[Enregistrement électronique]
Le mercredi 22 novembre 1995
[Traduction]
La présidente: Je déclare ouverte la séance du Sous-comité des droits de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.
Je tiens à tous vous remercier d'être venus aujourd'hui. Notre comité est assez nouveau et il a donc besoin d'aide et de suggestions pour décider de ce qu'il fera au cours de la nouvelle année.
Nous accueillons aujourd'hui, en tant que témoins, M. Allan McChesney, du Réseau des organismes concernés par les droits de la personne au niveau international, M. Roger Clark, d'Amnistie Internationale, M. Gerald McKenzie, de la Ligue des droits et libertés, et Mme Daisy Francis, du Conseil canadien des Églises.
Si vous avez des exposés à faire, nous préférerions que vous les fassiez dès maintenant et que vous vous limitiez à cinq ou à dix minutes peut-être, étant donné que nous devons avoir libéré la salle à 17 h 30.
Qui veut commencer?
Mme Daisy Francis (membre, Conseil des droits de la personne, Conseil canadien des Églises): Si ces messieurs n'y voient pas d'objection, j'aimerais être la première, car je suis en train de perdre la voix.
Madame la présidente, je commencerai par faire certaines déclarations préliminaires, essentiellement pour faire connaître mon organisme au comité.
Je suis heureuse de constater que M. Flis est présent. J'ai déjà témoigné devant lui lorsqu'il faisait partie d'un comité itinérant qui examinait la politique étrangère du Canada.
Si je puis, j'aimerais aussi vous faire une brève historique des Églises et de leur engagement dans le domaine des droits de la personne, ainsi que vous dire pourquoi nous nous réjouissons de pouvoir contribuer à nouveau aux travaux d'un comité revigoré.
Comme bon nombre d'entre vous le savent, le Conseil canadien des Églises coopère depuis fort longtemps avec les autres Églises du Canada et avec d'autres partenaires dans le monde. Ce partenariat international avec des organismes d'Église et avec ceux qui côtoient les marginalisés de la société, soit les pauvres, les démunis, souvent des femmes, des paysans et des Autochtones, nous a donné une compréhension intuitive de la question et a façonné notre façon de voir les choses.
Il y a 50 ans, juste après la Seconde Guerre mondiale, des membres du Conseil canadien des Églises ont en fait contribué tant à la création de la future ONU qu'à l'élaboration de nombreux documents importants qui en résulteraient. Nous sommes particulièrement fiers du rôle que nous avons joué dans l'élaboration de la Déclaration universelle des droits de l'homme dont, malheureusement, M. John Humphrey ne pourra s'enorgueillir avec nous aujourd'hui.
Les Églises et les organisations membres ont aussi participé à tous les examens parlementaires canadiens destinés à élaborer et à articuler la politique étrangère du Canada. En fait, durant le plus récent exercice, le Conseil canadien des Églises a présenté un document oecuménique, intitulé La paix dans la justice dans une communauté mondiale, sur les relations internationales du Canada. Ce document a reçu l'appui général de ce que nous appelons les grandes Églises membres du Conseil canadien.
Sur un autre plan, certaines de nos organisations membres - nous en comptons plusieurs et je n'essaierai pas de vous décrire l'organigramme plutôt complexe de nos Églises. Cependant, des organismes comme celui pour lequel je travaille, soit le Comité de travail CANADA-ASIE, ont aussi présenté à divers comités des observations sur l'orientation que devrait prendre, à notre avis, la politique étrangère du Canada.
Les Églises estiment que le Parlement a un rôle très central à jouer dans la promotion et la protection des droits de la personne. En ce qui concerne les droits de la personne justement et compte tenu du thème étudié aujourd'hui, nous aimerions que la politique canadienne en matière de droits de la personne soit globale, cohérente et constante.
Lorsque nous affirmons vouloir une politique globale, nous entendons par là qu'elle devrait refléter et inclure tous les droits de la personne, non seulement les droits civils et politiques qui ont, par le passé, été le principal objet de l'activité du ministère des Affaires étrangères dans ce domaine. Nous espérons aussi que le comité embrassera et adoptera les cinq catégories de droits établies dans ce qu'on appelle la Charte universelle des droits.
Lorsque nous parlons de cohérence, nous voulons aussi dire que le respect des droits de la personne doit être intégré à tous les éléments de la politique étrangère, qu'il s'agisse d'aide, de commerce, de relations bilatérales ou d'exportations militaires, lorsqu'il y a lieu, et que ce principe doit être appliqué avec constance. En somme, l'application de la politique doit être uniforme.
Mettons de côté mes fonctions au Conseil canadien des Églises pour un instant et passons à mon travail relatif à l'Asie. Que faut-il entendre par «constance»? Nous aimerions que la politique en matière de droits de la personne soit normalisée, que les critères que nous appliquons à un pays comme la Birmanie, qui n'a pas une importance particulièrement cruciale dans notre sphère d'activité, s'appliquent aussi à un pays comme l'Indonésie, un de nos principaux partenaires commerciaux.
En termes concrets, cela signifie que nous aimerions voir le comité se concentrer sur le fait que nous en sommes au stade où nous passons de l'établissement de normes à l'échelle internationale, domaine dans lequel le Canada excelle, à la mise en oeuvre de ces normes, terrain souvent beaucoup plus difficile, afin de voir comment on peut rendre possible le respect de ces normes internationales. Dans le cas présent, en tant qu'Églises, nous croyons que les organismes non gouvernementaux et les Églises disposent de nombreux moyens, grâce à leur expérience et aux liens qui les unissent à leurs partenaires.
D'autres questions qui pourraient être utilement ajoutées au programme des organismes non gouvernementaux comprennent, par exemple, le rôle des intervenants non étatiques lorsqu'il y a violation des droits de la personne. Qu'entendons-nous par intervenant non étatique? Le terme désigne les organismes multilatéraux sur lesquels on n'a pas droit de regard particulier. Il y a aussi le rôle du secteur commercial.
Les États interviennent de moins en moins lorsque des droits de la personne sont bafoués. L'examen de questions comme la dette, les ajustements structuraux, etc., nous a révélé qu'il existe toute une branche des relations internationales qui n'est pas réglementée - elle ne fait l'objet d'aucun examen et, en toute franchise, ne s'embarrasse pas beaucoup de grands principes.
À ce stade-ci, nous aimerions également vous louer le travail effectué par deux services du gouvernement dont la création représente, pour nous, une victoire durement acquise: le service des droits de la personne du ministère des Affaires étrangères et le service d'élaboration de la politique en matière des droits de la personne de l'ACDI. Encore une fois, nous avons découvert que ce n'est pas tant l'élaboration des normes qui pose problème que l'idée de les intégrer dans la politique - tous conviennent de leur importance, cependant - et de les appliquer.
Enfin, à cet égard, nous estimons qu'il sera très important que le comité insiste vivement auprès du Parlement pour lui faire comprendre qu'il est absolument nécessaire d'affecter des ressources, tant au sein de la fonction publique canadienne qu'à l'ONU, à la promotion et à la protection des droits de la personne, réaffirmées comme objectifs élémentaires de la politique étrangère du Canada.
Je vous remercie.
La présidente: Monsieur McKenzie, la parole est à vous.
[Français]
M. Gerald McKenzie (Ligue des droits et libertés): Nous vous remercions de nous avoir invités. La Ligue des droits et libertés existe depuis plus de 30 ans et fonde son intervention, au Québec et au Canada, sur la Déclaration universelle des droits, sur les traités ainsi que sur les chartes.
Nous sommes membres affiliés de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme. Sur les questions internationales, nous avons mené notre action à l'intérieur de la Fédération et aussi en collaboration avec plusieurs organisations au Québec et au Canada, en participant à des missions d'observation et en intervenant tant auprès du gouvernement canadien qu'auprès des instances internationales pour faire connaître notre point de vue.
Depuis une vingtaine d'années, nous avons accompli des missions en Afrique, en Europe, en Amérique latine plus particulièrement et aussi au Moyen-Orient. Nous avons une vision généraliste des questions de droit, car je dois vous dire, d'entrée de jeu, que la Ligue des droits et libertés est un organisme bénévole. Notre personnel est presque inexistant. Il n'y a que deux ou trois personnes qui travaillent à temps plein. Je suis moi-même bénévole.
Les commentaires que j'aimerais faire devant le comité proviennent de notre expérience. Nous n'avons pas de documents à vous soumettre aujourd'hui, car nous ne disposons pas de groupe de travail pour les préparer. Quant aux idées que nous allons vous soumettre, il m'est avis qu'elles vont ressembler beaucoup à ce que vous allez entendre aujourd'hui.
En pensant au sous-comité, la première réflexion qui me vient à l'esprit est la suivante: si la question des droits de la personne a été confiée à un sous-comité plutôt qu'à un comité mixte comme c'était le cas auparavant, demeure-t-elle aussi importante que le commerce, par exemple?
Je dois admettre que cela m'inquiète un peu. Par contre, je me suis dit qu'un sous-comité pouvait peut-être se concentrer davantage sur la question et porter à l'attention du Parlement des considérations importantes. En fait, ce qui m'inquiète, c'est que le sous-comité ne soit qu'un comité secondaire et que les droits de la personne ne soient plus the cornerstone de la politique étrangère canadienne.
