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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 15 mai 1995

.0917

[Traduction]

Le président: Je déclare la séance ouverte.

Nous reprenons notre étude du projet de loi C-68 Loi concernant les armes à feu et certaines autres armes.

Nous devions entendre ce matin l'Inuit Taparisat du Canada. Malheureusement, son président et les principaux témoins de ce groupe ne sont pas encore ici. La séance devait être ouverte à 9 heures et il est maintenant 9h18; nous entendrons donc M. Braidek, porte-parole de l'un des groupes régionaux.

Monsieur Braidek, veillez nous expliquer qui vous représentez, aux fins du procès-verbal, et nous exposer votre point de vue avant que Mme Kuptana, et les autres témoins se joignent à nous.

M. Alan Braidek (Nunavut Tungavik Incorporated): Je représente Nunavut Tungavik Incorporated, un organisme sans but lucratif créé pour donner suite à l'accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Cet accord a été négocié et ratifié par le Gouvernement du Canada et les Inuit du Nunavut en 1992.

Dans le cadre de cet accord, les Inuit du Nunavut ont obtenu un titre de propriété sur de vastes étendues des Territoires-du-Nord-Ouest et, parallèlement à cet accord, le territoire du Nunavut qui couvre la partie est des Territoires-du-Nord-Ouest deviendra un territoire distinct le 1er avril 1999.

On compte environ 19 000 Inuit actuellement inscrits au titre de l'accord sur les revendications territoriales au Nunavut et nous parlons en leur nom.

Je tiens à souligner que la position exprimée par l'Inuit Tapirisat du Canada dans son mémoire a été examinée par notre organisation qui l'appuie sans réserve.

Au Nunavut, de nombreux Inuit chassent et récoltent la ressource faunique pour s'alimenter. Ce sont donc des activités importantes, non seulement du point de vue culturel mais économique, pour les Inuit.

Les Inuit du Nunavut ne sont pas riches. Bon nombre d'entre eux sont des assistés sociaux qui doivent recourir à la récolte des ressources fauniques pour s'assurer d'un niveau de vie satisfaisant.

.0920

[Traduction]

Je voudrais vous parler aujourd'hui en particulier de la façon dont nous réagissons au projet de loi sur le contrôle des armes à feu, compte tenu de l'Accord réglant nos revendications territoriales.

L'article 5.7.26 de cet accord précise:

Sous réserve des conditions prévues par le présent chapitre, un Inuk muni d'une pièce d'identité suffisante peut récolter des ressources fauniques jusqu'à concurrence de son contingent de base ajusté, sans être tenu de produire quelque permis que ce soit ou d'acquitter des taxes ou des droits.

Nous estimons qu'il est nécessaire d'avoir une carabine ou un fusil pour chasser et récolter la ressource faunique, au Nunavut, de nos jours. Il est tout simplement impossible, actuellement, de récolter la ressource faunique sans utiliser une carabine. Traditionnellement, depuis des générations, les Inuit utilisent des armes à feu. Donc, imposer un droit ou exiger un permis pour obtenir une carabine revient à imposer un droit et à exiger un permis pour récolter les ressources fauniques. À notre avis, cela va à l'encontre de l'accord conclu entre les Inuit et le Canada. L'article 2.2.12 de l'accord précise que ce dernier l'emporte sur toute autre loi du Canada.

Plus loin dans l'Accord sur les revendications territoriales au Nunavut, qui fait que cet accord est essentiellement une loi adoptée par le Parlement, il est également déclaré que:

Les dispositions de l'Accord l'emportent sur les dispositions incompatibles de toute règle de droit, y compris la présente loi.

Nous disons donc que, pour un Inuit, payer un droit et obtenir un permis, s'il possède une carabine, correspond à lui imposer un droit et à le forcer à détenir un permis pour récolter les ressources fauniques, et... cela n'est pas acceptable. Nous estimons donc que le projet de loi devrait être modifié, ou encore qu'il ne s'applique pas aux Inuit du Nunavut; il serait aussi possible - mais il s'agit là d'une position de repli qui ne serait qu'un deuxième choix - , que l'application de la loi puisse être retardée dans les Territoires du Nord-Ouest, jusqu'à ce qu'une entente soit conclue, entre le Canada et les Inuit du Nunavut, sur la façon dont la mesure législative devra s'appliquer aux Inuit.

Les droits qui nous sont reconnus dans l'Accord sont protégés par l'article 35 de la Charte des droits et libertés comme étant des droits découlant de traités. Ici encore, nous estimons que nos droits de récolte sont protégés par la Constitution. La chasse et la récolte des ressources fauniques sont essentielles pour les Inuit. La plupart des chasseurs Inuit ont deux ou trois carabines - selon le type d'animal qu'ils chassent - et la chasse a de tous temps joué un rôle très important dans leur vie.

En imposant ces limites aux droits des Inuit de récolter la ressource faunique, le projet de loi sur le contrôle des armes à feu isolera encore davantage, les Inuit du Nunavut, de leurs terres et de leur mode de vie traditionnel et comme l'on fait les mesures discriminatoires du passé, il découragera les Inuit de pratiquer cette récolte, comme mode de vie, et les incitera à s'éloigner de leur mode vie traditionnel et de leurs terres, ce qui ne fera qu'accroître leur dépendance à l'égard de l'aide gouvernementale.

Cela vous donne les grandes lignes de la position du NTI.

Le président: Je vous signale, madame Kuptana et monsieur David Gladders, que nous avons malheureusement dû commencer par l'exposé de l'un de vos représentants, car la réunion était convoquée pour 9heures et nous devons conclure cette audition à 10h30, de façon à pouvoir entendre d'autres témoins. Nous avions pensé commencer par M. Braidek. Mais nous vous cèderons immédiatement la parole. Vous pourrez faire quelques remarques liminaires sur le projet de loi, puis, s'il nous reste du temps, il y aura une période de questions. Nous demandons habituellement aux témoins qu'ils limitent leurs remarques liminaires à 15 minutes.

.0925

[Traduction]

Madame Kuptana, vous avez la parole.

Mme Rosemarie Kuptana (présidente, Inuit Tapirisat du Canada): Merci, monsieur le président. Je suis accompagnée de David Gladders, directeur exécutif d'Inuit Tapirisat du Canada, l'organisation nationale qui représente les 40 000 Inuit du Canada.

