[Enregistrement électronique]
Le mardi 20 juin 1995
[Traduction]
Le président: J'aimerais déclarer la séance ouverte.
Pendant une heure et quart, nous allons avoir avec nous M. John Gero, qui est directeur de la division des recours commerciaux au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, et M. Rudy Verspoor, chef des recours commerciaux et des relations économiques générales au ministère des Finances.
Cette réunion a pour but d'examiner avec les deux témoins les progrès réalisés par le groupe de travail mixte de l'ALÉNA sur les droits compensateurs et les droits anti-dumping. À cet égard
[Français]
j'attire l'attention des membres du Comité sur le fait que l'Association canadienne des producteurs d'acier leur a distribué un dossier qui, me dit M. Schmitz, est plein de renseignements utiles à cet égard. Donc, je vous recommande la lecture du dossier de l'Association canadienne des producteurs d'acier.
[Traduction]
Monsieur Gero, je crois comprendre que vous alliez commencer par une brève déclaration d'introduction. Ensuite nous pourrons passer aux questions des membres.
M. John Gero (directeur, Division des recours commerciaux, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Merci monsieur le président.
J'essaierai d'être relativement bref, ce qui vous permettra d'avoir autant de temps que possible pour les questions. Je ne vais pas m'attarder sur les origines de ces groupes de travail. Comme vous le savez, ils ont été créés en 1993, lorsque le premier ministre a annoncé la ratification de l'ALENA et le souhait du gouvernement de prolonger les négociations dans le domaines des recours commerciaux en matière de droits anti-dumpings et de programmes compensatoires de subventions car le gouvernement estimait que l'ALENA présentait des insuffisances dans ce domaine.
Je pense qu'il est bien connu que nous avons démarré assez lentement, ce qui est dû en grande partie au fait que l'un de nos partenaires, les États-Unis, a connu l'année dernière de graves difficultés internes pour mettre en oeuvre les engagements qu'il avait pris lors du cycle de l'Uruguay. Ce processus législatif a été beaucoup plus lourd et a exigé beaucoup plus de ressources que l'administration américaine ne l'avait prévu.
Avec l'adoption de ce texte de loi en décembre, nous nous sommes engagés sérieusement dans ces négociations. Nous avons eu plusieurs séances au niveau des négociateurs en chef pour déterminer les sujets à traiter et trouver un plan de travail nous permettant de faire des progrès.
J'aimerais d'abord placer ces négociations en contexte. Je pense qu'il est juste de dire que le Canada est vraiment le demandeur. C'est nous qui aimerions appliquer des règles plus rigoureuses et certainement avoir un accès plus sûr aux marchés.
D'autre part, je pense qu'il est juste de dire que, dans notre optique, au moment où nous nous acheminons vers la création d'un marché intégré en Amérique du Nord, nous devons remettre en question toute la question des lois sur les mesures anti-dumpings.
Pour nous, toute la justification de ces mesures disparaît puisque les biens vont circuler librement à travers les frontières aux différentes étapes de leur production. Il est clair que, dans notre optique, il ne semble pas être nécessaire d'avoir des règles différentes pour vendre de Buffalo à Chicago ou de Buffalo à Toronto ou pour vendre de Toronto à Regina ou de Toronto à Buffalo. Les entreprises ont tendance à se comporter de la même façon lorsqu'elles traitent dans un marché intégré unique.
Dans la perspective mexicaine, je pense qu'il est juste de dire que le Mexique soutient complètement les objectifs du Canada à cet égard. Les Mexicains comprennent nos raisons et, dans le contexte des réunions des groupes de travail qui se sont déjà tenues, je pense qu'il est juste de dire que les Mexicains partagent entièrement les objectifs et les buts du gouvernement canadien.
Les Américains travaillent dans un contexte différent. Si vous avez suivi l'application de la Loi de mise en oeuvre du cycle de l'Uruguay aux États-Unis, la question des recours commerciaux est particulièrement délicate du point de vue politique à Washington.
Un débat très virulent se déroule aux États-Unis entre ceux qui estiment que les lois sur les recours commerciaux sont absolument vitales pour les intérêts des États-Unis et sont des aspects sacro-saints et ceux qui croient que ces lois sont dans une certaine mesure désuètes et que, dans un contexte nord-américain où l'on se dirige vers le libre-échange, elles ne sont plus vraiment nécessaires. Ce dernier groupe craint également qu'elles ne nuisent à la compétitivité des industries américains en Amérique du Nord et dans le monde, à la fois pour celles qui dépendent des exportations parce qu'elles feraient face à des régimes anti-dumpings dans d'autres pays et pour celles qui ont besoin d'intrants qui sont confrontés à des droits anti-dumpings aux États-Unis.
Ce débat est bien engagé. La situation politique est très difficile aux États-Unis. Par conséquent, il n'est pas surprenant que l'administration américaine soit extrêmement prudente.
Ceci étant dit, je pense qu'il serait juste de dire qu'à la table de négociations durant ces réunions, les États-Unis déclarent vouloir régler tout problème qui pourrait exister dans le contexte nord-américain. Ils ont pleinement participé aux négociations à cet égard. Je pense qu'il faut préciser très clairement que les trois pays respectent pleinement les engagements pris par leurs gouvernements en 1993.
Je m'arrêterai ici, parce que je ne sais pas quels aspects des négociations ou des enjeux vous intéressent le plus, vous ou vos membres. Je vais essayer de répondre à vos questions.
Le président: Oui certainement.
[Français]
Monsieur Bergeron.
M. Bergeron (Verchères): Monsieur Gero, pour répondre à votre question, tous les aspects des négociations en cours nous intéressent, parce qu'elles se déroulent, jusqu'à un certain point, dans une atmosphère de catimini et de faible transparence, si je puis dire. Très peu de renseignements transpirent de ces négociations. En fait, selon les renseignements que nous avons - et je ne suis pas sûr de leur exactitude car ils ne semblent pas corroborer ce que vous nous dites - , il n'y aurait eu que deux rencontres entre les trois partenaires. Ces rencontres n'auraient eu pour seul effet que d'établir les paramètres de la négociation, de mettre la table, comme on dit, et les véritables négociations n'auraient pas encore été entreprises, alors que la date limite est fixée au 31 décembre de cette année.
On se souviendra que le Canada a posé comme condition de son adhésion à l'ALÉNA la mise sur pied de groupes de travail et de négociation sur les mesures antidumping et les droits compensatoires. Ces négociations devaient venir à échéance le 31 décembre 1995. Nous en sommes presque à la fin du délai et, jusqu'à présent, on n'entrevoit à peu près aucun résultat au terme des négociations actuelles.
Comme je le disais plus tôt, selon les renseignements que nous avons, les seules négociations qui ont eu lieu jusqu'à présent n'ont servi qu'à établir les paramètres de cette négociation.
À certains égards, on dirait que, depuis l'entrée en vigueur de l'ALÉNA, certains aspects du commerce entre le Canada et les États-Unis sont devenus plus difficiles encore. Peut-être est-ce dû au fait qu'il existe une certaine imprécision quant aux définitions d'une mesure anti-dumping, d'un droit compensateur, d'une subvention, etc.
Cela dit, il y a lieu d'en arriver très rapidement à une définition ainsi qu'à une conclusion de ces négociations. Vous nous demandiez plus tôt quels aspects des négociations nous intéressaient plus particulièrement. En fait, tous les aspects nous intéressent.
Y a-t-il négociation? Si ce n'est pas le cas et si on devait en arriver à un constat d'échec, ce qui semble être probable actuellement, le Canada envisagera-t-il d'établir un certain nombre de mesures pour protéger son industrie en contrepartie des mesures qui sont imposées à la frontière américaine? Finalement, on en revient un peu au débat que nous avons eu à l'occasion du projet de loi C-57.
[Traduction]
M. Gero: Je pense que ce que vous dites contient plusieurs questions. En ce qui concerne le rythme des négociations, il faut se rappeler que le sujet n'est pas nouveau. En fait, on négocie cette question avec les États-Unis depuis au moins une décennie.
Comme vous le savez, on a un peu avancé dans le contexte de la ZLE. On est allé un peu plus loin dans le contexte des négociations du cycle de l'Uruguay pour ce qui est d'atteindre certains objectifs canadiens. Les négociations actuelles sont en fait la continuation de toutes ces négociations antérieures. Donc, même si les négociateurs en chef ne se sont encore rencontrés que deux fois cette année, je pense qu'on peut dire qu'on a beaucoup réfléchi sur ces questions dans ce contexte.
