[Enregistrement électronique]
Le mardi 12 décembre 1995
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte.
Aujourd'hui, nous accueillons des représentants de l'Association du Barreau canadien. Nous sommes heureux qu'ils puissent témoigner comme ils le font pour tous les projets de loi.
Je me contenterai de présenter Joan Bercovitch, directrice principale des affaires législatives et gouvernementales, qui présentera ses deux collègues.
[Français]
Mme Joan Bercovitch (directrice principale, Affaires législatives et gouvernementales, Association du Barreau canadien): Mesdames et messieurs, membres du comité, je m'appelle Joan Bercovitch et je suis directrice principale des Affaires législatives et gouvernementales de l'Association du Barreau canadien.
Le Barreau canadien regroupe plus de 34 000 avocats, notaires, étudiants en droit, professeurs de droit et juges. Notre mandat nous permet de faire des commentaires sur l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. Les représentations que nous vous faisons ce matin sont en rapport avec ce mandat.
[Traduction]
Ce sont Me Gordon Proudfoot, qui pratique le droit à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse, et qui est président de l'Association du Barreau canadien, et Me Chris Curran, qui pratique le droit àSt. John's, Terre-Neuve, et qui est président du Comité de la législation et de la réforme du droit de l'ABC, qui vous présenteront notre exposé ce matin. Je cède la parole à Me Proudfoot.
Me George Proudfoot (président, Association du Barreau canadien): Bonjour.
Nous, de l'Association du Barreau canadien, sommes heureux d'être ici ce matin pour appuyer le rétablissement d'une Commission indépendante de réforme du droit. Notre association a joué un rôle actif dans la création de la Commission de réforme du droit originale, il y a près de 30 ans; nous nous sommes opposés à son abolition en 1992 et avons, depuis, joint nos voix à ceux qui en réclamaient son remplacement.
Le projet de loi C-106 a comme principal atout de créer un organisme indépendant, une Commission dépourvue de toute apparence d'ingérence de la part du gouvernement ou des groupes d'intérêt. Cela bien sûr est l'élément essentiel d'un processus objectif d'évaluation, d'analyse, de recommandation et d'examen. L'ABC souscrit à cette approche sans équivoque.
Nous appuyons aussi le libellé du préambule du projet de loi, où on insiste sur la participation de tous les Canadiens et sur l'importance, pour le droit, d'être sensible aux réalités socio-économiques et d'en tenir compte. Le comité consultatif tel que celui prévu par l'article 18 du projet de loi ne peut assurer une plus grande sensibilité et ouverture et, par conséquent, l'ABC approuve l'établissement du Conseil consultatif de la Commission du droit du Canada.
L'Association du Barreau canadien est très encouragée par les dispositions sur les rapports et les réponses aux rapports contenues dans le projet de loi C-106. Le paragraphe 5(2) et les articles 24 et 25, qui exigent du ministre de la Justice qu'il réponde à tous les rapports de la Commission, garantissent au public un avis, un débat et la participation au processus d'élaboration et de modification des lois. L'ABC est donc ravie d'appuyer ces éléments du projet de loi C-106.
Toutefois, notre association estime que des améliorations pourraient être apportées à trois éléments du projet de loi. Il s'agit du personnel de la Commission, des Commissaires mêmes, ainsi que du mandat et des pouvoirs de la Commission. J'aborderai chacun de ces sujets brièvement.
Premièrement, en ce qui concerne le personnel de soutien, l'Association est d'avis que, dans la structure créée par le projet de loi C-106, on comptera trop sur les recettes externes ou contractuelles. Nous sommes conscients de la réalité budgétaire, et nous savons qu'il est parfois bon de faire appel à des ressources externes pour apporter des idées et des énergies nouvelles à un projet de recherche. Cependant, un personnel permanent et interne trop peu nombreux pourrait mener à des problèmes qui seraient supérieurs aux avantages du recours à des ressources externes. Je pense plus précisément à l'absence des capacités internes d'analyse et d'élaboration de politiques. Si le personnel permanent est trop peu nombreux, un fossé pourrait se creuse entre les chercheurs et les commissaires. Il pourrait d'ensuivre des incohérences tant dans la direction d'ensemble que dans la stratégie de la Commission. À la longue, le travail de la Commission pourrait faire l'objet de plaintes et de critiques légitimes.
Par conséquent, l'Association du Barreau canadien recommande que la structure du personnel de la Commission du droit du Canada comprenne expressément un groupe de professionnelles de la réforme du droit engagées à titre permanent qui serait complété, en cas de nécessité, par des employées à temps plein embauchées en raison de leur compétence sur un sujet spécialisé, et ce pour un mandat à durée fixe.
Deuxièmement, j'aimerais vous faire part des vues de l'Association du Barreau canadien sur le modèle même de la Commission. Les ressources étant rares, nous sommes d'accord pour que la Commission ne comprenne qu'un commissaire à temps plein et quatre commissaires à temps partiel comme le prévoit le projet de loi. Toutefois, nous sommes préoccupés par l'article 7 qui permet le recrutement de commissaires n'ayant pas de formation juridique.
L'Association du Barreau canadien comprend l'intention générale de l'article 7 et applaudit à la volonté du législateur de populariser le processus de réforme du droit: Les avocats n'ont pas le monopole du droit. En revanche, nous estimons que la compréhension des complications inhérentes à l'analyse législative nécessite une formation et des connaissances particulières. Autrement dit, une contribution trop importante de milieux autres que le milieu juridique pourrait mener à des travaux mal informés et contre-productifs. Par conséquent, l'Association du Barreau canadien recommande que l'article 7 soit modifié de façon à prévoir qu'une majorité de commissaires ait une formation juridique.
Parallèlement, l'ABC approuve le paragraphe 7(3) du projet de loi qui prévoit que les commissaires doivent représenter les intérêts socio-économiques et culturels divers du Canada. Nous recommandons que cet article sur la représentativité exige aussi de la Commission qu'elle reflète la proportion des deux sexes dans la société canadienne. L'Association du Barreau canadien recommande aussi que la Commission reflète les traditions de common law et de droit civil du pays.
Enfin, l'ABC a formulé plusieurs recommandations touchant le mandat et les pouvoirs de la Commission. Nous sommes heureux de constater que le mandat de la nouvelle Commission est élargi par rapport à celui de l'ancienne Commission qui, elle, n'avait pour mission que d'étudier les lois du Canada. La nouvelle Commission est chargée d'examiner le droit du Canada et ses effets. Autrement dit, elle devra se pencher non seulement sur ce que les lois édictent, mais aussi sur leurs conséquences.
À première vue, le nouveau mandat semble donc beaucoup plus large que l'ancien. Or, d'autres dispositions du projet de loi C-106 pourraient aller à l'encontre de ce mandat élargi.
L'article 3 et le paragraphe 18(1), qui font allusion au ministère de la Justice, pourraient donner lieu à une interprétation selon laquelle seules les questions relevant du ministère de la Justice peuvent être examinées par la nouvelle Commission. Ce serait une restriction malheureuse de la mission et des pouvoirs de la Commission, et nous devrions tirer des leçons du fonctionnement de l'ancienne Commission de réforme du droit, qui a souvent fait face à l'intransigeance des ministères qui craignaient qu'elle n'empiète sur leur terrain.
Par conséquent, nous recommandons que l'article 3 soit modifié de façon à prévoir précisément que la Commission du droit aura pour mandat d'examiner les questions de réforme du droit qui relèvent de tous les domaines de compétence fédérale, de solliciter la collaboration et les conseils des Commissions de réforme du droit provinciales et territoriales ainsi que d'autres organismes, plus particulièrement lorsqu'elle entrevoit des chevauchements aux échelons fédéral, provincial et territorial à propos des questions à l'étude.
