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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 12 décembre 1995

.0900

[Traduction]

Le président: Chers collègues, je voudrais ouvrir la séance.

Au nom du comité, je souhaite la bienvenue à nos témoins ce matin. Je suis convaincu que nous aurons environ une heure de discussion intéressante.

.0905

Je dois vous rappeler qu'il va y avoir un vote à la Chambre. Je pense que la sonnerie va commencer à 10h15, nous devrions donc nous efforcer de terminer au plus tard à 10h15.

Depuis près de 60 ans, la Société Radio-Canada présente l'actualité. Depuis quelques semaines et quelques mois, elle fait elle-même les manchettes. Cela tient au fait que notre cher diffuseur public fait face à des difficultés budgétaires qui auront sans aucun doute des répercussions sur la programmation. L'ampleur de ces répercussions fait toutefois l'objet de vivres controverses et je suis sûr qu'une bonne partie de nos discussions de ce matin portera précisément là-dessus.

Il est tout au moins hors de doute que la Société Radio-Canada se trouve à une croisée des chemins. Les Canadiennes et les Canadiens qui sont en faveur de la radiodiffusion publique - et ils sont nombreux - sont bien entendu inquiets au sujet de l'avenir de Radio-Canada. En tant que comité du Parlement du Canada, nous sommes tenus d'être à l'écoute de ces préoccupations. Voilà pourquoi nous avons invité nos témoins d'aujourd'hui.

Nous avons devant nous Ian Morrison, président des Amis de la radiodiffusion canadienne et Knowlton Nash, journaliste et auteur canadien très connu. Ils seront les premiers à intervenir ce matin. M. Morrison m'a indiqué qu'ils allaient parler pendant une quinzaine de minutes. Nous entendrons ensuite un autre exposé et nous passerons alors aux questions.

Monsieur Morrison, je vous en prie.

M. Ian Morrison (Amis de la radiodiffusion canadienne): Monsieur le président, merci beaucoup.

[Français]

Les Amis de la radiodiffusion canadienne représentent 40 000 familles canadiennes à travers le pays. Notre objectif est de défendre et d'améliorer la qualité et la quantité de la programmation canadienne. Nous ne représentons pas le point de vue des téléspectateurs francophones, choisissant plutôt d'unir notre voix à celle des groupes qui parlent en leur nom.

Lorsque j'ai entendu parler de vos audiences d'aujourd'hui, j'ai recommandé à votre greffier de prendre contact avec Mme Lina Trudel, une experte reconnue de la situation de la radiodiffusion francophone. Je regrette que Mme Trudel n'ait pu se rendre disponible aujourd'hui.

Les Amis de la radiodiffusion canadienne vous remercient de leur donner l'occasion de commenter sur les conséquences des coupures budgétaires à la Société Radio-Canada.

Je m'appelle Ian Morrison et je suis le porte-parole des Amis. Nous avons invité un grand journaliste, animateur de télévision et écrivain canadien renommé, M. Knowlton Nash, à se joindre à moi pour cette présentation. Je parlerai d'abord et je lui donnerai ensuite la parole.

[Traduction]

Monsieur le président, membres du comité, le 22 novembre, le président de Radio-Canada a annoncé une importante coupure du budget de Radio-Canada se montant à 227 millions de dollars. À notre avis, c'est la plus grosse réduction jamais pratiquée dans les budgets de programmes de la Société Radio-Canada. Nous pensons que ces coupures, qui font suite à plusieurs réductions progressives plus limitées intervenues au fil des années précédentes, va mettre tellement d'eau dans le vin de la Société que sa programmation va devenir visiblement et audiblement plus faible que jamais auparavant.

Cela se produit à une période où tout le monde se rend compte que notre pays est fragile. C'est aussi le moment où vos collègues, et en particulier le ministre des Finances, préparent un budget pour la prochaine année financière dont l'un des objectifs bien connus est de diminuer encore le budget de Radio-Canada de 350 millions de dollars et non pas seulement de 227 millions.

Nous vous sommes reconnaissants d'avoir accepté d'examiner les répercussions éventuelles de ces coupures sur le Canada et sur les auditeurs et téléspectateurs canadiens. Nous sommes heureux d'avoir cette occasion de vous faire part de nos idées.

.0910

En préparant notre analyse des effets probables de cette situation sur les auditeurs et les téléspectateurs, nous avons trouvé certaines anecdotes dont nous aimerions vous faire part. Elles ne concernent pour l'instant que les services de langue anglaise de SRC. Je m'excuse de ne pas avoir d'autres données, mais c'est ce qui est disponible.

D'abord, en ce qui concerne la télévision, nous pensons qu'il y aura moins d'épisodes d'émissions populaires comme Rita and Friends, The Royal Canadian Air Farce, North of 60 et The Nature of Things. Les téléspectateurs et téléspectatrices savent qu'aucune de ces émissions n'est maintenant diffusée pendant la totalité de la saison. Encore moins d'épisodes seront présentés en 1996.

L'automne prochain, le public constatera que chaque segment de 30 minutes de Marketplace contiendra deux parties et non pas trois. Il y aura moins d'émissions spéciales. La Société Radio-Canada devra supprimer certaines des plus importantes - les récompenses accordées aux Autochtones, les prix de musique du gouverneur général, les prix de musique de la côte Est et le concert de la Fête du Canada - , étant forcée de choisir entre leur suppression et l'abaissement de ses valeurs de production.

Il y aura moins de films. On verra moins souvent à l'avenir sur nos écrans les réalisations spéciales canadiennes qui donnent un sens réel au renforcement de l'identité canadienne à la télévision, comme les excellentes émissions récentes Million Dollar Babies ou Butterbox Babies.

Le sport amateur sera sacrifié. Des événements comme les Jeux du Canada deviendront trop coûteux. L'équipe de Man Alive a déjà été congédiée. Sunday Arts n'aura plus de plateau. Cette émission est déjà pratiquement supprimée. La prochaine saison commencera par des séquences non encore diffusées, puis il y aura des reprises présentées dans un nouveau montage.

À l'avenir, on ne réalisera plus dans les régions que des émissions de nouvelles et d'information, ce qui sonnera le glas d'émissions régionales comme All of a Saturday Night deSt. John's; Up on the Roof de Halifax, Open Wide de Winnipeg et Alive de Vancouver.

Une séquence publicitaire est maintenant diffusée au milieu de Sunday Report, et c'est simplement un signe précurseur de ce qui arrivera dans les principales émissions d'information.

Malgré ses cotes records cet automne, The National congédie des journalistes expérimentés. Des événements importants ne sont pas couverts simplement par manque de personnel expérimenté. D'autres événements sont totalement passés sous silence ou traités de façon superficielle. Devant traiter tout un éventail de thèmes différents, les journalistes ne pourront pas acquérir les connaissances spécialisées nécessaires pour s'acquitter de leur tâche.

Voilà, monsieur le président, ce que sera, à notre avis, la télévision anglaise de Radio-Canada au cours de la prochaine saison à cause de ces coupures.

Je voudrais parler pendant quelques instants de la radio. Le public des émissions radiophoniques de Radio-Canada est moins important que celui de la télévision, mais, comme vous le savez peut-être tous, les gens qui écoutent ses émissions les suivent de très près. Les coupures touchant les stations émettant en mono ou stéréo toucheront plus les émissions diffusées sur le réseau que les émissions locales.

Les auditeurs ont déjà constaté les conséquences concrètes de certaines de ces coupures. La programmation du dimanche matin avec son documentaire d'une heure intitulé Centrepoint a pris fin en septembre dernier et a été remplacée par des documentaires plus courts et moins nombreux ainsi que des interventions beaucoup plus fréquentes de l'animateur, Ian Brown. Les entrevues jadis présentées dans Brave New Waves ont été supprimées pour économiser de l'argent.

Aussi bien à la radio qu'à la télévision, beaucoup moins de dramatiques d'une heure seront réalisées et diffusées. Pour combler ce trou, Radio-Canada en achète beaucoup à l'Australie et à la BBC. Il revient moins cher de les acheter que de les réaliser et la conséquence en est une forte diminution du nombre de dramatiques canadiennes diffusées sur les ondes.

Les émissions de suspense diffusées le samedi soir et qui étaient généralement des productions canadiennes, sont maintenant importées des États-Unis; cet automne, il s'agit de The Shadow, Boston Blackie et The Saint.

