[Enregistrement électronique]
Le mardi 5 décembre 1995
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte.
Bonjour tout le monde. Nous accusons un léger retard. Je ne sais pas ce qui se passe. Les gens du reste du pays sont sans doute en train d'essayer de s'adapter à notre hiver, ici à Ottawa.
Nous n'avons pas le quorum nécessaire pour la prise de décisions, mais nous sommes suffisamment nombreux pour entendre des témoignages. Pour la gouverne de nos témoins, il nous faut en règle générale être six, et il nous manque donc une personne en ce moment. Je pense que nous allons néanmoins commencer, afin que la réunion ne soit pas trop écourtée. Nous sommes très heureux d'accueillir parmi nous des représentants de l'Institut canadien de la santé infantile.
Dr Chance, je tiens à vous remercier, vous et vos collègues, d'être venus aujourd'hui. J'imagine que vous avez une déclaration liminaire à nous faire, après quoi nous aurons des questions à vous poser. Nous tenons à vous remercier de nous aider dans cette étude, qui est selon nous importante.Dr Chance, vous pourriez peut-être commencer par nous présenter les personnes qui vous ont accompagné.
Dr Graham Chance (président, Institut canadien de la santé infantile): Bonjour, monsieur le président.
M'ont accompagné ce matin le Dr Denise Avard, directrice exécutive de l'Institut canadien de la santé infantile, et Kristen Underwood, recherchiste à l'Institut. Je m'appelle Graham Chance, et j'en suis le président.
Dr Avard va d'abord vous dire quelques mots en guise d'introduction.
[Français]
Dr Denise Avard (directrice administrative, Institut de la santé infantile): J'aimerais tout d'abord saisir cette occasion pour vous remercier de nous avoir invités. Nous savons qu'il s'agit d'une période de consultation et qu'il est donc très important de partager avec vous, aujourd'hui, notre opinion à ce sujet.
J'aimerais aussi vous dire que le texte, malheureusement, n'est pas disponible en français, mais je pourrai certainement répondre aux questions de tous les députés qui voudront discuter du sujet en français. Dr Chance va continuer sa présentation en anglais. Veuillez nous excuser pour notre version unilingue, mais hier, à 23 h, nous faisions encore des photocopies. Merci.
[Traduction]
Dr Chance: Tout d'abord, merci d'avoir ainsi donné l'occasion à l'Institut canadien de la santé infantile de comparaître devant vous aujourd'hui.
Nous vivons une époque de changements sans précédent pour l'économie et pour les familles. Les conséquences de la mondialisation croissante des économies axées sur l'industrie sont au bout du compte ressenties par les familles, qui sont nombreuses à ne plus avoir de sécurité d'emploi, à voir leur revenu réel diminuer et à disposer de beaucoup moins de temps à consacrer à leurs enfants.
Dans de nombreux cas, les facteurs déterminants de la santé et de la mauvaise santé sont connus et des efforts de prévention ont été faits. La prévention des troubles physiques et émotifs donne les meilleurs résultats lorsqu'elle intervient dès la première période de la vie humaine.
Le Rapport mondial sur le développement humain des Nations Unies, paru en 1993, classait le Canada au deuxième rang en matière de développement humain. Mais lorsqu'interviennent les piètres résultats du Canada en matière de pauvreté enfantine, le pays tombe au septième rang. La raison en est simple: nous dépensons moins par tête d'habitant pour appuyer les familles avec enfants que tous les autres pays industrialisés. Dans une étude portant sur 20 pays, le Canada s'est classé au 16e rang en matière de dépenses au titre de la sécurité du revenu, exprimées en pourcentage du PIB. Sur ce plan, le Canada est bien loin de la moyenne des pays membres de l'OCDE.
Nous ne voudrions cependant pas minimiser l'importance de ce qui a été réalisé. Les décès dus à des troubles médicaux et les taux de mortalité infantile ont beaucoup reculé au fil des ans. Les nouveau-nés à faible poids de naissance ont aujourd'hui de meilleures chances de survivre et les taux de mortalité due à une blessure ont baissé.
Ces succès passés en matière d'amélioration de la santé et du bien-être des enfants et des adolescents ne sont cependant pas une garantie pour l'avenir. Il y a des preuves d'une crise émergente. Par exemple, les taux de suicide ont augmenté progressivement entre 1960 et 1991. En 1991, le taux de suicide pour les Canadiens de sexe masculin était de 23 pour 100 000 tandis qu'il était de 4 pour 100 000 pour les Canadiens de sexe féminin. Le taux a donc quadruplé au cours des 30 dernières années pour les deux groupes.
De la même façon, le piètre état de la santé émotive et mentale des enfants et des adolescents canadiens ajoute encore une autre dimension à la morbidité. Les troubles en question étaient reconnus, mais c'est l'importance de leur incidence qui nous préoccupe surtout.
Les blessures demeurent la première cause de décès pour les enfants de plus d'un an. Le temps que les familles peuvent consacrer à leurs enfants a de beaucoup diminué et les pressions exercées sur les enfants pour qu'ils grandissent seuls dans un monde qui leur fait peur augmentent régulièrement. Or, les enfants ne sont pas de petits adultes.
Certaines causes de morbidité et de mortalité touchent davantage certaines catégories d'âge. D'autres visent les gens de tous les âges et d'autres encore visent certains groupes particuliers. Les enfants autochtones et les enfants vivant dans la pauvreté sont deux catégories pour lesquelles les risques sont plus élevés. Le nombre d'enfants canadiens qui vivent dans la pauvreté a progressivement augmenté à partir de 1981 pour atteindre près de 21 p. 100 de la population enfantine totale en 1993.
Les enfants issus de milieux multiculturels ou de familles d'immigrants sont confrontés à de nombreux défis, notamment barrières linguistiques et adaptation à une nouvelle société. L'amélioration des connaissances et de la technologie a été telle qu'il y a davantage de survivants chez les enfants souffrant du spina-bifida, d'infirmités motrices cérébrales, de dépendance à l'égard de machines, de fibrose kystique, de dystrophie musculaire et du cancer. Aujourd'hui, de nombreux enfants se remettent des cancers dont ils sont atteints.
Les temps sont durs sur le plan financier, mais nous ne pouvons pas tout simplement regarder la génération qui suit la nôtre prendre du retard. Nous avons les connaissances et les ressources nécessaires pour relever les défis qui se présentent à nous.
Notre exposé d'aujourd'hui traite de questions clés que nous avons cernées dans le rapport intitulé La santé des enfants du Canada, que vous avez tous vu et que vous avez en main et d'où sont tirés les principaux faits et principes directeurs. Notre présentation esquissera les principes directeurs qui sous-tendent nos stratégies de prévention puis abordera certaines stratégies d'intervention précises.
Nous mettrons principalement l'accent sur la prévention et sur la promotion de la santé. La prévention primaire cherche à éviter l'apparition de la maladie en maximisant les facteurs environnementaux et les comportements sanitaires et hygiéniques qui décroissent le risque de décès, de maladies et de blessures. La promotion de la santé crée quant à elle un environnement tel que l'être humain est en mesure d'y atteindre le maximum de son potentiel de santé.
Nous vous recommanderons de choisir comme chemin celui d'une communauté civique caractérisée par une société aimante, à l'intérieur de laquelle règne la collaboration, et qui est prête à payer dès maintenant, à assurer des normes raisonnables de soutien social pour les familles et leurs enfants et à promouvoir l'intervention gouvernementale et communautaire. Nous devrions choisir ce chemin plutôt que celui où l'on paie plus tard, ce qui serait au bout du compte plus coûteux pour la collectivité.
La promotion de l'intervention précoce est importante. Les premières années de vie sont maintenant reconnues comme étant absolument essentielles dans la détermination de la santé et des aptitudes de l'enfant et de l'adulte de demain. Il importe d'intervenir plus tôt plutôt que plus tard dans le cycle de vie. Des interventions efficaces peuvent améliorer les chances d'un résultat favorable à chaque étape du développement ultérieur de l'enfant.
Il importe d'aller au-delà du système de soins de santé. Une vaste gamme de services, par exemple loisirs, éducation, soins de santé et services sociaux, doivent être intégrés au cadre.
L'une des façons les plus efficaces de promouvoir le développement d'enfants en santé dès la plus tendre enfance est d'offrir des visites à domicile. La recherche montre en effet que les aides en hygiène familiale sont d'un grand secours et une excellente ressource pour les parents. Les stratégies à envisager doivent tenir compte de la biologie, des sciences du comportement et des besoins sociaux relativement au logement, à la sécurité physique, aux services à l'enfance, aux services familiaux, à l'éducation, à l'emploi et au revenu.
Les pays dotés de programmes sociaux et de soins de santé exhaustifs, et plus particulièrement de programmes universels qui appuient les familles grâce à des congés de maternité, à des allocations familiales et pour enfants, à des logements subventionnés, à des services de visites à domicile et à des services à l'enfance, affichent des taux de mortalité infantile qui sont très bas. Les soins de santé, c'est plus que des rendez-vous chez le médecin ou des visites à l'hôpital.
Il nous faut adopter une approche universelle qui englobe tout le monde et qui a le potentiel de joindre tous les enfants, tous les adolescents et toutes les familles, quelle que soit leur catégorie socio-économique, et qui offre par ailleurs le potentiel d'éliminer les facteurs de risque et de favoriser ceux qui contribuent à la santé générale. Le fait de vouloir servir les besoins de groupes particuliers au moyen de services ciblés présente des limites. Les programmes sont coûteux et stigmatisent ceux qu'ils desservent.
Le problème dans bien des cas n'est pas qu'il y a très peu de programmes, mais bien qu'il y a très peu de coordination et de collaboration. Il y a trop de concurrence pour obtenir fonds et ressources, ce qui résulte en un dédoublement des efforts. Ce qu'il faut, c'est un effort visant à faire le lien entre les services spécialisés et les services réguliers ordinaires. Les efforts de prévention doivent, quant à eux, être coordonnés et reconnus. Il ne peut pas y avoir de services si chacun d'eux est offert isolément des autres.
Pour concilier les besoins des enfants et ceux de leur famille dans le contexte actuel, les ministères des Finances, de la Santé et des Ressources humaines, ainsi que d'autres, doivent coordonner leurs efforts en vue de l'élaboration d'une stratégie exhaustive.
Si l'on veut construire des collectivités solides, enfants, adolescents, familles et prestateurs de soins doivent être inclus au fur et à mesure que les problèmes sont cernés, les décisions prises et les stratégies établies. En tant que membres de la communauté, ils devraient tous être partenaires dans tous les aspects de l'élaboration et de la mise en oeuvre de politiques, d'interventions et de stratégies. Des enfants en santé sont le produit de communautés en santé, de communautés qui travaillent ensemble pour lutter contre l'isolement, la pauvreté et l'inégalité.
Il importe d'adopter une stratégie de cycle de vie. Il existe dans le développement d'un enfant des points critiques où les risques peuvent survenir, les possibilités s'annoncer ou les interventions être particulièrement efficaces. Les risques, possibilités ou interventions nuiront ou seront bénéfiques non seulement dans le moment présent, mais également plus tard, plaçant les enfants et les adolescents sur une voie donnée, que celle-ci soit positive ou négative. Les besoins de l'enfant en matière de développement doivent être nourris à la maison, à l'intérieur du système de soins de santé, dans le cadre des services à l'enfance, à l'école et à l'échelle de la communauté qui l'entoure.
