[Enregistrement électronique]
Le mardi 6 juin 1995
[Français]
Le président: Bonjour, chers membres du Comité. Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue au Comité permanent du développement des ressources humaines, qui va étudier ce matin le phénomène du vieillissement de la population canadienne et de ses implications sur les régimes de pensions et les questions y reliées.
[Traduction]
Bienvenue à tous ce matin au Comité permanent du développement des ressources humaines qui examinera aujourd'hui la question très vaste - vaste en effet - de l'évolution de la population canadienne et des implications que pourrait avoir ce phénomène et d'autres phénomènes connexes sur la conception du régime de pensions canadien et la sécurité sociale pour les personnes âgées.
Ce sujet d'autant plus pertinent dans le contexte de la réforme générale de la sécurité sociale mais également parce que l'on a annoncé dans le dernier budget que l'on étudierait la question des pensions canadiennes à la lumière des nouvelles tendances démographiques et d'autres questions au Canada.
Nous avons réuni aujourd'hui pour ouvrir ce débat un groupe composé d'experts réputés qui vont nous donner un aperçu d'ensemble de l'aboutissement des réflexions actuelles sur ces différentes questions et qui pourront aussi répondre aux questions que les membres du comité voudront leur poser. Nous pouvons espérer qu'avant la fin de la journée nous engagerons un dialogue qui permettra aux membres du comité de mieux s'informer et qui devrait également intéresser nos auditeurs et téléspectateurs.
Je vous signale que le forum d'aujourd'hui est télévisé et que vous pourrez donc le revoir sur CPAC. Ce sera certainement quelque chose d'utile pour ceux qui s'intéressent à la question.
Avant d'entamer la réunion de ce matin, permettez-moi de vous donner une idée de la façon dont se déroulera la journée et de vous présenter les membres de ce panel.
Notre journée se divisera en deux parties. Tout d'abord, ce matin, nous examinerons le contexte général dans lequel il faut considérer le régime de pensions du Canada. Cet après-midi, nous entrerons un peu plus dans les détails et examinerons des questions plus précises touchant les régimes de pensions. Nous finirons par une heure environ de table ronde, entre 15h30 et 16h30, afin de permettre à tous les panelistes et aux membres du comité d'échanger des idées. Voilà donc la façon dont devrait se dérouler nos travaux aujourd'hui. J'espère que nous pourrons engager un bon dialogue au cours de la matinée.
Je commencerai tout d'abord par présenter nos panelistes aux membres du comité. Cinq des six membres de notre panel sont ici et je commencerai par vous présenter ceux qui prendront la parole ce matin; d'abord, le professeur John Myles qui est professeur de sociologie et directeur du Pepper Institute on Aging and Public Policy, Florida State University. Il est également professeur invité à l'université Harvard et travaille pour Statistique Canada. Avant d'aller au Florida State University, M. Myles était professeur de sociologie à l'université Carleton et il a beaucoup écrit sur toutes les questions de l'état providence, du vieillissement et des pensions.
Notre deuxième paneliste de ce matin sera Craig McKie qui est analyste principal à la division des statistiques sur le logement, la famille et les questions sociales de Statistique Canada et professeur associé au département de sociologie et d'anthropologie de l'université Carleton à Ottawa. C'est l'ancien rédacteur en chef de Canadian Social Trends, publication à laquelle il continue de contribuer. Il a fait de nombreuses recherches et publié des études sur la démographie, le vieillissement de la population et les tendances de la population active et vient de publier un ouvrage intitulé: Population Aging: Baby Boomers Into the 21st Century.
Notre troisième paneliste sera Susan McDaniel, qui est professeure de sociologie à l'université de l'Alberta, ancienne présidente de la Société canadienne de la population et présidente du Comité consultatif de Statistique Canada sur les études démographiques et statistiques. Elle est l'auteure de Canada's Aging Population. Elle a beaucoup publié dans tout le domaine de la politique sociale, de la démographie et du vieillissement.
Cet après-midi, comme je le disais, nous aurons une discussion plus particulièrement orientée sur les questions de pension. Nous entendrons deux membres du panel qui sont ici ce matin. Ils seront invités à participer au besoin à la séance de ce matin, à faire les commentaires qu'ils souhaiteront mais ils feront eux-mêmes un exposé cet après-midi.
Il y a d'abord M. Robert Brown, qui enseigne au département des statistiques et des sciences actuarielles à l'université de Waterloo. Il est également président de l'Institut canadien des actuaires et auteur de Economic Security in an Aging Population. Il a aussi publié certains articles sur les pensions des personnes restant au foyer et la sécurité financière des Canadiens âgés.
[Français]
Nous avons aussi le professeur André Lux qui a récemment quitté son poste de professeur de sociologie à l'Université Laval pour prendre sa retraite. Il a été conseiller spécial auprès de l'Agence canadienne de développment international en matière de politique démographique. Il a fait des recherches et publié des ouvrages sur la démographie ainsi que sur le vieillissement de la population et ses conséquences sociales. Parmi ses publications les plus récentes, il y a «Le poids du vieillissement: idéologies, paradoxes et stratégies».
[Traduction]
Enfin nous entendrons Ken Battle, directeur du Caledon Institute. Il n'a pas pu venir ce matin mais il sera parmi nous cet après-midi. Les membres du comité le connaissent d'ailleurs bien.
[Français]
Après cette introduction, nous allons passer immédiatement à la première partie de notre séance d'aujourd'hui. Nous traiterons du contexte plus général du vieillissement de la population au Canada et de ses conséquences sur le régime de pensions. Nous entendrons tout d'abord le professeur John Myles.
[Traduction]
Professeur Myles, nous vous invitons à prendre la parole. Nous entendrons ensuite les professeurs Craig McKie et Susan McDaniel puis nous passerons aux questions des membres du comité et, si possible, à un dialogue que nous pourrons poursuivre jusqu'à midi. Sans plus attendre, je vous passe la parole, monsieur Myles.
M. John Myles (directeur, Pepper Institute on Aging and Public Policy, Florida State University): Merci beaucoup, monsieur le président. Je voudrais tout d'abord vous dire que je suis très heureux d'être ici ce matin car je pense que si l'histoire se déroule comme on le prévoit au cours des prochains mois, votre Comité risque d'avoir un rôle extrêmement important à jouer.
Ce que nous prévoyons, en partie parce que cela a été annoncé dans le Budget de cette année, c'est que l'on réfléchisse et discute probablement au cours de l'année d'une transformation des régimes de pensions canadiens. Je ne sais pas combien d'entre vous se souviennent du dernier grand débat sur les pensions comme on l'avait appelé au Canada, à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Étant donné la complexité des questions, ces débats ont tendance à se dérouler sinon derrière le dos de la majorité des Canadiens, du moins en les dépassant complètement étant donné la nature technique de certaines des questions en cause.
Cela me semble très dommage parce qu'au coeur de cette question, les problèmes sont pourtant assez évidents. Les choix peuvent être présentés clairement à la population canadienne. J'espère que vous assumerez donc cette tâche, que vous expliquerez clairement aux Canadiens les questions qui se posent, les choix qui leur sont offerts et ce que coûterait ces différents choix.
On m'a demandé ce matin de préciser ce qu'est un régime de revenu de retraite, les diverses formes qu'il peut prendre et quels en sont les objectifs.
Le Régime de sécurité de la vieillesse au Canada comporte trois éléments: les pensions de retraite, les régimes d'épargne-retraite et l'assistance à la vieillesse. J'axerai mes remarques de ce matin sur les pensions de retraite.
Je suppose que la distinction à faire entre les pensions de retraite et l'assistance-vieillesse va de soi. Les programmes d'assistance-vieillesse tels que le Supplément de revenu garanti sont conçus pour assurer de quoi vivre aux personnes qui arrivent à cet âge sans une pension suffisante pour subvenir à leurs propres besoins. Une bonne indication de la qualité d'un régime de pensions est que celui-ci évite que trop de monde ait recours à l'assistance sociale, ait donc recours à quelque chose comme le Supplément de revenu garanti. Le fait que le nombre de personnes âgées qui perçoivent ce supplément ait légèrement décliné ces dernières années est un signe que le Régime de pensions s'est progressivement amélioré. Le fait qu'environ 45 p. 100 des Canadiens âgés reçoivent quelque forme de Supplément de revenu garanti continue à indiquer une certaine faiblesse dans ce régime de pensions. Ce matin j'insisterai donc sur les pensions.
La distinction à faire entre les pensions de retraite et l'épargne-retraite telles que les régimes d'épargne-retraite enregistrés est un peu plus subtile et je n'aurai pas le temps d'en discuter ce matin. Peut-être pourrons-nous y revenir au cours de la période de questions.
Sans vouloir être trop brusque ou trop injuste, je crois que la raison pour laquelle nous sommes ici ce matin est que le ministère des Finances et beaucoup d'autres responsables de la politique canadienne aimeraient que l'État se retire du moins partiellement du domaine des pensions.
À la suite de l'imposition des prestations de Sécurité de vieillesse en 1988, et en particulier du fait des dispositions d'indexation connexes, on assiste déjà à une certaine forme de retrait qui devrait se préciser au cours des années. Nombre de ceux qui voudraient changer le système se préoccupent des coûts qu'ils représentent et aimeraient accélérer ce processus. Si nous pouvons supposer que les Canadiens à revenu moyen remplaceront ces pensions publiques par des pensions privées des régimes enregistrés de pensions de retraite, cela revient à une sorte de privatisation, très semblable à celle d'Air Canada. Si cela ne se fait pas, une réduction des pensions publiques signifiera simplement un niveau de vie réduit pour les générations à venir de personnes âgées.
Peut-être devrais-je mentionner dès le début que lorsque l'on parle de réforme des pensions en 1995, les cibles ne sont pas principalement les personnes âgées; c'est-à-dire ceux qui sont aujourd'hui à l'âge d'or. Nous parlons des pensions de la population active actuelle lorsqu'elle prendra sa retraite. C'est essentiellement ceux qui seront touchés, en particulier la population de moins de 45 ans.
Étant donné que le gouvernement fédéral, à peu près au même moment qu'il a décidé d'imposer certaines prestations, a élargi les possibilités de contribution aux REÉR, je supposerai dans mes propos que l'objectif de cette réforme des pensions est essentiellement la privatisation; c'est-à-dire, le transfert de ces coûts du secteur public au secteur privé et non pas d'abaisser le niveau de vie des personnes âgées. Je dois vous dire toutefois que l'argument de la privatisation n'est pas tellement évident. Du moins, j'aimerais attirer votre attention sur certaines implications.
La deuxième raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui est parce que nous nous préoccupons du long terme, des coûts du vieillissement de la population. Il y a deux façons et seulement deux façons de réduire les coûts du vieillissement de la population et l'une et l'autre posent des problèmes. La réduction des coûts va bientôt atteindre un maximum. Le seul moyen assuré d'absorber les coûts du vieillissement de la société est de veiller à ce que la population en âge de travailler ait les emplois et salaires nécessaires pour subvenir à ses besoins, à ceux de ses enfants et de ses parents âgés. La question-clé va donc être la croissance économique.
Je vous ferai une observation préliminaire de nature quelque peu historique. Les pensions publiques, telles que nous les comprenons aujourd'hui sont une invention relativement moderne. Le premier Régime de pensions publiques réellement moderne a été mis sur pied par Adenauer en Allemagne, en 1957. Des réformes semblables ont suivi en Suède en 1958, au Canada en 1965 et aux États-Unis en 1971. Dans la plupart des pays, les pensions publiques, telles que nous les comprenons aujourd'hui, sont le produit des années soixante.
Ce qui était nouveau ou moderne dans ces réformes, c'est que pour la première fois l'État assumait la responsabilité d'assurer des pensions de retraire à tous les salariés. Si l'on veut bien comprendre ce que cela veut dire, il faut s'entendre sur la signification de pension de retraite.
Le principal objectif d'une pension de retraite est d'assurer aux particuliers et aux foyers un revenu suffisant pour maintenir le niveau de vie qu'ils avaient avant la retraite lorsqu'ils prennent cette retraite - afin d'assurer une certaine continuité, si vous voulez. C'est ce que nous entendons par sécurité du revenu. Une pension doit remplacer le salaire et les gains que l'on ne touche plus lorsque l'on quitte le marché du travail en prenant sa retraite.
La plupart des experts conviendront qu'une pension n'est pas forcée de remplacer 100 p. 100 du salaire puisque beaucoup de coûts associés à l'emploi disparaissent lorsque l'on prend sa retraite. Grosso modo, les économistes et les actuaires considèrent habituellement que 70 p. 100 à 80 p. 100 des gains préalables à la retraite représentent une pension suffisante pour un salarié moyen. Je voudrais à ce sujet vous signaler un terme qui vous restera j'espère à l'esprit dans vos délibérations.
Ce rapport entre votre revenu après retraite et votre revenu avant retraite s'appelle habituellement le ratio de remplacement. C'est là la question qui importe. J'espère donc que vous n'oublierez pas ce terme dans vos délibérations des mois à venir.
Très simplement, c'est la première question qu'il faut poser à propos de toute réforme suggérée. Qu'elle sera l'incidence de cette réforme sur le ratio de remplacement du revenu du salarié canadien moyen, de la secrétaire, du conducteur de camion, de l'instituteur ou de l'ouvrier d'usine; c'est la majorité des gens dont vous vous préoccupez. C'est ce qui leur importe.
Le Régime de pensions du Canada tel qu'il a été conçu peut sembler présenter trois niveaux. Vous entendrez encore parler de niveaux, aujourd'hui. Certains en parlent différemment.
Pour moi, le premier est la sécurité de la vieillesse, régime créé en 1951. Ce régime assure des prestations représentant environ 15 p. 100 des revenus moyens.
Le deuxième niveau est le Régime de pensions du Canada et le Régime de pensions du Québec. Ces régimes ajoutent 25 p. 100 au ratio de remplacement du revenu des salariés moyens. Cela signifie en fait, si l'on considère ce ratio à 70 ou 80 p. 100, que le régime des pensions public du Canada assure environ 40 p. 100 de ce ratio de remplacement. La différence, est donc alors vraisemblablement constituée de régimes privés et d'économies.
Je signalerai en passant que le niveau de remplacement du régime public au Canada, ces 40 p. 100, est en fait assez modeste si on le compare aux normes internationales. En Europe continentale et en Scandinavie, le régime de pensions public à lui seul satisfait presque au besoin de remplacement de revenus du salarié moyen. Le corollaire est également vrai. Nos taux de contribution aux régimes de pension public sont parmi les plus faibles des pays occidentaux et beaucoup plus faible qu'aux États-Unis.
Le talon d'Achille du régime canadien est que les régimes de pensions privés n'ont jamais atteint les niveaux souhaités. Les régimes de pensions privés de la population active n'ont jamais dépassé 50 p. 100. Sans loi pour l'imposer, personne ne s'attend en fait à ce que ce taux augmente.
On a reconnu cela au milieu des années soixante-dix et c'est alors que l'on a lancé ce grand débat sur les pensions. Par la suite, de nouveaux règlements ont été adoptés pour régir les pensions privées et, au milieu des années quatre-vingt, l'on a donné plus de champ fiscal aux gens qui souhaitent participer au REÉR. Bien que les changements apportés à la réglementation des régimes de pensions privés aient été bénéfiques, le tableau général n'a pas vraiment changé depuis le début de ce débat entamé à la fin des années soixante-dix.
Les pensions privées au Canada sont en fait plutôt des pensions semi-privées. Elles sont administrées de façon privée mais elles bénéficient d'énormes subventions publiques, quelque 15 à 20 milliards de dollars par an. Comme vous le savez, les dépenses fiscales de l'État au titre des pensions privées et des REÉR bénéficient de façon disproportionnée aux revenus supérieurs.
Le résultat est que la politique de pensions publiques canadiennes est responsable d'une division marquée entre les salariés, division qui crée ce que l'on appelle parfois un système dualiste. D'un côté, il y a les employés qui n'ont pas de retraite privée qui bénéficient essentiellement de la sécurité de la vieillesse et du régime de pensions du Canada ou du Québec. Cela fait un groupe. De l'autre côté, ceux qui ont plus de chance, ceux qui ont la sécurité de la vieillesse et le régime de pensions du Canada ou du Québec mais qui bénéficient aussi de régimes de pensions privés grâce à des subventions publiques.
Je signalerai d'autre part - ou je vous rappelerai à nouveau - que le régime de pensions public s'est quelque peu détérioré depuis la fin des années soixante-dix. La récupération de la sécurité de la vieillesse commencée en 1989 finira par toucher les contribuables à revenus moyens réduisant ainsi davantage l'envergure du régime public de pensions au Canada.
En fait, aux termes de la loi actuelle, on pourrait même dire que pour ceux qui commencent à travailler aujourd'hui, le programme de la sécurité de la vieillesse sera une chose du passé.
C'est ce régime que l'on parle de modifier. Comparé aux normes internationales, il s'agit d'un régime de pensions assez modeste, jugé inadéquat par rapport aux normes en place en 1980 et qui a depuis subi quelques réductions.
Toutefois contrairement à 1980, le prochain débat sur les pensions ne portera pas sur les moyens d'améliorer le régime mais plutôt sur la façon de réaliser les économies et à court et à long terme.
À court terme, l'objectif consiste à réduire la dette et le déficit. À long terme, on s'inquiète de ce qu'il en coûtera pour supporter une population vieillissante.
Commençons d'abord par ce deuxième problème. Il n'y a que deux façons d'influer sur les coûts d'une population vieillissante. Tout d'abord, on peut modifier la taille de la population à la retraite vis-à-vis de la population active en haussant l'âge d'admissibilité aux prestations. Il suffit de relever quelque peu l'âge normal de la retraite. Je pense que nous reviendrons sur cet aspect plus tard aujourd'hui.
C'est peut-être une possibilité à long terme, mais vu l'actuelle crise de l'emploi au Canada, ce n'est guère réaliste à court terme. Même s'il y a changement dans la situation de l'emploi, vous serez confrontés à des problèmes démoralisants en songeant à hausser l'âge de la retraite.
D'abord, une hausse de l'âge de la retraite provoquera une poussée marquée du coût des prestations d'invalidité.
Deuxièmement, vous serez confrontés à un dilemme moral et économique puisque toute hausse de l'âge de la retraite touchera principalement les travailleurs non qualifiés à faibles revenus qui ne possèdent ni les économies ni les régimes privés de pensions qui leur permettraient de prendre une retraite anticipée. Les femmes, particulièrement, seront durement touchées.
La deuxième façon de réduire les coûts d'une population vieillissante consiste à réduire le niveau de vie des retraités relativement à la population active. Vus les revenus modestes de la plupart des Canadiens à la retraite, il sera très difficile de donner suite à cette mesure d'une façon générale.
Malheureusement, il n'y a aucun autre choix: relever l'âge de la retraite ou abaisser le niveau de vie des retraités. Ainsi, si vous voulez réduire le coût d'une population vieillissante, vous aurez un défi de taille à relever.
Cela dit, il est possible de réduire les coûts d'une population vieillissante pour le secteur public et ainsi le déficit, en privatisant pleinement ou partiellement le régime de pensions. Cela signifie que les employeurs et les particuliers assumeraient une plus grande part du fardeau dans ce domaine.
Ce serait possible si nous présumons par exemple que la plupart des travailleurs compenseront la réduction des prestations de sécurité de la vieillesse en augmentant leurs contributions à des RÉER. Il est à noter qu'une telle stratégie n'entraînera pas le transfert, dollar pour dollar, au secteur privé puisque les RÉER entraînent une augmentation proportionnelle des dépenses fiscales.
Il y a lieu de croire aussi que la privatisation pourrait enfin augmenter les coûts d'une population vieillissante à cause des frais généraux beaucoup plus élevés dans l'administration des régimes privés. La privatisation réduira les coûts publics, mais il pourrait fort bien y avoir une augmentation de l'ensemble des coûts pour l'économie canadienne.
Enfin, si l'on veut que la privatisation fonctionne et si l'on veut s'assurer que l'on compense les réductions dans le régime public par des augmentations dans le secteur privé, il faudra fort probablement rendre obligatoires les contributions aux régimes de pensions offerts par les employeurs ou à des RÉER. On suivrait ainsi l'exemple de l'Australie.
Dans les mois à venir, on vous proposera, si ce n'est pas déjà fait, de nombreuses formules de privatisation bien que parfois sous un autre nom. La Banque mondiale, l'Institut C.D. Howe, le Global Mail et même Peter Newman préconisent tous cette stratégie.
La proposition que vous entendrez le plus probablement consiste à accélérer la récupération des prestations de Sécurité de la vieillesse. Ce matin, j'aimerais non pas vous donner des réponses, mais plutôt vous poser quelques questions à poser à ceux qui vous feront des propositions qui visent une réforme du régime.
Je demanderais d'abord et je m'attenderais à ce que tout partisan d'une réforme puisse répondre à cette question: À quelle réaction comportementale doit-on s'attendre face à une telle récupération ou à l'application de votre plan de réforme? Si vous utilisez l'expression «réaction comportementale» plutôt que simplement «réaction», les spécialistes de la finance seront impressionnés. Cela signifie tout simplement, comment pensez-vous que réagira le camionneur à Chicoutimi ou l'enseignant à Calgary à votre proposition, par exemple, à l'accélération de la récupération de la Sécurité de la vieillesse? Pensez-vous que ces personnes augmenteront leurs contributions à un REÉR, exigeront de meilleures pensions de leurs employeurs, ou que sais-je?
Une fois la réponse à cette question donnée, vous pourriez poser plusieurs autres questions. En deuxième lieu - et je l'ai mentionné précédemment - j'espère que vous poserez cette question toute simple à tout partisan de la réforme: Quelle sera l'incidence à long terme de votre réforme sur le taux de remplacement du revenu du travailleur canadien moyen?
Troisièmement, lorsqu'on vous proposera un ensemble de réformes, on vous parlera d'économies; des économies pour le trésor qui pourraient découler de cette réforme. On vous donnera fort probablement des chiffres qui représentent le brut de ces économies. Vous devez vous intéresser au montant net de ces économies pour le trésor. Une récupération de la Sécurité de la vieillesse entraînera des économies, mais coûtera également quelque chose. Un investissement plus élevé dans des RÉER entraînera des coûts sous forme de dépenses fiscales. C'est pourquoi il est si important de connaître la réaction comportementale.
Quatrièmement, j'espère que vous demanderez à combien on évalue l'incidence sur la répartition de toute privatisation aux réductions proposées dans le secteur gouvernemental. Quelle sera l'incidence sur la répartition du revenu chez les personnes du troisième âge? La recherche comparée sur les pensions révèle un fait fondamental, que l'iniquité des revenus chez les personnes âgées est directement liée à la part du revenu de pensions que fournit le secteur privé.
Les tenants de la privatisation vous diront que celle-ci augmentera l'épargne nationale, l'investissement et donc la croissance économique. Ils se fonderont, pour l'affirmer, sur de bonnes théories économiques qui avancent cette thèse. Toutefois, réclamez des preuves et non pas des théories. J'ai examiné les preuves et au mieux, les résultats sont ambigus. En outre, il n'y a aucune raison inhérente qui empêche d'administrer l'épargne dans le cadre d'un régime public. Je pourrai y revenir pendant la discussion, si vous le souhaitez.
Enfin, n'oubliez pas l'erreur fondamentale que commettent de nombreuses personnes en parlant de la réduction des coûts pour le secteur public de supporter les personnes âgées. Il est faux de supposer qu'en réduisant les coûts pour le secteur public on réduit également le coût de supporter les retraités réduisant ainsi le fardeau pour les générations futures.
Si les dépenses consacrées aux pensions de retraite exprimées en tant que pourcentage du PIB doivent doubler afin d'assurer aux personnes âgées de l'an 2030 le même niveau de vie qu'à celles d'aujourd'hui, peu importe d'où viendra l'argent. Le financement proviendra, soit d'une augmentation des impôts destinés aux pensions publiques soit de dividendes supérieurs versés aux caisses finançant les pensions privées. Dans les deux cas, la part de la richesse nationale consacrée aux retraités augmentera et la part disponible pour les jeunes diminuera. La seule façon assurée de supporter une société vieillissante consiste à assurer à nos jeunes de bons emplois et une bonne rémunération.
L'incidence d'une population vieillissante dépend de deux paramètres: Le niveau d'emploi de la population active et la rémunération de celle-ci. La Suède par exemple où le niveau d'emploi est d'environ 20 p. 100 supérieur à ce qu'il est en Europe continentale a la tâche beaucoup plus facile en ce qui concerne les pensions de vieillesse que l'Allemagne et la France où l'emploi chez les hommes de moins de 65 ans diminue de façon vertigineuse depuis 20 ans.
Je ne veux pas vous faire croire qu'il n'y a rien à améliorer dans notre régime de pensions. Il y a lieu de réexaminer les dépenses fiscales qu'entraînent les régimes privés et les REÉR ainsi que les taux de cotisation au RPC et au RRQ. Je vous encourage à examiner de près l'absence d'impôts de successions au Canada. Lorsque mes parents étaient vivants, mes frères et soeurs et moi-même étions très reconnaissants de la sécurité que leur offraient la Sécurité de la vieillesse, le Régime de pensions du Canada et l'Assurance-maladie de l'Ontario. En réalité toutefois, ces trois programmes ne faisaient que nous garantir notre héritage. Le public canadien partageait la tâche de supporter mes parents vieillissants. Les avantages de cette situation seront très concentrés entre les mains des quatre enfants. Lorsque l'on songe que la taille de la famille actuelle n'est que d'un ou deux enfants, cette concentration sera encore plus grande à l'avenir.
Il y a plusieurs autres aspects que j'aimerais aborder avec vous, mais j'ai probablement parlé déjà trop longtemps. Je vous ai surtout entretenu des pensions de vieillesse qui ne constituent qu'un élément du système. Je devrais sans doute aussi aborder les programmes d'assistance à la vieillesse et leurs liens avec le régime de pensions. Il est important de faire la distinction entre les pensions de retraite et l'épargne de retraite et nous n'avons abordé que la façon d'augmenter éventuellement les revenus. Si vous voulez revenir à ces aspects au cours de la discussion, j'en serais heureux.
Je vous remercie de votre attention.
Le président: Merci beaucoup, Professeur Myles. Cela nous a lancé en plein dans les questions à l'ordre du jour d'aujourd'hui.
Je vais maintenant céder la parole au professeur McKie.
M. Craig McKie (professeur, Département de sociologie et d'anthropologie, Université Carleton): Merci beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais aborder le sujet quelque peu différemment de John. Si je comprends bien, je suis ici ce matin pour vous parler des tendances dans la population ou des caractéristiques de la population canadienne et de leurs liens avec les activités du marché du travail et des travailleurs aujourd'hui. C'est donc un peu différent, mais je pense que nous arriverons essentiellement aux mêmes conclusions.
Je dois sans doute dire dès le départ que je suis ici en ma qualité de professeur. Cela me donne plus de latitude que si je comparaissais comme représentant de Statistique Canada. Si vous voulez donc bien vous rappelez cette distinction, ce sera plus facile.
J'ai plusieurs diapositives à vous montrer. C'est ce qui constitue l'essentiel de ma présentation ici aujourd'hui. Pour commencer, j'aimerais cependant faire quelques commentaires au sujet des changements survenus au sein de la population.
John a fait allusion au fait que la population vieillit. J'aimerais vous montrer comment et combien de temps ce processus continuera. Nous avons peut-être parcouru un tiers du chemin dans le processus du vieillissement de la population canadienne. Il est peut-être trop tôt pour s'imaginer ce que sera la population canadienne dans 20 ou 30 ans, lorsque plus d'un quart de la population aura plus de 65 ans.
Je n'ai jamais vu une telle population. J'ai l'impression que nous sommes tous dans la même situation. C'est un peu difficile à imaginer. De votre point de vue, cela signifie qu'il y a un très grand nombre possible de prestataires et des régimes publics et privés qui tenteront d'obtenir quelque chose en retour des contributions versées au cours de leur vie professionnelle.
C'est en partie une question d'équité. Dès que l'on contribue, on s'attend à obtenir quelque chose en retour plus tard. On peut donc s'attendre, à tout le moins, à ce qu'il y ait un plus grand nombre de prestataires des régimes de pension à satisfaire d'une façon ou d'une autre à l'avenir.
Il y aura également probablement moins de travailleurs proportionnellement à l'ensemble de la population. Cela va de pair avec une population vieillissante. On a beau parler d'encourager les retraités actuels à faire du bénévolat ou à revenir sur le marché du travail, il y a certaines limites. Le désir de monter sur un toit pour le réparer s'estompe à compter d'un certain moment dans la vie. Pour certains emplois, il faut de jeunes travailleurs qui constitueront un pourcentage inférieur de la population totale à l'avenir.
J'aimerais au cours de mon introduction aborder quelques autres processus qui se déroulent en même temps. Vous vous êtes certes rendus compte que la nature de l'emploi évolue: que les télécommunications modifient de façon assez radicale la nature du travail, de l'emploi et des occupations. Nous envoyons d'ailleurs des preuves dans cette salle je pense.
La migration interne au Canada continue à créer une concentration de la population dans trois grands centres urbains. Cette population est différente de celle que j'ai connue lorsque j'étais jeune. Cette population est urbaine par rapport à la population surtout rurale de ma jeunesse. C'est un processus concurrent de changement.
Nous connaissons donc une pertubation des travailleurs, l'urbanisation, le vieillissement rapide de la population associé à l'importance croissante de l'immigration et du processus d'établissement des immigrants. Nous sommes donc témoins d'une expérience sociale de changements sur une grande échelle dans au moins quatre aspects principaux de la société canadienne en même temps, non prévu, puisqu'il n'y a pas de cador de la planification dans ce processus.
Cela dit, j'aimerais maintenant afficher quelques preuves de ce que j'avance et peut-être résumer un peu.
Pour vous donner tout d'abord une idée de ce qui se produit lorsque la population vieillit, voici l'âge médian de la population canadienne, c'est-à-dire l'âge qui partage les individus en deux groupes égaux. Vous constaterez que le tournant critique s'est produit à la fin des années soixante ou peut-être même en 1970, là où la direction de la ligne a changé.
La population canadienne avait rajeuni pendant de nombreuses années. À l'époque, dans la pressse, on parlait d'une culture dominée par la jeunesse, d'une culture des jeunes. Cela a changé en 1970 ou environ. La ligne est partie dans le sens contraire. La population a commencé à vieillir. Pour ce qui nous intéresse, cette ligne va continuer à grimper pendant 20 ou 25 ans encore. On pourrait dire que nous n'avons pas fini de vieillir. À mon avis, c'était là un tournant critique dans la société canadienne.
Cela nous a donné une population où la proportion des plus de 65 ans augmente continuellement. Si vous regardez les chiffres réels pour 1992, vous constaterez qu'il y avait 1,34 millions d'hommes de plus de 65 ans et 1,89 millions de femmes. Vous voyez où cela nous mène.
En l'an 2036, lorsque la plupart d'entre nous ne seront pas ici pour recueillir tous les lauriers de ce processus, il y aura 3,6 millions d'hommes et 5,05 millions de femmes de plus de 65 ans.
Cela vous donne une idée de la dimension des changements qui vont survenir puisque nous passerons de peut-être 3,5 millions de personnes de plus de 65 ans à 8,5 millions compte tenu des paramètres actuels de la population. C'est un très grand changement.
Il y a de nombreuses raisons à ce phénomène. La principale raison toutefois, je suppose, est le fait qu'en 25 ans, les taux de fécondité de la société canadienne sont tombés sous le seuil de renouvellement. Nous ne nous renouvelons pas en ayant, si on veut, un nombre suffisant d'enfants.
En même temps que ce vieillissement, il s'est produit plusieurs choses.
John a fait allusion à la nécessité d'accorder plus d'importance à l'avenir aux démarches personnelles pour un régime de pensions. Ces démarches s'inscriraient normalement dans le cadre d'une carrière chez un seul employeur pendant plus de 20 ou 25 ans. Or ce genre de relation avec les employeurs a été profondément bouleversé par les taux de chômage élevés et l'évolution de la nature du contrat de travail. Le travail à temps partiel, à contrat, le travail sporadique existe de plus en plus.
La dépendance d'un régime de pensions de l'employeur et l'hypothèse que l'on travaillera au même endroit pendant plus de cinq ans sont démentis par la réalité.
Manifestement les taux de chômage sont liés au niveau d'instruction et continuent à l'être. Certaines personnes sembleraient ne pas posséder de compétences suffisantes pour trouver quelque emploi que ce soit dans la situation économique actuelle. Cela nous amène à parler de ce qui constituera des compétences appropriées pour obtenir un emploi à l'avenir ce qui dépasse un peu notre mandat d'aujourd'hui. Toutefois il faut se demander sérieusement quelles compétences il faudrait posséder à l'avenir afin d'éviter les conséquences des tendances vers l'emploi sporadique.
En ce qui concerne les taux de participation à la main-d'oeuvre active, John a mentionné la situation de l'Allemagne où l'on constate une diminution vertigineuse des taux d'emploi chez les hommes. La situation n'est pas vraiment la même ici. Toutefois, vous constaterez que le taux de participation pour les hommes de quinze ans et plus diminue. Le taux de participation qui augmente le plus rapidement est celui des femmes qui ont des enfants de moins de trois ans - des personnes qui, sous l'ancien régime familial, seraient sans doute restées chez chez elles.