Sur la question de la politique canadienne, nous avons été un peu déçus de l'évolution qu'on semble vouloir lui faire suivre. On avait promis de ne pas dissocier les droits de la personne du commerce, notamment dans le Livre rouge du Parti libéral, comme certaines déclarations de ministres en font foi:
[Traduction]
- Les droits de la personne demeurent un champ crucial de préoccupation et d'action
internationale pour les Canadiens.
- Pour que notre politique en matière de droits de la personne soit efficace, il faut que nous
fassions appel à tous les moyens d'influence dont nous disposons, ainsi qu'aux diverses formes
de sanction à notre portée.
Or, j'ai l'impression qu'on a reculé.
La Ligue et toutes les organisations avec lesquelles nous travaillons sont d'avis qu'il faudra reprendre le travail pour essayer de rendre la politique canadienne, comme disait notre ami, compréhensible, cohérente et aussi consistante, afin que le commerce, le développement économique et les droits de la personne soient sur un pied d'égalité. J'imagine que le sous-comité pourra travailler dans ce sens-là.
Une des grandes questions qui nous préoccupent est la domination du commerce. On a l'impression qu'il y a une nouvelle idéologie qui s'étend à l'échelle mondiale et qui semble être acceptée comme du cash - si vous me passez l'expression - par plusieurs leaders canadiens, à savoir qu'il appartient au marché de dominer et de régir les sociétés et ce, sans direction politique.
Cela nous inquiète vraiment. S'il est vrai que la libéralisation des échanges peut contribuer au développement économique et social, elle doit toutefois être assortie de garanties d'équité, de justice et de respect des droits de la personne, et elle doit répondre aux impératifs des droits de la personne.
Je pense que les questions politiques et les questions des communautés doivent régir en dernière instance l'économie. Est-ce que, par exemple, les compagnies ont un code d'éthique? Si elles en ont un, il n'est pas sûr qu'il soit appliqué. On n'a qu'à penser à Nike et Levi's qui ont parrainé la campagne de Développement et Paix et qui ont tenu à recourir à des vérificateurs indépendants pour voir si les codes d'éthique avaient été suivis. Il y a peut-être des progrès à faire dans ce sens-là.
Parmi les autres grandes questions qui nous préoccupent, il y a celle de la réforme de l'ONU. Or, en attendant que cette réforme soit terminée, il faut absolument que le droit de veto ne soit pas applicable dans les cas de violation massive des droits de la personne et de génocide.
Quant aux autres grandes questions, mentionnons: l'impunité dans plusieurs pays - il faut travailler à l'instauration d'un tribunal pénal international - ; l'armement, la paix et les droits de la personne; les droits socioéconomiques et culturels, question qui est toujours reléguée au second plan et qui doit être prise en considération par le sous-comité; le droit des femmes - le texte qui émane de la conférence de Beijing est assez intéressant et le Canada devrait en tenir compte.
En tant que militants de la ligue, nous sommes très préoccupés par la protection des militants des droits de la personne et nous pensons que le Canada a un rôle à jouer aux Nations unies à l'heure actuelle dans la démarche entreprise pour rédiger un texte qui garantirait justement cette protection.
Évidemment, il y a plusieurs régions qui nous préoccupent, que ce soit en Asie, en Afrique ou en Amérique centrale. Ce sont toutes des questions particulières, mais qui devront tout de même être examinées.
Cela clôt les premières remarques que je voulais faire au sous-comité. J'aimerais toutefois ajouter qu'il est important que perdure la transparence de la politique canadienne, c'est-à-dire que continuent les consultations entre le comité, les instances politiques canadiennes et les ONG de droit et de coopération au Canada, pour qu'on puisse, d'une part, vous critiquer et, d'autre part, connaître les initiatives prises par le Canada. En effet, à l'heure actuelle, il n'est pas facile pour les organisations comme la nôtre et d'autres organisations de savoir ce que fait le Canada dans ce domaine. Ce qu'on voit dans les journaux nous inquiète un peu. On a l'impression que tout ce qui compte se résume au commerce, à l'argent et aux politiques économiques internationales qui ne sont pas fondées sur les droits de la personne.
Il y a d'autres questions sur lesquelles il sera possible de revenir tout à l'heure. Je vais donc m'arrêter ici pour laisser la parole à mes amis qui ont sûrement d'autres choses à dire. Merci.
[Traduction]
La présidente: Je vous remercie, M. McKenzie.
Nous entendrons maintenant M. Roger Clark, d'Amnistie Internationale.
M. Roger Clark (secrétaire général, Amnistie Internationale): Je vous remercie, madame la présidente, de l'invitation à témoigner devant le sous-comité. Ce n'est pas la première fois qu'Amnistie se présente devant de tels comités et nous nous réjouissons donc de pouvoir amorcer ce qui s'avérera, je l'espère, un dialogue constant.
J'aimerais faire un exposé en trois parties, chacune d'entre elles étant très brève: tout d'abord, je vous toucherai quelques mots d'Amnistie Internationale et je la situerai dans le contexte général; ensuite, il sera question de nos relations soutenues avec le gouvernement du Canada; enfin, j'aborderai la question de la politique étrangère et des points qu'à notre avis, le sous-comité devrait examiner et la façon dont le sous-comité pourrait s'y prendre pour dissiper certaines de nos craintes.
Je ne vous donnerai pas trop de détails au sujet d'Amnistie Internationale. Je sais que le comité connaît bien l'organisme, mais j'aimerais souligner quelques points au sujet de qui nous sommes. Tout d'abord, notre organisme est international. Les points que nous faisons valoir lors d'exposés comme celui d'aujourd'hui débordent du contexte canadien. Nous comptons des membres et des militants dans 150 pays du monde et, de plus en plus, notre organisme acquiert un caractère très représentatif et vraiment international.
Simultanément, nous représentons un mouvement militant de la base. Nous devons notre existence en grande partie au travail qui se fait au niveau local. C'est pourquoi nous essayons d'entretenir avec les députés et d'autres personnes de ce niveau des relations qui nous permettront de réaliser nos objectifs.
Le troisième point que je veux souligner dans ce contexte, ce sont les sources d'information et les documents que nous pouvons fournir. Je sais que vos recherchistes ont accès aux documents d'Amnistie internationale, et nous sommes heureux de vous les fournir très rapidement. Sans vouloir me vanter, je puis dire que nous avons la meilleure capacité de recherche de tous les organismes non gouvernementaux. Nous comptons 200 recherchistes qui, de Londres, travaillent à temps plein à des questions de droits de la personne dans tous les pays du monde, sans exception. Cette information peut vous être fournie sur demande ou de manière permanente, comme vous le désirez. Cependant, j'estime que l'information que nous fournissons est à la fois indépendante et crédible et qu'elle peut faciliter le processus d'examen et les délibérations du sous-comité, lorsqu'il y a lieu.
En ce qui concerne les relations que nous entretenons avec le gouvernement du Canada - encore une fois, j'aimerais souligner notre volonté et notre capacité d'engagement dans différentes sphères d'activité, y compris, un peu plus récemment, dans l'élaboration de la politique étrangère et dans les travaux des sous-comités, et ainsi de suite, de même qu'aux réunions officielles qui ont lieu à divers moments de l'année. Ainsi, en janvier et en février, les organismes non gouvernementaux se réunissent toujours pour tenir des discussions multilatérales et des consultations avec les représentants du gouvernement en prévision de la session annuelle de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies qui a lieu un peu plus tard dans l'année. Nous accordons une importance considérable à ce processus et constatons de plus en plus que les travaux que nous menons de concert avec d'autres organismes non gouvernementaux, y compris avec le Réseau qui témoigne ici aujourd'hui et dont nous sommes membres, que ces échanges et ce dialogue doivent jouir de l'appui des décideurs et des dirigeants gouvernementaux et que ceux-ci doivent y porter attention.
Naturellement, nous avons toujours des rencontres officieuses avec des parlementaires et avec des fonctionnaires. Comme Daisy Francis, j'aimerais, moi aussi, souligner l'excellence de nos relations de travail avec la division des droits de la personne du ministère des Affaires étrangères et avec d'autres divisions du gouvernement qui s'intéressent aux droits de la personne, particulièrement les liens que nous entretenons avec les ministères de la Justice et de l'Immigration, entre autres.
Pour ce qui est de la politique étrangère du Canada, nous aussi avons été préoccupés par le débat actuel qui entoure la relation entre le commerce et le respect des droits de la personne et nous y avons contribué. Bien sûr, ce débat a été provoqué en grande partie par la situation en Chine, mais aussi en Indonésie, et cette question - qui n'est pas encore réglée - caractérise maintenant les discussions concernant la politique étrangère du Canada.
Parallèlement, dans le contexte de la politique étrangère du Canada, nous estimons que le Canada pourrait avoir énormément de poids, jouer un rôle central sur la scène internationale, un rôle qu'il n'assume pas aussi pleinement, pour l'instant, qu'il le pourrait. Lors de mes voyages ailleurs dans le monde, on me rappelle constamment la haute estime dans laquelle on tient le Canada pour sa position dans de nombreux dossiers - même si l'on est pas toujours d'accord avec celle-ci. Cependant, le Canada pourrait tirer davantage profit de cette estime.