Nous recommandons l'adoption d'une prise de position très ferme à l'égard des enfants. La société doit être mobilisée pour reconnaître les besoins des enfants et les gains qu'elle réalisera si ce sont ces besoins qui sont la priorité. Des enfants bien nourris, en santé et aimés ont de meilleures chances de devenir des adultes en santé et bien intégrés.
Ce qu'il nous faut, en fait, c'est une campagne «Aimons les enfants», du genre des campagnes anti-conduite en état d'ébriété ou anti-tabac. Les deux programmes que je viens de mentionner ont bien réussi. S'il est possible de sensibiliser la communauté à ces questions-là, pourquoi ne le serait-il pas en ce qui concerne les enfants? Il faudrait qu'une telle campagne soit intensive et très visible. Il faudrait citer des faits criants sur les tendances très préoccupantes que l'on constate à l'heure actuelle dans le domaine de la santé des enfants. Une telle campagne devrait cependant également célébrer la beauté, l'intelligence et les contributions des enfants à notre société.
Pour aborder maintenant des stratégies bien précises, je mentionnerai tout d'abord la prévention de l'insuffisance de poids à la naissance. L'insuffisance de poids à la naissance a décliné au fil du temps, mais demeure relativement statique: elle caractérise environ 5,5 p. 100 des naissances. L'insuffisance du poids à la naissance compte pour environ 70 p. 100 de l'ensemble des décès pendant la première année de vie et pour une proportion considérable de nouveau-nés qui deviennent des enfants handicapés.
Il nous faut assurer une continuité coordonnée de soins dans le cadre du système de soins de santé et de services sociaux grâce à l'intervention de sages-femmes, de médecins et d'infirmières ainsi que de programmes communautaires. Il faudrait décourager une trop grande dépendance sur la technologie et sur le modèle médical. Il importe de mettre en oeuvre une politique qui traite du rôle, du statut et du stress que subit la femme dans la société sur les plans emploi, équité salariale, etc.
La prévention des blessures est extrêmement importante. Les données dont on dispose relativement aux blessures montrent que celles-ci sont la principale cause de décès chez les enfants âgés d'un an et plus. Les blessures comptent pour près de 50 p. 100 des décès chez les enfants âgés de 5 à 9 ans et de 64 p. 100 des décès chez les enfants âgés de 10 à 14 ans. Dans la tranche d'âge suivante, 73 p. 100 des décès chez les adolescents plus grands sont attribuables à des blessures. Cela représente des pertes de vies énormes. Il nous faut cesser de parler des blessures comme d'accidents. En effet, la plupart des blessures sont des accidents qu'on aurait pu prévenir.
Il importe, donc, de promouvoir un programme de prévention des blessures qui soit axé sur la communauté et qui accorde davantage d'attention aux approches préventives visant à modifier les milieux dans lesquels les enfants vivent et jouent. Je citerai à titre d'exemple l'adoption et la mise en oeuvre de programmes tels le port du casque de vélo, l'utilisation de dispositifs de retenue dans les véhicules de tourisme, la réduction des limites de vitesse et l'imposition de sanctions plus sévères pour excès de vitesse et pour conduite en état d'ébriété. La société devrait s'adapter aux enfants. Les enfants, et tout particulièrement les tout petits, ne peuvent pas s'adapter à la société, du simple fait qu'ils n'ont pas encore eu l'occasion d'apprendre à le faire.
Il faudrait établir un système d'enregistrement de données qui permette de conserver des dossiers décrivant la nature et les circonstances des blessures subies. L'enregistrement de tels renseignements nous aiderait à déterminer les risques, surtout pour les enfants d'âge préscolaire.
Il importe de sensibiliser le public et de travailler auprès des jeunes à l'élaboration de stratégies de prévention des traumatismes qui aient un sens pour eux.
Passons maintenant à la santé émotive et mentale. La santé mentale des enfants du Canada va s'aggravant. Nous ne disposons pas de données sur les premières années de la vie des enfants. Nous savons cependant, nous appuyant sur des rapports d'enseignants de jardin d'enfants et autres que les premières années sont très mouvementées pour les jeunes enfants. Il importe de faire des efforts pour promouvoir une bonne santé émotive et mentale chez les écoliers.
Nous disposons de données sur les enfants âgés de 6 à 11 ans. Seize p. 100 des garçons présentent au moins un problème mental clinique et 13 p. 100 des filles ont un problème mental clinique qui serait traité si les services nécessaires étaient disponibles. L'on ne disposera jamais de tous les services nécessaires pour satisfaire tous les besoins en matière de santé mentale des enfants. Voilà pourquoi il nous faut établir des stratégies de prévention visant la population dans son ensemble. À l'heure actuelle, seuls 44 p. 100 des garçons qui ont besoin de traitement en reçoivent, et ce n'est le cas que du quart des filles qui en ont besoin.
Ce qu'il faut, donc, dans l'intérêt de la santé mentale des enfants d'âge préscolaire, c'est élaborer un programme intégré et exhaustif d'éducation des parents.
La violence dans la société est un grave problème. Quelques chiffres, qui illustrent un aspect du problème: 29 p. 100 des femmes mariées ou des femmes non mariées vivant dans une relation avec un homme subissent de la violence. Trente-neuf p. 100 des enfants vivant avec ces femmes seront témoins de cette violence. Il est évident qu'un enfant qui côtoie et qui observe la violence l'apprendra. Je soulignerai en passant que la source d'apprentissage de la violence la plus puissante pour les enfants, ce sont les médias, et notamment la télévision. Il importe donc de déployer des efforts pour promouvoir la santé émotive et mentale positive des enfants d'âge préscolaire.
Toujours au sujet de la violence, un très grand nombre d'enfants et d'adultes vivent avec la violence et la craignent. L'on doit faire des efforts pour prévenir la violence touchant la vie des enfants et des adolescents. Nous devons faire en sorte que la société reconnaisse que la violence est le résultat d'inégalités sociales, économiques et politiques. Ces inégalités ne font que s'aggraver dans la société canadienne contemporaine. Elles s'aggravent, donc, et elles contribuent au développement d'une génération de jeunes gens en colère. Il nous faut élaborer des programmes communautaires qui abordent la violence sous l'angle de la prévention et de la promotion de la santé.
Il convient de se pencher tout particulièrement sur le cas des jeunes filles. C'est ce que fait le rapport de l'Unicef intitulé Le progrès des nations. L'enfant canadien de sexe féminin a besoin de notre attention.
Le développement de l'identité sexuelle de chacun est un processus fort complexe qui commence dans la vie foetale. Cependant, rares sont ceux qui contesteraient le fait que l'identité sexuelle détermine dans une large mesure les choix et les parcours de vie que nous choisissons. La compréhension des influences de l'identité sexuelle est essentielle à toute analyse des différents facteurs déterminants.
Voilà pourquoi nous recommanderions la réalisation de travaux de recherche qualitatifs pour comprendre les attitudes. Il y a quelques instants je vous ai parlé de données sur la santé mentale. La santé mentale chez les adolescentes s'aggrave dès l'âge de 11 ans. Les étudiants se sentent souvent seuls, mais à l'aube de l'adolescence, la situation des jeunes filles est bien pire que celle des jeunes garçons. De nombreuses jeunes femmes - près du tiers des filles âgées de 13 ans et plus - se sentent seules et isolées.
Encore une fois, côté santé mentale - et je veux parler ici du tableau clinique de la santé mentale - on a vu il y a quelques instants des chiffres comparables pour les garçons et les filles. Dès la tranche de 12 à 14 ans, les chiffres pour les filles doublent presque, pour atteindre 24 p. 100: 24 p. 100 des jeunes femmes souffrent de problèmes de santé mentale cliniques. Comme je le disais, il est impossible pour le service clinique de satisfaire les besoins de toutes ces filles et, de ce fait, seules 15 p. 100 des filles qui ont besoin de traitement en reçoivent, comparativement à 30 p. 100 des garçons. Les différences dans les chiffres sont phénoménales.
Il nous faut donc mener des recherches pour comprendre ce qui sous-tend toutes ces difficultés en matière de santé mentale et pour élaborer un profil statistique de la santé et du développement des filles, ce en vue d'examiner les tendances et les problèmes.
Il nous faut par ailleurs promouvoir la santé familiale. Les enfants, et tout particulièrement les tout jeunes, ont besoin de soins de qualité et en toute sécurité pendant que leurs parents travaillent. Les parents, quant à eux, ont besoin d'environnements favorables dans lesquels vivre, travailler et élever leurs enfants, si l'on décide que l'on veut promouvoir la santé physique et émotive des familles canadiennes.
Nous ne disposons que de très peu de données sur l'augmentation du taux de pauvreté. Quarante et un p. 100 des couples canadiens âgés de 30 ans et moins et ayant des enfants vivaient dans la pauvreté en 1992.
Nous avons des données sur la proportion croissante des familles où les deux conjoints touchent un revenu et de l'incidence que cela a sur les enfants. Par exemple, dans 20 p. 100 des familles bi-actives, chacun des parents fait plus de 40 heures de travail par semaine. Soixante-deux p. 100 des familles avec des enfants âgés de moins de trois ans sont bi-actives. Par ailleurs, dans 58 p. 100 de l'ensemble des familles à deux revenus, les deux membres du couple font chacun plus de 30 heures de travail par semaine.
Bien évidemment, ces parents sont très préoccupés par le bien- être de leurs enfants. L'on enregistre des pertes de temps de travail énormes du fait des soucis que les jeunes couples se font pour leurs enfants.
Il nous faut reconnaître que les enfants et que le fait de les élever sont d'une importance extrême et prendre des mesures pour résoudre le problème de la compression du temps. Il nous faut assurer un financement fédéral et un système exhaustif de services à l'enfance.
Vous trouverez dans le texte de notre mémoire des chiffres sur les places en garderie qui sont disponibles. Il en existe environ 350 000 pour les 1,2 million d'enfants qui en ont besoin.
Il nous faut élaborer des programmes de services à l'enfance et de ressources familiales améliorés à l'intérieur de la communauté, et ces programmes doivent être pleinement intégrés et correspondre aux caractéristiques particulières à la localité concernée. Il nous faut également élaborer des programmes communautaires après les heures de classe pour faire le pont pour l'enfant qui retrouve une maison vide, pour l'enfant à la clé.
Vingt p. 100 des enfants canadiens âgés de six à 12 ans sont des enfants à la clé. Ils rentrent chez eux pour trouver la maison vide ou alors traînent dans les centres commerciaux où ils font l'apprentissage des drogues. Ou alors, ils rentrent chez eux et regardent la télévision, qui leur propose - si vous la regardez entre 16 heures et 18 heures - des éléments extraordinaires de ce que nous appelons notre société, et je songe par exemple à Ricki et ses amis dans les émissions interview-variétés.
Nous ne nous occupons pas des besoins en matière de santé des enfants autochtones. J'ai déjà entretenu la communauté des soins de santé de cette question.
Les besoins des enfants pauvres sont énormes. La pauvreté par type familial est à la hausse. Par exemple, en 1992, 522 000 enfants vivaient dans des familles monoparentales ayant un chef féminin. Cela signifie que 41 p. 100 de tous les enfants vivant dans la pauvreté appartenaient à ce genre de familles.
La pauvreté chez l'enfant vient parfois doubler l'incidence de certains des éléments qui militent contre la santé infantile. Les taux de mort accidentelle, de faible poids à la naissance, de mortalité infantile, de mauvais résultats scolaires et de troubles psychiatriques sont au moins le double chez les enfants pauvres. De même, la grossesse pendant l'adolescence, le tabagisme et la toxicomanie sont des problèmes très fréquents chez les enfants vivant dans la pauvreté.
