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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 7 juin 1995

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[Traduction]

Le président: [Difficultés techniques - Éditeur]...et nous passerons aux questions en donnant la parole aux différents partis.

M. William Mussel (Native Mental Health Association of Canada): Je cumule en fait plusieurs fonctions. Je suis président de la Native Mental Health Association of Canada, mais je suis aussi le principal éducateur du Sal'i'shan Institute, organisme privé d'enseignement postsecondaire qui s'efforce plus spécialement de répondre aux besoins et aux aspirations des autochtones. Nous sommes installés à Chilliwack et nos activités ont débuté en 1988. Nor priorités, comme institut de formation, sont le développement social et l'enseignement.

La majeure partie de la formation que nous dispensons gravite autour des questions d'hygiène mentale. Pour être plus précis, nous nous efforçons de préparer et de former des travailleurs en santé communautaire pour qu'ils soient à même de répondre aux nombreuses demandes de leurs collectivités. Nous formons également des praticiens débutants qui dispensent des conseils pour le traitement des toxicomanies.

En outre, nous faisons beaucoup de travail spécialement adapté à des besoins particuliers. Nous travaillons directement dans les collectivités, car nous avons constaté qu'il était préférable de rejoindre le plus de personnes possible en les amenant à prendre conscience de leur propre expérience, de leur bagage de connaissances. En effet, bien des gens n'ont jamais eu l'occasion de réfléchir à leurs expériences de manière à prendre conscience des connaissances qu'elles possèdent. Il est très important de faire ce type de travail au niveau même de la collectivité.

Je voudrais aujourd'hui vous faire part de certaines de mes expériences et plus particulièrement des découvertes que j'ai faites, en tant qu'animateur communautaire, au sujet de l'éducation comme méthode de changement. D'après ce que j'ai lu dans les transcriptions, beaucoup de témoins vous ont dit que l'éducation est un moyen très important, mais on n'a pas beaucoup parlé de l'éducation comme moyen d'accroître les connaissances et les compétences.

Ma carrière officielle en enseignement a débuté il y a près d'une trentaine d'années, lorsque j'ai obtenu mes diplômes pour enseigner au secondaire. Il y a 15 ans, j'ai commencé à concevoir et à développer des programmes d'éducation communautaire. Au cours de mes études supérieures en enseignement aux adultes, j'ai constaté que la littérature sur l'éducation des autochtones était axée sur l'absence de succès plutôt que sur la réussite. Je me suis demandé pourquoi.

Je me félicite du mandat qui a été donné au comité, et j'espère que vous saurez jeter un éclairage nouveau sur cette question de réussite. J'espère que les idées, les réflexions, les expériences dont je vous ferai part vous seront utiles dans la poursuite de vos objectifs. Certains éléments d'information que je présenterai prendront la forme de recommandations.

Premier sujet que je voudrais aborder: l'apprentissage de qualité. Que faut-il entendre par là? Sur l'acétate que voici, on peut voir le modèle appliqué à notre institut. Vous remarquerez que l'élément crucial, dans ce modèle, est l'importance qui est donnée à l'expérience de vie de celui qui apprend. Peu importe qu'il ait 6, 16, 26 ou 60 ans; ce qui est critique, c'est le lien qu'on peut établir entre le contenu de l'enseignement et l'expérience vécue. Au lieu de dire à l'étudiant ce que cette nouvelle information représente, nous faisons notre possible pour l'aider à découvrir lui-même le sens des nouveaux acquis. Ce rôle est confié à une personne que nous qualifions de «médiateur».

L'importance de ce modèle tient au fait qu'il permet à l'étudiant d'utiliser et d'accroître sa propre capacité de réflexion afin d'élargir ses connaissances. Ce qui me préoccupe dans l'enseignement en général, c'est qu'on ne semble pas insister suffisamment sur les occasions d'accroître cette capacité de réflexion, car c'est elle qui permet d'extraire la signification de nos expériences.

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L'apprentissage de qualité, selon moi, est une expérience qui renouvelle. Il est source d'inspiration et, à bien des égards, nous pouvons conclure qu'il se compare à la guérison de qualité, en ce sens que nous cherchons toujours à atteindre le meilleur état de santé possible sur les plans affectif, intellectuel et spirituel.

Nous avons constaté dans notre travail d'éducateurs que la plupart des gens accumulent beaucoup d'expériences personnelles, mais que, le plus souvent, celles-ci ne sont pas exploitées. Nous nous retrouvons donc dans nos collectivités avec une foule de personnes qui ne sont pas conscientes de toutes les connaissances qu'elles possèdent. Elles répugnent et hésitent donc à s'engager dans des relations où il doit normalement y avoir réciprocité.

Comme éducateur, j'ai remarqué que, lorsque les étudiants découvrent les connaissances que recèle leur expérience vécue et se sentent plus en sécurité, ils osent prendre le risque de faire connaître les sentiments et les réflexions que leurs expériences leur inspirent.

Cette démarche est vraiment importante, car elle permet à chacun de prendre confiance et d'acquérir les aptitudes nécessaires pour nouer le type de relations qui favorise l'apprentissage et l'épanouissement affectif.

La deuxième acétate concerne le cadre de l'apprentissage de qualité. De nos jours, on compte beaucoup sur les écoles pour enseigner aux enfants dans nos collectivités. On dirait que la plupart pensent que l'éducation commence lorsque l'enfant entre à l'école. Mais il y a aussi des parents et d'autres membres de la collectivité qui se considèrent comme les premiers et les plus importants éducateurs pour leurs enfants.

D'après mon expérience, les éducateurs les plus importants sont ceux qui s'occupent des enfants: les parents. Ils comptent beaucoup plus que les enseignants, mais, à cause de nombreux épisodes de notre histoire, beaucoup ont aujourd'hui du mal à en prendre conscience. Je reviendrai là-dessus tout à l'heure.

On peut distinguer quatre cadres propices à un apprentissage de qualité. Il y a bien entendu la salle de classe ou l'enseignement institutionnel. Ce type d'enseignement est structuré, dirigé par l'enseignant, et il a des objectifs à atteindre.

Un deuxième type d'éducation, extrascolaire celui-là, n'est pas dispensé à l'école, mais demeure structuré et est dirigé par un animateur. Son cadre est souvent l'église ou la salle communautaire. Ce peut aussi être le terrain de soccer, avec un bon entraîneur, la patinoire, une zone de pêche, un territoire de piégeage. L'élément critique est que cette formation est structurée et facilitée par un animateur. En d'autres termes, elle a un objectif particulier. Dans ma propre collectivité, dans les années 40 et 50, un bon nombre d'activités pouvaient être considérées comme de l'éducation extrascolaire. C'est une méthode de formation très importante.

Un autre type d'apprentissage pourrait être décrit comme l'éducation informelle. Elle peut avoir lieu n'importe où. Elle est structurée et elle a des objectifs. Je la vois plus particulièrement dans les relations parents-enfants. C'est le même type de formation qu'on observe lorsqu'il faut surveiller un nouveau travailleur qui pose des questions et a des besoins sur le plan de la formation. C'est là aussi un type très important d'éducation.

Je qualifierais le quatrième type d'éducation d'occasionnelle ou accidentelle. Elle se présente au gré du hasard. Il s'agit souvent d'une personne très consciente et centrée, réceptive et capable de réagir à toutes les informations qui se présentent, peu importent le lieu ou les circonstances.

Si je rappelle ces quatre cadres d'apprentissage de qualité, c'est que j'ai remarqué dans nos sociétés un recul dans l'utilisation des méthodes informelles au profit des méthodes plus structurées. Cela vaut pour d'autres sociétés aussi, je crois.

Ce qui me préoccupe, c'est que nous avons dans nos localités beaucoup de parents qui s'inquiètent parce que leurs enfants reçoivent des conseils ou d'autres formes d'aide qui les amènent à l'extérieur de la salle de classe. Certains parents s'inquiètent parce qu'ils ne comprennent pas que l'éducation dispensée en dehors de la salle de classe peut être aussi importante, voire plus, que celle donnée dans un cadre plus structuré, autrement dit sous la direction d'un enseignant.

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Il y a donc quatre méthodes très importantes. J'en ai discuté avec de nombreuses personnes dans beaucoup de collectivités du Canada. De l'avis général, si l'on veut enrichir la formation des enfants et de tous les autres membres de la collectivité, il faut remettre à l'honneur les méthodes informelles pour promouvoir l'accroissement des connaissances et des compétences.

Troisième question: pourquoi l'apprentissage de qualité s'impose-t-il? Voici la deuxième acétate. Elle correspond à la grande illustration qui figure dans votre documentation. Elle propose un cadre de discussion. Il m'a semblé nécessaire de développer ce cadre il y a plusieurs années parce qu'il est difficile de parler des défis que les autochtones ont à relever si on n'a aucun cadre pour se situer.