Je pense qu'il faut rendre à César ce qui qppartient à César, surtout dans le contexte des subventions. L'accord intervenu dans le cadre du cycle de l'Uruguay à la fin de 1993, qui a évidemment suivi la conclusion de l'entente sur la création des groupes de travail de l'ALÉNA, a permis des progrès importants pour ce qui est des questions que vous posez. Comment définir ce qu'est une subvention? Comment définir ce qu'on appelle des subventions vertes, les subventions autorisées ne donnant lieu à aucune mesure de rétorsion? Ces subventions sont maintenant incorporées dans la loi aux États-Unis, au Canada, et naturellement au Mexique.
C'est une question qui se pose depuis un bon bout de temps. Je pense qu'il est juste de dire que l'objectif canadien de réaliser des progrès importants à cet égard avant la fin de décembre est atteignable. Vraisemblablement, cela se fera, mais je ne crois pas que vous deviez déduire du fait qu'il n'y a eu que deux réunions entre les négociateurs en chef que ces négociations ne sont pas sérieuses.
[Français]
M. Bergeron: Permettez-moi de vous dire que je suis un peu perplexe face à la réponse que vous me donnez, parce que je ne suis pas plus éclairé qu'avant. Voit-on, de quelque façon que ce soit, des ouvertures de la part de nos partenaires américains ou, au contraire, ne profitent-ils pas d'une certaine façon de cette imprécision?
Vous parliez du fait qu'on avait précisé, dans les accords de l'Uruguay Round, ce qu'est une subvention, quelles sont les subventions permises et quelles sont les subventions non permises. C'est un fait, mais il existe encore une zone grise assez importante dans le domaine du dumping et des mesures antidumping, et cette espèce de zone grise profite considérablement aux Américains qui l'utilisent pour imposer des droits aux entreprises canadiennes qui exportent.
On est à la veille d'une nouvelle série de mesures contre les produits de l'acier canadien, par exemple. Donc, outre le fait de mettre la table, d'établir les paramètres de négociation, a-t-on pu voir quelque ouverture de la part de nos partenaires américains dans les négociations, et a-t-on pu voir dans les négociations un progrès qui nous permette d'espérer une conclusion positive des négociations d'ici la fin de l'année? J'ai l'impression que ce n'est pas le cas jusqu'à maintenant et la réponse me le confirme. Peut-on présumer qu'on en arrivera à une solution satisfaisante? Y a-t-il des signes d'ouverture de la part de nos partenaires américains, ou, au contraire, ne cherchent-ils pas à gagner du temps pour en arriver à la fin de l'année à un constat d'échec, remettant ces négociations-là aux calendes grecques?
[Traduction]
M. Gero: Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il y a eu certains événements positifs dans ces négotiations. Je ne pense pas qu'on puisse dire que les Américains essayent de gagner du temps; je pense qu'ils se sont engagés complètement. Si vous me demandez où nous en serons à la fin de décembre, ma boule de cristal est évidemment aussi efficace que celle d'un autre. Il est très difficile de prédire les résultats des négociations dans ce contexte. Je ne peux pas vous tracer les grandes lignes de l'accord qu'on concluera à la fin de décembre en ce moment-ci.
Le président: J'aimerais revenir à la question de M. Bergeron. Pensez-vous qu'on arrivera en fin de compte à un accord? C'est l'essence de sa question. Il y a deux aspects: aura-t-on un accord et sera-t-il adéquat? Ce sont toujours deux éléments différents, mais la première question est de savoir s'il y aura un accord quelconque. Pourriez-vous aider le comité en nous disant ce que vous...
M. Gero: Je pense que la réponse à cette question est oui, il y aura un accord.
[Français]
M. Bergeron: Bien sûr, monsieur Gero, votre boule de cristal vaut certainement la mienne, bien que la vôtre soit sans doute plus efficace que la mienne, puisque vous êtes en mesure de voir un peu comment évoluent les négociations. Si on a demandé la tenue de cette rencontre aujourd'hui, c'est justement pour pouvoir faire le point sur les négociations.
Vous me dites qu'il y a une ouverture de la part des Américains. Eh bien, soit. J'en suis fort aise, mais de quel ordre est cette ouverture? Sur quels sujets? Comment cette ouverture se manifeste-t-elle? A-t-on une idée des ouvertures que les Américains sont prêts à faire? Qu'a-t-on fait, finalement, à part mettre la table en vue de négociations qui n'ont pas encore véritablement eu lieu jusqu'à présent?
[Traduction]
M. Gero: Je pense qu'on essaye d'identifier les problèmes et de trouver des solutions. Si vous me demandez ce que feront les Américains à la fin de décembre dans le contexte de...
M. Bergeron: À ce point-ci...
Le président: Mais à ce point-ci, on parle des résultats concrets auxquels on pourrait s'attendre dans le contexte des trois paramètres qu'on a établis. Si vous me demandez ce qui se retrouvera dans l'accord, je ne peux vraiment pas vous le dire, parce qu'on est en train de négocier. Est-ce qu'il y a des ouvertures de la part des États-Unis? La réponse est oui, parce qu'il sont là et négocient sérieusement sur cette question. Ont-ils dit que demain ils élimineraient toute leur législation antidumping et toute leur législation compensatoire? Non ils ne l'ont pas dit.
Monsieur Penson.
M. Penson (Peace River): Soyez les bienvenus messieurs. Je comprends que vous êtes probablement très occupés, vu la sorte de travail que vous faites et la nature du commerce ces jours-ci.
Je me demandais, pourtant, vu qu'il existe certains points d'agacement entre nous et les États-Unis en particulier, si on ne devrait pas considérer cela comme une occasion de négocier à notre avantage. Je parle plus précisément de la gestion des approvisionnements dans le secteur agricole; les choses sont rendues à l'étape de la discussion et il existe, aux États-Unis, des subventions élevées qui dépassent ce que réprésentent ici nos tarifs prohibitifs. N'avons-nous pas là une occasion de négocier à notre avantage un nouvel arrangement pour les agriculteurs des secteurs où l'offre est réglementée?
Deuxièmement, je me demande si on ne peut pas faire la même chose pour la sidérurgie, où il existe beaucoup de droits compensateurs. N'avons-nous pas là l'occasion d'essayer de libéraliser davantage les échanges dans des secteurs particuliers? Je ne sais pas si l'industrie automobile peut servir d'exemple, mais on sait que des arrangements spéciaux peuvent se faire bilatéralement. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus.
Je poserai également cette question sur l'Organisation mondiale du commerce elle-même pour savoir si vous êtes au courant de cas spécifiques que le Canada va lui soumettre pour essayer de clarifier certains points. Je pense à la sidérurgie, par exemple. Serait-ce un organisme approprié pour essayer de résoudre les problèmes que nous connaissons depuis longtemps?
M. Gero: Pour répondre à votre première question, la régulation de l'offre dans l'agriculture ne fait pas partie de ces négociations. Celles-ci visent strictement les questions de l'antidumping et des droits compensatoires et ne traitent pas de questions telles que la régulation de l'offre dans le secteur agricole.
Sans aucun doute, une possibilité de progresser serait de faire des négociations sectorielles plutôt que générales. Dans certains secteurs, les progrès seront peut-être plus rapides que dans d'autres, parce que le niveau d'intégration varie évidemment d'un secteur à l'autre.
Sans aucun doute, on vise notamment la sidérurgie. Nous avons certainement discuté de cela en détail avec nos industriels de ce secteur. Il y a eu des discussions trilatérales. En fait, les intéressés des trois pays et les trois négociateurs en chef se sont rencontrés en avril pour discuter des problèmes propres à la sidérurgie et de la façon de les résoudre.
Donc, on pourrait très bien procéder par secteurs. Nous essayons d'avoir des idées nouvelles pour progresser dans ce domaine et je n'éliminerai donc pas cette possibilité.
L'OMC n'est pas encore la tribune appropriée. Un certain nombre de cas datant de l'époque du GATT et relatifs aux pratiques américaines, particulièrement dans la sidérurgie, ne sont pas encore réglés. Le Canada n'est pas parmi les plaignants. Les cas à l'étude concernent surtout l'Europe. Mais, bien sûr, il est toujours possible de s'adresser à l'OMC pour trancher les différends entre les États-Unis et le Canada.
