[Enregistrement électronique]
Le lundi 8 mai 1995
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte. Nous poursuivons l'étude du projet C-68, Loi concernant les armes à feu et certaines autres armes. La journée a été longue. Nous avons commencé tôt ce matin et nous avons travaillé tout l'après-midi jusque dans la soirée.
Ce soir, nous avons comme témoins la Responsible Firearm Owners of Ontario, représentée par son président, M. Jules Sobrian. L'autre témoin prévu, M. Cliff Dunford, qui en est le vice-président, n'a pas pu venir parce qu'il est malade, paraît-il.
[Français]
Le Regroupement pour une gestion efficace des armes à feu est représenté par Gilbert Gour, directeur, Gordon Prieur, conseil et membre, Taylor Bucker, professeur agrégé du département de sociologie de l'Université Concordia à Montréal.
[Traduction]
Nous procéderons dans l'ordre dans lequel j'ai appelé les témoins, c'est-à-dire que ce sera d'abord le tour de l'Ontario, puis celui du Québec. Nous accordons généralement quinze minutes à chaque groupe pour l'exposé. Si vous pensez pouvoir lire votre mémoire en quinze minutes, vous pouvez le faire. Sinon, je vous demanderais de le résumer ou de parler de ses points saillants. Nous pouvons placer la version intégrale de votre mémoire dans le dossier de la séance avec l'accord de nos collègues.
J'invite M. Sobrian à faire ses observations préliminaires au nom des Responsible Firearm Owners of Ontario.
M. Jules Sobrian (président, Responsible Firearm Owners of Ontario): Merci.
Monsieur le président, membres du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, on possède et on utilise des armes à feu depuis l'arrivée des premiers colons sur ce continent. Nos ancêtres les utilisaient pour nourrir leur famille et défendre leurs maisons. Au cours des deux guerres mondiales, les Canadiens ont été envoyés d'urgence à la guerre alors qu'ils n'avaient pratiquement fait aucun exercice de tir et, grâce à leur habileté dans le maniement des armes à feu, ils ont défendu la liberté de notre pays et libéré le monde de l'oppression.
Nous sommes des propriétaires d'armes consciencieux du Canada. Nous perpétuons cette tradition en chassant, en faisant du tir sur cible et en collectionnant les armes. Nous prenons des précautions pour notre propre bien et pour celui de nos compatriotes. Nous sommes fiers de notre tradition et nous apprenons à nos enfants à respecter les armes au lieu de les craindre. Les propriétaires d'armes consciencieux du Canada n'ont aucune aspiration paramilitaire.
Nous sommes confrontés à un petit groupe de personnes bien placées et financées par l'État, que les médias écoutent. Ils répandent des idées fausses en profitant de la peur des armes, des scènes que l'on voit au cinéma et à la télévision, du sensationnalisme que l'on retrouve dans les émissions d'actualité et de l'ignorance des règlements sur les armes à feu. Une de ces idées est que la facilité d'accès des armes à feu restreint la sécurité individuelle au lieu de l'accroître. Cette idée provient des articles pseudo-scientifiques de Kellerman et de ses collaborateurs. Le rédacteur en chef du New England Journal of Medicine, M. Jerome Kassirer, qui est un adversaire des armes à feu, publie dans une revue médicale renommée ces études qui sont faussées parce qu'elles sont faites avec des idées préconçues.
Les méthodes du Dr Kellerman et de ses collaborateurs ont été critiquées par des sociologues ainsi que par une organisation qui s'appelle Doctors for Integrity in Research and Public Policy. Malgré cela, notre ministre de la Justice et ses collègues continuent à répandre ces idées fausses mais politiquement correctes pour promouvoir leur cause injuste et déraisonnable. Le projet de loi C-68, qui repose incontestablement sur le principe que la société doit être protégée en traitant comme des criminels ceux qui détiennent légalement des armes à feu, est en fait le corollaire de cette idéologie.
La Coalition pour le contrôle des armes, qui est financée en majeure partie par la police, a distribué depuis cinq ans à des organisations nationales de la propagande indiquant que le moyen de lutter contre la criminalité, c'est de nous désarmer, nous qui sommes les victimes. Le comble, c'est que tout le système de justice se préoccupe tellement des droits des criminels qu'il n'est pas parvenu à protéger nos collectivités contre des criminels violents notoires.
Je tiens à signaler que les efforts qui ont été déployés dans d'autres pays pour lutter contre la criminalité au moyen d'un contrôle strict des armes détenues légalement ont eu l'effet contraire à celui escompté. Aux États-Unis par exemple, l'anarchie est devenue telle que la ville de New York a dû dernièrement rétablir la peine capitale. Les citoyens honnêtes ont déserté le centre-ville de Washington, D.C. et de Detroit, au Michigan, l'abandonnant aux criminels. En Grande-Bretagne, malgré l'interdiction quasi totale de la possession d'armes par des civils, le nombre de crimes commis avec des armes à feu a augmenté de 196 p. 100 de 1981 à 1991. À cause de cela, certains agents de la police britannique sont maintenant armés d'un revolver.
Le chef de police de Halifax, V.J. MacDonald, président de l'Association canadienne des chefs de police, a écrit ceci le 24 février 1995: «Le contrôle efficace des armes à feu n'est pas possible si l'on ne sait pas qui en possède».
L'inspecteur en chef Colin Greenwood du West Yorkshire Constabulary, en Angleterre, a écrit un ouvrage très érudit intitulé Firearms Control. Il est fondé sur des études et des recherches effectuées à l'Institut de criminologie de l'Université de Cambridge. L'auteur y tire des conclusions qui peuvent paraître plutôt étonnantes à ceux qui croient que le contrôle des armes à feu est une solution miracle pour faire disparaître la violence dans notre société: «Le contrôle strict des pistolets depuis un demi-siècle a donné des résultats catastrophiques. En effet, les criminels utilisent beaucoup plus souvent que jamais cette catégorie d'armes.»
C'est la même chose au Canada. Je cite:
- Un examen attentif de toutes les preuves disponibles nous permet de constater que malgré
la législation, un grand nombre des armes à feu échappe au contrôle et on ne peut certainement
pas affirmer que les contrôles stricts en ont réduit l'usage à des fins criminelles. On pourrait dire
par conséquent que ces contrôles n'ont pas donné beaucoup de résultats et ne justifient pas tout
le temps qui y est consacré par la police. En fait, il est possible d'élaborer une argumentation
solide en faveur de l'abolition ou d'une réduction importante de ces mesures de contrôle. Un
aspect important sur lequel il n'existe aucune statistique concerne les effets psychologiques de
ces mesures. On peut arguer que l'on a instauré une tradition qui réglemente la possession
d'armes à feu et que les mesures de contrôle ont contribué à faire considérer dans l'opinion
publique les armes à feu comme des objets qui peuvent être dangereux et dont la possession doit
être le plus possible limitée aux gens consciencieux. Il est évident que ces mesures auront plus
d'effet sur les citoyens respectueux des lois que dans la lutte contre les criminels.
- Ce n'est probablement pas en continuant à imposer d'autres restrictions aux propriétaires
légitimes que l'on arrivera à empêcher l'utilisation des armes à feu à des fins criminelles. Le
danger ne réside pas principalement dans l'inefficacité de ces restrictions, mais surtout dans la
conviction qu'elles résoudront le problème. Tant que cette croyance erronée persistera, on
n'accordera pas l'attention nécessaire aux véritables problèmes et on ne prendra pas les mesures
qui s'imposent de toute urgence.
M. James D. Wright est un criminologue de la University of Massachusetts qui est un adversaire des armes à feu et qui fut chargé par le président Carter de faire une étude sur les liens qui existent entre la possession d'armes et les crimes violents dans lesquels interviennent des armes à feu. Au bout d'une année d'étude, M. Wright a dit au président qu'une réglementation plus stricte des armes à feu ne se justifiait pas.
M. MacDonald a dit également que les adversaires du contrôle des armes à feu prétendent que l'enregistrement de celles-ci n'entraînera pas une diminution de la criminalité. Je signale qu'en Nouvelle-Zélande, l'enregistrement des carabines a été supprimé en 1983 parce que la force constabulaire a décidé que cela ne facilitait absolument pas le contrôle de la criminalité tout en mobilisant des ressources policières qui pourraient être affectées à des tâches plus utiles. Les fusils de chasse n'ont jamais été enregistrés dans ce pays-là.
Dans la phrase suivante, M. MacDonald dit ceci:
- En fait, l'Association canadienne des chefs de police estime que l'enregistrement rentable des
armes est la pierre angulaire du nouveau projet de loi concernant les armes à feu.
L'argument que M. MacDonald oppose à celui des adversaires du contrôle des armes à feu qui prétendent que cela ne réduira pas la criminalité est que l'enregistrement permettra de lutter contre le trafic et qu'il réduira le nombre de vols et de cas d'utilisation illégale d'armes à feu. Rien de tout cela ne peut être prouvé. Les propriétaires consciencieux d'armes à feu n'achètent pas d'armes volées ou passées en fraude. L'achat d'armes volées encourage le vol d'armes, y compris les nôtres.
Le seul moyen de lutter contre le trafic d'armes consiste à étouffer ce marché en gardant les acheteurs, qui sont des criminels, en prison. C'est la même chose que pour le trafic de cigarettes. L'activité disparaît quand le marché devient inexistant. Si, comme le prétend M. MacDonald, les douaniers se soucient davantage de faire payer les droits que de signaler le numéro de série des importations légales à la GRC, qu'on inscrive cette tâche dans leur exposé de fonctions. Les services de douanes expédient déjà à la GRC une série de formulaires donnant la description et le numéro de série des armes à feu. Où vont ces formulaires? Que l'on oblige les fonctionnaires à faire leur travail au lieu d'adopter des lois plus coûteuses et inutiles.
L'immatriculation des automobiles n'a jamais empêché les vols et ne facilite pas la récupération des voitures volées. L'entreposage en lieu sûr ne limite pas le nombre de vols. Il incite le voleur à faire preuve de plus d'ingéniosité comme le prouve le cas récent d'un voleur qui a amené sa torche d'oxycoupage pour découper la serrure d'une armoire à fusils.
L'entreprosage sécuritaire met uniquement les armes hors de portée des enfants. Dans une maison où il n'y a pas d'enfants, le fait de cacher les armes convenablement est un moyen de prévention plus efficace contre le vol que leur entreposage sécuritaire.
Par ailleurs, il est ridicule de prétendre que l'enregistrement réduit le nombre de cas d'utilisation abusive des armes à feu. Ceux qui sont poussés par la jalousie et par la rage tueront avec ou sans arme. Caïn n'a pas eu besoin d'arme à feu pour tuer Abel. À cause du projet de loi C-68, les homicides familiaux seront commis avec des armes enregistrées, ce qui facilitera le passage à l'étape suivante, l'interdiction totale des armes à feu par le ministère de la Justice.
Aucune loi concernant les armes à feu n'arrivera à réduire le nombre de suicides. Pour faire une telle affirmation, il faut être directement intéressé ou être un psychiatre raté qui voudrait rejeter la responsabilité sur autrui. J'ai été médecin de campagne pendant 32 ans et j'ai fait beaucoup de psychothérapie. Quand le lobby en faveur du contrôle des armes à feu a parlé de suicide impulsif, c'était la toute première fois que j'en entendais parler. Le suicide est un acte antisocial soigneusement préparé.
En fait, ce qui intéresse l'Association des chefs de police, ce sont les milliards de dollars que le système d'enregistrement fera rentrer dans les caisses de la police. Le ministre de la Justice et les chefs de police prétendent que le nombre de propriétaires d'armes à feu s'élève à 3 millions au Canada et que le nombre d'armes se chiffre à 5 millions. D'après une étude faite par les Nations Unies en 1992, le nombre de propriétaires d'armes était de 7 millions et le nombre d'armes, de 28 millions. Si actuellement l'enregistrement d'une arme à feu coûte 82$, les frais globaux d'enregistrement dépasseront les 2 milliards de dollars. La police refuse de permettre à une organisation civile de le faire parce qu'elle veut les revenus supplémentaires que cela apportera.
Mme Susan Eng, ex-présidente de la Commission des services de police de Toronto a reproché dernièrement à la ville de Toronto du subventionner les propriétaires d'armes, à raison de 93$ par autorisation d'acquisition d'armes à feu. À raison de 143$ par permis, l'octroi de permis à tous les propriétaires d'armes à feu du pays coûtera un milliard de dollars. Le système proposé coûtera plus de 3 milliards de dollars.
Les propriétaires d'armes ne voudront pas payer, non plus que les contribuables, lorsqu'ils apprendront la vérité. De toute façon, il ne faut pas s'attendre à ce que les propriétaires d'armes paient la facture de cette idylle ridicule entre M. Allan Rock et l'élite policière.
Faire remonter une arme à feu à son premier propriétaire ne pourra ni résoudre ni prévenir les crimes. C'est seulement un projet conçu pour créer un travail inutile qui est une obsession pour la police, désireuse d'impressionner le public hostile aux armes à feu en accusant le propriétaire de ne pas avoir conservé son arme en lieu sûr. Et c'est aussi un prétexte pour confisquer le reste des armes à feu des victimes.
Lorsqu'il a comparu devant le comité le 24 avril 1995, le ministre de la Justice a déclaré que le projet de loi C-68 est une occasion de bâtir le genre de société dans lequel nous voulons vivre et dans lequel nous voulons élever nos enfants. Quel genre de société le projet de loi créera-t-il?
En plus d'imposer l'enregistrement des armes d'épaule et de proscrire toute une gamme d'armes de poing et de carabines semi-automatiques, sans raison valable, le projet de loi C-68 sape toute notre notion de droits et de libertés personnelles. Les articles 99 à 101 inclusivement autorisent un policier à perquisitionner chez un citoyen sans mandat, pourvu qu'il soupçonne l'existence d'irrégularités en ce qui concerne des armes à feu ou des munitions; le policier peut obtenir un mandat s'il a des soupçons, sans que le citoyen ne puisse défendre ses droits devant le juge. Il peut confisquer des biens du citoyen, une fois entré chez celui-ci, sans les lui rendre même si l'intéressé n'est coupable de rien; il peut forcer le citoyen à collaborer avec lui contre son propre intérêt, lui refuser le droit de garder le silence et présumer qu'il est coupable jusqu'à ce qu'il prouve son innocence; enfin, il peut considérer quelqu'un comme coupable par association.
Je n'arrive pas à m'imaginer qu'un Canadien puisse accepter de vivre en connaissance de cause sous un régime aussi injuste. N'oublions pas ceux qui ont combattu et sont morts dans deux guerres mondiales pour prévenir une chose pareille.
L'article 110 du projet de loi, sur la réglementation, vient couronner l'impensable. Sans consulter nos représentants élus, le gouverneur en conseil pourrait agir de façon aussi capricieuse que M. Rock et ses collègues en mettant l'obtention de permis de possession d'armes à feu hors de portée des Canadiens, en décidant des besoins d'armes à feu du public, en prenant des règlements pour interdire les clubs de tir, en imposant des règles pour prohiber les collections d'armes, les salons d'armes à feu, et ainsi de suite. Cela permettrait à un gouvernement hostile aux armes à feu d'interdire aux civils, dans les 15 minutes qui suivraient l'adoption du projet de loi, de posséder et d'utiliser des armes à feu. Ce serait la fin de la démocratie au Canada, puisqu'il serait impossible d'en appeler d'une décision du Parlement.
