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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 5 décembre 1995

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[Traduction]

Le président: La séance est ouverte.

Le comité des finances accueille aujourd'hui avec plaisir, dans le cadre de son examen préalable au budget, un groupe d'éminents spécialistes de l'économie et d'économistes. Nous sommes impatients d'entendre ce que vous avez à nous dire.

Je crois savoir que chacun d'entre vous commencera par un aperçu de trois minutes consacré à l'orientation qu'à votre avis, nous devrions adopter pour le prochain budget. Après quoi, nous passerons aux questions du comité. Vous aurez tous l'occasion de présenter vos points de vue et de les résumer à la fin.

Avant toute autre chose, je vous remercie d'être venus ici aujourd'hui. Nous entendronsM. Jordan Grant de la Bank of Canada for Canadians Coalition, M. Duncan Cameron du Centre canadien de recherche en politiques de rechange, M. Tom Rymes de l'Université Carleton,M. Michael McCracken d'Informetrica, M. Gordon Boreham de l'Université d'Ottawa, M. Tom Wilson de l'Université de Toronto, M. David Laidler de l'Université de Western Ontario,Mme Lynne Toupin et M. François Dumaine de l'Organisation nationale anti-pauvreté, etMM. John Grant et Edward Neufeld également de l'Université de Toronto.

Soyez les bienvenus.

Monsieur Jordan Grant, veuillez commencer.

M. Jordan B. Grant (président, Bank of Canada for Canadians Coalition): Merci, monsieur le président.

L'an dernier comme cette année, le comité a reçu et reçoit encore des avis contradictoires. Je suis un peu intimidé d'être ici en compagnie d'un si grand nombre d'économistes distingués.

J'ai distribué un document au sujet des cibles. Dans sa tournée du pays, le comité a demandé qu'on lui propose certaines cibles en ce qui concerne le déficit. Il a en outre fixé des objectifs relativement à la lutte à l'inflation. Ce que le gouvernement n'a pas demandé explicitement, ce sont des cibles appropriées en matière de chômage.

Vous constaterez que dans notre tableau nous avons proposé certaines cibles correspondant à des réductions draconiennes tant pour le déficit... D'ailleurs, nous voulons souligner la différence entre les dépenses de fonctionnement et les immobilisations. Le vérificateur général a recommandé il y a de nombreuses années que le budget de fonctionnement et le budget d'immobilisations soient distincts. Le budget de fonctionnement doit être équilibré pour la période visée, mais rien n'interdit au gouvernement d'emprunter pour ses dépenses d'immobilisations, dépenses pour lesquelles la période de récupération est beaucoup plus longue.

Nous avons aussi fixé des cibles concernant le déficit du compte courant, qui est sans doute le plus important problème passé sous silence dans l'économie canadienne à l'heure actuelle. L'objectif dont il n'a pas été question publiquement est le pourcentage du PIB.

Par rapport aux autres pays, le Canada vit au-dessus de ses moyens depuis près de 20 ans. Nous empruntons à l'étranger pour financer notre propre consommation, pourtant, nous vivons en dessous de nos moyens à l'intérieur du pays. Nous avons connu des niveaux de chômage élevés. Essentiellement, nous n'avons pas utilisé notre pleine capacité de travail.

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À mon avis, l'une des principales raisons qui expliquent ce phénomène est notre politique monétaire, qui porte exclusivement sur une cible: la lutte à l'inflation.

Les conseils d'économie conventionnels que l'on vous donne sont fondés sur l'hypothèse fondamentale qu'un taux de chômage appelé le TCIS, le taux de chômage naturel, de 8 ou de 9 p. 100 est acceptable, naturel et inévitable au Canada.

Si personne ne réclame de cibles en matière de chômage, si vous interrogez les tenants des théories classiques réunis autour de cette table pour savoir ce qu'ils prévoient comme taux de chômage... Certainement, la position de la Banque du Canada est que le taux de chômage devrait demeurer entre 8 et 9 p. 100. Cela revient à dire qu'elle est prête à accepter ce taux de chômage pour une période indéfinie.

En gros, c'est exactement ce que Kim Campbell a déclaré pendant la dernière campagne électorale fédérale, et vous savez tous ce qui lui est arrivé.

Toutefois, on peut appliquer un autre modèle. En fait, la raison pour laquelle le taux de chômage est à ce niveau, c'est que le chômage est utilisé comme outil de lutte contre l'inflation.

Au fil des ans, le gouvernement a renoncé à un certain nombre d'autres outils dont il se servait pour contrôler l'inflation. Je veux parler de toute une gamme de mécanismes, et nous pourrions entrer dans les détails un peu plus tard. Mais il demeure qu'au fil des ans nous avons renoncé à pratiquement tous ces mécanismes. Le seul qui reste à la Banque du Canada est le taux d'intérêt à très court terme, qu'elle peut augmenter. Cela a des effets directs sur le taux de change. En gros, on modère l'économie en maintenant des taux d'intérêt suffisamment élevés pour que le taux de chômage se situe entre 8 et 9 p. 100. C'est une façon inacceptable de contrôler l'inflation.

Nous avons une politique de revenus cachés. Exposons-la au grand jour. Si la question du chômage est ouvertement débattue, nous pourrons voir si c'est une façon appropriée de lutter contre l'inflation. Y a-t-il d'autres moyens qui feraient moins de tort à l'économie et certainement moins de tort au budget fédéral?

Je m'en tiendrai là pour l'instant.

Le président: Merci, monsieur Grant. Nous vous demanderons certainement des détails à ce sujet plus tard.

Monsieur John Grant, vous avez la parole.

Professeur John Grant (Faculté d'administration, Université de Toronto): À mon avis, la politique de microéconomie doit être orientée en fonction de trois buts. Le premier est une stabilité acceptable des prix, d'une année sur l'autre. Si la politique monétaire vise nettement à maintenir la stabilité des prix, elle permettra aussi de maintenir l'économie à un niveau proche de son potentiel.

Si l'on adopte cette hypothèse de travail, il me semble que les planificateurs financiers peuvent fixer avec confiance des objectifs ambitieux pour le moyen terme et le long terme, avec la certitude que les pertes de production et d'emplois attribuables à des variations à court terme des dépenses de programmes ou des impôts seront minimisées.

Mais pour être bien sûr d'atteindre ces buts, le gouvernement devrait définir son plan financier clairement et bien à l'avance pour le moyen terme et le long terme, parallèlement au plan monétaire à long terme, afin que les décideurs du secteur privé soient en mesure de distinguer les perturbations aléatoires et celles qui sont structurelles ou cycliques, que les responsables de l'élaboration des politiques renforceront.

Il est toujours difficile de gérer les attentes, mais la confirmation périodique des buts structuraux et des buts en matière de soutenabilité, abondamment discutés et perçus comme servant les principaux intérêts du pays, sera le meilleur moyen de stimuler dans le secteur privé une activité qui respectera ces buts et ne reposera pas sur des attentes non fondées.

À mon avis, la politique monétaire est le principal secteur d'intervention grâce auquel on peut gérer l'économie en demeurant aussi près que possible du niveau maximal de production en assurant la stabilité des prix.

La politique fiscale, par contre, devrait viser essentiellement à maintenir un niveau d'épargne intérieur approprié, en vue d'obtenir le meilleur rendement réel à long terme de la richesse du pays dans le contexte d'une mondialisation de la soutenabilité.

Dans ce contexte, je perçois donc la politique monétaire comme l'instrument permettant de gérer à court terme et à moyen terme les chocs et les fluctuations de la demande globale. Le maintien d'une stabilité raisonnable des prix constitue un bon objectif intermédiaire pour la banque, puisque cela lui permettrait de montrer la voie aux décideurs du secteur privé et de veiller à ce que nous demeurions aussi près que possible de notre potentiel économique, dans la mesure où les chocs et les renversements de tendance le permettront.

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Comme je le disais, notre plan financier devrait être fondamentalement un plan à long terme. Les prévisions en matière de population et de PIB dans le monde montrent bien que les nations en développement s'empresseront de récompenser les utilisateurs de l'épargne mondiale au cours des prochaines années. Les Canadiens doivent s'attendre à ce que le rendement de l'investissement intérieur soit moindre que celui des investissements étrangers diversifiés, à mesure que les pays en voie de développement établiront leurs infrastructures et se rapprocheront de nos niveaux de productivité.

La banque doit tenir compte de nombreux facteurs anticipatoires liés aux attentes, dont bon nombre échappent à son contrôle. Elle aura le plus d'influence lorsque, comme la Bundesbank, elle réussira à convaincre les intervenants sur les marchés financiers mondiaux qu'elle prendra toutes les mesures nécessaires pour maintenir la stabilité des prix.

Les décideurs dans les domaines fiscaux et monétaires doivent donc respecter des normes très strictes. Ce qui nous manque, à l'heure actuelle, c'est surtout une évaluation plausible du potentiel du pays à moyen et à long terme dans le contexte global et un plan financier adapté à ce contexte.

Le président: Merci, monsieur Grant.

Monsieur Cameron.

M. Duncan Cameron (président, Centre canadien de recherche en politiques de rechange): Merci, monsieur le président.

Je m'intéresse à l'effet de la politique monétaire sur l'économie, je m'y intéresse suffisamment pour adresser des lettres à MM. Thiessen et Martin. Je suis convaincu depuis quelque temps déjà que les chômeurs de notre pays pourraient en un sens porter le titre de «combattants de l'inflation», que le gouvernement a décidé de maintenir un certain nombre de personnes, peut-être 1,5 million, 8 ou 9 p. 100 au moins, au chômage.

J'ai donc écrit au gouverneur et au ministre des Finances et je leur ai dit que puisque l'aide sociale et le chômage faisaient l'objet de compressions, il faudrait peut-être indiquer que la Banque du Canada avait déjà décidé de maintenir le taux de chômage à 8 ou 9 p. 100. Par conséquent, ce soi-disant «chômage volontaire», ces personnes qui se la coulent douce grâce à l'aide sociale... En faisant ces changements, vous allez en fait forcer ces gens à rester au chômage, parce que c'est la politique de la Banque.

Ils m'ont répondu et ils ont invoqué des questions structurelles. Ils ont parlé du TCIS. Ils m'ont dit que le TCIS est élevé à cause des fortes sommes versées au titre de l'aide sociale et de l'assurance-chômage.

Parce que cela a changé, je souhaiterais que vous demandiez au gouverneur si le TCIS a diminué à la suite de ces changements structurels. C'est la première question à laquelle j'aimerais qu'on réponde.

Deuxièmement, ce qui m'inquiète et ce qui inquiète le Centre canadien de recherche en politiques de rechange, c'est l'augmentation inévitable de la dette lorsque les taux d'intérêt sont supérieurs au taux de croissance de l'économie. Je voudrais savoir ce que nous pouvons faire dans le marché des obligations. J'aimerais que la Banque du Canada se demande pourquoi elle n'intervient pas, au besoin, sur le marché des obligations, à court terme ou à long terme, pour réduire les taux d'intérêt. C'est une mesure à laquelle elle a eu recours par le passé. Il faudrait bien sûr freiner un peu la création d'un crédit par les banques, mais cela permettrait de réduire le coût du crédit pour le gouvernement, pour l'économie.

Bref, j'aimerais que la banque centrale agisse avec plus de doigté au lieu de mener une campagne dogmatique contre l'inflation.

Enfin, je veux soulever une autre question. Lorsque j'ai fait mes débuts au ministère des Finances, il n'y avait vraiment qu'une seule question qu'il fallait se poser: est-ce que l'économie est en expansion ou en régression? À l'heure actuelle, il me semble évident que l'économie est en régression. Si tel est le cas, un autre budget rigoureux, à la suite du budget de l'Ontario, risque de nous précipiter dans une récession. Dans cette éventualité, les problèmes liés à notre déficit ne feront qu'empirer.

Le président: Merci, monsieur Cameron.

Monsieur McCracken.

M. Michael McCracken (président-directeur général, Informetrica Limited): Si j'ai bien compris, vous voulez pour l'instant un bref énoncé de ce que l'orientation du budget devrait être. Permettez-moi donc de revenir à certaines des autres questions que vous avez soulevées.

À cette fin, j'aimerais me reporter au dernier tableau du document rose que je vous ai distribué, les perspectives actuelles. Pour l'instant, l'économie américaine ralentit. En novembre, on s'entendait pour prédire un taux de croissance de 2,7 p. 100 pour 1996. Il s'agit d'une diminution par rapport au taux de 3,2 p. 100 atteint en 1995. Pour l'économie canadienne, nous prévoyons une croissance du PIB réel de 2,3 p. 100 en 1995 et de 1,6 p. 100 en 1996. Ces prévisions ne tiennent pas compte des effets spécifiques de la réforme de l'assurance-chômage ou des énoncés économiques du gouvernement Harris, même si nous en avons une certaine idée.

De prime abord, l'énoncé économique du gouvernement Harris freinera sans doute la croissance réelle d'environ 0,6 p. 100 - plus en Ontario, mais bien sûr le phénomène ne sera pas limité à l'Ontario. Nous attendons encore le budget du Québec et celui d'autres provinces, ainsi que le prochain budget fédéral.

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Il demeure toutefois possible que les impôts soient réduits en Ontario, mais plus tard. Cela reste à voir. Nos dernières prévisions annonçaient déjà un certain ralentissement, mais certainement pas dans la mesure où on prévoit ce ralentissement pour 1997 et au-delà. Nous nous attendons à réduire encore nos prévisions de deux dixièmes de point en 1996 et à les ramener en deçà de 2 p. 100 pour 1997.

Par conséquent, vous aurez trois années de croissance inférieure au potentiel économique, 1995, 1996 et 1997. Nous pouvons poursuivre au-delà de cette période, mais je crois que la question est véritablement de savoir si c'est bien un climat économique aussi favorable aux gouvernements qu'il l'a été en 1995.

