour empêcher l'édition à tirage dédoublé d'un magazine de franchir «physiquement» nos frontières. Sports Illustrated a contourné l'obstacle par le biais de l'électronique, en transmettant directement par ordinateur le contenu de son magazine à une imprimerie canadienne, échappant par là-même à toute imposition douanière.
C'est ici que nous faisons face au premier malentendu: parce que le Canada ne possède pas lui-même de magazine sportif, certains s'imaginent que l'édition à tirage dédoublé de Sports Illustrated ne fait de mal à personne. Tout d'abord il ne s'agit pas uniquement de Sports Illustrated et, si la faille n'est pas comblée, nous assisterons bientôt à une vague d'éditions de magazines américains à tirage dédoublé qui, eux, iront solliciter les lecteurs de magazines canadiens déjà établis.
N'oublions surtout pas que les lecteurs canadiens ont accès à Sports Illustrated depuis plus de 20 ans. Il ne s'agit pas d'un nouveau magazine canadien mais, en dehors de cela, penser que l'action de Sports Illustrated, en l'absence d'un magazine sportif canadien, est sans conséquences, trahit une incompréhension encore plus profonde; c'est croire en effet que la bataille se livre au niveau des lecteurs. Or, le problème que posent les éditions à tirage dédoublé n'est pas un problème de lecteurs, mais bien de publicité.
Les annonceurs publicitaires que tente d'attirer Sports Illustrated sont les mêmes que ceux déjà sollicités par des magazines canadiens comme Maclean's, Saturday Night, Chatelaine, Equinox, Harrowsmith et Canadian Living. Un dollar dépensé à acheter de la publicité dans l'édition à tirage dédoublé de Sports Illustrated, ou de n'importe quel autre magazine étranger, c'est un dollar de moins dans les caisses d'un magazine canadien. Au niveau des lecteurs, Sports Illustrated n'a au Canada aucun rival direct. Au niveau des annonceurs, on les compte par dizaines.
L'industrie canadienne anglaise du magazine est dans une position précaire qui n'a son équivalent nulle part dans le monde. Nous partageons langue et frontière avec le pays culturellement le plus envahissant de la planète. Un pays où les éditeurs de magazines bénéficient du bassin homogène de lecteurs le plus important au monde - un marché 10 fois plus grand que le nôtre.
Notre système de ventes en kiosque - mis en place pour servir les intérêts des magazines américains bien avant que notre propre industrie puisse leur faire une concurrence réelle - favorise les publications à grand tirage. Et notre pays n'a jamais voulu limiter de quelque manière que ce soit le droit légitime de ses citoyens de lire tout ce qui se publie ici ou ailleurs. En conséquence, nous sommes inondés de magazines américains.
Ce n'est pourtant pas de cela que se plaint le CMPA: nous sommes parfaitement prêts à nous battre avec les magazines du monde entier pour garder nos lecteurs. Pourtant le combat n'est pas facile. Grâce à leur énorme tirage, les magazines américains ont des frais de production à l'unité en moyenne deux fois moindres que les nôtres. Leur présence en kiosque est chez nous si écrasante qu'ils sont en mesure d'y fixer les normes de prix en couverture. Toutes les recherches ont montré que les consommateurs s'attendent à ne pas payer plus cher un magazine canadien que son équivalent américain. Résultat: ce prix en kiosque, suffisant pour souvent laisser une marge de profit à un éditeur américain, n'en laisse aucune aux éditeurs canadiens qui, au contraire, sont contraints de vendre à perte.
Cela ne nous a pourtant pas empêchés de nous battre avec succès pour garder nos lecteurs. Nous sommes devenus les champions du monde de la vente de magazines par abonnement. Nous travaillons sans répit à transférer le plus grand nombre possible de ventes en kiosque vers l'abonnement, où un profit marginal est possible. Et c'est un fait que, quand le choix existe, les lecteurs canadiens choisissent de préférence des magazines canadiens. Chatelaine et Canadian Living se vendent mieux que Good Housekeeping et Family Circle, Canadian Business et Report on Business Magazine attirent plus de lecteurs au Canada que Forbes et Business Week. Tout comme Maclean's l'emporte sur Time et Newsweek. Reste que si, pris individuellement, les magazines canadiens se vendent mieux que leur équivalents américains, globalement la bataille est perdue. Pourquoi? Tout simplement parce que nous sommes débordés par le nombre.
Le Canada peut faire vivre une poignée de publications d'affaires ou de magazines féminins conçus et fabriqués chez nous, alors que, dans chacun de ces créneaux, c'est par dizaines que se comptent les magazines américains concurrents. Les éditeurs canadiens ont réussi à s'emparer de la moitié du marché général du magazine au Canada, mais, en kiosque, plus de 80 p. 100 des magazines qui garnissent les tablettes sont américains. C'est une réalité avec laquelle nous sommes cependant prêts à vivre parce que nous croyons qu'on ne peut pas restreindre la liberté de choix du lecteur.
Alors pourquoi refuser aux annonceurs publicitaires une liberté qu'on juge normal d'accorder aux lecteurs? Parce que la publicité est le souffle vital de l'industrie du magazine. Elle constitue autour de 65 p. 100 des revenus des magazines canadiens. Sans elle, il n'y aurait tout simplement pas d'industrie canadienne du magazine.
Et le Canada s'est engagé à maintenir vivante une industrie du magazine conçue et produite chez nous et pour nous. Un magazine n'est pas un produit comme un autre qui peut être fabriqué ici ou n'importe où ailleurs dans le monde. Cela n'a peut-être pas grande importance que votre téléphone cellulaire, par exemple, vienne du Canada ou du Japon. Du moment que c'est un bon produit à prix raisonnable, un téléphone cellulaire fait au Japon n'est pas bien différent d'un autre fait au Canada. Ce n'est pas la même chose pour un magazine.
Les magazines canadiens sont le reflet du Canada, de ses habitants, de ses villes et villages, de sa politique, de sa culture. Aucun magazine étranger ne peut ou veut couvrir les questions spécifiquement canadiennes d'un point de vue uniquement canadien. Et, en de multiples occasions, les uns après les autres, les gouvernements du Canada ont insisté sur l'importance de ce point de vue uniquement canadien et pris les mesures nécessaires pour que les magazines canadiens aient en leur possession un minimum de moyens de défense.
Les lecteurs canadiens choisissent spontanément les magazines canadiens parce que ce que vivent les autres Canadiens les intéressent. Les annonceurs publicitaires n'ont pour la plupart pas ce genre de préoccupations: peu leur importe que le magazine soit d'origine canadienne ou étrangère, du moment qu'il peut leur offrir à bas prix le plus grand nombre possible de lecteurs. Mais le Canada a décidé que notre monde des affaires, qui jouit par ailleurs de quantité d'autres avantages, devait être fermement incité à investir les dollars publicitaires qu'il destine au marché canadien dans des véhicules à contenu canadien.
Il n'a pourtant pas choisi de leur interdire purement et simplement d'annoncer dans des médias étrangers, pas plus qu'il n'a imposé de droits de douane aux magazines étrangers pour en rendre l'achat plus coûteux au public canadien. Il a préféré, quand il s'agissait de publicité destinée au marché canadien, de refuser à qui annoncerait dans un magazine étranger le droit de déduire de ses impôts les frais reliés à la production de cette publicité. Et, depuis 1965, il interdit l'accès au Canada des éditions de magazines à tirage dédoublé.
Que reproche-t-on à ces publications? Essentiellement de recycler un contenu rédactionnel dont le coût de production à déjà été absorbé par leur marché intérieur - généralement américain - puis de revendre l'espace publicitaire, cette fois à des annonceurs canadiens. Comme le rédactionnel ne coûte rien ou presque rien, de telles publications sont en mesure de vendre leurs espaces publicitaires à des tarifs beaucoup plus bas que ceux normalement en vigueur sur le marché des magazines canadiens. N'importe où ailleurs on qualifierait l'opération de dumping. Pour ces magazines étrangers, les bénéfices ainsi réalisés viennent en surplus, c'est la cerise sur le sundae, alors que pour les magazines d'ici, le marché canadien représente le pain quotidien nécessaire à leur survie financière.
C'est à cela que se résume la question des éditions de magazines à tirage dédoublé. Il ne s'agit pas ici de juger si oui ou non les magazines canadiens sont capables de garder leurs lecteurs face à la concurrence venue d'ailleurs. Mais tout simplement de décider si le Canada, malgré une frontière et une langue communes avec les États-Unis, va conserver une industrie du magazine établie et contrôlée ici.
Trouver et garder des lecteurs est notre problème, mais nous ne pouvons pas entrer en compétition avec des tarifs publicitaires basés sur des coûts de production insignifiants. Et c'est la publicité qui paie nos factures. Pas de publicité, pas de magazines, même si les Canadiens sont prêts à les acheter et à les lire.
L'autre idée fausse souvent brandie dans ce débat, à la manière d'un épouvantail, c'est que les mesures proposées par le projet de loi C-103 risquent de provoquer une guerre commerciale avec les États-Unis. Je ne m'avancerai certainement pas à prédire ce que fera ou ne fera pas Mickey Cantor. Mais je peux au moins affirmer une chose: les moyens d'action préconisés par le projet de loi procèdent d'une justice sociale. Ils appliquent aux magazines canadiens les mêmes règlements qu'aux autres: le projet de loi vise toutes les publications qui se proposent d'aller chercher de la publicité locale dans un pays étranger, qu'elles soient américaines, canadiennes ou de n'importe quelle autre origine.
Les compagnies canadiennes ne sont pas plus favorisées que les autres et il ne sera pas nécessaire aux Américains de riposter en engageant une action comparable. Nous l'avons fait pour eux et cette contrepartie est d'ores et déjà présente dans le projet de loi. J'ajouterai même que, dans l'esprit d'équité qui caractérise le projet de loi C-103, mon propre magazine Harrowsmith Country Life, cessera de partager son contenu rédactionnel avec sa publication soeur des États-Unis à partir de l'adoption du projet de loi C-103. C'est de plein gré que nous agissons de la sorte pour assurer l'avenir du secteur canadien de l'édition de magazines et pour redonner à ce secteur toute la stabilité qui lui est nécessaire.
[Français]
Le président: Excusez-moi un instant, s'il vous plaît. Monsieur Paré, à quelle heure devez-vous nous quitter?
M. Paré: J'ai une réservation sur un avion qui décolle à 18h15; je devrai donc partir vers 17h30.
Le président: D'accord.
[Traduction]
Je m'excuse, veuillez poursuivre, Mme Cavan.
Mme Cavan: Ça va.
En résumé, le projet de loi C-103 ne propose pas une nouvelle politique en matière d'éditions de magazines à tirage dédoublé. Il ne fait qu'ajouter de nouvelles mesures qui permettront de mieux s'opposer à leur entrée sur le marché canadien, une politique adoptée depuis longtemps par le gouvernement canadien.
Le projet de loi comble une faille qui existe actuellement dans nos règlements. Il enlève tout attrait financier aux éditions à tirage dédoublé en imposant un droit d'accise de 80 p. 100 sur la valeur publicitaire contenue dans chaque numéro. Ce n'est pas une taxe qui frappe le consommateur.
Le projet de loi n'entravera en rien la libre circulation des idées à travers nos frontières. Les magazines américains, ou en provenance de n'importe quel autre pays, restent les bienvenus chez nous, et il n'est pas question d'imposer une taxe ou un droit de douane à leurs éditeurs.