Il faut que le gouvernement prête une oreille attentive au vérificateur général et à Statistique Canada. Nous n'avons pas besoin d'une autre loi sur le contrôle des armes à feu. Criminaliser le fait de posséder une arme à feu est une chose si répugnante qu'il faut rejeter le projet de loi C-68. Ce qu'il nous faut, c'est une refonte intégrale du ministère de la Justice. Les gens qui ont gaspillé des millions de dollars de nos impôts pour vendre ce projet de loi devraient être victimes des compressions dans la fonction publique. Le public est d'avis que la police n'est plus contrôlée et que le ministère de la Justice favorise les ambitions d'une grande partie des élites policières en se servant du projet de loi C-68 pour créer un État policier sous prétexte d'une lutte contre le crime.
Il faut ordonner à la police de se consacrer à sa tâche de protéger le public plutôt que d'essayer de faire de nous des victimes. Puisque 70 p. 100 des crimes violents sont commis par des récidivistes, il est évident que le système judiciaire et sa procédure d'appel sont inefficaces pour mettre la société à l'abri des criminels dangereux. Le 25 avril 1995, M. Rock a déclaré à la télévision que nous ne voulions pas d'une société dans laquelle les citoyens devraient porter des armes à feu pour se protéger. La seule façon d'y arriver, c'est de faire disparaître une fois pour toutes les criminels dangereux de nos rues et de nos villes et de cesser de protéger les jeunes contrevenants de leur punition.
Comme l'Association médicale canadienne, nous sommes favorables à l'objectif du projet de loi, mais nous sommes sûrs qu'il ne sera jamais atteint avec la démarche choisie par le ministre de la Justice. M. Rock a délibérément induit la Chambre des communes en erreur lorsqu'il a déclaré, le 15 janvier 1995, que l'Association médicale canadienne était favorable à l'enregistrement universel des armes à feu. Les dispositions du projet de loi qui portent sur le contrôle des armes à feu sont inutiles, et les abus dont feront l'objet les Canadiens qui possèdent des armes à feu au nom de la Charte des droits et libertés sont immoraux.
Nous n'avons pas été bernés par les arguments aussi incroyables qu'artificiels et mensongers de M. Rock contre la propriété légale d'armes à feu. Tous les Canadiens dignes de confiance espèrent que les membres du comité leur prêteront une oreille plus attentive que le ministre de la Justice ne l'a fait depuis 12 mois.
Les membres de la Responsible Firearms Owners of Ontario vous remercient.
[Français]
La vice-présidente (Mme Barnes): Commencez.
M. Gilbert Gour (directeur, Regroupement pour une gestion efficace de la possessiond'armes à feu): Bonsoir.
La vice-présidente (Mme Barnes): Bonsoir.
M. Gour: Le projet de loi C-68: un message clair contre la violence. Voici la ligne la plus souvent utilisée pour décrire le projet de loi du ministre de la Justice Allan Rock, mais cette affirmation est-elle fondée?
Depuis l'événement de la Polytechnique, les médias et les politiciens ont entrepris de rejeter toutes les fautes de la société sur les possesseurs d'armes à feu. Il est vrai qu'il était plus simple de trouver un bouc émissaire que de poser les gestes qui s'imposaient.
Il est effectivement difficile d'expliquer à la population profane canadienne que le travail d'enquête du registraire aux armes à feu avait été mal fait, que les services de la police de la Communauté urbaine de Montréal avaient commis plusieurs bévues d'exécution et que finalement, une fois sur place, l'ordre fut lancé de ne pas pénétrer à l'intérieur de l'établissement à 17h31 et 16 secondes précises alors qu'il était encore inconnu aux forces policières que Lépine s'était suicidé trois minutes plus tôt.
Qui sait combien d'innocentes victimes Marc Lépine aurait pu abattre s'il n'avait pas décidé de mettre lui-même fin à cet épisode de folie meurtrière. Sachez que Marc Lépine n'a jamais été inquiété par la présence policière.
Maintenant, essayez d'expliquer à une population qu'il est et sera toujours impossible de prévoir et encore moins d'éviter qu'un pareil geste ne se produise.
La folie meurtrière a ceci de déconcertant: elle est et sera toujours imprévisible.
Donc, dans les mois qui ont suivi, certains politiciens ont vite réagi sur l'indignation collective que le geste de Marc Lépine avait suscitée, et qu'il pourraient ainsi se donner la visibilité nécessaire afin de pouvoir accéder au poste de premier ministre.
Ce fut le cas de la ministre de la Justice du précédent gouvernement, une certaine Kim Campbell. Mais elle n'avait pas compté sur la mémoire des honnêtes gens qu'elle venait de traiter en vulgaires criminels, en leur saisissant sans compensation des biens qu'ils avaient légalement acquis.
Valérie Fabrikant donna encore plus de munitions aux groupes prohibitionnistes. En effet, ces derniers redoublèrent d'efforts en déclarant que si Fabrikant n'avait pas eu accès à une arme à feu, il n'aurait pu commettre tous ces meurtres. De plus, ces derniers clamaient haut et fort que les événements de Concordia étaient la preuve que C-17 n'avait pas été assez loin. Se basant sur les mêmes événements, les regroupements de possesseurs d'armes à feu du Canada concluaient que Concordia était la preuve qu'aucune loi contrôlant l'accès légal aux armes à feu ne pourrait arrêter une personne décidée à commettre un geste aussi répréhensible que l'homicide.
Au-delà de tous les débats philosophiques sur le sujet, personne ne parla de l'attitude de la Sûreté du Québec, qui n'a effectivement rien fait pour contrecarrer les plans de M. Fabrikant alors qu'ils avaient pourtant les moyens légaux pour le faire.
En effet, la Sûreté du Québec pouvait aller saisir les armes de Valérie Fabrikant et de sa femme en vertu des articles 103 et 112(2), qui permettent la saisie des armes sans mandat lorsque la police est convaincue qu'il existe un motif raisonnable de croire que la sécurité d'autrui est en jeu. Ces derniers auraient reçu, selon nos renseignements, plus d'un appel des autorités de Concordia, mais la Sûreté du Québec n'aurait pas agi.
Après toutes ces bévues, nous comprenons pourquoi les chefs de police du Canada et du Québec ont décidé de mettre le blâme sur les possesseurs légitimes d'armes à feu en affirmant devant ce Comité que l'enregistrement des armes à feu aurait évité la tragédie de Sainte-Marie de Beauce. En effet, M. Clément Mercier, entrepreneur de pompes funèbres, victime d'une profonde dépression nerveuse en embaumant un de ses meilleurs amis, décida d'abattre sa fille, Cyndy Faucher. Par la suite, Mercier fit feu sur le chef de police de la région qui était une connaissance, pour finir par mettre fin à ses jours en se pendant.
L'agresseur avait déjà eu une interdiction de possession d'armes à feu alors qu'il avait fait feu en direction de son frère lors d'un premier épisode dépressif, mais pour une raison qui nous est encore inconnue, quelqu'un lui aurait remis ses armes. Qui a pris cette décision? Est-ce un juge? Qui lui a remis ses armes? Serait-ce un policier?
S'il était toujours en interdiction de possession, avait-il en sa possession son permis d'acquisition d'armes à feu? Finalement, en quoi l'enregistrement des armes à feu de Clément Mercier aurait pu aider à éviter ce drame? À quoi bon créer de nouvelles lois si celles qui sont déjà en place ne sont même pas respectées? Le cirque continue. Et pendant ce temps, rien ne sera mis en place afin d'essayer d'enrayer la cause de cette violence.
C-68: un message clair contre la violence? Non, rien de plus q'un écran de fumée, tout comme l'était C-17.
[Traduction]
M. Gordon Prieur (membre, Regroupement pour une gestion efficace de la possession d'armes à feu): Il nous faut des mesures pour contrôler les armes à feu, ce que nous avons d'ailleurs au Canada depuis 1969. Voulons-nous, toutefois, contrôler les gens ou les armes à feu?
La loi existante est si compliquée que les avocats de la Couronne et les magistrats ont du mal à l'appliquer. Nous donnons à entendre au comité qu'elle devrait être simplifiée et qu'on devrait notamment revoir les dispositions qui touchent les jugements, tout particulièrement à l'égard des droits conférés par la Charte. Si vous adoptez ce projet de loi tel quel - et c'est sans doute ce que vous allez faire - cela signifie qu'un policier pourra entrer chez vous et faire une fouille sans mandat de perquisition, en invoquant n'importe quelle raison. Ce n'est pas ainsi qu'on fait les choses dans la société canadienne. Telle n'est pas notre pratique au Canada; ce genre de fouille n'est d'ailleurs reconnu nulle part au monde. Pourquoi nous démarquer de la sorte de toutes les sociétés du monde?
Je vous remercie.
M. H. Taylor Buckner (professeur agrégé de sociologie, Université Concordia, Montréal): Je comparais devant vous aujourd'hui en tant que sociologue qui suit le débat sur le contrôle des armes à feu depuis 30 ans, depuis le temps où j'étais policier, et en tant qu'expert en recherche par sondages - une discipline que je pratique et que j'enseigne depuis 35 ans - ainsi qu'en tant que membre de la Fédération québécoise de tir, en tant qu'instructeur du cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu donné par la Fédération québécoise de la faune, et apparemment en tant que l'un des 5 000 membres de la Coalition pour le contrôle des armes. Je ne vais parler dans mon exposé que de la recherche que j'ai effectuée moi-même.
Premièrement, c'est moi qui me suis mis en rapport avec le groupe de travail sur le contrôle des armes à feu pour lui proposer l'étude qui a permis d'estimer que les Canadiens possèdent environ 6 millions d'armes à feu. Je lui ai écrit une lettre à cet effet. Le groupe de travail a fait faire l'étude sans même me répondre, mais il a trouvé une façon de la faire à bon marché, ce qui a foutu les résultats en l'air - pardonnez-moi cette expression.
Selon les calculs que j'ai faits à partir d'un sondage que nous venons de terminer en janvier 1995, sondage qui a été financé par les fédérations provinciales de la faune et par les fédérations de tir de partout au Canada, les résultats de l'étude du gouvernement, qui forment la base de la loi fédérale sur le contrôle des armes à feu, sont erronés dans une proportion de 24 p. 100, si ce n'est davantage. C'est sans doute le cas. Cela aura des conséquences sur les coûts, je pense.
La mise en place d'un système global d'enregistrement des armes à feu suscite à juste titre la controverse. Personnellement, j'envoie régulièrement la liste de toutes mes armes à feu, enregistrées ou non, à la Sûreté du Québec pour qu'elle puisse figurer à mon dossier au cas où mes armes à feu seraient volées pendant mon absence, ou au cas où les armes à feu et les permis qui s'y rattachent seraient détruits dans un incendie. Mais l'enregistrement universel est-il une bonne politique?
Pour que l'enregistrement permette de réduire le nombre de morts liées aux armes à feu, il faudrait qu'il soit relativement à jour et complet, à tout le moins. Pour que l'enregistrement serve à l'exécution de décrets d'interdiction, il devrait être à jour, complet et exact.
Avec le sondage de 1995, nous avons décidé de savoir qui enregistrait ces armes à feu. Nous avons demandé aux propriétaires d'armes à feu s'ils comptaient enregistrer toutes leurs armes à feu, certaines d'entre elles, ou aucune d'entre elles, si la proposition du gouvernement de légiférer pour faire enregistrer toutes les armes à feu devait être adoptée. Globalement, 71 p. 100 des propriétaires d'armes à feu, avec une marge d'erreur de plus ou moins 6 p. 100, ont déclaré qu'ils les enregistreraient toutes. En d'autres termes, environ deux millions d'armes à feu, appartenant à plus du quart des propriétaires de telles armes, n'allaient pas être enregistrées. Bien entendu, avec le temps, avec beaucoup d'argent et bien des poursuites au pénal, il serait certainement possible d'arriver à enregistrer plus de 71 p. 100 des armes à feu. Il y a d'autres facteurs qui pourraient réduire la proportion des armes enregistrées.
J'aimerais en mentionner trois. Premièrement, une des difficultés que nous avons au sujet de l'estimation du nombre d'armes à feu, c'est que les femmes qui possèdent des armes hésitent à le dire ou à déclarer qu'elles ont des armes chez elles. Nous attribuons à ce phénomène une grande partie de la sous-estimation du nombre d'armes à feu au Canada. Notre sondage nous a permis de recenser un petit nombre seulement de femmes propriétaires d'armes à feu, et seulement 40 p. 100 d'entre elles ont dit qu'elles allaient enregistrer toutes leurs armes. Statistiquement, il y a moins d'une chance sur 100 que cet écart entre les sexes ait été causé par une erreur d'échantillonnage.
La tendance favorable à l'enregistrement des armes à feu varie en outre énormément selon la région du Canada; 86 p. 100 des Québécois et seulement 58 p. 100 des citoyens des Prairies qui possèdent des armes à feu ont déclaré qu'ils allaient enregistrer toutes leurs armes. Il y a moins d'une chance sur 25 que ces différences régionales soient imputables à une erreur d'échantillonnage.
Les raisons pour lesquelles les propriétaires d'armes à feu hésitent à les enregistrer sont faciles à comprendre. Bien des agriculteurs ont une vieille carabine Lee-Enfield d'une valeur d'environ 60$. Ils ne sont peut-être pas très tentés de payer 60$ tous les cinq ans pour leur permis de possession de cette arme, plus le coût de son enregistrement. D'autres propriétaires d'armes à feu, dont peut-être certaines des femmes de l'échantillon, ne voulaient pas que quiconque sache qu'elles avaient une arme à feu pour se protéger. J'ai interrogé certaines des femmes qui vivent seules dans la région rurale que j'habite, et je pense que c'est une de leurs raisons de ne pas vouloir enregistrer leurs armes. D'autres craignent bien sûr que leurs armes ne finissent par être prohibées et, bien qu'on qualifie cette réaction de paranoïaque, le fait est que le gouvernement a prohibé un demi-million d'armes de poing au moment où il a déposé ce projet de loi, en déclarant qu'il voulait aussi interdire des carabines couramment utilisées comme armes de chasse et de tir sportif. Par conséquent, certains propriétaires d'armes à feu ont quelque difficulté à ajouter foi aux assurances que cela n'arrivera pas.
Le marché noir semble capable de remplacer toutes les armes à feu conservées en lieu sûr que les criminels ne peuvent pas voler. On a avancé l'argument que, avant qu'une querelle familiale n'éclate, les personnes en cause qui respectent les lois vont enregistrer leurs armes à feu afin que la police puisse les saisir au moment du conflit. Or, les maris qui tuent leur femme tendent typiquement à avoir des casiers judiciaires, à avoir des problèmes de drogues ou d'alcoolisme et à vivre des difficultés économiques. Ces gens-là ont des antécédents de querelles violentes avec leur femme sans que la police le sache. Il semble peu probable que beaucoup de gens de ce genre enregistrent leurs armes à feu parce que, comme notre tableau le démontre, 46 p. 100 seulement des conjoints de fait - ont déclaré qu'ils enregistreraient toutes leurs armes à feu. Or, il y a huit fois plus de meurtres de conjoints et 15 fois plus de meurtres de maris parmi les conjoints de fait que chez les gens légalement mariés. En d'autres termes, les conjoints de fait sont très peu susceptibles d'enregistrer leurs armes à feu.