L'Association du Barreau canadien recommande également que l'article 4 du projet de loi C-106 soit modifié de façon à conférer à la Commission du droit le pouvoir de demander aux ministères et organismes fédéraux de mettre à la disposition de la Commission tout renseignement, document, conseil et assistance que la Commission estimera nécessaire pour l'accomplissement de ses fonctions.
Enfin, l'Association du Barreau canadien recommande que le gouvernement envisage de nommer des sous-ministres importants au Conseil consultatif de la Commission du droit en plus du sous-ministre de la Justice.
En conclusion, l'Association du Barreau canadien réitère son engagement à l'égard de la création d'une Commission de réforme du droit indépendante, accessible, permanente et ouverter. L'ABC appuie essentiellement le projet de loi C-106 qui constitue une tentative législative louable d'atteindre cet objectif. Toutefois, l'Association estime que la nouvelle Commission pourrait être plus efficace et que ses buts seraient plus faciles à atteindre si les recommandations que j'ai eu l'honneur de décrire au nom de mon association ce matin étaient intégrées à cette loi habilitante.
Le président: Merci beaucoup.
Madame Ablonczy, vous avez dix minutes.
Mme Ablonczy (Calgary-Nord): Merci de votre exposé. Il nous a donné un très bon aperçu de votre position en peu de temps, ce dont je vous sais gré.
J'ai une question à vous poser au sujet de votre quatrième recommandation, votre recommandation portant sur le mandat de la Commission. Vous nous demandez de modifier la loi de façon à ce que la Commission soit habilitée à examiner toutes les questions de droit relevant de la compétence fédérale. Je présume que vous voulez ainsi éviter que la Commission ne soit obligée de se limiter aux questions de justice, n'est-ce pas?
D'accord. J'aimerais en savoir plus sur ce qui justifie cette recommandation.
Me Christopher Curran (président, Comité de la législation et de la réforme du droit, Association du Barreau canadien): Je pourrais vous donner bien des exemples, mais le plus évident est celui de la santé. À l'heure actuelle, tout le système de soins de santé du Canada fait l'objet d'un examen exhaustif. L'ancienne Commission de réforme du droit, avec son projet sur la protection de la vie, s'est particulièrement intéressée aux questions liées à la santé et a apporté une contribution considérable au débat. La santé est un domaine qui va bien au-delà des questions de droit, mais que le gouvernement pourrait demander à la Commission du droit d'examiner.
Voici un autre exemple. À l'aube du XXIe siècle, qui amènera de nouvelles façons de dispenser les services, de nouvelles technologies, de nouvelles méthodes commerciales et industrielles, il pourrait être utile pour la Commission du droit de se pencher sur les enjeux liés à l'industrie qui vont au-delà de simples questions de justice, mais qui pourraient être pertinents à la compétitivité du Canada dans le marché du XXIe siècle.
Il faut que le mandat de la Commission soit le plus vaste et le moins restrictif possible si nous voulons qu'elle crée un environnement qui nous permette de relever les défis du XXIe siècle comme collectivité et comme pays.
Mme Ablonczy: Merci de cette explication.
En vous écoutant parler, j'ai pensé au rôle que pourrait jouer la Commission dans le processus législatif. Y avez-vous réfléchi? Quel pourrait être le rôle de la Commission dans ce contexte?
Comme vous le savez, d'autres contribuent au processus législatif, y compris les fonctionnaires des ministères intéressés, la population et les comités tels que le nôtre. Comment pourrait-on assurer l'équilibre entre le rôle que pourrait jouer la Commission qui, d'après vous, devrait être constituée surtout de professionnels de la justice, et les autres intervenants?
Me Curran: Dans le préambule du projet de loi, et c'est un de ses aspects positifs, on met l'accent avant tout sur la participation de la population afin que la Commission puisse refléter tout le pays. En outre, avec la création d'un conseil consultatif, on tente de mettre à profit les connaissances de groupes et de professionnels de toutes les régions du pays qui pourront participer à l'élaboration du mandat et à l'orientation de la nouvelle Commission.
Selon le modèle prévu par le projet de loi, il y aura de nombreuses occasions de consultation, de contribution de la part du grand public, du ministère de la Justice, de votre comité et d'autres groupes. D'ailleurs, dans notre mémoire, nous recommandons que la Commission puisse avoir à sa disposition toutes les informations disponibles au gouvernement afin de mieux remplir ses fonctions.
Par conséquent, la population, les comités législatifs et les gouvernements auront bien des occasions de contribuer aux travaux de la Commission. C'est d'ailleurs un des principaux atouts de ce projet de loi.
Toutefois, pour que la Commission soit le plus efficace possible, il faudrait qu'elle compte des employés qui se fassent les intermédiaires entre tous les renseignements obtenus du grand public et de tous les autres groupes intéressés pour ensuite présenter des options concises de politique aux commissaires.
Mme Ablonczy: La Commission aura donc pour fonction de recueillir toutes ces informations et de les organiser pour formuler des recommandations législatives.
Me Curran: Oui. Manifestement, il faudrait que la Commission ait accès au plus grand nombre de renseignements possible. Il ne lui sera pas nécessaire de réinventer la roue en effectuant des recherches qui ont déjà été menées ailleurs, mais il lui faudra pouvoir accéder à ces renseignements afin de ne pas gaspiller l'argent des contribuables en refaisant le travail qui a déjà été fait.
Le projet de loi doit concéder à la Commission le pouvoir d'obtenir tous les renseignements et toutes les ressources nécessaires au traitement de ces informations afin que des options de réforme pertinentes soient présentées aux commissaires, qui à leur tour formuler des recommandations au ministre de la Justice.
Me Proudfoot: En outre, ce modèle assure l'indépendance de la Commission par rapport au programme du gouvernement. Et c'est une forme de protection pour la Commission. C'est très important et c'est un des aspects du projet de loi qui nous plaît le plus. Nous ne voulons pas que la Commission soit tenue de mettre en oeuvre les programmes du gouvernement. Nous voulons que son mandat permette la contribution de tous les Canadiens.
Mme Ablonczy: Cela m'amène à vous poser ma dernière question. Si tous les commissaires sont nommés par le ministre de la Justice, comment peuvent-ils être véritablement indépendants du ministre?
Me Proudfoot: Il serait peut-être préférable que les commissaires soient nommés par un comité. Nous n'en avons pas traité dans notre mémoire. J'imagine qu'il y a toujours une meilleure solution, et nous serions ravis de réfléchir à la question et de vous faire part de nos vues à ce sujet.
Me Curran: N'oublions pas qu'on tente tout de même, dans le projet de loi, d'assurer l'équilibre. Le Comité consultatif pourra participer directement à l'élaboration du programme et de l'orientation de la Commission.
On a donc tenté de trouver le juste milieu. Mais, comme l'a dit Gordon, si vous souhaitez que nous nous penchions plus attentivement sur cette question, nous le ferons avec plaisir.
Le président: Madame Torsney.
Mme Torsney (Burlington): Merci.
Pour commencer, je tiens à vous dire que votre troisième recommandation me plaît beaucoup. Je suis heureuse de voir que d'autres aussi pensent à l'égalité des sexes.
Me Curran: Au sujet du paragraphe 7(3) du projet de loi C-106, si on cherche une façon de modifier facilement cet article pour assurer une représentation équitable à cet effet, ce ne serait pas compliqué. On pourrait simplement dire que les commissaires devraient représenter les intérêts socioéconomiques et culturels divers et la répartition des sexes du Canada et provenir de disciplines variées. On pourrait donc facilement ajouter la mention de la répartition des sexes au paragraphe 7(3); ce ne serait pas compliqué et cela ne prendrait que peu de temps au comité.
Mme Torsney: Ce serait formidable. Nous sommes toujours ravis qu'on nous suggère un libellé et un amendement précis. Je vais certainement examiner cela de près.
