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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 29 mai 1995

.1539

[Traduction]

Le président: Je déclare la séance ouverte. Nous étudions aujourd'hui le Budget principal, et plus particulièrement les crédits de l'ACDI.

Nous avons parmi nous cet après-midi la président de l'ACDI, Mme Labelle, qui est accompagnée de M. John Robinson, vice-président, que nous avons déjà rencontré, ainsi que M. David Holdsworth, qui est vice-président de la Direction générale de la gestion centrale.

Merci infiniment de votre présence.

Madame Labelle, vous m'avez dit que vous connaissiez la procédure à suivre, donc je vous cède la parole sans plus tarder.

J'attire cependant l'attention des membres sur la lettre du 18 mai que nous a envoyé Mme Labelle et dans laquelle elle répond à bon nombre de questions soulevées par ses témoignages précédents; d'ailleurs, je tiens à la remercier de l'information qu'elle nous a transmise.

.1540

[Français]

Madame Labelle.

Mme Huguette Labelle (présidente, Agence canadienne de développement international): Merci, monsieur le président. Je voudrais saluer à nouveau les membres du Comité et déposer le document d'introduction que je vous avais présenté lorsque nous nous sommes rencontrés, il y a déjà un certain nombre de semaines. Si vous êtes d'accord qu'il puisse faire partie du compte rendu, j'ajouterai quelques commentaires afin que nous puissions entreprendre les discussions le plus rapidement possible.

[Traduction]

Je voudrais simplement vous dire, tout d'abord, que l'ACDI va surtout s'efforcer au cours des prochains mois d'aligner sa programmation sur ces priorités, conformément aux engagements pris dans Le Canada dans le monde.

Deuxièmement, pour ce qui est de notre programmation, nous entendons déployer des efforts encore plus énergiques pour trouver des moyens d'accroître l'incidence positive de notre action et nous comptons par conséquent choisir des interventions qui ont un maximum d'impact. C'est évidemment ce que nous cherchons à faire toujours, mais dans une période de réduction des ressources, cela devient d'autant plus important, voire même indispensable. Bien sûr, j'ai inclus un certain nombre d'activités spéciales, ainsi que le travail de renouvellement et de gestion de l'agence qui se poursuit en permanence.

Je voudrais également vous parler de la réunion de haut niveau du Comité d'aide au développement de l'OCDE qui a eu lieu il y a quelques semaines et à laquelle j'ai moi-même assisté. Je vous signale, à titre d'information, que l'une des trois questions abordée et débattue lors de cette réunion concernait la nouvelle orientation des efforts de coopération pour le développement. Je pense que la grande majorité des pays du monde comprennent que nous devons absolument continuer à y réfléchir en vue d'améliorer cette coopération.

La deuxième question abordée était celle de l'égalité des sexes. Encore une fois, de nombreux rapports ont été publiés depuis deux ou trois ans indiquant très clairement qu'il faut attacher une plus grande importance à cette question si l'on veut avoir un maximum d'impact avec des ressources limitées.

La troisième question concernait le conflit, la paix et le développement, un domaine qui intéresse au plus haut point les membres du comité. Nous allons évidemment essayer de faire le lien entre ces trois questions et nous espérons que le développement pourra être considéré comme un outil important de prévention du conflit.

[Français]

Monsieur le président, c'étaient les seuls commentaires que je voulais faire à titre d'introduction. Il me fera plaisir de répondre aux questions ou commentaires des membres du Comité.

Le président: Madame la présidente, M. Paré aurait des questions à poser. Monsieur Paré.

M. Paré (Louis-Hébert): Madame Labelle, bienvenue au Comité. La dernière fois que vous aviez comparu, quelque temps après que les ONG qui se rattachaient à l'éducation du public canadien avaient appris la mauvaise nouvelle, vous nous aviez dit qu'il était question de proposer au cours du mois de mai un nouveau programme où ces ONG pourraient se requalifier. Vous serait-il possible de nous parler de ce programme?

Mme Labelle: Avec plaisir, monsieur Paré. Nous sommes en ce moment en train de discuter avec un certain nombre d'intervenants de l'extérieur de l'ACDI des modalités d'un tel progamme, parce que nous voulons que ce programme soit en place à la fin du mois de juin.

.1545

Nous espérons ne pas perdre certains aspects très positifs des programmes qui ont été abolis, c'est-à-dire là où on a arrêté de subventionner certains organismes.

Deuxièmement, nous voulons aussi, dans un premier temps, examiner rapidement les projets qui étaient presque prêts à être soumis ou les projets qui avaient été soumis mais qui n'avaient pas encore été étudiés. Nous sommes en discussion avec un représentant du CCCI et nous espérons pouvoir rendre public ce projet de programmation d'ici quelques semaines.

M. Paré: Au cours des années précédentes, on a souvent déploré l'éparpillement de l'aide publique dans plus de 120 pays. Or, avec la réduction globale d'environ 300 millions de dollars qui apparaît au dernier Budget et en tenant compte du fait que l'ACDI ne semble pas avoir l'intention de diminuer le nombre de pays où elle intervient, est-ce que l'éparpillement ne sera pas encore plus grave qu'auparavant dans ce contexte?

Mme Labelle: Il est évident que lorsque les sommes à notre disposition sont plus minces, il y a moins d'argent partout. Dans la situation où nous sommes, je pense que, dans l'année qui vient, nous serons, en termes de pourcentage, à peu près là où nous étions dans les années précédentes.

À peu près 70 p. 100 des budgets pour l'Asie, l'Afrique, le Moyen-Orient et les Amériques seront répartis dans 27, 28 ou 29 pays. Pour les autres pays, les sommes seront beaucoup plus minces. Dans un nombre assez important de pays, il y aura seulement le Fonds canadien, un fonds géré par l'ambassade en notre nom et avec nous, pour donner des directives en matière de programmation.

Donc, il est évident qu'avec des fonds plus minces, il est plus difficile de gérer sur une grande surface. De plus, nous avons des raisons assez importantes de ne pas nous retirer de la plupart de ces pays-là en ce moment, que ce soit en Afrique ou dans les Amériques.

M. Paré: L'énoncé de politique a confirmé le premier objectif de l'aide publique, soit la réduction de la pauvreté. Or, en 1993, certains programmes bilatéraux ont été abandonnés dans certains des pays les plus pauvres de l'Afrique. Compte tenu du fait que la réduction de la pauvreté demeure toujours le premier objectif, est-ce que vous envisagez la possibilité de revenir sur cette décision?

Mme Labelle: Oui, monsieur le président. On dit que l'ACDI va privilégier la relation bilatérale entre pays et l'appui à partir du secteur bilatéral.

Donc, il y aura sûrement un certain nombre de ces pays qui devaient ne plus recevoir de fonds sous forme de programmation bilatérale d'ici un an et demi ou deux ans et qui vont continuer à en recevoir. Par exemple, en ce moment, nous travaillons avec l'Éthiopie, l'Érythrée et la Tanzanie, des pays pauvres qui ne devaient plus recevoir d'argent bilatéral à l'avenir.

Nous sommes en train de revoir cette situation-là afin de voir où nous pouvons continuer notre programmation bilatérale.

M. Paré: Compte tenu du fait que le premier objectif de l'aide publique canadienne est la réduction de la pauvreté, pouvez-vous nous démontrer que dans les coupures qui ont été faites, cet objectif premier a été respecté?

.1550

Mme Labelle: En ce moment, nous sommes en train de regarder chaque pays de chaque continent. Nous le faisons à partir d'un certain nombre d'indices qui proviennent du PNUD, dont le revenu per capita, le degré d'alphabétisation et le taux de mortalité, et nous étudions en même temps l'indice économique. Nous examinons la situation de chaque pays. En même temps, nous essayons de voir où le Canada peut offrir quelque chose de spécial. Selon les priorités des pays, il nous est peut-être plus facile d'appuyer un pays plutôt qu'un autre à cause de notre expertise, de ce que nous avons à offrir.

On met tous ces éléments-là ensemble afin d'en arriver à juger si on doit changer le budget que nous prévoyons dépenser dans chacun de ces pays. Je ne sais pas si cela a déjà été fait dans le passé d'une manière aussi systématique, mais je ne pense pas que cela ait été fait au cours des dernières années.