De plus, les célibataires, qui représentent environ 45 p. 100 des personnes accusées d'homicide, sont nettement moins susceptibles que la moyenne de déclarer qu'ils vont enregistrer toutes leurs armes à feu. Il s'ensuit que les gens qui tendraient le plus à utiliser des armes à feu à des fins criminelles sont précisément les moins susceptibles de les enregistrer. Il y a moins d'une chance sur 100 que les différences que le sondage a révélées à cet égard selon l'état civil aient été causées par une erreur d'échantillonnage.
En ma qualité d'ancien policier, je ne peux pas imaginer qu'un policien sensé ait quelque confiance en un système susceptible de ne pas être respecté par les éléments les plus dangereux de la société.
Prenons comme objectif d'enregistrement environ huit millions d'armes à feu au Canada. Il y a juste un peu plus de 4 000 mauvaises utilisations d'armes à feu par année, un peu moins de 3 000 armes à feu perdues ou volées, ce qui comprend les armes illégales utilisées pour commettre des crimes - et il y a bien entendu des armes perdues dans des embarcations - 1 100 suicides, juste un peu moins de 250 homicides et environ une soixantaine d'accidents mortels. Toutes catégories confondues, cela équivaut à un vingtième de 1 p. 100 de toutes les armes à feu qui sont utilisées à mauvais escient; autrement dit, que 99,5 p. 100 des armes à feu qu'il y a au Canada ne présentent aucun intérêt pour le système judiciaire. Enregistrer les 99,95 p. 100 des armes à feu qui ne présentent aucun intérêt à ce titre pour trouver les 0,05 p. 100 qui restent revient à essayer de trouver une aiguille dans une meule de foin en enregistrant chaque brin de foin.
Selon la GRC, au cours des cinq dernières années, seulement 1 p. 100 des demandes d'autorisation d'acquisition d'armes à feu ont été rejetées. Ceux qui pensent se voir refuser l'autorisation ne cherchent même pas à l'obtenir. Ceux qui ont un casier judiciaire, ou qui souffrent d'instabilité mentale, ou qui sont en situation de conflit domestique et possèdent une arme à feu qu'ils ont peut-être reçue en héritage ou achetée avant 1978, ou peut-être volée, sont peu susceptibles de demander un permis de possession d'arme à feu parce qu'il leur serait refusé après enquête. Sans ce permis, aux termes du projet de loi C-68, ils ne pourraient enregistrer leurs armes à feu. Si le gouvernement envisage d'émettre des permis à tous les détenteurs actuels d'armes à feu sans enquête sérieuse, de nombreuses personnes qui feraient sans doute un mauvais usage de leurs armes à feu deviendront des détenteurs de permis de possession d'armes à feu et l'enregistrement sera très rapidement perçu comme un échec.
En vertu de l'article 33, le projet de loi exige que les agents de police consignent et autorisent toute transaction entre propriétaires d'armes à feu qui auront déjà, il faut le supposer, fait l'objet d'une enquête et reçu l'approbation officielle. Ces mesures demanderont beaucoup de temps et ajouteront à la paperasserie. Il n'y a que 56 774 agents de police au Canada, et ils sont déjà occupés à plein temps. Plutôt que de faire réaliser des enquêtes sur des millions de Canadiens qui se révéleront respectueux des lois à presque 100 p. 100, on ferait sans doute une utilisation plus efficace des ressources policières en demandant à ces dernières de cibler les individus les plus aptes à faire un mauvais usage des armes à feu. Même si 95 p. 100 des propriétaires d'armes à feu les enregistraient, chiffre énorme et sans doute inatteignable, les armes à feu qui seraient sans doute les plus susceptibles d'être utilisées dans des cas d'homicides reliés à la violence conjugale ou aux activités criminelles ne seront pas enregistrées pour la plupart.
L'idée selon laquelle l'enregistrement réduira le nombre des suicides et des accidents dépend d'une chaîne d'événements tortueux et improbables. Premièrement, le propriétaire doit enregistrer son arme à feu. Ensuite, du simple fait de cet enregistrement, il sentira le besoin de sortir acheter des verrous ou un coffre-fort qu'il n'aurait pas acheté s'il n'avait pas enregistré son arme à feu. Ensuite, encore à cause de l'enregistrement de son arme à feu, il devra faire des efforts soutenus pour que ses armes à feu ne tombent pas entre les mains d'autres personnes de sa maisonnée qui pourraient en faire un mauvais usage, chose qu'il n'aurait pas fait, n'est-ce pas, s'il n'avait pas enregistré ses armes. Un ou deux suicidés éventuels devront peut-être se trouver un sac en plastique, une falaise, ou une voiture et un garage. Peut-être évitera-t-on ainsi une ou deux morts accidentelles, mais ce n'est que pure conjecture.
La plupart des avantages qu'on compte tirer du système d'enregistrement ont déjà été réalisés à l'aide du système d'autorisation d'acquisition d'armes à feu et du cours canadien de sécurité dans le maniement des armes à feu. Le fait que les ressources policières seront drainées par le système d'enregistrement, qui ne produira que des avantages additionnels marginaux, pourrait très bien signifier qu'il y aura moins de ressources pour faire enquête et prévenir les problèmes. Somme toute, il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce que l'enregistrement des armes à feu permette de sauver des vies.
Il est aussi irréaliste de penser que l'enregistrement permettra de résoudre un grand nombre de crimes ou de retracer les propriétaires d'armes à feu. Seuls les voleurs les plus négligents et stupides omettront d'enlever le numéro de série de toute arme qu'ils auront volée et sans lequel on ne peut en retrouver le propriétaire. Non, nous pouvons plutôt prévoir une foule de mises en accusation de nature technique contre les propriétaires d'armes à feu qui n'auront pas suivi à la lettre toutes les dispositions de cette loi complexe. Même les policiers vont avoir du mal à comprendre cette loi, selon moi.
Au cours des 20 dernières années, les taux d'homicides, d'accidents et de suicides imputables à l'utilisation d'armes à feu ont tous baissé et l'incidence des crimes à main armée est restée constante. Aucune preuve ne laisse supposer qu'un système d'enregistrement des armes à feu ajoutera à la sécurité des Canadiens. Toutefois, comme vous avez pu en juger d'après le courrier que vous avez reçu, tout laisse supposer que la mise en oeuvre d'un système d'enregistrement causera une désaffection considérable de certains membres de la société canadienne. L'enregistrement ne me semble présenter aucun avantage pour qui que ce soit.
Finalement, j'aimerais citer ce qu'a dit le président de ce comité à propos de l'enregistrement universel des armes à feu:
- Mais en ce qui concerne les 10 millions d'armes à canon long qui existent au Canada, je pense
que le système de l'immatriculation serait inapplicable et peu pratique, en comparaison des
avantages qui seraient donnés.
La vice-présidente (Mme Barnes): Nous passons maintenant aux questions; nous ferons des tours de dix minutes.
[Français]
Nous allons commencer avec M. Bellehumeur.
M. Bellehumeur (Berthier - Montcalm): D'accord, merci beaucoup. Je vais y aller à tour de rôle.
Ma première question s'adresse au Dr Jules Sobrian.
J'ai lu quelques articles, entre autres, dans le Globe and Mail. Certains d'entre eux vous citaient ou publiaient vos communiqués et j'aimerais que vous les commentiez car ces citations sont assez importantes. Ainsi, je pourrais peut-être mieux saisir votre pensée, comprendre votre position et analyser le sérieux de votre contribution dans l'étude de ce projet de loi.
La première est dans l'édition du 26 novembre 1994 et je vous cite: «La plupart des Canadiens pensent que ce qui empêcherait la guerre est de se mettre à genoux et de s'appuyer le front sur le sol. Si vous voulez prévenir la guerre, vous devez vous armer pour la guerre. Jusqu'à maintenant, nous n'avons pu obtenir des propriétaires d'armes à feu un accord sur un calibre identique. Cependant, si les sept millions de propriétaires d'armes à feu s'entendaient, nous pourrions changer cet état de chose».
Que vouliez-vous dire, docteur?
[Traduction]
M. Sobrian: Par cela, je voulais dire que dans le passé nous n'avons jamais pu faire en sorte que les Canadiens se manifestent clairement et fermement sur quoi que ce soit. Si cinq d'entre nous vont à la chasse, deux voudront aller à la chasse à la marmotte, alors qu'un autre préférera chasser le chevreuil, un quatrième voudra aller à la chasse au canard et le cinquième préférera la chasse à l'orignal. Les Canadiens sont très difficiles. Ils sont individualistes et pacifiques. Ainsi, pendant des années, chaque fois que nous avons été confrontés à une nouvelle mesure de contrôle des armes à feu, les Canadiens ont réagi en disant que ça ne signifiait rien, qu'on allait les laisser tranquilles dorénavant et qu'il n'y avait pas lieu de se manifester. Conséquemment, le programme de contrôle des armes à feu continue de prendre de l'ampleur, alors que les Canadiens ne réagissent aucunement. J'essaie d'encourager ceux qui pensent comme moi à se faire entendre, à se manifester.
Ai-je bien expliqué mes propos?
[Français]
M. Bellehumeur: Pourquoi dites-vous que, si vous voulez prévenir la guerre, vous devez vous armer pour la guerre?
Je vais vous donner d'autres citations car, ce que je me demande en bout de ligne, c'est si vous pensez vraiment que ces citations-là ou la prise de position que vous amenez peut vraiment aider la cause que vous défendez.
Je pense que vous êtes sincère quand vous défendez ce que vous défendez présentement. Mais en disant des choses comme: «Un contrôle plus serré des armes à feu garantira désormais la sécurité des criminels...», est-ce que vous pensez que ça peut aider votre cause?
[Traduction]
M. Sobrian: En ce qui me concerne, je pense que des études effectuées de par le monde entier ont montré que le contrôle accru des armes à feu des citoyens respectueux des lois n'a fait que donner le champ libre aux activités des criminels. Vous pouvez prendre le cas de la ville de New York, de Newark au New Jersey, ou de Detroit au Michigan. Dans tous ces endroits, on a mis en place un système très serré de contrôle des armes à feu - beaucoup plus sévère qu'au Canada - et vous n'avez qu'à voir ce qui s'est passé. À Washington, D.C. les honnêtes gens ont quitté la ville. Le taux d'homicides a atteint 86,9 par 100 000 habitants. Voilà l'effet d'un contrôle des armes à feu excessif.
Si vous augmentez le contrôle des armes à feu, vous armez le criminel, comment conclure autre chose? C'est proportionnel. En désarmant les honnêtes gens, les criminels se trouvent mieux armés qu'eux.
Souvenez-vous que dans tous les sondages effectués auprès des prisonniers, ceux-ci disent toujours avoir peur de rencontrer un chef de maisonnée armé. Ils ne s'attendent pas à rencontrer un policier.
[Français]
M. Bellehumeur: Dire que ce projet de loi désarmera les honnêtes gens... Moi, je voudrais bien vous suivre. Je ne dis pas qu'il n'y a aucun amendement à apporter à cette loi. Au contraire, je pense qu'il y a des amendements à apporter.
Mais sur le principe même de l'enregistrement, je ne comprends pas qu'il y ait des personnes au Canada qui soient contre l'enregistrement des armes à feu et qui disent que le projet de loi C-68 désarmera les honnêtes gens. Je ne peux pas comprendre cela et je crois que très peu de monde peut comprendre un argument semblable.
[Traduction]
M. Sobrian: C'est très simple. Au début de ce combat, en avril 1994, Allan Rock a dit qu'il prendrait toutes nos armes à feu, toutes nos armes de poing, s'il en avait les moyens. Nous avons vu le contrôle des armes à feu s'étendre alors que l'État a pris en sa possession, interdit, enregistré ou prohibé un nombre croissant d'armes à feu. J'y vois une escalade. Le projet de loi C-68 n'est qu'un échelon, selon nous, de l'échelle de la confiscation. Sans l'enregistrement, le gouvernement du Canada ne peut confisquer nos armes à feu parce qu'il ne sait pas où elles se trouvent.
Est-ce trop simple ou trop difficile à comprendre? Je répète la même chose depuis un an. Nous ne pouvons enregistrer nos armes à feu, car si nous le faisons, on nous les confisquera; et quand on nous les aura enlevées, les criminels seront les seuls à avoir des armes à feu. La prochaine étape sera de désarmer la police.
[Français]
M. Bellehumeur: Je ne veux pas y mettre plus d'importance que cela en a mais vous dites, dans un communiqué du 22 octobre 1994, que le Bloc québécois souhaite le désarmement du Canada.
Pouvez-vous m'expliquer ces propos?
[Traduction]
M. Sobrian: Je ne comprends pas pourquoi le Bloc québécois s'intéresse si vivement au projet de loi C-68 qui vise le Canada. Au cours des quelques mois à venir, nous nous attendons à ce que le Bloc québécois dirige son propre pays. Pourquoi s'intéresse-t-il à notre pays? Nous n'allons pas partir. Nous allons continuer d'en faire partie. Laissez notre pays en paix.
[Français]
M. Bellehumeur: Sur cela, je suis obligé de vous donner raison.
Ma prochaine question est la suivante. Je voudrais savoir le lien qui existe entre les deux organismes suivants: le Regroupement pour une gestion efficace de la possession d'armes à feu et la Fédération québécoise de tir. Est-ce que ce sont des organismes affiliés?
M. Gour: La Fédération québécoise de tir est une association qui fait la promotion du tir sportif et de la manipulation sécuritaire des armes à feu dans un but sportif. Le Regroupement pour une gestion efficace de la possession d'armes à feu est ce que les Américains appellent un think-tank. Donc, c'est un regroupement de tireurs, d'instructeurs, d'avocats, de sociologues et de psychologues qui se rencontrent, pendant de longues soirées, pour discuter de la loi et des effets de la loi ainsi que des différentes études qui ont été faites un peu partout afin de se prononcer sur ce qui est proposé actuellement.
M. Bellehumeur: J'ai entre les mains un mémoire que la Fédération québécoise de tir et le Regroupement pour une gestion efficace de la possession d'armes à feu ont déposé devant le coroner, Mme David.
Dans ce mémoire, vous faites des recommandations sur leur impact au niveau de l'entreposage. C'est assez intéressant. Vous dites: «En d'autres termes, il serait nécessaire d'entreposer tous les types d'armes de la manière suivante: elles devraient être déchargées, munies d'un verrou ou d'un pontet, placées dans un contenant résistant et verrouillé et, par la suite, entreposées dans un endroit verrouillé».
Donc vous êtes pour certaines mesures de sécurité, vous voyez qu'il y a un manque en quelque part pour faire de telles recommandations.
M. Gour: C'est ça. Comme on le dit dans le mémoire, si vous avez pris la peine de le lire au complet, au niveau de l'entreposage sécuritaire, le seul effet que l'on peut voir, c'est surtout au niveau des accidents impliquant des enfants. Il est officiel qu'une arme qui est bien entreposée va éviter que des mains inexpérimentées et non autorisées les manipulent et causent des accidents regrettables dont on entend parler une ou deux fois par année. Par contre, au niveau du suicide, comme je disais dans le mémoire et lors de la présentation, si moi j'ai envie de me suicider avec mon arme, je n'ai aucune difficulté à prendre ma clé et... Bon, ma réponse ne vous satisfait pas.
M. Bellehumeur: Non, pour cela, je vous comprends. Si vous n'avez pas de fusil, vous pouvez faire autre chose pour vous suicider.
M. Gour: Non, ce n'est pas cela du tout que je vous dis. Si en partant, j'ai la clé de mon coffre, l'entreposage et tous les mécanismes que je peux mettre dessus ne m'empêcheront pas de me suicider avec mon arme, parce que j'ai toutes les clés pour défaire mes mécanismes. Le seul impact qu'aurait l'entreposage sécuritaire est sur les accidents mortels et les accidents non mortels avec des enfants.