J'aimerais d'abord vous remercier de nous avoir invités à vous faire part de notre point de vue sur le projet de loi C-68 sur les armes à feu. J'aborderai sans plus tarder l'essentiel de mon exposé puisque vous avez déjà des informations sur l'Inuit Tapirisat du Canada. J'aimerais relever trois points, du point de vue des Inuit, concernant les travaux que vous avez entrepris relativement à ce projet de loi.

Tout d'abord, les droits Inuit, ancestraux et issus de traités, étant reconnus à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, le gouvernement fédéral a l'obligation de tenir compte des intérêts des autochtones dans l'exercice de ses pouvoirs législatifs. Ce n'est pas de qu'a fait le gouvernement avec le projet de loi C-68. L'article 110 ne garantit pas que la loi tient dûment compte des droits des Inuit.

Il en est ainsi parce qu'on n'a pas consulté les Inuit sur le contenu ou le fond du projet de loi, ni sur son application et sur ses conséquences pour les Inuit, ni sur la façon dont on pourrait tenir compte des droits et des intérêts des Inuit tout en assurant l'utilisation et l'entreposage sécuritaire des armes à feu dans notre pays.

Deuxièmement, quelles que soient les consultations qui aient été menées ou non, il est fort probable que le projet de loi limitera les droits ancestraux, Inuit, et issus de traités relatifs à la chasse, de façon inutile, excessive et injustifiable, particulièrement chez les Inuit au mode de vie le plus traditionnel.

On doit aussi penser aux conséquences à long terme de ce projet de loi pour les jeunes Inuit. La tradition veut que la chasse et le maniement des armes à feu en toute sécurité soient enseignés aux jeunes par leurs parents et leurs aînés qui eux jugent les compétences des jeunes. En voulant remplacer ce système et ces évaluations par des instructions et le Cours canadien de sécurité sur le maniement des armes à feu, on met en péril les aptitudes et le processus décisionnel traditionnel des Inuit; et ce, à cause de ce projet de loi sur les armes à feu.

À l'avenir, les chasseurs devront obtenir un certificat délivré par des bureaucrates pour pouvoir chasser.

.0930

[Traduction]

Monsieur le président, vous savez sans doute que ce projet de loi aura une incidence profonde sur notre collectivité; il me semble donc important que les membres du comité nous écoutent s'ils veulent connaître notre point de vue.

Je disais donc que, à l'avenir, les chasseurs devront obtenir un certificat délivré par des bureaucrates pour pouvoir chasser. Et cela modifiera profondément le mode de vie des Inuit et la possibilité, pour les générations futures d'Inuit, d'exercer leur droit ancestral et issu de traité de chasser.

Il ne suffit pas de prévoir des permis spéciaux pour les jeunes qui ont besoin d'une arme à feu pour assurer leur subsistance. Il faut veiller à ce que les cours canadiens de sécurité dans le maniement des armes à feu soient sérieux, pertinents et dispensés aux jeunes Inuit.

Cette vision des effets possibles du projet de loi et des dispositions nécessaires pour tenir compte des intérêts et les droits des Inuit ne figure pas dans le projet de loi C-68.

Troisièmement, je voudrais souligner que le gouvernement fédéral a pris l'engagement politique de traiter avec les peuples autochtones du Canada en fonction de leur droit inhérent à l'autonomie gouvernementale prévue à l'article 35 de la loi constitutionnelle de 1982. Aucune disposition du projet de loi ne reconnaît ou ne prévoit que les Inuit pourront exercer leur autonomie gouvernementale en matière de contrôle des armes à feu.

Le gouvernement canadien, le gouvernement libéral, a dit qu'il reconnaissait ce droit inhérent à l'autonomie gouvernementale qui figure dans la loi constitutionnelle de 1982. Toutefois, dans son libellé actuel, le projet de loi ne permet pas aux Inuit de prendre les décisions discrétionnaires concernant l'usage et le contrôle des armes à feu. La chasse est l'un des fondements de notre culture. Nous avons le droit inné de chasser. C'est un droit qui, à l'heure actuelle, est protégé par la la loi suprême du pays. Pourtant, ce droit n'est pas reconnu dans le projet de loi C-68. Nous estimons que cette erreur doit être corrigée au moyen de consultations directes avec les Inuit. En outre, l'autonomie gouvernementale en matière de contrôle des armes à feu est essentielle pour les peuples dont la culture est enracinée dans la chasse.

J'illustrerai mes propos par un exemple banal. Le mécanicien qui habite dans la banlieue d'Ottawa, qui commet un crime avec violence et qui se voit refuser un permis de possession d'arme à feu est dans une situation fondamentalement différente du mécanicien qui habite dans un village de l'Arctique et qui jouit d'un droit de chasse ancestral ou issu de traités. Comme je l'ai dit plutôt, les peuples de chasseurs, dont la culture est fondée sur la chasse, doivent pouvoir prendre des décisions discrétionnaires sur le risque et la sécurité; sinon leur culture sera en danger.

Ce sont là les trois principaux points dont votre comité devra tenir compte lorsqu'il étudiera le projet de loi du point de vue des Inuit.

Notre mémoire - vous en avez une version détaillée - se divise en cinq parties. La première traite du territoire Inuit, de la récolte et de la chasse commerciale au Canada; la deuxième partie porte sur la protection constitutionnelle et les accords conclus entre le gouvernement et les Inuit; dans la troisième partie, on aborde les dispositions du projet de loi C-68 qui jouissent de l'appui des Inuit du Canada; dans la quatrième, on parle des dispositions du projet de loi C-68 qui vont nuire au mode de vie des Inuit du Canada et, dans la cinquième, on formule des recommandations compte tenu des droits des Inuit du Canada.

.0935

[Traduction]

La première partie du mémoire s'intitule «L'exploitation des ressources naturelles et la chasse commerciale par les Inuit au Canada».

Le territoire Inuit au Canada couvre environ un tiers du pays. Les Inuit ont la pleine propriété d'un cinquième de ce territoire et habitent dans 55 colectivités arctiques dans les Territoires-du-Nord-Ouest, dans le nord-ouest du Québec et au Labrador.