D'ici un certain nombre de mois, on aura vraiment examiné chaque pays où nous oeuvrons avec cette idée en tête.

M. Paré: Dans le même ordre d'idées, mais en l'appliquant à d'autres réalités, l'ACDI est-elle en mesure de porter un jugement pour dire lequel des canaux est le plus efficace pour atteindre l'objectif de réduction de la pauvreté? Est-ce le multilatéral, le bilatéral ou le secteur bénévole? Est-ce que vous êtes en mesure de vous prononcer là-dessus? Si oui, comment cela se traduit-il dans les décisions concrètes?

Mme Labelle: Monsieur le président, au moment où le gouvernement recevait votre rapport et reprenait ce dossier afin de rédiger sa politique étrangère, dont le développement... C'est vraiment une question qu'on s'est posée. Nous avons regardé chaque mécanisme d'aide que nous avions: l'aide bilatérale, l'aide multilatérale, le partenariat à travers les institutions, les bourses, et nous nous sommes posé cette question: est-ce qu'on devrait abandonner un mécanisme parce qu'il est beaucoup moins important que les autres?

On s'est rendu compte à ce moment-là de la complémentarité de chacun de ces moyens et on est arrivé à la conclusion qu'on se priverait d'un moyen privilégié si on en laissait tomber un. Cela dit, le gouvernement a décidé de réduire son apport aux institutions financières internationales dans les négociations qui ont lieu en ce moment, non pas parce que les banques ne font pas un travail qu'elles seules peuvent faire en matière de grands projets d'infrastructures ou autres, mais à cause des réductions que nous avions eues dans le passé et que nous continuons d'avoir. Cela créait une distorsion à l'intérieur de notre enveloppe qui faisait en sorte que, lorsqu'on s'engageait avec une banque et que la banque émettait les notes, nous avions à les payer par la suite. Nous n'avons d'autre choix, après le fait, que de dire qu'on veut maintenant réduire de ce côté-là.

À ce moment-là, on retournait toujours du côté bilatéral et du partenariat pour appliquer des réductions et, dans certains cas, du côté des agences du Nations unies comme le PNUD et l'UNICEF. Il se trouvait donc à y avoir une protection du côté de notre apport aux banques.

Donc, le gouvernement a pris la décision de s'assurer que dans nos négociations actuelles et future, nous réduirons notre contribution du côté des banques, mais non pour nous éloigner de la table, parce que nous jugeons qu'il est encore très important pour nous qu'une personne représente la Canada aux conseils d'administration de ces banques tant qu'on sera là. Donc, le gouvernement a décié que nous diminuerions notre part d'une manière assez importante.

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Plus précisément, monsieur Paré, nous sommes arrivés à la conclusion qu'on ne pouvait pas se départir, sans un dommage important, de ces mécanismes-là, que chacun avait un rôle, mais qu'il y avait aussi un aspect complémentaire. Très souvent, on peut se servir d'un programme du partenariat canadien qui, ensuite, nous amène à appuyer un projet bilatéral, ce qui, bien souvent, donne non seulement un bon projet de développement de la Banque mondiale ou du PNUD à l'étranger, mais aussi des retombées au Canada, si on veut regarder les deux côtés de l'équation.

[Traduction]

M. Martin (Esquimalt - Juan de Fuca): Merci, madame Labelle et madame Robinson. Je vous remercie tous de votre présence aujourd'hui. J'ai trois questions très simples à vous poser.

Nous avons tous constaté qu'il existe dans le cadre du programme du partenariat un gaspillage important au bout de la ligne. Les fonds canadiens investis dans certains projets se sont retrouvés dans les poches de groupes privés, contrairement à ce qui était prévu, et c'est quelque chose qui nous déçoit toujours.

Je voudrais donc savoir quel mécanisme de contrôle nous avons commencé à mettre en place pour nous assurer que les crédits offerts par le biais du programme du partenariat canadien sont bel et bien versés aux personnes qui sont censées les toucher - justement afin d'éliminer dans la mesure du possible le gaspillage dont nous sommes tous conscients.

Ma deuxième question concerne un rêve, si vous voulez, et un projet que j'ai essayé de lancer il y quelques années. Nous avons au Canada un bassin important de professionnels qui sont prêts à offrir gratuitement leurs services en tant qu'hydrologue, agronome, médecin ou autres pour une période de deux, trois ou même quatre mois. Avons-nous envisagé de leur permettre, par exemple, de déduire de l'impôt leurs frais de transport ou d'autres frais de base en vue de les encourager à fournir gratuitement leurs services? Ce serait à mon avis une forme d'aide relativement peu coûteuse que nous pourrions éventuellement assurer.

Ma dernière question porte sur la prévention des conflits, qui nous concernent tous, au plus haut point. Quels programmes précis sont actuellement à l'étude au sein de l'ACDI dans ce domaine? Êtes-vous en rapport avec Stan Carlson au Centre de crise de l'ONU, par exemple?

Nous constatons très souvent, au cours des mois ou les années qui précèdent un gros conflit, que les chefs des forces belligérantes se mettent à diffuser une propagande fort négative et même haineuse. Je voudrais donc savoir si nous envisageons d'investir des fonds dans la création de systèmes qui nous permettront d'y répondre? Je sais que l'ONU dispose d'un système de ce type, bien que ce dernier soit encore à l'état embryonnaire, mais à mon sens, il ne s'enclenche pas suffisamment tôt pour permettre de contrebalancer ce genre de propagande négative.

Enfin, toute la question de la croissance de la population m'intéresse beaucoup - c'est-à-dire la croissance rapide de la population mondiale et son incidence sur le développement. Participons-nous à des programmes qui examinent cet aspect là? Allons-nous consacrer une plus grande proportion des crédits de plus en plus limités versés au titre de l'aide au développement à cette question précise, question qui est souvent négligée par les pays du monde entier, à mon avis?

Mme Labelle: J'essayerai de vous répondre brièvement. Il s'agit de cinq questions très importantes, monsieur le président, mais vous m'arrêterai si mes explications sont trop longues.

Votre première question portait sur les mesures que nous pouvons prendre pour nous assurer que les crédits versés sont bel et bien utilisés aux fins pour lesquelles ils ont été accordés au départ. Cela va au coeur même de notre obligation non seulement d'assurer l'efficacité de nos interventions, mais aussi de bien administrer les deniers publics. D'après mon expérience et je ne puis vous parler que depuis mon arrivée à l'ACDI, soit 1993 - nous n'avons jamais eu la preuve que les fonds accordés à une ONG, par exemple, ne servaient pas aux fins pour lesquelles ils ont été versés au départ.

Pour ce qui est des projets bilatéraux, qui nous amènent à inviter les intervenants à faire une proposition ou à réagir à de bonnes propositions qui nous sont soumises, encore une fois, nous avons mis en place un système assez poussé qui nous permet de faire le suivi du projet et des ressources utilisées au moyen de vérifications régulières au cours du projet, justement pour nous assurer que les fonds sont bien utilisés.

Donc, nous ne nous contentons pas des rapports qui nous sont soumis par l'organisation qui exécute le projet ou le programme; en plus de ces rapports, nous avons notre propre système de suivi.

.1600

Dans votre seconde question, vous avez parlé d'un bassin de professionnels qui offriraient bénévolement leurs services. C'est un phénomène courant et cela m'intéresserait de savoir comment, selon le comité, nous pourrions accroître cette forme d'aide. En ce moment, nous oeuvrons par l'intermédiaire d'un certain nombre d'associations et de groupements professionnels.

Des organismes spéciaux tel que le SACO font appel à des cadres qui sont prêts à offrir bénévolement leurs services. En fait, au SACO, ce que nous prenons en charge, ce sont les frais et débours divers, tels que les frais de transport. Il est très fréquent que le pays assume les frais d'ébergement car il doit bien comprendre que cela est également important.

Avec l'aide des Barreaux, nous avons lancé un certain nombre de projets dans le cadre desquels des avocats offrent bénévolement leurs services dans le même but. En ce moment même nous collaborons avec le Barreau du Québec à Haïti. Le Barreau canadien a également travaillé avec nous à un certain nombre de projets similaires. Comme vous le voyez, nous collaborons avec de nombreux organismes professionnels.