[Traduction]
M. Ramsay (Crowfoot): J'aimerais remercier nos témoins de leurs exposés. Je dois admettre que je les ai écoutés avec plaisir, ce qui pourra en surprendre certains, et d'autres non.
C'est l'article 110 qui révèle le véritable esprit qui anime ce projet de loi, selon moi. C'est de la santé et de la sécurité des membres de notre société que nous sommes censés discuter, et c'est ce que ce projet de loi est censé promouvoir.
Et pourtant, qu'est-ce que le gouvernement fait avec l'article 110? Il s'ingère dans un secteur qui a traditionnellement été de compétence provinciale, en prenant des règlements applicables aux clubs et aux champs de tir, aux dossiers qu'ils doivent tenir, et ainsi de suite, jusqu'à l'organisation de salons des armes à feu. Il n'y a pas là de problèmes de santé et de sécurité. Qu'est-ce que le gouvernement fédéral fait en s'ingérant dans ces secteurs? Pourquoi? S'il y a un problème de santé et de sécurité, fort bien, mais se servir de l'argent des contribuables pour s'ingérer dans un secteur où tout va déjà bien...
Quand j'analyse l'intention de ce projet de loi, telle qu'elle apparaît dans l'article 110, j'y vois une fausseté. Je regarde les témoins et je vois chez eux des expressions extrêmes. C'est peut-être vrai pour les deux camps.
On exagère certainement lorsqu'on a estimé que les 1 400 décès causés par l'utilisation d'armes à feu créent un déficit sociétal de quelque six milliards de dollars, car il suffit de faire une petite division pour constater que chaque décès causé par l'utilisation d'une arme à feu coûterait 4,25 millions de dollars. Si nous multiplions cette somme de 4,25 millions de dollars par le nombre de personnes décédées cette année, nous aurions perdu près de 800 milliards de dollars par suite de morts subites, de morts accidentelles, et ainsi de suite. Je comprends que, dans certains cas, les gens sont morts d'une crise cardiaque ou de mort naturelle à l'hôpital de sorte qu'il n'y a pas eu d'enquête policière et que leur mort n'a rien coûté à ce titre.
J'aimerais que l'un d'entre vous dise ce qu'il pense, d'abord, de cette ingérence dans un champ de compétence provinciale que représente l'article 110 du projet de loi. J'aimerais aussi particulièrement que M. Sobrian nous dise ce qu'il pense du raisonnement qui a donné une formule selon laquelle chacun des 1 400 décès en question coûterait 4 250 000$ à la société.
M. Sobrian: Cela me dépasse totalement. Il n'y a jamais d'enquêtes policières aussi poussées. Une grande partie des gens qui meurent ne gagnent pas autant d'argent pendant toute leur vie, de sorte qu'il est difficile de savoir d'où l'on a tiré cette somme. Je ne suis probablement pas la bonne personne à qui poser cette question. Il vous faut une sorte de sociologue.
M. Buckner: Il y a toutes sortes d'estimations de ce genre. On a compté une quinzaine d'articles sur ce genre d'estimation, dans lesquels les gens disent qu'on ne peut pas monnayer la vie d'un homme. Et ils s'empressent de le faire.
L'une des grandes difficultés que cela pose, c'est de savoir quelle valeur attribuer à la vie de la victime moyenne d'homicide. Quand on songe que la moitié de ces victimes ont des casiers judiciaires, il se peut fort bien que leur mort ne coûte fondamentalement rien à la société, parce que c'est la société qui aurait dû payer pour eux pour le reste de leur vie, plutôt que de les voir produire pour elle.
Dans le cas des victimes de suicide, comment calculer les traitements continuels pour lutter contre la dépression: sont-ils un coût ou un avantage pour la société?
Les calculs de ce genre posent toutes sortes de difficultés. Je dois avouer que j'ai éclaté de rire quand j'ai vu ces six milliards de dollars. Je pense qu'il a aussi déclaré dans le même exposé que le contrôle des armes à feu fonctionne partout où l'on a essayé de l'imposer - du moins, c'est ce qui était écrit dans le journal. Et moi, je suis assis ici à dire que c'est rêver.
M. Sobrian: Tout cet article est de la foutaise.
M. Ramsay: Aimeriez-vous faire un commentaire là-dessus, messieurs?
M. Prieur: Au sujet de l'article 110, je dirai que je ne suis pas étonné de voir le gouvernement fédéral déléguer aux provinces. En fait, c'est sa façon de décentraliser. Malheureusement, il ne fournit pas aux provinces un aussi bon financement qu'il devrait. Par exemple, dans la province de Québec, le gouvernement fédéral délègue à la Sûreté du Québec, qui est en partie financée par le gouvernement provincial et en partie par Ottawa. En fait, il n'y a pas de liaison par ordinateur entre Ottawa et Québec. C'est un autre problème.
L'impression que nous avons constamment de la part des autorités provinciales, c'est que le gouvernement fédéral légifère, une fois de plus, et puis se décharge du problème sur elles, pour qu'elles s'en chargent. C'est l'impression qu'elles nous donnent. Je ne sais pas si elles vont venir le dire ici, mais c'est ce qu'elles nous disent quand il n'y a pas de caméras.
M. Ramsay: Je pense que c'est M. Sobrian qui a parlé d'une extrême complexité ou de confusion dans la législation actuelle sur le contrôle des armes à feu. Le juge Demetrick, de l'Alberta, a rendu une décision dans une affaire d'armes à feu: il a déclaré que la définition d'une arme à feu dans le Code criminel était d'une complexité telle qu'elle devenait une fiction légale complètement détachée de la réalité. D'autres juges ont fait des observations analogues quant à l'extrême complexité de la législation actuelle sur le contrôle des armes à feu.
Pourriez-vous expliquer au comité pour quelles raisons vous n'avez pas évalué aussi sévèrement la législation actuelle sur le contrôle des armes à feu, tout en y faisant allusion? Pourriez-vous nous faire part de vos préoccupations?
M. Sobrian: Je n'ai pas fait cette déclaration. Peut-être que quelqu'un d'autre l'a fait, mais pas moi.
M. Ramsay: Je vous prie de m'excuser. J'ai cité un juge de l'Alberta qui a bel et bien fait cette déclaration, mais j'ai cru que vous aviez fait allusion à la confusion qui caractérise les législations actuelles sur le contrôle des armes à feu dans votre exposé. Y avez-vous fait allusion?
M. Buckner: Je crois que c'est moi qui en ai parlé. Nous essayions simplement de travailler à un nouveau sondage auprès des policiers, et nous avions du mal à le faire démarrer. Après avoir lu notre questionnaire, les représentants de la police de Vancouver nous ont dit qu'un de leurs agents, qui est titulaire d'un diplôme en droit, ne connaissait pas bien ces articles du Code criminel, de l'article 84 à l'article 110. Fondamentalement, le policier qui regarde une arme maintenant ou dans le contexte du nouveau projet de loi, ne saura pas si c'est une arme légale ou illégale, qu'elle soit enregistrée ou pas, à moins d'être un spécialiste en criminalistique. Si l'arme est enregistrée, elle pourrait faire partie de cinq catégories différentes d'armes protégées par une disposition d'antériorité, ce qui la rendrait légale dans les mains d'une personne mais illégale dans celles d'une autre. C'est un cauchemar.
J'ai été policier. La première chose que le policier fait quand il intervient, c'est de désarmer tout le monde. Ensuite, il apprend de quoi il retourne. Or, avec ces règles-ci, je ne vois pas sur quoi un policier pourrait baser sa démarche. Avec la meilleure volonté du monde, il me semble que la plupart des policiers ne sont pas capables de suivre ces règles.
J'ai passé un bon bout de temps à lire le projet de loi C-68. J'ai l'habitude de lire des textes de ce genre, et je l'ai trouvé absolument déroutant. Comment pensez-vous qu'un policier actif qui n'est pas appelé à faire respecter cet article du Code tous les jours, après tout, va pouvoir savoir exactement de quoi il retourne - je n'arrive pas à l'imaginer.
Mme Torsney (Burlington): Ma question s'adresse à vous, monsieur Buckner. Où avez-vous été policier?
M. Buckner: J'ai été policier à Oakland, en Californie.
Mme Torsney: À Oakland, en Californie.
Ma deuxième question s'adresse à vous, monsieur Sobrian. Vous avez déclaré qu'on sait dans le monde entier qu'il est impossible de contrôler efficacement les armes à feu, et pourtant, vous n'avez parlé que des villes de Newark au New Jersey, de New York et de Washington. En fait, les exemples que vous avez donnés ne laisseraient-ils pas précisément entendre qu'il nous faut un programme national plutôt qu'un programme d'État, un programme provincial ou un programme municipal?
M. Sobrian: Madame, vous vous trompez.
Mme Torsney: Je me trompe?
M. Sobrian: Oui.
Mme Torsney: Vous n'avez mentionné que trois villes, ou ce n'est pas un programme national qui s'impose?
M. Sobrian: Il y a d'autres États que ceux-là aux États-Unis.
Mme Torsney: Vous n'avez mentionné que trois cas, monsieur.
M. Sobrian: Oui, j'ai mentionné les trois cas où l'on a imposé un contrôle rigoureux des armes à feu. Dans chaque cas, il y a des taux terribles d'homicides et de vols qualifiés par suite de l'imposition du contrôle des armes à feu. Quand on a commencé à imposer ce contrôle, les taux d'homicides et de vols qualifiés n'étaient pas nettement plus élevés que dans les autres États. Toutefois, dès qu'on a imposé le contrôle des armes à feu et qu'on l'a rendu de plus en plus rigoureux, ces taux ont constamment augmenté.
Mme Torsney: Et ça n'a rien à voir avec les problèmes raciaux, la pauvreté ou des inégalités criantes?
M. Sobrian: Bien sûr, ces problèmes y contribuent. Le hic, c'est qu'on ne fait rien pour régler le véritable problème quand on opte pour le contrôle des armes à feu plutôt que de s'attaquer à sa racine. Je croyais l'avoir expliqué dans mon exposé. On ne s'attaquera jamais au véritable problème si on continue à faire fausse route.
Mme Torsney: Monsieur Sobrian, pensez-vous que les gens devraient s'armer pour se protéger?
M. Sobrian: Oui et non. Je pense qu'avoir une arme à feu sans s'armer délibérément pour se protéger suffit à donner une protection.
Mme Torsney: Conseilleriez-vous à quelqu'un qui n'a pas d'arme à feu d'aller en acheter une?
M. Sobrian: Oui.
Mme Torsney: Eh bien!
Vous avez dit aussi dans votre mémoire que nous devrions être fiers de notre tradition et que nous devrions enseigner à nos enfants à respecter les armes à feu. À quel âge devrions-nous introduire nos enfants aux armes à feu?
M. Sobrian: Les parents devraient le faire aussitôt qu'ils pensent que leur enfant est assez grand pour comprendre divers aspects de l'utilisation et de la possession d'armes à feu.
Mme Torsney: Dans votre famille, ce serait à quel âge?
M. Sobrian: Je vais vous donner un exemple. J'ai emmené ma fille à la chasse à la marmotte quand elle avait deux ans. Je la portais sur mes épaules. Elle avait ses protège-oreilles et moi les miens, et je tirais une marmotte. J'allais avec elle pour lui montrer la marmotte que j'avais abattue et pour qu'elle voie ce que la balle avait fait.
Mme Torsney: À quel âge l'autoriseriez-vous à commencer à tirer avec cette carabine?
M. Sobrian: Elle n'a pas vraiment voulu commencer à tirer avant d'avoir 11 ans.
Mme Torsney: Monsieur Sobrian, les Responsible Firearm Owners of Ontario ont produit un collant pour pare-chocs - c'est bien ça?
M. Sobrian: Le collant porte l'inscription «Register my firearms? No way.»
Mme Torsney: Prêchez-vous vraiment la désobéissance civile?
M. Sobrian: Nous faisons campagne contre l'enregistrement des armes à feu.
Mme Torsney: Même si ce devait être la loi du pays que des députés démocratiquement élus auraient...
M. Sobrian: Si et quand... Pardonnez-moi de vous avoir interrompu; allez-y, finissez votre question.
Mme Torsney: ... choisi d'adopter. Nous avons été dûment élus par la population du Canada. Si nous votons sur ce projet de loi et que nous l'adoptons, vous pensez que les gens devraient désobéir à la loi.
M. Sobrian: Je n'ai pas dit cela. Si vous regardez le collant pour pare-chocs de près, vous verrez qu'il est en plastique, pas en papier, et qu'il est enlevable. Et il coûte trois fois plus cher qu'un collant de papier. Si le projet de loi est adopté, le collant peut s'enlever, et nous pouvons nous résigner au fait que nos députés ont fait quelque chose d'idiot et que nous allons devoir nous en accommoder.
Mme Torsney: En fait, vous allez continuer à faire connaître les nouvelles dispositions du projet de loi à tous vos membres, pour vous assurer qu'ils respectent la loi.
M. Sobrian: Certainement, madame. Rappelez-vous que nous sommes des propriétaires d'armes à feu raisonnables.
Mme Torsney: Eh bien, je me le demande, parce que j'ai parlé à certains propriéraires d'armes à feu dans l'Ouest - et vous ne venez pas de l'Ouest - ; beaucoup d'entre eux parlent d'avoir un pistolet de calibre .45 chargé à côté de leur lit pour se protéger. Recommandez-vous cela?
M. Sobrian: Si je mets quelque chose à côté de mon lit pour me protéger, ce sera un fusil de chasse, pas un pistolet de calibre .45.
Mme Torsney: Vous recommanderiez donc que les gens...
M. Sobrian: Il se trouve que je suis l'un des meilleurs tireurs au pistolet que ce pays ait jamais eu, et je ne me fierais pas à une arme de poing si ma vie était en jeu.
Mme Torsney: Très bien. Je pense que vous vous êtes présenté comme un psychologue ou un psychothérapeute.
M. Sobrian: Je suis médecin de pratique générale. Je fais beaucoup de psychothérapie.
Mme Torsney: Comment pouvons-nous prédire quels citoyens respectueux des lois vont craquer et décider subitement de se servir de leurs armes à feu contre leur conjoint ou leurs voisins?
M. Sobrian: Ça pose un problème; c'est une question d'éthique professionnelle.
Beaucoup de médecins de familles - et je parle de médecins qui pratiquent honnêtement leur profession, pas de la police de la route - ont une idée de ce qui va se passer, mais nous ne sommes pas autorisés à partager cette information pour des raisons d'éthique professionnelle. Je serai peut-être critiqué pour avoir dit ce que vais dire, mais je vais le dire quand même.
Je suis vraiment convaincu qu'il faut trouver une solution de compromis avec les membres de la profession pour que nous soyons relevés de la responsabilité de faire entorse à l'éthique professionnelle afin que ces gens puissent être mieux contrôlés ou mieux protégés ou que leur famille puisse être mieux protégée.
Mme Torsney: Estimez-vous que les médecins devraient remplir un formulaire pour indiquer qu'une personne devrait ou non posséder une arme à feu?
M. Sobrian: Je crois que le gouvernement du Canada devrait s'adresser à la Commission de déontologie de l'Association médicale canadienne pour discuter de la question et régler immédiatement le problème, avant le projet de loi C-68 ou autre chose, car je pense que cela permettra de sauver des vies. Cela permettra de sauver un grand nombre de vies. Le projet de loi C-68 ne permettra pas d'en sauver une seule, je puis vous le garantir.