La grande illustration permet de constater que, sur le plan de la transmission du bagage culturel, nous avons vu diminuer peu à peu notre capacité de préparer et d'équiper les générations montantes. La technologie a fait son oeuvre, mais un déclin est indéniable et on s'inquiète de cette incapacité de transmettre le bagage culturel. Il ne s'est vraiment pas fait beaucoup de travail de recherche et développement sur les moyens à prendre.

J'ai observé qu'il était vraiment utile aux collectivités de parler de chacun de leurs membres, de leurs dirigeants élus, des travailleurs rémunérés et des bénévoles comme de travailleurs culturels, car la culture, c'est un mode de vie. C'est dynamique et en constante évolution. Elle est distillée par la collectivité.

Il importe donc de prendre note de la réalité telle qu'elle est maintenant et de reconnaître que, si nous réussissons à mieux transmettre notre culture pour préparer et équiper la jeune génération, nous pourrons aussi enrichir et étoffer notre bagage culturel. Notre culture continuera de s'épanouir si nous pouvons améliorer sa transmission. Voilà, à mon sens, la mission de l'éducation et de la formation. Ce qui m'inquiète, c'est que nous comptons avant tout sur l'enseignement institutionnel pour remplir cette fonction, alors que les méthodes moins structurées peuvent enrichir et soutenir cet enseignement.

Si nous voulons comprendre pourquoi nous vivons comme nous le faisons, il est vraiment important de bien comprendre les effets de l'histoire sur chacune des générations, car chacune d'entre elles prépare la suivante.

Je crains que nous ne soyons pas très nombreux, dans nos propres collectivités, à avoir pris le temps et fait l'effort de documenter, analyser et comprendre les forces positives et négatives qui agissent sur nos vies de manière à trouver un sens à la question: «Pourquoi vivons-nous de cette façon?», et à trouver des réponses utiles pour corriger ce qui ne va pas.

La restructuration de la société est un élément critique du défi. Cela commence par la restructuration de notre façon de penser pour que nous puissions prendre acte de nos expériences, les comprendre au moyen d'autres modèles et méthodes. Ainsi, nous pourrons percevoir et comprendre notre expérience de manières différentes. Parfois, la qualité d'apprentissage que permet un éclairage différent nous aide à trouver des stratégies nouvelles qui peuvent jouer un rôle déterminant.

Mon dernier point, à propos de la grande illustration, concerne l'importance d'avoir un projet de société, de viser un certain mode de vie. Il n'y a pas beaucoup de collectivités au Canada, ni beaucoup de plans non plus, qui accordent une grande attention au mode de vie que nous souhaitons pour nos arrière-petits-enfants, lorsqu'ils seront parents.

Pendant quelques années, au début des années 1980, j'ai fait de la planification pour cinq bandes indiennes. Dans le cours de ce travail, en discutant avec des particuliers ou des familles, j'ai remarqué que souvent, lorsque je demandais quel mode de vie ils souhaitaient pour leurs arrière-petits-enfants, une fois ceux-ci devenus adultes, ils me répondaient: «Ce que j'en pense peut-il changer quoi que ce soit?»

Beaucoup ne pensent pas avoir le pouvoir, les moyens d'agir de façon déterminante sur ce plan. Il me semble que les dirigeants élus... J'ai été chef et j'ai travaillé comme directeur de bande et planificateur par le passé... Si la collectivité ne prend pas le temps de définir cette conception, il est difficile aux dirigeants d'assurer un leadership qui peut faire évoluer les choses, notamment en ce qui concerne l'aide sociale, l'éducation, le développement économique, etc.

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Fort peu de collectivités ont pris le temps de le faire. Il me semble donc difficile pour les dirigeants d'établir des politiques capables de guider leurs décisions sur les programmes et les services.

Le quatrième point concerne les relations interpersonnelles. La plupart des adultes et des enfants hésitent à s'affirmer. J'en parle en ma qualité d'éducateur d'expérience. J'ai travaillé au niveau communautaire tant dans les écoles qu'en éducation informelle. Pendant un certain temps, j'ai enseigné à des élèves de la cinquième à la huitième année. J'ai toujours été étonné de voir à quel point ils répugnaient à s'engager dans des interactions de réciprocité. Beaucoup voulaient être guidés, se faire dire quoi faire. Ils manquent d'expérience, semble-t-il, dans les relations de réciprocité.

Qu'est-ce que j'entends par «réciprocité»? Pour qu'il puisse y avoir relation de réciprocité, il faut être prêt à prendre des risques en disant ce qu'on pense ou ressent, à révéler sur soi des choses importantes. Dans nos collectivités, très peu peuvent le faire. Cela vaut également pour les sociétés qui nous entourent.

Cela me préoccupe, car, si je me tourne vers le passé, je constate que beaucoup d'autochtones ont fini par se retrouver en prison parce que, lorsqu'ils étaient jeunes, ils essayaient de répondre aux besoins des autres, de satisfaire les autres, d'être à la hauteur des aspirations des autres, mais ils n'ont pas eu la possibilité de se connaître eux-mêmes, de réfléchir à ce qu'ils pensaient et ressentaient eux-mêmes ou encore de voir ce qui les poussait à enfreindre une loi ou à se mettre dans le pétrin.

Lorsqu'on cherche toujours à plaire aux autres, on n'a pas beaucoup la chance de se connaître. Quand on ne se connaît pas, on a peur par la suite de nouer des relations, parce qu'il est peut-être arrivé par le passé qu'on ait été plongé dans des difficultés lorsqu'on a pris le risque d'être dynamique et authentique. Je vois là une conséquence de la mise en institution et de l'incarcération.

Vous comprendrez tous que les relations interpersonnelles constructives sont le moyen d'enrichir ses connaissances. Ces relations nous permettent également de nous épanouir sur le plan affectif, d'être plus aimants, de donner, d'accepter la différence. Dans nos collectivités, on observe à bien des points de vue une grande méfiance. On peut établir un lien entre cette méfiance et la création des pensionnats et d'autres formes d'institutionnalisation qui ne sont pas fondées sur la confiance, mais plutôt sur la méfiance.

Comme autochtones, nous connaissons mieux les relations qui ne sont pas fondées sur la réciprocité. Ce doit être aussi votre cas, étant donné les particularités de votre histoire et de votre culture. Ce sont des relations dans lesquelles une des parties a plus de pouvoir et de contrôle. L'une des personnes a une plus grande autorité.

J'ai étudié le système d'enseignement et remarqué que la plupart des enseignants jouent à l'expert. Ils sont convaincus qu'ils doivent avoir la réponse. D'après mes souvenirs, très rares sont ceux qui sont prêts à avouer: «Je ne comprends pas très bien et je ne suis pas sûr de la réponse. Allons chercher à la bibliothèque. Essayons d'y voir clair.»

Je crains que nous n'ayons adopté une attitude très semblable dans les relations dans nos collectivités. Comme l'acétate le fait ressortir, il finit par ne plus y avoir de communication. Les personnes ne retirent rien de leurs échanges. Quelqu'un dit à quelqu'un d'autre de faire quelque chose, prend une décision pour quelqu'un d'autre qui n'a pas son mot à dire. Il serait préférable que cette autre personne ait voix au chapitre, qu'on l'aide à mieux comprendre le problème de fond et pourquoi tel ou tel type de solution s'impose.

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Selon moi, ce genre de relations ne donne pas l'occasion d'apprendre à communiquer. Il est impossible de développer ce talent. Il est également très difficile pour ces personnes d'apprendre à réfléchir pour enrichir leur apprentissage.

Comme il manque d'occasions pour développer la capacité de réflexion favorisée par des relations constructives où les échanges sont réciproques ou portent sur une information sérieuse, le défi, dans l'élaboration des programmes, consiste à trouver les moyens de susciter ces occasions d'apprentissage pour que chacun puisse commencer à apprendre comment apprendre.

Voilà ce qui est crucial dans le travail avec les adultes. Si les parents sont incapables de communiquer et d'apprendre à apprendre, quel genre d'influence peuvent-ils avoir sur leurs enfants? C'est là un facteur important qui explique les difficultés de nombreux enfants dans le réseau scolaire.

Quelles sont les conséquences de l'échec des relations? Ce qui est critique à cet égard, c'est le phénomène de victimisation. Ceux qui jouent le rôle de victime ont tendance, lorsqu'ils accèdent à des postes d'autorité, à secourir les autres, à faire les choses à leur place. Ils croient être de meilleurs dirigeants parce qu'ils font plus pour les gens, ils croient être très efficaces dans la mission qui leur est confiée. Ce phénomène est relativement répandu dans notre collectivité.

