[Enregistrement électronique]
Le mercredi 8 novembre 1995
Le président: La séance est ouverte.
Le comité des finances est heureux d'accueillir aujourd'hui le gouverneur de la Banque du Canada, M. Gorden Thiessen, ainsi que les sous-gouverneurs, MM. Tim Noel et Bernard Bonin.
Merci d'être là. Nous vous écoutons.
M. Gordon Thiessen (gouverneur de la Banque du Canada): Monsieur le président, je suis heureux de l'occasion que vous nous donnez, à mes collègues et à moi, de vous présenter notre livraison de l'automne du rapport sur la politique monétaire, qui a paru au début de la semaine.
[Français]
En publiant un rapport de ce type tous les six mois, la Banque vise à fournir des renseignements à jour, de nature prospective, sur la conduite de la politique monétaire au Canada et à contribuer au débat public sur cette politique. Le rapport émane du conseil de direction de la Banque du Canada, qui est composé du gouverneur, du premier sous-gouverneur et des quatre sous-gouverneurs. Ce conseil assume la responsabilité de la conduite de la politique monétaire au Canada.
[Traduction]
Comme l'indique le rapport, la tâche fondamentale de la politique monétaire canadienne est de favoriser un rythme d'expansion monétaire qui soit compatible avec la réalisation des objectifs de maîtrise de l'inflation de 1 à 3 p. 100 que vise la Banque pour la période allant jusqu'à la fin de 1998. Mais comme les mesures prises par la banque centrale n'agissent sur l'inflation qu'avec de longs retards et que des fluctuations imprévues peuvent influer sur l'économie et sur l'inflation tendancielle, la Banque fait face à certaines incertitudes dans la conduite de sa politique monétaire. C'est là le défi qu'il lui faut relever. La politique monétaire doit donc être axée sur l'avenir et fondée sur des projections forcément incertaines. De plus, ces projections doivent être constamment ajustées à la lumière des situations imprévues.
[Français]
Le problème posé par l'incertitude a été palpable cette année. Les marchés financiers ont été secoués à deux reprises en 1995: une première fois après la crise de confiance dans la monnaie mexicaine jusqu'au dépôt du budget fédéral, et la seconde, pendant la campagne référendaire. Cela a donné lieu, à chaque fois, à une augmentation des primes de risque incorporées à nos taux d'intérêt et à un resserrement des conditions monétaires temporairement plus prononcé que nous l'aurions souhaité.
[Traduction]
Après une croissance rapide en 1994, l'activité économique au Canada s'est ralentie beaucoup plus cette année qu'on ne s'y attendait. Ce ralentissement tient principalement à deux facteurs imprévus: la réduction plus importante et plus soudaine que projeté des grosses dépenses des ménages en réaction à la vive remontée des taux d'intérêt observée l'hiver dernier et le recul, d'une ampleur inattendue, des exportations nettes imputable au ralentissement de l'économie américaine. Compte tenu de la lente expansion de notre économie, l'écart entre la production observée et la production potentielle s'est creusé.
Les perspectives de l'économie canadienne pour les derniers mois de cette année et le début de 1996 semblent toutefois plus favorables. L'économie américaine, qui constitue l'élément le plus important du cadre économique dans lequel le Canada évolue, paraît maintenant afficher un bon dynamisme. Dans la plupart des pays d'outre-mer aussi, l'expansion devrait se poursuivre à un rythme modéré. Le prix des produits de base devrait donc rester ferme, et on s'attend que la vigueur de la demande extérieure donne encore une fois de l'élan à l'économie canadienne.
[Français]
En plus de bénéficier de l'incidence sur l'emploi et le revenu de la reprise des exportations, la demande devrait aussi être stimulée par le repli des taux d'intérêt constaté depuis le printemps dernier. La situation de la demande intérieure est néanmoins contrastée. En effet, la poursuite des efforts de restructuration dans le secteur public et le secteur privé demeurera une source d'incertitude qui pourrait ébranler la confiance.
[Traduction]
Pourtant, dans l'ensemble, j'ai bon espoir que nous observerons bientôt de plus en plus des signes d'un raffermissement durable de l'activité économique et de l'emploi.
[Français]
Si je suis optimiste, c'est surtout grâce aux résultats obtenus par le Canada sur le front de l'inflation. Tout bien considéré, nous croyons que l'inflation tendancielle demeurera compatible avec les cibles de maîtrise de l'inflation que vise la Banque.
[Traduction]
Il sera important également durant les prochaines années que les gouvernements restent déterminés à ramener leur endettement sur une trajectoire viable. Cela aidera à réduire les primes de risque incorporées à nos taux d'intérêt et, par conséquent, contribuera à rendre l'économie plus forte, moins vulnérable à moyen et à long terme.
Je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions.
[Français]
Le président: Merci, monsieur Thiessen. Nous allons donner la parole à M. Loubier.
M. Loubier (Saint-Hyacinthe - Bagot): Bienvenue à vous trois, monsieur Thiessen, monsieur Noel et monsieur Bonin. Je vous souhaite la bienvenue au Comité des finances.
Monsieur Thiessen, j'ai une question à vous poser en rapport avec les déclarations que vous avez faites avant-hier, dans lesquelles vous disiez que la Banque du Canada n'avait pas tout à fait prévu l'ampleur du ralentissement économique du début de l'année. Si vous l'aviez prévue, auriez-vous géré autrement les taux d'intérêt durant cette période?
M. Thiessen: C'est très difficile à dire, monsieur Loubier, parce qu'au cours de l'hiver et du printemps, il existait une sorte de manque de confiance dans la devise canadienne. Il a fallu soutenir le dollar canadien pendant cette période-là. Il était vraiment nécessaire de maintenir des conditions monétaires plus serrées qu'en d'autres temps.
Il est certain, je crois, qu'il aurait été possible de maintenir des conditions monétaires moins serrées que celles que nous avons eues au cours de cette période.
[Traduction]
Je veux m'assurer d'être bien clair: pendant une certaine période, nous avons dû soutenir le dollar parce que la confiance s'en trouvait minée. Tout compte fait, si on avait pu anticiper sa faiblesse plus tôt, on aurait certainement tenté de relâcher les conditions monétaires plus tôt que nous l'avons fait.
[Français]
M. Loubier: Donc, si la Banque du Canada avait mieux prévu l'ampleur du ralentissement de l'hiver et du printemps, il y aurait eu une certaine détente dans la gestion des taux d'intérêt. Autrement dit, ils auraient été un peu moins élevés que ceux qu'on a pu observer en hiver et au printemps. Est-ce bien cela?
M. Thiessen: Peut-être plus tard. Pendant l'hiver, cependant, nous avons eu des problèmes sur les marchés financiers et il a été nécessaire de soutenir le dollar canadien.
Peut-être aurait-il été possible d'avoir des taux d'intérêt un peu plus bas plus tard. Mais il est toujours difficile de dire qu'en d'autres circonstances, on aurait pu agir différemment.
M. Loubier: Mais, monsieur le gouverneur, en ayant des taux d'intérêt trop élevés par rapport aux conditions du marché, est-ce que la Banque du Canada n'a pas contribué, d'une certaine façon, au bilan peu reluisant sur le plan de l'emploi ainsi qu'à l'augmentation du taux de chômage qui, au Québec, atteint 11,2 p. 100?
Autrement dit, en ne prévoyant pas l'ampleur du ralentissement, est-ce que la Banque du Canada n'aurait pas contribué à faire en sorte que la situation du marché du travail soit peu reluisante?
M. Thiessen: Quand les marchés ne sont pas stables, la politique monétaire ne peut gérer de façon plus sûre les conditions monétaires. Il faut d'abord commencer par stabiliser les marchés et ensuite on peut se pencher sur l'économie, le taux d'inflation, etc.
Le président: Est-ce que vous avez des questions, monsieur Brien?
M. Brien (Témiscamingue): J'ai deux courtes questions pour tout de suite et on fera le tour après. Merci.
M. Loubier: Merci, monsieur Thiessen.
M. Brien: Vous dites qu'il y a eu deux périodes d'incertitude sur les marchés financiers. Vous avez mentionné la période référendaire. Durant cette campagne-là, les tenants du Non disaient qu'une réponse négative au référendum mettrait fin à l'incertitude sur les marchés financiers.
Une semaine ou neuf jours après le référendum, trouvez-vous que la réponse du 30 octobre a mis fin à l'incertitude sur les marchés financiers?
M. Thiessen: Il est toujours difficile d'identifier les sortes d'incertitude sur les marchés. Je crois qu'il y a encore une incertitude politique et qu'il y a aussi une incertitude liée à nos problèmes fiscaux. Les deux ensemble vont certainement encourager les primes de risque sur nos taux d'intérêt.