Voilà un ensemble concurrent de tendances qui alliées au vieillissement entraîne des circonstances sociales plutôt nouvelles et inconnues.
Lorsque l'on examine les taux de participation par âge et par sexe, chez les plus jeunes - les hommes et les femmes de quinze à dix-neuf ans, les taux de participation sont maintenant presque exactement les mêmes. Je ne sais pas si nous pouvons nous attendre à ce que cette cohorte continue de démontrer des taux de participation au marché du travail rapprochés ou équivalents, mais il est clair que le comportement de ces gens ici est très différent de celui des cohortes plus âgées, où le taux de participation des hommes était remarquablement plus élevé.
Côté emploi, eh bien, le secteur de la transformation au pays n'a pas connu une croissance très importante au cours de la période 1970-1992. Les possibilités d'emploi dans ce secteur se limitent donc au mieux à ce qu'elles ont toujours été. S'il y a eu croissance de l'emploi, cette croissance a eu tendance à se concentrer dans le secteur des services. Je vous rappelle que typiquement le secteur des services est caractérisé par l'emploi à temps partiel et à court terme, une situation qui est beaucoup moins propice à l'existence de régimes de pension offerts par les employeurs ailleurs que dans le secteur de la transformation.
Si des emplois sont créés dans un contexte économique où il y a moins de régimes de pensions d'employeurs, il semble déraisonnable de s'attendre à ce que ces régimes vous viennent en aide dans les solutions que vous envisagez. Personnellement, j'estime la chose peu probable.
D'autres facteurs dignes de mention interviennent dans le marché de travail. La durée moyenne des périodes de chômage s'accroît de façon spectaculaire. Supposez que vous ayez un emploi à temps partiel ou intermittent et que vous le perdiez ou que celui-ci arrive à terme comme prévu. La période pendant laquelle vous serez en chômage sera beaucoup plus longue qu'auparavant de sorte qu'il vous faudra puiser dans vos économies.
Vous pensez peut-être que les personnes dans cette situation doivent nécessairement prévoir l'avenir. Elles doivent se constituer des économies. Cependant, si ces personnes doivent puiser dans leurs réserves pour traverser de longues périodes de chômage, il semble plus réaliste de s'attendre à ce que la solution se trouve là.
C'est de cet ensemble de facteurs dont parlait John, je ne fais ici que confirmer ce qu'il disait. D'après lui, il ne semble pas exister de formule magique de transfert du fardeau aux particuliers.
Pour bien faire comprendre la situation de ces nombreuses personnes qui n'ont pas la possibilité de faire carrière, je vous renvoie à ce tableau - je ne sais pas si vous pouvez le déchiffrer - , qui porte sur l'emploi à temps partiel involontaire ou les personnes qui indiquent, lorsqu'on leur pose des questions, qu'elles préféreraient avoir un emploi à temps plein avec la possibilité de faire carrière mais qu'elles doivent se contenter d'un emploi à temps partiel en attendant.
L'emploi à temps partiel involontaire représentait 5,5 p. 100 de l'emploi total en 1992; 5,5 p. 100 de toutes les personnes qui tombaient au chômage indiquaient qu'elles travaillaient à temps partiel de façon involontaire. Un tiers environ de toutes les personnes travaillant à temps partiel le font non pas parce que c'est leur choix mais parce qu'elles ne peuvent se trouver d'emploi à temps plein. Ces personnes risquent de ne jamais pouvoir profiter d'une pension parce qu'elles n'accumulent pas de droits au titre d'un régime privé, à cause de la nature même de l'emploi disponible, dans le secteur des services, qui a un caractère intermittent et sporadique.
Voici la proportion des hommes et des femmes travaillant à temps partiel par groupes d'âge. Il y a nettement plus de femmes. Et les proportions sont beaucoup plus grandes. Dans le groupe des femmes d'âge moyen, c'est-à-dire de 25 à 44 ans, 31 p. 100 travaillaient seulement à temps partiel en 1992.
Si vous vous intéressez aux revenus de retraite des femmes - on fait souvent valoir qu'elles risquent d'être un problème - , vous devez savoir que beaucoup de femmes qui travaillent actuellement sont dans une situation où elles ne peuvent pas accumuler de droits importants dans une pension privée pour l'avenir.
Je vais brièvement vous illustrez la façon dont la nature du travail a changé. Je ne veux pas usurper le temps de Susan ce matin; je l'ai déjà fait et j'en ai entendu parler par la suite.
Voici quelques groupes professionnels importants en déclin. Telles auraient été les professions traditionnelles au Canada du début du siècle aux environs de 1950. Ces professions, exercées par les hommes surtout, auraient été reliées à l'exploitation forestière et à l'abattage, à l'industrie de la transformation, à l'agriculture, etc. Toutes ces professions sont en déclin de façon absolue. Elles sont remplacées par des emplois dans le secteur des services, essentiellement reliés au secteur des télécommunications ou de l'éducation.
Les professions à forte croissance - sur ce tableau - sont agents de planification, ingénieur en aérospatiale et programmeurs. Il n'y a pas de quoi à se surprendre. Ce sont des professions axées sur le milieu urbain. Elles n'ont rien à voir avec l'abattage des arbres ou l'exploitation des ressources du sol, les activités traditionnelles de ce pays.
Pour les femmes, les professions accusant la croissance la plus forte sont celles avocat et de notraire. Je vous prie de noter encore une fois que ce travail peut être du travail à temps partiel, qui n'offre pas nécessairement la possibilité de faire carrière.
Économiste vient en deuxième place. Voilà qui en dit long.
Je ne veux pas utiliser beaucoup de temps au cours de cette première série d'interventions, mais je veux vous donner une idée, pour faire le lien avec les employeurs privés et les régimes de pensions privés, des emplois signalés comme les emplois les plus fréquents chez les hommes au moment du dernier recensement: ce sont les emplois de vendeurs, de camionneurs, de directeurs des vente et de la publicité, de mécaniciens d'automobiles et de menuisiers. Il faut aller très loin dans la liste pour trouver un des emplois traditionnels du début siècle, celui d'agriculteur.
Aucun de ces emplois ne peut être considéré à proprement parler comme une carrière. Dans bien des cas, il n'implique pas non plus la contribution à une régime de pensions privé ni la possibilité de toucher de prestations quelconques plus tard.
Je ne veux pas parler des raisons pour lesquelles une telle structure d'emploi a pu s'établir au pays - c'est un sujet en soi-même. Je me borne à rappeler que le message le plus important ici est que, dans l'ensemble, cette situation est peu propice au développement de carrière où à l'instauration de régimes de pensions tels que nous en avons connu par le passé.
Enfin, pour rattacher les données démocraphiques à la question du vieillissement de la population et de la nature changeante du marché du travail, je vous soumets cette annonce que j'ai reçue dans ma boîte aux lettres à la maison. Elle illustre tous les thèmes dont je vous ai parlé: les familles restreintes, les personnes âgées privées de soins et la rareté emplois où faire carrière, qui doit pousser les gens à se diriger du côté du secteur des services. Je pense qu'il y a également une faute d'orthographe, ce qui donne une idée du niveau scolaire des auteurs de l'annonce.
Encore quelques points.
L'incertitude qui règne dans le marché du travail ne facilite pas l'épargne chez les jeunes. C'est l'évidence même. Les périodes de chômage, les situations incertaines de toutes sortes... Ce n'est rien qui facilite l'achat d'une maison, par exemple. La maison était le principal mode d'économie de la génération de mes parents. Cependant, il peut être difficile pour une personne qui a toujours eu des emplois sporadiques d'obtenir une hypothèque. Tous ces facteurs sont reliés.
C'est la caractéristique principale de la société canadienne et son vieillissement, il y a clairement des répercussions sur le marché du travail, ce qui complique encore la situation pour les jeunes. Et si vous leur dites qu'ils n'auront pas droit à la SV ou à la SRG plus tard, vous ne faites rien pour les rassurer. Comment les travailleurs pourront-ils se constituer des réserves pour l'avenir quand il y aura moins d'enfants, moins de membres survivants de la famille et que les réseaux d'aide seront minimes, sans compter tous les autres facteurs que j'ai mentionnés?
Je pense que vous devez trouver votre chemin hors de cette impasse en tenant compte du fait que ce ne sont pas seulement les pensions ou les revenus qui sont en cause. Tout un ensemble de facteurs contribuent à la situation extrêmement difficile dans laquelle les jeunes se retrouvent aujourd'hui.
Le président: Merci beaucoup, professeur McKie, de cet exposé très intéressant, quoique pas particulièrement optimiste.
Nous passons maintenant au professeure Susan McDaniel, qui nous livrera le troisième exposé de cette série.
Mme Susan McDaniel (professeure, Département de sociologie, Université de l'Alberta): Je me suis entendue avec le personnel pour parler de deux sujets. Je poserai d'abord la question à savoir si le vieillissement de la population constitue vraiment un désastre pour le Trésor public, au titre des pensions, en particulier. J'ai l'intention ensuite de discuter de nouvelles données de recherches que j'ai produites, mais qui n'ont pas encore été rendues publiques. Les résultats de la recherche mettent un certain temps à sortir, de sorte que lorsqu'ils sont finalement publiés ils sont parfois désuets. Ces nouvelles données concernent le vieillissement de la population, le vieillisssement de la main-d'oeuvre, les familles et la façon dont les générations se raccordent. Je pense que c'est un point de vue quelque peu différent de ce que vous avez entendu jusqu'à présent.
J'ai divisé mon exposé en quatre parties, chacune très brève. Je commence par demander si le vieillissement de la population et le coût que représentent les pensions sont synonyme de situation de crise. Ma réponse est non, et je vous dis pourquoi.
Je veux également parler du ratio de pensionnés aux participant au marché du travail; j'ai des nouvelles données à cet égard et j'intitule cette partie «les donnée démographiques sur les pensions vues avec de meilleures lunettes»... voilà qui rejoint le thème du vieillissement; je pense que la plupart d'entre nous avons besoin de lunettes.
J'ai l'intention de discuter des nouvelles bases de la sécurité sociale au Canada et de leurs incidences dans l'optique d'une réforme possible des pensions, pour conclure enfin avec quelques recommandations en vue de solutions possibles.
Je dois d'abord vous dire que je suis démographe. Je l'ai tout de suite indiqué. J'insiste sur ce fait non pas parce que je veux me confesser - le fait est bien connu - , mais parce qu'une partie de ce que je vais vous dire pourrait vous surprendre, venant de ma bouche.
Tout le monde parle de démographie de nos jours. Dans un article en 1987, j'ai comparé la démographie à un paradigme utilisé pour expliquer à peu près n'importe quoi. J'ai commencé en 1987 à utiliser les exemples suivants. Elle sert à expliquer pourquoi il y a une demande accrue de jeunes dans l'industrie des services funéraires; pourquoi les perspectives de promotion sont limitées pour les jeunes - ce fait n'a rien à voir avec l'économie, il s'explique simplement par la démographie... et il en est évidemment de même pour les pensions.
Il y a beaucoup de malentendus a propos de démographie. Cela est dû, en partie, à un manque de connaissance et, en partie, comme je l'ai indiqué un peu plus tôt, aux articles superficiels sur le sujet.
Par exemple, les Canadiens y compris des étudiants à qui j'enseigne et un grand nombre de personnes à qui je donne des conférences, pensent que le vieillissement de la population est un phénomène nouveau, et que le problème ne s'est jamais posé auparavant. Si vous étudiez l'histoire du Canada, cependant, je n'ai pas l'intention de trop m'attarder maintenant, vous pouvez constater que le pays a toujours eu une population assez âgée, mais avant la Confédération.
La population du Canada, comme celle des autres pays occidentaux, ne vieillit pas à cause d'un problème quelconque. Beaucoup ont également l'impression que s'il y a tant de personnes âgées c'est parce qu'il y a quelque chose qui ne va pas quelque part.
Au contraire, c'est un signe que nous faisons ce que nous devons faire. Le vieillissement de la population est une mesure de notre succès. L'explication rapide est que nous avons réussi à contrôler notre fécondité. Le vieillissement de la population est en grande partie dû au fait qu'il y a moins d'enfants. Nous avons également réussi à contrôler notre mortalité, dans une certaine mesure; nous l'avons au moins retardée.
Le vieillissement de la population est donc un signe de succès. La difficulté, dans la mesure où il y en a une, est que si nous avons réussi à contrôler notre fécondité jusqu'à un certain point en notre temps, nos grand-parents et nos arrière-grands-parents, eux, ne l'ont pas fait.
Notre société canadienne - c'est important dans le contexte de la famille - donne l'image d'un grand chêne orné de parents âgés. Le tronc est tout petit et il supporte tout un feuillage de parents âgés. C'est l'image qui me revient constamment à l'esprit. J'en reparlerai.
La croyance selon laquelle la démographie est une force inexorable comme le temps ou comme l'orbite des planètes correspond à ce que James Schulz, ex-président de la Gerontological Society of America appelle «la démographie voodoo». C'est à lui que j'ai emprunté ce terme. David Levine, un Canadien spécialiste en histoire sociale, appelle le même phénomène «la démographie barbare». Je préfère voodoo.
Un des principes de la démographie voodoo est la prévisibilité démographique. C'est la notion - très répandue dans notre société d'aujourd'hui - selon laquelle si nous vieillissons tous d'un an à la fois, ce que la plupart d'entre nous réussissent avec un peu de chance, les chose se passeront comme prévues. Dans 10 ans, nous serons à tel ou tel niveau de population. C'est une idée qui suppose que tout est parfaitement clair en démographie, que nous pouvons prédire et planifier l'avenir.
En réalité, la démographie en tant que discipline - je remercie Dien de ne pas avoir été là à l'époque - n'a pu prédire ni l'explosion démographique ni l'effondrement de la natalité. La prévisibilité de la démographie laisse donc beaucoup à désirer. Je répète que je suis démographe et que je parle en connaissance de cause.
Le démographe américain Joel Cohen décrit parfaitement ce qu'est un démographe. Selon lui, un démographe est quelqu'un qui établit de fausses hypothèses sur les populations futures et un démographe mathématicien est quelqu'un qui utilise des modèles mathématiques pour formuler de fausses hypothèses sur les populations futures. Mon but ici n'est pas de déprécier ma propre discipline, mais simplement d'introduire un élément de prudence au sujet de la prétendue prévisibilité de la démographie.
Ivan Fellegi, le statisticien en chef du Canada, a procédé en 1988 à une analyse approfondie des données sur les dépenses publiques reliées aux tendances démographiques. Il répond à la question qu'il pose dans le titre de son document: avons-nous les moyens de soutenir une société vieillissante?
L'étude a été publiée dans L'Observateur économique canadien en 1988. J'insiste, parce que l'étude est du statisticien en chef du Canada, qui dispose des meilleures données possibles.
Sa conclusion - et elle est très importante - est simplement que si la croissance économique à long terme suit la même courbe que par le passé, et si les coûts suivent les mêmes tendances, alors, dans 50 ans les dépenses publiques en matière de santé, d'éducation et de pensions représenteront, malgré le vieillissement de la population, le même fardeau que maintenant.
J'ai parlé à Ivan Fellegi il y a deux jours encore. Il m'a dit qu'il était en train de remettre son étude à jour selon les données de 1995. Elle paraîtra dans un ou deux mois. Ses conclusions demeurent essentiellement les mêmes. L'idée centrale est que le vieillissement de la population ne pose pas de problème si la croissance économique se maintient à un niveau raisonnable. Il n'y a donc pas de crise, selon les meilleures données dont nous disposons.
Les démographes sont férus de chiffres, en particulier, de ratios. Les ratios de dépendance sont ces fameux indicateurs qui permettent de comparer les populations des divers groupes d'âge.
Voici un diagramme qui montre la population du Canada de 1851 à 2031, telle que projetée. Le point crucial est indiqué par une barre. Les barres rouges représentent la proportion des enfants au sein de la population; les barres bleues, celle des personnes âgées. La signification du diagramme est clair. La proportion des enfants diminue au sein de la population. Le taux de natalité est nettement en baisse. Les barres bleues, par ailleurs, s'accroissent en proportion.
Ce qu'il convient de noter, cependant, c'est ce qui se passe en 1981 et 1991. Regroupées, les proportions de jeunes et de vieux sont les plus basses de l'histoire. Au moment même où nous nous inquiétons de la prétendue dépendance - il ne s'agit pas vraiment de la dépendance - et où nous parlons de crise, les jeunes et les vieux ensemble constituent la plus faible proportion de la population totale. Il convient de ne pas perdre cela de vue.
Il convient également de noter ici que le rapport personnes jeunes-personnes âgées a changé. Il y a plus de vieux que de jeunes au sein de la population. Cependant, le total des deux est le plus faible de l'histoire.
Un autre ratio intéressant est celui des pensionnés aux participants au marché du travail. C'est une préoccupation qui est liée à la réforme des pensions. Le débat public à ce sujet s'est exclusivement attaché au nombre de pensionnés possibles à l'avenir.
Je fais deux mises en garde à ce sujet avant d'examiner l'autre élément du ratio, c'est-à-dire les participants au marché du travail.
D'abord, l'admissibilité aux pensions évolue avec le temps. Il y a de moins en moins de gens qui ont droit à des pensions privées grâce à leur emploi, parce qu'ils travaillent à temps partiel ou selon une formule de ce genre. Le nombre réel de pensionnés pourrait diminuer même si le nombre de personnes du groupe d'âge aptes à percevoir une pension augmente. Nous devons en tenir compte.
Deuxièmement, certaines conclusions d'études récentes que j'ai menées sur les transitions dans le marché de la main-d'oeuvre sont intéressantes dans ce contexte. Elles révèlent que, pour les jeunes qui n'ont pas leur diplôme d'études secondaires ou qui n'ont pas fait d'études postsecondaires du tout, la transition modale est qu'ils passent d'une situation d'emploi à une situation de non-participation au marché du travail. C'est ici pour la population de 55 à 64 ans de tout le Canada. C'est représenté par les grosses barres jaunes-vertes.
Il convient de noter que les autres barres - les barres pourpres et bleues - sont également des transitions communes. Les gens dont on serait porté à croire qu'ils quittent la population active pour prendre leur retraite s'y joignent en réalité à cet âge. Ils sont chômeurs parce qu'ils se cherchent du travail. Il n'est donc pas sûr que tous les gens d'un certain âge cessent de travailler et prennent leur retraite. En d'autres termes, il n'y a pas que l'âge qui compte.
Examinons maintenant le deuxième élément, les participants au marché du travail. Le ratio et le nombre de pensionnés par rapport au nombre de participants au marché du travail. Le problème à cet égard est que les gens qui sont d'âge à participer au marché du travail, traditionnellement définis comme ayant de 18 à 64 ans, ne travaillent pas tous. Nous connaissons tous au moins une personne - et probablement plus d'une - de ce groupe d'âge qui ne travaille pas, qui se cherche un emploi, qui est au chômage.
Elles se retrouvent sans emploi plus souvent que par le passé pour de plus longues périodes. Elles prennent la retraite tôt - bien avant 65 ans - et n'ont pas toujours droit à une pension. Parfois, elles reçoivent une indemnité de cessation d'emploi et parfois elles ne reçoivent aucune pension. Elles peuvent travailler à temps partiel, ou, lorsqu'elles travaillent dans d'autres conditions, elles n'ont pas toujours accès à une pension ou à des avantages sociaux. Donc, lorsque nous parlons des participants à la population active, nous parlons d'un groupe profondément différent de ce qu'il était par le passé.
J'aimerais vous expliquer le graphique que voici. Les deux courbes d'en bas indiquent les emplois à temps plein, à l'année longue, pour les hommes et les femmes. Vous voyez que, pour les hommes, la courbe descend de façon marquée. Ce sont des emplois à temps plein, à l'année longue, pour les Canadiens, jusqu'en 1992. Depuis, le nombre d'emplois a diminué davantage. Le nombre de salariés s'est à peu près maintenu pour ce qui est des hommes et a augmenté pour ce qui est des femmes, mais ce sont les emplois à temps plein qui diminuent et qui continuent de diminuer.
Donc, dans tous nos débats sur ce qui constitue l'emploi et le chômage, nous oublions peut-être le fait que, de façon générale, les emplois à plein temps diminuent à la fois pour les hommes et pour les femmes, mais surtout pour les hommes.
Le marché du travail se polarise de plus en plus selon deux groupes. D'un côté, il y a les travailleurs plus âgés qui sont inactifs pendant de plus longues périodes. En fait, les gens de plus de 45 ans ont des période d'inactivité beaucoup plus longues qu'auparavant. La semaine dernière, Statistique Canada déclarait que la moitié des sans emploi n'ont plus, à l'heure actuelle droit à des prestations d'assurance-chômage parce qu'ils sont sans emploi depuis trop longtemps... et la grande majorité de ces gens ont 45 ans et plus.
Les sans emploi sont donc clairement scindés en deux groupes. Le premier groupe est celui des gens de plus de 45 ans qui demeurent sans emploi pendant une longue période. L'autre groupe est celui des 15 à 24 ans qui sont plus nombreux. Il y a un lien entre ces deux groupes, et je vais vous en parler. C'est une partie importante de ce dont je veux vous parler.
En outre, les membres de la population active connaissent des changements très importants au cours de leur carrière. Sans entrer dans les détails comme l'a fait mon collègue, il est un fait qu'il est de plus en plus difficile pour les jeunes de trouver du travail. La plupart des gens le savent, car ils connaissent quelqu'un qui a dû retourner vivre chez ses parents parce qu'il n'avait pu trouver de travail. On parle alors «d'encombrement du nid».
Les gens se joignent plus tard à la population active et la quitte plus tôt. Une telle carrière est synonyme d'un moins grand nombre d'années de participation au marché du travail dans un emploi rémunéré, même si on a un emploi à plein temps. Quelqu'un a calculé, à la blague - sauf que ce n'est pas tout à fait une blague - , que le nombre d'années de participation pouvait diminuer à 15 ans sur toute une vie. Si vous vous intégrez à la population active à 30 ans et que vous la quittez à 45 ans, ça ne vous donne que 15 ans et vous devez trouver le moyen de vivre avant et après. Cela peut sembler un peu exagéré, mais c'est néanmoins le cas pour certaines personnes.
Il y a disjonctions entre ce que nous appelons la retraite et ce que nous appelons les pensions. Je ne m'étendrai pas trop sur la question, mais essentiellement un employeur peut définir une personne sans emploi comme étant quelqu'un qui prend une retraite anticipée, mais celui-ci n'aura peut-être accès à aucune pension avant d'avoir 65, 60 ou 62 ans, âge auquel il aura droit au Régime de pensions du Canada ou du Québec. Cette personne pourrait être sans emploi pendant 15 ou 18 ans sans pouvoir recevoir de pension. Elle n'a pas accès à quoi que ce soit.
Le Régime de retraite, selon Mme Guillemard, chercheuse française, a perdu le pouvoir de réglementer à quel moment une bonne partie des travailleurs plus âgés quittent le marché du travail. Elle estime qu'en Europe, jusqu'à 50 p. 100 de la main-d'oeuvre rémunérée n'est pas réglementé par la retraite. Je me demande quelle sorte de société nous sommes en train de créer ici, et quelles conséquences cela aura pour la réforme des pensions.
Les femmes, tant comme retraitées que membres de la population active, constituent un problème et posent un défi particulier. Lorsqu'on m'a demandé de venir ici, Monica Townson, qui a publié au printemps dernier une étude sur les femmes, devait faire partir du panel. Elle a préparé un excellent rapport sur la question.
Les femmes âgées dépendent plus souvent des pensions du gouvernement pour leurs revenus. Cette colonne représente les femmes; les barres en couleurs indiquent les âges pour les femmes de plus de 65 ans. Cette colonne représente les hommes.
Plus tard au cours de leur vie, les femmes dépendent davantage des pensions publiques comme sources de revenus. Donc, si les pensions publiques changent - et elles ont déjà changé - les femmes sont davantage touchées. Les femmes sont également davantage touchées du fait qu'elles doivent involontairement travailler à temps partiel.
Donc le problème n'est pas nécessairement un trop grand nombre de retraités - après tout, ils n'apparaissent pas comme par miracle sans qu'on s'y attende - mais un nombre trop peu élevé de participants à la population active qui travaillent pendant des périodes trop courtes et qui contribuent aux revenus de pensions.
Et si on changeait le fondement de la sécurité au Canada? Les Canadiens se préoccupent profondément de la sécurité familiale et des problèmes croissants d'insécurité.
Voici quelques constatations. Un sondage Angus Reid effectué à l'automne 1992 révélait que 50 p. 100 des Canadiens estimaient que leur situation était moins bonne qu'elle ne l'était dix ans auparavant. Un sondage Decima effectué en mars 1992 révélait que 82 p. 100 des Canadiens croyaient que la situation empirait et qu'il était de plus en plus difficile pour eux d'améliorer leur situation même s'ils travaillent dur et ils le méritent. Ce pourcentage a augmenté puisqu'il n'était que de 68 p. 100 en 1985. Il semble donc que les gens estiment qu'il y a vraiment un problème.
Une étude vraiment inquiétante est celle qu'a effectuée l'Association canadienne de la santé mentale. Celle-ci révèle que la moitié des Canadiens se sentent vraiment stressés pour au moins une partie de la semaine, et que le tiers se sentent vraiment déprimés au moins une fois par mois. Il faut tenir compte de ces conclusions car elles auront des conséquences sur les pensions et les soins de santé à un moment donné. L'insécurité est une préoccupation croissante.
Permettez-moi de vous citer un passage des travaux de recherche que j'ai effectués sur le vieillissement de la main-d'oeuvre. Voici ce que disait une femme de 42 ans sans emploi:
- Nous avons grandi dans un environnement qui nous a enseigné les valeurs suivantes:
l'engagement du patron et du gouvernement à notre égard et le nôtre à l'égard du patron et du
gouvernement. Nous sommes maintenant près de revenir à ce qu'il y a avait avant ce soi-disant
contrat. Ce n'a été qu'une petite déviation dans l'histoire.
- Voilà une observation plutôt désespérante.
- Je suis infirmière, j'ai vingt ans d'expérience et j'ai amélioré mes compétences. Aujourd'hui,
tout ce que je peux faire, c'est travailler à temps partiel dans une pharmacie comme caissière,
quelques heures par semaine. Je suis à l'apogée de mes connaissances et de mes compétences, et
pourtant je ne peux plus contribuer à la santé des gens.
Lorsque les familles ressentent l'insécurité, elles ont tendance à faire deux choses. Tout d'abord, les gens se protègent les uns les autres et aident à faire vivre d'autres générations. Les parents, même lorsqu'ils sont à la retraite, peuvent faire vivre les enfants adultes. C'est un fait dans la société canadienne. Nous ne savons pas jusqu'à quel point cela est courant, mais c'est un fait. Le lien de dépendance peut être inversé et c'est quelque chose dont il faut tenir compte.
Deuxièmement, les familles ont tendance à se replier sur elles-mêmes lorsqu'elles manquent de sécurité. Cela peut mener à des problèmes de violence, de négligence, d'exploitation, etc. C'est le problème du chêne dont je vous parlais et auquel bon nombre de générations futures devront faire face.
Sur le plan économique, ces deux facteurs signifient que les familles ont un revenu moins élevé et qu'elles ont par conséquent moins d'argent à dépenser pour acheter des produits et des services. Le problème n'est peut-être pas un manque de confiance, comme on le dit souvent, mais plutôt un manque réel d'argent pour acheter des produits et services de consommation et une crainte réelle ainsi qu'une insécurité.
Sur le plan social, ces craintes au niveau de la famille conduisent à l'incertitude, réduisent les possibilités d'avenir et d'espoir, et je pense qu'il faut en tenir compte.
Que devons-nous faire? Quelles recommandations doit-on envisager? Voici une recommandation d'ordre démographique. Les connaissances de la démographie peuvent en fait être très importantes pour les changements qui touchant aux pensions, mais pas de la façon dont on en tient compte habituellement.
Il est extrêmement risqué sur le plan politique d'imposer les prestations de régimes enregistrés d'épargne-retraite selon la richesse après impôts ou de réduire les droits aux pensions, comme on l'a mentionné précédemment, ou d'augmenter la limite d'âge d'admissibilité aux pensions. Pourquoi? Eh bien, ce ne sont pas les sommes que cela représente, les montants épargnés tout ce genre de choses qui importent. C'est plutôt que tout cela est, comme certaines personnes l'ont dit - en fait comme l'a dit un journaliste - , peu judicieux.
Qu'est-ce que cela veut dire? Il y a des raisons. Tout d'abord, les baby boomers songent à la retraite. La retraite n'est pas nécessairement pour plus tard. «Liberté 55» est déjà une réalité pour eux. Bon nombre de personnes de ce groupe d'âge sont déjà discrètement retirées du marché du travail alors qu'elles n'ont que 48 ou 49 ans. Certaines sont mariées et leurs conjoints quittent le marché du travail assez tôt.
Les baby boomers sont donc déjà touchés par ce phénomène. Il s'agit de la génération la plus importante que le monde a connue. Elle a du poids sur le plan politique. Si pendant 18 ou 19 ans ils ne peuvent avoir accès à une pension parce que l'âge d'admissibilité est porté à 69 ans, les possibilités sur le plan politique sont ahurissantes.
Deuxièmement, les plus âgés et les plus jeunes ne sont pas des groupes d'intérêts distincts, comme certains voudraient nous faire croire, mais ils sont intimement et inextricablement liés entre eux dans des familles. Les gens âgés seraient peut-être prêts et on dit qu'ils seraient prêts à sacrifier un revenu de pension ou de retraite éventuellement par une augmentation de l'inflation si les plus jeunes, leurs enfants adultes et leurs petits enfants, avaient de meilleures possibilités d'emplois ou un meilleur avenir. Mais si les jeunes n'ont pas ces possibilités, les gens plus âgés seront peut-être d'avis qu'il est profondément injuste pour eux de faire cette concession car ce sont eux qui devront faire vivre les générations plus jeunes qui seront en difficultés.
Je ne pense pas que de repousser l'âge de la retraite ou l'admissibilité à une retraite soit la solution. Cela ne fera que rallonger la période au cours de laquelle une personne est effectivement à la retraite mais ne peut recevoir de pension, alors je remettrais une telle solution en question.
La dernière observation que j'aimerais faire, c'est que l'on devrait mettre fin à ce que j'appelle dans ce document l'apartheid de la politique. Par là, j'entends que l'on ne peut de façon réaliste réformer le régime de pensions sans tenir compte de l'autre politique sociale, sans tenir compte de la politique de l'emploi et sans tenir compte - et cela est très important - de la politique monétaire et des conséquences des taux d'intérêt et de l'inflation pour toute cette question.
Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé. Je serais intéressé à parler avec vous davantage de cette question.
Le président: Vous avez mentionné ce matin que nous allions tenir compte du contexte général. Nos intervenants nous ont certainement présenté ce contexte plus général, notamment non seulement la politique sur les pensions, mais la politique sociale et économique, et même la politique monétaire, ce qui donne une idée de la façon dont toutes ces questions sont reliées entre elles.
Nous allons commencer notre période de questions de la façon habituelle, c'est-à-dire en commençant par l'Opposition officielle, suivie du Parti réformiste puis du Parti libéral. Je demanderais aux députés de poser des questions relativement brèves, mais je comprends qu'il faudra discuter certaines de ces questions profondes qui ont été soulevées ici par nos trois panélistes.
[Français]
M. Dumas va poser des questions au nom du Bloc québécois.
M. Dumas (Argenteuil - Papineau): Ma question s'adresse à M. McKie. Vous avez dit, au cours de la présentation des acétates, que le vieillissement se poursuivra pendant 30 ans encore. Évidemment, vous parlez un peu plus loin de la diminution de la fertilité. Qu'est-ce qui vous laisse supposer que, dans 30 ans, le vieillissement diminuera?
[Traduction]
M. McKie: Ce que j'aurais dû dire, ou ce que j'aurais dit clairement si j'avais eu une heure pour le dire, c'est que lorsqu'une population comme la nôtre atteint l'âge de la pleine maturité, elle ne peut pas rajeunir. Il n'y a aucune dynamique interne pour la faire rajeunir. La masse de population âgée a passé l'âge où la fertilité est possible. Le seul scénario imagineable pour que la population rajeunisse de nouveau serait d'augmenter le nombre d'immigrants ou encore le nombre de plus jeunes immigrants. Il n'y a pas de dynamique interne qui permette le rajeunissement des vieilles populations.
[Français]
M. Dumas: Ne pensez-vous pas qu'il y a d'autres moyens d'augmenter la fertilité de la polulation qui réside au Canada, à part l'immigration?
[Traduction]
M. McKie: On a fait des tentatives en ce sens, qui ont toutefois eu très peu de succès. Je ne dis pas que c'est impossible, mais il faudrait offrir des incitatifs financiers très importants parce que, dans notre société, il en coûte autant au total, pour élever un enfant de plus que pour s'acheter une Rolls Royce. C'est ce genre d'investissement qu'on demande aux gens lorsqu'on leur demande d'avoir un enfant de plus, ou deux ou trois.