Mme Torsney: Je sais que vous avez fait quelques comparaisons avec la Russie, quoiqu'il me semble que la situation est complètement différente dans ce pays, mais vous dites que la vague de crimes odieux perpétrés avec des armes à feu que nous connaissons pourrait indiquer que nous serons les suivants à connaître la même situation. Pensez-vous que s'il s'y avait davantage d'armes à feu au Canada, il y aurait une réduction du taux de criminalité?
M. Sobrian: Nous avons actuellement beaucoup d'armes à feu au Canada.
Mme Torsney: Mais verriez-vous d'un bon oeil une augmentation des armes à feu au Canada pour réduire le taux de criminalité?
M. Sobrian: Non, pas vraiment. Si je puis me permettre d'ajouter quelque chose, vous avez ramené la situation russe sur le tapis. Si j'osais me permettre de vous donner un exemple ici, je vous dirais que pendant que Bill Clinton disait à tout le monde qu'il faisait de gros efforts pour essayer de promouvoir le contrôle des armes à feu aux États-Unis, ce pays expédiait des milliers de fusils de chasse en Russie pour armer les Russes pour leur propre protection. Entre-temps, il a conclu un marché avec les Russes pour échanger 50 000 fusils de chasse contre des milliers et des milliers de pistolets Makarov bon marché de neuf millimètres. Et cela se fait dans le plus grand secret. Tout cela n'est donc qu'hypocrisie.
Mme Torsney: C'est parfait. Mais je crains que cela ne soit pas en rapport avec la législation canadienne. Il s'agit des États-Unis et de la Russie. Je ne sais pas quelle importance cela a pour le Canada.
M. Sobrian: Quelle importance cela a pour le Canada? Eh bien, voyez-vous, il se trouve que le Canada expédie également des armes à feu à la Russie pour permettre à la population de se protéger. À bien y réfléchir, il y a là une situation idéale puisque la population a besoin d'armes à feu pour se protéger.
Mme Torsney: D'accord.
M. Sobrian: Si vous faites disparaître toutes les armes à feu, comme cela a été le cas en Russie, et que la population soit totalement à la merci de la police et des criminels, il arrive un moment où la situation doit changer. C'est ce que j'essaie de vous expliquer. À l'heure actuelle, notre pays et les États-Unis essaient de remédier à cette situation même au prix de l'importation aux États-Unis de tous ces pistolets Makarov russes de piètre qualité alors qu'on essaie de décourager le public de posséder des pistolets bon marché.
Mme Torsney: J'aimerais demander à chacun d'entre vous s'il pratique le tir.
Un témoin: Oui.
Un témoin: Non.
M. Sobrian: Oui.
Mme Torsney: Vous pratiquez le tir, c'est-à-dire que vous recevez une formation de défense et que vous tirez sur des cibles à forme humaine?
M. Buckner: Certaines des cibles sont des similitorses, mais j'ai appris à tirer au pistolet lorsque j'étais agent de police, et en ce qui me concerne, un pistolet en état de marche représente le plus grand défi et la façon la plus réaliste de conserver ses aptitudes.
Mme Torsney: Vous conseilleriez donc à un grand nombre de Canadiens d'adopter ce sport?
M. Buckner: Nous avons un petit problème d'exagération ici. Je dis simplement que je prends plaisir à conserver mes aptitudes de tireur. J'aime aussi la natation. Cela ne veut pas dire que tous les Canadiens doivent nager.
Mme Torsney: Je vous posais simplement une question, monsieur. Êtes-vous encore Américain ou êtes-vous devenu Canadien?
M. Buckner: Je suis citoyen américain et je ne vis dans ce pays que depuis 28 ans mais j'habite au Québec.
Mme Torsney: Très bien. Vous collectionnez également les armes à feu.
M. Buckner: C'est exact.
Mme Torsney: Votre étude est-elle financée par le Symposium Langley? C'est bien cela?
M. Buckner: L'enquête que je cite ici a été financée par les personnes qui se sont retrouvées à une réunion dans le cadre du Symposium Langley, qui est constitué d'associations fauniques provinciales et d'associations provinciales de tireurs. Le professeur Mauser a obtenu 1 000$ de l'une d'elles, 5 000$ d'une autre association, pour réunir les 25 000$ dont nous avions besoin pour acheter cette enquête qui a été réalisée par un spécialiste des études commerciales.
Mme Torsney: Lequel?
M. Buckner: Réalités canadiennes.
Mme Torsney: Est-ce que ce sont les mêmes organisations qui ont correspondu avec des organisations américaines pour leur dire de venir chasser au Canada lorsque le texte de loi aura été adopté?
M. Buckner: Sérieusement, je ne pense pas, mais pour répondre il faudrait que je sois au courant de toutes les lettres envoyées dans l'ensemble du Canada - et les organisations sont innombrables.
Mme Torsney: Monsieur Buckner, êtes-vous d'accord avec la position adoptée par la National Rifle Association aux États-Unis?
M. Buckner: Pourriez-vous répéter votre question?
Mme Torsney: Êtes-vous d'accord avec la position et les tactiques de la National Rifle Association?
M. Buckner: Écoutez, c'est un peu comme si vous me demandiez si j'accepte le sens littéral de la Bible dans son intégralité.
La National Rifle Association a tout de même fait la promotion de programmes de sécurité dans les écoles, notamment par le biais de son programme Eddy Eagle - vous avez dû en entendre parler; on conseille aux enfants qui voient une arme à feu de s'éloigner et de ne pas la toucher. L'association a également défendu certaines lois touchant les armes à feu qui se sont révélées fort efficaces en permettant de réduire l'accès des criminels aux armes à feu.
Mme Tornsey: La NRA a-t-elle fait des choses qui vous semblent inacceptables?
M. Buckner: J'admets qu'elle a soutenu un certain nombre de concepts qui ne conviendraient jamais au contexte canadien. Nous sommes un pays différent avec une histoire différente. Quiconque craint que les méchants américains envahissent à présent le Canada en essayant de nous influencer ignore l'histoire canadienne et l'histoire américaine et les différences qui nous séparent.
Mme Torsney: Peut-être devriez-vous en parler avec M. Sobrian.
La vice-présidente (Mme Barnes): Votre temps est écoulé.
[Français]
M. Bellehumeur: Je m'adresse à M. Prieur cette fois-ci. Ça été court votre intervention mais la question des perquisitions m'a quand même intéressé.
Vous dites que ce n'est pas comme ça que cela fonctionne au Canada, un policier ne peut pas aller perquisitionner chez un individu sans aucun motif. Vous semblez dire que la loi va permettre les perquisitions abusives, sans mandat.
Est-ce que vous ou votre organisme avez vérifié si, dans le Code criminel, des pouvoirs semblables étaient donnés aux policiers pour d'autres sphères d'activités? Je veux parler entre autres des drogues, de couteaux ayant déjà servi à commettre une infraction, etc.
Je regarde la rédaction de ce projet de loi et au niveau des perquisitions sans mandat, j'y lis exactement les mêmes termes que nous retrouvons pour les aliments et les drogues, les stupéfiants, etc. Ce n'est pas un concept nouveau ce que vous voyez là.
M. Prieur: Pour le concept du droit des armes à feu, c'est nouveau. Cependant, en ce qui concerne les aliments et drogues, ainsi que le Code criminel en général, vous avez raison, ce n'est pas un nouveau concept.
Cependant, placez-vous dans un contexte différent pour un instant, monsieur Bellehumeur. Les personnes que vous visez ne sont pas nécessairement des criminels. Ce sont tout simplement des propriétaires d'armes à feu. Ce sont des chasseurs, des tireurs de compétition, des collectionneurs d'armes à feu. Et c'est ce qui ne va pas avec ce projet de loi. Vous visez également deux types de personnes: d'un côté, des criminels et de l'autre des citoyens qui sont tout simplement propriétaires d'armes à feu.
Mes clients sont fiers de dire qu'ils font l'objet du plus grand nombre d'enquêtes au Canada et je le sais parce que, comme procureur, ce sont des policiers qui ont fait les enquêtes pour moi.
Pour avoir une arme à feu il faut satisfaire à certains critères: avoir une AAAF, obtenir un permis, avoir suivi un cours, etc. Enfin, mes clients sont les plus clean au Canada, et on les pointe du doigt. Je pense que ces gens-là se sentent vexés car ils sont inclus dans un chapitre de la loi qui vient leur dire qu'ils sont des contrevenants.
Vous avez raison de dire que ce n'est pas nouveau. D'ailleurs, l'article 8 de la Charte prévoit les perquisitions et les fouilles abusives.
Mais cela, c'est dans le cas d'une personne qui a commis une infraction à la loi. Ici, que vous ayez commis une infraction ou non, peu importe, j'ai le droit d'aller chez vous, monsieur Bellehumeur, que vous ayez une arme ou non et vous poser la question: est-ce que je peux voir une arme? Est-ce que je peux voir à l'intérieur de votre maison?
M. Bellehumeur: Si j'ai bien compris, vous êtes procureur.
Me Prieur: Oui.
M. Bellehumeur: À quel article faites-vous référence, lorsque vous dites cela?
Me Prieur: Quand vous regardez le texte, on dit: «Avec motifs raisonnables de croire». Qu'est-ce que c'est, «motifs raisonnables de croire»?
M. Bellehumeur: Si vous êtes procureur, monsieur Prieur, vous savez certainement ce que veut dire «avec des motifs raisonnables de croire que».
Me Prieur: Je vais vous donner un exemple, monsieur Bellehumeur. Je n'ai peut-être pas d'arme chez moi. Puis tout à coup, quelqu'un, comme mon voisin par exemple, pense que j'ai une arme. Il appelle le 911 et dit: «J'ai vu que mon voisin avait une arme».
M. Bellehumeur: L'exemple que vous donnez, c'est avec mandat. Ce n'est pas sans mandat. Parce que sans mandat, il y a des critères à respecter. Je pense qu'il faut que vous regardiez l'ensemble de l'article.
Me Prieur: Vous savez, monsieur Bellehumeur, dans la vraie vie, les choses arrivent vite. Des fois, mandat, pas mandat, ça va relativement vite.
M. Bellehumeur: La Cour suprême aussi examine cela. Je crois qu'elle nous met à l'ordre de temps en temps.
Me Prieur: Quand on arrive à la Cour suprême, monsieur Bellehumeur, 15 ans se sont écoulés. Il y a eu des arrestations et des incarcérations.
M. Bellehumeur: Mes cinq minutes sont déjà finies?
[Traduction]
M. Gallaway (Sarnia - Lambton): Monsieur Sobrian, votre organisation compte combien de membres?
M. Sobrian: C'est un secret, mais je vais tout de même essayer de vous répondre. Ma base de données compte 2 042 membres. La base de données de chaque secteur inclut d'autres membres encore, et je ne sais pas combien de plus il peut y avoir dans chaque base de données de secteur. Il y a peut-être quelques milliers de membres de plus, ou encore davantage. Je ne veux pas le savoir, et je ne suis pas censé le savoir.
M. Gallaway: Très bien. Vous avez dit que le public estime que la police devient incontrôlable, et que le ministère de la Justice fait l'impossible pour satisfaire les désirs d'une forte proportion de l'élite policière en se servant du projet de loi C-68 pour créer un état policier sous prétexte de réduire la criminalité. Croyez-vous vraiment que ce soit le cas?
M. Sobrian: Oui.
M. Gallaway: Très bien. Peut-être pourriez-vous m'expliquer un peu plus votre pensée.
M. Sobrian: Très bien. Plus tôt cette année, le mois dernier si je ne m'abuse, à Vankleek Hill, en Ontario, la GRC a organisé une descente sur Marstar Trading International Inc. Cette entreprise appartient à un type qui a un commerce d'armes à feu chez lui depuis 35 ans. L'objet de cette descente était de trouver des documents de douanes. Ainsi 12 agents de la GRC sont arrivés chez lui en tenue de corvée, c'est-à-dire des habits noirs avec des lunettes de soleil noires et des casques noirs, afin qu'on ne puisse pas les identifier, et ils étaient accompagnés d'un hélicoptère muni de deux projecteurs et d'une mitraillette. Ces agents, munis de mitraillettes et d'un bélier, ont pénétré dans la maison de ce monsieur, l'ont poussé ainsi que sa femme contre le mur et les ont fouillés. Ils ont fouillé absolument partout. Ils ont même ouvert les coussins du sofa dans la salle de séjour. Ils ont eu beau dire ou demander quoi que ce soit, on n'en tenait absolument pas compte. Ils sont partis six heures plus tard. Maintenant, ils sont terrorisés, parce que ces agents ont braqué leurs mitraillettes sur eux pendant six heures en gardant toujours le doigt sur la gâchette. Évidemment, on ne peut identifier personne. On vous dit de vous taire, et après on nous dit que la situation est différente ici.
Et vous dites cependant que ce genre de choses ne se produit jamais au Canada? Eh bien, tous ces agents n'ont absolument rien trouvé. Ce monsieur n'a commis aucune infraction. J'en ai parlé avec Bob Crozier, qui est inspecteur des entreprises en Ontario depuis 10 ans. Nous assistions à un ralliement à Oshawa dimanche dernier, et Bob Crozier m'a dit qu'il n'aurait jamais cru que nous en arriverions là. Il est pourtant inspecteur pour la Sûreté provinciale de l'Ontario. Même les policiers estiment que la police n'est plus du tout contrôlable. Je ne suis pas le seul à le croire. Je me contente de répéter les propos d'un inspecteur retraité.
M. Gallaway: Donc, vous vous fondez sur ce seul incident en Ontario - je ne dis pas qu'il n'a pas eu lieu, mais j'avoue ne pas en avoir entendu parler - au sujet duquel nous disposons de très peu d'informations, pour dire que la police est incontrôlable en général? Il me semble que c'est toute une généralisation.
M. Sobrian: Cela va un peu plus loin. Ces derniers temps, nous avons beaucoup entendu parler de certains procès. Il y a eu l'affaire Guy Paul Morin, l'affaire David Milgaard, l'affaire Donald Marshall. On entend parler d'affaires semblables tous les jours, de cas où la police arrête à tort certaines personnes, fabrique des preuves pour les condamner, et ces personnes passent ensuite des années en prison. Enfin, grâce à l'indulgence de quelqu'un, elles arrivent à sortir et à obtenir un semblant de justice, et quelques centaines de milliers de dollars. Doit-on considérer que cela est bien? Dans quel genre de pays vivons-nous?
M. Gallaway: Vous voulez donc dire que le corps judiciaire devrait être infaillible.
M. Sobrian: Non. Je dis que la police ne devrait pas arrêter à tort des personnes; elle devrait faire son travail. C'est ce que je demande dans mon mémoire.
M. Gallaway: Que dites-vous lorsque quelqu'un est acquitté au tribunal, que la police n'a pas fait son travail?
M. Sobrian: Dix ans plus tard?
M. Gallaway: Non. Chaque jour, des personnes sont acquittées dans les tribunaux. Je demande simplement si c'est là la preuve d'un complot policier.
M. Sobrian: C'est ainsi que la police doit faire son travail - elle doit le faire au mieux de ses capacités et faire comparaître les gens devant les tribunaux. Mais lorsqu'on entend parler d'innocents qui sont condamnés, cela inquiète les citoyens ordinaires qui sont honnêtes car ils pourraient être les prochaines victimes.