M. Bernard Bonin (premier sous-gouverneur, Banque du Canada): Quand on regarde les écarts entre le Canada et les États-Unis dans les taux à court terme, on voit qu'ils ont baissé brusquement le lendemain du référendum.
Les gens qui évoluent sur le marché financier avec un horizon de court terme, avec des taux de trois mois, par exemple, se sont dit à juste titre que la situation serait satisfaisante pour les trois prochains mois.
Mais pour ce qui est des taux à long terme - cinq ans, dix ans, trente ans - , les écarts sont restés très élevés, au-delà de la moyenne historique, parce que les gens qui transigent sur ce marché ont jugé qu'il y avait une certaine incertitude qui subsistait, tant politique que fiscale. Certains d'entre eux y ont même vu des possibilités d'inflation. Ils mettent donc une prime pour se protéger.
M. Brien: Donc, le Non n'a pas mis fin à l'incertitude sur le marché financier. C'est une question de degré.
Vous avez dit, monsieur Thiessen, que le facteur réel de l'incertitude sur les marchés financiers était avant tout la dette et que si on n'avait pas cette dette-là, on pourrait avoir des préoccupations d'ordre social, à cause du statut politique, et que les marchés n'auraient pas, à ce moment-là, de préoccupations à caractère économique.
Dans votre discours, finalement, vous dites que le facteur principal de l'incertitude, c'est l'ampleur de la dette actuelle.
M. Thiessen: Les deux vont ensemble. S'il y a une incertitude politique et une situation fiscale problématique, cela contribue à faire augmenter les primes de risque sur nos taux d'intérêt.
M. Brien: Vous avez dit que si le Canada n'avait pas une grosse dette, le fait qu'il y ait de l'incertitude au Québec serait préoccupant du point de vue social, mais pas du point de vue financier pour les investisseurs.
M. Thiessen: Ce ne serait pas aussi inquiétant que maintenant.
M. Brien: D'accord.
[Traduction]
Mr. Grubel (Capilano - Howe Sound): Merci beaucoup, monsieur le gouverneur et messieurs d'être revenus nous voir. Je vous saurais gré de nous faire ces rapports réguliers, deux fois par année, sur la politique monétaire. Cela m'apparaît très utile pour le grand public.
Il y a un an, j'ai laissé entendre que les changements annuels à l'indice des prix à la consommation dont j'ai parlé à la page 1 cachent des tendances à court terme. À l'époque, les choses allaient bien pour vous et les données confirment que le taux d'inflation reste presque constant, à2 p. 100, depuis 1992. J'avais alors dit que l'inflation telle que les traduisent les changements trimestriels et mensuels des taux annualisés était en fait beaucoup plus élevée. C'est ce que nous constatons aujourd'hui.
Je vous demande donc sans détours ce que le taux annualisé trimestriel et mensuel indique maintenant. Le taux annualisé d'inflation ne dépasserait-il pas l'objectif visé dans les mois qui viennent étant donné que nous sommes déjà très près du plafond?
M. Thiessen: Monsieur Grubel, nous anticipons une baisse graduelle de l'inflation telle qu'on la mesure à l'aide de l'indice des prix à la consommation, certainement une baisse annuelle. Je ne me souviens plus précisément des chiffres mensuels et trimestriels, mais ils fléchissent sans doute puisque le taux annuel diminue comme nous l'avions prévu.
Nous croyons qu'au cours des prochains mois et au début de 1996, le taux annuel se rapprochera de 2 p. 100, soit le milieu de notre fourchette, comme je l'avais dit la dernière fois.
M. Grubel: Oui, mais ce n'est pas ce qui s'est passé. Vous êtes presque dans votre marge d'erreur.
J'aimerais maintenant aborder une question un peu plus controversée. Vous avez dit que le gouvernement devrait contribuer aux efforts en vue de limiter la hausse du taux d'inflation. La Banque de Canada assume les responsabilités en matière de concurrence dans le secteur financier au Canada, n'est-ce-pas?
M. Thiessen: Pas directement, mais je vois mal ce à quoi vous faites allusion.
M. Grubel: Nous savons - les médias en ont beaucoup parlé - que les cinq banques oligopolistiques du Canada ont fait des profits substantiels. Ça ne m'apparaît pas nécessairement comme une mauvaise chose. Il leur fallait en effet se remettre de leurs difficultés passées. Toutefois, vos statistiques nous montrent que l'inflation était pratiquement nulle.
J'ai ici un rapport qui m'a été envoyé. Les banques ont fait d'énormes profits et il n'y avait pratiquement pas d'inflation, mais cela ne les a pas empêchées, au cours des trois derniers mois, d'augmenter les frais de retrait aux guichets automatiques de 35 p. 100, de compensation de chèques de 20 p. 100 et d'achat avec carte débit de 22 p. 100.
Je crois à la concurrence et je ne pense pas qu'il faille imposer des règles détaillées aux banques, mais le fait que ces banques aient pu augmenter ces frais alors qu'il n'y a ni inflation, ni rétrécissement des profits - en fait, les banques ont fait des profits records - m'amènent à croire que ceux qui estiment que la politique en matière d'institutions financières du Canada est insatisfaisante, qu'il nous faut davantage de concurrence, qu'il faut permettre l'entrée des banques étrangères sur notre marché en éliminant les exigences de capital et autres... On pourrait ainsi mieux contrôler la concurrence et il me semble que la Banque du Canada et le gouvernement devraient se pencher sur ce sujet. Pourquoi cet oligopole est-il protégé au point de pouvoir prendre des décisions qui m'apparaissent aussi irresponsables?
M. Thiessen: La concurrence m'apparaît certainement comme un aspect très important du secteur financier et c'est ce qui nous permet, au fil des ans, de nous assurer que le prix des services financiers est aussi bas que possible et que les services, eux, sont les meilleurs qui soit.
Je ne me sens pas en mesure de commenter les événements que vous venez de décrire. Ce n'est pas la Banque qui supervise les banques à charte, mais plutôt le Bureau du surintendant des institutions financières. C'est un des éléments qu'il faut examiner, particulièrement lorsqu'on se penchera sur la législation financière pour s'assurer qu'elle ne fait pas obstacle à la concurrence. C'est terriblement important.
J'ajouterai que j'ai toujours été impressionné par la concurrence qui existe dans le domaine bancaire où on trouve, outre les banques, des institutions telles que le Canada Trust, les coopératives de crédit, les caisses populaires qui font concurrence aux banques.
M. Grubel: Monsieur le gouverneur, c'est précisément ce que je disais. Mais je suis scandalisé de voir qu'en cette période de stabilité, de difficultés financières pour tous et de profits records pour les banques, elles aient le culot d'augmenter tous les frais à ce point.
J'espère que la Banque pourra contribuer à l'élaboration de la politique et inciter le gouvernement à revoir la Loi sur les banques et les autres lois régissant les institutions financières afin que ce genre de choses ne se reproduisent pas.
Merci beaucoup de votre réponse.
[Français]
M. Discepola (Vaudreuil): Je ne peux pas laisser passer sous silence les propos de mon collègue, M. Brien, qui met le fardeau sur le camp du Non. Même si le référendum est terminé, je crois que le débat doit continuer, parce que pendant la période référendaire, on n'a pas vraiment abordé le sujet de la politique monétaire, etc.
Je crois, monsieur Thiessen, que si le problème d'incertitude perdure bien que les Québécois aient voté Non au dernier référendum, c'est probablement attribuable au fait que le même soir, les deux chefs, MM. Parizeau et Bouchard, ont clairement dit qu'en dépit de la volonté politique démocratiquement exprimée par les Québécois et les Québécoises, ils n'étaient pas prêts à accepter les résultats et nous ont menacés d'un troisième référendum.
J'aimerais que vous répondiez à la question de M. Brien, à savoir combien coûte l'incertitude politique aux Canadiens et aux Québécois. Vous avez fait allusion à la prime de risque que nous payons au Canada à cause de l'incertitude politique. Pourriez-vous nous dire à combien s'élève cette prime de risque que nous devons assumer, nous, les Canadiens et les Québécois?
M. Thiessen: On ne peut pas faire de tels calculs. On sait seulement que l'incertitude qui prévaut sur les marchés financiers est la cause des primes de risque actuelles. On ne peut savoir si ces primes de risque proviennent de l'incertitude politique ou de nos problèmes fiscaux. On peut seulement constater qu'il existe un écart de 170 points de base entre les taux d'intérêt à long terme au Canada et aux États-Unis, écart qui est assez élevé.
