[Enregistrement électronique]
Le mardi 13 juin 1995
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte. Nous continuons ce matin notre étude du projet de loi C-72, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire).
Ce matin nous entendrons, pour l'Association des psychiatres du Canada, le Dr John Bradford, directeur de la médecine légale (psychiatrie) à l'Hôpital Royal d'Ottawa et ancien président de l'Association canadienne de psychiatrie et du droit. Nous entendrons également, pour la Fondation de recherche sur la toxicomanie, Mme Sue Bondy et le Dr Perry Kendall. Nous accueillons aussi le Dr Harold Kalant du département de pharmacologie, faculté de médecine, Université de Toronto.
Ils présentent trois mémoires et je leur ai demandé de s'en tenir à 15 minutes chacun, puis nous passerons aux questions.
Je tiens également à rappeler aux membres du comité que ce sont là les derniers témoins que nous entendrons sur ce projet de loi. Nous avions invité également l'Association des refuges pour femmes, ainsi que l'association correspondante du Québec, mais elles n'ont pas pu se faire représenter.
Nous commencerons donc l'examen article par article dès jeudi après-midi.
Je tiens également à vous rappeler que jeudi matin nous recevrons les porte-parole de la Commission nationale de libération conditionnelle. Nous n'avons pas eu le temps de les entendre pendant l'étude du budget parce que nous étions trop pris par la Loi sur le contrôle des armes à feu, mais nous les entendrons cette semaine en vertu d'un autre article du Règlement et nous pourrons leur poser toutes les questions sur leur administration et leur budget.
En dernier, avant le congé d'été, nous entendrons la semaine prochaine l'enquêteur correctionnel, en vertu des mêmes articles du Règlement. Là encore, nous avions prévu d'inviter l'enquêteur correctionnel pendant l'étude du budget et cela ne nous a pas été possible. Nous l'accueillerons donc un jour de la semaine prochaine.
La seule autre réunion - et elle est importante - concerne le comité de direction, qui se réunit la semaine prochaine pour préparer nos travaux de l'automne, et plus particulièrement nos audiences concernant la Loi sur les jeunes contrevenants, audiences qui demanderont beaucoup de planification. Par conséquent, si vous avez des suggestions, adressez-les au président, au greffier ou à tout membre du comité de direction avant notre réunion de la semaine prochaine.
Vous vous souviendrez qu'on nous avait demandé de procéder à une étude phase deux sur les jeunes contrevenants, et que nous nous étions également engagés à nous rendre dans diverses institutions et prisons du Canada, et à rencontrer des experts et des groupes de citoyens dans tout le pays. Ce sera une vaste entreprise qui aura lieu à l'automne.
Je donne maintenant la parole à nos témoins; je leur demanderais de respecter l'ordre qui figure dans l'avis de convocation: Tout d'abord, le Dr John Bradford pour l'Association des psychiatres du Canada, suivi de la Fondation de recherche sur la toxicomanie. Vous déciderez entre vous lequel, de Mme Bondy ou du Dr Kendall présentera le mémoire. Et puis nous entendrons le Dr Kalant.
Monsieur John Bradford.
M. John Bradford (directeur, médecine légale (psychiatrie), Hôpital Royal d'Ottawa): Bonjour.
L'Association des psychiatres du Canada est heureuse de cette occasion qui lui est donnée de participer aux travaux du comité de la Chambre. J'ai un mémoire de six pages que je lirai presque en entier. Je ne vous ferai pas une lecture mot à mot, mais je veillerai à en tirer les points principaux.
En termes médicaux, l'automatisme, ou la défense d'automatisme, reconnaît qu'il est possible de commettre certains actes criminels involontairement. Plus précisément, l'automatisme est l'accomplissement d'un acte ou la manifestation d'un comportement en état d'inconscience. Du point de vue de la loi, cela veut dire que l'acte a été commis sans que la personne soit dans un état d'esprit conscient et sans volonté ou intention. Le somnambulisme correspond à cette définition et a été accepté par les tribunaux canadiens.
Un certain nombre de troubles médicaux peuvent créer un automatisme suite à un état d'inconscience; par exemple, une commotion à la suite d'une blessure à la tête, les effets de drogues ou de l'alcool, divers troubles du métabolisme, l'épilepsie ou le somnambulisme.
En outre, un certain nombre de troubles psychiatriques peuvent entraîner l'automatisme. L'Association des psychiatres du Canada reconnaît que divers états d'automatisme peuvent intervenir et ces troubles psychiatriques pourraient être invoqués dans le cadre d'une défense d'automatisme. L'Association des psychiatres du Canada reconnaît toutefois que la défense d'automatisme ne saurait être illimitée, et que toute personne responsable, sachant qu'elle souffre de troubles qui pourraient entraîner un état d'automatisme se doit d'éviter certaines situations ainsi que les circonstances qui pourraient l'amener à se faire du mal ou en faire à d'autres.
On pourrait donner comme exemple une personne qui se sait épileptique et qui sait que sa maladie est mal maîtrisée. Elle se comporterait en personne responsable en évitant de prendre le volant et, donc, le risque d'une crise incontrôlable pouvant entraîner, bien sûr, des blessures à d'autres personnes.
L'Association des psychiatres du Canada déclare formellement que l'intoxication volontaire n'est pas une défense en cas d'actes criminels et ne doit pas être invoquée comme telle, sauf dans les cas déjà prévus de défense d'ivresse ou dans le cadre d'une absence de responsabilité criminelle pour cause de trouble mental.
Nous retrouvons ici le même principe, c'est-à-dire qu'une personne responsable, soit la plupart des Canadiens, connaît les effets de l'alcool et sait comment la boisson peut modifier son comportement, par exemple, en lui rendant difficile la maîtrise d'un véhicule, ou en suscitant divers actes de violence. Il appartient donc à chacun d'éviter l'intoxication si l'on a des raisons d'en craindre les conséquences; chacun est donc responsable du comportement qui pourrait découler d'un tel état d'intoxication.
Il est aussi extrêmement important de ne pas permettre que l'intoxication, en termes généraux, puisse excuser des activités criminelles. Bien que dans certaines situations l'alcool puisse évidemment être la cause directe de perturbation mentale grave, avec inconscience et automatisme, entraînant même des troubles graves du comportement, tels le delirium tremens ou autres troubles organiques provoqués par l'alcool, ces cas sont déjà adéquatement couverts par l'article 16 du Code criminel du Canada qui prévoit qu'une personne peut ne pas être tenue criminellement responsable pour cause de troubles mentaux.
L'automatisme devra être considéré comme une défense lorsqu'il accompagne des troubles médicaux sous-jacents clairement définis, tels des troubles du métabolisme, somnambulisme, et les autres troubles que j'ai déjà mentionnés. De la même manière, dans les cas d'intoxication grave, lorsqu'il y a en plus - et j'insiste là-dessus - un trouble mental organique sous-jacent, l'automatisme provoqué par l'intoxication alcoolique pourrait être considéré comme une défense.
En dehors de ce cas, et sans manifestation d'automatisme, telle l'amnésie, si la déficience de la fonction mentale s'est produite au moment de l'infraction, elle peut être prise en considération aux termes de l'article 16 du Code criminel. De façon générale, le simple fait qu'un accusé se soit volontairement intoxiqué ne permet en aucune circonstance de conclure à un automatisme, quel que soit le taux d'intoxication.
Pour en venir aux conclusions, maintenant, nous reconnaissons qu'il existe un lien entre la consommation d'alcool et autres substances et les crimes violents, mais nous faisons remarquer aussi que ce lien est complexe et difficile à évaluer dans les cas individuels.
Il ne fait aucun doute que l'alcool provoque l'amnésie sous forme d'«éclipses éthyliques». Pendant ces épisodes amnésiques, une personne peut commettre un crime violent, comme dans le cas Daviault. On ne peut en aucun cas en déduire que l'individu avait ainsi une conscience amoindrie du fait que sa consommation d'alcool pouvait l'amener à commettre des actes violents, pas plus qu'on ne peut en conclure qu'au moment où l'infraction a été commise il était incapable d'en former l'intention ou d'agir de sa pleine volonté.
Au contraire, l'amnésie est souvent postérieure, c'est-à-dire que la personne était consciente de ses actes sur le moment, mais sous les effets de l'alcool, elle est incapable plus tard de s'en souvenir. On ne peut donc absolument pas invoquer l'amnésie pour affaiblir la responsabilité criminelle pour cause d'intoxication seulement.
Les liens complexes entre l'alcool et les actes criminels varient énormément d'un individu à l'autre en fonction du taux d'alcoolémie et du degré de tolérance de chacun, ce qui rend toute évaluation objective extrêmement difficile.
Le lien entre la consommation d'alcool et autres substances toxiques et les crimes violents est décrit à l'annexe A. Celle-ci est un chapitre que j'ai rédigé en collaboration avec d'autres auteurs sur le lien entre la consommation d'alcool et de substances toxiques et les crimes violents.
Nous estimons toutefois que le droit criminel, la défense d'ivresse et la défense pour trouble mental couvrent déjà adéquatement les cas d'intoxication grave provoquant un trouble mental et que l'automatisme peut être inclus lorsqu'il est dû à une intoxication grave à condition de pouvoir très précisement diagnostiquer en outre un trouble mental organique sous-jacent.
Nous reconnaissons que la perte de mémoire et l'amnésie appartiennent au domaine de l'évaluation neuropsychiatrique. Il importe, lorsqu'un accusé invoque l'amnésie, de procéder à une évaluation psychiatrique légale approfondie. La déficience de mémoire, et plus particulièrement l'amnésie, sont des symptômes de nombreux troubles. Les brefs épisodes d'amnésie transitoire, couvrant de quelques minutes à quelques heures, peuvent se produire dans divers troubles et ils apparaissent fréquemment dans les évaluations de psychiatrie légale.
Ce type d'amnésie est généralement causé par un manque d'attention et de concentration suite à divers niveaux de confusion. Dans les cas typiques, il ne s'agit pas du type d'amnésie que nous jugeons nécessaire pour accepter une défense d'automatisme. Il faudrait que soient présentes des lésions cérébrales, plus particulièrement dans le système limbique et des régions neuro-anatomiques précises du cerveau. Un examen neuropsychiatrique, y compris des tests spéciaux, devraient permettre de définir un tel syndrome cérébral organique.
L'amnésie provoquée par l'alcool, qui engendre des pertes de mémoire transitoires, peut se manifester lors de divers troubles psychiatriques reliés à l'abus de la boisson ou à l'alcoolisme, mais elle ne se traduit généralement pas par des anomalies cérébrales structurelles sous-jacentes. En outre, l'examen de l'état mental, hormis l'amnésie entourant les événements qui se sont produits pendant l'intoxication, donnerait un profil normal en dehors des troubles de la personnalité et autres troubles psychiatriques mineurs ou sans rapport.
