[Enregistrement électronique]
Le jeudi 15 juin 1995
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte.
Avant de céder la parole à M. Broadbent qui est ici ce matin avec ses collègues pour nous parler du Centre, j'aimerais remercier mes collègues de leur collaboration lors de la séance d'hier soir que nous avons tenue au Sénat avec le ministre des Institutions financières. En toute honnêteté, il s'agissait d'une façon de procéder plutôt inhabituelle, mais puisque le Parlement tient de plus en plus à réaliser des économies et à être efficient, nous n'aurions pu, je crois, utiliser notre temps de façon plus efficace. Si certains membres du comité y voient des objections, j'aimerais qu'ils m'en fassent part. Sinon, de temps à autre - nous n'en ferons pas une pratique courante - c'est la méthode que nous adopterons. Je présume que vous m'autorisez à le faire.
Deuxièmement, pour les députés intéressés, il est paru hier dans le Ottawa Citizen un long éditorial intitulé Out of Bretton Woods, qui était fondé sur notre rapport. L'éditorialiste a la gentillesse de dire:
- Si les Canadiens veulent bien comprendre les enjeux, ils feraient bien de consulter le rapport du
Comité de la Chambre des communes sur les Affaires étrangères et le Commerce international.
Ils en tireront à tout le moins un certain respect pour le travail qu'abattent les députés
d'arrière-ban sans tambour ni trompette. «De Bretton Woods à Halifax et au-delà» est un
document bref, facile à lire et même captivant qui comporte une liste de propositions énoncées
en vue du sommet, sur la façon dont on pourrait entreprendre les réformes.»
M. Broadbent nous a indiqué qu'il aimerait nous présenter un cours exposé de 15 minutes; ce document a déjà été distribué aux membres du comité. Nous le laisserons donc le lire, puis nous passerons aux questions.
Monsieur Broadbent, vous avez la parole.
M. Ed Broadbent (président, Centre international des droits de la personne et du développement démocratique): Merci, monsieur le président.
Pour commencer, permettez-moi de vous dire à quel point je suis heureux de comparaître de nouveau devant votre comité. Comme vous venez de l'indiquer, j'ai un mémoire qui a été distribué aux députés. Essentiellement, il s'agit d'un rapport sur ce que nous avons fait, qui met en relief certains événements de l'année qui vient de s'écouler et nos principaux projets, et qui se termine sur de brèves remarques sur des questions administratives.
Si les membres du comité veulent m'interrompre pour me poser des questions, j'espère qu'ils n'hésiteront pas à le faire.
Tout d'abord, j'aimerais vous transmettre les excuses de Mme Côté-Harper, la présidente de notre conseil d'administration. À notre dernière comparution devant votre comité, elle était présente, bien sûr. Malheureusement, la date de cette comparution-ci n'a été établie que récemment et Mme Côté-Harper avait déjà prévu de se rendre en Europe pour assister à deux importantes réunions qui ne pouvaient être reportées.
Je suis accompagné de Mme Norma Walmsley, une personnalité distinguée qui siège au conseil d'administration du Centre depuis le tout début et une membre de l'Ordre du Canada. Elle se fera un plaisir de répondre à toutes vos questions au nom du conseil d'administration. Je suis accompagné de Carole Theauvette, vice-présidente exécutive du Centre, de Marie-France Cloutier, notre contrôleure, et d'Iris Almeida, responsable des programmes. Si les membres du comité ont des questions sur certains pays précis dont elle s'occupe, elle sera ravie d'y répondre.
Je passe maintenant à l'essentiel de notre rapport.
[Français]
Le Centre s'est engagé activement, au cours de la dernière année, dans des campagnes mondiales pour dénoncer le génocide rwandais, pour promouvoir le retour à la démocratie en Haïti et en Birmanie, pour défendre les droits des femmes et pour intégrer les droits de la personne dans les ententes commerciales internationales. Examinons brièvement chacun de ces points.
Le Rwanda: La tragédie rwandaise aurait pu être évitée si la communauté internationale avait réagi à temps aux nombreux signaux précurseurs de ce drame.
Comme vous le savez, au début de 1993, une commission internationale d'enquête au Rwanda, mandatée par le Centre, concluait que la minorité tutsi et les opposants au gouvernement étaient alors systématiquement victimes de violations de leurs droits.
[Traduction]
Ce rapport, publié plus d'un an avant le début de l'attaque la plus violente, faisait mention précisément d'actes de génocide. Le Centre s'est occupé activement de la situation au Rwanda tout au long de l'année. Il a condamné les atrocités, bien sûr, a fait pression pour que la communauté internationale agisse et a demandé expressément qu'un tribunal international soit mis sur pied.
J'ai rencontré personnellement le premier ministre Faustion Twagiramungu lors de sa visite au pays l'an dernier. Nous avons envoyé une mission d'enquête pour examiner l'état du système juridique, et nous étudions en ce moment avec d'autres quels moyens prendre pour reconstruire la société civile et le système juridique.
À titre d'information, notre conseiller spécial en matière de politique et un expert de l'Union interafricaine des droits de l'homme donnent un cours aujourd'hui et demain à Kigali aux juges et avocats rwandais sur les mesures légales concernant les crimes de génocides.
[Français]
Haïti est un dossier prioritaire pour le Centre depuis plus de quatre ans. Le retour au pouvoir du président Jean-Bertrand Aristide a conclu positivement la crise survenue en Haïti après le coup d'état. Nous avons entrepris deux activités importantes en Haïti: d'abord, le Tribunal populaire international sur les droits et la Commission de la vérité.
[Traduction]
Je vous donnerai plus de détails sur ces activités un peu plus tard. Je vous laisse le choix de lire la partie de mon mémoire portant sur Haïti.
Au sujet de la situation du Rwanda et d'Haïti, j'ajouterai simplement que nous en avons discuté à fond lors de la réunion des spécialistes organisée par le Centre en février, et qui portait sur l'intervention humanitaire et à la souveraineté de l'État. Les recommandations ont été envoyées aux agences concernées de l'ONU et le rapport sera diffusé largement.
[Français]
En Birmanie, le Centre est aussi actif depuis quatre ans. L'an dernier, nous avons souligné le cinquième anniversaire d'assignation à résidence de Aung San Suu Kyi en publiant dans plusieurs journaux une lettre à la junte militaire au pouvoir, lettre signée par 14 lauréats du prix Nobel de la Paix. Une pétition signée par plus de 2 000 parlementaires de 32 pays a été remise au haut commissaire de l'ONU pour les droits de la personne. Elle demandait la remise en liberté de Aung San Suu Kyi et le retour à la démocratie et au gouvernement civil en Birmanie.
Des études de développement démocratique ont été réalisées sur le Kenya, le Salvador, la Thaïlande et la Tanzanie. D'autres sont en cours sur le Guatemala, le Pérou et le Rwanda. Ces études, dont le cadre s'appuie sur des instruments internationaux de droits de la personne, permettent au Centre d'identifier les priorités nationales pour le développement démocratique. Ces études et les ateliers qui en découlent sont des outils pratiques pour les gouvernements et les groupes de la société civile de ces pays et guident le Centre dans ses actions.
[Traduction]
Ces études sont également utilisées pour influencer des partenaires aux ressources plus importantes - comme l'ACDI et les autres donateurs - lorsqu'ils commencent à élaborer des projets en matière des droits de la personne, de développement démocratique et de bon gouvernement.
[Français]
J'aurais quelques observations à faire sur la question des élections libres et équitables. Le Centre a organisé une mission internationale de surveillance de l'action mexicaine d'août 1994 en déléguant des parlementaires canadiens au Chiapas. Sa mission était d'observer plus particulièrement la participation des Mexicains d'origine autochtone à cette élection. Les irrégularités observées ont conduit le Centre à demander au gouvernement mexicain une enquête sur les allégations de fraude électorale.
Passons maintenant à la question du commerce et de la conscience. Comme vous le savez, nous sommes intervenus publiquement sur la nécessité de lier commerce et droits de la personne. Le Centre a participé à une table ronde mise sur pied par ce Comité permanent, en insistant pour que la nouvelle Organisation mondiale du commerce établisse des règles minimales de respect des droits de la personne auxquelles devraient se conformer les pays membres. Même si cela n'a pas été fait à la création de l'OMC en janvier, le Centre entend maintenir la pression pour l'inclusion de ces dispositions.
Je profite de cette occasion pour insister encore une fois sur le fait que nous appuyons une approche multilatérale sur cette question, une approche qui lie le commerce et les droits. En ce sens, notre politique est semblable à celle du gouvernement canadien exposée dans son document Le Canada dans le monde, déposé en février dernier.
Les droits des femmes: Les pressions des groupes de femmes ont conduit, ces dernières années, la communauté internationale à reconnaître que le viol, la violence domestique et la discrimination à l'égard des femmes ne sont pas des questions du domaine privé, mais bien des considérations relatives aux droits de la personne.
Au mois de juillet dernier, le Centre a tenu une réunion d'experts afin de discuter du cadre légal et des méthodes de travail que devrait utiliser le rapporteur spécial des Nations unies contre la violence faite aux femmes. Le Centre a également versé une somme de 30 000$ afin d'aider le rapporteur à compléter son mandat.
Le Centre a aussi financé un vidéo sur le tribunal des violations des droits des femmes à Vienne, de même qu'une exposition de photographies sur les droits des femmes. Cette exposition est coparrainée par l'ACDI et le Musée canadien de photographie contemporaine. L'ouverture officielle aura lieu à Ottawa en septembre prochain.
Quant aux autres activités,
Je vous laisse le soin de lire ce paragraphe et je passe directement aux priorités pour l'année financière en cours.
[Traduction]
En ce qui concerne les droits des femmes, je tiens à dire que je suis très enthousiaste face à certains des projets que le Centre va entreprendre dans l'année qui vient. Il y a une semaine à peine, le conseil d'administration a entièrement accepté le plan d'action que nous avons proposé. Le Centre entend s'appuyer sur ses acquis de l'an dernier quant au travail de sensibilisation qu'il réalise au plan national, régional et international. Laissez-moi vous en glisser quelques mots.
Pour la Quatrième conférence mondiale sur les femmes, qui aura lieu à Beijing en septembre, nous avons facilité l'organisation d'une rencontre réunissant le Rapporteur spécial sur la violence contre les femmes, d'autres rapporteurs en matière de droits, et le Haut commissaire des droits de l'homme. Nous espérons ainsi miser sur le succès qu'a connu la Conférence mondiale sur les droits de l'homme, tenue à Vienne en 1993, ainsi que sur la réunion que le Centre a organisée l'été dernier, avec des ONG et divers spécialistes, concernant le mandat du Rapporteur spécial.
Nous espérons que cette réunion mettra en relief, à l'occasion de la conférence de Beijing, que les droits des femmes sont les droits de la personne et que toutes les agences devraient les considérer comme tels. Pour ce qui est de l'accès des femmes au Forum de Beijing, nous avons été vigilants et entendons le demeurer. J'aimerais faire ici l'éloge du gouvernement du Canada et en particulier de la délégation canadienne. Ils ont vraiment cherché à s'assurer que la Conférence ne constituera pas un recul en matière des droits des femmes.
La communauté internationale considère le gouvernement du Canada comme l'un des leaders mondiaux dans cette lutte. Pendant un récent séjour à New York, j'ai eu des conversations avec des personnes s'intéressant aux droits de la femme, particulièrement ceux ayant fait l'objet de discussions à Vienne, et elles ont été impressionnées par les mesures prises par notre gouvernement.
Nous allons continuer d'agir également en ce qui concerne les commerces et les droits de la personne. Comme je l'ai déjà expliqué à ce comité, sur cette question l'approche du Centre est multilatérale. À notre avis, la politique étrangère du Canada doit s'intéresser à la fois au commerce et aux droits.
Je serais très heureux de pouvoir discuter plus en détails de la possibilité de protéger un ensemble précis de droits pour des travailleuses et travailleurs, dans le cadre de la réglementation de l'Organisation mondiale du commerce.
D'ailleurs, j'ai écrit à l'honorable Roy MacLaren et à l'honorable Lucienne Robillard sur les liens qui doivent exister entre commerce et droits de la personne, de même qu'aux premiers ministres provinciaux. J'ai écrit à Mme Robillard, bien sûr, parce que le Canada est une fédération et que, si des mesures sont prises, elles le seront au palier provincial puisque le travail est une compétence des provinces.