Naturellement, ce qui importe pour l'OMC est que les États-Unis respectent leurs obligations internationales dans certains cas particuliers. Bien sûr, il y a aussi un mécanisme plus spécialisé de règlements des différends: le chapitre 19 de l'ALÉNA, en vertu duquel on peut vérifier si les décisions administratives des organismes américains sont conformes aux lois américaines. Ceci est une question tout à fait différente. Il y a donc deux façons différentes d'envisager d'éventuels cas concernant les États-Unis.
M. Penson: Je comprends, d'après ce que vous dites, que vous ne parlez pas spécifiquement de la régulation de l'offre aujourd'hui, mais les États-Unis ont mis cette question sur le tapis. Je crois comprendre qu'ils ont demandé que cela fasse partie de la discussion, ce qui entame le processus pour ce qui est de l'ALÉNA, n'est-ce pas?
M. Gero: Oui, mais c'est un processus complètement différent. Les États-Unis ont demandé un groupe spécial pour voir si les pratiques canadiennes respectent l'ALÉNA, ce qui est tout à fait en dehors du champ d'application de ces négociations.
M. Penson: Êtes-vous ici aujourd'hui pour parler précisément de ces négociations, ou avez-vous d'autres...
M. Gero: Je crois être ici aujourd'hui pour parler strictement de...
M. Penson: D'accord. Nous allons parler de cela plus précisément. Je parlerai à quelqu'un d'autre du ministère au sujet de l'autre question.
Je crois que le débat sur le bois d'oeuvre commence à reprendre de plus belle aux États-Unis et comme vous le savez, il y a déjà eu beaucoup de mesures prises contre nous et nous avons gagné chaque fois. Mais ne serait-ce pas quelque chose que l'Organisation mondiale du commerce pourrait entendre si nous continuons de faire l'objet, si vous voulez, d'un harcèlement non tarifaire? Comment voyez-vous cette situation?
M. Gero: Comme vous le savez, en ce qui concerne l'imposition de droits compensateurs sur le bois d'oeuvre par les États-Unis, l'industrie, les provinces et le gouvernement fédéral sont intervenus conjointement en se prévalant du chapitre 19 et nous avons gagné cette cause, ce qui a permis à l'industrie canadienne de récupérer environ 800 millions de dollars.
Par la suite, pour éviter d'autres cas du même genre, nous avons créé un comité consultatif du gouvernement et de l'industrie afin de discuter des problèmes pour que l'on puisse résoudre ces conflits par le dialogue plutôt que par des litiges.
M. Penson: Ma question est précisément celle-ci: si les Américains continuent d'avoir recours à cette pratique - et je crois comprendre qu'il y a de grandes chances que ce soit le cas - pouvons-nous nous adresser à l'Organisation mondiale du commerce pour obtenir un règlement définitif stipulant que les exportateurs canadiens de bois d'oeuvre ne sont pas subventionnés et n'enfreignent pas la loi?
M. Gero: L'Organisation mondiale du commerce est une tribune qui décide si une mesure prise par les États-Unis est conforme ou non à leurs obligations internationales. C'est pourquoi l'OMC décidera si une mesure est conforme ou non aux obligations des États-Unis à l'égard de l'OMC, mais c'est tout.
M. Penson: Vous ne pensez pas que l'industrie du bois d'oeuvre appartient à cette catégorie?
M. Gero: C'est possible. Cela dépend. Pour le moment, les États-Unis n'ont pas pris de mesure contre l'industrie du bois d'oeuvre.
Comme vous le savez, dans le cas précédent, nous sommes allés devant l'OMC et nous avons gagné. Il est donc possible de recommencer. Ce sont les mesures qu'ils prennent et les procédés qu'ils utilisent qui permettront de déterminer s'ils agissent conformément à leurs obligations à l'égard de l'OMC. C'est pourquoi je n'écarte pas la possibilité de faire appel à l'OMC en cas de nouvelles mesures compensatrices, par exemple, suivant la façon dont les États-Unis appliquerait ces mesures.
M. Penson: Je comprends maintenant pourquoi, monsieur le président, vous avez passé tant d'années à pratiquer le droit commercial. C'est un domaine complexe. J'ai du mal à obtenir une réponse précise de ce monsieur.
M. Gero: Il y a plusieurs questions. Tout d'abord, il faut que les États-Unis prennent une mesure, ce qui n'est pas le cas pour le moment en ce qui concerne le bois d'oeuvre. Deuxièmement, la question est de savoir si la mesure prise par les États-Unis est conforme à leur propre droit national. Si nous pensons que ce n'est pas le cas, le mécanisme de règlement des conflits de l'ALÉNA nous permet de faire appel à un groupe spécial binational qui décidera si ce qu'ont fait les États-Unis est conforme à leur propre droit national. C'est ce que nous avons fait précédemment, et il a été décidé que la mesure n'était pas conforme à leur droit national et c'est pourquoi nous avons obtenu ces remboursements et gagné la cause.
L'autre question est de savoir si la mesure, tout à fait en dehors du fait de savoir si elle est conforme ou non au droit national, est conforme aux obligations que les États-Unis ont sur le plan international, c'est-à-dire dans le cadre des obligations qu'ils ont contractées dans le cadre de l'OMC, et c'est là une toute autre question. S'ils prennent une mesure qui n'est pas conforme à ces obligations, on peut alors la contester devant l'OMC.
Le président: Vous auriez appris tout cela si vous aviez suivi mon cours, monsieur Penson.
La parole est ensuite à M. Speller.
M. Speller (Haldimand - Norfolk): Bienvenue. Si vous pensez que les membres du gouvernement vont vous donner moins de fil à retordre que les deux derniers intervenants, vous vous trompez, car il y a parmi les députés de la Chambre, en particulier ceux qui viennent de régions productrices d'acier, une inquiétude réelle au sujet de ces négociations.
Nous sommes très préoccupés par ces négociations, car nous sommes dans une situation où notre industrie de l'acier est beaucoup plus compétitive que celle des Américains, qui se servent des lois commerciales pour limiter notre accès à leur marché. Parallèlement, le gouvernement canadien a jugé à propos de négocier sur cette question. C'est certainement là où il faut commencer, mais nous voyons également que les importations d'acier des États-Unis augmentent considérablement depuis un certain nombre d'années.
Je veux vous montrer un tableau qui indique l'augmentation du nombre de tonnes d'acier par mois de janvier 1996, où il était légèrement en-dessous de 40 000 tonnes par mois, au chiffre actuel de 240 000 tonnes par mois, c'est-à-dire une augmentation considérable qui a des effets directs sur la viabilité de la sidérurgie canadienne.
Je me demande si, dans ces négociations, le Canada est prêt à modifier ses propres règles pour les faire correspondre à celles des Américains.
Premièrement, je me demande si les Américains refusent de changer, ce qui semble être le cas.
Deuxièmement, je me demande si les Américains comprennent l'importance de ces questions pour les législateurs et le gouvernement canadien.
Troisièmement, je me demande si vous avez communiqué avec les Américains pour savoir si l'on peut établir une trève pendant la durée des ces négociations. C'est ce que nous avons fait dans d'autres secteurs. Lors du conflit sur le blé, pendant que nous négociions et rassemblions davantage d'information sur la question, nous avons convenu de ne pas prendre d'autres mesures et les Américains ont convenu de faire la même chose.
Quatrièmement, je me demande s'il n'existe pas une solution multilatérale à cette question. Il est évident que nous ne sommes pas les seuls à être contrariés par les Américains à ce sujet. Est-ce que nous parlons avec d'autres pays afin qu'ils exercent des pressions à ce sujet?
Finalement, croyez-vous, compte tenu de l'intégration de nos industries, que les Américains sont préparés à négocier un pacte de l'acier, que cela fasse partie ou non d'un accord portant sur les mesures antidumping?
M. Gero: J'aimerais traiter séparément de toutes ces questions. Je ne m'attendais pas à des questions plus faciles de votre part.
Que sommes-nous prêts à faire? Ce ne sont pas les Américains mais nous qui avons inventé les mesures antidumping. Pour ce qui est des autres pays, nous sommes plutôt efficaces dans notre façon de nous en servir. En fait, au cours des cinq dernières années, nous avons eu plus de causes contre les États-Unis que ceux-ci n'en ont eu contre nous. Je pense qu'il est juste de dire que le système américain et notre système sont différents, mais je soutiens que le nôtre est tout aussi efficace que le leur.
Évidemment, il y a toujours la possibilité de modifier les lois canadiennes, mais comme les récentes causes concernant l'acier l'ont montré, nos lois conviennent parfaitement.