En même temps, nous reconnaissons que certains états confusionnels peuvent provoquer des pertes de mémoire graves touchant l'épisode en question, et pendant ce temps, une personne peut ne pas être responsable de son comportement. Ces états confusionnels ne sont cependant pas provoqués par l'alcool seulement et la personne n'aurait pas conscience de la possibilité qu'ils se produisent. Par exemple, ils peuvent être provoqués par l'interaction de médicaments, dont l'individu peut ne pas être au courant, ou par divers troubles médicaux causés par le manque soudain de drogues ou de médicaments, l'hypoglycémie, les perturbations du rythme cardiaque, de l'irrigation cérébrale ou autres troubles du métabolisme.
Les crises épileptiques peuvent provoquer des états de conscience altérée, y compris des comportements automatiques et de la violence aussi bien dans la période pré-ictale - c'est-à-dire avant la convulsion, pendant l'ictus - c'est-à-dire pendant la convulsion - ou, le plus souvent, dans l'état confusionnel post-ictal. Une étude des antécédents, ainsi qu'une évaluation spécialisée et neuropsychiatrique permettent de porter ce diagnostic.
En résumé, la position de l'Association des psychiatres du Canada est essentiellement celle-ci: les défenses prévues actuellement par le Code criminel sont amplement adéquates pour tout état spécial qui pourrait être entraîné par l'ivresse, et nous estimons qu'il n'est pas nécessaire de prévoir de nouveaux mécanismes.
Le président: Je vous prie de préciser. Lorsque vous parlez de défenses qui existent actuellement dans le Code criminel, voulez-vous dire celles qui figuraient avant le jugement Daviault? C'est bien cela?
M. Bradford: Oui, c'est cela.
Le président: Nous allons maintenant entendre les porte-parole de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie. Dr Kendall, vous allez nous faire une déclaration liminaire, sauf erreur.
M. Perry Kendall (président-directeur général, Fondation de la recherche sur la toxicomanie): Avec votre permission, monsieur le président, je laisserais parler d'abord leDr Kalant, dont le mémoire est censé précéder le mien, sauf erreur.
Le président: Très bien. Monsieur Kalant.
M. Harold Kalant (directeur émérite, Fondation de la recherche sur la toxicomanie): Merci, monsieur le président. Je tiens à remercier le comité de m'avoir invité à présenter ce mémoire et j'espère qu'il vous sera utile pour votre évaluation des faits scientifiques qui, à mon avis, ont été mal utilisés dans un certain nombre d'affaires judiciaires où a été invoquée la défense d'automatisme par intoxication.
Dans l'affaire Daviault, ainsi que dans diverses causes qui en ont découlé, on a confondu automatisme et amnésie. On a tantôt considéré l'automatisme comme la conséquence inévitable d'une forte alcoolémie et dans un autre cas, on a parlé d'état de dissociation. Ce sont là des éléments qui ont été abordés dans le mémoire précédent, mais j'aimerais les approfondir un peu.
À cette fin, permettez-moi de vous expliquer le concept d'automatisme, tel qu'il est utilisé en médecine, certaines de ses causes connues, le lien entre la consommation d'alcool et l'automatisme, et comment tous ces concepts s'appliquent aux causes qui ont été à l'origine de ce projet de loi.
Tout d'abord, l'automatisme ne figure pas dans les manuels de diagnostic internationaux, tels le DSM-IV, le Diagnostic and Statistical Manual, 4th Edition, American Psychiatric Association, ou le CIM-10 de l'Organisation mondiale de la santé, qui en est l'équivalent. Mais le terme est utilisé dans la pratique et bien qu'il n'y ait pas de définition unique reconnue, la plus satisfaisante, composée à partir de diverses définitions tirées de textes courants, est la suivante. L'automatisme est un comportement dont une personne n'est pas consciente ou sur lequel elle n'a aucun contrôle conscient. Il n'est en général pas approprié aux circonstances et peut être contraire à la personnalité de l'individu. Il peut être complexe, coordonné et, apparemment, logique et volontaire, même s'il dénote un manque de jugement. Il y a généralement amnésie totale ou partielle par la suite quant à la période au cours de laquelle le comportement s'est produit.
Comme on l'a déjà dit, certains types d'épilepsie, et plus particulièrement l'épilepsie du lobe temporal - ou comme on dit maintenant, les crises partielles complexes - offrent sans doute l'un des exemples les plus clairs d'un véritable automatisme d'origine médicale, et se caractérisent par une installation soudaine, un comportement stéréotypé répétitif, de la confusion et par la brièveté de la crise - une question de quelques minutes - suivis d'un profond sommeil, puis d'amnésie. Le comportement est bizarre. ll s'agit souvent d'une répétition sans fin de ce que faisait la personne juste avant la crise. Mais le comportement est ordinairement inapproprié et il est de nature généralement simple. Il peut être confirmé par un électroencéphalogramme caractéristique. Les ondes produites durant l'attaque sont caractéristiques et peuvent être reproduites.
Il est très rare que ces attaques d'épilepsie du lobe temporal s'accompagnent d'une crise de rage et de violence. Celles-ci peuvent se produire à l'occasion, mais les actes d'agression sont alors généralement très simples, stéréotypés - c'est-à-dire répétitifs - de courte durée, et ils ne sont pratiquement jamais appuyés par une série consécutive de mouvements logiques.
Comme on l'a déjà dit, ces automatismes peuvent être provoqués par des troubles cérébraux d'origine organique ou métabolique tels une carence d'oxygène, une hypoglycémie marquée, etc. Mais la cause est identifiable et reconnaissable par les méthodes de diagnostic médical habituelles.
Le somnambulisme, qu'on a déjà mentionné, est un autre exemple bien connu d'automatisme. Mais ses caractéristiques essentielles, dans le contexte qui nous occupe, sont que la personne s'assied ou se lève soudainement pendant la première partie de la nuit, ne semble pas consciente, regarde dans le vide et ne réagit presque pas à ce qu'on lui dit. Si elle parle, ses paroles sont mal articulées et parfois inintelligibles, et il n'y a pratiquement jamais de véritable dialogue avec l'entourage. Le comportement est là encore routinier, répétitif et extrêmement simple. Il est là aussi inapproprié, par exemple dans le cas où l'enfant somnambule va uriner dans le placard de la chambre ou encore l'adulte qui va se promener tout nu à l'extérieur pendant la crise; l'épisode est en outre suivi de confusion et d'amnésie.
L'hypnose est un autre cas où l'on peut parler d'automatisme puisque la personne, bien qu'elle soit capable de comportements complexes, n'est pas consciente puisqu'elle n'agit pas en fonction d'une réalité externe, mais plutôt des perceptions de la réalité qui ont été, dans ce cas, évoquées par l'hypnose. Ainsi, quoique le comportement est organisé et complexe, on ne peut parler d'une réponse consciente à la réalité externe.
Les troubles dissociatifs - lorsque j'étais étudiant on parlait d'hystérie - sont ainsi nommés en raison de la dissociation entre les fonctions mentales habituellement intégrées - conscience, mémoire, identité et la perception exacte de l'environnement. Ces troubles prennent différentes formes que l'on appelait autrefois fugue hystérique, troubles de la personnalité multiple, notamment. Mais comme on l'a déjà dit dans le mémoire précédent, ils sont habituellement diagnostiqués; la personne sait qu'elle y est sujette, si leur manifestation a déjà été notée.
En résumé, l'automatisme pour diverses raisons médicales et psychiatriques, est un comportement reconnu, généralement caractérisé par la perte de conscience réelle, un comportement inapproprié, généralement répétitif et simple, l'absence de véritable communication avec l'entourage pendant les événements, la désorientation et l'amnésie après l'épisode, et il n'est que très rarement accompagné de comportement violent.
La question qu'il faut se poser est donc celle-ci: peut-il se produire suite à une intoxication éthylique? Absolument aucune donnée scientifique n'établit de lien direct entre l'intoxication par l'alcool et l'automatisme en l'absence de tout autre trouble.
L'alcool a généralement pour effet de réduire, ou de déprimer - progressivement, à mesure que l'alcoolémie augmente - toutes les fonctions du système nerveux, y compris celles qui touchent l'activité mentale consciente et l'activité physique. À mesure qu'augmente l'intoxication, la coordination mentale et physique diminue, plus ou moins parallèlement, de telle manière que lorsque le sujet atteint un niveau d'ivresse qui le prive, à toutes fins pratiques, de sa conscience, il est également incapable d'un comportement physique complexe et habituellement il s'évanouit; il est, comme on dit communément, ivre mort.
À l'inverse, le sujet qui demeure capable d'une activité physique complexe retient aussi une certaine forme de conscience. L'intoxication peut probablement entraîner l'automatisme dans certains cas en raison de la présence d'autres facteurs. L'un d'entre eux est l'intoxication pathologique, ou intoxication alcoolique idiosyncratique, comme on dit maintenant, qui entraîne un comportement que l'on peut probablement qualifier d'automatisme, c'est-à-dire une modification marquée du comportement, qui comprend généralement de l'agressivité ou une humeur belliqueuse inappropriée. Mais ce qu'il faut noter, c'est qu'elle est provoquée par l'ingestion d'une petite quantité d'alcool, insuffisante pour donner lieu aux signes d'intoxication habituels. Elle est caractérisée par une confusion marquée, une désorganisation de la pensée, un langage incohérent ou délirant, ainsi qu'une explosion de fureur pouvant mener à l'homicide ou au suicide; la crise est suivie d'un sommeil profond et d'une amnésie totale ou partielle quant aux évènements en question.
Tous les experts ne sont pas convaincus de l'existence du phénomène, mais la majorité y croit. Ce qu'il faut retenir surtout, c'est que ces crises sont provoquées par de faibles quantités d'alcool, insuffisantes pour produire les signes typiques d'intoxication. Par conséquent, dans un cas où l'on constate une progression caractéristique d'intoxication ordinaire, on ne saurait parler d'intoxication pathologique.
L'alcool peut également provoquer une crise d'épilepsie du lobe temporal. Des expériences l'ont confirmé, et durant ces attaques, on peut constater des modifications caractéristiques des ondes cérébrales démontrant qu'il s'agit bien d'une épilepsie du lobe temporal.
La question la plus difficile est sans doute celle qui concerne l'éclipse. Dans l'affaire Daviault, l'automatisme a été associé à l'éclipse, et c'est là une erreur grave sur le plan du concept. L'éclipse ne désigne rien de plus que l'incapacité de se rappeler des évènements qui se sont produits pendant que la personne était intoxiquée. Cela ne veut pas dire que la personne n'ait pas été consciente de ses actes à ce moment-là.
