[Enregistrement électronique]
Le mercredi 3 mai 1995
[Traduction]
Le président suppléant (M. Bonin): La séance est ouverte.
Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui M. Mervin Dewasha, président de l'Association canadienne autochtone en science et en ingénierie.
Nous aimerions consacrer une heure à notre témoin; d'autres témoins le suivront. Si c'est possible, notre témoin pourrait présenter un exposé d'environ 20 minutes, et le reste de la période serait réservé aux questions. Si 20 minutes ne suffisent pas, vous pouvez prendre un peu plus de temps, mais j'aimerais vous rappeler que la période de questions vous permettra de nous donner de plus amples détails.
Vous avez la parole.
M. Mervin Dewasha (président, Association canadienne autochtone en science et en ingénierie): Merci beaucoup. Je tiens à vous remercier de m'avoir invité à comparaître devant votre comité.
Je m'appelle Merv Dewasha. Je suis président de l'ACASI. J'aimerais vous présenter les personnes qui m'accompagnent aujourd'hui. Karen Decontie est ingénieure autochtone. Elle détient une maîtrise en génie et travaille pour le programme des parcs à Calgary. Elle est spécialiste des ponts. Marc Lalande est notre représentant du Québec. Il s'occupe des programmes de langue française offerts au Québec. Il est également membre du conseil d'administration. En fait, il est secrétaire de l'association.
J'aimerais d'abord remercier le sous-comité de m'avoir invité à participer à cette étude sur l'éducation autochtone. Je vous suis reconnaissante de m'avoir offert cette occasion de vous faire part de mon expérience et de mon opinion. Mes commentaires et mes recommandations porteront principalement sur le financement des écoles des Premières nations et des installations connexes et sur l'appui qu'accorde l'Association canadienne autochtone en science et en ingénierie aux jeunes autochtones.
J'aimerais d'abord vous résumer mes antécédents afin que vous compreniez mieux ce qui me pousse à faire ces commentaires et ces recommandations.
Je fais partie de la nation mohawk et je viens de Wahta. Je suis ingénieur professionnel. Je travaille pour Travaux publics et services gouvernementaux Canada. Dans le cadre d'une entente entre le ministère des Affaires indiennes, Travaux publics Canada et le bureau des Chefs de l'Ontario, je travaille actuellement pour le compte de ce dernier organisme. Je dois remercier ces trois partenaires d'avoir conclu une entente qui me permet d'utiliser mes connaissances et mon expérience pour aider les Premières nations et les jeunes autochtones.
Je tiens à vous assurer que les opinions et les recommandations que j'exprimerai sont les miennes et que j'en assume donc l'entière responsabilité.
J'aimerais vous parler en premier lieu du financement des écoles et installations connexes des Premières nations. On a actuellement recours à des autorisations de crédits demandées par le ministère des Affaires indiennes et du développement du Nord pour assurer la construction des écoles et des installations requises par les collectivités autochtones. Les crédits obtenus ne répondent pas aux besoins depuis longtemps. Il existe donc une liste d'attente de plus en plus longue pour l'obtention des crédits nécessaires au financement de l'éducation.
D'autres facteurs sont venus s'ajouter aux répercussions d'un financement inadéquat et ont donc contribué à cet arriéré. Il suffit de mentionner les normes de construction inadéquates en vigueur avant 1975, les piètres systèmes d'entretien et l'absence de crédits d'entretien avant 1985; la croissance de la population autochtone, qui a été plus rapide que prévue, des prévisions non fiables à l'égard de l'augmentation de la population vivant dans les réserves, qui fut provoquée par l'adoption du projet de loi C-31; la diminution du taux de décrochage à la suite de la prise en main des programmes d'éducation par les nations autochtones, et le retour des élèves qui participaient au programme d'intégration scolaire. De plus, comme je l'ai mentionné, les normes sur les espaces en milieu scolaire ne prévoyaient pas d'écoles techniques pour les étudiants autochtones.
En raison du système actuel d'ordonnancement des priorités de dépenses d'immobilisation dans le secteur de l'éducation, les communautés autochtones doivent attendre 15 à 20 ans avant qu'on ne réponde à leurs besoins. Puisque les communautés autochtones continuent à rapatrier leurs élèves, les pressions exercées sur un financement déjà inadéquat continueront de croître. Il faudra une augmentation marquée du financement pour répondre aux besoins. Cependant, compte tenu de la conjoncture économique actuelle, il ne serait pas réaliste de compter là-dessus.
Il existe des mécanismes de financement de rechange qui méritent d'être étudiés de plus près. Par exemple, les Premières nations pourraient financer leurs propres écoles et les installations connexes. Je pense particulièrement aux ententes de financement de rechange qui ont été conclues pour l'école de la Première nation de Kasabonika Lake. En 1992, après qu'on eut terminé la planification du projet de construction de l'école, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a dit aux résidents de Kasabonika Lake qu'il faudrait attendre sept ans de plus pour recevoir le financement nécessaire à la construction de l'école.
Nous avons rencontré les représentants de la Première nation de Kasabonika Lake pour la première fois en février 1993. En moins de quatre mois, nous avons pu obtenir un prêt d'environ sept millions de dollars sans avoir à obtenir de garantie d'emprunt du ministre. Le ministère des Affaires indiennes et du développement du Nord avait même convenu de financer plus tard ce projet. Cependant, il fallait s'assurer qu'il n'engagerait aucun coût supplémentaire pour le gouvernement fédéral. Ainsi, le ministère des Affaires indiennes et du développement du Nord canadien n'aurait qu'à offrir une cotisation égale au coût actuel plus l'inflation pour l'année de la construction.
On a fait preuve de beaucoup d'imagination pour réaliser des économies qui permettraient de financer les emprunts. Par exemple, on s'est servi des coûts associés au logement, aux repas et au transport pour les élèves de neuvième et de dixième année qui vont à l'école à l'extérieur de leur collectivité. Les économies réalisées en construisant l'école six ans plus tôt que prévu seront utilisées pour financer les coûts associés aux emprunts que nous avons dû contracter pour construire l'école sans tarder.
La construction de l'école de la Première nation de Kasabonika Lake s'est terminée en août 1994, plus tôt que prévu et à un coût moindre que celui qui avait été estimé; en fait, on avait pensé ouvrir l'école en septembre 1994.
Nous avons fourni des renseignements supplémentaires à votre sous-comité sur la réalisation de ce projet. Je crois que vous avez déjà reçu un exemplaire d'une brochure que nous avons publiée pour expliquer aux autres Premières nations et aux parties intéressés comment nous avons réalisé et financé le projet.
Pour ce qui est des recommandations, chaque collectivité est unique. J'aimerais simplement vous mentionner certains secteurs qui méritent d'être étudiés de plus près, en fonction des circonstances propres à chaque communauté.
Je propose que la construction d'écoles soit financée grâce à un supplément annuel des droits de scolarité, en se servant d'une période d'amortissement de 30 ans. Une telle proposition ne représenterait qu'une augmentation de l'ordre de 3 p. 100 des coûts actuels.
Il faudrait financer le programme qui remplacera le programme d'intégration scolaire en utilisant la différence entre la cotisation du fédéral au système scolaire et les droits de scolarité associés à la fréquentation des écoles provinciales.
Il faut mettre sur pied un programme qui permette aux autochtones et aux non-autochtones qui vivent dans une province particulière, et qui paient des impôts et des loyers, de fréquenter l'école autochtone s'ils le désirent. La Première nation recevrait de la province les droits de scolarité perçus et des subventions au titre du transport.
Il faut revoir les normes sur les places en salle de classe et les coûts qui s'y rattachent pour en assurer la pertinence.
Enfin, il faut étudier la possibilité de passer à une année scolaire de 12 mois pour réduire les besoins en locaux et le coût de l'éducation.
J'aimerais maintenant aborder l'appui qu'accorde l'Association canadienne autochtone en science et en ingénierie aux jeunes autochtones. En 1992, lorsque j'ai été détaché à l'Assemblée des Premières nations, on m'a demandé d'étudier les statistiques qui démontrent qu'il existe un taux de chômage élevé constant chez les Premières nations même si, chaque année, on continue à injecter des sommes importantes dans le secteur de la construction et de l'ingénierie.
Nous avons entrepris notre recherche en examinant les diverses étapes de la planification du programme d'immobilisations, à savoir: la faisabilité, la conception, la gestion du projet, la surveillance des travaux, la construction, l'exploitation et l'entretien.
En étudiant les compétences nécessaires à chaque étape, nous avons pu constater qu'un pourcentage élevé d'emplois nécessitant des connaissances particulières, comme celles d'ingénieurs, d'architectes, de technologues, de techniciens et de gestionnaires.
Dans le secteur de la construction, on retrouve beaucoup d'emplois spécialisés pour lesquels il faut un certificat. Ainsi, peu d'emplois sont réservés à des manoeuvres.
Le problème est devenu évident lorsque nous avons étudié les données statistiques comparant la participation des autochtones à certains métiers avec celle du reste de la population canadienne. C'est dans le secteur technique et celui de la gestion professionnelle que les autochtones sont le plus sous-représentés.
Si l'on compare ces statistiques à celles du secteur de la main-d'oeuvre non spécialisée, l'on constate que les autochtones sont sur-représentés dans cette catégorie dans une proportion de près de trois pour un par rapport à la moyenne nationale, et ils sont sous-représentés selon un ratio d'environ cinq pour un dans le secteur technique et professionnel.
Dans les documents qu'on vous a remis, vous trouverez un graphique qui compare la participation des autochtones et celle du reste de la population à divers métiers.
Si elles ne disposent pas d'une main-d'oeuvre spécialisée, les Premières nations continueront à acheter des biens et des services professionnels à l'extérieur de leur propre communauté. Tout cela ne fait que confiner les autochtones dans des postes de manoeuvres.
Comme le secteur de la construction devient de plus en plus spécialisé, il s'y produira une diminution marquée du nombre d'emplois non spécialisés.
Les autochtones devront se spécialiser s'ils veulent participer aux perspectives économiques qu'offre le secteur du génie, de l'architecture et de la construction. Lorsque nous étudions les emplois qui seront offerts au cours des dix prochaines années, nous constatons que plus de 50 p. 100 des nouveaux emplois nécessiteront une formation scientifique.
Lors de notre étude, nous avons appris l'existence de l'American Indian Science and Engineering Society, qui a pour but d'accroître la représentation des jeunes autochtones dans les secteurs des sciences et du génie.
Le conseil d'administration de l'AISES nous a aidés à mettre sur pied un organisme canadien qui partagerait ces objectifs. En janvier 1995, l'Association canadienne autochtone en science et en ingénierie, l'ACASI, a été constituée en organisme sans but lucratif.
Des professionnels autochtones d'un océan à l'autre ont consacré temps et énergie à la création de cette organisation.
Vous trouverez dans le document que nous avons remis de plus amples détails sur l'ACASI. Je crois qu'on a remis avant la réunion ces documents aux députés.
L'ACASI est une nouvelle organisation qui a recours exclusivement aux services de bénévoles qui sont, je vous le signale, des gens qui ont des emplois à plein temps, et très souvent des emplois très exigeants.
Nous accomplissons des progrès - quoique tout cela se fait assez lentement puisque nous dépendons largement de l'aide de bénévoles. Cependant, nous réalisons chaque année de nouvelles choses. La grande majorité des bénévoles sont des ingénieurs et des architectes; nous sommes conscients qu'il nous faudra intéresser à notre organisme des représentants de tous les domaines associés aux sciences et aux mathématiques.
Je suis d'avis qu'il faut encourager davantage les jeunes autochtones à faire carrière dans le domaine des sciences et des mathématiques. Il s'agit là de domaines d'avenir, et de domaines où les autochtones sont sous-représentés.
Un grand nombre des organismes avec lesquels nous avons travaillé appuient les initiatives prises par la CASEA. Cependant, il nous faut pour les mener à terme compter sur les ressources limitées, quoique croissantes, de nos bénévoles.
L'appui accordé aux jeunes autochtones dans le domaine des sciences et des mathématiques prend plusieurs formes; il y a par exemple la formation d'enseignants dans le domaine des mathématiques et des sciences, les camps scientifiques, les modèles autochtones, les conseillers et les mentors pour les étudiants qui choisissent des carrières dans le domaine des sciences et des mathématiques, les journées d'orientation, les conférenciers, les programmes d'appui communautaires, les emplois pour étudiants dans le secteur scientifique, l'orientation professionnelle et les services de placement.