Je vous signale que le Congrès du travail du Canada coordonne un projet avec les syndicats dans lequel les employés versent chaque année une petite partie de leur salaire en contrepartie de notre aide financière à des projets spéciaux dans le monde entier. Pour revenir à ce que disait M. Paré tout à l'heure, il s'agit de projets de développement destinés à aider les pauvres.

M. Martin: Je me demandais si l'on ne pourrait pas utiliser la formule des déductions d'impôts au lieu de vous obliger à payer les frais. Ce serait peut-être plus rentable. C'était là la raison profonde de la question.

Mme Labelle: J'en ai pris note car c'est une question que je voudrais vraiment poursuivre, à moins que mes collègues n'aient une réponse à lui apporter. Je voudrais l'étudier de près dans le contexte du régime actuel afin de voir si des possibilités existent dans ce domaine.

M. Martin: Je ne connais pas la réponse. C'est pourquoi j'ai posé cette question car ce serait une formule intéressante.

Mme Labelle: Je ne la sais pas non plus, mais je voudrais appronfondir la question car cela nous permettrait peut-être d'accroître l'efficacité de notre action.

Le président: Je peux vous assurer qu'aucun fiscaliste ne l'étudie en ce moment, mais nous allons faire faire des recherches là-dessus.

Mme Labelle: Ce serait une méthode d'encouragement très importante à considérer.

Votre troisième question avait trait à la prévention des différends. Les diverses crises qui ont récemment éclaté en Europe de l'est et en Afrique, nous ont incité à examiner cette question avec beaucoup plus d'attention que nous ne l'avions peut-être fait jusqu'ici. Nous le faisons sous divers angles.

Premièrement, que faisons-nous sur le plan du développement proprement dit; quels sont les éléments de notre action qui devraient contribuer le plus à empêcher la détérioration de la situation dans un pays?

Revenons à la réduction de la pauvreté. Nous savons que dans de nombreux pays dont les habitants sont des nomades, la terre est un élément très important. Il n'y avait pas de problème lorsque les nomades vivant sur un territoire donné étaient moins nombreux, mais à cause de la croissance démographique, il leur est de plus en plus difficile de continuer à vivre de cette manière.

Il y a aussi la question de la sécurité alimentaire. Les chefs d'État dans un certain nombre de pays ont déclaré que la question la plus explosive chez eux était le risque de famine. De telles collectivités peuvent se permettre d'agir comme bon leur semble car elles n'ont pas grand-chose à perdre.

Il faut donc que nous abordions ces questions avec beaucoup de prudence. Quels sont les domaines les plus susceptibles de créer des problèmes en aval et auxquels il importe que nous nous attaquions de toute façon pour réduire la pauvreté et assurer un avenir plus sûr à la population?

.1605

Vous avez soulevé la question des signes précurseurs. Je crois que cela nous amène à ce second point. Les premiers conflits sont habituellement très localisés. Nous étudions, en autres, les moyens d'utiliser les méthodes locales pour résoudre ces problèmes, sachant fort bien que la formule est habituellement plus efficace que lorsqu'on essaie de parachuter des gens qui n'ont pas la même culture, car très souvent on utilise dans ce pays des méthodes très informelles pour amener les gens à collaborer. Nous avons également travaillé avec les Nations Unies, en particulier en ce qui concerne la situation au Burundi, pour décider des méthodes que nous pourrions utiliser de concert car on a dépassé le stade des signes précurseurs et on se rapproche d'une crise possible.

Il s'agit également de gérer la crise de manière à éviter qu'elle ne se prolonge et s'étende, après quoi, il y a la phase de la reconstruction. Cette phase de reconstruction et de restauration est presqu'aussi importante que la gestion de la crise elle-même, car si nous ne réussissons pas à aider le pays à mener à bien cette opération de reconstruction essentielle, il arrive très fréquemment, comme nous en avons la preuve, qu'une nouvelle crise aiguë éclate.

L'exemple de Haïti est très intéressant, monsieur le président, et j'espère que nous pourrons y voir un jour un exemple de réussite lorsqu'un groupe de pays donateurs, avec des institutions multilatérales, interviennent à temps pour aider un pays à entreprendre son effort de reconstruction. Manifestement, nous n'en connaissons pas encore l'issue, mais espérons qu'à l'avenir, ce pays nous offrira un exemple de réussite au moins partielle.

Votre dernière question avait trait à la croissance démographique. Comme la population mondiale augmente de 90 millions de personnes par an, il est indiscutable que c'est l'un des plus gros problèmes auquel nous sommes confrontés. À l'ACDI nous réexaminons tous nos programmes actuels, directs et indirects, afin de voir comment nous pouvons faire plus dans ce domaine. Lorsque je dis indirects, monsieur le président, je songe, par exemple, à un projet très intéressant entrepris avec l'UNICEF dans 15 pays africains. Nous essayons d'aider des jeunes filles à reprendre leurs études ou tout simplement à aller à l'école car nous savons pertinemment que si elles peuvent acquérir un certain niveau d'instruction, même élémentaire, il est probable qu'elles auront moins d'enfants, qu'elles se marieront moins jeunes, qu'elles pourront subvenir aux besoins de leurs familles et que leurs enfants seront en meilleure santé. Ça, c'est le côté indirect, naturellement.

Nous faisons également un travail intéressant dans le cadre de programmes plus directs. Nous ne marquons pas le pas, mais nous procédons actuellement à un nouvel examen de nos activités dans ce domaine; donc, au lieu de continuer comme à l'accoutumée, nous procédons à un examen critique de nos programmes afin de voir s'il est nécessaire de les renforcer - et si c'est le cas, où.

Le président: Merci. Vous nous avez tout dit dans les délais - c'est extraordinaire. Je pense qu'on va peut-être vous poser d'autres questions sur ces divers points.

Monsieur Alcock.

M. Alcock (Winnipeg-Sud): Merci, monsieur le président. Je voudrais revenir à un sujet peut-être moins noble pour vous poser quelques questions concernant certains organismes au Canada.

Chaque fois que le gouvernement est obligé de prendre des décisions qui touchent à l'ensemble des programmes, le choix est difficile, et l'ACDI se trouve dans cette situation. Je regrette de ne pas avoir assisté à la dernière réunion car vous en avez peut-être déjà parlé, mais j'aimerais obtenir deux ou trois réponses sur des points qui m'intéressent.

Je suis du Manitoba et dans ma province, nous sommes particulièrement fiers du travail effectué par le Comité central mennonite, aussi bien chez nous qu'outre-mer.

Il semble que l'aide financière dont ils bénéficient a été sensiblement réduite, ce qui n'a pas été le cas pour d'autres organismes faisant le même genre de travail. Cela nous inquiète, et nous souhaiterions savoir comment l'ACDI a procédé pour parvenir à de telles décisions.

.1610

Peut-être serait-il bon que je m'arrête après chaque question afin que nous puissions les traiter individuellement. Commençons par la première, après quoi j'en aurai deux ou trois autres à vous poser.

Mme Labelle: Monsieur le président, si cela ne dérange pas le député de poursuivre, je vais vérifier auprès de mon collègue quel est le montant exact de l'aide au Comité mennonite.

M. Alcock: Deuxièmement, dans le programme PPP, qui est relativement petit, un certain nombre de décisions difficiles ont également été prises. Deux d'entre elles nous préoccupent, en particulier à ceux d'entre nous qui viennent d'autres régions du Canada.

Étant donné l'optique, pour diverses raisons, des programmes internationaux à Ottawa, Toronto et Montréal, lorsqu'on commence à couper les fonds, on crée un effet secondaire de centralisation. Les habitants des régions qui ont joué un rôle actif dans ces programmes ou qui se sont intéressés, ont l'impression d'avoir été écartés. C'est tout à fait le sentiment qui règne à Winnipeg, où l'on a tout simplement l'impression de ne plus avoir de rôle à jouer. Dans votre réponse à M. Paré vous avez parlé de requalification; cela m'intéresse beaucoup.

Le troisième point est celui de la réforme des Nations Unies et il semble étrange à première vue, qu'on supprime toute l'aide aux associations des Nations Unies de l'ouest du Canada.

Mme Labelle: L'aide pour qui?