La preuve que la conscience peut coexister avec l'éclipse a été faite il y a quelques années lorsqu'on a démontré lors d'une expérience qu'une personne qui avait consommé suffisamment d'alcool pour entraîner une éclipse se souvenait des événements lorsqu'elle était à nouveau intoxiquée. Je n'ai pu m'empêcher d'ajouter un supplément à mon mémoire, que vous avez tous reçu j'espère, car hier, dans la collection des livres rares de la bibliothèque universitaire, je suis tombé sur deux livres. L'un remonte à 1893 et l'autre à 1832, et tous les deux rapportaient un fait bien connu. Dans celui de 1893, on peut lire:
- Ceci découle de l'observation, confirmée par de nombreuses autorités, qu'un homme peut
oublier ce qu'il a fait lorsqu'il était intoxiqué, et ne s'en souvenir que lorsqu'un nouvel épisode
d'intoxication suscite à nouveau les conditions favorables à la reproduction.
- C'est-à-dire le souvenir.
- Le Dr Clum donne un exemple parlant. «Un garçon de course irlandais, lors d'un épisode
d'ivresse, avait livré un paquet à la mauvaise adresse; sobre, il ne pouvait se souvenir où il
l'avait laissé; mais lorsqu'il s'est enivré à nouveau, il s'en est souvenu et il est allé le récupérer.»
- L'ivresse a parfois des effets étranges sur la mémoire. Les actes commis durant l'intoxication
sont oubliés une fois la sobriété revenue, puis remémorés clairement lorsque la personne est à
nouveau intoxiquée.
L'essentiel à retenir est que la mémoire ne fonctionne pas chez une personne inconsciente. Par conséquent, le fait que l'intoxication subséquente puisse déclencher la mémoire veut dire qu'à l'époque la personne était consciente.
L'intoxication par l'alcool peut-elle affecter la conscience sans entraîner l'automatisme? La réponse à cette question est un oui mitigé, parce que, comme nous l'avons fait remarquer, l'état d'ébriété nuit au jugement. Il réduit les inhibitions et favorise une vision paranoïaque de l'environnement. Il peut en résulter un excès de rage ou de violence. Il convient toutefois de rappeler que la personne n'est pas inconsciente et qu'on ne peut parler de ce fait d'automatisme et que l'état d'intoxication est consciemment provoqué dans la mesure où la personne a consommé de l'alcool en sachant que les effets possibles de cette consommation comportent des distorsions de la réalité et des accès de violence.
Il est important également de rappeler que la tolérance à l'alcool peut atteindre des niveaux extrêmement élevés chez les grands buveurs. Un certain nombre de rapports font état de grands buveurs qui semblaient sobres aux yeux d'observateurs cliniques expérimentés en dépit d'une alcoolémie pouvant dépasser 400 milligrammes par 100 millilitres, avec de tels niveaux, la plupart des gens seraient inconscients, voire morts.
Pour demeurer bref, je ne parlerai pas de l'effet des autres drogues. Il existe des drogues dont l'action pharmacologique peut entraîner le véritable automatisme. La seule chose qu'il convient de mentionner à ce sujet est que cela ne se produit pas toujours. Cela dépend de la quantité, de l'utilisateur, des circonstances et, par conséquent, c'est à la défense qu'il incombe de démontrer, dans chaque cas, qu'au moment des faits, la personne a consommé telle quantité de drogues et que cela a entraîné un automatisme, aux dires des témoins oculaires qui peuvent décrire le comportement de la personne concernée.
Enfin, j'aimerais revenir rapidement sur les témoignages qui ont été donnés dans les affaires judiciaires à l'origine de ce projet de loi. Dans l'affaire Daviault, la décision majoritaire se fondait sur un témoignage qui reliait l'automatisme à l'inconscience. Comme nous l'avons déjà noté, il n'y avait pas lieu d'établir un tel lien parce que l'inconscience ou éclipse ne prouve pas qu'il y a eu automatisme.
Dans l'arrêt R. c. Sullivan, la cour a attaché une grande importance à des taux d'alcoolémie de 160 à 200 milligrammes par 100 millilitres, et on a déclaré que de tels taux entraînaient presque certainement l'automatisme. Cette affirmation ne s'appuie sur aucune preuve scientifique. Il arrive souvent que des alcooliques ou des grands buveurs atteignent de tels taux d'alcoolémie, sans perdre conscience, même si leur coordination est diminuée. Qui plus est, dans cette affaire particulière, les déclarations de l'accusé indiquent clairement qu'il n'y avait pas automatisme. Ce dernier a en fait entretenu un véritable dialogue avec sa femme qu'il a tuée par la suite. Il a conversé avec sa femme et leur ami pendant tous ces événements. D'après son propre témoignage, il se souvenait avec précision des sujets qu'il avait abordés avec elle. Après avoir abbatu sa femme, il a reconnu devant son ami qu'il avait fait «une connerie». Il savait qu'il avait fait quelque chose de mal. Dans cette affaire, il n'existait aucun élément indiquant qu'il y avait eu perte de conscience ou de la capacité à former un jugement moral.
Enfin, dans l'arrêt R. c. Blair, la conclusion selon laquelle Blair avait agi de façon automatique était apparemment fondée entièrement sur une alcoolémie estimée à 550 à 750 milligrammes par 100 millilitres et sur le témoignage d'experts selon lequel une telle concentration d'alcool menait invariablement à l'automatisme. Je me suis fondé sur le témoignage d'une personne qui avait passé deux jours avec l'accusé, au sujet de la quantité consommée pour calculer son taux probable d'alcoolémie. Si ce témoignage avait été véridique, ce taux aurait plutôt été de plus de 1 000 et non de 550 à 750. À un tel niveau, il est pratiquement certain qu'il aurait été tout à fait inconscient ou mort. Cela porte à douter de la véracité de ce témoignage.
Dans toutes ces causes, il y a lieu de douter de la validité scientifique des témoignages sur lesquels les tribunaux se sont fondés pour conclure à l'automatisme. En résumé, voilà ce qu'il est possible d'affirmer dans ce domaine.
L'automatisme peut découler de divers troubles physiques et psychologiques touchant la fonction cérébrale et il arrive dans certains cas, sans doute rares, que l'alcool déclenche un automatisme causé par ces troubles mais il devrait être possible alors de fournir une preuve médicale de l'existence de ces troubles.
Deuxièmement, l'éclipse ou l'amnésie provoquée par l'alcool ne constitue pas une preuve du fait que la personne concernée était inconsciente ou dans un état d'automatisme au moment des faits dont elle ne se souvient pas, parce qu'il lui est habituellement possible de se souvenir par la suite de ces faits, ce qui veut dire qu'elle a dû être consciente au moment où elle les a vécus. Quelques drogues, les anesthésiques dissociatifs, peuvent à doses élevées produire un véritable automatisme en raison de leur action chimique directe sur le cerveau mais il faudrait prouver dans tous les cas qu'il y aurait en réellement consommation de ces drogues.
Enfin, une grave intoxication éthylique nuit à la capacité de réagir de façon rationnelle à des événements externes en affectant le jugement, la perception de la réalité extérieure et la maîtrise de soi. Mais il faudrait plutôt parler de dysfonction cérébrale temporaire d'origine chimique, provoquée par le sujet, plutôt que d'automatisme.
Enfin, si vous me le permettez, je n'ai pu résister à la tentation de rappeler que les principes dont s'inspire le projet de loi constituent un retour à un principe qui était bien établi dans la jurisprudence britannique il y a des siècles, parce que si vous examinez les feuilles supplémentaires que l'on vient de vous distribuer, vous trouverez à la troisième page une note provenant de l'ouvrage de 1832 où l'on peut lire:
- «Un ivrogne» affirme Sir Edward Coke, «un démon de sa propre création, n'a droit à aucun
privilège en raison de son état, mais s'il agit mal ou cause un préjudice, son état d'ébriété en
aggrave la portée.» Dans l'affaire King c. Maclauchlin, mars 1737, le tribunal n'a pas retenu le
plaidoyer invoquant l'ivresse, présenté dans le but d'obtenir une réduction de peine.
Merci.
Le président: Merci, monsieur Kalant. Il est intéressant de noter que par la référence que vous avez faite au texte de 1893, l'auteur anglais prend un concierge irlandais pour donner l'exemple d'une personne en état d'ébriété. C'est le genre de campagne de salissage que lançaient les Anglais pour faire croire que tous les Irlandais étaient des ivrognes. En tant que président, je vais formuler officiellement une objection. J'espère que M. Gallaway et Mme Torsney vont m'appuyer sur ce point.
M. Kalant: Un ouvrage irlandais aurait peut-être choisi d'utiliser un Anglais, à titre d'exemple.
Le président: Je l'espère.
Le témoin suivant est M. Kendall de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie.
Monsieur Kendall.
M. Kendall: Merci monsieur le président. J'aimerais également vous remercier de nous avoir invités ici aujourd'hui.
La Fondation de la recherche sur la toxicomanie (de l'Ontario) trouve très inquiétant que les tribunaux aient retenu un moyen de défense fondé sur l'intoxication extrême dans des cas où l'accusé était inculpé d'avoir commis des actes de violence et d'aggression sexuelle.
En tant que spécialiste du domaine de l'alcool et des autres drogues, notre mission consiste essentiellement à effectuer des recherches et à diffuser les résultats de ces recherches dans notre société sous une forme utile. Notre objectif principal est d'essayer de lutter contre la toxicomanie.
Nous avons plus de 45 ans d'expérience dans ce domaine et je crois que nous avons une grande connaissance des aspects pharmacologiques des effets de l'alcool sur le comportement. Notre expérience dans le traitement de l'alcoolisme ainsi que nos prises de position publiques vont, je crois, alimenter la discussion. Nous avons étudié de façon approfondie une large gamme de drogues, mais nous allons limiter notre analyse aux questions liées à l'alcool, parce que cette drogue cause un grave préjudice à la société et qu'elle est directement en cause dans la décision Daviault.
Je ne vais pas lire notre mémoire mais je vais peut-être en résumer les principaux points.
Tout d'abord, nous sommes favorables au principe du projet de loi C-72. Ce projet de loi indique clairement que chacun est responsable du comportement qu'il adopte après avoir consommé de l'alcool. Il fait savoir au public que les gens seront tenus responsables des actes commis en état d'ébriété.
La recherche nous indique que les gens sont influencés par leur culture. Lorsqu'il est socialement inacceptable de se comporter d'une certaine façon, les gens ont moins tendance à adopter ce comportement et vice versa.
Je crois que dans l'ensemble les lois doivent refléter les valeurs morales et l'opinion de la population. J'estime que le public en général est en faveur d'une loi qui déclare que les citoyens sont responsables du préjudice qu'ils causent et que cette loi va inciter les gens à adopter des comportements plus responsables.