Normalement, l'écart est d'à peu près 100 points de base, mais vu un taux d'inflation plus bas qu'aux États-Unis, on pourrait envisager avoir un écart de moins de 100 points de base. Or, comme les marchés sont nerveux à cause de l'incertitude politique et de nos problèmes fiscaux, l'écart se situe à presque un point de pourcentage.
M. Discepola: Est-il raisonnable de présumer que ça nous coûte en moyenne 0,5 p. 100?
M. Thiessen: On ne le sait pas vraiment. C'est trop difficile à dire. Nos problèmes fiscaux et l'incertitude politique vont ensemble; il est impossible de les séparer.
M. Discepola: Vous dites qu'il y a une corrélation entre l'incertitude politique et le taux d'endettement des différents gouvernements. Vous dites que ces deux facteurs combinés exercent énormément de pression sur les politiques monétaires. Lequel de ces deux facteurs constitue le fardeau le plus élevé?
M. Tim Noel (sous-gouverneur, Banque du Canada): Comme l'a dit M. le gouverneur, il est très difficile de départager les risques politiques des risques fiscaux. Il est clair que les uns mènent aux autres et qu'ils sont tous les deux impliqués dans l'ensemble. Et comme M. Bonin l'a mentionné plus tôt, les taux d'intérêt à court terme ont baissé de 140 points de base après le vote; étant donné que le terme est de trois mois, les gens ne sont pas inquiets pour un si court laps de temps.
Mais pour ce qui a trait aux taux d'intérêt à long terme, la baisse des écarts n'a été que de 20 à 30 points de base après le référendum.
M. Discepola: Il reste quand même que les taux à long terme ont un écart d'environ 1,7 p. 100.
M. Noel: Absolument.
M. Discepola: Si on peut régler la question une fois pour toutes, on pourra d'abord économiser énormément sur nos emprunts. Si on peut abaisser l'écart de 1 p. 100, on pourra aller récupérer trois milliards de dollars qui pourront servir au maintien des programmes sociaux.
Voici ma dernière question. Vous dites que la politique monétaire est nécessaire. Croyez-vous qu'il soit possible d'avoir une politique économique et fiscale sans avoir le contrôle de sa propre politique monétaire? Et dans quel sens les deux sont-elles reliées?
M. Thiessen: Je ne suis pas certain d'avoir bien compris votre question. Pouvez-vous la répéter?
[Traduction]
M. Discepola: Très bien. Quel lien faites-vous entre la politique monétaire et la politique financière? Comment les politiques financière et économique peuvent-elles rester inchangées si vous n'exercez aucun contrôle sur la politique monétaire? Ces deux politiques sont-elles liées? Dans l'affirmative, pourriez-vous nous expliquer comment?
M. Thiessen: Nous avons l'obligation de poursuivre les objectifs de la politique monétaire même si on vise d'autres buts avec la politique financière. Entendons-nous, il ne fait aucun doute que la politique monétaire doit assurer un faible taux d'inflation. Nous ne pouvons nous soustraire à cette responsabilité sous prétexte que les autres politiques sont insatisfaisantes. Par conséquent - je ne suis pas certain toutefois que ce soit là où vous vouliez en venir avec votre question - c'est uniquement grâce à la politique monétaire qu'on pourra atteindre certains objectifs. Nous ne pouvons dire: Désolé, mais ce sont les autres politiques qui ne font pas l'affaire.
M. Discepola: Mais pourquoi par exemple, au cours des dernières années, votre banque a-t-elle été obsédée par la lutte contre l'inflation?
M. Thiessen: Parce que c'est ce qui permettra à l'économie de fonctionner le mieux possible. C'est toujours la politique anti-inflation qui ramènera les taux d'intérêt au plus bas, le genre de politique qui permettra aux gens d'affaires, aux épargnants et aux particuliers de prendre de bonnes décisions économiques. C'est le genre de politique qui contribue à la croissance de la productivité; au bout du compte, notre niveau de vie ne fera qu'augmenter qu'avec une bonne croissance à la productivité. C'est ce que permet une politique monétaire axée sur une faible inflation.
M. Discepola: Voici ma dernière question: Pourquoi, en dépit de cette politique axée sur une faible inflation, avons-nous surtout subi au Canada les effets des taux d'intérêt réels?
M. Thiessen: En raison, comme nous l'avons dit, du lien qui existe avec notre situation financière et l'incertitude politique. Ces facteurs sont étroitement liés.
Le président: Monsieur Campbell, je vous prie.
M. Campbell (St. Paul's): Monsieur le président, j'avais prévu toute une série de questions, mais je suis un peu perplexe comme l'est sans doute le gouverneur. Je suis un peu déboussolé par que je viens d'entendre de la bouche de mon collègue du Parti réformiste au sujet des profits des banques. C'est un changement agréable, bien que certaines choses, ici au comité, ne changent jamais. Il y a encore des gens qui estiment et disent que peu importe ce que nous disons, peu importe la réalité politique au Canada, peu importe les menaces qui pèsent sur nous ou ce que nous réserve l'avenir, rien de tout cela n'a une incidence sur ce que nous examinons.
Manifestement, le détenteur étranger de créances canadiennes et les investisseurs étrangers ne tiennent pas compte uniquement des politiques monétaire et financière du gouvernement fédéral. Ils tendent plutôt à examiner le Canada dans son ensemble. Pourriez-vous me dire comment la gestion de la dette a changé en général depuis votre dernier témoignage devant notre comité?
M. Thiessen: Eh bien, monsieur Campbell, la gestion de la dette s'est certainement améliorée. Ça ne fait aucun doute. Plusieurs budgets provinciaux, ainsi que le budget fédéral, ont amené les investisseurs, autant canadiens qu'étrangers, à voir la situation financière du pays de façon plus positive. Il en a résulté je crois un rétrécissement du différentiel d'intérêt. Les remarques qu'on entend sur le marché financier sont beaucoup plus positives qu'elles l'étaient, par exemple, en janvier de l'an dernier. Je crois alors pouvoir dire que la situation s'est généralement améliorée, en effet.
M. Campbell: Y a-t-il des provinces qui n'ont pas encore pris de mesures en ce sens?
M. Thiessen: J'hésite à parler de ce que certains gouvernements ont fait ou n'ont pas fait, monsieur Campbell. C'est toujours dangereux pour la banque centrale de faire des remarques trop précises sur des budgets ou la position financière des provinces. Je tiens surtout à insister sur le fait que, ce qui compte, c'est la situation financière d'ensemble. Tant que nous ne saurons pas bien la maîtriser, nous resterons vulnérables à la moindre petite mauvaise nouvelle. Ces mauvaises nouvelles nous coûteront cher puisqu'elles entraîneront une augmentation des primes de risque de nos taux d'intérêt. Il faut donc réduire la vulnérabilité du pays à ce genre de circonstances.
M. Campbell: Si je vous ai bien compris, c'est le maillon le plus faible qui détermine la solidité de toute la chaîne. Si les provinces, qui font partie de l'ensemble, ne prennent pas les mesures qui s'imposent et si le gouvernement fédéral n'en fait pas plus, nous serons tous touchés dans les écarts. Et d'ailleurs certaines provinces paient des prix plus élevés en raison de leur refus d'agir, n'est-ce pas?
M. Thiessen: Je dirais que nous préférerions que tous les gouvernements soient sur une voie financière qui soit bonne et durable.
M. Campbell: Du point de vue de l'investisseur étranger, ce n'est pas le cas actuellement?
M. Thiessen: Les investisseurs étrangers s'inquiètent encore de ce que l'avenir nous réserve.
M. Campbell: Monsieur le président, j'ai une dernière petite question.
Récemment, à la Chambre, j'ai posé une question au secrétaire d'État aux Institutions financières internationales concernant les effets accessoires. Dans quelle mesure l'augmentation du commerce des effets accessoires rend-t-elle votre tâche plus difficile?
M. Thiessen: Normalement, elle ne rend pas la tâche plus difficile. Habituellement, les effets accessoires facilitent le fonctionnement du marché financier. En fait, ils permettent à beaucoup de gens et surtout aux institutions financières d'assumer le risque qu'ils veulent assumer et le genre de risque qu'ils souhaitent assumer. Les effets accessoires permettent aux gens de déplacer les risques et d'assumer les risques qui leur plaisent le plus. C'est une bonne chose. Cela rend les institutions plus saines et cela réduit le risque pour le système dans son ensemble.
Toutefois, il est vrai que les effets accessoires, par leur nature, entraînent des fluctuations exagérées sur le marché. Je dois reconnaître que, dans l'ensemble, l'apport positif des effets accessoires est plus important, selon moi. Cela dit, il est essentiel pour les autorités de surveiller étroitement ces fluctuations et de s'assurer que ceux qui émettent et qui utilisent les effets accessoires le font comme il se doit. Pour ce faire, on a besoin d'informations considérables sur les transactions.