Nous, les Inuit, entretenons une relation étroite avec la terre, l'eau et les animaux qui nous entourent. Nous sommes un peuple de chasseurs dont la vie a énormement évolué depuis deux ou trois dernières générations. La pêche et la chasse du gibier sauvage restent toutefois au coeur de notre vie et de notre culture.

Nos poissons, oiseaux et autres animaux demeurent notre principale source alimentaire et une ressource importante pour notre développement économique. Notre subsistance et notre mode de vie dépendent de la santé et de la productivité de nos terres, de nos cours d'eau et des outils que nous employons pour les récoltes. Toute proposition susceptible de modifier cet état de choses nous préoccupe donc énormément.

La plupart des femmes et des hommes Inuit qui habitent au Canada s'adonnent à une forme ou une autre de récolte et nous dépendons tous de la chasse et de la pêche pour nous nourrir.

Les accords que nous avons signés nous permettent de chasser à des fins commerciales. Nous nous procurons ainsi les aliments qui servent au commerce entre les collectivités, que nous vendons aux restaurants et aux bouchers du Sud du pays et dont ont besoin les chasseurs américains et européens qui font appel aux services de guides autochtones.

La société qui vit de la chasse, du piégeage, de la pêche et de la récolte a une conception bien différente de la sécurité et du danger. Ceux qui vivent avec les armes à feu et qui les utilisent quotidiennement pour se nourrir et nourrir leurs familles dans des régions sauvages et éloignées ont, à l'égard des armes à feu, une attitude bien différente des citadins.

Les risques que présente la vie dans une culture de chasseurs sont uniques, tout comme le sont les conceptions qu'on se fait de la sécurité. Ainsi, la coutume Inuit veut qu'on donne des armes à feu en cadeau aux enfants, parfois à leur naissance. Chez nous, contrairement au Sud du Canada ou aux villes canadiennes, ces armes à feu sont considérées comme des outils. On trouve des armes à feu dans la plupart des foyers Inuit de l'Arctique et elles sont jugées nécessaires pour vivre selon le mode traditionnel et ne constituent pas des armes offensives.

Les Inuit estiment que l'urbanisation a mené à l'isolement des gens et qu'on ne voit plus les armes à feu qu'aux mains des policiers ou des criminels, surtout à la télévision. La plupart des habitants du Sud du Canada trouvent leur nourriture dans les supermarchés, et non pas directement de la terre. Dans notre culture, la nourriture vient directement de la terre; les animaux sont chassés par les Inuit, tués par les Inuit, nettoyés par les Inuit et partagés par les Inuit avec les parents, les amis et les voisins.

Ces différences sociales et culturelles se traduisent par une conception différente de la sécurité et du danger. Les normes de sécurité qui s'imposent et qui s'appliquent dans les villes, les régions rurales du Sud du Canada et là où les armes à feu servent à la chasse sportive ou à des activités récréatives s'appliqueront aussi aux Inuit et à leurs collectivités si le projet de loi C-68 est adopté. Ce qui fera que les Inuit ne pourront plus, comme avant, vivre la vie d'Inuit. Ils ne pourront plus vivre efficacement et librement dans une culture de chasseurs.

La deuxième partie du mémoire traite des ententes concernant les revendications territoriales des Inuit et la protection constitutionnelle.

D'abord et avant tout, il importe de noter que le projet de loi C-68 violera la Convention définitive des Inuvialuit, l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut et la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Si le projet de loi C-68 devient loi, il limitera aussi les droits de chasse ancestraux des Inuit du Labrador.

[Traduction]

Les droits des Inuït du Labrador n'ont toujours pas été définis, puisque c'est le seul groupe d'Inuit au Canada à n'être pas visé par un accord sur les revendications territoriales. Il n'en demeure pas moins que l'on ne peut pas restreindre leurs droits sans raison et qu'il faut également les consulter.

.0940

Le projet de loi C-68 imposera, à toutes fins utiles, l'obtention d'un permis fédéral pour pouvoir chasser et empêchera les Inuit d'exercer les droits qui leur reviennent en vertu des accords actuels sur les revendications territoriales.

Ces droits, établis dans les accords passés entre les Inuit du Canada, sont protégés dans la Constitution aux termes de l'article 35 de la Charte canadienne des droits et libertés, et de ce fait, ils ont préséance sur toute la législation fédérale et provinciale.

Aux droits stipulés dans les divers accords visant les Inuit s'joutent les droits ancestraux susceptibles d'être exercés par les Inuït canadiens. L'article 35 de la Charte établit le cadre dans lequel les droits ancestraux doivent être évalués en droit canadien.

Les paragraphes (1) à (4) de l'article 35, concernant les droits des peuples autochtones du Canada, sont inclus pour que vous puissiez vous y reporter.

En 1990, dans l'affaire R. c. Sparrow, la Cour suprême du Canada a énoncé les critères précis que doit suivre le gouvernement pour justifier le bien-fondé d'une atteinte aux droits ancestraux actuels. Voici ce qu'a déclaré la cour:

Les rapports spéciaux de fiduciaire et la responsabilité du gouvernement envers les autochtones doivent être le premier facteur à examiner en déterminant si la mesure législative ou l'action en cause est justifiable.

Même si le gouvernement fédéral a la responsabilité de réduire la criminalité et l'utilisation d'armes à feu illégales, en ce qui a trait aux Inuït du Canada, il doit assumer cett resposabilité sans toutefois porter atteinte à nos droits ancestraux de posséder et d'utiliser des armes à feu conformément à nos traditions et à nos usages en matière de chasse et pêche. Là encore, voici ce qu'a déclaré le juge en chef dans l'affaire Sparrow:

Il y a, dans l'analyse de la justification, d'autres questions à aborder selon les circonstances de l'enquête. Il s'agit notamment des questions de savoir si, en tentant d'obtenir le résultat souhaité, on a porté le moins possible atteinte à des droits... si le groupe d'autochtones en question a été consulté... Autant dire que la reconnaissance et la confirmation de ces droits exigent que les gouvernements, les tribunaux et tous les Canadiens, en fait, respectent les droits des peuples autochtones et en tiennent compte.

Chaque règlement de revendication territoriale conclu entre les Inuit et le gouvernement du Canada renferme des dispositions réaffirmant le droit de chasser avec un minimum d'ingérence de la part du gouvernement. Ces dispositions prévoient des droits de chasse exclusifs, et notamment le droit explicite d'utiliser et de posséder les armes à feu nécessaires à l'exercice de ce droit.