L'édition principale de Sports Illustrated, comme celle de tous les autres magazines américains, peut entrer chez nous librement, comme c'est le cas depuis des décennies. Si les rédacteurs de ces magazines souhaitent intégrer du contenu canadien à leurs éditions canadiennes, grand bien leur fasse.
Le projet de loi C-103 est juste, efficace et n'entraîne pas la mise en place d'une coûteuse bureaucratie. Il constitue la manière la moins dérangeante de perpétuer l'opposition du Canada à l'arrivée d'éditions à tirage dédoublé, une politique qu'il soutient depuis des années et qui est vitale à la survie d'une industrie du magazine réellement canadienne.
La question n'est pas de savoir si face à la concurrence américaine nous sommes en mesure de garder nos lecteurs. Nous le sommes et nous le prouvons régulièrement. Ce qui est au coeur du projet de loi C-103, c'est la volonté de mettre fin à une compétition injuste pour des dollars publicitaires qui se font de plus en plus rares.
Si on permet aux éditions à tirage dédoublé de conserver les avantages injustes dont elles bénéficient, cela n'aura plus guère d'importance de savoir si les Canadiens veulent ou non lire des magazines canadiens. Leur désir de mieux connaître leurs concitoyens, de voir se refléter dans les pages de leurs magazines leurs principaux sujets de préoccupations et l'idée qu'ils se font de leur avenir, tout cela n'aura plus guère d'importance. Si l'accès des magazines canadiens à leur marché publicitaire intérieur est mis en péril, beaucoup d'entre eux ne survivront pas. Et les lecteurs canadiens devront se contenter de magazines comme la soi-disant édition canadienne de Sports Illustrated. Des magazines bourrés de publicités canadiennes mais désespérément dépourvus de contenu canadien.
Vous y reconnaîtrez bien ici et là un visage canadien, noyé dans une mer de personnalités et de thèmes propres à la culture américaine, mais même là ce sera vu de l'extérieur, par un journaliste, un photographe et un éditeur étrangers, qui ne comprennent pas ce que nous sommes, ne connaissent rien au point de vue spécifiquement canadien, et de toute façon ne s'en préoccupent guère. Ces éditeurs étrangers se conduiront comme de grands propriétaires pratiquement toujours absents de leurs terres, qui ne font que passer pour ramasser leurs chèques, sans même prendre la peine de descendre de leur voiture pour découvrir la campagne environnante ou dire un mot à leurs fermiers.
Le gouvernement peut faire en sorte que cela ne nous arrive jamais. Donner, je vous en prie, votre appui au projet de loi C-103.
Merci.
Le président: Merci, madame Cavan.
Étant donné que l'échappatoire existe depuis deux ans et demi, pourquoi n'a-t-on pas vu davantage d'éditions à tirage dédoublé au Canada?
Mme Cavan: Je crois qu'on adopte une attitude attentiste, monsieur le président. On sait bien, au sud de la frontière, qu'une mesure législative risque d'être adoptée et on n'a donc pas voulu prendre de le risque que Sports Illustrated a décidé d'assumer.
Le président: Il n'en coûterait pas grand-chose, n'est-ce pas?
Mme Cavan: Si on lance une entreprise et qu'on doit la fermer par la suite, il n'en coûte peut-être pas grand-chose, mais il y a certainement un coût à assumer en termes de réputation ou d'image de l'entreprise.
Le président: Mais vous avez toujours soutenu que le lancement d'une telle entreprise entraînerait peu de frais. Un très petit nombre d'employés suffirait et il n'y qu'à faire appel à un certain nombre d'imprimeurs canadiens qui sont déjà sur place.
Mme Cavan: Il me semble que Jean Paré a dit à un moment donné dans son exposé que les autres éditeurs ont peut-être fait preuve d'une plus grande courtoisie.
[Français]
Le président: Monsieur Paré, vous avez dit que ce projet de loi ne changera pas grand-chose. Cependant, il change au moins une chose, soit le droit de Sports Illustrated d'exister au Canada. N'est-ce pas le cas?
M. Paré: Je crois que Sports Illustrated n'avait pas le droit d'exister au Canada. Lorsqu'on dit que les communications électroniques lui donnent ce droit, on joue sur les mots. On fait indirectement ce qu'on ne pouvait pas faire directement autrefois.
Ce n'est pas, tout à coup, l'existence d'un magazine étranger qui inquiète; c'est le précédent. Si les portes étaient ouvertes, je crois que les éditeurs de ce magazine pourraient le développer davantage. Ils n'ont pas intérêt actuellement à inquiéter les propriétaires du Canada. S'ils avaient du succès, ils auraient beaucoup d'imitateurs, comme les autres éditeurs américains, comme les grands éditeurs français ou allemands.
Déjà certains de nos concurrents sont imprimés en Allemagne, en français.
Le président: Sports Illustrated nous a demandé de fermer la porte à tous les autres.
M. Paré: Il y a beaucoup de gens dans le pays qui, à un moment donné, interprètent les lois de façon abusive et aimeraient qu'on leur applique le même principe.
Le président: Merci, monsieur Paré. Nous allons maintenant commencer les questions avec M. Leroux.
M. Leroux: Monsieur le président, j'aimerais que vous donniez la parole au Parti réformiste ou au Parti libéral. Je reviendrai par la suite.
Le président: Merci, monsieur Leroux.
[Traduction]
Monsieur Solberg.
M. Solberg (Medicine Hat): Merci beaucoup, monsieur le président. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous ceux qui sont ici aujourd'hui.
J'ai une question qui fait suite aux interventions de M. Paré, interventions avec lesquelles d'autres participants se sont dit d'accord. Voilà. M. Paré nous a signalé qu'il existe au Canada depuis au moins 30 ans des obstacles qui empêchent d'autres magazines d'être publiés au Canada et d'obtenir des dollars de publicité, et que le secteur du magazine était en difficulté dans tout le Canada. On nous a dit également que le Canada constitue un marché très restreint, qu'il était difficile de réussir ici. On nous a dit également que d'autres pays sont tournés vers l'extérieur et montent à l'assault de nos budgets publicitaires.
Ainsi, le pays de petite taille s'efforce de créer des obstacles et de rester tourné sur lui même et des pays de grande taille, qui jouissent de débouchés considérables, tentent de s'accaparer les budgets de publicité canadiens. Tout cela me semble fort étrange. Ne serait-il pas plus raisonnable que les petits pays partent à l'assault des budgets publicitaires des grands pays, comme cela se passe dans d'autres secteurs de l'économie canadienne?
M. Paré: J'aurais deux observations. Tout d'abord, le Canada n'a pas érigé des barrières à l'importation de magazines. En réalité...
M. Solberg: Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai parlé de conquête de marchés publicitaires.
M. Paré: Dans la deuxième partie de votre phrase... Il vous suffit d'aller dans un kiosque à journaux à Montréal pour constater que le nombre de titres en vente est beaucoup plus considérable que ce n'est le cas aux États-Unis, en France ou en Allemagne, étant donné que nous avons accès à l'ensemble des magazines canadiens, ainsi qu'à tous les magazines américains, français, etc. La société de distribution Benjamin de Montréal, distribue plus de 4 200 magazines en kiosque. Il est donc évident que le Canada a pris le pari dès l'ouverture.
Pour ce qui est maintenant du deuxième volet de votre question, à savoir dans quelle mesure il serait raisonnable pour les petits pays de jouer le jeu de la mondialisation, dans la mesure où la chose est possible. S'il s'agissait d'une stratégie envisageable, ne verrions-nous pas la Nouvelle-Zélande et toute une foule de petits pays de ce genre devenir des géants dans le secteur du magazine, étant donné que l'étroitesse de leur marché intérieur aurait fait en sorte qu'ils se fieraient davantage au marché international et deviendraient des intervenants à l'échelle mondiale.
Malheureusement, la réalité est tout autre. Ceux qui peuvent se permettre d'étendre une série de produits à très faible coût pour ensuite écrémer le marché, sont ceux qui ont déjà des tirages de 4 millions, 5, 6, 10, 12, 15, 17 et 20 millions, sur le marché intérieur. Voilà de quoi il est question.
M. Solberg: Mais vous avez parlé de la Belgique, de la Suède, mais aussi de la Suisse. Ce sont des concurrents formidables pour vous.
M. Paré: En réalité, notre concurrence provient surtout de la France. Dans certains marchés particuliers, il se peut qu'elle provienne de la Suisse dans une certaine mesure. C'est moins vrai dans le cas de la Belgique, compte tenu des spécificités et des particularités de ce pays. La concurrence pourrait venir de l'Allemagne.
À titre d'exemple, à l'heure actuelle, je suis à mettre au point un projet qui concerne un magazine très important et très spécialisé. Il s'agirait d'un magazine de luxe, d'un magazine de grande qualité. Or, mon principal concurrent en français sur le marché de Montréal - il avait déjà il y a un an 18 000 abonnés; un chiffre qui a peut-être baissé légèrement depuis - est un éditeur allemand, qui publie en français. Pour eux, l'édition française en France n'est qu'une édition secondaire de la société allemande, qui vend plus d'un million d'exemplaires. Cette publication a déjà une avance considérable et il m'est absolument impossible de la rattraper.
M. Solberg: Ce que j'entends des représentants de l'industrie des périodiques au Canada, cependant, est que, dans tout autre aspect de l'économie, nous avons vu le Canada faire directement face à la concurrence à l'échelle mondiale, pas seulement pour qu'on admire nos produits mais pour en retirer des profits. Nous avons vu les industries réussir extrêmement bien, les unes après les autres.
Je suis un profane, mais je vois bien des possibilités de grand succès pour des périodiques canadiens sur le plus grand marché du monde, et certainement le plus riche, à savoir les États-Unis. C'est tout à fait normal à mes yeux. Voir un périodique comme Sports Illustrated établi au Canada... Je veux parler d'un périodique sportif canadien semblable à Sports Illustrated. Pourquoi ne pouvons-nous pas avoir ici un périodique qui s'adresse à l'ensemble des marchés nord-américains? Je ne comprends pas.
M. Paré: Parce que les souris s'intéressent davantage aux éléphants que les éléphants ne s'intéressent aux souris.
M. Solberg: Mais n'est-ce pas vraiment chez nous une question de perspective? Les souris ont extrêmement bien réussi dans les autres secteurs de l'économie.
M. Paré: Oui. Un ballon de football reste toujours un ballon de football, mais un magazine, c'est autre chose.
M. Jeff Shearer (Association canadienne des éditeurs de magazines): L'atout des périodiques canadiens est le fait qu'ils parlent du Canada. Notre créneau est notre propre pays.
M. Solberg: Dans ce cas, laissons les Canadiens en décider.
M. Shearer: Je suis désolé, mais si nous décidions d'exporter nos périodiques dans le monde, nous devrions les transformer en périodiques internationaux et nous perdrions ainsi notre raison d'être, ce qui nous avait amenés à créer un marché du périodique canadien.
M. Solberg: Vous dites donc que les Américains n'ont pas à changer pour venir ici mais nous devons changer pour aller là-bas.
M. Shearer: C'est exact.
M. Solberg: Pouvez-vous m'expliquer pourquoi? Mme Cavan parlait tout à l'heure du contenu canadien. Peut-elle me dire ce qu'est un contenu canadien, dans le domaine des sports en particulier?
M. Cavan: Voulez-vous parler de lecteurs?
M. Solberg: Je parle du contenu canadien.
M. Cavan: Le contenu canadien comprend des articles sur des personalités canadiennes et des activités sportives canadiennes.