Bien entendu, cela ne répond pas à la question des effets économiques que peut avoir une mesure prise par les États-Unis contre les exportateurs canadiens, qui ont un volume d'exportation beaucoup plus important par rapport à leur production totale. Cela a des effets beaucoup plus importants qu'une mesure canadienne prise contre les exportations américaines, qui ne représentent pas un facteur aussi important dans leur production totale. Mais il ne faut pas confondre l'impact économique et l'efficacité du mécanisme lui-même.
Je pense que les Américains comprennent très bien l'importance de cette question, c'est pourquoi ils se sont engagés sérieusement dans ce processus. Je peux vous dire qu'au niveau politique, tant au niveau du premier ministre qu'au niveau des ministres, chaque fois qu'ils participent à une discussion bilatérale, ils continuent de faire une large place à cette question. Lors de la réunion de la Commission de l'ALÉNA qui s'est tenue à Toronto tout récemment, il est évident que la question des groupes de travail sur le recours commercial dans le cas de l'ALÉNA a été un des grands sujets de discussion entre les ministres.
Est-il possible de faire une trève? J'associerais cela avec la question de savoir si nous sommes prêts à négocier un pacte de l'acier.
Comme je l'ai dit en réponse à votre question précédente, je pense que nous essayons de faire preuve de créativité et d'innovation pour trouver de nouveaux moyens de résoudre les problèmes. Il serait certainement possible d'adopter une approche sectorielle. Nous avons eu et maintenons toujours des contacts très étroits avec l'industrie sidérurgique canadienne pour discuter de ce qui se passe au sein des groupes de travail et du dialogue que tient l'industrie à ce sujet. Je n'exclurais pas cette possibilité, en tout cas.
Comme vous le savez, des efforts ont été déployés depuis cinq ans en vue de négocier un accord multilatéral sur l'acier. On s'est heurté au problème d'une divergence d'opinions entre les Européens et les Américains et, par conséquent, l'accord ne s'est pas concrétisé.
Cela dit, d'une façon plus générale, les discussions multilatérales ont probablement atteint le niveau des disciplines et des obligations que les pays ont accepté de s'imposer à la fin de 1993, dans le cadre du cycle de l'Uruguay, et que nous avons maintenant mises en application. Ce que nous essayons actuellement de faire comprendre aux États-Unis et au Mexique, c'est que l'ALÉNA est différent. Quand on crée un accord de libre-échange régional, les raisons de maintenir des lois prévoyant des sanctions commerciales disparaissent, à notre avis. Si le secteur privé peut réagir au dumping sur les importations en rendant la pareille, et rien ne nous empêche de le faire, l'existence de lois de ce genre des deux côtés de la frontière n'est à notre avis pas utile. C'est précisément ce qui se discute actuellement aux États-Unis et nous essayons d'intervenir dans ce débat.
M. Speller: En ce qui concerne les problèmes multilatéraux, voulez-vous dire que l'on ne fait pas d'efforts concertés avec d'autres pays pour les résoudre? C'est manifestement aussi un problème pour d'autres pays.
M. Gero: Absolument; c'est d'ailleurs pourquoi il a tellement été question des sanctions commerciales dans le cadre des négociations du cycle de l'Uruguay, et l'accord n'est entré en vigueur qu'en janvier. Est-il possible d'aller plus loin dans ce contexte? J'ai l'impression que ce serait plus rapide avec l'ALÉNA.
Le président: J'ai quelque chose à ajouter à propos de la question de M. Speller. J'ai l'impression que, pour les raisons que vous venez de donner dans votre réponse et puisque l'ALÉNA est un accord bien particulier, il serait extrêmement logique pour nous d'essayer, en suivant le modèle d'intégration économique et européenne, de nous démarquer le plus possible des autres pays et de prévoir un traitement spécial pour le Mexique, les États-Unis et le Canada. Si nous sommes mêlés aux problèmes des Européens, ceux-ci nous désarçonneront.
N'est-ce pas ce qu'il faut faire...?
M. Gero: Je crois que c'est exact et que les Américains eux-mêmes le reconnaissent dans une certaine mesure. C'est le cas en ce qui concerne les subventions, par exemple.
Prenons par exemple le secteur de l'acier. Il n'y a pas de problème. Les Américains ont imposé toute une série de droits compensateurs sur les exportations de plusieurs pays, mais le Canada y a échappé.
Je crois donc qu'ils reconnaissent que le marché nord-américain constitue un cas particulier. Il faut développer cette mentalité davantage pour imposer des disciplines nord-américaines supplémentaires à cet égard.
M. Speller: Votre réponse à ma question sur les lois antidumping laisse entendre que les entreprises canadiennes s'en sont probablement aussi bien tirées que les entreprises américaines. Il y a en effet eu plus de cas au Canada. Vous êtes néanmoins certainement conscient de la difficulté qu'ont les entreprises canadiennes à se défendre aux États-Unis. Les délais et les renseignements exigés favorisent certainement les entreprises américaines qui ont des problèmes au Canada par rapport aux entreprises canadiennes qui en ont aux États-Unis.
M. Gero: On dirait que ça dépend du point de vue. Il ne fait aucun doute que les lois concernant les sanctions commerciales entraînent beaucoup de frais et beaucoup de problèmes aussi bien pour les entreprises américaines que pour les canadiennes, et c'est une des raisons pour lesquelles nous désirons les modifier.
Est-ce plus coûteux aux États-Unis? Je crois que c'est possible, compte tenu du fait que les frais juridiques sont plus élevés à Washington qu'à Ottawa. Le système est-il aussi efficace? Je dirais que oui.
M. Speller: Oui, mais le tout est de savoir à quel prix. Cela coûte cher à certaines entreprises sidérurgiques canadiennes.
M. Gero: Oh, cela ne fait aucun doute. Il est effectivement très coûteux de se défendre quand on veut vous imposer des sanctions commerciales. C'est une des raisons pour lesquelles nous voulons modifier le système.
Le président: Nous allons passer à une deuxième série de questions.
Je me demande si je pourrais poser deux ou trois questions thématiques au cours des35 dernières minutes.
À mon avis, il faut faire une distinction très nette entre les droits compensateurs et les droits antidumping. Ce sont des problèmes différents qu'il faut aborder de manière différente. Je suppose que c'est ce que vous faites dans les négociations. Il y a deux équipes différentes et la tactique est passablement différente.
Je vais d'abord parler des droits compensateurs canadiens. Si je comprends bien, au cours des négociations concernant l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, il paraît qu'à la toute dernière minute les Américains ont regardé nos négociateurs et leur ont dit qu'il fallait que nous nous débarrassions de toutes les subventions qui existent ici. Ils tenaient absolument à ce que ce soit prévu de façon rigoureuse dans l'accord.
Nos négociateurs avaient en main un répertoire aussi gros que l'annuaire téléphonique de Toronto contenant une liste de cas d'octrois de subventions aux États-Unis. Ils l'ont passé aux négociateurs américains en leur disant que s'ils se débarrassaient de leurs subventions, nous en ferions autant. Les Américains ont alors dit qu'ils n'étaient même pas au courant de ces subventions, et l'affaire a été close.
C'est peut-être une simple anecdote, mais je crois que c'est vrai. Comme vous le savez, aux États-Unis, il existe une foule de subventions, au niveau municipal, à celui des États et au niveau fédéral. J'ai l'impression que le problème que vous avez, en qualité de négociateurs, c'est que vous n'arrivez pas à faire comprendre aux Américains - et cela rejoint ce qu'a dit M. Bergeron - qu'ils ont eux-mêmes un problème avec les subventions, et qu'il est de taille. C'est parce qu'ils font un espèce de blocage psychologique. Ils ne pensent pas qu'ils donnent des subventions, donc ce n'est pas vrai. Quand on vérifie, on constate pourtant que c'est le cas, et il faut qu'ils essaient de résoudre ce problème.
Pour ce qui est des droits compensateurs, nous pouvons nous estimer heureux si nous arrivons à obtenir un résultat légèrement supérieur à celui que l'on a obtenu à la suite du cycle de l'Uruguay. Je me demande si vous pourriez avancer des hypothèses à ce sujet. En fait, nous modifierons l'accord final du cycle de l'Uruguay, si je comprends bien. Nous le renforcerons. C'est ce que je suppose, du moins. Je voudrais connaître votre réaction.
En ce qui concerne les droits antidumping, vous avez raison; ils deviennent effectivement superflus dans un marché intégré. Par contre, sur le plan international, ils sont le reflet de la législation sur la concurrence et constituent une mesure de protection contre le bradage des prix. On peut par conséquent partir du principe que, dans un marché intégré, ces droits seront remplacés par une loi sur la concurrence. Encore faut-il qu'il s'agisse d'une loi uniforme et que le système d'application de cette loi soit uniforme également, comme en Europe.