Autrefois, on achetait de temps à autre les meilleures réalisations étrangères, mais les décisions sont maintenant prises en fonction de critères financiers. Cela aura des conséquences énormes pour les scénaristes canadiens. Au cours de la prochaine saison, l'émission de Vickie Gabereau va beaucoup changer. Son budget est réduit de 50 p. 100. Pour faire face à une coupure aussi énorme, il y aura beaucoup de séquences parlées et de musique. Vickie Gabereau ne fera peut-être plus qu'une entrevue par jour l'année prochaine au lieu de deux ou trois cette année. Pour les remplacer, il y aura encore plus de musique enregistrée.

.0915

À l'avenir, il y aura moins d'épisodes de la série Ideas. Les auditeurs occasionnels ne s'en rendront peut-être pas compte, mais les auditeurs réguliers remarqueront qu'il y a plus de reprises et moins d'émissions originales. Cela apparaîtra plus clairement au public au fil du temps à mesure que le nombre d'émissions originales continuera de diminuer et que le nombre de reprises augmentera de façon exponentielle. Le principe même d'Ideas va également changer: au lieu de diffuser le travail d'un pigiste ayant quelque chose à dire, on aura une émission réalisée et commentée par la même personne, le réalisateur de Radio-Canada.

À l'avenir, l'émission dans son ensemble sera de plus en plus filtrée par le réalisateur, le public étant alors privé de la contribution d'un pigiste s'intéressant à des domaines particuliers et spécialiste de certaines questions. On fait donc des économies en abaissant les valeurs de production et en modifiant la nature profonde d'Ideas. Même si sa réalisation coûte relativement peu, cette émission contribue de façon importante à une compréhension en profondeur des questions touchant le Canada anglophone.

Dans les émissions diffusées le matin dans l'ensemble du pays, il y aura moins d'enregistrements de grande qualité effectués hors du studio et présentés ensuite à l'animateur sur les ondes. On élimine progressivement les auteurs-diffuseurs pour économiser de l'argent. Le résultat en est une diversité moins grande et des interventions plus longues des animateurs pendant trois heures chaque matin.

À notre avis, Tapestry et Writers and Company risquent de disparaître complètement de la radio. Au début, le public ne se rendra pas compte de l'ampleur des reprises, la plupart d'entre elles étant présentées à l'intérieur d'émissions originales au lieu de constituer la totalité de l'émission. C'est ainsi que Morningside puisera plus fréquemment dans ses archives. Les auditeurs occasionnels ne remarqueront peut-être pas qu'ils entendent une intervention enregistrée de Gzowski et non pas une diffusion en direct. Les auditeurs réguliers se rendront compte qu'il y a plus de séquences déjà mises en boîte jusqu'à ce que, progressivement, ils remarquent qu'ils n'entendent souvent rien d'autre que des morceaux choisis d'émissions antérieures.

Les stations mono et stéréo de Radio-Canada se distingueront beaucoup moins des stations privées. Certaines des mesures adoptées s'appuient sur des méthodes lancées en fait par le secteur privé. Le résultat cumulatif de toutes ces coupures sera de réduire la différence entre ce qu'offre la radio de Radio-Canada et ce que les auditeurs des grandes villes peuvent maintenant entendre sur les stations privées comme CJAD à Montréal, CFRB à Toronto ou CKNW à Vancouver.

La direction de Radio-Canada semble avoir choisi pour stratégie de faire des changements goutte à goutte dans l'espoir que le public ne s'en rendra pas compte. L'effet cumulatif de cela sera de priver toutes les émissions radiophoniques de Radio-Canada de ce qui caractérise son rôle de radiodiffuseur public national. Une autre stratégie encore à l'étude de la part des responsables de la radio est la suppression totale du réseau stéréo.

Nous avons vérifié tout ce que nous vous disons ici et nous affirmons que c'est ce qui va se passer l'année prochaine, compte tenu des coupures annoncées il y a deux semaines. Cela n'a rien à voir avec les coupures qui menacent Radio-Canada si la réduction de 350 millions de dollars du budget finit par avoir lieu.

Nous continuerons de contrôler les répercussions possibles de ces coupures sur la programmation de Radio-Canada et nous ferons régulièrement le point publiquement sur l'évolution de la situation.

Je vous donne la parole, Knowlton.

M. Knowlton Nash (Amis de la radiodiffusion canadienne): Merci, Ian.

Monsieur le président, membres du comité, je suis très heureux d'avoir l'occasion d'exprimer certaines des préoccupations que je ressens, à titre de citoyen canadien, face à ces coupures budgétaires qui vous préoccupent tout autant. Mes commentaires seront brefs parce que je sais que votre temps est tout à fait limité.

Je pars du principe que notre pays ne peut tout simplement pas exercer une souveraineté politique si nous n'avons pas une souveraineté culturelle. Si nous portons atteinte à notre souveraineté culturelle, il est inévitable que nous portons atteinte aussi à notre souveraineté politique. Il me semble que c'est là l'une des conséquences de ces coupures budgétaires.

On parle de la «graisse bureaucratique» qui alourdit le fonctionnement de Radio-Canada. En tant que correspondant à l'étranger, que cadre et que présentateur du bulletin de nouvelles dans cette société pendant 30 ou 40 ans, je crois juste de dire que cette graisse a existé, mais ce n'est plus le cas. Les coupures budgétaires qui vous préoccupent et que Perrin Beatty a été forcé de mettre en oeuvre menacent l'essence même de la radiodiffusion publique. On ne diminue pas seulement le nombre de trombones et de bureaucrates, mais celui des émissions. Comme l'a indiqué Ian, on réduit, d'une façon ou d'une autre, la programmation. On diminue la portée de la radiodiffusion publique elle-même. On réduit les services offerts au public au niveau local, au niveau régional et à celui du réseau. On ne peut tout simplement pas procéder à de telles coupures budgétaires sans qu'il en aille ainsi.

.0920

M. Morrison a donné quelques détails au sujet des répercussions de ces coupures. Dans pratiquement toutes les villes du pays où il y a une station de Radio-Canada, on congédie des rédacteurs et des réalisateurs, des chercheurs et des techniciens, que ce soit des employés permanents ou des pigistes.

Cela signifie - et il faut le dire clairement - qu'il y aura moins d'émissions originales, c'est indubitable. Il y aura plus de reprises et moins de dramatiques originales. Il y aura moins de ressources mises à la disposition des émissions pour enfants, de la recherche, des enquêtes et des reportages sur les événements se produisant au Canada et à l'étranger.

Pensez aux émissions qu'un diffuseur public comme la Société Radio-Canada devrait réaliser, comme Man Alive dont a parlé Ian, qui est une émission typiquement canadienne sur la nature de l'esprit humain. Aucun réseau commercial ne réalisera des émissions de ce genre. Man Alive sera encore à l'horaire l'année prochaine, cette émission unique sera conservée, mais elle perdra pratiquement tout son caractère à cause des coupures budgétaires qu'on impose. Je pense qu'il y a environ 11 personnes qui y participent maintenant, il n'y en aura plus que deux. Radio-Canada ne produira plus d'émissions originales pour Man Alive. C'est simplement un exemple parmi beaucoup d'autres de ce qui va arriver.

À la suite des coupures imposées à Radio-Canada, cette Société sera moins à même de raconter à la population canadienne des histoires canadiennes sous forme d'émissions dramatiques ou musicales, d'émissions pour enfants ou de nouvelles. Cela se manifestera de façon particulièrement marquée à l'écran à partir de l'automne prochain.

Vu l'étendue du Canada, il revient très cher d'en couvrir l'actualité. Il revient beaucoup plus cher de faire des reportages dans le Grand Nord et dans les régions. Cela coûte beaucoup d'argent. Ces coupures budgétaires mettent en danger plus particulièrement les reportages de ce genre.

Bien sûr, Radio-Canada peut réduire l'importance de ses activités et, en même temps, sa propre importance en concentrant ses émissions par exemple, à Toronto, Vancouver, Montréal ou Ottawa, c'est-à-dire dans les grandes villes, pour économiser ainsi beaucoup d'argent. Mais est-ce là ce que Radio-Canada devrait faire? Je pense que non.

Je pense que nous devrions voir et entendre nos propres histoires et nos propres chansons et que nous devrions nous en donner la possibilité. Seul un réseau public peut le faire parce que la situation économique des diffuseurs privés impose aux stations privées de fonctionner dans une large mesure en marge de la culture canadienne. Dans la radiodiffusion privée, on réalise un profit surtout quand on montre des émissions américaines. Il est normal et compréhensible que les actionnaires privés recherchent le profit.