Les carrières dans le domaine des mathématiques et des sciences sont différentes des autres carrières. Tout d'abord, on doit commencer à acquérir les connaissances nécessaires en cinquième ou en sixième année. On apprend comment régler les problèmes en cinquième année et on continue à peaufiner ses habiletés et ses connaissances jusqu'à l'université. Si l'on commence trop tard, il est très difficile de rattraper le temps perdu.
La concurrence est très vive dans le secteur des mathématiques et des sciences. Ce ne sont que les plus doués qui peuvent y faire carrière et il faut plusieurs années de dévouement pour réussir.
Nous devons aider les étudiants qui choisissent ces carrières. Nous devons les encourager dès leur plus jeune âge et continuer à les appuyer en améliorant le système d'éducation. Il est plus difficile, mais pas impossible, d'encourager les étudiants plus âgés à choisir des carrières dans le domaine des sciences et des mathématiques.
Il faut étudier le problème de façon plus détaillée afin de déterminer pourquoi les jeunes autochtones ne choisissent pas des carrières dans le domaine des mathématiques et des sciences. Lorsque nous aurons identifié le problème, nous pourrons déterminer ce qu'il faut faire pour le régler.
L'Association canadienne autochtone en science et en ingénierie se consacre à la jeunesse autochtone s'intéressant aux sciences et aux mathématiques. Elle est prête à accepter de l'aide et des bénévoles et travaille avec d'autres organismes à la recherche de solutions. Une aide financière s'impose, mais nous avons également besoin de ressources humaines.
J'ai à cet égard trois recommandations. Tout d'abord, une meilleure coordination des systèmes d'information doit être assurée pour les programmes d'aide aux jeunes autochtones dans les domaines des sciences et des mathématiques.
Deuxièmement, l'ACASI devrait recevoir une subvention pour s'adjoindre les services de personnel à plein temps puisqu'elle vient en aide aux jeunes autochtones se spécialisant dans les sciences et les mathématiques.
Troisièmement, le gouvernement fédéral devrait financer une étude et une analyse des obstacles particuliers que rencontrent les étudiants autochtones poursuivant des carrières en mathématiques et en sciences.
Les recommandations de cette étude devraient comprendre un plan de mise en oeuvre, des points de vérification permettant de s'assurer que ce plan ne dévie pas des cibles visées et des cibles réalisables.
En conclusion, je tiens à vous remercier de m'avoir invité ici aujourd'hui et d'avoir pris le temps de venir m'entendre.
Le président suppléant (M. Bonin): Merci, monsieur Dewasha.
[Français]
Je demande à M. Bachand, du Bloc québécois, de commencer la période de questions.
M. Bachand (Saint-Jean): Vous avez fait une bonne présentation, monsieur Dewasha. J'aurais quelques questions à vous poser. Pouvez-vous me dire combien de membres compte votre association? Proviennent-ils de partout au Canada, et combien y en a-t-il du Québec comparativement au reste du Canada?
Vous avez dit que l'Association fonctionnait uniquement sur la base du bénévolat. Cela veut-il dire qu'il n'y a pas de permanence à l'Association? Par exemple, si l'on veut écrire à l'Association, y a-t-il un ou des permanents pour recevoir les lettre et y répondre ou suggérer des solutions?
Pour ma part, je suis confus en ce qui a trait au financement. Qui finance l'Association? Les membres doivent-ils défrayer certains coûts pour faire partie de l'Association? De quelle façon réussissez-vous à prélever des fonds? Quel est le budget annuel de l'Association canadienne autochtone en science et en ingénierie?
Finalement, on s'explique mal pourquoi les jeunes autochtones ne s'intéressent pas suffisamment aux sciences et aux mathématiques. Vous avez soulevé cette question lors de votre présentation et vous sembliez dire que des études devraient être faites pour identifier ces problèmes. Si je comprends bien, aucune étude n'a été faite pour identifier ces problèmes.
Mme Decontie, que vous avez présentée comme étant ingénieure elle-même, pourrait nous expliquer son vécu, à savoir ce qui, selon elle, fait en sorte qu'il y a une difficulté financière ou autre. Vous pourriez peut-être m'en dire un peu plus, compte tenu que vous avez eu suivi un cours en ingénierie, ce qui est très rare. Il ne doit pas y avoir beaucoup d'ingénieurs autochtones au Canada.
Vous pourriez peut-être nous expliquer, selon votre vécu, ce qui fait que les jeunes autochtones sont moins enclins à se diriger vers une carrière en ingénierie ou en mathématique.
[Traduction]
M. Dewasha: Vous avez posé pas mal de questions et si j'en oublie certaines, vous serez gentil de me le rappeler.
Tout d'abord, pour ce qui est du nombre de membres, nous en avons environ 40 actuellement qui sont des organisations nationales. Nous en avons de Halifax à Vancouver. Vous constaterez que notre conseil d'administration est également national. Nous avons certains membres étudiants. Nous avons également des étudiants qui sont à l'Université Concordia, à l'Université McGill et à l'Université de Toronto. Deux universités sont également membres de notre association.
Nos cotisations sont tout à fait minimes parce que nous ne cherchons pas tellement à trouver de l'argent; nous voulons des gens qui sont prêts à consacrer temps et énergie à la poursuite de nos objectifs. Notre cotisation est de 5$ pour les étudiants - ce qui couvre essentiellement les frais d'affranchissement, etc. - et 20$ pour les autres membres. Nous avons d'autre part une cotisation pour les sociétés; si vous êtes un organisme provincial, c'est 100$ et c'est 500$ pour un organisme national. Nous avons deux organismes semblables de la Saskatchewan.
Voilà donc essentiellement notre source de financement pour ce qui est des cotisations.
Il y a des tas d'autres gens que j'ai contactés et découverts depuis que je travaille à cela. Très franchement, il y a du monde mais je ne peux pas leur demander de me payer 20$ de cotisation. Je crois qu'il est plus important qu'ils soient prêts à adhérer et à soutenir notre effort.
D'autre part, nous sommes une organisation toute jeune. Nous nous sommes constitués en 1993, il y a à peine deux ans.
J'estime que si la seule raison d'adhérer à un organisme est de payer ses cotisations et d'obtenir une carte et qu'un an après on vous envoie une autre lettre pour vous demander la même chose, il n'y a pas grand monde qui adhérera. Au cours des deux dernières années, nous avons essayé d'équilibrer les projets de développement afin de prouver que nous sommes un organisme capable d'entreprendre des projets pour aider les jeunes autochtones. Cela donne aux gens une raison d'adhérer et c'est ce que nous commençons à voir.
Si vous voulez bien vous reporter à la documentation que nous vous avons envoyée, vous trouverez une liste des initiatives que nous avons prises en 1994. Beaucoup portent sur les recommandations que j'ai présentées ici et montrent qu'il nous faut des programmes d'aide pour encourager les jeunes autochtones.
Nous sommes en train de réaliser un vidéo sur des modèles de comportement, qui devrait être prêt en juin. Nous avons des programmes en cours avec certaines des universités qui encouragent les jeunes autochtones dans ces domaines.
Je ne voudrais pas répéter tout ce qu'il y a dans cette documentation.
Nous n'avons pas de personnel à plein temps. Nous sommes simplement un groupe de personnes qui se sont réunies et ont décidé de consacrer une partie de leur temps et de leur énergie à cet effort. Nous prenons la parole à tour de rôle aux journées sur les carrières et nous travaillons avec des jeunes autochtones, nous allons à des camps de démonstration scientifique, nous aidons à en organiser. Beaucoup de nos activités sont purement bénévoles.
Si vous téléphonez ou que vous écriviez à l'adresse de notre association, c'est là que je travaille. Je travaille au bureau des Chefs de l'Ontario à Toronto. Cet organisme a la bonté de me laisser utiliser ses locaux et ses services de réception, services téléphoniques et autres services de soutien. Je ne suis pas là tout le temps. J'ai des horaires très chargés entre mes obligations professionnelles et le reste mais lorsque l'on écrit ou téléphone, nous nous efforçons de répondre et d'envoyer les renseignements demandés.
Au Québec, je crois que nous avons trois ou quatre membres.
M. Marc Lalande (secrétaire, Association canadienne autochtone en science et en ingénierie): C'est un peu plus que cela. En fait, quelque 20 p. 100 ou plus de nos membres sont du Québec.
M. Dewasha: C'est mon secrétaire et c'est lui qui s'occupe des adhésions. Il s'y connaît mieux que moi.
Maintenant, pourquoi n'y a-t-il pas plus de jeunes autochtones dans ces disciplines? D'après les chiffres et les statistiques que nous obtenons de Statistique Canada et d'autres sources, nous savons que les pourcentages sont très faibles comparés à ceux de la population. Nous n'avons pas réponse à tout mais nous pouvons imaginer certaines raisons. Nous pensons que beaucoup des programmes qui sont offerts à d'autres groupes de population ou de Canadiens ne sont pas offerts aux membres des Premières nations.
Beaucoup de nos groupes de Premières nations ne voient que des travailleurs sociaux, des responsables de la santé et des instituteurs. Ils ne savent pas ce que font les ingénieurs, les architectes et les scientifiques. Lorsqu'il y en a qui viennent dans nos localités, ils ne sont là que pour travailler pour le chef et le conseil, pour faire un exposé avant de s'envoler par le prochain avion. Nous pensons que certains de ces organismes et conseillers ou ingénieurs devraient être invités à se montrer dans les écoles pour dire aux étudiants ce qu'ils sont venus faire, quel est leur travail et quel genre de carrières existent dans ces disciplines.
C'est une des initiatives que nous voulons essayer de lancer en collaboration avec Industrie Canada, en ajoutant un élément autochtone à un programme d'innovation afin que lorsque des ingénieurs et des architectes viennent dans une localité, nous puissions disposer d'un mécanisme par lequel les jeunes pourraient prendre connaissance du travail de ces professionnels.
Je crois d'autre part que beaucoup des services de soutien à la collectivité n'existent pas. Certains de nos groupes ne comprennent pas ce que font les ingénieurs et les architectes. Si l'on n'est pas poussé par ses pairs ou par sa famille à se lancer dans une de ces carrières, on ne le fait pas. Très rares sont ceux qui ont suivi des études dans ces domaines. Il y a probablement d'autres raisons à cela.
J'ai lu un rapport préparé par la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan qui signale que très peu d'enseignants dans nos localités ont une formation en mathématiques ou en sciences. S'ils découvraient qu'un jeune autochtone avait des facilités dans ce domaine, ils auraient du mal, étant donné leurs compétences limitées, à améliorer ou à développer ces facilités.
Voilà donc quelques exemples, mais je crois qu'il y a certainement d'autres raisons qui font que les étudiants ne se lancent pas dans ces disciplines. Certains croient que la science ne fait pas partie de notre histoire et de notre culture.
Lorsque je m'adresse aux anciens, je m'aperçois que nous avons un héritage très riche dans les secteurs du génie et de l'architecture. Regardez les systèmes d'irrigation et les bâtiments qui existaient avant l'arrivée des Nord-Américains, il y avait des oeuvres d'ingénieurs et d'architectes magnifiques. Dans le domaine agricole, on cultivait tout un éventail de variétés de maïs. Pour ce qui est des remèdes, il est bien dommage que les Européens n'aient pas accepté ni cru à certains de nos remèdes traditionnels. Nous avons perdu une bonne partie de ces connaissances et des recherches qui avaient été faites. Les autochtones avaient trouvé des cures pour des choses que notre système médical aujourd'hui ne sait pas soigner.
Nous devons essayer de retrouver ce genre d'encouragement et de compréhension au sein de notre collectivité afin de pouvoir inciter les jeunes à se lancer dans ces disciplines.
Nous devons également mettre au point des programmes pour amener les jeunes à se dire qu'ils ont un avenir, des emplois et des carrières qui les attendent. Il y a sans doute trop d'étudiants qui s'orientent à l'heure actuelle vers le travail social et la santé. Ce n'est pas dans ces domaines que vous trouverez un emploi.
Je n'ai pas l'intention de poursuivre plus longtemps. Ai-je assez bien répondu à vos questions?
M. Bachand: Oui, certainement.
Le président suppléant (M. Bonin): Vous y avez très bien répondu.
M. Murphy (Annapolis Valley - Hants): Merci de votre exposé. Je m'intéresse aux mêmes questions que Claude, surtout quant à savoir comment nous susciterons davantage d'intérêt pour les sciences et les mathématiques, tout particulièrement au primaire.