Les Canadiens ne sont pas idiots. Ils savent qu'un deuxième enfant ou un enfant de plus représente des sacrifices et des coûts considérables. Je ne peux imaginer dans quelles circonstances la famille canadienne moyenne se composera de nouveau de quatre enfants, comme c'était le cas à la fin des années cinquante. J'ignore ce qui encouragerait ce genre de situation. Mais il est vrai qu'il est possible, du moins en théorie, de prévoir un incitatif financier qui encouragerait les gens à le faire, mais il faudrait que ce soit un incitatif important.
[Français]
M. Dumas: On a tenté aussi, au Québec, d'augmenter l'allocation pour les troisième et quatrième enfants, mais je me souviens que cela n'avait pas tellement porté fruit.
[Traduction]
M. McKie: Il y a eu une augmentation sensible du taux de natalité, de l'ordre de quelques milliers, mais des augmentations du taux de natalité de quelques milliers par année sont peu pertinentes, à long terme, à mon avis.
[Français]
M. Dumas: Je vous remercie.
Le président: Monsieur Crête.
M. Crête (Kamouraska - Rivière-du-Loup): J'ai été assez impressionné, en écoutant vos présentations, par le lien que vous faites entre l'emploi dans l'ensemble de la population et le type de régime de pensions qu'on peut s'accorder pour l'avenir. Si j'ai bien compris, il faut démystifier ce débat-là dans l'ensemble de la population. En ce moment, on fait beaucoup de débats sur le déficit budgétaire, mais vos présentations m'ont démontré que cela pouvait être un choix économique rentable pour la société que de faire travailler plus de gens en fonction du régime, si on peut voir les choses de façon globale. Je trouve que c'est une contribution intéressante.
Pensez-vous que l'avenir repose sur le développement d'une espèce de programme universel qui permettrait d'aller chercher les contributions de tout le monde, des travailleurs à temps partiel, des travailleurs à temps plein, et même des personnes à la maison qui sont majoritairement des femmes, comme on le sait? Est-ce qu'un projet de réforme par lequel on essaierait de dépasser la question purement budgétaire à court terme et d'appliquer les principes d'il y a 30 ans à une nouvelle réalité vous apparaît comme étant une voie d'avenir? Est-ce que vous nous suggéreriez une telle voie?
[Traduction]
M. Myles: Si je vous ai bien compris, vous soulevez deux questions. Premièrement, vous avez remarqué que nous avions mis l'accent sur l'emploi. Permettez-moi d'insister sur cet aspect. On considère parfois la structure démographique par âge comme un substitut de l'emploi. En partant d'une population en âge de travailler, il est relativement facile de projeter la structure par âge pour l'année 2020. Les faits qu'on veut véritablement connaître, ce sont les ratios d'emploi par population. Autrement dit, quel sera le niveau d'emploi, quel sera le niveau des salaires et quelle sera la distribution des salaires à l'avenir? D'ailleurs, je tiens à souligner que la distribution des salaires est tout aussi importante que les autres facteurs.
Des changements importants sont survenus dans les années 1980, dont une baisse radicale des gains et salaires relatifs des moins de 35 ans. Qu'est-ce qui a provoqué ce déclin? Il a provoqué une croissance énorme des transferts aux jeunes familles. Les transferts aux jeunes familles sont passés de 5,5 p. 100 du PIB a environ 7,5 p. 100 du PIB.
Cette baisse des salaires chez les jeunes signifient que les moins de 35 ans paient moins d'impôt. Leur contribution aux Régimes de pensions de vieillesse et de soins de santé sont aussi moindres. Je crois que ça répond en partie à la question que vous m'avez posée.
La deuxième partie de votre question porte sur ce que j'appelle la volatilité et l'incertitude croissante du marché du travail. Davantage de gens, surtout de femmes, travaillent - c'est-à-dire que le ratio emploi: population a augmenté depuis les années soixante - mais la volatilité du marché du travail a crû de bien des façons. On a déjà parlé de la croissance du travail à temps partiel, de la nature changeante des contrats de travail et de l'augmentation de longue date et à long terme des taux de chômage au Canada.
Cette volatilité est source d'incertitude pendant les années de travail. Elle est aussi source d'incertitude en ce qui a trait à la retraite puisque lorsque vous êtes en chômage ou que votre revenu baisse soudainement, votre capacité d'économiser de l'argent pour vos vieux jours n'est plus la même.
Dans de telles conditions, les vieux principes de l'universalité m'apparaissent extrêmement importants et précieux. Dans certains cas, nous voudrons peut-être redéfinir ce principe de l'universalité. Cela ne signifie par nécessairement la même chose qu'en 1950; notre monde a changé depuis mais tout le concept de l'universalité repose, en un sens, sur la réduction des risques, de cette volatilité à une certaine période dans la vie de tous les membres d'une même génération, mais aussi et surtout pendant toute leur vie.
Voilà ce qu'est pour moi un système universel. C'est ce que devrait signifier pour nous l'universalité. Dans un monde dynamique, en constante évolution, où les risques sont élevés ou, à tout le moins, paraissent élevés et augmentent même pour certains, un environnement social qui procure une certaine stabilité et sécurité à la population en âge de travailler peut être extrêmement important autant du point de vue politique qu'économique. Les gens qui se sentent en sécurité sont toujours plus disposés à accepter les changements.
Habituellement, nous souhaitons des changements parce qu'ils sont avantageux à long terme pour certains groupes. En assurant la sécurité des gens et en réaffirmant certains principes de l'universalité, on aidera les Canadiens a accepté les changements et on assurera la croissance économique.
[Français]
M. Crête: Je vais répéter ma question pour Mme McDaniel.
Est-ce qu'il serait envisageable aujourd'hui qu'il y ait des programmes de création d'emplois pour les personnes de 50 ans de façon à ce que celles-ci puissent contribuer aux dépenses sociales jusqu'à l'âge de 65 ans, comme l'ont demandé les femmes lors de la marche contre la pauvreté au Québec? On pourrait prendre les gains de société que l'on fait actuellement pour les transformer en programmes qui permettraient à tout le monde de travailler dans d'autres domaines et d'avoir un système, parce que ces gens-là n'ont pas contribué à des fonds de pension.
Pensez-vous qu'on a présentement une composition sociale qui puisse accepter ces changements en profondeur?
[Traduction]
Mme McDaniel: Merci. Votre question est cruciale, si je vous ai bien compris, à savoir le rôle de pivot que joue les 50 ans.
Il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'une gérération de transition. Premièrement, elle est à la limite du baby-boom. La génération du baby-boom n'a pas encore atteint 50 ans, mais certains de ses membres ont maintenant 49 ans. Certaines personnes de 49 ou 50 ans ont de jeunes enfants qui ont du mal à assurer leur indépendance économique - ils sont peut-être autonome à d'autres égards, mais nous parlons surtout de l'indépendance économique - ainsi que des parents âgés aux prises avec des problèmes d'invalidité ou de relative d'incapacité.
Mais le plus important en ce qui concerne ce groupe - même si on en parle peu - , c'est qu'il est la cible privilégiée des licenciements. Les membres de ce groupe se sentent donc aussi vulnérables du point de vue économique. Ils craignent de n'avoir pas suffisamment d'argent dans leur régime de pensions pour pouvoir prendre leur retraite et ils se sentent vulnérables.
Ce groupe est donc extrêmement important. Si vous l'examinez vous constaterez qu'elles sont ces liens avec les jeunes et les gens âgés, ceux qui seraient essentiels dans l'élaboration de toute politique sociale.
J'ajouterai une brève remarque en réponse à votre question précédente à mon collègue John Myles; lorsqu'on examine les risques des familles, on a tendance à adopter un point de vue différent que lorsqu'on examine les particuliers. On pense aux gens de 65 ans et plus et aux risques auxquels ils font face; on sait aussi qui sont les chômeurs à risque, comme qui sont les parents célibataires. Or, toutes ces personnes se retrouvent parfois au sein d'une même famille.
Je vous décris brièvement l'histoire d'une famille que j'ai connue dans le cadre de mes recherches. Une femme professionnelle, mère-célibataire, perd son poste de cadre intermédiaire. Elle a deux adolescents; le premier ne trouve pas d'emploi et voudrait aller à l'université et le deuxième travaille à temps partiel dans la restauration rapide. Toute la famille dépend du revenu de ce jeune homme qui a 17 ans et qui gagne sa vie à faire des hamburgers. Son revenu est le seul revenu de toute la famille. Si l'on réduit les heures de travail ou le salaire de ce jeune garçon, la maison, hypothéquée sera saisie.
Cette situation est bien différente de celle de chaque personne; j'estime qu'il faut en tenir compte, particulièrement compte tenu du fait que l'Année internationale de la famille vient de se terminer et que le Canada y a joué un rôle important.
Le président: Je cède maintenant la parole à Mme Ablonczy du Parti réformiste.
Mme Ablonczy (Calgary-Nord): Merci, monsieur le président.
Monsieur Myles, j'ai trouvé intéressante votre idée de l'impôt sur les successions. J'aimerais que vous exploriez brièvement avec nous les avantages et les inconvénients d'une telle mesure ainsi que les recettes que pourraient en retirer le gouvernement.
M. Myles: Je serai honnête avec vous: J'ai commencé à m'intéresser à cette question il y a quatre semaines à peine. J'ai perdu mes deux parents cette année, le deuxième étant décédé il y a quatre semaines. J'étais l'exécuteur testamentaire. Pendant l'exécution du testament, j'ai été frappé parce qui se passait. Autrement dit, au cours des derniers mois, ma mère a vécu dans un foyer et la plupart des coûts liés aux soins de santé ont été assumés par le régime d'assurance-maladie de l'Ontario. Mes parents étaient très âgés et avaient besoin de peu d'argent. Ces dernières années, ils avaient pu survivre grâce au Régime de sécurité du revenu du Canada. Ce revenu leur permettait de subvenir à pratiquement tous leurs besoins.
Par conséquent, essentiellement, plutôt que de consacrer leur capital à subvenir à leurs propres besoins pendant leurs vieux jours, ils s'en sont remis au Régime de sécurité du revenu.
À présent, cela me paraît une bonne chose. Ils se sentaient rassurés car ils savaient qu'ils n'avaient pas dépensé tout leur argent et qu'il en resterait donc pour les cas d'urgence. Leur système leur a assuré une vieillesse à l'abri du besoin et c'est bien pour cela qu'il a été conçu.
En même temps, cette sécurité financière tirait sa source non de mes biens ni de ceux de mon frère et de mes soeurs mais de l'argent cotisé par la population active du Canada. C'est d'ailleurs pour cela que j'utilise l'expression «patrimoine garanti».
Lorsque je me suis occupé de l'exécution du testament, j'ai pu répartir près de 500 000$ entre mes frères et soeurs et moi-même, et j'ai été frappé par le fait que nous partageons les risques lorsqu'il s'agit d'accumuler des biens en prévision de la vieillesse mais qu'il n'y a pas de partage des résultats de ces mesures de prévoyance.
Mme Ablonczy: Avez-vous trouvé des aspects négatifs à cela? Y aurait-il des désavantages à adopter une politique en ce sens, et avez-vous une idée des recettes fiscales que cela pourrait représenter?
M. Myles: Je discutais justement de cela hier avec un collègue. Le droit successoral américain est assez généreux. Cela veut dire que, dans les faits, seuls les héritages atteignant plus de 600 000$ sont frappés de droits de succession. En deçà de ce montant, les biens successoraux sont libres d'impôt, ce qui veut dire que la plupart des familles en sont exemptes.
Les États-Unis prélèvent quand même quelque 15 milliards de dollars par année par le truchement de l'impôt sur les biens transmis au décès, et si nous adoptions une loi aussi modérée que celle en vigueur là-bas, nous percevrions quelque 1,5 milliard de dollars par année. Certains de mes autres collègues en savent peut-être plus que moi là-dessus.
M. Robert Brown (professeur, Département des statistiques et sciences actuarielles, Université de Waterloo): Puis-je ajouter quelque chose? L'un des désavantages actuels est la possibilité que les héritages importants sortent de notre pays. Ainsi par exemple, le testament de K.C. Irving stipule que ses enfants peuvent hériter de ses biens à la seule condition qu'ils vivent à l'extérieur du Canada. J'aimerais bien savoir aussi quelle proportion des avoirs de la succession de E.P. Taylor se trouve encore au Canada.
Il faut bien se rendre compte qu'à notre époque, si on décide de percevoir des droits successoraux s'écartant du régime des autres pays dans ce domaine, on va assister à une fuite importante de capitaux hors de notre pays.
Mme Ablonczy: Je vois...
M. Myles: À mon avis, Robert a raison. Je pense d'ailleurs qu'on ne réussira jamais à concevoir un impôt sur les biens transmis par décès qui nous permette de prélever les revenus successoraux des très riches, c'est-à-dire des 300 ou 400 familles les plus riches au pays. Elles trouveront toujours moyen d'échapper à ce genre d'impôt.
Je pense tout de même que nous pourrions concevoir certaines formes de droits de succession qui rendraient aux Canadiens certaines des sommes qu'ils ont cotisées au profit des personnes âgées.
Cela étant dit, il ne fait aucun doute que nous nous écartons maintenant du régime de droit successoral des autres pays.
Mme Ablonczy: Il y aurait sans doute beaucoup plus de choses à dire sur la question, j'aimerais cependant m'arrêter ici et poser maintenant une question à Mme McDaniel.
L'une des choses qui m'a frappée, c'est que d'ici l'an 2015, il y aura au Canada 40 p. 100 de plus de personnes du troisième âge qu'il y en a maintenant. Puisque vous êtes démographe, j'aimerais être sûre que cette proportion est exacte avant de la répéter.
M. McKie: Il n'y a pas une seule proportion à donner en guise de réponse car on peut mettre de l'avant plusieurs hypothèses. Se limiter à une seule réponse serait aussi absurde que d'essayer de prédire les gagnants de la loterie de l'année prochaine. Tout ce qu'on peut faire, c'est d'établir des paramètres mais j'hésiterais beaucoup à lancer des pourcentages très précis. Tout ce que nous savons de façon sûre et certaine est que la proportion des personnes âgées sera sensiblement plus élevée qu'elle l'est aujourd'hui et qu'elle continuera à augmenter. Nous en sommes peut-être rendus au tiers de la durée de ce processus.
Ce qu'il faut retenir de tout cela et qu'il faut communiquer, cependant, c'est que cet accroissement sera loin d'être négligeable; il sera même énorme. D'ailleurs, on n'a qu'à regarder autour de soi pour voir que cela a déjà commencé.
Mme Ablonczy: Je vous remercie car nous devons faire preuve de la plus grande prudence lorsque nous utilisons ces chiffres.
Mme McDaniel: L'une des choses qu'il faut prendre en compte lorsqu'on envisage le sort des futures populations de personnes âgées et que la pyramide des âges sera profondément altérée et que sans l'ombre d'un doute, la proportion des personnes les plus âgées du contingent du troisième âge s'accroîtra plus rapidement que celle des plus jeunes. C'est donc le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans croit le plus vite. Or, bien entendu, ce sont ces personnes qui vraisemblablement auront le plus besoin de soins médicaux ou d'interventions sociales, et ce, même si bon nombre d'entre eux demeurent en excellente santé. Je ne veux pas exagérer ce fait mais la composition de la pyramide a certainement de l'importance.
Lorsqu'on envisage l'avenir, il ne faut pas être obsédé par l'évolution démographique, ce qui me paraît donner dans la pensés magique, mais pensez plutôt aux différences qu'on observe de plus en plus au sein de cette population vieillissante. Certains de ces membres ont pris leur retraite dans la cinquantaine, d'autres ne quittent la population active qu'à 75 ans, tous n'auront pas le même accès à divers services, la composition des familles varie beaucoup et les indicateurs de santé sont de moins en moins uniformes.
Nous sommes donc très loin de conditions de vie homogènes même si, aux yeux de certains, cette population demeure uniforme. Cela dit, je ne dirais pas cela de la proportion de 40 p. 100 déjà mentionnée.
Mme Ablonczy: Cette remarque est fort juste et elle m'amène à poser ma prochaine question. Votre exposé arrive à la conclusion selon laquelle les dépenses sociales demeureront inchangées malgré le vieillissement très marqué de la population.
Or bien que je ne sois pas économiste, il me semble qu'un nombre plus élevé de retraités et donc de personnes ayant besoin de soins médicaux intensifierait sensiblement les pressions exercées sur les services sociaux. Comment a-t-on pu arriver à une telle conclusion?
Mme McDaniel: Je précise que la conclusion à laquelle vous faites allusion n'est pas de moi mais bien plutôt du statisticien en chef du Canada. En outre, elle est assortie d'une condition non négligeable, celle voulant qu'on maintienne une croissance économique raisonnable.
Eh bien, il s'agit d'une condition de taille et nous ignorons si elle pourra se réaliser. En outre, cette conclusion entraîne beaucoup de corrolaires mais elle me paraît tout de même extrêmement importance en ce qu'elle précise que ce n'est pas l'évolution démocratique qui est à la source des problèmes de dépenses publiques. Il y aura des problèmes seulement si nous ne pouvons maintenir nos conditions actuelles, c'est-à-dire si nous éprouvons des difficultés économiques et socicales.
Mme Ablonczy: Monsieur McKie, cette condition me paraît très improbable car selon vous la composition future de la population active ne nous sera tout simplement pas favorable sur le plan économique. J'ai peut-être mal compris ce que vous avez dit cependant.
M. McKie: Il y a certainement moyen d'arriver à d'autres conclusions que celle du document 1988 tout en demeurant un honnête citoyen. On peut certainement interpréter la situation d'une manière différente.
J'ai d'ailleurs discuté de la question avec le sous-ministre de la Santé du Manitoba dans une réunion publique, et les échanges sont devenus vraiment très vifs. En fait, à mon avis, une population vieillissante peut certainement représenter une très forte demande de services médicaux. Cela dépend beaucoup des attentes de la population face au régime de soins.
Si par exemple, on recourt au régime de santé publique à d'autres fins que des fins strictement médicales, comme le logement des personnes âgées seules et le reste, cela fera monter les coûts médicaux. Si, toutefois, nous ne puisons pas dans les ressources du régime de santé pour créer des logements sociaux pour les aînés, alors il faudra aller en chercher ailleurs. Si cela n'est pas possible alors ce que je disais plus haut se réalise, les hôpitaux se transforment en auspices de viellards lorsque ces derniers sont seuls ou incapables de s'occuper d'eux-mêmes.
Il y a certainement moyen d'envisager la question comme moi, c'est-à-dire sous un angle différent de celui de l'article. Ça n'est pas que je prenne cette hypothèse à la légère, non il s'agit d'un texte important. Toutefois, il y a moyen d'étudier la question sous un autre angle et d'en arriver à une hypothèse différente en utilisant les mêmes chiffres.
Mme Ablonczy: Surtout que Mme McDaniel nous disait que le nombre des plus âgés parmi les personnes âgées s'accroît plus rapidement, et nous savons bien que... À moins que je ne m'abuse, c'est pendant les dernières années de la vie que se consomment 80 p. 100 des services médicaux.
M. McKie: J'aimerais m'arrêter sur ce point précis. Aujourd'hui, les personnes âgées de 85 ans et plus peuvent encore compter sur des parents encore en vie parce qu'ils sont nés à une époque où les familles étaient nombreuses. Ils ont par exemple des cousins, peut-être éloignés et peut-être dispersés mais des cousins tout de même. Or nous réfléchissons ici à un avenir où les personnes âgées de 85 ans ne pourront compter sur des membres de leur famille car cela fera des générations que les familles sont très petites ou n'existent même pas. On peut donc dire qu'elles dépendront davantage des services fournis par des organismes et les gouvernements, tout simplement du fait de la taille réduite des familles. Quand mes enfants auront 85 ans, il se peut qu'ils recouront davantage aux services fournis en établissement parce qu'ils ne pourront plus compter sur la présence de membres de leur famille immédiate dans la même région qu'eux, comme c'est le cas à l'heure actuelle.
Mme Ablonczy: Je vous remercie de cette remarque.
Merci beaucoup monsieur le président.
Mme McDaniel: J'ai deux brèves observations à ce sujet.
Premièrement, M. Ivan Fellegi n'est pas la seule personne à être arrivé à une telle conclusion. D'autres études effectuées en Australie, aux États-Unis et en Grande-Bretagne en tirent les mêmes projections. Ces hypothèses sont donc loin d'être uniques au monde.
En second lieu, le nord de l'Alberta où à l'heure actuelle on procède à un réaménagement profond du régime de santé, je ne puis simplement pas envisager qu'à l'avenir le système des soins d'urgence et de courte durée soit utilisé au Canada pour héberger des personnes âgées. Je ne pouvais tout simplement pas imaginer cela.
M. Brown: J'aimerais intervenir brièvement. Je suis démographe statisticien et ces derniers ont fait l'objet de propos assez critiques ce matin. J'ignore si la proportion de 40 p. 100 est tout à fait exacte parce que je n'ai pas en tête tous les chiffres relatifs à cette question. Je pense cependant qu'elle est probablement inférieure à ce qu'elle devrait être. Cela dit, je suis tout à fait disposé à retourner chez moi pour obtenir les données exactes, et elles se rapprocheront de très près des proportions réelles des personnes âgées de 65 ans et plus en l'an 2015 parce que ces dernières sont déjà en vie aujourd'hui. C'est assez différent de demander le pourcentage des gens âgés de 65 ans et plus car cela peut dépendre des futurs taux de fécondité. Je puis vous dire aujourd'hui combien il y aura de personnes âgées de 65 ans et plus au Canada en l'an 2060 avec la certitude de tenir des propos fondés. Ne jetons donc pas la démographie statistique du revers de la main dès maintenant.
M. McKie: J'ai une petite observation à faire. Les habitants de l'an 2015 ne sont pas encore tous ici aujourd'hui. Vous savez bien que le système d'immigration regorge d'immigrants dans la catégorie de réunification des familles. Cela dit, nous ne savons pas ce que peuvent donner les politiques d'immigration dans dix ans, tout comme nous ignorons combien de personnes voudront immigrer au Canada dans leur troisième âge.
Mme Ablonczy: Il s'agit là d'un débat intéressant et fort utile. Je vous reconnaissante de tous les points que vous avez soulevés.
Merci monsieur le président.
Le président: Merci.
Y a-t-il d'autres réponses à apporter pour clore le dernier échange?
Monsieur Lux.
[Français]
M. André Lux (professeur retraité, Département de sociologie, Université Laval): Je voudrais ajouter une petite précision à la question de M. Dumas sur les raisons pour lesquelles le vieillissement s'arrêterait. Le vieillissement, jusqu'au milieu du XXIe siècle, est en partie conditionné par le volume important des générations du baby boom. Lorsque les derniers survivants de cette génération seront morts, automatiquement les âges avancés seront ceux de générations moins nombreuses. Donc, il y aura nécessairement une baisse de la proportion des personnes très âgées dans l'ensemble de la population.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Lux.
Je vais d'abord accorder la parole à M. Scott.
M. Scott (Fredericton - York - Sunbury): Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci à tous. Cette discussion est déjà pleine d'enseignements même si elle n'a réussi qu'à nous faire très peur. Vous vous êtes fait comprendre.
J'aimerais maintenant examiner certains liens. Je ne suis pas économiste ni sociologue et je ne suis donc pas sûr de la validité de toutes ces choses. Cela dit, j'ai souvent noté que dans ce genre de discussion, on assimile la croissance économique à l'emploi. Or même une personne non avertie trouve qu'il manque un lien quelque part étant donné la nature de...
Monsieur McKie, nous avons parlé de l'emploi dans les secteurs de la fabrication et des services pour montrer les déplacements actuels. J'estime toutefois que s'il y a croissance économique dans ces secteurs, cela donnerait des résultats assez différents. Il faut que les biens soient à l'origine d'une croissance économique et que cette croissance se maintienne, mais cela ne se traduit pas nécessairement par davantage d'emplois. Lorsqu'on établit ce genre de ratio, une bonne partie des données correspond non à la croissance économique mais à l'emploi. Cela veut donc dire que les ratios ne fonctionnent pas si vous vous fondez sur la croissance économique pour maintenir ces programmes.
Je fais cette remarque en passant mais je crois qu'elle témoigne de la situation actuelle quant à la répartition du travail qui, à son tour, constitue un défi, comme vous l'aves mentionné durant votre présentation, monsieur Myles, quand vous avez parlé de deux solutions, soit abaisser le niveau de vie des retraités, soit augmenter les exigences ou prolonger la période requise pour avoir droit à la retraite.
Il me semble qu'il existe une troisième option; on pourrait déterminer une période de progression graduelle vers la retraite qui commencerait vers l'âge de 40 ou 45 ans. Nous avons accordé trop d'importance à la limite de 65 ans. À mon avis c'est un seuil tout à fait artificiel. On pourrait mettre en place un programme gradué, ce n'est certes pas impensable.
M. Myles: Vous avez absolument raison. À proprement parler, ce que vous proposez ne constitue pas une troisième solution. Il y a plusieurs façons de traiter l'âge de la retraite. Il ne s'agit pas uniquement de... à l'heure actuelle, les gens ne travaillent pas jusqu'à 65 ans. Ils peuvent simplement se prévaloir de certains droits à 65 ans.
En fait la retraite est déjà un processus graduel pour bon nombre de personnes. Elle arrive parfois plus tôt et parfois plus tard. Certains quittent alors le marché du travail pour y entrer à nouveau afin d'obtenir des gains supplémentaires. Robert Brown vous entretiendra cet après-midi du rôle des gains et des programmes de retraite.
À proprement parler, il n'existe encore que deux solutions. Toutefois, il nous faudra faire preuve d'imagination dans la mise en oeuvre de ces solutions. Il ne fait aucun doute que les gens vivent plus longtemps et en meilleure santé. Pour bon nombre d'entre eux, cela signifie une capacité accrue de continuer à travailler au-delà de l'âge traditionnel de la retraite.
Toutes sortes de problèmes surgissent lorsqu'on parle de reporter l'âge de la retraite. Ce n'est pas nécessairement facile à réaliser, mais cela signifie simplement qu'il nous faudra y consacrer plus d'efforts et d'imagination afin de trouver les réponses appropriées. En Suède, par exemple, les travailleurs reçoivent une certaine pension de retraite partielle pendant quelques années. Je n'ai pas les documents ici, de sorte que je ne pourrais pas vous expliquer les détails de ce programme, mais certains pays ont adopté une formule selon laquelle, pendant un certain temps, les employés sont partiellement au travail et partiellement à la retraite.
Mme McDaniel: Plusieurs pays de la Communauté européenne ont adopté ce genre de programmes et notamment la Suède, mais d'autres pays ont mis au point des programmes tout à fait innovateurs et originaux qui regroupent les régimes d'assurance-chômage du secteur public avec les programmes de prestations de départ et les régimes de pensions du secteur privé en un tout qui constitue un fonds de relais et arrive exactement aux résultats que vous avez proposés, c'est-à-dire un programme de retraite graduelle et progressif.
Évidemment, on peut se demander quelle forme prendrait un tel programme dans notre société. Quelle étiquette utiliserions-nous? Nous classons de plus en plus les gens en catégories; ils sont en chômage, à la recherche de travail ou ont quitté le marché du travail s'ils sont à la retraite. En recueillant des données, on constate qu'au Canada ces catégories ne correspondent pas à la réalité. Vous pouvez à la fois être retraité et à la recherche de travail. Vous pouvez être retraité et retiré du marché du travail.
Les catégories et les systèmes ne s'appliquent tout simplement plus. Nous devons trouver le moyen de répondre aux besoins des gens qui prennent une retraite anticipée et ne reçoivent aucune prestation; nous devons leur offrir un programme regroupant le travail, le recyclage et l'assurance-chômage, lequel pourrait faire appel à la fois au secteur public et au secteur privé. On trouve des exemples de programmes de ce genre dans certains pays de la Communauté européenne.
M. Scott: J'ai une deuxième question. Il me semble que, si la justice est encore importante à nos yeux, nous courons le risque de tendre vers des objectifs conflictuels. Si, en élaborant un nouveau système, nous visons notamment la durabilité, je crois que, dans l'ensemble, les données sont plus favorables maintenant. C'était le sens de l'intervention de M. Myles lorsqu'il a parlé de privatiser et de compter davantage sur les initiatives individuelles et moins sur les programmes collectifs, s'il est juste de traduire ainsi sa pensée. Toutefois, si la justice a une valeur dans tout cela, je crois que les écarts que nous constatons vont s'amplifier car, sur ce plan, la situation se détériore probablement et je suppose que, selon le scénario que vous décrivez, toute richesse héritée a tendance à échoir à ceux qui en ont le moins besoin. Ceux qui héritent de sommes importantes sont généralement des membres des professions libérales ou ils appartiennent à d'autres catégories favorisées comparativement aux autres. S'il y avait plus de justice en ce bas monde, ce serait différent mais tel n'est pas le cas.
Je suppose que la tendance à la privatisation signifie que le système sera encore moins équitable pour la collectivité sur le plan de la répartition de la richesse. L'écart entre ceux qui reçoivent 80 p. 100 de leurs revenus antérieurs au moment de la retraite et ceux qui n'en reçoivent que 30 p. 100, risque de s'élargir et non de s'amenuiser. Est-ce équitable?
M. Myles: Je ne veux pas prédire une privatisation accrue du système canadien, mais les pressions en ce sens sont de plus en plus marquées. La Banque mondiale a suscité énormément d'attention cette année en publiant son rapport sur la crise du troisième âge, dans lequel elle utilise le modèle chilien comme point de référence. Pour imaginer le modèle chilien dans un contexte canadien, il suffit de penser à une société où il n'y aurait que le supplément de revenu garanti, des REÉR obligatoires et rien d'autre. Le Programme de la sécurité de la vieillesse et le Régime de pension du Canada seraient entièrement abolis.
Dans ce modèle, le rôle des gouvernements est de protéger les plus faibles, ceux qui sortent du marché du travail et qui, pour une raison quelconque, risquent de vivre un véritable désastre économique en vieillissant. Les autres sont incités à veiller eux-mêmes à leur bien-être en adoptant un régime d'épargne privé.
Cette tendance semble être motivée par le fait que ces régimes d'épargne privés peuvent faire grimper les économies et les investissements et, par conséquent, stimuler la croissance économique - Robert pourra décrire plus amplement cet aspect du dossier. C'est certainement le fondement de l'argumentation et c'est aussi ce que vous pouvez lire à la page éditoriale du Globe and Mail où l'on trouve des arguments semblables.
Toutefois, durant les discussions de ce genre, on ne parle pas des objectifs d'un régime de retraite. Un tel système pourra-t-il assurer une sécurité du revenu, fournir un remplacement du revenu? Sur le plan de la justice et de l'équité, il ne fait aucun doute que plus le système sera privatisé, plus les risques et les variations à l'échelle nationale seront grands. Les données prouvent amplement que, dans les pays où l'on compte davantage sur les régimes de retraite privés et les instruments d'épargne privés, les écarts de revenu entre les différents groupes de personnes âgées sont beaucoup plus marqués.
Mme McDaniel: Je voudrais faire un bref commentaire. À l'échelle internationale, le Canada est déjà un des pays où les inégalités créées par le régime de retraite sont les plus prononcées. Il est donc vraisemblable que la situation se détériore puisqu'elle est déjà déficitaire en quelque sorte.
M. McCormick (Hastings - Frontenac - Lennox et Addington): Merci, monsieur le président.
Monsieur Myles, il semble que le statisticien en chef du Canada déclare dans son plus récent rapport, en cours de mise à jour, que nous ne traversons aucunement une crise selon les données démographiques. Vous dites qu'il existe d'autres formes de revenu. Par conséquent, en combinant une partie de ce rapport et vos idées sur la question, on constate que notre situation n'est pas si désespérée après tout.
Vous avez mentionné diverses façons d'augmenter les revenus et notamment l'impôt sur les successions et l'augmentation de la cotisation des employés et des employeurs. Avez-vous d'autres études ou d'autres idées à proposer?
M. Myles: D'abord, le RPC et le RRQ ne sont pas en crise, puisque ces deux régimes s'autofinancent. Il existe un problème à long terme sur le plan des taux de cotisation. Robert traitera de cette question cet après-midi.
Selon les prévisions, si nous maintenons le financement au fur et à mesure, ce qui est essentiellement le mode de financement du régime de pensions du Canada - notre régime n'est pas géré comme les régimes de pensions privés qui constituent des fonds communs d'immobilisation, lesquels génèrent des revenus. Ce sont les cotisants d'aujourd'hui qui payent les prestations des retraités d'aujourd'hui. Selon les prévisions, il faudra, d'ici l'année 2016 environ, hausser le taux de cotisation à près de 16 p. 100.
Est-ce qu'une telle situation constitue une crise et comment devrions-nous la considérer? Ce taux de cotisation est largement supérieur à celui d'aujourd'hui, qui dépasse à peine 5 p. 100 pour les parts de l'employé et de l'employeur réunies. Les taux prévus équivalent au triple du taux actuel mais ils ne seraient pas encore très élevés. Les Américains versent déjà plus de 13 p. 100 uniquement pour leur programme de sécurité sociale et ces chiffres sont faibles par rapport aux normes européennes. Il n'y a donc aucune crise du point de vue des taux. S'il faut opérer un changement radical, si l'augmentation doit être brutale, cela pourrait avoir un impact économique marqué sur le système.