Toute limite proposée par le gouvernement devrait faire l'objet d'un examen par les organismes compétents aux termes des accords sur les revendications territoriales établies par les Inuït du Canada avant que le projet de loi ne soit adopté sous sa forme définitive. Il est inutile et absurde de tenir des consultations une fois le projet de loi a force de loi. Les organismes à consulter, mentionnés dans la Convention définitive des Inuvialuits, sont les suivants: le Conseil de gestion du gibier; pour le Nunavut, la Société Nunavut Tungavik Incorporated et le Conseil consultatif de gestion de la faune de Nunavut; pour Nunavik dans le Nord québécois, le Comité conjoint-chasse, pêche et trappage, établi en vertu de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, la Société Makivik et l'Administration régionale Kativik. Au Labrador, l'Association des Inuit du Labrador est l'organisme à consulter en l'absence d'un règlement des revendications territoriales.

.0945

[Traduction]

La troisième partie de mon exposé porte sur les dispositions du projet de loi C-68 qu'appuyent les Inuit du Canada. Je dirais tout d'abord que, en tant qu'Inuit du Canada, nous nous considérons comme des citoyens canadiens, à part entière et en tant que tels, nous comptons bien participer à toute décision qui touche l'ensemble de la société canadienne. C'est pourquoi nous souhaitons approuver les dispositions du projet de loi visant la sécurité de tous les citoyens canadiens du sud du pays.

Les responsables du ministère de la Justice ont dit que l'objet fondamental du projet de loi C-68 est de favoriser la sécurité des citoyens. Les armes à feu sont de plus en plus souvent utilisées pour commettre des crimes et des suicides dans les collectivités Inuit au même titre que dans le reste du pays. Toutefois, ce ne sont pas les armes à feu proprement dites qui sont responsables d'une série de problèmes très complexes qui mènent à la criminalité et au suicide. Il s'agit là à notre avis d'une façon très simpliscite d'aborder l'ensemble complexe de problèmes qui sont à l'origine de la recrudescence des agressions violentes au Canada.

Les Inuit du Canada appuyent toutefois les principes du projet de loi C-68 visant à remédier au nombre élevé d'actes criminels commis au moyen d'armes à feu et à résoudre les problèmes suivants: la mise en vigueur de sanctions plus strictes pour ceux qui sont jugés coupables de crimes commis au moyen d'une arme à feu, la mise en vigueur de règlements plus stricts en vue de réduire la vente d'armes illégales et l'application de règles plus strictes en vue de limiter considérablement la possession d'armes à feu dans un but autre que la chasse.

La formation aux règles de sécurité relatives aux armes à feu devrait être fournie comme condition préalable à la possession et à l'utilisation d'une arme à feu. Cette formation aux règles de sécurité devrait tenir compte des droits, intérêts et besoins spéciaux des régions Inuit, où les armes sont nécessaires en raison de notre culture exceptionnelle. Le gouvernement fédéral devrait avoir l'obligation d'offrir une formation à tous les Inuit, surtout aux jeunes, de telle sorte que le fait de ne pas être titulaire d'un certificat d'utilisation d'une arme à feu selon les règles de sécurité n'empêche pas les nôtres d'exercer leurs droits de chasse ancestraux et garantis par les traités.

Certaines dispositions du projet de loi C-68 vont nuire au mode de vie des Inuit du Canada. L'Inuit Tapirisat du Canada, l'ITC, s'inquiète de voir que le gouvernement du Canada s'est engagé à mener des consultations concernant la mise en application de sa nouvelle législation sur le contrôle des armes à feu alors qu'il n'a pas encore consulté pleinement les Inuit sur le fond de cette législation et sur ses répercussions éventuelles. En vertu de l'article 35 de la Charte canadienne des droits, le gouvernement du Canada a l'obligation de tenir compte des intérêts des Inuit dans les lois qu'il se propose d'adopter.

.0950

[Traduction]

Même si l'article 110 du projet de loi C-68 permet au gouvernement fédéral de faire des retouches ici et là à la loi pour qu'elle s'applique aux peuples autochtones, on peut présumer que cette loi va s'appliquer à nous. Il est clair aussi que les consultations qui sont proposées vont porter sur les questions d'application et non pas sur les dispositions de la nouvelle loi.

Les différentes régions Inuit ont demandé à l'ITC d'amorcer la discussion avec votre comité. Les Inuit peuvent compter sur les accords de règlements et sur les droits ancestraux reconnus par la Constitution pour les protéger contre toute ingérence indue du gouvernement du Canada qui serait susceptible de les empêcher de chasser et de piéger le gibier, de pratiquer la cueillette et de pêcher dans l'Arctique canadien.

Cela dit, je considère que la comparution de l'ITC devant votre comité ne constitue pas une consultation des Inuit du Canada par le gouvernement fédéral. Cette comparution ne remplace pas par ailleurs la consultation exigée par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et par la décision prise par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Sparrow.

Les observations qui vont suivre et le contexte dans lequel elles sont faites, ne doivent pas être considérées comme une acceptation des dispositions du projet de loi C-68 par les Inuit du Canada qui habitent dans les territoires traditionnels de la communauté Inuit du Canada. Le gouvernement du Canada a une responsabilité fiduciaire envers les Inuit du Canada et nous ne voulons pas remettre en cause les caractéristiques fondamentales de cette relation spéciale.

Le président: J'hésite à vous interrompre, mais nous faisons face à une difficulté. Votre mémoire a été distribué à tout le monde et je vous assure que nous allons tous le lire. Il ne nous reste qu'une demi-heure de séance. Si vous continuez à lire votre mémoire, nous n'aurons alors pratiquement plus de temps pour poser des questions. Je vais vous laisser encore cinq minutes pour que vous puissiez finir d'attirer notre attention sur les points de votre mémoire qui vous paraissent importants. Voilà la difficulté dans laquelle je me trouve. Si vous pouviez terminer votre exposé dans les cinq minutes qui suivent, nous aurions alors le temps de vous poser au minimum une série de questions. Si vous continuez votre lecture, j'ai bien peur que nous n'en ayons pas le temps. Nous finirons probablement juste à temps pour la fin de la séance.