Il y a quelques années, j'ai été responsable d'une série télévisée basée sur le livre de Pierre Berton, The National Dream. On y célébrait l'édification de l'Ouest du Canada. C'était une réalisation typiquement canadienne qui montrait les conflits au Parlement et ceux qui ont accompagné la construction du chemin de fer à travers les prairies et les montagnes. Cette série a eu des cotes d'écoute énormes dans notre pays. Mais en toute honnêteté, je pense qu'on ne pourrait sans doute plus réaliser une série canadienne à grand spectacle de ce genre à cause de ces coupures budgétaires. C'est une honte.

S'il existe une volonté politique d'avoir un système de radiodiffusion publique au Canada, on comprendra certainement qu'il y a une limite à ne pas dépasser. Les coupures qui ont déjà été pratiquées maintenant et au cours des dernières années - ce sont les difficultés budgétaires dont le président a parlé en ouvrant la séance ce matin - vont profondément modifier Radio-Canada. Si l'on va plus loin, il faudra certainement que le Parlement modifie fondamentalement le mandat de Radio-Canada.

Je suis réellement convaincu que Radio-Canada est l'arme culturelle la plus puissante dont nous disposons pour développer, nourrir et célébrer le Canada. Affaiblir cette arme, comme le font actuellement les coupures budgétaires, semble aller à l'encontre de la volonté exprimée par le Parlement.

Les coupures budgétaires déjà effectuées vident la programmation canadienne de sa substance et cela va encore s'accentuer à l'automne. En pratiquer d'autres serait certainement catastrophique pour le principe même de la radiodiffusion publique. Radio-Canada a déjà pratiqué des coupures budgétaires très importantes. Elle a déjà fait plus que sa part pour régler le problème du déficit budgétaire. Il est clair qu'il y a une limite à ne pas dépasser.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Nash et monsieur Morrison.

Je vais maintenant demander à nos autres témoins de se présenter.

Chers collègues, je voudrais souhaiter la bienvenue maintenant à denise truax et Pierre-Paul Lafrenière. Je ne sais pas lequel d'entre vous va commencer, mais vous pouvez peut-être nous indiquer... Je pense que vous représentez en fait aujourd'hui deux groupes, ou tout au moins l'un d'entre vous... Peut-être pouvez-vous nous venir en aide à cet égard et je vous inviterai ensuite à présenter votre exposé.

.0925

Mme denise truax (présidente, Fédération culturelle canadienne française): Bonjour. Je suis présidente de la Fédération culturelle canadienne française, organisation représentant les francophones de l'extérieur du Québec, mais, si vous me le permettez, ce matin j'utiliserai l'expression «Canadiens français» pour nous définir parce que nous avons trop souvent entendu dire «à l'extérieur du Québec» et «le Québec et le Canada anglais» à Radio-Canada et ailleurs. Nous aimerions rester des Canadiennes et Canadiens français au moins pendant un moment et au moins pendant cette matinée.

Je suis accompagnée de Pierre-Paul Lafrenière. Il est responsable du Regroupement des arts médiatiques qui représente les gens qui, dans les régions où nous vivons, s'occupent de la réalisation privée et indépendante de films, de bandes vidéo et des arts médiatiques en général.

Je vous remercie de nous donner cette occasion de nous adresser à vous ce matin. Je ferai mon exposé en français. Nous pensons que, en tant que Canadiens français, nous représentons une voix que l'on entend peu aussi bien à Radio-Canada qu'autour de Radio-Canada, nous sommes donc heureux de cette occasion.

[Français]

En résumé, je voudrais vous signaler à quel point la télévision et la radio de Radio-Canada sont importantes pour nous. Elles sont critiquées, mais je crois que le dicton «Qui aime bien châtie bien» est de mise ici. La télévision de Radio-Canada est, dans bien des cas, le seul média francophone qui existe dans nos communautés, et quand ce n'est pas le seul, c'est quand même un média important au niveau du type d'émissions produites, tant à la radio qu'à la télévision.

Nous pensons, dans les circonstances actuelles, que Radio-Canada a été suffisamment mise au régime. Si, comme tout le monde, Radio-Canada a dû contribuer à la réduction du déficit, parce que c'est vraiment le mot à la mode, il ne faut plus continuer à diminuer ses budgets. S'il y avait des réductions additionnelles, cela risquerait de compromettre gravement sa capacité d'honorer son mandat qui est, entre autres, de refléter la globalité canadienne et de rendre compte de la diversité du pays.

En général, je pense que les Canadiens français apprécient et appuient Radio-Canada. Ils reconnaissent son importance pour nos communautés, particulièrement au niveau des émissions radiophoniques, peut-être parce qu'on en fait un plus grand nombre dans nos communautés. La pertinence et l'excellence de ces émissions sont reconnues dans nos communautés. Nous trouvons qu'elles ne sont pas suffisamment diffusées au réseau ou à l'antenne nationale, mais nous apprécions beaucoup ce qui se fait chez nous.

En ce qui concerne la télévision, la situation est un peu plus dramatique, puisqu'un très faible nombre et une très faible variété d'émissions sont produites à partir de nos régions et ensuite diffusées à l'ensemble du réseau. Nous voulons surtout, et c'est très simple à comprendre, rappeler à Radio-Canada que nous voulons nous aussi nous voir à l'écran, nous entendre à la radio, et pas seulement dans nos régions, parce que dans certains cas, on a cela dans nos régions. Je ne peux pas, par exemple, parler à l'Acadie, un coin de pays que j'aime beaucoup et que je visite régulièrement, et à l'Ouest canadien. Je voudrais que ce dialogue commence à s'établir d'un bout à l'autre, et que ce soit un peu moins Montréal, la métropole, qui parle à tout le monde.

Voilà. Nous avons cinq points que nous aimerions développer brièvement et qui vont dans ce sens-là.

M. Pierre-Paul Lafrenière (coordonnateur et consultant, Regroupement des arts médiatiques du Canada): Les compressions budgétaires qui s'effectuent en ce moment ne sont peut-être pas idéales, dans la réorganisation qui se présente, pour combler nos besoins et nos attentes.

Pour ce faire et pour que nous puissions nous voir et nous entendre davantage sur les antennes de Radio-Canada, il est essentiel que Radio-Canada reconnaisse l'excellence de la production qui se fait en région, tant radiophonique que télévisuelle, et favorise le maintien et le renforcement de ces régions dans le processus de révision et de réflexion actuellement en cours en raison des compressions budgétaires; qu'elle favorise la réalisation d'une plus grande variété d'émissions en provenance des régions et mette ainsi à contribution les artisans et les producteurs indépendants des régions; qu'elle accorde aux régions une plus grande autonomie décisionnelle et budgétaire quant au choix des émissions à produire, y compris celles qui seront réalisées spécifiquement pour diffusion à l'ensemble du réseau; qu'elle modifie la grille horaire afin de permettre la diffusion à l'ensemble du réseau d'un plus grand nombre d'émissions en provenance des régions; et qu'elle fasse appel davantage, dans ses émissions produites à partir de Montréal et pour diffusion sur réseau, aux artistes et aux créateurs provenant des régions, afin que ceux-ci aient aussi accès à un auditoire national.

Nous pensons aussi qu'on pourrait, au cours de cette réorganisation, travailler davantage dans les régions avec des producteurs indépendants et aller chercher ainsi de nouvelles sources de financement pour des productions auxquelles Radio-Canada ne peut pas toujours accéder. Cela permettrait aussi de faire des économies au niveau de l'utilisation des installations de Radio-Canada en région, qu'il faudrait mettre à la portée des producteurs indépendants.

.0930

Des aménagements peuvent donc se faire si nous adoptons une approche assez originale pour la mise en oeuvre de ces coupures budgétaires ou de cette réorganisation de la structure de Radio-Canada.

Mme truax: En terminant, nous aimerions dire que le menu de Radio-Canada qui nous vient de Montréal est un peu toujours le même. Je ne voudrais pas dire que nous ne l'aimons pas, mais nous le trouvons peut-être un peu lassant. Nous aimerions contribuer nous aussi à la préparation de plats que nous pourrions faire déguster à l'ensemble du pays. Merci.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup. Je vous remercie de votre exposé.

Je demanderai aux quatre témoins de rester à leur place afin que nous puissions faire un tour ou deux de questions.