Cela a-t-il un rapport avec la façon dont on recrute les enseignants, surtout les non autochtones qui se retrouvent dans des réserves et qui ne sont pas très forts en sciences? Si ce n'est pas leur point fort, ils ne vont pas susciter l'intérêt des jeunes; vous en avez parlé. Mais serait-il possible de faire quelque chose sur le plan du recrutement?
Également, avez-vous d'autres suggestions pour donner le goût des sciences aux écoliers du primaire afin de les inciter à s'orienter dans cette voie?
Je m'interroge également au sujet du financement. J'ai examiné plusieurs des initiatives que vous avez prises. Certaines d'entre elles sont financées par une pléthore de ministères et de partenariats. Sauriez-vous comment mieux coordonner ce financement et quels sont les partenariats que vous pourriez conclure avec d'autres groupes dans le domaine des sciences et des mathématiques?
M. Dewasha: Certaines de nos activités doivent viser à améliorer la capacité des enseignants à enseigner les sciences et les mathématiques. J'ai pu élaborer avec l'Université de Toronto un programme qui sera réalisé en août. Nous espérons réunir une cinquantaine ou une soixantaine de professeurs de sciences et de mathématiques autochtones de l'Ontario dans le cadre d'un partenariat avec l'Université de Toronto, First Nation House et le Programme Extension.
Nous avons obtenu le parrainage du ministère des Affaires indiennes, de Dupont Canada et d'un programme de bourses de l'Université de Toronto dont j'ai oublié le nom. Nous avons constitué une équipe et nous allons réunir les enseignants.
Demain, notre comité doit tenir une nouvelle réunion, mais je vais la rater.
Ce genre de mécanisme va nous permettre de voir ce qui va et ce qui ne va pas. Nous ne voulons pas que ce soit un simple cours pour les enseignants. Nous voulons consulter les enseignants de première ligne en leur demandant s'ils obtiennent le soutien de la collectivité pour les programmes de mathématiques et de sciences. Nous voulons leur demander quels sont leurs problèmes, quelles sont leurs difficultés.
Nous allons également essayer de les doter de nouveaux instruments et de nouveaux outils pour pouvoir enseigner les sciences et les mathématiques.
Pour ce qui est de votre question concernant le recrutement des professeurs, j'ai travaillé en Saskatchewan pour le ministère des Affaires indiennes de 1975 à 1980. À l'époque, il était très difficile de trouver des enseignants prêts à travailler toute l'année dans une localité isolée du Nord. Nous devions envoyer une équipe de recrutement dans les Maritimes où les gens avaient plus de difficultés à trouver des emplois pour essayer de les attirer dans le Nord de la Saskatchewan.
Jusqu'ici, nous avons eu du mal à attirer les meilleurs enseignants dans la plupart des localités. Dans bien des cas, les enseignants restent moins d'un an en poste.
Nous manquons de professeurs. Cela a certainement eu des conséquences importantes, car le professeur a énormément d'influence sur les élèves. Le genre d'enseignants qui nous influençaient lorsque nous étions jeunes n'est pas présent dans ces localités.
Nous devrions probablement inciter nos dirigeants à déployer davantage d'efforts pour recruter les meilleurs enseignants, et surtout les professeurs compétents en mathématiques et en sciences.
J'ai des critiques à adresser au programme de formation des enseignants. En Ontario, pour obtenir ses titres de compétences, un enseignant n'a besoin que de 72 heures de formation en mathématiques et en sciences. Cela représente deux semaines. C'est très insuffisant pour pouvoir enseigner ces matières.
Il y a certainement beaucoup à faire du côté du leadership. Il faut agir sur le plan de l'éducation, de la formation et du perfectionnement des enseignants et du soutien aux jeunes de la communauté.
M. Murphy: De nombreuses universités organisent des foires scientifiques ou des activités de ce genre pour les élèves du primaire. Par exemple, cette année au Yukon je crois, on a organisé une énorme foire scientifique qui a attiré près d'un millier de jeunes. Je me demande si cela ne pourrait pas servir à développer le goût des sciences, mais ce n'est qu'une simple suggestion.
Vous avez dit que les chefs et les conseils de bande n'étaient peut-être pas assez exigeants sur le plan du recrutement. D'après ce que j'ai entendu, il y a effectivement lieu de se poser des questions.
Les choses seraient-elles différentes si les bandes participaient davantage à des comités d'éducation qui seraient indépendants par rapport à l'administration de la bande et dans lesquels les parents joueraient un plus grand rôle? Cela contribuerait-il à améliorer la qualité du recrutement? Vous avez raison de dire que les enseignants restent moins d'un an, ce qui ne représente pas un grand engagement ni un bon exemple pour les enfants.
Je me demande donc si le fait d'avoir un comité d'éducation où de nombreux parents seraient élus...
M. Dewasha: Pour répondre à vos deux questions, premièrement, je suis d'accord avec ce que vous avez dit au sujet des foires et des camps scientifiques, mais personne n'a pris le temps d'organiser ces activités dans la plupart de nos communautés. Cela n'a pas encore été fait. Ces initiatives font partie de nos objectifs, mais il nous faudra plusieurs années et beaucoup d'efforts pour inciter les communautés, les enseignants et les gens de ces régions à faire ce genre de choses.
Il faudra également déployer des efforts pour amener les dirigeants autochtones à recruter de meilleurs enseignants et à comprendre la nécessité de s'orienter vers les sciences et les mathématiques. J'y ai largement contribué parce que j'ai eu, dans l'exercice de mes fonctions, l'occasion de parler aux chefs de l'Ontario et avant cela, à l'Assemblée des Premières nations. C'est une question dont je parle souvent aux chefs. Je participe à de nombreuses réunions et conférences. J'essaie de répandre la bonne parole.
Quant à savoir s'il serait souhaitable selon moi de séparer l'administration de l'éducation, a priori, je dirais que non pour la plupart des communautés. Pratiquement tous les chefs et dirigeants que j'ai rencontrés sont des gens très dévoués et je ne pense pas qu'ils détournent des fonds destinés à l'éducation pour faire autre chose ou qu'ils n'aient pas entièrement à coeur les intérêts de leur communauté. Je ne crois pas que ce soit nécessaire.
Il y a peut-être un ou deux endroits où l'éducation est reléguée au second plan, mais en général, je dirais que les dirigeants autochtones dans tout le pays sont des gens très consciencieux qui servent au mieux les intérêts de leur communauté. Nous risquerions de perdre au change car dans bien des réserves, les dirigeants travaillent nuit et jour. Ce sont des gens très occupés qui travaillent sans relâche. Ils s'efforcent de fournir à leur communauté les meilleurs programmes qui soient.
Voilà pourquoi une organisation comme la nôtre ne cherche pas à se mêler des décisions politiques ou à garder la haute main sur l'éducation ou l'enseignement. Nous essayons de faire comprendre qu'il faut soutenir particulièrement l'enseignement des mathématiques et des sciences, ce qui est très difficile. C'est sans doute l'une des tâches les plus exigeantes.
Voilà ce que j'avais à vous répondre.
M. Murphy: Merci.
[Français]
M. Bachand: J'ai examiné l'ensemble des projets sur lesquels vous êtes en train de travailler. Il y en a peut-être une douzaine. Je me suis arrêté sur l'un de ces projets, mais ne croyez pas que ma question sera partisane. Il s'agit plutôt de curiosité de ma part.
Vous développez des camps d'été pour des étudiants autochtones anglophones en collaboration avec l'Université Concordia, l'Université McGill et l'Ordre des ingénieurs du Québec. Y a-t-il une raison pour laquelle il s'agit de camps d'été pour étudiants anglophones uniquement? Y a-t-il des universités qui refusent de travailler avec vous? Est-ce qu'il ne vous serait pas venu à l'idée d'avoir un camp d'été pour étudiants francophones avec l'appui d'universités francophones comme l'Université de Montréal ou l'Université du Québec?
[Traduction]
M. Dewasha: Je pourrais peut-être demander à mon ami, M. Lalande, de vous répondre. Il est très au courant du projet organisé avec Concordia et des autres efforts déployés au Québec.
[Français]
M. Lalande: Monsieur le député, je vous ferai remarquer que nous sommes en train de construire un camp d'été pour les jeunes autochtones francophones en collaboration avec l'Université du Québec à Chicoutimi et l'Ordre des ingénieurs du Québec. Cela doit se faire cet été.
Forcément, on s'inspire de l'expérience qu'il y a eu à l'Université Concordia. Cela a commencé à l'Université Concordia grâce à l'effort d'une personne qui en a eu l'idée, et cela a fait boule de neige par la suite. Ce fut un succès et nous essayerons d'en bâtir un cette année, à Chicoutimi.
Je peux vous dire qu'il y aura des étudiants autochtones francophones qui viennent des communautés algonquaines et cries. Vous serez surpris d'apprendre que les Cris parlent aussi le français, et même les Inuit dans le Nord du Québec.
[Traduction]
Le président suppléant (M. Bonin): Comme il nous reste un peu de temps, j'ai aussi une question à poser.
Je crois que tout le monde est au courant des lacunes existant dans l'enseignement des sciences. Ne pourrait-on pas avoir une ou plusieurs écoles secondaires spécialisées dans les sciences? Cela n'inciterait-il pas les écoles primaires à préparer leurs élèves à entrer dans ces écoles? Ne pensez-vous pas que l'absence d'écoles secondaires spécialisées dissuade peut-être les écoles primaires de préparer leurs élèves à s'orienter dans cette voie?
Je vais orienter ma question de façon différente.
Recommanderiez-vous de créer des débouchés pour les meilleurs élèves ou faudrait-il commencer à développer les aptitudes dès la maternelle?
M. Dewasha: Je crois qu'il faut commencer à développer les aptitudes aux alentours de la cinquème année. C'est à peu près à ce niveau que l'on peut distinguer les élèves qui possèdent des talents et des aptitudes exceptionnelles dans ces domaines.
Si vous ne commencez pas à développer leur capacité à cet âge, si vous êtes en retard sur le plan des sciences et des mathématiques... Les connaissances se complètent d'une année à l'autre et si vous n'avez pas de programme enrichi dans les petites classes, vos chances de succès se trouvent nettement réduites par la suite.
Deuxièmement, nous avons déjà quelques programmes enrichis. Ils ont été mis sur pied en collaboration avec Industrie Canada et le programme Shad Valley.
Chaque année, huit universités du pays mettent un programme à l'intention d'une petite élite. Environ 400 étudiants du pays y participent. Environ huit et cinq étudiants autochtones y ont pris part.
Ils ont obtenu d'excellents résultats. Les gens n'y croyaient pas, mais ils ont bien réussi. Ils ont pris la tête de leur groupe dans de nombreux domaines.
Dans l'ensemble, nous pouvons obtenir l'argent nécessaire pour parrainer davantage d'étudiants. J'ai cessé mes démarches auprès des grandes sociétés quand je me suis rendu compte que nous n'obtenions pas suffisamment de demandes. Cette semaine, j'ai donc lancé une campagne en réunissant 200 conseillers en éducation à Niagara Falls. Nous les incitons à trouver des étudiants autochtones remplissant les conditions requises.
Je viens de commencer l'envoi de lettres aux quatre coins du pays. Je viens d'en envoyer environ 200 cette semaine.
Nous avons pris une ou deux autres initiatives à cet égard.
Pour ce qui est des écoles secondaires spécialisées, je ne sais pas trop ce qu'il faut en penser. Effectivement, cela permettrait de réunir des jeunes ayant des aptitudes particulières et de stimuler un esprit compétitif. Néanmoins, le soutien de la famille et de la communauté est également important.
Comme vous l'aurez compris, l'un des problèmes que nous avions à Kasabonika, une communauté du Nord, est que les jeunes finissaient leur scolarité en huitième année à l'âge de 13 ans. Combien d'entre vous aimeraient que leurs enfants, leurs fillettes, quittent la maison à 13 ans pour aller vivre, à des centaines de milles, avec une famille que vous ne connaissez pas et que vous n'avez jamais rencontrée en ne revoyant votre enfant qu'une ou deux fois par an?
Si l'on crée une école spécialisée à un endroit donné... je ne suis pas certain que les avantages l'emporteraient sur les difficultés que cela créerait pour les enfants qui quitteraient leur communauté à un jeune âge.
Je crois qu'il faut faire davantage pour améliorer les services qu'il est possible d'offrir dans la communauté en créant des camps scientifiques et des programmes enrichis. Quand les enfants seront un peu plus vieux, peut-être en 11e ou 12e année, comme ils ne seront pas assez nombreux pour justifier la création d'écoles spécialisées, peut-être pourrait-on compléter leur formation dans ce domaine.