Le phénomène est courant parce que nous ne sommes pas assez nombreux à nous demander: «Pourquoi faut-il faire telle ou telle chose pour les gens?» Je bavardais il y a quelques semaines avec un préposé à l'entretien dans ma localité. Il doit couper l'herbe et rendre divers autres services. Il me disait qu'il n'était pas vraiment utile. Il prétendait même qu'il contribuait à rendre les gens plus démunis parce qu'il leur assure un service dont ils peuvent se charger eux-mêmes.

Il faut que nous soyons plus nombreux à nous demander, lorsque nous travaillons pour la collectivité ou jouons un rôle de dirigeant: qui répond aux besoins de qui, dans ce cas-ci? C'est là une conséquence de l'échec des relations interpersonnelles. Lorsque je regarde notre histoire, j'observe que nous avons manqué de cette stimulation intellectuelle, de cette nourriture affective qui nous aide à nous épanouir.

Beaucoup d'entre nous, parce que nous sommes privés de ces occasions d'apprendre, finissons fatalement par jouer un rôle de victime. Il est facile de se faire le sauveteur des autres, mais, si les choses tournent mal, nous excellons à nous attaquer aux autres et à leur nuire parce que nous sommes en colère.

Il est facile de tomber dans ces ornières pour celui qui joue la victime. La seule façon d'aider les autres à changer, c'est de leur donner les moyens de s'accepter mieux et de répondre à leurs besoins affectifs et intellectuels en les aidant à comprendre la raison d'être de leurs comportements.

J'ai parlé de besoins. Le cercle d'influences est un modèle très utile pour nous aider à prendre conscience de l'importance des besoins et à les définir. Je vais m'en tenir aux besoins affectifs et intellectuels.

Lorsque j'explique tout cela à mes élèves, dont certains sont des adultes, ils reconnaissent généralement que la reconnaissance positive fait défaut dans leur vie. On dirait que, dans nos collectivités, il y a une certaine répugnance ou une certaine incapacité à donner de l'importance aux autres en les écoutant, en reconnaissant leur importance, en leur faisant comprendre qu'ils ont de la valeur comme personnes. La plupart disent qu'ils reçoivent bien plus souvent une attention négative que positive.

Il y a d'autres formes de nourriture affective: acceptation inconditionnelle, besoin de compréhension, amour, intimité, discipline, souci assez grand de l'autre pour imposer des limites, car beaucoup d'entre nous ne savent pas très bien prendre soin d'eux-mêmes. Nous en faisons parfois trop. Nous ne nous reposons pas assez. Nous prenons des risques. Nous le faisons par fatigue ou lorsque les choses ne tournent pas rond. Il est important de pouvoir compter sur quelqu'un qui s'intéresse assez à nous pour faire remarquer ce qui ne va pas.

Si je parle de tout cela, c'est parce que c'est important. Il importe que nous comprenions tous que ce sont là des besoins, que c'est essentiel à notre survie, à notre croissance, à notre épanouissement.

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Du point de vue intellectuel, nous avons besoin de certains concepts pour dégager le sens de notre vie. Il nous faut des idées. Des réflexions qui nous inspirent et nous aident à mener la réflexion plus loin. Nous avons besoin d'acquérir des habitudes qui nous aideront à distinguer ce qu'il faut apprendre. Chose certaine, nous avons besoin de la discipline nécessaire pour régler et contrôler ce que nous faisons, pour pouvoir établir des priorités et accomplir le travail.

Je voudrais maintenant vous parler de la nécessité de préserver l'équilibre entre ce qui se passe à l'intérieur de nous et l'environnement extérieur. Les programmes scolaires sont axés avant tout sur le monde extérieur. On se soucie très peu d'aider les élèves à comprendre leurs motivations, l'origine de leurs sentiments, de leurs idées et de leurs comportements et, plus important encore peut-être, pourquoi ils perçoivent les choses de telle ou telle manière, et le fait que tout le monde n'a pas les mêmes perceptions.

Comme éducateurs, nous avons remarqué que, lorsque nous faisons notre possible pour aider les personnes à mieux comprendre leur vie intérieure en examinant ce qu'ils voient, ressentent, pensent et font, cela les aide grandement à dégager le sens de leur existence. Il serait très important, je crois, de chercher à donner davantage d'occasions de se connaître soi-même.

Le dernier point que je voudrais aborder avec vous concerne le cheminement de la guérison et de la croissance. Vous savez peut-être que, en Colombie-Britannique et certainement dans les Prairies aussi, les autorités accordent une grande attention aux séquelles des agressions subies dans les pensionnats. Je puis décrire le phénomène en disant que c'est une accumulation de pertes, sur le plan personnel, dans la vie des membres de nos collectivités.

Lorsque ces pertes ne sont pas suivies d'un deuil, il y a refoulement d'émotions. Une période de deuil s'impose pour faire sortir ces émotions réprimées. Lorsqu'elles s'accumulent au fil des ans, lorsque les pertes se multiplient, les conséquences peuvent être graves, dans la manière de penser et de sentir, et donc de se comporter, de la victime.

En Colombie-Britannique, en ce moment, nous avons entrepris une enquête avec l'aide de la police. Nous essayons d'interviewer tous ceux qui ont été victimes d'agression sexuelle dans les pensionnats. Je pense que les victimes sont beaucoup plus nombreuses que tout ce qu'on a jamais pu imaginer.

Le plus grave, quand on examine les statistiques canadiennes sur les agressions, c'est qu'elles montrent que 60 p. 100 de ceux qui ont été agressés deviennent à leur tour des agresseurs. Si le problème remonte à cinq générations dans une collectivité, combien d'agresseurs en puissance peut-il y avoir, vu le nombre de victimes au départ et l'exposition constante aux risques d'agression?

Il faut donc accorder beaucoup d'attention à ce besoin de nos collectivités. Si on essaie de voir les conséquences sur la vie de toute la collectivité, on commence à comprendre qu'il y a des effets sur la capacité des enfants de faire le cheminement nécessaire pour travailler dans le système scolaire.

Tout comme mes collègues de l'institut, j'ai personnellement remarqué que, lorsque la démarche de deuil et de guérison se fait, des énergies se libèrent pour relever le défi de créer des connaissances. Les personnes sont ensuite capables, avec un soutien et des conseils constants, d'apprendre tout ce qu'elles ont à apprendre.

C'est là un aspect du défi de l'éducation dont nous n'avons pas assez parlé. Je ne pense pas que ceux d'entre nous qui sont aux commandes saisissent assez bien le problème pour débloquer les ressources nécessaires.

Mes recommandations portent sur ce qui suit. Dans le programme scolaire et son application, il faut préserver l'équilibre entre les soins et partage d'une part, et l'acquisition de la capacité de réfléchir d'autre part, pour préparer et équiper les élèves afin qu'ils apprennent à apprendre et atteignent ensuite leurs objectifs en matière d'acquisition de connaissances. Les soins et le partage semblent prendre une grande place, mais il arrive qu'ils mobilisent presque tout le temps de l'enseignant. Il faut parvenir à l'équilibre entre cet aspect et les activités visant à aider l'enfant à apprendre comment apprendre. Il faut accorder moins d'importance à la mémorisation des connaissances, car, lorsqu'il faut mémoriser, c'est qu'on n'a pas vraiment compris, qu'on ne sait pas appliquer ses connaissances dans la vie courante.

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Deuxième recommandation, la formation des enseignants doit donner à ceux-ci les connaissances et les compétences voulues pour gérer l'apprentissage d'enfants élevés dans des circonstances qui révèlent des traumatismes et autres difficultés du même ordre. La formation des maîtres doit aussi porter sur la création de connaissances et la compétence nécessaire pour maximiser l'apprentissage de qualité grâce aux méthodes extrascolaires et informelles comme compléments des méthodes institutionnelles, qui semblent plus importantes à leurs yeux dans la pratique. Dans le programme scolaire, il faut accorder autant de place à l'aspect non matériel qu'à l'aspect matériel de la culture pour que les dimensions vraiment humaines du mode de vie soient comprises et appréciées.

À mon avis, le folklore prend trop de place dans ce qu'on présente comme la culture. On insiste sur la différence, sur les tipis, les costumes, les plumes et tout le reste. Cela ne contribue guère à susciter la compréhension mutuelle, à rappeler que nous avons tous un cerveau, un coeur, un esprit, un corps. Quand nous pourrons nous comprendre les uns les autres sur ce plan, nous serons en bonne voie de créer de meilleures relations entre les êtres humains.

Pour une raison quelconque, le monde occidental semble répugner à s'engager dans cette voie. Les autochtones ne sont pas les seuls touchés; il y a aussi tous les autres qui ont des différences. Nous insistons trop sur celles-ci et pas assez sur ce que nous avons en commun. Au fur et à mesure que le temps passe, à la faveur de la technologie et d'autres circonstances, ce qui nous rassemble prend beaucoup plus de place que ce qui nous sépare, et il faut faire quelque chose pour en tenir compte.