Selon la définition de «récession» que l'on utilise, on peut considérer que nous traversons actuellement une récession, que nous en émergeons ou que nous sommes sur le point d'y sombrer. Je crois toutefois que pratiquement tout le monde est d'accord pour dire que la croissance n'a pas été rapide au cours de la dernière année.

Au total, au cours des 12 derniers mois, le nombre d'emplois a augmenté de 33 000 - c'est-à-dire de 0,24 p. 100 - , 9 000 emplois à plein temps et 24 000 emplois à temps partiel. Cent treize mille emplois ont été perdus dans l'administration publique, par rapport au 146 000 créés dans d'autres secteurs.

On ne constate aucun changement au sein de la population active. C'est un phénomène extraordinaire. Essentiellement, il nous manque entre 180 000 et 200 000 personnes qui en principe auraient dû entrer dans la population active si notre économie fonctionnait normalement. En fait, le taux de participation décroît, il est passé de 65,3 à 64,4 p. 100, et ces personnes ont simplement maintenu le taux de chômage, plutôt que de l'augmenter de 1 ou de 1,5 point.

Le dernier chiffre que nous ayons au sujet du PIB sur 12 mois est une croissance de 1,2 p. 100. C'est la croissance totale pour cette période.

Compte tenu de tous ces éléments, si nous examinons la situation dans laquelle nous nous trouvons maintenant, il faut agir du côté monétaire, même s'il n'entre pas normalement dans le cadre du budget.

Certes, les taux d'intérêt réels pour le moment demeurent supérieurs au taux de croissance au Canada, ce qui déstabilise les équilibres fiscaux et la situation des débiteurs privés. Les restrictions financières augmentent à tous les niveaux de gouvernement. Les ratios d'endettement sont en déclin, et je crois que nous pouvons nous permettre de cesser d'étouffer l'économie et de commencer à stimuler la croissance et à exiger une politique monétaire sensiblement plus accommodante.

Je vais m'arrêter ici. Vous voudrez peut-être poser quelques questions plus tard. Merci.

Le président: Merci, monsieur McCracken.

Monsieur Neufeld.

M. Edward Neufeld (chargé de recherche invité, Centre d'études internationales, Université de Toronto): Monsieur le président, je vous remercie beaucoup de me donner l'occasion de témoigner devant vous aujourd'hui.

Je vais faire un rapide commentaire au sujet du budget, puis je passerai à la politique monétaire.

Il est évident que la croissance économie ralentit et qu'elle ralentira encore plus l'an prochain. Par contre, cette croissance se poursuit, et les marchés financiers indiquent que la tendance se maintiendra probablement, si vous avez observé les marchés ne serait-ce qu'hier et au cours des dernières semaines. Les marchés n'ont pas toujours raison, bien sûr, mais pour l'instant, il semble que l'économie va continuer à croître, bien qu'à un rythme plus lent, comme l'a dit Michael.

Il faut toutefois déterminer quelle politique conviendrait dans ce contexte. Si le gouvernement change son orientation en matière de politique financière, je crains que cela ne fasse beaucoup plus de mal que de bien. Il faut continuer à renforcer la crédibilité des finances publiques. Une réduction de la crédibilité entraîne une réaction rapide des marchés financiers qui affecte les taux d'intérêt, ce que le gouvernement doit payer, et le climat de confiance général dans le pays.

Par conséquent, en matière de politique financière, le gouvernement devrait continuer à établir sa crédibilité, à faire ce qu'il dit avoir l'intention de faire. Je suis certain que cette stratégie portera fruit sur le plan économique.

Je veux aussi dire un mot au sujet de la politique monétaire. On a fortement tendance, comme l'ont confirmé certains commentaires aujourd'hui, à surestimer l'influence que la Banque du Canada peut avoir sur l'économie. On s'imagine facilement, par exemple, que la Banque du Canada peut contrôler les taux d'intérêt. Quiconque a suivi de très près les marchés au cours des cinq dernières années sait très bien que la marge de manoeuvre dans ce domaine est très limitée.

Ce que la banque peut faire, c'est de régir le règlement des soldes des 12 chambres de compensation qui relèvent d'elle. En principe, cela signifie qu'elle peut contrôler le taux quotidien, le taux au jour le jour, et la tranche dans laquelle ils évoluent. D'après les analyses, il n'y a pratiquement aucun lien avec ce que la banque peut faire dans le domaine des taux à long terme. Les taux à long terme ne sont pas contrôlés par la Banque du Canada, sauf dans un domaine très important, le contrôle du taux d'inflation.

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Il faut aussi voir si cela porte fruit. On peut se demander si la politique monétaire a été utile ou nuisible à la politique financière ou aux finances publiques. Je crois que la politique adoptée a été, à long terme, utile à la politique financière. Aujourd'hui, nous avons des taux d'intérêt, des taux à court terme, qui se situent aux environs de 6 p. 100. Il n'y a pas très longtemps, ces taux étaient de plus de 12 p. 100. Nous avons des taux à long terme qui ont été ramenés à 8 p. 100. Il n'y a pas si longtemps, ils étaient à 10 p. 100. Aujourd'hui, le taux à court terme n'est séparé du taux à court terme américain que par 38 ou 40 points de base, et les taux d'inflation du Canada et des États-Unis sont maintenant très près l'un de l'autre.

La contribution de la Banque du Canada à la réduction des coûts du service de la dette a, en règle générale, été ignorée. À mon avis, la politique de la banque doit être de continuer à contribuer autant que possible à régler le problème financier et celui d'une croissance insuffisante. J'estime qu'elle peut le mieux y parvenir en poursuivant son objectif premier, qui est de promouvoir la confiance à l'égard de la monnaie grâce à la stabilité des prix et, à court terme, de tenter d'absorber les perturbations aléatoires du système, que ces perturbations soient la conséquence des interminables discussions au sujet de la Constitution et des crises qui en découlent ou proviennent de sources extérieures, quelles qu'elles soient. La banque doit tenter d'atténuer ces perturbations de l'économie. C'est dans ces deux secteurs qu'elle peut le mieux contribuer à régler les problèmes.

Enfin, je veux préciser qu'à mon avis, nos problèmes financiers ne peuvent certainement pas être réglés grâce à des mesures de la banque centrale. L'inflation fait monter les taux d'intérêt, et donc les coûts que l'État doit assumer. L'inflation déstabilise le taux de change, ce qui réduit la confiance que peut inspirer le pays. L'inflation fait monter les coûts de ce que l'État doit acheter, et ce phénomène a des conséquences négatives très importantes.

Parfois, on soutient que le relâchement des taux fera perdre de la valeur à notre monnaie, ce qui aidera les exportateurs et les personnes qui travaillent dans le secteur des exportations. Il ne faut toutefois pas oublier les conséquences négatives d'une telle évolution. L'inflation réduit le revenu réel des personnes qui doivent acheter des biens importés. Elle réduit le pouvoir d'achat des entreprises canadiennes qui doivent acheter des biens d'immobilisation à l'étranger. Lorsque vous tenez compte de ces facteurs, vous devez convenir qu'à un certain point, même dans ce sens, l'inflation nuit à l'économie.

Par conséquent, je crois que nous ne pouvons pas nous tourner vers la politique monétaire pour régler nos problèmes financiers. Nous devons plutôt examiner la politique financière. Au bout du compte, cette politique doit demeurer ce qu'elle a toujours été: un ensemble de mesures visant à réduire les dépenses, des augmentations fiscales ou une combinaison des deux.

Le président: Merci, monsieur Neufeld.

Professeur Boreham, je vous en prie.

Professeur Gordon Boreham (professeur émérite, Département d'économique, Université d'Ottawa): Merci, monsieur le président.

Quand j'ai reçu, par télécopieur, votre invitation à comparaître devant le comité, je savais seulement que vous vouliez parler de la Banque du Canada.

Le président: Nous attendons vos suggestions au sujet des mesures que nous devrions prendre - qu'elles soient financières, monétaires ou autres - dans le cadre du prochain budget et des suivants.

M. Boreham: Ce n'est pas l'impression que m'a donnée votre lettre, et j'ignorais aussi que la formule ne prévoyait que deux ou trois minutes pour la présentation de nos commentaires. Enfin, lorsque vous avez parlé de ces deux ou trois minutes, je me suis immédiatement senti comme un moustique dans un camp de nudistes. Je savais ce que je voulais dire, mais j'ignorais par où je devais commencer.

Le président: Vous aurez amplement l'occasion d'élargir la discussion par la suite.

M. Boreham: Je veux aborder la question sous un angle un peu différent de celui adopté par les collègues qui m'ont précédé.

Je suis venu parce que je voulais parler de la politique monétaire actuelle. À mon avis, c'est lorsque John Crow a prononcé la conférence commémorative Hanson, à l'Université de l'Alberta, en janvier 1988, que la Banque du Canada a adopté sa philosophie actuelle en matière de gestion monétaire. C'est dans le cadre de cette allocution que M. Crow a explicitement déclaré que l'objectif primordial de la politique monétaire au Canada était le contrôle de l'inflation et la stabilisation des prix.

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En passant, Alan Greenspan avait adopté un objectif similaire lorsqu'il avait assumé la présidence du Federal Reserve System, l'année précédente.

La banque a réitéré sa détermination en matière de stabilité des prix dans le rapport annuel de 1990. En février 1991, dans une déclaration conjointe, la Banque du Canada et le gouvernement fédéral ont annoncé les objectifs quantitatifs en matière d'inflation pour la période se terminant en 1995. En décembre 1993, la période a été prolongée jusqu'à la fin de 1998.

D'ailleurs, M. Thiessen a prononcé en avril à l'Université de Waterloo un discours dans lequel il affirmait qu'en adoptant ces objectifs quantitatifs en matière d'inflation, le gouvernement du Canada consacrait officiellement la stabilité des prix comme l'objectif principal de la politique monétaire.

Je me souviens d'avoir comparu devant le comité il y a deux ans, à titre de témoin. Nous avions alors parlé de l'opportunité de modifier le préambule de la Loi sur la Banque du Canada. Comme vous le savez, le préambule n'a pas été modifié. Autrement dit, la Banque du Canada assume encore la responsabilité d'une multitude d'objectifs plutôt que d'un objectif unique, c'est-à-dire la stabilité des prix.

En mars dernier, M. Thiessen a prononcé la conférence HERMES-Glendon, à l'Université York. À cette occasion, il a réaffirmé le but principal de la politique monétaire, mais il a alors très habilement défini le mécanisme de transmission de la politique monétaire du point de vue de la Banque du Canada.

Si je prends la peine de préciser tout cela, c'est que la nouvelle politique monétaire, qui à mon avis remonte à janvier 1988, est maintenant en vigueur depuis huit ans. Il est temps d'en évaluer objectivement les résultats. À l'époque on s'interrogeait sur le bien-fondé de cette orientation. Mais les gens censés peuvent être en désaccord et attendre que les résultats confirment leur impression. Huit années se sont écoulées.

Ces deux derniers jours, j'ai lu les discours prononcés par le gouverneur de la Banque du Canada au cours des deux dernières années. J'ai soigneusement examiné son évaluation du rôle de la Banque du Canada pour cette période, mais tout ce que le gouverneur affirmait c'était que la politique monétaire avait contribué à la réalisation de quatre grands objectifs.

Elle a contribué à l'établissement et au maintien d'un faible taux d'inflation. En effet, depuis 1991, le taux d'inflation est passé de 6 p. 100 à 2 p. 100, mais certains se demandent à quel prix. D'après M. Thiessen, la politique monétaire a encouragé les entreprises à contrôler le coût unitaire de la main-d'oeuvre. Elle a créé un climat qui permettait de prendre à meilleur escient des décisions touchant aux investissements destinés à améliorer la productivité. Elle a contribué à stabiliser le dollar canadien, ce qui a permis aux entreprises d'être plus concurrentielles à l'échelle internationale, comme le prouve l'excellente tenue des exportations des entreprises canadiennes ces dernières années.

Ce sont là les gains que, d'après M. Thiessen l'on peut attribuer à la politique monétaire, mais je crois que la plupart d'entre nous s'attendent à plus. La plupart d'entre nous n'auraient pas pensé que la politique appliquée par la Banque du Canada entre 1990 et 1993 pouvait contribuer à la plus profonde récession que ce pays ait jamais connue.

Si l'on examine certains des autres aspects de l'économie canadienne des quelques dernières années, par exemple le déclin des revenus réels des ménages, l'accentuation des disparités régionales et de l'écart des revenus, la stagnation de l'emploi, la faible amélioration de notre balance des paiements...

Le président: Monsieur Boreham, puis-je vous demander de résumer rapidement?

M. Boreham: Je veux ajouter quelque chose.

Le président: Nous reviendrons à vous. Vous aurez amplement l'occasion de prendre la parole. Veuillez simplement résumer maintenant.

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M. Boreham: J'espérais que le comité serait effectivement disposé à examiner le rendement global de la Banque du Canada sur les huit dernières années et en arriver à certaines conclusions quant à, comme vous le dites dans votre lettre...

Le président: Avec votre aide, nous sommes disposés à le faire monsieur Boreham. Merci. Nous reviendrons à vous plus tard.

Monsieur Rymes.

Professeur Tom Rymes (Département de l'économie, Université Carleton): Merci, monsieur le président. J'ai remis au greffier un document contenant quelques commentaires, que je vais maintenant développer rapidement.

Permettez-moi tout d'abord d'exposer une position très claire, une position avec laquelle je ne suis pas nécessairement d'accord, mais qui est celle que la Banque du Canada devrait adopter. La Banque du Canada applique une politique de stabilité des prix. Elle affirme que la stabilité des prix a mené au plus fort taux de croissance économique qu'elle puisse favoriser, parce qu'elle croit que toute autre politique que celle de la stabilité des prix est incompatible avec la croissance économique. Sa politique nous a donné le taux de chômage le plus faible que la Banque puisse favoriser à cause de la rentabilité due à l'inflation nulle. C'est essentiellement la position de la Banque du Canada.