Mais j'hésiterais beaucoup à retenir votre suggestion en raison de l'importance des valeurs familiales et de l'influence de la famille.
Le président suppléant (M. Bonin): J'ai posé la question parce que nous avons visité une école secondaire qui réunissait des élèves d'un peu partout. Il y avait 140 jeunes sur la liste d'attente. Ce n'est pas un établissement spécialisé, mais il a beaucoup de succès, il obtient d'excellents résultats et il a une liste d'attente de 140 jeunes.
Madame Decontie, vous semblez très jeune et vous devez donc avoir obtenu récemment votre diplôme. Vous êtes diplômée d'une université canadienne?
Mme Karen E. Decontie (membre, conseil d'administration, Association canadienne autochtone en science et en ingénierie): J'ai obtenu mon diplôme de l'Université McGill en 1988.
Le président suppléant (M. Bonin): Nous avons visité des universités et, personnellement, j'ai eu l'impression que les étudiants autochtones qui suivent des cours dans le domaine des arts et du travail social obtiennent une aide supplémentaire très importante. Avez-vous obtenu autant d'aide dans le domaine des sciences ou avez-vous dû vous débrouiller seule?
Mme Decontie: J'ai dû me débrouiller seule.
Le président suppléant (M. Bonin): C'est ce que je pensais.
Mme Decontie: Je n'ai pas rencontré d'autres autochtones à l'université.
J'ai également obtenu une maîtrise. Je l'ai terminée il y a tout juste un an. À l'Université de Calgary, nous avons plus de 250 étudiants autochtones ainsi qu'une association étudiante. Nous avons un lieu de réunion et grâce à ce soutien, mon expérience universitaire a été très différente la deuxième fois.
À part moi, il y avait également trois autres autochtones en génie. Je pense que tous les trois poursuivent encore leurs études. Mais pour ce qui est du taux de rétention... nous avons les mêmes problèmes. En génie, le taux de décrochage est de 50 p. 100. C'est la même chose pour les autochtones. Ils sont peut-être mal préparés pour tout le travail que cela représente. C'est peut-être à cause des possibilités de carrière qui s'offrent à eux par la suite. De nombreux autochtones ne veulent pas quitter leur communauté.
La réussite d'un étudiant dépend de toutes sortes de facteurs.
Le président suppléant (M. Bonin): En général, dans le domaine des sciences, c'est à vous de vous débrouiller tout seul.
Mme Decontie: Oui.
Le président suppléant (M. Bonin): Alors que si vous étudiez en arts, vous obtenez davantage d'aide sur le plan financier et tous les autres plans. Est-ce bien ainsi?
Mme Decontie: Oui.
Le président suppléant (M. Bonin): D'accord.
M. Murphy: Je pense à la réponse que vous m'avez donnée quant au fait de confier l'éducation à un comité plutôt qu'au conseil de bande. Je ne faisais pas allusion à un détournement de fonds ou à quoi que ce soit de ce genre; cela visait plus à faire de l'éducation une priorité plus importante. Peut-être avez-vous mal compris le sens de ma question. Elle concernait plutôt l'amélioration de l'éducation.
Je ne veux pas dire qu'un comité d'éducation qui, la plupart du temps, se chargerait de conseiller le conseil de bande, ne laisserait pas à ce dernier le soin de prendre les décisions. Si davantage de gens participent... car si vous demandez aux parents ce qu'ils veulent pour les enfants, ils vont sans doute pouvoir vous le dire.
Je reviens sur cette question pour m'assurer que nous sommes sur la même longueur d'ondes. Je me suis peut-être mal exprimé la première fois, mais je voudrais savoir si en faisant participer davantage de gens on n'accorderait pas une importance plus prioritaire à l'éducation dans les réserves?
M. Dewasha: Dans ce contexte, oui. Je pense que plus de gens de la réserve soutiennent le programme d'éducation, mieux c'est. La participation est très forte dans les communautés du Sud. Elle ne l'est peut-être pas autant dans le Nord. Il faudrait peut-être qu'elle le soit.
Le président suppléant (M. Bonin): Monsieur Dewasha, madame Decontie et monsieur Lalande, nous vous adressons tous nos remerciements. Vous nous avez orientés dans une nouvelle voie qui est très intéressante. Nous apprécions votre contribution.
M. Dewasha: Merci.
Le président suppléant (M. Bonin): Je voudrais souhaiter la bienvenue à M. Glenn Sinclair, directeur du Mestanta Technological Institute, ainsi qu'à Mme Audrey Sam, directrice générale de cet institut.
Je crois que vous avez assisté au début de l'autre témoignage. Nous esssayons de nous en tenir à une heure. L'idéal serait que vous nous fassiez un exposé de 20 minutes après quoi nous vous poserons des questions, ce qui vous permettra de compléter votre exposé. Vous n'êtes pas obligés de vous en tenir à nos questions; nous aimerions que vous le fassiez, mais nous sommes très souples.
La parole est à vous.
M. Glenn Sinclair (surintendant, Mestanta Technological Institute): Merci beaucoup. Je tiens à remercier le comité de nous avoir invités. Nous pensons que c'est non seulement un grand honneur, mais également une excellente occasion de vous faire part de quelques-unes de nos idées.
Très souvent, en ce qui concerne les services d'enseignement autochtones, nous avons l'impression de parler entre nous, c'est-à-dire entre enseignants ou entre collectivités, alors que des décisions sont prises à d'autres niveaux.
Nous sommes très heureux de pouvoir réunir ces différents niveaux. Il y a certaines choses dont nous aimerions vous parler, notamment les solutions assez novatrices que nous avons trouvées à certains problèmes. Certes, elles peuvent ne pas convenir à tout le monde, mais notre espoir est qu'elles pourront quand même être utiles à d'autres groupes confrontés à des difficultés semblables.
Audrey et moi allons participer tous les deux à notre exposé, étant donné que notre routine est bien établie puisque nous collaborons depuis près de deux ans et demi.
Je connais la bande depuis trois ans. La première fois que j'ai rencontré le groupe, il m'a rejeté. Plus tard, peut-être par faiblesse, il a fini par m'accepter.
Nous allons commencer par vous donner des informations générales. Nous n'allons pas parler beaucoup du fonctionnement pratique de notre école, puisque tout cela est expliqué dans notre calendrier, que nous considérons comme très clair à ce sujet.
Au milieu du journal, vous trouverez des informations sur les dernières activités de construction. À la page 11, vous verrez un article intitulé «A new building, another chapter», et les deux ou trois pages qui suivent nous sont totalement consacrées. Là encore, je ne vais pas parler de nos immeubles dans notre déclaration liminaire, mais j'espère que nous pourrons en parler plus tard.
Nous n'allons pas non plus vous lire nos notes d'information mais simplement en présenter les éléments dominants. Je serai une sorte de tableau à feuilles mobiles humain. C'est l'une des méthodes que nous utilisons pour économiser de l'argent: au lieu d'acheter des tableaux à feuilles mobiles, ils m'ont acheté et ils me font tenir les feuilles pendant les réunions. Quoi qu'il en soit, notre méthode nous permettra de dialoguer avec vous pendant une vingtaine de minutes. N'hésitez pas à nous interrompre pour poser vos questions.
N'essayez pas de savoir où nous en sommes dans les notes, car nous allons passer d'un sujet à l'autre. L'essentiel est que vous ayez une vue générale de nos principes.
Veuillez m'excuser, monsieur, mais «mon français est très mal».
M. Bachand: Nous avons des interprètes.
M. Sinclair: Bien.
En préparant notre exposé, nous nous sommes efforcés de répondre aux questions que vous nous avez adressées. Audrey vous fera part de nos préoccupations.
Aussi novatrice et stimulante que soit à nos yeux Mestanta... au fait, la prononciation est «mouche-tan-da», le mot pour dire «essayer» - c'est ce qu'un ancien dirait à un jeune: «Ne dis pas que tu ne peux pas, essaie». Voilà le slogan de notre école.
Aussi intéressant qu'ait pu être le processus, nous ne sommes pas assez naïfs pour vous faire croire que tout ce que nous touchons devient de l'or. Notre collectivité n'est pas épargnée par la tragédie, comme nous avons pu le constater aussi récemment que la semaine dernière, et nous ne prétendons certainement pas pouvoir résoudre immédiatement tous les problèmes. Par contre, nous pensons que notre démarche peut être efficace à longue échéance.
Je dois aussi préciser, avant de commencer notre exposé, que nous désignons nos classes par l'année où elles commencent. Ainsi, si nous avons un jeune qui porte un blouson marqué 1993 et qu'il est encore à l'école en 1995, c'est tout à fait normal.
Vous pouvez voir que nous avons au fond de la salle un membre de la classe de 1998. En fait, c'était une exigence pour qu'elle devienne présidente. Nous lui avons dit qu'elle devait participer activement à nos activités si elle voulait se lancer dans le domaine de l'éducation.
Mme Audrey Sam (présidente et directrice générale, Mestanta Technological Institute): Mestanta est un établissement qui appartient aux autochtones mais qui est complètement indépendant du chef et du conseil, conformément à une décision prise par la collectivité à l'occasion d'un référendum. Les membres de la collectivité ne voulaient pas que le chef et le conseil puissent intervenir dans la gestion de l'école. Ils voulaient plutôt que cette responsabilité soit confiée à un conseil scolaire distinct, composé d'anciens et de parents.
Notre école va bien au-delà des normes établies par le ministère de l'Éducation. De fait, nous avons atteint notre classification, mais nous offrons aussi bon nombre d'autres programmes qui ne sont pas exigés dans la politique officielle du ministère.
Comme l'a dit Glen, notre école est ouverte pendant les 12 mois de l'année. Notre journée de travail est de 12 heures, étant donné que nous offrons des classes le soir et, à l'occasion, les fins de semaine.
M. Sinclair: J'ajoute une précision à ce sujet. Quand nous avons conçu notre programme, nous nous sommes dits qu'il était impossible d'organiser une école efficace dans une collectivité autochtone sans tenir compte des saisons, surtout l'été. En effet, c'est généralement pendant la saison où l'on peut faire le plus de choses avec les étudiants que l'on ferme les écoles.
Cela posait un problème sérieux à la Première nation Lytton, car il n'y avait pas de modèle dont on pouvait s'inspirer. Nous avons donc innové, ce qui est très intéressant car, en Colombie-Britannique, il y a l'école publique de Williams Lake et quelques autres qui connaissent encore des difficultés à ce chapitre. La Première nation Lytton, elle, est allée de l'avant.
Nous nous sommes dits que nous allions ouvrir en juillet. La première année, nous avions 18 élèves, parce que personne ne croyait vraiment que nous réussirions. L'an dernier, nos autobus étaient pleins. Cette année, la seule plainte que nous ayons entendue concernait le fait qu'il y avait des vacances. Cela montre bien que les enfants sont maintenant habitués à l'année complète.
Ce qu'on oublie souvent, c'est que l'année scolaire s'explique par des phénomènes naturels. Dans les collectivités agricoles du Haut et du Bas-Canada, on avait besoin des enfants en juillet et en août pour faire les récoltes. Quand on réussit à se débarrasser de cette mentalité, les enfants sont capables de s'adapter.
Cela fonctionne mieux pour les enseignants, qui peuvent maintenant prendre des vacances pendant des périodes intermédiaires, et cela permet aussi aux enfants d'apprendre plus de choses. Quand les plantes commencent à pousser, les anciens peuvent sortir...
Au fait, au printemps, en été et en automne, les anciens sont beaucoup plus disposés à aller faire de longues promenades dans la nature qu'à venir dans une salle de classe décrire la nature. «L'été prochain, si vous êtes avec vos parents, vous devriez leur demander...» Les anciens n'enseignent pas comme cela. C'est une raison très importante pour laquelle nous avons décidé de fonctionner 12 mois par an. Même les Affaires indiennes ne croyaient pas que nous réussirions, mais, aujourd'hui, cela fait simplement partie du cycle naturel des enfants.
Mme Sam: Cela nous aide également à cause de notre programme d'éducation physique. Comme nous ne pouvons pas avoir de salle de gymnastique, par manque de capitaux, nous emmenons les élèves faire du ski, du patinage, de la natation et d'autres activités semblables ailleurs.
Nous tenons à inculquer aux élèves un sentiment puissant de leurs racines, en leur donnant des cours très complets sur la Première nation Lytton, des cours de langue et des cours sur la nature et les saisons.