Il importe donc de déployer davantage d'efforts pour réduire le nombre d'enfants vivant dans la pauvreté et pour venir en aide aux familles démunies. Il nous faut élaborer une stratégie en ce sens.
Comme cela a été expliqué dans le cadre de la Campagne 2000, il nous faut élaborer des stratégies nationales visant la création de possibilités d'emploi pour les familles et d'un système de sécurité sociale responsable qui vienne améliorer le niveau de vie des enfants, surtout des enfants vivant dans la pauvreté. De telles stratégies ont déjà vu le jour dans d'autres pays.
La Campagne 2000 propose la création d'un fonds d'investissement social destiné aux enfants. Ce fonds serait constitué grâce aux contributions de sociétés et à certains programmes fiscaux. Il y a de l'argent dans la société, et ce qu'il faut, c'est bien l'orienter.
Je vais maintenant vous entretenir des besoins des enfants qui ont des déficiences. Lorsque nous avons mené notre enquête, nous pensions et nous espérions que les enfants handicapés étaient bien intégrés dans la société canadienne. Les données tirées du profil sur la santé des enfants font ressortir que ceux-ci ne sont pas aussi bien intégrés qu'on le pensait.
Voici donc des données sur les adolescents handicapés âgés de 15 à 19 ans. On s'intéresse ici à leur capacité de participer à la société. Vingt-cinq p. 100 des enfants handicapés souffrent de services de transport insuffisants. Ils ne peuvent de ce fait pas participer de la même façon que les autres enfants à un certain nombre d'activités de loisirs.
De nombreux exemples sont fournis par le profil. Il nous faut assurer un appui à ces enfants handicapés.
Il est un groupe d'enfants dans la société qui est à l'heure actuelle très petit mais qui augmente rapidement: il s'agit d'un groupe qui a des besoins très importants. C'est celui des enfants qui ont une dépendance à l'égard de certaines technologies. Ces enfants vivent chez eux et sont soignés par leur famille, surtout par des femmes - leur mère - et celles-ci n'ont que de très rares possibilités de répit. Ces familles vivent des stress énormes. Il est important que nous reconnaissions leurs besoins particuliers.
En conclusion, donc, il nous faut reconnaître que nous devons respecter nos enfants. Nous autres, adultes, sommes portés à jeter le blâme sur les enfants et les jeunes pour leurs activités, ce qui débouche souvent sur la confusion et la colère. Au lieu de prendre cette approche, au lieu de demander une augmentation des dépenses ou l'incarcération des adolescents problèmes, nous devrions adopter une approche préventive, reconnaissant que le monde qui change de façon si dramatique pour nous leur impose, à eux, des changements encore plus dramatiques.
Les attitudes et les valeurs de la société doivent reconnaître cette vérité fondamentale que les enfants ne déterminent ni les circonstances de leur naissance ni l'environnement dans lequel ils grandissent. Ce sont les adultes qui déterminent ces circonstances.
Au Canada, pour survivre à la mondialisation, il faudra accorder la toute première priorité aux besoins et au bien-être des enfants et de leurs familles. J'imagine que ce n'est qu'à partir de ce moment-là que l'on pourra agencer comme il se doit les autres priorités de la société.
Enfin, les conclusions et recommandations que nous vous soumettons aujourd'hui ne sont clairement pas nouvelles. Elles ne sont pas non plus extravagantes. Elles coïncident parfaitement avec ce qui est énoncé dans la Convention de 1989 des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Le Canada a ratifié cette convention en 1991 mais, comme cela est clairement ressorti l'été dernier, il ne la respecte pas plus qu'un certain nombre d'autres pays.
Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Très bien, Bernard, vous serez le premier.
[Français]
M. Patry (Pierrefonds - Dollard): Merci beaucoup de votre présentation. Cela me rappelle un peu la présentation que j'ai eu le privilège d'entendre dimanche dernier dans la soirée. À Montréal, il y a actuellement un congrès international sur les CCS, les centres communautaires de santé, que l'on connaît au Québec sous le nom de CLSC. Il y a plus de 1 000 participants et 400 mémoires vont être distribués durant ces trois jours.
Le Dr Barbara Starfield de l'Université John Hopkins a fait une présentation un peu similaire à celle que vous avez faite. La différence, c'est qu'elle comparait les résultats du Canada avec ceux des autres membres des pays de l'OCDE. Si le Canada se classe bien pour ce qui est des enfants en très bas âge, de 0 à 1 an ou de 1 à 2 ans, ce n'est plus la même chose pour les 5 à 14 ans et les adolescents pour lesquels on est très loin, à la fin du peloton. On pourrait dire, en gros, que le Canada se place au cinquième rang à ce moment-là.
Personnellement, j'ai quelques questions à vous poser. La première concerne ce que vous dites dans votre livre sur la catégorie d'âge de 0 à 1 an. Vous parlez de conditions favorisant la création de liens d'attachement positifs entre la mère et l'enfant.
Pouvez-vous élaborer sur ces liens positifs et sur ce que ce comité peut faire pour essayer d'améliorer la situation des 0 à 1 an au point de vue des liens positifs entre la mère et l'enfant?
Dr Avard: Il y a plusieurs choses à faire. Il faudrait commencer dès le début de la grossesse, et même peut-être avant. C'est tout le côté préconception, le côté prénatal, car c'est une période d'attachement, une période pendant laquelle une personne peut accorder beaucoup plus d'importance à ses soins de santé. Nous nous attachons donc à améliorer les conditions physiques de la naissance, en essayant d'éliminer le tabagisme ou l'abus de drogues pour assurer une bonne et saine condition physique durant la grossesse.
Au moment de l'accouchement aussi, il y a beaucoup à faire pour promouvoir le lien mère-enfant, parents-enfant, et pour favoriser l'aspect familial de la naissance. Il faut aussi promouvoir l'allaitement maternel, parce qu'on sait qu'il est très important d'allaiter, d'un point de vue émotif. Ce sont des stratégies de prévention qui vont certainement contribuer à une amélioration des liens familiaux durant la petite enfance.
[Traduction]
Dr Chance: Il y a également d'autres mesures que nous-mêmes et certaines communautés poursuivons: il existe en effet dans certaines localités d'excellents programmes de développement des jeunes enfants. Ces programmes ne sont pour l'heure pas très bien financés, mais ils permettent à un certain nombre de femmes, surtout des femmes vivant dans des circonstances très difficiles, d'acquérir de l'estime de soi et de faire l'apprentissage de l'art d'être parent.
Ces programmes parents-enfants existent dans de nombreuses localités du pays, mais ils sont à l'heure actuelle menacés par les mesures que prennent les gouvernements provinciaux. Il s'agit de programmes très importants, et nous en avons à London. Ils donnent de très précieux résultats, et pour la mère ou la femme et pour l'enfant.
Pour l'apprentissage, la période comprise entre zéro et cinq ans - et je suis certain que d'autres intervenants vous en parleront - est critique. Négliger ces années d'apprentissage, confier les enfants à des services de garderie insatisfaisants où ils sont tout simplement installés devant la télévision...
Les enfants apprennent beaucoup de la télévision, dès l'âge de trois ans; il y en a des preuves solides.
Ces programmes visant à aider les mères et les pères à être de bons parents sont donc d'une importance critique.
[Français]
M. Patry: Dans la catégorie des 1 à 4 ans, on note une augmentation marquée de l'hospitalisation pour cause d'affections pulmonaires, cela depuis les 15 ou 20 dernières années. J'aimerais savoir si vous avez des données reliant la fumée secondaire à l'hospitalisation des enfants pour affections pulmonaires.
Dr Avard: Personnellement, je n'ai pas de chiffres, mais on peut sûrement faire une petite enquête et essayer de vous trouver cette information, si elle existe. Il y a certainement une corrélation, hypothèse que soutiennent de nombreux articles. Pour l'instant, je ne peux pas vous dire exactement de quelles études il s'agit, mais je pourrais certainement vous le dire plus tard.Dr Chance a peut-être des éléments à vous fournir.
[Traduction]
Dr Chance: Oui, l'on dispose de données qui montrent que la fumée secondaire et la fumée environnementale ont une influence certaine sur la santé de l'enfant.
Je ne pense pas que nous comprenions parfaitement toutes les raisons pour lesquelles on constate de nos jours une augmentation progressive de l'incidence d'asthme. Il faudrait faire des travaux de recherche pour comprendre pourquoi la hausse de l'augmentation du nombre d'asthmatiques est si rapide. Il nous faut examiner l'environnement, et c'est sans doute là que nous en trouverons les causes.
M. Hill (Macleod): Vous dites dans votre dépliant que l'Institut est sans but lucratif. Je vois que vous bénéficiez de financement en provenance de sociétés et de particuliers, mais afin de mieux comprendre comment vous fonctionnez, pourriez-vous me dire si vous recevez du financement gouvernemental?
Dr Avard: Non, nous ne recevons pas de subvention de soutien, si c'est ce que vous entendez par financement gouvernemental. Le financement que nous obtenons provient de diverses sources.
Nous vendons des publications. À la manière des petites entreprises, nous obtenons des revenus grâce à la vente de documents que nous produisons nous-mêmes. Nous exécutons par ailleurs des contrats. En effet, si certains projets cadrent avec notre mandat, nous soumissionnons pour obtenir le contrat. Nous organisons également une campagne de financement et nous avons des membres et pouvons également compter sur des bénévoles.
L'argent provient donc de ces cinq paniers.
M. Hill: Très bien. Une chose que j'ai appréciée dans votre programme est le fait que vous contrôlez les effets des choses que vous proposez. Vous parlez de vous pencher sur les résultats.
Dans votre exposé, il m'a semblé que vous disiez que certains pays font mieux que nous. Pourriez-vous me donner une idée des pays qui font selon vous mieux que le Canada?
Dr Chance: C'est le cas de certains pays européens. Je parlais surtout des services sociaux à l'appui des enfants.
On ne parle pas ici des taux de mortalité, bien que le Danemark, la France, la Finlande et le Japon enregistrent des taux de mortalité infantile inférieurs à celui du Canada. La mort est bien sûr une chose que l'on peut mesurer relativement à la santé. C'est une situation bizarre, mais il s'agit là de l'une des mesures.
Il y a d'autres façons de mesurer la santé, et lorsqu'on fait des comparaisons, l'on constate un certain nombre de différences. Ce que je voulais faire ressortir c'est que si l'on regarde l'économie canadienne et le revenu des familles dans le besoin, il ressort que le revenu de ces familles suit les vicissitudes de l'économie canadienne.
L'on pourrait, par exemple, se pencher sur le changement survenu entre 1990 et 1992 et qui a beaucoup modifié la situation économique des familles. Au Canada, en dollars réels, le revenu total des familles canadiennes a reculé de 2,4 p. 100. Lorsqu'on compare cela avec ce qui a été vécu au Royaume-Uni, en Suède, en France et en Belgique l'on constate que ces pays ont tout particulièrement protégé leurs enfants pendant que la situation économique s'aggravait. Au Royaume-Uni, par exemple, il y a eu sur ce plan une augmentation de 20 p. 100, alors que l'économie s'effondrait.
Peut-on prouver que cela amène des avantages sur le plan santé? On ne peut pas en fournir la preuve directe. Tout ce que l'on peut dire c'est que l'on sait, comme je vous l'ai déjà dit, que la pauvreté vient doubler l'incidence de certains problèmes de santé chez l'enfant. Nous ne pouvons cependant pas montrer un lien direct.