M. Alcock: Pour les associations des Nations Unies. Commençons par celles-ci.

Mme Labelle: Monsieur le président, nous établissons un budget pour chaque organisme de développement et le Comité central ménnonite est un de ceux avec lesquels nous collaborons depuis fort longtemps. Je crois en fait, que nous travaillons avec trois organisations mennonites dont deux au moins se trouvent au Manitoba, si je ne me trompe.

Voici comment l'ACDI a procédé: nous nous sommes efforcés, avec l'aide de plusieurs ONG d'établir des critères d'examen de chaque association afin d'établir les budgets. Dans le passé, les ONG de développement reprochaient à l'ACDI d'accorder toujours la même aide financière à un organisme, quels que soient ses efforts, et lorsqu'il y a des coupures, elles sont imposées à tout le monde. Voilà quel était le système, et à la suite de longues discussions on a établi une série de critères qui sont utilisés par nous au moment de l'examen du budget. Chaque organisme est jugé en fonction de ces critères qui sont, notamment, l'efficacité du travail de développement, la concordance avec les priotités du programme, la qualité de la gestion, et la capacité de mobiliser les ressources dans sa propre collectivité.

Au moment où nous avons appliqué ces critères, nous avons également fait appel à un consultant indépendant, accepté par le CCCI, avec qui nous avons examiné la liste des noms, pour voir comment nous procédions afin d'assurer une certaine équité. L'application des critères a été évaluée à trois niveaux différents. Voilà la méthode que nous avons utilisée.

En ce qui concerne le programme PPP, le point soulevé par vous, je crois, exige beaucoup de prudence de notre part: dans le nouveau mécanisme de projet sur lequel nous travaillons, à la différence de celui selon lequel les organismes reçoivent une aide financière annuelle de l'ACDI, les organisations pourront faire appel à nous pour réaliser des projets ponctuels comme elles pouvaient le faire auprès des autres organismes que nous avons cessé d'aider.... Nous devons veiller à ce que les critères prévus pour ce mécanisme de projets, ainsi que la démarche à suivre, sont aussi accessibles aux groupes de la Nouvelle-Écosse et de la Colombie-Britannique qu'aux gens de l'Ontario et du Québec, car les inquiétudes exprimées à ce sujet me paraissent justifiées.

.1615

Troisièmement, vous avez mentionné notre soutien aux organisations de l'ONU. Nous encourageons actuellement celles que nous aidons déjà à faire une plus large place dans leur programme, dans leur méthode de travail, à l'éducation du public au Canada, étant donné l'importance de cette activité. Le gouvernement, comme nous-mêmes d'ailleurs, a en effet jugé que lorsque l'on a moins d'argent - n'oublions pas que notre mandat est le développement - même si, en tant que programme distinct, l'éducation du public est importante, l'argent doit avant tout aller aux pays avec lesquels nous collaborons.

M. Alcock: Je comprends très bien qu'il y ait des décisions très difficiles à prendre. Le programme PPP n'a pas disparu, il a été réduit - ou bien a-t-il été totalement éliminé?

Mme Labelle: Le programme de soutien à l'éducation du public au Canada, dans le cadre duquel des organisations pouvaient faire appel à l'ACDI, même si elles ne travaillaient pas dans des pays en développement mais s'occupaient seulement - je n'utilise «seulement» de manière péjorative - d'éducation du public au Canada, ne seront plus financées. La décision a été difficile à prendre mais elle était nécessaire car il fallait préserver l'argent pour les activités de développement dans le Tiers monde.

M. Alcock: Merci.

Le président: Je voudrais revenir à la question de M. Alcock car elle m'a été posée par de nombreux organismes qui pensaient qu'une des conséquences, même si elle était involontaire, des décisions prises, sera que les grands ONG de l'axe Toronto-Montréal-Ottawa seront surtout ceux qui traiteront avec l'ACDI et il y aura des répercussions dans le reste du pays: moins de rapports avec l'ACDI et en conséquence, une moindre compréhension de l'importance du développement dans les autres régions du pays ainsi que de ce que nous essayons de faire. Cette conséquence nous paraît grave car notre proramme d'aide est un élément extrêmement important, comme nous l'avons dit dans notre examen de la politique étrangère, de la compréhension de nos valeurs, et il importe donc que nos citoyens comprennent l'importance de ce que nous faisons. Avez-vous songé aux résultats possibles de vos décisions?

Mme Labelle: Si vous preniez une association ou un groupe tel que Partenariat Afrique du Sud ou le SAP, vous verriez qu'ils sont très centralisés. Si nous ajoutions les organisations régionales, et je crois qu'il y en a six dans différentes villes du Canada qui recevaient des propositions de projets... Ce qu'il faut c'est que nous créions le même sentiment de proximité pour tous les Canadiens qu'on l'aurait fait, par exemple, en créant un groupe régional au Manitoba.

En revanche, dans un certain nombre de provinces il n'y avait personne. Certains des ONG avec lesquels, nous nous sommes entretenus, nous ont dit que selon la manière dont nous procédons, lorsqu'on vit à Sudbury, il n'est pas plus difficile d'établir la liaison avec Ottawa qu'avec Toronto. Si vous vous trouvez à Kamloops, vous êtes bien obligés d'utiliser fréquemment le téléphone et le télécopieur. Donc, le fait que le groupe régional se trouve à Vancouver interdit la proximité totale et complète. Il faudra que les méthodes et les processus que nous utilisons nous permettent de trouver des moyens de compenser le fait que dans certains cas, la distance est plus grande.

.1620

M. Alcock: J'ai deux ou trois autres...

Le président: Excusez-moi, je ne voulais pas vous interrompre.

M. Alcock: En fait vous m'avez aidé car cela m'a permis de me souvenir des deux autres remarques que je voulais faire.

Vous avez parlé de la requalification des ONG. Pourriez-vous nous dire quelques mots à ce sujet?

Dans le cas précédent, pour les décisions concernant le développement outre-mer, y a-t-il un examen, un processus d'appel? Existe-t-il un mécanisme qui permette aux représentants d'un organisme de reprendre contact avec vous afin de poursuivre la discussion?

Mme Labelle: Parlez-vous là du futur mécanisme de projets que nous planifions?

M. Alcock: Je parle de l'importance des coupes budgétaires qui ont été faites.

Mme Labelle: Nous examinons avec chaque organisme l'impact des réductions afin d'essayer de voir, pour celle que nous allons cesser d'aider, quelle est la formule plus raisonnable de soutien provisoire ou de transition. Ça, c'est le premier cas.

Dans le second cas, il s'agit des organismes qui continueront à recevoir une aide financière et nous voulons nous assurer auprès d'eux qu'ils n'ont pas d'éléments d'information nouveaux à apporter à ceux sur lesquels nous avons fondé notre décision. Nous pouvons donc conclure de nouvelles ententes avec ces organismes. Voilà, en gros, comment nous procédons actuellement. Certains organismes nous ont demandé s'il y avait d'autres moyens de les aider à poursuivre leur travail. Nous étudions également des possibilités avec eux.

Pour le moment, on n'est jamais revenu sur la décision de cesser d'apporter une aide financière.

M. Alcock: Votre question concernant la requalification avait-elle trait à des programmes de ce genre, ou à tout autre chose?

Mme Labelle: Il y a des organisations telles que PAC, qui apportait une aide au projet en Afrique, SAP, qui faisait de même en Asie, et le groupe SEN de défense de l'environnement, qui a également financé des projets en notre nom. Les organisations canadiennes ont déjà préparé des projets qu'elles ont soumis à ces organismes en pensant qu'ils seraient examinés dans le courant du printemps.

Je pense que c'est à elles que nous devrons donner la priorité lorsque notre mécanisme de projets sera en place, car elles ont déjà fait beaucoup de travail préparatoire. Elles étaient prêtes. Elles avaient soumis des projets de bonne foi, même si ceux-ci n'avaient pas encore été approuvés. Ils ont fait leur travail et nous ferons le nécessaire pour examiner rapidement ces projets au début du nouveau programme.

M. Alcock: Si mes renseignements sont exacts, le programme PPP n'était que de 2 millions de dollars.

.1625

Mme Labelle: Non, il s'agissait d'une somme beaucoup plus importante.

Nous allons y revenir, monsieur le président, car je voudrais vous donner un chiffre précis. Il s'agissait en effet d'une somme beaucoup plus importante.