Nous espérons commanditer les ateliers sur les droits des travailleuses et travailleurs qui auront lieu à la fin de l'été et à l'automne au Mexique, en Indonésie et en Thaïlande, et en présenter les conclusions aux délégués de l'APEC qui se réuniront à Osaka, au Japon. Le conseil d'administration du Centre a approuvé ce projet vendredi dernier.
Nous ferons également quelques suggestions au milieu des affaires du Canada sur ce que les sociétés peuvent faire pour protéger les droits de la personne au moment d'investir à l'étranger. Nous leur rappellerons l'importance de respecter les droits d'association et de non-discrimination, l'interdiction du travail forcé et du travail des enfants. J'ai bon espoir de pouvoir oeuvrer, avec les milieux d'affaires et le monde du travail, pour que la mondialisation ne se fasse pas aux dépens de la personne.
Par ailleurs, nous allons continuer d'étudier le développement démocratique dans nos pays cibles. Nous améliorons notre cadre d'analyse afin d'évaluer le développement démocratique en fonction d'un ensemble d'indicateurs relatifs aux droits de la personne.
En toute honnêteté, mesdames et messieurs les membres du comité, j'estime que le Centre a apporté une contribution précieuse à l'échelle mondiale en s'assurant que la démocratie est définie en fonction de toute la gamme des droits de la personne. Avec un peu d'imagination, je crois qu'on pourra concevoir un cadre d'analyse, que ce soit pour les pays en développement ou pour les pays industrialisés.
Il serait utile qu'un jour, les Affaires étrangères, l'ACDI et le Centre international s'entendent sur un même cadre pour analyser l'état de la démocratie dans un pays. Bien entendu, en raison des différences dans nos mandats, à partir des conclusions factuelles sur un pays donné, si nous employons la même méthodologie, nous pourrons tirer nos propres conclusions qui correspondront à nos mandats respectifs.
Je tiens à souligner que ce serait un outil utile. Nous avons eu des discussions avec l'ACDI et le ministère des Affaires étrangères en vue de concevoir un cadre commun de sorte que, lorsqu'on parlera de droits de la personne et de développement démocratique, sur la scène fédérale à tout le moins, les Affaires étrangères, l'ACDI et le Centre parleront de la même chose. Lorsque nous parlerons d'un pays donné, j'espère que nous tirerons les mêmes conclusions grâce à la même méthodologie. Les conclussions opérationnelles, elles, pourront diverger puisque le mandat du ministère des Affaires étrangères diffère du mandat plus restreint de notre Centre, qui s'intéresse d'abord et avant tout aux droits de la personne et au développement démocratique.
À propos du Rwanda, deux spécialistes internationaux de première ligne en matière de droits de la personne, Alison Desforges, d'Africa Watch et Adama Dieng, de l'International Jurist Commission, étudieront le développement démocratique au Rwanda, mais l'étude sera suivie par un atelier en septembre.
Comme vous le savez, la première ébauche de la Commission nationale de vérité et justice en Haïti a été préparée par le Centre. Nous croyons que la Commission de vérité est une nécessité, si nous voulons faire la lumière sur les crimes du passé et faire un pas vers une société où la réconciliation puisse devenir une réalité. Comme je l'ai indiqué un peu plus tôt, j'agis comme conseiller international auprès de cette Commission et le Centre continuera d'appuyer son travail par tous les moyens à sa disposition.
Depuis ses débuts, le Centre suit de près la situation en Birmanie et il entend continuer de le faire. J'ai été élu membre de la Commission internationale sur la Birmanie il y a un an. Cette commission a été créée lors d'un forum très intéressant regroupant des leaders de pays démocratiques. Ce forum s'est tenu en Corée l'an dernier et a été présidé, à juste titre, par des Asiatiques. Certains des participants à cette réunion, représentant la région du Pacifique, mais d'origine autre qu'asiatique, sont maintenant membres du conseil de direction.
Cette organisation est des plus intéressantes et parce qu'elle est dirigée par des Asiatiques et qu'elle s'intéresse surtout à l'Asie, elle prévoit travailler au retour de la démocratie et des droits de la personne en Birmanie. Nombreux sont ceux qui ont déjà dit que, lorsqu'une région connaît un problème particulier, ce sont les pays membres de cette région qui devraient prendre des mesures pour corriger la situation. Les autres devraient leur faciliter la tâche et non pas s'imposer comme chefs de file.
Je conclurai en faisant quelques remarques sur l'administration. Le Centre a modifié l'allocation interne de ses ressources. Nous avons précisé la mission du service des programmes en lui fixant comme objectif principal, pour nos pays cibles, le développement démocratique.
Un nouveau service appelé «Éducation et sensibilisation» a été créé. Je crois que le travail de sensibilisation constitue une force majeure du Centre; c'est un travail qui ne peut être réalisé par le gouvernement et que les ONG ne peuvent réaliser avec la même facilité d'accès.
Comme dernier point administratif, je note que les états financiers du Centre pour cette année indiquent des coûts administratifs de moins de 8 p. 100. Je crois que le Centre reflète des valeurs qui sont importantes aux yeux des Canadiens et qu'il donne aux contribuables une excellente valeur par rapport à l'argent dépensé en faveur des droits de la personne et du développement démocratique.
Nous sommes heureux que le budget du Centre ait été maintenu à 5 millions de dollars. Nous faisons toutefois appel au comité pour qu'on nous accorde un financement pluriannuel qui faciliterait notre travail de développement à long terme et renforcerait notre capacité à travailler comme organisme indépendant du gouvernement.
Enfin, monsieur le président, je tiens à féliciter votre comité d'avoir décidé de créer un sous-comité des droits de la personne. J'estime que cette décision est un pas dans la bonne direction. Comme certains députés le savent, il y avait un sous-comité des droits de la personne à la dernière législature, sous-comité qui a travaillé vigoureusement et aidé les députés de tous les partis, les partis au pouvoir et les partis d'opposition, à collaborer plus étroitement en matière de droits de la personne. Par conséquent, pour notre Centre, votre décision est des plus positives.
Je vous remercie, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, et nous serons maintenant ravis de répondre à vos questions.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Broadbent.
Nous ne voudrions pas qu'en vous accordant un financement pluriannuel, nous mettions fin à vos comparutions annuelles devant notre comité.
M. Broadbent: Je pourrais venir vous voir plus souvent, monsieur le président.
Le président: Dans ce cas, nous réfléchirons à la question.
[Français]
Monsieur Paré.
M. Paré (Louis-Hébert): Je souhaite la bienvenue au Comité à M. Broadbent et à ses collègues. C'est toujours extrêmement intéressant de vous rencontrer. Ce serait tellement facile pour les Canadiens et les Québécois de s'engourdir dans leur égoïsme de bien nantis. Le Centre international nous aide à rester éveillés par rapport aux drames qui se déroulent dans le monde.
J'aurais un certain nombre de questions. La première porte sur les conflits ethniques. Avec la chute du mur de Berlin et la disparition de l'Union soviétique telle qu'on l'a connue jusqu'à la fin des années quatre-vingt, on s'imaginait que ce serait la fin des conflits dans le monde. On constate, au contraire, que les conflits ethniques en particulier ont pris une importance extrêmement grande. Comment cette nouvelle situation influence-t-elle la mission du Centre?
M. Broadbent: Monsieur Paré, j'aimerais commencer par dire que, dans le contexte de nos études sur les pays clés du Centre, les pays d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie, la question des minorités est un aspect important de notre travail sur le développement démocratique.
[Traduction]
J'aimerais faire une remarque, et c'est une remarque risquée, surtout en ce qui concerne les faits. Si on prend les 13 pays où nous travaillons à l'heure actuelle, dans bon nombre d'entre eux, il existe des conflits ethniques, mais de façon générale, à l'exception bien sûr du cas notable et très important du Rwanda, ils sont loin d'être aussi importants qu'en ancienne Yougoslavie ou dans les États qui formaient l'ancienne URSS.
Une possibilité qui est ressortie des discussions, étant donné que l'ACDI s'est vu confier de nouvelles responsabilités pour travailler en Europe centrale et de l'Est... Comme vous le savez, monsieur Paré, on a confié à l'ACDI la responsabilité en matière de développement démocratique dans cette région du monde. Auparavant, ce sont les Affaires étrangères qui s'en occupaient.
Nous venons tout juste d'entreprendre des discussions sur la possibilité que le centre soit actif dans cette partie du monde. À l'heure actuelle, comme vous le savez, les fonds dont nous disposons sont en théorie limités à des projets qui doivent bénéficier aux pays en voie de développement, ce qui exclut pratiquement tous les pays d'Europe centrale et de l'Est où les conflits ont pris des proportions dramatiques et des plus inquiétantes.
J'espère franchement que nous pourrons en arriver à une conclusion positive. Si nous devions travailler là-bas, il nous faudrait alors nous attaquer de façon beaucoup plus fondamentale aux questions de conflits ethniques. Si nous devions effectivement intervenir, étant donné que nous ne pourrions utiliser des fonds qui ont déjà été alloués à des pays en voie de développement, nous devrions naturellement avoir accès à une source de financement de l'ACDI qui serait alors allouée pour du travail dans ce domaine.
[Français]
M. Paré: Dans votre présentation, vous avez parlé d'une façon très sommaire de deux grandes questions, celles de l'impunité et de la souveraineté des États. Comment les deux éléments, impunité et souveraineté des États, sont-ils réunis? Comment peut-on lutter contre l'impunité tout en ayant au pied le fardeau de la souveraineté des États?
[Traduction]
M. Broadbent: Permettez-moi de vous parler brièvement de ces deux questions extrêmement complexes. Je vais parler d'abord de la question de l'impunité, et je vous dirai comment elle est directement liée à celle de la souveraineté.
Le principal obstacle au rétablissement de la démocratie dans bon nombre de pays d'Amérique latine, y compris Haïti, pays que je vais inclure dans ce contexte, même s'il se trouve dans les Antilles, est la question de l'impunité, comme c'est le cas au Rwanda. Le problème ne consiste pas tout simplement à obtenir justice sur le plan individuel, par exemple pour une famille dont un des membres a été assassiné ou torturé. Naturellement, c'est important. Mais la question va plus loin.
Je lisais récemment un article sur le Salvador, et je reviendrai sur ce problème qui n'a pas vraiment été résolu. En effet, dans le cas du Salvador, on n'a pas adéquatement donné suite au rapport d'une commission de vérité.
Le problème, c'est que pour créer une société fondée sur le principe de la primauté du droit, il faut que la loi soit respectée par un grand nombre de gens. Dans bien des pays - prenons par exemple Haïti où nous travaillons à l'heure actuelle, la loi n'est pas respectée parce qu'elle est considérée comme étant tout simplement l'instrument, au sein de la société, d'une minorité dominante désireuse de maintenir tous les autres à leur place, et si quelqu'un parmi ce groupe dominant enfreint la loi, il n'y a aucune conséquence. Il n'y a pas de justice. Il y a impunité.
Donc, il n'y a pratiquement aucun respect pour le principe de la primauté du droit. C'est malheureusement le cas d'un grand nombre de gens dans un grand nombre de pays à cause de l'impunité, car la loi n'est jamais appliquée lorsque ceux qui ont le pouvoir et l'influence commettent une infraction grave. La loi ne s'applique qu'aux multitudes qu'ils gouvernent. Donc, pour avoir une société démocratique qui respecte la primauté du droit, il faut d'abord s'attaquer à la question de l'impunité. Il s'agit d'un principe important.
Comment cette question est-elle liée à celle de la souveraineté? Elle y est directement liée pour ce qui est de deux grandes catégories de droits: les crimes contre l'humanité et une forme très précise de crimes contre l'humanité - les actes de génocide. Dans ces cas, les États signataires d'accords internationaux peuvent prendre eux-mêmes des mesures contre les citoyens d'un autre pays où ces crimes sont commis, et ils sont obligés de le faire. Donc la souveraineté de l'État, disons, au Rwanda, ou dans le cas d'Haïti à l'heure actuelle...
Dans le mandat que nous avons rédigé pour la Commission de vérité en Haiti, les crimes contre l'humanité sont l'une des catégories de crimes à surveiller. Les autres États ont des obligations internationales bien précises à cet égard: intervenir, voir à ce que justice soit rendue dans de tels cas et dans les cas d'actes de génocide également. Les États ont l'obligation internationale d'intervenir et de s'assurer que justice est rendue si les soi-disant États souverains ne prennent pas de mesures.
Ce sont des cas importants et intéressants où il ne fait aucun doute que le droit international s'applique et a préséance sur les considérations politiques intérieures. Il traite des questions très importantes de l'impunité dans les cas de violation de droits les plus graves.