Nous n'allons pas commenter les aspects juridiques du projet de loi, puisque nous ne prétendons pas être des spécialistes du droit. Nous avons limité nos commentaires aux aspects dans lesquels nous avons une compétence reconnue.
Nous sommes d'accord avec ce que vous a dit l'Association des psychiatres du Canada etM. Kalant. L'alcool à lui seul ne peut déclencher un état comparable à l'automatisme. Ce que l'on a appelé la décision Daviault semble avoir reconnu, dans les faits, un moyen de défense fondé sur une intoxication alcoolique constitutive de l'automatisme, ce qui est indéfendable sur le plan scientifique.
D'autres points méritent d'être soulevés. Ni les éclipses ou pertes de conscience, ni les quantités consommées, ni le taux d'alcoolémie, ni la présence d'un témoin-expert ne sont des éléments qui suffisent à établir le moyen de défense d'automatisme découlant de la consommation d'alcool. Nous avons signalé dans notre mémoire que cela place les tribunaux dans une situation délicate puisqu'ils sont amenés à se fonder sur le témoignage d'un expert et à déterminer comment reconnaître un expert. Nous n'avons pas de suggestion à vous faire aujourd'hui sur la façon dont l'on pourrait intégrer ces éléments dans la procédure judiciaire, mais nous signalons que cela nous paraît un sujet qui mérite d'être examiné en détail.
Il existe des cas où l'alcool est à l'origine d'un comportement inconscient semblable à l'automatisme, mais cela est toujours dû à l'existence d'une maladie ou d'un déséquilibre physiologique - trouble mental organique, hypoxie ou hypoglycémie - affection dont il est possible d'apporter la preuve. Il y a également d'autres drogues qui peuvent entraîner ce genre d'état lorsqu'elles sont prises en quantité suffisante.
Nous aimerions parler des rapports qui existent entre l'alcool et la violence. D'après la recherche, la consommation d'alcool n'est pas une cause nécessaire ou suffisante de la violence, mais ces deux éléments coexistent. Ils vont ensemble. La consommation sociale d'alcool contribue chez certains à l'adoption de comportements violents. Nous ne pensons pas toutefois que le fait d'avoir consommé de l'alcool devrait constituer une excuse ou mitiger les conséquences d'un comportement violent.
Cela nous amène à conclure que la société et les citoyens ont le devoir d'essayer de réduire le préjudice causé par l'alcool et les drogues. Nous estimons que les contrôles sociaux et les lois constituent des mécanismes efficaces et qui permettent d'atteindre ce résultat.
Pour résumer, la Fondation de la recherche sur la toxicomanie n'estime pas qu'il faudrait interdire la consommation d'alcool. L'alcool est un produit légal qui fait le plaisir d'un grand nombre de citoyens sans que cela ne pose de problème. Nous n'avons aucunement l'intention de faire disparaître le verre de vin de vos tables mais nous estimons que les lois de notre pays et les choix de notre gouvernement devraient tenir compte des risques associés à la consommation d'alcool. Les citoyens doivent assumer la responsabilité de leurs actes, notamment de leur consommation d'alcool, et le gouvernement fédéral doit clairement faire savoir qu'il entend mettre en oeuvre ce principe. Aujourd'hui, c'est le projet de loi C-72 qui concrétise cette intention.
Nous ne partageons peut-être pas l'opinion de nos collègues de l'Association des psychiatres du Canada lorsqu'ils affirment que les lois actuelles permettent de répondre à ce problème, puisqu'elles ont débouché sur l'arrêt Daviault et le dépôt du projet de loi C-72, mais cela ne nous empêche pas de vous remercier de nous avoir donné l'occasion aujourd'hui de parler en faveur de ce projet de loi et nous vous souhaitons beaucoup de succès dans vos travaux.
Le président: Merci beaucoup monsieur Kendall.
Nous allons maintenant passer aux questions. Nous allons suivre la procédure habituelle, et accorder 10 minutes à chacun des trois partis au cours de la première ronde, en passant ensuite à des rondes de cinq minutes, en alternant entre le gouvernement et l'opposition.
[Français]
Monsieur Caron du Bloc québécois.
M. Caron (Jonquière): Messieurs, je vous remercie pour votre présentation. C'est très éclairant et cela démontre de façon assez évidente le dilemme dans lequel nous sommes par rapport à ce projet de loi. L'un d'entre vous a dit que les lois doivent réfléter ce que pense la société.
On a vu, à la suite de l'arrêt Daviault, que dans l'ensemble de la population, il y avait un genre de retour aux années 1830. Comme vous l'avez dit, dans le fond, on revient à la maxime de notre enfance qui disait que la boisson n'était pas une excuse.
La population en général n'a pas accepté que l'intoxication volontaire soit portée en défense et qu'une personne puisse échapper à une condamnation, peut-être méritée, parce qu'elle était intoxiquée.
Par contre, les deux mémoires que nous avons lus démontrent bien que c'est beaucoup plus complexe que pourrait le penser la population ou une personne non informée. En fin de compte, on pourrait beaucoup nuancer tout ce qui a été dit en ce qui a trait à la possibilité que quelqu'un d'intoxiqué par l'alcool puisse automatiquement commettre un crime.
C'est quand même beaucoup plus complexe, compte tenu de l'évolution de la science, de la médecine et de la psychiatrie. Cela peut, de plus en plus, nous amener à nuancer parce que, dans beaucoup de ces situations, alors qu'une personne peut paraître coupable, on peut expliquer certains de ses comportements.
Quelqu'un a parlé de la crédibilité des témoins-experts. Selon la crédibilité des témoins, la cour peut se prononcer de façons différentes. En tout cas, j'aimerais entendre vos commentaires sur l'interprétation que j'en fais.
Dans le fond, ces causes ne sont-elles pas déterminées par la façon dont la défense a présenté la cause et par les témoins qui ont été appelés, par la défense ou par la Couronne? Cela devient une question d'interprétation.
Le premier témoin nous a dit que la loi actuelle suffisait. Cependant, à la suite de l'arrêt Daviault et d'un certain nombre d'autres arrêts contestés, qu'est-ce qui fait que la loi actuelle ne semble plus adéquate et que des gens qui auraient dû être condamnés il y a quelques années sont innocentés? Y a-t-il eu des changements dans votre domaine d'expertise? Qu'est-ce qui expliquerait que les juges ont reconnu une telle défense?
[Traduction]
M. Bradford: Je vais vous répondre en anglais, si vous n'avez pas d'objection.
Pour l'Association des psychiatres du Canada, la sous-spécialité que constitue la psychiatrie médico-légale est bien développée et sera prochainement reconnue à titre de sous-spécialité par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. Ce processus est déjà déclenché.
Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que les témoignages qui ont été apportés dans certaines causes ne proviennent pas de véritables experts et que cela peut influencer les tribunaux. Cela ne s'est pas produit uniquement dans l'affaire Daviault; cela se produit tous les jours au Canada, pour diverses raisons.
Je ne suis pas sûr qu'il soit facile de remédier à la situation. Les gens doivent faire reconnaître leur qualité d'experts. Il arrive que les connaissances que le témoin prétend avoir ne sont pas aussi bonnes qu'elles devraient l'être mais je ne pense pas qu'il soit facile de corriger cela. L'on peut toutefois espérer que les divers tribunaux qui sont appelés à réviser les décisions des premières instances pourront le faire.
J'estime que les changements que l'on vient d'apporter au Code criminel pour la première fois depuis 100 ans dans le domaine de la responsabilité criminelle et des troubles mentaux, ainsi que les comités devant lesquels j'ai comparu ces 10 dernières années et qui ont tenté de rectifier certaines situations, tout cela a eu un effet positif. Ces changements ont réussi à préciser la nature des moyens de défense. Les tribunaux définissent à l'heure actuelle de façon fort étroite la notion d'automatisme, si cela existe réellement. D'une façon générale, ce processus est bien adapté.
Dans le milieu universitaire où je travaille, nous évaluons beaucoup de gens; l'intoxication alcoolique est une chose tellement courante que nous étudions ce sujet tous les jours. Nous effectuons divers tests après avoir demandé à des gens de consommer de l'alcool et nous mesurons leur niveau d'excitation sexuelle et prenons des électro-encéphalogrammes. Nous sommes capables de mesurer avec une grande précision ou de reproduire, si vous voulez, ce qui devrait être leur niveau d'intoxication et de l'observer.
Je crois que cette façon de procéder est bien préférable à celle qui consiste à demander à quelqu'un de témoigner devant les tribunaux et comme on l'a fait remarquer tout à l'heure, déclarer que la personne était amnésique, qu'elle avait un certain taux d'alcoolémie et que, par conséquent, elle a agi par automatisme. La réalité est beaucoup plus complexe. Il est possible d'examiner ces preuves selon les règles de la science et de les présenter aux tribunaux sans qu'elles puissent être mal interprétées.
M. Thompson (Wild Rose): Je suis heureux d'avoir entendu vos commentaires ce matin. Ce sujet m'intéresse beaucoup. Je vais vous dire pourquoi.
Il y a près de 20 ans, j'ai réussi à vaincre l'alcoolisme grâce au programme des AA. Au cours des 20 dernières années, j'ai beaucoup travaillé à titre de bénévole pour tenter d'aider ceux qui avaient ce genre de problème. Je connais donc assez bien la situation.
Les visites que j'ai faites dans les prisons m'ont amené à penser, par exemple, que s'il n'y avait pas d'alcool, il y aurait beaucoup moins de gens dans ces lieux. Je crois également qu'il y aurait moins de gens dans les hôpitaux et de personnes ayant besoin de soins médicaux. C'est un problème.
Pour en revenir à la question du niveau de responsabilité, je pense à deux cas où il était question de schizophrénie. La première personne était dans la trentaine et l'autre dans la quarantaine, et elles souffraient toutes les deux d'un certain niveau de schizophrénie. Elles étaient obligées de prendre des médicaments pour contrôler cette maladie mais tous les médecins les avaient formellement averties qu'elles ne devaient pas consommer d'alcool en raison de leur état. Ces personnes ont quand même consommé de l'alcool et dans les deux cas, les conséquences ont débouché sur des poursuites judiciaires.
Pensez-vous que les personnes qui souffrent d'un trouble supplémentaire que l'alcool peut aggraver devraient être tenues responsables de la même façon que ceux qui ne souffrent pas de troubles de ce genre?
M. Bradford: Nous avons parlé de cela dans notre mémoire en prenant l'exemple du particulier qui souffre d'épilepsie non traitable. Ces gens-là connaissent leur état et savent qu'ils ne devraient pas conduire.
La plupart des gens qui ont été schizophrènes savent qu'elles ne devraient pas mélanger l'alcool et leurs médicaments. Ces médicaments leur avaient été donnés, comme vous l'avez signalé dans votre exemple, à un moment où elles avaient l'esprit clair et étaient responsables de leurs actes. Je crois que les mêmes principes s'appliquent.