M. Hill: Il est donc difficile de prouver qu'il y a un lien direct.
Dr Chance: Une chose que je voudrais dire c'est que le profil que vous avez est un document tout à fait unique. Aucun autre pays n'a fait une étude comparable des données disponibles sur la santé de ses enfants. On nous a même demandé d'essayer de coordonner un effort semblable.
M. Hill: Vous avez commencé votre exposé en disant que la famille est très importante. Vous avez poursuivi en expliquant que les familles sont en train de lutter et qu'elles ont besoin - je vais essayer de faire de grosses catégories - de lois, de programmes, de recherche, et que ces choses-là sont sous-financées.
Si l'on revient à l'hypothèse voulant que la famille soit importante, quelles choses favorisez-vous et faites-vous pour renforcer la famille, par opposition à des programmes qui favorisent l'éclatement de la famille? Il s'agit davantage ici d'une question de philosophie.
Dr Chance: Si vous examinez de façon plus attentive la documentation que nous vous avons fournie, vous verrez que nous faisons un certain nombre de suggestions destinées à aider les familles. Les preuves de l'éclatement de la famille sont irréfutables.
Vous demandez ce qu'on peut faire pour leur venir en aide. Il s'agit surtout d'aider la mère et le père, la cellule familiale quelle qu'elle soit, les deux membres du couple et surtout les familles monoparentales à chef de famille féminin à surmonter les difficultés qui leur sont imposées par l'environnement économique actuel. Je vous ai déjà dit qu'une part importante des familles monoparentales vivent dans la pauvreté. En 1992, 91 p. 100 des femmes ayant des enfants vivaient dans la pauvreté. Il s'agit là d'une proportion énorme.
Si l'on prend ces familles et celles que j'ai mentionnées, 41 p. 100 des familles avec enfants dont les parents sont âgés de moins de 30 ans vivent dans la pauvreté. Un grand nombre de ces personnes ne sont pas des profiteurs du système de bien-être social. Trente-cinq p. 100 des ces familles comptent des membres qui ont fait des études collégiales ou universitaires. Ce n'est donc pas uniquement une question de niveau d'instruction. Pour ces familles, dans ce climat économique... il nous faut manifestement améliorer leurs perspectives d'emploi afin qu'elles aient les ressources économiques nécessaires pour élever leurs enfants dans des circonstances raisonnables.
Cela étant dit, il y a des mesures grâce auxquelles nous pourrions améliorer la disponibilité de travail et de temps, pour les femmes surtout. Les femmes, nous le reconnaissons tous, continuent de porter le plus gros fardeau dans la société en matière de soins à donner aux enfants. Les soins à donner aux parents - je veux parler ici de la génération intermédiaire, la génération sandwich - reviennent eux aussi aux femmes.
On peut trouver des moyens de les aider à améliorer leur capacité de s'occuper de leurs enfants. C'est surtout pendant les premières années d'une vie que cette aide est importante. Les soins qu'on donne alors aux enfants sont d'une importance primordiale. La capacité des femmes et d'ailleurs de tous les travailleurs de partager leur emploi, la capacité des gens de travailler à temps partiel tout en jouissant d'avantages sociaux, sont autant de facteurs qui amélioreront la capacité des gens de s'intégrer et de fonctionner à l'intérieur de leur famille.
Passons maintenant aux familles qui gagnent un revenu, et je vous ai déjà fourni des renseignements à leur sujet. Dans bien des cas, ces familles s'efforcent désespérément de se maintenir au- dessus du seuil de la pauvreté ou de donner à leurs enfants plus que ce qu'ils ont eu, ce qui est extrêmement difficile de nos jours. Nombreuses sont les familles qui n'ont pas de temps à passer en famille. Il faut que des mesures soient prises à l'intérieur de la société pour qu'il soit possible de passer du temps en famille.
M. Hill: Très bien. J'aimerais maintenant parler des nouveau- nés à faible poids de naissance. L'un de nos collègues va présenter un projet de loi d'intérêt privé visant à tenter de prévenir le syndrome d'alcoolisme foetal grâce à un étiquetage particulier des boissons alcoolisées. Pourriez-vous nous dire quelques mots là- dessus?
Dr Chance: Oui, bien sûr. Une bonne législation serait une législation qui appellerait les boissons alcoolisées «drogues dangereuses». Il faut contrer ce problème par le biais de la Loi sur les produits dangereux et non pas par celui d'un système qui considère les boissons alcoolisées... Ce que je dis est peut-être un petit peu extrême.
L'on peut tous voir les dommages que cause à la société la consommation de boissons alcoolisées, surtout lorsqu'on sait que dès l'âge de 13 ans de jeunes filles et garçons en consomment de façon régulière. Un grand nombre des accidents dont j'ai parlé relativement aux adolescents plus âgés sont imputables à la consommation de boissons alcoolisées.
En ce qui concerne le syndrome d'alcoolisme foetal en particulier, il est certain que les boissons alcoolisées sont dangereuses pour le foetus. Le syndrome lui-même n'est pas très courant dans la société. Il est difficile d'en chiffrer l'incidence, et cela varie beaucoup selon le milieu social dont on parle. Dans les communautés autochtones, l'incidence de ce syndrome est élevée. Il y affecte beaucoup plus d'enfants.
La vie de l'enfant atteint du syndrome d'alcoolisme foetal et celle de sa famille sont extrêmement difficiles. Les boissons alcoolisées sont très clairement des produits dangereux et j'appuierais le projet de loi d'intérêt privé disant qu'il s'agit d'une substance dangereuse pour le foetus et pour l'enfant.
Le président: Il ne nous reste plus de temps, mais je vais néanmoins autoriser trois brèves interventions. La parole sera d'abord à Hedy, qui sera suivie de Sharon, puis de Andy.
Mme Fry (Vancouver-Centre): J'aimerais tout d'abord m'excuser d'être arrivée en retard. Il y avait conflit d'horaire avec une autre réunion à laquelle je devais assister pour le caucus de la Colombie-Britannique.
Cela m'ennuie d'avoir manqué le gros de votre exposé, mais j'ai le texte de votre mémoire. J'aimerais vous féliciter pour le travail que vous avez fait. Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que les boissons alcoolisées devraient être déclarées drogues dangereuses. Je pense que c'est là la seule façon de régler le problème. Il n'existe pas de niveau de consommation d'alcool qui soit sans danger et cela devrait donc relever de la Loi sur les produits dangereux.
Je ne veux pas être facétieuse, mais j'aimerais me prononcer sur une question qui a été posée par mon collègue, le Dr Hill. Avez-vous des programmes qui contribuent à l'éclatement des familles?
Dr Avard: Si nous en avons, je n'ai pas très bien compris la réponse, ni le sens de la question. Si l'on parle programmes sociaux, si l'on parle lois appuyant une prestation pour enfant ou des allocations familiales ou autre, alors je ne pense pas que cela puisse amener l'éclatement des familles. C'est plutôt le contraire. Alors ma réponse serait non.
Mme Fry: Je tenais à éclaircir cela. Je voulais parler de la question du Dr Hill, que j'ai peut-être mal comprise. J'avais eu l'impression qu'il disait que vous avez des programmes qui contribuent à l'éclatement des familles. Ce que vous dites, c'est que vous avez des programmes qui reconnaissent la réalité, soit qu'un grand nombre des enfants à risque viennent de familles monoparentales pauvres où le chef de famille est la mère et qu'il faut tout faire pour leur venir en aide.
Dr Chance: Oui, en effet. Je n'avais pas très bien suivi la question moi non plus.
M. Hill: Je ne voudrais pas qu'elle soit attribuée à un tel raisonnement. Cela n'a rien à voir avec ce que j'avais en tête.
Mme Fry: Très bien. Merci.
Dr Chance: Une part importante des efforts déployés par l'Institut vise en fait à favoriser l'intégrité de la famille et tout particulièrement la relation mère-enfant.
Mme Fry: Quelle est, selon vous, la chose la plus importante que le comité puisse faire? Quelle est la recommandation la plus importante que nous puissions faire?
Dr Chance: J'ai recommandé qu'en tant que Canadiens, en tant que pays, nous aimions nos enfants. Et je ne parle pas ici de l'amour complet et de l'intérêt que nous portons à nos enfants. Je pense qu'il nous faut une véritable campagne pour ressusciter l'enfant et la famille, et je suis sérieux en disant cela.
Si nous pouvons réduire l'incidence de la conduite en état d'ébriété avec des campagnes publiques, il nous faut engager le public à reconnaître les difficultés que vivent tout particulièrement les enfants dans le climat économique actuel et compte tenu des changements très rapides qui s'opèrent, non seulement sur le plan économique mais également sur le plan émotif et psycho-émotif. Il nous faut reconnaître que les enfants souffrent dans tout cela.
Il nous faut réapprendre à aimer nos enfants. Je pense qu'une campagne à cet effet, appuyée sur des faits incontournables, ferait ressortir, comme nous le disons dans notre mémoire, la situation des enfants canadiens et de leur santé mentale. Je pense que nous verrions non seulement les familles s'en préoccuper - car les familles s'en préoccupent déjà - mais également les sociétés et les autres contribuables.
Mme Fry: J'aurais une dernière petite question à vous poser. Pensez-vous qu'il soit opportun d'énoncer des objectifs clairs sous la rubrique «Aimons nos enfants» ou «Apprécions l'enfant au sein de la société canadienne»?
Vous avez des chiffres selon lesquels il naît chaque année 22 000 enfants qui pèsent à la naissance moins de 2 500 grammes. Y aurait-il moyen de fixer des objectifs clairs et mesurables à atteindre d'ici l'an 2010, par exemple? Au lieu qu'il y ait cette année-là 22 000 nouveau-nés de faible poids à la naissance, l'on pourrait peut-être viser un total de 1 100 et énoncer une série de stratégies. Pensez-vous que ce soit une idée valable?
Dr Chance: Atteindre 1 100 - 11 000, ce n'est pas possible. D'autres pays enregistrent un taux d'insuffisance pondérale à la naissance de 4 p. 100, ou même moins encore. Ces pays ont pris des mesures précises - et celles-ci sont déjà en train d'être mises en oeuvre ici au Canada - visant à réduire l'incidence d'insuffisance de poids à la naissance. Ce qui a été proposé en Ontario, par exemple, c'est que l'on ramène à 4 p. 100 d'ici l'an 2000 le pourcentage de nouveau-nés de poids insuffisant à la naissance.
Vous parlez d'objectifs clés. Nous faisons un certain nombre de suggestions dans le profil de santé infantile.
Mme Hayes (Port Moody-Coquitlam): Pour enchaîner là-dessus, quel est le taux canadien actuel d'insuffisance pondérale à la naissance?
Dr Chance: Le chiffre le plus récent dont je dispose est 5,5 p. 100. C'est le pourcentage combiné garçons et filles. Le pourcentage est plus élevé pour les nouveau-nés du sexe masculin.
Mme Hayes: J'aimerais revenir sur une ou deux questions. Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que nos enfants ne sont en un sens pas suffisamment aimés. Cela est en partie imputable au stress que vivent les familles. Les gens n'ont pas le temps de véritablement chérir leurs enfants et, comme vous le disiez, il importe de s'attaquer à ce problème.
Votre solution à la pauvreté - et vous avez mis l'accent sur la pauvreté - est d'améliorer l'emploi des parents. Je pense pour ma part que les gens sont déjà obligés de travailler trop fort. Quarante-sept p. 100 des revenus des familles sont accaparés par l'impôt et les taxes.