Le président: Monsieur Lastewka.
M. Lastewka (St. Catharines): J'ai remarqué que vous n'avez pas parlé de l'ancienne Yougoslavie dans votre rapport. Je ne sais pas... Avez-vous l'intention de ne pas en parler? Cela m'intéresserait énormément, étant donné qu'on a tellement parlé de ce qui arrivera si le Canada se retire, etc.
M. Broadbent: J'ai abordé un aspect de cette question lorsque j'ai dit que cela ne relevait pas strictement de notre mandat d'activités. La Loi stipule que les fonds que nous dépensons doivent être consacrés aux pays en voie de développement. Il y a une définition technique des pays en voie de développement. Par conséquent, les États de l'ancienne Yougoslavie ne font pas partie de cette catégorie.
Si nous avions d'autres fonds, si, par exemple, un donateur, une société ou un particulier faisait un don au Centre, ou si le Centre disposait de fonds provenant d'autres sources d'impôts de contribuables, autres que ceux qui sont alloués spécifiquement aux termes de la loi créant le Centre, nous pourrions faire quelque chose. Mais pour le moment, nous n'avons ni les fonds ni le mandat pour le faire.
Donc, ce n'est pas que la question ne soit pas importante, mais cela échappe à notre compétence pour le moment.
Le président: Monsieur Flis.
M. Flis (Parkdale - High Park): J'aimerais aborder une question que nous abordons rarement, c'est-à-dire les pétitions que nous avons reçues des Tamils au cours des douze dernières années. J'ai une lettre ici de la Federation of Associations of Canadian Tamils disant qu'une deuxième manifestation générale sera organisée par la Fédération pour attirer l'attention du gouvernement canadien, du gouvernement de l'Ontario et des Canadiens sur les violations des droits de la personne perpétrées par le gouvernement du Sri Lanka contre les Tamils. Cet organisme lance un appel afin que l'on reconnaisse leur patrie et leur droit à l'autodétermination, etc.
Cette lettre dit en outre que la nouvelle présidente a fait beaucoup de promesses électorales et que la communauté internationale s'est laissée avoir par ces promesses. En fait, on dit dans cette lettre qu'elle a renversé le processus de paix soit par incompétence soit volontairement après avoir réussi à obtenir une aide étrangère d'une valeur de 850 millions de dollars U.S. du consortium d'aide de Paris, qui comprend le Canada:
- Elle s'est lancée dans l'achat d'armes, de munitions, d'avions et de navires de guerre de Moscou
d'une part et de Pékin de l'autre. Entre les deux, il y a Tel Aviv, Karachi et New Delhi.
M. Broadbent: Monsieur Flis, je vais vous donner une réponse qui ressemble d'une certaine manière à la dernière.
Il y a les principaux pays dans lesquels nous travaillons et je serai très heureux de répondre à la fois au comité et publiquement aux questions concernant ces pays. Étant donné la responsabilité de notre mandat, j'essaie de ne pas faire d'observations, du moins certainement pas sans préparation, en ce qui concerne d'autres pays dont nous n'avons pas analysé la situation car nous n'y avons pas travaillé, ce qui est le cas du pays que vous mentionnez.
Ce que nous avons fait par le passé pour certains députés... Même si un pays ou un problème ne relève pas de notre mandat, nous pouvons travailler sur la question. Par exemple, vous avez mentionné que vous aviez reçu des lettres sur la question. Plutôt que de répondre aux points qui sont soulevés dans cette lettre, le Centre et moi-même serions très heureux de tenir compte de certaines allégations qu'elle contient et d'obtenir une réponse, même s'il ne s'agit pas ici d'un des pays où nous travaillons à l'heure actuelle.
M. Flis: Étant donné la grande manifestation qui aura lieu le 17, samedi, j'aimerais déposer ce document auprès du comité. Je peux en remettre un exemplaire à nos témoins. Merci beaucoup.
Le président: Merci, monsieur Flis. J'ai moi aussi reçu copie de cette lettre. C'est une bonne idée que vous l'ayez soulevée.
Monsieur English.
M. English (Kitchener): Récemment, il y a eu une certaine controverse en ce qui concerne le commerce et les droits de la personne. Vous avez fait des observations, et effectivement le ministre en a fait lui aussi. Mais cette question soulève une controverse encore plus large, qui pose de toute évidence un problème. Aux nouvelles de ce matin, on parlait de Sherritt qui fait des affaires à Cuba, ce à quoi le sénateur Helms s'est opposé. Je crois qu'hier, M. MacLaren a défendu la participation de Sherritt à l'économie cubaine et ses investissements futurs là-bas.
D'un autre côté, il y a le cas de la Birmanie, où des sanctions sont appliquées depuis un certain temps. Il semble maintenant que certains pays asiatiques font du commerce avec la Birmanie en disant que c'est une façon d'encourager le développement démocratique et les droits de la personne dans ce pays.
Dans le cas de ces deux pays, comment peut-on établir ce dont vous avez parlé précédemment, c'est-à-dire une sorte de principes communs? Comment peut-on concilier les principes que l'on applique d'une part dans le cas de Cuba et ceux que l'on applique dans l'autre cas pour la Birmanie?
M. Broadbent: Comme mon fils, qui est d'une autre génération, disait: «C'est parfois très difficile».
Je comprends la complexité de toute cette affaire pour le gouvernement. Cela dit, je pense qu'il faut commencer par établir certains principes. Ensuite, on tente de les appliquer de façon cohérente.
Permettez-moi de faire précisément cela.
Notre Centre comprend tout à fait la préoccupation du gouvernement en ce qui a trait à la promotion du commerce. J'ai dit dans différents contextes que je croyais que les hommes et les femmes politiques avaient l'obligation morale de travailler à créer de l'emploi pour les citoyens de leur pays; c'est en partie pour cette raison qu'on les a élus. Donc, nous avons dit que oui, le commerce est une chose importante, sauf dans les cas les plus extrêmes. Ensuite il s'agit d'une question de jugement, comme cela fut le cas de l'apartheid en Afrique du Sud: un principe clair, abominable, universellement méprisé et qui consiste à séparer des êtres humains selon leur race et à leur accorder des droits différents, principe qui était inscrit dans la constitution du régime.
On peut donc dire parfois qu'on devrait éviter même le commerce avec un pays dans certaines circonstances spéciales. Mais de façon générale, nous estimons que s'il y a relations commerciales, il devrait alors y avoir une approche multilatérale pour tenter de faire le lien entre les principes généraux du commerce et les droits de la personne.
C'est pourquoi, à la nouvelle Organisation mondiale du commerce, nous faisons valoir que pour les pays qui veulent participer, qu'il s'agisse de la Birmanie, de Cuba, de la Chine ou du Canada, si un pays veut être membre, il doit appliquer certains droits minimaux. J'ai énuméré quatre droits minimaux qui semblent être pertinents et dont d'autres pays ont parlé. Notre pays devrait travailler de façon multilatérale avec d'autres pays pour tenter d'incorporer ces droits aux règles du jeu auxquelles tous les pays seraient soumis.
Il est question de droits de la personne, mais on a toujours des relations commerciales, et si les droits ne sont pas respectés, je pense alors qu'on devrait prévoir toute une série de sanctions semblables à celles qui s'appliqueraient dans les cas de violation des droits de propriété intellectuelle. Dans ce contexte, je crois que si les droits de la personne ne sont pas respectés dans le cadre d'accords commerciaux, il devrait y avoir un mécanisme de sanctions pouvant être appliquées tout comme dans le cas de graves violations des questions commerciales qui sont actuellement étroitement définies.
Cela dit, il me semble que toute politique qui est appliquée, que ce soit à Cuba ou en Birmanie, devrait tenir compte de la réalité actuelle de ce pays et du fait que la situation dans ce pays s'améliore ou non. Si un pays fait des progrès, alors il me semble que cela justifie une plus grande marge de manoeuvre sur le plan de la politique commerciale ou d'autres attitudes de notre gouvernement ou d'un autre à l'égard de ce pays. S'il ne fait pas de progrès, alors raison de plus pour exercer ou maintenir des pressions de nature commerciale ou autre.
Prenons par exemple le cas de la Birmanie, où l'ancienne politique, non pas uniquement celle de notre gouvernement, mais celle des États-Unis et de bon nombre d'autres pays démocratiques, a été de décourager activement toute participation à son économie. D'après ce que nous disent les gens qui travaillent au développement démocratique dans ce pays, modifier cette politique aiderait ceux qui ne veulent pas accorder davantage de droits et libertés. Dans ce cas-ci, le régime SLORC ne veut pas libérer Aung San Suu Kyi, la dirigeante démocratiquement élue, et ne veut pas accorder un certain nombre de droits aux citoyens de ce pays.
Comme je l'ai dit, je pense que dans ce cas-ci, il faut maintenir la politique actuelle qui consiste à décourager toute activité commerciale. Cela pourrait être mal interprété, et ceux qui travaillent avec nous dans ce cas-ci disent que si on change une politique existante pour ouvrir davantage les relations commerciales, le régime risquerait alors de croire que nous récompensons sa politique destructive actuelle sur le plan des droits de la personne.
Donc, je pense qu'il faut faire preuve d'une certaine souplesse lorsqu'on applique des principes généraux, mais que les principes généraux devraient être essayés.
M. English: Lorsque le multilatéralisme ne fonctionne plus, comme c'est le cas de la Birmanie à l'heure actuelle avec le Japon et d'autres pays d'Asie - le Japon est un pays démocratique - de quelle façon est-ce que cela change la situation? Devrions-nous unilatéralement ou avec d'autres pays, disons certains pays européens et peut-être les États-Unis, tenter d'avoir une approche multilatérale plus limitée dans notre application des sanctions commerciales?
M. Broadbent: Si vous me demandez mon avis sur le plan pratique - et c'est clairement ce que vous voulez ici - je vous répondrai que oui. Même si certains de nos alliés traditionnels - et c'est le cas du Japon, qui est une démocratie depuis 50 ans, après tout - commencent à modifier leur politique, je pense que nous devrions faire de notre mieux pour maintenir une politique que nous considérons comme étant plus efficace, même si certains commencent à changer. Mais je crois également, et vous l'avez laissé entendre, que nous devrions entreprendre des démarches diplomatiques sérieuses auprès des États-Unis et d'un certain nombre de nos amis d'Europe de l'Ouest et aussi auprès des Australiens pour tenter de maintenir la politique et tenter de parler à nos amis japonais de ce qu'ils font et les persuader de changer d'idée.
Le président: Madame Beaumier.
Mme Beaumier (Brampton): Monsieur Broadbent, vous avez parlé de ce que votre fils disait. Je vais vous ramener en arrière lorsque votre fils avait quatre ou cinq ans et qu'il demandait toujours «comment» et «pourquoi».
Prenons le cas du Sri Lanka dont parlait Jesse tout à l'heure. Vous ne travaillez pas sur ce dossier, mais supposons que vous y travailliez et que vous reconnaissiez les accusations qui sont portées... comme nous le faisons en général. La situation est horrible. Qu'est-ce que votre Centre peut faire pour changer la situation? Lorsque vous allez dans des pays d'Amérique du Sud, que faites-vous? Comment vous y prenez-vous pour changer la situation?
M. Broadbent: Nous commençons par écouter les hommes et les femmes qui sont là-bas. Cela peut paraître plutôt banal, mais cela ne se fait pas toujours. D'après mon expérience dans le domaine politique, on a souvent tendance à n'écouter que ce que l'on entend ici au pays.
Nous nous efforçons sérieusement d'établir d'étroits contacts avec des groupes et avec les gouvernements des pays en question, même lorsqu'à première vue le gouvernement est le coupable. Le Centre fait un effort déterminé à cet égard.
Notre directrice des programmes est assise derrière moi. Avant d'être nommée directrice, elle était responsable de l'Asie et de l'Afrique. Nous voyagions souvent dans le même pays ensemble. Je rencontrais fréquemment le chef du gouvernement ou le ministre de la Justice ou le ministre des Affaires étrangères pour soulever certaines questions qui avaient été portées à notre attention. Soit avec moi, soit lors de rencontres individuelles, Mme Almeida rencontrait un certain nombre d'activistes d'ONG. Nous recevions au préalable des rapports d'Amnisty International ou d'autres rapports de ce pays pour avoir une bonne idée de la situation ou tenter de savoir le plus exactement possible ce qui se passait là-bas. Chaque fois que nous le pouvons, nous travaillons avec les institutions qui font partie de l'État.