Nous demandons en fait, je suppose, que le comité fasse partie d'un processus qui permettrait au Canada d'avoir plus de voix au chapitre, de se faire entendre plus clairement sur la scène internationale. La diplomatie en coulisses, bien qu'elle ait son utilité, se solde parfois par un échec retentissant, ainsi que l'ont fait ressortir, bien sûr, les événements survenus récemment au Nigéria et leurs terribles conséquences.
Le Canada dispose de nombreux moyens d'exercer son influence. Il participe probablement à plus d'organismes internationaux que tout autre pays (le Commonwealth, la Francophonie, ainsi que tous les organismes européens comme l'OSCE, l'OEA, et ainsi de suite). Je ne les énumérerai pas tous. Je tiens simplement à dire qu'il faut profiter au maximum de toutes ces possibilités. Encore une fois, il faut que le Canada se fasse entendre.
Je m'associe aux deux témoins qui m'ont précédé pour souligner le besoin non seulement de cohérence de notre politique, mais aussi de constance - je fais certes écho aux commentaires de Daisy Francis à ce chapitre - et de transparence.
Le mot «transparence» revêt une importance particulière pour les travaux du sous-comité. Très souvent, ce sont les audiences publiques qui donnent au processus sa transparence. Elle offrent aux dirigeants, aux diplomates, aux organismes non gouvernementaux, etc., l'occasion de débattre de certaines questions qui, autrement, ne seraient pas discutées publiquement.
En ce qui concerne le genre de travaux que devrait effectuer le comité, sans vouloir lui dicter sa conduite, je crois qu'une insistance sur les différents pays a clairement sa place dans ses travaux. Par là j'entends que, lorsque des événements surviennent dans le monde, il importe beaucoup, parfois, que le Canada pèse bien la position qu'il adoptera.
Je ne parle pas uniquement de réagir aux événements. Il importe aussi d'avoir des échanges proactifs. De la sorte, plutôt que de simplement réagir à une crise, le Canada est perçu, en fait, comme faisant partie du processus qui permettra d'éviter certaines des catastrophes qui semblent nous entourer. Le Rwanda et le Burundi me viennent à l'esprit. Bien que les discussions au niveau du sous-comité puissent ne pas sembler faire avancer beaucoup les dossiers, elles jouent un rôle dans l'énoncé d'une politique étrangère plus forte à l'égard de tels pays et peut ouvrir la voie à de meilleures réactions internationales.
Je ne voudrais pas, non plus, oublier la discussion thématique des droits de la personne. On a déjà mentionné des questions issues de la Conférence des femmes à Beijing et, antérieurement, de la Conférence de Vienne sur les droits internationaux de la personne. Le sous-comité pourrait discuter de la position du Canada en ce qui concerne la ratification de documents internationaux en matière de droits de la personne.
À titre d'exemple, je mentionnerai simplement la Convention américaine sur les droits de l'homme et la convention interaméricaine visant à prévenir et à punir les actes de torture, deux documents que n'a jamais ratifiés le Canada, même s'il est maintenant membre depuis plusieurs années de l'OEA. Je sais tout des complications qu'une telle ratification cause au sein d'un régime fédéral-provincial, mais il est tout de même scandaleux que le Canada n'ait pas encore ratifié ces documents.
On a mentionné le Code pénal international, autre document au sujet duquel le grand public n'est peut-être pas bien informé et auquel le Canada a fait largement place, à bon droit, dans sa politique étrangère. Par conséquent, le sous-comité peut faire progresser ces dossiers et, donc, jouer un plus grand rôle.
Dernier point - je termine là-dessus - , j'aimerais parler de visibilité et de l'obligation de rendre compte, deux questions qui sont liées à la transparence. Depuis de nombreuses années, nous disons au gouvernement du Canada qu'elles sont les clés qui feront en sorte que les droits de la personne occuperont la place qui leur revient comme pilier de la politique étrangère. Il faut qu'il y ait visibilité et reddition de comptes. Les travaux du sous-comité représentent l'occasion rêvée d'imposer l'obligation de rendre des comptes. Je vous remercie.
La présidente: C'est moi qui vous remercie.
Monsieur McChesney.
M. Allan McChesney (membre du comité exécutif, Réseau des organismes concernés par les droits de la personne au niveau international): Bonjour. Permettez-moi de me présenter: Allan McChesney, du Réseau des organismes concernés par les droits de la personne au niveau international. Je fais aussi partie du comité exécutif de la section canadienne de la Commission internationale de juristes. Il s'agit du groupe de juges et d'avocats qui prône le respect de la règle du droit et des droits de la personne.
Depuis presque une décennie déjà, le Réseau sert de tribune aux organismes non gouvernementaux et à d'autres pour promouvoir et défendre la protection des droits de la personne au niveau international. Vous avez devant vous certains documents qui expliquent les activités et les priorités du Réseau. Celui-ci fait des exposés devant des comités parlementaires depuis 1987.
C'est surtout par l'entremise du Réseau que les ONG participent à la consultation annuelle avec les fonctionnaires du service extérieur du Canada, qui précède la réunion annuelle de la Commission des Nations Unies sur les droits de l'homme.
Récemment, le Réseau a également établi des mécanismes de consultation visant l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ainsi que le Commonwealth
[Français]
et la Francophonie.
[Traduction]
Nous entretenons de bonnes relations avec le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ainsi qu'avec l'ACDI, tout comme l'ont mentionné les intervenants qui m'ont précédé.
Le Réseau est un organisme-cadre. D'ailleurs, tous les groupes et organismes qui ont envoyé des témoins comparaître ici aujourd'hui sont membres du Réseau.
Compte tenu des échanges de longue date qui existent entre le Réseau et les parlementaires, je suis très heureux de m'adresser à vous aujourd'hui.
Voici quelques-uns des aspects de la politique étrangère qui recueillent un large consensus parmi les organismes non gouvernementaux canadiens.
La protection et l'amélioration des droits de la personne est une valeur canadienne fondamentale qui doit être un objectif central de la politique étrangère du Canada. Les obligations du Canada à cet égard englobent autant les droits économiques, sociaux et culturels que les droits civils et politiques. La promotion de ces deux catégories de droits doit être considérée comme un moyen et une fin pour assurer un développement durable et souhaitable.
Bien qu'il faille respecter les traditions et la souveraineté des autres pays, les normes internationales en matière de droits de la personne sont universelles. On peut associer la promotion et la protection des droits de la personne aux considérations commerciales, mais il pourra parfois être justifié d'accorder la priorité aux droits de la personne. Les questions des droits de la personne sont déjà liées de façon inextricable au commerce international, aux transactions des institutions financières internationales et à la responsabilité environnementale. Le Canada doit s'assurer que tous les éléments de la politique étrangère et des échanges internationaux tiennent compte des droits de la personne et, bien sûr, le Réseau s'associe, en tant que membre de la Commission internationale des juristes, aux déclarations faites précédemment sur la concordance, la transparence et la cohérence.
J'aimerais ajouter qu'en 1990 le premier sous-comité sur les droits de la personne de la Chambre des communes a produit un rapport dans lequel il demandait au gouvernement canadien d'observer ces principes ainsi que le principe de la responsabilité dont a parlé l'intervenant qui m'a précédé.
Un des objectifs permanents des organismes non gouvernementaux est de veiller à ce que des comités spéciaux comme celui-ci concentrent leurs travaux sur les droits de la personne sur la scène internationale.
Pour reprendre ce que Roger Clark a déclaré, les ONG encouragent vivement les efforts constructifs déployés pour empêcher que la situation des droits de la personne ne dégénère dans des endroits comme le Rwanda et le Burundi. Nous appuyons entre autres l'aide technique que le Canada apporte pour assurer le respect de la démocratie, notamment au moment de la tenue d'élections. Nous approuvons également la création de commissions des droits de la personne et de bureaux de protection du citoyen chargés de lutter contre l'attitude arbitraire et la discrimination des gouvernements de divers pays. Ces mesures visent à s'attaquer aux problèmes en ce domaine avant qu'ils ne s'amplifient et engendrent la violence.
Nous pensons également que le Canada doit appuyer les initiatives des Nations Unies, de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et d'autres organismes multilatéraux en vue de protéger les défenseurs des droits de la personne. Par défenseurs des droits de la personne, nous désignons les membres ordinaires d'Amnistie internationale et d'autres groupes, ceux qui font connaître les droits de la personne et les avocats qui les représentent quand ils se retrouvent en difficulté pour avoir essayé de faire valoir leurs droits.
La protection des droits de la personne englobe également la défense de la démocratie de participation et des droits civils. Il faut le souligner dans la politique étrangère. Dans les autres pays, tous les groupes de la société doivent pouvoir participer à la vie politique et à la vie économique pour rendre les sociétés plus justes.
Nous avons déjà dit que la concordance était nécessaire. Il faut s'assurer que des représentants du gouvernement canadien ne se portent pas à la défense des droits de la personne et de la démocratie pendant que d'autres font la promotion de politiques d'investissement et de crédit, par exemple, qui empêchent les gouvernements du Sud de respecter leurs promesses en matière de droits de la personne.
Nous pensons également que le registre des votes de ceux qui représentent le Canada à la Banque mondiale et à d'autres institutions financières internationales devrait être assujetti à l'examen public. C'est un aspect de la transparence et de la responsabilité. Les institutions financières internationales devraient tenir grandement compte de la situation des droits de la personne dans l'établissement des politiques de crédit et l'octroi des prêts.