M. Sinclair: Comme vous le verrez dans notre calendrier, chaque période scolaire est axée sur un thème différent, correspondant aux activités de la collectivité depuis des centaines d'années. Ainsi, les enfants peuvent aller à la pêche pendant certaines périodes de vacances. Cela ne veut pas dire qu'ils ne sont pas à l'école, simplement qu'ils vont à la pêche pendant une période de vacances de deux ou trois semaines.
Mme Sam: Nous tenons à préparer nos enfants à l'avenir en mettant fortement l'accent sur les ressources renouvelables et la formation à l'entreprenariat. Nous attachons beaucoup d'importance à cela parce que nous pensons qu'il y a dans le domaine des ressources naturelles beaucoup de possibilités pour notre collectivité.
Nos programmes sont axés sur la collectivité, avec le partenariat d'entreprises. Nous voulons dire par là que nous collaborons avec l'industrie forestière de notre collectivité et que nous envisageons de signer un contrat de collaboration avec une entreprise forestière.
M. Sinclair: Je dois dire que nous avons un programme d'études forestières dans le cadre de notre formation à la gestion des ressources renouvelables. Nous avons déjà des équipes d'arpenteurs qui proposent leurs services en faisant concurrence sur le marché libre. De fait, l'une des scieries locales nous a choisis pour mener une étude sur la dégradation des routes. Je parle ici d'étudiants qui n'ont pas encore leur 12e année, même si certains peuvent avoir 20 ou 30 ans. Dans la région, on les avait toujours considérés comme des ratés. Aujourd'hui, ils peuvent participer à ce contrat mais, s'ils font mal leur travail, ils devront recommencer et ne seront pas payés.
Il est très intéressant de voir avec quelle vitesse l'esprit d'entreprise peut s'implanter. Les membres de l'équipe disent: «Écoutez, les gars, faites bien votre travail parce que nous ne voulons pas revenir ici pendant quatre jours sous la pluie».
Cette relation de partenariat est intéressante car elle permet aux clients d'obtenir le service voulu selon les normes du ministère des Forêts, sans avoir à payer plus. Aujourd'hui, certains de ces gars commencent à acheter leur propre véhicule à quatre roues motrices grâce à ce que leur rapportent les contrats d'étude.
Cela veut dire que les attitudes peuvent changer fort rapidement.
Mme Sam: Pour ce qui est de notre budget d'exploitation, 65 p. 100 proviennent de la province, puisque 35 p. 100 sont consacrés au capital. Je dois dire que notre budget a été fortement mis à contribution lorsque nous avons dû payer des frais de location pour toutes nos classes mobiles.
M. Sinclair: Je voudrais vous donner quelques précisions là-dessus. Audrey et moi pourrions vous en parler pendant le reste de la journée, mais nous allons essayer d'être brefs. Le gouvernement a décidé de nous payer le même tarif que celui du district scolaire de la province dont nous faisons partie, ce qui est compréhensible.
En fait, j'avais contribué à faire adopter cette politique lorsque j'étais directeur des services d'éducation pour les Affaires indiennes en Saskatchewan. Par contre, ce qu'on ne fait pas en Colombie-Britannique, c'est de reconnaître que la province donne en plus au district scolaire du capital pour bâtir des écoles et pour acheter des autobus.
Nous avons même dû nous retirer d'une entente que nous avions avec le district scolaire parce que notre coût au kilomètre devait intégrer la constitution du capital requis pour acheter les autobus. Les responsables du district nous ont demandé si nous pouvions imaginer qu'ils s'adressent à leurs contribuables pour leur demander de payer deux fois plus pour acheter un autobus qu'ils n'avaient pas à payer. J'ai appris cela de manière tout à fait fortuite, pendant une conversation, et c'est alors que nous avons appris que ce que nous recevions n'était pas équitable.
Évidemment, cela nous pose des problèmes. Quand nous voulons mettre sur pied des programmes scolaires, ce dont Mme Sam va vous parler dans quelques minutes, nous devons le faire après avoir retiré déjà 35 p. 100 des budgets, ce qui comprend 10 p. 100 pour les autobus. Je ne parle pas ici de l'exploitation des autobus mais de l'achat. Au début, nous n'en avions qu'un mais aujourd'hui, nous en avons huit qui font parfois jusqu'à 200 kilomètres par aller-retour, ce qui fait 400 kilomètres pour la journée puisqu'ils doivent faire deux aller-retour. Nous prévoyons ensuite 25 p. 100 pour la location de nos salles de classe car nous n'allons évidemment pas prendre le risque de construire un immeuble permanent tant que nous n'aurons pas l'assurance d'être capables d'en payer l'hypothèque.
Mme Sam: Nous sommes toujours obligés de préparer nos rapports en double, puisqu'il en faut un exemplaire pour l'agence responsable et un autre pour les Affaires indiennes.
M. Sinclair: Vous aviez demandé, dans votre rapport, comment on pourrait faire un meilleur usage des fonds disponibles. Voici trois exemples. Premièrement, comme nous sommes une école indépendante accréditée par la province, nous devons respecter toutes les normes d'enseignement de la province. Des représentants provinciaux viennent régulièrement faire enquête à ce sujet, sans que cela coûte quoi que ce soit au gouvernement fédéral, même si celui-ci veut toujours d'autres rapports. Notre argument est qu'il devrait être suffisant que les normes soient vérifiées par le ministère de l'Éducation de la province.
Deuxièmement, comme nous sommes enregistrés comme un organisme à but non lucratif, nous devons respecter les exigences du ministère de la Consommation et du ministère du Revenu, c'est-à-dire produire des états financiers vérifiés. En outre, nous devons aussi adresser ces états financiers aux Affaires indiennes. Nous nous demandons pourquoi on nous oblige à les adresser à un autre ministère, alors qu'on les adresse déjà à deux autres organismes du même palier de gouvernement.
Troisièmement, nous essayons depuis près d'une année d'installer un système d'égout pour nos classes mobiles. Nous avons obtenu la signature de toutes les parties concernées sauf des Affaires indiennes, parce que ce ministère veut l'assurance que tous les autres ont vraiment donné leur accord. Ce système de double surveillance nous cause beaucoup de problèmes. Nous ne comprenons pas pourquoi le ministère des Affaires indiennes veut toujours obtenir ce genre d'assurance, concernant d'autres organismes gouvernementaux. Comme la structure scolaire est indépendante, pourquoi veut-il toujours tout surveiller? À notre avis, on pourrait éliminer au moins une personne par bande des budgets fédéraux, ce qui représenterait une économie de 75 000$ par personne, somme que l'on pourrait consacrer à des besoins spéciaux en matière d'enseignement.
Au cas où vous ne l'auriez pas constaté, c'était un appel que je vous faisais.
Mme Sam: Notre école offre des services de jardin d'enfants et de maternelle, mais nous ne recevons pas de crédits pour le programme de maternelle. C'est un programme à mi-temps mais on le considère comme un jardin d'enfants à temps plein. Les enfants y participent toute la journée pour apprendre des choses. À notre avis, il faut accorder beaucoup d'attention à l'apprentissage pendant la petite enfance, et apprendre aux parents comment travailler avec leurs enfants. De fait, cette formation pourrait en grande mesure être donnée dans le cadre d'un programme d'enseignement mobile, même avant que les enfants n'arrivent en maternelle.
Nous en sommes aujourd'hui avec des classes qui ont commencé en 1993. À ce moment-là, nous avons accueilli des élèves qui venaient du système scolaire public. Beaucoup n'étaient pas bien intégrés à ce système ou avaient simplement des besoins spéciaux. Dans le système public, ils étaient souvent classés comme des élèves ayant des besoins spéciaux. Cela dit, il nous est très souvent difficile d'obtenir du système scolaire les dossiers concernant ces élèves.
M. Sinclair: Ou on nous donne des réponses très vagues, alors que nous savons fort bien que ces élèves figuraient sur les listes de ceux qui avaient des besoins spéciaux puisque le ministère des Affaires indiennes versait des fonds à leur intention.
Certains de ces élèves nous disent: «Oui, nous étions dans la place des imbéciles». Vous pouvez imaginer le temps qu'il faut pour les faire changer d'attitude et les motiver.
Mme Sam: Nous avons donc besoin de ressources supplémentaires en ce qui concerne les besoins spéciaux. Dès que des élèves s'inscrivent à notre école, nous leur faisons passer des examens, de façon à mettre au point des programmes individualisés à leur intention. Une bonne partie de nos ressources sont donc consacrées aux besoins spéciaux.
M. Sinclair: Comme je vois qu'il ne nous reste que trois minutes, nous allons essayer de conclure. Je tiens à préciser que notre objectif n'est pas tant de corriger les élèves que de les aider à surmonter leurs difficultés. De fait, dans bien des cas, il est trop tard pour envisager de corriger quoi que ce soit.
Les besoins spéciaux constituent une autre difficulté, considérant la manière dont nous gérons l'école. Il nous faut en effet un groupe d'employés dont le rôle est d'essayer de maintenir les élèves dans le système normal, il nous en faut un autre groupe ayant des compétences spécialisées pour faire face à des problèmes spéciaux. Dans certains cas, ce sont des problèmes que nos employés n'ont encore jamais éprouvés.
Notre espoir est que nous pourrons aider ces élèves à surmonter leurs difficultés, au moins pour qu'ils retrouvent un minimum de dignité, de détermination ou, plus important encore, de coeur à l'ouvrage. Il y en a cependant pour lesquels nous ne réussirons jamais à atteindre ces objectifs, et c'est pourquoi nous devons consacrer beaucoup de ressources à des activités qui sont plutôt de type social.
Notre cas est tout à fait unique. Nous avons des élèves qui ne savent pas comment apprendre, nous en avons qui n'ont plus aucun espoir et aucun rêve, et nous essayons de leur donner une formation dans ce contexte à la fois troublé et chargé. Ce sont des élèves qui viennent à l'école sans avoir la volonté réelle d'apprendre. Certains dépendaient peut-être de l'assistance sociale la veille, d'autres viennent peut-être d'une famille complètement perturbée. Tout cela cause des difficultés considérables.
Mme Sam: Si vous examinez la manière dont nous utilisons nos ressources, vous verrez que nous en consacrons une bonne partie à des services de soutien social concernant par exemple la maîtrise de la colère, le suicide, la résolution des conflits. Bon nombre de nos élèves font face à des problèmes de violence sexuelle, physique ou psychologique. Bien des parents ne sont pas vraiment aptes à élever leurs enfants. Bon nombre ont passé leur jeunesse dans les pensionnats, où ils n'ont pas pu acquérir les compétences nécessaires pour être de bons parents. Nous faisons face aussi à des problèmes de toxicomanie, au syndrome de l'alcool foetal, à des besoins spéciaux ou à des handicaps d'apprentissage, ce qui nous oblige à offrir des programmes spéciaux.
Dans le système public, on ne cesse de pousser les enfants. Ou on les pousse pour qu'ils avancent, ou on les pousse pour qu'ils sortent s'ils ne réussissent pas. Beaucoup de ces élèves, après quelques années en dehors du système scolaire veulent maintenant reprendre leurs études et c'est chez nous qu'ils viennent s'inscrire.
Dans bien des cas, les examens préliminaires montrent que les élèves ont du retard dans leurs études, parfois jusqu'à six années de retard.
M. Sinclair: Comme notre temps de parole est écoulé, nous pouvons passer aux questions. Si nous pouvons vous fournir d'autres informations grâce aux graphiques, nous le ferons lorsque vous poserez vos questions.
Le président suppléant (M. Bonin): Je vous remercie de nous avoir fait un exposé extrêmement intéressant.
[Français]
M. Bachand: Je voudrais vous remercier pour votre présentation très dynamique. Cela donne un autre aperçu des fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes. Avec votre dynamisme, cher monsieur, je doute que vous ayez pu travailler là. Je ne veux pas dire, par cela, que les fonctionnaires ne sont pas dynamiques, mais je ne m'attendais pas à en obtenir autant de vous. C'est rafraîchissant de voir cela, et vous devez avoir un certain succès avec tout le dynamisme dont vous avez fait preuve dans votre présentation d'aujourd'hui.
J'ai certaines questions portant d'abord sur la cohabitation. Est-ce que je me trompe en disant que votre école - et c'est ce que j'ai cru voir dans les notes - va de la maternelle jusqu'à la douzième année? Est-ce dans le même lieu physique? D'après ce que vous venez de dire, j'imagine ce ne sont pas seulement des jeunes qui y vont, mais aussi des gens d'âge adulte qui peuvent retourner à l'école et s'inscrire, par exemple, en huitième ou en neuvième année.