M. Alcock: Avez-vous fait des analyses régionales pour savoir comment ces ressources sont réparties au sein du pays en question? Le ministère a-t-il fait de telles analyses?

Mme Labelle: Des analyses régionales de quoi au juste?

M. Alcock: J'aimerais savoir si vous faites une analyse du soutien assuré par le ministère à diverses organisations au Canada?

Mme Labelle: Oui.

M. Alcock: Pourriez-vous me fournir cette information?

Mme Labelle: Bon nombre des organisations que nous soutenons à des fins de développement sont des organisations nationales, même si leurs sièges sociaux sont situés un peu partout au pays.

Par exemple, il y a en a à Winnipeg qui sont des organisations nationales. Il y en a d'autres qui ont leur siège social à Montréal, à Toronto, ou encore en Alberta, mais il s'agit d'organisations nationales.

Pour ce qui est des projets, il faut les examiner en détail pour en savoir plus long sur leur caractère régional.

D'ailleurs, nous consultons les organisations à l'heure actuelle pour savoir s'il conviendrait d'examiner les projets région par région, pour s'assurer que toutes les régions du pays sont traitées équitablement, et pour éviter, comme vous l'avez dit tout à l'heure, qu'un nombre disproportionné des projets soit dirigé par des organisations des provinces de l'Ontario et du Québec.

M. Alcok: Nous n'avons rien contre l'Ontario et le Québec, vous savez.

Le président: Cela nous rassure jusqu'à un certain point, monsieur Alcock.

M. Alcock: Merci, monsieur le président.

[Français]

Le président: Avant de donner la parole à M. Paré, est-ce que je pourrais poursuivre sur les questions qu'il a abordées, notamment ce qui touche à la notion de concentration de l'aide?

Dans la préparation du rapport sur la révision de la politique canadienne, si je me souviens bien, nous avons entendu plusieurs témoins qui disaient que beaucoup de pays n'étaient pas aptes à recevoir notre aide. C'est-à-dire que pour être le plus efficace possible, il faut donner l'aide là où elle peut être dépensée intelligemment. Avec les coupures que vous avez dû effectuer récemment, cet élément devient peut-être plus important maintenant qu'auparavant, et il serait bon qu'on essaie de nous assurer que les pays auxquels on fournit de l'aide sont en mesure d'utiliser cette aide efficacement.

Mme Labelle: Monsieur le président, il y a un certain nombre de pays où l'ACDI était présente il y a une dizaine d'années et dont nous nous sommes retirés parce que la situation politique ne se prêtait pas à ce que l'aide soit utilisée de manière efficace. Nous faisons un peu d'aide humanitaire quand la situation s'y prête, là où tous les pays donateurs doivent donner un coup de main parce que les gens n'ont rien à manger. On s'est retirés à différents moments de l'histoire de différents pays parce que les pays en cause n'avaient pas la capacité d'utiliser ces fonds. Je pense en particulier à Haïti. Pendant un certain nombre d'années, on ne donnait pas d'aide autre que de l'aide d'urgence parce qu'il n'y avait pas la capacité d'utiliser ces fonds à bon escient.

Je disais tout à l'heure qu'on regardait chaque pays individuellement. Je n'ai pas mentionné celui-là, mais c'en est un qui est important. On ne regarde pas seulement les indices de ce pays-là. On regarde aussi où le Canada peut le mieux aider et, en même temps, on considère la capacité du pays à utiliser à bon escient les ressources qu'on offre.

.1630

Le président: Si je comprends bien, de cette manière, l'aide fournit une forme d'encouragement aux gouvernements qui ont de bonnes politiques. On encourage les bonnes politiques et on décourage les mauvaises, si je peux dire.

Mme Labelle: Oui. En particulier, nous avons une rencontre annuelle avec les autres pays donateurs, les banques et le PNUD pour examiner chacun des pays. Nous allons là où nous avons une programmation suffisante. On se prépare avec beaucoup d'attention quand on va à ces rencontres et on part avec un mandat. On parle à nos collègues des autres pays donateurs avant d'y aller. À ce moment-là, dans bien des cas, ensemble nous exerçons des pressions sur un pays pour qu'il puisse diminuer ses dépenses militaires ou encore mieux redistribuer, à l'intérieur, l'argent qu'il a déjà. Il a peut-être une croissance économique qui n'est pas mal, mais on ne trouve pas qu'il redistribue suffisamment l'argent entre les riches et les pauvres. C'est mon deuxième exemple.

Le président: Il est bien connu que nous ne donnons pas d'aide aux États-Unis, madame la présidente.

Je passe la parole à M. Paré.

M. Paré: Dans la dernière partie de votre brève présentation, j'ai cru comprendre que les prochains mois seraient une période intense de réévaluation à l'ACDI. Pourquoi est-ce que ces réévaluations n'ont pas été possibles avant le dépôt du Budget, d'une part? D'autre part, est-ce que les choix qui ont été faits au moment du Budget ne préjugent pas d'une certaine façon de l'efficacité ou de l'inefficacité de certains véhicules pour transporter l'aide publique canadienne?

À ce point de vue, compte tenu que les secteurs des ONG, du partenariat et du bénévolat en particulier ont subi des coupures importantes, est-ce qu'on doit comprendre que ces secteurs ont subi les affres du jugement de l'ACDI? Sinon, est-ce qu'on doit comprendre que c'est au plus fort la poche? Je présume que ce n'est pas cela, de sorte que cela me laisse un peu perplexe, d'autant plus que dans un document qui provient de l'ACDI et qui était dans notre pochette, Budget 1995-1996: Faits saillants du Budget, Direction générale du partenariat canadien, je trouve des choses qui m'apparaissent un peu contradictoires.

Dans la Partie II de ce document, qui est intitulée «Principes soutenant le nouveau Budget», on dit:

1. Les fonds d'aide publique au développement doivent appuyer, en priorité, des projets dans les pays en développement et non pas des activités au Canada.

Je comprends tout à fait cela. Mais lorsque je regarde cela et que je le mets en parallèle avec d'autres parties du même document, j'ai l'impression qu'il y a des contradictions.

Dans la troisième partie du même document, on parle des critères employés dans l'attribution des ressources et au critère d), on parle des énéfices aux Canadiens, mais on disait d'autre part que la priorité allait à des projets dans les pays en développement et non pas à des activités au Canada. Il me semble donc qu'il y a une certaine contradiction entre les deux. On rappelle l'importance de l'éducation au développement. Un peu plus bas, dans la Partie III, on dit que dorénavant, les organismes bénéficiaires devront tenir compte de certaines priorités, notamment:

En terminant, dans le document qui émane du Conseil canadien pour la coopération internationale, il y a l'introduction à la deuxième partie, «Réductions globales de l'APD», et je veux parler de cette partie relativement au point d). On dit:

.1635

La coopération industrielle a absorbé 11 p. 100 des réductions, mais représente 20 p. 100 du budget de 1994-1995 et représentera 23 p. 100. Les ONG, pour leur part, ont absorbé 17 p. 100 des réductions, alors que leur budget ne représente que 6 p. 100 de toute l'aide publique.

Je reviens à ma question de tout à l'heure. Est-ce que cela s'est fait n'importe comment, à la va comme je te pousse - je présume que ce n'est pas le cas - ou s'il y a un jugement de valeur et d'efficacité? Tout à l'heure, quand je vous ai demandé lequel des trois ou des quatre véhicules était le plus efficace pour contrer la pauvreté dans le monde, vous avez semblé dire qu'ils étaient tous un peu complémentaires. J'avoue que j'ai du mal à suivre toute la démarche.

Mme Labelle: Dans un premier temps, vous avez parlé de réévaluation. En ce moment, nous nous assurons que notre programmation est conforme au document de politique Le Canada dans le monde. La réévaluation, sur une base globale, s'est faite en grande partie avant le Budget, au moment de la revue de la politique étrangère, pendant vos audiences. On suivait cela de très près et, en même temps, on faisait l'analyse de l'efficacité de ce qu'on avait fait et des différents canaux de livraison.

En ce qui a trait au secteur des ONG, ces dernières années, la réduction imposée aux ONG a été à peu près la même que la réduction du budget de l'ACDI.