Mme Kuptana: Comme vous voulez, monsieur le président. Je ne vous parlerai donc pas de tout ce qui concerne l'octroi des permis, les dispositions d'octroi des permis, la formation...

Le président: Nous allons imprimer l'ensemble du mémoire dans notre procès-verbal. Pour ma part, je vous répète que je l'ai déjà lu dans son intégralité. Je vous remercie.

Mme Kuptana: ...les droits, les armes, l'enregistrement, la police de l'Arctique ou les obstacles financiers. Je terminerai mon intervention en vous faisant part des recommandations auxquelles il faut donner suite à notre avis, pour protéger les droits des Inuit canadiens.

Nous faisons quatre recommandations.

Premièrement, nous demandons un report de la mise en application du projet de loi C-68 en attendant que des amendements soient adoptés pour tenir compte des obligations constitutionnelles et juridiques du Canada afin que les droits traditionnels et coutumiers des Inuit en matière de chasse soient protégés par nos accords sur les revendications territoriales et par le gouvernement du Canada conformément aux dispositions de l'article 35 de la Loi constitutionnelle du Canada.

.0955

[Traduction]

Deuxièmement, il faut que le Gouvernement du Canada respecte les obligations qui découlent de l'arrêt Sparrow ainsi que celles qu'il s'est expressément engagé à respecter aux termes des accords sur les revendications territoriales pour ce qui est de la consultation des organisations Inuit.

Troisièmement, il faut que le projet de loi C-68 prévoit une disposition non dérogatoire s'appliquant aux peuples autochtones et que l'on s'engage à ne pas empiéter sur les droits ancestraux. Cette disposition devrait prévoir que la loi ne déroge pas aux droits ancestraux issus de traités existants, qui permettent aux peuples autochtones du Canada de chasser, et qu'on ne puisse pas l'interpréter de cette manière.

Quatrièmement, il convient que les articles du projet de loi C-68 qui n'empiètent pas sur les droits des Inuit qui sont à la fois protégés par les accords sur les revendications territoriales et par la Constitution et qui ne vont pas à l'encontre de l'arrêt Sparrow prononcé par la Cour suprême, soient appliqués par les autorités Inuit locales dans chaque région.

Voilà qui met fin à l'exposé de l'Inuit Tapirisat du Canada.

Le président: Je vous remercie.

Le comité est-il d'accord pour que l'on imprime intégralement le mémoire dans notre procès-verbal?

Des voix: D'accord.

Le président: Nous allons maintenant passer aux questions.

[Français]

Madame Venne.

Mme Venne (Saint-Hubert): Monsieur Braidek, vous avez dit plus tôt, dans votre présentation, que le projet de loi C-68 imposait des restrictions au droit des Inuit de pratiquer la chasse et la pêche . J'aimerais savoir où vous avez vu cela dans ce projet de loi.

Selon moi, dans le projet de loi, il n'y a aucun article qui restreigne la chasse ou la pêche pour les Inuit. J'aimerais savoir d'où vient cette allégation et en vertu de quel article du projet de loi vous la basez.

[Traduction]

M. Braidek: Les articles du projet de loi qui exigent que les Inuit aient un permis pour pouvoir posséder une arme à feu, qu'ils enregistrent leurs armes à feu, qu'ils payent des droits dans les deux cas et ceux qui imposent des sanctions pénales à celui qui n'a pas enregistré son arme à feu ou qui ne détient pas un permis, ont ensemble pour effet d'imposer aux Inuit le paiement d'un droit et l'obtention d'un permis pour chasser. L'imposition de ce droit et de ce permis de chasse n'est pas conforme aux dispositions de l'Accord conclu par les Inuit du Nunavut.

[Français]

Mme Venne: Vous arrivez au même point que Mme Kuptana, qui se trouve à vos côtés et qui disait que les Inuit devront dorénavant se procurer un certificat auprès d'un fonctionnaire afin de pouvoir aller à la chasse et à la pêche.

J'aimerais vous faire remarquer à tous les deux, et avoir vos commentaires par la suite, que, actuellement, les Inuit, comme tous les Canadiens, doivent se procurer un certificat d'acquisition d'arme à feu auprès d'un fonctionnaire afin d'acheter une arme. Également, les Inuit qui pratiquent la chasse comme moyen de survie n'ont pas à payer de frais actuellement. La même disposition est prévue dans le projet de loi C-68.

.1000

[Français]

Donc, j'aimerais savoir pourquoi vous venez nous dire ici que vous aurez des frais à payer, et que c'est quelque chose qui est tout à fait nouveau. On jurerait qu'on tombe des nues en vous entendant. Actuellement, vous devez déjà faire ces mêmes demandes, comme tout le monde d'ailleurs au Canada qui vit de la chasse ou de la pêche, ou plutôt de la trappe comme il est question dans le projet de loi.

J'aimerais entendre vos commentaires de la part de vous deux. Pourquoi, tout d'un coup, dites-vous qu'il serait extravagant d'aller voir un fonctionnaire quand vous devez, de toute façon, actuellement le faire quand même pour aller vous chercher un certificat d'acquisition d'armes à feu?

[Traduction]

M. Braidek: Le certificat d'acquisition d'armes à feu ne s'applique qu'aux armes neuves, de telle sorte que ce projet de loi imposerait une obligation supplémentaire dans le cas des armes qu'on utilise déjà depuis un certain temps. Les Inuit ne sont pas riches. Ils utilisent les mêmes armes depuis de nombreuses années.

[Français]

Mme Venne: Je m'excuse, monsieur. Je ne veux pas vous interrompre, mais je voudrais juste faire une remarque. En ce qui a trait à la demande de certificat d'acquisition d'armes à feu, cela existe depuis 1978. Donc, les Inuit ont dû s'y conformer depuis ce temps-là aussi. Ils ont certainement acheté des armes depuis 1978.

[Traduction]

M. Braidek: Oui, je reconnais que nombre des armes à feu sont utilisées depuis ce temps-là. Il s'agit d'une exigence supplémentaire. C'est un nouveau permis, un nouveau droit, qui leur impose de nouvelles restrictions.

Mme Kuptana: M. Gladders pourrait peut-être répondre à cette question, parce que c'est un spécialiste en ce qui concerne....