J'aimerais que vous nous donniez un aperçu de l'esprit de cohabitation qui existe entre tous ces gens de différents âges qui partagent tous la même école. C'est quelque chose d'assez original pour nous. C'est très différent des milieux scolaires que nous avons fréquentés.
Par exemple, en première année, j'avais six ans et tous mes confrères et consoeurs de classe avaient six ans. On avait tous le même âge au fur et à mesure qu'on progressait. Chez nous, l'école élémentaire allait de la première année à la quatrième année et ensuite, on allait dans une autre école où on avait de la cinquième jusqu'à la septième. Ensuite, on allait au secondaire. Chez vous, si j'ai bien compris, tous sont dans le même melting pot. Je suis curieux de voir comment cohabitent ces gens-là.
J'aimerais que vous nous donniez aussi un aperçu de la façon dont vos programmes d'enseignement ont été développés. Vous semblez dire que vos normes et standards sont supérieurs aux standards provinciaux. J'imagine que les programmes sont élaborés un peu en fonction de la culture autochtone. Comment avez-vous fait pour concevoir ces programmes? Est-ce que ce sont les aînés, en coopération avec les enseignants, qui se sont réunis et qui se sont dit qu'ils allaient faire un programme en se basant sur le programme provincial tout en essayant de le surpasser? Donnez-nous une idée de la façon dont vous avez conçu ce programme.
J'ai l'impression que votre niveau de décrochage scolaire doit être inférieur à ce qu'on voit dans d'autres communautés autochtones parce que, non seulement vous semblez des gens dynamiques, mais la relation à l'intérieur de l'école même semble aussi très diversifiée. Ce doit être stimulant. Je suppose que le taux de décrochage doit être inférieur à ce qu'on voit ailleurs. Donnez-m'en un aperçu. D'ailleurs, le régime des Blancs n'est pas tellement mieux car, à Montréal, le taux de décrochage se situe à 40 p. 100. Chez vous, quel est le taux de décrochage?
Ma dernière question a trait à la relation entre le conseil de bande et l'administration scolaire. Vous avez dit plus tôt que c'était distinct. Dois-je comprendre que vous avez une enveloppe budgétaire différente de celle du conseil de bande et qu'elle est administrée par des personnes autres que les membres du conseil de bande? C'est une chose importante pour nous parce qu'on a parfois l'impression que, dans certaines communautés, les besoins en éducation, même s'ils sont omniprésents, sont quelque peu mis de côté par le conseil de bande qui consacre souvent un peu moins d'argent à l'éducation pour faire un peu plus de développement économique.
Si j'ai bien compris, vous avez une enveloppe budgétaire distincte. J'aimerais donc vous entendre sur la relation qui existe entre le conseil de bande et votre groupe. Qui dirige l'école? Y a-t-il une relation ou pas du tout? Assure-t-on un suivi et de quelle façon?
[Traduction]
M. Sinclair: Vous venez de poser des questions très pertinentes. Je commencerai par la dernière, qui est la plus cruciale en ce qui vous concerne, et c'est Audrey qui va vous répondre.
Je dois dire que très peu d'écoles ont choisi notre modèle, c'est le cas en Colombie-Britannique, mais aussi dans les Prairies, à cause de problèmes associés aux traités, qui empêchent d'avoir des écoles indépendantes.
Audrey connaît très bien la question puisque c'est elle qui s'est occupée du référendum. Comme on vous l'a dit, la décision a été prise par référendum.
Mme Sam: En effet, c'était une préoccupation majeure de notre collectivité. On avait entendu parler de conseils de bandes qui avaient consacré les budgets d'éducation à d'autres activités.
Chez nous, les gens voulaient absolument éviter cela. Ils ne voulaient aucune ingérence politique dans l'école. Ils ont donc décidé que l'école serait une entité complètement distincte de la bande, même si elle appartenait à la Première nation Lytton.
De ce fait, l'école dispose de son propre budget, qui est géré par nous-mêmes, au sein de l'école. Notre seule responsabilité à l'égard du conseil de bande est de lui fournir des états financiers vérifiés en fin d'année, et d'être prêts à répondre à ses questions lors de notre AGA.
Je précise que nous lui fournissons continuellement des rapports pendant l'année. De plus, nous sommes invités aux réunions du conseil de bande. En règle générale, c'est moi qui établis la liaison entre l'école et le conseil de bande.
J'ajoute que nous organisons aussi de temps à autre des banquets qui donnent aux membres du conseil de bande et de la collectivité la possibilité de nous interroger et de discuter avec nous.
M. Sinclair: En fait, lors de notre AGA, le chef et les membres du conseil sont considérés exactement comme les autres parents. La collectivité attachait beaucoup d'importance à cela. Le lien qui existe entre le conseil de bande et le conseil scolaire est que c'est le premier qui a désigné Audrey présidente du deuxième, pour une période de cinq ans. Pendant cette période, le conseil de bande n'a plus de pouvoir sur l'école. La décision a été prise lors de la constitution de la société, qui est distincte du conseil de bande. Les membres de ce dernier ne peuvent même pas venir consulter nos registres, ils doivent attendre nos états de compte vérifiés.
Je dois mentionner par ailleurs, car Audrey est très modeste aujourd'hui, que les banquets que nous organisons sont extrêmement populaires. Lorsque le système public en organise un, il y a deux ou trois parents qui viennent. Chez nous, il y en avait 150 dès le premier. Lors du dernier, je crois que nous avons eu 400 personnes et que nous avons dû faire deux services. De fait, ces banquets sont devenus l'événement social de notre collectivité, parce que c'est la première fois que des responsables scolaires acceptaient de se prêter à des questions. En même temps, cela permet aux enfants de montrer des spectacles et de faire toutes sortes de choses.
La relation qui existe entre le conseil de bande et le conseil scolaire est donc bien précise. Nous avons un contrat distinct avec le ministère des Affaires indiennes, et nous avons maintenant aussi des contrats distincts avec les autres bandes participantes. À notre avis, c'est la première fois au Canada que de telles relations sont établies entre des gouvernements de Premières nations et une école autochtone.
Je précise que ces contrats ont été négociés sans aucune participation du ministère des Affaires indiennes. De fait, celui-ci ne sait probablement même pas qu'ils existent. Nous avons laissé nos propres avocats s'en occuper.
Il est très important que vous compreniez bien que nous traitons directement avec nos avocats et avec nos vérificateurs comptables. Nous rencontrons nos vérificateurs plus souvent que le responsable des finances du ministère des Affaires indiennes. Voilà comment les choses ont évolué dans notre système.
Le conseil scolaire doit rendre des comptes à la population. De fait, l'un de ses membres prend l'autobus avec les enfants au moins deux ou trois fois par semaine. Lorsqu'il y a un problème, les parents l'appellent directement. En outre, Audrey se trouve tous les jours à l'école, ce qui l'oblige aussi à rendre des comptes. C'est elle qui rend des comptes au conseil de bande.
Pour ce qui est de l'argent, le conseil de bande ne peut pas y toucher. Il nous a prêté de l'argent au début et nous l'avons remboursé. Nous négocions parfois des contrats avec lui, mais exactement de la même manière que nous pouvons le faire avec le ministère des Affaires indiennes ou avec l'entreprise forestière locale.
Nous pensons que tout cela nous rend beaucoup plus efficients. Aucune partie de notre budget n'est consacrée au développement économique, bien que nous investissions directement dans ce secteur. Quand la bande obtient une certaine somme en droits d'inscription à l'école, chacun sait que cette somme sera totalement consacrée à l'école.
M. Murphy: Je voudrais avoir des précisions sur votre taux de décrochage. D'autre part, vous avez parlé des difficultés que peuvent connaître certains enfants qui s'inscrivent à votre école. D'où tirez-vous les fonds nécessaires pour obtenir des services de conseils psychologiques, par exemple?
M. Sinclair: Cela vient de notre budget. D'après nous, il est impossible d'enseigner quoi que ce soit à un enfant si on ne sait pas qui il est. Cela veut dire que certaines classes ont plus d'élèves que nous ne le voudrions. Cela veut dire aussi qu'il y a certains livres scolaires que nous ne pouvons pas utiliser. En revanche, nous partageons ce que nous avons et notre personnel travaille en équipe. Nous avons constaté que nos enseignants sont plus motivés lorsqu'ils connaissent les antécédents des élèves dont ils ont la charge. Il s'agit donc simplement de partager et...
M. Murphy: D'où vous viennent vos psychologues?
M. Sinclair: De l'Hôpital pour enfants de l'Université de la Colombie-Britannique. Je m'occupe de cela depuis extrêmement longtemps. Audrey aussi, d'ailleurs.
Nous avons procédé par essai. Certains des psychologues que nous avons utilisés dans le passé ne nous ont pas donné satisfaction et nous ne les avons repris. Cela nous a rapidement donné une réputation qui nous convient parfaitement. En effet, les gens savent que ce n'est pas la peine de venir à MTI s'ils ne sont pas capables de nous donner des services de première qualité, car ils savent que nous ne leur demanderons pas de revenir si ça ne va pas.
De ce fait, l'Université de la Colombie-Britannique sélectionne attentivement les personnes qu'elle nous recommande. De même, Audrey participe à des réunions de la CEEA et d'autres organismes d'enseignement non autochtones. Cela fait que nous avons toute une réputation dans ces milieux. On sait très bien que nous sommes prêts à payer si les services sont satisfaisants et que nous ne voulons pas d'incapables. Lorsque nous obtenons nos rapports, nous pouvons les adresser à un médecin, à un travailleur social ou à n'importe quel autre spécialiste parce que ce sont des rapports compréhensibles, rédigés par des professionnels.
Tous nos enseignants doivent être membres du Collège des enseignants de la Colombie-Britannique, ce qui constitue une norme. Si quelqu'un ne nous donne pas satisfaction, le Collège peut intervenir.
M. Murphy: Pouvez-vous me donner des précisions sur les matières qui sont enseignées dans votre école et sur le nombre de diplômés.
M. Sinclair: En fait, Merv est déjà venu sur notre campus.
M. Murphy: Je n'en doute pas.
M. Sinclair: Audrey pourra sans doute nous donner des précisions là-dessus, mais je voudrais dire que, chaque fois que Merv peut faire venir un enseignant autochtone important chez nous, il le fait.
Au début, nous avons fortement mis l'accent sur les sciences et sur la gestion des ressources renouvelables. L'une des choses intéressantes de la collectivité de Lytton est que l'on n'y trouve pas d'art «traditionnel». Par contre, c'est une collectivité qui a toujours eu des ingénieurs, parce qu'on y pratique la pêche le long du canyon. Or, pour cela, il a fallu aménager toutes sortes de structures en suspension le long du canyon. Nous avons donc décidé d'apprendre aux élèves comment ces structures sont fabriquées, car nous estimons que cela fait partie de leur culture.
Nous donnons également des cours sur la forêt, la pêche et de la faune, l'écotourisme, etc. C'est à partir de tout cela que les élèves peuvent apprendre d'autres choses, comme les mathématiques. Quand on parle de pêche, on parle aussi de reproduction, par exemple.
Je vais vous raconter une petite histoire. Pour faire de l'arpentage, il faut faire des fractions. Nos élèves ont dit à l'enseignant qu'ils ne connaissaient pas les fractions. Évidemment, dans l'école où ils étaient auparavant, on considérait sans doute que les Indiens ne peuvent pas apprendre les maths. Nous avons dit que les élèves n'avaient pas appris les fractions pendant le cours sur l'arpentage, mais ceux-ci ont rapidement constaté qu'ils étaient obligés de faire des «radios», comme ils disaient, et nous avons dû leur expliquer qu'il s'agissait de ratios. Quoi qu'il en soit, ils sont allés faire une première série d'arpentages. Au retour, ils avaient un problème. Près de trois mois plus tard, nous étions en train de travailler sur ce problème et Noël a dit aux élèves de l'envisager comme une fraction. Les enfants ont dit: «Vous nous aviez dit que nous ne ferions pas de fractions pendant ce cours. Nous ne connaissons pas les fractions». Il leur a répondu: «Que croyez-vous avoir fait lors de l'arpentage»? D'un seul coup, le visage des élèves s'est éclairé car ils ont compris non seulement qu'ils avaient fait des fractions, mais qu'ils avaient été payés pour cela. Ce genre d'expérience peut changer considérablement les réactions face à la science et aux mathématiques.