Quant à la dimension communautaire de l'école, voici les observations que j'aurais à formuler. Il faut nous doter des moyens pour faire participer les parents à l'éducation de leurs enfants, car ils sont les premiers et les plus importants éducateurs de l'enfant lorsque celui-ci est à la maison et aussi lorsqu'il est inscrit à un programme scolaire. On parle beaucoup de la participation des parents, mais il semble y avoir bien peu de participation réelle. Pourquoi? Il faudrait vraiment essayer d'étudier la question et de comprendre.

Beaucoup de ces parents n'ont pas pu connaître le sentiment de satisfaction que donnent l'étude, la création de connaissances pratiques et l'acquisition de compétences. C'est pourquoi il faut s'efforcer de combler cette lacune dans la vie des parents, qui ont beaucoup plus d'influence sur les jeunes que ne peut en avoir n'importe quel enseignant ou conseiller.

Beaucoup de parents n'ont pas eu l'occasion non plus de nouer et de maintenir des relations constructives leur permettant de prendre conscience de leur bagage de connaissances et de s'en servir pour en acquérir de nouvelles. Pour atteindre cet objectif, on peut utiliser des moyens structurés, des moyens institutionnels, extrascolaires et informels.

Il n'existe pas de définition des droits et des responsabilités des membres des collectivités. Cela doit vous intéresser, étant donné certaines questions que j'ai lues dans le Hansard. Dans ces conditions, il est difficile de déléguer des responsabilités à des dirigeants élus ou nommés et même d'être conscient de ces droits et responsabilités qui sont ceux de chaque membre de la collectivité.

Tant qu'une collectivité ne satisfait pas ce besoin, les notions de responsabilité et de comptes à rendre demeurent théoriques. En un sens, c'est un coup d'épée dans l'eau, car il n'y a pas de connaissances concrètes qui puissent servir de point de départ.

Je me suis déjà demandé, en votant, quelles responsabilités je confiais à la personne dont j'appuyais la candidature comme membre du conseil. J'ai beaucoup voyagé et travaillé dans nos collectivités, mais je n'en ai jamais vu une qui ait codifié les droits et responsabilités de ses membres. Je suis convaincu qu'il faut faire ce travail et que les collectivités doivent le faire elles-mêmes, au lieu de laisser des personnes de l'extérieur s'en charger. Cela serait extrêmement utile pour régler des questions d'admissibilité aux programmes, d'aide aux étudiants et ainsi de suite.

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Encore un ou deux points à propos des recherches. Il faudrait s'efforcer sérieusement de diffuser de l'information décrivant les facteurs clés observés chez les élèves et les professionnels qui réussissent pour faire contrepoids à toute l'attention que reçoivent ceux qui sont considérés comme des ratés, des décrocheurs et ainsi de suite. On accorde une place excessive aux enfants, aux étudiants qui ne réussissent pas.

Je pense vraiment que nous en apprendrons encore bien plus long si nous comprenons ce qui se passe chez ceux qui réussissent dans leurs études et ensuite dans leur vie professionnelle, grâce à leurs succès antérieurs, et qu'il faut exploiter la valeur et les avantages de cette évaluation des résultats en débloquant des ressources pour voir quelles sont les formules qui marchent et celles qui ne marchent pas et pourquoi. De la sorte, les personnes intéressées pourront puiser dans la sagesse de l'expérience tant en éducation que dans d'autres services sociaux.

De nos jours, il est presque impossible d'aller où que ce soit au Canada, de s'adresser à n'importe quelle bande ou organisme autochtone et de lui demander par exemple: il y a 15 ans, vous avez essayé tel type de programme qui a duré deux ans, qu'avez-vous retiré de cette expérience? Impossible de compter sur le ministère des Affaires indiennes pour avoir des rapports faisant état de ces connaissances acquises.

Si nous en sommes là, c'est qu'on n'a pas exigé, en tout cas de manière formelle, une évaluation des résultats des programmes, des projets pilotes et d'autres initiatives pour que nous sachions ce qui marche et ce qui ne marche pas. La principale et même la seule préoccupation, au fond, c'était d'avoir une comptabilité rigoureuse des dépenses.

C'est ce que m'a enseigné mon expérience de directeur de bande et de planificateur. Lorsque nous avons essayé de présenter des données qualitatives et quantitatives sur les résultats, les fonctionnaires nous ont dit que cela ne les intéressait pas, qu'ils voulaient simplement une comptabilité qui puisse être vérifiée correctement. Nous sommes ainsi privés du résultat de longues années d'efforts déployés par une multitude de personnes qui ont tenté de répondre aux besoins des autochtones en matière d'éducation et de les aider à relever leurs défis.

Dernier point, il faudrait essayer de répondre sérieusement aux besoins en connaissance de l'histoire des familles dans les collectivités, de génération en génération. Ainsi, les membres de ces collectivités pourraient connaître - et j'insiste sur le terme - leur histoire et ils seraient plus à même de comprendre les réalités actuelles, de comprendre pourquoi nous vivons comme nous le faisons et de prendre des décisions éclairées sur les changements qui s'imposent, les moyens à prendre et ainsi de suite. C'est de toute première nécessité. Cela nous aiderait.

Si nous faisions tout cela, si nous avions les ressources pour le faire, cela nous aiderait à créer et à reconstituer les connaissances qui nous sont nécessaires pour prendre notre vie en charge: nous comprendrions mieux pourquoi nous avons tel mode de vie, car nous connaîtrions notre histoire. Si nous arrivons à comprendre le pourquoi de notre mode de vie, nous pourrons prendre de meilleures décisions sur ce que nous voulons changer. Si nous pouvons tous ensemble, comme collectivités, définir un projet d'avenir, nous pourrons envisager l'élaboration de stratégies qui nous feront progresser vers l'objectif.

Un des enseignements des anciens que je me rappelle le mieux est le suivant: si nous ne savons pas d'où nous venons, il n'y a aucun moyen de savoir où nous sommes. Nous ne pouvons pas savoir non plus où nous allons. Cela témoigne d'une grande sagesse. C'est dramatique, mais beaucoup de gouvernements ne connaissent pas leur propre histoire. En un sens, on peut dire que les gouvernements ne sont pas les mieux placés pour prendre nombre de décisions qui leur reviennent. Par contre, dans des collectivités comme les nôtres, qui existent depuis des centaines d'années, il se trouve des personnes qui comprennent bien cette histoire. Le problème, c'est que nous n'avons pas eu la possibilité de la consigner aussi bien que nous le pouvions. Il nous est donc impossible de nous servir de ces connaissances de la manière que j'ai proposée, pour aider les personnes à prendre leur propre vie en mains.

J'ai terminé.

Le président: Merci beaucoup. C'était très intéressant. Nous allons passer aux questions. D'habitude, nous commençons par l'opposition, mais je crois que nous allons faire l'inverse aujourd'hui et donner la priorité aux Libéraux. Dix minutes pour chaque parti.

M. Bonin (Nickel Belt): Vous venez de nous donner tout un cours sur l'éducation. En réussissant l'examen, nous pourrions obtenir un diplôme, car vous avez parlé de l'ensemble de ce vaste domaine. Je suis entièrement d'accord sur tout ce que vous avez dit. J'ai particulièrement apprécié l'exposé que vous nous avez fait à l'aide de tableaux. Vous vous êtes sans doute inspiré des principes de l'analyse transactionnelle, principes auxquels je souscris moi-même.

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Si notre société a décidé, il y a très longtemps, de créer des écoles, c'était dans un but bien précis, celui de former des personnes capables de contribuer à la vie en société. C'est une chose qu'on oublie bien souvent, mais c'est pourquoi nous avons des écoles. Ce but, nous l'avons perdu de vue, et c'est ce dont vous nous avez parlé dans votre exposé.

Comme je n'ai que cinq minutes, je voudrais me concentrer sur un des derniers points que vous avez abordés, à savoir la responsabilité confiée aux dirigeants. En tant que comité consultatif nous ne sommes pas là pour dire aux communautés autochtones ce qu'elles doivent faire ni comment le faire. Ce n'est pas notre rôle. Si toutefois nous n'arrivons pas à formuler des recommandations qui donneront des résultats, nous aurons perdu notre temps.

Pour ma part, je suis persuadé qu'il vous suffirait, en votre qualité d'administrateur, d'examiner les livres de n'importe quel système scolaire pour savoir ce qui se passe dans la salle de classe. Une visite de cinq minutes permettrait sans doute de confirmer votre impression initiale. J'ai la ferme conviction que le gouvernement doit commencer à assortir ses transferts de fonds de conditions bien précises.