Il en irait peut-être autrement si, par exemple, ils souffraient d'une maladie, pour laquelle ils étaient médicamentés sans savoir que le mélange de ces médicaments et de l'alcool pourrait avoir des effets imprévus. Cela serait une situation différente. Mais dans la situation que vous avez mentionnée, la responsabilité de ces personnes est manifeste.
M. Thompson: Très bien.
J'aimerais savoir ce que vous pensez des gestes que posent les victimes. Depuis deux ans, depuis que je siège au Parlement, j'ai souvent patrouillé avec des policiers, dans les différentes régions du pays, à Toronto, à Calgary, à Edmonton et dans les secteurs ruraux de ma circonscription. Nous avons répondu à beaucoup d'appels concernant des disputes familiales.
Dans tous les cas - et j'en ai pris note - , l'alcool était en cause et les cas étaient nombreux. Nous en avons compté 11 la même nuit. Dans tous les cas dont je me souviens, la femme de l'alcoolique avait toutes les raisons du monde de porter des accusations, mais elle ne voulait pas le faire.
Pensez-vous que c'est fréquent ou est-ce juste une coïncidence malheureuse que j'aie pu observer autant de cas en si peu de temps?
Mme Sue Bondy (chercheuse scientifique, Fondation de la recherche sur la toxicomanie): Je vais en parler.
Plusieurs études ont été faites sur la consommation d'alcool chez les gens qui commettent des crimes violents, notamment des actes de violence familiale. Elles confirment ce que vous dites, c'est-à-dire que la consommation fréquente d'alcool joue un très grand rôle dans les actes de violence. Cela varie selon les habitudes de consommation d'alcool dans le pays concerné, mais au Canada, cela se produit dans plus de la moitié des cas.
Il est par ailleurs évident que l'alcool n'est généralement pas le seul facteur en cause et que l'on observe également des comportements agressifs antérieurs. Il arrive souvent que l'intéressé ait consommé de l'alcool au moment de l'infraction mais qu'il lui soit déjà arrivé d'en consommer davantage sans nécessairement devenir violent.
Il est manifeste que la consommation d'alcool n'est qu'un des facteurs responsables de la violence dans la société. Il existe des études intéressantes sur les pays scandinaves où l'on a observé que le nombre de cas de violence familiale augmentait ou diminuait selon que la consommation d'alcool par habitant s'accroîssait ou baissait. Donc, votre observation se confirme.
M. Kendall: La réticence des victimes d'actes de violence conjugale à porter des accusations ou à quitter le foyer s'explique peut-être par le fait qu'elles estiment que cela les priverait de tout autre choix. Elles pensent devoir maintenir cette relation, elles ne connaissent rien d'autre et n'ont aucune ressource financière. Il existe effectivement peu de refuges où elles puissent aller et recevoir l'aide nécessaire.
M. Thompson: C'est là que je voulais en venir. Il faut offrir à ces gens-là d'autres solutions que les poursuites judiciaires. Il faut y songer.
M. Kalant: J'ai quelque chose à ajouter. Il y a aussi la question de la culture dominante qui intervient.
Malgré tous les efforts qui ont été faits pour éduquer le public et lui faire comprendre qu'il est important d'accepter l'alcoolisme comme une réalité et de prévoir des traitements ou de prendre certaines mesures préventives, dans bien des cas, la honte empêche les membres de la famille d'avoir recours à de telles solutions. Ils pensent qu'on les mettra dans le même sac que l'auteur des actes de violence. Il y a encore à mon avis bien du travail à faire sur le plan éducatif.
Mme Bondy: Dernièrement, la Fondation de la recherche sur la toxicomanie a lancé un programme intitulé LINK, qui essaie d'aider les familles qui ont des problèmes d'alcoolisme et de toxicomanie ainsi que de violence. Les deux genres de problèmes sont mis sur le même pied. Il s'agit d'un programme tout récent et il faudra attendre un certain temps pour voir s'il est efficace, mais nous avons jugé qu'il fallait faire quelque chose pour essayer d'enrayer ces deux problèmes en même temps.
M. Thompson: Docteur Kendall, je crois que c'est vous qui avez dit être satisfait du projet de loi C-72 tel qu'il se présente actuellement. Vous n'aviez pas fait allusion à d'éventuels problèmes qu'il pourrait engendrer sur le plan juridique.
M. Kendall: Je tiens à préciser que nous n'avons pas analysé le projet de loi sur le plan législatif parce que nous ne sommes pas experts en la matière. Par conséquent, je ne peux pas dire si le projet de loi est inattaquable ou si son libellé est bon.
Ce que nous appuyons, c'est l'idée d'établir des critères qui permettent de juger s'il convient de tenir compte des facultés affaiblies, voire de disculper quelqu'un qui a commis un acte criminel à la suite de la consommation volontaire d'intoxicants. Nous sommes parfaitement d'accord sur le principe.
Je devrais donc préciser que c'est l'esprit du projet de loi que nous appuyons, mais je ne peux pas dire s'il est bien rédigé ou s'il sera inattaquable devant les tribunaux. Je ne peux pas vous aider à cet égard.
M. Thompson: Vous ne serez probablement pas en mesure de répondre à la question suivante, mais je vais tout de même la poser.
J'ai de la difficulté à comprendre la chose suivante. Il est manifeste que la charte des droits, et en particulier certains articles, protègent les Canadiens, y compris les victimes d'actes criminels. Je songe notamment aux articles 6 et 7 ainsi qu'à deux ou trois autres. Ne trouvez-vous pas bizarre qu'il faille le confirmer dans un préambule dans certain projets de loi comme celui-ci?
J'ai dit que vous ne voudriez probablement pas répondre à cette question.
M. Kendall: Quelqu'un d'autre a-t-il des commentaires à faire à ce sujet?
M. Kalant: Ne fusse que pour le principe, j'estime que le fait d'exposer dans un préambule à un projet de loi comme celui-ci les principes sur lesquels il est fondé, peut jouer un rôle important sur le plan éducatif. J'estime que la loi a en plus d'un rôle répressif, un rôle éducatif très important à jouer. D'une certaine façon, il serait regrettable de ne pas profiter de l'occasion d'exposer les principes sociaux auxquels ce projet de loi correspond.
M. Thompson: Merci.
Mme Barnes (London-Ouest): Merci beaucoup pour votre témoignage et pour les excellents mémoires que vous avez tous présentés. Nous ne serions peut-être pas là aujourd'hui si les gens qui ont rendu l'arrêt Daviault avaient entendu les mêmes témoignages.
Monsieur Kalant, la chose la plus importante que j'ai retenue, c'est que les éclipses ne sont pas nécessairement une preuve d'automatisme. C'est une erreur de faire ce lien entre les deux. Le confirmez-vous?
M. Kalant: Oui.
Mme Barnes: La décision majoritaire prise dans l'affaire Daviault était basée sur des témoignages reliant l'automatisme à l'éclipse, et par conséquent, sur des preuves dénuées de tout fondement scientifique. Est-ce exact?
M. Kalant: Oui. J'estime que l'on avait beaucoup de raisons de rejeter les témoignages dans tous les trois cas que j'ai cités. Comme on l'a déjà dit, le problème est de s'assurer de la compétence scientifique des personnes qui sont choisies comme experts-témoins. Ce n'est pas facile.
Quand la Couronne ou la défense compte convoquer un expert-témoin, spécialisé dans un certain domaine scientifique, une solution serait peut-être d'exiger que l'on fournisse au juge ses références professionnelles bien avant le jour du procès. Le juge aurait alors l'occasion d'évaluer ses compétences et même de demander conseil. Cela permettrait d'établir des critères de qualité plus uniformes en ce qui concerne ce genre de témoignage.
Mme Barnes: Je crois savoir que nous avons au Canada des experts qui connaissent les tout derniers courants de la pensée scientifique dans ces domaines. Est-ce exact?
M. Kalant: Je crois que oui. Le problème c'est que, comme on l'a déjà signalé, il y a beaucoup de procès où l'on fait intervenir des experts, et à tous les niveaux judiciaires. Les experts de renommée nationale et internationale dans un domaine précis pourraient passer plusieurs vies à témoigner devant les tribunaux. C'est impossible, ça va de soi.
Mme Barnes: J'ai tendance à être de votre avis. Je ne connais pas les antécédents de certains d'entre vous mais je connais ceux du Dr Bradford, qui a été pendant plusieurs années membre du Conseil de révision du Lieutenant-gouverneur, appelé maintenant la Commission d'examen du Code criminel de l'Ontario. Il a été expert-témoin pour cet organisme et en a également été membre.
Je sais que l'on fait beaucoup de recherche au Canada. Je sais que l'on peut trouver des experts capables de donner une prestation satisfaisante.
Cependant, en fin de compte, nous sommes là pour produire un projet de loi satisfaisant pour les Canadiens qui estiment, à mon avis pour la plupart, que l'extrême ivresse ne dispense pas l'individu d'un certain degré de responsabilité criminelle. Je voudrais que vous me donniez tout de suite votre avis, en tant qu'expert. Estimez-vous, vous aussi, que ces gens-là ont un certain degré de responsabilité criminelle?
M. Bradford: Oui. C'est l'opinion de l'Association des psychiatres du Canada.
Mme Barnes: Pourriez-vous me donner votre opinion personnelle?
M. Kalant: Pardon?
Mme Barnes: Êtes-vous d'accord qu'il faille considérer que ceux qui sont extrêmement soûls devraient avoir un certain degré de responsabilité criminelle au Canada?
M. Kalant: Oui. Je ne connais aucun cas de personne qui ait pu se soûler à ce point sans le faire consciemment.
Mme Barnes: Êtes-vous d'accord, Docteur Kendall?
M. Kendall: Oui.
Mme Barnes: La Fondation de la recherche sur la toxicomanie est-elle de cet avis?
Mme Bondy: Oui.
Mme Barnes: Docteur Bradford, vous avez parlé de la loi telle qu'elle était avant l'arrêt Daviault ou ce projet de loi. Le président vous a donné des précisions. Je crois qu'il parlait de la distinction que l'on fait entre l'intention spécifique et l'intention générale en common law. Je voudrais également savoir si vous avez songé à l'article 16 du Code criminel.
M. Bradford: Oui. Je crois que c'est une grave erreur d'avoir ramené le problème à une question d'ébriété au lieu de se fonder sur l'intention générale dans l'affaire Daviault. Les dispositions de l'article 16 du Code criminel concernant les intentions spécifiques réglaient les rares cas où la question se posait avant l'arrêt Daviault. Je ne crois pas que ce serait un problème si l'on faisait une évaluation psychiatrique médico-légale en bonne et due forme.
Les articles du Code criminel concernant les troubles mentaux et les intentions spécifiques suffisaient et je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'apporter des modifications.