M. Solberg: Eh bien, qu'est-ce qu'une activité sportive canadienne?
M. Cavan: Je suppose que toute équipe canadienne fait partie du contenu canadien, mais le marché des sports est un secteur d'intérêt qui porte sur l'ensemble de l'Amérique du Nord. C'est pourquoi Sports Illustrated réussit tellement bien et c'est pourquoi nous ne pouvons avoir de magazine sportif canadien qui lui ferait concurrence.
Nous faisons tout de même face directement à la concurrence sur le marché américain et avec beaucoup de succès. Ma propre société possède une division de l'édition aux États-Unis et nous publions une revue américaine qui s'appelle Eating Well. Nous réussissons très bien lorsque nous publions des produits américains pour le marché américain et des produits canadiens pour le marché canadien, et il y a une différence. Nous pouvons publier sur le marché américain et nous le faisons, et nous continuerons de le faire.
M. Solberg: Vous avez abordé deux points. Je veux revenir un instant au contenu, dans le secteur des sports, si vous le permettez.
N'est-il pas vrai que nous avons maintenant en Amérique du Nord un marché intégré du sport professionnel? Il me semble très difficile, dans un domaine aussi spécialisé que les sports, ou dans l'un ou l'autre des milliers d'intérêts spécialisés, de la collection des pièces de monnaie à la philatélie, ou la couture, par exemple... Ces choses ne sont pas spécifiques à une culture donnée.
On peut traiter de tous ces types d'intérêts un périodique, à condition que la langue soit la même, je suppose, peu importe le pays d'où il vient. C'est vraiment aux Canadiens qu'il incombe de décider de ce qu'est leur culture, et non au gouvernement ou aux entreprises d'édition de périodiques.
M. Cavan: Le fait est, monsieur Solberg, que Sports Illustrated existait déjà de très nombreuses années avant qu'il y ait au Canada un marché suffisamment intéressé par les sports pour assurer un nombre suffisant de lecteurs pour un magazine sportif canadien.
Sports Illustrated est en mesure de consacrer énormément d'argent à l'obtention des renseignements et des photographies nécessaires pour publier son excellent produit destiné au marché américain. Penser qu'une entreprise canadienne pourrait trouver les capitaux nécessaires pour fonctionner à ce niveau, quand c'est déjà extrêmement bien fait par un concurrent américain relève de l'imaginaire. Sports Illustrated a même très peu de concurrence américaine. Personne d'autre aux États-Unis n'a même pu réussir à lui faire concurrence directement.
M. Solberg: Je comprends cela, mais il n'en reste pas moins que dans d'autres secteurs comme la haute technologie, le Canada réussit extrêmement bien à rivaliser avec les méchantes grosses compagnies américaines, japonaises et autres, qui possèdent des tonnes d'argent et des marchés immenses. Je dirais quand même que des périodiques comme Sports Illustrated et les autres périodiques spécialisés ne sont pas particuliers à une culture.
Lorsqu'on parle de périodiques d'intérêt général, et Maclean's est certainement un périodique pour lequel la structure est extrêmement importante, ces périodiques vont balayer la concurrence, parce que les Canadiens ne veulent pas lire des articles sur la politique américaine autant qu'ils veulent en lire au sujet de la politique canadienne. Tant que les politiciens continueront de gaspiller leur argent au Canada, par exemple, les Canadiens voudront lire à ce sujet, et ils voudront donc lire les périodiques qui fourniront ces renseignements. N'est-ce pas exact?
Mme Cavan: Je pense vous essayez d'établir une distinction entre les périodiques d'intérêt général et les périodiques d'intérêt spécifique, afin de tirer une ligne de démarcation entre ce qui est d'intérêt culturel et ce qui ne l'est pas, pour ensuite préparer des lois en conséquence.
M. Solberg: Je ne veux pas rédiger de mesure législative, et je préfère même franchement ne pas le faire.
M. James Warrillow (Association canadienne des éditeurs de magazines): Si vous me permettez d'intervenir dans la discussion, je ne pense pas que quelqu'un ici soit en désaccord avec vous. Certains des meilleurs périodiques sur le golf sont américains, et je ne veux pas publier de magazine de qualité inférieure sur le golf au Canada.
Il ne s'agit pas de savoir si nous pouvons ou non publier des périodiques que les gens voudront lire. La question en jeu concerne la publicité. Ces périodiques américains, allemands ou français en tireraient des revenus, si on leur permettait de publier des éditions à tirage dédoublé.
M. Solberg: Je le comprends.
M. Warrillow: Ces annonceurs ne visent pas nécessairement un marché spécialisé, comme vous le pensez. Il n'y a pas seulement des annonces liées aux sports dans Sports Illustrated. Il s'agit d'annonces de voitures, d'alcool et de toutes sortes d'autres produits qui pourraient autrement paraître dans des périodiques canadiens. Si les périodiques canadiens perdent ces recettes provenant de la publicité, nous ne pourrons pas accomplir ce que nous réussissons à faire aujourd'hui. Si nous ne pouvons pas le faire, les Canadiens ne liront pas nos périodiques.
M. Solberg: Je comprends.
M. Warrillow: Nous ne voulons pas empêcher les gens de lire des magazines sur le golf ou Sports Illustrated.
M. Solberg: Je suis désolé si j'ai pu vous faire croire que c'était mon argument. J'essayais seulement de faire valoir que nous avons, semble-t-il, mis à part l'industrie des périodiques pour en faire un secteur différent. Dans d'autres secteurs, les gens n'hésitent pas à rivaliser directement avec d'autres concurrents dans le monde, et ils réussissent très bien à faire des profits.
M. Warrillow: Oui, parce qu'ils produisent un truc qui n'appartient à aucune culture particulière.
M. Solberg: Mais nous possédons un avantage spécifique au Canada, lorsqu'il s'agit de produire des choses au sujet de notre propre culture. Nous possédons déjà un grand avantage. Nous n'avons donc pas besoin de loi.
M. Warrillow: Nous n'avons pas besoin de loi pour empêcher les gens de lire des choses sur la culture d'autres pays. Nous sommes très heureux que les gens lisent n'importe quelle publication de leur choix, qu'elle vienne de n'importe quel pays du monde. Là n'est pas la question. Nos périodiques n'ont pas besoin de protection contre des publications venant de n'importe où dans le monde. La question en l'occurrence concerne uniquement les annonces dans les éditions à tirage dédoublé.
M. Solberg: Mais ne voyez-vous pas à quel point vous réussissez, puisque nous cherchons à lire des choses sur notre propre culture? Ne pouvez-vous pas juger également de votre succès d'après vos recettes?
M. Warrillow: Oui.
M. Solberg: N'est-ce pas ce qui fait foi de tout? Pourquoi donc avons-nous besoin d'une mesure législative visant à interdire effectivement la concurrence qui, à mon avis, contribuerait à améliorer les périodiques au Canada? Pourquoi en avons-nous besoin si ce sont les gens qui décideront eux-mêmes quels périodiques sont bons et lesquels reflètent vraiment la culture canadienne?
M. Paré: Si l'on veut que les consommateurs choisissent, je suis d'accord, ils devraient toujours choisir. Ils doivent avoir un choix. Ils ne peuvent pas choisir s'il n'y a qu'une sorte de périodique dans les kiosques à journaux. Ils ne pourront pas choisir de périodiques canadiens si on les a écartés. Ce n'est pas seulement une question de culture; je ne pense pas que nous ayons raison de craindre pour notre culture. C'est une question de communications entre les citoyens au sujet de notre identité.
Récemment, deux Canadiens ont terminé en première et en deuxième places à Göteborg, en Suède, au 100 mètres. Dans nos périodiques, nous avons entendu parler des gagnants. Dans les périodiques américains, on a publié des articles sur les perdants. C'est la contribution des périodiques canadiens à la vie canadienne.
M. Solberg: Bien sûr.
M. Paré: En théorie, si je suis étudiant, j'ai probablement besoin d'apporter à l'école un repas de 1 000 calories pour survivre et réussir à l'école, mais ce ne sera pas le cas si un petit dur me vole mon repas. C'est de cela qu'il s'agit.
M. Shearer: Je pourrais peut-être vous donner un autre point de vue d'entreprise sur le défi dont on a parlé au sujet du lancement des périodiques américains.
Si je me souviens bien, Sports Illustrated a dépensé dans les années 1960 plus de 17 millions de dollars pour lancer ce périodique aux États-Unis et il lui a fallu sept ans avant même de devenir rentable. Depuis cette époque, d'autres magazines sportifs ont été lancés aux États-Unis. Ils n'ont pas duré. Un seul grand magazine sportif a réussi aux États-Unis.
Nous, éditeurs et entrepreneurs, avons choisi un marché dans lequel nous faisons face à la concurrence et où nous pouvons nous permettre de lancer des produits qui réussissent et qui répondent aux besoins du marché. Ce n'est pas très lucratif, mais nous réussissons assez bien, de sorte que nous avons pu créer une industrie très vivante du périodique dans le pays. Il y a plus de 500 magazines d'intérêt général. La plupart des gens sont surpris, étonnés même, de l'entendre, parce que nous sommes moins visibles comme Jean le dit. Vous ne nous voyez pas dans tous les kiosques à journaux, mais nous sommes là.
Quant à savoir si nous pouvons simplement importer des périodiques facilement, comme nous pouvons le faire grâce aux communications de haute technologie, je dirai que ce n'est pas possible. Nous devrions changer complètement le produit ou lancer de nouveaux périodiques à caractère international. C'est une caractéristique unique de l'édition de périodiques canadiens - en fait, de toute entreprise d'édition de périodiques, et nous sommes un petit pays.
Il y a une question d'économie d'échelle et le marché présente aux éditeurs de périodiques de notre pays des défis auxquels on ne ferait pas face, si l'on était en Allemagne, au Japon ou en France, où il y a des possibilités sur le marché mondial. Nous sommes désolés de ne pas pouvoir faire une plus grande percée sur le marché mondial des périodiques, mais ce n'est pas possible.
Ce que nous pouvons faire et ce que nous demandons, c'est que l'on maintienne une politique établie depuis longtemps, selon laquelle les annonces placées dans des éditions à tirage dédoublé au Canada nuisent vraiment au seul marché de périodiques dans lequel nous avons réussi.
M. Solberg: Je terminerai en disant qu'à mon avis, vous êtes beaucoup trop pessimistes. Je vais en rester là pour l'instant.
M. Campbell (St. Paul's): En examinant une mesure législative destinée essentiellement à fermer une échappatoire, il est inévitable, je suppose, que nous discutions de toute une gamme de questions liées à la culture et que nous parlions d'une foule de sujets dont plusieurs d'entre vous, qui oeuvrez dans ce secteur depuis longtemps, avez discuté à maintes et maintes reprises. Quand nous vous poserons des questions pour nous aider à comprendre ce dernier chapitre, j'espère que vous serez patient avec nous et que vous voudrez bien nous renseigner.
Il se peut que plusieurs d'entre nous soient d'accord sur la fin, mais peut-être pas sur les moyens, et nous voulons comprendre si c'est bien le moyen le moins gênant et le meilleur pour atteindre l'objectif que nous partageons peut-être tous.
En ce qui concerne tout d'abord la question des périodiques canadiens à l'étranger - et j'ai trouvé très utile ce catalogue de périodiques canadiens, qu'un certain nombre d'entre nous ont feuilleté en vous écoutant - certains d'entre vous en ont parlé, mais vous avez peut-être omis par inadvertance de parler plus précisément de l'important contenu international de plusieurs périodiques énumérés dans le catalogue. Mme Cavan en particulier a parlé de la perspective canadienne et du point de vue canadien, mais si je lis la description d'un certain nombre de prériodiques, Equinox par exemple, on dit:
- Equinox explore les énigmes et les mystères de notre monde et de ses habitants. Laissez
Equinox vous aider à comprendre qui nous sommes et comment les choses fonctionnent.