Je vais demander à Audrey de vous donner d'autres précisions sur le taux de décrochage, dont nous n'avons pas encore beaucoup parlé.
Mme Sam: Je voudrais revenir sur l'une des questions qui concernait la cohabitation des élèves de la maternelle jusqu'à la douzième année. Je dois ajouter qu'il y a aussi un niveau postsecondaire après.
Le fait qu'il y ait des adultes dans les salles de classe ne pose aucune difficulté. Nous avons une ancienne de 85 ans qui a décidé de retourner à l'école pour apprendre à lire et à écrire. Croyez-moi, pour les autres élèves, c'est un exemple extraordinaire. Pour eux, cette personne est un modèle.
M. Sinclair: Et c'est un exemple de discipline.
Mme Sam: En effet.
M. Sinclair: Pouvez-vous imaginer cette personne disant à un jeune de 16 ans qui commence à faire le malin en classe: «Veux-tu faire comme moi et attendre 40 ans pour apprendre à lire et à écrire? Allez, mets-toi au travail». Les enseignants sont ravis de l'avoir dans leur salle de classe.
Nous avons moins de décrocheurs parce que nous ne laissons pas les élèves décrocher. Certains peuvent avoir besoin de faire une pause et nous nous organisons pour qu'ils puissent la faire tout en continuant de travailler. Vous avez probablement entendu parler de la Vallée de Stein. C'est la Première nation Lytton qui s'en occupe. Nous avons plusieurs programmes qui permettent aux étudiants d'aller dans la vallée de Stein pendant une ou deux ou trois semaines, voire plus. Cela leur donne l'occasion de participer à des activités de plein-air. Nous ne voulons pas qu'ils abandonnent l'école mais nous comprenons qu'ils ont parfois besoin de se détendre.
Il y a une dynamique tout à fait particulière au sein de l'école. Cela vient sans doute du fait que les élèves y sont traités comme de vraies personnes. Merv l'a constaté lorsqu'il s'est rendu sur place, tout comme l'avaient fait les évaluateurs provinciaux.
Les personnes plus âgées s'occupent bien des plus jeunes. Vous pouvez avoir quelqu'un de 40 ans qui va emmener un adolescent de 20 ans avec lui à un cours sur la construction, et cet adolescent de 20 ans emmènera un jeune de 14 ans suivre un autre cours, et ce jeune de 14 ans emmènera peut-être un jeune de 6 ans s'amuser dehors. Il y a donc une dynamique de protection mutuelle. Les gens ont l'impression qu'ils pourraient être des cousins, voire des membres de la même famille.
Voilà pourquoi, quand vous avez posé votre question, je me suis dit que c'était peut-être comme cela que vous et moi avons fait nos études, mais que ce n'est plus la même chose.
Chez nous, les enfants du primaire doivent passer dans la cour de l'élémentaire pour se rendre à certaines activités. Lorsque je traçais les plans du campus, tous mes collègues du monde non autochtone m'ont dit que ça ne marcherait pas car les enfants seraient trop groupés. En réalité, ils ne le sont pas du tout. Ils doivent passer d'un secteur à un autre pour aller suivre des cours différents, mais ils prennent tous le même autobus.
Personne ne parle chez nous de perfectionnement. Quelqu'un de 40 ans qui n'a pas terminé sa 12e année va vouloir participer à un programme pour le faire, mais personne ne sera mis dans une classe d'élèves plus lents que les autres. Personne ne peut dire à quelqu'un d'autre qu'il est trop lent. Chez nous, on est simplement un élève et c'est tout.
Cela provient aussi de l'attitude du conseil scolaire. Si personne ne vous perçoit de manière différente, vous ne vous sentez pas différent.
Comprenez-vous ce que je vous dis? Si personne ne vous dit que vous êtes un peu différent, vous ne pensez pas l'être. Par contre, lorsqu'on vous met cela dans la tête, vous ne pouvez plus l'oublier et cette notion prend de plus en plus d'ampleur.
C'est en tout cas mon avis. Vous avez peut-être une démarche plus réaliste.
Mme Sam: Nous encourageons tout le monde à faire des efforts. Qui que vous soyez, vous devez savoir que l'on peut apprendre pendant toute la vie.
M. Sinclair: Nous visons deux choses: la carrière, mais aussi la vie en dehors. Nous ne formons personne pour le seul monde du travail. Pourtant, je vous défie de trouver n'importe où dans le monde des gens ayant une meilleure formation que ceux des réserves indiennes.
N'est-ce pas, Merv?
Je dirais qu'il y a dans les collectivités indiennes assez de gens qui ont reçu une formation en menuiserie pour rebâtir toutes les maisons qui peuvent être détruites chaque année par des typhons n'importe où dans le monde. Mais y en a-t-il qui vont être les chefs d'équipes? Y en a-t-il qui vont s'occuper de la finition? Y en a-t-il qui vont s'occuper seulement du toit?
Non. Notre objectif est d'essayer de former des gens qui peuvent aller travailler et gagner de l'argent en équipe de deux ou de trois, en se comportant comme ils le font dans la société.
Dans les rues d'Ottawa, vous allez voir tous ces petites bonshommes dans leurs camions de peintre, de couvreur ou d'autre chose. Dans une collectivité indienne, vous allez voir les mêmes camions mais portant des noms comme Abbotsford, Chilliwack ou Kamloops.
Mais pas maintenant. Nous avons obtenu le contrat de réfection du toit d'une église historique. Croyez-vous que cela n'a pas rendu nos gens fiers d'aller au centre-ville à l'heure de midi? Nous avons des gens qui peuvent maintenant faire de l'arpentage aussi bien que les autres. Nous avons des exploitants de serres, des producteurs de bois et des exploitants de services d'autobus.
Nous offrons l'un des premiers programmes autochtones d'apprentissage à la conduite des autobus. Pourquoi? Parce que, dans notre collectivité, les femmes qui n'ont pas de permis de conduire sont quasiment prisonnières. La collectivité est séparée par le Fraser et la rivière Thompson. Aujourd'hui, on ne peut traverser le Fraser qu'au moyen d'un traversier. On ne peut pas se rendre en ville à pied - sauf si on est un marcheur olympique. Nous avons donc décidé que la conduite d'un véhicule était un savoir indispensable, comme partout ailleurs.
Nous avons aussi de l'écotourisme, ce qui est intéressant. Je vais vous raconter une histoire. Nous avons une classe de 4e et de 5e année qui négocient un prêt avec la banque pour mettre sur pied un service de traiteur, afin de pouvoir offrir des aliments décents, pendant le déjeuner, aux élèves des autres classes... et dans le but de faire des profits, évidemment.
M. Murphy: Quel est l'âge de ces élèves?
M. Sinclair: Il s'agit d'élèves réguliers de 4e ou de 5e année, de neuf à dix ans. Ils ont demandé au banquier de venir les voir, car ils ont entendu dire que c'est ce que font les gens d'affaires importants. Ils avaient demandé à John, notre adjoint administratif, s'il s'agissait de grands hommes d'affaires et John leur a évidemmnent répondu oui parce qu'il ne savait pourquoi ils lui posaient la question. Ils ont donc demandé au banquier de venir les rencontrer. Ils ont ouvert leur propre compte bancaire parce qu'ils veulent gérer un service de traiteur.
Voilà une autre chose à prendre en considération. Si vous ne dites pas que les cours sont destinés au monde du travail, c'est-à-dire pour vous permettre d'aller en affaires ou d'entreprendre une carrière, les enfants commencent...
Ça nous ramène à ce que Merv disait tout à l'heure. On nous demande qui sont ces gens. En réponse, nous disons: «Vous voyez le plombier, là-bas? Pourquoi pensez-vous ne pas pouvoir faire le même travail?» De cette manière, nous avons des jeunes de 20 ans ou de 30 ans qui commencent à s'y mettre, et après, les adolescents font de même.
Nous avons deux adolescents s'occupant du projet de serre qui ont pu acheter de nouveaux véhicules. Ce ne sont pas des véhicules neufs mais, pour ces adolescents, c'est la même chose. Les autres parlent de Clint qui va acheter sa propre voiture. Il va à l'école depuis deux ans et a continué de travailler en même temps, pendant à peu près la moitié du temps. Cela lui a permis d'économiser assez d'argent pour acheter une voiture de 1 500$ en très bon état. Pour les autres, Clint est maintenant un modèle, et je dois dire qu'on ne lui a jamais payé de salaire, on lui a donné des actions dans les projets dont il s'est occupé.
En fait, cet argent est venu de nos droits d'inscription, car nous ne cessons de le recycler. Nous avons maintenant placé 40 personnes dans la collectivité et l'argent qui rentre est réinvesti dans la collectivité par leurs salaires. Nous avons probablement une cinquantaine d'employés, dont dix sont des enseignants de l'extérieur. Tous les autres font partie de notre collectivité, mais la plupart n'avaient pas de carrière auparavant. Ceux qui en avaient et qui travaillent avec nous ont été remplacés dans leur emploi précédent. Nous avons ajouté une quarantaine de personnes productives à une collectivité de 1 600 personnes. Pour la ville où nous sommes, c'est comme si l'on avait créé 4 000 nouveaux emplois.
Si vous pouviez créer 4 000 emplois dans cette ville, vous seriez fort contents. Voilà le genre d'impact qu'a eu Mestanta, et je pense que ce genre d'école fonctionnerait n'importe où.
Nous ne réinventons pas la roue. Nous appliquons simplement de manière efficace les systèmes qui existent déjà. Nous veillons à ce que l'argent retourne dans la collectivité locale, sans ingérence politique. De cette manière, d'un seul coup, toutes sortes de choses commencent à se produire.
Le président suppléant (M. Bonin): Une autre école vous fait-elle concurrence dans la collectivité?
D'autre part, y a-t-il un processus de sélection des élèves ou tous les candidats sont-ils acceptés?
M. Sinclair: Avant de laisser Audrey vous répondre, je dois vous dire que c'est comme si vous me demandiez s'il y a une équipe qui fait concurrence à Québec dans les séries. Certes, il y a une autre école dans la collectivité, mais nous ne la voyons pas comme une école concurrente, si vous voyez ce que je veux dire. C'est...
Le président suppléant (M. Bonin): Quand on parle de 7 000$ par élève, c'est de la concurrence.
M. Sinclair: Oui, en ce sens, il y a une concurrence du système public.
Allez-y, Audrey.
Mme Sam: Nous avons ouvert nos portes à tout le monde. Nous avons même des élèves non autochtones. Nous en arrivons d'ailleurs au point où nous commençons à manquer de places, ce qui nous a obligés à limiter le nombre de nouvelles inscriptions au dernier semestre, car nous n'avons pas le personnel voulu. Les classes sont de plus en plus grandes.
Le président suppléant (M. Bonin): Si un élève enfreint les règles de l'école, le renvoyez-vous? Dans ce cas, le système public est obligé de l'accepter. Cela arrive-t-il?
M. Sinclair: Nous n'avons jamais fait cela directement. Certes, l'école publique est obligée d'accepter ceux qui nous quittent, elle n'a pas le choix, mais nous avons essayé, quand cela est arrivé, de faire des échanges.
Autrement dit, il est arrivé que nous recommandions à l'école publique de fournir à un élève des services qu'elle est seule à pouvoir offrir, en l'invitant à nous envoyer un élève avec lequel elle a des problèmes. Nous n'avons cependant jamais envoyé personne directement à l'école publique. Nous n'avons permis à aucun élève d'abandonner. Nous avons suspendu des élèves pendant certaines périodes, mais pas assez longtemps pour qu'ils soient obligés d'aller ailleurs. Lorsque c'est arrivé, nous avons continué à leur envoyer du travail à faire à la maison.
Notre plus gros problème est celui que vient de mentionner Audrey, c'est-à-dire que nous manquons de place. Tant que nous n'aurons pas réglé nos problèmes budgétaires avec les spécialistes des finances des Affaires indiennes, cela sera...
Je dois préciser que, comme nous faisons maintenant partie du groupe un, la province nous donne une subvention de 50 p. 100 pour tous nos élèves non autochtones, ce qui aide certains parents. De notre côté, nous leur offrons la possibilité de payer l'autre moitié par leur travail. Autrement dit, ils peuvent le faire en nous offrant leurs services à titre bénévole, et plusieurs ont choisi cette option.