M. David Gladders (directeur administratif, Inuit Tapirisat du Canada): Je comprends les remarques du député.

Il y a eu des problèmes d'application et d'utilisation du CAAF au sein de la communauté Inuit. Ces problèmes concernent des choses comme la traduction des documents et la compréhension du CAAF. Je crois savoir qu'un différent oppose le ministère de la Justice et le peuple de la région du Nunavut dans le nord du Québec.

Là encore, comme Alan l'a fait remarquer, le CAAF s'applique généralement à l'achat d'armes à feu neuves ou lorsqu'une transaction a lieu. Au sein de la communauté Inuit on parle de gens qui utilisent des armes à feu utilisées depuis un certain temps, comme les carabines Lee-Enfield qui viennent des surplus. Il n'est pas aussi fréquent que dans la population du sud du Canada de pouvoir acheter des carabines neuves.

[Français]

Mme Venne: J'aurais une dernière question, messieurs Braidek et Gladders. Vous n'êtes pas des Inuit. J'imagine que vous êtes employés par la communauté. C'est cela?

[Traduction]

M. Gladders: C'est exact.

M. Ramsay (Crowfoot): Bienvenu à Ottawa et à notre Comité. J'ai trouvé votre exposé intéressant ce matin. Ce qui m'inquiète particulièrement au sujet de ce que vous nous avez dit ce matin, c'est que l'on a enfreint la procédure de consultation qui doit avoir lieu entre le gouvernement fédéral et votre peuple en vertu des accords déjà conclus.

À mon avis, ce projet de loi soulève deux séries de questions. La première est de savoir s'il répond bien en fait à son objectif qui est de réduire le nombre de morts causées par les armes à feu. Bien des gens ne sont pas de cet avis. L'enregistrement de toutes les armes à feu ne va pas réduire le nombre d'accidents domestiques ou de suicides parce qu'il ne s'attaque pas à la cause de ces problèmes.

.1005

[Traduction]

C'est un des éléments à considérer. Toutefois, ce que ressort des interventions faites par les Cris de la Baie James et par la délégation des peuples indiens du Yukon, ainsi que votre propre intervention, est quelque chose de bien plus grave, à mon avis, puisqu'il faut alors se demander si les droits constitutionnels des peuples autochtones n'ont pas été enfreints du fait de l'absence de consultations entre le gouvernement fédéral - en l'occurrence, le ministère de la Justice - et vous-mêmes.

J'aimerais vous demander si vous avez le sentiment que vos droits contractuels et constitutionnels sont enfreints par ce projet de loi en raison de l'absence de consultations entre vos peuples et le ministère de la Justice?

Mme Kuptana: Je vous remercie de ces commentaires. Juste avant d'y répondre, j'aimerais toutefois signaler à l'intervenante francophone - je ne connais pas son nom - que ces deux messieurs sont des spécialistes des questions techniques d'Inuit Tapirisat du Canada. Ils sont ici pour répondre aux questions techniques que vous leur posez.

J'en reviens à ce que vous venez de dire et la réponse est oui, nos drois constitutionnels et juridiques sont remis en cause par la façon dont ce projet de loi a été rédigé. Avant toute chose, et je le dis dans mon exposé, la reconnaissance et la confirmation de nos droits ancestraux issus de traités, tels qu'ils figurent dans l'article 35, n'ont pas été respectés lors de la rédaction de ce projet de loi. Les droits ancestraux et issus de traités des Inuit ne se retrouvent absolument pas ici. Rien n'est prévu pour ce qui est des accords d'autonomie gouvernementale dans l'avenir.

Nous sommes en train de discuter avec le gouvernement du Canada la signature d'accords d'autonomie gouvernementale. Il m'apparaît donc qu'un ministère peut se permettre de négocier avec nous de la prise de contrôle et de la possibilité de nous gouverner dans certains domaines alors que d'autres services du gouvernement nous déclarent qu'ils vont imposer telle ou telle loi et telle ou telle restriction aux peuples autochtone». On ne nous a pas consultés.

Chaque fois qu'une politique ou une loi est établie dans notre pays, on le fait souvent sans tenir vraiment compte des peuples autochtones. Le projet de loi C-68 est le parfait exemple de la façon dont le gouvernemetn considère les peuples autochtones.

J'estime que le texte du projet de loi C-68 viole les droits fondamentaux de la personne des Inuit et des autres peuples autochtones de notre pays. Étant donné qu'il ne tient pas compte des obligations du Canada en ce qui concerne les droits ancestraux issues de traités, il viole sa propre Constitution.

M. Ramsay: Y a-t-il eu une consultation entre le peuple que vous représentez - autrement dit, les représentants régulièrement élus, quels qu'ils soient, qui représentent votre peuple - et le ministère de la Justice au sujet du projet de loi C-68? Y a-t-il eu jusqu'à un certain point un mécanisme de consultation? Pouvez-vous dire au comité quelles sont les consultations qui ont eu lieu entre votre peuple et le minstère de la Justice lors de l'élaboration du projet de loi C-68?

Mme Kuptana: Le mécanisme de consultations qui doit être respecté avec la communauté Inuit lorsqu'un texte comme le projet de loi C-68 est proposé, figure dans nos accords de règlement de nos revendications territoriales au titre de la Convention définitive des Innuvialuit, du Conseil de gestion du gibier des Inuvialuit, du Comité sur la chasse, la pêche et le trappage de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, de la Nunavut Tungavik Incorporated et du Conseil consultatif de gestion de la faune du Nunavut. Ce sont là des organismes que le gouvernement du Canada devrait logiquement consulter.

.1010

[Traduction]

M. Ramsay: Est-ce qu'il y a eu une consultation?

Mme Kuptana: On me dit qu'il y a eu quelques consultations. Mais ce n'est pas en dejeûnant avec des membres de la communauté Inuit et en leur montrant quelques documents publics que l'on mène une consultation.

Le mécanisme de consultation Inuit est très précis, il a été bien défini dans nos accords sur les revendications territoriales et il est très démocratique - il y a des organismes appropriés qu'il convient de consulter.

M. Ramsay: Avez-vous été consultée par le ministère de la Justice?

Mme Kuptana: Non.

M. Ramsay: Je trouve cela très inquiétant. Je considère que nous sommes une société qui est régie par la règle de droit et qu'une fois qu'une loi est en vigueur, quoi qu'on puisse en penser, il faut qu'elle soit respectée.