Explorez les merveilles des cultures humaines et du comportement des humains; visitez des
royaumes sauvages et des frontières inexplorées; renseignez-vous sur des découvertes
scientifiques et les merveilles du cosmos.
- C'est plus que du contenu canadien. Cela dépasse de loin le Canada.
En fait, en parcourant cette liste, je vois que presque tous les périodiques énumérés dans le catalogue - c'est une liste impressionnante et j'ai lu certains de ces périodiques - sont distribués outremer. Vous avez des abonnés à l'étranger. Je veux simplement vous donner une chance de faire un commentaire là-dessus, parce que vous en parliez comme si c'était un tout petit secteur axé uniquement sur le marché canadien, afin que nous puissions mieux nous connaître, mais en réalité, c'est beaucoup plus vaste, n'est-ce pas?
Mme Cavan: Nous avons tous un service de vente à l'étranger, très petit cependant, la plupart du temps à l'intention de Canadiens vivant dans d'autres pays, mais qui préfèrent s'abonner à des magazines canadiens.
M. Campbell: Mais il n'en reste pas moins que les architectes et les dessinateurs veulent lire Insite et ceux qui font de la recherche circompolaire veulent lire Arctic, et ces gens seraient également parmi vos lecteurs.
Mme Cavan: Je ne peux pas parler pour ces magazines, Catherine le sait peut-être mieux.
Mme Catherine Keachie (présidente, Association canadienne des éditeurs de magazine): Vous voulez dire que nous devrions pouvoir vendre nos magazines en plus grand nombre à l'étranger, monsieur Campbell.
M. Campbell: Ma question découle de ce que disait Mme Cavan quand elle offrait une justification à l'aide dont le secteur bénéficie grâce à ce projet de loi, qui s'inscrit dans un cadre politique plus vaste, à savoir qu'il nous faut un point de vue canadien que ne donnerait pas nécessairement des magazines étrangers. Je vous demande simplement comment vous conciliez cela avec le fait que de nombreux magazines ici ne font pas cela; ils font quelque chose d'autre, qui est fort désirable ajouterais-je.
Mme Keachie: Ma foi, tout est question de point de vue. Les magazines canadiens couvrent un vaste éventail de sujets, nous ne nous limitons nullement aux écrivains canadiens, au sujet ou aux thèmes canadiens, mais nous présentons le tout d'un point de vue canadien, ce qui est utile.
Nous sommes tout aussi disposés que tout autre magazine à aborder des sujets comme la Bosnie, ou la faune ou la flore en Amérique du Sud, si nous pensons que le sujet intéresse nos lecteurs. Nous n'y voyons aucune objection et n'essayons nullement de faire preuve d'étroitesse d'esprit ou d'exclure quoi que ce soit, car si tel était le cas, nous n'aurions pas une presse dynamique, adulte et proche de la réalité.
Mais nous semblions parler d'exportation tout à l'heure, et nous voudrions penser que nous pouvons exporter chez le voisin, parce qu'il est si proche. Après tout, si nous sommes à une seule halte supplémentaire de camion pour les magazines américains, eux ne sont qu'à une halte supplémentaire de camion pour nous et il n'y a pas de raison que nous n'exportions pas chez eux. Si nous le pouvions, cela serait très profitable pour nous, et d'ailleurs aussi pour la Grande-Bretagne si elle pouvait exporter à destination des États-Unis.
M. Campbell: Mais vous le faites.
Mme Keachie: À une échelle modeste, Barry. C'est ainsi que ma collègue Diane Davy, de Owl et de Chickadee, édite des magazines d'enfants de toute première qualité. Ça marche assez bien - Diane pourrait vous en dire davantage là-dessus - mais il n'en reste pas moins qu'elle n'occupe qu'une toute petite place du marché américain.
Mme Diane Davy (présidente, Conseil d'administration, Association canadienne des éditeurs de magazines): C'est exact. Notre marché est le Canada et nous employons des écrivains et des illustrateurs canadiens. Le corps de nos lecteurs, ce sont des enfants canadiens, mais notre magazine est effectivement international.
M. Campbell: Je connais ces magazines, parce que mes enfants les lisent et je les lis avec eux.
Quel est votre tirage aux États-Unis?
Le président: Les enfants expliquent les histoires à Barry.
M. Campbell: C'est vrai.
Des voix: Oh! Oh!
Mme Davy: À ce propos Owl et Chickadee sont publiés en anglais, mais également en français sous le titre de Hibou et de Coulicou.
Nous faisons de la publicité pour des abonnements aux États-Unis, mais ce n'est pas notre marché principal, c'est un marché auxiliaire. On s'abonne au Canada à des magazines américains, mais l'inverse est également vrai.
M. Campbell: Quel serait le pourcentage américain?
Mme Davy: Environ 30 p. 100.
M. Campbell: C'est considérable pour un magazine canadien.
Mme Davy: Oui, nous sommes probablement les seuls.
M. Campbell: Mais vous avez un excellent magazine.
Mme Davy: Nous n'avons pas d'annonces publicitaires et n'avons pas tout à fait les mêmes problèmes. Je dois insister là-dessus.
Mme Keachie: Ce que nous publions pour les enfants s'apparentent à l'eau pure du Canada, l'eau de qualité en bouteille, mais il y a une certaine difficulté. Nous sommes encore en train de conquérir notre propre marché, et nous sommes très désavantagés.
M. Campbell: Bon, je ne voulais pas passer trop de temps là-dessus. Je voulais simplement faire préciser les choses, car, d'après ce que vous avez dit, votre produit semblait être strictement à l'intention des lecteurs canadiens.
M. Shearer: Mais ce serait une erreur que de croire, ne serait-ce qu'un instant, que, 30 p. 100 n'est pas un cas unique dans tout ce secteur. Car dans le cas de Maclean's, de Saturday Night, de Equinox ou d'une centaine d'autres magazines, la part d'exportation aux États-Unis ne dépasse pas 1 p. 100.
M. Campbell: J'ai bien compris.
M. Shearer: Et ce 1 p. 100 va essentiellement à des expatriés et à des gens qui ont une relation particulière avec le Canada, et cela tient au contenu de nos magazines et à leur point de vue.
M. Campbell: On pourrait également faire la distinction entre les magazines d'actualité, de sport, de dessin et d'architecture, d'enfants, de danse, etc.
Avant que le président ne reprenne la parole pour la donner à mes collègues, je veux poser rapidement deux petites questions.
Madame Cavan, encore une fois, vous avez dit qu'il était difficile d'obtenir des annonces publicitaires. J'imagine que si un annonceur canadien ne peut faire de publicité dans Sports Illustrated, ça ne veut pas nécessairement dire qu'il fera sa publicité dans Châtelaine. Je suppose qu'il veut faire de la publicité dans Sports Illustrated pour atteindre un certain type de lecteurs.
Mme Cavan: C'est exact.
M. Campbell: Voulez-vous nous en parler?
Mme Cavan: Certainement.
M. Campbell: Vous nous avez donné l'impression qu'il ferait alors de la publicité dans d'autres revues canadiennes à la place.
Mme Cavan: Ou d'autres médias canadiens. Il s'agit certainement de fonds de médias canadiens qui vont à Sports Illustrated et qui font peut-être partie d'une campagne de publicité imprimée... Cela fait partie du budget d'une campagne de publicité imprimée car de toute évidence il s'agit d'une page imprimée. Par conséquent, les revues canadienne peuvent imprimer la publicité. Mais ce serait des fonds provenant de l'ensemble des annonceurs publicitaires canadiens qui utilisent parfois l'imprimé, d'autre fois la télévision. Les médias imprimés peuvent aller chercher ces fonds s'ils réussissent à convaincre les annonceurs publicitaires des avantages des médias imprimés.
M. Campbell: Si le président me le permet, cela m'amène à ma dernière question qui découle de celle que je viens tout juste de poser.
Étant donné ce que vous venez de dire, le fait que vous vouliez que nous trouvions la méthode la moins importune, et vous pensez que le projet de loi à l'étude est effectivement la façon la moins importune d'en arriver à ce résultat, je me demande - et nous sommes tous influencés par nos antécédents et notre expérience - pourquoi les lois sur l'établissement d'un prix abusif, sur le recours commercial et sur le dumping ne suffiraient pas, et si ce ne serait pas même une façon encore moins importune de régler le problème dont vous parlez dans le cas de Sports Illustrated.
Mme Keachie: Je pourrais essayer de répondre à cette question, mais vous en avez peut-être déjà discuté précédemment avec les représentants du ministère du Patrimoine. Je pense que la loi antidumping a été examinée et explorée par le groupe de travail sur les revues qui s'est longuement penché sur la question et qui a décidé que cela ne fonctionnait pas. Vous devriez peut-être demander aux représentants du ministère du Patrimoine exactement pourquoi ils ont décidé d'essayer d'utiliser le régime fiscal plutôt que la loi antidumping à cet égard. Je pense que cela tient au fait que la publicité ne constitue pas un produit de la même façon.
M. Campbell: Je peux le comprendre. J'ai un peu plus de difficulté cependant avec la loi sur la concurrence et l'établissement d'un prix abusif, car vous semblez avoir décrit exactement le cas que doivent viser de telles dispositions, l'utilisation inéquitable de votre pouvoir sur le marché comme vous l'avez décrit. Je me demande si quelqu'un a quelque chose à ajouter à cet égard.
M. Shearer: À l'époque, les experts nous ont dit qu'il y avait une différence technique dans la façon dont on définit le dumping. Pour nous, le dumping, c'est la vente d'un produit dans un pays étranger à un prix inférieur à celui pratiqué dans son propre pays.
M. Campbell: C'est exacte.
M. Shearer: De toute évidence, c'est ce que fait Time Warner avec Sports Illustrated. Au Canada, ils vendent une page 6 000$ à 7 000$ tandis que la même page est vendue 12 000$ en Floride et 11 000$ en Nouvelle-Angleterre. De toute évidence c'est ce qu'ils font. On nous a dit que la définition technique de dumping ne correspondait peut-être pas à cette situation.
M. Campbell: Quelqu'un aurait-il quelque chose à ajouter sur la question de la loi sur la concurrence, de l'établissement d'un prix abusif, en tant que recours?
Mme Keachie: Il faudra demander aux experts d'explorer ces questions. Peut-être M. Tassé pourrait-il vous éclairer à ce sujet.
M. Campbell: Merci. Cela a été très utile.
Mme Stewart (Brant): J'aimerais reprendre le même genre de question que M. Solberg a posé aux deux témoins précédent. Je dois recourir à la paraphrase - vous devrez peut-être m'aider, Monte, après - mais il craignait que le projet de loi à l'étude ne nuise en fait aux publications canadiennes comme Harrowsmith. Je trouve plutôt étrange qu'il ne vous ait pas posé cette question, madame Cavan, puisque vous êtes ici, alors je vais vous la poser.
Le fait de ne pas permettre les émissions à tirage dédoublé a un impact sur votre capacité à élargir votre marché, particulièrement aux États-Unis.
Mme Cavan: J'ai déjà annoncé ici aujourd'hui que nous cesserons de le faire et que nous le ferons pas de notre propre gré dans l'esprit de la loi car nous comprenons que c'est une question d'équité. Nous préférons fonctionner sur un marché équitable, et il faut donc que nous fonctionnions de la même façon dans les deux pays.