M. Noel: Les effets accessoires aident la banque centrale à bien faire son travail, en ce sens qu'ils donnent des indications des impressions du marché sur l'évolution des taux de change et d'intérêt. En ce sens, ils nous sont utiles.
M. Campbell: Merci.
M. Silye (Calgary-Centre): Monsieur Thiessen, je voudrais vous parler de la dette. Mes notes disent que la Banque du Canada est aussi l'agent financier du gouvernement fédéral, qu'elle s'occupe de la dette nationale et du compte d'opérations de change. Quelle est la taille de la dette à l'heure actuelle?
M. Thiessen: Cela dépend de la façon précise...
M. Silye: Quand avez-vous vérifié pour la dernière fois?
M. Thiessen: Parlez-vous de la dette fédérale?
M. Silye: Oui, la dette fédérale.
M. Thiessen: On peut l'envisager de différentes façons. La dette fédérale, la dette publique totale ou la dette du Canada en regard du reste du monde.
M. Silye: Pouvez-vous me dire je vous prie quelle est la dette fédérale?
M. Thiessen: C'est un chiffre que je devrais savoir par coeur...
M. Silye: N'est-ce pas autour de 500 milliards de dollars?
M. Thiessen: Je crois que c'est 550 milliards de dollars.
M. Silye: Quelle part de la dette fédérale - je ne parlerai pas de dette «nationale» - est détenue par des intérêts étrangers?
M. Thiessen: Environ 40 p. 100.
M. Silye: Le pourcentage est-il le même pour toutes les dettes provinciales combinées?
M. Thiessen: Non, pour la dette provinciale, la proportion est plus élevée.
M. Silye: À combien se chiffrent les dettes provinciales des 10 provinces combinées?
M. Thiessen: C'est autour de 200 milliards de dollars. Je suis désolé, mais je n'ai pas ces données. Je devrais les avoir sous la main, mais je ne les ai pas.
M. Silye: Des approximations feront l'affaire.
Le président: Vous pouvez présumer que la dette provinciale-fédérale combinée est d'environ 800 milliards de dollars. Elle est supérieure à notre produit national brut.
M. Thiessen: La dette est supérieure à 100 p. 100 de notre produit national brut, en effet.
M. Silye: Vous dites que la dette des provinces est d'au moins 200 milliards de dollars?
M. Thiessen: C'est à peu près cela. Je suis désolé de ne pas avoir de chiffre précis, mais...
M. Silye: Quelle proportion de cette somme nous a été prêtée par des étrangers?
M. Thiessen: Je crois que c'est environ 50 p. 100, peut-être plus, mais je suis moins certain de ce chiffre. Je peux certainement vérifier.
M. Silye: D'accord. Il me semble que, lorsqu'on élabore une politique monétaire, qu'on réglemente le crédit et qu'on se demande ce qui est dans l'intérêt de notre économie, on doit se préoccuper de l'endettement et de la taille de la dette.
M. Thiessen: Certes, cela exerce une influence sur les marchés financiers auxquels nous avons recours pour mettre en oeuvre la politique monétaire.
M. Silye: Par conséquent, la vitesse avec laquelle on cessera d'ajouter à cette dette et on dressera un plan à l'intention des prêteurs étrangers qui indique notre intention d'être solvables et de mettre fin à la croissance de la dette à court terme - ne serait-ce pas là un signe positif pour les prêteurs étrangers?
M. Thiessen: Oui.
M. Silye: Le ministre des Finances et son ministère, avec lesquels vous collaborez étroitement, se sont donné comme objectif d'abaisser le déficit jusqu'à ce qu'il atteigne 3 p. 100 du PIB, d'ici à la fin du mandat du gouvernement actuel, soit dans deux ans. Croyez-vous que...
M. Discepola: Cela nous amène à 1996-1997. N'oubliez pas que nous avons un mandat de cinq ans.
M. Silye: Ce que je veux dire, c'est que le ministre des Finances s'est donné comme objectif de ramener le déficit à 3 p. 100 PIB. D'une part, il tente de réduire les sommes qui s'ajoutent au problème, d'autre part, il continue d'ajouter à la dette.
D'un point de vue économique et financier, ne serait-il pas préférable de présenter aux Canadiens et aux prêteurs étrangers un programme expliquant comment nous ramènerons le déficit à zéro et nous cesserons d'aggraver le problème de l'endettement, d'ici à trois ou quatre ans?
M. Thiessen: Je ne sais. Vous abordez des sujets qui relèvent du domaine politique.
M. Silye: Monsieur Thiessen, vous avez répondu à des questions relevant du domaine politique posées par des députés du Bloc Québécois et du Parti libéral: vous avez dit que l'incertitude politique liée à la séparation possible du Québec avait influé sur les taux d'intérêt et que nous avions dû payer une prime de risque. Quelle sera cette prime de risque si nous ne parvenons pas à équilibrer le budget?
M. Thiessen: Encore une fois, ce qui compte, c'est de prouver aux investisseurs, grâce à un plan crédible, qu'ils n'ont pas à s'inquiéter de leurs investissements à l'avenir. C'est ce qui compte le plus. Je ne crois pas que moi ou qui que ce soit d'autre puisse vous dire précisément comment cela peut se réaliser.
M. Silye: J'ai ici un texte intéressant qui a été rédigé par la Bibliothèque du Parlement sur la gestion de la dette; j'aimerais vous poser quelques questions à ce sujet. Ça me semble très pertinent à cette séance d'information.
Le ministre des Finances a proposé la création d'un nouveau programme de vente de créances au détail en vue de réduire la part de notre dette détenue par des investisseurs étrangers. Après s'être fixé cet objectif de 3 p. 100 du PIB, ce qui fait que le problème de l'endettement s'aggrave moins rapidement qu'à l'époque de l'ancien gouvernement, il tente de trouver une façon de restaurer la confiance dans les marchés intérieurs et de nous amener à déterminer ici, au Canada, une plus grande partie de notre dette.
On envisage de mener de vastes consultations auprès de la communauté financière pour déterminer quels instruments, outre les obligations d'épargne du Canada, par exemple, pourraient être utilisés. Avez-vous participé à ces négociations? Dans l'affirmative, pourriez-vous nous en dire plus long?
M. Thiessen: Oui, nous avons participé à ces discussions. Nous sommes les agents du gouvernement dans bon nombre de ces domaines et on a donc sollicité nos conseils.
Il est vrai qu'on n'a pas encore bien exploité le marché de détail et qu'il n'a pas non plus servi autant qu'il l'aurait pu. On se demande donc s'il n'y aurait pas une façon de rendre nos titres de créance du gouvernement plus accessibles au grand public.
M. Silye: Pourriez-vous nous donner un exemple de ces nouveaux titres?
M. Thiessen: Nous n'en sommes pas encore là. Cependant, cette année on a permis l'achat d'obligations d'épargne du Canada au titre de REER. Il faut examiner ce qui se fait actuellement avec les obligations d'épargne du Canada et se demander si d'autres effets ne pourront pas être plus utiles. Il faut consulter ceux qui dispensent des services financiers pour déterminer ce qui serait utile et faisable.
M. Silye: D'après ce que je lis, l'achat d'obligations d'épargne pour les REER... Je croyais que cela fonctionnerait mieux et, pour ma part, je ne suis pas satisfait des résultats. Et que pensez-vous des résultats qu'on a obtenus avec la dernière émission d'obligations d'épargne du Canada?
M. Thiessen: Il est encore trop tôt pour se prononcer. L'an dernier, nous avons émis de nouvelles obligations d'épargne à terme de trois ans. Nous l'avons fait de nouveau cette année. Nous avons aussi ajouté les REER, mais la campagne s'est tenue en octobre, à une époque où il y avait de grandes incertitudes et de volatilité sur les marchés financiers. Il ne faudrait pas être trop sévère, compte tenu de la période pendant laquelle la campagne a été menée.
M. Silye: Monsieur Thiessen, vous savez que les voitures ont des indicateurs à de vitesse de rotation qui comportent une zone rouge où on s'y trouve parfois lorsqu'on roule à régime trop élevé. Si on se sert de cette comparaison pour évaluer la dette nationale dans son ensemble, à quel moment l'indicateur de vitesse de rotation se trouvera-t-il dans le rouge? Mon collègue Herb me parlait souvent de la dette en proportion du PIB. À quel moment les contribuables canadiens devraient-ils commencer à s'inquiéter? Sommes-nous déjà dans le rouge? L'indicateur de vitesse de rotation est-il encore loin de cette zone rouge? Pouvons-nous augmenter encore notre dette nationale?