Il s'agirait de conditions... je ne crois pas à la valeur du financement global, qui permet au chef et au conseil de bande de fixer des priorités de manière que les fonds versés pour l'éducation soient affectés à quelque autre entreprise. Cela m'irrite au plus haut point, par exemple, d'entendre parler de travaux d'infrastructure routière qui sont financés à même les fonds versés pour l'éducation. Je deviens vraiment furieux quand j'entends dire que les fonds devant servir à l'éducation sont utilisés pour permettre à une équipe de hockey de noliser un avion afin de participer à un tournoi, car ayant été moi-même commissaire d'école, je suis persuadé que ce sont les enfants que nous volons ainsi.

Dans nos discussions, je tiendrai sans doute des propos que certains trouveront offensants. C'est que j'ai à coeur le bien des enfants. Il y a tellement de systèmes différents. Certains, qui n'auront connu que de bons systèmes, demanderont pourquoi je tiens des propos pareils. C'est que je pense aux enfants qui n'obtiennent pas de bons résultats.

Que pensez-vous de l'idée que les paiements de transfert soient calculés - je n'essaie pas de faire des économies ici, car l'enveloppe financière demeurerait la même - par personne, par étudiant? Qu'on prenne le montant total, qu'on le divise par le nombre d'étudiants, et qu'on obtienne ainsi le montant du paiement... et qu'une partie des fonds doive obligatoirement être consacrée à l'élaboration de programmes d'études et au perfectionnement professionnel, comme c'est le cas pour tous les autres conseils scolaires du pays, afin que l'argent profite en bout de ligne à l'enfant. Dans bien des cas, ce n'est pas ce qui se produit.

Je ne vous ai pas laissé beaucoup de temps pour répondre, mais voilà ce qui me préoccupe.

M. Mussel: Je suis d'accord avec vous pour dire que c'est l'enfant qu'on vole si les fonds sont utilisés de cette manière. C'est aussi, de façon encore plus importante, la collectivité qu'on vole, car chacun de ses membres a une influence et peut exercer une influence considérable sur la vie de la collectivité au fil des ans.

Pour ma part, j'estime que, si entente contractuelle il y a, il faudrait suivre les mêmes règles que pour un accord commercial. Il faudrait que les deux parties s'entendent sur la teneur ou les modalités du contrat. Les éléments dont vous avez parlé sont des aspects très importants de tout système d'éducation. Pourquoi alors ne pas opter pour un accord commercial entre des parties responsables?

M. Bonin: Tout à fait. Dans bien des collectivités où nous nous sommes rendus, les membres du conseil scolaire sont nommés par le chef et par le conseil de bande. Dès qu'arrive un nouveau chef, de nouveaux commissaires sont nommés. Les conseils scolaires les plus solides ont des commissaires qui sont là depuis 25 ou 30 ans: ils ont à coeur la réussite du système qu'ils ont contribué à édifier et possèdent les connaissances et les compétences nécessaires. Il me semble que c'est ce qui manque dans les réserves. Que pensez-vous de l'idée d'un conseil scolaire autonome qui serait composé de commissaires élus?

M. Mussel: Le principe est bon, mais comme je l'ai dit, il faut d'abord veiller à ce que la population comprenne bien ses droits et ses responsabilités, sinon la délégation de pouvoirs à une instance en particulier entraînera toujours des difficultés, qu'il s'agisse du conseil de bande, du conseil scolaire, d'un service de santé ou que sais-je encore.

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Aussi, il me paraît important d'encourager la population à codifier ces droits et ces responsabilités pour pouvoir ensuite commencer à définir les pouvoirs qui seront délégués respectivement aux autorités scolaires, aux dirigeants politiques des conseils de bandes, tels que nous les connaissons aujourd'hui, ou encore aux services de santé, puisque, dans certaines provinces, on crée des autorités sanitaires distinctes des autorités politiques. C'est donc par là qu'il faut commencer.

M. Bonin: J'ai été impressionné par votre exposé. J'aurais voulu que nous ayons plus de temps. Merci.

M. Murphy (Annapolis Valley - Hants): Lors de nos visites, nous nous sommes notamment intéressés au rôle des parents, au rôle de la collectivité, dans l'éducation. Comment faudrait-il définir, selon vous, le contrôle communautaire du système d'éducation? Ce contrôle devrait-il appartenir à la bande ou au conseil scolaire, qui est un organe de la bande?

M. Mussel: Selon moi, dès qu'il s'agit de fournir un service, il faut considérer la collectivité comme le client. Le client, c'est la collectivité. Mettons que je sois conseiller et que je sois appelé à vous aider parce que vous traversez une période difficile, mais qu'il soit difficile d'établir des rapports avec vous. Vous appartenez toutefois à une famille et vous avez de bons rapports avec votre frère plus âgé. Si je prends comme point de départ de mon intervention le lien familial très fort qui vous attache à votre frère pour vous aider à régler vos problèmes, on peut dire que je considère la collectivité comme le client.

Dans cette optique, le programme scolaire appartient aux membres de la collectivité. Ce sont eux qui assument la responsabilité des pouvoirs qu'ils délèguent au chef et au conseil de bande et qui demanderont des comptes à ces derniers. Idéalement, donc, ce sont les membres de la collectivité qui sont le point de départ.

Le modèle mis en place dans bien des collectivités ne répond pas tout à fait à cet idéal. Certaines de nos collectivités appliquent le modèle proposé par la société canadienne, selon lequel la majeure partie des décisions sont prises par des représentants élus. J'estime toutefois que les membres de la bande devraient jouer un rôle important dans la prise de décisions, puisqu'il s'agit de décisions qui touchent leurs vies et celles de leurs enfants et de leurs petits-enfants.

Aussi j'estime que, si le modèle choisi se fonde sur la participation communautaire, les membres de la communauté veilleront à ce qu'il donne de bons résultats.

M. Murphy: Je suis entièrement d'accord avec vous. De toute évidence, le MAIN verse aux bandes des fonds pour l'éducation dans l'espoir qu'il y aura un certain contrôle communautaire. Je n'ai guère d'hésitation à dire que ce n'est pas le cas dans bon nombre des collectivités où nous nous sommes rendus. Le contrôle était plutôt exercé par un groupe de personnes.

Je dois toutefois préciser que, dans certains endroits, le modèle était bien plus axé sur la population en tant que client, et nous en avons été impressionnés.

Mais comment faire en sorte que ces belles paroles, ces idéaux, se traduisent dans la réalité? Comment aider les collectivités? Quelles recommandations pourrions-nous faire pour en arriver là?

J'ai été vraiment impressionné par ce que vous avez dit au sujet du code de responsabilité et de conduite. C'est certainement un élément qui aurait un effet de levier. Vous parlez un peu comme un animateur communautaire. À quoi peut-on...?

M. Mussel: En vous écoutant, je me disais que, pour être capable de s'intéresser aux questions et aux préoccupations qui se posent pour l'avenir, il ne faut pas laisser les difficultés d'aujourd'hui nous empêcher de penser à demain. Par ailleurs, certaines personnes sont tellement bien protégées qu'elles vivent en fait dans le passé; comme elles sont incapables de faire face aux nouvelles réalités, elles cherchent par tous les moyens possibles d'y échapper, et elles y réussissent. Cela fait partie de leurs mécanismes de défense.

Celles qui sont aux prises avec des difficultés qui les empêchent de penser à demain sont généralement très dépendantes à l'égard de l'opinion des autres. Ces personnes sont très dépendantes. Quand on est à ce point dépendant, on n'a vraiment pas l'énergie voulue pour même penser à demain.

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En fait, ce que je veux dire, c'est que trop peu de gens ont leur vie bien en main et ne sont pas obnubilés par leurs difficultés et leurs problèmes quotidiens, mais sont assez détendus pour penser à demain. Ne l'oublions pas, l'éducation et la formation, c'est l'avenir. Il faut en être bien conscient quand on prend des décisions en matière d'éducation ou de formation, car si nous ne portons notre attention qu'au présent, nous risquons de nous tromper quand nous établirons nos priorités et que nous déciderons des activités auxquelles les fonds seront affectés.

En termes plus concrets, il faut s'intéresser en priorité aux mesures à prendre pour aider les gens à surmonter les difficultés énormes avec lesquelles ils sont aux prises aujourd'hui pour qu'ils puissent canaliser leurs énergies et concentrer leur attention sur les décisions à prendre pour demain. Par le passé, c'est souvent le gouvernement qui prenait ces décisions pour nous. Il suffit de voir les programmes, les politiques et les lois qui ont été mis en place pour se rendre compte que tout cela nous a été imposé de l'extérieur. On nous dit maintenant qu'il faudra tout faire nous-mêmes. Or, nous sommes de plus en plus profondément conscients des effets négatifs du passé, du fait que beaucoup de problèmes doivent effectivement être réglés pour que les gens soient libérés et plus nombreux à vouloir relever le défi de prendre des décisions pour leur avenir.