Je voudrais vous poser une question sur la façon dont, d'après vous, la Commission du droit devrait collaborer avec les autres organismes du gouvernement qui s'intéressent au système de justice, notamment le Conseil national de la prévention du crime. Pour ma part, j'espère que lorsqu'on entreprendra des réformes, on le fera dans une perspective de prévention tout en pensant à limiter les coûts en envisagent des solutions concrètes.
La Commission du droit devrait-elle cibler des questions précises? La Commission et les autres organismes pourraient-ils collaborer à certaines initiatives, par exemple pour améliorer le droit de sorte que moins de gens aient des démêlés avec la justice - sans pour autant, bien sûr, que tout devienne légal? Comment le travail de ces différents groupes pourrait-il s'emboîter? Ou cela ne vous semble-t-il pas possible?
Me Curran: Nous avons dit à maintes reprises que le fondement de ce projet de loi est manifestement tout le concept de consultation. On aura donc toute la marge de manoeuvre voulue pour mener des vastes consultations.
Pour ce qui est de l'établissement du programme de la Commission et de son mandat initial, on pourrait compter sur le Conseil consultatif. N'oublions pas que le Conseil consultatif ne se compose pas uniquement de personnes ayant une formation juridique. L'article 18 du projet de loi C-106 prévoit que le Conseil consultatif est constitué de représentants de tous les secteurs et de toutes les régions du pays. À mon avis, le projet de loi est suffisamment souple pour permettre à la Commission de se pencher sur différentes questions selon les circonstances.
Mme Torsney: Y a-t-il des provinces ou des pays où on ne fait appel à la Commission de réforme du droit ou à une organisation semblable pour...
Me Curran: Si vous parlez de la violence, je peux vous dire que la Commission de réforme du droit de la Colombie-Britannique et l'Institut de réforme du droit de l'Alberta ont toutes les deux lancé une initiative sur la violence familiale. Nous avons maintenant en Saskatchewan une loi innovatrice sur la violence familiale. L'Institut de réforme du droit de l'Alberta et la Commission de réforme du droit de la Colombie-Britannique se penchent sur la question en vue d'élargir le contexte législatif à ce sujet au Canada. De plus, la Commission de réforme du droit de l'Ontario et John McCamus font aussi des travaux dans le domaine de la violence familiale.
Lorsque l'Association du Barreau canadien souligne la nécessité pour la nouvelle Commission du droit de collaborer étroitement avec les organismes déjà établis de réforme du droit, c'est précisément à ce genre d'initiatives qu'elle pense. On s'intéresse beaucoup à tous ces enjeux, et ces projets visent la production de résultats tangibles et significatifs pour les Canadiens.
N'oubliez pas que le projet de loi stipule que la Commission devra examiner non seulement ce que devraient être les lois, mais surtout, comme l'a indiqué Gordon, quels en seront les effets. On devra donc étudier les conséquences de ces nouvelles lois pour la vie quotidienne des Canadiens du fait que le problème de la violence familiale est d'actualité au Canada; il importe donc que nous trouvions une solution d'ensemble.
Mme Torsney: J'ai constaté que bon nombre de mes commettants se sentent frustrés devant les sustiles des lois; ils semblent croire que les mesures de protection nécessairement prévues dans les lois nous empêchent de châtier comme il se doit ceux qui ont commis des crimes. Ils me disent: «Ne me parlez pas du processus. Nous savons que cet homme est coupable. Vous n'avez qu'à le condamner, peu importe comment vous le ferez».
Comment pouvons-nous faire comprendre aux gens que les mesures de protection du régime...? Comment pouvons-nous faire comprendre aux gens à quoi servent les lois et pourquoi elles sont si importantes? Croyez-vous que la Commission pourrait contribuer à sensibiliser la population, à lui faire comprendre que ces mesures ne sont pas nécessairement frustratoires? Peut-être même pourraient-elles contribuer à éliminer certaines de ces sources de frustration?
Me Curran: L'ancienne Commission de réforme du droit avait comme fonction principale la sensibilisation du public. Dans le domaine de la protection de la vie et du droit administratif, l'ancienne Commission a déployé de grands efforts pour sensibiliser les Canadiens.
Toutefois, les rapports de cette Commission n'étaient pas toujours écrits de façon à être facilement lus et compris par le Canadien moyen. C'est une erreur que la nouvelle Commission ne devrait pas commettre. Mais c'est aussi un défi que votre comité doit relever. Ce projet de loi est-il rédigé de sorte qu'une personne pouvant lire au niveau de la huitième année puisse le comprendre? Est-il écrit en langage clair? Je suis certain que votre comité se pose cette question chaque fois qu'il est saisi d'un projet de loi.
Me Proudfoot: Il faut des ressources pour mener des campagnes de sensibilisation. Il faut y investir de l'argent.
Le modèle prévu par le projet de loi ne semble pas inclure une fonction éducative.
Par ailleurs, une des principales responsabilités de l'Association du Barreau canadien est de s'assurer que les praticiens du droit fassent part au gouvernement de leurs constatations sur les aberrations, les problèmes et les succès des différentes lois. Nous pouvons assurer le lien entre ces avocats et les différents comités intéressés par nos suggestions de changement.
Il existe donc déjà des voies de communication, mais ce serait encore mieux si la Commission du droit relevait ce défi. Plus on sera, mieux ce sera, car c'est un aspect important de l'amélioration des lois.
Mme Torsney: Surtout ces jours-ci où l'attention du public est rivée sur notre système judiciaire et sur celui des États-Unis, en raison, bien sûr, de toute la gamme des émissions de télévision que les Canadiens consomment.
Quels sont vos souhaits? Si vous aviez une ou deux recommandations à formuler, quelle seraient les deux questions qui vous préoccupent le plus, sur le plan personnel ou professionnel?
Me Curran: Nous avons deux souhaits qui nous sont très chers.
Le premier pourrait être réalisé sans qu'il soit nécessaire de modifier la loi. Nous recommandons qu'on veille à faire en sorte que la Commission soit dotée d'un noyau de spécialistes de la réforme du droit pour faire le travail de synthèse qui s'impose à toute l'information qui est retenue.
Le second est que le projet de loi soit modifié pour que la Commission du droit ait accès à la grande mine d'informations dont dispose le gouvernement et qu'elle n'ait pas ainsi à repartir à zéro.
Mme Torsney: Vous avez parlé de la santé comme d'un domaine d'intérêt. De quoi souhaiteriez-vous que la Commission s'occupe?
Me Curran: La santé et la technologie sont les deux grandes questions. S'il est une question avec laquelle on associait l'ancienne Commission de réforme du droit, c'est sans doute le code criminel, de sorte que la Commission est devenue la Commission de réforme du droit criminel. Nous devons faire en sorte que la Commission s'occupe aussi d'autres questions, sans pour autant délaisser les questions relatives au droit criminel.
Mme Torsney: Justement.
Me Curran: Il suffit de demander aux Canadiens quel est le domaine qui est important à leurs yeux et qui se trouve compromis et ils vous diront que c'est la santé.
Me Proudfoot: Pouvons-nous ajouter d'autres souhaits?
Je dirais que limiter le travail de la Commission à ce qui émane du ministère de la Justice, c'est ne pas tenir compte de l'impact énorme des autres ministères. C'est un peu comme de faire venir l'évaluateur chez soi pour en établir la valeur et de lui dire qu'on ne peut malheureusement lui montrer que le salon. Comment faire du bon travail dans des conditions pareilles?
L'autre chose qui nous préoccupe, c'est que si la Commission n'est pas autorisée à recueillir les données et les informations dont elle a besoin, c'est que le gouvernement ne croit pas vraiment qu'elle puisse vraiment jouer un rôle utile. C'est comme de donner à quelqu'un un voilier sans voile. L'embarcation paraît bien quand elle est amarrée, mais elle ne pourra jamais prendre le large à moins qu'on l'équipe d'un moteur.
Ce sont donc les deux autres grandes préoccupations que nous avons. Nous espérons qu'elles pourront être réglées par des modifications à la loi.