À mon humble avis, et je voudrais savoir ce que vous en pensez également, nous sommes bien loin d'avoir atteint ce stade dans nos relations avec les États-Unis, à moins de dire aux Américains que nous sommes disposés à accepter leur système et qu'ils peuvent l'appliquer.
Je suis certain que dans ce cas, ils seraient d'accord. Par contre, quelles sont nos chances d'arriver à conclure un accord vraiment international, compte tenu du fait que les entreprises américaines considèrent les mesures antidumping comme des armes normales et légales? Cela fait partie de leur arsenal commercial. Il suffit d'écouter ce que l'on dit là-bas. C'est la même chose que pour les mesures législatives concernant les franchises ou que pour toutes les autres mesures auxquelles les Américains ont recours. Cela fait tout simplement partie du système.
J'arrive ainsi à la troisième question. Elle a été soulevée par M. Speller et le caucus de l'acier. En fait, le projet de loi américain d'exécution de l'accord final du cycle de l'Uruguay renforce les mesures antidumping.
C'était déjà le cas pour le trade and tariff act de 1974. Les Américains avaient profité du fait qu'ils appliquaient cet accord pour renforcer leur position, et c'est la même chose cette fois-ci.
Par conséquent, les représentants du caucus de l'acier sont venus nous trouver pour nous dire que, puisque c'est une habitude chez les Américains, la seule solution consiste à faire la même chose. Nous aurons une législation semblable. C'est ce qu'a fait le Nouveau-Brunswick quand il a eu une prise de bec avec le Québec.
Est-ce une solution réaliste? Il faut se battre à armes égales. Est-ce qu'on veut faire la même chose?
Voilà toutes les questions que je voulais vous poser.
M. Gero: En ce qui concerne les droits compensateurs, il ne fait effectivement aucun doute qu'on ne peut pas du tout les mettre en parallèle avec les droits antidumping. Les premiers servent à régler les problèmes de fixation de prix par les entreprises tandis que les autres visent les subventions accordées par l'État. Par conséquent, ce sont deux questions complètement différentes et elles nécessitent des tactiques différentes.
Je crois que le cycle de l'Uruguay a effectivement donné de meilleurs résultats au niveau des subventions et des droits compensateurs qu'au niveau des droits antidumping. Pour la première fois, on a précisé ce que l'on considère comme des subventions et ce qui est admissible.
Puisqu'on parle d'information anecdotique au sujet des États-Unis, nous avons trouvé très intéressant de constater qu'ayant exercé énormément de pressions pour faire adopter des mesures qui réduisent au maximum les subventions pendant le cycle de l'Uruguay, les États-Unis ont en fin de compte dû demander qu'on élargisse l'éventail des mesures admissibles, puisqu'ils se sont rendus compte que certains de leurs programmes ne respectaient pas les critères et qu'il leur fallait par conséquent une clause de sauvegarde plus substantielle. Donc, vous avez tout à fait raison à mon avis.
Je pense qu'il serait également juste de dire que si l'on veut obtenir des disciplines plus strictes du côté des droits compensateurs, il va falloir envisager la même chose du côté des subventions. Vous avez tout à fait raison de dire que, dans le contexte de l'ALÉNA, cette question concerne plusieurs paliers de gouvernement, car nous savons tous très bien que, notamment aux États-Unis, la majorité des subventions sont administrées par les municipalités et les États plutôt que par les autorités fédérales. Mais je pense qu'on peut probablement trouver un moyen créatif de régler ce problème-là, et cela fait d'ailleurs actuellement l'objet de discussions.
Pour ce qui est des droits antidumping, vous avez parfaitement raison qu'il s'agissait au départ d'un mécanisme visant à supprimer la pratique de prix abusifs, mais au cours des 50 dernières années, ce mécanisme a évidemment beaucoup évolué, et en ce qui concerne les méthodes employées par nos deux administrations pour combattre le dumping, il va sans dire qu'elles ne correspondent guère au type de mesures que pourrait envisager un organisme chargé de la concurrence. Nous estimons qu'il est plus approprié dans le contexte nord-américain de parler de protection de la concurrence.
Est-ce que cela voudrait dire que nous devons nécessairement suivre l'exemple européen, à savoir la création d'une instance unique qui se charge d'examiner et d'appliquer le droit de la concurrence dans toute l'Europe?
Pas forcément. Prenons l'exemple de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, qui ont signé un accord de libre-échange et décidé d'éliminer les droits antidumping entre les deux pays, sans nécessairement créer une instance supranationale chargée des questions de concurrence. Ces deux pays ont décidé de s'entendre et de respecter les principes du droit de la concurrence, mais on n'est même pas obligé d'aller jusque-là.
Si vous établissez des pratiques commerciales adéquates et si vous êtes en mesure de faire accepter par les industries d'un certain secteur, par exemple, ces pratiques commerciales que vous jugez les plus adéquates, il vous sera peut-être possible d'évaluer le comportement des entreprises en fonction de ces principes-là, plutôt que de passer par vos lois antitrust.
Je voudrais tout de même insister sur le fait que nous nous efforçons de faire preuve de créativité et d'invention pour régler les problèmes qui se présentent, et nous reconnaissons que l'ALENA est peut-être un cas unique. C'est-à-dire que, même s'il existe d'autres exemples ailleurs, nous allons peut-être pouvoir façonner la solution qui convient le mieux aux signataires de l'ALENA.
Sur la question des lois parallèles - autrement dit, sommes-nous tenus de faire exactement ce qu'ont fait les États-Unis? - il me semble qu'il faut reconnaître que nous avons deux régimes différents, que notre politique antidumping est différente de celle des États-Unis, et que même si nous devons nous assurer qu'elles sont aussi efficaces l'une que l'autre, cela ne signifie pas nécessairement que tout doit se faire en parallèle. Les variations sont non seulement possibles mais peuvent être tout aussi efficaces.
Donc, quant à savoir s'il faut obligatoirement appliquer exactement les mêmes lois pour combattre le recours des autorités américaines à la loi antidumping, je dirais qu'on peut contester l'efficacité d'une telle stratégie.
À titre d'exemple, nous avons différents moyens de mettre en oeuvre une mesure antidumping. Les États-Unis imposent un droit préliminaire ainsi qu'un droit final, qui sont réexaminés chaque année, et selon ce que vous avez fait, vous obtenez un remboursement ou vous devez payer davantage.
Par contre, notre régime est axé sur le concept de la valeur normale, ce qui veut dire que, pour l'imposition de droits antidumping, on détermine tout d'abord la valeur normale, et si vos expéditions dépassent cette valeur, on vous fait payer des droits; par contre, si vous ne dépassez pas ce niveau-là, vous n'avez pas de droits à payer. Notre régime établit par conséquent ce qui devrait être la valeur normale pour le Canada.
Il ne faut donc pas perdre de vue le fait que, pour ce qui est de notre système judiciaire et de nos procédures, nous avons deux régimes bien distincts, et que ce qui compte vraiment est le fait de savoir si les deux sont aussi efficaces l'un que l'autre. Si une industrie souhaite que des droits antidumping soient imposés par le Canada, car elle se sent lésée par les exportations qui arrivent au pays, il s'agit donc de savoir si l'imposition de ces droits sera aussi efficace ici qu'elle le serait aux États-Unis?
À mon avis, il y a de fortes chances pour que cette mesure soit tout aussi efficace, et par conséquent, on peut affirmer que notre régime est aussi efficace que le régime américain. Mais cela ne veut pas dire qu'ils sont identiques.
Le président: Êtes-vous d'accord pour dire que les Américains sont en train d'à augmenter leur part du marché de l'acier au Canada?
M. Gero: J'avoue que je n'ai pas regardé les statistiques depuis une semaine ou deux, et je ne suis donc pas tellement au courant.
Le président: Très bien.
[Français]
M. Bergeron: Il y a un certain nombre de choses. D'abord, vous me permettrez, dans un premier temps, de vous exprimer ma surprise, bien que je m'en réjouisse, à voir mes collègues du parti ministériel se rendre compte aujourd'hui que les accords de l'Uruguay Round et l'adoption de la loi permettant la mise en oeuvre des accords de l'Uruguay Round aux États-Unis et au Canada ont permis aux États-Unis de resserrer les mesures antidumping, alors que c'est ce que nous avions défendu lors du débat sur le projet de loi C-57. Nous avions proposé un amendement visant à faire en sorte que nous puissions également resserrer nos propres mesures ici, au Canada, et cet amendement avait été défait par le parti ministériel. Donc, je suis surpris, mais je me réjouis du fait qu'on voie finalement aujourd'hui la valeur du travail que nous avions fait à ce moment-là.