M. Thiessen: Malheureusement, c'est l'une des question à laquelle il n'existe pas de réponse simple. Il est certain que les sciences économiques ne nous donnent pas de réponse simple à cette question. Ce que nous savons, c'est l'expérience qui nous l'a appris. Nous savons que, au cours des dernières années, nous avons été très vulnérables à toutes sortes d'événements, aux mauvaises nouvelles dont je parlais un peu plus tôt. Nous nous retrouvons maintenant dans une situation de vulnérabilité.
En ce qui concerne les ratios d'endettement, il y a tout lieu de conclure qu'ils sont trop élevés et que les ratios de la dette au PIB devraient baisser; cela nécessite toutefois des déficits moindres et une croissance économique.
Mme Stewart (Brant): J'ai une question à vous poser au sujet d'un événement critique qui s'est produit en octobre. Cela m'intéresse, parce que j'ai reçu beaucoup de courrier de la part de mes commettants et, pendant la semaine précédant le référendum, de la part de Québécois. On a laissé entendre que le Québec avait utilisé des sommes considérables de son argent pour soutenir le dollar. Certains ont même dit qu'on avait consacré environ 500 millions de dollars à cette fin.
Je voulais vous demander si vous saviez ou si vous pouviez nous donner une idée approximative de combien la province a utilisé à ce moment-là. Je suis désolée mais je ne me souviens pas de la date où les journaux en parlait. Quel est l'impact à moyen terme sur la province, et est-ce que cette initiative a eu des effets sur le pays? Est-ce que les provinces ont l'habitude d'intervenir de façon si spectaculaire sur les marchés?
M. Thiessen: Je vais vous décevoir, car à mon avis, ce n'est pas à la banque centrale de faire des commentaires concernant les autres intervenants sur les marchés financiers. Ce n'est tout simplement pas notre rôle. Cependant, je dirais que le marché des changes est très grand. Selon nos prévisions, 30 milliards de dollars sont échangés tous les jours. Cela veut dire qu'aucun intervenant peut y avoir un grand impact. Néanmoins, parfois un seul intervenant peut, selon le marché, avoir des effets temporaires.
À mon avis, aucun intervenant seul ne peut avoir autant d'effet que la banque centrale. Lorsque nous intervenons, nous ne sommes pas limités à cette intervention sur le marché des changes. Nous avons aussi la possibilité de changer nos taux d'intérêt. Donc, lorsque nous intervenons, le marché a tendance à faire plus attention que lorsque quelqu'un d'autre intervient.
Le président: Pourrais-je poser une question supplémentaire à ce sujet? Qu'est-ce que la Banque du Canada a dû faire comme intervention sur le marché des changes juste avant le référendum?
M. Thiessen: Je vais vous décevoir comme témoin. Les réserves de devises ne sont publiées qu'une fois par mois, et je crains que la Loi sur la monnaie ne nous permet pas de faire des commentaires à ce sujet plus souvent. Les réserves de devises ont baissé de 400 millions de dollars en octobre à cause des interventions, et c'est à ce moment-là que la valeur de la devise a augmenté pour ensuite baisser et augmenter de nouveau. C'est en gros tout ce que je puis vous dire à propos de notre intervention sur le marché des changes. Nous sommes le mandataire du ministre des Finances, et la loi ne me permet pas de parler des opérations précises.
Le président: Même si la séance était à huis clos?
M. Thiessen: Non, je ne pourrais pas le faire, monsieur.
[Français]
M. Loubier: Heureusement qu'on est là, monsieur le président. Heureusement que les souverainistes sont là, parce que vous auriez bien du mal à justifier votre inertie dans le contrôle des finances publiques. S'il n'y avait pas d'incertitude politique sur la table, vous seriez bien mal pris!
On cherche à imputer aux souverainistes bien des choses. Pauvres fédéralistes! Ils font partie de la donne politique, mais les solutions, ils ne les ont pas apportées!
Bref, je voulais préciser que la détermination du taux de change et des taux d'intérêt dépend de plusieurs facteurs. D'ailleurs, rappelez-vous quand M. Mulroney a déchiré l'Accord de Charlottetown à Sherbrooke, en disant: «C'est ça qu'on fait avec le Canada, si on rejette l'Accord de Charlottetown.» Le lendemain, les taux d'intérêt ont augmenté, parce que le dollar canadien commençait à chuter.
Paul Martin, le ministre des Finances, se promenait durant la campagne référendaire en disant que la souveraineté ferait perdre plus de un million d'emplois. Ce sont ces choses-là qui font le plus de mal. Ce sont des niaiseries comme celles-là prononcées par des hommes ou des femmes importants sur l'échiquier des milieux financiers qui font le plus souvent fluctuer les taux d'intérêt et la valeur du dollar canadien.
Je veux vous rappeler une chose. Vous disiez tout à l'heure, monsieur le gouverneur, que vous ne pouviez pas avoir une certaine détente monétaire durant l'hiver dernier parce que le dollar canadien était ébranlé sur les milieux financiers. Cela m'a rappelé qu'en janvier dernier, quelque temps avant que le ministre des Finances ne dépose son budget, le dollar canadien se situait à 70,2 cents. C'était la période au cours de laquelle Moody's disait que la situation financière du gouvernement fédéral était sous surveillance et qu'il y avait même une possibilité de décote. Il n'y avait pas de référendum au mois de janvier, et déjà le dollar canadien était à son plus bas niveau. La même chose est survenue après le Budget Martin. Deux semaines après son dépôt, le taux d'escompte de votre banque a atteint des sommets de 8,6 p. 100, si ma mémoire est bonne. Et hier, le taux d'escompte était à 6,18 p. 100.
Quand on regarde la situation actuelle et qu'on parle d'incertitude politique, on voit que ce qui persiste par rapport à janvier dernier, c'est la dette et ses perspectives à moyen terme. C'est beaucoup plus cela qui joue sur l'évolution des taux d'intérêt et sur le différentiel.
Vous parliez du différentiel qu'il y avait entre les taux d'intérêt américains et les taux d'intérêt canadiens. Or. on ne viendra pas nous dire que les milieux financiers enregistrent le fait qu'il peut y avoir un autre référendum à un moment donné au cours des prochaines années et que c'est cela, la donne. Le problème fondamental, c'est la dette fédérale. Il me semble que c'est cela qui reste aujourd'hui. Il n'y a plus de référendum, il n'y a plus rien à l'heure actuelle, et vous dites qu'il y a encore de l'incertitude. Moi, je pense que c'est beaucoup plus de l'incertitude sur l'avenir des finances publiques fédérales qui joue qu'autre chose. La dette actuelle est de 570 milliards de dollars. Dans trois ans et demi, à ce rythme-là, elle atteindra presque 800 milliards de dollars. C'est bien plus cela qui inquiète les milieux financiers. Alors, arrêtez de nous en imputer la responsabilité et, surtout, arrêtez de vous comporter comme des gens qui auraient perdu la semaine dernière. Je n'ai jamais vu une chose pareille!
Le président: Excusez-moi. Avez-vous une question à poser au gouverneur?
M. Loubier: Oui, j'ai une question qui n'a peut-être pas de lien avec le préambule. N'est-il pas exact, monsieur le gouverneur...
Le président: J'ai eu l'impression que c'était là la question.
M. Loubier: Est-il exact, monsieur le gouverneur, qu'une semaine avant la tenue du référendum, le taux d'escompte de la Banque du Canada a augmenté de 100 points de base? Si, une semaine après, le taux a baissé de 140 à 150 points de base, la différence par rapport aux soubresauts de la semaine d'avant n'est pas si importante. Quand on parle d'une baisse inégalée, ce n'est pas tout à fait vrai.
Le président: Merci. Monsieur Thiessen.
M. Loubier: C'est drôle, mais lorsque les membres du parti ministériel posent des questions, le président est d'une patience d'ange. Quand c'est le tour du Bloc québécois, l'impatience pointe à l'horizon.
Le président: Merci.
M. Loubier: Je vous demanderais, monsieur le président, de présider avec objectivité, parce que ça commence à nous énerver. Merci, monsieur le président.
Le président: Merci. Monsieur Thiessen, c'est à vous.
[Traduction]
M. Thiessen: Monsieur le président, je ne suis pas sûr d'avoir bien discerné la question.
[Français]
Le président: Merci. Au prochain, s'il vous plaît.
M. Loubier: Monsieur le président, faites preuve de fair-play, s'il vous plaît. J'ai posé une question à M. le gouverneur. Il ne l'a pas comprise. Je vais la répéter.
Une semaine avant la tenue du référendum, le taux d'escompte avait augmenté d'environ100 points.