Certaines personnes, et j'en suis, souhaiteraient que le taux de cotisation au RPC soit augmenté et que la hausse soit accélérée afin que la transition vers un taux plus élevé se fasse sans heurt et que le taux final puisse être moins élevé, mais bien des gens ne sont pas de cet avis et il y a motif à débat. Toutefois, si l'on commence dès maintenant à hausser le taux, les cotisations additionnelles pourront servir à créer un fonds et celui-ci pourra être investi et générer des revenus qui serveront à financer les pensions futures. Les gens de la prochaine génération, les jeunes de 2016, n'auront pas à subir cette augmentation soudaine de leurs impôts. Vous entendrez toutefois de nombreuses opinions contraires et des débats légitimes à ce sujet.
M. McCormick: Vous dites qu'il n'y a pas de raison qu'un régime public ne puisse administrer l'investissement des économies. La Banque mondiale et bien d'autres intervenants aimeraient nous faire croire que nous devrons confier cette tâche au secteur privé, mais nous pourrions le faire tout aussi efficacement que ce dernier. Tout se tient bien entendu. J'aimerais simplement entendre vos commentaires sur ce point.
M. Myles: On peut en débattre, mais ce n'est pas impensable à l'échelle d'un régime comme celui dont je parle. Si de nombreux régimes de pensions publics sont financés au fur et à mesure, c'est que la population ne faisait pas confiance au gouvernement et hésitait à lui confier un capital d'une telle envergure. On croyait qu'il pourrait l'utiliser à mauvais escient et faire de piètres investissements. En matière de placements, on présume toujours que les décisions du marché seront plus judicieuses que celles des gouvernements. Déjà là, il y a sujet à controverse.
Même si vous acceptez cette façon de voir, il faut dire que le gouvernement crée maintenant un marché pour ses dettes. Il les met aux enchères presque tous les jeudis matins. Je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas faire de même pour son capital, c'est-à-dire l'offrir sur les marchés.
M. McCormick: Merci beaucoup. Vos observations sont très intéressantes et polémiques.
Le président: Avant de terminer ce matin, je voudrais à mon tour poser quelques questions qui découlent jusqu'à un certain point de celles de M. Andy Scott. Elles concernent le problème du travail et de sa répartition.
Les statisticiens pourront sans doute nous aider à mieux comprendre le concept de population active. Il me semble que la pérénité de notre capacité à assurer le bien-être des aînés, c'est-à-dire notre capacité à répondre à nos besoins lorsque nous serons âgés puisque c'est de ça qu'il s'agit, dépendra non seulement du taux de la croissance économique mais aussi, comme je l'ai dit plus tôt, de la composition de cette croissance économique et de la répartition des avantages de celle-ci. Lorsque je parle du concept de population active, je m'intéresse principalement à la composition de la croissance économique.
S'il est exact que nous assistons à une polarisation des bons emplois et des mauvais emplois, comme on nous l'a affirmé plus tôt, si nous assistons à une diminution rapide du nombre d'années qu'un travailleur appartenant aujourd'hui à la population d'âge actif peut prévoir consacrer au travail, selon le sens traditionnel de ce mot, et si, par exemple, la proportion d'hommes adultes appartenant à la population active diminue, il est évident que les gens appartenant à ce qu'on appelle la population d'âge actif, quel que soit le sens donné à ce concept, vont consacrer beaucoup de temps à des activités qui ne seront pas mesurées comme des activités économiques contribuant à la croissance économique.
À mesure que l'âge moyen de la population augmente, la demande change à l'égard des biens et services qui constituent le PNB. La demande en soins de santé augmentera. Par conséquent les services et activités vont changer; ils ne seront pas toujours nécessairement mesurés comme des contributions à la croissance économique et risquent de ne pas pouvoir servir de base à des investissements rentables.
Étant donné que nous avons tous avoué nos formations et déformations professionnelles, je poserai ma question d'un point de vue statistique puisque je suis économiste de formation. Je voudrais savoir ce qui, à des fins statistiques, définit un travailleur appartenant à la population active, ce qui constitue une activité productive contribuant à la croissance économique et ce qui permet de mesurer quelle portion de cette croissance économique sera partagée entre ceux qui en auront besoin, et dont, selon toute probabilité, les aînés représenteront une plus grande proportion qu'aujourd'hui.
C'est Susan McDaniel qui a abordé le plus directement cette question. J'aimerais savoir ce que signifie appartenir à la population active. Ce concept devra-t-il être révisé? Est-il déjà en train de changer? Ce changement a-t-il un impact sur les autres éléments dont nous parlons ce matin?
Mme McDaniel: Vous touchez un point crucial, surtout lorsque vous parlez de mesures statistiques. J'ai été appelée à conseiller Statistique Canada de diverses façons quant à la mesure du travail rémunéré ou non et quant à l'agencement des différentes sortes de travail.
Je pense aussi à la recherche que j'ai faite sur le vieillissement de la population active. Pour la première fois, je n'ai pas demandé aux répondants de choisir exclusivement une seule catégorie d'occupation parmi diverses possibilités comme au foyer, à la retraite, à la recherche d'un travail, retiré du marché du travail, en chômage, etc. Les participants pouvaient choisir plusieurs catégories et ils sont étonnament nombreux à l'avoir fait. Cette recherche portait sur un échantillon aléatoire de la population de l'ensemble de l'Alberta. Un nombre surprenant de personnes ont choisi cinq ou six catégories indiquant ainsi qu'elles étaient tout à la fois des personnes qui cherchaient un logement, qui occupaient un poste à temps partiel et cherchaient un autre emploi ou même qu'elles étaient aussi des travailleurs autonomes.
Ceci nous amène facilement aux données statistiques que vous recherchez et je crois que c'est crucial pour l'élaboration de systèmes de signification lesquels sont aussi un autre élément de ce dossier. Que signifie le fait d'avoir une proportion X de personnes au-dessus de 65 ans au sein d'une population? Qu'est-ce au juste que le travail?
Si quelqu'un se perçoit comme un travailleur contribuant à l'économie et si, du point de vue de la comptabilité publique, son travail est considéré comme un apport à l'économie, qu'il soit rémunéré ou non, cette personne peut se considérer, et la société peut la considérer, non pas comme un fardeau mais plutôt comme un membre actif. C'est précisément ce dont les femmes au foyer parlent depuis des années, mais c'est également ce dont parlent les retraités.
Bon nombre de retraités ne veulent pas être considérés comme une charge. Quelle charge sont-ils pour la société? Ce n'est pas comme s'ils avaient contribué en tant qu'enfants et adultes et qu'ils ne contribuaient plus. Ils ont encore quelque chose à apporter.
C'est pourquoi je pense que le concept de fardeau et de dépendance est également fortement lié à votre question.
M. McKie: Je pense également que c'est important. La définition officielle de l'activité de la population active est rigide et n'a pas changé depuis de nombreuses années. Chacun sait qu'il y a toutes sortes d'activités qui n'en font pas partie.
Si nous étions tous prêts à reconnaître que l'ensemble de la vie sociale est beaucoup plus vaste que l'activité économique et si nous accordions la même importance à, par exemple, des sondages nationaux sur l'utilisation du temps, nous pourrions rectifier cette situation. Mais il n'existe qu'un instrument de ce genre actuellement, et il vient d'être réduit d'une fois par an à une fois tous les deux ans dans le cadre du processus de restrictions budgétaires. Cela montre à quel point cette vision plus large est importante dans toute cette question. C'est un aspect plus limité et pour lequel on procède à moins de consultation.
Il me semble que vous proposez en fait de reconnaître que la vie en société dépasse de loin ce que les mesures de l'activité économique tendent à suggérer ou à démontrer. J'aimerais réellement parler en faveur de ces mesures plus larges qui renforceraient, l'estime de soi et le sentiment d'identité des personnes qui n'appartiennent pas à la population active telle qu'elle est définie officiellement en leur permettant d'attribuer une certaine valeur à leurs activités quelles qu'elles soient et d'en retirer une satisfaction personnelle.
Il peut s'agir simplement de livrer des repas à domicile à des personnes malades. C'est un aspect très important dans notre société et le deviendra encore plus. La simple capacité de se retrouver dans une statistique officielle peut être une source d'estime de soi.
Pour le moment, vous demandez à ces gens de s'acquitter de ces fonctions - conduire des véhicules pour la Société du cancer, livrer des repas - non seulement sans rémunération mais également sans être reconnus pour ce travail, et dans une certaine mesure en étant stigmatisés comme des gens qui retirent des avantages de l'ensemble du système, ce qui n'est vraiment pas le cas.
C'est pourquoi je suis tout à fait d'accord sur le fait que l'activité sociale représente beaucoup plus que la simple activité économique.
M. Myles: Il s'agit d'un aspect important. Je crois savoir que Statistique Canada envisage en fait plusieurs possibilités d'ajouter des évaluations du travail non rémunéré dans les comptes nationaux. C'est donc quelque chose de très sérieux et à quoi on s'intéresse.
Mais dans une perspective historique, je me demande dans quelle mesure les services consommés par les personnes âgées sont plus susceptibles d'être commercialisés que les services consommés par les enfants; par exemple, dans les années 1950, au moment du baby boom, les soins donnés aux enfants par les mères n'étaient pas du tout mesurés.
Dans une société vieillissante, compte tenu du fait qu'une partie fortement accrue des services que les personnes âgées consomment, que ce soit la préparation des repas, l'aide au foyer et ainsi de suite, deviennent des «produits» commercialisés ou fournis par les services publics, je me demande si en fait on ne prend pas la direction opposée.
Le président: Autrement dit, il y a davantage de choses mesurées que de choses non mesurées?
M. Myles: D'après votre question, le passage d'une population jeune à une population vieillissante entraîne une modification de la demande des biens et des services, car les personnes âgées ne consomment pas la même chose que les enfants.
Je voulais dire simplement que, dans une perspective historique, on peut probablement avancer que les biens et les services consommés par les personnes âgées sont plus susceptibles d'être mesurés dans les comptes nationaux comme étant commercialisés ou assurés par le secteur public par des membres de la population active que les services consommés par les enfants.
Le président: D'une certaine façon, cela vient appuyer ce que je disais auparavant, dans la mesure où si davantage de biens sont mesurés comme des biens consommés mais non comme des biens produits... Ce dont nous parlions auparavant, ce n'est pas seulement la question de la mesure, c'est une question conceptuelle au sens où, si cela fait partie de l'économie parallèle - et les personnes âgées ont besoin d'un revenu qui intègre l'économie monétaire - il ne suffit pas de le reconnaîre; il faut trouver un moyen de faire en sorte que cette production soit prise en compte pour répondre aux besoins qu'aura la population lorsqu'elle atteindra cet âge. C'est ce que je voulais dire.
Je n'ai donc pas de réponse à cette question, mais je pense que la discussion que nous avons eue ce matin, si je peux la résumer, montre à quel point tout cela est relié. Lorsque nous parlons du vieillissement de la population et des pensions, nous ne parlons pas uniquement des personnes âgées, nous parlons également du reste de la société et de l'économie qui va suivre.
Voici sans doute un bon moment pour nous arrêter, puisqu'il est midi. Nous reviendrons cet après-midi pour parler plus directement du système des pensions au Canada.
J'aimerais remercier nos trois panelistes ainsi que le comité pour leur contribution de ce matin.
Nous serons de retour à 13h30 pour poursuivre cette discussion. Merci.
La séance est levée.
SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI
Le président: La séance de cet après-midi est ouverte. Nous pouvons peut-être commencer.
Nous attendons toujours le troisième de nos intervenants de cet après-midi, M. Ken Battle. Il est censé arriver très bientôt. Nous allons commencer pour ne pas prendre trop de retard, il prendra la discussion en chemin.
[Français]
Nous allons commencer cet après-midi, comme ce matin, par trois présentations suivies de questions et d'une table ronde à la fin de l'après-midi. Notre premier conférencier sera André Lux, qu'on a déjà présenté ce matin.
M. Lux: Monsieur le président, messieurs, madame, je suis heureux de pouvoir mettre mon grain de sel dans ce débat, même si je ne suis pas un expert.
Mon expertise est de ne pas en avoir, de flotter entre la sociologie, l'économie et la démographie en me rappelant parfois mes études de philosophie. Alors, j'aurai des propos un peu nuageux par moments.
J'essaierai de faire le lien entre l'atmosphère de ce matin et les propos peut-être plus techniques qui viendront de mes deux collègues.
Au préalable, je voudrais dire une chose qui est probablement évidente pour tout le monde ici. C'est que ce processus de vieillissement de notre société riche, et du Canada en particulier, est un processus irréversible. Nous ne pouvons pas le modifier en profondeur.
Je ne dirais pas que notre population est condamnée à vieillir parce que je suis relativement d'accord avec ma collègue de droite que ce vieillissement est en partie le fruit du succès de notre civilisation et qu'en tout état de cause, le monde étant fini, il n'y a pas de place pour 250 milliards d'habitants sur notre planète. Donc, il faut bien s'arrêter de croître un jour. Pour des raisons mathématiques, on est devant le dilemme «croître ou vieillir». Comme on ne peut pas croître indéfiniment, il faudra bien vieillir, comme société, bien entendu.
Quant à l'ampleur de ce vieillissement, le seul problème qu'ont les démographes, c'est de bien choisir leur scénario. On peut leur reprocher de ne pas l'avoir toujours bien fait dans le passé, mais personnellement, je ne leur reprocherais pas de ne pas avoir prévu le baby boom, mais un peu plus de ne pas avoir prévu le baby bust parce que ce deuxième choc était bien davantage prévisible. Il nous ramenait dans une tendance séculaire, à la baisse.
J'ai ici surtout des chiffres relatifs au Québec, mais à des décimales près, ils s'appliquent aussi au Canada. Alors que la population de 65 ans ou plus était de l'ordre de 10 p. 100 au début de 1990-1991, elle sera de 22 à 30 p. 100 en l'an 2040, selon des scénarios démographiques.
Mais, même dans un scénario de fécondité qui remonterait à 2,1 enfants par femme, avec une immigration nette de 10 000 immigrants et avec une légère augmentation de l'espérance de vie, on atteindrait 21 p. 100, et cette croissance est beaucoup plus rapide au quatrième âge que je vais situer arbitrairement à 80 ans et au-delà. Il y avait moins de 2 p. 100 de personnes très âgées au début de cette décennie; il y en aura autour de 4 p. 100 en l'an 2040.
Je me suis amusé - parce qu'il faut bien s'amuser quand on est professeur ou chercheur - à faire un petit modèle sans prétention pour voir ce qui arrivera à certaines dépenses de l'État d'ici l'an 2040.
J'ai choisi cinq scénarios démographiques empruntés au Bureau de la statistique du Québec et je les ai combinés à trois scénarios économiques, le scénario A étant celui où les taux d'activité, par âge, restent à leur niveau de 1986, et le scénario B étant celui d'une mobilisation de nos ressources humaines se traduisant par une augmentation de la population active de l'ordre de 15 p. 100 d'ici 2011 et de l'ordre de 25 p. 100, d'ici 2040. Nous verrons, comme cela a déjà été dit ce matin, que cette mobilisation de nos ressources est un facteur important pour atténuer au moins la croissance des dépenses de l'État et de la charge qui pèsera sur les épaules des contribuables. Le scénario C est celui où il y aurait progressivement un doublement de la productivité jusqu'à l'an 2040.
Mon intention n'est pas de vous bombarder de chiffres. D'ailleurs, je ne suis pas en état de le faire après un bon lunch. Heureusement qu'il n'y avait pas de vin. Il faut voir ce qui arriverait aux dépenses de l'État et à la charge qui incomberait aux contribuables si l'on pouvait agir sur trois ou quatre variables stratégiques. Deux de ces variables sont démographiques: l'accroissement de la fécondité et l'augmentation de l'immigration. Deux sont économiques: l'accroissement du taux d'activité et l'accroissement de la productivité. J'ai un tas de chiffres, mais je n'ai pas le temps de les énumérer.
Ce qui serait frappant si on pouvait le faire, mais je vous dirai que le gouvernement ne peut guère le faire, ce serait de constater qu'il y a une hiérarchie dans l'efficacité théorique de la manipulation de ces quatre variables.
Je ne prétends pas vous lire l'Évangile. J'ai lu d'autres études où intervenaient trois de ces quatre variables et elles n'étaient pas classées de la même manière que chez moi. Tout dépend des hypothèses que l'on choisit beaucoup plus que des calculs que l'on fait.
Au point de départ, et je tiens à le dire, j'ignorais à quoi j'aboutirais. Mon étude n'a donc pas été guidée par du wishful thinking, du moins je l'espère, car contrairement à ce qu'on pourrait croire, dans les sciences humaines et en particulier dans la démographie, les positions idéologiques ne sont pas absentes même si on n'est pas toujours conscient qu'on est manipulé par sa propre idéologie. Je ne donne pas au mot «idéologie» un sens péjoratif. Que ferait-on sans idéologie, sans système de valeurs!
Pour laisser plus de temps à la discussion, je vais simplement donner le résumé de cela, en vous disant que de ces variables, celle qui s'est avérée la plus efficace ou la moins inefficace est l'accroissement de la fécondité. Quand je dis «accroissement de la fécondité», je parle de celle qui était au Québec, en 1986, de 1,5 enfant par femme, en passant par 1,8 jusqu'à 2,1, qui est le taux de remplacement, sans plus.
Venait ensuite l'accroissement du taux d'activité ou la mobilisation de la population adulte. Nous savons tous qu'une partie importante des adultes, pour diverses raisons, ne travaille pas, n'est pas gagneuse de revenu, n'est pas productive. On a fait allusion à la tendance actuelle qui consiste à toucher sa pension de plus en plus jeune. Cette tendance répond à des objectifs à court terme alors qu'on a des problèmes d'emploi et de chômage. On trouve une solution relativement facile en poussant les moins jeunes hors du marché du travail avec des systèmes de prépension ou que sais-je. Il va sans dire qu'à moyen et surtout à long terme, cette solution est catastrophique.
Sans entrer dans le détail des chiffres et des calculs, je résumerai cela en disant que plus une population vieillit, moins elle a le droit de se reposer. Nous devrons être d'autant plus actifs, d'autant plus imaginatifs que notre âge médian sera élevé. C'est paradoxal peut-être: si l'individu a le droit de se reposer quand il devient vieux, une société doit devenir de plus en plus active au fur et à mesure qu'elle vieillit.
En troisième lieu, il y a l'immigration. Quant à l'immigration, il est unanimement reconnu par les démographes qu'elle a un effet relativement faible sur la structure d'âge. En d'autres mots, si nous désirons freiner le rythme du vieillissement de notre société, ce n'est certainement pas par l'immigration que nous devrions le faire. L'immigration a d'autres avantages.
Dans la mesure où nous avons une fécondité inférieure au taux de remplacement, ce déficit démographique peut être comblé par une immigration accrue. Donc, de ce côté-là, une politique d'immigration a un avantage. Je ne dis pas que c'est le seul.
Enfin, il y a l'accroissement de la productivité, qui est réellement l'arme, je n'oserais pas dire, absolue. Il est bien évident que face à l'accroissement des charges, psychologiquement et subjectivement, il sera moins difficile d'accepter de perdre un morceau important de notre revenu brut sous forme de contributions à toutes espèces de caisses de sécurité sociale si la part du gâteau que nous recevons est plus grande, du moins objectivement, parce que subjectivement, il n'y a rien de plus aléatoire que la réaction des contribuables aux charges fiscales.
Que ne serions-nous heureux si nous avions à payer des impôts à l'américaine, et pourtant, c'est aux États-Unis, avant le Canada, que s'est déclenchée la révolte des contribuables. Bien des Européens seraient contents d'être en Amérique du Nord. Ils paieraient moins de cotisations à la sécurité sociale. Donc, tout cela est très relatif.
J'ai dit qu'en principe, ce sont des variables dont la modification pourrait entraîner des allégements. En pratique, du moins lorsqu'on est l'État ou le gouvernement, il est peu probable que l'on puisse développer une politique axée sur ces variables, les trois premières du moins.
En effet, pour ce qui est de la fécondité, les avis divergent, mais dans l'ensemble, on estime que le gouvernement ne peut avoir qu'une action indirecte, c'est-à-dire créer des conditions moins défavorables à la venue des enfants dans les ménages. Mais le gouvernement ne pourra jamais convaincre les couples - et encore moins les femmes - d'avoir des enfants si elles ou ils n'en désirent pas.
Le gouvernement du Québec, il n'y a pas si longtemps, avait décidé de faire un cadeau aux nouveaux-nés ou plutôt à leurs parents: 500$. Exactement neuf mois après, il y a eu une pointe dans les naissances. Les gens se sont dit: Mon Dieu que c'est efficace! Mais la pointe a disparu pour la bonne et simple raison que les couples, les jeunes couples qui n'ont pas trop confiance dans le gouvernement, se sont dit: «On nous offre un cadreau aujourd'hui, prenons-le! Nous voulions un enfant dans 18 mois, mais fabriquons-le tout de suite parce que dans 18 mois, le cadeau aura peut-être disparu.» C'est presque anecdotique comme exemple, mais ça montre que l'action du gouvernement ne peut pas être une action directe.
On pourrait donner l'exemple de la Suède, dont vous savez peut-être que la fécondité, de façon tout à fait inattendue, a monté jusqu'à 2,2 enfants par femme. C'est un chiffre du moment, un chiffre de l'année, et il ne faut pas mésinterpréter. Manifestement, l'État suédois a, globalement parlant, une politique plus favorable à la venue des enfants. Il ne l'a probablement pas faite dans un but démographique ou dans un but d'équité sociale, mais elle a probablement contribué au relèvement de la fécondité.
Parlons de la mobilisation des forces vives du pays. Par l'augmentation des taux d'activité, c'est plus problématique; par le retardement de l'âge de la retraite, l'État n'a pas de moyens directs d'agir. Pourquoi? Parce que cette variable-là dépend, dans ses mouvements, de toute une série d'autres variables et plus particulièrement de l'ensemble de la qualité du dynamisme économique d'une société.
De ce côté-là, personnellement, je suis un rien pessimiste. On a montré tantôt des graphiques sur le vieillissement et sur la perte de vitesse de certains secteurs économiques. Or, les jeunes générations, celles qui se préparent à la vie adulte, s'y préparent très mal. Au Québec, de 25 à 40 p. 100 des jeunes quittent l'école avant la fin du secondaire. Quel métier vont-ils faire plus tard? Il faudra qu'ils réintègrent leur système scolaire avec plusieurs années de retard. On ne peut donc pas trop espérer que ces gens seront employables facilement au XXIe siècle.
Je voudrais d'ailleurs, à ce sujet-là, faire une remarque qui peut paraître paradoxale. Nous sommes braqués sur le problème des personnes âgées et sur ses implications financières et nous nous demandons comment l'État canadien devrait faire pour assurer des pensions décentes aux personnes âgées. Plusieurs experts, et j'ai envie de mettre le mot «experts» entre guillemets dans ce cas-là, nous disent: «L'augmentation des charges dues au vieillissement sera en partie compensée par la diminution des charges attribuable à la diminution du nombre de jeunes. La scolarité va coûter moins cher.»
Je m'inscris totalement en faux contre cette affirmation, pour deux raisons. La première, c'est qu'en tout état de cause, les frais fixes ne diminuent pas au rythme du nombre d'étudiants. Cela diminue, bien sûr, mais par palier. À cause du défi économique auquel fait face le Canada dans le système de mondialisation de l'économie et compte tenu du retard que nous avons pris à bien des égards en vivant au jour le jour, nous allons devoir faire un effort extraordinaire pour mettre à jour les jeunes générations en vue de leur permettre de relever le défi.
Cette mise à jour demande un réforme scolaire importante, et je vois mal comment elle ne se traduirait pas par des hausses plus ou moins importantes des coûts.
Je sortirai un autre paradoxe. On reconnaîtra la volonté d'une société de soigner ses personnes âgées à sa capacité d'investir dans sa jeunesse. Ça peut paraître paradoxal pour résoudre les problèmes du haut de la pyramide: on nous demande ou on devrait nous demander de donner une relative priorité aux jeunes.
Certains psychologues - je ne sais pas s'ils ont raison - affirment que c'est à l'âge de deux ans ou en tout cas avant l'âge scolaire que toutes les capacités et tout le profil psychologique des enfants sont établis une fois pour toutes. On a donc, à l'âge préscolaire, une occasion extraordinaire d'optimiser le potentiel des tout jeunes.
Or, il faut bien le reconnaître, c'est le dernier des soucis de nos gouvernements. Nous payons un chauffeur d'autobus 60 000$ à Laval, près de Montréal et plus de 50 000$ à Québec pour faire un travail qui demande deux mois de préparation, et encore je suis gentil. Cependant, les personnes qui s'occupent des enfants d'âge préscolaire, qui comme par hasard sont surtout des femmes, ont des salaires à peine supérieurs au minimum vital, enfin au minimum officiel. Dans leurs rangs, il y a ou bien des gens qui ont la vocation - ça arrive encore - , ou bien des gens qui ne peuvent pas faire mieux que de garder des enfants. Il ne s'agit pas de garder des enfants. Il s'agit de leur donner la première formation qui leur permettra, à l'école primaire, secondaire et au-delà, de performer de façon à devenir plus productifs.
Ceci me ramène à la quatrième variable. Je n'en dirai pas plus ici, sinon que les effets du vieillissement sur les contributions fiscales, au sens large du mot «vieillissement», ne seront pas effacés par l'accroissement de la productivité. Il n'est pas difficile de démontrer qu'en matière de pourcentage, la charge restera la même, à moins de supposer qu'en l'an 2040, les pensionnés toucheront un revenu égal à 50 p. 100, non pas du revenu de 2040 ou de 2030, mais du revenu de 1991, ce qui est évidemment absurde.
Les pensions que nous touchons maintenant sont un pourcentage du revenu réel d'aujourd'hui et non pas du revenu réel touché en 1950. Or, dans plusieurs des publications sur les conséquences du vieillissement, c'est un facteur qui semble avoir été oublié.
Ceci m'amène à faire quelques remarques et à prendre quelques distances vis-à-vis de certaines des affirmations faites ce matin. Je ne prétends pas avoir raison.
Madame McDaniel a souligné qu'un grand nombre d'études avaient été faites cherchant à mesurer les conséquences du vieillissement et que toutes ces études-là aboutissaient à des conclusions relativement optimistes. Pourtant, il y en a d'autres qui arrivent à des résultats relativement pessimistes.
Je ne connais pas les quotients intellectuels respectifs des auteurs de ces différentes études, mais je présume qu'ils ont tous un quotient intellectuel d'au moins 120, 125 et peut-être plus. Ils sont tous intelligents et intègres et je me pose une question: Serions-nous dans la tour de Babel? Comment se fait-il que des gens intelligents, qui ont toutes les statistiques à leur disposition, aboutissent à des résultats sinon contradictoires, du moins très écartés les uns des autres? J'avoue que je n'ai pas la réponse sauf pour quelques éléments que je voudrais jeter en pâture à votre curiosité. Je reprendrai le profil sur l'évolution du taux de dépendance que Susan nous a montré ce matin.
On a vu que ce taux de dépendance avait baissé jusque vers 1990. C'est vrai qu'il baisse, mais c'est une mauvaise mesure. En effet, on met sur un pied d'égalité deux sortes de dépendants: les jeunes et les vieux. Or, vous avez très bien vu, dans ce graphique, que la part des jeunes diminue et que celle des vieux augmente dans ce taux de dépendance.
Les études de l'OCDE ont montré, pour la fin des années 1980 ou le début des années 1990, qu'une personne retraitée de 65 ans ou plus, grosso modo, coûtait à l'État 2,73 fois plus qu'un jeune. Si on modifiait le graphique en tenant compte de ce coefficient de pondération, on aboutirait à un résultat sensiblement différent.
Dans ces projections optimistes, il y a aussi des hypothèses optimistes. Je reprendrai ici le calcul qui a été fait par la Société des actuaires du Québec et publié en 1989 sur la manière dont devraient évoluer les cotisations à la Régie des rentes du Québec qui, à l'origine, étaient de 3,6 p. 100. Ils ont constaté que dans l'hypothèse d'une fécondité de 1,8 enfant par femme, ce qui est déjà trop optimiste au Québec, en supposant qu'on atteindrait progressivement le plein emploi en 2013 - c'est mal parti de ce côté-là et il y a des hypothèses qui m'échappent - il faudrait relever les taux de cotisation jusqu'à 13,4 p. 100 en l'an 2035 pour maintenir un coefficient de 1,2 entre les entrées et les sorties de la caisse. Au fait, 13,4 par rapport aux 3,6 p. 100 de maintenant, c'est quand même une augmentation sensible. Ça fait quand même un triplement des cotisations. Comme on l'a dit ce matin, ce n'est pas la mort, mais ce n'est pas rien non plus.
Dans certaines de ces études optimistes, on a pensé que les coûts des prestations en dollars constants resteraient eux aussi constants. À ce moment-là, s'il y a progrès économique, si nous sommes plus productifs comme adultes et que nous avons à payer en coûts réels ce qu'on paye aujourd'hui, la situation s'améliore.
Mais qui nous fera croire que les coûts de la santé en l'an 2030, en dollars constants, seront ceux d'aujourd'hui? Si la société canadienne s'enrichit, je vous jure que les médecins ne seront pas les derniers à venir frapper à la porte pour exiger leur part de l'accroissement du gâteau, non plus que les compagnies pharmaceutiques et, je l'espère, les infirmières. En d'autres mots, le secteur de la santé va coûter plus cher parce que les moyens de la société seront plus grands si nous sommes plus riches. Ce n'est pas simplement que les non-médecins seront plus riches.
Comme le disait Jacques Henripin, professeur de démographie à Montréal, une des déficiences possibles de ces études optimistes - et il se référait à celle de Fellegi, qui est probablement la plus rigoureuse de toutes - , c'est d'avoir pensé qu'il suffisait que la productivité augmente globalement dans l'économie pour que la charge des pensions soit plus supportable. Or, il prétend qu'il faudrait un accroissement spécifique de la productivité dans le seul secteur de la santé pour entraîner une diminution ou une moindre augmentation de la charge. Je ne sais pas s'il a tout à fait raison, mais en tout cas...
Si j'avais une suggestion à faire à des gens qui ont de l'argent pour financer des colloques, je leur demanderais de lancer une invitation à tous les auteurs de ces études pour qu'ils viennent débattre ensemble de leurs divergences. Franchement, c'est quelque chose de tout à fait anormal. J'avoue que j'ai de la peine à comprendre comment on y arrive. Il vaudrait la peine, pour des raisons de politique, d'arriver à se mettre d'accord et de voir où il y a des failles. Ça demanderait peut-être un peu d'humilité chez chacun. Il arrive qu'on en ait chez les intellectuels. Ce n'est pas garanti, mais voilà!
Pour terminer, parler des pensions, parler du vieillissement en se braquant sur le problème des pensions, sur le problème de la santé, etc., c'est faire fausse route, si on oublie le contexte. Une chose qui m'a frappé dans toutes les lectures que j'ai faites - heureusement, je n'ai pas lu toutes les études - , c'est qu'en parlant de ces questions-là, on ne faisait jamais allusion à la situation dramatique des finances publiques, alors que c'est avec les finances publiques qu'il faut financer et les pensions et la santé. Voilà que brusquement, à cause des pressions parfois monétaires et que sais-je, le gouvernement canadien et les gouvernements provinciaux n'ont plus qu'une seule religion et c'est d'abaisser «au plus sacrant» - excusez l'expression - les dépenses de l'État.
On voit à Québec aujourd'hui les gens manifester. Ils se réveillent enfin, parce qu'on veut fermer des dizaines d'hôpitaux. Je ne sais pas si le gouvernement du Québec sait lire les statistiques - j'espère que oui - , mais on sait très bien combien il y aura de personnes âgées d'ici 10 ans. Je vous jure qu'on devra réouvrir les hôpitaux qu'on aura fermés entre-temps. Est-ce que fermer, réouvrir dans 10 ans et tout remettre en ordre est la meilleure façon de procéder? C'est bien douteux.
J'ai déjà dit ce que je pensais du problème des jeunes, mais il reste un dernier point. On ne fait que parler de coupures. Où pourrait-on bien couper sans que cela fasse trop mal aux pauvres Canadiens? Je n'ai pas entendu parler d'augmentation des ressources de l'État. Vous allez me dire: «C'est impossible, car nous sommes déjà surtaxés». D'accord, moi, je suis surtaxé et vous l'êtes probablement, mais il y a un tas de gens qui ne sont pas surtaxés.
On a fait des évaluations de la proportion de l'assiette fiscale qui ne rentre pas dans les coffres. Si les États provinciaux et fédéral simplifiaient leur système fiscal, ils pourraient confier à une partie de leurs fonctionnaires la chasse aux impôts qui ne rentrent pas.
D'autre part, il y a des avantages fiscaux absolument non justifiés qui vont non pas aux plus pauvres, mais évidemment aux plus riches. Je me suis fait dire - je ne sais pas si c'est vrai - qu'en 1992, la somme des subventions fédérales aux grandes entreprises et des abris fiscaux aux mêmes grandes entreprises se serait élevée à 40 milliards de dollars. Si c'est vrai, c'est à peu près le montant du déficit fédéral de cette année-là. Est-ce que c'est vraiment justifié?
On sait les avantages que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ont donnés à l'industrie pharmaceutique. Ces jours-ci, on parlait du fait que l'industrie pharmaceutique n'avait pas utilisé la subvention pour faire vraiment de la recherche et du développement.