J'aimerais attirer rapidement votre attention sur un des documents du Réseau qui vous a été distribué, à savoir la résolution adoptée à son assemblée générale du 19 mai 1995. Vous pouvez constater, au septième paragraphe, que nous demandons au gouvernement canadien de se prononcer publiquement et clairement sur les violations des droits de la personne, indépendamment de ses intérêts économiques, et de réaffirmer l'importance qu'il attache à la promotion et à la protection de tous les droits de la personne.
Nos membres s'intéressent entre autres au tribunal pénal international et aux mesures prises en vue de son établissement, aux droits des femmes dont on a discuté à Pékin, aux réfugiés, aux personnes déplacées à l'intérieur des pays, aux droits des peuples autochtones ainsi qu'aux problèmes existant dans beaucoup d'autres pays précis. J'espère que ces sujets seront abordés dans les questions qui suivront.
Je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de témoigner devant vous.
La présidente: Je vous remercie tous de vos déclarations.
J'aimerais prendre quelques instants pour répondre à titre personnel à ce qui préoccupeM. McKenzie.
Étant donné que les Affaires étrangères et le commerce international font partie du même ministère et qu'il n'y avait qu'un seul comité s'occupant de ces questions, nous entendions surtout des témoignages sur le commerce. On discutait évidemment des droits de la personne, mais certains d'entre nous trouvaient que ce sujet était négligé par rapport à d'autres et parce que la population s'intéresse surtout à la situation économique actuelle du Canada. C'est pourquoi nous avons demandé au ministre de former un sous-comité précisément pour mettre en évidence la question des droits de la personne et non pour y accorder moins d'importance.
Les séances préliminaires que nous tenons actuellement vont nous permettre de consulter des spécialistes dans le domaine pour savoir comment orienter nos travaux. Nous prenons donc bonne note du scepticisme et des critiques que vous avez tous exprimés. Grâce à vos conseils, nos travaux ne piétineront pas mais s'orienteront dans la bonne direction.
Monsieur Morrison, voulez-vous commencer?
M. Morrison (Swift Current - Maple Creek - Assiniboia): Je vous remercie, madame la présidente.
Je voulais demander à Mme Francis ce qu'elle entendait par les droits de la personne autres que les droits civils et politiques, mais je pense que M. McChesney a peut-être répondu à ma question quand il a parlé des droits économiques, sociaux et culturels, n'est-ce pas?
Je suis peut-être lent à comprendre, mais j'aimerais que vous m'expliquiez votre définition des droits économiques, sociaux et culturels?
Mme Francis: Ce n'est pas seulement ma définition. Elle est tirée de deux pactes internationaux qui font partie de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Ces deux pactes, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ont été produits en même temps et précisent ce que sont les droits pour les Nations Unies. Il s'agit de droits que nous tenons pour acquis, comme la liberté de réunion, la liberté d'association, la liberté syndicale, la liberté...
M. Morrison: Ce sont des droits civils, madame.
Mme Francis: Vous les trouvez également aux articles 7 et 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
M. Morrison: Veuillez poursuivre. Je m'excuse de vous avoir interrompue.
Mme Francis: Il y est aussi question du droit à un niveau de vie suffisant, du droit à un logement adéquat, du droit à un salaire équitable. Les Canadiens jouissent de ces droits, sans nécessairement savoir qu'il s'agit de droits économiques et sociaux - pensons aux dispositions sur la sécurité sociale, à celles qui interdisent de faire travailler des enfants au-dessous d'un certain âge ou à celles qui reconnaissent le droit de conserver sa culture et sa langue. Le Pacte comprend divers articles et définit une quinzaine de droits.
M. Morrison: Dans votre exposé, madame Francis, vous avez aussi parlé d'organismes qui violent les droits de la personne et qui ne sont pas des gouvernements. Je me demande si vous ne pourriez pas apporter quelques précisions là-dessus.
Mme Francis: Nous avons signalé, je pense, au comité auparavant responsable de cette question que les institutions financières internationales nous préoccupaient beaucoup. En gros, nous avions parlé à l'époque, au sujet des réformes entreprises par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international que nous approuvions, d'un de leurs nouveaux programmes qui avait une incidence sur la capacité des pays du Sud de respecter les droits fondamentaux, qu'ils s'agissent des droits civils et politiques ou des droits économiques, sociaux et culturels. En outre, une partie de notre...
M. Morrison: Parlez-vous de la restructuration économique comme condition à l'octroi d'un prêt? Est-ce bien ce que vous voulez dire?
Mme Francis: Les programmes d'ajustement structurels établis par ces institutions minaient de bien des façons... Pour réduire l'endettement, on exigeait de comprimer les dépenses sociales, celles-là même qui garantissent des aspects aussi fondamentaux que l'éducation, l'hygiène et le logement. Entre assurer ces services et payer leurs dettes, les pays devaient souvent choisir de payer leurs dettes.
M. Morrison: Je vous remercie.
La présidente: Monsieur Flis.
M. Flis (Parkdale - High Park): Je vous remercie, madame la présidente d'avoir expliqué pourquoi notre sous-comité a été formé. Le comité principal des Affaires étrangères et du commerce international reçoit tellement de témoins que le comité n'a pas le temps de discuter des droits de la personne. Je pense qu'il était sage de créer ce sous-comité pour que nous nous penchions sur des questions comme celles que nous examinons cet après-midi.
Nous cherchons une orientation. Comment continuer de promouvoir notre commerce tout en veillant à ce que le respect des droits de la personne reste l'un des fondements de nos affaires étrangères? À mon avis, nous montrons que nous voulons maintenir notre réputation de défenseur des droits de la personne dans le monde.
Le secrétaire général des Nations Unies, M. Boutros Boutros- Ghali est de passage à Ottawa. C'est d'ailleurs pourquoi certains d'entre nous sont en retard. Il a encore félicité le Canada de ses réalisations dans le domaine des droits de la personne.
L'un d'entre vous a opposé la diplomatie tranquille à une approche internationale plus énergique. Ce débat n'est pas nouveau parce que certains d'entre vous ont participé aux discussions que nous avons eues sur le même sujet il y a dix ou quinze ans.
Mais prenons l'exemple du Nigéria, à propos duquel les pays du Commonwealth se sont, je pense, exprimés très vigoureusement sans que cela n'ait aucun impact. Je pense que c'est vous,M. Clark, qui avez indiqué que la diplomatie tranquille ne fonctionnait pas. Je ne pense pas qu'on ait pratiqué la diplomatie tranquille dans le cas du Nigéria. Je pense qu'on a adopté l'autre approche. Les pressions exercées par la communauté internationale sur le Nigéria seraient très fortes.
Je répète que nous voulons savoir quelle orientation prendre. D'après votre expérience à tous, qu'il s'agisse de violations importantes aux droits de la personne, de torture, de pendaisons sans procès juste ou de disparitions, quelle est la meilleure approche à adopter?
M. Clark: Je pourrais commencer à vous répondre et laisser les autres poursuivre.
Je ne suis assurément pas contre la diplomatie tranquille. Je pense qu'elle a sa place à certains moments. En ce qui concerne l'incident du Nigéria, je pense que les réactions ont été assez modérées, mais qu'elles sont devenues plus vives à mesure que la crise évoluait. On s'est mis à parler plus fort seulement quand il était trop tard pour sauver Ken Saro-Wiwa et ses compagnons. C'est seulement à ce moment-là que le Commonwealth a posé le geste ultime de suspendre pour peut-être expulser, j'imagine, le Nigéria du Commonwealth.
Cependant, avant cela et avant les exécutions, Nelson Mandela et d'autres soutenaient que la diplomatie tranquille convenait toujours à la situation. Nous pourrions probablement discuter indéfiniment de ce qui se serait passé si on avait été ferme plus tôt, mais je pense que la communauté internationale, en agissant et en s'exprimant avec vigueur, a envoyé un message clair, non seulement au général Abacha et au régime militaire nigérian, mais aux autres régimes, autant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Commonwealth. Il ne s'agit pas simplement d'un cas isolé, à mon avis.
Je suis sûr que les régimes au Sierra Leone et dans d'autres pays du Commonwealth où la situation n'est pas très reluisante surveillent de très près la situation. Une approche vigoureuse ne contribue pas toujours à résoudre la crise, mais elle sert sûrement à indiquer qu'on veut régler les questions liées aux droits de la personne de façon concrète, tangible et constructive.
J'aimerais que le Canada adopte une approche plus rigoureuse à l'égard de pays comme la Chine où la situation ne fait aucun doute. Personne ne remet en question les valeurs du Canada. Personne ne remet en question non plus ce qui se passe en Chine. Pourtant, il est possible d'être un plus ferme qu'actuellement.
Au cours du voyage en Chine de 200 hommes d'affaires, des premiers ministres de toutes les provinces et du premier ministre canadien, on a si peu parlé des droits de la personne que la question est passée inaperçue, et je pense qu'il y a là un problème. Il faut s'exprimer plus vigoureusement.
C'est ce que j'essayais de souligner, monsieur Flis.
La présidente: Je vous remercie.