Je vais maintenant passer au Guatemala. C'est un cas intéressant. Celui qui est maintenant président était auparavant protecteur du citoyen dans ce pays. Nous avons travaillé avec lui à la fois en sa qualité de président et de protecteur du citoyen. Avant de travailler avec lui comme protecteur du citoyen, nous avons fait du travail d'activiste pour promouvoir une série de droits et certains de ses projets, et nous avions alors ouvertement critiqué le gouvernement, tout comme lui. Nous avons utilisé une partie de la preuve qu'il avait préparée en tant que protecteur du citoyen au Guatemala dans nos déclarations au sujet des choses inacceptables que faisait le régime militaire du Guatemala dans ce cas-ci.
De façon générale, lorsque nous le pouvons, nous nous efforçons constamment de travailler avec la société civile, avec des représentants de l'État et avec notre propre gouvernement. Le Guatemala est un bon exemple. L'un des projets intéressants de l'ACDI en matière de développement démocratique et de droits de la personne a été le financement d'une bonne partie du bureau du protecteur du citoyen. C'est le gouvernement canadien qui a financé son bureau et ses activités. J'ai oublié le montant exact, mais cela représentait une somme assez grosse. Nous avons utilisé certaines des données qu'il nous a fournies pour appuyer des groupes d'activistes d'ONG et leur fournir une protection internationale lorsqu'ils faisaient des discours, produisaient des brochures ou parlaient des violations des droits de la personne au Guatemala.
Mme Beaumier: Au Canada, il serait beaucoup plus simple sur le plan économique d'obtenir la coopération du gouvernement, mais dans un pays comme les États-Unis... Je crois que certains membres du Congrès sont en train de présenter un projet de loi disant qu'ils vont retirer l'aide à l'Inde en raison de violations des droits de la personne dans ce pays. Pourtant, ils vont continuer de vendre des armes à l'Inde. On se retrouve avec deux poids deux mesures. Je pense que c'est peut-être beaucoup plus facile pour nous car nous ne sommes pas de grands fournisseurs d'armes, et je ne pense pas que cela représente un gros pourcentage de notre économie. Du moins, je ne m'en suis pas encore rendu compte.
Le président: C'est une partie plus importante que vous ne le pensez.
M. Broadbent: Nous sommes au septième rang dans le monde pour les exportations d'armes. C'est grave et ce serait peut-être intéressant que votre comité se penche sur cette question. Comme on me l'a dit... j'étais à la réunion des pays du G-7. Avant l'arrivée des dirigeants mondiaux, comme vous le savez, on avait organisé un forum populaire. Nous étions quelques-uns à avoir été invités à y participer et on m'a posé cette question justement. On s'est levé et d'une part, on a félicité très sincèrement le gouvernement du Canada pour ses activités de maintien de la paix et d'autre part, on a demandé dans quelle mesure nous ne nuisions pas à nos propres efforts en nous plaçant au septième rang des exportateurs d'armes?
M. Volpe (Eglinton - Lawrence): C'est un peu comme de dire que nous faisons partie des pays du G-7. Nous sommes sixième... c'est à cause de notre économie.
M. Broadbent: Il serait bon... Connaissez-vous les chiffres, monsieur Volpe? Je ne les connais pas.
M. Volpe: Je n'ai pas les chiffres comme tels, mais nous accusons un tel retard par rapport au pays numéro six que nous en devenons insignifiants.
Vous avez raison, c'est un chiffre important. Nous placer au septième rang, c'est attrayant, mais... pour les principaux vendeurs, c'est un très grand secteur industriel, mais à l'échelle mondiale, nous ne sommes que des figurants.
M. Broadbent: À mon avis, ce qu'il faut se demander...
M. Volpe: C'est une observation valide parce que pertinente, mais il ne faut pas trop s'arrêter sur ce chiffre.
M. Broadbent: Exactement.
Le président: Je me rends compte que vous travaillez en relais.
Mme Beaumier: Je suis très heureuse que M. Volpe l'ait fait, parce que je partage plutôt son avis.
Pour en revenir à la question de départ, évidemment, nous pouvons obtenir des ententes bilatérales, mais nous avons eu un exemple récemment en Grande-Bretagne où les ventes d'armes semblaient miner nos efforts dans la promotion de...
M. Broadbent: Je vous recommande, madame Beaumier, de lire le témoignage fait devant ce comité par l'ancien président, Osca Arias, il y a une semaine exactement, car je considère, du point de vue professionnel, qu'il a présenté des statistiques plutôt alarmantes sur le commerce. Quelque 90 p. 100 des armes sont exportées par des membres permanents du Conseil du sécurité. Il a également critiqué vertement les gouvernements du Tiers monde. Il y a donc les deux aspects. Il a donné quelques chiffres qui démontrent que les gouvernements du Tiers monde dépensent davantage pour l'équipement militaire que pour la santé ou l'éducation.
Il a soulevé la question de... Plutôt que de tenter de vous répéter les nombreux points qu'il a fait valoir avec succès - c'est une mission entreprise à l'échelle internationale - je vous recommande son témoignage, car non seulement il présente le problème preuves à l'appui, mais il offre quelques solutions aussi.
Mme Beaumier: Travaillez-vous en collaboration avec l'Organisation mondiale du travail? Par exemple, il est question de l'esclavage industriel dans des pays du Tiers monde, ce qui nous révolte. Collaborez-vous avec l'OMT?
M. Broadbent: Oui. Nous travaillons en collaboration avec l'OMT et avec plusieurs fédérations du travail qui y sont affiliées pour obtenir de l'information. Comme vous le savez, l'OMT fonctionne de façon tripartite. J'ai mentionné dans mon exposé qu'en ce qui concerne le commerce et les droits, nous planifions des rencontres avec les milieux d'affaires canadiens. L'objectif réel, c'est de mettre en place un code de comportement. Certaines entreprises telles que Levi Strauss, que j'ai justement mentionnée à titre d'exemple lorsque j'étais à Halifax, ont des codes de comportement des plus louables qu'elles appliquent à leur propre entreprise.
En passant, Levi Strauss a quitté la Birmanie. L'entreprise s'est retirée, a mis fin à ses activités. À l'expiration de ses contrats avec la Chine, elle ne les renouvellera pas. C'est peut-être le plus important fabricant de vêtements au monde et sa politique en matière des droits de la personne n'a rien de flou. L'entreprise signifie clairement qu'elle n'est pas un organisme des droits de la personne, qu'elle est en affaires pour réaliser des bénéfices, mais elle a élaboré une politique fondée sur le principe qu'il est possible de faire de l'argent, de réussir, tout en respectant les droits.
Au Centre, comme je l'ai dit, nous essayons de rencontrer les responsables de quelques entreprises canadiennes afin de voir si nous pouvons nous entendre sur un code de conduite qui s'appliquerait aux entreprises canadiennes à l'étranger.
Mme Beaumier: Je n'ai qu'une autre question. C'est au sujet des Nations unies. Je pense que nous sommes nombreux à avoir perdu confiance dans cette institution. Jusqu'à quel point, à votre avis, les NU réussissent-elles à lutter contre les atteintes aux droits de la personne? Si votre opinion ressemble à la mienne, que pouvons-nous faire pour apporter des réformes et donner plus de poids aux NU dans ce domaine?
M. Broadbent: Voilà qui est difficile. Je pense qu'en ce qui concerne les attentes que nous avions des NU, aucun observateur sérieux ne prétendrait que l'organisme s'est montré à la hauteur de nos espérances.
Par ailleurs, si vous considérez les ressources dont dispose ce secteur en pourcentage - je ne donnerai pas de chiffre, car ce serait pure invention de ma part, mais je peux vous l'obtenir - du budget des NU consacré aux activités de droits de la personne, ce serait comme de comparer le budget de notre Centre au PIB du Canada. On consacre une part infinitésimale des ressources des NU aux droits de la personne.
Il est facile de prétendre que le problème vient des NU. Mais le problème des NU vient des États-nations qui composent l'organisme. Quand on critique quelque chose, il nous faut revenir aux membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Si ces derniers voulaient accorder plus d'importance aux droits de la personne, ils s'en assureraient.
Il y a eu quelques signes encourageants. La création de ce nouveau poste de rapporteur spécial sur la violence contre les femmes constitue une réalisation très importante de la Conférence de Vienne organisée par les NU. Il y aura d'ailleurs des suites à cela à Vienne.
La nomination de M. Jose Ayala Lasso au poste de commissaire des droits de la personne est venue à point nommé. Cela s'est fait cette dernière année. Et il dispose, je pense, de deux employés, pour le monde entier. Il est venu récemment au Centre nous demander notre aide. C'est un peu comme si votre comité s'adressait à nous. Cela donne une idée de l'envergure du problème. Il n'a presque pas de budget.
Bref, les NU ne font pas vraiment ce qu'elles devraient. Toutefois, il ne faut pas en accuser, à mon avis, les dirigeants des NU ou si vous voulez, le responsable actuel, mais bien les États membres, surtout ceux qui composent le Conseil de sécurité. Si nous voulons des changements, c'est à eux de les apporter.
Mme Beaumier: C'est peut-être aussi que le commerce domine leurs programmes.
M. Broadbent: Je ne le pense pas. Je ne pense pas que le commerce soit l'aspect le plus important pour les NU. C'est plutôt ce que l'on appelait les préoccupations d'ordre sécuritaire, traditionnellement définies comme les mouvements de troupes aux frontières, qui préoccupentles NU.
Encore une fois, très franchement, aucun gouvernement, qu'il soit ou non démocratique, n'aime traiter des questions de droits de la personne. C'est particulièrement vrai dans le cas des gouvernements qui ne sont pas démocratiques, c'est-à-dire la plupart des gouvernements. Nous le savons tous. Il n'est pas souvent facile de résoudre des problèmes de droits de la personne. La plupart des membres des Nations unies ont de graves problèmes sur ce plan, vu que la plupart d'entre eux ne sont pas des États démocratiques.
Cela explique peut-être aussi pourquoi on ne consacre pas beaucoup de ressources à la question des droits de la personne à l'échelle mondiale aux NU. C'est aussi pourquoi l'évolution de nos préoccupations relativement aux droits et à la démocratie revêt une telle importance au sein de la communauté internationale des ONG ainsi qu'ici au Canada.
[Français]
M. Paré: J'aimerais revenir sur le grand thème du commerce et des droits de la personne. J'ai deux inquiétudes.
Il y a quelques années, lorsqu'on s'est mis à parler de mondialisation et de compétitivité, les tenants de ces théories disaient que cela serait le moyen par excellence par lequel les pays en voie de développement sortiraient de leur pauvreté.
À cause précisément de la compétitivité, j'ai l'impression qu'il sera de plus en plus difficile d'amener les pays industrialisés à prendre des mesures multilatérales pour protéger les droits de la personne, parce qu'ils sont pris dans un commerce qui est, j'allais presque dire, sans valeur. C'est donc la loi du plus fort. Il sera difficile d'amener les pays à entreprendre des actions multilatérales pour lutter contre les violations de la personne.
D'autre part, et c'est ma deuxième inquiétude, on a prétendu que le commerce international et la mondialisation amèneraient un développement intensif dans les pays en voie de développement. Or, cela n'est absolument pas prouvé.
On se rappelle qu'il y a un certain nombre d'années, les pays en voie de développement contribuaient pour 7 p. 100 des exportations. On prévoit qu'au tournant de l'an 2000, ils seront tombés à 1 p. 100. Donc, ce n'est pas vrai que les pays vont se développer.
Ce qui m'apparaît encore plus pernicieux, c'est que non seulement cela ne sera pas un moyen de développer les pays en voie de développement, mais qu'au nom de la compétitivité, on est en train de faire des coupures importantes dans les programmes sociaux, et pas seulement au Canada. Je ne veux pas faire du tout une attaque contre le Canada.
Dernièrement, les représentants de la Chambre de commerce internationale sont venus dire au Canada: «Il faut qu'on coupe dans les programmes sociaux pour être plus compétitifs.» Par voie de conséquence, je pense que la deuxième ronde de coupures se fera au niveau des droits économiques des travailleurs dans les pays industrialisés.
Cela me laisse extrêmement perplexe en termes de solutions d'avenir. On met quasiment sur les autels la loi du marché. Il faudra toujours se rappeler que la loi du marché, c'est la loi du plus fort.
M. Broadbent: C'est une bonne question, monsieur Paré. Depuis la mort de la guerre froide, il y a eu un changement d'attitude dans tous les pays développés et parmi les pays en voie de développement sur la question du déficit.