Cela vous paraît-il raisonnable?

M. Murphy: Tout à fait raisonnable.

[Français]

M. Bachand (Saint-Jean): Monsieur Mussel, je voudrais vous féliciter pour votre présentation. Cependant, je vous avoue que pendant la première partie de votre présentation, je me suis retrouvé un peu comme dans mes cours de psychologie. On a regardé le système psychologique que vous nous avez présenté en sept ou huit tableaux. Je me rappelais, entre autres, les psychologogues Watson, Piaget et Freud; je me demande si on ne devrait pas maintenant ajouter Mussel. C'est assez original comme présentation. Je ne veux contester d'aucune façon le système que vous avez mis de l'avant, parce que je le partage en bonne partie.

Cependant, j'aurais quelques questions à soulever. Elles nous viennent des notes de breffage qui nous sont préparées et de votre présentation aussi, parce que vous avez soulevé des choses intéressantes, entre autres sur les pensionnats.

C'est vrai qu'on a fait des tournées. Nous sommes allés en Colombie-Britannique. Il y a des enquêtes de la GRC actuellement. D'ailleurs, j'ai demandé des détails au solliciteur général. Je veux savoir, d'une part, si ces enquêtes-là sont menées conjointement avec les Premières nations. On sait que les gens ont été victimes: une génération complète a été spoliée. Cette génération qui a été victime est-elle suffisamment consultée? Est-ce que les Premières nations sont suffisamment consultées relativement à l'enquête sur les pensionnats? C'est la première question.

Du côté culturel, vous nous avez fait part des moyens traditionnels qu'il y avait à l'époque. Sur le tableau que vous avez présenté, il y avait la qualité de vie à gauche, avec un haut rendement et un bas rendement. Du côté du haut rendement, à l'époque des moyens traditionnels de 1893, la qualité de vie était à son maximum, et là on est rendu dans un creux que vous avez vous-même attribué un peu à la technologie. Ensuite, vous nous avez dit que, si vous pouvez trouver une hausse de la qualité de vie, vous pourrez aller vers notre vision d'avenir. Il s'agit de deux concepts que nous, paternalistes blancs, avons de la difficulté à concilier.

Comment peut-on concilier les dernières technologies en informatique et les moyens traditionnels? Est-ce que ce n'est pas une des raisons pour lesquelles il y a plusieurs Premières nations qui ne savent pas si elles devraient s'accrocher à leurs moyens traditionnels ou ouvrir les vannes pour aller du côté de la vision d'avenir?

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J'aimerais avoir votre avis sur la façon dont on peut concilier les concepts de vision de la technologie et de la tradition.

Finalement, comment pourrait-on faire pour vous aider sans être paternalistes, parce que c'est souvent ce qu'on est? Je suis d'accord avec vous qu'il faut briser la dépendance. J'ai toujours été d'accord pour dire que les Premières nations doivent se prendre en main. Cependant, on voit parfois des abus et on hésite à intervenir parce qu'on se dit, au sujet de la démocratie autochtone, qu'on veut responsabiliser les gens et qu'ils doivent assumer la responsabilité des gestes posés.

On est un peu coincés. Doit-on intervenir là-dessus? Les gens dépensent mal l'argent, mais on le leur a donné pour qu'ils se prennent en main. On ne va pas leur dire qu'on va couper leurs subventions s'ils ne les consacrent pas aux bonnes choses, à l'éducation par exemple.

On est un peu mal pris. Vous ne nous avez pas donné de solution. Vous nous avez simplement dit que les gens avaient été traumatisés par plusieurs mises en situation dans les réserves et les pensionnats, mais de quelle façon pouvons-nous, en tant que Comité, en tant que Blancs et en tant que décideurs à la Chambre des communes, vous aider à briser cette dépendance afin que les Premières nations puissent se prendre en main par l'éducation?

[Traduction]

M. Mussel: Je vais essayer de me rappeler les trois points que vous avez soulevés. Le premier concernait les pensionnats et la participation des autochtones.

J'ai entendu dire qu'il y avait eu au cours des six derniers mois des rencontres entre un groupe de représentants du gouvernement, surtout des autorités provinciales, et notamment de la GRC, et un comité de dirigeants autochtones, pour discuter de ce qu'il faudrait faire et des moyens à prendre.

Quand les agents de la GRC ont commencé à identifier les auteurs des agressions commises à l'école résidentielle de Port Alberni, ils se sont rendu compte que ces personnes avaient aussi travaillé dans d'autres écoles résidentielles et en sont venus à la conclusion qu'il vaudrait mieux enquêter sur toutes les écoles pour pouvoir inclure dans le rapport toutes les agressions commises.

Les agents de la GRC en ont discuté avec le comité et il a été décidé que l'enquête porterait effectivement sur toutes les écoles. Les intéressés ont reçu une courte formation. Les agents de la GRC chargés de l'enquête avaient d'abord été triés sur le volet et avaient reçu une formation spécialisée. Il y a quelque temps, on a nommé une coordonnatrice provinciale, une autochtone de la région de Williams Lake, pour coordonner les activités relatives à l'enquête et à l'identification des personnes qui auraient besoin de services de suivi, d'appui, de conseil et de counselling.

Je crois qu'on a nommé en tout quatre coordonnateurs pour chacune des sous-régions, une dans le nord-est, une dans la vallée du Fraser, une dans l'île, et l'autre dont s'occupe la coordonnatrice régionale. Les coordonnateurs doivent notamment assurer la liaison entre les activités de la police et la participation des communautés autochtones.

La participation des communautés autochtones se fait essentiellement par l'entremise des personnes nommées à ce comité, qui est principalement composé de dirigeants autochtones.

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Je crains qu'il n'y ait pas suffisamment de ressources pour prendre toutes les mesures qui s'imposent une fois l'enquête amorcée. N'oubliez pas que les mauvais traitements représentent quelque chose de très personnel. Il s'agit de secrets, de choses qui se sont produites et que l'on traine avec soi depuis longtemps. Il pourrait fort bien y avoir eu d'autres incidents semblables depuis que la personne est devenue adulte.

J'espère qu'il y aura suffisamment de ressources pour se pencher sur cet aspect du problème.

Votre deuxième question portait sur...

M. Bachand: La vision et la tradition.

M. Mussel: Il importe avant tout de reconnaître que nombre de traditions sont toujours pratiquées aujourd'hui.

Il nous est parfois difficile de désigner ces traditions parce que nous les vivons. Nous n'avons pas eu l'occasion de procéder à une analyse et à une discussion de ce qui existait il y a 100 ans et de ce qui existe aujourd'hui. Les traditions qui ont une valeur pratique existent toujours aujourd'hui.

Celui qui intègre les valeurs, les croyances et d'autres ingrédients pour créer son propre mode de vie est un apprenant. S'il peut intégrer les choses d'intérêt et celles qui méritent la priorité dans sa vie - et il se pourrait fort bien que ce soit la famille qui prenne cette décision - je ne crois pas qu'il y ait conflit entre tradition et modernisme.

Comme le disait feu George Manuel, ce qui importe, c'est que les autochtones du monde entier soient en mesure d'intégrer ce qu'ils apprennent des autres cultures qui arrivent sur leurs terres. Je crois que c'est ce qu'il a dit. Je suis parfaitement d'accord avec ses commentaires.

Nous devons reconnaître que nos cultures ne sont pas dans des musées. Ce n'est pas ce que l'on voit sur des photos. Nos cultures sont caractérisées par des choses non matérielles: des valeurs, des croyances, des façons de parler, des façons de composer des chansons, d'écrire des poèmes, de toutes sortes de choses que nous ne pouvons pas voir. Il faut donc reconnaître la valeur de toutes ces choses car certains regardent autour d'eux et, ne voyant pas les tipis et les plumes, nous demandent ce qu'il est advenu de notre culture.

Le problème n'est pas lié à celui qui vit cette vie d'autochtone, mais plutôt à la personne qui demande où sont les tipis, parce qu'elle a une certaine idée de ce qui est culturel et de ce qui ne l'est pas. Ce qui m'inquiète, c'est que certains d'entre nous ont appris à penser comme les gens qui cherchent les tipis. La culture, c'est plus que cela.

À mon avis, il est possible d'intégrer les traditions à la vie moderne. Il faut que les gens puissent choisir. Il y a problème lorsque les gens n'ont pas le choix et qu'on leur impose une situation. C'est un des aspects de notre histoire qui ont créé beaucoup de problèmes.

Lorsqu'on a créé les écoles résidentielles, qui étaient gérées d'abord par l'Église, puis par le gouvernement, et financiées par lui, les étudiants fréquentant ces institutions n'avaient pas le choix. Nombre d'entre eux n'étaient pas adéquatement préparés à vivre une vie caractérisée par le libre choix. Et c'est un des plus grands défis que nous les chefs autochtones, devons relever en 1995.