M. Flis: Quelqu'un d'autre veut répondre.
Mme Francis: J'aimerais simplement rajouter que les Églises reconnaissent qu'il y a un dilemme. Si je peux parler de la région du monde dont je m'occupe le plus, c'est-à-dire l'Asie, on se demande si la diplomatie du haut-parleur a des chances de succès ou s'il n'y a pas une autre solution, compte tenu de certaines différences culturelles, comme dans le cas de l'humiliation publique.
Une partie de notre problème réside dans le fait que les ONG ne savent pas si les gouvernements interviennent, même de façon tranquille. C'est toute la question de la transparence qui entre en ligne de compte. Comme on ne nous dit rien, nous n'avons aucun moyen de savoir si des tentatives sont faites et c'est ce qui nous frustre. Étant donné qu'il y a beaucoup... Dans le cas de Flor Contemplacion à Singapour, l'attention du public a poussé la chose... Mais la diplomatie tranquille ne fonctionnerait pas très bien à Singapour. C'est la situation là-bas. Dans ce cas, il vaut peut-être mieux dire quelque chose parce que la diplomatie tranquille ne donne aucun résultat.
Un autre problème est que nous ne savons pas qui réussit à se faire entendre le mieux. Nous disons représenter ceux qui sont les plus susceptibles d'être touchés. Je suis troublée parfois de constater que les discussions se déroulent dans les salles de banquet et les hôtels coûteux et que, par conséquent, un certain secteur est sûrement suffisamment bien représenté. Ce sont les gens de ce groupe qui prétendent que les réformes ne sont pas nécessaires et que les conditions sont maniables, mais ils ne parlent pas nécessairement au nom de la vaste majorité de la population de ces pays.
La présidente: Je pense que M. McChesney voudrait également répondre.
M. McChesney: Je vais attendre la question supplémentaire pour répondre aux deux questions.
M. Flis: [inaudible - Éditeur]... dans l'élaboration de notre politique étrangère - grâce à votre contribution - je pense qu'on nous recommande fermement de faire appel aux organisations régionales pour apaiser les conflits potentiels et en cours, et vous en avez cité quelques-unes, comme l'OSCE, l'OEA et l'Organisation des États africains.
Pour essayer de convaincre les pays de mieux respecter les droits de la personne, ne devrait-on pas faire appel aux organisations régionales avant de recourir chaque fois aux Nations Unies? Nous avons quatre organismes ici. Quel est la méthode d'approche de l'organisme que vous représentez? Vous adressez-vous d'abord à l'ONU? Vous adressez-vous aux deux gouvernements - celui du Canada et celui du pays où les violations ont lieu - ou faites-vous appel aux organismes régionaux avant de soumettre la question à l'ONU?
M. McChesney: Je dirai tout d'abord que j'espère être en mesure, un peu plus tard dans le cadre des délibérations d'aujourd'hui, de faire d'autres observations relativement aux questions queM. Morrison a soulevées à l'égard des droits économiques et sociaux.
Mais pour m'en tenir au présent sujet, l'atout que représentent les Nations unies pour les Canadiens ce sont les mécanismes dont l'organisme dispose et qui permettent aux organisations non gouvernementales d'avoir dans certains cas voix au chapitre, d'exercer parfois leur influence sur les résolutions prises par les gouvernements de même que sur la nomination d'enquêteurs spéciaux, qu'on les appelle groupes de travail ou rapporteurs spéciaux sur des sujets comme la torture, les personnes disparues, etc et enfin, d'avoir la chance d'influencer les initiatives du gouvernement canadien dans ces domaines.
Le Commonwealth est avant tout un groupe de discussion politique, au même titre que les Nations unies, qui dispose toutefois d'un mécanisme lui permettant d'évaluer les dossiers des pays et de recevoir les plaintes. Le comité des droits de l'homme en est un exemple sous l'autorité du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. En outre, la Francophonie ne fait que commencer à mettre au point des mécanismes pour faire avancer en son sein la cause des droits de la personne et la démocratie et l'OSCE a maintenant un bureau des droits internationaux de la personne et de la démocratie. Ces organismes posent des gestes pour faire avancer ces causes, mais ils disposent de moins de ressources que les Nations unies pour venir en aide aux pays qui réclament des conseils techniques.
Ainsi, en dépit du fait que les ONG peuvent facilement s'exprimer à certaines des réunions de l'OSC, les chances sont minces que par les quelques conseils que celles-ci prodiguent à l'organisme international le convainquent de venir en aide à ces autres pays. Pour l'instant donc, les Nations unies sont le principal intervenant et elles disposent des ressources les plus grandes, mais qu'est-ce qui dit qu'un jour certains des autres organismes ne tiendront pas le haut du pavé.
Si le Canada devenait partie de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, dans le cadre de l'OEA, il se pourrait que les ONG aient davantage voix au chapitre, au même titre que le gouvernement du Canada, mais à l'heure actuelle nous nous contentons d'être un partenaire politique assujetti à la déclaration moins influente sur les droits humains de l'OEA.
En ce qui concerne la question de savoir ce que les gens peuvent faire face à l'apathie du gouvernement devant l'opinion internationale, comme il l'a fait récemment au Nigéria, nous avons vu qu'il l'a fait longtemps en Birmanie, mais ce n'est que récemment que le chef politique démocratiquement élu a été relâché. Oui, il est en résidence surveillée. Oui, elle a très peu d'occasions d'exprimer son opinion. Mais l'opinion internationale a de toute évidence eu un certain effet là-bas. Il a fallu trois décennies pour que les sanctions appliquées à l'échelle internationale finissent par avoir un effet sur l'apartheid. Nous savons donc qu'il est rare que les efforts internationaux aient immédiatement des répercussions positives. Les paroles prononcées par Roger Clark plus tôt m'ont encouragé à croire que les efforts auxquelles donnent lieu à l'heure actuelle les événements au Nigéria pourraient avoir des répercussions sur d'autres pays qui sont moins respectueux des droits de la personne au plan international.
J'ai assisté récemment à un séminaire sur le Tribunal pénal international pour le Rwanda et sur le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie qui partagent un certain nombre d'employés. Par exemple, le juge Goldstone d'Afrique du Sud s'occupe de la poursuite dans les deux cas. Celui-ci a déclaré que le fait d'avoir révélé que certaines personnes dans l'ex-Yougoslavie étaient des criminels de guerre avait eu un effet positif mesurable, sur la régression, peu de temps après, de certaines atrocités, par rapport aux chiffres des semaines précédentes. Ainsi, une solide opinion internationale énergique a un certain effet, d'après des gens qui en savent beaucoup plus que moi à ce sujet.
Merci.
La présidente: Je vous remercie.
[Français]
M. McKenzie: J'aimerais faire quelques commentaires pour poursuivre la réflexion.
Un des principes qui sous-tendent la politique canadienne actuelle est que le développement commercial nous fournit des entrées et des tribunes avec nos partenaires commerciaux, ce qui nous permet de promouvoir les idées touchant le respect des droits de la personne et le développement communautaire.
Prenons l'exemple du Viêt-nam. Un citoyen canadien y a été emprisonné récemment et des moines bouddhistes y sont emprisonnés, et on ne sait toujours pas si le gouvernement canadien a l'intention d'entreprendre quelque démarche que ce soit à cet égard.
Est-ce que la politique canadienne actuelle peut nous donner l'assurance que des démarches vont être prises à mesure que les relations commerciales évolueront?
On dit qu'on va profiter des tribunes multilatérales pour faire avancer nos idées et pour faire nos commentaires et nos revendications. Je pense qu'il faut aussi s'assurer que dans les deux cas, on ne devienne pas des complices. La politique dit qu'on va conjuguer nos influences avec celles d'autres pays pour forcer les pays récalcitrants à respecter les droits de la personne. Il faut être sûr du processus, car les Canadiens s'objecteraient certainement à voir leur pays complice de certaines initiatives de certains gouvernements.
Je pense qu'il y a là matière à réflexion et qu'il importe qu'on développe les mécanismes nécessaires pour éviter ce genre de chose.
[Traduction]
J'aimerais souhaiter la bienvenue au professeur Mendes. Je vous ai vu arriver et j'ai lu votre mémoire, qui m'a grandement intéressé. J'avais très hâte d'entendre votre exposé. Nous aimerions que vous preniez entre 5 et 10 minutes pour le présenter afin de nous laisser du temps pour les questions. Nous devons libérer la salle pour 17 h 30.
Professeur Errol Mendes (directeur, Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne, Université d'Ottawa): En fait je serai très bref parce que comme vous l'avez dit, madame la présidente, vous avez entre les mains le mémoire que j'ai déjà présenté cette année aux chefs de mission de la région Asie-Pacifique à Vancouver.
Au fond, simplement pour cadrer avec une partie de ce que j'ai entendu depuis que je suis dans cette pièce, ce que j'aimerais proposer au sous-comité c'est qu'il s'attarde à certains égards sur ce qui est de toute évidence la plus importante priorité de ce gouvernement. La plupart des Canadiens seraient peut-être d'avis qu'il devrait s'agir de la plus grande priorité de ce gouvernement. Il s'agit essentiellement de revitaliser l'économie, en partie grâce à une croissance induite par les exportations, en partie grâce à la libéralisation des échanges, etc.