Mme Barnes: Je vais parler maintenant du préambule, qui est un peu spécial, et plus particulièrement des 3e et 4e paragraphes, c'est-à-dire à peu près de la ligne 13 à la ligne 26.
Ces deux paragraphes établissent une relation étroite entre la violence et l'intoxication; on est préoccupé du fait que l'intoxication volontaire puisse être utilisée pour justifier la violence. Le paragraphe suivant expose les effets potentiels de l'alcool et de certaines drogues sur le comportement. Il en conclut que même avec un certain niveau de substances intoxicantes dans l'organisme, une personne n'agit pas nécessairement de façon involontaire.
Docteur Bradford, je sais que vous avez rédigé des études qui établissent des liens entre la violence et l'alcool. Étant donné que dans ce préambule, il est principalement question de violence contre les femmes et les enfants, je voudrais que vous nous parliez des effets désinhibiteurs de l'alcool et de l'accroissement du niveau de violence chez les personnes qui sont en état d'ébriété. Quelles études scientifiques avez-vous faites dans ce domaine?
M. Bradford: Je crois qu'il y a plusieurs considérations qui entrent en ligne de compte. J'essaierai d'être bref.
Comme on l'a déjà signalé, il existe des liens entre la consommation d'alcool et la violence. On pourrait citer plusieurs études à cet égard. La plus importante est sans doute l'étude épidémiologique qui a été faite auprès de 10 000 personnes aux États-Unis. Elle a fait ressortir clairement le fait qu'il existe des liens entre la violence et les troubles mentaux, mais moins qu'entre la violence et l'alcool ou les autres drogues.
Par ailleurs, les effets semblent être cumulatifs. Autrement dit, le fait de boire ou de prendre des drogues quand on a des troubles mentaux n'arrange pas les choses.
Je voudrais aborder brièvement le sujet de la violence sexuelle. Il est clair qu'il existe des liens entre la consommation d'alcool, l'alcoolisme à divers degrés et la violence sexuelle. Par ailleurs, il ne fait aucun doute que chez les violeurs, la consommation d'alcool augmente l'excitation sexuelle et leur tendance à violer. Malgré cela, je ne pense pas que leur responsabilité devrait en être réduite pour autant.
Le message important à transmettre aux Canadiens, c'est qu'il est un fait généralement admis que l'alcool, la violence et les aberrations de comportement sont liés et c'est bien expliqué, par exemple, dans les articles du Code criminel dont vous avez parlé.
J'estime qu'il n'y a pas d'excuse, peu importe les résultats des études scientifiques. Ceux-ci sont intéressants et il existe peut-être des possibilités de traitement et d'autres façons de résoudre les problèmes, mais cela n'excuse pas le comportement, et c'est précisément pour cela que nous sommes là.
Mme Barnes: Monsieur le président, puis-je demander que l'on consigne tous ces mémoires au compte rendu, ce qui m'éviterait peut-être de poser d'autres questions à ce sujet.
Le président: Deux des mémoires ont été lus intégralement mais pas le dernier, si je ne me trompe, pas celui du Dr Kendall. Nous pourrions demander la permission.
Êtes-vous d'accord que l'on annexe le mémoire de M. Kendall au compte rendu de la séance d'aujourd'hui?
Des voix: D'accord.
Le président: C'est d'accord.
Mme Barnes: Merci.
Le président: J'ai moi-même quelques questions à poser.
Dans l'affaire Daviault, il était accusé de viol. Est-il possible d'être soûl au point de ne pas savoir ce que l'on fait tout en étant capable de commettre un viol? J'emploie le terme viol au sens qui lui était donné antérieurement, c'est à-dire qu'il y a eu contact sexuel. Est-ce possible? Quelqu'un qui est soûl au point de ne plus savoir ce qu'il fait, surtout un homme de son âge, serait-il capable d'un tel contact? Il paraît en effet que M. Daviault était dans la fin de la soixantaine. À mes yeux, ce serait une sacrée performance.
M. Bradford: Je crois en avoir déjà parlé. En matière de viol, je crois effectivement qu'il existe un lien Donnez de l'alcool à la fois à des violeurs et à des personnes normales et vous constaterez que l'alcool augmente l'excitation chez les violeurs et les pousse à l'action alors que ce n'est pas le cas chez les autres. Je simplifie beaucoup en disant cela.
Le président: Est-ce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font dans ce cas-là?
M. Bradford: C'est une autre question évidemment. Je crois que ceux qui consomment de l'alcool savent qu'ils courent certains risques sur le plan du jugement et c'est le message qui est important dans ce projet de loi. L'alcool peut être la base d'un viol ou d'autres aberrations de comportement sexuel. Je crois que c'est évident.
À propos de Daviault, je voudrais savoir comment on l'a évalué, car ce n'est pas clair dans mon esprit. Il s'agissait d'une personne âgée. Il y a peut-être un autre facteur qui entrait en ligne de compte dans ce cas-là. On n'en a pas tenu compte, d'après ce que j'ai lu.
On a également parlé d'apprentissage situationnel, c'est-à-dire que les sujets arrivent souvent à se souvenir après coup de leurs actes, surtout si on leur redonne de l'alcool. Il appert clairement que leur faculté de jugement et leur état de conscience étaient tels qu'ils savaient suffisamment ce qu'ils faisaient pour que cela ne puisse pas être invoqué comme excuse devant les tribunaux.
M. Kalant: J'ajouterais également qu'un viol n'est pas un acte simple, répétitif ou automatique. De nombreuses initiatives différentes entrent en jeu et elles nécessitent toute une série de comportements que le sujet n'a pas pratiqué régulièrement et qu'il n'est donc capable de répéter pour ainsi dire par automatisme quand il est soûl. Étant donné la complexité de l'acte, il est extrêmement peu probable que l'on puisse en arriver à un tel état d'inconscience au moment même où, il est commis.
Le président: Pourrais-je décrire quelques scénarios fictifs? Par exemple, une personne en état d'ébriété pourrait-elle croire qu'on l'attaque et tuer quelqu'un par souci d'autodéfense alors que ce n'était pas réellement le cas? Je ne parle pas de troubles mentaux, mais simplement d'état d'ébriété.
Je me souviens que lorsque je faisais mes études de droit, un homme avait été accusé de viol et qu'il avait essayé de se justifier en disant qu'il pensait que la victime était sa femme. En tant que scientifique, trouvez-vous raisonnable que quelqu'un puisse être soûl au point de croire qu'il s'agit de sa femme et avoir des relations avec la victime.
Je trouve surprenant que l'on puisse accepter de telles excuses. Bien sûr, à cette époque, on n'avait pas les informations scientifiques que l'on a maintenant.
M. Bradford: Je crois que l'alcool peut aggraver les troubles mentaux et qu'il peut être la source de divers troubles psychotiques ou organiques.
Je précise que dans certains cas particuliers, il peut y avoir des exceptions car il s'agit de relations très complexes. Il se peut que dans certains cas, on puisse invoquer l'article 16 ou certaines excuses liées à l'aspect involontaire de l'infraction. Je crois toutefois que, d'une manière générale, il faut se montrer très prudent. C'est le message important à retenir.
M. Kalant: Dans mon mémoire, j'ai cité certains propos du Dr Sidney Cohen qui portaient précisément là-dessus. Il a dit que l'alcool affaiblit les facultés de jugement et de maîtrise de soi. L'alcool peut également engendrer une fausse perception des événements extérieurs et par conséquent une paranoïa. C'est tout à fait possible.
Il faut être très exigeant pour prouver la nature exacte de cette fausse perception, mais ce n'est certainement pas un automatisme. Cela fait partie du comportement des gens en état d'ébriété que nous connaissons tous par expérience ou parce que c'est notoire.
Le fait est qu'il s'agit d'une conséquence possible tellement connue de l'ivresse qu'il est difficile de penser que l'on puisse essayer de se justifier en disant que l'on ne savait pas du tout ce que l'on faisait ou que c'était tout à fait imprévisible.
Le président: Est-ce que quelqu'un qui est bien élevé et qui a des principes moraux assez nets pourrait être incapable de faire la distinction entre le bien ou le mal quand il est saoûl? Est-ce qu'il ne resterait pas toujours conscient du fait que c'est mal, même sous l'influence de l'alcool? L'éducation ou les principes moraux qui ont guidé sa vie longtemps ne resteraient-ils pas présents dans son esprit, même s'il boit? Pourrait-il oublier complètement ses principes ou ceux-ci ne pourraient-il plus avoir aucune influence sur son comportement?
M. Bradford: Des troubles de jugement sont toujours possibles. Pour l'Association des psychiatres du Canada, les Canadiens comprennent tous que des troubles de jugement et de comportement sont possibles lorsqu'on boit.
Nous avons une responsabilité personnelle et dans certains cas, l'alcool peut effectivement perturber nos facultés de jugement et nous faire oublier nos principes moraux. D'une manière générale, il ne s'agit toutefois pas d'un automatisme. Cela ne devrait pas servir à excuser un comportement criminel.
Si l'esprit conscient est perturbé au point qu'il s'agit de troubles mentaux, on pourra s'attaquer au problème sur un autre plan à la suite d'un bon diagnostic.
Par conséquent, nous parlons de ce qui arrive dans la majorité des cas. L'Association des psychiatres du Canada estime que ce type de comportement est inexcusable.
M. Kalant: J'ajouterais que des études indiquent que la personnalité antérieure, l'expérience et la formation ont également une influence sur le comportement d'une personne ivre. Par exemple, une étude très intéressante a été faite il y a une trentaine d'années au Royaume-Uni. Un simulateur avait été utilisé.
En ce qui concerne la conduite en état d'ébriété, l'étude indiquait que les extrovertis avaient tendance à conduire vite et à donner de grands coups de volant ainsi qu'à ne pas faire attention aux voitures venant de rues transversales ni aux piétons, par exemple. Quant aux introvertis, ils auraient tendance à faire de la compensation consciente en conduisant très lentement, en surveillant la route et en faisant tout leur possible pour éviter de commettre toutes les imprudences caractéristiques de l'ébriété.
Les antécédents moraux exercent également une influence. Une personne à qui la famille et la société ont inculqué depuis des années des principes moraux stricts risque très peu d'avoir un comportement qui aille totalement à l'encontre de ce principe lorsqu'elle est en état d'ébriété. Elle risque moins de donner libre cours aux émotions susceptibles de provoquer de tels incidents.
Comme l'a dit le Dr Bradford, les effets de l'alcool sont notoires et par conséquent on ne peut pas considérer qu'il s'agit d'une réaction totalement imprévisible.
[Français]
Le président: Monsieur Caron, avez-vous d'autres questions?