Cela ne nous pose aucun problème. Nous préférons fonctionner aux États-Unis comme une revue américaine. Même si l'édition à tirage dédoublé avec la version américaine de notre magazine représente un certain avantage pour nous, nous préférons protéger toute notre industrie ici au Canada et avoir un processus équitable.
Mme Stewart: Étant donné que nous parlons constamment de Sports Illustrated et que nous savons qu'ils ont commencé leur édition à tirage dédoublé ici le 26 mars 1993 et qu'il est question de publicité, que vous êtes une association qui doit répondre aux besoins de ses membres, pouvez-vous nous dire exactement ce qui est arrivé après le 26 mars aux fonds qui auraient été dépensés pour la publicité dans ces autres publications pour le groupe-cible? Avez-vous vérifié ce qui était arrivé à ces fonds exactement?
C'est très difficile d'essayer de savoir quels chiffres je dois examiner pour connaître les coûts d'une page de publicité. Puisque c'est ce que nous visons ici, et que vous êtes l'association, j'aimerais savoir...
M. Warrillow: Il est très difficile de répondre directement à cette question, mais je vais vous donner quelques éléments d'information qui vous aideront peut-être à voir plus clair.
Sachant que la question sera peut-être soulevée, j'ai demandé à notre division des finances de jeter un coup d'oeil à Maclean's pour moi aujourd'hui. Jusqu'à présent, 64 p. 100 des annonces publicitaires publiées dans Maclean's cette année n'ont pas été publiées l'an dernier. En d'autres mots, il s'agit d'un marché qui évolue constamment. Il est donc très difficile de vérifier si des fonds publicitaires appartiennent à Maclean's ou s'ils ont été transférés ailleurs; ou si ces fonds étaient dépensés dans Maclean's, sont allés à Sports Illustrated, etc., et si nous les avons perdus. Il est très difficile de vérifier ce genre de choses.
J'ai jeté un coup d'oeil aux annonceurs publicitaires dans Sports Illustrated. Je regardais la liste dans l'avion, pour venir ici. Il y a des annonceurs publicitaires comme Ford, MicroSoft, VISA, Jeep, Remy Martin, IBM, UPS et oui, Reebok et Foot Locker. Mais la plupart de ces annonceurs envisageraient également faire de la publicité dans Saturday Night et en fait dans la revue Time au Canada.
Donc la plupart des annonces publicitaires... En fait, dans le numéro de Sports Illustrated en question, dans 31 pages sur 39, ce sont des annonceurs publicitaires que l'on pourrait retrouver aussi dans Maclean's, dans Saturday Night ou même dans Time. C'est un marché qui change constamment, car les annonceurs publicitaires en veulent pour leur argent et cherchent des occasions lorsqu'ils peuvent en trouver une, plutôt que de rechercher un environnement particulier, comme on le prétend. En fait, seulement 8 publicités sur 39 concernaient des produits liés aux sports dans le numéro que j'ai regardé.
Mme Stewart: Mais plus précisément - car je veux vraiment savoir l'impact de tout ccela - vous êtes Maclean's, vous êtes Saturday Night, les deux revues qui devraient pouvoir me dire que, depuis le 26 mars, vous avez perdu.
M. Warrillow: Selon les chiffres les plus récents pour cette industrie, on parle de 2,4 millions de dollars au cours des douze derniers mois. C'est la valeur des annonces publicitaires qui ont paru dans Sports Illustrated au cours des douze derniers mois. Si vous prenez seulement Sports Illustrated Canada...
Mme Stewart: Combien de ces annonces publicitaires se seraient retrouvées dans Maclean's autrement? Vos représentants des comptes doivent savoir lorsqu'ils ne réussissent pas à obtenir une annonce publicitaire que...
M. Shearer: Jim et moi-même avons examiné ce numéro de Sports Illustrated juste avant la séance et nous nous sommes demandé - et nous savons quelle publicité nous publions - lesquelles de ces annonces publicitaires seraient également publiées... ou plus...
Vous savez, les annonceurs publicitaires n'achètent pas une annonce publicitaire dans une revue. Ils achètent une série de trois ou quatre annonces. Maclean's publie une annonce publicitaire pour Bailey's, tout comme Saturday Night; nous publions Compaq tout comme Maclean's. American Express annonce dans toutes nos revues. Crown Royal annonce dans toutes nos revues. Nous avons passé tout cela en revue, et sur les 25 annonces publicitaires, seulement 3 étaient pour nous... des annonces que nous n'avons pas eu la chance d'obtenir.
Mme Stewart: Vous parlez de Sports Illustrated?
M. Shearer: Oui, l'édition canadienne.
Est ce que 100 p. 100 de ces fonds seraient allés à des revues canadiennes? Je dirais personnellement que 99 p. 100 de ces fonds seraient allés à des revues canadiennes; 99 p. 100.
M. Warrillow: Si je parlais à mon directeur des ventes, je dirais que 100 p. 100 de ces fonds devraient aller dans nos revues. Si je veux être vraiment objectif et répondre le plus honnêtement possible, je dirais que de ces 2,4 millions de dollars, il y en aurait 2 millions qui iraient à des revues canadiennes s'ils n'allaient pas à Sports Illustrated Canada. Autrement dit, je crois qu'au cours des 12 derniers mois le marché a peut-être attiré quelques centaines de milliers de dollars sous forme de nouvelles publicités. Ces annonces visaient particulièrement le monde des sports, et on les aurait peut-être présentées au cinéma, en plein air ou dans un autre milieu.
Mme Stewart: Une autre revue aurait donc attiré 2 millions de ces de 2,4 millions de dollars.
M. Warrillow: Selon notre évaluation, c'est possible.
M. Paré: Les budgets publicitaires n'augmentent pas en fonction du nombre de possibilités de dépenser. Ils augmentent en fonction des revenus ou de la présence de nouveaux concurrents. Le vice-président de marketing ne voit pas la publication d'une nouvelle revue comme une occasion de dépenser davantage. Les responsables du marketing ont un budget fixe et se demande comment il faut le dépenser. Ils choisissent l'option la moins chère à condition que celle-ci réponde à leurs besoins. Ou bien ils font des analyses de marché. Mais l'argent qu'ils dépensent vient de ce budget.
Mme Stewart: C'est exactement ce que je veux dire. Il s'agit d'un montant fixe.
M. Paré: Oui.
Mme Stewart: Et j'aurais supposé qu'après le 26 mars, les membres de votre association auraient été furieux d'avoir perdu un compte de 100 000$, et vous auraient demandé: devinez qui l'a repris? Il ne me semble pas que cela se soit produit.
M. Paré: Et en 1994 il s'agissait d'un montant plus petit. Je ne me souviens pas du pourcentage exact, mais dans le marché canadien les budgets publicitaires ont diminué d'environ 20 millions de dollars.
Mme Cavan: Je crois aussi que les annonceurs n'auraient pas enlevé 100 000$ d'un autre magazine pour le placer entièrement dans Sports Illustrated. Ils répartissaient leur budget publicitaire pour placer des annonces dans Sports Illustrated de sorte que les autres magazines en souffraient moins. Le secteur dans son ensemble a perdu 2 millions de dollars de fonds publicitaires.
Mme Stewart: Merci.
[Français]
Le président: Monsieur Leroux, s'il vous plaît.
M. Leroux: Je vous écoute parler, mesdames, messieurs, et je m'aperçois que la question fondamentale est la suivante: sommes-nous capables de préserver notre culture, que ce soit la culture canadienne ou la culture québécoise, de celle de notre voisin qui est beaucoup plus puissant que nous?
Monsieur Paré, dans votre exposé, que j'ai trouvé très intéressant, vous dites que le projet de loi C-103 n'apporte rien de nouveau et le président vous a posé une question.
J'aimerais que vous nous disiez encore une fois quelles seraient les conséquences de la non-adoption de ce projet de loi.
M. Paré: Si je dis que le C-103 n'apporte rien de nouveau, c'est qu'il nous ramène à la situation où nous étions avant que quelqu'un ne trouve une façon de contourner la loi.
Quelles seraient les conséquences d'une ouverture soudaine du marché des publications, des magazines? Aujourd'hui, ce sont les magazines, demain, ce sera d'autres publications, des quotidiens, des hebdomadaires et, pour finir, ce sera la radio, la télévision et la totalité des médias. Quand on tire un fil dans un chandail, on peut dire: Adieu chandail!
Les conséquences seraient les suivantes. Tous les éditeurs et les médias étrangers surveilleront ce que fera le Canada quand un magazine réussira à y faire une brèche. Ils se diront: «Ça va bien. Il gagne de l'argent.» Si les Canadiens ne réagissent pas, on verra apparaître un deuxième magazine, puis un troisième, un cinquième, un dixième, un vingtième. Tout à coup, la résistance des magazines canadiens va devenir très faible parce qu'ils vont être financièrement affaiblis, tant dans le tirage que dans les revenus publicitaires. Au fur et à mesure que les magazines étrangers vont devenir plus forts, les magazines canadiens vont devenir plus faibles. C'est comme une glissade; quand le mouvement est enclenché, on ne peut l'arrêter.
Deuxièmement, il y a un point qui n'a pas été soulevé, ici, et que j'aimerais soulever. J'ai parlé de level playing field ou level playing table; c'est-à-dire qu'on joue selon les mêmes règles. Au cours de mes 20 années en tant qu'éditeur, il nous est souvent arrivé, à moi et à certains autres éditeurs d'ici, qu'un éditeur étranger vienne nous voir et nous dise: «J'ai des magazines, de belles pages toutes faites avec des recettes, de la couture, du jardinage et toutes sortes de choses. Je vais vous les vendre pas cher. Pour moi, c'est déjà payé. Je vous vends mes films pour imprimer les pages. Je vous vends les articles à 25$. Pour moi, c'est une cerise sur le gâteau. Cela ne me coûte rien.»
Nous ne les avons pas achetés. Nous n'avons pas produit ici de magazines avec du contenu étranger à bon marché, d'abord parce que nous voulons nous adresser à nos lecteurs avec du contenu canadien et aussi parce que la loi nous en empêche.
La loi canadienne interdit aux éditeurs canadiens d'acheter à bon marché du contenu étranger un peu partout, de bourrer leurs magazines avec ça et de faire des magazines de seconde main.
Or, voilà une situation où un éditeur étranger prétend faire ce que nous n'avons pas le droit de faire.
M. Leroux: Trouvez-vous que le projet de loi C-103 va assez loin et protège suffisamment les éditeurs?
M. Paré: Les lois précédentes allaient assez loin tant que des gens n'ont pas trouvé les moyens de les contourner. Le projet de loi C-103 irait probablement assez loin, d'après le ministère du Patrimoine canadien. Si jamais quelqu'un trouve d'autres échappatoires, eh bien, ce sera aux élus de faire la police.
M. Leroux: Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur Leroux.
[Traduction]
M. de Jong (Regina - Qu'Appelle): Monsieur le président, j'ai quelques questions et observations.
On a déjà répondu à certaines des questions que je voulais poser. Cette situation m'inquiète car, comme vous l'avez signalé, c'est un exemple de dumping. À toutes fins pratiques, les éditions à tirage dédoublé de Sports Illustrated sont des exemples de dumping. Je voulais savoir pourquoi le gouvernement n'avait pas abordé le problème sous cet angle-là. Je crois qu'on a déjà répondu à cette question.
J'aurais souhaité que mes amis du Parti réformiste voient le projet de loi comme une tentative d'établir des règles équitables pour tout le monde et d'empêcher le dumping que font les Américains. Mais mes amis réformistes sont tellement amoureux des Américains qu'ils ne voient pas le mal que ces derniers nous font.