Cela dit, je me réjouis également du fait que M. Gero nous dise que nous aurons une entente d'ici la fin de décembre. Je dois vous dire qu'avant d'arriver ici, j'étais plutôt pessimiste, mais vous nous avez dit qu'il y aura une entente. Je m'en réjouis.
Cependant, je ne sais toujours pas pourquoi je devrais croire qu'il y aura entente. En arrivant ici, je ne savais pas pourquoi il y aurait entente, et vous me dites qu'il y aura entente. Je ne sais toujours pas pourquoi il y aura entente, parce que vous avez toujours été vague quant aux ouvertures manifestées par les États-Unis jusqu'à présent dans les négociations au niveau des deux groupes de travail.
Entre le fait de définir les paramètres de la négociation et celui de nous livrer le contenu exact de l'entente globale qui sera conclue entre les trois pays, il y a une marge. Je ne vous demande pas de nous révéler les détails de l'entente globale qui sera conclue entre les trois pays. Ce n'était pas là l'objet de ma question. Ma question est celle-ci. Qu'est-ce qui vous fait croire à ce stade-ci qu'il y aura effectivement une entente? Quelles sont les ouvertures manifestées par les États-Unis?
Cela m'amène à ma deuxième question. Vous nous avez dit: «Je ne peux pas vous le dire parce que les États-Unis ne se sont pas engagés, dans tel ou tel secteur, à lever complètement leurs droits, etc.» Vous avez parlé d'une approche sectoriellle qui pourrait être une solution au problème. C'est peut-être une solution acceptable et souhaitable, mais vous me permettrez d'émettre un certain nombre de réserves à l'égard de cette approche.
Quant à l'approche sectorielle, on sait que les États-Unis ont souvent tenté d'effectuer du marchandage dans différents secteurs. On l'a vu récemment, alors qu'ils ont essayé de négocier ou de marchander l'accès au marché américain pour les produits de sucre raffiné canadiens en échange d'un accès américain au marché des produits agricoles contingentés canadiens. Si on adopte une approche sectorielle, n'y aura-t-il pas danger que les Américains tentent un certain nombre de démarches de marchandage entre différents secteurs de notre économie et de la leur?
J'aurais aimé revenir sur la question qui a été, à juste titre, posée par M. le président, à savoir s'il n'y aurait pas lieu - c'est une position qu'on défend depuis longtemps et je suis content de voir la récente conversion de nos amis du parti ministériel - d'envisager, advenant un échec des négociations, - ce que vous ne semblez pas considérer, mais je le considère parce que je n'ai toujours pas de raison de croire qu'il y aura une entente - l'adoption d'une mesure législative semblable entre les États-Unis et le Canada? Vous semblez dire qu'il est aussi facile pour les entreprises canadiennes que pour les entreprises américaines d'entreprendre des démarches ou une poursuite dans un cas de dumping. C'est un fait.
Mais le problème est qu'à partir du moment où une démarche contre les mesures de dumping est entreprise par les États-Unis contre les entreprises canadiennes, il s'installe, à ce moment-là, une série de barrières non tarifaires qui empêchent, ralentissent ou obstruent l'entrée des produits canadiens sur le marché américain. De telles barrières non tarifaires n'existent pas au Canada, ce qui fait que même lorsqu'il y a poursuite et enquête sur des mesures de dumping, les produits américains entrent aussi facilement sur le marché canadien. Il n'y a pas de différence. C'est là qu'est le noeud du problème.
On nous donnait des exemples. L'industrie de l'acier a fait un excellent travail en nous disant que lorsqu'il y a une ordonnance antidumping, les entreprises canadiennes doivent faire un dépôt de plusieurs millions de dollars sans savoir si, un jour, elles pourront être remboursées et sans savoir quand, si elles le sont, elles pourront finalement obtenir ces montants. Elles doivent se soumettre à un lourd processus de révision et de vérification pour récupérer les droits antidumping. Elles doivent faire face à une lourde paperasse, à des mesures administratives imposantes, à des soumissions de 331 pages en 10 copies, alors que les Canadiens demandent des soumissions de 78 pages en deux copies. Donc, il y a une très grande différence quant aux mesures administratives qui sont mises en place à partir du moment où il y a une ordonnance antidumping. C'est là qu'est le noeud du problème.
Je vous le demande encore une fois: N'y aurait-il pas lieu, advenant un échec des négociations, que le Canada adopte une loi semblable?
[Traduction]
M. Gero: Permettez-moi tout d'abord de répondre à votre question concernant l'approche sectorielle, et je passerai ensuite le micro à mon collègue du ministère des Finances, qui après tout est responsable de notre loi antidumping, et qui sera mieux placé pour répondre à vos questions au sujet des différences entre la loi canadienne et la loi américaine.
Pour ce qui est de l'approche sectorielle, il ne s'agit pas à mon avis d'y voir une solution miracle, mais plutôt le moyen de progresser vers notre objectif. Si l'on veut à tout prix réduire le risque de faire l'objet de sanctions commerciales, mais que l'on constate qu'il est assez difficile d'y arriver de façon générale, il me semble qu'il serait avantageux pour les entreprises canadiennes d'essayer de progresser plus rapidement dans un secteur particulier si les conditions semblent y être plus favorables.
Il faut voir tout cela dans le contexte d'une entente sectorielle, c'est-à-dire à une entente qui permettrait à un secteur où le niveau d'intégration est plus élevé de progresser plus rapidement que d'autres. Donc, à mon sens, il n'y a guère de danger qu'on accepte des compromis. Il s'agit simplement de savoir quels secteurs peuvent plus facilement se prêter à cette approche de manière à progresser plus rapidement en ce qui concerne les sanctions commerciales que cela ne serait possible de façon générale.
Je pense que c'est surtout cela l'avantage de l'approche sectorielle. Il se peut que la sidérurgie, avec sa longue expérience du commerce, surtout si elle commence à en avoir assez des procédures judiciaires, soit disposée à envisager une autre solution que les sanctions commerciales, et il sera peut-être possible d'envisager une solution sectorielle pour la sidérurgie alors qu'il n'est peut-être pas possible de prévoir un changement global touchant certaines dispositions américaines en matière de recours commerciaux.
Cependant, je ne pense pas que tout soit dit. À mon avis, c'est une solution temporaire qui va soulager un certain secteur de l'économie canadienne pendant qu'on s'efforce de trouver une solution plus globale.
[Français]
M. Bergeron: À ce stade-ci, a-t-on lieu de croire qu'un secteur ou certains secteurs particuliers se dirigent vers des accords plus rapides ou des négociations plus rapides par rapport à d'autres secteurs?
[Traduction]
M. Gero: Non, mais je crois que nous explorons toutes les possibilités dans un certain nombre de secteurs. Je ne peux pas vous dire que les trois pays sont d'accord pour conclure une entente sur l'acier dans le cadre de l'ALENA, par exemple. Je ne pense pas que nous en soyons là encore dans nos négociations.
[Français]
M. Bergeron: Non, mais y a-t-il des secteurs où les négociations semblent être mieux engagées et plus faciles que dans d'autres secteurs?
[Traduction]
M. Gero: Pour l'instant, nous essayons de déterminer dans quels secteurs cela pourrait se produire.
Peut-être devrais-je demander à Rudy de répondre à votre question au sujet des lois parallèles, et nous continuerons ensuite.
Le président: Nous avons encore M. Mills, M. Penson et Mme Brown qui voudraient vous poser des questions, nous allons donc devoir accorder les 15 dernières minutes aux autres intervenants.
M. Rudy Verspoor (chef, Recours commerciaux et relations économiques générale, ministère des Finances): Permettez-moi d'aborder brièvement la question des lois parallèles, car elle a déjà été soulevée à plusieurs reprises.
Je suis tout à fait d'accord pour dire que, du moins à prime abord, la solution la plus simple serait, semble-t-il, de se dire que, s'il y a des différences entre le Canada et les États-Unis en ce qui concerne les recours commerciaux, pourquoi ne pas faire exactement ce qu'ont fait les États-Unis? Je suppose que c'est la question que vous allez devoir vous poser.