Ce faisant, la Banque du Canada croit qu'elle fait de son mieux et, si c'est exact, elle a contribué favorablement à la situation financière du gouvernement du Canada. En théorie, c'est grâce à elle que les recettes du ministère des Finances sont plus élevées, parce que l'économie croît plus rapidement, soit disant. Elle a réduit les recettes du gouvernement du Canada parce que les taux d'équilibre du chômage que la Banque du Canada produit sont plus bas.

Si vous acceptez le raisonnement de la Banque du Canada, le but de la politique monétaire devrait être la stabilité des prix et il ne faudra jamais penser à régler les problèmes financiers au moyen de la politique monétaire. Il ne faudra jamais penser que la politique monétaire peut s'harmoniser avec la politique financière d'une façon quelconque. La Banque du Canada a adopté une excellente position, théoriquement très forte, qui devrait être examinée avec soin par le comité. Dans les commentaires que je vous ai remis et maintenant, avec vous, très brièvement, je tente de réfuter cet argument.

La réfutation à cet argument figure dans le document que je vous ai soumis, qui expose notamment la même idée que celle soulevée par le professeur Neufeld, c'est-à-dire que la banque agit sur le système économique grâce au solde des comptes de règlement des membres adhérents du système interbancaire de compensation ou de la banque. Essentiellement, la Banque du Canada influe toujours sur les coûts relatifs des membres adhérents en fournissant des services financiers et des services de transaction intermédiaires.

Dans le document que je vous ai remis, je m'attarde un peu sur le fait que la politique anti-inflationniste de la Banque du Canada a, depuis 1988, fait augmenter les coûts relatifs des transactions et des services de transaction intermédiaires dispensés par les banques et les institutions quasi bancaires du Canada, ce qui a eu pour conséquence de freiner la croissance et de gonfler le taux de chômage.

En ce qui concerne les taux d'intérêt réels, je suis très ambivalent, car je considère qu'il importe peu que la Banque du Canada soit ou non en mesure d'influer sur les taux d'intérêt à long terme. Je crois que ce qui compte, c'est de savoir si la Banque du Canada peut influer sur le coût de la prestation de services financiers par les banques et d'autres intermédiaires financiers dans l'économie canadienne.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Rymes.

Monsieur Tom Wilson, nous vous écoutons.

Professeur Tom A. Wilson (directeur du Policy and Economic Analysis Program, Institute for Policy Analysis, Université de Toronto): Merci, monsieur le président.

Je croyais pouvoir utiliser un rétroprojecteur et présenter quelques diapositives, mais l'appareil n'est pas encore installé. Je mettrai donc mes diapositives de côté et je me contenterai de répondre aux questions.

Le président: Merci.

M. Wilson: Je vais profiter des quelques minutes qui me sont allouées pour traiter de l'interaction entre la politique monétaire et les autres politiques. Dans la lettre que j'ai reçue, la quatrième question portait sur la politique monétaire et son adaptation en fonction de la politique financière. Je n'interprète pas cette question comme on le faisait à la fin de la Seconde Guerre mondiale, c'est-à-dire le maintien des taux d'intérêt et le financement du déficit, mais plutôt dans le sens d'une harmonisation, la politique fiscale devant être axée sur les réductions. Il est donc tout à fait approprié, et en fait essentiel dans les circonstances actuelles, que la politique monétaire prenne cette orientation si l'on veut maintenir la demande globale réelle malgré les compressions budgétaires supplémentaires.

Lorsque l'appareil sera installé, je vous montrerai certaines expériences que nous avons réalisées à l'aide de notre modèle pour vous expliquer l'importance de ce phénomène. Nous prenons pour hypothèse que vous tentez de réduire le rapport entre le déficit et le PIB; nous avons adopté un scénario de référence comportant des restrictions financières relativement modestes; il s'agit essentiellement de reporter les restrictions financières du budget de l'an dernier et le rapport dette/PIB sera ramené à 3 p. 100 l'an prochain, comme prévu, puis à 2,1 p. 100, à 1,5 p. 100, à 0,5 p. 100. De la sorte, il y aurait encore un déficit des comptes publics pour l'année financière 2000-2001, mais je dois ajouter que c'est normal en comptabilité de trésorerie et que le gouvernement n'aurait plus besoin d'emprunter.

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Nous avons procédé à certaines expériences où nous prenons pour hypothèse un resserrement de la politique financière - ce qui, à mon avis, serait approprié - où les cibles relatives au déficit se situent à 3 p. 100, 2 p. 100, 1 p. 100, et 0 p. 100 pour les comptes publics, puis nous avons examiné quelles réductions des dépenses seraient nécessaires selon diverses possibilités de réaction sur le plan de la politique monétaire. Les différences sont étonnantes. De toute évidence, si la politique monétaire sert à neutraliser les effets de la demande réelle, les compressions des dépenses nécessaires sont beaucoup moindres. Il n'y a aucune réaction de la politique monétaire, les compressions des dépenses sont beaucoup plus importantes. Dans le scénario moyen, si la banque considère littéralement qu'il lui suffit de neutraliser l'effet au niveau des prix, la situation reste stable. Je n'entrerai pas dans les détails des chiffres tant que nous n'aurons pas le rétroprojecteur.

Je veux faire quelques commentaires, brièvement, sur deux autres questions. Il s'agit de l'interaction entre la politique de gestion de la dette, la politique monétaire et la politique financière d'une part et ce que j'appellerais la combinaison de la politique financière et monétaire pour atteindre les objectifs.

Du côté de la gestion de la dette, comme je l'ai dit l'an dernier, il me semble que notre politique de gestion de la dette ne correspond pas du tout avec la stratégie financière et la politique monétaire maintenant l'inflation dans la fourchette de 1 à 3 p. 100. Nous payons des taux d'intérêt nominaux très élevés, en termes réels, sur la dette à long terme, et je crois qu'il serait bon que le gouvernement émette de nouveaux titres de créance indexée. Il faudra peut-être repenser certaines des caractéristiques des titres pour inciter les gens à s'en servir ailleurs que dans des comptes exonérés d'impôt.

Par ailleurs, je crois qu'il serait bon de discuter de l'interaction entre certaines mesures de politique fiscale et l'attente des cibles relatives au déficit. J'aimerais faire remarquer que certaines réductions d'impôt ont vraiment des effets notables du côté de l'offre. Je songe en premier lieu aux réductions des charges sociales. Nous avons effectué certains calculs en supposant de nouvelles réductions des taux de cotisation d'assurance-chômage et nous avons constaté qu'une combinaison de réductions des cotisations d'assurance-chômage et de réductions des dépenses pouvait effectivement nous permettre d'atteindre les objectifs de réduction du déficit en produisant des effets positifs sur l'économie réelle. Il existe d'autres réductions fiscales qui pourraient avoir le même effet, entre autres des réductions de la TPS.

À mon avis, nous devrions nous tourner vers le domaine fiscal pour tenter d'accroître les recettes en apportant au système d'imposition des changements que l'on appelle inframarginaux. L'imposition des avantages sociaux des employés ou l'imposition des gains en capital des petites entreprises et des exploitations agricoles sont en grande partie des mesures inframarginales. Évitons autant que possible d'accroître le taux marginal d'imposition.

À mon avis, la réduction d'impôt prévue en Ontario n'est pas appropriée, parce qu'elle est d'application trop générale. C'est vrai, on réduit les taux marginaux d'imposition, mais on réduit aussi une grande partie des taux inframarginaux. Il serait sans doute possible d'obtenir les mêmes résultats en mettant l'accent sur la réduction des taux marginaux plutôt que sur des réductions aussi générales, très coûteuses, au niveau inframarginal.

Merci.

Le président: Merci, monsieur Wilson.

Finalement, nous allons entendre monsieur Laidler.

Professeur David Laidler (Département d'économie, Université Western Ontario): Merci, monsieur le président. J'ai moi aussi répondu brièvement par écrit aux questions que vous nous avez fait parvenir. Permettez-moi de parler rapidement du budget et de vous présenter une partie de mes réponses.

Le budget de l'an dernier m'a plu. Je me suis surtout réjoui de voir que des hypothèses très conservatrices étaient appliquées aux prévisions relatives au déficit, et qui permettaient de penser que les attentes seraient dépassées d'ici la fin de 1997. J'aimerais que l'on continue dans cette voie. À mon avis, il y a de fortes chances que le Québec se sépare du pays d'ici trois ans. La séparation entraînera une énorme crise financière, et je crois que le gouvernement du Canada a le devoir, vis-à-vis de tous les habitants du Canada, y compris ceux du Québec, de rétablir autant que possible sa situation financière de façon à réduire au minimum les conséquences d'une séparation du Québec qui me semble très probable.

.1610

Passons à la politique monétaire. Les deux premières questions portaient sur le passé. J'ai répondu par écrit. Parlons maintenant de l'avenir.

Je crois toujours que la politique monétaire devrait servir à définir une fourchette à l'intérieur de laquelle le taux d'inflation devrait se situer. À cet égard, Bennett McCallum utilise le terme «négligeable».

Je crois que l'intervalle fixé devrait être assez large et que la période retenue pour les calculs de la moyenne devrait être plutôt longue, afin de pouvoir absorber les perturbations réelles susceptibles d'avoir des effets préjudiciables sur le revenu réel et sur l'emploi.

Je ne préconise pas que la politique monétaire soit appliquée de façon plus fine au court terme.

Lorsqu'on parle de régler les problèmes financiers au moyen de la politique monétaire, je tiens à faire deux mises en garde. Les problèmes financiers ne sont pas le genre de problèmes que l'on règle; ce sont des problèmes auxquels on fait face. La politique monétaire offre divers moyens de le faire.

L'inflation est un impôt, et on peut accroître les recettes de cette façon, en créant toutes sortes d'effets connexes néfastes. Je ne crois pas beaucoup à l'utilité d'une politique d'expansion monétaire pour réduire le coût de la dette. Je ne crois pas que cela donnerait les résultats voulus. Tout ce que la Banque du Canada peut faire pour réduire les taux d'intérêt nominaux, c'est d'établir la crédibilité d'une inflation négligeable. Nous avons constaté certains progrès à cet égard au cours de la dernière année.

J'oserais dire qu'une politique d'expansion monétaire vraiment dynamique pourrait entraîner une chute des taux d'intérêt réels à long terme pendant quelques mois. Elle réveillerait aussi de fortes craintes au sujet de l'inflation. Je ne sais pas ce qui se produirait dans le cas des taux d'intérêt nominaux, nets, même à court terme. À long terme, j'en mettrais ma main d'économiste au feu, les taux d'intérêt augmenteraient et la politique n'aurait aucun résultat. Évidemment, la crédibilité de la Banque du Canada serait balayée.

La dernière question porte sur l'harmonisation de la politique monétaire avec la politique financière. Je crois que cette idée est mal exprimée. Lorsque je songe à l'harmonisation de la politique monétaire avec la politique financière, j'imagine que la politique monétaire adopterait la même orientation. Mais si les déficits diminuent, je ne veux pas que les taux d'intérêt demeurent élevés et que le taux de change soit soutenu par la Banque du Canada. Si la Banque du Canada conserve d'une inflation négligeable comme objectif à moyen terme, les marchés réagiront automatiquement à une politique de contraction budgétaire par un assouplissement des taux d'intérêt et, peut-être du taux de change. J'aimerais qu'on laisse les choses se dérouler de cette façon. On pourrait peut-être même l'encourager.

J'ajouterais encore une chose en réponse à la première question qui m'a été adressée. Je n'aime pas beaucoup le cadre tactique dans lequel agit la Banque du Canada. Je n'aime pas l'indice de la conjoncture monétaire comme objectif opérationnel. La banque hésite alors trop à laisser aller le taux de change lorsque le marché l'entraîne vers le bas.

Je ne suis pas non plus enthousiasmé par la deuxième étape dans cet enchaînement, parce que je crois qu'elle met trop fortement l'accent sur le taux de chômage comme variable intermédiaire entre ce que la Banque du Canada contrôle et le taux d'inflation. Je maintiens donc toujours que les agrégats monétaires doivent tenir une plus large place dans la tactique de la politique monétaire.

Le président: Nous espérions un peu que les opinions seraient unanimes. Mais nous ne sommes pas étonnés qu'il y ait si peu d'unanimité autour de cette table. Nous avons entendu quelques points de vue importants, certains d'entre vous appuient une politique monétaire raisonnablement stricte, d'autres affirment que ce que les mesures prises par la Banque du Canada par le passé et suivies encore aujourd'hui nous font beaucoup de tort dans la situation actuelle.

Est-ce que vous désirez débattre de ces questions entre vous avant que nous passions aux questions du comité?

Monsieur McCracken.

M. McCracken: J'essayais de faire le point. Est-ce que les personnes qui pensent que la Banque du Canada devrait appliquer une politique encore plus stricte qu'à l'heure actuelle peuvent s'identifier?

Le président: Ou stricte, en tout cas. À mon avis, M. Neufeld appuie essentiellement la position actuelle de la Banque du Canada. Il ne lui a pas reproché d'être allée trop loin, j'en suis certain.

M. Neufeld: Monsieur le président, ce que vous dites est vrai, mais cela ne signifie pas que la banque ne devrait pas être plus stricte. En fait, je crois qu'à l'heure actuelle, comme je l'ai dit précédemment, il n'y a que 36 points de base entre les taux d'intérêt canadiens et les taux d'intérêt américains dans le secteur que la Banque du Canada peut effectivement contrôler. Par conséquent, grâce à l'intervention de la banque mais aussi grâce au mécanisme du marché, il y a déjà eu une large mesure d'assouplissement.