Le président: Monsieur Ramsay.
M. Ramsay (Crowfoot): Merci pour votre exposé. J'ai beaucoup de questions à vous poser.
Pourriez-vous dire au comité pourquoi l'ancienne Commission de réforme du droit a été démantelée selon vous?
Me Curran: C'est un élément de notre histoire qu'il me faudrait sans doute plus de cinq minutes pour vous expliquer. On peut sans doute en trouver une des causes dans le contexte financier dans lequel le gouvernement se retrouvait en 1992. Contrairement à ce que disent bien des gens, je ne crois pas que ce sont tellement les lacunes de l'ancienne Commission qui ont conduit à son démantèlement. À vrai dire, je crois qu'il s'agit d'une décision d'ordre financier que le gouvernement a prise à l'époque afin de réaliser des économies.
Le fait est que le gouvernement en est venu à reconnaître qu'il a besoin d'un organisme indépendant qui soit bien enraciné dans le milieu, comme ce sera le cas grâce au nouveau Conseil consultatif, et qui puisse présenter des propositions de réforme qui soient importantes pour les Canadiens.
M. Ramsay: Je ne peux pas accepter l'analyse que vous faites. Le gouvernement conservateur est un des gouvernements les plus dépensiers qu'on ait jamais connu. Il a ajouté 300 milliards de dollars à la dette en l'espace de neuf ans. Quand vous me dites que l'ancienne Commission de réforme du droit a été démantelée pour des raisons d'austérité budgétaire, j'ai donc bien du mal à l'accepter.
Je voudrais que vous nous disiez ce que le gouvernement et les Canadiens ont perdu à la suite du démantèlement de l'ancienne Commission de réforme du droit et ce que nous allons retrouver avec le rétablissement en principe de la Commission de réforme du droit.
Me Curran: En tant que représentants de l'Association du Barreau canadien, nous ne sommes manifestement pas en mesure d'appliquer les orientations du gouvernement. Nous ne savons pas ce sur quoi l'ancien gouvernement s'est fondé pour prendre sa décision...
M. Ramsay: Avez-vous demandé des explications? Avez-vous demandé au gouvernement pourquoi il avait pris cette décision?
Me Curran: On nous a dit que c'était pour des raisons d'ordre financier.
Je crois que la partie importante de votre question concerne ce que les Canadiens vont retrouver grâce à cette nouvelle Commission du droit; je crois qu'ils auront ainsi un organisme très utile, qui sera en mesure de fournir des conseils indépendants quant à l'orientation à prendre sur des questions d'intérêt crucial pour les Canadiens. C'est une perte énorme à mon avis que de ne pas pouvoir bénéficier de ces conseils indépendants, de cette analyse concentrée sur des questions qui tiennent à coeur aux Canadiens. Je crois que c'est précisément à cause du tollé qui a été soulevé dans les différentes régions du Canada et dans les divers secteurs de la société canadienne que nous assistons aujourd'hui à ce processus de recréation, de réinvention, qui conduira à la mise sur pied d'une nouvelle Commission du droit, amaigrie par rapport à l'ancienne Commission mais plus efficace et qui sera en mesure de fournir des conseils indépendants sur les questions qui préoccupent les Canadiens.
M. Ramsay: Quand l'ancienne Commission de réforme du droit a été démantelée, je n'ai rien ressenti du tout comme impact.
Me Curran: Je puis vous dire, monsieur, que j'ai eu l'honneur de participer à diverses tribunes qui ont été organisées dans les différentes régions du pays--dans l'Atlantique, dans l'Ouest et dans le centre - je puis vous dire sans aucune hésitation que des personnes représentant les divers secteurs de la société canadienne ont uni leurs voix pour dire, non pas dans leur intérêt personnel, mais dans l'intérêt du Canada, que nous avons besoin de pouvoir compter sur un organisme indépendant qui puisse donner au gouvernement des conseils indépendants afin d'avoir la certitude que notre législation pourra relever les défis du XXIe. C'est justement ce que nous assure l'existence d'une Commission du droit.
M. Ramsay: Les conseils indépendants dont vous parlez représentent-ils et reflètent-ils les préoccupations du public en ce qui concerne le système judiciaire?
Me Curran: Je ne suis pas sûr de savoir où vous voulez en venir avec cette question.
M. Ramsay: Bon, alors, je reprends. Les conseils indépendants que la Commission de réforme du droit, l'ancienne, comme la nouvelle, reflétaient-ils ou refléteront-ils, selon vous, les préoccupations du public en ce qui concerne notamment le système judiciaire?
Me Curran: Je vous dirai tout d'abord qu'il est inutile d'insister sur les lacunes, si lacunes il y avait, de l'ancienne Commission de réforme du droit. Je crois que nous sommes ici aujourd'hui pour surveiller la naissance d'une nouvelle Commission du droit plus dynamique et énergique que l'ancienne. Il nous incombe donc de nous tourner vers l'avenir avec espoir et avec le sentiment que nous assistons à la création d'un organisme qui servira l'intérêt des Canadiens. Je vous dirai donc...
M. Ramsay: Pourquoi ne répondez-vous pas à ma question?
Me Curran: Je ne suis pas sûr d'avoir compris votre question.
M. Ramsay: Je la poserai donc pour la troisième fois.
Me Curran: Allez-y.
M. Ramsay: Vous avez parlé des conseils indépendants que fournira la Commission de réforme du droit. Je veux savoir si, à votre avis, ces conseils indépendants refléteront les préoccupations du public en ce qui concerne nos lois et plus particulièrement notre système judiciaire.
Me Curran: Oui, le nouveau projet de loi prévoit que les Canadiens pourront amplement participer au processus. C'est précisément le rôle que jouera le conseil consultatif. Le Conseil sera là pour faire part à la Commission des préoccupations des Canadiens. C'est manifestement ce qui est prévu. Puis-je vous donner une réponse supplémentaire, à savoir...
M. Ramsay: Ma dernière question était-elle plus claire que la première?
Me Curran: J'espère qu'il en sera ainsi. Il faut espérer - et tous ceux qui seront partie au processus devraient pouvoir, à condition d'y participer de bonne foi, faire ce que vous espérez qu'ils pourront faire. Donnons la chance au coureur, et je crois que c'est effectivement ce qui se produira; la Commission reflétera les préoccupations des Canadiens.
Le président: J'ai une dernière question à poser. Je sais bien que vous nous avez dit que vous n'êtes pas vraiment en mesure d'expliquer les orientations du gouvernement et que les arguments qu'a invoqués le gouvernement pour justifier l'abolition de l'ancienne Commission de réforme du droit est d'ordre financier. N'est-il pas vrai, cependant, que le gouvernement de l'époque n'appréciait pas tellement les conseils qu'il recevait de cet organisme indépendant appelé Commission de réforme du droit et que c'est là un des principaux facteurs qui a conduit à son démantèlement?
Me Proudfoot: Je crois bien que oui. Il y avait là une question de pertinence. En tant qu'avocats en exercice, nous étions tous abonnés aux rapports de la Commission de réforme du droit qui étaient distribués gratuitement, et ces rapports sont abondamment cités dans diverses causes. Les objectifs que se fixait la Commission de réforme du droit étaient de moins en moins proches des questions qui intéressaient le public. Elle avait ses propres objectifs, son programme à elle, qui ne reflétait pas vraiment les préoccupations du public. C'est un des facteurs qui a conduit au bout du compte à sa ruine.
Le président: Les préoccupations du public ou celles du gouvernement de l'époque? Je ne m'engagerai pas dans un débat là-dessus avec vous.
Merci beaucoup d'être venus témoigner devant nous. Nous devons écourter un peu la séance car nous devons entendre un autre groupe. Nous pourrions peut-être prendre deux ou trois minutes, puis reprendre avec le Barreau du Québec. Merci beaucoup pour votre témoignage.