M. Caron: Au fond, vous nous dites un peu ce que nous disait la sagesse populaire. Dans les cas d'intoxication par l'alcool, les conséquences sont connues et le comportement est souvent prévisible; c'est-à-dire qu'une personne qui consomme de l'alcool s'expose à avoir des comportements non acceptables ou même criminels. À ce moment-là, elle ne pourrait pas invoquer en défense strictement sur le fait qu'elle était dans un état où elle n'avait pas conscience de ce qu'elle faisait. D'abord, vous nous avez dit que c'était très rare et que la personne avait peut-être oublié, mais au moment où elle a commis un acte criminel, elle avait, dans une certaine mesure, probablement conscience de ce qu'elle faisait.
Beaucoup de gens réclament ce projet de loi parce qu'on a peut-être mal interprété certaines parties de l'arrêt Daviault. Cependant, je trouve votre témoignage éclairant et on verra ce que les membres du Comité feront de l'information que vous nous avez communiquée.
[Traduction]
M. Bodnar (Saskatoon - Dundurn): Je n'ai pas grand-chose à demander mais je voudrais parler du projet de loi et d'une question qui m'intéresse tout particulièrement. L'alinéa 33.1(2) concerne la responsabilité criminelle. Je sauterai les passages non pertinents.
Il se lit comme suit:
- et, de ce fait, est criminellement responsable si, alors qu'elle était dans un état d'intoxication
volontaire qui la rend incapable de...
- ...et nous en avons déjà discuté...
- se maîtriser consciemment ou d'avoir conscience de sa conduite,
- ...excusez la piètre qualité du texte...
- elle porte atteinte ou menace de porter atteinte volontairement ou involontairement à l'intégrité
physique d'autrui.
Autrement dit, docteur Bradford, des expressions connues «porte atteinte volontairement ou involontairement» ou «incapable de se maîtriser consciemment» ne donnent-elles pas une trop grande portée à cette partie du texte?
M. Bradford: Je ne suis pas juriste. J'ai témoigné....
M. Bodnar: Mais c'est une question qu'on vous posera.
M. Bradford: J'ai témoigné dans plusieurs causes où l'on invoquait l'automatisme. Je crois qu'il y a un léger risque, effectivement. Votre remarque est pertinente.
On invoque très rarement l'automatisme. J'ai plutôt témoigné dans des cas où l'on invoquait le somnambulisme ou l'épilepsie et où l'intoxication n'entrait généralement pas en ligne de compte.
C'est donc une question qui ne me préoccupe pas autant, mais vous avez raison, cela peut poser un problème que je laisserai aux juristes le soin de régler.
M. Bodnar: Ne serait-il pas préférable de supprimer purement et simplement ce passage? Pourrait-on dire ceci: «alors qu'elle est dans un état d'intoxication volontaire, porte atteinte à l'intégrité physique d'autrui» et faire disparaître ces deux ou trois lignes?
M. Bradford: Oui, d'accord. Par exemple, les termes «qui la rend incapable de se maîtriser consciemment» pourraient causer des problèmes. Je crois toutefois que la question devrait être examinée par des juristes.
M. Kendall: On pourrait peut-être ajouter à titre de codicille la recherche scientifique déjà effectuée qui restreint absolument le nombre de domaines ou de conditions dans lesquels on pourrait utiliser cela de façon crédible et scientifique.
M. Bodnar: J'espérais que vous pourriez aider le comité à formuler cette disposition, à déterminer si l'on pourrait supprimer ce passage. Je ne veux pas m'en remettre complètement aux juristes du ministère de la Justice à ce sujet.
Mais sinon, je l'y laisserais. Je comprends les difficultés que vous éprouvez, et je pense que vous vous rendez compte des miennes.
M. Bradford: Oui, en effet.
La vice-présidente (Mme Barnes): Il vous reste encore une minute. Si quelqu'un a une intervention d'une minute.... Non?
Vouliez-vous ajouter quelque chose?
M. Kendall: Après une brève consultation avec le Dr Kalant, j'aurais simplement une observation à faire, qui a peut-être un rapport avec le sujet.
La dernière partie du quatrième attendu du préambule déclare ceci:
- ...est conscient...de l'existence de preuves scientifiques selon lesquelles plusieurs substances
intoxicantes, dont l'alcool, n'ont pas nécessairement pour effet de faire en sorte qu'une
personne agisse de façon involontaire;
M. Kalant: Le témoignage présenté ici aujourd'hui montre essentiellement que ce n'est que rarement que la substance intoxicante produit elle-même l'automatisme. C'est ce qu'on décrit dans le paragraphe auquel vous trouvez à redire avec raison.
Si l'on affirme dans le préambule que l'automatisme résulte exclusivement de l'action de la drogue, il ne devrait pas être possible de l'invoquer comme moyen de défense. La possibilité que l'automatisme soit provoqué par la consommation de drogues attribuable à d'autres causes profondes et préexistantes vaudrait toujours dans ce cas.
La vice-présidente (Mme Barnes): Je crois comprendre, monsieur Thompson, que vous avez une autre série de questions.
M. Thompson: Oui, j'ai simplement une brève question à poser; elle s'adresse probablement au témoin représentant la Fondation de la recherche sur la toxicomanie.
Le gouvernement actuel et la plupart des membres du comité sont d'avis que la prévention a un rôle essentiel à jouer concernant tous les problèmes en matière de justice. Je suis certainement de cet avis.
Je me demandais simplement si vous avez des preuves, d'ordre statistique.... Je ne peux parler que de l'Alberta, car je ne sais pas exactement ce qui s'est passé partout dans le pays. Je me rappelle il y a 25 ans, ou même plus récemment, les bars fermaient à 23 heures; ils n'étaient pas ouverts le dimanche et devaient fermer à l'heure du souper; il fallait avoir 21 ans pour se faire servir de l'alcool.
Il y avait partout en Alberta des règlements assez sévères qui ont changé du jour au lendemain. Maintenant, les bars restent ouverts jusqu'à 3 heures du matin, ils sont ouverts sept jours par semaine et ne ferment pas à l'heure du souper. Ils sont très accessibles.
Avez-vous des indices démontrant que depuis que ces changements sont survenus, le problème s'est aggravé par rapport à autrefois? Dans l'affirmative, avez-vous une idée de la façon dont on devrait régler certains des problèmes touchant la réglementation?
M. Kendall: Si je puis me hasarder à répondre à cette question...nous n'avons pas de données. Je ne suis pas au courant de données venant précisément de l'Alberta et concernant le rapport entre l'accessibilité de l'alcool et ses conséquences nocives.
Si nous examinons les données venant d'Europe, de la Finlande, d'Australie et d'un certain nombre d'autres pays, ceux qui étudient l'incidence de l'alcool sur la santé publique s'accordent généralement pour dire qu'une accessibilité accrue de l'alcool entraîne une consommation accrue, laquelle provoque des problèmes accrus, qu'il s'agisse de problèmes au travail, de violence familiale, de crimes liés à la violence familiale, ou d'accusations de conduite avec les facultés affaiblies. Il existe une cohabitation générale de ces facteurs, qui a probablement quelque chose à voir avec la causalité également.
Chose intéressante, on observe depuis une dizaine d'années au Canada une diminution globale de la consommation d'alcool par habitant dans l'ensemble de la population. Cela, malgré que le prix réel de l'alcool ait diminué et que la boisson soit devenue, à des degrés divers, un peu plus accessible dans plusieurs provinces.
Cela s'explique peut-être par le fait que la population vieillit et a tendance à boire moins, et que le sommet de la génération issue de la poussée démographique est passé. Un autre facteur tient peut-être au fait que certaines mesures de contrôle sont beaucoup plus efficaces que d'autres, et que l'accent mis sur la répression de l'ivresse au volant a peut-être réussi bien davantage à freiner la consommation d'alcool par habitant que ne l'ont fait l'augmentation des privatisations, la diminution des ventes, la limitation de la publicité, etc.
Quoi qu'il en soit, du point de vue de la santé publique, nous avons pris pour position que si l'on veut réduire les problèmes globaux résultant de la consommation d'alcool, il faudrait prendre des mesures visant à réduire cette consommation. Il s'agirait notamment d'en limiter l'accessibilité en réduisant le nombre de bars et l'attribution de permis, en limitant les points de vente en en s'attaquant à la question des prix.
La vice-présidente (Mme Barnes): Madame Torsney, vous avez la parole.
Mme Torsney (Burlington): Ce que j'ai à dire fait suite à vos observations, docteur Bradford. C'est à propos d'un élément de votre mémoire, où vous faisiez remarquer que les Canadiens sont bien conscients des effets de l'alcool et de son lien avec la violence. Je me demande s'il ne faut pas éduquer davantage le public à propos de ce lien. Cela fait suite à l'observation concernant l'ivresse au volant, qui faisait également partie de la phrase. Je ne pense pas que beaucoup de Canadiens connaissent bien ce lien qui est si évident entre l'alcool et la violence.
M. Bradford: Vous avez peut-être raison. Dans ce cas, il faudrait évidemment établir un programme. Les représentants de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie ont peut-être quelque chose de mieux à dire à ce sujet. Cependant, il s'agit certainement d'un problème important.
Mme Torsney: Et il faudrait rendre les gens plus conscients de ces problèmes? Cela fait-il partie de vos campagnes ou autres activités actuelles?
M. Kendall: Oui, tout à fait. Lors d'un sondage effectué récemment en Ontario, 82 p. 100 des adultes à qui on a posé directement la question croyaient que l'alcool était la cause des agressions. À en juger d'après ce sondage, les gens sont passablement bien informés.
Mme Torsney: Ils sont donc informés.
M. Kendall: Le degré d'information diffère probablement selon les diverses régions du pays, selon que les gens vivent à la ville ou à la campagne, et notamment le degré de conscience des problèmes sociaux et familiaux. La plupart des actes de violence se produisent entre hommes, malgré nos inquiétudes à l'égard de la violence dans la majorité des cas non connus.
Mme Torsney: Les gens ont peut-être également fait le lien avec l'ivresse au volant. En effet, il est plus difficile de rentrer chez soi en voiture, mais on le fait quand même. Il faut peut-être passer maintenant au problème de la violence.
Je voulais simplement vous demander de clarifier encore autre chose, docteur Kalant. Sauf erreur, vous avez dit que s'il y a effectivement automatisme provoqué par l'alcool, il suffit d'une petite quantité pour cela, et non d'une grande quantité. Est-ce que...
M. Kalant: Non. J'ai parlé d'un type particulier d'automatisme...
Mme Torsney: D'accord.
M. Kalant: ...appelé intoxication pathologique. Il se caractérise par une réaction anormale à l'alcool, quand une faible quantité d'alcool ne provoque pas les signes typiques d'intoxication. Le sujet n'a pas de mal à articuler, il ne titube pas, il n'a pas la face toute rouge, sa pulsation cardiaque n'augmente pas et il ne présente aucun des autres signes typiques de l'intoxication ordinaire.