M. Gallaway: Or en prenant votre façon de raisonner, toute personne qui a été inculpée, qui a comparu devant les tribunaux et qui a été acquittée, a été d'une façon ou d'une autre maltraitée par la police. J'ai bien raison, n'est-ce pas?
M. Sobrian: Oui, normalement.
M. Gallaway: Très bien. Donc, chaque jour, si vous deviez vous rendre dans un tribunal provincial ici à Ottawa ou dans n'importe quelle communauté de la province où il y a un tribunal provincial, lorsque des personnes sont acquittées, il s'agit d'un abus de pouvoir de la part de la police?
M. Sobrian: Il s'agit d'un abus de pouvoir de la part de la police.
M. Gallaway: Très bien. J'aimerais savoir sur quoi vous fondez cette conclusion.
Vous dites aussi, au bas de la page 4 de votre mémoire, que, «Les parties du projet de loi consacrées au contrôle des armes à feu sont inutiles et les abus des Canadiens propriétaires d'armes à feu que permet la Charte des droits et libertés sont immoraux.» Si vous estimez que c'est immoral, je veux bien l'admettre. Pensez-vous que ce soit illégal?
M. Sobrian: De quelle partie parlez-vous?
M. Gallaway: Je parle des parties consacrées au contrôle des armes à feu.
M. Sobrian: Si le projet devient loi, ce sera légal.
M. Gallaway: Non, pas nécessairement, en vertu de la Charte des droits et libertés. Cela pourrait contrevenir à certaines parties de la Charte. La Cour suprême pourrait déclarer que...
M. Sobrian: Il nous faudra alors aller devant la Cour suprême et cela pourrait prendre des années.
M. Gallaway: Très bien. Les membres de votre organisation, les personnes que vous représentez, estiment-elles que cela est illégal?
M. Sobrian: C'est en effet ce qu'elles croient.
M. Gallaway: Très bien. Vous avez également dit que le projet de loi C-68 n'allait pas permettre de sauver une seule vie.
M. Sobrian: C'est vrai.
M. Gallaway: Très bien. La semaine dernière, ou ces tout derniers temps, nous avons reçu un groupe de représentants des services de santé publique et des membres des professions correspondantes. Ils ne sont pas d'accord avec vous. J'aimerais vous demander à tous deux, à vous et à M. Buckner, si vous pensez que ces personnes font une erreur d'interprétation. Elles nous ont cité un certain nombre d'études qui les ont portées à conclure que le système d'enregistrement était nécessaire, comme de nombreux organismes policiers d'ailleurs. Mais je ne veux parler ici que des professionnels de la santé publique. En quoi leurs études sont-elles moins valables que les vôtres?
M. Buckner: Je crois que si vous regardez tout l'éventail des études réalisées, il y en a 20 ou 30 qui ont été révisées ou condensées dans des documents universitaires. Je crois que l'un des problèmes lorsqu'il s'agit d'évaluer le bon fonctionnement d'un système d'enregistrement, est que, à ma connaissance, personne n'a jamais étudié le système d'enregistrement en soi pour essayer de voir s'il allait fonctionner ou non.
D'autre part, l'un des problèmes que pose l'expression «contrôle des armes à feu» est qu'elle représente une très grande abstraction. Sa signification est différente pour diverses personnes. Certains disent être favorables au contrôle des armes à feu et ont leur propre idée de la façon dont ce contrôle va être exercé.
Les membres des services de soins d'urgence ou de santé publique voient directement les résultats des accidents dus aux armes à feu, tout comme les psychiatres voient les résultats des dépressions nerveuses et autres. Ils ont tendance à penser qu'il y a une possibilité de solution et une solution généralement simple comme l'interdiction des armes à feu, ou leur enregistrement, ou encore le fait de ne pas permettre à la population d'en posséder. Mais je crois que si vous avez tous appris quelque chose au cours de ces audiences, c'est que ces questions sont complexes. Et je pense de façon générale que toute solution simple ne sera pas la bonne. Je veux dire qu'il n'y a pas de moyen efficace pour prendre véritablement les armes à feu des mains de ceux qui vont en faire un mauvais usage.
La vice-présidente (Mme Barnes): Nous avons pris du retard, si vous voulez bien résumer votre pensée.
M. Gallaway: Merci.
La vice-présidente (Mme Barnes): J'aimerais simplement vérifier une chose que vous avez dite, monsieur Sobrian. Vous avez parlé d'un incident qui a eu lieu dans une petite ville. J'aimerais m'assurer de quelque chose pour mes notes personnelles. Il s'agit d'un incident concernant un trafiquant international d'armes - il y avait une cabane Quonset où étaient stockées des armes?
M. Sobrian: Marstar, oui.
La vice-présidente (Mme Barnes): Très bien, je voulais simplement avoir ce nom.
Monsieur Thompson.
M. Thompson (Wild Rose): J'ai une citation de l'ignoble livre à l'encre rouge; elle est tirée de la page 80:
- Pour muscler la réglementation des armes à feu, à titre d'exemple, nous ferons obstacle à
l'importation clandestine d'armes à feu prohibées ou à utilisation restreinte et nous interdirons à
toute personne reconnue coupable d'une infraction à la Loi sur les stupéfiants, de harcèlement
ou de violence, la possession ou le port d'une arme à feu.
Un document de 117 pages a été rédigé pour la mise en oeuvre des promesses du Livre rouge. Je ne peux pas contester ce qui est dit ici car je crois que c'est la chose à faire. Il faut s'en prendre aux criminels. Le document comporte, je crois, six pages consacrées aux criminels et le reste porte sur les citoyens respectueux de la loi de notre pays. J'essaie de voir le lien. Je ne le vois pas.
Monsieur Buckner, l'enregistrement donne des résultats dans d'autres pays. C'est ce qu'on nous a dit. Vous dites que c'est une déclaration ridicule. Non, vous ne l'avez pas dit, c'est ce qu'on dit sur la Colline. Pourriez-vous nous indiquer, grâce à vos enquêtes et à votre érudition, dans quels pays l'enregistrement a donné des résultats et dans quels pays il a échoué?
M. Buckner: Je ne connais tout simplement pas d'études qui montrent qu'il a donné des résultats. Je ne connais pas d'études qui montrent qu'il a échoué. Je sais que certains pays y ont renoncé simplement parce qu'on estime que c'est un échec. Étudier ces questions simplement dans l'optique de l'enregistrement serait une démarche curieuse car l'idiotie et l'inefficacité d'un tel système sont si évidentes a priori que la plupart des gouvernements n'envisageraient même pas de l'adopter. Enregistrer un si grand nombre d'armes pour en contrôler un si petit nombre, c'est un peu comme de perdre un verre de contact dans une salle comme celle-ci et de commencer à chercher en suivant un cheminement qui permette d'examiner chaque pouce carré de la salle au lieu de regarder là où vous l'avez fait tomber.
Pour limiter la violence due aux armes à feu il faut s'attacher à ceux qui risquent le plus de commettre de tels crimes. Nous savons qui sont ces personnes. Dans la plupart des cas, elles ont des casiers judiciaires. On va manquer quelques personnes qui n'ont pas de casier judiciaire, qui utilisent des armes à feu pour commettre des infractions, mais on va également les manquer avec l'enregistrement car, tant qu'elles n'ont pas de casier judiciaire, l'enregistrement ne permettra pas non plus de les repérer. On peut, en déployant les mêmes efforts, s'attacher à un problème criminel donné. Lorsqu'il y a eu vol avec effraction, la police ne fouille pas toute la ville, elle fouille le secteur où a eu lieu le vol avec effraction. C'est la même chose pour le contrôle des armes à feu.
M. Thompson: L'interdiction au Canada des armes à feu à utilisation restreinte nous plairait beaucoup. Personne ne veut que ces armes arrivent dans le pays. Nous pourrions les empêcher d'entrer si elles sont à utilisation restreinte. Il semble logique de faire en sorte qu'il soit impossible à un délinquant violent de posséder une arme à feu. Toutes ces déclarations sont logiques, mais j'essaie de trouver la logique des 117 pages restantes, j'essaie de voir en quoi cela va améliorer la criminalité.
M. Buckner: Je crois que la différence est d'ordre philosophique. Certaines personnes envisagent pour l'avenir un Canada où il n'y aurait pratiquement pas d'armes à feu, ou un strict minimum d'armes à feu, et les plans de ces personnes sont conçus pour créer des obstacles bureaucratiques, pour rendre la possession d'une arme à feu si difficile que la plupart des gens renonceront à leurs armes à feu. Mais de nombreuses personnes qui utilisent des armes à feu estiment que cette façon de voir est une atteinte à leur mode de vie.
Le domaine du discours est très varié. Je crois en fait que toute cette idée d'éviter des morts par suicide ou accident représente en fait un prétexte dans toute cette affaire. Je n'ai jamais entendu personne, parmi ceux qui proposent ces choses, suggérer indépendamment de ce raisonnement à la logique très complexe, de quelle façon un système d'enregistrement pouvait permettre de sauver des vies. Mais je peux imaginer un chasseur de canard qui doit se lever une heure plus tôt le matin parce qu'il doit aller aux États-Unis, faire 50 milles de route pour trouver un poste frontalier ouvert à 4 heures du matin pour présenter ses papiers d'exportation pour son fusil de chasse afin de pouvoir aller tuer des canards de l'autre côté de la frontière et, lorsqu'il revient, remettre à nouveau le papier.
Je m'imagine allant faire du ball-trap avec ma femme, la laissant utiliser mon fusil, puis revenant vite à la maison pour mettre la dinde au four, mais oubliant que j'ai la feuille d'enregistrement dans une boîte dans la voiture, et alors, même si elle a un permis, elle est en possession d'une arme à feu sans autorisation.
Je peux imaginer des centaines de petits incidents de ce genre ou d'oublis, où la police invoquant une infraction lorsqu'elle veut détenir une personne pour quelque chose d'autre. J'imagine des situations où la police aura recours à une infraction contre les armes à feu pour détenir quelqu'un pour autre chose.
Il me semble que l'on va constater surtout que très peu de criminels ou de personnes qui participent à des actes criminels graves feront l'objet de poursuites en vertu de cette législation. On allongera peut-être de quelques années leur peine d'incarcération et je ne sais trop ce que cela va signifier pour nos prisons. Mais il sera si incroyablement difficile à tout possesseur ordinaire d'armes à feu de connaître les règles qu'il lui sera impossible de ne pas être en infraction contre une telle loi.
La vice-présidente (Mme Barnes): Je vous demanderais de résumer votre pensée. Vous pouvez terminer, mais vous avez déjà pris quelques minutes de trop.
M. Buckner: En tant que professeur, j'ai l'habitude de parler une heure de temps.
La vice-présidente (Mme Barnes): Nous faisons les choses un peu plus vite ici.
Monsieur Lee, je vous en prie.
M. Lee (Scarborough - Rouge River): J'ai trois petites questions à poser.
Dans votre mémoire, monsieur Sobrian, vous dites très clairement à la page 3 que le projet de loi permettrait à un agent de police de faire une perquisition dans votre maison sans mandat, simplement parce qu'il soupçonne quelques irrégularités concernant les armes à feu ou les munitions.
J'ai lu ce projet de loi un certain nombre de fois, surtout les articles en question, parce qu'ils auront peut-être besoin d'une petite mise au point avant que le projet de loi ne soit soumis à nouveau à la Chambre. L'article 101 stipule clairement que: «Dans le cas de local d'habitation, le policier ne peut toutefois procéder à la visite sans l'autorisation de l'occupant que s'il est muni d'un mandat».
Je ne comprends pas que vous disiez cela en public alors que le projet de loi me semble si clair. Un policier ne peut tout simplement pas procéder à la visite d'une maison sans mandat, s'il soupçonne quelque chose.
M. Sobrian: L'article 99 stipule: «Si à son avis...»
M. Lee: Peut-être souhaitez vous dire le reste de la phrase.
M. Sobrian: Elle continue ainsi: «S'y trouvent des armes à feu, des armes prohibées, des armes à autorisation restreinte, des dispositifs prohibés, des munitions, des munitions prohibées ou des registres et affairants; il est aussi autorisé à...», si à son avis...
M. Lee: Il s'agit d'un lieu, non d'un domicile. Ce que vous dites concerne un local d'habitation, un domicile.
M. Sobrian: C'est exact.
M. Lee: Voulez-vous préciser les choses officiellement? Peut-être avez-vous mal lu. Peut-être suis-je trop dur avec vous. Peut-être souhaitez-vous vérifier par une lecture ultérieure, mais lorsque je lis le projet de loi, je constate qu'il est clairement indiqué qu'un policier ne peut pas procéder à la visite d'un local d'habitation sans mandat ou sans l'autorisation du propriétaire. Vous pourrez relire cet article ultérieurement.
M. Buckner: Le refus du propriétaire ne justifie-t-il pas l'obtention d'un mandat? Le refus du propriétaire a lui seul justifie l'obtention d'un mandat.
M. Lee: Le docteur Sobrian maintient qu'un policier peut pénétrer dans un local d'habitation sans mandat, et c'est faux. Y a-t-il quelqu'un qui soit en désaccord avec moi?
M. Sobrian: J'ai dit qu'il peut pénétrer dans un lieu s'il a des soupçons.
M. Lee: C'est faux.
M. Sobrian: Mettons que je ne sois pas chez moi et qu'un policier arrive à la porte et demande à entrer dans la maison pour examiner mes munitions parce qu'il me soupçonne de quelque irrégularité. Ma femme est intimidée en voyant le policier et le laisse entrer dans la maison.
M. Lee: À ce moment là, docteur Sobrian, elle a donné son consentement. Pour faire de telles affirmations dans votre mémoire, soit vous êtes mal informé, soit vous voulez induire les gens en erreur. Je suis prêt à croire que vous êtes tout simplement mal informé.
Je voudrais maintenant aborder une autre question. À la page 4 de votre mémoire, à la cinquième ligne, vous dites qu'aux termes de la loi, le propriétaire est présumé coupable tant qu'il n'a pas prouvé son innocence. Je ne vois nulle part dans ce projet de loi une disposition de ce genre. Elle n'existe tout simplement pas. J'ai bien lu la charte, et je pense que les règles du jeu sont très claires. Voulez-vous donc m'expliquer pourquoi vous avez cette impression-là?
M. Sobrian: Un policier a le droit de rentrer chez moi et de prendre ce qu'il veut. Il peut l'emporter avec lui et il n'est pas obligé de me le rendre. Il n'est précisé nulle part qu'il doit rendre l'objet qu'il a pris.
M. Lee: Je vois ce que vous voulez dire, mais nous parlions de la présomption de culpabilité ou d'innocence par rapport à une infraction criminelle.
M. Sobrian: Mais si vous commencez à saisir la propriété des citoyens...
M. Lee: Vous dites que ce projet de loi repose sur une présomption de culpabilité tant que l'intéressé n'a pas prouvé son innoncence. Là vous venez de me parler de quelque chose qui est davantage lié aux dispositions touchant la perquisition et la saisie. Moi je veux savoir tout simplement si à votre avis, votre affirmation est juste ou non.
M. Sobrian: À mon avis, elle est juste.
M. Lee: Dites-moi donc quel article du projet de loi prévoit qu'un propriétaire sera présumé coupable d'une infraction criminelle tant qu'il n'aura pas prouvé son innocence. Je suis désolé; à mon avis, ce projet de loi ne renferme aucune disposition de ce type.