Deuxièmement, quand on parle du travail qu'on fait avec les organismes bénévoles, il est très important de regarder le côté bilatéral et non seulement le partenariat. Il y a eu une augmentation intéressante, du côté du bilatéral, de l'utilisation des organismes bénévoles comme agents d'exécution de différents projets qu'ils nous ont proposés, surtout l'année dernière.

Il faut regarder dans son ensemble ce qui va aux organismes bénévoles, au-delà de ce qui vient du partenariat, ce qui est un mécanisme privilégié pour les organismes bénévoles. Mais il reste que des sommes importantes sont allées aux ONG du côté bilatéral.

Vous avez soulevé la question qui touche les bénéfices aux Canadiens et je pense que c'est un point intéressant à soulever. D'une part, oui, nous devons étirer le plus possible nos ressources à l'intérieur de notre mandat en vue d'aider les peuples des pays en voie de développement et de réduire la pauvreté.

Quand on parle de bénéfices aux Canadiens, l'aspect important à se rappeler, c'est que lorsqu'on choisit le type de projet et les moyens qu'on va se donner, on doit s'assurer qu'on pense aux Canadiens en premier lieu. Je me servais à un certain moment de l'exemple suivant. Si on a l'intention d'acheter du blé ou du lait en poudre, on va d'abord regarder au Canada avant d'aller dans d'autres pays comme la France ou les États-Unis. C'est dans ce contexte-là qu'il faut agir.

Si on a un projet et qu'un pays donné nous demande de l'aider en ce qui a trait à l'éducation de base, on va voir s'il est possible d'envoyer des groupes canadiens aider ce pays-là. Cela touche à peu près tous les aspects de ce que nous faisons.

Lorsqu'un projet avec un pays commence à se préparer, on examine les priorités, la programmation et le projet. Au niveau du projet, on regarde toujours d'abord si on a l'expertise nécessaire au Canada. C'est dans ce sens-là qu'on se préoccupe des retombées au Canada, parce que c'est l'argent des Canadiens que nous utilisons. On doit commencer par par chercher l'expertise technique au Canada avant d'aller ailleurs.

.1640

M. Paré: Pour reprendre votre exemple du blé, si un pays en voie de développement était producteur de blé, est-ce qu'il ne serait pas plus rationnel, dans une perspective de réduction de la pauvreté, d'acheter du blé dans un pays en voie de développement pour le fournir à un autre pays en voie de développement?

Mme Labelle: En fait, ce sont des choses que nous faisons parce que, très souvent, s'il y a une grande urgence dans un pays donné, avec le Programme mondial d'alimentation, on va aller bien souvent au plus près, c'est-à-dire dans les pays en voie de développement.

Cependant, en Afrique, les denrées alimentaires dans un pays donné sont bien souvent essentielles à ce pays-là; donc, on se tourne presque toujours vers des pays donateurs plutôt que vers des pays en développement.

En ce moment, nous regardons comment nous pouvons travailler sur une base trilatérale, c'est-à-dire avec un pays qui est en transition, en émergence, pour aller aider un pays en développement qui est moins nanti. Nous le faisons parce que cela nous donne une expertise spéciale. Ce pays-là vivait la même situation il y a quelques années. En même temps, on commence à inviter les pays en émergence à devenir des pays donateurs pour élargir le bassin de ressources disponibles. Enfin, cela permet bien souvent à des pays voisins de commencer à travailler ensemble. Donc, il y a plusieurs raisons pour lesquelles on fait cela.

M. Paré: Toujours dans le document du Conseil canadien pour la coopération, il y a une petite phrase choc à laquelle j'aimerais vous confronter. On dit:

N'est-ce pas porter un jugement de valeur très sévère sur le travail des ONG? Au fond, on enlève des fonds aux ONG et on les transfère aux sociétés canadiennes, si je comprends bien. Est-ce exact?

Mme Labelle: Je ne crois pas que ce soit exact, monsieur le président. Je voudrais peut-être l'entendre à nouveau. Il est vrai que nous avons réduit notre contribution aux organismes internationaux, aux organismes non gouvernementaux qui oeuvrent dans le domaine international et nous l'avons toujours fait parce qu'il y avait des choix à faire à ce moment-là. C'était cela ou couper encore plus les fonds aux organisations de développement canadiennes qui oeuvrent dans le domaine du développement dans des pays en développement.

Donc, cela a été un choix: les organismes non bénévoles internationaux ont subi des coupures plus importantes que les organismes de développement canadien. Cela a été un choix très conscient parce que nos organismes étaient très bons, eux aussi. On s'est dit à ce moment-là qu'il était plus facile pour le Canada de travailler à travers des organismes qui sont ici et qui travaillent à l'étranger, dont Oxfam, Care Canada, la Fondation Jules-Léger et les Mennonites. Comme on le disait tout à l'heure, beaucoup d'organismes canadiens oeuvrent à l'étranger.

[Traduction]

M. Lastewka (St. Catharines): Monsieur le président, je m'excuse de mon retard. J'assistais à une autre réunion.

J'ai en main votre graphique intitulé «Budget de fonctionnement» qui indique les réductions budgétaires pour les divers secteurs. Lors de votre dernière visite - et je vous suis toujours reconnaissant de venir nous parler des progrès de l'ACDI - il y a eu une discussion à propos du nombre des ONG avec lesquelles travaille l'ACDI. On envisageait de regrouper les plus petites ONG, ou encore des ONG ayant des activités semblables, sous un programme général. Je ne sais pas si vous avez vraiment fourni tous les détails à ce sujet - et non simplement pour certaines régions du monde - dans votre rapport. Pourriez-vous me dire de combien d'ONG il s'agit, par rapport au nombre d'unités administratives, etc.?

.1645

Mme Labelle: Je pense que vous devez parler du nouveau mécanisme de soutien des projets que nous sommes actuellement en train de planifier, et qui va remplacer différents fonds, à la fois régionaux et thématiques, administrés par l'ACDI d'un bout à l'autre du pays.

Pour ce qui est de ce nouveau mécanisme, nous menons actuellement des consultations avec un certain nombre d'ONG qui peuvent peut-être nous aider à éviter de perdre la dimension régionale et l'exploration d'un certain nombre de thèmes très importants, tels que l'environnement, afin que nos efforts débouchent sur une réelle alternative et que nous retenions toujours les meilleurs éléments. Nous comptons toujours respecter le délai prévu, soit la fin juin, pour la mise en place de la nouvelle structure d'appui.

Il est probable que plusieurs centaines d'organisations puissent recourir à cette nouvelle structure. D'après nous, il ne devrait pas s'agir de projets de grande envergure, si nous nous fondons sur notre expérience des fonds régionaux et thématiques. Il s'agit en général de plus petits projets exécutés sur deux ou trois ans, en général, de sorte qu'une certaine somme puisse soutenir de nombreuses organisations.

M. Lastewka: Peut-être pourriez-vous parler un peu plus du fait que l'ACDI est une très grande organisation qui travaille avec de nombreuses ONG.

Au cours des différentes séances d'information, au cours de nos déplacements dans toutes les régions du pays, et lors de nombreuses rencontres ici à Ottawa, j'ai trouvé tout à fait fascinant d'apprendre que nous avons tant de contacts et que nous administrons autant de projets différents. Je me demande donc si en réduisant le nombre de contacts directs initiaux et en regroupant les projets, nous ne pourrions pas réduire nos dépenses administratives et d'autres frais de façon à verser plus de crédits aux projets proprement dits. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Mme Labelle: Je voudrais vous répondre en parlant tout d'abord des projets bilatéraux, et ensuite, du Programme du partenariat canadien, qui sont deux mécanismes au sein de l'ACDI. Du côté des projets bilatéraux, nous constatons qu'en général, nous pouvons assurer un maximum d'impact pour chaque projet si nous les intégrons, c'est-à-dire si nous regroupons dans la mesure du possible les éléments qui s'y prêtent.

Permettez-moi de vous donner l'exemple d'un projet communautaire de reboisement dans une région de l'Afrique qui connaît un problème de plus en plus grave de désertification. Au lieu de nous préoccuper uniquement de ces difficulté-là, nous essayons de prévoir des programmes d'alphabétisation, de production alimentaire et de gestion de l'eau. À ce moment-là, nos activités forment un tout, ce qui signifie que le reboisement devient plus durable, étant donné que nous avons pu régler certaines difficultés et améliorer ainsi l'aspect durabilité. Donc, au lieu d'administrer de petits projets portant sur une question unique par le biais du programme bilatéral, nous cherchons toujours à faire les choses de façon plus intégrale.