.1615

À partir de là - et c'est un aspect dont on n'a pas encore parlé - si la banque voulait aller plus loin, il faudrait que les marchés conviennent qu'elle est sur la bonne voie. Si les marchés exercent plutôt ces jours-ci des pressions à la baisse sur les taux, je crois que la banque ne devrait pas essayer de contrer leur influence. Elle devrait être satisfaite de cette évolution. Mais si on voulait faire plus et porter les taux à court terme du Canada à des niveaux que le marché juge absolument impossibles à soutenir, on obtiendrait ce qui s'est produit en janvier 1990, lorsque la banque a tenté de réduire les tranches d'un quart de un pour cent, pas plus. Le marché n'était pas d'accord, et en une semaine nous faisions face à une mini-crise du change. Les taux d'intérêt ont dépassé les niveaux où ils étaient lorsque la banque a voulu les réduire.

C'est donc un secteur très sensible dans lequel, à mon avis, il conviendrait de reconnaître que la banque n'a guère de marge de manoeuvre pour modifier les taux d'intérêt.

Le président: Permettez-moi de vous rappeler que Duncan Cameron a affirmé que la Banque du Canada ne devrait jamais intervenir sur le marché des obligations pour faire baisser les taux.

Monsieur Cameron.

M. Cameron: Il faut examiner l'écart historique des taux d'intérêt réels au Canada entre 1981 et 1994; cet écart était de 6 p. 100 pour le court terme; nous avons eu en moyenne des taux d'intérêt réels de 6 p. 100. Par comparaison, ces taux étaient de 1 p. 100 entre 1950 et 1980. Par conséquent, la situation a beaucoup évolué. Notre taux d'intérêt est élevé sur le marché des obligations parce que nous prévoyions une forte inflation. Mais l'inflation est demeurée très faible, et il y a de bonnes raisons de croire qu'il continuera d'en être ainsi parce que nous sommes en situation de déflation.

Je crois que les attentes sur le marché des obligations reposent sur l'anticipation d'une politique monétaire stricte. Si vous assouplissez la politique monétaire, vous ferez migrer les fonds dans le secteur à long terme du marché, ce qui évidemment ferait baisser les taux d'intérêt.

Je crois que le gouvernement devrait indiquer qu'il est conscient du coût du crédit pour les Canadiens, qu'il s'inquiète du coût du service de la dette de l'État et que c'est un problème réel, qu'il s'inquiète du taux de chômage et de ses conséquences pour la croissance économique, qu'il s'inquiète du coût du fort taux de chômage actuel qui s'élève à environ 100 milliards de dollars par année.

La politique du gouvernement est actuellement de réduire les salaires. C'est la politique...

Le président: Je suis désolé, mais nous parlions de la Banque du Canada.

M. Cameron: Mais la réduction des salaires est une conséquence de ce que la Banque du Canada définit comme un problème structurel lié au TCIS. Si le gouvernement passe à l'action parce que la Banque du Canada prétend que le TCIS maintient le chômage, je crois que le gouvernement devrait dire à la Banque du Canada qu'il a fait ce qu'on lui demandait de faire, qu'il a l'intention de réduire les salaires au Canada et qu'il veut que les taux d'intérêt diminuent eux aussi.

Le président: Monsieur Laidler.

M. Laidler: Examinons quelques faits. L'obligation à rendement réel produit actuellement un peu plus de 4,5 p. 100. C'est l'obligation à rendement nominal qui s'en rapproche le plus sur le plan de l'échéance, je crois, et donne un peu plus de 3 p. 100 de plus par année. Le marché obligataire s'attend à long terme à un taux d'inflation d'environ 3 p. 100 jusqu'à l'an 2021, c'est-à-dire le haut de l'intervalle cible actuel, même si on ne tient pas compte de la prime d'assurance qui s'y rattache.

Après vous avoir cité ces chiffres, je me contenterai d'appuyer ce que Tom Wilson proposait. Je crois que tout indique que le gouvernement devrait émettre plus de titres s'il se soucie de réduire ses coûts de financement.

Le président: Merci.

Monsieur Boreham, vous n'aimez certainement pas ce que la Banque du Canada fait depuis huit ans.

M. Boreham: Si je me suis exprimé comme je l'ai fait, c'est que j'enseigne l'économie depuis près de 40 ans. Au début d'un cours sur la monnaie et le secteur bancaire ou sur la macroéconomie, vous exposez en général les objectifs macroéconomiques du Canada depuis le préambule de la Loi sur la Banque du Canada, qui date de 1934, en passant par le Livre blanc de 1945 sur l'emploi et le revenu. J'ai pensé qu'il était généralement admis maintenant que les objectifs macroéconomiques du Canada étaient la croissance économique, un niveau d'emploi élevé et stable, une stabilité raisonnable des prix, une balance des paiements internationaux réalistes et une distribution équitable de revenus en croissance. J'ignorais que le gouvernement du Canada avait modifié ses objectifs macroéconomiques, même si au fil des ans la priorité relative de ses objectifs a pu être changée. N'est-il pas normal de penser que la Banque du Canada devrait respecter ses objectifs, adopter une approche équilibrée?

.1620

Le président: Merci.

Monsieur Jordan Grant, vous avez levé la main.

M. Jordan Grant: On a demandé si la Banque du Canada pouvait influer ou pas sur les taux d'intérêt. Nous vous avons remis l'an dernier, mais c'est trop tard pour que le comité puisse en prendre connaissance, un document dont je vous ai remis un sommaire d'un page aujourd'hui. J'ai déposé le document complet auprès du greffier. Ce document porte justement sur cette question.

Lorsque nous parlons de la question de l'influence de la Banque du Canada, il faut tenir compte du court terme et du long terme. Mais premièrement, voyons d'abord ce que devraient être les taux d'intérêt. Ne pensons pas pour l'instant à la façon d'y parvenir, définissons simplement ce qu'ils devraient être.

Je crois que la majorité des gens conviendrait que pour pouvoir soutenir le système financier et les déficits, le taux d'intérêt moyen devrait se situer un peu en deçà du taux de croissance potentiel de l'économie. Au cours de la période allant des années quarante au milieu des années soixante-dix, les taux d'intérêt réels à court terme étaient d'environ 1 p. 100 et les taux à long terme étaient d'environ 3 p. 100. Nous avions une plus forte croissance de l'économie. Nous avions un système durable. Les dettes ne progressaient pas plus rapidement que l'économie.

Si nous parlons d'objectif, nous devrions étudier la façon de ramener les taux d'intérêt à un niveau soutenable.

Le président: Comment pouvons-nous y parvenir rapidement?

M. Jordan Grant: Nous ne pouvons le faire rapidement.

Le président: Comment pouvons-nous y parvenir?

M. Jordan Grant: À court terme, la Banque du Canada peut très bien adopter une stratégie très similaire à ce qu'elle avait choisi en 1993. En 1993, la politique monétaire était relativement souple. Par conséquent, la valeur du dollar baissait. Nos marchés financiers sont tellement liés...

Le président: Pouvez-vous simplement nous expliquer rapidement comment réduire les taux d'intérêt?

M. Jordan Grant: À court terme, la Banque du Canada peut réduire à zéro l'écart entre les taux canadiens et américains, peut-être même porter notre taux d'intérêt en deçà de celui des États-Unis. Je ne parle pas du taux nominal.

Le président: D'accord. Nous avons déjà entendu cela.

M. Jordan Grant: À long terme, la seule façon pour la Banque du Canada d'influer sur les taux d'intérêt à long terme est d'intervenir plus vigoureusement sur les marchés de la dette.

Le président: Merci.

Tom Wilson, êtes-vous d'accord avec ce raisonnement?

M. Wilson: Monsieur le président, j'étais sorti. Sur quelle question portait la discussion?

Le président: Je vais vous expliquer. À court terme, la Banque du Canada devrait intervenir pour ramener nos taux au niveau des taux américains ou même en deçà, et à long terme nous aurons l'occasion de réduire aussi nos taux, par l'entremise de la Banque du Canada.

M. Wilson: Je préconiserais un certain assouplissement de la politique monétaire dans les conditions actuelles. Les perspectives ne sont pas tellement bonnes. L'économie est plutôt languissante.

Je croyais que la discussion aujourd'hui porterait surtout sur l'interaction de la politique monétaire et de la politique fiscale, non pas sur la politique monétaire elle-même. Il me semble que dans le contexte de restrictions financières supplémentaires, nous le voyons en Ontario à l'heure actuelle. Nous, au centre de la table, nous croyons que c'est très radical. Je dirais que les compressions viennent des restrictions supplémentaires au niveau fédéral. Je crois qu'il est tout à fait approprié que la politique monétaire tienne compte de ces facteurs et je souhaite que l'on tente de maintenir la croissance de la demande globale nominale.

À mon avis, nous ne risquons pas de dépasser le plafond de 3 p. 100 dans la fourchette de 1 à 3 p. 100. Si je reviens à certains des commentaires entendus aujourd'hui, je ne crois pas que la Banque du Canada puisse influer sur l'écart entre le taux d'intérêt réel et le taux de croissance potentiel. Cela s'est produit partout dans le monde.

Vers 1980, un changement fondamental s'est produit. Avant cette époque, les taux d'intérêt réels étaient souvent inférieurs aux taux de croissance réelle. Après 1980, à l'exception des taux de croissance extrêmement élevés des pays asiatiques de l'Extrême-Orient, les taux d'intérêt réels ont surpassé les taux de croissance réels. Vous le savez, ce phénomène a bouleversé les données de la politique fiscale. Je ne crois pas que la Banque du Canada puisse faire quoi que ce soit.

Le président: Tom Rymes.

M. Rymes: Très brièvement, je voulais simplement affirmer que la Banque du Canada n'est peut-être pas en mesure d'influer sur les taux d'intérêt réels. Je crois que bien des choses l'indiquent. Ce que la Banque du Canada peut faire, c'est d'influer sur le coût des services bancaires. C'est en ce sens que la Banque du Canada applique actuellement sa politique monétaire. En attribuant aux banques des soldes de règlement excédentaires ou négatifs, la banque influe sur l'écart entre les taux d'intérêt et c'est cet écart qui représente le prix des services bancaires.

.1625

La Banque du Canada peut donc influer sur le taux de croissance de la contribution des banques à l'économie canadienne, sur les services intermédiaires financiers en général, ce qui constitue des contributions intermédiaires à la production de l'ensemble de l'économie.

J'insisterais sur l'influence que la Banque du Canada peut exercer sur le taux de croissance réel du système bancaire en tant qu'objectif principal de la politique monétaire aujourd'hui.

Le président: John Grant, de quel côté penchez-vous?

M. John Grant: À mon avis, les taux d'intérêt réels sont élevés dans le monde entier en partie parce qu'on considère qu'à l'échelle mondiale, les investissements dans le secteur de la production ont de forts rendements, et c'est une bonne raison, une raison constructive.

La seconde raison est une mauvaise raison, c'est parce que nous avons d'énormes déficits financiers au Canada et aux États-Unis notamment, et ces déficits font hésiter les gestionnaires de fonds à détenir une part croissante de notre dette.

Dans ce contexte, où la banque n'exerce aucune influence directe, je crois que les tentatives qui visent à abaisser les taux d'intérêt réels à court terme au Canada sont faites au risque de voir le taux de change réel suivre rapidement.

La banque peut se sentir moins sûre de sa capacité de gérer la situation monétaire qui en résulterait, mais je ferais personnellement confiance à sa compétence technique dans ce domaine.

Si l'on tente de gérer la demande globale dans son ensemble, on ne peut faire porter tous ses efforts sur l'assouplissement des taux réels à court terme. On doit constamment se préoccuper des effets sur le taux de change réel.

[Français]

M. Loubier (Saint-Hyacinthe - Bagot): Lors du dépôt de son dernier rapport, le gouverneur de la Banque du Canada disait que si la Banque du Canada avait pu estimer l'ampleur du ralentissement de l'économie et de la création d'emplois que nous avons connu au cours du dernier hiver et du printemps de cette année, elle aurait probablement géré autrement sa politique monétaire.

Je vous écoute depuis tout à l'heure; la moitié des économistes ici disent que la Banque du Canada n'a pas de pouvoir sur la conjoncture. Comment expliquer que le gouverneur de la Banque du Canada lui-même dise qu'il aurait agi autrement s'il avait prévu le ralentissement de l'hiver dernier et du printemps, quand vous dites que la Banque du Canada n'a pas d'influence sur la conjoncture et sur la création d'emplois? C'est là ma première question, monsieur le président.

[Traduction]

M. Laidler: Je n'affirmerais certainement pas que la Banque du Canada ne peut influer sur l'économie réelle ni sur la création d'emplois.

Je dirais que l'intervention de la Banque du Canada dans ces domaines est assujettie à des délais et à des incertitudes quantitatives suffisamment importants pour n'avoir guère d'effets positifs; mais si la Banque du Canada fait une erreur, alors effectivement la Banque du Canada peut faire du tort.

Lorsque j'ai comparu à peu près à la même époque l'an dernier, j'ai souligné que la tendance du taux de croissance de l'agrégat M1 indiquait un ralentissement de l'économie et que je craignais un peu que la Banque du Canada ne fasse une erreur tactique en politique monétaire.

Je crois que la Banque du Canada a fait une erreur tactique en politique monétaire, et je crois que c'est parce qu'elle a accordé trop d'attention au taux de change et pas assez d'attention aux agrégats monétaires.

[Français]

M. Cameron: Monsieur Loubier, comme vous, j'ai suivi l'évolution de la politique monétaire de la Banque du Canada. Moi aussi, j'ai été surpris du fait que la Banque ait à toutes fins utiles abandonné le contrôle de base sur la masse monétaire qu'elle exerçait auparavant au moyen des réserves obligatoires tenues par les banques, et qu'elle ait en fin de compte dit aux banques commerciales qu'elles n'avaient plus besoin de faire ces dépôts. C'est une sorte de cadeau qu'on a fait au système bancaire.

Lorsque j'ai demandé à M. Bernard Bonin comment on comptait contrôler les taux d'intérêt, il m'a dit qu'on avait tous les moyens nécessaires pour contrôler les taux d'intérêt à court terme par le mécanisme que M. Neufeld a identifié. C'est-à-dire qu'à chaque jour, à 17 h, ils établissent le niveau des dépôts du gouvernement fédéral auprès du système bancaire. Ils changent alors le taux auquel ils prêtent aux marchés financiers. Avec son influence sur les ventes des titres hebdomadaires, si la Banque du Canada décide de devenir acquéreur des titres du gouvernement du Canada...