M. Thiessen: Exactement.
M. Loubier: On dit qu'il a baissé de façon inégalée cette semaine. Par rapport aux soubresauts qu'il avait connus la semaine d'avant, la baisse n'est pas si forte. Elle est d'environ 40 ou 50 points. Est-ce exact?
M. Thiessen: Oui.
Le président: Merci.
M. Bonin: Je dirais que c'est juste un signe de ce que nous appelons la volatilité sur les marchés. Quand vous voyez les taux d'intérêt fluctuer comme ça, il est clair qu'il y a de la volatilité sur les marchés. Je voudrais simplement vous rappeler, monsieur Loubier, que pendant que le taux d'escompte fluctuait, le taux sur lequel nous agissons, qui est le taux des prêts à vue, c'est-à-dire le taux des prêts à un jour, n'a pas changé pendant toute la période précédente afin de stabiliser et calmer les marchés autant que possible.
Le président: Merci. Madame Brushett.
[Traduction]
Mme Brushett (Cumberland - Colchester): Merci, monsieur le président.
Merci d'être venu. Vous avez parlé de crédibilité et de la grande influence qu'elle a sur les marchés ici, sur les investissements au Canada; vous avez également parlé des liens étroits avec le système politique. Croyez-vous que l'autonomie de la Banque du Canada vis-à-vis du système politique jouirait d'une plus grande crédibilité au sein des marchés? Est-ce que cela vous donnerait plus de liberté et plus de possibilités de créer une situation stable?
M. Thiessen: La Banque du Canada est déjà très autonome dans ses opérations, et je crois que cela nous donne beaucoup de crédibilité. Cela nous permet, à mon avis, de poursuivre notre objectif de stabiliser les prix pour améliorer la performance de l'économie et pour en être responsable.
Donc, la réponse est oui, nous avons déjà beaucoup d'autonomie. C'est très important pour notre crédibilité.
Mme Brushett: Me permettez-vous de pousser cette analyse un peu plus loin? Vous dites aussi que nous nous penchons sur l'inflation depuis environ 10 ans. Gardez les taux d'inflation bas et le thème directeur. Cependant, les taux d'intérêt ont connu ce grand écart. Encore une fois, nous mettons la faute sur l'instabilité politique. Si des référendums sans cesse nous menacent, est-ce que cela veut dire que nous n'aurons aucun contrôle sur la stabilité au cours des prochaines années?
M. Thiessen: Je n'en suis pas sûr. J'hésite à répondre à des questions qui sont largement du domaine politique. Je réponds avec prudence, mais je peux répéter ceci: il va sans dire que plus de certitude à propos de l'avenir aide les marchés financiers. Lorsque les marchés financiers sont plus sûrs quant à l'avenir, les primes de risque et nos taux d'intérêt sont plus bas, ce qui permet un meilleur fonctionnement de l'économie. Le fardeau qui pèse sur notre économie à cause des taux d'intérêt élevés est réduit.
Mme Brushett: Merci.
Le président: Monsieur Grubel.
M. Grubel: Merci, monsieur le président, de ce second tour.
Vous avez sûrement vu le chapitre 9 du dernier rapport du vérificateur général où il propose un dialogue national sur la question de savoir ce qui constitue un niveau de dette acceptable. J'aimerais entendre votre opinion là-dessus. Je voudrais aussi savoir si quelqu'un de votre service de recherche examine cette question, et si oui, si nous pouvons avoir un exemplaire de son travail. J'aimerais également savoir si vous avez des idées à proposer au comité des finances sur la façon d'aborder cette question.
M. Thiessen: Je suis certainement au courant des préoccupations du vérificateur général. Le service de recherche de la Banque du Canada ne fait aucun travail précis sur cette question. Il serait peut-être possible de faire davantage. Je ne veux pas donner l'impression que je suis au courant de toutes les analyses économiques qui ont déjà été faites dans ce domaine.
Il me semble bien que la science économique n'a pas grand-chose à offrir quand il s'agit de définir de façon objective le niveau optimal d'endettement. On apprend surtout par l'expérience et quand on est obligé de payer le genre de primes de risque auxquelles nous avons été astreints, je pense qu'il faut conclure qu'on est allé trop loin.
Le président: Monsieur St. Denis.
M. St. Denis (Algoma): Je voudrais remercier le gouverneur et ses collaborateurs d'être venus. J'ai quelques questions à vous poser sur la situation globale.
Hier nous avons reçu un groupe de gens représentant les oeuvres de charité, ceux qui cherchent à récolter des fonds. Nous avons parlé des mesures que peuvent prendre ces oeuvres pour continuer à fonctionner, en dépit des coupures du gouvernement, etc. J'ai compris que leur travail consiste à persuader les Canadiens de mettre leur richesse à la disposition du bien public.
Savez-vous s'il existe une façon de mesurer comment cette richesse collective détenue par les particuliers, les sociétés et le gouvernement, est utilisée? Peut-on mesurer la circulation de la richesse pour déterminer comment elle contribue à la croissance de notre économie? Si on met de l'argent dans un bas de laine, il ne fructifie pas. Mais s'il est investi à un taux élevé avec des risques, il est possible qu'un investissement soit rentable.
Existe-t-il des façons de mesurer l'utilisation de la richesse pour la croissance? Le Canada est-il un pays de gens qui gardent leur argent dans des bas de laine ou est-ce que nous prenons des risques? Quelle a été la tendance nationale à ce propos?
M. Thiessen: Il n'y a pratiquement pas d'argent qui dort dans des bas de laine. Presque tout l'argent en circulation est investi d'une façon ou d'une autre, que ce soit dans des comptes d'épargne dans des banques ou des caisses populaires ou dans des fonds de pension ou d'assurance. Cet argent est investi dans des obligations d'épargne ou bien des prêts à l'entreprise ou à l'achat d'actions. On ne laisse pas cet argent dormir à ne rien faire.
Nous sommes aussi un consommateur important d'épargnes étrangères et cela a été vrai pendant la plupart de notre histoire. Non seulement nous avons besoin de l'épargne de tous les Canadiens, mais aussi nous devons généralement emprunter d'importantes quantités d'argent à l'étranger et nous continuons de le faire. Alors, il me serait difficile de dire qu'on peut trouver des lacunes fondamentales dans ce système quand on l'examine.
Vous êtes peut-être d'avis que les épargnants canadiens sont un peu peureux et qu'ils devraient être prêts à prendre plus de risques avec leur argent. C'est possible, mais habituellement les gens qui sont portés à prendre des risques sont ceux qui sont plus à l'aise. C'est une attitude courante dans les pays très riches comme les États-Unis - enfin, c'est plus manifeste là qu'ailleurs. Je ne suis donc pas prêt à vous dire qu'il y a là un problème nécessitant une solution, qu'il serait préférable que cet argent soit placé ailleurs.
Au bout du compte, l'important c'est le degré de croissance de notre productivité. Or, nous ne réussissons pas très bien sur ce plan. Lorsque nous faisons le bilan, nous devons constater que nous ne nous tirons plus aussi bien d'affaire. Je suis quand même encouragé par le rendement récent des entreprises canadiennes. Je constate qu'on investit beaucoup pour améliorer sa productivité et se restructurer de façon à devenir plus concurrentiels et qu'on réussit à trouver les fonds nécessaires sur le marché pour financer cette activité. Selon moi, c'est un signe que nous sommes sur la bonne voie.
M. St. Denis: Merci. Monsieur Thiessen, j'ai une deuxième question au sujet de la situation dans son ensemble, mais qui n'est pas liée à la première. J'apprécie votre réponse. La mesure dont je parlais était peut-être effectivement la productivité.
Il y a peut-être une certaine volatilité à d'autres égards, mais au moins le taux d'inflation est resté assez stable au Canada au cours des dernières années. Y a-t-il eu d'autres périodes au cours de notre histoire récente - au cours des 20 ou 30 dernières années, disons - où l'inflation s'est maintenue au même niveau de cette façon et au sujet desquelles nous pouvons tirer des conclusions applicables à notre présente situation, nonobstant le fait que la conjoncture dans le monde et au pays a évolué? Je me demande seulement si vous pouvez tirer des leçons de périodes qui auraient pu être semblables à celles-ci.
M. Thiessen: Oui, la période que je trouve la plus intéressante à cet égard est celle des années 1960, qui a été marquée par une croissance rapide et une forte productivité, accompagnées d'une amélioration du niveau de vie et d'une période de très faible inflation. Le rendement de l'économie canadienne a été remarquable au cours de cette période. La croissance de la productivité, les revenus et le niveau de vie à ce moment-là en attestent. Lorsque les gens me demandent comment une faible inflation peut être un signe que les choses vont bien, je peux prendre cette période comme exemple.