Le Gouvernement du Canada, lorsqu'il décide de déposer un projet de loi instituant des recours commerciaux, a diverses raisons de vouloir prendre une telle mesure, et il faut tenir compte du fait que ce type de loi a des conséquences économiques. Au moment où la loi actuellement en vigueur a été déposée en 1984, le Parlement du Canada a décidé qu'il était dans l'intérêt du Canada de prévoir un équilibre raisonnable entre les intérêts des producteurs et ceux des utilisateurs, afin que l'imposition de droits antidumping et de droits compensateurs ne représente pas une charge trop lourde pour l'économie canadienne, qu'elle n'influe pas de façon négative sur notre compétitivité sur les marchés mondiaux, et que nous soyons assurés d'une protection raisonnable contre des pratiques commerciales jugées inadmissibles, qu'il s'agisse de dumping ou de l'imposition de droits compensateurs, tout en évitant de faire quelque chose qui pourrait se retourner contre nous.
Nous pourrions évidemment adopter une loi parallèle, mais le problème est que les conséquences économiques pourraient être très importantes. Pour vraiment étudier la question, il convient de le faire dans le contexte plus global de la loi dans son ensemble et se demander alors si une telle loi est vraiment dans l'intérêt du Canada.
Il est vrai qu'il existe des problèmes liés à la lourdeur des mesures administratives et au nombre de questionnaires qu'il faut remplir... J'ai moi-même vu les statistiques de l'industrie sidérurgique concernant la longueur de ces documents, le nombre d'heures de préparation, les frais juridiques, etc.; tout cela est vrai. Je suppose que nous pourrions demander à nos avocats d'augmenter leurs honoraires. Je suppose que nous pourrions également faire remplir de plus longs questionnaires. Mais la question est de savoir si cela va vraiment résoudre notre problème, à savoir un accès plus grand au marché américain, c'est-à-dire un meilleur accès et un accès plus sûr. Voilà ce que nous essayons de réaliser dans le contexte des négociations des groupes de travail.
À mon avis, l'adoption d'une loi parallèle ne règlerait aucunement le problème. L'accès à notre marché est moins important pour les Américains que l'accès au leur pour nous. Pour bon nombre de leurs produits, le marché canadien est le plus souvent un débouché secondaire. Donc, même s'ils n'ont plus du tout accès à notre marché, ils ne vont pas en souffrir autant que nous, si nous n'avons plus du tout accès à leur marché.
Je voudrais également répondre à la question du président concernant l'augmentation des importations d'acier. Nous vivons à présent dans un monde où nous avons absolument besoin d'échanges commerciaux; ainsi une augmentation de nos échanges n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Si l'industrie sidérurgique ou toute autre industrie canadienne estime cependant que ces importations lui font du tort et constituent du dumping, elles peuvent à ce moment-là recourir à notre régime de recours commerciaux. Une augmentation des importations n'est toutefois pas mauvaise en soi.
Comme vous l'a expliqué M. Gero, et il a tout à fait raison, notre régime de recours commerciaux tolère un degré de dumping qui dépasse souvent le niveau permis aux États-Unis. Dans le cas de l'industrie sidérurgique, par exemple, les entreprises canadiennes ont eu beaucoup plus de succès contre les importations des firmes américaines que celles-ci n'en ont eu contre nos exportations d'acier sur le marché américain. Malheureusement, tout cela n'a guère changé l'attitude des responsables de l'industrie sidérurgique américaine.
Le président: Le problème, monsieur Verspoor, c'est peut-être que, tout en étant libre-échangistes sur le plan intellectuel, nous continuons d'être mercantilistes sur le plan affectif.
M. Verspoor: C'est probablement vrai jusqu'à un certain point.
[Français]
Le président: Avant de passer la parole à M. Mills, j'aimerais faire allusion à l'observation de M. Bergeron. Il nous dit que le parti ministériel s'est converti sur la route de Damas en ce qui a trait à la question de la Loi C-57. C'est précisément le problème dont on vient de parler.
Tout le monde reconnaît que les Américains ont profité de l'Uruguay Round pour resserrer leurs lois. La question est de savoir quelle pourrait être la meilleure réponse des Canadiens.
Nous n'étions pas persuadés à l'époque et, surtout après la réponse qui vient de m'être donnée, je suis loin d'être persuadé que la meilleure façon de répondre à cela serait d'adopter une loi miroir, surtout lorsqu'on pense que cela va s'appliquer à toute l'économie canadienne et pas simplement au secteur de l'acier.
C'était un peu cela, le débat qu'on a eu. Ce n'est pas encore clos, mais il faut examiner cette question.
M. Bergeron: On peut dire pour le compte rendu que vous n'étiez pas président à ce moment-là.
Le président: Oui.
M. Bergeron: Et que vous pouviez prendre une position plus partisane à ce moment-là.
Le président: Oui, beaucoup plus partisane.
[Traduction]
Monsieur Mills.
M. Mills (Red Deer): Ma question fait suite aux observations des autres intervenants, mais je suppose que j'aimerais simplement entendre votre réaction.
D'abord, l'approche sectorielle dont vous parliez tout à l'heure serait un exemple à suivre. Prenez le pacte de l'automobile et élargissez-le à plusieurs secteurs différents. Il me semble qu'une telle approche nous permettrait de progresser secteur par secteur. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que cette formule a bien fonctionné jusqu'à présent. Pourquoi ne pourrions-nous pas alors l'utiliser comme modèle de base?
À la même époque, l'an dernier, nous disions tous ici-même qu'il fallait plus de restrictions. Nous pensions alors que, au début des négociations, nous pourrions en enlever une de notre côté, nos interlocuteurs pourraient, eux aussi, en enlever une, de façon à en arriver, à la fin des négociations, à une entente qui soit acceptable pour les deux parties et ne suscite pas constamment des différends.
J'avoue que je ne comprends toujours pas ce qui se passe. À l'époque, j'étais prêt à accepter l'idée que notre régime est différent et que, avec les mécanismes de règlement des différends en place, nous n'avons pas besoin de procéder ainsi. Mais 12 mois se sont écoulés dans l'intérim, et je pense que beaucoup se posent des questions à ce sujet. Après un an, nous n'avons toujours pas réussi à régler ces problèmes à la satisfaction de bon nombre de nos industries.
Rétrospectivement, je suppose que nous aurions peut-être dû créer ces barrières afin de pouvoir ensuite les éliminer. Je me demande ce que vous pensez d'une telle stratégie de négociation.
M. Gero: À mon avis, il ne faut pas voir les recours commerciaux sous le même angle que les négociations sur les tarifs.
Dans les négociations sur les recours commerciaux, nous essayons essentiellement de changer les attitudes, au lieu de simplement dire aux Américains: «Nous allons réduire tel tarif de 5 p. 100 si vous réduisez tel autre de 2 p. 100, étant donné que, vu le volume des échanges, cela donne des résultats à peu près identiques.
Dans les négociations sur les recours commerciaux, il ne s'agit pas vraiment de faire modifier un article de notre loi antidumping en contrepartie d'un changement dans leur loi antidumping. C'est beaucoup plus fondamental. Nous essayons de faire accepter par les États-Unis l'idée que dans le contexte de l'ALÉNA - c'est-à-dire un accord de libre-échange régional - le concept d'une loi prévoyant des sanctions commerciales ne tient plus debout. Autrement dit, nous devons repenser entièrement nos régimes. Comment définir une pratique commerciale appropriée en matière de fixation de prix dans le contexte du dumping, par exemple? Et si vous arrivez à la définir, comment appliquer cette définition dans un contexte régional nord-américain?
Nous sommes d'avis que si l'on se penche sérieusement sur cette question, on se rend compte que la meilleure solution ne consiste pas à imposer des droits antidumping à la frontière. D'autres mécanismes peuvent être employés.
Si on parle d'approche sectorielle, c'est parce qu'on s'efforce une fois de plus de trouver une solution nouvelle à ce problème. Il est peut-être possible de changer les perceptions plus rapidement dans un secteur que dans un autre. Si tel est le cas, il ne convient peut-être pas de tout laisser en suspens tant que les autres secteurs ne l'ont pas compris, car on peut peut-être continuer à progresser plus rapidement dans un secteur que dans l'autre.
Il ne s'agit pas là d'une solution définitive, loin de là, mais c'est un moyen à employer pour changer les mentalités. Si l'on peut arriver à changer les mentalités dans un contexte bien précis, on y arrivera peut-être dans d'autres contextes également.
M. Verspoor: Si vous me permettez, je voudrais ajouter quelque chose, car plusieurs personnes ont soulevé la question de notre capacité d'influencer l'issue des négociations.