Me Curran: Merci de nous avoir donné l'occasion de témoigner devant vous.
Le président: Nous reprenons la séance. Nous avons pris environ deux minutes. C'est excellent.
Du Barreau du Québec, nous accueillons Jocelyne Olivier et...
Une voix: [Inaudible -Éditeur]
Le président: Bon, je lui demanderai de se présenter, puisque son nom ne figure pas sur ma liste. Je suis désolé.
Vous pouvez peut-être commencer par nous livrer votre exposé, puis nous procéderons aux questions des membres des deux côtés. Vous avez la parole.
[Français]
Me Carole Brosseau (secrétaire, Comité permanent en droit criminel, Barreau du Québec): Bonjour, je représente le Barreau du Québec. Permettez-moi de vous remercier de nous permettre de faire notre présentation aujourd'hui devant le Comité permanent de la justice.
Je m'appelle Carole Brosseau. Je suis avocate au Service de recherche et de législation du Barreau du Québec et je suis accompagnée aujourd'hui de Me Claude Masse qui est vice-président du Barreau du Québec.
Me Masse présentera la position du Barreau pour et au nom de la bâtonnière.
Me Claude Masse (vice-président, Barreau du Québec): Monsieur le président, messieurs et mesdames les députés, le Barreau du Québec est extrêmement heureux de la présentation de ce projet de loi sur la Commission de réforme du droit du Canada.
Nous avons cru, au moment de l'abolition de la Commission en 1992, qu'il s'agissait là d'une erreur et qu'une réorientation de certaines méthodes de travail aurait été souhaitable plutôt que la disparition de la Commission de réforme.
Nous croyons que la Commission de réforme du droit, ou un organisme équivalent, a sa place au Canada, non seulement à l'égard du droit criminel, mais aussi à l'égard de tout le droit civil ou des sanctions civiles et à l'égard du droit administratif. Nous croyons que l'approche multidisciplinaire proposée dans les textes de travail et le projet de loi est absolument essentielle.
En effet, ce n'est pas parce qu'une Commission s'intéresse aux questions juridiques que le traitement ne doit être que juridique et que les conseillers, les intervenants ou les chercheurs ne doivent être que des avocats.
Donc, il est tout à fait essentiel que la Commission puisse revenir et qu'elle puisse avoir une mission, un rôle.
Si l'ancienne Commission de réforme du droit du Canada est disparue en 1992, c'est peut-être parce qu'elle avait eu - et ce n'est pas une critique - une approche trop étroitement juridique, trop technique à certains égards.
Nous pensons qu'il y a une place au Canada pour un organisme de recherche et de réflexion sur un certain nombre de problématiques sociales qui concernent le droit, notamment l'effet des chartes des droits et libertés de la personne sur les pouvoirs policiers, sur le rôle des juges au Canada et sur les fondements de la responsabilité civile. Ce sont toutes des questions qui sont à la fois juridiques et sociales, et le caractère pluridisciplinaire de la Commission proposée nous semble absolument essentiel.
Notre deuxième remarque porte sur la représentation du Québec.
Vous vous souviendrez sans doute que deux des cinq commissaires de l'ancienne Commission devaient venir du Québec. Nous ne retrouvons pas cette disposition dans le projet de loi.
Nous croyons que la présence de deux représentants du Québec pourrait nous permettre d'avoir une bonne représentation des juristes et des non-juristes, des francophones et des anglophones, ainsi que des spécialistes en droit public et en droit civil. Il nous semble que la proposition telle que libellée est trop imprécise à l'égard de la nécessité d'assurer la représentation de ceux et celles qui sont des spécialistes en droit civil dans le cadre du bijuridisme au Canada. Cela nous apparaît absolument essentiel.
Notre troisième remarque est au sujet des liens entre le ministre de la Justice et la Commission de réforme.
Le projet de loi, tel que nous le comprenons, oblige le ministre à répondre aux recommandations qui lui sont faites par la Commission qui serait formée.
Nous croyons qu'on devrait préciser davantage, à l'article 5, l'obligation du ministre de répondre sur le fond, et non pas simplement par des accusés de réception ou des formules de politesse.
Les recommandations de la Commission devraient être suivies, de la part du ministre de la Justice notamment, par des prises de position précises. Bien sûr, il serait libre d'accepter ou de ne pas accepter, mais il devrait dire pourquoi, et nous croyons que cela serait de nature à alimenter le débat politique au Canada.
Quatrièmement, il nous semble très important d'accepter et de valoriser le rôle du comité consultatif. J'ai moi-même fait partie du comité consultatif du ministère de la Consommation du Canada, qui était formé lui aussi d'une vingtaine de membres venant de l'ensemble du Canada. J'ai pu au cours des années, il y a maintenant longtemps, constater le caractère précieux de cet exercice et la nécessité d'avoir des représentants de toutes les parties du Canada, de l'ensemble des professions et de l'ensemble des milieux.
Ce comité consultatif de 24 personnes nous semble extrêmement précieux pour permettre à la Commission d'orienter ses programmes de recherche et ses recommandations dans certains cas, et pour permettre une prise de contact avec les vrais problèmes sur le terrain.
Nous ne voyons pas plus de une ou deux rencontres par année, mais ce comité consultatif nous apparaît central dans le projet, tel que présenté.
À cet effet, nous voyons mal que le sous-ministre de la Justice, qui n'est pas véritablement un représentant des comités mais qui dépend du ministre de la Justice, soit un membre ex officio de ce comité de 24 personnes. Nous le voyons plutôt dans le rôle d'un observateur ou d'un invité. Nous ne voyons pas pourquoi il serait nécessairement un membre à part entière de ce comité consultatif.
Cela résume, pour l'essentiel, ce que nous vous avons dit dans la lettre que nous vous avons fait parvenir le 14 novembre 1995.
Nous nous réjouissons de la présentation du projet de loi. Nous pensons que l'abolition de la Commission de réforme du droit, en 1992, a été une erreur. C'est une erreur que le projet de loi permettrait de corriger.
Nous expliquons la disparition de l'ancienne Commission par le caractère peut-être un peu trop étroit de sa vocation et nous nous réjouissons du caractère multidisciplinaire de l'approche proposée, à condition qu'on fasse une juste part des participants.
Je vous remercie.
[Traduction]
Le président: Merci beaucoup. Nous commençons le premier tour de questions.
Monsieur Ramsay, vous avez dix minutes.
M. Ramsay: Merci, monsieur le président, et merci aux témoins pour leur exposé.
Je veux vous poser la question suivante: qu'est-ce que les Canadiens ont perdu quand l'ancienne Commission de réforme du droit a été démantelée?
[Français]
Me Masse: Ils ont perdu, monsieur Ramsay, une occasion unique de réfléchir collectivement sur des enjeux sociaux et juridiques très importants.
Actuellement, il n'y a que deux types d'intervenants qui réfléchissent publiquement sur ces questions. Ce sont essentiellement les partis politiques et le personnel politique, ainsi que les groupes de pression, dont font partie les universitaires. Il n'y a pas de véritable débat en dehors de ces groupes-là sur des questions aussi importantes que les peines d'emprisonnement au Canada et la facilité avec laquelle un détenu peut sortir de prison. On doit tenir des débats sur ces questions, des débats techniques, juridiques mais également à caractère politique.
Je pense que le public canadien a perdu la chance de bénéficier d'une réflexion de grande qualité de la part d'un corps spécialisé indépendant sur ces questions-là notamment.
Par exemple, il serait très important, après presque 13 ou 14 ans d'application de la Charte canadienne, de discuter publiquement du rôle du personnel politique face au rôle des tribunaux. C'est un débat qui ne peut pas être tenu facilement à l'intérieur des partis politiques, mais qui pourrait fort bien faire l'objet du travail de la Commission du droit du Canada.
Avec un peu de recul et avec un sens des préoccupations du public, je pense que nous pourrions tenir des débats extrêmement importants pour l'avenir du pays.