M. Bachand: Et comment rompre la dépendance...

M. Mussel: Oui, il faut se défaire de cette dépendance.

M. Bachand: ...sans être paternalistes.

M. Mussel: C'est ça. C'est une question fort difficile.

Permettez-moi de dire ceci. Lorsque je travaille comme éducateur avec un groupe de personnes et que je peux leur faire comprendre que je les crois capables de changer, j'ai accompli quelque chose. En fait, il faut que nous ayons des chefs, des travailleurs, des gens de l'extérieur qui reçoivent une certaine aide et qui croient fermement en la capacité d'adaptation des gens. Lorsqu'une équipe qui travaille pour le gouvernement local croit qu'elle peut changer les choses, elle y parviendra.

Je dis cela parce que j'ai constaté, lorsque je travaille avec les administrations locales, que les gens travaillent très fort pour devenir une équipe. Bon nombre d'entre eux travaillent actuellement chacun de leur côté, essayant d'administrer un programme ou de faire une chose ou une autre.

J'aime leur rappeler, à titre de conseiller en matière d'éducation et d'éducateur, qu'ils sont là à cause des mêmes familles, et que ces familles ont des besoins et des désirs. Puisque nous offrons nos services à ces mêmes familles, membres des Premières Nations, par exemple, nous devrions collaborer et mettre en commun nos ressources, humaines et matérielles, pour offrir les meilleurs services possibles et ne pas s'inquiéter de savoir qui fait le travail, que ce soit le travailleur de la santé, l'enseignant, le travailleur social ou le responsable des loisirs. Nous essayons de concilier les besoins et les talents des gens qui font partie de l'équipe, de répondre aux besoins de cette façon, et de s'appuyer les uns les autres.

Je crois que c'est nécessaire. À mon avis, cela est possible dans nos collectivités parce qu'elles sont plutôt petites et qu'il ne s'agit pas d'une clientèle de passage, ce qui est différent des autres communautés canadiennes, dont les membres vont et viennent continuellement.

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Je crois qu'il s'agit là d'une attitude vraiment importante à l'égard du développement communautaire...et il ne faut pas se laisser arrêter par la notion d'indépendance. Je préfère parler de créer des occasions pour permettre aux gens d'apprendre à vivre dans un climat de confiance mutuelle. Tous les intervenants sont aussi responsables les uns que les autres. Nous partageons les responsabilités, comme le fait une bonne équipe, afin d'accomplir quelque chose.

À mon avis, ce qu'il faut, c'est la confiance mutuelle et cela veut dire faire preuve de collaboration, de coopération, et avoir des communications vraiment efficaces. Il faut des gens qui sont prêts à être responsables car c'est nécessaire dans une équipe gagnante. C'est plus facilement réalisable dans nos sociétés parce qu'elles sont plus petites et vivent encore selon nos traditions. Ce qui importe, c'est de trouver quelqu'un qui a l'attitude, les connaissances et les compétences nécessaires pour appuyer et favoriser ce type de développement.

M. Duncan (North Island - Powell River): Je suis d'accord avec mon collègue d'en face. Je n'appuie pas le principe du financement global.

Certains disent que l'éducation est le deuxième secteur en importance au Canada. Cependant, à certains égards on ne le gère pas comme si c'était une affaire.

M. Mussel: Il s'agit plutôt d'une industrie.

M. Duncan: Je crois que le terme «industrie» est peut-être mieux choisi.

J'ai constaté au fil des ans que bien de gens veulent une certaine concurrence au niveau de la prestation des services dans ce secteur. Il y a par exemple concurrence entre les écoles privées et publiques. Cela offre un choix aux particuliers, tout en defendant les intérêts de la collectivité qui attend quelque chose de ces écoles. Si l'école locale ne répond pas aux besoins, les parents enverront les enfants dans d'autres institutions.

Est-ce que le problème se pose dans vos collectivités? Est-ce que tous les parents envoient leurs enfants à l'institution Sal'i'shan?

M. Mussel: Il s'agit du niveau postsecondaire. Notre clientèle est composée de gens qui ont déjà des emplois, principalement en vertu de contrats avec les services médicaux; on se tourne vers nous pour assurer la formation.

M. Duncan: Tout cela se trouve au niveau postsecondaire?

M. Mussel: C'est exact.

M. Duncan: Je vous ai entendu parler un peu plus tôt de la 4e et de la 5e années, mais je suppose que vous occupiez cette tâche auparavant...

M. Mussel: Oui, je m'occupais de ce niveau jadis. Je ne travaille plus maintenant dans ce secteur de façon suivie.

J'aimerais signaler que lorsqu'il y a des écoles de bandes, tous les parents ne décident pas d'envoyer leurs enfants dans ces écoles. Certains décident d'envoyer leurs enfants dans les écoles provinciales. C'est à la famille qu'il revient de décider où les enfants iront à l'école.

M. Duncan: C'est exact, et c'est une chose dont j'aimerais parler plus longuement parce que le ministère effectuent des dépenses en capital toujours plus importantes pour les écoles dans les réserves. Les autorités, dans certains cas, dissuadent les parents d'envoyer leurs enfants dans les écoles publiques; par autorités, j'entends le chef ou le conseil de bande, ou le ministère.

Je crois que c'est une attitude régressive pour les parents qui tiennent à continuer d'envoyer leurs enfants à l'école publique. Cela pourrait nuire gravement aux enfants. S'il existe un marché captif, cela risque d'entraîner un abaissement des normes.

Est-ce que vous êtes d'accord avec ces commentaires?

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M. Mussel: Non. Comment le conseil peut-il empêcher les parents de...

M. Duncan: Il s'agit des coûts financiers supplémentaires associés à l'éducation de leurs enfants hors réserve, coûts qui n'existaient pas avant qu'on ne construise l'école sur la réserve.

M. Mussel: Certaines personnes que je connais et dont les enfants ne fréquentent pas l'école dirigée par la bande ne paient pas de frais supplémentaires. Ce qu'elles font évidemment, c'est s'assurer que les enfants se rendent à l'école. Elles assurent leur transport. Il faut peut-être parcourir 20 milles deux fois par jour pour aller conduire et chercher les enfants.

Mais cela représente un investissement. Ces gens-là croient suffisamment en leurs enfants pour investir ce qu'il faut dans leur avenir.

M. Duncan: Oui.

M. Mussel: Permettez-moi de vous parler de ma situation. Mary, mon épouse, et moi avons deux filles. L'aînée était très malheureuse à l'école publique lorsqu'elle était en dixième année. C'est une très bonne élève. Nous avons fini par l'envoyer à l'école privée. C'était la meilleure chose à faire, parce que cela correspondait à sa méthode d'apprentissage personnelle et à ses besoins. C'était un investissement judicieux. Cela a coûté beaucoup d'argent, mais ma femme et moi étions prêts à faire cet investissement.

Je crois qu'il est important pour les parents et les membres de la collectivité d'avoir des choix. Nous reconnaissons également qu'il y a des circonstances où il faudra investir dans nos propres enfants. Ces cas se produisent de plus en plus souvent.

M. Duncan: J'ai rencontré cette semaine des parents qui vivent dans une réserve et qui étaient plutôt d'avis que leurs options étaient très limitées.

M. Mussel: Par leurs propres dirigeants.

M. Duncan: Oui, par leurs propres dirigeants. Ecoutez, si vous financez la construction d'une nouvelle école qui coûtera plusieurs millions de dollars. Puis les gens demandent pourquoi cette école a été construite, parce qu'ils ne voulaient pas vraiment y envoyer leurs enfants. Quelqu'un sera dans ses petits souliers.

M. Mussel: Oui, mais il faut quand même se demander si les parents ont eu voix au chapître lorsqu'on a décidé s'il fallait construire une école dans la réserve.

M. Duncan: Oui, c'est là le problème. Ils n'ont pas été consultés. Cela revient à ce que vous disiez un peu plus tôt, soit qu'il fallait assurer la participation de la collectivité dès le départ. Je sais que les députés d'en face en ont parlé. Je suis parfaitement d'accord: c'est là la cause du problème.

J'aimerais parler d'autre chose. J'ai parlé à une professeure Cree qui enseigne dans le système public. Ses étudiants sont à majorité des Cree. Elle est convaincue qu'elle doit utiliser des tests normalisés pour déterminer le point repère pour vos étudiants, pour voir les progrès qu'on peut effectuer en une année. Je ne prétends pas bien connaître ces tests, mais elle croit qu'il s'agit de la meilleure façon d'évaluer les progrès scolaires.