J'estime que si les droits de la personne doivent signifier quelque chose pour le grand public, le gouvernement et les fonctionnaires qui en font partie, il faut les considérer comme une composante de ce programme très important si l'on ne veut pas «ghettoïser» la question.
Il en résultera qu'on y consacrera moins de ressources et que celle-ci attirera moins l'attention de ceux qui devaient y accorder plus d'importance.
Par conséquent, dans les exposés que j'ai présentés dans toutes les régions du pays et devant le comité principal qui a produit le Livre blanc, j'ai dit que les droits de la personne devraient être considérés comme faisant partie intégrante de la promotion de nos intérêts économiques à l'étranger. La raison en est qu'au bout du compte, nos intérêts, que ce soit sur le plan de l'économie, de la démocratie et des droits de la personne, coïncident.
J'ai exposé dans le document les raisons pour lesquelles je pense ainsi. Pour résumer, c'est parce que finalement le développement économique durable n'existe pas sans le développement humain durable, ce qui veut dire la justice humaine durable dans tous les aspects de nos relations commerciales.
J'ai joint au mémoire une copie d'un éditorial tiré du New York Times et dont l'auteur est leur imminent éditorialiste, Thomas Friedman. L'article est intitulé «The Chinese Syndrome».
L'auteur souligne paradoxalement que les gens d'affaires américains qui s'opposaient officiellement à ce qu'on lie les droits de la personne au commerce sont venus gonfler les rangs des plus grands adversaires de cette théorie après les incidents qui se sont produits soudainement en Chine, qui ont démontré que si vous ne disposez pas de la primauté du droit ou du cadre d'habilitation dans vos structures économiques et juridiques, alors vous n'avez pas vraiment non plus de relations économiques durables.
Dans mon document, je vous présente une approche polyvalente qui pourrait permettre au gouvernement canadien de mettre en oeuvre une stratégie intégrée en ce qui a trait en matière d'économie et des droits de la personne qui favorisera les deux composantes.
Je suis prêt à répondre aux questions que vous voudrez bien me poser sur n'importe quelle partie de ce mémoire et à développer certaines des idées qu'il contient.
C'est tout ce que j'avais à dire. Je vous remercie.
La présidente: Merci.
J'aimerais faire deux ou trois commentaires vu qu'il n'y a pas d'autres questions. Lorsque quelqu'un s'intéresse aux droits de la personne, il arrive parfois qu'il le fasse d'une manière arrogante.
Je me demande si l'étiquetage du produit n'est pas une partie de la solution en ce qui a trait aux droits de la personne. Pourquoi les ONG ne se concerteraient-elles pas et ne sensibiliseraient-elles pas le consommateur? Il semble que nous soyons aux prises avec un idéal et une réalité à l'heure actuelle. Jetez un coup d'oeil à ceux d'entre nous qui voulons promouvoir les droits de la personne. Je parcours la salle et je vois que nous sommes tous assez à l'aise. Notre mode de vie n'est pas menacée par la conjoncture actuelle.
Tandis que la réalité politique du Canada à l'heure actuelle, c'est qu'il y a des gens qui souffrent. Il nous faut trouver un équilibre. Voyez-vous une façon d'y parvenir?
Je crois que la plupart de ceux qui sont ici aimeraient pouvoir exiger de divers pays qu'ils respectent les droits de la personne, mais finalement, une fois que nous aurons mis de l'avant nos mesures, c'est l'économie canadienne qui risque d'en souffrir. Je ne suis pas convaincu que quelqu'un dans cette salle sera suffisamment sûr que nous réussirons en nous attaquant à ces pays.
Que proposez-vous comme équilibre réaliste?
Le professeur Mendes: Pour répondre à votre question sur l'étiquetage des produits, ce phénomène émerge particulièrement en Europe à l'heure qu'il est pour ce qui est de l'étiquetage des tapis fabriqués par des enfants. Cette mesure cible particulièrement le Bangladesh, où ce problème se pose particulièrement, de même que le Pakistan où on a relate le tragique exemple du jeune garçon assassiné qui protestait contre la main-d'oeuvre enfantine.
À mon avis, il commence à y avoir des liens plus étroits entre les intérêts économiques et les droits de la personne. Les marchés des fournisseurs et des consommateurs ne sont plus segmentés. En raison des changements que subissent les domaines des communications et des transports à l'échelle mondiale, le marché des consommateurs commence à faire partie intégrante du marché des fournisseurs.
L'étiquetage des produits est là pour rester, qu'on le veuille ou non. Ce phénomène va prendre de l'ampleur et s'étendre à de nombreux domaines.
Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas d'effets néfastes. Surtout en ce qui concerne des populations autochtones, certains groupes environnementalistes risquent d'adopter une approche rétrograde dans leur évaluation de ce qui respecte ou non l'environnement.
Oui, le fait de se concentrer sur les questions de justice sociale risque d'avoir un effet négatif sur le mouvement des consommateurs à l'échelle globale. Toutefois, on ne peut pas arrêter le progrès.
En fin de compte, les gouvernements ont raison de se joindre au mouvement d'opinion qui se dessine à l'échelle planétaire et selon lequel le développement économique durable ne peut être réalisé aux dépens des enfants et au prix de violations généralisées des droits de la personne. C'est une réalité.
La présidente: Pensez-vous qu'un consommateur mieux renseigné pourrait constituer un outil efficace?
Le professeur Mendes: Absolument. Je ne sais pas si vous avez parlé du Nigéria, mais je crois que le Canada devrait s'attacher à déterminer qui appuie le régime militaire au Nigéria et comment une infrastructure économique efficace et polyvalente contribue à maintenir ce régime en place. Le Nigéria pourrait très bien faire l'objet d'une étude de cas.
La présidente: Est-ce que quelqu'un d'autre souhaite ajouter quelque chose?
M. Clark: Vous avez fait allusion dans votre question au conflit qui oppose les droits nationaux aux droits internationaux et à l'arrogance que décèlent parfois les groupes intéressés.
L'éducation constitue, à moyen et à long termes, une partie de la solution au problème. Comme bien d'autres ONG, nous commençons à sensibiliser davantage les jeunes à tous les droits de la personne.
Les discussions que nous avons eues plus tôt sur les différents types de droits qui existent mettent en lumière le fait que tous ces droits sont liés les uns aux autres. En fait, le problème est le même, qu'il s'agisse de personnes qui meurent de malnutrition au Canada ou qui se font prendre au Nigéria.
Certains problèmes, il est vrai, sont plus urgents que d'autres, mais il reste que toutes ces questions sont liées les unes aux autres. Ceux qui ont la volonté et la capacité de s'attaquer à ces problèmes devraient s'en occuper. Il y a beaucoup à faire et nous devons tous y mettre du nôtre.
Il faut sensibiliser davantage le public au fait que le respect des droits de la personne est une responsabilité qui incombe à tous. Il ne s'agit pas tant de lutter pour les droits universels que de protéger les droits que nous possédons.
Je sais qu'il y a, comme vous l'avez dit, tout un monde entre l'idéal et la réalité. Mais, à moins d'un certain rapprochement entre les deux, il sera impossible de régler la question des droits nationaux ou des droits internationaux.
Mme Francis: J'aimerais vous parler un peu de mon expérience personnelle, des visites que j'ai effectuées dans les écoles secondaires et les paroisses où j'ai rencontré de simples citoyens et discuté avec eux de questions comme celle des droits de la personne.
Vous avez raison. Il y a, dans une certaine mesure, un rapprochement qui est en train de s'effectuer. Un jeune de 14 ans m'a demandé pourquoi il devrait se préoccuper du sort des travailleurs en Indonésie étant donné que sa propre mère a perdu son emploi. Quand j'entends de tels propos, j'ai l'habitude de répondre qu'il devrait s'en préoccuper parce que les conditions de travail imposées dans certains dans pays comme l'Indonésie sont en train de se transposer rapidement au Canada.
Notre travail dans les églises consiste en partie à renseigner les Canadiens. Au cours des prochaines années, les Ontariens surtout vont vivre de plus près ce que nous sommes en train de décrire, c'est-à-dire l'érosion du filet de sécurité sociale. Le message finit par passer.
Errol a parlé de l'emploi d'enfants. Pour moi, cette pratique est tellement odieuse que je ne vois pas comment les pays occidentaux peuvent trouver acceptable de réaliser des profits sur le dos d'enfants âgés de huit ans. Cette pratique odieuse est de plus en plus répandue. De nombreuses entreprises choisissent de s'implanter dans des pays comme l'Indonésie parce que les travailleurs ne reçoivent qu'un dollar par jour. Bien sûr, il existe des normes de sécurité, mais elles ne sont pas appliquées comme il se doit. Les entreprises ont donc l'occasion de maximiser leurs profits, et c'est pourquoi les fabricants de chaussures, par exemple, s'installent dans ces pays.
Je veux revenir à notre principal sujet de préoccupation, soit le fait qu'on délaisse les relations bilatérales au profit d'un secteur non réglementé qui ne rend des comptes à personne. Le Canada peut à cet égard jouer un rôle de chef de file. Il peut proposer des mécanismes ou encourager l'Organisation mondiale du commerce à en adopter, puisque c'est elle qui veillera à l'application de toutes les règles.