Comme d'habitude, nous allons commencer par la personne qui représente l'opposition officielle. Madame Tremblay.

[Français]

Mme Tremblay (Rimouski - Témiscouata): Quand les Amis de la radiodiffusion canadienne avaient comparu devant le comité, la dernière fois, ils nous avaient dit que 80 p. 100 de la production de la CBC, aux heures de grande écoute, venait de l'étranger. Vous avez entendu comme moi le président, M. Beatty, annoncer que dorénavant, aux heures de grande écoute, Radio-Canada devra produire des émissions canadiennes. Comment conciliez-vous cette directive et les coupures budgétaires? Est-ce que ce sera possible pour Radio-Canada de remplacer les émissions étrangères qui passent aux heures de grande écoute par des productions canadiennes?

[Traduction]

M. Morrison: Je peux vous citer une donnée statistique actuelle: 87 p. 100 des émissions que regardent les téléspectateurs du réseau anglais de Radio-Canada à la télévision aux heures de grande écoute sont des productions canadiennes. J'ai oublié le chiffre exact, mais il se situe autour de 80p. 100 pour ce qui est de l'ensemble des émissions canadiennes qui sont présentées. Comme l'a annoncé initialement devant ce comité M. Manera lorsqu'il était président, il y a un peu plus d'un an, je crois que c'était le 1er novembre, on souhaite éliminer les émissions américaines de la télévision anglaise pendant les heures de grande écoute. J'ai entendu M. Beatty répéter cela le 22 novembre dernier.

À ma connaissance, on ferait exception de temps à autre pour des émissions représentant ce que le monde a de mieux à offrir, ou quelque chose comme ça.

Il est possible de le faire à un coût relativement modeste parce que, selon moi, les deux heures et demie par semaine d'émissions canadiennes qui remplaceront les émissions américaines seront relativement peu coûteuses. Il s'agira d'un genre d'émissions comprenant de la musique et des interventions parlées, et non pas des réalisations très élaborées. C'est un progrès utile mais bien modeste, car, comme je l'ai indiqué, les émissions présentées aux heures de grande écoute sont déjà, dans une large mesure, canadiennes.

[Français]

Mme Tremblay: Si on examine les différences entre la production du réseau français et celle du réseau anglais, on voit qu'une émission du réseau français coûte en moyenne 18 000$ et une émission du réseau anglais, 36 000$. La télévision française est très écoutée par les francophones alors que la télévision anglophone l'est beaucoup moins par les anglophones. D'une côte à l'autre, on trouve à Toronto 12 p. 100 des gens qui écoutent la télévision, 8 p. 100 à Vancouver, etc. On perçoit des pointes un peu plus importantes dans les régions où on ne capte que la CBC. En moyenne, on dit que l'écoute est de 10 à 12 p. 100.

Ne pensez-vous pas qu'il serait possible de faire des coupures budgétaires du côté anglais et d'y faire de la télévision à moindre coût, comme le fait le réseau français, tout en produisant des émissions qui seraient écoutées? Quel est le problème de la télévision anglaise, selon vous?

M. Morrison: Le problème, à mon avis, c'est la concurrence avec toutes les grandes émissions de télévision américaines.

.0935

[Traduction]

Je dirai, en guise d'explication, que ceux d'entre nous, dans notre pays, qui sont d'origine francophone et parlent français bénéficient au moins d'une certaine protection contre l'énorme invasion des grandes productions de la télévision américaine. Les anglophones n'ont pas de moyens de défense de la même nature.

Donc, de façon générale, nous faisons face à la concurrence de toutes les émissions de divertissement que la télévision américaine peut offrir. Je vous citerai simplement un chiffre: 96 p. 100 des émissions de fiction disponibles sur les écrans de télévision des Canadiens anglophones ne sont pas d'origine canadienne. Pour nous défendre contre cela et pour conserver une certaine cote d'écoute dans cet énorme univers que constitue la télévision américaine, il est nécessaire de répliquer en présentant des réalisations plus élaborées.

On ne peut donc pas comparer la situation de la télévision francophone et celle de la télévision anglophone simplement en termes financiers. Les Amis de la radiodiffusion canadienne sont d'avis que la Loi sur la radiodiffusion a raison de dire que les émissions françaises et anglaises devraient être de qualité équivalente. Les statistiques que vous avez utilisées aujourd'hui donnent à penser qu'en matière de production télévisuelle, le coût moyen de production est deux fois plus élevé en anglais qu'en français. Cela ne me semble pas équivalent.

[Français]

Mme Tremblay: Dans la perspective d'une gestion plus efficace, il faut considérer ce qui se passe dans les centres de télévision. Newsworld, par exemple, a une maquilleuse rattachée à une de ses émissions tandis que RDI n'en a pas pour la sienne. De plus, alors que les deux émissions se font côte à côte, la maquilleuse de CBC ne peut pas maquiller le personnel de RDI. Pourquoi est-ce aussi cloisonné?

Quant à l'histoire de Patrick Roy, était-il nécessaire que CBC, Radio-Canada, RDI et Newsworld se précipitent à une conférence et fassent un événement absolument ridicule d'un gars qui touche 4 millions de dollars et qui a une crise d'urticaire parce que son coach ne lui a pas touché l'épaule? Qu'est-ce que cela veut dire?

[Traduction]

M. Morrison: Comme vous le savez, madame Tremblay, les ressources de RDI et de Newsworld sont déterminées non pas par le Parlement, mais par le CRTC en fonction des droits payés par les abonnés au câble. Les abonnés paient un certain montant pour chacun de ces deux réseaux.

Je reprendrai la réponse que j'ai donnée à votre première question, c'est-à-dire que, dans le domaine concret de la concurrence face au public, le concurrent de Newsworld vient d'Atlanta. Il s'appelle CNN. Vous le connaissez; nous le connaissons tous. Newsworld doit se battre pour la qualité de ses émissions dans un contexte où, si la réalisation de ses émissions n'atteint pas un certain niveau, le public canadien se laissera séduire par les possibilités qu'offrent les États-Unis. C'est un problème constant auquel doivent faire face les services anglais de Radio-Canada.

M. Nash: Puis-je ajouter, madame Tremblay, que ceci s'applique tout particulièrement aux émissions de divertissement. M. Morrison a indiqué que 96 p. 100 des émissions de fiction présentées au Canada aux heures de grande écoute sont d'origine étrangère, surtout américaine. Ce n'est pas tout à fait le cas pour l'information, les bulletins de nouvelles, par exemple. Je ne connais pas les pourcentages exacts, mais je pense qu'environ 80 p. 100 ou 90 p. 100 des émissions d'information que regarde le public canadien viennent des réseaux français et anglais de Radio-Canada ainsi que de CTV. En d'autres termes, ce sont des émissions canadiennes.

Il y a donc une différence entre les émissions de divertissement présentées au public canadien et les émissions d'information qui lui sont offertes.

Le président: Merci. Le temps prévu pour ce tour de questions est terminé.

Madame Tremblay, je suis passé à Newsworld l'autre jour et on ne m'a pas maquillé. Cela m'a un peu déçu; vous le savez, les rides se multiplient au fur et à mesure que les années passent.

Monsieur Abbott, vous avez huit minutes.

.0940

M. Abbott (Kootenay-Est): Pour commencer, je voudrais m'adresser d'abord aux Amis de la radiodiffusion. Auparavant, je veux déclarer très clairement et très précisément que j'ai beaucoup de respect pour les deux messieurs qui interviennent au nom de cette association. J'ai énormément de respect pour eux, tout comme pour les personnes qu'ils représentent. Si l'on se méprend sur mes commentaires et que l'on y voit une attaque contre eux ou leur association, ce sera extrêmement regrettable. Telle n'est pas mon intention.

Je trouve très préoccupant que le ministre du Patrimoine canadien n'ait pas présenté les conclusions de l'examen du mandat de Radio-Canada. Les frais engagés jusqu'à la fin septembre atteignaient un million de dollars, soit environ 250 000$ par mois. On nous avait promis que cet examen serait terminé à la fin novembre. On nous le promet maintenant pour le 15 janvier et qui sait si cette promesse sera tenue?