Un autre exercice intéressant consiste à examiner les pays qui ont maintenu un faible taux d'inflation et la façon dont leurs économies ont évolué. Les meilleurs exemples à cet égard sont l'Allemagne, la Suisse et le Japon, qui, de façon générale, se sont classés très bien. Évidemment, ils peuvent quand même éprouver des problèmes - le Japon, entre autres, est actuellement en proie à de sérieuses difficultés. Cependant, si on examine les 20 dernières années pour voir quels pays ont obtenu de bons résultats et quelles époques se sont particulièrement illustrées, on s'aperçoit qu'il y a un lien entre une faible inflation et une bonne croissance de la productivité. Ce n'est peut-être pas le seul facteur, mais c'en est un.
Alan Greenspan essaie de faire valoir cet argument ces jours-ci aux États-Unis. Lui et certains de ces collègues essaient de quantifier ce lien.
[Français]
M. Brien: J'ai deux courtes questions.
Tout à l'heure, vous avez dit que vous aviez peut-être mal évalué l'ampleur du ralentissement, particulièrement ce printemps, parce qu'il y avait trop de volatilité cet hiver. J'aimerais savoir quelle influence directe avait le ministre des Finances sur cette évaluation et sur la gestion de vos activités à ce moment-là.
M. Thiessen: Les activités de la Banque du Canada?
M. Brien: Oui.
M. Thiessen: Comme la loi l'exige, on discute presque chaque semaine avec le ministre de la conjoncture économique canadienne, des politiques économiques, fiscales et monétaires. Mais c'est la Banque du Canada et son conseil d'administration qui sont responsables de la politique monétaire.
M. Brien: C'est ce que je pensais. Au cours des dernières semaines, on a entendu, à plusieurs reprises, le ministre des Finances dire qu'il était responsable de la politique monétaire et que c'était le gouvernement fédéral qui la dirigeait. Or, en répondant à la question de Mme Brushett tout à l'heure, vous affirmiez que la Banque du Canada avait une grande indépendance quant à la gestion de la politique monétaire.
Donc, il y en a un des deux qui ne nous dit pas la vérité. J'ai tendance à vous croire davantage. Donc, est-ce une affirmation qui va au-delà de la réalité quand le ministre des Finances dit aux gens que le gouvernement fédéral et lui-même contrôlent la politique monétaire?
M. Thiessen: Il importe de dire que le ministre est aussi responsable de la politique monétaire parce qu'il peut nous donner une directive en vue de la changer.
[Traduction]
Tout compte fait, il a toujours la possibilité de modifier la politique, s'il le juge à propos. Il assume la responsabilité générale et finale. Pour ce qui est des opérations quotidiennes, hebdomadaires, mensuelles, dans le cadre de la politique monétaire, c'est la banque qui assume la responsabilité et le conseil de la banque qui applique la politique.
[Français]
M. Brien: Mais ce n'est arrivé qu'une seule fois qu'il y ait une divergence majeure entre le ministre et le gouverneur; ce dernier a d'ailleurs démissionné.
M. Bonin: C'était avant que le ministre n'ait le pouvoir d'émettre des directives. En 1967, la Loi sur la Banque du Canada a été modifiée pour y inclure ce pouvoir-là et y établir la relation qui existe entre le ministre et le gouverneur. L'épisode auquel vous faites allusion remonte aux années 60, avec M. Coyne.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Brien. Monsieur Pilliteri, s'il vous plaît.
M. Pilliteri (Niagara Falls): Merci, monsieur le président et merci, monsieur le gouverneur, de comparaître aujourd'hui.
Cette réunion est très sérieuse et ne devrait pas être l'occasion pour qui que ce soit de marquer des points sur le plan politique. Nous devrions être rationnels dans nos questions et éviter de faire des insinuations.
Il y a un instant un honorable député a fait dire au ministre des Finances que deux millions de personnes auraient perdu leur emploi. En réalité, il a dit qu'un million d'emplois étaient en danger, et non pas deux millions. Il faut être sûr de son affaire avant d'attaquer les gens sur des chiffres.
Je me souviens que l'année dernière nous avons demandé aux représentants du ministèredes Finances quelle part de notre dette était retenue à l'étranger. Ils ont répondu que c'était environ 26 p. 100 pour la dette nationale, mais que le pourcentage pouvait atteindre 40 p. 100 si le reste du Canada est inclus. Y a-t-il une grande fluctuation dans le pourcentage de la dette qui est détenue par les Canadiens ou les étrangers?
M. Thiessen: Il varie un petit peu. Nous venons justement de produire des tableaux dans notre dernier bulletin trimestriel indiquant une dépendance passablement plus faible à l'égard des étrangers ces derniers temps. Le pourcentage fluctue légèrement. Pour ce qui est des proportions de la dette, il faut que les mouvements d'argent soient très importants pour qu'ils varient vraiment. Les mouvements peuvent être différents à certains moments, mais le total de la dette est tel qu'ils doivent être très importants pour avoir un effet quelconque. Les 40 p. 100 indiqués ne peuvent pas bouger très rapidement.
M. Pillitteri: Pour la dette totale ou le gouvernement fédéral seulement?
M. Thiessen: Ce chiffre était pour le gouvernement fédéral, n'est-ce pas, Tim?
M. Noel: Je pensais que c'était pour tous les gouvernements. Je ne suis pas sûr. Je peux vérifier.
M. Pillitteri: Je vous en serai reconnaissant.
Le président: Sauf erreur, environ 300 milliards de dollars sont détenus à l'extérieur du Canada, sur un total de 800 milliards de dollars représentant la dette combinée des provinces et du gouvernement fédéral. Ce sont les montants avec lesquels nous travaillons, monsieur Pillitteri.
Mme Stewart: Monsieur le gouverneur Thiessen, il y a des gens - dont certains se trouvent autour de cette table - qui estiment que nous devrions faire beaucoup plus d'effort pour réduire notre déficit à zéro. Vous semblez dire de votre côté que l'important pour les marchés étrangers c'est que nous ayons un plan clair et stable.
Si nous nous montrions plus empressés, est-ce que les marchés ne tiendraient pas compte de l'impact possible de cet empressement, de l'éventualité d'un déclin de notre consensus économique dû à une baisse de confiance des consommateurs au fur et à mesure que les gens perdraient leur emploi? Nous pouvons déjà constater un certain impact, même si notre stratégie en tant que gouvernement est plus équilibrée et plus contrôlée.
Je me demande si une stratégie trop agressive, une insistance trop grande à vouloir en arriver à zéro, en elle-même, ne peuvent pas créer de l'incertitude ou de la confusion sur le marché.
M. Thiessen: C'est très difficile à dire. Il est quand même certain qu'une stratégie crédible en vue de réduire le déficit et de faire en sorte que la courbe de la dette par rapport au produit intérieur brut soit descendante plutôt que montante a de bonnes chances d'influer positivement sur les primes de risque dont il a été question plutôt.
Et ces avantages se répercutent. Lorsque les primes de risque baissent pour le gouvernement, elles baissent également pour tous les emprunteurs au Canada.
Mme Stewart: Le mot clé ici est «crédible» et l'impact à court et moyen terme des mesures prises sur la croissance économique, sur les consommateurs et les citoyens dans leur vie quotidienne est un des éléments qui permet de déterminer si le plan est crédible ou non. Ne faut-il pas en tenir compte?
M. Thiessen: Il est certain que si, aux yeux du marché, un programme du gouvernement risque d'avoir un impact économique tel qu'il perde l'appui de la population, il ne serait pas considéré comme crédible. Pour le marché, plus les programmes du gouvernement sont appuyés par la population, plus ils sont crédibles.
Une chose très intéressante qui s'est manifestée cette dernière année, c'est le support évident du public pour des moyens permettant de préparer des budgets plus durables. Voilà ce qui préoccupe très clairement ceux qui ont la responsabilité d'investir les économies accumulées dans ce pays et ailleurs.
Mme Stewart: Mais il faudrait prendre en compte certaines réalités. Si on fait des coupures importantes aux programmes du gouvernement, si on coupe les structures qui aident à maintenir le déficit, ne pourrait-on pas s'attendre à un impact considérable sur le taux de croissance économique? Même si le public veut très vite descendre à zéro, cela pourrait avoir un impact considérable sur la croissance économique et notre capacité de soutenir cette croissance, n'est-ce pas?
M. Thiessen: Quand vous avez ces grosses primes de risque dans vos taux d'intérêt, il est difficile de savoir si on aurait davantage intérêt à baisser le déficit, si les taux d'intérêt plus faibles sont un très grand avantage pour l'économie.