Le Canada préconise une politique étrangère fondée sur des règles. J'aimerais vous poser une question que je ne cesse de répéter depuis que je l'ai entendue: Qui établit les règles et quels sont les principes qui serviront de fondement à ces règles?
La présidente: Monsieur English.
M. English (Kitchener): Je tiens à vous remercier pour vos témoignages. Je m'excuse de ne pas être arrivé plus tôt. Mon collègue, M. Flis, vous a expliqué les raisons de mon retard.
J'étais en train de lire un article tiré de l'ouvrage The Real Worlds of Canadian Politics, qui a été distribué par M. Schmitz. Il traite des ONG qui oeuvrent dans le domaine des droits de la personne. On y trouve des commentaires comme celui-ci:
- Comme on pouvait s'y attendre, la plupart des organisations qui oeuvrent dans ce domaine
disposent de maigres ressources. Le revenu moyen se situe entre 150 000 et 250 000 $ par
année...mais 64,2 p. 100 des organisations sondées...font état de revenus annuels qui se situent à
ce niveau ou à un niveau inférieur.
- L'article mentionne toute une série de groupes.
- Aucun de ces organismes n'est un organisme international des droits de la personne.
Deuxièmement, compte tenu du faible nombre d'adhérents qu'ils comptent, les dons provenant
des particuliers et des membres ne sont pas très élevés; en effet, la majorité des ONG ne
reçoivent pas de fonds de leurs membres. Leurs deux principales sources de financement sont
les dons versés par les organismes parrains, essentiellement les églises qui financent les
coalitions oecuméniques, et le gouvernement fédéral, que ce soit par l'entremise des ministères,
par exemple le Secrétariat d'État, le ministère de la Justice, ainsi de suite, ou, plus important
encore, par l'entremise de l'ACDI.
Nous avons également le centre international à Montréal. J'ai fait partie, de même que mes collègues ici, du comité chargé d'examiner la politique étrangère du Canada. Nous avons entendu un très grand nombre de groupes. Quel est votre avis là-dessus? Le centre à Montréal fonctionne bien. Je suppose qu'il adopte une approche différente de celle du professeur Mendes. Il est utile de discuter de ces questions.
Les régions adoptent toutes des approches différentes. Vous avez parlé des droits économiques et sociaux. M. Morrison a parlé des droits civils.
M. Broadbent a fait état de la conversation de trois heures qu'il a eue avec le président Castro. Les deux ont beaucoup parlé et le débat portait sur cette question.
Le président Castro a dit, «Nous avons instauré des droits économiques et sociaux. Cette obsession qu'ont les Américains au sujet des droits de la personne ... contribue à masquer le fait qu'ils ne s'intéressent aucunement aux droits économiques et sociaux.»
Pour résumer mes propos un peu décousus, nous parlons des consommateurs, des électeurs ou peu importe le terme que vous voulez utiliser pour décrire les gens qui s'intéressent à ce domaine. Vous avez parlé, madame Francis, des Canadiens. Une des difficultés que nous avons ici - et je ne sais pas si vous êtes d'accord - , c'est que nous recevons de nombreux messages différents.
Les dirigeants politiques, et il y en a parmi eux que je n'appuie pas, nous demandent de faire en sorte que le message soit simple et direct. Est-ce que le message n'est pas en train de devenir embrouillé? J'ai rencontré un groupe confessionnel la semaine dernière et il semblait vraiment confus. Il a été question, à un moment donné, de la situation des droits de la personne en Europe de l'Est. Il y a eu le cas de la Chine, et maintenant celui du Nigéria. Ils ont de la difficulté à faire la part des choses.
Je sais que les groupes travaillent de plus en plus en étroite collaboration. Mais j'aimerais savoir ce que vous pensez des ONG, du centre international à Montréal, du genre de travail qu'on y effectue. Est-ce que le centre international vous aide dans votre travail? Est-ce qu'il travaille isolément? Est-ce qu'il fait partie intégrante de la réponse canadienne?
Nous avons entendu parler de la réponse canadienne, mais qui parle au nom du Canada? Est-ce M. Broadbent, en tant que président du centre? Le Conseil des églises? Amnistie internationale? Le gouvernement fédéral et le ministre des Affaires étrangères?
J'aimerais bien avoir une réponse.
Mme Francis: Puisque tous les regards sont dirigés vers moi, je suppose que c'est à moi de commencer.
Qui parle au nom du Canada? Monsieur English, je ne saurais vous le dire. Je ne veux même pas essayer de définir ce qu'est la réponse canadienne. Je sais toutefois quelles sont les valeurs que j'ai embrassées lorsque je suis devenue une citoyenne canadienne.
Concernant le centre, Allan est mieux placé que moi pour vous en parler puisqu'il représente le Réseau. Le centre est un ardent défenseur des ONG au Canada. En toute honnêteté, le Réseau des organismes concernés par les droits de la personne au niveau international ne pourrait exister sans lui. Mais nous allons laisser à Allan le soin de faire l'éloge du centre.
Pour ce qui est des ONG, il est très difficile d'évaluer la qualité de leur travail pour la simple raison que la pluralité politique qui caractérise le Canada se reflète dans les ONG. Encore une fois, je ne crois pas être bien placée pour vous parler de ces questions.
M. English: Le professeur Pal a dit qu'il y a de nombreux organismes et qu'il y en a beaucoup qui sont très petits. Lorsque nous avons entrepris notre examen de la politique étrangère, la sénatrice Andreychuck a déclaré qu'il était préférable d'avoir un grand nombre d'organismes. On peut dire la même chose - et je suppose que certains le font - , de la société civile. On entend parler depuis longtemps du pluralisme qui existe au sein de la société.
Il semble dire, et je lis entre les lignes, qu'il y a tellement de porte-parole qu'il n'est pas sûr que ces derniers soient en mesure d'offrir - comment dire - , une vision claire des choses qui permette aux Canadiens de bien saisir leur message.
Mme Francis: Je peux vous parler au nom de mon groupe. Vous avez raison de dire que certains messages sont peu clairs, du moins en ce qui concerne l'évaluation que nous faisons des églises et des messages que nous leur transmettons.
Nous avons une infrastructure et une doctrine qui contribue à renforcer certains des messages. Nous pouvons transposer le langage des droits de la personne en langage théologique, qui du moins est plus facile à comprendre. Le rôle joué par les églises sur le plan politique permet aux gens de prendre conscience du fait que nous oeuvrons dans le domaine des droits de la personne.
Pour ce qui est de la diversité des messages, en toute honnêteté, je crois qu'au cours des prochaines années, les ONG vont être en mesure de transmettre des messages plus cohérents et plus clairs, en partie parce qu'un grand nombre d'organismes sont disparus à la suite des coupures qui ont été décrétées. Les quelques organismes qui restent ont donc le devoir de transmettre un message plus clair et cohérent.
On entend dire de plus en plus que les droits de la personne doivent être une priorité. Nous sommes déçus de voir qu'ils sont considérés comme un objectif.
[Français]
M. McKenzie: J'aimerais faire une première réflexion sur votre question. J'imagine que vous comprenez le français parce que vous ne portez votre écouteur.
On s'est rendu compte, pendant un certain temps, que les ONG défendaient des droits spécifiques. En effet, plusieurs ONG ont été créés par des femmes, des handicapés, des assistés sociaux, des personnes victimes de discrimination, comme les homosexuels et les lesbiennes. Or, maintenant, tous ces organismes tendent à se regrouper sous un parapluie spécifique, car ils sont bien conscients que les droits civils et politiques - le fait de se faire mettre en prison, de ne pas avoir un procès juste - sont liés aux droits socioéconomiques.
On voit de plus en plus des gens pauvres, par exemple, s'associer pour défendre leurs droits sociaux ou économiques, et prendre rapidement conscience, quand ils ne peuvent pas avoir accès à la justice, que leurs droits sont intimement liés aux droits civils ou politiques. C'est ce que les ONG comprennent de plus en plus: tous les droits sont interreliés.
Lors du débat à Vienne - pour ceux qui ont eu la chance d'y être - , les ONG et même les chefs d'État ont débattu de la question: est-ce que la Déclaration universelle comporte tous les droits ou pas, et est-ce que les droits sont interreliés? Malgré le refus de certains gouvernements de reconnaître cette interdépendance, on s'est rendu compte qu'à la fin, tout le monde était arrivé à la même conclusion.
Je pense que le message est en train de se développer dans ce sens-là. Évidemment, si on veut que les ONG aillent un peu plus loin, il va falloir leur donner les moyens d'y arriver. Et ça, il est important de le redire. Sur le plan de la coopération, par exemple, tous les ONG au Québec se ressentent des coupures qui ont été faites dans l'éducation à la coopération. Donc, il doit y avoir un encouragement national pour que les ONG se développent, qu'ils éduquent la population et fassent entendre leur voix. C'est le sens du message.
[Traduction]
La présidente: Je crois que Mme Francis a dit que vous alliez répondre à la question.
M. McChesney: Il est parfois difficile de trouver une réponse pour Daisy parce qu'elle soulève de très bons points.
En ce qui concerne le message des ONG, je partage le point de vue de la sénatrice Andreychuk, à savoir qu'il y a de la place pour de nombreux types d'organismes des droits de la personne. Les gens ne peuvent pas s'éparpiller dans tous les sens. Si un groupe s'intéresse de façon particulière aux droits des personnes handicapées, et un autre, aux droits des femmes, tant mieux. Il est bon d'avoir un réseau et des mécanismes qui permettent aux groupes de s'entraider et d'essayer d'influencer la politique du gouvernement.