Lorsque le président du comité a dit qu'il était important pour nous d'avoir l'occasion d'examiner la situation ou de savoir quel était l'avis de Radio-Canada avant la présentation du budget, j'étais d'accord avec cela en tant que représentant du Parti réformiste parce que je suis d'accord avec lui. Malheureusement, le ministre, le président et le secrétaire parlementaire n'ont pas pu nous présenter des témoins capables de proposer des solutions potentielles au problème. Sans vouloir offenser personne, je dirai que les Amis de la radiodiffusion canadienne présentent ce problème et je pense que nous devrions précisément chercher à trouver une solution.

Je terminerai cette partie de mes commentaires en faisant l'observation suivante. Je sais que cette association a déjà fait du lobbying auprès de moi et, je suppose, auprès de tous les membres du comité et peut-être également d'autres députés. Donc, la réunion actuelle sert à prendre officiellement connaissance de ce lobbying. Je ne crois pas qu'elle serve à grand-chose d'autre.

Cela dit, les libéraux ont choisi de pratiquer des coupures dans les domaines de la santé, de l'assistance sociale et de l'éducation. Nous connaissons tous les histoires qu'on raconte à propos des soins de santé. Pour l'assistance sociale, les coupures sont censées se faire aux dépens des pauvres. Il y a certainement un grand nombre de représentants de l'éducation postsecondaire qui sont intervenus auprès de moi.

Les ministres des Finances se rencontrent aujourd'hui. Ils vont parler du maintien du financement de la sécurité de la vieillesse et des révisions apportées au RPC. J'ai reçu hier une délégation d'Alliance Québec. Ses membres étaient préoccupés - à juste titre - par la réduction de 27 p. 100 des crédits qu'on leur accorde.

Compte tenu du fait que nos moyens ne sont pas illimités et qu'aujourd'hui, comme chaque jour de cette année, nous allons emprunter 90 millions de dollars simplement pour payer l'intérêt sur l'argent que nous avons déjà emprunté, je voudrais poser deux questions précises, l'une au sujet des coupures et l'autre au sujet des recettes.

Où conseilleriez-vous de pratiquer des coupures? Étant donné que nos moyens ne sont pas illimités, que nous avons une crise du service de la dette et que les libéraux ont déjà retiré 7 millions de dollars de la santé, de l'assistance sociale et de l'éducation, pratiqueriez-vous des coupures encore plus importantes dans ces domaines? Abaisseriez-vous le plafond au-delà duquel on récupère la sécurité de la vieillesse par la voie fiscale? Réduiriez-vous encore plus les crédits accordés à Alliance Québec? Il faut bien que l'argent vienne de quelque part, alors où pratiqueriez-vous des coupures?

La deuxième question est très précise et concerne les recettes. Je pense que M. Morrison a dit qu'il est question de supprimer complètement le réseau stéréo de Radio-Canada. Puis-je dire qu'à mon avis, ce réseau... Et ne changeons pas non plus de sujet en parlant de la radio normale de Radio-Canada. Cette question porte spécifiquement sur le réseau stéréo.

À mon avis, il s'adresse à un public de niveau élevé que de nombreux annonceurs voudraient pouvoir toucher. J'ajouterai que ce réseau stéréo a un public fidèle grâce à ses émissions actuelles. Je ne peux donc pas imaginer qu'un annonceur puisse chercher à faire modifier la formule ou le contenu des émissions de ce réseau. Les annonceurs paient parce qu'ils veulent pouvoir toucher précisément ce public de haut niveau. Pourquoi les émissions qu'écoutent ces gens-là devraient-elles être financées à même les recettes générales? Pourquoi ne seraient-elles pas financées par la publicité?

Voilà mes deux questions. D'abord, où pratiqueriez-vous des coupures? Deuxièmement, pour ce qui est des recettes, pourquoi n'envisagerions-nous pas la possibilité de conserver la programmation du réseau stéréo de Radio-Canada sous sa forme actuelle, avec le même contenu, en engrangeant des recettes publicitaires?

.0945

Le président: Nous avons huit minutes par série de questions et M. Abbott en a pris plus de cinq. Vous avez environ trois minutes pour répondre.

M. Morrison: Je suis d'accord avec vous sur une chose, monsieur Abbott. Je regrette également que le Comité Juneau n'ait pas encore présenté son rapport. Je pense que, du point de vue de la politique gouvernementale, il serait très utile que l'on puisse en discuter maintenant, surtout compte tenu de l'échéancier du ministère des Finances. Ce serait une catastrophe s'il n'était pas disponible le 15 janvier, comme l'a promis le ministre Dupuy.

Nous avons mis l'accent dans notre exposé d'aujourd'hui sur les coupures parce que nous avons appris du comité que c'était le sujet que vous étudiez. Nous aurions pu parler de beaucoup d'autres choses, mais nous pensions répondre ainsi à la question sur laquelle porte cette audience.

Pour ce qui est de la quantité d'argent dont dispose Radio-Canada, j'aimerais que vous sachiez qu'un Canadien respecté qui a démissionné pour des raisons de principes, M. Manera, a dit quelque chose que j'ai vérifié personnellement et dont je peux donner la preuve. Si, depuis le moment oùM. Mulroney a été élu jusqu'à l'année dernière, le gouvernement du Canada avait limité ses dépenses autant qu'il a limité la subvention accordée à Radio-Canada, notre pays aurait aujourd'hui un excédant budgétaire de 15 milliards de dollars au lieu d'un déficit de 33 milliards. Ce calcul est juste.

D'après un sondage réalisé par COMPASS sous nos auspices en septembre, 82 p. 100 des Canadiennes et Canadiens souhaiteraient que la subvention accordée à Radio-Canada reste inchangée ou soit augmentée, et 80 p. 100 sont d'avis que Radio-Canada constitue un service essentiel. C'est d'ailleurs le cas de 50 p. 100 des gens qui appuient votre parti.

Je ne suis pas mandaté pour venir ici vous dire si Alliance Québec devrait ou non recevoir plus d'argent. Ce n'est pas mon rôle.

Pour ce qui est du réseau stéréo de Radio-Canada, il est vrai qu'il n'obtient en moyenne qu'une cote d'écoute de 3 p. 100 à 4 p. 100. Il touche toutefois un vaste public. Dans le courant d'une semaine donnée, beaucoup de gens l'écoutent à un moment ou l'autre. Je ne sais pas si ce sont uniquement des gens de haut niveau. C'est une question à poser à la direction.

Notre association est d'avis que, pour ce qui est de la nature même de la radio et de la stéréo, il est très important de pouvoir écouter des émissions sans publicité et nous sommes contre la diffusion de séquences publicitaires sur le réseau stéréo, tout comme d'ailleurs l'Association canadienne des radiodiffuseurs. C'est un point commun que nous avons avec cette organisation.

C'était une réponse rapide.

Y a-t-il autre chose, Knowlton?

M. Nash: Je voulais simplement ajouter la chose suivante au sujet des coupures. Il me semble que c'est une question d'équité. Comme l'a dit Ian quand il a cité Tony Manera, Radio-Canada a déjà effectué des coupures très importantes, proportionnellement beaucoup plus élevées que partout ailleurs. Je pense donc que Radio-Canada a déjà fait ce genre de coupures et fait face à ce genre de réductions.

Le président: Monsieur Peric.

M. Peric (Cambridge): Madame truax, je me réjouis réellement de vous entendre dire ce matin qu'il y a des Canadiens français et non pas seulement des Québécois. Je partage vos inquiétudes.

Monsieur Morrison, j'ai une brève question à votre intention. Le président a-t-il annoncé quels épisodes et quelles émissions spéciales seraient supprimés dans le cadre de cette réduction de 227 millions de dollars?

Monsieur Nash, j'aimerais connaître vos commentaires en tant que simple citoyen. Nous entendons depuis quelque temps les gens du Parti réformiste dire de plus en plus souvent que la meilleure solution serait de privatiser Radio-Canada. Vous avez dit qu'il n'y avait plus rien à dégraisser. Depuis quand?

M. Morrison: Je pense que vous m'avez demandé si le président avait donné des détails au sujet de la diminution du nombre d'épisodes. Non. Après l'annonce publiée par M. Beatty, il nous a fallu treize jours pour rassembler ces renseignements. J'aimerais que la direction de la Société soit moins réticente à faire connaître son point de vue au sujet des implications pour la programmation. Je pense qu'il est très important pour les parlementaires, les médias et la population canadienne en général de comprendre ces implications; c'est pourquoi nous avons effectué cos recherches et établi des projections qui nous paraissent responsables.

.0950

Il y a peut-être des erreurs dans certains des détails que nous vous avons indiqués. Si erreur il y a, ce sera simplement une question de détail et cela sera compensé par une autre coupure aussi brutale et aussi importante.