M. Grubel: J'aimerais juste rappeler à Mme Stewart le fait que le PIB représente 750 milliards de dollars. Si le taux de croissance économique était 4 p. 100, le PIB augmenterait de 30 milliards de dollars. Le déficit représente 30 milliards de dollars. Dans une année, la croissance économique serait suffisante pour couvrir les réductions des dépenses, sauf qu'il y aurait des augmentations de dépenses pour couvrir les intérêts et la dette qui continueraient à s'accumuler. Pour ce qui est de l'ampleur de l'économie, il faut vraiment très peu pour passer à zéro, si on continue à avoir une croissance économique.
J'ai une question pour M. Thiessen au sujet de la dette au détail. Pourquoi a-t-on décidé de faire ça à l'interne? D'après moi, cela est un exemple parfait d'une activité économique qui aurait pu être laissée au secteur privé, sur une base contractuelle. Nous savons tous que le secteur privé est plus efficace. C'est vous qui établissez les normes et les exigences. Vous auriez pu demander des offres pour l'exécution du contrat. Pourquoi a-t-on mis un fardeau additionnel sur le budget en ajoutant une telle activité, en invitant encore un groupe syndiqué qui aura des problèmes à maintenir le contrôle sur ses dépenses, quand le secteur privé était prêt à assumer ce travail?
M. Thiessen: Je ne suis pas sûr que le secteur privé était prêt à l'accepter. Mais n'oublions pas que cette notion d'établir un groupe spécial pour gérer la dette au détail a été formulée pour nous permettre d'être en bonne position pour sous-traiter quelques parties de la dette. Donc on n'a pas vraiment décidé exactement combien sera fait à l'interne et combien sera fait à l'externe.
La chose importante est d'avoir un groupe en place pour gérer la stratégie. Après cela, on verra combien on fait à l'interne et combien on fait à l'externe, au secteur privé.
M. Grubel: Est-ce que la banque a engagé un président pour diriger cet organisme?
M. Thiessen: Le gouvernement est en train d'engager un président pour diriger cet organisme.
M. Grubel: Quel sorte de contrat aura-t-il? Quelle sera la durée de son contrat?
M. Thiessen: Je ne sais vraiment pas. Cela devra être probablement négocié entre le ministre des Finances et la personne engagée.
M. Grubel: Est-ce que le gouvernement a contacté le secteur privé pour voir si certaines personnes étaient intéressées?
M. Thiessen: Il y a eu beaucoup de discussions parmi le gouvernement, la banque et le secteur privé pour décider comment une telle structure serait dirigée.
M. Grubel: Est-ce que le risque est vraiment grand? Est-ce qu'on craint qu'il ne soit pas rentable? Est-ce que vous pensez qu'en vendant la dette du gouvernement au détail, on fera augmenter le déficit?
M. Thiessen: Non, cela est vraiment une très grande opération. Pour que la Banque du Canada puisse suivre toutes ces obligations d'épargne du Canada, et faire tous ces paiements, on parle d'une opération plus grande que toutes celles dans le secteur privé.
M. Grubel: Oui, mais on dit que si le système est lourd, c'est parce que la banque n'a pas encore découvert les ordinateurs modernes.
M. Thiessen: Oh, je ne pense pas que ça soit juste.
M. Grubel: Je ne connais pas les détails de la situation, mais je ne serais pas étonné de constater que les changements technologiques ne se font pas aussi rapidement que dans le secteur privé. Je trouve que la réponse n'est pas très satisfaisante.
J'aurais aimé qu'on adopte une approche ouverte par rapport à notre secteur privé très compétent, approche qui aurait englobé toutes les banques et tous les courtiers en valeurs mobilières. J'aurais aimé qu'on nous dise que dorénavant l'objectif c'est de vendre des obligations, en grandes coupures, non seulement aux grandes sociétés, mais également aux particuliers. Est-ce qu'une société est prête à faire ce travail? Pourquoi a-t-il fallu le faire à l'interne?
M. Thiessen: Comme je l'ai dit, on n'a pas encore décidé de façon définitive comment on va gérer cette activité. Jusqu'ici, tout ce que nous avons fait c'est de créer un organisme de service spécial, pour la gérer à l'avenir. Mais cela ne nous empêche pas d'avoir recours à la sous-traitance pour faire faire le travail en partie ou complètement, si c'est plus efficace.
M. Campbell: Chaque fois que le gouverneur comparaît devant nous et que nous discutons de la dette et du déficit, je pense au sénateur américain qui parlait des milliards comme si de rien n'était. Tôt ou tard, il faut comprendre qu'il s'agit de dollars réels.
Suite à la dernière remarque de M. Grubel, il serait bon, pendant la planification de ce programme et les projets futurs de sous-traitance, de savoir si d'autres pays ont confié la gestion d'un tel programme au secteur privé. Je n'en connais pas.
M. Noel: Je n'en connais pas non plus, mais cela n'exclut pas la possibilité de donner au secteur privé la responsabilité de faire la prestation de certaines parties du service. C'est en fait la réponse du gouverneur à la question posée par M. Grubel.
M. Campbell: C'est ce que j'avais compris. Mais je craignais que M. Grubel voulait donner toute la responsabilité au secteur privé, sans exception, plutôt que d'en donner certaines parties, ce qui est tout à fait possible, selon le gouverneur.
M. Grubel: Nous savons que les banques ont fait cela par le passé. Le gouvernement fait énormément de choses que le secteur privé faisait auparavant. À mon avis, on peut mettre sur ordinateur l'achat et le rachat des obligations, et la tenue des livres à ce sujet, et le tout peut être géré par le secteur privé. Beaucoup se fait déjà par le secteur privé.
M. Campbell: Mais à votre connaissance, il n'y a pas d'autres pays qui font cela?
M. Grubel: Pas que je sache. Le projet serait innovateur, car pour la première fois, il y aurait une valeur qui va concurrencer les obligations d'épargne du Canada au niveau du détail. Je ne comprends pas du tout les questions de liquidité, de valeur minimum, ni la raison pour laquelle l'on fait cette activité.
M. Campbell: Je réagis à l'idée selon laquelle nous ne suivons pas l'exemple des autres pays. Dans ce domaine, tout est neuf, et tout est possible. Aucun autre pays ne confie cette activité au secteur privé. À notre connaissance, nous serons peut-être les premiers à le faire.
M. Thiessen: Je ne connais pas d'autre pays qui le fait.
M. Campbell: M. Grubel et M. Silye se demandent, comme nous tous, pendant combien de temps nous pourrons nous permettre un niveau d'endettement si élevé. Je pense que c'estM. Grubel - ou peut-être M. Silye - qui vous a demandé quelle sorte de lignes directrices ou points de repère nous aurons.
Il y a longtemps que je ne l'ai pas entendu, mais dans les années quatre-vingt, on parlait au FMI de taux de service de la dette. Aujourd'hui il est question de ratio-déficit-PIB, de comparer la dette globale à la taille du PIB. Y a-t-il des gens qui se servent encore de cette mesure de taux de service de la dette? Serait-ce utile pour ceux qui sont particulièrement préoccupés par la possibilité de maintenir cette dette?
M. Thiessen: Oui, le FMI, pour certains petits pays fortement endettés, effectue des calculs de coût du service de la dette par rapport aux recettes d'exportation, ce genre de choses. Mais pour les grands pays, lorsque vous vous inquiétez à propos de l'avenir et de votre capacité de porter la fardeau de la dette à l'avenir, je crois que la meilleure mesure, et celle dont se servent la plupart des gens, c'est le ratio de la dette au produit intérieur brut. Je crois que c'est celle qui, grosso modo, cerne le mieux le problème.
Comme je le disais plus tôt à M. Grubel, il n'y a pas vraiment d'analyse économique solide qui vous indique qu'il vaudrait mieux tel ratio plutôt que tel autre. Nous savons que certains pays ont des ratios de dette publique au PIB nettement plus importants que le nôtre. Par contre, nous savons qu'étant donné la conjoncture actuelle, nous sommes vulnérables.
M. Campbell: Merci.
[Français]
Le président: En répondant aux questions du Bloc québécois, vous avez dit que notre taux d'intérêt au Canada était trop élevé pour deux raisons: le niveau de notre dette nationale et l'incertitude politique dans notre pays.
Donc, en dépit de ce que dit le Bloc québécois, nous payons cher l'incertitude politique qu'il nous faut subir en ce moment.
[Traduction]
J'aimerais vous remercier beaucoup, de la part de tous les membres présents, de votre témoignage. Vous serez toujours les bienvenus devant ce comité.
Avant de lever la séance, j'aimerais noter que j'ai oublié hier de remercier nos deux greffiers, Pierre Rodrigue et Martine Bresson, d'avoir si bien organisé cette table ronde.
La séance est levée jusqu'à demain. Merci beaucoup.