Puis elle fait la distinction entre les études scolaires et les études culturelles évidemment. Elle croit cependant que à moins de progrès sur le plan scolaires, il est absolument inutile d'offrir des études culturelles. Que pensez-vous des tests normalisés?

M. Mussel: Je crois qu'il faut des points de repère pour évaluer les cours offerts. Evidemment, le meilleur indicateur, c'est les résultats des apprenants. Il faut que nous sachions quel est leur bagage lorsqu'ils arrivent à l'école.

La majorité des tests que j'ai vus, cependant, exigent simplement que l'on donne la bonne réponse. Je préfère des tests qui permettent de déterminer la capacité de raisonnement de l'apprenant. Il s'agit de l'acquisition de connaissances qui vous permettent de comprendre ce qu'ils ont accompli. J'ai vu des tests qui se fondent sur ces connaissances, et je crois que c'est beaucoup plus utile pour l'apprenant et pour l'enseignant que de simplement savoir si l'élève peut donner la réponse exacte.

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Nous devons cependant apprendre une chose que les tests nous permettent de connaître, soit les progrès accomplis par l'élève. Les normes sont utiles, mais il faut quand même qu'il y ait une certaine souplesse, une certaine marge de main-d'oeuvre; il faut considérer les résultats obtenus pour ce qu'ils sont: un indicateur, rien de plus.

M. Duncan: Est-ce que ces tests sont très répandus?

M. Mussel: Vous parlez des tests qui portent principalement sur la capacité de raisonnement ou des autres tests, ceux qui visent simplement à obtenir la bonne réponse?

M. Duncan: Je crains de vous poser une question sur un élément du système scolaire que vous ne connaissez pas vraiment. Je vous parle du niveau primaire, ce qui n'est pas vraiment une question appropriée.

M. Mussel: Je me pose cependant des questions sur l'enseignante Cree dont vous parliez, laquelle, selon vous, excluait l'apprentissage culturel. La culture, c'est le mode de vie.

M. Duncan: Je ne dis pas qu'elle excluait l'apprentissage culturel. Je dis simplement qu'elle veut absolument accroître les connaissances scolaires de ses élèves parce que à son avis, il serait inutile d'essayer d'enseigner les notions culturelles si les connaissances scolaires ne sont pas à la hauteur. C'est là sa priorité. A son avis, de cette façon, les enfants pourront réussir plus tard.

Je tiens à vous remercier de cet exposé que j'ai trouvé fascinant.

Le président: Merci, monsieur Duncan.

Être président d'un comité comporte certains désavantages parce qu'on est toujours le dernier à poser les questions. J'avais quatre petites questions à vous poser. L'une d'entre elles a été posée par M. Bonin et une autre par M. Bachand. Il ne m'en reste plus que deux.

Au début de votre exposé, vous avez dit que l'éducation extra scolaire ou informelle n'est insuffisante aujourd'hui. Dites-vous que certains parents et anciens ne jouent pas pleinement le rôle d'éducateurs?

M. Mussel: C'est exact. Ils ne consacrent pas suffisamment de temps et d'attention à la création de la soif du savoir chez les enfants; les bons parents créent ce désir d'apprendre et font des choses qui créent chez leurs enfants le désir d'en connaître long dans bien des domaines. Je crains que les adultes ne consacrent pas suffisamment de temps de qualité aux jeunes.

Le président: Comme vous le savez - et je crois que c'est John qui l'a mentionné - notre comité aime bien faire des suggestions. Est-ce que vous avez des solutions à proposer à ce problème?

M. Mussel: J'ai lu avec intérêt dans la documentation récente sur la croissance et le développement des enfants que le mode de vie que connaîtra un enfant lorsqu'il sera jeune adulte est déterminé avant l'âge de quatre ans. Les parents qui s'occupent de l'enfant jusqu'à cet âge jouent un rôle très important dans le mode de vie que connaîtra plus tard cet enfant. La majorité des parents ne sont pas vraiment conscients de l'importance de ces découvertes.

De plus, je crois qu'il s'agit d'une chose que nous, chefs et éducateurs, devons comprendre: nous pouvons aider les gens à comprendre qu'ils peuvent changer, qu'ils peuvent évoluer. Il est important que les gens croient vraiment que c'est possible; il faut les aider à se prouver à eux-mêmes qu'ils peuvent le faire, les convaincre de ce fait, pour qu'à leur tour, ils puissent participer à l'apprentissage d'autres personnes, surtout celui de leurs enfants.

Le président: Il faut éduquer les parents.

M. Mussel: C'est exact.

Certains aiment bien croire que nous savons ce qu'est une éducation de qualité. Je ne suis pas d'accord. Qu'est-ce qu'une éducation de qualité? Que faut-il pour créer un environnement qui saura inspirer les gens, encourager les enfants à apprendre? Comment peut-on créer les outils nécessaires pour valoriser l'apprentissage des jeunes?

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Je crois que le problème, ce n'est pas les 20 p. 100. Il est intéressant de noter, lorsqu'on étudie les autochtones et l'éducation, qu'on a tendance à mettre tous les enfants dans le même groupe. Je crois qu'environ 20 p. 100 d'entre eux réussiront peu importe où ils iront à l'école parce qu'ils ont les connaissances et les valeurs de base nécessaires. Mais les 80 p. 100 restants ont besoin de beaucoup plus d'attention si l'on veut changer le taux de réussite. Il faut donc se pencher sur les besoins et les circonstances de 80 p. 100 des enfants autochtones.

Le président: C'est un commentaire intéressant.

Nous avons beaucoup voyagé et j'ai constaté qu'un grand nombre d'étudiants autochtones semblent s'orienter vers les études artistiques et sociales, plutôt que vers les matières scientifiques. Serait-il possible de renverser cette tendance, ou allons-nous simplement créer un plus grand nombre de...?

M. Mussel: À mon avis, la capacité de raisonnement nécessaire pour comprendre les mathématiques, la chimie, la physique ou les autres sciences pures, diffère de celle qui est nécessaire pour comprendre l'histoire ou certaines sciences sociales, pour étudier l'anglais et réussir un cours.

L'expérience m'a appris qu'en raison de l'absence de communications de qualité dans la vie de nombreux membres de nos collectivités, et certainement dans la vie des familles, nombre d'enfants n'ont pas la chance d'acquérir cette capacité de raisonnement, simplement parce qu'ils n'ont pas la pratique nécessaire, qu'ils n'ont personne avec qui communiquer. Cela explique à mon avis pourquoi très peu d'enfants autochtones s'orientent vers les sciences pures.

Le président: Le problème trouve son origine à la maison.

M. Mussel: Oui.

Il y a également la question de l'attitude des professeurs. J'ai connu des étudiants qui m'ont dit que les professeurs les voient, constatent qu'ils sont autochtones et leur disent qu'ils ne devraient pas être en sciences ou en mathématiques parce que les étudiants autochtones ont beaucoup de problèmes dans ce domaine.

J'ai un ami qui est en deuxième année de mathématiques dans un collège local en Colombie-Britanique. Il a eu la moyenne la plus élevée de sa classe, et ses camarades ont eu le culot de l'accuser d'avoir triché parce que c'est lui qui avait le mieux réussi. Pourquoi? Parce qu'ils croient que les autochtones n'ont pas l'intelligence nécessaire pour réussir en mathématiques.

Il y a d'autres facteurs qu'on pourrait cerner, mais je crois que les besoins fondamentaux doivent être déterminés à la maison. Au cas contraire, il doit y avoir un rattrapage quelconque dans le système scolaire officiel. Encore une fois, il faut croire dans l'aptitude de la personne à réussir.

J'ai constaté que certains étudiants étaient bien motivés et réussissaient très bien jusqu'à la 4e année. Les choses sont souvent très différentes entre la 3e et la 4e année. Dans une grande mesure; c'est attribuable à la formation des enseignants. Les enseignants du primaire n'ont pas la même formation que ceux qui enseignent au niveau intermédiaire. En Colombie-Britannique, le niveau intermédiaire commence en 4e année.

Je crois qu'à ce niveau, ils n'appuyent plus autant l'élève, ne font pas les mêmes efforts pour le comprendre, etc. Rendu en 4e année, c'est un peu comme si on faisait des affaires. Il faut faire le travail, un point c'est tout. On traite les enfants un peu plus comme s'ils étaient des adultes, d'une façon plus responsable. Certains d'entre eux se découragent à ce niveau, parce que le changement est tellement radical qu'ils ne peuvent s'y adapter. J'ai noté cela chez un grand nombre de jeunes autochtones qui passent de la 3e à la 4e année.

M. Bonin: Une étude effectuée dans le nord de l'Ontario confirme ce que vous nous dites.

M. Mussel: L'impact de cette transition chez les apprenants est incroyable.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Mussel. Votre témoignage a été fort enrichissant.

La séance est levée.

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