.1630

Actuellement, la Banque du Canada a décidé de n'accorder aucun crédit, ni au gouvernement provincial, ce qui est dans son mandat et qu'elle a fait dans le passé, ni au gouvernement fédéral. Elle finance uniquement la circulation des billets de banque, rien d'autre.

Donc, le total de la dette détenue par la Banque du Canada est tombé de 25 p. 100 du total à environ 4 ou 5 p. 100.

Le président: Merci, monsieur Cameron, de votre suggestion.

M. Neufeld: Monsieur Loubier, je suis d'accord sur ce que M. le professeur Laidler a dit. C'est sûr que la Banque du Canada n'est pas impuissante, mais dans quel domaine a-t-elle du pouvoir? Pour contrôler l'inflation, mais non pour contrôler la masse monétaire à long terme. Ce pouvoir peut contribuer énormément à contrôler les taux d'intérêt à long terme parce que ceux-ci suivent le taux d'inflation.

Il y a sûrement eu des périodes où la Banque du Canada a fait des erreurs, mais c'est drôlement difficile. Je pense qu'il n'y a pas un seul économiste autour de cette table qui n'ait jamais fait d'erreurs dans ses prévisions économiques.

Le président: C'est vrai.

M. Loubier: Je me rappelle.

M. Neufeld: Oui, et quand on fait une erreur de prévisions, on en fait sûrement une dans la mise en application des politiques monétaires. Peut-être peut-on la corriger rapidement, mais il est impossible de croire que la Banque du Canada ne fera jamais d'erreurs.

M. Loubier: Revenons à ce que vous venez de dire, monsieur Neufeld, et à ce qu'a ditM. Laidler plus tôt, à savoir qu'il pourrait être dangereux pour la Banque du Canada de se livrer à certaines manoeuvres. Mais se pourrait-il que la Banque du Canada, au cours des huit dernières années, c'est-à-dire l'horizon proposé par M. Boreham tout à l'heure, ait adopté une attitude dangereuse face à l'économie canadienne et face aux marchés de l'emploi, en particulier? Se pourrait-il qu'elle soit un petit peu responsable de la situation que nous connaissons depuis trois trimestres au Canada, soit une création nette d'emplois égale à zéro?

Je reviens aux paroles que M. Thiessen formulait dans son rapport. Il disait que s'il avait pu prévoir un peu plus l'ampleur du ralentissement de l'hiver et du printemps derniers, il aurait agi autrement. Se pourrait-il qu'en faisant une lutte obsessive, sinon obsessionnelle, et excessive à l'inflation, à partir des taux d'intérêt réels à court terme, la Banque du Canada ait contribué à la non-relance de l'économie? C'est qu'il y a danger des deux côtés; si vous posez des gestes dans un sens, il y a des risques, car il y a toujours des risques, mais si vous n'en posez pas dans l'autre sens, il y a des risques que la reprise économique ne soit pas aussi intense qu'elle aurait dû l'être depuis à peu près trois ans et demi.

M. Neufeld: Je pense, monsieur Loubier, que la Banque du Canada n'a pas accordé trop d'importance au contrôle de l'inflation. Après tout, dans le moment, le taux d'inflation est entre 1 et 3 p. 100, ce qui est le taux cible accepté par le gouvernement du Canada et par la Banque du Canada. Mais c'est vrai que quand elle fait une erreur, et elle en a fait une il y a des mois, c'est une erreur en rapport avec ce qu'il faut faire pour atteindre les objectifs visés. Pendant une période de quelques mois, la politique monétaire a été trop serrée. Ensuite la Banque a corrigé la situation. Elle l'a corrigée parce que ses mauvaises prévisions allaient causer des problèmes quant au taux d'inflation.

[Traduction]

Le président: Monsieur Grant.

M. John Grant: Je crois, a posteriori, que nous pouvons tous faire des erreurs. Le secteur privé en fait, la banque en fait, la politique financière n'est pas non plus absolument juste.

.1635

Je crois qu'il faut en tirer les conclusions qui s'imposent. D'une part, nous avons besoin d'une planification axée sur le long terme dans le cadre de laquelle les mesures monétaires et financières sont délibérément juxtaposées et harmonisées au moins ex ante, de sorte que lorsque les perturbations aléatoires et les résultats inévitables d'attentes erronées sont définis, il existe un plan dans lequel inscrire la réponse.

Je crois, en rétrospective, que les tristes événements des années quatre-vingt sont autant le reflet des attentes mal placées des gestionnaires financiers que de celles des responsables de la gestion monétaire. De fait, le secteur privé s'est torpillé à la fin des années quatre-vingt parce qu'il attendait des changements du prix des avoirs et des taux d'inflation, attentes qui ne se sont jamais concrétisées.

Je le répète, je crois qu'en matière de politique monétaire et fiscale, il faut surtout fixer une vaste stratégie pour le moyen et le long terme et bien préciser à l'intention du secteur privé ce qu'il est raisonnable d'espérer.

M. Grubel (Capilano - Howe Sound): Je suis désolé, j'étais en retard, il fallait que je sois à la Chambre.

J'ai l'impression que les personnes qui croient que la Banque du Canada a beaucoup de latitude pour régler la politique monétaire ne se sont pas rendu compte de deux phénomènes fondamentaux qui se sont produits depuis les années quatre-vingt. Le premier est l'intégration totale du marché international des capitaux.

Il y a des billions de dollars qui circulent dans le monde. Si un pays décide tout à coup qu'il veut offrir à ses créditeurs un rendement beaucoup moins important que tous les autres emprunteurs, pourquoi ces gestionnaires avisés du marché mondial d'aujourd'hui seraient-ils disposés à lui prêter de l'argent? Je ne comprends pas. C'était peut-être possible dans les années soixante et soixante-dix, mais comment cela pourrait-il être en 1995? Vraiment, je ne comprends pas.

Deuxièmement, je ne saisis pas, dans l'analyse de ceux qui croient que l'on peut jouer avec la politique monétaire et les taux d'intérêt comme dans les années cinquante et soixante, comment il se fait que nous souffrions maintenant d'une pénurie de capitaux. Je crois qu'à long terme, pour ce qui est de la circulation de l'argent, la demande et l'offre d'épargne est ce qui détermine le taux d'intérêt.

Aujourd'hui, dans le monde, plus que jamais auparavant et certainement plus que depuis la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements ont besoin de l'épargne des particuliers et cette demande doit être à la fois satisfaite et contrôlée d'une façon ou d'une autre, mais les taux d'intérêt élevés ainsi créés étouffent la demande privée. Par conséquent, j'aimerais dire à ceux qui croient que ces facteurs n'entrent pas en ligne de compte que la Banque du Canada peut simplement les... Je ne comprends vraiment pas comment cela peut être.

Enfin, d'après le modèle que j'ai présenté, je crois que nous sommes incapables de modifier d'une façon ou d'une autre les taux d'intérêt à long terme, qui sont très importants pour l'investissement, si ce n'est l'écart entre nos taux d'intérêt et le taux d'intérêt mondial qui est d'ailleurs une notion assez floue. Cet écart est bien sûr la prime de risque qu'exigent les investisseurs conscients du fait qu'il arrive qu'un gouvernement écoute le chant des sirènes, qu'il écoute ceux qui affirment qu'il suffit de presser le bouton de la politique monétaire pour régler les problèmes financiers, qu'il est inutile de se soucier de l'inflation et du taux de change.

C'est justement là que nous pouvons faire quelque chose. C'est à cet égard que le gouvernement peut agir, c'est-à-dire qu'il doit remettre ses finances en ordre et réduire cet écart, et pour le reste espérer que les Américains, les Japonais et les Allemands feront la même chose. De la sorte, nous reviendrons peut-être à la situation dans laquelle nous étions dans les années 1970.

C'était là un exposé fort général, et je serais heureux d'entendre ce que vous en pensez.

Le président: Je sais que Duncan Cameron n'est pas d'accord avec vous.

M. Cameron: Lorsque j'ai commencé ma thèse de doctorat sur le système monétaire international, un des premiers ouvrages que j'ai lus était celui que vous avez publié chez Penguin à ce sujet. J'ai été surpris de constater à quel point vos opinions avaient changé.

M. Grubel: Elles n'ont pas changé, j'en ai bien peur.

M. Cameron: On invoque la mondialisation - c'est parce que nous avons décidé de nous distinguer du reste du monde en matière de taux d'intérêt. C'est parce que nous avons augmenté nos taux d'intérêt de 5 ou 6 points par rapport aux taux américains que nous avons attiré des investisseurs du monde entier.

Wynne Plumtre a étudié l'économie canadienne dans les années trente et il a déclaré qu'il n'y avait qu'une règle: il ne faut pas que le crédit s'écarte de ce qui se fait à l'échelle internationale. Lorsque nous avons décidé de nous distinguer de la sorte pour combattre l'inflation, nous nous sommes retrouvés en mauvaise posture financière.

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Nous prétendons que nous devrions ramener les taux d'intérêt à 1 p. 100 au-dessus ou au-dessous des taux américains à court terme; pour nous aligner sur les taux internationaux, ne pas nous distinguer de ce qui se fait ailleurs. Nous modifierions ainsi notablement la structure de nos taux d'intérêt.

Deuxièmement, vous mentionnez le taux d'épargne. Tom Wilson peut peut-être nous dire si les disciples de Keynes croient encore que le taux d'épargne est fonction du taux d'investissement. Si vous examinez le taux interne de rendement au Canada, vous constaterez d'après mes commentaires, que les Canadiens, dans la mesure où ils investissent, investissent à l'étranger. C'est en partie parce que les taux d'intérêt y sont plus élevés.

Si vous êtes un monétariste, comme le bon frère Laidler, et que vous examinez les chiffres de M2, vous constaterez qu'en 1992 notre croissance s'établissait à environ 5 p. 100, qu'elle est tombée à 3,8 p. 100, puis à 2,2 p. 100. Nous resserrons donc notre politique monétaire. Je ne sais pas quel sera le retard, mais une récession se prépare, à en croire les monétaristes. Si vous êtes un tenant de la théorie keynésienne, en réduisant les dépenses du gouvernement et en tentant d'équilibrer le budget pendant une récession, nous nous dirigeons droit vers d'autres difficultés économiques. Je crois donc que l'unanimité entre les économistes ici présents est plus grande qu'on ne pourrait le croire de prime abord.

Le président: Mike McCracken.

M. McCracken: Je voudrais faire deux ou trois commentaires.

Je crois que la notion d'intégration des marchés des capitaux peut être élargie à l'excès, surtout si l'on ajoute à ces transactions le concept de risque de change. Il peut aussi y avoir des non-liquidités. Les traitements fiscaux peuvent varier.

Aujourd'hui que l'on parle en termes nominaux ou en termes réels, il existe toute une gamme de taux d'intérêt dans le monde. Le Canada se situe à l'extrémité où les taux d'intérêt réels sont les plus élevés. Le Japon est à l'extrémité opposée. Si, comme vous le dites, la différence s'expliquait en partie par une prime de risque, on pourrait penser qu'avec un système financier au point de surchauffe et un gouvernement pratiquement inopérant, le Japon paierait une prime de risque beaucoup plus élevée qu'à l'heure actuelle.

Nous avons donc une grande marge de manoeuvre. Lorsque les gens commentent l'impuissance d'un certain groupe, ou les possibilités de s'écarter d'une situation donnée, ils supposent toujours, même s'ils le mentionnent rarement, que nous ne pouvons rien changer sans modifier quelque chose d'autre. Par exemple, il est sous-entendu que nous ne pouvons modifier les taux d'intérêt sans influer aussi sur le taux de change, ou sans avoir à renoncer à un quelconque objectif.

Pourtant, nous pouvons modifier les taux d'intérêt. Nous l'avons souvent fait sur une base hebdomadaire. Nous pouvons modifier les taux d'intérêt à long terme si nous souhaitons intervenir sur le marché à long terme. Nous pouvons changer les taux réels si nous voulons intervenir sur le marché réel. Il s'agit de savoir si nous allons le faire ou pas. Il est certain que ces taux ont fluctué, et qu'ils ont fluctué sous l'influence de la politique comme sous celle de perturbations externes.

Je ne crois donc pas que nous devions croire qu'il existe quelque part un marché au fonctionnement parfait qui émet les signaux appropriés partout et en tout temps et que la politique monétaire est totalement incapable d'en faire autant. Si vous croyez vraiment qu'il existe un tel manque, vous devriez exercer des pressions pour que le Canada adopte la monnaie américaine...

M. Grubel: Je le fais.

M. McCracken: Vraiment? Très bien. Dans ce cas, suivez le guide. Vous préférez donc la politique monétaire américaine à la nôtre. Elle est plus logique, à votre avis. C'est une autre façon de faire baisser les taux d'intérêt...

M. Grubel: Si nous voulons...

M. McCracken: En outre, votre travail serait beaucoup plus facile. Vous pourriez simplement adopter le dollar américain.

M. Grubel: Je crois que nous vivons dans un monde intégré et que, par conséquent, nous ferions aussi bien de nous faire entendre au conseil d'administration plutôt que de suivre simplement le mouvement. Mais c'est une autre question.

M. McCracken: Vous créeriez aussi un district de la réserve fédérale?

M. Grubel: Nous nous écartons du sujet. C'est une opinion très personnelle. Ce n'est pas nécessairement celle de mon parti. Je dois être très prudent à cet égard. Je tiens à préciser que je parle en mon nom et non pas en celui du parti.

M. McCracken: Vous vous fondez pourtant sur un cadre analytique.

M. Grubel: Michael, vous dites que le monde n'est pas intégré. Notre situation actuelle s'explique pourtant par certaines raisons. Supposons que la Banque du Canada décide demain non seulement de prendre des mesures mais encore de dire qu'elle est maintenant disposée à réduire les taux d'intérêt en augmentant le M1 et en veillant à ce que le taux d'intérêt demeure bas.