Mais que voulez-vous - là je vais être méchant, mais cela m'est égal - , aussi longtemps qu'un gouvernement, en particulier le gouvernement fédéral, aura comme ministre des Finances quelqu'un qui provient du milieu de la haute finance et de la grande industrie, et c'est la règle générale dans la plupart de nos démocraties, en tout cas en Amérique du Nord, il sera extrêmement difficile d'obtenir de ce gouvernement une révision sérieuse du système fiscal dans le sens de plus d'équité.
Et pourtant, je suis profondément convaincu, avant même de faire les calculs, que si on ne fait pas cela, nous n'aurons pas assez de ressources pour maintenir et financer des services décents aux plus démunis et à la moyenne des citoyens.
On a dit ce matin que le système de pensions du Canada était très peu généreux. Rien que pour le maintenir comme il est, avec l'augmentation du nombre absolu de personnes âgées, il va falloir aller chercher de l'argent quelque part. On va le chercher chez les plus faibles: on diminue les allocations d'assurance-chômage parce qu'on sait que les chômeurs ne constituent pas un lobby bien puissant à Ottawa ou dans les gouvernements provinciaux.
Il y a une injustice fondamentale dans le système qui est de plus en plus géré par des oligarchies. On n'a pas besoin d'être communiste, membre d'un parti social-démocrate ou néo-démocrate pour faire ces constatations-là. Je vous remercie.
Le président: Merci, monsieur Lux, pour votre présentation.
[Traduction]
Avant de passer à l'intervenant suivant, je voudrais vous présenter Ken Battle, du Caledon Institute, qui est arrivé pendant l'exposé du professeur Lux et qui sera le dernier conférencier de l'après-midi.
Je vais maintenant donner la parole au professeur Robert Brown, avant le dernier exposé de l'après-midi.
Professeur Brown, vous pouvez commencer.
M. Brown: Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai apporté quelques diapositives de mes vacances d'été de ces dernières années. Bien entendu, en tant que professeur, je passe mes vacances d'été à faire de la recherche qui ne peut être entreprise entre septembre et avril. C'est de cela que je vais parler.
Pour commencer, j'ai quelques remarques de caractère général qui ne transparaissent pas nécessairement des diapositives.
Premièrement, il faut bien voir que le chiffre de 65 ans n'a rien de particulièrement magique. Les gens n'entrent pas dans la population active à la fin de leurs études, pour travailler 40 heures par semaine jusqu'à l'âge de 65 ans, et s'asseoir le lendemain matin sur une plage. Les gens entrent et sortent de la population active. Ils prennent leur retraite à des âges divers, 53 ans, 61 ans et 78 ans. Il faut cesser de penser que l'âge de 65 ans est la ligne de démarcation entre deux mondes. Ce n'est pas vrai.
Deuxièmement, l'état du système de sécurité sociale est lié directement à l'état de l'économie. Dans une économie saine, on a les moyens de payer tout ce qui nous semble socialement souhaitable. Il faut avoir une économie saine pour avoir un système de sécurité sociale sain. Il faut créer des richesses avant de pouvoir les distribuer. C'est véritablement la clef de mon propos aujourd'hui.
Troisièmement, avant qu'une population puisse se sentir en sécurité et donc jouir de la sécurité sociale, elle doit se sentir assurée de recevoir les prestations. Si cette certitude n'existe pas, on ne peut pas parler de sécurité. Je pense que les Canadiens peuvent obtenir ces prestations et les obtiendront. J'espère que, grâce au Livre blanc et au travail de ce comité, on pourra convaincre les Canadiens que la sécurité sociale existe pour eux.
Voilà mes remarques générales.
On vous a dit que le vieillissement de la population était déterminé par deux facteurs. Le premier est l'espérance de vie qui s'est considérablement allongée au cours de ce siècle. On connaît maintenant les chiffres de 1991 et ils sont de nouveau en hausse, si bien que nous allons tous vivre plus vieux.
Chaque fois qu'une cohorte voit son espérance de vie s'allonger, la valeur réelle de la sécurité sociale augmente. Nous touchons tous les prestations pour une durée plus longue et pourtant il n'y a aucune annonce le premier janvier disant que le Régime de pensions du Canada vient de s'améliorer parce que nous vivons plus longtemps. En fait, ce régime est en expansion et nul ne l'a jamais annoncé. Il faut en tenir compte.
On nous a dit également aujourd'hui que les facteurs les plus importants du vieillissement de la population sont l'évolution du taux de fécondité et du taux de naissance, les deux autres morceaux du puzzle démographique. J'ai ici juxtaposé les taux du Canada et ceux des États-Unis. D'après l'une des remarques qui ont été faites ce matin, si vous m'aviez embauché en 1930 pour prédire le taux de fécondité en 1993, j'aurais sans doute fait une série temporelle et vous aurais donné exactement la bonne réponse. Le seul problème est que je me serais complètement trompé au sujet de la période entre ces deux dates.
Il faut voir néanmoins que le taux de fécondité d'aujourd'hui correspond en fait à une tendance à long terme, ainsi qu'on nous l'a fait remarquer. Dans tous les pays riches et dynamiques, le taux de fécondité chute. À signaler également que notre courbe de fécondité est plus accentuée dans les extrêmes inférieurs et supérieurs que celle des États-Unis. Il n'y a pas que les Blue Jays qui sont les meilleurs; apparemment nous sommes également plus intéressants sur le plan démographique.
Je voudrais passer au taux brut de natalité, car ce sont-là les personnes en chair et en os qu'il nous faut financer, c'est d'elles qu'il s'agit ici. Je voudrais dire quelques mots au sujet de cette diapositive.
Premièrement, si vous pensez que le baby-boom a cinquante ans, cela revient à dire que le baby-boom a pris naissance en 1945. Je vous demande de regarder l'année 1945 avec cette petite excroissance qui est intervenue là. Je ne vais pas passer le restant de ma carrière de chercheur à analyser cette petite excroissance insignifiante. En fait, le baby-boom, comme vous pouvez le voir clairement, n'a pris fin qu'en 1966. Le plus grand nombre de naissances vivantes au Canada est intervenu en 1959, si bien que si je dois prendre un âge donné comme point de référence du baby-boom, j'utilise 36 ans. Si je dois utiliser une fourchette, celle que j'utilise aujourd'hui sont les âges de 29 à 43 ans.
Les derniers enfants du baby-boom ont aujourd'hui 29 ans. Ils sont encore en train d'essayer de faire leur entrée dans la population active. Ils ne sont pas sur le point de prendre leur retraite massivement. Cela explique bien des choses que l'on constate dans la réalité et qui sont inexplicables si vous attribuez l'âge de 50 ans aux enfants du baby-boom.
Je suis né en 1949. Je prétends ne pas être issu du baby-boom. Vous n'êtes pas forcé d'être d'accord avec moi. Je ne suis qu'un actuaire qui dit les choses à sa façon.
Vous voyez ici ce qui se passe à cause de ces fluctuations démographiques massives. Voici exactement à quoi ressemblait la population canadienne lors du recensement de 1986. Vous pouvez voir très clairement la génération de la flambée démographique suivie par celle de l'effondrement de la natalité. On peut même prédire à quoi la population allait ressembler cinq ans plus tard. C'est le travail que font les spécialistes de la démographie quantitative et voici ce qui apparaît cinq ans plus tard et qui était pas mal prévisible. La génération du baby-boom a maintenant cinq ans de plus et fait son chemin à travers la pyramide des âges comme un python avalant un cochon.
Vous pouvez voir tout de suite que nous sommes à un moment démographiquement très propice. Nous avons une importante population active et un nombre relativement plus restreint de jeunes d'âge scolaire, la génération de l'effondrement de la natalité. Mais en particulier, la cohorte des personnes agées que nous soutenons actuellement avec les prestations de santé et de sécurite sociale est celle de la dépression, une cohorte très restreinte. Donc, démographiquement, nous sommes au moment le plus favorable pour ce qui est de ces coefficients dont on ne cesse de parler.
Mais qu'adviendra-t-il plus tard? Voici ce à quoi le Canada devrait ressembler en l'an 2031. La génération du baby-boom a pris sa retraite. C'est la génération de l'effondrement de la natalité qui forme maintenant la population active et les coefficients de financement ont radicalement changé.
J'aimerais revenir sur quelque chose que j'ai dit il y a quelques instants. Le baby-boom a pris fin en 1966. Je vous rappelle que le Régime de pensions du Canada, le Régime de pensions du Québec, le Supplément de revenu garanti et la finalisation de l'assurance-maladie universelle sont réellement intervenus en 1966. Et c'est une ironie digne d'Hollywood et que l'on ne rencontre que dans la science actuarielle que d'avoir mis en place ces régimes de sécurité sociale munificents le jour même où la situation démographique qui rendait leur financement facile a cessé d'exister.
Mais y a-t-il une crise? Je ne le pense pas, encore que, si vous voyez mon scénario le plus pessimiste, vous pourriez peut-être lui appliquer le terme de crise. Mais poursuivons.
Je vous ai dit auparavant que le Canada a des sommets plus élevés et des creux plus bas dans sa courbe que les États-Unis. Il se trouve que, de tout le monde industrialisé occidental, le Canada connaît la plus forte fluctuation du nombre des personnes âgées de 65 ans et plus. C'est peut-être ce qui explique le changement de 40 p. 100 dont on a parlé ce matin. Si vous passez de 1985 à 2025, le changement est de l'ordre de 135 p. 100, et il n'est supérieur qu'en Inde, en Chine et à Hong Kong, mais ces pays n'ont pas fait de grandes promesses à leur population, du moins pas autant que nous. De tous les pays industrialisés occidentaux, c'est nous qui nous amusons le plus.
On nous a dit que la sécurité du revenu des retraités était un tabouret à trois pieds. Il y a les systèmes de pensions étatiques, les systèmes de pensions patronaux et les systèmes autofinancés. Bien entendu, les régimes de retraite patronaux et l'épargne individuelle ont aussi une composante fiscale à cause des avantages fiscaux qui leur sont consentis. Mais je pense qu'il importe d'opérer une évolution des mentalités et d'ajouter un quatrième pied à ce tabouret à trois pattes.
Il s'agira des revenus du travail. En raison de la fluidité de la retraite, qui n'intervient pas nécessairement à l'âge de 65 ans, et de l'évolution démographique, il faut commencer à faire entrer les revenus du travail dans le processus de planification des revenus des retraités. Je propose donc d'ajouter dans cette diapositive un quatrième volet.
Pour ce qui est des systèmes étatiques, ils sont multiples: Le régime de pensions du Canada ou celui du Québec, l'allocation de sécurité de la vieillesse, les suppléments de revenu garanti et l'allocation de pension de conjoint. Il y a des suppléments provinciaux tels que le supplément de revenu de la province de l'Ontario.
Sur le plan des revenus de retraite, on essaie de faire deux choses. D'une part, on établit un seuil de revenu pour éviter que nul ne sombre dans la pauvreté et, d'autre part, on vise un taux de revenu de remplacement légitime afin que les gens puissent prendre leur retraite avec un niveau de vie qui ne leur impose pas une trop forte transition.
La plupart des systèmes étatiques fournissent le filet de sécurité sociale et le seuil de revenus. Celui qui est lié au salaire antérieur et se rapproche du coefficient de remplacement est le régime de pensions du Canada et du Québec.
On voit très clairement ici que les systèmes étatiques offrent un coefficient de remplacement beaucoup plus élevé pour les personnes à faible revenu que pour les riches. Les riches doivent se tourner vers leur employeur ou leurs propres ressources pour combler l'écart entre ce que l'état offre et ce dont ils ont besoin pour assurer un coefficient de remplacement de 70 ou 75 p. 100.
Pour quelqu'un qui gagne au long de sa vie le salaire industriel moyen, les systèmes étatiques assurent un coefficient de remplacement de 40 p. 100. Dans mon esprit, ce n'est pas une coïncidence que ce coefficient soit virtuellement identique à ce que le système OASDI américain offre à un retraité ayant touché un salaire similaire.
Donc, où est le problème? Quelle est la grosse difficulté? Vous voyez ici peut-être le début de l'explication du problème. Les Canadiens ont décidé en 1966 - et je pense que, si j'avais été là, j'aurais probablement signé l'accord - qu'ils voulaient que le Régime de pensions du Canada et le Régime de rentes du Québec fonctionnent selon le principe de la répartition. Dans un régime de pensions à répartition, les cotisations qui rentrent le matin ressortent l'après-midi sous forme de prestations.
Il y a un petit fonds de capitalisation dans le Régime de pensions du Canada, d'un montant de 43 milliards de dollars, mais cela ne suffit réellement à couvrir que deux années et demi de prestations. C'est en fait un fonds d'urgence couvrant les imprévus, comme une hausse des prestations d'invalidité, afin d'éviter que le fond ne fasse faillite en l'espace de quatre ou cinq mois. On dispose ainsi de pas mal de temps - en fait lorsque les demande de pensions d'invalidité ont fait un bond, on s'est aperçu qu'on avait 20 ans avant de vraiment être confronté à une crise - pour résoudre le problème. C'est donc la raison pour laquelle il y a ce fonds auxilliaire, mais le système est essentiellement à répartition.
Lorsqu'on a une population vieillissante et un régime à répartition, les taux de cotisation doivent augmenter. Ils sont maintenant à 5,4 p. 100 - 2,7 p. 100 venant de l'employeur et 2,7 p. 100 venant de l'employé. Évidemment, si vous êtes travailleur indépendant, comme le sont de plus en plus de gens, vous êtes seul à payer les 5,4 p. 100, mais les provinces sont déjà convenues que le taux allait devoir passer à 10,1 p. 100 d'ici l'an 2016. Or, nous savons déjà que cela ne suffira toujours pas en raison de la hausse des prestations d'invalidité, ces taux de cotisations ne suffiront pas. Le taux devra passer à 14,2 p. 100 et la question est de savoir si la prochaine génération de Canadiens voudra payer. Toute la question est là et on peut en débattre, et ce n'est pas grand chose comparé aux problèmes du monde, et j'estime même que le problème n'est pas tant le taux absolu que la rapidité avec laquelle il change. Le gros problème politique est là.
Vous remarquerez qu'une fois par an les journaux publient l'augmentation du taux de cotisations au Régime de pensions du Canada, et on a ensuite toute une série d'articles pleins de récriminations concernant le RPC pendant une semaine. Comme je l'ai dit, ils ne font jamais état du fait que le régime prend de l'ampleur chaque année parce que nous vivons tous plus longtemps.
Voilà donc le type d'articles qui fleurissent dans la presse. Celui-ci a été publié dans le magasine Maclean's. Il est évident que la première génération à bénéficier du Régime de pensions du Canada a eu la part belle. Quelqu'un né en 1920 qui a atteint l'âge de 65 ans en 1985, retire 7$ de prestations en valeur actuarielle pour chaque dollar de cotisations. Pour quelqu'un né en 1960, le chiffre correspondant est de 2,60$ et pour quelqu'un né en 1980, le rapport est de 1 pour 1, mais ceux qui sont après 1980 peuvent légitimement se demander s'ils n'y perdent pas. Étant donné la situation démographique d'aujourd'hui et les taux d'intérêts réels dans le secteur privé, le RPC est peut-être une moins bonne affaire qu'un régime de pensions privé.
Je ne pense pas que les taux d'intérêt réels puissent rester aux niveaux de 5,5 et 6 p. 100 et je ne suis pas sûr que la situation démographique actuelle se maintienne, mais si c'est le cas, alors on peut dire que le taux de rendement serait supérieur dans le secteur privé pour les gens nés après 1980. Cela fera partie du débat et partie de la question qui vous est soumise.
Voici une diapositive montrant l'attitude de l'opinion publique canadienne. Pensez-vous que vous toucherez vos prestations du Régime de pensions du Canada? Dans le groupe le plus jeune, 29 p. 100 répondent oui; dans le groupe suivant, de 30 à 39 ans, 23 p. 100 disent oui. Un collègue me fait remarquer que ce taux de crédibilité de 23 p. 100 est environ le même que celui des gens qui croient aux objets volants non identifiés. À l'évidence, les plus de 65 ans sont persuadés qu'ils toucheront leurs prestations du Régime de pensions du Canada.
Mais ce n'est pas tolérable. Il n'y a pas de sécurité sociale si nul ne pense être protégé. Ce n'est pas de la sécurité. Si donc nous pensons que le régime fonctionnera - et c'est mon cas, je pense qu'il le peut - il faut convaincre les gens qu'ils peuvent se sentir en sécurité.
Voici ce qu'ils pensent aujourd'hui. Ils regardent les personnes âgées, qui touchent leurs 7$ de prestations pour chaque dollar de cotisations; et ils envisagent leur avenir, devant absorber le coût des régimes de pensions, de la sécurité de la vieillesse, des médicaments sur ordonnance et de l'assurance-maladie universelle; et s'ils se plaignent, on les vilipende. Toute cette histoire de la génération du «moi d'abord»... si j'avais vécu leur vie jusqu'à ce jour, moi aussi je me plaindrais un peu. Ils ont traversé la plage après le passage du raz-de-marée. Et cela a été comme un raz-de-marée. Avant leur arrivée, tout a été détruit. Je reviendrai là-dessus dans une minute.
Voici donc la réalité de l'impact que le vieillissement de la population aura sur les systèmes de distribution de la richesse. La ligne pointillée qui grimpe le moins représente la population effective. La ligne en tirets qui augmente de 70 p. 100, à droite du graphique, représente les coûts de santé déterminés uniquement par le vieillissement de la population. Cela n'englobe aucune hausse des prestations. C'est un modèle établi uniquement en dollars constants et en fonction du vieilissement de la population qui montre une hausse réelle de 70 p. 100 des coûts de santé et nous avons là seulement des augmentations réelles chiffrées en dollars constants. Regardez le transfert sur le plan des versements de pensions de retraite. On passe de l'indice 100 à l'indice 300 dans le même temps.
Les citoyens nous disent qu'ils ne sont pas sûrs que cela se fera. Sommes-nous assis sur une bulle? Pouvons-nous leur promettre ces prestations? En aurons-nous les moyens? C'est même rendu au point où les bandes dessinées des journaux en parlent. Vous savez que c'est grave lorsque cela devient un sujet de plaisanteries. Sally Forth dit «J'ai fait les calculs, Ted. Si nous ne commençons pas à économiser davantage, nous n'aurons pas assez d'argent pour notre retraite». Ted répond «As-tu tenu compte de la sécurité sociale?» Et tous deux s'effondrent de rire. Sally s'exclame: «Ah mon Dieu, elle est bonne celle-là!» Et son mari répond: «Ce n'est pas moi qui l'ai inventée. Ce sont nos parents qui nous ont fait cette farce».
Il se trouve que je ne suis pas d'accord, mais c'est là ce que pensent les gens. C'est ce que l'on entend dire dans les soirées.
Voici un autre dessin. On voit la chimère des pensions à l'horizon et les vautours qui regardent le pauvre type en train de travailler et qui disent «D'après les statistiques, il semble de plus en plus que ce soit un simple mirage».
N'est-ce qu'un mirage à l'horizon qui ne se matérialisera jamais? Je ne le pense pas; je pense que nous pouvons l'avoir. Mais voilà le mythe qui s'est répandu. Voilà le mythe qu'il va falloir détruire, et il n'y a rien de plus difficile que de détruire un mythe solidement fondé ou très répandu. Celui-ci n'est pas bien fondé, mais il est très répandu.
Pour ce qui est des régimes de pension privés, beaucoup de gens diront que si nous sommes dans cette situation, si nous avons ces problèmes, c'est dû au système de financement par répartition. Si seulement le régime avait été pleinement capitalisé, aucun de ces problèmes n'existerait. Les régimes pleinement capitalisés sont à l'abri des fluctuations démographiques.
Je ne suis pas d'accord. Si les régimes de pension continuent à percevoir exactement les mêmes cotisations qu'aujourd'hui, eux aussi finiront par manquer d'argent à cause du vieillissement de la population active. Mais ils sont correctement capitalisés, je ne dis pas le contraire. Mais au fur et à mesure du vieillissement de la population active, les taux de cotisation des régimes à prestations déterminées devront augenter et la capacité de financer les primes de retraite anticipée disparaîtra. En fait, en l'absence de toute modification des taux de cotisation, on serait en situation de liquidation nette des actifs des fonds de pension en 2026.
Une économie peut-elle liquider la totalité des actifs de ses régimes de pension privés en un très bref laps de temps? Quelles seraient les répercussions économiques? Si tout le monde veut s'arrêter de travailler et compte rester passivement assis sur une plage, qui va produire les richesses? D'où viendront les richesses que l'on veut consommer? Comment peut-on modifier ces taux aussi rapidement?
Si vous allez acheter votre rente en même temps que tous les autres, et si vous voulez vendre votre maison en même temps que tous les autres, quel prix allez-vous en retirer? Quel sera le taux d'inflation si l'on pense que tous les gens vont continuer à faire ce qu'ils font aujourd'hui? Ce sont des questions réthoriques, vous connaissez les réponses.
Revenons à cette idée de la génération du «moi d'abord». Je conçois le baby boom comme une vague en deux parties. J'ai eu la chance de faire partie des surfers. Je n'ai pu chevaucher la vague qu'à cause de la date de ma naissance, non parce que j'étais intelligent ou que j'avais l'esprit d'entreprise. Je suis né en avant de la vague.
Lorsque j'allais à l'école, c'était facile. Il y avait des quantités d'emplois. J'ai acheté une maison tant qu'elle ne coûtait pas cher. J'ai accumulé un gros capital dans cette maison. Mes collègues ont eu plusieurs promotions, tout à fait indépendantes de leurs compétences, simplement à cause de leur âge.
Pour tout ce que nous faisions, la vague démographique nous soulevait et nous projetait en avant. Ai-je un capital dans ma maison parce que je suis entreprenant et avisé? Non. J'ai un capital dans une maison parce que je suis né en 1949. Dieu, que j'étais intelligent.
La deuxième moitié de ce groupe est faite de gens qui ont pris pied sur la plage après que le gros de la vague soit passé. Ils ont eu de la difficulté à finir leurs études secondaires. Ils ont eu de la difficulté à entrer à l'université. Ils ont eu de la difficulté à trouver du travail. Lorsqu'ils ont acheté leur maison, les prix des logements étaient déjà élevés.
Vous souvenez-vous des taux hypothécaires en 1983? Ils étaient de 22 p. 100. Pourquoi? Eh bien, où étaient les enfants du babyboom en 1983? Ils achetaient tous des maisons. Quelle surpise? Aujourd'hui on leur dit qu'ils ne peuvent compter sur leur sécurité sociale. Eh bien, ce n'est pas juste.
On nous dit que la solution réside en partie dans le fait que les deux coefficients de dépendance sont des images inversées l'un de l'autre - que le coefficient de dépendance des jeunes diminue en même temps que le coefficient de dépendance des personnes âgées augmente. Ne serait-ce pas merveilleux si le transfert de richesse était de 1:1, car alors ce serait la solution. Il suffirait d'ajouter les deux et de montrer la courbe pour dire qu'il n'y a pas de problème.
Mais évidemment, le transfert de richesse, comme on l'a déjà fait remarquer, n'est pas égal. Il est 2,7 fois supérieur par personne âgée unitaire que par jeune unitaire. Si vous calculez donc le transfert de richesse réel sur la base de ce chiffre, on voit qu'il augmente. J'appelle ces dépenses les coefficients de dépendance; on pourrait également parler d'indices de transfert de richesse.
J'ai donné l'indice 1 à l'année 1991. Vous voyez que nous sommes dans une période merveilleuse. De 1981 à 1991, il y avait en fait intérêt à prendre une retraite anticipée. Dans la période suivante, jusqu'en 2001, il n'y a guère de changement. Mais quand la génération du babyboom commence-t-elle à prendre sa retraite? Après 2016. Et alors c'est l'effondrement.
La transition que nous allons devoir traverser entre 2015 et 2031 sera probablement une surprise inévitable. Ce qui va se passer entre 2015 et 2031 va être un choc pour les gens. La question est donc de savoir si nous pouvons nous permettre une transition qui exige une modification de 59 p. 100 des transferts de richesse dans les 40 prochaines années. Et pire encore, pouvons-nous supporter une telle évolution entre 2011 et 2031?
Si la productivité de l'économie augmente de 59 p. 100, nous pouvons prendre tout ce gain de productivité et le donner aux personnes âgées et couvrir leurs besoins. Comment pensez-vous que réagiront les travailleurs s'ils deviennent plus productifs de 59 p. 100 et doivent céder le gain en totalité?
Ou bien nous pourrions partager ce sac de fardeaux et certains des risques en modifiant le coefficient de transfert de richesse - le rapport entre ceux qui veulent consommer et être passifs et ceux qui veulent produire des biens et services.
Ce n'est pas seulement une politique avisée, c'est inévitable. Notre économie ne peut résister à un tel choc. Elle réagira et la réaction économique, si l'on ne fait rien, sera un phénomène comme l'inflation. L'inflation appauvrira les retraités. Voulons-nous cela? Non, sûrement pas.
Ce qu'il nous faut trouver, donc, est une façon d'éviter cette majoration de 59 p. 100 de l'indice de transfert de richesses, afin de le maintenir constant. Comment le maintenir constant? On le maintient constant en gardant davantage de gens au travail. On met fin à toute cette notion de la retraite pour tous à 65 ans. On commence à intégrer les revenus du travail dans l'équation de la sécurité du revenu des retraités.
Que faut-il faire vis-à-vis des taux de participation et des conceptions en matière de retraite pour parvenir à ce résultat? Il faut garder tout le monde dans la population active. Cette extrémité droite de la courbe exige que tout le monde reste dans la population active quatre années de plus qu'aujourd'hui, avec une transition linéaire entre les deux.
Parce que nous avons tous une fixation mentale sur l'âge de 65 ans, je parlerai en termes de 65 ans, mais n'oubliez pas que le chiffre de 65 ne m'importe absolument pas. C'est simplement plus quatre.
On peut parler de l'âge de 65 ans jusqu'en l'an 2006, car nous avons cette merveilleuse fenêtre d'opportunité démographique. Ensuite cette ligne le long du bas commence à grimper de deux mois chaque année: 65 et deux mois, 65 et quatre mois, 66, 67, jusqu'à ce que l'on atteigne 69, à l'extrême droite, 24 ans plus tard, c'est-à-dire en 2030, et ensuite la ligne ne bouge plus. Voilà.
C'est le scénario le plus pessimiste et il ne se réalisera pas forcément si nous devenons merveilleusement productifs. Mais je signale que les modèles qui tablent sur ces hausses de productivité postulent des gains de productivité que nous n'avons jamais connus au cours des dix dernières années. Quel a été le rythme de l'augmentation de productivité au cours des dix dernières années? Pratiquement nul.
Pourrons-nous retrouver le dynamisme des années 1950 et 1960? Mon Dieu, si nous le pouvions, nous pourrions faire des choses merveilleuses. Mais je pense que nous devons prévoir le pire. Si ce pire ne se réalise pas, nous pouvons revenir en arrière, et ne serait-ce pas merveilleux?
Sommes-nous dans une situation de crise? Puis-je m'adresser au public canadien pour lui dire qu'il doit rester productif quatre ans de plus? Eh bien, revenons à la toute première notion - l'espérance de vie et le fait que le Régime de pensions du Canada prend de l'expansion chaque année.
Si l'on avait déterminé la période de prestations du Régime de pension du Canada en termes d'espérance de vie, voici quels auraient été les âges de départ à la retraite. Ce sont là des âges d'espérance de vie calculés en dollars constants, sur une base actuarielle. Notez qu'en 2031, on atteint presque lâge de 71 ans pour le même nombre de dollars pour lequel le plan a été conçu en 1966. Mais je ne parle pas d'un passage à 71 ans, je parle, dans le pire des cas, du passage à 69 ans.
Je pense que nous pouvons le faire. Je pense que nous pouvons partager. Je pense que nous pouvons y croire. Je pense que nous pouvons atteindre la véritable sécurité qui est nécessaire si l'on veut avoir une sécurité sociale.
Je vous remercie de votre attention. J'espère vous avoir été utile. Après l'exposé de Ken, je serai à votre disposition pour répondre à vos questions.
Le président: Merci beaucoup. Vous nous avez certainement beaucoup appris. J'espère que nous pouvons obtenir une copie des diapositives.
M. Brown: Quelqu'un qui connaît mieux la technique va devoir chercher le moyen de le faire. Je crois savoir qu'il y a un moyen.
Le président: Je pense que l'on s'en occupe.
J'invite maintenant Ken Battle à prendre la parole pour le dernier exposé de la journée, et nous aurons ensuite une période de questions.
M. Ken Battle (directeur, Caledon Institute of Social Policy): Je vous remercie, monsieur le président.
Je prie les autres membres de la table ronde et ceux du Comité d'excuser mon absence ce matin et une partie de l'après-midi. Comme vous le savex, Caledon a organisé hier un séminaire similaire au vôtre sur le système des revenus de retraite auquel un certain nombre des personnes présentes ici ont participé, et cela m'a retenu.
Je vais probablement passer d'un extrême à l'autre. Je vais me pencher de manière très détaillée sur un gros volet du système de revenu de retraite. Je vais vous parler de l'évolution de ce que j'appellerai les prestations pour personnes âgées.
Je vais vous préciser ce que j'entends par là. Je parle du Programme de sécurité de la vieillesse, familièrement appelé Pensions de vieillesse, qui existe depuis 1951-1952; du supplément de revenu garanti pour personnes âgées à faible revenu, qui existe depuis 1966; et de l'allocation de conjoint pour les veufs et veuves démunis et les veuves de retraités à faibles revenus, mais je ne m'attarderai pas sur ce dernier aspect aujourd'hui.
Deux autres prestations que l'on ne range habituellement pas dans cette panoplie mais qui sont très importantes, sont les prestations fiscales: le crédit en raison d'âge et le crédit de revenu de pension. Ce sont là des prestations dont la plupart des personnes âgées jouissent et qui leur permettent de payer moins d'impôts.
Comme vous le savez, cela fait pas mal d'années que les experts, dont je suis, font valoir que les dégrèvements fiscaux équivalent à une prestation sociale, et cela commence à être accepté. Tous deux coûtent au gouvernement, d'une façon ou d'une autre, et représentent des avantages pour les Canadiens qui en bénéficient.
Donc, lorsque je parle des prestations de personnes âgées dans leur ensemble, j'y inclus tous ces programmes et je les considère parfois isolément, parfois globalement.
Le budget fédéral de 1995, comme les parlementaires et les autres membres de la table ronde le savent bien - mais je ne pense pas que les Canadiens se rendent compte de ce qui s'en vient - a annoncé quelques changements très substantiels au système des prestations aux personnes âgées. Les allusions étaient très nettes, plus nettes que je ne m'y serais attendu. C'est conforme à la tendance des changements intervenus dans le système des prestations pour personnes âgées au cours des dix dernières années. Je les passerai en revue rapidement et je reviendrai ensuite sur le budget.
Je veux conclure en vous indiquant les raisonnements qui soustendent certaines des idées qui figurent dans le budget et en vous esquissant ce que pourrait être le nouveau système, afin que John et les autres membres du panel puissent me tirer dessus à boulets rouges. Il est très difficile de parler de manière abstraite de ce genre de choses car personne ne sait jamais exactement de quoi il retourne. J'y reviendrai plus tard.
Je vais d'abord rapidement vous montrer certaines des tendances des dépenses consacrées aux grands programmes de prestations pour personnes âgées depuis leur création. La raison pour laquelle on veut revoir les prestations pour personnes âgées est que d'aucuns - et j'en suis - considèrent que le coût croissant de ce système est un problème grave. Si nous voulons préserver un système solide de prestations pour personnes âgées, qui est particulièrement important pour les Canadiens à revenu faible et moyen, nous allons devoir prendre des mesures dès aujourd'hui.
Le première diapositive montre les dépenses pour l'allocation de sécurité de la vieillesse depuis la première année pleine d'existence du programme, au début des années 1950. Ces chiffres sont tous corrigés de l'inflation, c'est-à-dire que ce sont des chiffres réels et, comme vous pouvez vous y attendre, ils sont à la hausse. Ce n'est pas une grande surprise.
Le chiffre le plus récent, l'estimation pour 1994-1995, se situe légèrement en-dessous de 16 milliards de dollars. Il s'agit des prestations brutes. On ne tient pas compte ici de l'impôt sur le revenu que paient les bénéficiaires ni des effets de la récupération, et j'en reparlerai plus tard.
Vous pouvez donc voir que, depuis 1973 en tout cas - la raison de cette petite excroissance ici, est que c'est la date où le programme a été pleinement indexé - l'augmentation des dépenses a été très régulière. La raison cependant n'est pas du tout mystérieuse. Cela tient au fait qu'il y a de plus en plus de prestataires en raison du vieillissement de la population et du fait, bien entendu, que les prestations sont toujours pleinement indexées sur le coût de la vie. Le nombre des bénéficiaires de l'allocation de sécurité de la vieillesse est d'environ 3,5 millions aujourd'hui.