À l'origine, ce sont les institutions internationales qui ont franchement imposé leurs conditions aux pays en voie de développement pour qu'ils changent leurs priorités. Je réponds à cette question à cause de nos responsabilités quant aux droits socioéconomiques et pas simplement quant aux droits politiques et civils.
À cause des programmes de la Banque mondiale, etc., il y a eu une réduction dans les programmes et dans les droits à l'éducation et à la santé.
[Traduction]
Si on se tourne maintenant vers la scène nationale, non seulement vers les pays industrialisés, mais vers le Canada, ce phénomène se retrouve dans toutes les idéologies et même au sein des catégories traditionnelles de partis politiques en Amérique du Nord. Votre parti, monsieur Paré, est assez partagé sur le plan idéologique à ce sujet, mais je songe plutôt aux partis libéraux, conservateurs et socio-démocrates à l'échelle mondiale. On a adopté partout l'approche qu'il faut faire quelque chose au sujet du déficit, et par conséquent, parce que les programmes sociaux représentent une si grosse partie des finances publiques, si l'on veut réduire les dépenses, il faut inévitablement toucher aux programmes sociaux.
Il n'est pas possible, dans les quelques minutes qui nous restent, d'entrer dans les détails, mais nous nous intéressons à l'aspect droits de la personne de cette question. Vous me demandez mon opinion. Je pense que nous lui avons accordé une trop grande priorité. J'en ai parlé l'autre jour justement à la réunion des pays du G-7 à Halifax, et je serais heureux de vous faire parvenir copie de mon texte.
On en est trop venu à voir cet aspect comme un nouveau dieu qui détermine toutes les autres priorités. Plutôt que de considérer qu'il s'agit d'une préoccupation importante, et effectivement c'est important, je le souligne, on a écarté tout le reste; or du point de vue des droits, j'estime que ces réductions au niveau des droits socioéconomiques dans les pays industrialisés et même ailleurs provoquent, chez les populations visées, y compris la nôtre, des réactions qui se traduisent par moins de tolérance, moins d'ouverture, une moins grande disposition à défendre les droits civils et politiques.
Il existe donc un lien très important, à mon avis, entre les fondations des droits socioéconomiques d'une part et le comportement au niveau des droits politiques et civils d'autre part; au coeur même de tout cela, on tente de s'attaquer au déficit d'une façon presque exclusive plutôt que de placer cette priorité parmi d'autres.
Je pense que c'est un peu à cela que vous vouliez en venir.
J'aimerais revenir à une des questions posées - vous l'avez mentionnée - et c'est une question qui revient sans cesse. J'espère vraiment que les membres de ce comité et ceux que l'on qualifie généralement de dirigeants canadiens pourront s'entendre sur cette question importante de savoir dans quelle mesure la promotion du développement économique influe directement sur la question des droits - le commerce constituant une autre variante.
Quel est le lien? Y a-t-il une corrélation directe positive? Je pense que nous avons la preuve irréfutable qu'il n'y a aucune telle corrélation. Il existe en effet une corrélation directe positive entre la mise en place d'économies de marché et les pressions qui s'exercent pour obtenir des droits. Il existe vraiment des preuves empiriques, que ce soit dans l'industrialisation des pays de l'Atlantique-Nord sur une longue période ou actuellement dans d'autres parties du monde, voulant que les économies de marché produisent - et je n'entrerai pas dans toutes les raisons, mais il y a de nombreuses preuves à l'appui - des pressions pour l'obtention de droits, mais que ces droits ne sont pas automatiquement accordés.
Je cite toujours à titre d'exemple deux cas intéressants: d'abord la Roumanie à l'époque de la Guerre froide. Avant de devenir chef de mon parti, j'étais allé en Roumanie, comme simple député, à l'époque de la Guerre froide. Ce pays entretenait plus de liens commerciaux avec l'Occident que tout autre pays du Bloc communiste. Toutefois, c'était également le régime soviétique de style staliniste le plus oppressif.
Dans la même veine, à notre époque, la Chine connaît une croissance économique dynamique, mais ses dirigeants politiques, plutôt que de donner suite aux demandes de réformes démocratiques, les bloquent. Donc, le pays a fait marche arrière sur le plan des droits, non pas parce que les pressions ne s'exercent pas, mais parce que les dirigeants politiques n'entendent pas céder à ces pressions.
J'espère donc qu'en discutant de ces choses, nous pouvons tous dire, oui, le développement économique peut exercer des pressions qui créeront des circonstances sociales susceptibles d'aboutir à l'obtention de droits, mais ne faisons pas l'erreur de penser qu'en soi, la promotion du commerce constitue la meilleure façon de faire la promotion des droits ou de les obtenir inévitablement.
[Français]
M. Paré: Je change un peu de registre. Un organisme comme le vôtre, qui dépend presque exclusivement de subsides gouvernementaux, est sûrement plus vulnérable en période de compressions budgétaires et de difficultés économiques. Vous avez peut-être une arme secrète pour lutter contre cela: ce serait par les communications que vous pourriez avoir avec les Canadiens et les Québécois.
J'aimerais que vous nous entreteniez un peu sur les moyens que vous prenez pour rendre publiques les actions du Centre et faire en sorte que les Canadiens et les Québécois soient fiers du Centre. Cela m'apparaît d'autant plus important que l'ACDI vient de faire des coupures importantes dans les ONG qui travaillaient à l'éducation et à la sensibilisation du public canadien.
M. Broadbent: Nous faisons des efforts pour répondre très vite aux questions comme celle du lien entre le commerce et les droits. Selon nous, c'est la responsabilité du Centre que de discuter de cette question. Le Comité s'interroge et les Canadiens s'interrogent.
Donc, lorsque survient une question dans le domaine du droit, nous avons la responsabilité de publier nos opinions, non simplement dans un texte, mais aussi dans des articles publiés dans Le Devoir, La Presse, le Globe and Mail, le Toronto Star et les journaux de l'Ouest du Canada.
[Traduction]
Nous tentons de répondre à des questions qui intéressent la population, et que nous ayons raison ou tort, si nous avons des opinions sérieuses sur une question, nous tentons de les faire connaître au public et aux ONG. Nous avons également la responsabilité de communiquer avec les députés sur ces questions, comme nous le faisons de temps à autre. Je parle de certains thèmes comme celui que je viens de mentionner, le commerce et les droits.
Il y a d'autres événements comme ce qui s'est passé au Rwanda. Cela pose évidemment un problème intéressant sur le plan des communications.
Nous avons été parmi les premiers organismes au monde à annoncer le génocide massif qui a eu lieu au Rwanda. Nous avons tenu une conférence de presse à Montréal - je m'en souviendrai toujours - car il n'y a rien eu dans l'actualité à ce sujet. Nous avions un rapport documenté très sérieux sur ce qui se passait un an avant le début des massacres. Nous avions des preuves d'actes de génocide et nous nous sommes exprimés avec soin. Je le répète, il n'en a pas du tout été question dans l'actualité. Nous avons tenu une grosse conférence de presse ici, nos associés français en ont tenu une à Paris et je crois qu'il y en a eu à Bruxelles et en Afrique aussi.
Même lorsque l'on fait l'effort de dévoiler quelque chose - et je le souligne en passant puisque cela n'est pas directement lié à votre question - lorsque l'on a des preuves de méfaits graves, vous savez, comme politicien, que la presse, qui représente notre accès à la population canadienne, n'y donne pas toujours suite et c'est un problème.
Mme Theauvette aimerait ajouter quelque chose.
[Français]
Mme Carole Theauvette (vice-présidente, Centre international des droits de la personne et du développement démocratique): Les membres de notre conseil d'administration sont aussi très sensibles à la dimension que vous soulevez. À notre réunion du mois de novembre dernier, ils nous ont demandé d'orienter davantage nos activités vers ce qu'on appelle en anglais l'advocacy. Je dois dire que je ne suis pas très certaine de la traduction française de ce mot. Est-ce la promotion, la défense?
Je n'ai pas le mot exact, mais suite aux demandes de notre conseil, on a réorienté certaines activités à l'intérieur du Centre. On a créé une unité d'advocacy et on aura maintenant plus de campagnes mondiales sur certains thèmes. Un des thèmes, comme M. Broadbent l'a mentionné, est le lien entre le commerce et les droits de la personne.
Le président: Merci, madame.
[Traduction]
Peut-être puis-je poser une question dans la même veine, monsieur Broadbent, et ensuite nous passerons aux autres députés qui ont également des questions.
En fait, j'ai deux questions. L'une découle de votre dernière remarque sur la relation entre la politique sociale à l'intérieur des pays industrialisés et nos tentatives pour faire évoluer la situation dans les pays en voie de développement. Comment pouvons-nous d'une part réduire dans nos propres pays alors que nous exhortons d'autres pays à agir chez eux? À mon avis, cela se tient.
Des avocats de droit international m'ont dit que certains des changements actuels au Canada vont peut-être à l'encontre de la Convention sur les droits économiques, sociaux et culturels dont le Canada est signataire. Vous êtes-vous penché sur cette question, êtes-vous conscient de cela?
M. Broadbent: La presse a attiré notre attention sur cet aspect. Nous allons l'examiner et je veux vous expliquer pourquoi puisque, en règle générale, nous ne traitons pas de questions canadiennes de droit de la personne. D'autres s'en chargent. En fait, si nous nous intéressions à cet aspect, nous n'aurions pas le temps de faire quoi que ce soit d'autre. Dès qu'on apprendrait que nous nous penchons sur les problèmes canadiens en matière de droits de la personnes, vous vous doutez bien que nous subirions des pressions de toutes sortes.
Toutefois, je vais vous dire pourquoi nous aimerions obtenir des réponses à ces questions. Lorsque je vais à l'étranger, nous évitons à tout prix d'avoir l'air d'un peuple satisfait de soi et sans les problèmes des autres, car justement nos hôtes à l'étranger soulèvent parfois nos propres difficultés. Celle dont on me parle d'habitude, surtout lorsque je m'entretiens avec des dirigeants ou des hauts fonctionnaires d'un pays dont j'ai mentionné les problèmes en matière de droits de la personne, concerne la façon dont nous avons traité nos peuples autochtones dans le passé, problème que nous n'avons pas encore tout à fait résolu. Eh bien, je suis tout à fait franc et à ce sujet, je dis que nous avons fait des progrès mais qu'il nous en reste encore beaucoup à faire...
On nous fait aussi un autre reproche, si nous abordons la question des carences de certains pays en matière de droits sociaux et économiques, et des répercussions de certaines politiques du FMI ou de la Banque mondiale, ou même de celles de certains gouvernements du Tiers monde. On ne se contente plus alors de nous rappeler le dossier des autochtones, mais aussi le fait que nous sommes signataires de la Convention sur les droits économiques, sociaux et culturels. Sommes-nous coupables?
À mon avis, cette accusation se défend. Malgré toutes nos bonnes intentions et les apparences selon lesquelles notre gouvernement consacre suffisamment de ressources à ces droits pour s'acquitter de ses devoirs, nous n'avons pas été à la hauteur de notre engagement. Pour utiliser le jargon des avocats, il y a des éléments de preuve étayant cette accusation. Nous n'avons pas encore examiné la question mais il y a là un grave dossier d'accumulé contre nous, particulièrement en ce qui a trait aux droits de l'enfant. D'ailleurs, ce dernier point a été soulevé de nouveau récemment et nous allons l'étudier.
Le président: J'aimerais maintenant aborder une toute autre question, que je poserai au nom de M. Mills, car c'est lui qui l'a soulevée, et qui découle d'instances qu'on m'a faites.
M. Mills a reçu beaucoup de demandes de la part de certains citoyens au sujet de la position adoptée par la délégation qui représentera le Canada à la Conférence de Beijing. À en juger d'après vos propos liminaires, vous êtes en contact avec les membres de cette délégation.
On allègue que les membres de la délégation et les personnes qui les ont choisis sont des extrémistes, et qu'ils sont favorables à des idées beaucoup plus radicales que tout ce qui a été mis de l'avant lors de la Conférence du Caire. Dans la correspondance qu'on m'a envoyée, on va jusqu'à parler de grandes inconvenances, en ce sens que ces personnes ont adopté des objectifs beaucoup trop extrêmes pour que les Canadiens normaux les approuvent et même très éloignés de ceux auxquels nous adhérions au Caire.
Je me suis renseigné auprès de gens qui travaillent dans le monde juridique, et ils m'ont assuré que tout cela est faux, que notre délégation est l'une des plus respectées et qu'en fait bon nombre d'autres pays se tournent vers nous en raison de notre rôle d'avant-garde. Je dirais aussi qu'on nous perçoit comme incarnant le courant tout à fait majoritaire pour ce qui est du droit des femmes à leur développement.
Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de cela? Je regrette que M. Mills ne soit pas parmi nous car la question me paraît grave, et en tant que comité, nous devrions être en mesure de répondre aux plaintes et aux instances que nous recevons.
M. Broadbent: Je suis d'accord avec vous, monsieur le président. Il s'agit effectivement d'une question importante, mais cela dit, je suis d'accord avec la dernière partie de vos remarques.
S'il y a un domaine entre autres où le Centre a collaboré de façon très positive avec le gouvernement du Canada, c'est bien celui-là. Le gouvernement du Canada a effectivement été un des fers de lance du mouvement d'avancement du droit des femmes, sans toutefois être extrémiste. Par ailleurs, fort de mon expérience politique, que tout le monde ici présent partage aussi sans doute, je reconnais que ce qui paraîtra progressiste et raisonnable aux yeux de certains pour atteindre l'égalité, en l'occurrence des femmes, et pour faire inscrire leurs droits au nombre des droits de la personne, paraîtra aux yeux de certains autres comme des moyens extrémistes. Eh bien, je ne fais pas partie de ce dernier groupe.
Lorsque l'on replace cette tentative dans une perspective plus vaste, on se rend compte que dans toutes les sociétés, la tradition culturelle a accordé la préséance aux hommes sur les femmes à des degrés divers, et cette tentative d'obtenir pour les femmes une certaine mesure d'égalité tout en ne leur donnant pas la préférence sur les hommes, me paraît tout à fait louable et digne d'être appuyée.
Nous avons suivi le dossier de très près car un de nos employés est chargé des droits de la femme à l'échelle internationale et travaille en très étroite collaboration avec la délégation canadienne aux Nations unies. Or, selon l'avis le plus répandu, à Beijing, il faudra lutter pour maintenir les acquis. Dans un certain sens, c'est regrettable car nous ne pourrons pas essayer d'aller encore plus loin. Il faut se rappeler toutefois que ce que nous avons obtenu à Vienne a été conquis de haute lutte contre certains gouvernements qui se sont ralliés aux positions avancées à leur corps défendant et même, vraiment, en poussant des hauts cris... Enfin, dans la grande majorité, les gouvernements présents à Vienne ont adhéré à des mesures progressistes, ce qui s'est traduit par l'intervention d'un rapporteur spécial chargé du dossier de la violence exercée contre les femmes.
Aujourd'hui, à la veille de la Conférence de Beijing, il s'agit de ne pas céder sur ce que nous avons obtenu à Vienne, et je le répète, il ne s'agissait certainement pas de mesures extrémistes; il s'agissait simplement d'une reconnaissance bien tardive du droit des femmes. La délégation canadienne qui travaille sur cette question à New York, en préparation de la Conférence de Beijing, est tout à fait dans la bonne voie à cet égard. Elle a adopté une position sensée et réfléchie sur les droits des femmes en général et qui est bien loin de ce qu'on pourrait appeler extrémiste.
Le président: Merci, vos remarques sont très éclairantes.
M. Volpe: Votre réponse est fort intéressante et mérite réflexion. Je me demande dans quelle mesure cela illustre une tendance idéologique et jusqu'à quel point cela traduit la conclusion à laquelle votre organisme est arrivé à même les renseignements qui lui ont été fournis.
M. Broadbent: Je puis répondre à cela si vous le voulez.
M. Volpe: C'est surtout une question pour la forme.
Certaines des remarques que vous avez faites plus tôt ont retenu mon attention. Nous avons déjà été collègues dans le passé, et j'ai toujours aimé vos interventions malgré le fait que nous ne siégions pas du même côté de la Chambre. Cela dit, j'aimerais bien que vous développiez deux aspects d'une question.
D'abord, vous nous avez dit assez clairement que l'élargissement des liens commerciaux ne favorisait pas nécessairement le problème des droits de la personne, mais qu'il pourrait intensifier les pressions menant à leur reconnaissance. Je ne sais si je cite fidèlement vos propos.
M. Broadbent: Me permettez-vous de faire une distinction ici, car elle me paraît importante? C'est l'expansion des économies de marché qui crée l'impression dont nous parlons, car elle donne souvent naissance à une classe ouvrière et à une classe moyenne. Cela entraîne une plus grande urbanisation, un exode des campagnes et donc un brassage de populations qui communiquent et qui ont en partage de nouvelles expériences. Dans de telles circonstances, ainsi qu'on l'a observé par le passé dans l'histoire de l'Europe et d'ailleurs et comme nous pouvons le voir maintenant en Asie, ces facteurs poussent les populations à réclamer des droits.
Je dirais donc qu'en général, c'est la mise en valeur de l'économie de marché qui est à la source de cette exigence d'évolution. Ce n'est pas le seul moyen qu'on peut prendre pour y arriver, mais il ne fait aucun doute que le développement de l'économie de marché crée de véritables pressions.
En revanche, la chose me paraît beaucoup moins claire dans le cas du commerce. J'ai déjà mentionné l'exemple de la Roumanie. Cela me fait penser qu'il peut y avoir beaucoup de liens commerciaux dans les deux sens mais sans que cela s'accompagne de réclamation de droits du fait de ce commerce. En Chine en revanche, je pense que les deux facteurs sont en train de se conjuguer. Ainsi par exemple, les communistes ont créé des mécanismes correspondant aux économies de marché, ce qui donnera naissance à des pressions de la part de la population et en même temps, ils ont aussi intensifié les échanges commerciaux.
Quoi qu'il en soit, les faits me semblent bien établir que c'est davantage grâce aux progrès des économies de marché et à la transformation sociale entraînée par elle que les populations se mettent à réclamer leurs droits.
M. Volpe: Je vous remercie de cette explication. Je me suis peut-être trompé en assimilant l'intensification des échanges commerciaux à une plus grande commercialisation; je le reconnais.
Avant de poser ma question au sujet de l'urbanisation généralisée qu'on a observée dans certains pays qu'on appelait jusqu'à naguère, ou même encore, des pays du Tiers monde, je me demande si cette évolution qu'on a observée dans des lieux comme la ville de Mexico et ailleurs en Asie ou en Afrique, a vraiment mené à de plus fortes réclamations de droits ou si elle n'a pas simplement exacerbé les problèmes.
Étant donné la mise en oeuvre de l'ALÉNA, dont fait partie le Mexique, et en particulier étant donné ce qui s'est passé au cours des deux dernières années, votre organisme a-t-il étudié les répercussions de la mise en oeuvre de cet accord commercial? Dans certaines régions du Mexique, le progrès de l'industrialisation, l'élargissement de la classe moyenne et l'accroissement de sa richesse ont-ils eu des effets positifs sur les droits de la personne dans toutes les couches de cette société?
M. Broadbent: Le Mexique illustre bien la situation générale. Dans ce pays, au cours de la dernière décennie, on a adopté davantage de mécanismes d'économie de marché, et ce développement général à la fois industriel et commercial a accru le nombre de membres de la classe ouvrière en milieu urbain et a aussi mené à une expansion de la classe moyenne. Après tout, c'est des classes laborieuses qu'on parle lorsqu'il est question de démocratie car ce sont elles qui constituent la majorité et ce sont elles qui se font reconnaître des droits.
Si l'on se reporte à l'histoire, c'est la conjonction des intérêts de la classe moyenne, tout au moins d'une partie de la classe moyenne, et de ceux de la classe ouvrière qui crée l'exigence de droits. À mon avis, tel est bien ce qui s'est passé au Mexique ces dernières années où les réclamations de la part de la population ont pris beaucoup d'ampleur. Le processus était en marche depuis quelque temps déjà, mais depuis l'existence de notre Centre nous nous sommes rendus au Mexique fréquemment, même si mon personnel et moi-même y sommes allés moins souvent. On assiste à l'émergence d'une société civile et à celle de groupes qui exigent un engagement en ce sens. Or, à mon avis, cela découle en partie du développement économique. Cela se rapproche aussi de ce que M. Gorbatchev disait au sujet des transformations en cours dans l'ancienne U.R.S.S., à savoir des pressions qui s'exerçaient de l'intérieur pour des raisons économiques. Si on commence à ouvrir le système économique, les pressions s'accumuleront.
Par ailleurs, si l'on pense à ce qui se passe dans l'État du Chiapas, on y observe le conflit de droits qui résulte aussi des transformations économiques. On y voit les droits fonciers traditionnels des autochtones battus en brèche par les nouveaux droits commerciaux. Les modifications apportées à la constitution mexicaine en prévision de l'ALÉNA cherchaient en partie à altérer profondément les droits fonciers historiques des autochtones, qui se rapprochent assez de ce qui existait pendant notre moyen âge. En effet, en Europe occidentale, avant que la terre ne fasse l'objet de transactions commerciales, on la considérait d'une façon assez semblable à celle des Indiens du Chiapas ou d'autres populations dans bien des régions du monde. Aux yeux des autochtones, y compris les nôtres, la terre n'était pas un bien pouvant faire l'objet d'un commerce.
Au Mexique, à la faveur de l'urbanisation, on observe ce processus de démocratisation tandis qu'au Chiapas, on assiste à un conflit de droits, à l'émergence de nouvelles formes de droits compatibles avec les réalités de l'économie de marché mais qui selon certains, progressent aux dépens des droits fonciers traditionnels des autochtones.
M. Volpe: J'ai une petite idée de la façon dont on pourrait peut-être arriver à un compromis étant donné mes quelques lumières au sujet des droits fonciers médiévaux. Je précise d'ailleurs que certains de ces droits étaient encore en vigueur en Europe jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale. Je pense qu'il faudrait se demander de quels droits il s'agit et lesquels de ces droits nous voudrions voir étendre aux autres. Or il me semble que si nous tenons à ce que les autres jouissent des mêmes droits que nous, nous devrions peut-être adopter une politique militante.
À ce sujet, j'aimerais revenir à une de vos observations lorsque vous avez cité l'exemple de la compagnie Levi Strauss. Or je me demande si un tel moyen nous conviendrait si nous tenons à être à la fois pratiques et militants lorsque nous faisons affaire avec des entreprises qui veulent faire du commerce dans des pays où l'on sait qu'il y a énormément de violations des droits de la personne. Je crois que vous avez cité les deux exemples de Cuba et de la Chine.
Plutôt que de décider que nous devons choisir entre le commerce et la commercialisation, d'une part, et la défense des droits de la personne d'autre part, est-il possible qu'une organisation comme la vôtre puisse demander aux entreprises qui vont s'implanter dans des pays comme Cuba et la Chine d'adopter dans la mesure du possible les politiques mises en oeuvre par Levi Strauss, par exemple? Il faudrait évidemment que ces politiques leur soient avantageuses sur le plan des bénéfices. Voilà donc ma première question.
Ma deuxième question est la suivante: je me demande si nous nous efforçons déjà - ou si nous devrions envisager de le faire - de décourager les entrepreneurs, quels qu'ils soient, de profiter d'une situation qui est tolérée par les autorités du pays où ils mènent leurs activités commerciales.
M. Broadbent: Vous conviendrez avec moi qu'il existe un rapport entre ces deux questions. Sur le premier point, c'est justement ce à quoi je faisais allusion dans mes remarques liminaires en disant que nous préparons un programme très détaillé pour une série de réunions au cours de l'été avec divers représentants du milieu d'affaires canadien. La dernière se tiendra en septembre. L'objet de ces réunions est de voir s'il est possible, dans la pratique, de faire adopter un code de conduite semblable à celui de Levi Strauss - et il y en a d'autres également - par les entreprises qui sont actives à l'étranger. Donc, nous explorons déjà très sérieusement cette possibilité.
Voilà ce qui m'amène à votre deuxième question. Face à des violations des droits de la personne dans un pays ayant une mauvaise réputation, une solution possible serait une approche multilatérale dont certains d'entre nous avons déjà discuté, c'est-à-dire d'exiger que tout pays voulant adhérer à l'OMC remplisse certaines conditions relatives à la protection des droits de la personne.
Une autre considération serait, par exemple, que si un nombre substantiel de compagnies acceptent d'adopter un code, à ce moment-là, les multinationales qui s'implantent à l'étranger s'assureraient elles-mêmes de respecter ces normes, quel que soit le niveau d'acceptation de pratiques répréhensibles par l'administration de la région, ou le gouvernement.