M. Sobrian: Et bien, je pense que nous n'avons tout simplement pas le même point de vue. Si un policier peut venir chez moi et saisir des objets qui m'appartiennent et les emporter, s'il le désire, à mon avis, il me traite comme si j'étais coupable.
M. Lee: Là vous dites qu'il vous traite comme si vous étiez coupable, mais dans votre texte, vous affirmez que le propriétaire est présumé coupable d'un infraction, je suppose.
Il se trouve que les agents de la force publique saisisse régulièrement des éléments de preuve avant que la culpabilité de l'intéressé ait été prouvée devant un tribunal. Ils ont besoin de cette preuve pour les procédures judiciaires. Cela ne veut pas dire que les intéressés sont coupables.
Vous dites ici que le propriétaire sera présumé coupable. À mon avis, il s'agit-là d'une déclaration incendiaire qui est tout à fait fausse. Si telle est votre interprétation du projet de loi, c'est votre affaire. Je suis navré de l'apprendre, mais telle n'est pas mon interprétation. D'ailleurs, je trouve fort regrettable que vous l'interprétiez de cette façon.
M. Sobrian: Et bien, en ce qui me concerne, le plus regrettable dans tout cela, ce sont les articles 99 à 301.
M. Lee: Je suis tout à fait d'accord pour dire qu'ils ont peut-être besoin d'être améliorés et peut-être même modifiés, mais je ne suis pas du tout prêt à accepter les affirmations qu'on retrouve dans votre mémoire, car j'estime qu'elles sont fausses.
M. Sobrian: C'est ainsi que je vois la chose.
M. Buckner: L'article 107 du Code criminel révisé est peut-être à l'origine de ce problème, car c'est là qu'on traite du cas d'une personne qui fait une déclaration sans savoir qu'elle est fausse et qui n'est admissible ni substantielle.
La vice-présidente (Mme Barnes): Nous avons déjà dépassé le temps prévu, docteur Buckner. Ayez donc l'obligeance de vous arrêter si je donne un coup de marteau. Merci.
[Français]
La vice-présidente (Mme Barnes): Avez-vous d'autres questions, monsieur Bellehumeur?
M. Bellehumeur: Oui, madame. La Fédération québécoise de tir et le Regroupement ont combien de membres? Qui représentent-ils?
M. Gour: La Fédération québécoise de tir repréesnte environ 30 000 tireurs sportifs.
M. Bellehumeur: Au Québec?
M. Gour: Oui, 30 000.
M. Bellehumeur: Est-ce que ce sont des membres ou toute personne qui a une arme...
M. Gour: Toute personne qui a une arme et qui est actuellement dans les clubs de tir.
M. Bellehumeur: Mais, est-ce que vous avez des cartes de membre? Est-ce qu'il y a des gens qui suivent vos représentations?
M. Gour: Oui, effectivement.
M. Bellehumeur: Est-ce que vous avez des mandats clairs de faire les représentations que vous faites?
M. Gour: Oui, effectivement. Le Regroupement pour une gestion efficace de possession d'armes à feu est un think-tank, comme je le disais tantôt. Il est composé d'environ 12 ou 13 personnes. Il n'y a pas de membres. Tout ce qu'on y fait, c'est purement et simplement l'étude des lois et leur impact sur la population et les possesseurs d'armes à feu.
M. Bellehumeur: Ce n'est pas parce que vous êtes des têtes de Turcs que je vous pose plus de questions qu'aux autres, mais vous semblez sincères dans ce que vous plaidez et semblez être structurés. Vous avez devant vous un projet de loi déposé par un ministre qui a pris un engagement et qui semble vouloir aller jusqu'au bout avec ce projet de loi-là.
Vous ne voudriez pas examiner ce projet de loi et tenter d'y apporter des amendements ou de proposer des amendements?
M. Gour: Si vous regardez dans le mémoire que je vous ai fait parvenir ici, les trois...
M. Bellehumeur: Vous ne comprenez pas le français?
M. Gour: Oui, oui. Dans les trois dernières pages du mémoire, on a fait un petit travail de simplification. On y lit:
«Recommandations et amendements: abroger: «l'enregistrement des armes à feu»; abroger: «prohibition de 550 239 armes de poing à la grandeur du Canada»; abroger: «prohibition de 21 types d'armes à feu longues, militaires et paramilitaires», déjà à autorisation restreinte; abroger: «saisie et compensation de 17 types d'armes à feu» connues comme armes à autorisation restreinte et des fameuses arbalètes à crosse; abroger: «contrôle des munitions» et abroger: les dispositions incluses dans le projet de loi C-67 prévoyant abroger la disposition autorisant le procureur général à désigner les compétitions ou l'usage d'un magasin de grande capacité pour être permis, et à délivrer les certificats aux personnes pouvant être autorisées à posséder ces magasins et remplacer par - ici, je crois que nous allons toucher ce que cette loi veut toucher - quiconque utilise une arme tranchante, contondante ou à feu lors de la commission d'un crime se verra automatiquement attribuer une peine minimale de deux ans d'emprisonnement ferme et non négociable.
Ce faisant, nous ne frappons pas sur la personne, comme disait M. Buckner tantôt et comme disait M. Prieur, qui a été l'objet d'une panoplie d'enquêtes, à moins qu'à ce moment-là, vous vouliez dire automatiquement que les enquêtes ne sont pas bonnes et non valides. Donc, si ces gens-là ont suivi une enquête et qu'un corps de police dit: «Cette personne-là, nous la déclarons responsable et elle peut avoir une arme à feu». Cela devrait déjà, en partant, être l'assurance que cette personne est apte à posséder une arme à feu. Le but qu'il faut viser, par contre, c'est pénaliser une utilisation violente et criminelle d'une arme à feu.
Pour ma part, depuis que je tire - j'ai tiré environ 130 000 coups de feu - pas un seul n'a frappé de la viande ou du sang; seulement du carton, seulement du papier. Je ne pense être un danger pour la société.
Alors, pourquoi ne pas vous tourner vers les gens qui sont un danger pour la société? Si vous lisez le Journal de Montréal - qui est très populaire au Québec, surtout dans la région de Montréal - la plupart des gens qui commettent des crimes avec des armes à feu sont des récidivistes. Quel est le pourcentage de gens qui n'en avaient jamais commis? Ne croyez-vous pas qu'en ce moment, au lieu d'investir plus d'un milliard de dollars pour l'application de ce projet de loi, on pourrait faire un meilleur usage de cet argent?
M. Bellehumeur: Nos faits diffèrent à ce sujet mais, vous, ce que vous proposez - je n'ai pas lu en entier votre mémoire, la critique du Bloc va sûrement passer à travers ce document-là... Cependant, vous m'avez fait certaines suggestions au sujet de ne pas enregistrer certaines catégories d'armes. Est-ce que vous allez plus loin dans vos propositions d'amendement en ce qui a trait à ce que M. Prieur disait entre autres, tantôt, au sujet des saisies sans mandat ou quoique ce soit?
M. Gour: Effectivement.
M. Bellehumeur: Vous avez touché une corde sensible dans mon appréciation du projet de loi au niveau de la criminalisation de certains individus qui ne devraient pas être criminalisés.
M. Prieur: C'est qu'il y a une loi existante. Comprenez-nous bien. Nous voulons un contrôle d'armes à feu. C'est très important pour le Canada. Comme je l'ai dit au début de ma présentation, nous sommes différents des États-Unis. Nous sommes de souche différente, nous ne pensons pas de la même façon, nous ne parlons pas de la même manière. Et, chose importante, nous avons toujours eu un respect pour la loi ici. C'est certain que les Libéraux vont adopter un projet de loi sur le contrôle des armes à feu. C'est ce qu'ils veulent. Il ne faut pas se leurrer, ils vont l'adopter et je suis certain à 100 p. 100 que mes 30 000 clients vont respecter ce projet de loi à 100 p. 100. Ils vont se plaindre, ils vont le critiquer. Ils vont tout faire mais ils vont le respecter parce que ce sont vos voisins. Ils habitent la ville, la campagne. Ce sont vos voisins, vos oncles, vos tantes, enfin c'est tout le monde.
Ils vont respecter la loi. Mais ils vont la critiquer et avec raison: ils ne sont pas des bandits. C'est important. Vous leur donnez le droit d'avoir une arme à feu, en leur donnant un permis d'acquisition et d'un autre côté, vous leur dites qu'ils peuvent avoir cette arme-ci mais pas celle-là. Ils peuvent avoir une carabine, mais pas de revolver. Quelle est la différence?
C'est ce qu'ils vous posent comme question. Ils examinent votre projet de loi, ils l'examinent au complet, et ils ne comprennent pas.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Barnes): Avant de passer la parole à M. St. Denis pour cinq minutes, je voudrais simplement dire à M. Gour que c'est le projet de loi C-17 et non le projet de loi C-68 qui renferme l'article auquel il a fait allusion tout à l'heure. J'ai déjà vérifié auprès de notre attaché de recherche, monsieur Bartlett. Peut-être voudrons-nous nous en assurer par la suite.
[Français]
M. Gour: Lequel?
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Barnes): Vous en avez parlé en répondant à une question soulevée par notre collègue, M. Bellehumeur.
M. William Bartlett (attaché de recherche): L'article qui aurait permis à ceux qui participent à des concours de tir de posséder des magasins à grande capacité figurait dans le projet de loi C-17. Il ne figure plus dans le projet de loi C-68.
M. Gour: Oui, mais il convient de vous faire remarquer...
[Français]
Dans les premiers textes qui ont paru sur le projet de loi C-68, il était écrit: «abroger la disposition autorisant le procureur général à désigner les compétitions ou l'usage de magasins de grande capacité où peut-être permis et à délivrer des certificats aux personnes pouvant être autorisées à posséder ces magasins». Cela se trouvait dans les premiers documents de M. Rock sur le C-68. J'ai même le document ici; je peux vous le montrer.
[Traduction]
M. Bartlett: Vous parlez peut-être de l'exemption prévue pour les armes à canon court de calibre .32 et .25...
[Français]
M. Gour: C'est une version qui vient du gouvernement. Je vous la montrerai.
[Traduction]
M. Bartlett: Mais l'autre disposition n'y figure plus. Elle était bien dans le projet de loi C-17, mais elle n'est pas dans le projet de loi C-68.
La vice-présidente (Mme Barnes): Malheureusement, votre mémoire n'a pas encore été traduit en anglais, et c'est la raison pour laquelle je tenais à faire cette mise au point. Je pense que c'est de cette situation-là...
[Français]
M. Gour: C'est une version qui vient du gouvernement. Je vous la montrerai.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Barnes): Peut-être faudrait-il déposer officiellement ce document auprès du comité.
Monsieur St. Denis, vous avez la parole.
M. St. Denis (Algoma): Je voudrais remercier tout d'abord ces messieurs de leur présence parmi nous ce soir.
Je représente une circonscription rurale dans le nord de l'Ontario. Je suis au courant des préoccupations des propriétaires d'armes à feu dans ma circonscription et je fais de mon mieux pour bien les comprendre. Je voudrais passer en revue avec vous une liste des préoccupations qui ont été exprimées par mes électeurs au sujet du système d'enregistrement. Je vous demanderais de vous concentrer sur cette liste, car j'ai l'intention de demander aux représentants de chaque groupe, séparément, quelle est la plus importante préoccupation de leurs membres ou des gens qu'ils représentent en ce qui concerne l'enregistrement. Ensuite, j'aurai une autre question à vous poser.
Je ne prétends pas nécessairement que ce sont toutes des préoccupations légitimes, et elles existent, même si dans certains cas elles découlent peut-être d'un manque d'information. Elles ne sont pas présentées dans un ordre particulier.
Certaines personnes craignent que l'instauration d'un système d'enregistrement conduise à la saisie de leurs armes. D'autres craignent que ce système leur impose des frais importants. D'autres estiment qu'il constituera une dépense substantielle pour le pays. Certaines personnes sont d'avis que ce système sera lourd, nécessitant beaucoup de paperasserie, et tout simplement embêtant pour ceux qui doivent s'enregistrer. Il y en a qui estiment que ce projet de loi traite des citoyens tout à fait respectueux de la loi comme des criminels. D'autres doutent de l'efficacité de cette mesure pour ce qui est de réduire la criminalité. Certaines personnes s'inquiètent de la sécurité du système d'information sur lequel repose l'enregistrement. Certaines personnes voient dans tout cela un nouveau moyen de nous faire payer des impôts. Il y en a d'autres qui craignent de perdre une forme de protection personnelle. D'autres encore estiment que tout cela va influer sur le tourisme, ou encore que les jeunes ne pourront plus devenir chasseurs et tireurs. Et il y a certainement d'autres préoccupations encore.
La délégation du Québec pourrait-elle choisir un élément d'intérêt particulier?
M. Prieur: Une question qui semble être soulevée très souvent est celle de la confiscation, simplement parce que...
M. St. Denis: Nous n'avons pas le temps d'élaborer sur ce point puisque nous disposons de cinq minutes seulement. Je veux donc demander aux membres du groupe de l'Ontario quelle est la principale préoccupation de leurs électeurs.
M. Sobrian: La confiscation semble aussi être la principale préoccupation chez nous, suivie de près par la crainte de voir la protection policière diminuer parce que les policiers seront occupés à enregistrer les armes à feu.
M. St. Denis: D'accord. Examinons donc l'élément d'inquiétude principal, puisqu'il y a consensus sur ce point.
Selon la délégation du Québec, quelles mesures le gouvernement devrait-il prendre pour garantir que ce projet de loi ne mènera pas à la confiscation massive des armes d'épaule, etc.? Que faudrait-il faire?
M. Prieur: La population a perdu confiance depuis l'adoption du projet de loi C-17. Celui-ci a donné lieu à la première véritable confiscation importante d'armes à feu au Canada. Le public en général considère donc que c'était là un prélude à d'autres campagnes de confiscation. Peu importe ce que vous dites, même si vous affirmez que votre gouvernement est compétent et qu'il ne ferait pas une telle chose, que vous avez affaire à des gens respectueux des lois et qu'il n'y a donc pas lieu de procéder à une confiscation, l'enregistrement et tout simplement une façon de fournir plus d'informations au policier et d'une certaine manière, cette mesure sert ses intérêts.
En réalité, le projet de loi C-17 nuit au projet de loi actuel. Si le projet de loi C-17 n'avait jamais existé, la situation serait différente, mais...
M. St. Denis: Les gens ne font plus confiance au système.
M. Prieur: Exactement.
M. St. Denis: Avez-vous des commentaires à ajouter?
M. Buckner: Je ne veux pas indiquer au gouvernement ce qu'il doit faire, mais pour ma part, sur le plan stratégique, si je devais implanter le système d'enregistrement, je n'annoncerai pas au même moment la saisie de quelque 560 000 armes de poing et la conversion de celles-ci en armes prohibées. Le gouvernement avait d'abord déclaré que ces armes ne pourraient pas être vendues, puis il est revenu sur cette décision. Par ailleurs, je n'annoncerais pas que, une fois cette mesure législative adoptée, je compte saisir deux types de carabines qui ne peuvent être saisies à l'heure actuelle puisqu'elles sont couramment utilisées pour la chasse et le tir sportifs.
Si vous voulez saboter votre propre projet, vous ne pouvez trouver un meilleur moyen que l'annonce du 29 novembre. Celui qui ne croit toujours pas que le gouvernement a l'intention de saisir les armes à feu ne sait tout simplement pas lire.
M. Thompson: Je tiens à invoquer le Règlement; par pure bonté d'âme, à deux reprises aujourd'hui nous avons permis à deux députés libéraux...