[Traduction]
M. Ramsay: Selon vous, la nouvelle Commission qui sera créée par le projet de loi dont nous sommes saisis cherchera-t-elle à obtenir la participation du public? Est-ce bien ce qui se produira selon vous, et dans l'affirmative, comment cela se fera-t-il?
[Français]
Me Masse: Ce sont des questions complexes. Des questions comme la peine de mort ou l'emprisonnement des criminels ayant commis des crimes à caractère sexuel tiennent à coeur au public et on doit en discuter.
Ce qui rebute un peu le public dans ce genre de débat mené par un organisme de recherche, c'est le caractère un peu neutre ou technique des discussions. Si la Commission joue son rôle, si elle essaie de se situer comme un organisme de réflexion, elle jouera son rôle notamment avec l'aide des journalistes, des médias, de la télévision, de la radio.
C'est un débat qu'on doit tenir périodiquement sur certaines questions. Le lien entre le public et la Commission est en grande partie fait par les médias d'information, mais j'admets que c'est un travail difficile.
[Traduction]
M. Ramsay: Si je demandais à mes électeurs s'ils étaient au courant de l'existence de l'ancienne Commission de réforme du droit, s'ils connaissaient son rôle ou s'ils savaient ce qu'elle faisait, je crois que la grande majorité d'entre eux diraient qu'ils ne savaient rien du tout de ce que faisait la Commission ou des avantages qu'ils en tiraient ni du rôle que jouait la Commission dans la société ou des avantages que la société en retirait.
Naturellement, vos recommandations s'adresseront à ceux qui ont la responsabilité de réformer la législation, à savoir le gouvernement. À moins qu'elle reçoive l'appui de ces gens-là, vos recommandations seront tout simplement oubliées sur les tablettes comme les rapports du vérificateur général. J'ai lu certains des rapports du vérificateur général au sujet de l'ancienne Commission de réforme du droit et, il semble qu'il y ait très peu de recommandations de la Commission qui se soient traduites par des réformes législatives.
Tout d'abord, je voudrais savoir si vous êtes d'accord avec cette évaluation que fait le vérificateur général dans certains de ses rapports. Il n'arrive peut-être pas à la même conclusion dans tous ses rapports. J'ai lu ceux de 1986 et de 1993. Comment la Commission du réforme du droit prévoit-elle amener le gouvernement au pouvoir à adopter ses recommandations et mettre en oeuvre les réformes qu'elle juge nécessaires si elle n'a pas l'appui de la population et si elle n'est pas représentative de la volonté du public, qui doit être représentée et exprimée par nos institutions démocratiques?
[Français]
Me Masse: Je vois trois questions dans votre question. Est-ce que la Commission du droit du Canada a l'obligation d'être connue, acceptée et appuyée par l'ensemble des Canadiens? Oui, mais ce n'est pas parce qu'un organisme vital comme celui-là n'est pas connu et approuvé qu'il n'est pas essentiel et nécessaire.
C'est souvent pendant les périodes de crise qu'un organisme s'avère essentiel et nécessaire. On sait peu de chose d'un programme de vaccination sauf au moment où il y a une épidémie. C'est à ce moment-là que les mesures de sécurité sont utiles.
Un organisme comme celui-là peut être particulièrement utile dans le cas de questions fondamentales pour l'avenir d'un pays, des questions aussi fondamentales que la justice en droit criminel ou en droit administratif, ou l'égalité des citoyens devant la loi.
L'objectif d'une Commission comme celle-là, c'est d'être connue de l'ensemble des Canadiens. Avec une bonne stratégie de communication, c'est possible. Ce que je soupçonne de l'ancienne Commission, c'est qu'elle avait un programme politique ou de recherche qui ne correspondait pas suffisamment aux préoccupations de la population à ce moment-là.
Je ne dis pas que c'est le seul critère, mais c'est l'un des critères. Une Commission de ce type doit se préoccuper notamment de ce qui préoccupe les citoyens.
Deuxièmement, et c'est un reproche que l'on doit faire à tous les gouvernements qui se sont succédé au cours des 20 dernières années d'existence de la Commission, si la Commission a eu peu d'impact, c'est que le gouvernement n'a pas attaché beaucoup d'importance à ses propositions.
Je vous donne un exemple. Dans le cas de la réforme du droit pénal et de la distinction entre les trois fondements de la responsabilité pénale, c'est la Cour suprême qui, dans l'affaire de Sault-Sainte-Marie, a accepté les recommandations de la Commission de réforme avant même que le personnel politique ne s'en préoccupe.
C'était à ce point que le personnel politique du ministère de la Justice, à une certaine époque, ne se préoccupait pas de façon très sérieuse des propositions que la Commission pouvait présenter.
Votre deuxième question a trait au rôle de la Commission pour l'avenir. Encore une fois, le caractère indépendant de la Commission est essentiel. S'il n'y a pas d'organisme de recherche compétent et indépendant du gouvernement, nous manquerons, comme société, pour trois millions de dollars par année, une occasion de se faire une idée, comme citoyens, à partir d'une base sérieuse et bien documentée. Le danger dans ces domaines, ce sont les préjugés, les idées préconçues. Il nous apparaît, au Barreau du Québec, qu'une Commission indépendante comme celle-là est un des outils du débat public sur les enjeux juridiques dans notre société.
[Traduction]
M. Ramsay: Je vous remercie pour votre réponse.
Je me demande si vous croiez que la Commission de réforme du droit, par ces recommandations, cherchera à influencer le gouvernement ou le public que le gouvernement est censé servir? Autrement dit, le rôle de la Commission sera-t-il, selon vous, de refléter la volonté du public, ses préoccupations quant aux réformes législatives nécessaires, ou la Commission du droit sera-t-elle davantage un organisme spécialisé qui s'intéressera aux questions de droit très pointues que le Canadien moyen ne comprend absolument pas et qui ne l'intéressent pas.
[Français]
Me Masse: Le principal auditoire d'une Commission de réforme au Canada, c'est la population du Canada. Il n'y a pas moyen d'encourager la réflexion ou les changements à la législation si la population du Canada n'est pas sensibilisée et ne sensibilise pas ses députés. Je pense qu'il faut passer par là. Ce n'est pas l'auditoire de la Commission; c'est la population.
Cependant, attention! C'est un organisme de réflexion. Il n'a pas à être représentatif de l'ensemble des opinions de la société. Il doit en tenir compte, mais il est un organisme de réflexion au-delà des préjugés et des idées préconçues.
Ce n'est pas un organisme de débat démocratique. C'est un organisme qui devrait inciter à une réflexion critique sur le sens et l'utilité sociale des règles plutôt qu'un organisme qui prétend représenter des préjugés qui parfois changent de période en période.
[Traduction]
M. Ramsay: Me reste-t-il encore du temps, monsieur le président?
Le président: Votre temps de parole est tout juste écoulé.
M. Ramsay: Vous voyez comme je vous surveille?
Le président: Oui, vous le faites mieux que moi.
[Français]
Me Brosseau: Si vous me le permettez, monsieur le président, j'aimerais compléter la réponse qu'a donnée Me Masse.
Dans la loi, on prévoit un comité consultatif. Depuis le début de vos questions, je crois entendre dire que la Commission sera autosuffisante. Je ne le crois pas.
Le rôle du comité consultatif sera très important. On dit que la Commission aura un lien avec la population. Je pense que le comité aura aussi un rôle dans ce sens-là. On fait appel à différentes organisations. Comme ce n'est pas axé uniquement sur l'aspect juridique des choses, mais aussi sur l'aspect socioéconomique, cela se reflétera grandement dans les discussions et les réflexions.
C'est très important et c'est justement la raison pour laquelle on se réjouissait du rôle du comité consultatif. À mon avis, le projet de loi, par ses dispositions visant la constitution du comité consultatif, pallie vos inquiétudes.