Le deuxième grand volet du système fédéral des prestations pour personnes âgées est le supplément de revenu garanti, versé aux personnes âgées à faible revenu. C'est le programme le plus important pour ce qui est de la lutte contre la pauvreté et il existe depuis le milieu des années 1960. Je vais vous montrer cela dans une minute. Encore une fois, les dépenses n'ont cessé d'augmenter. Elles semblent se stabiliser quelque peu au milieu des années 1980, puis la hausse reprend. Cet aplatissement de la courbe est dû au fait que le revenu garanti est conçu de telle façon que certains touchent le plein montant, et ceux ayant un revenu au-dessus d'un certain seuil ne touchent que l'allocation partielle, laquelle disparaît à partir d'un certain revenu.
Ce qui se passe est que la majorité des prestataires ne touchent aujourd'hui plus qu'une allocation partielle et leur pourcentage est en hausse, ce qui traduit la progression générale des revenus des Canadiens âgés. Mais on voit que ce programme coûte encore 4,5 milliards de dollars cette année.
Le nombre de bénéficiaires du SRG est en hausse, mais la progression est moindre que celle du nombre des personnes âgées. Il est difficile de prédire comment cela va évoluer. Le nombre peut se stabiliser, mais selon ce qu'il advient à long terme de la population active d'âges faible et moyen, ces chiffres pourraient augmenter beaucoup. C'est l'une de mes craintes.
Si on ajoute tout ensemble et que l'on y inclut le programme des allocations de conjoint, un programme de relativement faible envergure pour les personnes âgées presque pauvres, on constate encore une tendance similaire. Les dépenses augmentent et elles ont légèrement dépassé 20 milliards de dollars cette année.
Si l'on exprime ces dépenses en pourcentage du produit intérieur brut, le PIB, l'indicateur économique courant, on constate également des augmentations. Aujourd'hui, ces dépenses représentent 2,8 p. 100 du PIB, ce qui est évidemment dû au fait que les dépenses ont augmenté plus vite que la croissance économique, et il n'y a aucune raison de penser que cela va changer.
Pour ce qui est des taux de pauvreté dans le temps, je pense que c'est un des grands succès de la politique sociale canadienne. En 1969, la première année pour laquelle nous avons des données de Statistique Canada sur la pauvreté, vous voyez que les ménages de Canadiens âgés, représentés ici par les barres noires, connaissaient un taux de pauvreté très élevé. Il était alors de 41 p. 100, comparé à 21 p. 100 pour l'ensemble des familles canadiennes. Au fil du temps, ce taux de pauvreté - c'est-à-dire le pourcentage des ménages âgés en-dessous du seuil de pauvreté - a diminué pour passer en-dessous du taux de pauvreté moyen. Aujourd'hui, les ménages âgés sont moins susceptibles d'être pauvres que les autres et que l'ensemble des ménages. Il y a donc eu un progrès assez important en matière de réduction de la pauvreté chez les familles âgées.
La situation des personnes âgées seules n'est pas aussi rose. Il y a eu des améliorations au fil du temps, comme vous pouvez le voir. Les barres en gris clair représentent les personnes âgées. L'écart entre elles et l'ensemble des personnes âgées seules ou des célibataires, comme les appelle Statistique Canada, s'est rétréci au fil du temps. Il y a eu quelques progrès, mais on constate néanmoins un taux de pauvreté assez important chez les personnes âgées seules. Le dernier chiffre connu est de 51 p. 100 et, pour les femmes seules, qui représentent la majorité des personnes âgées seules, le chiffre est d'environ 60 p. 100.
Il reste donc beaucoup à faire pour combler le fossé de la pauvreté au moyen de programmes étatiques pour personnes âgées. Pour vous le montrer, cette diapositive compare les barres noires, exprimant le revenu total dont disposent les personnes âgées à faible revenu. À gauche, on voit les personnes seules, à droite les couples. C'est le revenu qui leur est garanti par la pension de vieillesse et le supplément de revenu garanti.
Six des provinces et les deux territoires offrent également diverses formes et montants de suppléments à leurs personnes âgées à faible revenu. C'est pourquoi je ne les ai pas incluses, bien que dans certaines provinces l'écart ne soit pas aussi large qu'il apparaît ici. Mais cela vous montre l'écart au niveau de la garantie fédérale. Vous pouvez voir qu'en 1994 - je montre l'année passée car c'est celle pour laquelle nous avons toutes les données - la sécurité de la vieillesse et le supplément de revenu garanti pour une personne âgée seule étaient légèrement supérieurs à 10 000$. Le seuil de faible revenu, connu sous le nom de seuil de la pauvreté, était de 16 511$ dans une grande ville. Vous pouvez donc voir qu'il y a là un écart considérable. Il est moins important pour les couples de retraités.
Certains se demandent si les seuils de pauvreté sont une mesure appropriée, mais cela nous donne au moins une idée de la taille de cet écart à long terme.
Ceci montre la répartition du revenu des familles dont le chef est une personne âgée lors de la dernière mesure en 1993. On voit ici le nombre de familles dirigées par une personne de 65 ans et plus à différents niveaux de revenu dans la partie inférieure. Comme on peut s'y attendre - ce n'est pas une grande surprise - la majorité des familles composées de personnes âgées se situent dans la partie inférieure de l'éventail des revenus, et cela est encore plus évident pour les personnes âgées seules qui se retrouvent tout à fait en bas de l'échelle. Nous n'avons donc pas beaucoup de Canadiens âgés dans la partie supérieure de l'éventail des revenus, bien que leur nombre ait augmenté quelque peu.
J'aimerais parler très brièvement de certains changements importants qui surviennent actuellement car, comme certains d'entre vous le savez, le régime de sécurité de la vieillesse que nous avons actuellement ne correspond pas à ce que la majorité des Canadiens pensent encore avoir. Il y a une grande différence entre la perception du public et la réalité.
Je vais revenir dix ans en arrière, au budget de 1985, le premier budget de Michael Wilson. Il appartenait à ce parti politique qui a disparu, bien qu'il puisse réapparaître en Ontario.
Il a apporté certains changements qui ont eu des effets profonds sur la nature du système des pensions. Vous vous rappelez qu'à cette époque, le gouvernement avait essayé de désindexer partiellement les pensions de vieillesse et s'était retrouvé dans une situation embarrassante et avait dû reculer. Il s'agissait de la fameuse affaire Solange Denis-Charlie Brown, la première grosse difficulté du gouvernement Mulroney, qui avait dû reculer sur ce point. Les groupes de personnes âgées étaient bien organisés et avaient reçu beaucoup de soutien. Le gouvernement n'a donc pas pu réduire les pensions de vieillesse en jouant avec l'indexation des prestations. Donc les pensions sont restées pleinement indexées.
Mais le gouvernement a apporté d'autres changements, moins visibles et moins connus qui ont fini par avoir des effets importants.
L'année suivante, on a notamment désindexé le régime de l'impôt sur le revenu, qui influe sur les prestations des personnes âgées. Cela signifie que les personnes âgées payent un montant plus élevé d'impôt sur le revenu sur leur pension de vieillesse.
En 1988, on a modifié à nouveau le régime de l'impôt sur le revenu en convertissant les exemptions personnelles et la plupart des déductions en crédits non remboursables. Vous vous en rappelez peut-être. L'important, dans cette mesure, c'est que l'exemption en raison d'âge et la déduction pour revenu de pension, deux des prestations aux personnes âgées dont je parlais, ont vu leur valeur considérablement modifiée. C'est ainsi que les personnes âgées ayant un revenu moyen et supérieur ne pouvaient plus réaliser une économie fiscale aussi importante qu'avant les modifications apportées à l'impôt sur le revenu. C'était donc une mesure qui rendait la fiscalité plus équitable.
L'autre grande modification au système des prestations aux personnes âgées a été bien entendu la fameuse récupération fiscale de la sécurité de la vieillesse annoncée en 1989. Il a fallu trois ans pour que sa mise en oeuvre soit complète. Les personnes âgées dont les revenus dépassaient un certain niveau devaient reverser une proportion croissante de leur pension de vieillesse au gouvernement par le biais de l'impôt sur le revenu. Mais en fait, dès 1991, lorsque la récupération a été pleinement mise en oeuvre, les personnes âgées à revenu élevé n'avaient plus de pension de vieillesse. Ainsi, en 1991, le système universel a pris fin.
Voici un autre changement qui n'est pas largement connu, le fait que l'universalité des pensions de vieillesse n'existe plus, pour ceux qui estiment cette question importante. Ce n'est pas simplement la récupération des pensions de vieillesse qui a fait la différence, c'est le fait que cette mesure a été prise délibérément et soigneusement pour que le seuil diminue afin que de plus en plus de personnes âgées à des niveaux de revenus de plus en plus bas reçoivent de moins en moins de pension de vieillesse.
Pour vous montrer comment cela s'est passé, comment cela se passe encore, cette diapositive vous montre l'effet de la récupération à long terme. La barre noire montre le seuil de revenu lorsque le claw-back est intervenu. Le seuil était fixé à 50 000$ de revenu individuel net, ce qui est très élevé pour des personnes âgées. Cette mesure a touché, je crois, 4 p. 100 des personnes âgées. La barre grise montre le niveau de revenu au-dessus duquel il fallait rembourser la totalité de la pension de vieillesse lorsque le claw-back est entré pleinement en vigueur.
Mais dans la mesure où le claw-back est partiellement indexé, il ne suit pas l'inflation, de sorte qu'en réalité, en dollars réels et en dollars corrigés de l'inflation, il diminue avec le temps.
Notre projection montre que d'ici l'an 2020, le seuil du claw-back tombera à environ 40 000$ en dollars d'aujourd'hui, et les personnes âgées dont le revenu est d'un peu plus de 50 000$ ne recevront plus de pension de vieillesse. Donc, le système comporte un seuil intégré, si vous voulez, qui est toujours en vigueur.
Quels sont les effets de tous ces changements, qui sont assez complexes? J'ai essayé de vous les montrer en faisant comme si nous avions encore l'ancien système cette année. Je suis retourné à 1985 et j'ai mis à jour le système de 1985 pour qu'il corresponde à aujourd'hui et je l'ai comparé à ce que nous connaissons actuellement. La barre foncée, qui descend le long du graphique ici, correspond au système actuel des prestations aux personnes âgées pour une personne seule, et la barre plus étroite, à l'endroit où elle se divise, correspond à ce que l'ancien système serait s'il était toujours en place.
Encore une fois, j'ajoute ici la pension de vieillesse et je soustrais le montant d'impôt sur le revenu et la récupération que les personnes âgées paient sur leur pension de vieillesse. C'est donc un montant réel de prestations qu'ils finissent par recevoir, ce qui après tout, est ce qui importe: le supplément de revenu garanti, le cas échéant - ce programme n'est pas imposé - les économies d'impôt provenant du crédit en raison de l'âge et les économies d'impôt provenant du crédit pour revenu de pension.
J'ai oublié de mentionner un autre changement qui est survenu dans le budget de l'an dernier, c'est-à-dire que le crédit en raison de l'âge devient lié au revenu, de sorte que les personnes âgées à revenu élevé n'obtiennent plus ce crédit à partir de cette année. J'en ai également tenu compte.
Si vous regardez la barre foncée, le système actuel, on voit que les prestations totales diminuent en proportion inverse des revenus. À environ 80 000$ dans cet exemple pour une personne seule, la raison pour laquelle vous voyez ce petit montant... il s'agit du crédit pour revenu de pension. La plupart des personnes âgées ayant ce niveau de revenu ont droit au crédit pour revenu de pension de 1 000$ et ils obtiennent donc 200 ou 300$ en économie d'impôt. En ce sens, le crédit pour revenu de pension a plus ou moins conservé son universalité dans ce système, d'une certaine façon, mais il n'y a plus d'universalité de la pension de vieillesse.
La ligne plus mince qui traverse la partie supérieure, montre ce qu'était l'ancien système. On voit qu'au-dessus de 20 000$ pour une personne seule, les prestations atteignent un plafond et vous pouvez voir qu'une personne âgée à très haut revenu il y a dix ans aurait reçu des prestations de sécurité de la vieillesse et des économies d'impôt de plus de 4 000$. On a donc perdu cette zone ici entre les deux lignes.
Nous avons donc apporté des changements considérables, tout au moins dans la partie supérieure, qui permettent de réduire les prestations sociales versées au tiers supérieur des retraités.
À quoi ressemble le système aujourd'hui? J'aimerais vous montrer la proportion des prestations. Cela ressemble un peu à la diapositive qu'a montrée Rob plus tôt, et montre les prestations pour une personne âgée seule, à des niveaux de revenu croissants.
Les revenus situés en bas - je vais vous expliquer - sont des revenus qui excluent les prestations elles-mêmes. Autrement dit, ce sont les revenus qu'une personne âgée obtiendrait du Régime de pensions du Canada ou du Régime des rentes du Québec, de divers régimes de pension privée, investissements, épargne, revenus de travail ou tout autre source privée autre que les prestations de l'État.
Vous pouvez voir tout à fait en bas que nous supposons que cette personne n'a pas d'autre revenu que les prestations aux personnes âgées, de sorte que la plus grosse partie de ces prestations prend la forme du supplément de revenu garanti. Lorsque vous ajoutez cela à la pension de vieillesse, on obtient un revenu garanti d'environ 10 000$ ou un peu plus.
Bien entendu, ce montant diminue à mesure que l'on grimpe dans l'échelle des revenus. Les personnes perdent leur supplément de revenu garanti assez rapidement - c'est-à-dire au-dessus de 10 000$ - et finissent par perdre également le crédit en raison de l'âge pour ne recevoir en fin de compte, à 80 000$ et plus, que les seules économies d'impôt liées au crédit pour revenu de pension.
J'ai surtout parlé des personnes âgées seules, mais il est évident que bon nombre de personnes âgées vivent en couple; elles sont une minorité mais une minorité importante, et il faut donc examiner également la situation des personnes âgées mariées.
Cette diapositive montre que nous divisons les couples de personnes âgées en deux catégories. Quand je parle d'un seul revenu, je veux dire simplement un couple de personnes âgées dans lequel les deux conjoints ont 65 ans et plus, et dans lequel un des conjoints n'a pas de revenu autre que la sécurité de vieillesse et le supplément de revenu garanti et l'autre conjoint amène à lui seul le reste du revenu. C'est donc un couple où un des conjoints a la majorité du revenu.
Le couple à deux revenus est simplement un couple de personnes âgées dans lequel les conjoints partagent le montant d'un revenu autre que la pension de vieillesse. En réalité, il s'agit des deux extrêmes possibles et la plupart des couples âgés se situent quelque part entre les deux. Mais il est très important de voir la situation des couples à deux revenus car ils représentent une proportion croissante de la population des personnes âgées.
Cela ne semble pas beaucoup, mais c'est une différence importante. La barre noire, la barre la plus foncée, représente les prestations totales que reçoivent des couples à un seul revenu, et la ligne très mince montre les prestations net perçues par les couples à deux revenus. Comme vous pouvez le voir, ce ne sont pas les mêmes. Ils augmentent et diminuent sur un large éventail de revenu. Ici nous voyons un éventail qui se situe entre 30 000 et 100 000$. On peut voir que les couples à deux revenus reçoivent généralement des prestations quelque peu supérieures à celles des couples à revenu unique.
La question est de savoir pourquoi. Il me faudrait une demi-heure supplémentaire pour l'expliquer et vous tomberiez tous endormis.
En fait, c'est que nous parlons de quatre types de personnes dans toute une série d'échelles de revenu différentes. Le montant des prestations que chacune de ces personnes reçoit sous forme de pension de vieillesse, de supplément de revenu garanti, du crédit en raison de l'âge et du crédit pour revenu de pension varient selon le niveau de revenu et selon leur proportion dans le revenu familial. Vous pouvez vous imaginer la complexité de la chose.
Par conséquent, le montant des prestations dont dispose chaque membre du couple augmente et diminue. Il varie selon les revenus. Lorsque vous les ajoutez tous ensembles, vous modifiez les prestations relatives dont disposent les familles de différents niveaux de revenu.
Je vais vous montrer une diapositive qui vous permettra de mieux comprendre.
J'ai pris ici les prestations aux personnes âgées dont dispose le couple à deux revenus et je les ai soustraites des prestations aux personnes âgées que reçoit le couple à revenu unique. Vous pouvez voir que les montants situés au-dessus de la ligne indiquent les parties de l'éventail de revenu où le couple à deux revenus obtient des prestations publiques plus importantes de la première tranche du système de pensions, puis ici tout à fait en haut, on voit que finalement le couple à revenu unique est en meilleure position que le couple à deux revenus.
Cela peut vous paraître quelque peu technique ou complexe, mais pour moi cela est très simple. Cela signifie que le système des prestations aux personnes âgées que nous avons actuellement traite les familles de façon inéquitable, selon la composition du revenu de ces familles. Le montant des prestations que nous versons aux couples âgées n'a aucun sens. C'est l'un des problèmes que nous essayons de régler par la réforme.
Finalement, je vais vous montrer ce vers quoi nous nous dirigeons peut-être - et j'insiste sur le peut-être - et je finirais par quelques suggestions sur l'aspect politique de la réforme des pensions.
Le Budget de 1995 laissait déjà fortement prévoir la direction que le gouvernement fédéral souhaitait prendre en ce qui concerne le remaniement des prestations aux personnes âgées. Je devrais dire, même si j'ai insisté sur l'inéquité du système actuel, que la grande priorité de M. Martin, c'est l'argent. Il ne fait aucun doute, à mon avis, que le ministère des Finances aimerait refondre le système des prestations aux personnes âgées pour réaliser des économies immédiates. Je ne pense pas que l'on envisage une longue période de mise en oeuvre du nouveau système, et si l'on veut être juste - puisque l'on parle d'équité, il faudrait que ce nouveau système soit mis en oeuvre sur une longue période. Sans quoi, lorsque l'on apporte le genre de changement que les deux gouvernements - les Conservateurs et maintenant les Libéraux - ont apporté au cours des dix dernières années, des changements imposés la même année ou l'année suivante, on modifie les règles du jeu pour les personnes âgées qui ne sont pas en mesure de s'y adapter.
Je pense qu'il est important et je suis sûr que d'autres membres du panel vous en ont parlé, que lorsque nous envisageons une réforme des pensions, nous devons dans la mesure du possible envisager des changements qui soient mis en oeuvre progressivement sur une longue période de temps afin d'atténuer les effets sur les personnes âgées.
Je pense que le ministre des Finances a deux raisons d'agir ainsi. Il tient à rendre le système plus équitable mais il cherche également à faire des économies.
Quant à moi, ma préoccupation n'est pas de faire des économies immédiates. Ce qui m'inquiète, ce sont les augmentations de coût futures. Ces coûts pourraient devenir tellement énormes qu'ils menaceront la viabilité du système de sécurité de la vieillesse et du supplément de revenu garanti, qui est si important pour les personnes âgées à revenu faible et moyen.
De quelle réforme parlons-nous? Nous parlons essentiellement de la rationalisation des prestations actuelles, c'est-à-dire de regrouper les fonds qui sont actuellement consacrés aux divers programmes dont j'ai parlés afin de mettre sur pied un nouveau programme plus simple. Ce serait un programme lié au revenu du même genre que le supplément de revenu garanti actuel ou - ce qui est peut-être un meilleur exemple - similaire aux prestations fiscales pour enfant, même si les montants seraient beaucoup plus élevés.
La conception d'un nouveau système de prestation peut s'appuyer sur de nombreux précédents. Le budget précisait essentiellement - et je vous rappelle les principes de la réforme des prestations aux personnes âgées qui y était énoncée - que premièrement, on ne doit pas toucher à l'indexation des prestations; deuxièmement, on ne doit pas réduire les prestations des personnes âgées à faible revenu qui sont pleinement protégées; troisièmement, la partie pension de vieillesse du système sera modifiée de façon à être liée au revenu familial. La mesure de récupération qui est actuellement appliquée pour les pensions de vieillesse est liée aux revenus individuels du bénéficiaire et non au revenu du conjoint. Par conséquent, on ne tient plus compte du revenu de la personne mais plutôt du revenu du couple, comme nous le faisons pour les prestations pour enfants et le supplément du revenu garanti.
Le quatrième principe est celui d'une plus grande progressivité des prestations selon le niveau de revenu, ce qui signifie tout simplement que l'on paie davantage dans la tranche inférieure et que l'on paie moins dans la tranche supérieure de revenu.
Voilà donc quels sont les principes de la réforme des pensions.
J'aimerais terminer, si vous le voulez bien, en illustrant à votre intention ce que pourrait être le nouveau programme, et je dis «ce qu'il pourrait être». Les travaux sont toujours en cours. Cette proposition n'a pas encore été parachevée. On n'a pas établi les coûts. J'essaie simplement de vous donner une idée de ce qu'il pourrait être. Ce n'est pas une proposition concrète. C'est simplement un exemple de ce que l'on pourrait faire. De plus, les coûts revêtent bien entendu une grande importance.
J'ai pris comme exemple les prestations pour les couples de personnes âgées parce que je voulais rapprocher le système actuel de ce que pourrait donner une proposition. Là encore, la ligne en caractère gras correspond à un couple à un seul revenu dans le système actuel. La ligne fine est un couple à un seul revenu dans le système actuel. La ligne en pointillé est une option, elle correspond à l'option retenue en appliquant les principes du budget. Vous voyez donc ce qui se passe.
J'ai essayé de faire concorder la répartition actuelle des prestations à la fin. La ligne ne correspond pas exactement, mais elle n'est ni d'un côté ni de l'autre. Cela découle du fait que l'on s'efforce de faire concorder exactement les prestations.
Aux termes de cette proposition, lorsque les revenus dépassent 40 000$, ce qui pour un couple âgé est d'environ 3 000$ supérieur à la moyenne, puisque le revenu moyen d'un couple comptant deux personnes âgées de 65 ans et plus est d'environ 36 600$ par an. Donc, au-dessus de 40 000$, dans ma proposition, la proposition qui sert d'illustration, les prestations commencent à être inférieures à ce qu'elles sont à l'heure actuelle. Elles finissent par disparaître totalement à un niveau de revenu assez élevé, soit au-dessus de 135 000$. Dans la pratique, je ferais quelques ajustements à la courbe pour les faire disparaître plus tôt que cela.
Il ne s'agit pas de se laisser obnubiler par le bout de la courbe, c'est simplement pour vous donner une idée de l'allure du nouveau système.
Dans une proposition de ce type, bien évidemment, lorsqu'on voit la distance entre la ligne en pointillé et les deux autres lignes, il y a des gens qui vont toucher moins de prestations. Ce sont ceux qui sont dans les tranches de revenu les plus élevées, et plus le revenu sera élevé, plus grande sera la perte.
J'ai essayé de modéliser le système et je considère que tout modèle bien conçu doit s'efforcer de minimiser les pertes, bien évidemment, dans la catégorie moyenne de revenu. Il ne faut pas que le système de sécurité de la vieillesse procure moins de revenu de remplacement qu'à l'heure actuelle aux personnes âgées à moyen revenu. Il s'agirait sinon, à mon avis, d'un système régressif. Toutefois, dans les tranches de revenu les plus élevées, je crois que l'on peut faire des économies. N'oubliez pas, lorsqu'on analyse les compressions de dépenses que l'on va faire ici - les pertes, si vous voulez - dans les tranches de revenu les plus élevées, que les couples âgés ayant un revenu de 135 000$ sont bien peu nombreux. Nous parlons ici de pertes de revenu s'élevant à 3 000$, 4 000$ ou 5 000$, ce qui en pourcentage se ramène à 2 ou 3 p. 100 de leur revenu.
Je le mentionne parce qu'il est extrêmement important, lorsqu'on conçoit ou lorsqu'on évalue un nouveau système, d'examiner quels sont ses effets sur les gens dans différentes catégories de revenu, parce que nous voulons nous assurer de ne pas remettre en cause l'objectif de remplacement du revenu, l'objectif de lutte contre la pauvreté du système actuel, qui a contribué à améliorer les revenus des personnes âgées et à réduire au fil des années le nombre de celles qui vivaient en-dessous du seuil de la pauvreté. Il n'est donc pas question pour moi ici de retirer les pensions de vieillesse aux personnes âgées à revenu faible ou moyen. Je crois qu'il faudrait qu'un gouvernement soit fou pour chercher à faire cela.
J'ai un dernier argument à faire valoir. Excusez-moi d'avoir parlé pendant si longtemps, mais c'est un point très important. Je vais reprendre une fois de plus la vieille antienne, que j'ai répétée pendant la plus grande partie de ma carrière sans grand succès, et qui consiste à expliquer les raisons pour lesquelles l'indexation partielle est une si mauvaise chose.
Supposons que nous appliquions notre nouveau système - et je passe ici au cas d'une personne âgée célibataire - supposons que le nouveau système, tout en étant différent du système actuel, n'indexe toujours pas le seuil des prestations. Ce seuil, dans notre jargon, correspond tout simplement au niveau de revenu à partir duquel les prestations commencent à être réduites.
N'oubliez pas ce que je vous dis, chaque fois que vous voyez un nouveau projet - qu'il s'agisse d'un livre blanc, d'un livre vert, ou autre - regardez bien dans quelle mesure le seuil est entièrement ou partiellement indexé. Il est dit dans le budget que les prestations versées aux termes du nouveau projet vont être pleinement indexées - ce qui, bien entendu, est fondamental aussi - mais on ne dit pas que le seuil dans le cadre du nouveau système va être pleinement indexé, et cela fait une grosse différence. Ça n'y paraît pas, mais ça fait à mon avis une grosse différence à la foi en termes absolus et du point de vue des principes.
J'ai pris comme exemple un nouveau système - là encore, ce ne sont pas les montants exacts qui importent; c'est simplement pour vous donner une idée. Il concorde plus ou moins avec le système actuel vers le bas, puis la courbe baisse lorsqu'on arrive aux tranches les plus élevées. La ligne en caractère gras correspond à 1995. Si nous appliquons cette disposition cette année - et le trait fin nous indique à quoi ressemblerait ce système en l'an 2015 si le seuil n'était que partiellement indexé sur le niveau d'inflation qui dépasse 3 p. 100. Le montant effectif dépendrait bien entendu de l'inflation, mais il est garanti qu'il serait soit de 3 p. 100 soit du niveau de l'inflation.
Le résulat, bien entendu, c'est qu'à mesure que les années passent, ce ne sont plus simplement les catégories les plus élevées qui ne touchent plus les prestations. À mesure que le temps passe, il y aura aussi une réduction des prestations allant jusqu'à toucher les catégories de revenus plus modestes - jusqu'au niveau de 20 000$. Nous en viendrions donc à renier la valeur de prestations qui ont une très grande importance pour les personnes âgées à revenu moyen, et je veux l'éviter. Ce serait très grave. N'oubliez pas, cependant, que c'est ce qu'on fait déjà dans le système actuel. On le fait par le biais de la mesure de rétrocession.
L'une des raisons pour lesquelles j'ai proposé ce genre de système - voilà deux ans que je le fais, et je crois que c'est la première fois au cours de ma carrière au ministère des Finances qu'on se met à m'écouter - c'est parce que j'ai bien peur que si l'on ne met pas au moins des projets de réforme de cette partie du régime des pensions sur la table pour en débattre publiquement, le ministère des Finances va tout simplement faire comme bon lui semble sans rien dire à personne, en pratiquant ce que j'appelle une politique sociale à la sauvette. Il peut très bien obtenir les mêmes résultats sans présenter un modèle que les gens peuvent démolir à leur guise, dont ils peuvent débattre et qu'ils puissent comprendre. En accélérant tout simplement le déclenchement de la mesure de rétrocession, il pourrait très bien l'aligner sur les revenus familiaux. Vous n'auriez aucune idée de ce qui se passe, parce que tout cela serait intégré à notre régime d'imposition des revenus, qui est affreusement complexe, et l'on parviendrait exactement au même genre de résultat au fil des années sans que personne ne soit plus avancé. Nous remettrions en cause une partie importante du régime des pensions sans que la population sache ce qui se passe.
Je veux conclure en disant que, quelle que soit l'opinion que l'on puisse avoir sur ces différents types de projet, je connais bien des gens qui détestent l'idée que l'on puisse mettre fin au régime universel des pensions de vieillesse pour lesquelles ont lutté des Stanley Knowles, David Croll et autres grandes figures de la politique. Nous pouvons toujours en discuter. Selon les réalités politiques actuelles, nous n'avons plus le genre de système auquel nous étions habitués. Le système qui est en place rogne progressivement sur les prestations, en commençant par les catégories les plus élevées de revenu, mais on est en train de descendre vers le bas de l'éventail des revenus, tendance qui m'inquiète beaucoup.
J'espère donc que le document de discussion que va publier le gouvernement - je sais qu'il y aura différentes options sur le modèle de ce que je viens de vous exposer - nous offrira différentes possibilités de choix que nous pourrons examiner, décortiquer et analyser avant d'en débattre. Il va être difficile, cependant, d'expliquer toutes ces choses à la population canadienne et aux groupes de personnes âgées, non pas tant en raison des conséquences qu'aura le nouveau projet, mais parce que le système actuel est si complexe et si bizarre à certains égards.
Quant à savoir maintenant si ce genre de proposition est susceptible de donner de bons résultats, c'est une autre paire de manches. Je vous ai exposé ici de manière rationnelle des chiffres et autres données de ce type, et comme nous le savons tous, la politique sociale n'est pas faite par des gens comme moi à coup de modèles et de chiffres. Comme Jeanne, Rob et d'autres le savent pertinemment, c'est une question de perception, de ce que les gens vont vouloir du régime des pensions et de ce qu'ils ont l'impression d'en retirer.
L'un des arguments massue qui est susceptible de jeter à bas cette proposition va être assainé par les groupes de femmes, et il le sera au sujet du calcul des prestations en fonction du niveau de revenu familial. J'en vois qui hochent la tête, et je pense que vous savez de quoi je veux parler. Cette proposition suppose un changement de philosophie, qui n'est pas sans importance, au sujet de la nature du régime des pensions.
Si les prestations sont calculées en fonction du niveau de revenu familial, comme je l'ai illustré ici, il y aura des couples de personnes âgées au sein desquels les revenus seront très inégaux - il s'agit des couples à un seul revenu - l'un des conjoints ayant le plus gros des revenus et l'autre un revenu bien plus faible mais, étant donné que le revenu familial global se situe au-dessus du seuil, en fonction du niveau qui sera fixé, le conjoint dont les revenus sont faibles ne touchera rien. Ces prestations - et on peut parler des prestations de la femme, parce que ce sera le cas le plus fréquent - ne seront pas calculées en fonction de ses revenus, des postes qu'elle a occupées par le passé, de ses antécédents professionnels ou de son cheminement de carrière. Elles seront calculées en fonction de son revenu et de celui de son conjoint. On aura l'image de la femme du riche banquier qu'a popularisée Linda McQuaig, qui fera que dans certaines familles, des femmes ne toucheront plus les prestations qu'elles perçoivent à l'heure actuelle.
Sur le plan politique, il est possible que ce soit très dur à faire accepter. Sur toute cette question de la réforme des pensions, il y a des compromis difficiles à faire. Il n'y a pas de solution sans douleur susceptible de remédier à tous les problèmes.
Je vais peut-être m'arrêter là-dessus et répondre à vos questions.
Le président: Merci, monsieur Battle, de nous avoir donné cet aperçu. Les tableaux, à mon avis, ainsi que votre analyse, ont ouvert les yeux aux membres du comité.
J'aimerais maintenant inviter les membres du comité à vous poser des questions. J'informe les membres du groupe que je vous donnerai la possibilité d'apporter vos commentaires, soit en réponse aux questions posées, soit avant de terminer l'audition de votre groupe cet après-midi. Vous n'en avez donc pas encore fini, même si vous avez présenté votre exposé.
Nous essaierons d'en terminer à 16h30 au plus tard, parce que la journée a été longue et que la question est très ardue pour la plupart d'entre nous. Nous avons vraisemblablement atteint la limite de notre capacité d'absorption, si tant est que nous ne l'ayons pas dépassée.
M. Lux: Me permettez-vous de demander une pause de quatre minutes pour des raisons bien naturelles?
Le président: Je n'y vois pas d'inconvénient. Excellente initiative. Mieux encore, nous allons vous accorder une pause de cinq minutes. Nous reprendrons la séance dans cinq minutes.
PAUSE
Le président: Nous allons maintenant reprendre la séance. Nous allons attendre que M. McKie retourne s'asseoir. En attendant, nous pouvons peut-être commencer à poser des questions, en commençant par M. Crête, du Bloc québécois, s'il a une question à poser.
[Français]
M. Crête: Ça fait beaucoup d'information pour une journée. On aura à assimiler tout cela.
J'adresse ma question à la personne du panel qui la jugera pertinente. Croyez-vous que c'est réaliste d'avoir un régime de prestations qui est identique d'un bout à l'autre du pays? Mon expérience est celle d'une circonscription où il y a une forte proportion de population rurale. J'ai rencontré un groupe de personnes âgées il y a deux semaines et je leur ai demandé quels changements elles voyaient venir. Il y avait deux préoccupations: les personnes seules qui étaient plus fragiles et la différence entre un couple ou une personne qui vit à Montréal ou à Toronto dans un trois pièces et demie, au troisième étage, et une personne ou un couple qui vit en région. Comme on le dit, la pauvreté n'est pas identique. Ce n'est qu'un facteur.
Il y a d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte. Dans une période où on veut faire une réforme, est-ce qu'on devrait tenir compte de la possibilité que le régime puisse être très différent d'une partie à l'autre du pays?
[Traduction]
Le président: Qui va répondre à cette question? Monsieur McKie.