Disons que vous gérez un fonds chez Oppenheimer ou ailleurs, que vous avez des billions de dollars à investir. Vous avez acheté des obligations canadiennes; vous continuez d'en acheter simplement parce que le taux d'intérêt vous convient. Vous apprenez que la Banque du Canada va réduire demain le taux d'intérêt qu'elle accorde sur les fonds canadiens. Est-ce qu'elle devra vous dire, à titre de gestionnaire de fonds, «Ne vous en faites pas, à long terme cela n'a pas d'importance»? Ne direz-vous pas plutôt «Non, je ne veux pas conserver ces obligations canadiennes qui ont maintenant un rendement plus faible, je vais acheter des obligations allemandes ou japonaises»? Expliquez-moi ça.

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M. McCracken: Herb, ne dites pas de sottises; vous savez bien que les choses ne fonctionnent pas comme ça. Lorsque le taux baisse, on se retrouve avec des investissements en dollars canadiens et on se demande quoi faire. On se demande si les taux d'intérêt vont diminuer encore - auquel cas on vend. Si les taux ont déjà diminué, on en prend son parti et on garde les titres parce que c'est la seule façon de regagner un jour le terrain perdu. Je ne propose pas que nous mettions une annonce dans The Wall Street Journal pour dire que le pays a l'intention de réduire les taux d'intérêt. Mais nous pouvons très certainement réduire ces taux.

M. Grubel: Mais ce ne sont que les investisseurs...

M. McCracken: Si les responsables de la banque ne savent pas comment le faire, je serais très heureux de leur montrer.

M. Grubel: Ce ne sont que les investisseurs canadiens qui doivent être visés, par les investisseurs étrangers. Il faut faire la distinction.

M. McCracken: N'importe qui peut modifier les taux d'intérêt. Ces investisseurs sont propriétaires d'instruments canadiens.

Le président: Je crois que M. Neufeld, M. Wilson and M. Laidler veulent intervenir rapidement sur cette question.

M. Wilson: Je veux faire une intervention à deux volets. Tout ce débat ne tient pas compte du fait que si vous êtes titulaire d'une obligation et que les taux d'intérêt fluctuent à la baisse, vous êtes très heureux de conserver vos titres parce qu'ils vous donnent un gain de capital. Il faudrait en tenir compte.

Le président: Puis il y a l'impôt sur les gains en capital - il faut payer.

Ed Neufeld.

Une voix: Non, plus personne ne paie cela. Vous le savez.

M. Neufeld: Je crois qu'il s'agit ici simplement de déterminer de quelle façon les marchés réagiront. Ce n'est pas du tout une discussion théorique.

Il y a eu deux ou trois cas qui ont clairement montré que, si la Banque du Canada désire baisser les taux, il lui est tout d'abord impossible de le cacher - les courtiers se tiennent constamment informés de tout ce qui se passe, si bien qu'il est impossible de cacher ce que fait la Banque du Canada. Si donc elle décide de baisser un taux alors que le marché juge que c'est absolument contraire à ce qui lui paraît convenir à la situation, sur les plans de l'économie, de l'incertitude politique ou du risque pour la cote de crédit du pays, entre autres choses, la décision aura un effet diamétralement opposé sur toute la gamme des taux d'intérêt.

Il ne s'agit pas là de commentaires théoriques, mais d'une observation du fonctionnement des marchés actuels. Cela nous ramène à ce que M. Grubel disait de l'intégration des marchés financiers. Les marchés sont en effet très intégrés. Quant à intervenir sur le marché des obligations à long terme quelle que soit la quantité d'obligations que la Banque du Canada peut lancer sur le marché, ce n'est qu'une goutte d'eau en comparaison du volume des obligations détenues par le secteur privé, non seulement au Canada mais à l'étranger. Nous avons vu cela se produire maintes fois - la banque intervient à court terme, et rien ne se passe à long terme parce qu'elle ne contrôle pas le long terme sauf en ce qui concerne la protection de la valeur réelle de la monnaie.

Le président: Je crois que M. Jordan Grant n'était pas d'accord avec vous sur ce point, tout à l'heure.

M. Jordan Grant: Considérons tout d'abord le contexte. Avec les taux à long terme fixés sur le marché international, les courtiers ne considèrent pas seulement les taux nominaux mais, ce qui est probablement la chose la plus importante, ils considèrent aussi les fluctuations probables du dollar car ils achètent et vendent chaque jour. Que le taux d'intérêt soit de 9 ou de 8 p. 100, ils gagneront toujours de l'argent, que le dollar monte ou non. Ils n'attendent pas pendant un an, ils ne gagnent pas leur 1 p. 100 en se cramponnant à ce qu'ils ont.

Si, comme M. McCracken le disait, les taux à court terme baissent, la réaction naturelle sur les marchés est, bien entendu, de vendre. Il y a un rajustement immédiat de la valeur du dollar canadien, rajustement qui se poursuit jusqu'au moment où les marchés estiment que le dollar canadien est sous-évalué.

En ce moment, les marchés considèrent que le dollar est surévalué. Il y a des gens comme Friedberg qui disent que la valeur réelle du dollar est de 65¢, et des personnes comme Laidler, du C.D. Howe Institute, qui estiment que la valeur réelle est d'environ 70¢. Quoi qu'il en soit, le déficit du compte courant continue d'être de 20 milliards de dollars par an. Lorsque les taux ont baissé, en 1993, ce déficit atteignant un chiffre record de 30 milliards de dollars par an. La baisse du taux d'intérêt et du taux de change a permis de réduire le déficit d'environ 10 milliards de dollars.

La politique qui consiste à maintenir des taux d'intérêt élevés pour continuer à attirer les capitaux étrangers nous condamne à assumer une dette étrangère à perpétuité. L'objectif du gouvernement devrait être de réduire notre dette étrangère à long terme. Cela signifie qu'il faut fixer des taux d'intérêt adaptés à l'économie canadienne et laisser les marchés établir un niveau raisonnable pour le dollar, c'est-à-dire le niveau qui permettra d'atteindre un équilibre du compte courant.

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Le président: Ne vous inquiétez pas des taux d'intérêt; faites-les baisser; laissez baisser le dollar. Peu importe à quel niveau il tombera.

David Laidler, je crois qu'on a invoqué votre nom en vain, ces derniers temps.

M. Laidler: Je dois remercier Duncan Cameron pour un coup de chapeau auquel je n'avais pas eu droit depuis l'époque où, étudiant, j'étais socialiste.

Je tiens à préciser que le M2 semble fort bien augmenter, et le M1 aussi. Je crois que notre politique monétaire est sur la bonne voie.

Je voudrais revenir à une remarque que j'ai faite au début. Il est tout à fait probable que dans trois ans notre pays se fractionnera ou qu'il y aura une transformation radicale de la Confédération. Tout cela s'accompagnera d'une très grande incertitude sur les marchés des capitaux internationaux. Nous aurons besoin de toute la crédibilité que nous pourrons assurer pour traverser cette période avec un minimum de dommages pour les Canadiens au Québec et hors du Québec.

Il est inconcevable que certaines personnes recommandent de compromettre la crédibilité de la Banque du Canada en ce moment en s'appuyant sur des théories qui, franchement, me paraissent bien peu fondées.

Dans la situation politique et fiscale actuelle de notre pays, il vaut mieux pécher par conservatisme. Les trois prochaines années vont être très périlleuses pour nous.

Le président: Monsieur Campbell.

M. Campbell (St. Paul's): Au cours de cette série de consultations préalables au budget, nous avons entendu beaucoup de témoins et nous savons tous combien il est difficile de déterminer la politique monétaire ainsi que le rôle et la capacité de la Banque du Canada.

On a déjà dit devant nous, ici et au cours de nos déplacements dans le pays, que les taux d'intérêt élevés sont responsables de l'énormité de la dette et du déficit du Canada. J'ai même entendu dire carrément que c'était uniquement la faute de ces taux d'intérêt élevés.

Pourtant, lorsque vous considérez l'évolution du déficit fédéral au cours des 25 dernières années, il est clair pour moi - je me demande si on peut ne pas être d'accord - que si les taux d'intérêt élevés peuvent avoir coïncidé avec notre déficit certaines années, et parfois même l'avoir aggravé, nous avons aussi manifestement été en déficit pendant la plus grande partie de la période allant du milieu des années soixante-dix au début des années quatre-vingt. Je crois donc que si l'on doit blâmer quelque chose pour notre situation actuelle - je ne parle pas des moyens de la résoudre - ce sont nos dépenses et non des taux d'intérêt élevés.

Quelqu'un a-t-il une opinion à ce sujet? Monsieur Neufeld?

M. Neufeld: Je ne crois certainement pas que nos problèmes financiers ont été causés ou aggravés par l'orientation générale de la politique monétaire. Cela fait abstraction de certaines des erreurs à court terme mentionnées tout à l'heure par M. Loubier.

L'impact de la politique monétaire sur la situation financière se fait sentir sur trois plans: l'inflation, les taux d'intérêt et la croissance réelle. Il faut passer en revue toute la liste des facteurs pour pouvoir dire l'impact que la politique monétaire a eu sur chacun de ces plans et la manière dont chacun d'eux influe sur la politique financière. J'ai essayé de le faire.

Par exemple, prenons l'inflation: selon une vue simpliste, lorsqu'un pays se trouve en difficulté, il suffit de dévaluer la monnaie. Vous remboursez alors en dollars dévalués, et cela vous coûte moins cher.

L'ennui, c'est que cela soulève deux ou trois problèmes. Le premier est que nous avons maintenant une dette à très court terme. Lorsqu'on essaye de recourir à l'inflation, les taux d'intérêt augmentent du jour au lendemain. Je ne pense donc pas que le gouvernement fédéral serait très heureux de recourir à l'inflation pour éliminer le problème du déficit.

L'inflation coûte aussi plus cher au gouvernement. Les salaires augmentent; les prix des produits aussi. Bien sûr, les recettes fiscales augmentent aussi mais l'indexation réduit - sans l'éliminer - le montant des recettes fiscales.

J'en ai donc conclu - et je résume - qu'en fait, l'inflation n'améliorera pas l'équilibre financier.

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Qu'en est-il des taux d'intérêt avec ce genre de politique? Si vous avez un marché, une dette à court terme et des taux d'intérêt qui montent très rapidement, il est évident que l'inflation ne vous aidera pas à contrôler les taux d'intérêt, alors qu'une faible inflation le fera, comme je l'ai déjà dit. Nous avons vu nos taux d'intérêt à court terme tomber de 12 ou 14 p. 100 à 6 p. 100 aujourd'hui. Cela représente d'énormes économies pour le gouvernement du Canada, comme d'ailleurs la tendance à la baisse des taux à long terme. La baisse est moins marquée, mais ces taux sont passés de 10 p. 100 à environ 7,5 p. 100 aujourd'hui.

Et la croissance réelle? C'est la grande question. Certains disent que l'inflation encourage la croissance. Je ne suis pas d'accord, mais je ne vois aucune statistique qui confirme que l'inflation favorise la croissance et n'accroît donc pas les recettes fiscales découlant du produit réel du pays. Je considère l'inflation, les taux d'intérêt ou la croissance réelle - les trois éléments qui devraient normalement se dégager d'une politique monétaire - je ne vois aucune raison de dire que cela aidera à résoudre le problème fiscal.

M. Campbell: Monsieur le président, d'autres personnes voulaient répondre à ma déclaration.

M. Wilson: À long terme, je ne pense pas que la politique monétaire puisse influer sur les taux d'intérêt réels. Je ne pense pas que le taux d'inflation ait tellement d'effet sur l'équilibre du gouvernement. À court terme, cependant, il a des effets, et je croyais que votre question portait plutôt sur le passé que sur l'avenir.

M. Campbell: Il ne s'agit pas de l'avenir. C'est du passé que je parle.

M. Wilson: Indiscutablement, le passage d'un environnement dans lequel le taux d'inflation attendu était de 4 ou 5 p. 100 à un environnement dans lequel il est de 2 p. 100, par exemple, a eu des effets transitoires qui ont aggravé nos problèmes financiers.

Un de ces effets transitoires a été qu'au cours de la période de durcissement économique, la récession a été plus profonde et plus longue. Cela a eu un effet négatif sur le budget du gouvernement et a accru le déficit. Le second effet transitoire a été que les détenteurs d'obligations à long terme absorbaient joyeusement la dette fédérale à des taux nominaux très élevés, si bien que lorsque l'inflation a diminué, il y a eu des gains exceptionnels pour ces détenteurs d'obligations. Par contre, cela s'est traduit par des pertes exceptionnelles pour les contribuables. Lorsque les détenteurs d'obligations sont outre-mer, le gain exceptionnel dont ils bénéficient devient, bien entendu, une perte exceptionnelle pour le pays. La période transitoire a donc des effets négatifs sur la politique financière.

En revanche, je suis d'accord avec Ed Neufeld. Nous ne devrions pas renverser la vapeur et favoriser l'inflation parce que nous avons d'autres raisons de vouloir l'endiguer. Nous voulons que l'inflation diminue. Je pense que nous devrions concentrer nos efforts sur... Je ne veux pas changer de sujet, mais j'aimerais vraiment que nous revenions à la question de l'interaction entre la politique monétaire et la politique financière. Je pense qu'il y a...

M. Campbell: J'ai une autre question à poser, monsieur le président, mais je crois queM. Cameron tenait également à répondre à ce que je viens de dire.

M. Cameron: Selon mes notes d'exposé, la dette nationale est passée de 330 milliards de dollars en 1988-1989 à 508 milliards de dollars en 1993-1994. Au cours de cette période, les recettes fiscales ont été supérieures aux dépenses. Il y a eu un excédent de fonctionnement de 21 milliards de dollars.