Le président: Monsieur Cauchon.
M. Cauchon (Outremont): Je remercie mes collègues du Barreau du Québec, dont je suis également membre. Vous avez fait de bons commentaires et une bonne présentation, particulièrement en ce qui a trait à une question qui me préoccupe aussi, celle des deux commissaires de droit civil. Il y a deux systèmes de droit au Canada, le common law et le droit civil. Il est donc important de reconnaître la spécificité du droit civil en s'assurant qu'il y ait, au sein de la Commission, deux commissaires qui procèdent de ce type de droit.
L'idée du conseil consultatif proposé permettra de présenter des propositions qui vont coller à la réalité de la société. Donc, en ce sens, la Commission constituera vraiment un forum d'avant-garde pour les législateurs. Je pense que c'est excellent à tous points de vue.
J'ai trois questions. La première est simple. Vous avez dit, tout à l'heure, que vous accueilliez de façon très favorable l'idée sous-jacente à l'article 7 voulant qu'on puisse structurer une Commission avec des gens autres que des juristes. Si on veut refléter les idées de l'ensemble de la population, il faut sortir du créneau des juristes et aller chercher des gens qui viennent d'ailleurs dans la société.
Les représentants de l'Association du Barreau canadien disaient qu'ils voulaient que la majorité des membres soient juristes. Seriez-vous enclins à penser de la même façon ou si vous seriez un peu plus larges?
Me Brosseau: Comme nous le disions dans notre lettre, et nous abondions dans le même sens dans nos représentations, éliminer les juristes serait autant une erreur que de n'avoir que des juristes. Comme nous vivons dans une société de droit, il est impensable d'éliminer complètement les juristes. C'est comme un balancier. Si on va d'un extrême à l'autre, on n'est pas plus avantagé. Il faut trouver un juste milieu. Donc, exclure complètement les juristes serait, à mon avis, une erreur. C'était aussi le sens de nos représentations.
Deuxièmement, on disait qu'on reconnaissait le bijuridisme au Canada, et donc une tradition de droit civil. Il est par conséquent important d'avoir également des représentants juristes du Québec. On ne peut pas répondre du droit civil si on n'en a pas la connaissance. Il est très différent du common law ou de ce qui se fait ailleurs au Canada. C'est pour cela qu'il est essentiel d'avoir aussi un représentant du Québec.
Me Masse: On trouve de plus en plus, surtout parmi les jeunes générations, des juristes de très grand talent qui ont une double ou une triple formation: sciences politiques-droit, économie-droit. Est-ce que ce sont surtout des spécialistes des sciences humaines ou des juristes? Je ne saurais le dire. Une approche qui serait limitativement majoritaire ou minoritaire ne refléterait pas, à mon avis, la réalité.
La future Commission comptera cinq membres. J'ai du mal à imaginer que les questions se diviseront en trois ou deux parce qu'il y aura trois juristes d'un côté et deux de l'autre. Dans la vraie vie, les choses ne se passent pas du tout comme cela.
M. Cauchon: Un cheval de bataille de la Commission de réforme précédente, avec Me Handfield et d'autres commissaires, était l'uniformisation du système de droit. On ne parlait pas d'homogénéiser, mais d'uniformiser. Croyez-vous que la Commission du droit du Canada, telle que constituée par le projet de loi, pourra également atteindre cet objectif d'uniformisation du système de droit canadien?
Me Masse: En droit administratif, il y a très certainement un besoin. L'ensemble des règles de l'ensemble des régies et tribunaux administratifs au Canada encourage l'éparpillement le plus complet et rend la compréhension des règles de droit par les justiciables plus difficile et la pratique du droit plus difficile.
Il y a d'autres domaines où l'uniformisation est très grande, en droit criminel notamment, mais il serait souhaitable de s'entendre pour simplifier les bases, particulièrement en matière de preuves administratives et criminelles où il y a des besoins.
M. Cauchon: Lorsque nous étions étudiants en droit à l'université, nous lisions tous les fameux rapports de la Commission précédente, sur le droit pénal, sur le droit administratif, etc. Vous avez soulevé quelque chose d'intéressant tout à l'heure, à savoir que ces rapports étaient pris en considération trop peu souvent par l'appareil législatif.
Quel mécanisme pourrait-on mettre en place pour faire en sorte que les recommandations futures de cette Commission puissent être davantage prises en considération? Est-ce qu'on ne pourrait pas organiser des débats sur les recommandations à la Chambre des communes? Y a-t-il quelque chose auquel vous avez déjà pensé?
Me Masse: On dit au paragraphe 5(2):
- (2)Le ministre répond aux rapports qu'il reçoit de la Commission au titre du présent
article.
M. Cauchon: Vous préciseriez, finalement.
Me Masse: Au paragraphe 5(2).
[Traduction]
Le président: Monsieur Ramsay, avez-vous encore d'autres questions à poser?
M. Ramsay: Oui, j'en ai beaucoup d'autres. Mais nous verrons jusqu'où nous pourrons aller, monsieur le président.
Je crains que la Commission du droit ne soit perçue comme un groupe élitiste composé uniquement, ou principalement, de juristes qui ne se soucieront pas tellement de prendre connaissance des préoccupations du public, mais qui travailleront plutôt à l'intérieur du système de justice pénale - que j'ai parfois tendance à qualifier d'«industrie en expansion» - et qui ne seront pas tenus d'écouter le public. Ils feront des recommandations aux législateurs, à ceux qui ont la responsabilité et le pouvoir de légiférer et de réformer les lois, et il n'y aura guère de similitude entre ce que demande le public ou ce qui le préoccupe et les propositions de réforme du droit qui seront faites au ministre de la Justice.
Selon vous, y a-t-il quelque chose dans ce projet de loi qui atténuera cette crainte que j'ai?
[Français]
Me Masse: Comme Me Brosseau vous l'a dit plus tôt, il y a, selon nous, trois canaux qui rendent nécessaire la pertinence de l'approche de la Commission par rapport aux inquiétudes du public. Il y a d'abord le comité consultatif, dont les membres viendront de l'ensemble des régions du Canada et de l'ensemble des milieux. Deuxièmement, la Commission pourra recevoir toute proposition de recherche ou d'étude sur un sujet précis ou un autre de la part du public. Troisièmement, le ministre de la Justice qui, en tant que personne devant tenir compte d'impératifs tels qu'il les voit ainsi que de son milieu, pourra ordonner à la Commission de faire des recherches dans un certain nombre de secteurs.
Maintenant, je suis d'accord avec vous pour dire qu'une Commission qui ne travaillerait que sur les aspects techniques des problèmes juridiques ne jouerait pas son rôle, même si ces aspects sont parfois importants.
Il reste le défi que la Commission puisse vraiment s'attaquer aux préoccupations de la population avec toute la liberté de réflexion possible. Encore une fois, la Commission est là, telle qu'on la voit, pour alimenter la réflexion. Il faut parfois aller à l'encontre de préjugés tenaces. Il y en a un certain nombre dans notre histoire qui sont importants. La peine de mort en est un bel exemple. Vous, comme députés, et je ne parle pas de vous en particulier, monsieur Ramsay, n'avez pas, comme groupe, accepté la peine de mort depuis une vingtaine d'années, alors que si on avait un référendum au Canada, il y aurait bien des chances que l'idée de la peine de mort soit acceptée.
Pourquoi? Parce que des personnes normalement informées et qui réfléchissent aux questions ont parfois après coup des réactions qui ne sont pas les mêmes que celles qui sont fondées sur des idées plutôt émotives.
Je ne dis pas que le public ne pense pas bien dans certains cas. Je dis que cet organisme-là a pour fonction de susciter la réflexion à partir des problèmes des citoyens. Et ça, c'est un défi; vous avez raison, je pense, d'insister sur la nécessité d'aller dans ce sens-là. Mais ce n'est pas l'absence de la Commission qui ferait disparaître le problème.