M. McKie: Je considère qu'il est tout à fait logique de tenir compte du fait que le coût de la vie varie considérablement d'une région à l'autre du pays. Il n'est que juste de tenir compte du fait que le coût de la vie est plus élevé dans certaines régions urbaines. Je crois que c'est tout à fait logique et que ça se défend. Toutefois, sur le plan politique, il n'est peut-être pas possible d'en tenir compte. Je n'en sais rien.
M. Myles: Je crois que s'il s'agissait de tenir compte de toutes les choses et de toutes les ressources qui s'adressent aux personnes âgées au Canada, on pourrait légitimement avoir le genre de préoccupations que vous évoquez. On pourrait aussi avoir ce genre de préoccupations si le système fédéral canadien était extrêmement généreux, en l'occurrence, s'il s'efforçait de satisfaire l'intégralité ou la plus grande partie des besoins matériels des personnes âgées au Canada. Ce n'est certainement pas le cas. Nous ne parlons pas d'un système de ce genre.
Le système fédéral canadien part du principe que les particuliers vont combler des lacunes, que les provinces vont combler des lacunes, et même que les collectivités locales vont combler différents types de lacunes. Compte tenu du système que nous avons à la base au niveau fédéral, je ne me préoccupe pas trop personnellement des variations régionales. D'autres ne pensent peut-être pas comme moi.
M. Brown: Je pense qu'il est légitime de parler de toutes sortes de différences régionales dans un système de soutien du revenu comme l'assistance sociale, qui permet ensuite de transmettre le pouvoir de contrôle à des organismes locaux. Je ne crois pas, toutefois, que l'on puisse agir ainsi par l'intermédiaire du régime de pensions du Canada ou des régimes des rentes du Québec, qui sont considérés comme des régimes auxquels les participants ont cotisé, ces derniers considérant qu'ils ont mérité leurs prestations et qu'ils les ont payées intégralement.
Je ne voudrais pas être facétieux, je dois vous dire cependant que vous avez là une magnifique possibilité de commercialisation dans une collectivité de retraités. Elliot Lake, en Ontario, en a tiré partie avec un grand succès. Vous avez là une industrie en pleine expansion.
[Français]
M. Crête: Je n'ai pas compris la fin de la réponse. Est-ce que vous pourriez répéter?
[Traduction]
M. Brown: Vous allez pouvoir faire de la publicité en disant que vous avez chez vous une merveilleuse collectivité pour prendre sa retraite et que tous les gens de Montréal devraient y déménager. C'est ce qu'a fait Elliot Lake avec beaucoup de succès.
[Français]
M. Crête: C'est effectivement une réalité chez nous, parce qu'il y a une région où il y a cinq fois le taux qu'on retrouve dans l'Est du Québec, mais il y a d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte là-dedans.
Quelle que soit la réforme ou quel que soit le régime corrigé qu'on va mettre sur la table, il va falloir que les gens puissent comprendre les effets de ce système-là. Je suis très sensible à l'argument de M. Battle et d'autres qui ont dit que si on veut éviter une levée de boucliers systématique, il va falloir prendre le temps d'expliquer les choses aux gens et établir des principes de base très clairs, qu'on peut retrouver en partie dans ce que vous donnez.
On a parlé de la question des femmes tantôt. Comment va-t-on faire pour répondre à la préoccupation d'équité, qui peut être liée au fait de tenir compte du salaire du couple, tout en s'assurant qu'on ne retourne pas 50 ans en arrière pour ce qui est de la façon de traiter les femmes? On a eu la même problématique au niveau de l'assurance-chômage et la recommandation n'a pas résisté au test. Est-ce que vous pourriez nous suggérer d'autres solutions ou des aménagements qui feraient que cela pourrait devenir acceptable et qui nous permettraient de respecter les individus?
[Traduction]
M. Battle: Il est intéressant que vous mentionniez l'assurance-chômage. Pour faire suite à ce que disait Rob, nous continuons à faire une distinction, et c'est aussi mon cas, j'imagine, entre, d'une part, les prestations de sécurité sociale et les prestations de sécurité du revenu, qui sont prélevées sur les fonds publics, et d'autre part, le régime d'assurance sociale qui est financé par des taxes sur les salaires que les gens, comme l'a dit Rob, considèrent comme leur appartenant, parce qu'il y a un lien visible entre les cotisations et les versements de cotisation.
Nous avons en fait une rétrocession des prestations d'assurance-chômage dans le système actuel, même si c'est basé sur les revenus individuels. Pratiquement personne ne le sait.
Pour ce qui est de la prise en compte du revenu familial, je ne vois pas vraiment de solution. Il est intéressant de voir qu'il y a différents types d'équité. On pourrait certainement concevoir un système quelconque qui pourrait remplacer le système actuel en partant des revenus individuels. Le problème, c'est que je ne vois pas d'autres façons de remédier au manque d'équité en ce qui concerne la façon de traiter les couples à un seul revenu et les couples à deux revenus, du point de vue de la rétrocession des pensions de vieillesse.
Un couple âgé dont le revenu est de 60 000$, alors que les deux conjoints ont chacun 30 000$, ne paie rien au titre de la rétrocession. Ce même couple âgé, lorsque l'un des conjoints a un revenu plus élevé sans toutefois que le revenu global du couple soit différent, tombe sous le coup de la rétrocession. C'est en raison du fait que la rétrocession est imposée en fonction des revenus individuels et non pas du revenu familial. Il n'y a pas d'autres façons de remédier à ce genre d'injustice.
Il s'agit en fin de compte, j'imagine, de faire un compromis en se demandant si ce manque d'équité est plus grave que celui qui consiste à priver une personne de sa pension. C'est un problème très délicat.
Nous avons pris une décision en ce qui a trait aux prestations pour enfants. Cette décision a été prise en 1976, avec la mise en place du crédit d'impôt remboursable pour enfants. Désormais, la nouvelle prestation d'impôt pour enfants est calculée en fonction du revenu familial.
Il y a des gens qui soutiennent qu'une pension est différente, sur le plan des principes, d'une prestation pour enfants étant donné qu'elle appartient à un individu. Ce sont des questions dont on va débattre. Il n'en reste pas moins qu'il est impossible de résoudre ces problèmes si l'on ne tient pas compte du revenu familial.
Le président: Je vous remercie. Je vais maintenant demander au Parti réformiste s'il a des questions à poser. Madame Ablonczy, voulez-vous poursuivre?
Mme Ablonczy: Merci, monsieur le président.
Je vous prie de m'excuser, monsieur Battle, d'avoir manqué une partie de votre exposé. J'apprécie que vous nous ayez remis ici des tableaux.
J'aimerais tout d'abord poser une question, notamment à M. Brown, au sujet de l'avenir du RPC, tel qu'il se présente à l'heure actuelle. Je crois que l'on s'inquiète de voir que l'on verse de plus en plus d'argent, par l'entremise du RPC, à des personnes souffrant d'une incapacité. Je crois que c'est quelque chose comme 2,2 milliards de dollars par an, et je relève que, selon les dernières prévisions, ce chiffre, qui devait être de 5 milliards de dollars en 2030, passera à plus de 10 milliards de dollars. Ces prévisions font état de chiffres impressionnants. Avez-vous des observations à faire sur la façon dont on gère ce domaine particulier du Régime de pensions du Canada?
M. Brown: Avons-nous toute une heure à y consacrer? Je vous renvoie plutôt à une étude publiée récemment par l'Institut canadien des actuaires, qui a examiné la question de façon assez détaillée. Vous pourriez l'obtenir dans la journée. Notre bureau se trouve ici même, à Ottawa.
La plupart des gens considèrent le Régime de pensions du Canada et le Régime de rentes du Québec comme des régimes de revenus de retraite. En réalité, 65 p. 100 seulement du montant global est consacré aux retraites. Les 35 p. 100 restants sont consacrés à des prestations annexes auxquelles la plupart des Canadiens n'accordent que très peu de valeur.
Parmi ces prestations annexes, le secteur qui progresse le plus rapidement est celui des prestations de revenu en cas d'incapacité. On est passé d'une part de 15 p. 100 du gâteau à 18 et même 19 p. 100, et ce pourcentage n'a pas fini d'augmenter.
Le nombre de demandes et de dossiers traités a fait un véritable bond ces quatre dernières années. La progression n'a pas été la même au sein du Régime des rentes du Québec. La raison en est apparemment la façon dont on détermine la capacité.
Dans le cadre du Régime des rentes du Québec, on s'en tient aux incapacités physiques devant déboucher sur le décès. Il s'agit-là d'une politique très dure et, si l'on peut dire, d'une façon assez froide de voir les choses.
Le Régime de pensions du Canada actuel prévoit un mécanisme d'appel à trois niveaux. Dans le cadre de ce mécanisme d'appel, sans que la formulation ait été modifiée, on a changé la définition de l'incapacité dans le traitement des demandes. Les nouvelles demandes portent sur des choses plus intangibles, des maux de dos, par exemple. S'ajoutent également à cela des invalidités liées par exemple au stress, au syndrome de fatigue chronique, c'est-à-dire dont le régime n'est pas physique et qui n'a pas d'effets visibles.
Par ailleurs, étant donné que le nombre de demandes a augmenté, cela a eu un effet plutôt pervers car tout ce secteur est occupé à traiter ces demandes supplémentaires et l'on n'a pu s'occuper sérieusement ni du volet réadaptation ni de l'évaluation des cas. Par conséquent, il y a de fait des gens qui travaillent et qui touchent en même temps des prestations d'assurance-invalidité du Régime de pensions du Canada. Il est clair que ce n'est pas la façon dont le système était censé fonctionner.
Je ferais enfin remarquer que les prestations d'assurance-invalidité du Régime des rentes du Québec complètent l'indemnisation des accidentés du travail, alors que le Régime de pensions du Canada est la première source de prestations dont tout le monde peut bénéficier - les entreprises, les compagnies d'assurance, ainsi que le système d'indemnisation des accidentés du travail. C'est la raison pour laquelle tout le monde essaie de faire participer leurs bénéficiaires au RPC car les prestations ainsi obtenues leur permettent de réduire leurs coûts.
Par conséquent, les parties prenantes qui s'efforcent conjointement de faire obtenir aux gens des prestations d'assurance-invalidité dans le cadre du Régime de pensions du Canada sont nombreuses. De fait, certaines entreprises utilisent ces prestations pour financer provisoirement le départ en retraite anticicipée d'employés qui n'ont pas l'âge requis en attendant qu'ils puissent toucher les prestations auxquelles ils ont droit à l'âge de 60 ans.
Mme Ablonczy: Je n'avais pas cette information et j'apprécie vraiment ces commentaires.
Je me demande si l'un d'entre vous a eu l'occasion d'étudier certaines des mesures prises au Royaume-Uni ou au Chili où l'on a remplacé des régimes qui ressemblaient beaucoup à notre RPC par des régimes obligatoires gérés et financés séparément. Si vous connaissez ces régimes, pourriez-vous nous dire s'il serait possible d'envisager ce genre de mesures pour effectuer les changements que nous devons apporter à notre RPC?
M. Brown: En Grande-Bretagne, les gens ont eu la possibilité d'abandonner les SERPS. Je ne me souviens plus de ce à quoi correspond ce sigle... le State Earnings-Related Pension Scheme. On a accordé d'énormes subventions financées par les contribuables pour encourager les gens à abandonner le système géré par l'État au profit d'un régime privé.
Au Chili, on a établi l'équivalent de RÉER obligatoires et là aussi, de très grosses subventions financées par les contribuables ont été versées. Je ne suis pas convaincu que, dans l'ensemble, cela assure une plus grande sécurité qu'auparavant. Le système a été privatisé. On a éliminé le coût du régime parrainé par le gouvernement, mais c'était un coût qui s'autofinançait.
Je ne suis pas sûr que la sécurité du revenu des retraités soit mieux assurée. Ce qui me déçoit vraiment, c'est que les représentants du gouvernement et d'autres qui font des commentaires sur ces régimes, tels l'étude de la Banque mondiale, ne font pas état des énormes subventions financées par les contribuables.
Si vous vouliez privatiser tout de suite le Régime de pensions du Canada, il faudrait que vous trouviez un moyen d'éponger le passif actuariel de 490 milliards de dollars dont le financement n'est pas assuré. On ne peut pas tout simplement privatiser demain matin le Régime de pensions du Canada. Cela n'est pas possible.
J'ai déjà vu des articles publiés dans les journaux britanniques où les gens disaient qu'on les avait persuadés d'abandonner les SERPS au profit d'un régime privé, et qui se rendent compte maintenant qu'auparavant, ils cotisaient à un régime totalement transférable qui leur donnait droit immédiatement aux prestations alors que maintenant, il y a un délai pour acquérir le droit aux prestations et les régimes ne sont pas totalement transférables. Cela ne leur plaît pas mais ils ne peuvent pas revenir en arrière.
Quant à moi, je réfléchirais à deux fois avant d'opter pour ce genre d'alternative. La grande question qui se pose c'est de savoir si, au bout du compte, vous jouissez effectivement d'une plus incontestable sécurité.
M. Myles: Rob a soulevé la question la plus importante, c'est-à-dire celle de la sécurité. Il y a quelque chose d'autre qui s'ajoute à cela, c'est le coût. Je ne sais pas à combien s'élèvent réellement les frais d'administration du système chilien car il y a des variantes, mais j'ai vu des estimations des frais généraux qui allaient de 13 à 30 p. 100 des fonds gérés dans le cadre du régime. Ce sont des programmes qu'il revient très cher d'administrer par comparaison à un régime comme le RPC.
Le président: Pouvez-vous nous dire pourquoi les frais d'administration sont si élevés?
M. Myles: Il existe une loi fondamentale qui s'applique à tous les régimes d'assurance: les frais administratifs sont inversement proportionnels à l'envergure du régime; en effet, si les régimes regroupent un grand nombre de gens, les frais sont peu élevés.
J'ai siégé à un moment donné au Comité établi par l'Université Carleton pour gérer son régime de pensions. Les professeurs de Carleton, comme tout le monde, cotisent au RPC et à un régime privé. Pour ce qui est du RPC, on chargeait un commis d'envoyer un chèque au gouvernement et cela suffisait.
Pour administrer le régime de pensions de l'Université, on avait établi un comité d'employés et de représentants de l'administration qui se réunissaient deux à trois fois pas an. Deux personnes étaient chargées de s'occuper du fonds de pension. Nous avions recours aux services d'au moins quatre firmes: une pour investir les fonds, une autre pour contrôler ceux qui effectuaient les investissements, et ainsi de suite. Par conséquent, les frais qu'il faut engager pour gérer un régime de petite envergure par rapport à l'argent qui est investi sont nécessairement plus élevés.
Par ailleurs, les concurrents du secteur privé se battent pour avoir les fonds et vous en arrivez à payer des agents de marketing et de publicité pour vous convaincre que vous devriez investir vos fonds dans le régime. Sur ce point, un système obligatoire financé publiquement a un avantage certain. Nous ne payons pas de commissions à des vendeurs pour qu'ils placent le Régime de pensions du Canada et nous ne faisons pas beaucoup de publicité le 28 février pour annoncer qu'il est temps de verser votre contribution au RPC.
Le président: Désolé de vous avoir interrompu, madame, continuez, je vous prie.
Mme Ablonczy: Merci, monsieur le président.
Malheureusement, je dois me rendre à une réunion mais mon collègue peut poursuivre la discussion.
Ma dernière question est vraiment une question de fond. Étant donné que nous nous sommes engagés à assurer certains avantages à nos concitoyens, étant donné que le seul véritable moyen de tenir cette promesse et d'augmenter de façon non négligeable les cotisations, et étant donné que cette hausse non négligeable des cotisation pourrait être vue d'un très mauvais oeil par ceux qui doivent les payer, à votre avis, et je m'adresse à vous tous, que devrions-nous faire pour régler cette situation de la façon la plus réaliste et la plus viable?
M. Brown: Encore une fois, monsieur le président, je vous renvoie à une étude effectuée par l'Institut canadien des actuaires où l'on démontrait comment l'on pourrait ramener à 9,9 p. 100 une augmentation qui avait été fixée au plus juste, croyait-on, à 13,4 p. 100, d'une part, en modifiant les prestations - relever l'âge des ayants-droits et réduire certains des avantages sociaux qui, même si les gens ne semblent pas s'en rendre compte, absorbent 35 p. 100 du flux de trésorie - et, d'autre part, en apportant deux ajustements actuariels à la façon dont les prestations et les cotisations sont calculées.
Je ne pense pas que nous ayons décidé que le pourcentage de 9,9 p. 100 était un objectif magique, mais c'est un peu comme lorsqu'on achète une voiture. Si elle coûte 19 999$, on ne sait trop comment cela paraît plus avantageux que si elle vaut 20 000$. D'après nous, arriver à 9,9 p. 100, ce n'était pas si mal, et nous avons pensé que les gens jugeraient peut-être acceptable une augmentation de 9,9 p. 100, alors que 13,4 p. 100, cela ne leur convenait pas. Évidemment, on parle maintenant de 14,2 p. 100, mais il y a des moyens de couper dans le système et de faire baisser ces cotisations de façon appréciable.
M. Breitkreuz (Yellowhead): J'ai une question à poser à laquelle on a peut-être déjà répondu. Vous avez parlé de réaliser des économies de 2 000$ à 3 000$ dans le cas de couples dont les revenus dépassent 100 000$.
Si l'on prend en compte l'ensemble des gens que cela touche, qu'est-ce que cela représente, des millions ou des milliards de dollars? Est-ce que cette petite coupure de 2 ou 3 p. 100 imposée aux gens qui ont des revenus élevés va faire vraiment une différence? Avez-vous, les uns et les autres, estimé à combien s'élèveraient les chiffres globaux? Si l'on fait des coupures dans les prestations, qu'elle sera l'envergure de cette réduction?
M. Battle: Comme je l'ai dit lorsque j'ai commencé à parler de cette solution, elle n'est pas chiffrée. Bien sûr, la façon dont elle est conçue se traduit au bout du compte par des différences énormes de coûts, qu'il s'agisse de coûts bruts ou de coûts nets. En bref, non, je ne peux vous répondre aujourd'hui car il ne s'agit pas d'une proposition qui a été précisée, masi c'est exactement le genre de chose que nous examinons pour pouvoir élaborer en détail une proposition.
Vous avez raison; tout en haut de l'échelle, il n'y a pas grand monde et cela ne représente pas grand-chose. Mais parmi les contribuables à revenu moyen, on retrouve un grand nombre de personnes âgées - beaucoup plus qu'en haut de l'échelle - et il faudrait déterminer les économies relatives que l'on pourrait faire à ce niveau. Cela devient compliqué.
Lorsqu'on cherche à déterminer ce que cela représente pour le gouvernement, les gouvernement fédéral et provinciaux perdraient les revenus qu'ils tirent de l'imposition de la sécurité de la vieillesse. Mais d'un autre côté, ils n'auraient pas à payer le crédit en raison d'âge ni le crédit pour revenu de pension, car dans le cadre de cette proposition, ils seraient amalgamés au reste. De fait, j'ai fait les calculs et le gouvernement fédéral perdrait environ un demi-milliard de dollars si ces crédits étaient amalgamés et les provinces, environ 55 p. 100 de ce montant. Par conséquent, il y aurait à cause de cela un coût supplémentaire.
Vous avez raison; il faut tenir compte de tous ces facteurs. La proposition n'a pas encore été précisée et il faut que nous examinions toutes ces questions qui ont trait à la répartition.
Permettez-moi de répéter ce que j'ai dit plus tôt. Même s'il semble qu'enlever des prestations aux gens qui ont un revenu ne se solde pas par grand-chose, si l'on songe aux coûts, cela représente bel et bien quelque chose, étant donné que les dépenses ne cessent d'augmenter. C'est que le montant d'argent qui sort - en valeur absolue et non en pourcentage - va bien sûr augmenter. Ce que nous recherchons, ce n'est pas réduire maintenant ce montant d'argent, mais juguler toute future augmentation.
M. Breitkreuz: Vous avez dit que nombre de ces problèmes ont leur source dans un régime fiscal abominablement compliqué. Cela signifie-t-il que nous pourrions résoudre certains de nos problèmes en simplifiant notre régime fiscal et en le rendant plus transparent?
M. Battle: Oui, je serais d'accord avec vous sur ce point. Depuis que j'ai commencé à travailler dans ce secteur d'activité, j'ai vu les réformateurs de la politique sociale poursuivre cet objectif et essayer d'instaurer un système qui soit non seulement plus simple, mais également plus logique. Je vous ai montré les différences. En toute franchise, c'était bien pire auparavant, jusqu'à ce que le précédent gouvernement réforme le régime fiscal. Cela a effectivement, dans une certaine mesure, amélioré le système de transfert fiscal.
Cela ne touche que le gouvernement fédéral. Lorsqu'on fait entrer en ligne de compte les éléments dont les gouvernements provinciaux sont responsables... Je ne vous ai pas parlé de cela, mais bien évidemment, il y a des provinces qui font entrer certaines prestations dans leur régime fiscal. Cela se reflète également dans la distribution et l'on aboutit à des résultats très étranges.
Donc, la réponse est oui, cela vaut la peine, à mon avis, de chercher à instaurer, comme on dit dans le métier, un système de transfert fiscal plus simple. C'est un objectif qui est toujours valable. Cela ne regarde pas uniquement les gouvernements, c'est une question qui intéresse également tous les Canadiens. À l'heure actuelle, une famille n'a aucun moyen de déterminer quel est le montant de la prestation fiscale pour enfants qu'elle reçoit. Une personne âgée n'a aucun moyen de savoir exactement quel est le montant de la pension de vieillesse qu'elle reçoit à moins de pouvoir disposer d'un modèle fiscal.
Je ne pense pas que cela soit une bonne façon de fonctionner dans une démocratie. On peut défendre toutes sortes de programmes, de prestations ou de système fiscal possible, mais je crois à la valeur d'une politique sociale et gouvernementale transparente. Les gens devraient être capables de la comprendre.
M. Breitkreuz: Quelqu'un d'autre a-t-il des commentaires à faire sur cette question d'impôt ou sur celle des retombées à grande échelle que j'ai soulevées?
M. Brown: J'ajouterai que certains des taux d'imposition les plus élevés ne sont pas là où l'on s'attendrait à les trouver. Ken sera d'accord avec moi, aux niveaux les plus bas, s'il y a un supplément provincial, il y a dans la province de l'Ontario des taux d'imposition de près de 100 p. 100 qui frappent des gens qui perdent ainsi leur SGR et les gains qu'ils peuvent réaliser.
De fait, comme Ken l'a souligné, certaines des caractéristiques du régime fiscal défient toute logique. Par moments, c'est un vrai billard, et tout d'un coup, il y a plein de nids-de-poule. Il y a beaucoup de choses qui ne sont guère rationnelles.
Et puis, bien sûr, les mesures incitatives que comporte le régime ne sont pas les bonnes. Si vous savez que le moindre sou que vous recevez va être imposé à 100 p. 100, comment voulez-vous que cela incite les gens à se montrer responsables?
M. O'Reilly (Victoria - Haliburton): Je ne sais pas combien de fois il m'est arrivé de me retrouver dans la même salle qu'un professeur. Le professeur Brown est né à Lindsay, comme moi. Nous avons fréquenté la même école même si, au moment où il a reçu son diplôme, je pense que j'étais à l'Expo. Je compte toujours ses parents parmi mes électeurs et mon fils va à l'Université Waterloo; d'un côté comme de l'autre, je suis pris et il va donc falloir que je fasse attention. Je n'ai jamais eu de chance au jeu, mais peut-être devrais-je me lancer.
Il y a une semaine aujourd'hui, j'ai rencontré les enseignants retraités de l'Ontario. J'ai examiné un peu les trois plans - celui du gouvernement, le régime privé et le régime individuel - et je les ai assurés qu'ils avaient jusqu'à environ 2015 pour modifier le plan; sinon, le calcul actuariel n'étant plus fiable, tout serait suspendu.
De mon point de vue, le baby boom a commencé en 1940 et s'est terminé en 1966. Les répercussions nettes de ce phénomène se feront sentir en 2015 ou 2016. Certains des chiffres qui ont été cités diffèrent quelque peu de ceux que vous nous avez donnés, vous et M. Battle. En premier lieu, je veux savoir si ces chiffres sont exacts.
Deuxièmement, comme vous le savez, le gouvernement a l'intention d'entreprendre une réforme des régimes de pension. Le processus est lancé - je crois que c'est à cela que servent nos discussions - et vous nous dites, monsieur Brown, que le document que vous présentez est une première ébauche. Je veux savoir quand la version finale sera prête, le cas échéant, et si vous allez revenir devant le comité à ce moment-là, maintenant que le processus est lancé.
Ce qui m'intéresse particulièrement, c'est de savoir ce qui, selon ces messieurs, notammentM. Lux, devrait constituer les priorités de ce comité pour que nous puissions réformer ce régime et assurer la fiabilité du calcul actuariel et non nous contenter de prendre quelques mesures d'urgence et de laisser au prochain gouvernement le soin de régler le problème.
Mon autre question ressemble davantage à une observation sur le régime fiscal. Il semble qu'à l'heure actuelle, si vous n'avez pas d'argent, vous êtes particulièrement visé par le régime fiscal, ou presque. Si vous sautez un paiement, c'est un peu comme si vous étiez déjà K.-O. et que l'on continue de vous frapper. Si vous n'avez pas d'argent et que vous sautez un paiement, on vous demande le double. Ce n'est pas la carotte que l'on utilise, c'est le bâton. En tant que sociologue, quelle méthode devrions-nous employer, selon vous, pour rendre le système plus efficace et moins dur sur les gens?
Cela fait beaucoup de questions.
M. Brown: Je vais répondre à deux d'entre elles et ensuite, je passerai la main.
Il y a diverses définitions du baby boom. Je ne suis pas sociologue. Je me préoccupe davantage du nombre de cohortes qui requièrent des pensions. On peut dire, je pense, que si je m'intéressais à l'aspect sociologique du baby boom, je chercherais à déterminer quand le taux de fécondité a changé - quand il a monté, quand il s'est stabilisé et quand il a baissé. Tout cela a précédé le moment où un certain nombre de cohortes requièrent des pensions et des soins de santé.
Étant donné que ce qui me préoccupe c'est la consommation de ces cohortes, pour moi, le baby boom se situe entre 1952 et 1966. Quand le taux de fécondité a-t-il changé? C'était dans les années 30. Quand a-t-il changé à nouveau? Il a changé à nouveau en 1959. Un sociologue s'intéresserait sans doute davantage à cela pour essayer d'expliquer ou de prévoir ce qui va se passer. Vous pouvez adopter ma définition ou celle de quelqu'un d'autre.
Les chiffres sont valables.
Des voix: Oh, oh!
En ce qui concerne votre troisième question, je ne suis pas convaincu que le calcul actuariel du Régime de pensions du Canada ne soit pas fiable. Je pense l'avoir dit auparavant, mais je le répète. Si on me l'avait proposé en 1966, j'aurais adhéré, sans réserve ou presque, à ce qui a été mis en place.
Il n'est pas nécessaire de tout mettre au panier. Il faut réviser le régime. Il faut le modifier. C'est un régime qui a 30 ans. Comment peut-on imaginer mettre en place un système de cette ampleur et ne pas avoir à le réviser après 30 ans? Je pense que la première chose que vous pourriez faire c'est convaincre les Canadiens qu'ils peuvent compter sur ces prestations.
Pour ce qui est des impôts, vous avez demandé que ce soit un sociologue qui vous réponde. Je viens juste de dire que je ne suis pas du tout sociologue, je m'en tiendrai donc là.
M. Myles: Peut-être pourrais-je répondre puisqu'on parle de sociologie. Je suis sociologue et j'ai la même définition du baby boom que les actuaires.
J'aimerais juste ajouter quelque chose aux observations de Robert Brown sur la rumeur voulant que le calcul actuariel du Régime ne soit pas fiable. Le calcul actuariel est tout à fait fiable. Les gens qui ont conçu le système...
On sait depuis longtemps qu'il va falloir augmenter le taux des cotisations. Ce n'est pas nouveau. Ce qui est nouveau, ce sont peut-être les niveaux, que l'on parle de 12 p. 100, 13 p. 100 ou 14 p. 100, mais pour ce qui est de l'augmentation elle-même, il n'y a là rien de nouveau. On s'y attendait bel et bien. Si la croissance économique était de 3 p. 100 ou 3,5 p. 100 par an, comme c'était le cas dans les années 1950 et 1960, on n'en parlerait même pas. Cela ne poserait aucun problème.
Une des tâches dont vous devriez vous charger, c'est d'informer la population. Si vous décidiez demain de vous débarrasser du RPC et de tout reprendre à zéro, la future population active n'y gagnerait pas un sou car il faudrait remplacer ce régime par quelque chose d'autre. Nous allons continuer de subvenir aux besoins de la population qui fera partie du troisième âge en 2030 ou 2015. La question qui se pose, c'est comment.
Soit le taux des cotisations augmente, soit c'est la richesse accumulée par les personnes âgées sous forme de dividendes-actions et de versements d'intérêts qui va augmenter. Sinon, il va falloir revenir au système qui existait dans les années 1920, avant qu'on n'institue les pensions; papa et maman viendront vous voir et vous leur ferez un chèque. D'une façon ou d'une autre, la population active subviendra aux besoins des personnes âgées en l'année 2015.
Là n'est pas la question, ce dont on discute, c'est du mécanisme à mettre en place. C'est cela qu'il faut que vous expliquiez aux gens. Veulent-ils avoir recours au RPC? Veulent-ils que cela se fasse par le biais des REÉR? Ou veulent-ils que l'on revienne à un système où l'un des enfants reste à la maison jusqu'à l'âge de 30 ou 40 ans pour s'occuper de papa et maman et doit attendre que papa et maman meurent pour se marier et avoir des enfants à son tour?
Et bien sûr, aujourd'hui, vous avez 60 ou 65 ans quand vos parents meurent. La situation n'est plus du tout la même.
M. McKie: Un détail à ce propos: je pense que la solution qui consiste à laisser les enfants se charger de cela n'a plus cours car, depuis des générations, il n'y a plus de familles nombreuses et rien n'indique qu'à l'avenir, il y en aura. Sur le plan pratique, je ne pense que l'on puisse envisager cette solution.
Peut-être que la solution des REÉR ne marchera pas parce que, depuis 15 ans, le revenu des gens est attaqué de toutes parts. Je ne connais pas assez bien le système des REÉR pour dire si c'est une solution que peuvent envisager un grand nombre de gens.
Par conséquent, il ne me reste que le système public: il a fallu un certain courage pour le mettre en place et peut-être qu'il va falloir également du courage pour continuer de le faire fonctionner. À mon avis, c'est très important de maintenir l'engagement que nous avons pris avec les Canadiens plus âgés et d'en respecter les conditions. Il y a pas mal de crédibilité en jeu et il ne me semble pas que cela soit une bonne idée de tout simplement leur couper l'herbe sous le pied maintenant.
Mme McDaniel: Avant que Craig ne prenne la parole, je m'apprêtais à ajouter quelque chose aux observations de John, et maintenant je suis obligé de dire que je ne suis pas d'accord avec lui.
Je m'apprêtais à dire que, selon moi, si l'on s'occupe de ce que l'avenir nous réserve, cela nous empêche peut-être de bien examiner ce qui se passe actuellement. À l'origine de mes propres recherches et de celles qui sont effectuées par d'autres, il y a l'idée - et les données que l'on a là-dessus ne sont pas du tout suffisantes - que les familles subviennent déjà aux besoins de gens qui sont plus âgés. Elles subviennent déjà aux besoins de gens qui ne travaillent pas et qui, parce qu'ils n'ont pas l'âge de la retraite, ne touchent pas de pension, et de plus, il y a des gens plus âgés qui subviennent aux besoins de leurs enfants adultes; la dépendance existe aussi dans ce sens-là.
Les familles sont déjà chargées de tout cela. Dire que c'est ce que l'avenir nous réserve... c'est peut-être vrai; nous ne le savons pas. Mais cela existe déjà maintenant, même si nous ne savons pas quelle est l'ampleur du phénomène parce que nous n'avons pas de données adéquates.
[Français]
M. Lux: Je voudrais faire un commentaire à propos de ce qui a été dit sur la disparition de l'universalité du Régime de pensions du Canada. Il n'y a pas de doute que cette universalité a disparu et on a montré qu'il y avait une iniquité selon qu'il y avait deux revenus ou un revenu total identique.
Il y a d'autres sources d'iniquité. On a parlé du coût de la vie qui est différent d'une région à l'autre, mais il y a une autre source. On peut démontrer que le rythme auquel l'augmentation des cotisations se fera dépendra, entre autres, du taux de fécondité. Plus le taux de fécondité sera élevé, moins rapidement ce rythme augmentera.
À ce moment-là, on se pose la question. Les gens qui auront eu deux, trois ou même quatre enfants, ce qui est une minorité, auront par ce simple fait contribué à ralentir ce rythme et auront donc rendu un service à la collectivité. Ceux qui n'auront pas eu d'enfants ou qui n'en auront eu qu'un, quelle qu'en soit la raison, n'auront pas contribué à ce ralentissement et donc à l'allégement relatif des charges.