La vice-présidente (Mme Barnes): Permettez-moi de régler cette question.
M. Thompson: Nous aimerions demander que la permission soit accordée à Gary Breitkreuz de poser une question.
La vice-présidente (Mme Barnes): Nous sommes à une minute de la fin des travaux prévus et la journée a été longue. Selon ma liste, un député libéral n'a pas eu l'occasion de poser une question et un député du Parti réformiste a participé à la séance de ce soir sans être inscrit. S'il y a consentement unanime, j'ajouterai le nom du Réformiste à notre liste et je lui accorderai une période de questions de cinq minutes. Toutefois, si vous le permettez, je dérogerai au règlement et donnerai d'abord la parole au membre du comité qui n'est pas inscrit.
Des voix: D'accord.
La vice-présidente (Mme Barnes): M. MacLellan d'abord et M. Breitkreuz ensuite.
M. MacLellan (Cap-Breton - The Sydneys): Docteur Sobrian, vous avez mentionné votre crainte de voir s'instaurer un État policier et vous avez cité le cas de Donald Marshall. Le dernier paragraphe de la page 4 de votre mémoire traite de l'appui accordé à ce projet de loi par l'Association médicale canadienne. Vous affirmez dans ce texte que M. Rock a délibérément trompé la Chambre des communes le 15 janvier en déclarant que l'Association médicale canadienne appuyait l'enregistrement universel des armes à feu. Sur quels faits fondez-vous cette allégation?
M. Sobrian: J'ai lu le Hansard du 15 janvier et M. Rock fait une déclaration tout à fait confuse; il commence en parlant de l'appui accordé à l'enregistrement et termine sa présentation en déclarant que l'Association médicale canadienne est entièrement d'accord avec l'enregistrement des armes à feu. En réalité toutefois, les représentants de l'Association médicale canadienne venaient tout juste de discuter avec lui dans le corridor et avaient indiqué à M. Rock que leur association n'appuyait pas cette mesure, mais était plutôt d'accord avec les objectifs du mémoire.
M. MacLellan: Vous étiez présent lors de cette conversation?
M. Sobrian: Le docteur Acker m'a rapporté ces propos le lendemain. Je l'ai appelé pour savoir ce qui se passait, car j'avais déjà discuté de la question avec lui. Il avait été entendu que l'association ne ferait pas une telle déclaration et le docteur Acker m'a affirmé que personne n'avait exprimé l'appui de l'association. Il m'a fait parvenir par télécopieur un document témoignant du contraire puis M. Landry a bien exprimé la position de l'association dans un numéro subséquent de Actualités AMC. J'ai ici l'article dans lequel le docteur Landry affirme que l'AMC n'appuie pas l'enregistrement des armes à feu:
- Le docteur Léo-Paul Landry, secrétaire général de l'AMC répond: «L'AMC n'a jamais appuyé
la mesure législative sur le contrôle des armes à feu proposée par le gouvernement fédéral.
L'association a appuyé les objectifs du projet de loi; ce n'est pas la même chose. Comme l'a
affirmé clairement le conseil d'adminsitration de l'AMC, l'AMC ne peut appuyer une mesure
législative qu'elle n'a pas eu la chance d'étudier.»
M. MacLellan: Oui. Je crois que vos allégations sont assez graves. Le 15 janvier, le projet de loi n'avait même pas été présenté.
M. Buckner, je voudrais ajouter que dans l'avant-dernier paragraphe de votre mémoire, vous déclarez qu'au cours des 20 dernières années les taux d'homicides, d'accidents et de suicides ont diminué et que l'utilisation des armes à feu dans la perprétation de crimes n'a pas augmenté. Ne croyez-vous pas que la tendance à l'amélioration que révèlent ces statistiques est due au contrôle des armes à feu?
M. Buckner: Je crois que le projet de loi C-51, adopté en 1978, a contribué à la baisse du taux de vols à main armée. On constate le même phénomène dans bien des pays, lorsque le taux des vols à main armée auprès de personnes diminue, le taux des vols avec effraction augmente. À mon avis cependant les taux de suicide d'homicides et d'accidents causés par des armes à feu ne baissent pas tous pour la même raison.
Le nombre d'accidents trace une courbe descendante depuis 60 ans et je soupçonne que ceci est largement dû au fait que les données sont de plus en plus exactes. Dans les années vingt et trente, les gens appelaient «accidents» ce qui était en fait des suicides. Je crois que nous sommes plus francs de nos jours. La diminution des accidents s'explique donc simplement par l'honnêteté accrue des comptes rendus. De même, l'augmentation du nombre de suicides, constatée à partir du milieu des années soixante, est probablement due en partie à la reclassification des accidents et à la réorganisation, dans plusieurs provinces, des services des coroners, lesquels ont été forcés de déclarer la véritable cause des décès.
Dans le cas des homicides, la baisse est liée principalement aux facteurs démographiques, c'est-à-dire à la proportion de la population âgée de 15 à 30 ans. Ce groupe d'âge produit la moitié de tous les homicides. Après 1975, date à laquelle les enfants du baby-boom sont entrés dans un autre groupe d'âge, au Canada et aux États-Unis, on constate une baisse constante du taux d'homicides au cours des 15 années suivantes, ce qui n'a rien à voir avec le contrôle des armes à feu. En fait, la baisse a été légèrement plus marquée aux États-Unis jusqu'en 1969 environ, alors que dans ce pays un phénomène différent s'est produit.
Je prévois que le taux d'homicide recommencera à grimper à compter de l'année prochaine et jusqu'en l'an 2005 environ parce que la génération issue des enfants du baby-boom atteindra à son tour la tranche d'âge de 15 à 30 ans.
M. MacLellan: C'est la première fois que j'entends quelqu'un formuler cette hypothèse.
Je n'ai qu'un autre point à soulever relativement au fait que le projet de loi cible les propriétaires légitimes d'armes à feu au lieu de cibler les criminels. Lorsqu'on promulgue des lois, il est absolument fondamental que celles-ci s'appliquent également à tous. Vous ne pouvez savoir qui deviendra un criminel tant que l'infraction n'est pas commise. Vous devez d'abord adopter les lois. Il est impossible de dire qu'un projet de loi cible un groupe de personne en particulier puisque les lois doivent être universelles.
J'aimerais que l'un de vous deux commente un peu cet aspect de la question.
M. Prieur: Je comprends. Je voudrais simplement ajouter qu'il existe une véritable différence. Habituellement, le criminel ne se procure pas un permis avant d'utiliser son arme à mauvais escient. Cela se produit peut-être parfois, et certains cas en témoignent; malheureusement ce sont les pires cas, par exemple, ceux de Marc Lépine et de Valéry Fabrikant - vous admettrez toutefois que généralement, les gens ne se procurent pas un permis pour armes à feu avant d'aller commettre des crimes.
Par ailleurs, je reconnais comme vous, que les lois sont nécessaires. Je l'ai dit plus tôt, le Canada est un pays de lois. Nous avons établi une culture où règnent la paix et l'ordre et nous devons réglementer le contrôle des armes à feu au moyen de lois, je ne le nie pas.
Cependant, j'ai du mal à accepter la portée et l'objet de ce contrôle. Je considère, en accord avec le groupe que je représente, que la loi telle qu'elle existe à l'heure actuelle, même avant l'adoption du projet de loi C-68, est beaucoup trop compliquée pour que le citoyen moyen puisse la comprendre. À mon avis, il faudrait nous efforcer de simplifier cette loi pour nos électeurs. Ces gens ne possèdent pas tous nécessairement une licence en droit, ils veulent simplement posséder une carabine. Ce sont des chasseurs. Il n'y a rien de mal à vouloir chasser, mais est-il normal de devoir posséder les connaissances d'un juriste pour obtenir une carabine?
Mme Torsney: J'invoque le Règlement. Le docteur Sobrian a fait de graves allégations à l'égard du ministre de la Justice en déclarant que ce dernier était intervenu à la Chambre des communes le 15 janvier. Or, la Chambre ne siégeait pas le 15 janvier puisque c'était un dimanche. Nous n'avons jamais siégé le dimanche, sauf pendant la grève des employés de chemin de fer.
Le ministre a peut-être tenu des propos inopportuns à la Chambre, mais j'ai du mal à comprendre comment vous pouvez préparer un mémoire... Ce soir, vous avez insinué, à la télévision et devant les citoyens de tous les coins du pays, que le ministre avait fait une présentation à la Chambre à une date où la Chambre ne siégeait même pas. Aimeriez-vous corriger votre déclaration? Peut-être songiez-vous au 15 janvier de l'année dernière, mais alors il s'agirait d'un samedi et la Chambre ne siège pas le samedi.
M. Sobrian: Je m'excuse de cette erreur; j'ai chez moi un exemplaire du Hansard qui renferme cette intervention du ministre.
La vice-présidente (Mme Barnes): Je remarque, monsieur Sobrian, que ce projet de loi a été présenté en février seulement.
Passons à la dernière période de questions de cinq minutes. Vous avez la parole.
M. Breitkreuz (Yorkton - Melville): Merci beaucoup. Je suis heureux d'avoir l'occasion de poser certaines questions.
Il est ironique de voir tous les obstacles que j'ai dû franchir pour devenir un membre légitime de ce Comité. J'espère que notre système d'enregistrement fonctionnera mieux que cela, car dans mon cas il n'y avait qu'une seule personne en cause.
Monsieur Buckner, si votre témoignage est exact, il devrait suffire à lui seul à justifier le rejet de ce projet de loi. Je ne sais pas pourquoi nous n'avons pas discuté de votre témoignage ce soir.
Que faudra-t-il faire selon vous pour se conformer à tous les règlements contenus dans ce document? Croyez-vous que les peines criminelles pouvant atteindre 10 ans d'incarcération expliquent en partie les difficultés que nous rencontrons quant à l'application de la loi? Le ministre de la Justice tente d'assurer le respect de la loi.
Je crois que nous avons omis d'examiner toute cette question. J'aimerais savoir ce qu'il faudra faire, selon vous, pour que les gens respectent la loi?
M. Buckner: Comme nous l'avons déjà dit, le problème vient de la complexité. Je donne un cours sur la sécurité de l'utilisation des armes à feu, comme bon nombre d'autres personnes. Même après avoir suivi ce cours de dix heures, bien des gens ont du mal à retenir les règles, même les règles les plus simples concernant l'entreposage adéquat des armes à feu. Les règlements concernant l'utilisation des armes à feu sont tout simplement très complexes.
Si je ne devais faire qu'un seul commentaire au sujet de ce projet de loi, outre le fait que je le crois inutile, je dirais que les gens trouvent offensante l'approche punitive adoptée. On a présumé que la seule façon de bien faire comprendre aux propriétaires d'armes à feu qu'ils devaient entreposer leurs armes en toute sécurité, était la méthode coercitive, l'imposition de sanctions pénales.
Au Québec, nous avons mené une enquête et la Coalition pour le contrôle des armes à feu a aussi fait son propre sondage. Elle a constaté que le tiers seulement des propriétaires d'armes à feu connaissent adéquatement les règles. Nous avons interrogé les instructeurs et ils sont tous d'avis que la population en général ne pourrait jamais se conformer à toutes les règles. Même ceux qui ont suivi leur cours n'y parviennent pas; les règles sont tout simplement trop complexes.
Le gouvernement ne diffuse jamais ces mesures législatives. Si seulement il informait les gens au lieu de présumer qu'ils vont mal faire et d'employer des mesures coercitives, je crois que les résultats obtenus seraient bien meilleurs.
Les gens se rebiffent à cause de l'hostilité à l'égard des propriétaires légitimes d'armes à feu, qui se dégage de toutes les dispositions du projet de loi. Si, au moins, les frais d'enregistrement servaient à payer pour une activité utile pour les propriétaires d'armes à feu. Les frais d'immatriculation des automobiles servent à payer la construction et l'entretien des autoroutes. On pourrait peut-être améliorer les clubs de tir afin que les tireurs sportifs ne respirent plus de plomb ou encore instaurer un régime d'assurance... Dans le contexte du programme d'enregistrement, on pourrait assurer chaque arme à feu au Canada pour 12c. chacune, selon leur valeur moyenne. Personne n'a même songé à une telle possibilité. Tout le programme vise à imposer des obligations aux propriétaires d'armes à feu et à forcer ceux-ci à les remplir.
M. Breitkreuz: Ma dernière question va dans le sens de certaines autres questions posées récemment. Un consentement obtenu par intimidation est-il vraiment un consentement?
Vous avez parlé de la complexité de ces lois. Un policier se présente à la résidence de quelqu'un et par simple intimidation... Les dispositions de la loi sont si complexes que bien des gens ne réalisent même pas qu'ils enfreignent la loi. Il suffit parfois d'user d'intimidation et d'expliquer quelques éléments pour avoir accès à la résidence d'une personne alors que celle-ci n'avait pas du tout l'intention d'accorder son consentement.
M. Buckner: D'après ma propre expérience, je peux affirmer que les policiers trompent parfois les gens pour réussir à entrer chez eux. Je le faisais souvent moi-même. Je renvoie la question àM. Prieur.
La vice-présidente (Mme Barnes): Vous travailliez à l'époque pour le service de police américain n'est-ce pas?
M. Buckner: Oui.
La vice-présidente (Mme Barnes): Je voulais simplement confirmer ce point.
M. Buckner: Ma thèse de doctorat portait justement sur ce service de police.
La vice-présidente (Mme Barnes): Merci.
M. Prieur: Ce qui m'inquiète surtout n'est pas tant la valeur du consentement que l'incertitude des policiers eux-mêmes qui ne sont probablement pas mieux informés que le propriétaire de la maison. Cette situation est injuste pour le policier; il arrive dans un lieu où il doit mettre en application une mesure législative excessivement complexe. Il doit agir pour le mieux. A-t-il le droit d'entrer ou non? Il le saura seulement plus tard, devant le juge. La situation est donc aussi injuste pour le policier.
La plupart des policiers au Canada ne veulent pas se mêler de tout ce qui concerne l'application de cette loi. Dans notre province par exemple, les membres de la Sûreté provinciale sont les seuls responsables de la mise en oeuvre de cette mesure législative, ce qui est probablement une bonne chose puisqu'ils sont, jusqu'à un certain point, les seuls à bien la comprendre. Outre la Sûreté provinciale, les tribunaux sont les seuls à devoir appliquer cette loi et ont du mal à le faire.
Il me revient toujours à l'esprit une discussion que j'avais eue avec un procureur de la Couronne dans une région rurale. Je lui avait demandé ce qu'il pensait du nouveau projet de loi C-17. Sa réponse fut très simple; selon lui, ce projet de loi était relativement inutile. S'il devait inculper quelqu'un d'un meurtre, l'arme à feu devenait secondaire; il accusait la personne en question d'homicide. Cette loi lui semblait tout à fait inutile.
M. Breitkreuz: Je voudrais vous remercier sincèrement pour votre témoignage. Vous avez apporté une contribution intéressante à notre discussion et j'en suis très satisfait.
La vice-présidente (Mme Barnes): Avant l'ajournement, je voudrais rappeler aux membres du comité que nous devons nous retrouver ici demain matin à 9 heures et non à 9h30.
Je vous remercie pour les témoignages de ce soir.
Monsieur Sobrian, soyez assuré que nous poserons votre question aux représentants de l'Association médicale canadienne lorqu'ils viendront témoigner.
La séance est levée jusqu'à l'appel de la présidence.