M. Campbell: Je parlais des déficits de fonctionnement et du milieu des années soixante-dix, époque à laquelle il n'y avait que des déficits, Monsieur Cameron.

M. Cameron: Le déficit de 300 milliards de dollars qu'ont gonflé les taux d'intérêt a été créé par un - j'hésite à le dire en votre présence, naturellement - gouvernement libéral qui a engagé une série de dépenses fiscales qui ont entraîné des pertes de recettes. Ces dépenses fiscales, par exemple, nous donnent un...

M. Campbell: Je ne parlais pas de l'origine du déficit de fonctionnement. Je disais simplement qu'il y a eu des déficits de fonctionnement à compter du début des années soixante-dix et jusqu'à la fin des années quarante, et que la dette a considérablement augmenté à cause de ces déficits. Nous pouvons bien sûr discuter des raisons pour lesquelles ces déficits se sont produits, mais c'est une autre question.

M. Cameron: Mais le déficit a augmenté parce que les taux d'intérêt étaient plus élevés que le taux de croissance économique. Si vous regardez les prévisions de M. Martin, vous constaterez que nous aurons besoin d'un excédent de fonctionnement de 60 milliards de dollars. Savez-vous l'effet que cela pourrait avoir sur notre économie - la déflation et les pertes d'emploi que cela va provoquer - si vous le faites?

M. Campbell: Permettez-moi de poser une brève question qui suscitera probablement plusieurs interventions immédiates, à moins qu'on en discute à la conclusion de la réunion si le temps nous manque.

L'an dernier et cette année, des témoins ont dit au comité que... Les gens cherchent une solution facile. Nous avons accumulé une dette globale et créé des déficits, et les gens voudraient maintenant qu'on règle le problème d'un coup de baguette magique et qu'on trouve des solutions originales qui n'ont peut-être été essayées dans aucun autre pays.

Nous avons beaucoup parlé de la Banque du Canada, cet après-midi. On nous a fréquemment répété que, pour régler le problème, il fallait que la Banque du Canada détienne une part plus importante de la dette de l'État. Nous pouvons certainement discuter de la manière de le faire, ce qui m'inspire d'ailleurs des doutes, mais ce qui me préoccupe c'est de savoir l'impact que cela aurait sur les aspects dont nous parlons maintenant, la valeur du dollar et les taux d'intérêt. On a discuté de la viabilité d'une solution qui consisterait à ce que la Banque du Canada détienne une part beaucoup plus importante de la dette de l'État qu'elle ne le fait actuellement, de ce qu'il faudrait faire pour cela, et de l'impact d'une telle solution.

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Le président: C'est ce que Duncan Cameron a proposé. Laissons-le donc répondre en quelques mots.

M. Cameron: Au lendemain de la guerre, la dette par habitant était le double de ce qu'elle est aujourd'hui, et la Banque du Canada avait financé une bonne partie de l'effort pendant la Seconde Guerre mondiale. Si nous croyons que le chômage est un problème, si nous croyons que le développement régional est un problème, nous pouvons prendre le risque que la Banque du Canada prête plus et que les banques privées prêtent moins.

M. Campbell: Comment procéder? Quel est l'impact sur le dollar et sur les taux d'intérêt, en fin de compte?

M. Cameron: Il est certain que cela aurait un impact à court terme sur la valeur du dollar.

M. Campbell: À la hausse ou à la baisse?

M. Cameron: À la baisse.

M. Campbell: De combien le dollar baisserait-il?

M. Cameron: Il continuerait à baisser jusqu'au moment où on considérerait qu'il est sous-évalué.

M. Campbell: Avec un dollar faible, quel serait l'impact sur les taux d'intérêt?

M. Cameron: Si l'État achetait des obligations par l'intermédiaire de la Banque du Canada, l'effet serait atténué. En fait, il serait inversé, si vous étiez prêts à procéder de cette manière. Je préférerais que l'État, par l'intermédiaire de la Banque du Canada, consente des prêts sans intérêt aux provinces.

Ma seconde remarque porte sur un effort d'accommodement. Si vous voulez réduire les dépenses, ce avec quoi je ne suis d'ailleurs pas d'accord, il faut en tenir compte dans la politique monétaire.

Le président: Merci.

David Laidler.

M. Laidler: Deux choses peuvent se produire. La Banque du Canada doit acheter la dette de l'État avec quelque chose, et elle le fera avec l'argent qu'elle imprime. Comme le passif de la Banque du Canada est un peu inférieur au déficit fédéral d'une année, cela aura un énorme effet sur le taux d'inflation. Il y aurait une expansion monétaire qui pourrait se traduire par un taux d'inflation de 100 p. 100 par an si l'on monétisait l'ensemble du déficit. Je doute que quiconque le recommande.

J'ai par contre vu des propositions voulant que les banques à charte et les chambres de compensation soient obligées d'établir des réserves et de maintenir de faibles taux d'intérêt pour la dette de l'État. Tout ce que je peux dire dans ce cas c'est que je suis très heureux de ne pas être le chef d'une petite entreprise qui va demander un prêt à une banque à charte, car si le gouvernement impose les conditions de son accès au crédit, l'argent doit venir d'autres emprunteurs, c'est-à-dire la petite entreprise, les consommateurs, etc. Il est impossible d'utiliser le système financier pour faire disparaître la dette.

Le président: Jordan Grant.

M. Jordan Grant: Pour faire cela, on procéderait comme dans presque tous les autres pays à l'exception du Canada, de la Suisse et de la Grande-Bretagne, c'est-à-dire que, pour commencer, on imposerait de nouvelles exigences en matière de réserve. Le Canada a eu des exigences dans ce domaine jusqu'à la modification de la Loi sur les banques, en 1991.

M. Grubel: Qu'exigeait-on? Cent pour cent, 50 p. 100?

M. Jordan Grant: Environ 10 à 12 p. 100 sur les comptes chèques et je crois que 3 p. 100 est l'exigence la plus récente pour les comptes d'épargne. Les banques n'ont guère apprécié cette exigence parce qu'elle constitue en fait un prêt sans intérêt à l'État et donc, un gain nul pour les banques. C'est essentiellement de l'argent que les réserves...

M. Campbell: Que faudrait-il faire pour avoir suffisamment d'argent pour acheter la dette?

M. Jordan Grant: Je ne pense pas que ce serait possible. Considérez la situation dans les années trente - la remarque de M. Grubel m'a rappelé que David Frum avait pratiquement dit la même chose, à savoir, que l'histoire ne se répète jamais - nous avions alors un taux de chômage manifestement supérieur à celui d'aujourd'hui. Nous étions en grande partie financés par l'étranger; en fait, le pourcentage de la dette fédérale détenue par des non-résidents était d'environ 33 p. 100, alors qu'elle est de 25 p. 100 environ aujourd'hui. Le coût de l'intérêt exprimé en pourcentage du revenu fédéral était de 47 p. 100; aujourd'hui il est légèrement inférieur à 30 p. 100. La dette fédérale financée exprimée en pourcentage du PIB...

Le président: Excusez-moi. Que recommandez-vous?

M. Jordan Grant: Ce que la Banque du Canada a fait dans les années quarante afin de financer l'effort de guerre.

Le président: Que recommandez-vous pour aujourd'hui?

M. Jordan Grant: Le même genre de stratégie, mais avec moins de rigueur, c'est-à-dire, de réimposer progressivement l'exigence en matière de réserve...

M. Campbell: Pour aller de quel niveau à quel niveau?

M. Jordan Grant: Il faudrait commencer à 1 p. 100 et augmenter progressivement.

M. Campbell: Jusqu'à quel niveau?

M. Jordan Grant: Probablement jusqu'à 10 p. 100, ce qui nous alignerait sur d'autres pays. Tout en augmentant progressivement le pourcentage, vous injecteriez les réserves dans le système, de manière à éviter un effet de contraction ou d'expansion.

Cela aurait exactement le même effet que lorsque les réserves ont été progressivement éliminées en 1991. À l'époque, les banques avaient des réserves excédentaires qu'elles ont utilisées pour acheter des obligations fédérales. La part de la dette fédérale que les banques du Canada détenaient est ainsi passée de 20 milliards de dollars à 75 milliards de dollars en l'espace de trois ans.

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C'était la monétisation de la dette. La seule différence, c'est que si la Banque du Canada s'en occupe, c'est elle qui perçoit l'intérêt; dans le cas contraire, ce sont les banques à charte. Il n'y avait pas de tendance à l'inflation lorsque les banques à charte s'en occupaient. À condition qu'on utilise la réserve pour s'assurer que les réserves nouvelles ne servent pas à créer une expansion multipliée des dépôts, il n'y aurait pas d'inflation.

Le président: Merci, monsieur Grant.

Monsieur Rymes.

M. Rymes: Je ne suis pas d'accord avec l'idée du retour à des réserves non porteuses d'intérêt pour les banques. Je crois que c'est une erreur. La Banque du Canada mérite au contraire d'être félicitée de vouloir revenir à une base de réserve zéro, car cela contribue vraiment à améliorer l'efficacité du système bancaire.

Cela ne signifie pas du tout que la Banque du Canada a perdu le contrôle des extrants du système bancaire, bien au contraire. Je crois que c'est précisément là la variable réelle que la Banque du Canada contrôle, et c'est de cette variable que je voulais surtout parler.

M. Neufeld: Monsieur Rymes a tout à fait raison de dire que pour toutes sortes de raisons d'efficacité et de fonctionnement c'est une excellente idée de revenir à la formule des réserves zéro.

Quant à la question fondamentale qui nous préoccupe, je crois qu'il faut vraiment appeler les choses par leur nom. En réalité, imposer la constitution de réserves n'est qu'une façon d'imposer un prêt obligatoire au gouvernement. S'il s'agit vraiment de cela, disons-le clairement, car il y a peut-être dix autres façons de procéder, qui sont toutes meilleures. Je ne pense pas que le prêt obligatoire à l'État soit une bonne idée.

Dernière remarque. Tout ce dont nous parlons est surtout une question d'arithmétique. En une heure, n'importe qui est capable de faire les calculs.

En ce qui concerne la masse d'argent que l'on pourrait rassembler grâce à des réserves obligatoires, le coefficient de liquidité ces derniers jours était de 3 ou 4 p. 100, je crois, pas même de 12 ou 8 p. 100, car beaucoup de dépôts n'attiraient plus ces réserves. Considérez l'effet quantitatif de tout cela. Même si c'était une bonne idée, ce qui n'est pas le cas... même si vous procédiez ainsi, cela n'aurait pratiquement aucun effet sur le financement de la dette.

Il ne s'agit pas d'une discussion théorique. C'est une simple question d'arithmétique.

Le président: Monsieur Grubel, vous aviez une brève remarque à faire.

M. Grubel: Très brève.

Même notre héros, M. Tobin, a recommandé que les réserves obligatoires soient porteuses d'intérêt, ce qui revient pratiquement à les éliminer. Si vous imposez la constitution de réserves, les banques, pour attirer les capitaux, ont besoin d'une source de revenus; l'augmentation est donc étalée entre les taux de prêt et d'emprunt. C'est précisément la raison pour laquelle les marchés de devises européennes se sont déplacés à l'étranger, et nos prêts et emprunts aussi. C'est la raison pour laquelle la Banque du Canada a abandonné l'idée.

Il est stupide de penser que l'on peut en quelque sorte imposer un impôt sur les banques, garder l'argent dans le secteur bancaire, alors qu'il y a d'autres possibilités d'absorber le tout.

Le président: Madame Stewart.

Mme Stewart (Brant): Je vous remercie. La discussion a été passionnante.

J'ai essayé de me faire une idée claire de tous les détails, des défis à relever et des suggestions qui ont été faites. Je pense à M. Boreham, qui nous a parlé de ses quarante années d'expérience dans le domaine économique et de l'époque où la Banque du Canada ne se contentait pas d'une activité unique mais faisait au contraire toute sorte de choses. C'était formidable. Et j'entends maintenantM. McCracken et M. Cameron nous dire le même genre de chose: avec un peu d'astuce, nous pourrions cacher nos activités au marché.

Mais c'est aussi M. Neufeld qui nous a dit que ce qui compte avant tout c'est la façon dont les marchés fonctionnent. Je suppose que les marchés fonctionnent différemment aujourd'hui d'il y a cinq ans - en tout cas, ils n'utilisent pas les mêmes méthodes qu'il y a dix ans. Cela signifie en fin de compte qu'on ne peut rien cacher et que tout le monde est là à regarder défiler les chiffres et à réagir à chaque hoquet du système.

Je pense aussi à ce que le professeur Laidler a dit. Au quotidien, l'impact est phénoménal; il se manifeste dans les hauts et les bas de nos activités ici et partout ailleurs dans le pays.

Quelqu'un a dit qu'il serait heureux que l'art de la banque revienne, l'art de la politique monétaire. Je dirais simplement, compte tenu de toute cette complexité et des discussions que nous avons entendues, l'art du XXIe siècle est-il une pure question de simplicité? S'agit-il de confondre les marchés par notre stabilité? S'agit-il de les faire mourir d'ennui devant tout ce que nous faisons en nous concentrant sur une seule chose plutôt que sur une dizaine, c'est-à-dire la stabilité?

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Je me demande si ce sont la technologie et le changement qui nous ont amenés à ce point. Certes, nous aimerions faire une foule d'autres choses et intervenir sur le marché de 36 manières différentes, mais c'est tout simplement impossible aujourd'hui.

M. Boreham: Puis-je répondre à cette remarque?

Le président: Certainement, monsieur Boreham.

M. Boreham: Si Herb Grubel et Ed Neufeld ont raison de dire que la Banque du Canada n'a pratiquement aucune influence sur les taux d'intérêt à long terme... Je pense que vous savez que...

M. Neufeld: Je n'ai pas dit cela.

M. Boreham: Pas tout à fait cela, Ed?

M. Neufeld: Non, j'ai dit que la Banque du Canada ne peut pas le faire en exerçant une influence sur le taux d'inflation.