Or, il n'est pas tenu compte de cette différence dans l'attribution des pensions. Deux couples ont le même revenu global de 60 000$ grosso modo. Celui qui a beaucoup d'enfants aura quelques suppléments, mais ces suppléments ne couvrent qu'une faible partie du coût réel de l'éducation des enfants. Ils auront donc un niveau de vie, à l'âge adulte, sensiblement inférieur à celui du couple qui n'a pas d'enfants ou qui n'en a qu'un. Ce couple n'aura eu qu'un seul revenu parce que la mère de quatre enfants n'aura pas eu une carrière normale. Ils seront frappés par cette iniquité, parce qu'il y aura le claw-back, après avoir «souffert» d'un niveau de vie inférieur pendant leur âge adulte.
De plus, leurs enfants, une fois devenus adultes, devront payer des contributions pour les pensions et pour les soins de santé des personnes âgées qui, elles, n'ont pas pu ou n'ont pas voulu assurer leur remplacement par des enfants devenus adultes. Ce comité devrait se pencher sur ce phénomène. C'est un phénomène que le démographe français Alfred Sauvy avait décrit quand il était venu ici, à Ottawa, il y a pas mal d'années. Il est mort maintenant.
Donc, en matière d'équité sociale, il y a là, je pense, un problème qui n'est pas qu'un problème à l'intérieur d'une même génération: c'est aussi un problème intergénérationnel.
[Traduction]
M. McCormick: Ma question s'adresse à M. Lux et (ou) aux autres. Vous et vos collègues avez soumis à notre considération des points de vue extrêmement divergents. Je me demande si, étant donné votre expérience en la matière, vous pouvez nous donner une idée de la façon dont nous devons envisager ces arguments.
M. Lux: Je ne suis pas certain d'avoir compris votre question.
M. McCormick: Il faut examiner toutes les différentes propositions. Que proposez-vous comme moyen pour équilibrer nos décisions au sujet d'opinions aussi diverses?
M. Lux: Je ne sais pas si vous avez assez de crédits pour organiser une brève réunion de ces auteurs. Ce serait une façon de régler la question. L'autre façon consisterait à examiner les différentes hypothèses qui sous-tendent les diverses études. Cela vous permettrait d'expliquer une partie des différences et des résultats.
De manière plus générale, je pense que les analystes plutôt optimistes ont oublié certaines hypothèses ou ont fait des hypothèses trop optimistes. Par exemple, il y a l'hypothèse du plein emploi. Nous en sommes bien loin. Il y a aussi l'idée qu'en devenant plus riches, on pourrait diminuer le pourcentage des contributions. C'est un point de vue que je ne partage pas.
Les pensions pour lesquelles on doit cotiser ne seront pas calculées en fonction du revenu réel d'aujourd'hui, mais à partir du revenu réel de l'époque où elles seront versées. En 2040, on sera peut-être deux fois plus riches qu'aujourd'hui, mais si le niveau de pension est fixé à 50 p. 100 du revenu moyen réel, il sera également deux fois plus élevé qu'aujourd'hui. Ainsi, le pourcentage de nos cotisations restera le même.
M. McCormick: Merci beaucoup.
M. Lux: Mais bien entendu, je n'ai pas toutes les réponses.
M. McCormick: Peut-être, mais vous m'avez donné beaucoup de pistes de réflexion. Il est certain qu'il nous reste encore beaucoup d'analyses à faire et je suis prêt à m'y atteler.
J'ai une question pour M. Brown, qui a dit que notre tâche principale consiste à convaincre les Canadiens et les Canadiennes que les caisses ne seront pas vides au moment où ils atteindront l'âge de la retraite. Je me demande qui pourra convaincre les bureaucrates du gouvernement canadien et peut-être certains politiciens ainsi que plusieurs organes du gouvernement. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Brown: J'ai été conseiller municipal pendant six ans et quand je posais des questions comme celle-là, les gens me disaient: «Mais voyons, c'est votre travail et vous êtes bien payé pour le faire».
M. McCormick:
[Inaudible - Éditeur] ...d'autres commentaires.
M. Brown: À titre de conseiller, je gagnais 11 000$ par an.
C'est le genre de problèmes difficiles auxquels vous serez confrontés. Vous aurez à définir un consensus à partir des trois ou quatre dernières réponses que vous avez entendues...en fin de journée, vous pourrez avoir retenu les opinions différentes que nous avons exprimées ou, au contraire, les points communs de nos différents discours. Je pense que le point commun qui ressort du débat d'aujourd'hui est que nous pouvons et nous devons conserver notre système de sécurité sociale.
Je pense que les politiciens sont actuellement en butte à un certain cynisme, injustifié bien sûr, de la part de la population. Il faudrait peut-être confier à des citoyens non mêlés au monde de la politique le soin de transmettre ce message. Lorsque nous avons réformé le régime des pensions au milieu des années quatre-vingt, nous avions organisé un long et vaste débat sur la question. Ce débat avait duré longtemps et beaucoup de gens y avaient participé. Je pense que nous avions atteint un consensus, même si la loi qui en a résulté ne reflètait malheureusement pas ce consensus.
Je pense que les citoyens canadiens avaient une meilleure connaissance des problèmes une fois que tous les documents avaient été publiés. Il serait très utile de consacrer le temps et l'argent nécessaires pour permettre aux gens de s'exprimer au cours d'un long débat. C'est extrêmement important. On ne peut pas prendre une décision du jour au lendemain sur cette question.
M. McCormick: Je crois que c'est important en effet, car beaucoup de gens, nos voisins, nos amis n'ont pas confiance dans l'avenir.
Je suis convaincu que vous êtes une de ces personnes qui ont décidé de contribuer à rassurer les Canadiens et c'est pour cela que vous êtes venu aujourd'hui. Je suis certain que nous vous inviterons à nouveau à venir témoigner.
Merci beaucoup.
Mme Minna (Beaches - Woodbine): J'aimerais simplement dire à M. Brown que je partage son point de vue. Il faut transmettre le message et il faut organiser un débat.
Je crois que les politiciens doivent faire participer la population au débat en invitant par exemple des leaders d'opinion comme vous-même, étant donné que les politiciens ne sont pas tous du même avis. Les députés du gouvernement ont une opinion et ceux de l'opposition une autre. Cela ne fait qu'ajouter à la confusion. Il faut établir un dialogue entre les deux parties.
J'aimerais revenir au tableau que vous nous avez présenté quand vous nous avez parlé de la période comprise entre 1966 et 2031, et du report des pensions de 65 ans à environ 70 ans. Dans votre esprit, est-ce qu'il était question uniquement du RPC, à l'excetion de la sécurité de la vieillesse et d'autres prestations? Pouvez-vous préciser ce point?
M. Brown: Dans le tableau que j'avais, il était question du transfert intégral des fonds gérés publiquement. Cela englobe les soins de santé, tout le système de sécurité sociale et l'assurance-chômage. Il vise en fait à regrouper le transfert des richesses publiques au sens le plus large du terme.
Mme Minna: Dans votre calcul, est-ce que vous avez tenu compte des changements de lieu de travail de la main-d'oeuvre, dont Mme McDaniel a parlé un peu plus tôt? En effet, on constate que le travail à temps partiel augmente et que les travailleurs et travailleuses ont tendance à moins contribuer à une partie du transfert des richesses, en l'occurrence le RPC. Il faut également tenir compte d'une diminution des régimes privés subventionnés par le gouvernement, qu'il s'agisse de REÉR ou de RPA, étant donné que les régimes de pension des entreprises connaissent actuellement une baisse. En effet, certains travailleurs et travailleuses seront pratiquement en transition, en semi-retraite, longtemps avant d'avoir 65 ou 70 ans.
La question est très complexe, car les gens auront de la difficulté à être auto-suffisants longtemps avant d'atteindre 65 ou 70 ans, ou l'âge qui aura été choisi pour la retraite. J'aimerais connaître ces variables. Je ne sais pas comment on devra s'y prendre, mais ce sont des variables qu'il est extrêmement important de prendre en compte.
M. Brown: Dans la mesure du possible, nous avons utilisé des extrapolations des tendances observées au moment de l'étude.
En fait, cette étude n'est plus toute jeune et le travail que j'ai fait commence à dater. Une partie de mes analyses remonte au début des années quatre-vingt et une autre partie à la fin. J'en suis à mon 33e rapport, puisque je dois toujours m'ajuster à la réalité.
Il faut comprendre que j'effectue des changements de ratios. C'est une méthode qui n'est pas facile à saisir d'emblée. S'il y a beaucoup de chômeurs maintenant et que le pourcentage reste le même, mes ratios ne changent pas. Ils ne changent pas non plus si le pourcentage des gens qui occupent des emplois à temps partiel reste le même. Dans un sens, les ratios présentent l'avantage de ne pas changer dans la mesure où les chiffres supérieurs changent dans une proportion égale aux chiffres inférieurs.
En fait, j'ai adapté le modèle afin qu'il ne soit pas indûment compliqué par tous les changements qui interviendront après 2006, car je suis fermement convaincu qu'on aurait raison de critiquer toutes ces hypothèses plutôt que les résultats. J'ai commencé par définir dans quel secteur a eu lieu le grand changement. C'est ce que nous appelons un modèle très robuste. Quelles que soient les hypothèses, il semble que 2006 soit l'année butoir au cours de laquelle il faudra envisager de faire quelque chose.
J'ai dit qu'une fois arrivé en 2006, il faudrait faire de notre mieux pour extrapoler les tendances qui se seront fait jour jusque-là, mais après, il faudrait contraindre le modèle à accepter qu'avec un tel ratio les effets seraient nuls.
Vous pouvez voir là un défaut du modèle, mais quelles que soient les hypothèses que j'aurais prises, vous auriez pu également critiquer le modèle.
Mme Minna: Madame McDaniel, je comprends que le RPC a été conçu afin de ménager des augmentations. Je comprends votre formule de transferts des richesses et la façon dont vous utilisez les données.
J'essaie d'englober tout le monde, au gouvernement et parmi la population canadienne. Actuellement, les chômeurs chroniques sont assez nombreux au Canada et je crains que certains d'entre eux ne retrouvent jamais un emploi à temps plein.
Les anciens travailleurs et travailleuses de l'industrie légère qui ont perdu leur emploi lorsque leur entreprise a fait faillite ont actuellement la cinquantaine et ne peuvent pas bénéficier des prestations. Ils vont devoir se contenter d'un emploi à temps partiel au cours des 10 ou 15 prochaines années, pendant une dizaine d'années en tout cas, et d'une certaine forme d'aide du gouvernement, mais ils n'auront pas droit en bout de ligne à une grosse pension de retraite, en dehors de la sécurité de la vieillesse.
En raison des difficultés qu'occasionne le rajustement de l'industrie, je me demande s'il ne serait pas préférable à court terme d'accorder une retraite anticipée aux chômeurs chroniques et ensuite de changer de système.
Je ne sais si j'ai été très clair. Mon idée est de proposer un système qui n'offrirait pas la prestation de pension, mais des prestations de sécurité du revenu qui aideraient les personnes à ne plus dépendre des prestations de bien-être social, en cette époque où il y a tant de gens qui sont sans travail. Cela s'adresserait aux personnes qui n'ont pas un bon emploi bien rémunéré et assorti d'une bonne retraite et d'autres avantages et qui sont incapables d'effectuer une contribution significative.
Quelqu'un s'est-il intéressé à ce genre de choses?
Mme McDaniel: Vous venez de soulever plusieurs aspects importants. Ce qui est intéressant dans les échanges que nous avons, c'est que les informations viennent tant de l'autre côté que du nôtre. J'en apprends beaucoup.
Je pense que le principe de la sécurité du revenu, par opposition à la sécurité sociale, la sécurité des pensions, la sécurité du travail ou la sécurité de la famille, est un principe essentiel qui doit être repensé. J'y pensais justement lorsque Rob évoquait un peu plus tôt la diminution de la sécurité que ressentent les Canadiens.
Les participants à la Conférence nationale sur la sécurité familiale ont indiqué qu'il s'agissait là d'un aspect capital, souligant que les citoyens se sentent menacés dans leur sécurité au sens le plus large lorsque leurs pensions sont remises en cause et que surgit le spectre du déficit ou de la criminalité. C'est justement la question que vous avez soulevée.
Le problème, c'est que les données dont nous disposons actuellement sont insuffisantes. Au cours du débat que nous menons actuellement, il a été question de différents modèles qui sont aussi bons les uns que les autres, j'en suis certain. Par contre, la façon dont nous percevons le problème ne nous permet pas de tenir compte de ce type de sécurité.
Par exemple, on ne tient pas compte des contributions en nature qui sont pourtant extrêmement importantes pour les pauvres.
Pendant le déjeuner, on parlait de Terre-Neuve, où le pourcentage des dons de charité est le plus élevé. On ne tient absolument pas compte de ce type de don et pourtant, il reflète un sens de la communauté et de l'appartenance. Nous n'avons pas de données sur le sujet.
C'est un aspect qui, même s'il paraît négligeable, est extrêmement important. Pour commencer, je souhaiterais que Statistique Canada prenne en compte tous ces changements, ainsi que le travail non rémunéré et les contributions en nature qui aident beaucoup l'économie et encouragent la définition de nouveaux cadres.
S'il s'avère que la machine est trop difficile à régler, débarrassons-nous de tout le système et imaginons-en un autre. C'est exactement ce qu'on fait les concepteurs du système actuel en 1966.
Ce n'était peut-être pas des génies, mais ils avaient un QI d'au moins 120. Ils se sont bien débrouillés à l'époque et avec tout ce que nous avons appris depuis, nous pouvons certainement faire mieux 30 ans plus tard.
Je ne suis pas certain qu'une machine de 30 ans ait besoin d'être ajustée. Je ne sais pas combien d'entre vous ont plus de 30 ans, mais lorsque moi j'avais 30 ans, je n'avais pas besoin d'ajustement, et je ne suis pas certain que nous en ayons besoin actuellement. Nous devons peut-être nous débarrasser carrément de toute la machine et repartir à zéro.
Certains de vos commentaires concernant la sécurité sont extrêmement importants pour l'analyse du problème.
Le président: Monsieur McKie, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. McKie: J'aimerais ajouter un commentaire.
Je crois qu'il faudrait trouver un moyen de réintégrer les personnes de 50 ans qui ne parviennent plus à trouver du travail. Je ne sais pas exactement ce qu'il faudrait faire, mais j'estime que le fait de mettre ces gens-là au rencart constitue un immense gaspillage de main-d'oeuvre et d'énergie humaines.
Il y a des choses à faire dans cette société qui dépassent le contexte du travail rémunéré. Il peut s'agir tout simplement de trouver un moyen de répondre aux beesoins de ces personnes. Si rien n'est fait, les conséquences en seront très lourdes sur le plan du moral et de l'estime de soi pour ce groupe de personnes et je suis convaincu que nous avons tous le devoir d'agir, étant donné que, dans un sens, nous portons tous la responsabilité de ce problème temporaire pour avoir négligé le secteur industriel au profit des télécommunications.
Cela ne s'est pas produit par accident, ni d'ailleurs par décision gouvernementale, mais nous avons tous une responsabilité collective à l'égard des personnes qui ont perdu leur emploi traditionnel et qui, pour une raison ou une autre, ne peuvent pas apprendre un nouveau métier. Je pense que nous devons reconnaître notre responsabilité, qui n'est peut-être pas économique. La sécurité a peut-être une dimension plus grande qui dépasse la mesure économique immédiate. La sécurité vise une gamme de services humains et communautaires plus vaste qui ne peut pas s'instaurer uniquement par l'application de mesures économiques.
J'invite le groupe à entrevoir la sécurité sous un angle plus large que le simple revenu.
Voilà ce que j'avais à dire. Cela m'a pris pas mal de temps, je vous remercie de m'avoir écouté.
M. Myles: Je vous invite à y penser en termes de revenu. Comme c'est le cas pour beaucoup d'autres problèmes, je pense que les gouvernements finissent par devoir pallier l'échec du marché. L'effet de la restructuration économique sur le salaire des jeunes adultes et sur les travailleurs plus âgés en chômage de longue durée est une forme d'échec du marché. Le marché s'adapte, au détriment de ces travailleurs et travailleuses.
Je pense que nous avons trois options. La première est de ne rien faire, de livrer ces gens à eux-mêmes. La Suède est probablement la seule économie occidentale qui ait totalement évité ce problème, principalement en rendant pratiquement impossible le licenciement des travailleurs et leur mise en chômage en raison de la restructuration des entreprises. Depuis le début des années 1970 surtout, les Allemands et les Hollandais ont choisi une voie - peut-être pas délibérée, mais certainement systématique - consistant à utiliser le régime d'assurance-invalidité pour aider les travailleurs au cours de cette période de transition. Dans une certaine mesure, c'était des prestations d'assurance-chômage, mais surtout des prestations d'invalidité.
Ce qui préoccupe Rob au sujet de la croissance et des prestations d'invalidité, c'est, tout au moins en partie, le choix que doivent faire ces travailleurs âgés. S'ils ont plusieurs choix, ils ne sont pas très intéressants.
Le président: Nous allons laisser Andy Scott poser une question très brève avant de conclure.
M. Scott: Merci, monsieur le président. Je n'avais pas eu l'intention de poser de questions, jusqu'à ce que vous parliez des échecs du marché.
Vous n'allez pas pouvoir me répondre, mais j'aimerais vous amener à y réfléchir. Et, sait-on jamais, quelqu'un aura peut-être une idée.
Quel était le principe à l'origine de la création de l'ancien système de sécurité de la vieillesse? En d'autres termes, si le système a été conçu, d'une part, pour permettre aux travailleurs et travailleuses de cesser de travailler à un moment donné de leur vie, après avoir économisé dans cette perspective, avec l'aide de l'État, c'est une chose. Si le système a été conçu de manière à permettre à certaines personnes d'accumuler au cours de leur vie suffisamment de réserves pour ne plus avoir besoin de rien - et ceci pour compenser cela... J'aimerais savoir pourquoi des personnes qui se trouvent dans la même situation ne bénéficient pas du même traitement selon qu'elles ont plus de 65 ans ou seulement 30 ans. Pourquoi ne pas se servir des prestations d'assurance-chômage?
Vous parlez d'une refonte complète du mécanisme. Venant de la région de l'Atlantique, il me semble que le problème est dû à l'échec du système et non pas de l'unité économique, et puisque l'assurance-chômage doit servir à pallier les échecs du système, pourquoi considérer que les conséquences de l'échec du système ne sont pas les mêmes à 70 et à 30 ans? Pourquoi conserver des programmes distincts?
Si nous craignons un problème de conflits de générations, la solution est toute trouvée, puisque la question ne serait plus celle de venir en aide aux gens à différentes époques de leur vie, mais tout simplement d'accepter une réalité économique et de reconnaître que le marché n'offre pas les mêmes chances à tous.
Je sais que nous n'allons pas trouver de réponse à cette question. Quelqu'un y a peut-être réfléchi et il existe éventuellement une étude qui pourrait m'être utile. Pour le moment, on doit se contenter de cela.
Mme McDaniel: Cette question soulève une sorte de paradoxe, puisque le régime de retraite visait justement à épargner aux travailleurs et travailleuses l'odieux d'une sélection sur le marché du travail. C'était une façon pour les employeurs d'éviter d'avoir à choisir parmi ses employés ceux qu'ils voulaient conserver et ceux dont ils voulaient se débarrasser. Le paradoxe tient justement au fait que c'est précisément ce qui se passe avec la rationalisation. Les gens sont sélectionnés en fonction de leur âge. Nous proclamons que l'âgisme n'est plus de notre époque, que nous vivons dans un monde moderne et que la discrimination en fonction de l'âge n'existe plus. Et pourtant, c'est exactement ce que nous faisons. Nous licencions les travailleurs trop âgés qui ne sont plus assez productifs. Ce faisant, nous renions le principe même de la retraite.
Je m'inspire ici des réflexions de John Myles. Il a écrit sur le sujet et je sais que je reprends ses idées. Mais il est clair que nous renions le principe de la retraite au moment même où nous en aurions le plus besoin pour aider les travailleurs et travailleuses à se retirer de la population active. C'est pourquoi certains préconisent d'abaisser l'âge de la retraite plutôt que de le repousser. Cependant, ce genre d'argument n'est pas très répandu.
M. Brown: J'aimerais vous donner mon point de vue, car j'ai une grande sympathie pour les principes qui sous-tendent votre question. J'aimerais cependant vous mettre en garde. En effet, si vous tentez de résoudre tous les problèmes avec le même système, vous allez vous retrouver avec un système qui ne fonctionne pas. J'estime personnellement qu'un des problèmes de l'assurance-chômage, c'est qu'elle n'est pas conçue comme une assurance pour le chômage. Elle vise 17 autres buts fort louables, mais ce n'est pas une assurance, au vrai sens du terme, pour le chômage, au vrai sens du terme.
On a vu un peu plus tôt aujourd'hui que le Régime de pensions du Canada ne représente que 65 p. 100 de la sécurité du revenu-retraite. Il faut donc connaître toute la gamme des risques et des sources d'insécurité, mais si vous voulez mettre sur pied un seul mécanisme pour résoudre tous les problèmes, je ne pense pas que le résultat final vous paraîtra satisfaisant.
M. Scott: Je vous remercie.
Le président: Avant de conclure, j'aimerais donner à nos témoins une dernière occasion de présenter, s'ils le souhaitent, quelques brefs commentaires à l'intention du Comité. Pour stimuler vos derniers commentaires, j'aimerais vous citer quelques paragraphes du récent budget concernant la protection des personnes âgées du Canada. Comme je le disais un peu plus tôt aujourd'hui, c'est l'intention exprimée par le gouvernement d'examiner le Régime de pensions et d'évaluer l'utilité de le réformer qui est à l'origine des travaux que nous menons actuellement.
Permettez-moi de citer quelques paragraphes du budget et de demander à ceux d'entre vous qui voudront bien répondre si le gouvernement a bien fait de commander cette étude du Régime de pensions et si vous avez des conseils à lui donner - brièvement - au sujet de l'étude et de la façon dont il devrait s'y prendre pour modifier le Régime de pensions à partir des principes exprimés dans les paragraphes suivants. Est-ce que vous acceptez de faire ce petit travail?
Voici ce qu'on peut lire dans le budget:
- L'une des plus grandes réformes qu'ait jamais présentées un gouvernement canadien a été
d'assurer un soutien décent aux Canadiens âgés - qui ont tellement donné - et continuent de le
faire - à leurs familles et à leur pays.
- Et le discours du budget se poursuit de la manière suivante aux pages 22 et 23:
- Au cours des derniers mois et semaines, il n'y a probablement aucun député qui n'ait pas reçu
des lettres envoyées par des personnes âgées ou qui n'ait eu des conversations avec des aînés qui
s'inquiètent de la possibilité que la protection dont ils bénéficient soit grugée.
- Ainsi, notre gouvernement est absolument déterminé à fournir un système de protection
équitable et soutenable à nos aînés.
- Le système des pensions public repose sur deux piliers: le Régime de pensions du Canada d'une
part, la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti d'autre part.
- Les aînés du Canada sont en droit de savoir si ces régimes de pensions publics seront maintenus.
Cela exige une réforme de manière que le système de pensions reste soutenable à long terme.
- Pour ce qui est du RPC, le plus récent rapport actuariel a été publié la semaine dernière; il en
ressort clairement que nous devrons prendre des mesures pour que ce régime demeure
abordable. C'est ce que nous ferons lorsque nous rencontrerons nos homologues des provinces
l'automne prochain pour examiner ce rapport.
- Je voudrais maintenant parler du deuxième pilier, c'est-à-dire la Sécurité de la vieillesse et le
Supplément de revenu garanti. Ces deux prestations représentent ensemble des dépenses
annuelles de plus de 20 milliards de dollars et ce montant ne cesse d'augmenter. De toute
évidence, il faut également faire en sorte que ces pensions demeurent soutenables...
- Pour que notre approche de tous les dossiers des pensions publiques soit exhaustive, le ministre
chargé du Développement des ressources humaines et moi-même plublierons plus tard cette
année un document sur les changements qui doivent être apportés au système public de
pensions pour qu'il soit à la portée de nos moyens.
- L'accent sera mis sur l'équité et le maintien de la capacité financière.
M. McKie: L'atmosphère des dernières années et les vagues promesses en faveur du maintien du système pourtant grugé par la suite petit à petit n'ont fait qu'ajouter à l'insécurité des pensionnés. Des engagements doivent être donnés à ceux qui vivent de ces prestations et on doit les assurer qu'ils ne se retrouveront pas dans le dénuement.
Croyez-le ou non, il y avait des citoyens qui vivaient dans le dénuement dans les années 1930. C'est précisément à leur intention qu'ont été créés ce régime ainsi que celui de l'assurance-chômage. Le sentiment d'insécurité dont je parlais se trouve accentué par ce que vous venez de lire même si votre objectif était tout le contraire. Ce qu'il faut, c'est une déclaration claire qui affirme que personne ne se retrouvera dans le dénuement, au moins tant que ce parti sera au pouvoir.
Mme McDaniel: Je ne saurais mieux dire.
Il est certain en tout cas que cette idée ne fait qu'ajouter à l'insécurité.
Les retraités dépendent de leurs régimes pour l'avenir prochain. Dans certaines provinces, l'insécurité à propos des questions de santé est à son comble. Les personnes âgées sont conscientes des problèmes qui attendent les générations qui les suivent.
Je dois avoir l'air de me répéter, mais comme j'ai participé au Comité canadien pour l'année internationale de la famille c'est maintenant gravé dans ma mémoire. La question de la sécurité doit être abordée, pas seulement à l'intention des personnes âgées; il faut tenir des propos fermes et crédibles. Le message doit aussi porter sur la situation de leurs enfants et de leurs petits-enfants pour qu'ils conservent espoir en l'avenir.
Ce ne sont pas des êtres isolés qui ne pensent qu'à eux; ils sont prêts à faire des concessions pour que les jeunes en profitent aussi. Ce qui me hérisse dans le discours tenu aux États-Unis, c'est qu'on les dépeint comme de vieux grippe-sous qui veulent tout accaparer aux dépens des générations futures.
C'est de la démence. Beaucoup de personnes âgées accepteraient de renoncer à telle ou telle chose en échange d'autre chose - d'autres ont donné des exemples - si elles étaient convaincues que leurs enfants et leurs petits-enfants verraient leur avenir garanti. Ce lien n'est pas fait dans ce que vous avez dit.
Je vais être brève. Dans le passage cité, on ne tient nullement compte de la diversité des situations, des espoirs et des aspirations des personnes âgées, ni du fait qu'il faut une plus grande adaptabilité des régimes. Cela, il faut le dire, sans inspirer une crainte morbide à ceux qui arrivent à peine à survivre aujourd'hui. Il est possible de s'adapter à la diversité des situations. Je pense à la transférabilité, à l'admissibilité aux prestations et autres choses de ce genre. Ce sont des questions cruciales si l'on veut assurer la survie du régime de retraite actuel.
[Français]
M. Lux: Je ne suis pas convaincu qu'il faille une réforme très profonde du système de pensions du Canada. Je suis personnellement d'accord sur la suppression de l'universalité. Feu Irving n'avait pas besoin de la pension de sécurité de la vieillesse du Canada et c'est avec nos impôts qu'on la lui a accordée.
Par contre, en l'absence d'universalité, il faudra porter une attention très forte aux critères d'attribution des pensions. On a soulevé plusieurs aspects du problème de l'iniquité. Je pense que c'est de ce côté-là qu'il faut travailler.
Cela étant dit, il faut que les citoyens croient le gouvernement lorsqu'il dira que l'avenir est assuré, que le service de pensions sera toujours fourni. En période de crise économique, ce n'est pas évident que les gens seront convaincus et c'est pour cela qu'à mon avis, le Comité devrait élargir sa réflexion, entrer en contact avec d'autres décideurs qui ont en main au moins une partie de la solution des problèmes de l'accroissement des ressources.
J'ai fait allusion tantôt au système fiscal. Je voudrais signaler autre chose. Vous avez tous entendu l'économiste principal de la Banque royale dire que la politique monétaire de la Banque du Canada était largement responsable de la crise économique. Il y a un tas d'économistes qui ont cette même opinion. Est-ce qu'il ne serait pas temps que le Comité intervienne auprès du gouvernement pour, peut-être, infléchir la politique de la Banque du Canada dans la mesure où son obsession maladive de l'inflation a comme conséquence de nous empêcher systématiquement de sortir d'une sorte de dépression continuelle qui prive l'économie canadienne d'une augmentation de ressources qui augmenterait la population, qui diminuerait le chômage et qui assurerait de meilleures ressources fiscales et autres pour assurer la viabilité du système de sécurité sociale et en particulier des pensions?
Le président: Merci, monsieur Lux.
[Traduction]
M. Brown: Tout à l'heure, vous avez demandé à quoi devait servir le système de la sécurité de la vieillesse au moment de sa création. Je disais que c'était pour faire élire Mackenzie King. Je sais que j'ai l'air désabusé, mais c'est bien une des raisons.
Lorsque nous avions les richesses et la croissance qu'il fallait pour mettre en place de bonnes politiques et de bons systèmes de sécurité sociale, cela était aussi rentable du point de vue politique. Actuellement, nous ne sommes pas en période de vaches grasses. Aujourd'hui on parle de modifications, voire de réductions. Moi, je vous exhorte à faire ce qu'il faut faire après mûre réflexion plutôt que ce qui semble commode du point de vue politique à court terme.
M. Myles: Je vais dire deux choses très brièvement. Vous nous avez demandé ce que nous pensons de cette citation. Tel qu'il est formulé, ce passage est trompeur. En effet, il laisse supposer que l'on met en doute la viabilité du système.
Ce que nous avons dit tout à l'heure, c'est ceci. Si vous discutez avec les personnes qui connaissent le mieux le dossier, la question n'est pas de savoir si le système peut être maintenu mais plutôt quelle formule, parmi les cinq ou six qui existent, peuvent être retenues pour en assurer la pérénité.
Bob, par exemple, estime que la solution, c'est l'âge de la retraite. D'autres préconisent d'autres solutions. Ce qu'il faut avant tout, c'est de bien poser la question et pour cela il faut examiner les cinq ou six différentes formules qui, isolément ou ensemble, peuvent être retenues, après quoi on offrira un choix à la population. Ensuite, on évaluera le coût de chaque possibilité.
Pour terminer - je vous l'ai déjà dit et je vais le répéter aussi souvent que je le pourrai - la réforme des pensions ce n'est pas pour les vieux, c'est pour les jeunes. Il s'agit des pensions de ceux qui ont moins de 43 ans aujourd'hui. Le débat ne porte pas sur ce que toucheront les personnes âgées. C'est déjà à peu près fixé. Ça ne changera pas beaucoup. La vraie question à long terme est la suivante: Comment vont-ils financer leur pension et à quel âge vont-ils prendre leur retraite?
M. Battle: Je suis d'accord avec tout le monde. Je vais répéter certaines choses. Le Régime de pensions du Canada est l'un de nos meilleurs programmes sociaux. C'est le meilleur régime de pensions qui soit. Il est bien supérieur aux REÉR et aux régimes de retraite professionnelle.
Le Régime de sécurité de la vieilesse, malgré les contradictions et les problèmes dont je parlais, est esentiellement un bon système que l'on peut rendre plus juste. Nous avons les éléments qu'il faut pour maintenir un bon système de pensions malgré les pressions qui s'exercent sur lui.
Je ne pense pas qu'on va se débarrasser du Régime de pensions du Canada. Pas un gouvernement sensé ne songerait sérieusement pour un instant à s'en défaire. Mais il faut le transformer. Je suis d'accord avec ce que Rob à dit. Je pense aussi que la sécurité de la vieillesse, dont on a parlé, doit aussi être transformée.
Pour terminer, j'aimerais encourager le Comité, dans son effort d'apprentissage, à examiner la plomberie de ces systèmes parce que des changements sont en préparation à deux pas d'ici, au ministère des Finances. La réforme des prestations de vieillesse est déjà en cours et va dans le sens que j'ai illustré pour vous. Les Régimes de retraite du Canada et du Québec, les options pour le Régime de pensions du Canada et les divers facteurs sur lesquels on peut jouer font déjà l'objet d'un examen. L'âge de la retaite est le principal de ces facteurs.
J'invite tout simplement les membres du Comité et les personnes qui sont autour de la table à discuter de seuils, de taux de réduction et de taux de cotisation. Tout cela fait partie de la plomberie de l'appareil des pensions. Si l'on ne l'examine pas sur toutes ces coutures, les fonctionnaires du ministère des Finances, eux, ne s'en priveront pas. Et tout ce que l'on dira ne sera que du vent.
Le président: Je tiens à vous remercier tous de vos réflexions pénétrantes tout au long de la journée. Nous avons beaucoup appris. Il faudra sans doute réfléchir à certaines de vos observations à la lecture du compte rendu, mais je vous suis très reconnaissant de nous avoir consacré la journée pour discuter de ces questions capitales.
Avant de vous libérer, je vous rappelle que les délibérations d'aujourd'hui seront diffusées sur la chaîne parlementaire à 8h30, heure d'Ottawa dimanche. Si vous voulez vous voir à la télévision, vous pouvez le faire de cette façon.
Vous pouvez aussi obtenir des vidéocassettes de votre témoignage en communiquant avec le greffier. Si vous voulez revoir votre exposé, pour quelque raison que ce soit, le greffier vous fournira une vidéocassette. C'est la moindre des choses.
La séance est levée.