M. Grubel (Capilano - Howe Sound): C'est de la foutaise.
Le président: Monsieur de Jong, vous en prenez-vous au Parti réformiste?
M. de Jong: J'essaye de ne pas le faire, monsieur le président.
M. Grubel: Je dis que c'est de la foutaise. Je vous donnerai une réponse plus tard.
M. de Jong: Nous sommes contents de constater que le projet de loi C-103 ne protège pas les droits acquis, même si d'autres lois antérieures l'ont fait, et je crois qu'il y a des éditions à tirage dédoublé au Canada, n'est-ce pas? Pourriez-vous nous en donner les noms et nous dire quel pourcentage des recettes publicitaires elles représentent?
M. Shearer: Au Canada le magazine principal est Time. Cet hebdomadaire attire des recettes publicitaires énormes, et est en concurrence directe avec un certain nombre d'autres magazines hebdomadaires.
Mme Keachie: Voulez-vous que je précise le montant exact?
M. de Jong: Oui, ou le pourcentage.
M. Shearer: Au cours des 12 derniers mois, il a attiré 22 millions de dollars sous forme d'annonces publicitaires.
Mme Keachie: Et cela, c'est pour Time seulement.
M. de Jong: Et cela représente quel pourcentage des recettes publicitaires totales des magazines canadiens?
M. Shearer: C'est 395 millions de dollars, soit environ 5 p. 100.
Mme Keachie: C'est 5 p. 100 de la publicité grand public.
M. Warrillow: On parle ici des 62 magazines constituant le marché national et des magazines offrant la publicité grand public, et non pas de tous les magazines. Cela ne tient pas compte d'un grand nombre de magazines renfermant des annonces publicitaires. Il s'agit seulement des magazines les plus importants au Canada, qui sont au nombre de 62.
M. Shearer: Il faut tenir compte du fait qu'il y a 35 magazines à fort tirage aux États-Unis, et si chacun d'entre eux avaient 5 p. 100 du marché...
Mme Keachie: C'est-à-dire, 35 sont en mesure de produire des éditions à tirage dédoublé.
M. de Jong: Y a-t-il d'autres magazines qui font des éditions à tirage dédoublé?
Un témoin: Reader's Digest.
Mme Keachie: Certains éditeurs ont essayé des éditions à tirage dédoublé, mais les ont abandonnées car elles étaient passibles de droits de douane.
Je reçois souvent des appels téléphoniques de cabinets d'avocats situés à New York qui, tout en refusant de dire qui ils représentent, me demandent où nous en sommes avec le projet de loi. Les éditeurs américains s'intéressent donc vivement à cette question et se demandent quand ce «problème législatif», comme ils l'appellent, sera résolu et quand ils sauront s'ils peuvent entrer ou non au marché canadien. Il va sans dire que la plupart des magazines américains, qui se voient refuser l'accès à notre marché depuis 30 ans en raison du numéro tarifaire 9958, ont été polis et n'ont pas essayé de contourner la politique canadienne en la matière. Mais à présent qu'un éditeur américain est parvenu à contourner le problème des tarifs, il règne une atmosphère, ma foi, de pourquoi pas nous?
L'intérêt se manifeste certainement, et nous constatons que les efforts faits par les magazines américains pour vendre des abonnements au Canada ont connu récemment des changements. Les prix d'abonnement des magazines américains pour les abonnés canadiens ont marqué récemment une baisse. Accusez-nous de paranoïa, mais nous redoutons que les éditeurs américains ne se préparent à lancer une grande campagne, afin de pouvoir vendre de la publicité à des annonceurs canadiens.
M. de Jong: Est-ce que par hasard l'autre magazine, qui a également un tirage dédoublé, ne serait pas le Reader's Digest?
Mme Keachie: Oui, bien entendu.
M. de Jong: Donc les deux principaux sont Time et Reader's Digest.
Mme Keachie: Oui, mais Reader's Digest, comme vous le savez, jouit d'un statut spécial et, aux termes de l'article 19 de la Loi de l'impôt sur le revenu, il est sensé être canadien aux fins de notre loi fiscale.
M. Paré: L'une des différences est que, contrairement aux périodiques à tirage dédoublé, Reader's Digest a plus de 600 000 emplois à Montréal, de vrais employés qui font du vrai travail pour le consommateur.
M. de Jong: Mais j'ai entendu certains des rédacteurs et éditeurs du Reader's Digest dire qu'ils doutaient du contenu canadien de ce magazine.
Mme Keachie: Ils n'ont pas 600 000 emplois.
M. Paré: Non, mais...
Mme Keachie: Six cent mille?
M. Paré: Six cent emplois. Est-ce que j'aurais dit mille? C'était six cent que je voulais dire.
M. de Jong: Si le projet de loi C-103 n'est pas adopté, pensez-vous que des éditeurs canadiens investiront sur le marché canadien?
Mme Cavan: Depuis deux ans nous ne le faisons pas, en raison de l'incertitude. C'est une pensée qui fait peur.
M. Grubel: Est-ce que l'Autriche et la Suisse ont des lois interdisant les tirages dédoublés pour les magazines allemands, la Belgique pour les magazines français, etc., en Europe?
Mme Keachie: J'en ai discuté récemment avec un grand nombre de chefs de bureau de quotidiens européens, qui étaient venus au Canada pour une conférence. Ils parlaient entre eux de notre singulière protection culturelle, qui semblait beaucoup leur plaire et ils admiraient l'habileté avec laquelle le Canada était parvenu à obtenir une certaine protection pour sa culture.
Il y avait, entre autres, le représentant d'un quotidien suisse. L'article 19 avait suscité son intérêt et je lui ai dit: «Vous devez nous comprendre, car cela doit être si difficile pour la Suisse d'avoir des magazines nationaux, avec les Italiens qui lisent l'italien, les Suisses francophones qui lisent le français, etc.». Le journaliste m'a répondu: «Oui, c'est la raison pour laquelle nous n'avons pas de magazines à nous, nous n'avons que des quotidiens, car ce n'est pas vraiment possible d'avoir des magazines suisses.»
Je n'ai pas vérifié cela, mais je pourrais le faire, car j'ai été très frappé par le fait que la Suisse ait renoncé à essayer même d'avoir des magazines, à cause des tirages dédoublés de l'Allemagne et de l'Italie.
M. Grubel: Voilà qui me surprend fort, car la culture suisse a une réputation d'excellence et de vitalité.
Mme Keachie: J'en suis persuadé.
M. Grubel: Et il est alors très intéressant que...
Mme Keachie: Mais ils ne peuvent se maintenir sans publicité.
M. Grubel: Je suis donc surpris que nous devions concevoir des craintes si nous n'avons pas nos propres magazines, parce que la Suisse, l'Autriche et tous ces autres pays qui, pour une ou pour une autre raison, n'ont pas de tirages dédoublés, n'ont pas besoin de la protection et semblent avoir une culture vigoureuse et dynamique. Pouvez-vous m'expliquer cela?
Mme Keachie: Est-ce que voulez dire par là que nous n'avons pas vraiment besoin de magazines canadiens? Est-ce bien cela?
M. Grubel: La justification de cette protection, m'a-t-on dit, c'est que notre culture ne survivrait pas autrement. Vous venez de me dire qu'en Suisse, et dans tous les autres pays Européens, il y a deux possibilités: soit d'avoir des tirages dédoublés, et la culture survit, soit de n'en pas avoir, mais même alors ce n'est pas la fin de la culture. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi, au Canada, si nous n'avions pas un secteur indépendant des magazines, notre culture serait condamnée?
Mme Keachie: Vous raisonnez juste...
M. Grubel: Je vous remercie.
Mme Keachie: ...et la culture canadienne, bien entendu, survivrait, mais les Canadiens trouveraient beaucoup plus difficile de lire des articles sur ce qui les concerne.
C'est ainsi qu'en matière de magazines, nous dépendrions de Time pour nous dire ce qui se passe dans notre propre pays, ou des journaux, qui sont très importants et excellents, encore que, ne l'oubliez pas, ils impriment souvent des dépêches d'agence. C'est alors qu'il deviendrait encore plus difficile pour les Canadiens de lire quoi que ce soit qui ne concerne pas nos voisins du Sud.
M. Grubel: C'est comme ça que fonctionne le monde, il y a des choses plus difficiles à avaler que d'autres. Il y a toutes sortes de facilités que j'aimerais avoir. Vous me dites que le public canadien, et sa culture, serait en danger si nous n'avions pas cette presse, mais vous me dites en même temps que les pays européens parviennent à s'en passer.
Mme Keachie: La question qui se pose, c'est de savoir si un pays de la taille du Canada, divisé en deux groupes linguistiques, doit avoir ses propres magazines. Nous avons le talent, les lecteurs et la technologie, comme on dit, et le problème qui se pose, c'est de savoir si nous pouvons conserver suffisamment de ce que nous gagnons en publicité pour maintenir une presse à nous.
M. Grubel: Je comprends, c'est un argument purement protectionniste revêtu du manteau culturel. C'est la conclusion que j'ai atteinte, parce que si l'on se fonde seulement sur la logique, puisqu'un pays aussi petit que la Suisse, dont la population germanophone est proportionnellement moins nombreuse que celle...
Je crois que cette discussion devient oiseuse. Permettez-moi de poser brièvement ma dernière question.
Le président: Oui, brièvement.
M. Grubel: Quand je vous entends parler des Américains qui mettent un nouveau produit sur le marché, et que vous dites que l'investissement pour ce produit... Je reprends là des termes utilisés pour les automobiles, les chaussures, la technologie de pointe, etc., exactement les termes employés quand les Américains s'adressent à un acheteur potentiel canadien. Ils lui disent: voici un investissement d'un milliard de dollars pour mettre au point ce produit, et maintenant je peux vous le vendre à très bon marché. Vous me comprenez?
Tout au long de l'histoire le protectionnisme s'est développé, dans le monde, en se fondant sur cet argument. Mesdames et messieurs, dans les années d'après-guerre tout le monde disait vouloir entrer dans la danse parce que eux aussi pourrait mettre au point des produits et faire de gros investissements.
Voilà toute sorte de gens qui viennent nous raconter combien l'industrie canadienne excelle à tant d'égards. Ils peuvent donc vendre ces produits aux États-Unis et réaliser des économies d'échelle. Ils ne créeraient donc pas ces produits s'ils ne pouvaient les vendre aux États-Unis, et c'est exactement la même histoire.
Dans les années d'après-guerre tout le monde disait être devenu plus pauvre, parce que quand on créait des produits et qu'on ne pouvait amortir l'investissement en vendant sur un vaste marché international, le coût de la vie montait et la productivité baissait.
Cela s'applique à tous les produits sur cette terre. En adoptant cette philosophie - et vous y avez réussi avec les nationalistes - vous avez privé le monde et ses Canadiens de la possibilité d'avoir un niveau de vie plus élevé.
Je veux qu'il soit pris bonne note, dans le procès-verbal, de cette argumentation qui est fondée sur une logique impeccable.
M. Shearer: Je ne suis pas en mesure de parler de la mondialisation du commerce, ni de ce qui s'est passé depuis la seconde guerre mondiale, mais je peux vous assurer que lorsque des sociétés comme Time Warner vous disent, comme hier, que le prix auquel ils vendent leur produit ne constitue nullement une concurrence déloyale et qu'ils ne vendent nullement leur publicité en dessous du prix demandé par les magazines canadiens, elles ne disent pas la vérité.