Même quand nous entamons des négociations sur les tarifs, comme nous l'avons fait pour les négociations commerciales multilatérales, nous n'allons pas augmenter nos tarifs simplement pour qu'ils soient égaux à ceux de nos plus importants partenaires commerciaux. On négocie en fonction des tarifs qu'on a déjà établis, parce que s'ils ont été fixés à un certain niveau, c'est parce que c'est celui qui convenait pour l'ensemble de l'économie. Quand on entame des négociations c'est pour faire baisser les obstacles au commerce de façon générale.
Ça n'est pas vraiment le cas pour les recours commerciaux, parce qu'il s'agit d'une forme spéciale de protection, et non d'un tarif qu'on peut plus facilement augmenter et diminuer. Il n'est pas aussi facile de modifier la loi, car cela demande beaucoup plus de temps et ne cadre pas nécessairement avec le processus de négociation.
Pour moi, il ne serait pas vraiment logique de resserrer les lois relatives aux recours commerciaux afin de les assouplir dans le cadre des négociations. Nous n'agissons pas de cette manière dans d'autres domaines, et je ne vois vraiment pas pourquoi nous le ferions pour les recours commerciaux.
Mme Brown (Oakville - Milton): Après avoir écouté la discussion, j'avoue que j'étais beaucoup plus optimiste avant d'assister à cette réunion que je ne le suis maintenant. J'ai un peu l'impression de regarder un film qui pourrait s'intituler «Le Scout et la brute». Je constate qu'au lieu d'essayer d'être plus malins que la brute, nous nous efforçons de changer sa mentalité et ses valeurs. Je ne comprends pas très bien comment nous pouvons nous attendre à quelque résultat positif que se soit d'ici décembre.
M. Bergeron a parlé de la possibilité d'échec. Ayant écouté vos remarques, je me demande en fonction de quels critères vous pourriez déterminer que ces négociations ont échoué. Il me semble que le ministère du Commerce ne connaît jamais d'échec; les négociations se poursuivent indéfiniment et on finit par nous dire qu'elles ont donné de bons résultats, même si un producteur d'acier, par exemple, ne serait peut-être pas du même avis.
Est-ce que, avant d'entamer des négociations, nous essayons de déterminer quelles conditions doivent être remplies pour décider pendant combien de temps nous allons nous efforcer de changer la mentalité de nos interlocuteurs avant de nous retirer tout simplement? Est-il même possible de se retirer de ce genre de négociations? Est-il possible de déclarer qu'elles ont échoué, ou faut-il tout simplement continuer jusqu'à ce que mort s'ensuive?
Le président: Je vous prie d'excuser Mme Brown. Elle n'est pas vraiment membre du comité et elle ne comprend pas très bien comment fonctionne notre monde.
Des voix: Oh, oh!
Mme Brown: Les gens nous posent des questions et nous sommes censés leur répondre.
M. Gero: Je pense que la meilleure façon de répondre à votre question est de voir quel est notre objectif: nous voulons apaiser les craintes des différents secteurs industriels du Canada en leur garantissant un accès plus sûr au marché américain. Voilà notre but. Si nous l'atteignons, on pourra dire que les négociations sont terminées.
Je ne pense pas qu'on aurait envie de dire: «Non, il n'y a plus rien qu'on puisse faire. Nous présentons nos excuses à l'industrie canadienne, mais nous avons échoué, et par conséquent vous allez devoir vous débrouiller tout seuls, car le gouvernement ne peut plus rien faire pour vous.» À mon avis, le gouvernement ne peut pas se permettre de prendre une telle position.
Par contre, il est tout à fait normal de nous demander comment nous déterminons la réussite ou l'échec d'une négociation. Pour cela, il faut savoir si les Canadiens qui sont directement concernés estiment que leur situation s'est améliorée ou non. C'est ainsi qu'on peut savoir si les négociations se soldent par une réussite ou un échec. Si les intéressés pensent que c'est une réussite, ils diront que leur situation s'est améliorée. S'ils sont de l'avis contraire, ils nous diront qu'il n'y a pas eu d'amélioration.
Est-il probable que la situation s'améliore à un point tel que l'industrie nous dise: «Nous avons obtenu tout ce que nous voulions, merci beaucoup. Vous ne pouvez rien faire de mieux pour nous. Nous avons atteint le nirvana»? J'ai l'impression que non.
Mme Brown: Je ne pense pas que quiconque s'attende à ce qu'on atteigne le nirvana, mais la situation actuelle est tout de même déconcertante. J'ai l'impression que les représentants du ministère du Commerce n'arrêtent pas de nous dire: «Notre régime est différent mais tout aussi efficace».
Il est peut-être tout aussi efficace lorsqu'un différend commercial finit par être résolu et que nous constatons que nous avons aussi souvent gain de cause que l'inverse. Mais à mon avis, ce n'est qu'une infime partie de la réalité. Entre temps, c'est-à-dire pendant que les négociations sur les mécanismes de règlement des différends ou que les actions intentées par les différentes parties se poursuivent, les Américains réussissent à pénétrer de plus en plus notre marché.
Il y en a qui estiment qu'on se débrouille assez bien parce qu'on a gain de cause de temps à autre ou parce qu'on gagne plus souvent qu'on ne perd. Mais ces mesures ne nous avantagent aucunement si les États-Unis exportent de plus en plus de produits vers nos marchés. Notre principal objectif était d'améliorer notre accès à leur marché, et le fait est qu'ils nous imposent toutes sortes de complications administratives et juridiques.
Nous remportons peut-être une petite victoire juridique, mais nous perdons la guerre, car notre objectif consiste à pénétrer leur marché pour vendre nos produits.
M. Gero: J'ai deux observations à faire. D'abord, tout au moins selon des statistiques récentes, notre balance commerciale avec les États-Unis continue d'être excédentaire et non pas déficitaire, ce qui signifie que nous vendons davantage aux États-Unis.
Mme Brown: Mais quelles sont les tendances?
M. Gero: Ces tendances sont probablement cycliques jusqu'à un certain point et sont donc susceptibles de fluctuer en permanence, mais à ma connaissance, nous avons pour l'instant des excédents assez importants. Comme je n'ai pas les chiffres sous les yeux, je ne peux pas vous dire s'ils sont plus importants qu'ils ne l'ont jamais été ou je ne sais quoi d'autre, mais je peux vous affirmer qu'ils sont élevés. Les échanges entre nos deux pays ont considérablement augmenté grâce aux accords commerciaux. Voilà pour le premier point.
Deuxièmement, je pense qu'il faut voir tout cela dans le bon contexte. Tout dernièrement, les exportations pouvant faire l'objet de recours commerciaux représentaient entre 3 et 5 p. 100 de l'ensemble de nos exportations; il faut donc tenir compte du contexte économique global.
En vous citant ce chiffre, je ne cherche aucunement à sous-estimer les conséquences très importantes de ces sanctions commerciales pour les industries qui en font l'objet, car c'est un aspect très important. Chaque fois qu'une sanction commerciale est imposée par les États-Unis dans un secteur donné, ses effets sur les industries touchées sont considérables. Il n'en reste pas moins qu'il faut voir les choses dans leur contexte.
Ce que nous essayons de faire essentiellement est de nous assurer que les industries qui sont touchées par ce type de sanctions ne rencontrent plus ce problème. Si vous me demandez d'indiquer si nous allons atteindre cet objectif et dans quel délai, je ne peux évidemment pas vous répondre.
Le président: Nous vous remercions de votre franchise et de vos témoignages fort utiles. D'un point de vue purement politique, si l'on pense à l'Entente canadienne sur le commerce intérieur et au temps qu'il a fallu pour la négocier, il est clair que ces questions ne se règlent que peu à peu.
Nous vous souhaitons beaucoup de succès dans vos négociations. Nous espérons aussi que le pessimisme que vous avez peut-être constaté autour de cette table s'avérera injustifié d'ici la fin de l'année, et que vous ferez une percée qui sera à notre avantage.
Permettez-moi donc de vous remercier d'être venus nous rencontrer et d'avoir partagé vos vues avec nous.
Le ministre nous a informés que M. Weekes n'a pas pu être des nôtres aujourd'hui. Le ministre nous a dit qu'il sera là à l'automne et que nous pourrons rediscuter de ces questions avec lui à ce moment-là. La situation sera peut-être alors un peu plus claire.
La séance est levée jusqu'à 15h30 demain après-midi, quand nous aurons une très brève réunion.