Cela amène d'ailleurs nos partenaires canadiens du programme bilatéral à changer d'approche; en effet, de plus en plus de consortiums sont formés car il faut posséder des compétences multiples pour pouvoir présenter une offre pour un contrat. Vous allez voir également de plus en plus de collaboration entre le secteur privé et les ONG ou les universités; souvent ce genre de collaboration conduit à une soumission conjointe pour un projet particulier. Donc, du côté bilatéral, cette approche est de plus en courante.

.1650

Du côté du partenariat, pour ce qui est de la structure qui sera en place en juillet, nous allons désormais appuyer le bénévolat effectué par les ONG sur une base annuelle ou pluriannuelle. Autrement dit, elles prépareront certains programmes, elles viendront nous en parler, nous nous mettrons d'accord, et elles seront financées sur cette base là. Cela concerne environ 65 organisations au Canada des plus importantes.

Nous allons également appuyer les universités, les collèges et un certain nombre d'associations professionnelles. Il ne s'agit pas là d'un groupe important, mais nous soutiendrons certains groupes qui ont des activités de développement et qui, comme nous l'avons dit tout à l'heure, font énormément de bénévolat. Il s'agira des organisations qui envoient des bénévoles à l'étranger, telles que Carrefour international, Jeunesse Canada Monde, le SACO, comme je vous l'expliquais tout à l'heure et divers syndicats ou coopératives, ainsi que la nouvelle structure ou organisation de soutien des projets que je vous décrivais il y a quelques instants.

Alors que toutes ces autres organisations sont financées sur une base annuelle ou pluriannuelle, dans la plupart des cas, en vertu de la nouvelle structure de soutien des projets, il sera possible d'examiner les projets au fur et à mesure qu'ils nous sont soumis par des ONG canadiennes.

M. Lastewka: Comme vous le disiez vous-même, il serait très intéressant d'envisager d'intégrer de plus en plus les différents projets. Pour moi, l'une des premières conséquences d'une telle approche serait de garantir que les crédits qui servent à financer ce projet intégré aient beaucoup plus d'impact. Pour moi, cette nouvelle orientation est très prometteuse. Il serait bon qu'on sache avec plus de précision le rendement de notre investissement. Je sais qu'il n'est pas facile de calculer avec précision ce genre de chose, mais en même temps, il me semble important d'insister davantage là-dessus. En regroupant ou en intégrant davantage les projets, je suis convaincu que notre investissement rapportera davantage.

Il serait peut-être bon de nous donner quelques exemples qu'on puisse citer en parlant avec nos électeurs, qui veulent toujours savoir pourquoi nous dépensons telle et telle somme, etc.... C'est toujours utile d'avoir des exemples concrets afin qu'on puisse expliquer aux Canadiens ce qu'on fait dans différentes régions du monde.

Mme Labelle: Oui, c'est une bonne idée. Merci.

Le président: Merci, monsieur Lastewka.

[Français]

M. Paré: On ne peut pas terminer la journée sans poser au moins quelques questions sur les droits de la personne.

Mme Labelle: Pourquoi pas?

M. Paré: Ce serait une véritable honte.

Dans une déclaration écrite qu'il nous faisait parvenir le 16 mai, le ministre des Affaires étrangères indiquait qu'une priorité de l'aide canadienne était de protéger et de promouvoir les droits de la personne. À la lumière de cette déclaration-là, pourriez-vous nous indiquer des décisions qui auraient été prises par l'ACDI pour tenir compte de cette déclaration du ministre? C'est ma première question.

La deuxième est la suivante. Comment peut-on concilier cette déclaration et l'aide massive que le Canada octroie à l'Indonésie et à la Chine?

Mme Labelle: Monsieur Paré, pour nous, toutes les questions des droits de la personnes sont très importantes et sont une de nos priorités de programmation. Nous en tenons compte de différentes manières depuis un bon bout de temps. D'une part, on le fait directement.

Par exemple, en Chine, nous sommes en train de développer la deuxième partie d'un projet pour aider les femmes chinoises à comprendre les droits qu'elles ont en vertu des lois qui existent là pour les protéger. Ce sera un projet qu'on va réaliser en Chine. Pour nous, ce projet est très important parce que c'est une percée importante, d'une part.

.1655

De plus, on travaille en Indonésie depuis un certain nombre d'années afin d'appuyer le gouvernement à mieux introduire chez lui, au niveau gouvernemental et autre, l'équité ou l'égalité entre hommes et femmes. Nous avons une programmation très intéressante en Indonésie à cet égard-là.

J'ai choisi ces deux pays-là parce que vous les avez mentionnés, mais on pourrait faire un tour très intéressant des pays à travers le monde où nous appuyons directement des projets visant à changer ce qui se passe en matière de droits de la personne.

Nous le faisons aussi par le biais des ONG canadiens qui travaillent directement avec des partenaires à l'étranger pour développer la société civile dans ces pays-là et les aider à représenter leurs droits.

Nous le faisons en appuyant un certain nombre de projets visant à améliorer la gestion de la justice dans un certain nombre de pays. Évidemment, on le fait dans des projets bien spéciaux en Haïti et au Rwanda pour rétablir un système de justice qui n'existe pas, et cela touche beaucoup les droits de la personne, parce que sans cela, les gens vont rester en prison. On ne sait même pas s'ils ont été arrêtés, s'ils sont coupables ou non. D'autres sont arrêtés, sans raison bien souvent, et emprisonnés pendant des mois. Donc, c'est un autre moyen d'attaquer directement cette question.

Ensuite, on le fait d'une manière indirecte. Je pense au Bangladesh où nous avons de grands projets très importants pour aider les femmes à en arriver à une certaine équité économique. Et nous avons des projets de micro-entreprises à l'appui des femmes, particulièrement pour les femmes au Bangladesh, afin de les aider à atteindre une certaine capacité économique. Les femmes commencent à pouvoir se représenter un peu plus.

La même chose s'applique à l'éducation des jeunes filles. C'est une question de manque de droits. Dans certains pays, les jeunes filles sont retirées de l'école à l'âge de sept ans alors que les jeunes garçons vont à l'école jusqu'à l'âge de 14 ou 15 ans. Nous travaillons avec ces pays-là - je mentionnais 15 pays d'Afrique tout à l'heure - pour essayer de redresser cette situation. C'est aussi une question de rendre plus équitable une situation qui ne l'est pas en ce moment.

Quand on parle de droits de la personne, on le fait à différents niveaux et de différentes manières selon les pays, selon la capacité d'absorption. Dans bien des cas, quand on ne peut pas le faire directement, les ONG canadiens deviennent très importants parce qu'ils peuvent être présents alors qu'il ne nous est pas possible de l'être de gouvernement à gouvernement. On espère qu'ils pourront préparer le terrain à une programmation qui effectuera des changements plus importants.

Nous travaillons en Inde - et c'est mon dernier exemple, monsieur le président - ou avec certains États de l'Inde, à développer un régime de partage des terres qui permette à différentes communautés d'avoir accès à des terres, au moins à la surface, sinon à l'aspect foncier, pendant 20 ou 25 ans, pour pouvoir les développer et y vivre. Auparavant, elles n'y avaient pas accès. On pouvait les déplacer du jour au lendemain.

Donc, il y a plusieurs manières de procéder. Il faut multiplier nos chances de miser sur les occasions qui sont là. Lorsqu'on voit une porte entrouverte, il faut y entrer rapidement pour établir un climat propice à changer les lois, s'assurer qu'elles sont respectées et instaurer des systèmes de justice qui fonctionnent. Cette question est vaste et très importante.

.1700

[Traduction]

M. Volpe (Eglinton - Lawrence): Monsieur le président, j'étais presque heureux de constater que nous étions sur le point d'aborder la question du budget, mais puisque Mme Labelle a toujours des observations très intéressantes à faire, j'ai un peu l'impression que nous allons continuer pendant encore quelque temps de parler des politiques de l'ACDI.