Je regarde certaines des choses que vous proposez: campagne «Aimons nos enfants», système d'information sur les blessures subies par les enfants, fonds d'investissement social pour les enfants. Pourriez-vous nous dire combien d'argent est pris aux familles par opposition à l'argent qu'on leur laisse pour satisfaire leurs besoins?
Dr Chance: Vous avez raison de dire que l'on ponctionne des sommes excessives, surtout aux familles à faible revenu. Lorsqu'on est passé à trois catégories d'imposition par opposition à dix, ce n'était pas une bonne chose pour les familles. C'était une excellente chose pour les gens riches. Il s'agirait donc d'examiner la façon dont nous distribuons la richesse.
Vous avez souligné un aspect en particulier, soit l'amélioration des possibilités d'emploi pour les familles. Il ne s'agit pas de pousser davantage les familles, mais lorsqu'on constate que dans un groupe de la population les deux membres des familles bi-actives font chacun plus de 40 heures de travail par semaine, et qu'on sait que 41 p. 100 des gens vivent dans la pauvreté et que 65 p. 100 d'entre eux sont sans travail, alors il est clair qu'une redistribution du travail s'impose.
Mme Hayes: Oui, j'ai le sentiment que les familles sont comme des souris sur une roue qui tourne. Il leur faut courir de plus en plus vite. Il nous faut réparer la roue. Voilà ce que je pense. Au lieu qu'il y ait davantage d'emplois, on devrait peut-être prendre un petit peu de recul et voir si on ne pourrait pas modifier leur participation à la société, de sorte qu'elles n'aient pas à travailler dans cette sphère et qu'elles puissent chérir leurs enfants.
Mme Fry: Il vous faut de l'argent pour faire cela.
Dr Chance: Oui. Je pense qu'en essayant d'économiser du temps, on a peut-être...
Mme Hayes: Il vous faut laisser l'argent aux mains des familles. Puis-je revenir sur un autre...
Dr Chance: J'aimerais dire quelques mots au sujet du point que vous venez de soulever.
Le président: N'oublions pas le but de cet exercice, mesdames et messieurs. Sharon a la parole. Elle peut poser toutes les questions qu'elle veut. Les témoins peuvent répondre. Si vous avez des réponses, gardez-les pour le temps qui vous sera accordé.
Sharon.
Dr Chance: Je pourrais peut-être dire quelques mots au sujet de ce point. Dans l'intérêt du temps, nous avons bel et bien insisté sur un certain nombre de points très importants. Mais si vous lisez tout le texte, vous constaterez que nous ne recommandons pas du tout que la famille travaille plus fort: nous disons plutôt qu'il faudrait modifier la distribution du travail des familles.
Mme Hayes: En ce qui concerne votre organisation et son financement, pourriez-vous nous donner une idée du genre de contrats que vous obtenez et pour qui vous les exécutez? Je serais curieuse de savoir qui fait appel à vos services.
Dr Avard: Nous faisons du travail pour Santé Canada et Environnement Canada. La nature des contrats varie, mais notre travail porte surtout sur des sujets qui intéressent beaucoup la collectivité, soit l'insuffisance pondérale à la naissance, la santé mentale et le soutien à donner aux parents. Le programme «Y'a personne de parfait» est un exemple de programme mené par l'Institut sous contrat avec Santé Canada. Le programme d'aide aux parents durant la période postnatale est un programme qui offre du soutien aux mères. Le traitement abusif des enfants est un autre domaine dans lequel nous oeuvrons.
Mme Hayes: Vous serait-il possible de nous fournir une liste de certains des contrats que vous avez eus et avec qui?
Dr Avard: Nous pourrions vous envoyer notre rapport annuel.
Mme Hayes: Oui, cela m'intéresserait.
Dr Chance: Le gros de nos contrats ont été passés avec le ministère fédéral de la Santé. C'est de lui que proviennent nos principaux contrats.
Mme Hayes: Toutes les diapositives que vous nous avez montrées sont-elles tirées du livre?
Dr Chance: Non, pas toutes.
Mme Hayes: Serait-il possible pour nous d'en avoir une copie? Elles étaient très intéressantes.
Dr Chance: Nous pourrons certainement vous en envoyer copie. Certaines ont été tirées de documents divers, d'autres des Données de base sur la pauvreté au Canada publiées en 1994 par le Conseil canadien de développement social.
M. Scott (Fredericton-York-Sunbury): Il a été question d'un problème d'ordre médical qui ne semble pas suivre la tendance générale vers l'amélioration. Je veux parler ici de la santé respiratoire. Vous avez parlé d'asthme. Je serais curieux de savoir si vous avez des renseignements ou si vous avez fait des recherches sur la sensibilité aux produits chimiques et sur un lien possible entre les deux choses.
J'aurais deux ou trois observations à faire. Je vais peut-être vous les soumettre en série pour que vous réagissiez au tout.
Je tiens à vous féliciter pour ce que vous avez dit au sujet de la distribution du travail et de la limitation des heures supplémentaires. Je pense que le rapport Donner effectué par le ministère du Développement des ressources humaines ou le rapport commandé par le ministre ont abouti à la même conclusion, et j'espère qu'il nous sera un jour possible de donner le coup d'envoi aux objectifs esquissés dans le rapport. Je vous remercie d'avoir mentionné cela et je vous encourage à continuer de parler du problème.
Troisièmement, il a été question de l'adolescence, de l'isolement, de blessures auto-infligées et d'autres choses du genre. Je serais curieux de savoir de combien de renseignements on dispose sur les indicateurs urbains et ruraux dans ce domaine. Plus précisément, je me demande si les travaux de recherche effectués permettent de faire une distinction entre la situation dans les grands centres-villes et la situation dans les banlieues. Je serais curieux de savoir quelle incidence a sur votre sentiment d'isolement l'endroit où vous vivez.
Dr Chance: Je vous remercie d'avoir posé ces questions très précises. Pour ce qui est de l'augmentation de la sensibilité aux produits chimiques, nous n'avons pas de données là-dessus dans le profil et je n'en ai pas ici avec moi. Il en existe des données, mais je ne suis malheureusement pas néonatologiste de formation et je ne peux donc pas vous répondre de façon précise. Je peux cependant vous dire qu'il existe des données et que des travaux de recherche dans ce domaine sont en cours. Les pollens et les mites que l'on retrouve à l'intérieur des maisons sont d'importantes sources de phénomènes allergiques. Quant aux autres sources de sensibilité chimique que l'on retrouve dans notre environnement, il est beaucoup question des matières plastiques.
J'aimerais maintenant dire quelques mots au sujet de la limitation des heures supplémentaires. Les données font ressortir quelque chose d'étonnant: elles montrent que les gens font énormément d'heures - les employeurs encouragent les heures supplémentaires parce que c'est moins coûteux - mais en même temps, ces mêmes employeurs perdent 13 milliards de dollars par an au Canada, dont 30 p. 100 sont attribuables au stress familial. Selon le Conference Board of Canada, 30 p. 100 du temps ainsi perdu sont dus au stress vécu à l'intérieur des familles et coûtent au pays quelque 13 milliards de dollars par an.
En ce qui concerne les différences entre les adolescents en milieu rural et les adolescents en milieu urbain, nous ne disposons pas de données précises là-dessus. Il en existe. La pauvreté était autrefois un phénomène beaucoup plus courant dans les régions urbaines par opposition aux régions rurales, mais cela est en train de changer, et ce rapidement. Les enfants des régions rurales commencent à vivre exactement les mêmes problèmes que les enfants des villes, peut-être à cause, entre autres choses, du ramassage scolaire.
Dr Avard: Si vous me permettez d'ajouter quelque chose, c'est peut-être au sein des collectivités autochtones que le sentiment d'isolement et les autres phénomènes malheureux qu'on retrouve dans la vie rurale sont les plus évidents.
Le président: Il ne nous reste presque plus de temps. Nous aurions voulu passer beaucoup plus de temps avec vous, et nous espérons avoir l'occasion de discuter avec vous de nouveau une autre fois. Nous vous sommes reconnaissants pour le temps que vous avez pris et nous tenons à dire que nous apprécions beaucoup les recommandations que vous nous avez faites.
Merci encore docteur Chance, docteur Avard et madame Underwood d'être venus nous rencontrer.
Dr Chance: Merci, monsieur le président. Merci, mesdames et messieurs.
Le président: Étant donné le léger retard que nous accusons, nous allons tout de suite passer au témoin suivant. J'inviterai Professeur Keating à venir s'installer à la table dès qu'il sera prêt.
Bienvenue, donc, à l'Institut canadien des recherches avancées, aujourd'hui représenté par le Dr Dan Keating.
Nous sommes très heureux de vous accueillir parmi nous. J'imagine que vous avez une déclaration liminaire à nous faire et que vous comptez nous laisser du temps pour que nous puissions vous poser beaucoup de questions.
Professeur Dan Keating (directeur, Programme de développement de la personne, Institut canadien des recherches avancées): Je laisserai du temps pour les questions. J'aimerais faire quelques brèves observations et je me ferai ensuite un plaisir de discuter avec vous de toute question qui vous intéresse.
Je m'empresse de souligner que ma tâche a été légèrement facilitée par le premier exposé, qui a couvert beaucoup de terrain, que je peux ainsi considérer comme étant du domaine du connu, aux fins de la discussion.
Au sein de l'Institut canadien des recherches avancées, je suis directeur du Programme de développement de la personne. Nous nous intéressons donc aux questions et au cadre conceptuel qui nous aident à comprendre la nature du développement humain dans le monde contemporain et certains des enjeux qui en découlent. Ce qui nous occupe, bien sûr, le plus, c'est la recherche dans ce contexte.
Ce que j'aimerais faire, c'est vous entretenir un petit peu de ce que cette recherche nous dit au sujet de la santé et du développement humain. Je ferai ensuite un certain nombre d'observations générales sur des questions susceptibles de vous intéresser en vue de la poursuite d'une stratégie et qui pourraient vous aider dans votre analyse de certaines des questions sur lesquelles je vais me prononcer et dont il a déjà été question.
La première chose sur laquelle j'aimerais insister n'est certainement pas un nouvel élément de l'histoire, mais je tiens à y insister beaucoup. Le développement dans la petite enfance a une très forte incidence tant sur le stade de l'enfance que sur le stade de l'adolescence, et en fait sur le cycle de vie tout entier. Les profils de santé sont très clairement déterminés par une certaine gamme de choses qui surviennent dans les premiers stades de développement de l'enfant.
Je tiens à souligner que cela vaut pour les questions tant de comportement que de santé mentale, et dans ces domaines nombre des problèmes surviennent pendant l'enfance ou l'adolescence. Cela ressort davantage dans les résultats épidémiologiques que de santé physique, mais c'est tout de même clair dans le domaine de la santé physique. Les problèmes à long terme qui surviennent dans la première enfance et la façon dont ceux-ci sont réglés ont une incidence considérable sur le système immunitaire de l'intéressé et sur la façon dont il ou elle réagira aux défis côté santé que la vie lui imposera.
La deuxième chose que j'aimerais souligner est que cela a sans doute beaucoup à voir avec sa capacité d'adaptation. Cela a beaucoup à voir avec les genres de choses qui préparent les gens pour surmonter les stress de la vie de tous les jours, et l'on a beaucoup entendu parler du fait que les stress sont en train d'augmenter à certains égards.
Il nous faut non seulement nous adapter côté comportement, mais également côté psychoneuroimmunitaire, et il s'agit de savoir dans quelle mesure les gens sont préparés au stress et de quelle façon leur système physiologique y réagit.