M. Boreham: D'accord, je ne vous citerai donc point.

Si, comme on le suggère parfois, la Banque du Canada n'a pratiquement aucune influence sur les taux d'intérêt à long terme, pourquoi ne pas la supprimer et créer un office monétaire?

M. Grubel: Beaucoup de gens le recommandent.

M. Boreham: Cela coûterait beaucoup moins cher et simplifierait bien des choses. Cela permettrait de créer un environnement très simple.

Le professeur Laidler a mentionné que l'indice de la situation monétaire ne lui plaisait pas beaucoup. Je propose donc que la Banque du Canada abolisse cet indice et adopte un indice de bien-être économique. C'est la proposition que je vous fais.

Je tiens également à faire observer que s'il est vrai que la Banque du Canada s'intéresse à optimiser notre bien-être - c'est le grand titre du dernier rapport annuel: «Maximizing the Welfare of Canadians» - elle n'y parviendra pas en ne tenant aucun compte des effets à court terme de la politique monétaire sur les extrants et sur l'emploi, ce qu'elle semble faire continuellement. J'estime donc que la Banque du Canada devrait chercher une stabilisation à court terme.

Le président: Professeur Laidler.

M. Laidler: La raison pour laquelle nous n'avons pas un office monétaire est que nous avons un taux de change variable. Ce n'est pas plus compliqué que cela.

The Art of Central Banking est, on le sait, un ouvrage qui a été écrit par Ralph Hawtrey et qui porte sur la politique monétaire fondée sur l'étalon or. C'est naturellement là l'origine du mandat de la Banque du Canada. L'objectif premier de la politique monétaire et le mandat fixé en vertu de la Loi sur la Banque du Canada vise le maintien de la valeur extérieure de la monnaie, ce qui signifiait un taux de change fixe.

Si vous voulez un taux de change fixe avec les États-Unis, on peut en discuter et parler notamment de la liberté qu'aurait notre politique monétaire interne si c'était vraiment là notre objectif ultime.

Nous pourrions aussi discuter d'un taux de change variable et de ce que la Banque du Canada pourrait faire dans les limites des pouvoirs impartis par la politique monétaire au sein d'une économie ouverte assez petite, sans contrôle des capitaux. Cela revient essentiellement à rechercher un taux d'inflation négligeable, ce qui est l'équivalent, lorsqu'on a un taux de change variable, du maintien d'un taux de change fixe dans un régime fondé sur l'étalon or.

Je ne comprends donc pas pourquoi tout le monde parle de redécouvrir l'art d'un système bancaire central.

Le président: Mike McCracken.

M. McCracken: J'ai quelques brèves remarques à faire.

Certains sont sans doute hypnotisés par les marchés, mais il faut alors qu'ils en acceptent les répercussions sur le taux de chômage, l'inflation, le taux de change, la croissance et le développement régional. Certes, il est possible de fonctionner comme cela. En n'intervenant pas et en laissant rouler les dés. Certains pays fonctionnent de cette manière, Hong Kong par exemple.

Si c'est le cas, nous n'avons pas besoin d'audiences sur la banque centrale. Nous n'avons certainement pas besoin d'une banque centrale qui nous fait la leçon. Nous n'avons pas besoin d'objectifs, et nous n'avons même pas besoin de budgets. Il n'y a alors qu'à faire ce que l'on veut et à laisser jouer les lois des marchés.

D'ailleurs, dans un cabinet actuel en Ontario, on raconte l'histoire suivante: lorsqu'on demande combien de personnes il faut pour changer une ampoule électrique, la réponse est qu'on n'a besoin de personne, que le marché s'en chargera. Vous pouvez donc vous contenter de laisser faire le marché.

Mais une des raisons pour lesquelles il y a des économistes et des gouvernements, c'est parce qu'ils disent que le marché se trompe parfois dans certains domaines ou que, parfois, il faut intervenir pour faire un choix ou rétablir l'équilibre. Ou bien le choix du marché n'est pas ce qu'ils veulent, ou bien les marchés ne semblent pas faire ce qu'attendent les politiciens que nous élisons.

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Donc, lorsque M. Laidler nous dit que nous avons un taux de change variable mais que nous ne le suivons pas, que nous le laissons fluctuer un peu seulement et que chaque fois que cela se produit, nous nous affolons et nous essayons de le maintenir au-dessus du taux d'équilibre, il me semble qu'au moins dans ce domaine il est acceptable d'intervenir si vous préférez ce résultat aux effets du marché sur le taux de chômage que nous semblons accepter, qu'il soit de 9 p. 100, 10 p. 100, 11 p. 100 ou 12 p. 100.

Il y a donc un débat sur les marchés, mais si nous voulons vraiment ouvrir cette boîte de Pandore, il faudrait également nous demander s'il n'y a que les effets du marché. Pouvons-nous améliorer les marchés? Les marchés sont-ils efficaces? Fonctionnent-ils dans une perspective à long terme ou uniquement à court terme? Tiennent-ils compte de l'environnement? Tiennent-ils compte de bien d'autres préoccupations sociétales?

J'ai l'impression que depuis les jours les plus sombres des années trente, les marchés ne fonctionnent pas très bien. Ils ne semblent pas du tout s'être améliorés. En fait, il y a uniquement une accélération de leurs activités et l'on assiste maintenant à une véritable orgie de participants dans cette globalisation des institutions financières.

Le président: Tom Wilson.

M. Wilson: Monsieur le président, je vais devoir bientôt partir pour aller prendre mon avion, et je voulais simplement...

Le président: Tom, je vais intervenir sur le marché et vous interdire de partir.

Des voix: Oh, oh!

M. Wilson: Les portes sont-elles fermées à clés?

Le président: Dans ce cas, nous pourrions peut-être vous accorder un peu plus de temps pour vous donner la possibilité de consigner d'autres éléments au procès-verbal avant que vous partiez.

Nous avons un vote à 17h15.

M. Wilson: Je voulais vous décrire rapidement ce qui se trouve dans ce document.

Le premier tableau indique ce que serait une politique financière qui aurait pour objectif de réduire le rapport entre la dette et le PIB d'un point de pourcentage d'ici l'année financière 1999-2000. Les autres graphiques indiquent...

M. McCracken: [Inaudible - Éditeur] réduction du déficit.

M. Wilson: Non. Désolé. Oui, c'est le déficit, ce qui veut dire qu'il commence à fléchir dès l'année prochaine une fois atteint l'objectif de 3 p. 100.

Les autres tableaux indiquent les conséquences d'autres cibles en matière de politique monétaire, ce qui fait vraiment ressortir l'importance d'adopter une politique monétaire qui tente de concilier la croissance de la demande et les restrictions budgétaires. Cela facilite en fait l'application de la politique financière. Le coût d'une telle politique est un effet provisoire sur les prix. Je suis partisan de ce genre de mesure. Je suis d'accord avec ce que nous avons dit aujourd'hui au sujet de la difficulté d'établir des prévisions dans le cadre de la politique monétaire, mais lorsque nous disposons de deux types de politiques et que nous savons que c'est la politique financière qui va l'emporter, nous savons également que le moment est venu de faire jouer la politique monétaire.

Merci.

Le président: Nous avons quelques problèmes de temps parce que nous allons devoir partir très bientôt. Nous pourrions également revenir après une quinzaine de minutes et conclure à ce moment. J'aimerais savoir si c'est ce que vous souhaitez ou si vous préférez que nous terminions avant 17h30.

Une voix: Nous allons conclure.

Le président: Nous allons donc terminer avant 17h30. Dans ce cas, je vais donner à chacun... Y a-t-il quelqu'un qui n'a pas encore eu la possibilité de nous présenter sa théorie? Je vais vous donner à chacun quelques minutes, et nous passerons ensuite aux résumés.

Monsieur Wilson, vous devez partir. Je vous remercie d'être venu ici. J'ai apprécié vos interventions.

M. Wilson: Merci. Je vais partir, à moins que quelqu'un souhaite poser quelques brèves questions.

Le président: Y a-t-il des questions concernant l'intervention de M. Wilson?

Monsieur Neufeld, vous avez un commentaire.

M. Neufeld: Oui. Il ne s'agit pas simplement d'accepter les résultats du marché. Nous parlions de ce que peut apporter une politique monétaire. Nous disions qu'en utilisant un seul instrument, le contrôle des comptes de règlement, la Banque du Canada ne peut en fait rechercher qu'un seul objectif. Le meilleur objectif est d'assurer une stabilité relative des prix, parce que c'est la meilleure façon d'encourager la création de richesse.

Cela ne veut pas dire qu'il faille accepter ce que dit le marché. Nous disons simplement que lorsqu'on utilise un instrument, on ne peut faire qu'une chose à la fois. La politique financière peut faire toutes ces choses. Les politiques en matière d'environnement et de relations de travail peuvent faire également ces choses. Il ne faudrait pas croire toutefois que l'on peut atteindre ce genre d'objectifs grâce à la politique monétaire.

Le président: Merci, monsieur Neufeld.

Monsieur Cameron.

M. Cameron: L'objectif délicat vers lequel doit tendre la banque centrale, la politique financière, c'est la stabilité. C'est cela que l'on recherche. Mais cette stabilité ne se limite pas à celle des prix. Il faut viser la stabilité de la croissance, de l'emploi et d'autres objectifs.

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Le choix de l'objectif d'un taux d'inflation égal à zéro a eu pour effet de déstabiliser l'économie, de déstabiliser la vie des gens, de détruire la valeur du capital, de détruire la capacité du gouvernement de financer ses propres activités.

Cela a eu un effet déstabilisateur, et nous suggérons que l'on agisse avec davantage de prudence par rapport à...

Le président: Merci, monsieur Cameron.

Excusez-moi, mais je vais devoir donner à chacun d'entre vous 30 secondes pour présenter un très bref résumé. Je suis désolé d'avoir à réduire le temps de parole.

Monsieur Grant.

M. Jordan Grant: Nous disposons d'un certain nombre d'instruments économiques: la politique monétaire, la politique financière, les politiques microéconomiques. Les effets de ces différentes politiques ne se limitent pas à un seul secteur de l'économie.

Nous sommes à l'aube d'une période de graves restrictions financières qui vont avoir un effet sur l'emploi. Si nous voulons compenser l'impact que va avoir cette politique financière, il faut utiliser d'autres instruments, la politique monétaire notamment, de façon à atténuer cet impact.

Le président: Monsieur John Grant.

M. John Grant: Je crois que nous sommes tous très sceptiques au sujet des intentions du gouvernement, de celles des banques centrales et des intentions des autres intervenants.

Le mieux que puissent faire le gouvernement et la banque centrale est de faire connaître leurs plans et d'indiquer clairement que ces plans sont compatibles et qu'ils vont s'harmoniser à moyen et à long terme. Cela permettra au secteur privé d'avoir au moins une base pour établir des prévisions.

Le président: Monsieur Duncan Cameron.

M. Cameron: Il n'y a qu'un seul critère qui permette de juger l'action du gouvernement: va-t-elle améliorer les choses pour la majorité de la population ou va-t-elle aggraver la situation?

Selon l'étude que le Centre de recherche en politiques de rechange a publiée avant le budget en vigueur, c'est le budget Martin qui est responsable de la moitié du ralentissement qu'a connu l'économie canadienne au cours du deuxième trimestre de cette année. Si nous adoptons un autre budget sévère sans assouplir notre politique monétaire, la situation va encore s'aggraver.

Le président: Michael McCracken.

M. McCracken: Les taux d'intérêt élevés que nous avons connus de 1989 à 1995 ont nui à l'économie. C'est la question qu'a posée tout à l'heure M. Campbell. D'après nos calculs, cela a eu pour effet d'augmenter de près de 18 points de pourcentage le rapport entre la dette et le PIB et cela a entraîné une chute du produit intérieur brut et une augmentation du taux de chômage.

Nous rendrons public toute une série de simulations qui s'inspirent toutes du principe de ce qui est «monétairement raisonnable».

Si l'on avait aligné nos taux d'intérêt sur ceux des États-Unis, nous aurions obtenu de bien meilleurs résultats, et il n'est jamais trop tard pour bien faire.

Le président: Monsieur Neufeld.

M. Neufeld: Monsieur le président, vous m'avez laissé parler au début je vais donc renoncer à mes derniers commentaires.

Le président: Merci.

Monsieur Boreham.

M. Boreham: Cela fait maintenant huit ans que la Banque du Canada applique sa nouvelle politique monétaire. Voici la question que je pose: est-ce que la population croit davantage aujourd'hui qu'elle le croyait il y a huit ans à l'importance de l'objectif de stabilité des prix que poursuit la Banque du Canada? Je ne le crois pas.

Le président: Tom Rymes.

M. Rymes: J'ai deux remarques.

J'estime que la banque a eu un effet négatif sur la croissance des services financiers intermédiaires au Canada, sur son rendement véritable, mais je vais revenir à l'observation de David Laidler.

Le comité devrait s'intéresser au point qu'a soulevé David Laidler. Si le Québec se sépare, le comité devrait se prononcer clairement sur la fraction de la dette que l'on devrait attribuer au Québec. Il faut que cela soit respecté et il faudrait également parler de la possibilité d'une contribution en capital de façon à atténuer le problème qui risque de se poser si le pays se sépare.

Le président: David Laidler.

M. Laidler: Je serai très bref. Il nous faut un autre budget sévère, avec une réduction des dépenses ou une augmentation des impôts et une politique monétaire qui permettra au taux de change et au taux d'intérêt d'évoluer pour compenser l'effet désinflationniste d'un tel budget.

Le président: Nous avons entendu toutes sortes d'idées. Nous avons entendu des notions très différentes, tout d'abord au sujet de ce que peut faire la politique monétaire puis au sujet de ce qu'elle devrait faire.

Vous nous avez tous apporté quelque chose. Je dois toutefois dire qu'il ne nous sera pas très facile de tenir compte de tout ce que vous avez dit. Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie d'avoir apporté une contribution de qualité à nos délibérations.

La séance est levée.

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