Ces gens soutiennent qu'ils ne vendent pas leur publicité, au Canada, à un prix plus bas qu'aux États-Unis, mais c'est absolument contraire à la vérité. C'est précisément ce qu'ils font et, de plus, ils vendent ces produits au Canada à un prix inférieur à celui que nous pouvons les vendre, et nous sommes en mesure de le prouver.
Je ne suis pas très bien votre argumentation sur la façon dont une société internationale se comporte dans un autre pays, mais si vous avez entendu un son de cloche hier, nous voudrions vous en faire entendre un autre aujourd'hui et vous dire que cette société ne vend pas de la publicité dans votre pays à un tarif compétitif avec les magazines canadiens, elle la vend bien en dessous.
M. Grubel: En toute déférence, monsieur, ce sont exactement les raisons avancées par l'industrie américaine du bois. Nous vendons en dessous de leur prix. Ils élèvent des barrières tarifaires et chez nous c'est une levée de boucliers. C'est là une activité normale. Je ne connais pas les faits, je ne sais pas si on peut parler de dumping. Les gens qui ont étudié à ce sujet disent qu'il faudrait supprimer toute loi anti-dumping à cause de ce genre de problème. On ne devrait pas tolérer les lois anti-dumping, mais c'est là un autre sujet.
Le président: Il y a beaucoup de gens qui se demandent sérieusement si Elvis Presley est encore en vie, monsieur Grubel.
M. Grubel: Mais pour revenir à vos affirmations, lors des audiences du Sénat américain il s'est avéré que les producteurs de bois d'oeuvre américain font exactement la même chose. Tout le monde peut jouer à ce jeu, les consommateurs en pâtissent et c'est un jeu que je déteste, je voulais le dire officiellement.
Je ne sais pas pourquoi je me donne tant de peine, car je ne parviendrai à convaincre ni ce monsieur, ni problablement mes collègues de l'autre bord, mais vous devriez savoir qu'il existe un autre point de vue sur la question. Nous en sommes tous les victimes.
M. Campbell: Monsieur le président, permettez-moi de donner un éclaircissement.
Le problème du bois d'oeuvre, qui dure depuis une décennie, est un problème de subvention et non de dumping. En outre, si on voulait éliminer les lois anti-dumping, ce serait pour les remplacer, aux États-Unis, par des lois de l'anti-concurrence, ou anti-trust. Je voulais simplement préciser cela.
Le président: Une des choses que nous pourrions peut-être faire, c'est d'empêcher ce genre de bois d'oeuvre de devenir des périodiques à tirage dédoublé.
J'ai distribué à nos témoins un exemplaire d'une lettre de Osler, Hoskin et Harcourt, que nous avons reçu ce matin et qui montre les coûts de la publicité. C'est là une question que vous souleviez, monsieur Shearer.
Est-ce que tous les membres du comité ont un exemplaire de cette lettre? Avez-vous un commentaire à faire sur ces chiffres? Ils essaient de prouver, je crois, que leur publicité coûte autant, ou davantage, que celle de magazines canadiens à tirage comparable, comme Harrowsmith et Equinox.
M. Shearer: Oui, nous voudrions répondre à cela.
Si vous avez tous cette lettre, je voudrais vous demander d'écrire dans une autre colonne à côté de Sports Illustrated Canada et à côté de Harrowsmith. Il est vrai que si vous évaluez seulement un magazine en vous basant sur son tirage vous pourriez conclure que les prix sont plus ou moins compétitifs, mais qu'aucun n'annonceur n'achète en se basant uniquement sur le tirage, critère qui est devenu beaucoup moins important pour l'achat de publicité.
L'élément clé pour choisir où placer sa publicité et en mesurer l'efficacité, c'est le nombre de lecteurs, et le tirage et le nombre de lecteurs sont deux choses tout à fait différente. Un magazine peut avoir, pour chaque exemplaire qu'il publie, deux lecteurs, mais il peut aussi en avoir cinq, dix ou treize.
Nous avons au Canada un service qui mesure l'audience de tous les magazines du pays, afin que les annonceurs puissent choisir leur magazine et en évaluer l'efficacité. Si nous nous basons sur les études qui ont été faites, nous savons qu'en réalité Sports Illustrated ne touche pas 125 000 lecteurs, ce n'est pas là l'élément clé, c'est le nombre effectif de gens qui lisent ce magazine.
D'après des études faites aux États-Unis, et d'une étude faite récemment au Canada, nous savons que Sports Illustrated a plus de 700 000 lecteurs au Canada tout en ayant un tirage de 125 000. On arrive à 700 000 en prenant le taux de pages et en divisant par le grand chiffre; vous obtenez ainsi le taux d'efficacité. Si vous faites cela pour Sports Illustrated et ensuite pour Harrowsmith, vous constaterez qu'en fait ces magazines sont loins d'être compétitifs. Harrowsmith a environ trois fois moins de lecteurs que Sports Illustrated.
Le président: Peut-être pourriez-vous nous transmettre ces informations par écrit...
M. Shearer: Certainement.
Le président: ...dès que cela vous conviendra parce que nous mettrons fin à notre étude sous peu.
Nous accusons du retard. Une dernière remarque, brièvement, monsieur Solberg.
M. Solberg: Un peu plus tôt, nous avons parlé des effets qu'a eus Sports Illustrated sur les revenus du secteur des périodiques. Vous n'avez pas indiqué si vos revenus publicitaires avaient augmenté ou non et comment votre secteur est lié au secteur américain.
M. Warrillow: Seules les données sur la publicité ponctuelle sont publiques. En fonction des taux de publicité ponctuelle, nous sommes heureux de vous apprendre qu'il y a eu une croissance sur le marché canadien l'an dernier, une croissance d'environ 4 p. 100 du volume de publicité au cours des 12 derniers mois. Et cela a traduit l'amélioration de l'économie sur le marché canadien et fait suite à une période de déclin.
Les taux de croissance aux États-Unis sont bien supérieurs à ceux du Canada. En fait, l'an dernier, pendant que le marché canadien souffrait encore, le marché américain connaissait une croissante réelle, comme cette année.
Il est intéressant de noter qu'on a indiqué aujourd'hui, que, au cours de neufs premiers mois de 1995, les revenus de Sports Illustrated aux États-Unis ont été de 395 millions de dollars, alors que tout le secteur canadien des périodiques a généré 395 millions de dollars au cours des 12 derniers mois.
M. Solberg: Ce sont les revenus de Sports Illustrated à l'échelle mondiale?
M. Warrillow: Non, ce sont les revenus de Sports Illustrated aux États-Unis pendant les neuf premiers mois de cette année.
Le président: Merci, monsieur Solberg.
Puis-je poser une dernière question? Le groupe de travail qui a recommandé ce projet de loi a proposé qu'on accorde des droits acquis à Sports Illustrated pour le nombre de numéros qu'il publie, soit environ sept par année.
Mme Cavan: Sept par année.
Le président: Que pensez-vous de cette recommandation par opposition à ce que prévoit notre projet de loi?
M. Shearer: Je crois que, ainsi, on les récompenserait pour avoir trouvé une échappatoire qui, comme ils le savaient très bien, allait à l'encontre de l'esprit, de l'intention et de l'historique de la Loi canadienne sur le secteur des périodiques canadiens.
Mme Keachie: J'ajouterais qu'on donnerait ici de bien drôles d'indications aux autres entreprises américaines qui auraient bien voulu en faire autant mais qui ont, jusqu'à présent, respecté nos politiques.
Le président: Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie de nous avoir présenté cet exposé très important.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur Paré.
[Traduction]
Merci beaucoup.
Nous faisons une pause de deux minutes avant d'entendre notre dernier témoin.
Le président: La séance reprend.
Nous accueillons maintenant le président de l'Institut de la publicité canadienne, John Sinclair.
Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Sinclair.
M. John Sinclair (président, Institut de la publicité canadienne): Merci, monsieur le président.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je suis le président de l'Institut de la publicité canadienne. Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à vous faire part des vues de mon secteur.
Je suis ici aujourd'hui pour vous dire que j'appuie les dispositions du projet de loi C-103. Je ferai un bref exposé, d'environ six minutes, et je serai ensuite heureux de répondre à vos questions.
Mon organisation, l'Institut de la publicité canadienne, est l'association nationale représentant les agences de publicité du Canada. Elle a été fondée en 1905. Les membres de notre organisation exploitent des agences de publicité dans toutes les régions du Canada. Ils ont pour fonction première de créer de la publicité et d'acheter de l'espace et du temps d'antenne dans les médias pour leurs clients.
La publicité conçue par ces agences membres de notre organisation permet la promotion de toute une gamme de biens et de services, de programmes d'information, de points de vente au détail et d'organismes gouvernementaux à l'échelle du pays.
Soixante-dix pour cent de toute la publicité faite dans les médias au Canada est le fruit des agences membres de l'Institut. Et cela représente chaque année environ 5 milliards de dollars d'achat d'espace et de temps dans tous les médias: télévision, radio, journaux, panneaux publicitaires et, bien sûr, périodiques.
J'ai toujours eu un grand intérêt personnel et professionnel pour les périodiques canadiens. En 1993 et 1994, j'ai eu le privilège de siéger comme membre consultatif du groupe de travail sur l'industrie canadienne des périodiques.
Le projet de loi C-103 est d'un intérêt vital pour les 4 000 employés de ces agences membres de l'institut. Si le gouvernement du Canada ne s'attaque pas à la question des éditions à tirage dédoublé de magazines américains, des périodiques canadiens disparaîtront inévitablement et, à long terme, il y aura moins d'emplois dans les sections de mise en marché des entreprises canadiennes et dans le secteur de la publicité, que je représente.
Le rapport du Groupe de travail sur l'industrie canadienne des périodiques présenté au ministre du Patrimoine en 1994 contenait nombre d'observations importantes. J'aimerais citer la suivante:
- Les périodiques canadiens représentent un élément essentiel du développement culturel du
Canada.
- Ils nous permettent de nous voir, nous, et le monde entier, à partir d'un point de vue canadien.
Si nous n'agissons pas, les éditions à tirage dédoublé se multiplieront rapidement sur le marché canadien et entraîneront une série d'événements à la chaîne nuisibles pour notre pays, qui se produiront à court et à long terme. Ces événements menaceront certainement la santé du secteur publicitaire au Canada.
Cette série d'événements peut se résumer en quatre points.
Premièrement, les éditions à tirage dédoublé feront leur apparition au Canada et s'ajouteront à celles qui existent déjà et qui tentent d'obtenir des revenus publicitaires.
Deuxièmement, les périodiques canadiens se mettront lentement à disparaître, ce qui entraînera la perte d'emplois et nuira à notre culture.
Troisièmement, les multinationales ne prendront plus au Canada les décisions relatives à la publicité au Canada. Les décisions et les achats relatifs à la publicité se feront aux États-Unis, même pour les médias canadiens. Il en découlera des pertes d'emploi dans les sections de publicité canadienne.
Quatrièmement, il y aurait fusion de tous les dossiers des agences de publicité pour l'Amérique du Nord, et les campagnes publicitaires seraient créées et administrées à partir de New York ou de Los Angeles, plutôt qu'à partir de Toronto ou Montréal. Encore une fois, l'économie canadienne en souffrirait et il y aurait des pertes d'emplois dans les agences de publicité.
Les membres de l'Institut de la publicité canadienne et moi-même estimons que les périodiques canadiens représentent une partie essentielle de notre tissu culturel. Le projet de loi maintiendra cette importance culturelle et, à long terme, préservera des emplois dans le secteur de la publicité et dans le secteur des périodiques du Canada.