Un certain nombre d'enquêtes, y compris des enquêtes relativement importantes menées au Québec par Richard Tremblay de l'Université de Montréal, et une étude sur la santé des enfants ontariens réalisée par Dan Offord, de l'Université McMaster, laissent entendre que nous ne faisons pas tout ce que nous devrions faire pour aider les jeunes enfants à acquérir des aptitudes à l'adaptation.
Pour compléter tout ce que vous avez entendu ce matin, j'ajouterai que les vastes changements socio-économiques que nous subissons en tant que société sont en train d'augmenter les stress que vivent les familles et sont peut-être responsables de certains des problèmes que nous constatons dans la période de la petite enfance.
Le comité ici réuni n'est pas l'endroit approprié pour examiner tout cela dans le détail, mais je tiens à souligner que ces changements structurels dans l'économie sont très vastes et très profonds. Il s'agit ici de changements technologiques et autres qui affectent toute la société. Nous ne comprenons pas toutes les ramifications de ces questions, et nous ne pouvons pas non plus prévoir toute l'incidence qu'elles auront sur les familles et, partant, sur les enfants.
Sans entrer dans les détails, si nous allons nous en occuper sur une période de temps relativement longue, il nous faut commencer à réfléchir à la façon de structurer un système qui puisse s'adapter aux changements au fur et à mesure de leur apparition. Nous ne sommes pas en mesure de dessiner ici un schéma directeur proposant la marche à suivre pour toutes ces questions. Il nous faut élaborer des systèmes qui soient adaptables, et je reviendrai là-dessus plus tard.
L'un des résultats des travaux de recherche qui ont fait l'objet de publications au cours de la dernière décennie et que j'aimerais souligner est qu'il y a un lien entre les expériences vécues dans la petite enfance et le développement et la santé pendant l'enfance, l'adolescence et jusque dans l'âge adulte. On commence à en comprendre beaucoup mieux les mécanismes, surtout du côté de la recherche en neuroscience et sur le développement du cerveau et le système neuroimmunitaire et sa réaction aux expériences qui interviennent tôt dans la vie. Les gens qui connaissent ces travaux savent que l'on parle aujourd'hui de «neurosculpture»: les expériences vécues par une personne créent au niveau neural des réseaux et des cheminements qui ont une incidence énorme sur sa santé.
L'une des raisons pour lesquelles il nous faut nous en occuper encore davantage - il est clair que ç'aurait dû être le cas depuis longtemps - est que l'on commence à comprendre jusqu'à quel point ces effets sont profonds et durables et qu'il est de plus en plus difficile de corriger la situation au fur et à mesure que le temps passe.
Vous avez sans doute vu certaines des publications qui font état de rapports coûts-avantages en ce qui concerne les interventions pendant la petite enfance. Je ne vais pas en traiter dans le détail, mais je tiens à souligner que nous devrions songer ici à deux types de rapports coûts-avantages. Celui dont on parle beaucoup, et c'est tout à fait mérité, est le rapport qui indique combien d'économies sur le plan des services subséquents qu'il n'y aura pas à fournir peuvent être réalisées grâce à une intervention précoce.
Diverses tentatives ont été faites pour chiffrer tout cela en dollars, mais je pense qu'il importe d'être prudent. Vous avez sans doute entendu parler de l'étude, réalisée dans le Michigan, qui prônait un investissement de 1 dollar pour économiser 7 dollars en interventions dans la première enfance pour les enfants à risque élevé. C'était le projet préscolaire Perry. Des économies ont pu être réalisées. La question n'est cependant pas de savoir si on a économisé ce qu'il fallait, ou moins ou plus. Il existe néanmoins certaines preuves que c'est un bon investissement.
L'autre aspect est l'aspect plus positif sur lequel on n'insiste selon moi pas suffisamment: lorsqu'on parle de nouvelles économies, il faut tenir compte du potentiel disponible au sein de la population. Le potentiel disponible en matière de capacités d'adaptation et de compétences, d'aptitudes à l'apprentissage et de santé aura ses racines dans le vécu des jeunes enfants, et les ramifications de leurs expériences se trouveront manifestées plus tard dans leur état de santé. Par conséquent, lorsqu'on parle rapports coûts-avantages, il faudrait songer non seulement aux économies que l'on pourra réaliser plus tard sur le plan services spéciaux, mais également à l'investissement qu'il faudra consentir en tant que société pour sauvegarder la santé, le bien-être et les capacités de la population.
Je tenais vraiment à souligner le rôle critique de la petite enfance. Je sais que ce n'est rien de nouveau, mais je pense que c'est très important.
La deuxième chose est qu'il ressort très clairement que la catégorie socio-économique des gens a une influence sur leur santé. Cela est très clair dès que l'on fait des comparaisons à l'échelle nationale: il y a un lien direct entre la santé et la classe sociale à laquelle on appartient. Il est également très clair que plus le facteur est élevé plus la santé générale de la population a tendance à être moins bonne, lorsqu'on fait des comparaisons entre pays membres de l'OCDE. De façon générale, donc, plus le coefficient du statut socio-économique est élevé, plus la santé générale de la population est faible. Cela laisse entendre que cela a également une très forte incidence sur les aptitudes d'adaptation. En d'autres termes, ces effets ne sont pas particuliers à une maladie ou à une blessure donnée. Ils se retrouvent partout et se ressemblent dans le cadre des différentes issues négatives sur le plan santé.
L'important ici, lorsqu'on examine le coefficient du statut socio-économique ou SSE, est que ses conséquences ne sont pas nécessairement attribuables à des facteurs précis, comme par exemple un style de vie particulier, même si cela peut jouer un rôle.
D'autre part, bien qu'il soit clair que la pauvreté a une incidence négative considérable sur la santé, comme on nous l'a expliqué ce matin, il ne s'agit pas de supposer que ce n'est l'effet que de la pauvreté. L'effet du facteur SSE sur la santé se retrouve partout dans la population. On ne parle pas tout simplement du bien-être général d'une classe pauvre comme s'il s'agissait d'un seuil; on parle en un sens de la population tout entière. On relève par exemple des problèmes dans des ménages bi- actifs où les deux adultes doivent faire énormément d'heures de travail pour maintenir leur niveau de vie, et même s'ils se situent dans la classe moyenne selon les normes en matière de SSE, leur rythme de vie peut néanmoins avoir une incidence négative sur leurs enfants.
Ce que je veux donc souligner ici c'est que l'on ne parle pas uniquement de l'incidence de la pauvreté lorsqu'on examine ces coefficients de classe sociale et leur effet sur la santé.
Troisièmement, lorsqu'on parle de questions de santé, il nous faut avoir une optique large, et il s'agit de voir quelles ressources sont disponibles pour protéger et promouvoir la santé de nos enfants. Lorsqu'on réfléchit à toutes ces questions, il nous faut avoir une vision large, et il s'agit de vérifier quelles ressources sont à la disposition du particulier, de la famille et de la communauté. C'est en améliorant chacune de ces catégories, et tout particulièrement en essayant de les améliorer en tant que groupe, que l'on aura les meilleures chances d'avoir une incidence positive sur la santé de nos enfants dans l'immédiat, et plus tard. Ce qu'il faut, ce sont des circonstances saines pour les développement de l'individu, surtout dans la petite enfance, afin que chacun possède les aptitudes d'adaptation nécessaires pour surmonter les différentes sources de stress qui jalonneront son parcours dans la vie.
Pour ce qui est des ressources familiales, ce qu'il faut à la famille c'est un accès assuré à des services de garderie de qualité élevée. Que ces services soient assurés à la maison ou à l'extérieur du foyer, la disponibilité de services de garde d'enfants au moyen de toute une variété de mécanismes qui donnent aux familles un certain choix dans ce domaine est un élément extrêmement important.
Autre facteur important, la disponibilité pour la famille des ressources dont elle a besoin. Le fait qu'il y ait apparemment eu une redistribution des richesses entre générations au détriment des familles ayant de jeunes enfants est troublant, et il conviendrait que l'on s'y penche. Si l'on redistribue la richesse au détriment des familles ayant de jeunes enfants, c'est inquiétant si nous avons une perspective longitudinale de la santé humaine.
J'aimerais maintenant dire quelques mots au sujet de ce que nous pourrions faire en matière de ressources communautaires. Je pense qu'on en sous-estime le potentiel. C'est souvent vers la communauté que la famille doit se tourner pour compléter les ressources dont elle a besoin pour assurer un développement sain. Je veux parler ici et des systèmes formels de prestation de services sociaux et des systèmes informels de soutien par la famille élargie, les voisins, le quartier, etc.
L'une des choses les plus importantes qu'il faut avoir à l'esprit dans ce contexte est que lorsqu'on demande ce qui arrive aux enfants caractérisés par des facteurs de risque élevé - n'y a- t-il plus rien, est-ce que tout est fini si on ne s'occupe pas d'eux dès leur plus tendre enfance?... Ce n'est certainement pas le cas. Bien qu'il soit difficile de résoudre des problèmes qui ont été créés tôt dans la vie, il y a quantité de preuves que l'on peut surmonter les difficultés. Lorsqu'on se penche sur le cas des enfants qui s'en tirent, contre toutes les attentes, l'un des facteurs quasi-universels que l'on retrouve est qu'un facteur tampon est assuré soit par la famille élargie soit par la communauté. Ce facteur tampon est assuré par des adultes qui sont suffisamment près de l'enfant pour l'appuyer et pour lui donner le genre de soutien nécessaire pour compenser certaines des lacunes qui ont peut-être marqué son début de vie.
Si le soutien vient pendant la première période, on a de meilleures chances de réussir, et ici l'on recourrait à des programmes de visites à domicile ou à des programmes visant l'établissement de réseaux de soutien social local pour les mères célibataires, par exemple. Du travail expérimental très intéressant a été fait dans ce domaine et différentes personnes ont demandé s'il ne serait pas possible de créer des réseaux de soutien social entre mères vivant dans des circonstances semblables et pouvant s'entraider et s'épauler mutuellement.
Il y a donc quantité de choses qu'il nous faudrait envisager ici, mais c'est du côté de la communauté qu'il conviendrait de se pencher plus avant, surtout lorsqu'on regarde autour de nous et que l'on constate les différents facteurs qui viennent éroder le tissu communautaire et social.
Permettez-moi maintenant, à partir de cette toile de fond, de vous entretenir brièvement d'un certain nombre de stratégies ou de solutions que nous pourrions envisager. Elles n'ont pas encore la forme de politiques précises, mais il s'agit néanmoins de propositions d'ordre général auxquelles nous pourrions réfléchir.
Tout d'abord, l'organisation d'initiatives communautaires. En réaction aux différents défis dont on parle ici, défis provenant des profonds changements structurels qui s'opèrent dans notre économie et dans notre société... les collectivités de partout au pays y réagissent. Au début du mois, il y a eu une conférence à Winnipeg à laquelle 24 collectivités de partout au pays se sont retrouvées pour discuter des genres de choses qu'elles font et des solutions novatrices qu'elles tentent d'apporter à toute une gamme de problèmes.
Il a été intéressant de voir jusqu'à quel point ces solutions communautaires locales étaient créatives, novatrices et diverses, et également de voir jusqu'à quel point les participants étaient convaincus de l'intérêt d'apprendre ce qui se passait ailleurs, dans des collectivités autres que la leur. Même si les communautés locales font preuve d'énormément d'innovation et de créativité, les pratiques qu'elles adoptent ne sont pas très largement diffusées au pays.