Il se produit au contraire une explosion soudaine de violence, insensée, sans rien à voir avec ce qui se passe autour du sujet, qui le laisse complètement désorienté et amnésique, mais cela est de très brève durée. C'est comme un déclenchement soudain, comme si le cerveau conscient de cette personne est simplement déconnecté.
Il s'agit cependant d'un comportement très inhabituel, et quand il se produit, le sujet a habituellement des antécédents à cet égard. Ce comportement se rencontre donc parmi les rares cas d'automatisme provoqué par l'alcool, où le sujet est conscient du risque et sait que le simple bon sens et un peu de jugeotte lui dictent d'éviter l'alcool.
Mme Torsney: Merci. J'ai trouvé vos interventions excellentes, et j'espère que nous adopterons rapidement cette mesure.
M. Wappel (Scarborough-Ouest): J'ai deux observations à faire.
D'abord, il est bien possible et même probable que les tribunaux examineront les témoignages entendus devant le Comité quand il s'agira d'interpréter cette disposition. Il était donc important que vous veniez témoigner aujourd'hui, et je vous en remercie.
Dans cet esprit, je voudrais d'abord revenir sur la question que M. Bodnar vous a posée et, plus particulièrement, sur votre suggestion rapide, il faut le reconnaître, mais excellente concernant le préambule. Je voudrais simplement tirer une chose au clair.
Parce que le préambule parle de preuves scientifiques, vous suggérez d'en modifier le libellé pour lui faire dire que la société canadienne est consciente de l'existence de preuves scientifiques selon lesquelles la plupart des substances intoxicantes, dont l'alcool, n'ont pas pour effet de faire en sorte qu'une personne agisse de façon involontaire. Je crois que c'est ce que vous avez dit.
Dans l'affirmative, est-ce que c'est ce que vous présentez comme preuve scientifique au comité aujourd'hui? Si tel est bien le cas, j'ai besoin d'un oui de chacun de vous afin que cela figure au compte rendu.
M. Kendall: Je crois qu'on a dit que la plupart des substances intoxicantes, y compris l'alcool, n'ont pas en soi pour effet de faire en sorte qu'une personne agisse de façon involontaire. Je dirais oui.
M. Bradford: La formulation serait meilleure ainsi.
M. Wappel: En soi?
M. Kendall: Oui.
M. Bradford: Oui.
M. Wappel: Et ce serait là la preuve scientifique généralement acceptée au Canada aujourd'hui?
M. Bradford: Oui.
M. Kendall: Oui.
Mme Bondy: Oui.
M. Wappel: Merci. Dans la deuxième recommandation, page 2 du mémoire de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie, je vois que vous parlez du Code criminel révisé. Je le comprends. Vous faites remarquer ceci:
- Le passage de la jurisprudence au Code criminel de la défense d'intoxication (en l'absence
d'automatisme) devrait se faire de telle façon qu'il ne soit pas possible d'en étendre
l'application aux situations auxquelles elle ne s'applique pas actuellement. Il existe de bonnes
raisons d'ordre public pour que le Code criminel en restreigne davantage l'application.
La disposition dont il est question dans le paragraphe 33.1(3) du projet de loi prévoit très précisément l'application de ce que j'appellerais la restriction de la portée du jugement majoritaire dans l'affaire Daviault. Elle en limite en effet l'application aux infractions entraînant des lésions corporelles.
Autrement dit, nous avions une possibilité limitée d'invoquer ce moyen de défense dans les cas d'infractions d'intention spécifique. Cette possibilité est maintenant ouverte à tous les cas d'infractions d'intention générale.
Et voilà que nous avons le projet de loi C-72 qui propose d'en limiter l'application. Nous allons donc restreindre la portée de l'arrêt Daviault, mais seulement en ce qui concerne les infractions entraînant des lésions corporelles. Cela permettrait par conséquent d'invoquer l'intoxication comme moyen de défense dans les cas d'infractions d'intention générale où il n'est pas question de lésions corporelles.
Je suppose - et j'adresse ma question aux représentants de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie - que cela va à l'encontre de votre deuxième recommandation, dans la mesure où le projet de loi C-72, n'irait pas assez loin. Est-ce exact?
Mme Bondy: Je ne suis absolument pas juriste, mais il me semble que le projet de loi C-72 aura limité la portée de l'application de l'arrêt Daviault aux infractions contre la propriété et autres infractions de cette nature. Bien qu'il y ait une certaine amplification, cela ne concerne pas le type d'infractions à l'égard desquelles l'affaire Daviault avait suscité un véritable tollé.
L'arrêt Daviault semble avoir eu des retombées sur les actes de violence, qui causent certainement le plus d'inquiétude en matière de santé et de bien-être publics. Dans cette perspective, la Fondation de la recherche sur la toxicomanie se préoccupe davantage de ce qui a une incidence directe sur la santé et le bien-être publics.
M. Wappel: Nous devrions considérer que votre deuxième recommandation, page 2, se limite aux infractions entraînant des blessures corporelles?
Mme Bondy: La deuxième recommandation, telle que libellée, visait, dans la mesure du possible, à rétablir la défense d'intoxication, mais en la limitant aux infractions d'intention spécifique.
M. Wappel: Exactement. Et le projet de loi ne le fait pas.
Mme Bondy: Non. Au moment où nous avons formulé notre recommandation, nous n'avions pas encore vu le projet de loi C-72; autant que nous sachions, il n'avait pas encore été rédigé.
M. Wappel: C'est ce que je voulais faire comprendre. Cette mesure ne ramène pas la loi exactement là où elle en était avant l'arrêt Daviault. Elle l'amène quelque part entre ce qu'elle était auparavant et l'arrêt Daviault.
Il y a donc eu une amplification de la défense d'intoxication. C'est ce que je veux démontrer. Êtes-vous d'accord sur ce point? Je sais que vous n'êtes pas juristes.
Mme Bondy: Nous reconnaissons que cela semble être le cas, effectivement.
M. Wappel: Allons-nous nous en accommoder?
La vice-présidente (Mme Barnes): Monsieur Wappel, votre temps est écoulé. Si vous voulez entreprendre une autre série de questions, je vais ajouter votre nom à la liste.
Monsieur Lee, voulez-vous intervenir maintenant?
M. Lee (Scarborough - Rouge River): Madame la présidente, M. Wappel aborde exactement les questions que je voulais aborder.
La vice-présidente (Mme Barnes): Eh bien, voulez-vous alors lui donner votre temps de parole?
M. Lee: Eh bien, je ne veux pas donner de temps de parole, mais s'il y a consensus sur....
La vice-présidente (Mme Barnes): Le temps de parole attribué à M. Wappel est déjà écoulé depuis deux minutes. Je ne vois pas d'inconvénient à ajouter son nom au bas de la liste.
M. Lee: Il serait peut-être utile de le laisser poursuivre, car je crois qu'il est sur le point d'arriver là où il voulait en venir.
La vice-présidente (Mme Barnes): D'accord. Monsieur Wappel, voulez-vous entreprendre une deuxième série de questions?
M. Wappel: Non. Je voudrais simplement obtenir une réponse à ma dernière question. Êtes-vous d'accord avec ma description?
M. Kendall: Il serait difficile de construire un raisonnement logique qui inclurait un type d'infraction, mais pas un autre, étant donné que les preuves scientifiques s'appliqueraient aux deux en termes de comportement volontaire ou inconscient.
M. Bradford: Je me contenterai d'insister de nouveau sur la position de l'Association des psychiatres du Canada; je l'ai déjà énoncée, mais je vais la répéter. Nous reconnaissons qu'il s'agit bien d'une amplification. Nous ne l'approuvons pas. Nous préférons revenir aux infractions d'intention spécifique seulement.
M. Lee: Étant donné que M. Wappel a abordé le plus gros du problème, je pense qu'il ne reste plus qu'un aspect à aborder. Je voulais simplement faire confirmer que, dans le témoignage que vous avez présenté aujourd'hui et qui m'a été extrêmement utile, à moi et sûrement aussi à mes collègues, vous vous accordez généralement à reconnaître qu'on semble avoir utilisé abusivement la défense d'intoxication ces derniers temps. On peut présumer que ce sont les avocats de la défense qui se sont mis à l'invoquer devant les tribunaux. Il s'est peut-être agi là d'une sur-utilisation abusive de la défense d'automatisme par intoxication.
Les tribunaux l'ont avalée. L'arrêt Daviault a confirmé qu'ils l'avaient acceptée. D'un point de vue professionnel, vous estimez que les tribunaux l'ont acceptée mal à propos, et que la défense d'intoxication et d'automatisme a été invoquée exagérément et sans fondement théorique, mais a néanmoins été acceptée comme moyen de défense par les tribunaux. Est-ce que cela reflète bien votre point de vue?
M. Bradford: Tout d'abord, il n'y a pas eu nécessairement sur-utilisation. Je dirais plutôt que ce jugement a ouvert la porte à un risque de sur-utilisation à l'avenir; c'est là ce qui nous inquiète. Dans mon secteur d'activité, ce moyen de défense n'a pas été sur-utilisé, mais on a certainement ouvert la porte à cette possibilité.
M. Kalant: D'après mon expérience, je puis dire que l'arrêt Daviault a poussé un certain nombre d'avocats de la défense à chercher des moyens d'exploiter cette possibilité. J'ai été moi-même invité à intervenir comme témoin expert sur cette base. J'ai dit que je ne pouvais pas témoigner parce que je ne croyais pas ce moyen de défense bien fondé. Les avocats en furent très déçus.
L'affaire Daviault a probablement permis de codifier un concept qui existait très vaguement et qui était très rarement invoqué, mais le fait qu'on l'a consacré dans un jugement en a amené plusieurs à examiner la possibilité de l'utiliser dans leur propre cause.
Je crois que cette mesure contribuera de façon importante à réparer l'erreur qu a été commise, c'est-à-dire l'erreur scientifique commise dans l'arrêt Daviault.
M. Lee: Par conséquent, si tous les juges, tous les avocats de la défense et tous ceux de la poursuite dans tous les tribunaux prenaient connaissance de ce que vous nous avez dit aujourd'hui et étaient d'accord, il y aurait encore moins de latitude pour invoquer l'automatisme par intoxication comme moyen de défense?
M. Kalant: Oui.
M. Lee: C'est parfait. Je pense que cela règle la question. Merci, madame la présidente.
La vice-présidente (Mme Barnes): Je n'ai personne d'autre sur ma liste.
Je tiens à remercier ceux qui ont comparu devant nous aujourd'hui. Vos témoignages ont été fort utiles et seront consignés au procès-verbal, ainsi que vos présentations. Merci d'être venus.
Nous reprendrons nos travaux jeudi matin.