Madame, nous avons reçu un certain nombre d'intervenants qui sont d'avis que les fonds dépensés par l'ACDI dans certains pays, par l'entremise des ONG, ne sont pas bien utilisés parce que les autorités dans les pays où sont actives ces ONG considèrent que les activités de défense des droits de la personne de ces mêmes organisations, comme le disait notre collègue, M. Paré, et vous-même, dans votre réponse, ont un effet déstabilisateur.

J'aimerais savoir, tout d'abord, si l'on vous a déjà fait directement cette critique. Et deuxièmement, avez-vous un mécanisme en place qui vous permette d'exclure les ONG dont les activités visent à développer la notion de responsabilité mondiale ou la formation de sociétés civiles, etc., mais qui représentent, dans l'optique des pays bénéficiaires, de l'ingérence politique?

Mme Labelle: Monsieur le président, en tant qu'agence représentant le gouvernement canadien, nous devons évidemment essayer d'éviter de déstabiliser les pays, et lorsque nous réexaminons la programmation de chacune des organisations avec lesquelles nous travaillons régulièrement, nous en tenons bien compte.

Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, lorsqu'il ne convient pas que l'ACDI traite directement avec un autre gouvernement, ou lorsqu'il ne nous est pas facile de le faire, nous constatons que les ONG peuvent plus facilement jouer un rôle actif dans certains pays.

Je voudrais citer Cuba à titre d'exemple, car le gouvernement canadien a décidé de ne pas y assurer une présence directe, bien qu'un certain nombre d'organisations canadiennes y exécutent leurs propres programmes et aident la population de diverses façons. À mon avis, elles n'ont pas créé de problèmes; elles ont simplement cherché à exposer la population à des choses différentes, par le biais de leurs programmes d'aide. Si elles assuraient une présence dans ce pays, c'était pour aider la population. Certaines universités étaient jumelées avec des universités cubaines, et l'idée c'était d'exposer la population cubaine à des gens de l'extérieur afin de renforcer les liens entre les deux pays au profit de tous.

Donc, les ONG ne sont pas forcément concernées directement par la question des droits de la personne. Très souvent les ONG cherchent surtout à aider une communauté. Cette dernière peut avoir des problèmes d'hygiène publique, d'eau ou d'alphabétisation. Mais en assurant ce type d'assistance, elles aident les communautés à devenir plus solidaires et à s'aider elles-mêmes. Ces organisations leur montrent comment s'aider elles-mêmes, tout en constituant un contact avec le monde extérieur, et je pense qu'elles se rendent très bien compte qu'il y aura plus de justice si les communautés peuvent s'aider elles-mêmes.

M. Volpe: C'est un argument qui est très valable, car je l'entends assez souvent, présenté avec des nuances différentes, par les représentants du milieu des affaires, qui justifient ainsi les contacts avec les gouvernements de ce type pour pénétrer de nouveaux marchés.

Madame Labelle, puis-je vous demander d'étoffer un autre aspect de votre réponse à la question de mon collègue, M. Paré, concernant le rôle de l'ACDI dans la défense des droits de la personne, et notamment les droits des femmes et leur rôle dans l'évolution des sociétés civiles et de systèmes politiques différents.

.1705

Pourriez-vous nous parler un peu des succès de certaines ONG dans le domaine de l'aide à la participation des femmes à la vie sociale, lorsque les coutumes religieuses et culturelles ne concordent pas avec les attentes des sociétés occidentales. Je sais que les personnes de souche judéo-chrétienne en sont peut-être venues à considérer comme le rôle socio-politique que devraient jouer les femmes dans la société peut être considéré de manière totalement différente ailleurs.

Avons-nous un critère qui nous permet de mesurer le degré de réussite dans les sociétés où les ONG ont des activités; ou est-il permis de penser qu'elles suscitent chez ces femmes des aspirations à une transformation complète de la société à l'image des pays occidentaux qui leur apportent cette aide?

J'ai tenté d'être politiquement correct d'un bout à l'autre, monsieur président. Je ne sais pas si j'ai réussi.

Le président: Vous avez choisi vos mots avec un tel soin, monsieur Volpe que nous nous demandions où vous vouliez en venir.

M. Volpe: Je me le demandais moi-même.

Mme Labelle: Je vais essayer d'être tout aussi politiquement correcte, monsieur le président, dans ma réponse.

Je crois qu'il s'agit là d'une question très importante, qu'il faut traiter avec prudence. Nous devons accompagner l'évolution des habitants du pays que nous aidons. Il ne faut pas que nous essayons de les transformer à notre image, car cela ne réussit jamais et l'on risque de créer des problèmes insolubles.

À mon sens, les accompagner signifie simplement que l'on doit travailler avec les gouvernements et avec différents groupes de ces pays pour essayer de déterminer leurs besoins, leurs priorités et la meilleure façon de les satisfaire.

Manifestement, dans le cas mentionné par vous et dans d'autres situation analogues où, pour des raisons religieuses ou autres, certains groupes ne considèrent pas la place des femmes dans la société de la même manière que nous, dans l'Ouest, il ne faut jamais oublier que notre tâche est d'accompagner leur évolution et non de les transformer à notre image.

Donc, dans les projets bilatéraux que nous développons, nous procédons ainsi avec le gouvernement et notre interlocuteur. Nous nous mettons d'accord sur les priorités, sur les besoins, sur les type de projets que nous entreprendrons; après quoi, nous en assurons la direction avec ce gouvernement.

N'oubliez pas que le secteur des ONG, celui de la coopération - des projets dont ils se chargent entièrement - participe à l'examen de nos programmes annuels. Dans le cadre des ententes passées avec nos partenaires, si une affaire déraille, il nous est donc toujours possible d'intervenir très rapidement. Nous n'hésiterions pas à le faire, ce que nous avons d'ailleurs fait à plusieurs reprises.

M. Volpe: Il s'agit donc surtout de soulager les besoins matériels - ce qu'on appelle parfois les besoins matériels urgents - et du développement d'une organisation économique concrète, plutôt que de développement social.

Mme Labelle: La première de nos priorités est la satisfaction des besoins de première nécessité, auxquels le gouvernement a décidé que nous devrions consacrer 25 p. 100 de nos ressources -

M. Volpe: Au minimum.

Mme Labelle: Oui. De là, ce qui est vraiment important c'est la santé - ce qui relève des préoccupations sociales - l'éducation, le logement, l'alimentation en eau et l'hygiène.

.1710

En ce qui concerne le rôle des femmes dans le développement, autre priorité de nos programmes, il y a aussi recoupement avec la priorité dont je viens de parler, car l'éducation, l'hygiène maternelle, les micro-entreprises, le soutien économique ou leur capacité de subvenir à leurs propres besoins...

N'oubliez pas que dans beaucoup de pays, en particulier en Afrique, les hommes sont obligés d'aller travailler dans d'autres régions du pays ou même à l'étranger, et les femmes se retrouvent donc seules pour s'occuper de leur famille. Elles s'occupent de la nourriture, des animaux et de tout le reste, car leurs collectivités sont très souvent rurales. Le soutien aux femmes est donc très important.

L'infrastructure et l'environnement, les droits de la personne et l'administration publique sont également des priorités pour nous. Mais je le répète, notre rôle est d'accompagner l'évolution de ces gens-là au lieu de leur dire ce qui est bon pour elles.

M. Volpe: Voilà un mot nouveau que je vais inscrire dans mon dictionnaire, madame, merci.

Le président: À en juger d'après mon expérience de député, je crois que ma femme pourrait obtenir une subvention de l'ACDI en invoquant l'absentéisme de son mari.

Mme Beaumier (Brampton): Je voudrais faire une brève remarque.

Nous parlons des droits de la personne, et je crois qu'il va falloir que nous revoyons la terminologie dans ce domaine. On commence à en abuser dans certaines régions. Certaines infractions sont absolument épouvantables. Dans d'autres cas, nous pourrions peut-être aider discrètement à modifier la situation, mais dans d'autres il faudrait peut-être intervenir plus énergiquement.

Mme Labelle: Je suis d'accord avec vous.

Le président: Merci beaucoup, madame Labelle.

Mme Labelle: Merci.

Le président: La séance est levée. Nous reprendrons demain matin à 9 heures et nous entendrons alors le vérificateur général qui nous parlera des futurs plans de vérification du ministère.

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