[Traduction]
M. Ramsay: Les recommandations de la nouvelle Commission seront bien sûr adressées au ministre de la Justice. La Commission du droit n'a toutefois pas le pouvoir, et je crois que c'est à juste titre, d'obliger le ministre à réformer les lois en fonction de ses recommandations.
Depuis les dernières élections, le ministre de la Justice a présenté plusieurs projets de loi qui apportent des modifications très importantes à nos lois. Nous avons eu les projets de loi C-68, C-41, C-37 et plusieurs autres, sans même que nous puissions compter sur une Commission du droit.
Il se trouve que certains de ces projets de loi me causent de véritables inquiétudes, et je me demande si ces inquiétudes auraient été le moindrement atténuées si la Commission du droit avait été en place et si nous pouvions compter qu'avec la nouvelle Commission, la situation sera différente. Autrement dit, je me demande en fait en quoi la situation sera différente. Si nous n'avions plus jamais de Commission du droit, il n'en reste pas moins qu'on continuerait à élaborer de nouvelles lois et à réformer les lois existantes comme cela se fait depuis deux ans.
Certaines des mesures qui ont été proposées sont bonnes. Je ne les approuve pas toutes. Notre Parti a ses opinions sur la voie dans laquelle nous nous dirigeons. Nous avons donc donné notre assentiment à certaines mesures. Nous avons contribué à l'adoption de certains projets de loi en comité plénier. Je songe par exemple au projet de loi sur la DNA. Le projet de loi sur l'intoxication volontaire comme motif de défense est un autre de ces projets de loi qui a récolté l'appui de tous les partis et qui a pu ainsi être adopté rapidement. Alors, que nous manque-t-il? En quoi la Commission du droit aurait-elle joué un rôle utile relativement à ces projets de loi?
[Français]
Me Masse: J'ai deux choses à dire là-dessus, monsieur le député. À notre sens, ce n'est pas parce que la Commission existerait qu'elle aurait une opinion ou une expertise à présenter sur chacun des projets de loi au Canada. C'est une vision qui me semble trop étroite. D'après ce qu'on peut en comprendre, la Commission aurait pour fonction, et nous approuvons cette mission-là, de réfléchir sur les grandes questions fondamentales qui peuvent traverser le droit criminel, le droit administratif et, dans certains cas, le droit civil, en autant que la législation fédérale est concernée.
Donc, il se peut très bien que sur un projet de loi, il n'y ait pas de feedback de la part de la Commission, et il se peut que cela ne corresponde pas à vos attentes. Il ne faut pas s'attendre à ce que la Commission suive le ministre ou l'ensemble des députés à la trace et donne un avis sur tous les projets de loi, quels qu'ils soient. Il faut vraiment prendre en compte, nous semble-t-il, les questions fondamentales.
Deuxièmement, quel sera l'effet des recommandations de la Commission? Tout dépend de la pertinence de ses recommandations et de la qualité de ses recherches, et le ministre de la Justice jouera son rôle. Nous ne pensons absolument pas que le ministre de la Justice serait obligé d'aller dans un sens ou dans un autre automatiquement parce que la Commission, qui est indépendante, penserait telle ou telle chose. C'est au ministre, vu son rôle politique, de répondre devant l'opinion publique. Nous sommes d'avis que des travaux de recherche bien menés, une réflexion soigneusement conduite et un éventail de possibilités bien présentées et bien vendues feraient en sorte que le ministre, dans bon nombre de cas, devrait se prononcer et adopter les modifications aux lois. Mais il n'a pas l'obligation de le faire, et ce n'est pas souhaitable qu'il ait l'obligation de le faire dans tous les cas.
[Traduction]
M. Ramsay: Je crois que vous venez de confirmer ce que je dis moi-même, mais si les recommandations de la Commission, si excellentes soient-elles, ne se reflètent pas dans notre législation, à quoi sert-il d'avoir une Commission du droit? Nous sommes en train de créer un organisme au sujet duquel bien des gens nous poseront les questions suivantes: qu'est-ce que la Commission du droit, que fait-elle et quel impact a-t-elle sur les lois avec lesquelles nous traitons quotidiennement?
Vous donnez à entendre dans votre réponse qu'elle pourrait ne pas avoir d'impact ou qu'elle pourrait en avoir dans certains cas. Vous dites que son rôle serait de nature générale et fondamentale et qu'il toucherait toute la question de réforme du droit, et je comprends ce point de vue. Ce que vous dites tend toutefois à confirmer la perception dont je vous ai parlé tout à l'heure et qui ne manquera pas d'être contestée par certains de mes électeurs, s'ils entendent parler de ce projet de loi. Ils me demanderont si nous ne nous retrouverons pas tout simplement avec un organisme élitiste qui ne consulte jamais la population et qui n'a à tout le mieux qu'une influence minuscule sur la législation?
[Français]
Me Masse: Monsieur Ramsay, ce n'est pas parce qu'une Commission ne donne pas lieu, dans les semaines ou les mois qui suivent la présentation d'un rapport, à des modifications à une loi qu'on peut dire qu'elle est inefficace. Pour nous, ce qui est important, c'est qu'elle puisse encadrer, provoquer et faciliter un débat public.
Je vous donne un exemple. On vit depuis une quinzaine d'années au Canada sous l'empire de la Charte canadienne qui donne, en vertu de l'article 1, des pouvoirs très importants aux juges. Il se peut très bien qu'après une période de recherche d'un an ou deux, à la suite d'un rapport de la Commission, la population canadienne dise qu'il y a des inconvénients à l'article 1, mais que finalement, elle accepte de continuer à y être liée.
Est-ce qu'on va juger de l'efficacité du travail de la Commission par des modifications à l'article 1? Non. Ce qui est important, nous semble-t-il, c'est la qualité et la profondeur du débat démocratique qui peut en résulter, quelles que soient les modifications. Si la Commission réussit à permettre aux citoyens de faire une réflexion en profondeur sur les questions fondamentales de ce pays, elle aura joué son rôle. Dans certains cas, ce pourra être le statu quo. Dans d'autres, ce pourra être des changements très importants.
M. Regan (Halifax-Ouest): Vous avez recommandé que 40 p. 100 des membres de la Commission viennent du Québec, parce que le Québec a un système de droit civil distinct, comme on l'a reconnu hier à la Chambre des communes.
Pourriez-vous m'expliquer comment le droit civil du Québec est appliqué par les lois fédérales?
Me Masse: C'est une très belle question, monsieur le président. Le droit civil n'est pas applicable à la législation canadienne comme telle, ni même le common law d'ailleurs. Il n'existe pas de common law fédéral au sens strict du terme. Cependant, l'État fédéral et ses organismes, dans toutes leurs relations avec les citoyens, sont soumis au common law des provinces et au droit civil du Québec, selon le lieu où le contrat a été signé et selon le lieu où l'accident ou le dommage a été causé.
Donc, le droit civil est applicable à la Couronne fédérale à certains égards, sous certaines restrictions de la loi sous la responsabilité de la Couronne. Donc, il y a quand même une pertinence du droit civil et du common law des provinces à l'égard du fédéral. Le problème que cela pose historiquement est que l'État canadien, très fortement influencé par la Grande-Bretagne, s'est donné une foule d'immunités et de responsabilités qui sont actuellement en voie de contestation, mais le droit civil comme le common law s'appliquent au fédéral.
[Traduction]
Le président: C'est tout, monsieur Regan?
M. Regan: Oui.
Le président: Merci beaucoup pour votre exposé et votre témoignage. J'avoue que la dernière question sur le droit civil était très intéressante, tout comme la réponse d'ailleurs. Je suis sûr que nous tiendrons bien compte de vos observations quand nous entamerons l'examen article par article du projet de loi. Encore une fois, je vous remercie d'être venus témoigner devant nous aujourd'hui.
La séance est levée.