Le président suppléant (M. Bonin): Je voudrais vous poser une autre question. Prenons le cas d'une collectivité qui ne contrôle pas son école. Dans votre cas, je suppose que l'école a été bâtie avec un directeur de l'enseignement et un directeur général, qui avaient beaucoup d'expérience et qui ont offert le service, après quoi ils ont été recrutés. Peut-on concevoir qu'une bande ne contrôlant pas son système d'éducation puisse recruter des spécialistes de ce genre, tout comme on recrute des spécialistes en informatique, après quoi la bande pourrait élire un conseil scolaire local et essayer de résoudre son problème d'éducation des enfants en sous-traitant la gestion de l'école?
M. Sinclair: Pour être tout à fait franc, je dois dire que c'est moi que l'on a recruté de l'extérieur, alors qu'Audrey faisait partie de la collectivité. Quand je l'ai rencontrée pour la première fois, elle gérait un programme d'éducation, et fort bien, à mon avis. Ce n'était pas un programme très important, mais il était très efficient.
J'ai donc dit aux gens: «Si vous êtes sérieux, nous pouvons faire venir des gens à qui nous donnerons une formation».
En fait, Audrey suit un programme de formation depuis sept ou huit ans. Lorsqu'elle aura fini, elle aura un diplôme en enseignement, en plus d'une expérience considérable.
Il y a certaines choses qui font de Lytton une collectivité exceptionnelle. Il s'agit avant tout du fait qu'elle est un peu à droite du centre, c'est-à-dire qu'on y trouve un esprit d'entreprise.
L'avantage important dont bénéficie Audrey est qu'il n'y a aucune ingérence du conseil de bande. Certes, on peut avoir des bagarres à huis clos mais, quand on veut une réponse, comme sur la question du capital, on peut s'adresser à Merv et le fait qu'il vient de l'Ontario n'a aucune importance. Le conseil de bande n'a rien à voir à ce sujet.
Nous avons réuni beaucoup de compétences au sein de notre conseil, dont les membres sont très déterminés.
Ils participent toujours à des exercices de formation. Nous avons tenu quatre ateliers importants dans les six mois que nous a pris la mise sur pied de l'école. Ils ont passé un accord avec moi, dans la mesure où j'ai accepté de leur apprendre le plus de choses possibles jusqu'à la fin de mon contrat, en l'an 2000. S'ils le veulent, à ce moment-là, il y aura une option de prorogation.
La chose importante est qu'il n'y a pas d'ingérence du conseil de bande et que chaque expert qui vient chez nous nous apprend quelque chose. D'autre part, on comprend bien la notion de propriété intellectuelle, qui est prévue dans tous les contrats que nous signons avec nos consultants. Quiconque travaille avec MTI ne peut pas aller commercialiser le fruit de son expérience. Ou plutôt, on peut le faire, mais à condition que MTI ait une part des revenus.
Quand elle était directrice de l'éducation, Audrey mettait de côté de petites sommes d'argent pour l'avenir. Même quand on m'a recruté, il n'y a pas eu d'argent des Affaires indiennes.
À mon avis, la détermination de la collectivité est peut-être un peu plus forte que dans d'autres. Il y a plusieurs autres écoles indépendantes en Colombie-Britannique, et deux autres systèmes que j'ai aidés à mettre sur pied. Je ne pense pas qu'ils soient aussi solides que celui-ci, mais ils sont plus efficaces que ceux gérés par les bandes, car personne ne peut mettre la main sur l'argent. Autre chose, tout aussi importante, personne ne peut intervenir dans le processus de décision sauf en participant à l'assemblée générale annuelle, en se faisant élire au conseil ou en s'adressant au conseil.
Cela est très important. Quand Merv est venu - nous avions des services techniques du ministère de Vancouver qui nous conseillaient - nous avons pris cette décision. Nous avons décidé que la gestion ne relèverait pas des Affaires indiennes, pas d'un organisme extérieur, et manifestement pas du conseil de bande. Donc, si le conseil de bande nous dit qu'il veut quelque chose, nous lui répondons que nous allons faire venir notre propre expert pour voir si c'est justifié.
Bien sûr, cela veut dire que l'on obtient toujours deux opinions, mais je crois que c'est ce qui contribue à notre force.
Le président suppléant (M. Bonin): Je vais vous poser une dernière brève question, pour laquelle j'aimerais une brève réponse.
Quelle importance attachez-vous à votre indépendance par rapport au conseil de bande? Croyez-vous que cela est indispensable à votre succès? À mon avis, c'est une question très importante car elle touche directement les problèmes sur lesquels nous devons formuler des recommandations.
Mme Sam: Pour vous répondre, je reviendrai à la manière dont l'école s'est créée. Elle a été mise sur pied par le comité de l'éducation de la Première nation Lytton, qui relève du chef et du conseil. Bien sûr, de nombreuses personnes ont fait partie du comité au cours des années, moi y comprise. Certain d'entre nous avons travaillé dans le système scolaire public, et beaucoup sommes des parents ou des anciens. Cela nous a permis de voir que le système public était pour nous un échec et, en ce qui me concerne, je tenais vraiment à ce que les choses changent.
J'ai le sentiment que nous saisissons aujourd'hui beaucoup mieux qu'auparavant ce que nous attendons du système d'enseignement. Pour ma part, l'argent ne m'intéresse pas. Ce n'est pas là le problème. Voilà d'ailleurs pourquoi c'est un facteur qui ne me gène pas.
Je pense que le chef et le conseil respectent les membres du comité, et me respectent moi, parce qu'ils savent depuis plusieurs années que ce que nous leur offrons est ce qu'ils souhaitent. La Première nation Lytton voulait sa propre école, mais il a fallu un certain temps pour la mettre sur pied.
Le président suppléant (M. Bonin): Je vais aller un peu plus loin: croyez-vous que la collectivité soit capable d'assumer la responsabilité totale de son école, pas seulement du point de vue administratif?
Mme Sam: Sans aucun doute. Si la bande...
Le président suppléant (M. Bonin): Je voudrais que vous disiez oui, au lieu de simplement approuver de la tête, pour que votre réponse figure au procès-verbal.
Mme Sam: Oui.
Le président suppléant (M. Bonin): Veuillez m'excuser, je ne vous dis pas oui pour vous faire dire oui mais simplement parce que j'ai vu que vous approuviez de la tête.
Mme Sam: Oui, j'en suis fermement convaincue. Je pense que c'est essentiel. L'école appartient aux gens et aux élèves. Quand vous y allez, vous voyez que tout le monde sourit, ce qui est très gratifiant. Tout le monde en est très fier.
Si le chef et le conseil devaient changer demain et décider de fermer l'école, il y aurait une révolte. Les gens, les anciens, les enfants...
Le président suppléant (M. Bonin): L'école leur appartient.
Mme Sam: Oui.
M. Sinclair: Je vais vous en donner un exemple très clair. Il y a une route qui passe en plein milieu du campus. Elle ne sert pas beaucoup, mais elle devait donner accès à un terrain de sport que l'on avait envisagé. Or, il y a certaines personnes qui vivent le long de cette route, et nos ouvriers de la construction s'en servent aussi. Les élèves ont pensé qu'il risquait d'y avoir des accidents et ils ont donc érigé un barrage en y apposant l'affiche suivante: «Pas de véhicules au-delà de ce point».
Un jour, je devais amener Audrey à l'école et nous étions en retard. Comme j'ai un véhicule à quatre roues motrices, j'ai fait le tour du barrage. Nous n'avions pas fait dix mètres qu'il y avait des enfants qui nous bloquaient le chemin. Quand ils ont vu qu'Audrey était avec moi, ils nous ont laissé passer mais, si j'avais été seul, ils m'auraient arrêté.
Voilà un exemple du sentiment de propriété qu'ont les gens envers leur école. L'école nous appartient et Dieu protège quiconque veut nous barrer le chemin.
Comme la plupart des membres du conseil sont aussi des parents, eux aussi ont le sentiment que l'école leur appartient.
C'est quelque chose qui est...
Mme Sam: Très profond.
M. Sinclair: Oui.
Mme Sam: Voici un autre exemple. Un jour, des anciens m'ont téléphoné à l'école pour me faire de vives critiques au sujet des secrétaires et de la manière dont elles répondaient au téléphone. En effet, ils ont dit qu'elles devraient répondre «Mestanta», et non pas MTI.
M. Sinclair: MTI n'est pas le bon mot, comprenez-vous? Nous devons utiliser notre langue.
M. Murphy: Vous nous avez dit que 35 p. 100 des crédits que vous recevez constituent du capital. Avez-vous des problèmes avec le ministère à ce sujet?
M. Sinclair: Oui, et nous avons d'ailleurs une réunion demain là-dessus.
Notre problème vient de l'attitude du ministère. Il pense que notre méthode est tout à fait originale car nous avons demandé au directeur général des finances de nous donner une proportion plus importante des droits d'inscription si le nombre d'élèves augmente, et de baisser cette proportion si le nombre diminue. Notre objectif n'est pas de construire pour le plaisir mais pour répondre aux besoins.
Quand nous avons présenté notre dossier, les gens du ministère ont dit que c'était une excellente idée. Cependant, il y a eu ensuite le budget et tout le monde sait ce qui est arrivé plus tard sur la Colline ainsi que dans le reste du pays.
Nous savons que les gens du ministère ont certainement des questions à poser, mais nous aimerions avoir une réponse. Nous avons l'impression que la région n'est pas très contente de nous car nous n'avons pas besoin d'elle, si ce n'est pour signer notre contrat une fois par an. Et c'est de toute façon quelque chose qu'un commis intelligent pourrait faire tout seul.
Je n'ai rien contre les commis, mais c'est tout ce dont nous avons besoin.
Les gens d'Ottawa semblent comprendre que nous avons une attitude différente en ce qui concerne le capital. Certes, on peut le fixer en fonction du nombre d'inscriptions, comme le fait la province, mais il faut qu'on nous donne l'argent. Il ne faut pas dire qu'on nous donne la même somme qu'auparavant parce que ce n'est pas vrai. Qu'on nous donne donc un montant global...
M. Murphy: Un budget global.
M. Sinclair: ...et qu'on nous laisse tranquilles. Ensuite, si nous construisons un édifice trop gros ou trop petit, ce sera notre problème. C'est de toute façon à nous qu'il appartient de choisir le système que nous voulons bâtir. Ensuite, nous devrons rendre des comptes au conseil scolaire.
Le problème qui se pose maintenant est qu'on peut se plaindre au conseil s'il ne fait pas quelque chose au sujet des programmes scolaires, alors qu'il pourrait le faire. On peut s'adresser au professeur de langue ou aux chefs de département et en discuter au sein des comités. En ce qui concerne le capital, le conseil ne peut rien faire. Il faut pourtant des autobus.
Il y a un cas où une collectivité...
Mme Sam: Il nous faut un immeuble.
M. Sinclair: ...qui se trouve à 75 kilomètres de chez nous a décidé d'avoir recours à notre école plutôt qu'au système public, à 18 kilomètres de là. De ce fait, c'est évident, les enfants doivent prendre l'autobus... Mais les parents savent que ça en vaut la peine.
Qu'est-ce que cela voulait dire pour nous? Cela voulait dire que nous devions trouver un nouvel autobus en bon état, pour faire le trajet sur l'autoroute, parce qu'on ne pouvait pas se contenter des petits autobus comme ceux qu'il y a en ville. Pourtant, c'est pour cela qu'on nous a donné de l'argent.
Voilà pourquoi je pense que le gouvernement devrait parfois accepter, après avoir calculé l'argent qu'il est prêt à donner, de le remettre directement aux collectivités.
Mme Sam: Ce serait parfait.
M. Sinclair: Elle a raison. Il y a beaucoup de choses que nous pourrions faire si nous avions l'argent. Certes, notre projet est original, mais nous pouvons au moins montrer ce que nous savons faire. Nous pensons être capables de faire beaucoup mieux que l'école locale, avec le même budget. Pourtant, c'est elle qui reçoit tout le capital. Elle a aujourd'hui deux édifices qui ont été payés à 60 p. 100 par les Affaires indiennes.
Le président suppléant (M. Bonin): Quel est le pourcentage de votre budget qui est consacré aux salaires?
M. Sinclair: À peu près la moitié.
Le président supléant (M. Bonin): C'est bien.
Je vous remercie beaucoup de nous avoir présenté un exposé fort intéressant et créatif. Je crois que c'est ce qu'il faut faire pour réussir: faire preuve d'innovation et de créativité.
Mme Sam: Merci de nous avoir écoutés.
Le président suppléant (M. Bonin): Je demande aux membres du comité de rester quelques minutes de plus pour planifier la prochaine consultation.
La séance est levée.