Les participants à cette conférence étaient convaincus de la nécessité de disposer d'un mécanisme leur permettant de communiquer entre eux, de tirer des leçons de l'expérience des autres et de faire des innovations en collaboration les uns avec les autres. L'une des questions qu'il faudrait explorer est celle de la façon de créer un réseau tel que les gens dans ces collectivités n'aient pas à attendre qu'on leur dise d'en haut comment aborder ces différentes questions, mais qu'ils puissent discuter entre eux au moyen de réseaux horizontaux de communication, de collaboration et d'innovation.
Lorsqu'on parle de ces changements socio-économiques d'envergure, l'on songe surtout aux innovations technologiques que l'on perçoit comme étant le moteur du changement, et c'est certainement le cas dans l'économie, mais l'histoire montre qu'il y a une boucle directe de rétroaction à l'innovation sociale. L'innovation sociale et l'innovation technologique sont dans une boucle de rétroaction dynamique. Il nous faut prêter attention à notre capacité d'innover sur le plan technologique en même temps que nous nous efforçons de construire une société et une économie fortes. Ce dont je vous ai parlé est un exemple d'une innovation fascinante. Ces gens-là ont besoin de soutien - mais pas forcément sous forme de soutien direct, même s'ils en ont besoin aussi. L'une des choses qu'il leur faut, c'est la possibilité de se consacrer à leurs propres orientations novatrices.
Deuxièmement, en plus de notre capacité de contrôler notre performance en matière de santé et de bien-être des enfants au niveau national, il nous faut avoir un système de cueillette de données et de contrôle de l'information qui communique des renseignements aux collectivités au niveau local afin qu'elles puissent savoir comment elles se débrouillent comparativement à des collectivités semblables, ainsi que dans le temps.
Lorsqu'on regarde la boucle de rétroaction que nous avons pour les systèmes d'information dans l'économie et que l'on constate à quel point les systèmes sont sophistiqués, nos lacunes en matière de systèmes d'information dans le domaine de la santé et du développement humain sont encore plus criantes. L'on peut commencer à réfléchir à la façon de construire des systèmes d'information qui fournissent aux collectivités des renseignements utiles sur leurs résultats. L'enquête longitudinale nationale sur les enfants serait peut-être une base à partir de laquelle faire une partie de ce travail.
Enfin, on parle beaucoup de collaboration intersectorielle et de la nécessité d'assurer aux enfants au niveau local des services intégrés. Je pense qu'il importe de renforcer cela. Mais il faut en tout cas l'appuyer. Dans la mesure où il existe des barrières que nous pouvons supprimer, il nous faut nous y consacrer. En passant, la collaboration intersectorielle est beaucoup plus facile au niveau local et communautaire qu'au niveau gouvernemental. Je pense qu'il nous faut trouver les moyens de doter les collectivités de la capacité de faire du travail d'innovation efficace.
À cet égard, lorsqu'on examine la gamme générale des choses que nous pourrions faire, qu'il s'agisse de démarrer au niveau intervention, de prévoir des programmes de prévention, de promotion de la santé ou encore universels, il nous faut être sensibles au rapport coûts-avantages. Je pense qu'il est assez clair que c'est du côté intervention en cas de crise que les coûts sont les plus élevés et les résultats obtenus les plus limités.
D'aucuns diraient qu'au niveau services universels, nous obtenons en un sens l'inverse. Le taux de rendement sur l'investissement est beaucoup plus élevé lorsqu'on crée des programmes qui sont disponibles sur une plus grande échelle. Cela cadre par ailleurs assez bien avec la notion que la santé des enfants n'est pas uniquement une question de pauvreté; c'est une question qui se pose de plus en plus dans toutes les couches de la société.
Je pense que je vais m'arrêter là. Ce que j'aimerais faire, essentiellement, c'est parler de certains des cadres conceptuels qu'il nous faut garder à l'esprit en examinant cette question, puis discuter de certaines des initiatives stratégiques plus générales que l'on voudra peut-être avoir à l'esprit dans notre examen des questions qui contribuent au problème. Nous pourrons peut-être alors nous pencher sur certains éléments de solution.
Le président: Sharon, puis Hedy.
Mme Hayes: Merci, monsieur le président.
J'ai beaucoup aimé votre exposé, qui offre une perspective différente sur les choses. J'aurais quelques questions à vous poser et je tâcherai d'être brève.
Vous avez mentionné les stress qui résultent des changements structurels économiques et le fait qu'il nous faille nous y adapter. Lorsqu'on examine la question de notre situation économique et de la façon dont on s'occupe des besoins sociaux du pays, il est clair qu'au cours des 20 à 25 dernières années il y a eu une tendance vers l'élaboration, le soutien et le financement de programmes sociaux à l'intérieur des programmes gouvernementaux. Notre dossier en matière de santé familiale a donc 25 ans.
Prenons un repère. Il y aura sans doute des changements dans d'autres directions par suite de phénomènes économiques et financiers. Je pense que c'est de cela que vous vouliez parler. Auriez-vous une comparaison? Il me semble qu'il y a 25 ans, les familles et les communautés étaient plus directement responsables de leur propre bien-être. L'on compte maintenant davantage sur les programmes gouvernementaux.
S'il nous faut faire demi-tour, pourriez-vous nous dire comment se portait la santé familiale il y a 25 ans par rapport à aujourd'hui ou à il y a deux ans ou je ne sais trop quand? À quoi reviendrait-on? Ma question est-elle claire?
Professeur Keating: Je pense comprendre la question. L'une des choses que nous n'avons pas c'est un excellent système de dossiers qui nous permette de cerner ces questions, en ce qui concerne surtout les intérêts côté santé de l'enfant et les ramifications sur l'état de santé de l'enfant plus tard, dans sa vie adulte.
Une chose qu'il nous faudrait absolument avoir c'est une base de données longitudinale. Or, nous n'en avons pas, et nous ne sommes pas seuls dans ce cas. Nous sommes d'ailleurs l'un des premiers pays à avoir entrepris de faire faire une enquête longitudinale à l'échelle nationale.
La raison est qu'il n'y a pas forcément un lien direct entre le stress subi par la famille ou son bien-être et la santé de l'enfant. Cela est dû au fait que les familles et les communautés sont très créatives dans leur capacité de réagir aux différents stress qui surviennent.
Il est très difficile d'établir un lien direct entre un programme social donné, mettons, et les résultats pour la santé de l'enfant. En fait, avec les systèmes de données dont nous disposons à l'heure actuelle, il est presque impossible d'établir de tels liens car nous ne connaissons pas les conséquences longitudinales des changements survenus.
Je pense qu'il nous incombe d'obtenir ces renseignements. Au fur et à mesure que nous faisons ces expériences - que nous le choisissions ou non - il nous faut connaître les différentes incidences.
Encore autre chose au sujet de cette question. Fraser Mustard et moi-même avons utilisé cette expression nombre de fois: expériences en civilisation.
Nous sommes engagés dans une expérience en civilisation. La réalité est qu'elle n'a pas été planifiée. Personne ne l'organise. Les changements dont nous parlons sont très vastes et très profonds. Ils supposent des changements dans les attitudes, les valeurs culturelles, les marchés du travail, la nature de l'économie et l'incidence de la technologie sur l'économie.
Toutes ces choses sont vastes et complexes et débordent des frontières du Canada. Il s'agit sur bien des plans de processus mondiaux.
Je pense que ce que je veux souligner c'est que ces changements s'opèrent de façon très rapide et très imprévisible. Si nous voulons protéger nos enfants des conséquences négatives de ces changements, et nous savons que dès qu'il y a des changements importants, les groupes vulnérables de la société sont exposés à des risques, il nous faut disposer de moyens, pour surveiller ce qui se passe et permettre des réactions créatives aux événements, au niveau communautaire idéalement.
Je pense qu'il serait très difficile de lier des changements dans des programmes précis à des changements précis dans le stress familial à des conséquences précises sur le plan santé des enfants, car il y a quantité d'autres facteurs qui interviennent à l'intérieur de ce très vaste système dynamique. Mais nous serions en mesure de cerner un certain nombre de ces choses si nous surveillions comme il se doit les conséquences longitudinales des expériences vécues dans la petite enfance pour la santé de l'individu plus tard.
Mme Hayes: Très bien. On aura peut-être de meilleures chances d'obtenir des réponses maintenant que nous disposons de données issues d'une étude longitudinale et...
Professeur Keating: Je pense que nous pourrons au moins poser certaines des questions intéressantes.
Mme Hayes: Bien.
Voici encore une autre question. Vous avez parlé du statut socio-économique. Vous avez dit que tout ne devrait pas être forcément rattaché à la pauvreté. Il y a d'autres éléments, c'est plus vaste que cela. Cela vise différentes catégories économiques, et autres. A-t-on fait des études, par exemple, sur les effets sur la santé ou sur le bien-être des familles entre les familles à deux revenus et les familles à un seul revenu?
Professeur Keating: Vous pourriez peut-être m'expliquer un petit mieux ce que vous visez avec votre question, car je ne suis pas très sûr. Il y a bien sûr un rapport entre le revenu et la santé. Vous demandez s'il y a une différence selon qu'il s'agit d'une famille à deux revenus ou à un revenu. Faites-vous la distinction à ce niveau-là?
Mme Hayes: Oui. Vous avez dit ne pas pouvoir attribuer la différence au seul facteur de la pauvreté, mais vous avez mentionné que certaines familles bi-actives peuvent sombrer dans d'autres catégories. Vous constatez au sein de la famille bi-active certains des mêmes effets. J'essaie de dégager tout cela pour voir si la situation est aussi grave lorsqu'une famille bi-active vit de ce fait beaucoup de stress.
Professeur Keating: Je vois.
Mme Hayes: Si les deux parents travaillent 40 heures par semaine, par exemple. A-t-on fait des comparaisons entre les familles où un parent reste à la maison et...
Professeur Keating: Pour ce qui est d'un rapport direct SSE-santé, à ma connaissance, il n'y a pas eu d'étude du genre. Ce que je veux dire par là c'est qu'aux fins de la compilation de données nationales sur la santé et le niveau économique, l'on utilise surtout le revenu des ménages, et il n'y a pas de ventilation selon le type de ménage.
D'un autre côté, l'on sait que les familles à un seul revenu ont tendance à se retrouver de toute façon au bas de l'échelle. En effet, les familles à un seul revenu vont se retrouver empilées vers le bas plutôt que vers le milieu. Partant de là, il y a lieu de supposer que le fait de disposer de plus de revenus offre certains avantages, même si cela signifie que les deux parents travaillent. L'on s'attendrait à ce qu'un foyer où les deux parents travaillent soit un petit peu plus à l'aise.
D'un autre côté, les données dont vous avez entendu parler ce matin et d'autres font ressortir ceci: le nombre d'heures que les parents passent à l'extérieur de la maison pour leur travail ou pour leurs études a une forte incidence, surtout lorsqu'il s'agit de familles qui ont de jeunes enfants. Nous savons qu'il y a eu sur ce plan une augmentation considérable au cours des 20 dernières années. Le nombre d'heures que les parents ayant de jeunes enfants passent à l'extérieur du foyer pour leur travail et(ou) leurs études a définitivement augmenté au fil du temps.
Les données dont je parle ici refléteront peut-être cela ultérieurement. L'on parle de cadres temporels à l'intérieur desquels le fait d'aller du passé à l'avenir fait toute une différence. Il est certain que les familles bi-actives subissent des stress considérables du fait du peu de temps et du peu de ressources psychologiques et d'encadrement dont elles disposent. Nous ne savons pas encore quels en seront les résultats longitudinaux pour leurs enfants, au fur et à mesure que ceux-ci grandissent et connaissent différents problèmes de santé.