J'ai le sentiment que si l'on a procédé d'une manière qui enfreint vos droits constitutionnels, on entérine cette infraction en demandant à notre comité de poursuivre dans la même voie. Je suis gravement préoccupé par le fait qu'en siégeant en ce moment je ne fais qu'entériner cette atteinte à vos droits constitutionels ou en participant tout simplement à cette procédure.

J'ai demandé à notre comité par voie de motion qu'il suspende sa procédure. Ma motion a été jugée irrecevable. J'ai demandé que l'on vote. Les députés du parti gouvernemental ont voté en faveur et de notre côté nous avons voté contre la décision du président - et nous avons poursuivi nos travaux. C'est pourquoi je suis ici ce matin, c'est pourquoi vous y êtes aussi.

La constitutionnalité de cette procédure me préoccupe donc sérieusement dès lors que vous et d'autres intervenants viennent témoigner comme ils l'ont fait, pour nous dire qu'il y a eu un vice de procédure lors de l'adoption d'une de nos lois. J'aimerais donc que votre conseiller juridique nous dise ce qu'il en pense.

Mme Kuptana: Peut-être, avant que mon conseiller juridique fasse ses commentaires à ce sujet...

Ce qui se passe ici c'est que les droits fondamentaux de la personne des Inuit ne sont pas respectés. Nous demandons simplement que l'on reconnaisse que nous sommes une société de chasseurs et que dans la plupart des cas nous utilisons les armes à feu d'une manière qui présente toutes les garanties de sécurité.

Nous avons beaucoup renoncé à bien des caractéristiques de notre société du fait que nous sommes un peuple colonisé. Je reconnais qu'il y a bien des facteurs différents qui expliquent les problèmes que pose l'utilisation des armes à feu dans notre pays. Un certain nombre des mêmes problèmes se posent aussi dans le nord du Canada. Il faut toutefois que l'on procède en bonne et due forme à une analyse de la situation particulière des Inuit et des autres peuples autochtones et du fait qu'ils ont besoin d'utiliser les armes à feu pour se nourrir. C'est quelque chose qui est tout à fait fondamental et qui est à la base de notre culture. Je considère que ce projet de loi... que le gouvernement du Canada enfreint les règles de son propre système parlementaire et démocratique qui applique la règle de droit.

.1015

[Traduction]

Si elle est appliquée je pense que la mesure proposée ne fera que perpétuer le système colonial qui avait cours au XIXe siècle et qui se retrouvera dans la société Inuit actuelle.

Le président: Madame Kuptana, il est indéniable qu'il nous faudra prendre très au sérieux votre déclaration selon laquelle vos droits constitutionnels n'ont pas été respectés. Nous avons déjà les dispositions précises de la Convention de la Baie James et du Nord québécois en ce qui concerne les droits de chasse et la consultation et nous avons aussi les dispositions qui s'appliquent au Conseil des Indiens du Yukon. La formulation est légèrement différente dans ce cas de celle de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, mais le fond est à peu près le même. Nous n'en avons pas toutefois ce qui concerne l'accord de règlement des revendications territoriales du Nunavut ni la Convention définitive des Inuvialuit.

Il nous serait utile d'avoir les dispositions de la Convention de règlement des revendications territoriales du Nunavut qui traitent de la consultation en matière de chasse - simplement des articles-là. Je me demande si quelqu'un de votre bureau pourrait nous faire parvenir ces dispositions précises avant vendredi. Nous serions heureux de les avoir. Nous serions alors mieux placés pour étudier votre intervention.

M. Ramsay: J'invoque le Règlement. J'ai aussi demandé l'avis du conseiller juridique.

Le président: Monsieur Gladders, êtes-vous le conseiller juridique?

M. Gladders: Non.

M. Ramsay: Ah! Excusez-moi.

Le président: Est-ce que le conseiller juridique est M. Braidek?

M. Braidek: Je suis le conseiller juridique du Nunavut et des Tungavik. Je ne connais pas l'existence des exigences précises en matière de consultation et j'ai peur de ne pas pouvoir vous répondre pour l'instant.

Le président: Je suis sûr que vous les avez. Nous aimerions simplement en connaître la formulation exacte.

M. Gallaway (Sarnia-Lambton): Madame Kuptana, combien de gens représentez-vous?

Mme Kuptana: Combien de gens représentez-vous? Comme je vous l'ai dit dans mon exposé, il y a 40 900 Inuit au Canada. Nous habitons quatre régions de revendications territoriales dans l'ouest de l'Arctique, au Nunavut, au nord du Québec et au Labrador, ce qui représente essentiellement un tiers du territoire du Canada.

M. Gallaway: Nous avons déjà entendu des groupes appartenant aux territoires du Yukon et du Nord-Ouest qui sont venus donner le point de vue des autochtones. Est-ce que votre territoire recoupe d'une certaine manière - j'essaie de me situer d'un point de vue géographique - les territoires du Nord-Ouest et le Yukon?

Mme Kuptana: Oui. Il n'y a pas seulement des Inuit, dans les territoires du Nord-Ouest. Bien d'autres peuples y résident aussi.

Il peut y avoir des sujets de préoccupation communs concernant les répercussions que peut avoir ce projet de loi sur les peules autochtones au Canada, mais nous vous donnons essentiellement le point de vue des Inuit.

Chaque fois qu'une loi concernant les peuples autochtones de notre pays est rédigée, elle l'est généralement en ayant à l'esprit la communauté des Premières nations. Souvent, on oublie les Inuit. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous cherchons à faire en sorte que des mécanismes de consultations spéciaux soient prévus parmi les articles précis de nos accords de règlement des revendications territoriales pour que, lorsqu'on adopte une politique, lorsqu'on élabore la loi, lorsqu'on rédige les textes, il y ait des discussions avec la collectivité Inuit avant que la loi ne soit présentée au Parlement.

.1020

[Traduction]

M. Gallaway: Vous avez dit qu'il y avait eu des réunions - vous avez parlé de déjeuners - avec des particuliers ou des groupes dans votre région. C'est bien ça?

M. Gladders: Nous avons fourni des renseignements à l'équipe technique du ministère de la Justice sur nos différents contacts au sein de la collectivité Inuit. Nous avons aussi rencontré les fonctionnaires il y a quelque temps pour discuter des différentes façons pour d'autres organisations de participer utilement à cette procédure.