Par exemple, si la main-d'oeuvre enfantine est acceptée dans tel et tel pays, ces compagnies devraient elles-mêmes refuser catégoriquement de faire travailler des enfants pendant la durée de leurs activités commerciales. Même si des conditions de travail qui sont tout à fait contraires aux normes internationales de santé et de sécurité professionnelle sont acceptées, les entreprises elles-mêmes ne doivent pas les accepter. Si l'on considère normal d'accorder un salaire différent à des hommes et des femmes qui font exactement le même travail, les entreprises elles-mêmes doivent refuser d'accepter de telles choses.
Je ne sais pas dans quelle mesure tout cela est réaliste, mais c'est justement de cette possibilité que nous aimerions discuter avec certains représentants du milieu des affaires, pour voir si les entreprises seraient éventuellement prêtes à accepter cette idée. Au risque de tomber une fois de plus dans la généralisation, je dirais que cette question revêt une importance capitale pour l'orientation future de ce monde.
Dans l'après-guerre, nous avons pu constater sur la scène mondiale que l'étatisation sur une échelle massive est encore considérée comme une solution de remplacement du développement mondial des marchés commerciaux. Si cette idée n'est plus de mise et que tout le monde souhaite en arriver à une forme quelconque d'économie de marché, il me semble qu'il faut à ce moment-là laisser de côté les vieux débats et regarder vers l'avenir. Pour moi l'économie de marché est la voie de l'avenir, même si les clivages entre la gauche et la droite ne vont pas nécessairement disparaître pour autant. Mais il est maintenant temps de parler des mesures à prendre pour faire accepter de manière générale une forme d'économie de marché qui soit la plus souhaitable pour l'avenir.
Que faire alors pour qu'elle soit compatible avec une économie mondiale qui repose essentiellement sur le profit? Comment concilier cette orientation avec la défense de toute une série de droits fondamentaux? Voilà donc le sujet d'une discussion intéressante, à la différence du vieux débat, et notre conversation en est un très bon exemple.
M. Volpe: Puisque votre organisation soulève toutes ces questions, je me demande s'il va également recommander des solutions.
M. Broadbent: Nous l'avons fait pour ce qui concerne la réglementation. Nous avons fait valoir des arguments en faveur des conditions d'adhésion à l'Organisation mondiale du commerce, par exemple. Donc, nous avons proposé certaines solutions, mais il s'agit de savoir si les gens les trouvent acceptables ou non. Nous commençons à peine à examiner la possibilité que les compagnies elles-mêmes adoptent des codes de conduite. Peut-être qu'à notre prochaine comparution, l'an prochain ou avant, nous pourrons vous donner de plus amples réponses à ce sujet. J'espère que nous nous reverrons avant cela.
Le président: Il existe une documentation volumineuse sur les expériences de différentes entreprises qui ont adopté des codes de conduite au fil des ans. Lorsqu'on enseignait le droit international public, on avait l'habitude de les citer en exemple en parlant de ce qu'on appelait le droit en évolution.
Je pense qu'il vaudrait la peine d'explorer cette possibilité. Le comportement humain évolue et entraîne la création avec le temps d'une sorte de norme juridique correspondante.
Si vous pouvez encourager les entreprises à adopter un code de conduite, ce sera à mon avis extrêmement utile car j'ai bien l'impression que ce problème va aller en s'aggravant. À mon sens, c'est une excellente suggestion.
Je cède la parole à M. English, et ensuite à M. Flis.
M. English: Hier, nous avons rencontré des parlementaires britanniques qui sont membres de leur Comité des affaires étrangères et qui font actuellement une étude du Commonwealth. Quand on les a interrogés au sujet de l'avenir du Commonwealth, ils ont dit qu'ils attachaient énormément d'importance aux droits de la personne et au développement démocratique.
Je constate que vous avez travaillé au Kenya et en Tanzanie, deux pays membres du Commonwealth. Avez-vous constaté que le fait d'être membre du Commonwealth est un facteur dans des pays qui visent le développement démocratique et la protection des droits de la personne? L'exemple le plus évident serait le Kenya, par exemple. Pensez-vous que le Commonwealth ait un rôle à jouer à l'avenir dans cette région en particulier?
M. Broadbent: Puisque vous m'avez posé deux questions, je vais vous donner deux réponses.
En règle générale, le Commonwealth n'a pas vraiment de présence dans ces régions, et encore une fois, cela tient à des considérations budgétaires. Là où le Commonwealth a joué un rôle utile, à mon sens, c'est dans l'observation des élections. On envoie des délégations de députés représentant différents pays, et j'avoue que cette contribution s'est révélée très positive. En dehors de cela, son rôle est cependant minime.
C'est un peu comme l'ONU, finalement. Je ne sais plus qui en est le représentant à l'heure actuelle, mais je me souviens du type, qui était d'ailleurs Canadien, qui avait la responsabilité du Programme de défense des droits de la personne au sein du Commonwealth. Il n'y avait qu'une personne pour tout le Commonwealth. Dans quelle mesure ces activités peuvent-elles être réellement efficaces s'il n'y a qu'un seul responsable? Notre organisation a un budget qui lui semble petit pour couvrir l'ensemble des pays en développement, et malgré tout, elle compte 22 employés; mais là il n'y avait qu'une personne pour l'ensemble du Commonwealth. À mon avis, il n'est guère surprenant qu'il ne se passe pas grand-chose.
Deuxièmement, il faut savoir si le Commonwealth a vraiment de l'avenir dans cette région. À mon avis, c'est tout à fait possible, justement en raison de l'évolution des relations coloniales qu'il a entretenues pendant longtemps. Des pays comme le Kenya et la Tanzanie pourraient travailler avec leurs voisins du Sud, plutôt que de compter exclusivement sur des gens du Nord qui viennent chez eux partager leur expérience. Ils pourraient même faire cela dans leur propre contexte, c'est-à-dire faire venir des députés d'autres pays qui se débrouillent bien dans leur région respective pour partager cette expérience avec d'autres membres du Commonwealth, comme la Tanzanie.
La Tanzanie a connu jusqu'à présent beaucoup de succès. Par conséquent, nous avons beaucoup d'espoir. Cependant, on n'en parle pas souvent aux nouvelles.
Nous travaillons beaucoup en Tanzanie. J'y étais en visite récemment, et le pays donne l'impression de s'orienter de plus en plus vers le multipartisme. Il me semble que si le Commonwealth était prêt à y consacrer plus de ressources, il pourrait jouer un rôle beaucoup plus important qu'il ne l'a fait jusqu'à présent pour favoriser le développement démocratique.
M. English: Quelqu'un a suggéré que je vous pose cette question afin qu'on puisse envoyer une copie du compte rendu au Comité britannique qui s'en servira peut-être pour son rapport. Je vais donc envoyer la deuxième réponse, plutôt que la première.
M. Broadbent: Envoyez les deux.
Si vous me permettez d'ajouter quelque chose, il va sans dire qu'il n'y a pas que le Commonwealth qui puisse être utile; la francophonie est une autre institution qui pourrait faire beaucoup plus. Mais j'ai l'impression qu'elle a d'autres problèmes plus graves à régler pour l'instant.
M. English: Puisqu'on se permet un peu d'humour, je constate qu'il n'y a pas eu de questions jusqu'à présent - et ce n'est pas dû uniquement à l'absence du Parti réformiste - au sujet de l'extravagance de votre organisation ou de ses bureaux luxueux. Je pense que c'est en partie parce que M. Paré vous a accompagné pour observer les élections au Mexique, ainsi que le député de Waterloo, qui a annoncé dans notre journal local qu'il a dû partager une chambre avec vous et un cafard.
M. Broadbent: Au moins il a fait une distinction entre les deux.
M. English: Il a dit qu'il s'agissait d'un cafard socio-démocrate.
M. Broadbent: Et il a pris des photos aussi.
M. English: Des photos du cafard ou de vous-même?
M. Broadbent: Je préfère ne pas personnaliser la discussion. Allez-y.
M. English: Quoi qu'il en soit, je tiens à vous féliciter de votre bonne gestion financière et de votre frugalité, ce qui cadre tout à fait avec la philosophie actuelle, et du fait que ce genre de questions a complètement disparu.
M. Broadbent: Merci.
M. Flis: J'ai deux questions à vous poser. D'abord, le président a parlé tout à l'heure de Chiapas. Pourriez-vous nous expliquer brièvement où en sont les choses à l'heure actuelle? Notre intervention à Chiapas nous a-t-elle appris quelque chose?
L'autre question plus pertinente que je voudrais vous poser fait suite aux compliments deM. English. Vous nous avez dit que d'après vos états financiers pour cette année, vos frais d'administration représentent moins de 10 p. 100 de votre budget. Nous vous en félicitons. Vous avez d'ailleurs remercié le comité d'avoir renouvelé le budget de 5 millions de dollars, etc. J'aimerais donc savoir si vous déployez vraiment des efforts sérieux pour obtenir des crédits d'autres paliers de gouvernement, d'autres organes internationaux ou encore de sources non gouvernementales?
Je songe à d'autres modèles - le CRDI semble avoir remporté énormément de succès de ce côté-là. En plus de ses crédits gouvernementaux, il reçoit énormément de fonds privés. Vu la nature de votre travail, il me semble que vous allez avoir besoin d'encore plus de ressources financières et humaines.
Que fait le Centre à l'heure actuelle pour obtenir d'autres sources de financement?
M. Broadbent: Eh bien, nous travaillons avec d'autres organisations semblables à la nôtre, telle que la Westminster Foundation. Bien que nos rapports soient moins étroits, nous travaillons également avec certains de nos pendants américains comme le NDI et certaines de ses organisations pour des projets conjoints. Nous essayons également d'obtenir de gros donateurs.
Nous nous concentrons actuellement sur des projets à plus long terme dans les pays où nous sommes actifs, comme un projet triennal en Tanzanie ou au Kenya. Nous approchons également d'autres fondations, comme les fondations allemandes, et d'autres pays donateurs, comme la Hollande, la Suède, l'Allemagne et d'autres qui mènent des activités en faveur du développement démocratique. Nous essayons de les encourager à participer à certains de ces projets.
Par conséquent, même s'ils ne faisaient pas de contributions financières directes à notre organisation, ils participeraient sous une forme ou une autre. Nous souhaitons les intéresser activement à des projets qui nous semblent particulièrement utiles ou importants. D'ailleurs, nous avons déjà connu un certain succès sur ce plan-là. En fait, comme Iris Almeida le sait déjà pour le Kenya, nous avons eu pas mal de succès pour ce qui est de faire participer d'autres partenaires internationaux à nos initiatives.
Je n'arrive pas à lire le petit mot de Mme Theauvette sur cette même question, alors je vais simplement lui céder la parole.
Mme Theauvette: À la suite de notre étude du développement démocratique au Salvador, et de l'atelier qui y a été organisé pour établir des priorités en matière de bonne administration, de protection des droits de la personne et de développement démocratique, on a demandé au Centre de siéger au comité consultatif d'une entreprise privée qui s'appelle Sojema et qui s'est vu attribuer un contrat de 25 millions de dollars sur cinq ans par l'ACDI. Ainsi, nous pourrons user de notre influence pour l'aider à concevoir et à préparer des projets dans le domaine des droits de la personne et du développement démocratique. Comme nous allons pouvoir investir nous-mêmes près de 100 000$ avec certains de nos partenaires, encore une fois, nous pourrons avec une somme d'argent assez minime influencer un intervenant plus important qui dispose de sommes plus substantielles.
Nous espérons pouvoir en faire autant dans le cadre du PNUD qui a un fonds de 9 millions de dollars pour la défense des droits de la personne et le développement démocratique au Salvador. Voilà un autre exemple de la façon dont nous pouvons nous servir de nos fonds limités pour influencer d'autres intervenants.
[Français]
M. Paré: Compte tenu de la nature de la mission du Centre, quel est le cycle moyen de la durée d'un projet ou d'une intervention? Est-ce que le financement annuel du Centre ne vient pas freiner vos activités?
M. Broadbent: En général, je crois que c'est trois ans. Pour moi, il est très important que le Centre ait un engagement d'environ cinq ans. Il est souhaitable, pour de tels projets, d'avoir des garanties à long terme.
[Traduction]
Les membres du comité ne sont peut-être pas en mesure de se prononcer là-dessus. D'ailleurs, j'ignore si le comité serait disposé à prévoir un financement garanti sur cinq ans. Certains nouveaux députés ne savent peut-être pas que lorsque le Centre a été mis sur pied à l'origine, conformément à la recommandation d'un comité représentant tous les partis, celui-ci a proposé d'accorder au Centre un financement quinquennal garanti, justement pour nous permettre de régler ce genre de problèmes et pour que le Centre puisse être plus sûr de son avenir et exprimer ses propres opinions sur diverses questions, indépendamment de celles du gouvernement du Canada. Pour moi, ce principe a beaucoup de mérite.