Mme Hayes: Pour revenir sur certaines des statistiques que vous avez données, quelque 90 p. 100 des familles à un seul revenu vivent sur le seuil de la pauvreté.
Professeur Keating: Oui, j'ai entendu cela ce matin. Je savais que c'était élevé, mais je ne pensais pas que c'était aussi élevé que cela.
Mme Hayes: Cela va venir modifier les attitudes concernant la santé des familles à un seul revenu, car un grand nombre de ces familles vivent dans la pauvreté et en subissent les conséquences stressantes que l'on sait.
Pouvez-vous mettre à part la catégorie des foyers où il y a deux parents mais qui choisissent de n'en avoir qu'un seul? Ce type de famille est sans doute quelque chose... Ne conviendriez-vous pas que ce serait une comparaison intéressante, pour ce qui est de la santé?
Professeur Keating: Je pense que ce serait en effet une comparaison intéressante. J'intégrerais à la comparaison la disponibilité dans la communauté de services de soins de rechange de qualité élevée, car cela ferait toute une différence. Dans la mesure où des services de rechange de qualité élevée sont disponibles, cela limiterait les problèmes, mais nous ne disposons pas, que je sache, d'études suffisamment détaillées qui permettent de faire ce genre de ventilation.
Mais si nous allons nous pencher sur le mélange qui s'opère à l'intérieur de ces familles, je pense qu'il nous faut tenir compte des ressources familiales. Et dans le contexte de ce que vous recommandez, il nous faut considérer les ressources familiales comme étant plus que tout simplement les ressources financières. Il existe toutes sortes de ressources familiales auxquelles les gens peuvent faire appel. Je pense qu'il nous faut examiner les différentes façons dont différentes familles dans différentes communautés tentent de contrer les stress qu'elles subissent.
Le président: Il ne nous reste presque plus de temps.
Hedy.
Mme Fry: Je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre excellente présentation. Je suis heureuse que vous ayez défini la santé comme étant plus que ce qui figure dans la définition donnée par l'Organisation mondiale de la santé, qui résume cela au bien- être mental, physique et social. Je suis heureuse que vous ayez défini cela comme étant la capacité de composer avec le stress, de s'adapter, car je pense que c'est là une bien meilleure définition. Je pense qu'il est question ici de la capacité de l'individu et, bien sûr, de la population en général, de résister.
Je voulais vous poser une question. Vous avez parlé de la qualité des services de garderie disponibles. Je pense vous avoir entendu dire que la pauvreté est sans doute le plus important facteur déterminant de la santé.
D'autres facteurs interviennent également. Celui que vous avez classé au premier rang est, bien sûr, la pauvreté. L'impact qu'auront d'autres facteurs dépend de la façon dont vous les envisagez.
Ma question est la suivante. Vous avez parlé des services de garde d'enfants, et tout le monde en parle. Ce qui me préoccupe, c'est que personne ne parle du développement de l'enfant comme faisant partie des services de garderie et de soins.
Un grand nombre de parents qui travaillent peuvent faire appel à des services de garderie. Dans certains cas, la personne n'est peut-être là que pour veiller à ce que l'enfant soit nourri, ne tombe pas dans l'escalier, ne se brûle pas, etc. Mais on ne parle jamais du développement de l'enfant. Pourriez-vous nous dire quelques mots au sujet de la garde d'enfants et du développement de l'enfant comme étant un seul et même élément?
Professeur Keating: Avec plaisir. Je pense qu'il faut réfléchir ici à ce que j'appellerais un système de garde d'enfants ou un système de développement de l'enfant.
C'est ce que nous avons. En tant que société, nous avons mis au point toute une gamme de mécanismes pour nous occuper des besoins et de l'encadrement de nos jeunes enfants. Il y a différentes façons de faire. Différentes sociétés font différentes choses, et ce depuis toujours. Il existe de nombreuses façons de procéder.
Nous sommes très au courant des besoins de l'enfant en matière de développement. La recherche scientifique est venue valider beaucoup de choses que nous savions déjà, et nous avons une très bonne idée de ce dont a besoin l'enfant qui se développe sur le plan capacité d'adaptation, bonne santé plus tard, etc.
Si l'on envisage cela comme un système de développement de l'enfant, si vous voulez, le système de la société pour résoudre ces questions, comment pouvons-nous parvenir au mélange optimal qui assure aux jeunes enfants ce dont ils ont besoin pour bien se développer? Il me semble que lorsqu'on envisage la question sous cet angle, l'on commence à réfléchir aux innovations sociales importantes qu'il faudrait pour que cela s'accomplisse dans le cadre de circonstances sociales et économiques nouvelles. Nombre des choses sur lesquelles nous avons compté, pour une raison ou une autre, ne sont plus là, et beaucoup de choses continuent de changer.
Par exemple, on a parlé de collaboration intersectorielle. Les rapports entre, mettons, la santé et le système éducatif sont très intéressants. L'on pourrait songer à reconfigurer les écoles pour en faire des centres de développement de l'enfance où serait abordée toute la gamme des facteurs qui ont une incidence sur le développement de l'enfant.
En ce qui concerne ce genre de collaboration intersectorielle et de reconfiguration de la prestation de services - qui devait selon nous au départ satisfaire un ensemble de besoins bien précis - concevons un système de prestation qui serve chacun de ces besoins particuliers.
Les preuves dont on dispose et l'histoire laissent entendre que cela vient se confronter à des problèmes. Il existe quantité de problèmes bureaucratiques. Les gens qui travaillent dans les tranchées sont vite confrontés à des problèmes lorsqu'ils tentent d'obtenir pour les gens les ressources dont ils ont besoin.
Il nous faut donc commencer à réfléchir à un système de garderie ou de développement de l'enfant qui tienne compte des besoins fondamentaux en vue du développement d'enfants en santé, et à la façon de procéder.
Ce genre de système pourrait prendre différentes formes dans différentes localités. Ce ne serait sans doute pas la même chose à North Bay et à Montréal. Il nous faut réfléchir à la façon dont les choses vont véritablement se passer dans les différentes circonstances qui se présenteront.
Je suis donc d'accord avec vous lorsque vous dites qu'il nous faut réfléchir à un système plus vaste. Nous sommes très au courant des besoins. Nous devons réfléchir à la façon de reconfigurer nos institutions sociales afin d'être en mesure d'offrir les choses qui satisferont les différents besoins et d'habiliter les communautés et les familles pour que celles-ci s'en chargent.
Mme Fry: Pourrais-je poser une deuxième petite question?
Le président: Rapidement, oui.
Mme Fry: L'on dispose à l'heure actuelle de quantité de preuves que les familles avec enfants souffrent davantage sur le plan socio-économique. Même les familles de classe moyenne avec enfants souffrent plus que les familles de classe moyenne sans enfant.
Dans l'optique d'une société qui accorde de la valeur à l'enfant, pensez-vous qu'il vaille la peine de discuter de ce qui pourrait être fait pour obtenir des familles sans enfant qu'elles appuient l'enfant, un point c'est tout, sans que ce soit l'enfant d'un tel ou d'une telle... tout simplement l'enfant en tant que potentiel pour le Canada de demain? Y voyez-vous un quelconque mérite?
Professeur Keating: J'y vois un énorme mérite. Vous venez de mettre le doigt sur l'une des questions les plus difficiles auxquelles nous nous trouvons confrontés en tant que société: celle de savoir comment faire pour que la satisfaction de ces besoins fondamentaux en vue du développement de l'enfant soit perçue comme une responsabilité de la société et de la communauté plutôt que comme la responsabilité exclusive des familles qui ont fait des enfants.
Au Canada, nous avons une histoire de perspective de collaboration de ce genre, mais je pense qu'avec l'évolution des circonstances, il nous faut trouver le moyen de renouveler cet engagement.
Je serais tout à fait en faveur d'une campagne axée sur le besoin d'aimer et d'encadrer nos enfants. Il serait bon que cela soit appuyé d'une façon ou d'une autre, de sorte que quelle que soit la politique sociale concernée, que cela soit fait par le secteur public par l'intermédiaire du gouvernement ou par le secteur privé par l'intermédiaire de sociétés...
Peut-être qu'il faudrait qu'il y ait quelqu'un dont le rôle soit d'examiner l'incidence de cette politique, de cette activité, sur les enfants, ceux de nos employés, de la collectivité, de la province et du pays.
L'une des choses que nous pourrions peut-être faire pour lui donner du poids, serait d'établir un mécanisme formel en vertu duquel examiner les décisions prises dans le domaine social, que ce soit par le secteur privé ou par le secteur public, du point de vue de leur incidence sur les enfants, car autrement, on aura tendance à ignorer ce côté des choses.
C'est peut-être le propre de la nature humaine qu'on s'occupe de soi et que les enfants n'aient pas vraiment voix au chapitre. Il faudra peut-être, pour régler le problème, faire en sorte que les enfants se fassent davantage entendre et soient mieux représentés.
Mme Fry: Merci.
Le président: Il reste encore un autre intervenant. Je vais lui donner la parole dans un instant. Je lui demanderais d'être très bref, car nous voulons nous occuper ce matin du rapport de deux sous-comités, sans quoi il nous faudra prévoir à cet effet une réunion spéciale.
Grant, pourriez-vous donc être bref?
M. Hill: Hedy a dit que dans votre exposé vous avez déclaré que la pauvreté était le plus important déterminant de la santé. Est-ce bien cela que vous avez dit?
Professeur Keating: Je n'ai pas dit que la pauvreté était le plus important déterminant de la santé. Je ne vous contredirais pas si vous déclariez qu'elle est très haut sur la liste.
Je pense qu'il est difficile d'attribuer un poids précis à différents facteurs. Il s'agit, certes, d'un facteur important. Mais il y en a d'autres encore.
M. Hill: Autre chose encore. Pourrait-on nous fournir un exemplaire de votre rapport annuel, afin que nous sachions d'où proviennent vos fonds et quels genres de personnes vous employez?
Je demanderais d'ailleurs que ce soit la norme. Lorsque des groupes comparaissent devant nous, nous devrions être en mesure d'en faire une évaluation, et le rapport annuel ferait bien l'affaire. Il suffirait qu'il soit déposé auprès du greffier.
Une voix: Bien sûr.
M. Hill: Je ne compte pas demander cela à chaque groupe qui vient nous rencontrer, mais je le ferai, si l'on ne dispose pas de ces renseignements.
Professeur Keating: Pour votre gouverne, il s'agit d'un mélange d'aide financière privée, fédérale et provinciale, par l'intermédiaire de l'ICRA, l'Institut canadien des recherches avancées.
L'ICRA redistribue l'argent et offre des bourses à des chercheurs pour que ceux-ci poursuivent leurs travaux de recherche et participent à des réseaux de recherche. L'Institut ne finance en fait pas directement la recherche.
M. Hill: Ce document pourrait-il nous être fourni?
Professeur Keating: Oui.
Le président: Merci, professeur Keating, pour votre excellent exposé. Je suis certain que nous aurons de nouveau l'occasion de faire appel à vous.
Professeur Keating: J'envisage cela avec plaisir.
Le président: Chers collègues, un autre comité arrive ici à 11 heures, alors je vous demanderais de ne pas vous éparpiller dans la nature. Nous avons besoin de tout le monde pour avoir le quorum et nous n'allons prendre que 30 secondes pour faire la transition, car il nous faudra siéger à huis clos.
[La séance se poursuit à huis clos]