Il est essentiel que le gouvernement prennent toutes les mesures nécessaires pour prévenir l'entrée au Canada des éditions à tirage dédoublé.
Merci.
M. Solberg: Merci beaucoup, monsieur Sinclair.
Je présume que les agences que vous représentez ne vendent pas de publicité à Sports Illustrated Canada.
M. Sinclair: Certaines de ces agences achètent de l'espace publicitaire dans Sports Illustrated Canada au nom de leurs clients.
M. Solberg: Autrement dit, ces agences font des profits grâce à Sports Illustrated Canada.
M. Sinclair: Ces agences de publicité ont pour fonction d'investir le budget de publicité de leurs clients de la façon la plus rentable possible. Si Sports Illustrated Canada a un nombre de lecteurs important, comme c'est le cas, les agences que je représente ont la responsabilité d'en profiter en vue de tirer le meilleur profit possible des investissements de leurs clients.
M. Solberg: C'était donc bon pour les agences, et cela crée des emplois, j'imagine.
M. Sinclair: Non, ce n'est pas que ce soit bon ou mauvais. Les agences de publicité ont pour tâche d'investir une somme donnée au nom de leurs clients. Elles investissent donc dans Sports Illustrated Canada, d'autres périodiques ou d'autres médias. En soi, cela ne crée pas d'emplois mais ça n'en supprime pas non plus.
M. Solberg: Vous avez peur que les agences de publicité n'y perdent parce que les décisions de commercialisation se prendraient aux États-Unis. C'est bien cela?
M. Sinclair: C'est exact.
M. Solberg: Pourquoi ne croyez-vous pas pouvoir faire concurrence aux agences de publicité aux États-Unis?
M. Sinclair: Si j'étais à New York ou à Los Angeles ou à Tampa, je me demanderais pourquoi j'ai besoin d'une agence publicitaire canadienne quand toutes les revues où j'annonce mes produits sont des revues nord-américaines? Je n'ai qu'à téléphoner à quelqu'un ici aux États-Unis. Aucune expertise médiatique locale canadienne ne serait nécessaire pour que je puisse prendre une décision.
M. Solberg: Alors pourquoi toutes les agences publicitaires ne se trouvent pas à New York, même aujourd'hui?
M. Sinclair: Beaucoup de mes agences affiliées sont des orgnisations multinationales qui ont une agence au Canada mais qui font partie d'un réseau multinational avec des bureaux aux États-Unis et partout ailleurs au monde.
M. Solberg: Donc les agences publicitaires se trouvent déjà un peu partout au monde et ça fait bien leur affaire, de toute évidence. On le fait pour des raisons d'efficacité et pour servir le client de son mieux. Sports Illustrated propose la même chose pour le Canada, présumément pour bien servir leurs clients. N'y touvez-vous pas un petit quelque chose d'ironique?
M. Sinclair: Non. À vrai dire, c'est très différent parce qu'il s'agit de dollars publicitaires de compagnies canadiennes. Si ces dollars étaient siphonnés par des décisions prises aux États-Unis, cela ferait mal au Canada, aux départements publicitaires canadiens et aux agences publicitaires canadiennes.
M. Solberg: Si les compagnies peuvent annoncer au Canada à des tarifs inférieurs, est-ce que ce n'est pas bon pour les annonceurs canadiens, si c'est à cela que ça doit mener, si on en croit les allégations de ceux qui publient ces revues?
M. Sinclair: Peut-être, à court terme, mais inévitablement cela mène, à long terme, à des résultats très néfastes pour notre industrie.
M. Solberg: S'ils pouvaient payer leurs annonces moins cher, n'auraient-ils pas plus d'argent à dépenser sur la publicité?
M. Sinclair: Non, ce n'est pas le cas. Les budgets publicitaires, les dollars publicitaires, sont limités et si vous...
M. Solberg: Ces dollars iraient donc grossir leurs profits. Leurs profits seraient plus élevés alors.
M. Sinclair: Non. D'après mon expérience, le budget publicitaire est établi...
M. Solberg: Oui, je comprends. Vous avez déjà dit cela. Mais vous dites que s'ils peuvent faire passer leurs annonces à moindres frais...
L'argent doit aller quelque part. S'il ne va pas à la publicité, de toute évidence, les profits augmenteront. N'est-ce pas le cas?
M. Sinclair: Non. Je dirais que les budgets publicitaires se voient consacrer un montant fixe, en termes relatifs, mais si l'acheteur de la publicité peut acheter plus efficacement, ça ne changera pas son budget publicitaire.
M. Solberg: Bon. Donc, ils réussissent à atteindre plus de gens. L'une des deux choses se produira. Ils atteignent plus de gens et c'est bon pour les annonceurs, de toute évidence.
M. Sinclair: J'imagine.
M. Solberg: Écoutez, si vous vous intéressez à vos annonceurs, ne voudriez-vous pas qu'ils atteignent un plus grand public pour les dollars qu'ils dépensent?
M. Sinclair: Je ne mets pas en doute l'argument de l'efficience. Je veux bien que les éditions à tirage dédoublé résultent possiblement en une efficience accrue pour les dollars publicitaires canadiens, à court terme. Cependant, à long terme, c'est toute l'industrie qui serait réduite à néant: le revues, les départements publicitaires et les agences publicitaires.
M. Solberg: Nous avons entendu cet argument pour d'autres industries aussi, évidemment, c'est-à-dire qu'en acceptant le libre-échange, des industries entières seraient rayées de la carte. Ça n'a quand même pas été le cas. N'est-ce pas?
M. Sinclair: Oui, je veux bien, et si je prétendais que cela rayerait de la carte une industrie tout entière, ce serait une exagération. Mais ce serait quand même nuisible pour ces industries.
M. Solberg: Là où je veux en venir, c'est que les annonceurs peuvent tirer profit de toute cette situation. Je crois que vous essayez de nous dire qu'il y aura peut-être une certaine rationalisation au sein de l'industrie canadienne du magazine.
Si on prend l'exemple des résultats de l'Accord sur le libre-échange et des autres négociations sur les échanges commerciaux que nous avons connues, je crois qu'il est très vrai qu'en bout du compte, le Canada s'en est très bien tiré, que nous avons vu des biens beaucoup moins cher nous parvenir sans oublier que nos échanges commerciaux avec les États-Unis se sont grandement améliorés.
N'est-ce pas vrai?
M. Sinclair: Je ne suis pas porte-parole d'autres industries, mais si mes précisions ici s'avèrent justes et que mon industrie y perd des emplois, je ne crois pas que ce soit avantageux ni pour notre industrie ni pour le pays.
M. Solberg: Vous venez de nous dire pour qui vous argumentez, alors. En réalité, c'est pour protéger votre industrie; vous avez des arguments protectionnistes. N'est-ce pas vrai? Le sort des annonceurs canadiens ne vous préoccupe pas nécessairement.
M. Sinclair: Je ne m'exprimerai pas comme vous, mais je ne suis pas tout à fait en désaccord avec vos propos.
Mme Stewart: Je m'intéresse particulièrement à ce que vous avez très précisément dit à propos de Sports Illustrated et de son efficience. Vous semblez dire qu'un annonceur trouve en effet que cette revue offre de la publicité à meilleur compte.
C'est bien ce que vous avez dit? Pouvez-vous m'expliquer ce phénomène? Nous avons étudié bien des chiffres et lorsque la délégation de Sports Illustrated était ici hier, elle nous a fort bien fait comprendre que cette revue offre des prix concurrentiels et puisqu'on doit aussi payer pour la livraison, l'impression - je ne me souviens pas du troisième facteur de coût - évidemment, qu'il y avait tous ces frais et que la revue n'était aucunement avantagée sur le marché canadien, après tout.
M. Sinclair: J'ai certainement déjà entendu ce genre de choses. Mes sources d'information sont de deux sortes.
Tout d'abord, il y a les agences membres de mon association et plus précisément les départements médiatiques de ces agences.
J'étais membre du groupe d'étude et on a eu un grand nombre de mémoires et de discussions à ce propos.
Ces deux sources nous livrent le même message, c'est-à-dire que Sports Illustrated, Édition canadienne, était plus efficient, que sa liste de prix n'était pas respectée, que les prix offerts étaient mieux, c'est-à-dire plus bas, que sur la liste de prix. Je ne peux pas le prouver hors de tout doute, mais j'entends toujours la même chose depuis deux ans et ce me semble donc exact.
Mme Stewart: Et que vaut l'industrie de la publicité pour l'économie canadienne?
M. Sinclair: Cela dépend de vos paramètres. Nous comptons plus de 4 000 emplois. Via nos agences, nous plaçons de 5 à 6 milliards de dollars de publicité dans les médias. Quatre-vingt-quinze pour cent de ce chiffre va aux médias canadiens.
Mme Stewart: Et quel pourcentage de tout cela va aux diverses revues?
M. Sinclair: Je n'ai pas de chiffres là-dessus. Désolé.
Mme Stewart: Mais ce serait un montant important?
M. Sinclair: Absolument. On me dit que c'est 6 p. 100 du montant.
Mme Stewart: Six pour cent du total.
Vous avez parlé de rationalisation dans l'industrie. Qu'est-ce qui se passe pour l'industrie si l'on permet les éditions à tirage dédoublé. Comme vous l'avez avoué, l'industrie ne disparaîtra pas totalement. Quelles sont les prévisions de l'industrie?
M. Sinclair: Nous n'avons fait aucune prévision précise de ce genre. À long terme, nous prévoyons qu'il y aurait absolument, quoique très graduellement, un mouvement dans l'industrie de la publicité dans son ensemble - décisions en matière de publicité, agences de publicité - et ce mouvement serait un mouvement d'immigration. C'est une tendance que nous constatons déjà. Nous prévoyons que ce mouvement se poursuivra et que l'édition à tirage dédoublé l'accélérera probablement. Cela ne se fera pas en quelques mois; il faudrait quelques années mais nous connaissons assez bien notre industrie et la façon dont pensent les départements publicitaires et comment ils prennent leurs décisions pour dire que ce serait inévitablement le résultat à long terme.
Mme Stewart: Merci.
Le président: Merci, madame Stewart. Monsieur Grubel, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Grubel: Non merci.
Le président: Monsieur Sinclair, les témoins précédents nous ont présenté un mémoire il y a plusieurs années, indiquant qu'en 1991 les recettes publicitaires du secteur des magazines se chiffraient à 567 millions de dollars. Ils nous ont dit aujourd'hui que l'an dernier elles ne représentaient que 395 millions de dollars, soit une baisse de 25 p. 100 depuis 1991.
Quelles conséquences cette baisse a-t-elle eues pour vos membres?
M. Sinclair: Monsieur le président, je n'ai pas bien compris la dernière partie de votre question.
Le président: Quelles ont été les conséquences pour vos membres de cette baisse de 25 p. 100 sur quatre ans?
M. Sinclair: Je crois que les conséquences ont été probablement assez minimes pour les membres de notre association. Cela s'explique par le fait que nos agences doivent travailler dans tous les médias. Je dois revoir les chiffres, mais il se peut que la baise des recettes des magazines soit compensée par une augmentation des recettes des journaux et, ce qui est fort probable, de la télévision. Les dépenses dans les médias seraient donc sensiblement les mêmes. Nos agences achètent la publicité dans tous les médias.
Le président: Au nom de tous les membres du comité, j'aimerais vous remercier d'avoir contribué à l'étude de cette question importante.
La séance est levée jusqu'à 19h30 mercredi prochain. Notre dernier témoin sera l'Association du Barreau canadien, et ensuite nous passerons à l'étude article par article de ce projet de loi.
Merci.
La séance est levée.