Vous pouvez donc vous y fier; c'est une description exacte de l'ampleur des implications en matière de programmation. Jusqu'à présent, personne n'a réussi à me convaincre qu'il y a là des erreurs importantes.

M. Nash: Vous avez parlé de la privatisation. Je pense que le gens qui font référence à la privatisation pensent aux stations de Radio-Canada de Toronto ou de Vancouver. Il s'agit des grandes villes et non pas des petites. Donc, si l'on agissait ainsi, on pourrait se retrouver avec quelques vestiges de la Société Radio-Canada dans les petites villes de l'ensemble du pays et le gouvernement continuerait à les subventionner. Le secteur privé prendrait possession des stations de Toronto, de Vancouver ou de Montréal, là où un profit est réalisable. Je ne pense pas qu'une telle division soit à l'avantage du système de radiodiffusion canadien.

Pour ce qui est de la «graisse», non, je n'en vois pas quand j'entre dans un édifice de Radio-Canada aujourd'hui. Je vois beaucoup d'appréhension et d'inquiétude. Je vois beaucoup de gens qui se soucient principalement de réduire les budgets au lieu de réaliser des émissions. Ce genre d'obsession m'inquiète beaucoup. Beaucoup de créateurs sentent une menace planer sur eux. Ils s'inquiètent de leurs emplois et des implications budgétaires en ce qui concerne leurs émissions. Je pense que nous devrions vraiment nous remettre à faire des émissions.

M. Peric: Et les émissions du service international de la.AAC? Pourquoi avons-nous cela?

M. Nash: Un accord a été conclu entre Newsworld et la.AAC. Je ne sais pas s'il est encore en vigueur ou s'il va continuer mais, à l'heure actuelle, tout fait l'objet d'un examen très attentif. Je sais que les responsables de la programmation chargés de se prononcer sur le détail des coupures regardent tout de près.

M. Peric: J'espère qu'on supprimera les émissions internationales de la.AAC. J'aimerais qu'au Canada, on s'en tienne aux émissions d'information réalisées par des Canadiens.

M. Morrison: Votre proposition reviendrait cher. Il est meilleur marché pour Radio-Canada d'importer des émissions de la.AAC et de les diffuser que de réaliser ses propres émissions.

Donc, en période de crise... J'ai devant moi un communiqué de presse qui indique la fermeture imminente de Radio-Canada international. En ce moment, cela fait partie du problème. Ce n'est pas nous qui avons mis l'accent là-dessus mais, en cette période de crise, votre suggestion, que j'approuverais du point de vue patriotique, coûte plus cher. Cela nous ramène donc au ministère des Finances.

M. Peric: Dans ce cas, il est bien meilleur marché d'importer des émissions américaines que d'en faire au Canada. À quoi sert donc la Société Radio-Canada?

Je vais maintenant partager mon temps de parole avec mon collègue.

M. Ianno (Trinity - Spadina): Merci d'être venu. Comme l'a dit tout à l'heure M. Abbott, nous avons déjà parlé avec vous et, depuis un an et demi, nous cherchons à savoir comment améliorer la Société Radio-Canada et trouver d'autres sources éventuelles de revenu.

Votre association a-t-elle examiné quelles propositions contenues dans le rapport elle pourrait appuyer ou quelles autres propositions elle pourrait faire afin que l'on puisse vraiment trouver comment Radio-Canada pourrait préserver ses émissions?

M. Morrison: Oui. Pour rattacher cela à ce qu'a dit M. Abbott au sujet du Comité Juneau, j'espère et je crois que le comité chargé d'examiner le mandat vous présentera des recommandations de fond, monsieur Ianno, au sujet des autres sources éventuelles de financement.

Notre association s'est présentée devant votre comité en octobre 1994 lorsque votre prédécesseur était président. Nous avons alors recommandé que les gens qui fournissent des signaux vidéo dans les foyers canadiens, qu'il s'agisse des compagnies de téléphone, des câblodistributeurs, des sociétés de diffusion par satellite, etc., fassent à peu près comme les chauffeurs de taxi d'Ottawa qui paient à l'hôtel de ville des droits de licence calculés en fonction de leur chiffre d'affaires. Ces gens devraient payer une certaine proportion de leurs revenus pour le contenu canadien.

D'après un rapport remis au ministre du Patrimoine au cours de l'année écoulée par M. Peter Grant, un avocat éminent, un prélèvement de 10 p. 100 représenterait un montant convenable pour le contenu canadien. Nous avons vérifié cela dans notre sondage. Nous avons constaté, objectivement parlant, que personne n'aime qu'on lui prenne de l'argent dans sa poche. Toutefois, au plan théorique, la majorité des Canadiennes et des Canadiens pensaient qu'un montant de 10 p. 100 leur paraîtrait raisonnable et qu'ils seraient prêts à le payer s'ils savaient qu'on va l'utiliser pour le contenu canadien.

.0955

Je peux vous dire que 10 p. 100 du chiffre d'affaires du secteur audiovisuel de notre pays, qui est en pleine croissance, constitueraient une nouvelle source de revenu importante pour la Société Radio-Canada, pour Téléfilm, pour l'ONF ainsi que pour les radiodiffuseurs privés et les producteurs privés qui réalisent de bonnes émissions canadiennes.

M. Ianno: M. Nash, vous avez dit tout à l'heure que, depuis peu, il n'y avait finalement plus rien à dégraisser. M. Peric y a fait allusion. Avant cette rationalisation, pourquoi le dégraissement ne s'était-il pas fait de lui-même?

M. Nash: Pour aussi longtemps que je me souvienne, Radio-Canada s'est toujours efforcé de réaliser ce dégraissage. À un moment donné, cette société avait quelque chose comme 12 000 ou 13 000 employés à plein temps; comme vous le savez, ce chiffre n'est plus maintenant que de 8 000 ou 9 000. Il y en aura encore moins quand ces coupures seront terminées.

Dans une grande organisation de ce type, il est inévitable qu'il y ait, dans tel ou tel recoin, beaucoup de gens, beaucoup de postes, beaucoup d'activités qu'on pourrait rationaliser ou éliminer. C'est déjà fait. Il n'en reste plus. Maintenant, quand on pratique des coupures, on s'en prend à la substance même de la programmation. Il n'y a plus grand-chose à enlever dans l'administration. Il y en a encore un peu, mais plus beaucoup, c'est pourquoi on s'attaque directement aux émissions.

M. Ianno: Étiez-vous d'accord avec M. Beatty et le rapport du comité? Suzanne et moi-même étions sur la même longueur d'ondes en ce qui concerne... Je ne sais pas si l'on peut parler de la fermeture du bureau d'Ottawa, mais il y a là 400 personnes qui occupent des postes administratifs et nous pensons que l'on pourrait peut-être réduire ce chiffre à 40 et que ces gens-là pourraient louer des locaux. Êtes-vous d'accord avec ce que M. Beatty a fait à ce sujet?

M. Nash: Je pense que ce que M. Beatty a fait représente un bon premier pas.

M. Ianno: Donc, certaines de ces coupures ont donné de bons résultats?

M. Nash: La Société Radio-Canada n'a pas pour fonction d'être une bureaucratie, mais de réaliser des émissions.

M. Ianno: C'est exact.

M. Nash: Il faut mettre l'accent sur les émissions.

Le président: Pour éviter tout malentendu, monsieur Peric, je pense que, si notre radiodiffuseur public souhaite réaliser ses propres émissions au lieu d'acheter des émissions américaines meilleur marché, c'est parce que des émissions canadiennes présenteraient un reflet de notre pays. Les réalisateurs américains n'ont pas pour mandat de présenter un reflet du Canada. On peut espérer que c'est ce que fait notre radiodiffuseur public et cela peut contribuer non seulement à faire mieux comprendre ce qu'est notre pays et ce qui le fait fonctionner, mais également à renforcer l'unité nationale.

M. Peric: C'est exactement ce qui me préoccupe. Nous importons trop d'émissions étrangères. Je suis tout à fait en faveur de la réalisation d'émissions dans notre pays, y compris les émissions d'information de la Société Radio-Canada.