Dans mon rôle précédent, avant que j'accède à ce poste, j'appuyais vigoureusement ce principe et il va sans dire que je l'appuie d'autant plus vigoureusement à l'heure actuelle pour des raisons évidentes.
Le président: Puisqu'on parle de financement et de vos efforts coopératifs, si je comprends bien, monsieur Broadbent, plutôt que d'aller demander une subvention de la Fondation Ford, par exemple, pour assurer le financement d'un projet particulier - car cette possibilité existe, d'après ce qu'on m'a dit, et bon nombre d'organisations en profitent - vous préférez établir des co-entreprises avec d'autres pays où vous êtes actifs car vous jugez cette solution plus avantageuse. Vous allez maintenant établir de plus en plus de co-entreprises et soit jouer un rôle de dirigeant pour certains projets, soit jouer un rôle secondaire dans d'autres, de façon à élargir progressivement vos activités. C'est bien cela?
M. Broadbent: C'est surtout la dernière des deux possibilités qui nous intéresse, comme je l'expliquais à M. English. Mais en ce qui concerne l'exposition photographique qui va être organisée à Beijing, nous cherchons des commanditaires du secteur privé pour ce projet-là également.
Le président: Je comprends. Nous avons récemment reçu le Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme. Nous avions l'impression que le Haut Commissariat est gravement sous-financé. Le Centre a-t-il l'intention d'essayer d'en soutenir l'activité, pour en revenir à la question qui vous a été posée précédemment par Mme Beaumier?
M. Broadbent: Oui, le Haut Commissaire est venu à nos bureaux et nous avons discuté de différents moyens concrets de le faire. Les plus évidents concernent les pays qui revêtent pour nous une importance clé, c'est-à-dire les pays de base où l'ONU est active. Nous allons donc chercher diverses possibilités de collaboration.
Pour vous dire vrai, il espérait que nous puissions soutenir financièrement ses activités. Donc, pour nous, il s'agirait d'une sorte de co-entreprise, mais c'est tout de même un peu curieux. Mais ce n'est pas du tout de sa faute; je veux que ce soit clair. Nous avons certainement l'intention de collaborer dans la mesure où nous pourrons le faire. Ce que je trouve curieux, c'est que l'ONU s'adresse à une organisation comme la nôtre qui est en fin de compte relativement petite pour faire financer ses activités. Pour moi, cela montre à quel point elle manque de ressources.
Le Haut Commissaire n'a que deux employés pour couvrir le monde entier. Il a d'énormes problèmes, et comme je vous l'ai déjà dit, nous envisageons de collaborer le plus possible. Haïti et le Salvador sont de bons exemples de pays où nous pourrions très bien organiser des activités conjointes.
Le président: Permettez-moi de vous poser une dernière question, parce qu'il est maintenant 11 heures.
Les membres du Comité voudraient peut-être vous entendre parler de la valeur particulière des activités du Centre. Nous recevons les représentants de l'ACDI, et nous avons déjà reçu le Haut Commissaire des Nations unies et d'autres personnes qui cherchent des solutions aux problèmes importants de défense des droits de la personne.
Le Centre joue évidemment un rôle dans ce domaine, mais finalement, ne vous contentez-vous pas de faire comme les autres? On a l'impression que le CRDI, par exemple, est une institution internationale unique qui mène des activités qui ne sont pas disponibles ailleurs, à en croire les représentants de bon nombre d'autres pays, et que le Canada joue vraiment un rôle de chef de file dans ce domaine. Pouvez-vous nous dire comment votre Centre se compare au CRDI ou à d'autres institutions semblables?
M. Broadbent: Permettez-moi de vous répondre brièvement. Il va sans dire que c'est une question très importante.
Quand le Centre a été mis sur pied, l'idée n'était pas de faire double emploi avec l'ACDI ou le ministère des Affaires étrangères. Les parlementaires se demandaient s'il serait possible que des Canadiens, oeuvrant dans un établissement d'origine parlementaire, puissent travailler avec des gouvernements, des groupes ou des particuliers dans des pays en développement pour mettre en place des institutions et des mécanismes qui serviraient à protéger les droits de la personne. Voilà le mandat qu'ils nous ont confiés.
Nous différons des autres, me semble-t-il, par notre capacité - c'est-à-dire moi en tant que président du Centre, ou même les employés - de dire exactement ce qu'on pense, contrairement à l'ACDI, aux hauts commissaires et aux ambassadeurs. Nous essayons évidemment d'employer toujours le langage de la diplomatie - c'est-à-dire d'être clairs, avec un minimum de langue de bois et un maximum de substance - mais je sais que quand je visite un pays, je peux parler plus ouvertement sans avoir à craindre des réactions ou des incidences négatives sur le plan bilatéral, ce qui est évidemment le cas pour le gouvernement du Canada ou tout autre État-nation.
Nous pouvons nous permettre d'être beaucoup plus francs en parlant de questions et de principes liés aux droits de la personne sur la scène internationale. Nous nous efforçons toujours de l'être - nous ne sommes pas là à titre de Canadiens. Par conséquent, nous pouvons être plus francs et soutenir des groupes plus socialisants. Tous les gouvernements démocratiques et non démocratiques font l'objet ou devraient faire l'objet de pressions intenses des ONG activistes - il s'agit évidemment d'activités non violentes, mais c'est ce genre de pressions qui caractérisent une société active. Cela force les élus à rester vigilants.
Nous sommes en mesure de soutenir ce genre de groupes en leur versant une aide financière, dans certains cas, et dans d'autres, si la vie de leurs membres est menacée, en exerçant des pressions sur la scène internationale. Ils savent, par l'entremise de groupes que nous avons soutenus dans de nombreux pays - des groupes d'activistes qui peuvent être arrêtés ou pire encore - que nous sommes mieux placés pour le faire que le gouvernement du Canada ou l'ACDI. Donc, j'insiste sur le rôle de défense et de promotion des droits de la personne du Centre, rôle qui correspondait à la vision des députés qui étaient convaincus que nous pourrions occuper un créneau particulier par rapport à l'action d'autres organismes gouvernementaux.
Par contre, à la différence des ONG, nous bénéficions de facilités d'accès, en partie parce que nous avons été créés par le Parlement. En tant que président nommé par le gouvernement du Canada, je peux accéder plus facilement que les ONG aux paliers supérieurs de l'administration d'autres pays, et aux ONG elles-mêmes. Notre Centre constitue en fait un hybride intéressant, en ce sens que si nous faisons bien notre travail - et nous nous efforçons toujours de le faire - nous pouvons nous permettre certaines choses qui sont interdites à d'autres.
Permettez-moi de conclure en vous donnant un exemple précis. Christine Stewart, secrétaire d'État, et moi-même avons récemment visité la Tanzanie, l'un après l'autre. Pour ma part, j'y suis resté cinq ou six jours. J'ai eu des rencontres avec des ministres de premier plan et des ONG et j'ai parlé publiquement de changements qui devraient, dans notre optique internationale, être apportés au régime afin de garantir que les élections d'octobre soient des élections libres et justes. J'avais la possibilité de faire des déclarations publiques claires et sans équivoque au sujet des changements qui nous semblaient souhaitables - beaucoup plus que n'aurait pu le faire la ministre, qui doit veiller au maintien de bonnes relations bilatérales.
Dans les entretiens privés qu'elle a eus avec les autorités après mon départ, elle a dû soulever essentiellement les mêmes questions que moi, peut-être même avec plus d'impact, étant donné qu'elle est la représentante directe du gouvernement du Canada. Mais pour ce qui est du débat public en Tanzanie, elle ne pouvait pas se permettre d'être aussi franche que moi, à titre de président d'un centre international des droits de la personne et du développement démocratique.
En un sens, l'exemple de la Tanzanie illustre très bien notre façon de travailler, car quand tout marche bien, nos activités complètent celles d'autres organisations plutôt que de faire double emploi.
Le président: Merci infiniment, monsieur Broadbent.
[Français]
M. Paré: Est-ce qu'on pourrait demander à Mme Walmsley de nous dire un petit mot?
Le président: Certainement. Est-ce que vous aimeriez ajouter un autre point de vue du conseil d'administration, madame?
[Traduction]
Mme Norma Walmsley (membre, conseil d'administration, Centre international des droits de la personne et du développement démocratique): Je pourrais peut-être vous indiquer, ne serait-ce que pour rassurer tous les membres du comité, que le Centre marche très très bien. Je peux vous l'affirmer car j'occupe mes fonctions depuis sa création.
Nous avons un excellent conseil d'administration. Il a déjà changé maintes fois, car les députés se souviendront sans doute, s'ils ont lu la loi, que certaines nominations par le comité représentant tous les partis politique duraient un an, d'autres, deux ans, et certaines autres, trois ans. Donc, à cause du système de roulement prévu, la composition du conseil a changé. J'ai été nommée pour trois ans. Par conséquent, mon mandat devait prendre fin en mars 1993. Le gouvernement a ensuite reconduit mon mandat, de sorte qu'il prend fin en mars 1996. J'ai assisté à toutes les réunions du conseil. J'ai observé avec beaucoup d'intérêt le travail du personnel, et notamment le travail de qualité de notre président dévoué.
J'ai constaté que chacun des employés est très compétent et très engagé. Soit dit en passant, ils travaillent tous beaucoup trop, même si vous n'êtes peut-être pas de cet avis.
M. Broadbent: Je suis très content que vous nous ayez posé ces questions.
Le président: Vous êtes une source d'inspiration.
Mme Walmsley: Mais sérieusement, ils sont surchargés. On n'a peut-être pas cette impression-là si on les compare au personnel de la Commission des droits de l'homme des Nations unies, qui a exactement deux employés pour le monde entier. Évidemment, nous menons nos activités dans une plus petite région. Le fait est que nous avons 22 employés, mais ils sont surchargés.
Comme vous le savez tous, les violations des droits de la personne sont beaucoup trop fréquentes dans le monde. Il y a des problèmes très graves auxquels nous devrions nous attaquer mais que nous sommes obligés de négliger en raison d'un manque de fonds ou de personnel. C'est d'ailleurs quelque chose qui préoccupe grandement le conseil d'administration.
Nous nous inquiétons également de ce que le Centre ne puisse pas jouer le rôle qui faisait partie intégrante de son mandat, à savoir influencer d'autres intervenants. Il y a encore beaucoup de Canadiens qui ignorent l'existence du Centre, sans parler de ses activités. Nous avons pourtant déployé des efforts considérables pour corriger cette situation.
Un élément du mandat confié au Centre par le Parlement consiste à influencer les Canadiens et le monde: nous arrivons parfois à influencer le monde, et cette affirmation n'est pas du tout exagérée. Voilà pourquoi, comme notre président vous l'a déjà expliqué, le conseil d'administration a insisté pour que cet élément du mandat soit réexaminé et qu'il se concrétise dans les années qui viennent, à condition qu'on s'engage à nous garantir des fonds à plus long terme. Évidemment, avec un cycle annuel ou du moins un budget annuel... Nous, nous souhaitons pouvoir traiter avec nos partenaires à plus long terme.
Si nous souhaitons vraiment que nos activités soient efficaces dans tous ces pays, nous devons viser le long terme, et pour cela, il faut être en mesure d'engager des fonds non seulement cette année, mais l'année suivante, et l'année d'après. Je vous exhorte donc à regarder de plus près le travail qui s'accomplit actuellement. Je vous assure que notre président représente merveilleusement bien le Canada. Ça, c'est tout à fait sûr. Je ne crois pas avoir jamais voté pour le Parti néo-démocrate, alors vous comprendrez que ce n'est pas pour cela que je fais son éloge. Mais il reste que...
M. Broadbent: Il vaudrait mieux que vous vous arrêtiez maintenant, Norma.
Mme Walmsley: Très bien, je vais m'en tenir là. Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, madame Walmsley. Je suis sûr que les membres du comité sont heureux de savoir que même si nous n'avons pas le pouvoir de vous offrir un programme de financement pluriannuel, il y a une certaine permanence du côté du conseil d'administration et de la présidence. Je suis ravi de savoir qu'on a confié à Mme Walmsley un mandat de plusieurs années. Merci infiniment de votre présence parmi nous, et nous nous attendons avec impatience à une prochaine visite.
La séance est levée jusqu'à mardi.