M. Gallaway: Et votre organisation fait partie de celles, comme l'affirme Mme Kuptana, qui doivent être consultées dans le cadre des accords de règlement des revendications territoriales?

Mme Kuptana: L'Inuit Tapirisat du Canada est l'organisation nationale qui représente les 40 900 Inuit du Canada. Nous avons un conseil d'administration qui est élu démocratiquement. Tous les présidents des organisations de règlement des revendications territoriales sont membres de notre conseil d'administration. Le président, c'est le poste que j'occupe, est élu à l'issue d'une élection nationale qui a lieu tous les trois ans et au cours de laquelle votent tous les Inuit âgés de 18 ans et plus au Canada. C'est donc une organisation nationale. Nous représentons tous les Inuit du Canada.

Le président: Si je comprends bien, il faut aux termes de l'accord de règlement des revendications territoriales qu'une consultation ait lieu entre le gouvernement du Canada et le Nunavut, le gouvernement du Canada et les Inuvialuits, le gouvernement du Canada et les Inuit de la Baie James et du Labrador, et non pas avec l'ITC. Je ne pense pas que vous proposiez que la consultation ait lieu directement avec l'ITC, mais avec les groupes ayant signé les conventions de règlement des revendications territoriales.

Mme Kuptana: Comme je le dis dans mon exposé, nous avons défini la nature de la consultation que nous voulons avoir. Nous avons dit que l'ITC avait été désignée comme l'organisation chargée de traiter avec le gouvernement du Canada sur cette question, ce que nos membres ont parfaitement le droit de faire. Toutes ces organisations de règlement des revendications territoriales siègent au sein du conseil d'administration de l'ITC, au sein de notre comité directeur.

M. Gallaway: Vous affirmez donc ce matin qu'il y a eu certaines formes de consultations avec des particuliers ou peut-être des groupes de la collectivité, mais que ces groupes ou ces particuliers ne sont pas autorisés. C'est bien ça?

M. Gladders: Je ne parlerai pas ici de consultations. Il y a eu quelques discussions et un certain nombre de réunions au sein de la collectivité.

M. Gallaway: Vous nous dites qu'il n'y a eu aucune consultation auprès des groupes autorisés. Est-ce que la notion «consultation» est définie dans la loi?

M. Gladders: De quelle loi parlez-vous?

M. Gallaway: Je parle des lois qui...

Une voix: Les accords de règlement des revendications territoriales eux-mêmes.

M. Gallaway: Oui, les accords de règlement des revendications territoriales.

M. Gladders: Les accords de règlement sont très précis pour ce qui est des organisations qui doivent...

M. Gallaway: Mais ce que je demande, c'est si l'action même de consulter est définie.

M. Gladders: Je devrai vous répondre plus tard. Il faut que je vérifie.

M. Gallaway: Très bien.

En avez-vous connaissance, madame Kuptana?

Mme Kuptana: Aux termes des accords de règlement des revendications territoriales, chaque fois qu'une question touche les droits ancestraux ou issus de traités des Inuit et des autres collectivités autochtones, il faut que les peuples de la région soient consultés.

M. Gallaway: Donc, nous savons que certaines personnes ont été consultées. Vous soutenez que certains groupes autorisés n'ont pas été consultés. Toutefois, est-ce que la loi définit le terme «consultation»?

Ce que je vous demande - et je vais être ici un peu plus précis - c'est si ce genre de discussion ou de dialogue suffit pour que l'on puisse parler de consultation aux termes des accords de règlement des revendications ou si c'est quelque chose qui est subjectif?

M. Braidek: Que je le sache, le terme «consultation» est défini en plusieurs endroits dans l'accord de règlement des revendications territoriales du Nunavut, pour ce qui est de ce sujet précis.

.1025

[Traduction]

M. Gallaway: Aux termes de ce projet de loi, la question de savoir si une consultation a eu lieu dans ces conditions est une question d'opinion.

Mme Kuptana: Je crois que nous l'avons dit très clairement, monsieur Gallaway. Nous disons que, de notre point de vue, nous avons une vision nationale en tant que collectivité, en tant qu'Inuit. Nous disons que cette consultation n'a pas eu lieu comme nous voudrions être consultés.

Le ministère de la Justice a peut-être mené quelques consultations avec la collectivité Inuit, mais nous disons qu'il ne s'agit pas là d'une consultation. Nous avons des organismes constitués en bonne et due forme et chaque fois qu'une mesure législative ou qu'une politique est rédigée ou formulée à Ottawa, qui a des répercussions sur les Inuit du Canada, nous avons besoin d'être informés et de participer. En l'espèce, le projet de loi C-68 comporte des dispositions bien précises qui touchent notre mode de vie lui-même. Nous disons que sur ce projet de loi les Inuit n'ont pas été consultés comme il se doit et que nos droits de chasse sont remis en cause.

Le président: Pour répondre à cela, je tiens à assurer Mme Kuptana que nous prendrons très au sérieux ces déclarations ansi que votre intervention. Nous avons entendu les Cris du nord du Québec qui ont fait valoir le même argument. Nous avons entendu le Conseil des Indiens du Yukon qui est, lui aussi, du même avis. Cet après-midi, nous allons entendre d'autres groupes autochtones. C'est un sujet que l'on ne manquera pas d'aborder.

Je vous le répète, il serait utile que vous fassiez parvenir des clauses plus précises à notre greffier qui se chargera de les distribuer à chacun d'entre nous pour que dans deux semaines, lorsqu'il nous faudra conclure au sujet de ce projet de loi, nous soyons mieux placés pour répondre à vos recommandations très précises.

Mme Kuptana: Monsieur le président, vous pouvez aussi obtenir ces conventions auprès du secrétariat des revendications territoriales d'Affaires indiennes et du Nord Canada, au gouvernement fédéral. Pour vous faciliter les choses, nous vous fournirons ces dispositions précises.

Le président: J'ai en fait, dans mon bureau, l'ensemble des conventions sur les revendications territoriales, étant donné que j'ai été chargé de quelques-unes d'entre elles. Il serait cependant utile de pouvoir obtenir simplement les clauses très précises. Par ailleurs, étant donné que bon nombre des membres de notre comité n'ont été élus qu'après 1993, ils n'étaient pas là à l'époque. C'est donc une chose qui nous serait très utile.

La séance est levée.

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