Le président: Madame truax, ou monsieur Lafrenière, je pense que l'un d'entre vous a dit que vous aimeriez que plus d'émissions de Radio-Canada soient diffusées en dehors du Québec et peut-être également que plus d'émissions de radio et de télévision en anglais soient diffusées, disons, dans les régions du Québec majoritairement francophones où les gens regardent normalement des émissions en français. Je serais certainement en faveur de cela. Je pense que cela contribuerait à renforcer l'unité canadienne.

Mme truax: Je vais parler de la radio, et je laisserai Pierre-Paul parler de la télévision.

En matière de radio, nous avons constaté qu'il y a de merveilleuses émissions régionales. Les émissions du matin sont très bonnes; elles ont un public important. Nous avons également des émissions en soirée, mais on ne peut les voir que dans une région donnée.

Je vis dans le nord de l'Ontario. Nous ne parlons pas aux autres régions de l'Ontario mais seulement entre nous. Tout ce que nous pourrions faire donnerait une merveilleuse image de nous-mêmes, mais nous n'avons jamais la possibilité de nous adresser à Montréal, à l'Acadie ou à l'Ouest du Canada alors que Montréal peut s'adresser à tout le reste du Canada.

Cela nous paraît déséquilibré et il faudrait prendre un certain nombre de mesures pour augmenter le nombre d'émissions régionales diffusées sur la totalité du réseau dans l'ensemble du pays.

Je connais un bon nombre d'artistes acadiens et j'aimerais les voir plus régulièrement ou les entendre à la radio.

Nous ne sommes pas satisfaits des coupures - nous ne voudrions pas vous donner l'impression contraire - , mais nous savons qu'elles ont eu lieu. Nous ne voulons pas qu'on en pratique encore d'autres mais, à notre avis, puisqu'elles ont forcé en quelque sorte à repenser la nature de Radio-Canada, c'est une occasion d'examiner la situation dans cette optique et de faire en sorte que les régions n'en sortent pas perdantes.

.1000

M. Lafrenière: Nous pensons également que, si SRC s'intéressait plus à la réalisation d'émissions régionales et à l'échange de ces émissions entre les différentes régions, cela pourrait créer de nouvelles possibilités de financement de ces émissions; on pourrait avoir une collaboration entre des producteurs indépendants des provinces de l'Ouest et des producteurs indépendants des Maritimes ou de l'Ontario qui réaliseraient des émissions que l'on pourrait voir sur l'ensemble du réseau.

Par ailleurs, dans le cadre de la remise en question actuelle, il nous semble que, dans les régions, on cherche à faire en sorte que Radio-Canada se distingue plus des autres diffuseurs. Une des façons d'y parvenir est de s'adresser au public que l'on dessert et de mieux répondre à ses attentes. Nous pensons que c'est très important dans les régions.

Si, par exemple, le réseau français n'a pas tout à fait autant d'auditeurs à Regina qu'on pourrait le souhaiter, c'est peut-être parce que les gens ne veulent pas particulièrement voir ce qui se passe à un carrefour de Montréal quand un taxi heurte un feu de signalisation. Ils aimeraient aussi qu'on leur montre ce qui se passe là où ils vivent.

Le président: Je voudrais juste placer une toute petite question avant de redonner la parole à Mme Tremblay. Elle s'adresse à M. Morrison ou M. Nash.

Vous nous avez dit qu'il ne reste pratiquement plus rien à supprimer à Radio-Canada mais, s'il n'y a plus de subventions fédérales disponibles, y a-t-il d'autres sources potentielles de revenu pour ce radiodiffuseur public?

Seriez-vous en faveur de la création, par exemple, d'un fonds de programmation auquel contribueraient, entre autres, les câblodistributeurs - qui ont d'ailleurs déjà un fonds - , les radiodiffuseurs privés, les compagnies de téléphone, un fonds auquel Radio-Canada et d'autres pourraient avoir accès? Qu'en pensez-vous?

M. Nash: Si ce fonds avait pour objectif d'améliorer la quantité et la qualité des émissions canadiennes, c'est précisément ce qu'examine le Comité Juneau et c'est une idée qui recevrait beaucoup d'appui.

M. Morrison: Pour répondre à M. Ianno, je dirais quelque chose du même genre. Notre association a déjà fait savoir officiellement qu'elle était en faveur de cela.

À notre avis, il s'agirait d'un droit de licence par lequel le Parlement autoriserait à distribuer un signal vidéo dans les foyers. Avec la concurrence qui existe actuellement entre les satellites, le téléphone et le câble, tout le monde devrait faire quelque chose pour le Canada. Ce prélèvement de 10 p. 100 en faveur du contenu canadien représente une proposition politique raisonnable. Comme je l'ai mentionné, le sondage révèle que la majorité de la population appuie cette idée.

Le président: Madame Tremblay, vous avez cinq minutes.

[Français]

Mme Tremblay: Vous avez dit tantôt, monsieur Nash, en parlant de souveraineté politique et culturelle, que les deux allaient de pair. Mais M. Beatty nous ayant confirmé qu'il y avait vraiment des coupures de 350 millions de dollars, il resterait à trouver encore 123 millions de dollars pour l'année prochaine. Mais tout le monde s'accorde à dire que l'on compromettra fortement le mandat de Radio-Canada si les coupures dépassent ce qui est annoncé. À votre avis, quelle partie du mandat de Radio-Canada devrait être remise en cause si on devait aller plus loin dans les coupures?

[Traduction]

M. Nash: Si le gouvernement allait plus loin dans ses coupures, il y aurait d'importantes réductions en ce qui concerne les émissions. Je ne pense pas, par exemple, que Man Alive pourrait survivre. Il n'y aurait certainement plus de service radiophonique international, je suppose, s'il y avait ce genre de coupures.

Certaines des émissions devraient subir de véritables interventions chirurgicales. On pourrait perdre...

[Français]

Mme Tremblay: Est-ce que le réseau serait compromis?

[Traduction]

M. Nash: Les installations même du réseau ne seraient pas compromises, mais ce qui est diffusé le serait.

Cela compromettrait la nature du mandat qui consiste à présenter un reflet du Canada dans notre musique, dans les histoires que nous nous racontons et, en fait, même dans les reportages que nous présentons. Il est très coûteux, par exemple, d'envoyer un correspondant ou un journaliste couvrir un événement important dans le nord du Canada. Cela coûte très cher. Là encore, c'est à cause de l'étendue de notre pays.

Même aujourd'hui, on y réfléchit à deux fois avant d'envoyer quelqu'un faire un tel reportage. S'il y avait de nouvelles coupures, on hésiterait encore plus.

[Français]

Mme Tremblay: Dans votre livre The Microphone Wars, à la page 426, on peut lire:

[Traduction]

.1005

C'est dans votre livre. Il a dit la même chose il y a quelques semaines en Nouvelle-Zélande.

Croyez-vous réellement que, si c'est ce que le premier ministre pense de Radio-Canada...? Il a dit en Chambre que, s'il veut bien dormir, il n'écoute pas Radio-Canada.

M. Nash: J'espère qu'il était à l'écoute hier soir.

Mme Tremblay: Pensez-vous qu'on peut vraiment espérer que le gouvernement va vraiment comprendre la situation et y mettre un terme?

M. Nash: Oui, j'espère que le gouvernement va comprendre. Ce qui est en jeu ici est en fait l'avenir de notre culture, le reflet que nous présentons de notre pays. C'est réellement essentiel et c'est en fait la raison de ma venue ici aujourd'hui, je suppose: l'espoir que le gouvernement puisse accepter une telle façon de voir les choses.

Le président: Je trouve la teneur de cette discussion tout à fait remarquable. Nous parlons de la possibilité d'imposer un impôt aux radiodiffuseurs privés. En d'autres termes, à Vancouver, les journalistes de BCTV iraient faire un reportage avec leur magnétoscope et 10 p. 100 de toutes leurs dépenses serviraient à permettre à la station régionale anglaise de Radio-Canada de Vancouver de couvrir le même événement. Je trouve cela réellement tout à fait remarquable. Cela me rappelle la réponse de Jesse James quand on lui avait demandé pourquoi il attaquait les banques. Il avait dit: «Parce que c'est elles qui ont l'argent».

Dans la situation actuelle, les radiodiffuseurs privés, je dois le dire, ont déjà du mal à survivre, surtout les stations de radio... Or, on nous dit ici qu'ils devraient appuyer financièrement Radio-Canada. Pourtant, en même temps, vous refusez d'envisager des revenus publicitaires pour CBC-FM, comme je l'ai indiqué dans mon exemple. Je trouve cela absolument stupéfiant.

M. Nash: Il y a peut-être un malentendu, et on peut examiner cela de plus près. Il s'agit de financer non pas Radio-Canada, mais la réalisation d'émissions canadiennes en créant un fonds - c'est ainsi que je vois les choses - que pourraient utiliser les radiodiffuseurs privés. En d'autres termes, pour réaliser des émissions canadiennes, les radiodiffuseurs privés financeraient leurs propres activités.

M. Morrison: Je sais que la tradition parlementaire est d'adopter trois fois un projet de loi avant son entrée en vigueur et je vais donc dire une troisième fois ce qui suit. Je veux être vraiment clair. Nous proposons que l'on institue un droit de licence que les distributeurs - j'insiste sur ce mot - , les distributeurs de signaux vidéo paieraient pour contribuer à la réalisation d'émissions canadiennes.

Je vais définir le terme «distributeurs». Ce ne sont pas les gens qui réalisent des émissions, ni ceux qui les préparent pour la diffusion. Ce sont ceux qui assurent cette distribution. Ce sont les câblodistributeurs. Ce sont les sociétés de télévision par satellite. Ce seront aussi, à l'avenir, les compagnies de téléphone. Il existe également d'autres systèmes de distribution.

Ce montant de 10 p. 100 à payer pour pouvoir diffuser des signaux vidéo dans les foyers serait prélevé en faveur du contenu canadien. Tout le monde pourrait en profiter, aussi bien WIK - ou BCTV, puisque c'est son nom officiel - que Baton Broadcasting, Alliance ou Radio-Canada; ces entreprises devraient simplement être prêtes à consacrer des investissements à la réalisation d'émissions canadiennes présentant une valeur ajoutée, vraisemblablement des émissions de fiction, celles qui coûtent cher.

BCTV ne subventionnerait donc pas Radio-Canada. C'est les distributeurs qui subventionneraient BCTV et Radio-Canada. La distribution subventionnerait la production, puisque nous serions sans doute tous d'accord dans cette salle pour reconnaître qu'il n'y a pas assez d'émissions de fiction de grande qualité disponibles à la télévision quand seulement 10 p. 100 de ces émissions du côté français et 4 p. 100 du côté anglais sont d'origine canadienne.

M. Abbott: Vous proposez donc, pour le câble, l'augmentation que les habitants de l'Ontario, en particulier, ont refusée très, très énergiquement il y a un an quand Rogers et les autres câblodistributeurs... Vous dites que...

M. Morrison: Pas simplement les câblodistributeurs.

M. Abbott: Non, pas simplement les câblodistributeurs. Mais vous nous dites que les frais d'abonnement au câble pourraient augmenter et que la population canadienne n'y trouverait rien à redire.

M. Morrison: Mais les câblodistributeurs représentent une sorte de monopole et peuvent imposer pratiquement le prix qu'ils veulent pour tout ce qui va au-delà du service de base. Le CRTC ne réglemente que les tarifs du service de base. Cela va changer d'après la nouvelle politique qui consiste à instaurer une concurrence entre le câble, le téléphone, les satellites, etc. Dans un contexte concurrentiel, un prélèvement de 10 p. 100 permettant à ces entreprises d'offrir leurs services n'entraînera pas nécessairement une augmentation des tarifs. Ils pourraient même diminuer.

.1010

Ce que je peux vous dire est que nous avons présenté cette idée dans un sondage et qu'elle a reçu un appui majoritaire. Je serais heureux de vous remettre ce document.

Le président: Je pense que nous pouvons laisser encore au moins une personne poser des questions. Je pense que M. Ianno a signalé qu'il était prêt à en poser encore une ou deux.

M. Ianno: Je suis déçu, monsieur Morrison, parce que, quand je parlais d'autres sources potentielles de revenu, je pensais plutôt à Radio-Canada qu'à un partage avec d'autres.

Mme truax a déclaré qu'il y a beaucoup d'émissions réalisées dans les régions qui ne sont malheureusement pas diffusées dans l'ensemble du pays. Je pense que nous sommes nombreux à nous poser des questions à ce sujet. Puisque cet argent est dépensé - et je suis sûr que l'on fait un excellent travail à Sudbury, Chicoutimi, Rimouski, etc. - , pourquoi le reste de la population ne peut-il pas en profiter et pourquoi ces émissions restent-elles confinées à une seule région alors qu'il faut dépenser de l'argent ailleurs pour remplir cette tranche horaire?

Je pense que, si possible, votre association devrait faire sa propre étude keynésienne et, s'il y avait des choix difficiles à faire, vous pourriez nous indiquer quelle est la meilleure façon de préserver les émissions. S'il y a d'autres choses qu'on a négligé dans divers recoins, comme l'a mentionné M. Nash, on peut peut-être les localiser et l'argent ainsi économisé pourra servir à la réalisation d'émissions.

M. Morrison: Monsieur Ianno, quand je suis venu ici en octobre 1994, nous avons présenté les résultats d'une étude de ce type que nous avions appelée «Reinventing the CBC». Nous nous basions sur une série de réunions tenues dans l'ensemble du Canada et sur des recherches que nous avions effectuées. Je serais ravi qu'on redescende ce rapport des tablettes.

Toutefois, j'aimerais maintenant établir un lien entre votre question et celle que Mme Tremblay a posée à Knowlton au sujet des prochaines coupures qui, espérons-le, n'auront pas lieu. Il nous paraît très clair - et cela nous ramène à votre commentaire - que, désormais, la direction ne pourra plus protéger les racines. C'est une métaphore; il y a un arbre dont les racines sont les stations locales et régionales ainsi que la capacité de réalisation d'émissions de la Société.

Dans l'étape suivante - qui, je l'espère vivement, ne se produira pas - , la direction va décapiter les petits centres. À Sudbury, par exemple, on passera de 52 à 10 employés et la station ne sera plus là que pour la forme. Nous avons publié des données à ce sujet pour tous les centres de production du pays. Il n'y aura pas moyen d'éviter cela.

Il ne s'agit donc pas tant de parvenir à faire mieux, mais plutôt du fait que, dans le contexte actuel de ces 227 millions, voire 350 millions de dollars, Radio-Canada va s'affaiblir de plus en plus et sera moins en mesure de faire ce que nous voulons qu'elle fasse sur les ondes au moment où le Canada en a le plus besoin. Voilà le message que je vous adresse.

Le président: J'aimerais poser simplement une dernière question. Je pense que c'est M. Morrison qui a dit, dans sa déclaration d'ouverture, que le Canada est actuellement fragile et je crois que c'est M. Nash qui a dit que si notre souveraineté culturelle est affaiblie - je paraphrase vos propos, monsieur Nash - , notre souveraineté politique l'est également.

Compte tenu de ces deux déclarations, j'aimerais vous demander à l'un ou à l'autre si vous pensez qu'il faudrait donner un nouveau mandat à Radio-Canada et lui demander de défendre l'unité nationale. Dans ce cas, comment envisageriez-vous la chose? Je ne pense pas que qui que ce soit souhaiterait que le service d'information de Radio-Canada soit mis au service de l'unité nationale. On pourrait envisager que des émissions réalisées par d'autres services puissent peut-être apporter une plus grande contribution à l'unité nationale. Pensez-vous qu'il faudrait modifier le mandat de Radio-Canada de cette façon?

.1015

M. Nash: Lorsque ce principe figurait dans la loi antérieure, on l'interprétait comme excluant les émissions d'information, comme vous le proposez. Ces émissions doivent nécessairement refléter différents points de vue existant dans notre pays et n'en privilégier aucun. D'autres émissions qui montrent un reflet du pays - en présentant des histoires et de la musique provenant de Terre-Neuve et des histoires provenant des Territoires du Nord-Ouest - placent le pays devant sa propre image. En agissant ainsi, il me semble que l'on peut donner plus de vigueur à l'unité de notre nation. Voilà comment j'interpréterais cette expression.

Le président: Eh bien, je vous remercie tous d'être venus ici aujourd'hui, monsieur Nash, monsieur Morrison, madame truax et monsieur Lafrenière. Je crois pouvoir vous dire que nous veillerons spécialement à faire part de vos préoccupations à M. Martin, le ministre des Finances. Je suis sûr qu'il se réjouira de connaître vos idées, comme nous ce matin.

Je veux rappeler à mes collègues que nous reviendrons à 11 heures, ou à une heure très voisine, pour parler de l'unité nationale avec d'autres témoins.

La séance est levée.

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