Nous pouvons, pour assurer une certaine cohérence, appliquer des normes similaires lorsque nous examinons les dossiers de chaque pays en matière des droits de la personne. Il faut reconnaître que la situation de chaque pays est différente, mais les normes peuvent être les mêmes, comme Daisy Francis l'a dit plus tôt. À cet égard, j'espère que le comité entreprendra des études qui mettent l'accent sur une ou deux questions bien précises et non pas sur toutes les crises qui surviennent au cours d'un mois, puisque cela aura pour effet de disperser vos efforts et de vous empêcher d'influer sur la politique du gouvernement.
En ce qui concerne le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique à Montréal, il est vrai qu'il appuie les ONG canadiennes. Je ne partage toutefois pas le point de vue de Daisy Francis lorsqu'elle dit que le réseau ne pourrait exister sans le centre. Nous existons depuis plusieurs années; nous avons vu le jour bien avant le centre. Nous sommes devenus plus efficaces grâce à son soutien, puisqu'il nous a permis d'embaucher un coordonnateur et de mettre sur pied plusieurs programmes de sensibilisation, ainsi de suite.
Les ressources du centre servent pour la plupart à financer les projets entrepris dans d'autres pays. Le centre finance les activités que le gouvernement et les ONG ne peuvent appuyer. Je suis certain que vous serez en mesure de discuter de tout cela avec lui.
J'ai dit plus tôt que le professeur Mendes et que le centre à Montréal ont des divergences d'opinion. Ils conviennent tous les deux des liens doivent être établis entre le commerce et les droits de la personne. Ils proposent toutefois des approches différentes pour y arriver. M. Mendes pourrait vous en parler.
M. Morrison a parlé plus tôt des droits des travailleurs. Comme l'a dit Daisy Francis, ces droits sont régis par le pacte relatif aux droits économiques et sociaux et par le pacte relatif aux droits civils et politiques. Ils sont également régis par la convention de l'Organisation internationale du travail. Si le Canada accorde tant d'importance aux droits de la personne, c'est parce que la loi l'y oblige. Nous avons accepté d'être légalement liés par ces conventions et par d'autres accords internationaux, qui assurent la promotion des droits de la personne dans le monde et au Canada. Tous les gouvernements provinciaux ont souscrit à ce principe avant que le Canada ne ratifie ces traités internationaux. Cela fait partie du processus, soit de voir si les gouvernements souscrivent déjà à ces principes avant de ratifier ces traités.
D'autres raisons nous poussent à nous y intéresser: si les droits de la personne ne sont pas respectés dans d'autres pays, nous en subissons les conséquences. Mentionnons les opérations de maintien de la paix, les personnes déplacées qui cherchent à venir s'installer au Canada, la fourniture de secours d'urgence plutôt que l'adoption de programmes d'action préventive, ainsi de suite. La promotion des droits économiques et sociaux dans d'autres pays comporte des avantages. Elle contribue à favoriser nos échanges commerciaux à long terme.
En ce qui concerne l'arrogance de certains pays, Daisy peut confirmer que, jusqu'à la conférence Vienne, de nombreux gouvernements, notamment en Asie, soutenaient que les droits de la personne faisaient partie des valeurs occidentales et donc qu'elles ne leur étaient d'aucune utilité. Mais les ONG, les organismes de base populaires dans ces pays, partageaient le point de vue des ONG et de nombreux gouvernements au Canada, à savoir que les droits de la personne sont des valeurs universelles dont il faut, même en ces temps difficiles, assurer la promotion.
M. Mendes: M. English a probablement posé la question la plus difficile qui soit. J'aimerais l'inscrire dans un cadre plus vaste et voir si je peux ainsi y répondre.
Je reviens à ma thèse; à mon avis, les droits de la personne doivent être considérés comme faisant partie intégrante de l'objectif le plus important de ce gouvernement, comme de tout gouvernement, c'est-à-dire, le développement économique. Nous devrions également examiner tout le concept des droits de la personne et des différences que nous y retrouvons, tout cela découlant, si vous voulez, des grands bouleversements que nous connaissons dans le monde d'aujourd'hui.
Il ne fait aucun doute que la globalisation a produit des gagnants et des perdants. Dans toute société, il y a ceux que l'on considère gagnants et ceux que l'on considère perdants. À certains égards, c'est ce qui a fragmenté les sociétés dans le monde entier. Je ne crois pas que le Canada soit une exception à la règle, vu le processus de fragmentation dont nous sommes témoins dans notre propre société; en effet, on y retrouve ceux pour qui la globalisation des échanges est une réalité essentiellement positive qu'il ne faudrait pas altérer en débattant d'autres questions, et ceux qui sont les perdants de l'internationalisation du commerce et des affaires et qui considèrent qu'il s'agit d'une question fondamentale visant les droits de la personne.
C'est ainsi que je vais répondre à M. English - et je sais qu'il a été professeur, si bien que je vais lui donner une réponse professorale -
M. English: [Inaudible - Éditeur]
M. Mendes: Exactement, et c'est la raison pour laquelle je vous réponds.
À certains égards, je crois que si vous vivez dans une société libre, il faut accepter une dialectique hégélienne dans ce domaine, c'est-à-dire qu'il faut accepter les démarches dont je parle dans mon document... Il faut permettre un équilibre entre ce que l'on appelle, dans le domaine des droits de la personne, le filtrage vers le bas, le filtrage vers le haut et le filtrage qui, à mon avis, est mis de côté - le filtrage latéral. Bill s'est moqué de tout cela dans certains contextes.
Au chapitre de l'affectation des fonds, je pense qu'il faut, en tant que collectivité et en tant que gouvernement, faire en sorte qu'aucune des parties de cette dialectique ne se détraque, que trop peu de ressources ne soient affectées à ce que l'on appelle le filtrage vers le haut, c'est-à-dire une société civile, ou au filtrage vers le bas. Le filtrage latéral représente la synthèse et c'est la raison pour laquelle cette démarche me paraît être la plus heureuse.
C'est une réponse compliquée que je vous donne. Pour ce qui est de vos questions précises, je crois qu'en matière d'affectation de fonds, le gouvernement a le droit de déterminer si les divers éléments de la dialectique reçoivent des ressources adéquates ou si certains éléments de cette dialectique donnent les résultats escomptés.
La présidente: Je crois que tous nos intervenants sont au courant.
Merci d'être venu, monsieur Graham. M. Graham est le président du Comité des affaires étrangères.
M. Graham (Rosedale): Madame la présidente, je ne veux pas interrompre les autres membres du comité qui sont ici depuis le début de la séance, mais j'aimerais poser une question, si vous le permettez. Veuillez m'excuser d'être en retard, mais j'ai été retenu par mon comité.
J'aimerais poursuivre le débat sur la distinction faite entre les droits civils et politiques et les droits économiques et sociaux au plan international. Mes explications vont également être un peu complexes.
J'imagine que si notre système intérieur pose un problème, c'est parce que nous mélangeons les droits sociaux et économiques avec les droits politiques et civils, même dans notre charte. Par exemple, les droits en matière d'éducation relèvent davantage des droits sociaux que des droits civils. Peut-être devrions-nous établir une distinction claire dans notre système.
Permettez-moi de commencer par une observation. Il me semble que si nous voulons être efficaces au sein de la collectivité internationale, nous devons poursuivre des objectifs qui sont réalisables et tangibles, des objectifs que nous pouvons tenter d'atteindre et sur lesquels nous pouvons nous concentrer et travailler. Si nous essayons de toucher à tout, nous n'arriverons à rien; si nos objectifs ne sont pas assez élevés, il sera inutile de faire des efforts.
J'ai récemment représenté le Canada à la réunion du Mouvement des pays non alignés, à Carthagène. Il est ressorti clairement du discours de bien des chefs de gouvernement... Je sais qu'ils ne représentent pas ceux qui ont besoin des droits, mais leur crédibilité démocratique mise à part, ils représentent le gouvernement de ces 113 pays.
Ils ont tous manifesté un certain ressentiment à propos des discours que nous tenons sur les droits de la personne qui, selon eux, sont une forme d'impérialisme culturel qui ne permet pas d'instaurer un dialogue fructueux avec bon nombre de ces pays. La question que je pose au comité est la suivante: comment y parvenir? Quelles limites devons-nous nous fixer au cas où nous irions trop loin et où nous tiendrions un discours trop féministe dans les pays musulmans? C'est ce qu'ont fait beaucoup de mes collègues de la Faculté de droit de l'Université de Toronto et qu'ils sont prêts à défendre.
Quelles doivent être nos priorités? J'aurais personnellement tendance à accorder la priorité au domaine civil et politique qu'il est plus facile de définir et sur lequel il est plus facile de s'entendre. Lorsque nous arrivons au domaine économique et social, il n'est pas plus probable de parvenir à un consensus sur ce qu'il représente dans la collectivité internationale que de parvenir à un consensus autour de cette table à propos des membres de notre collectivité qui devraient faire les frais de la réduction du déficit. Dès que l'on débat des droits économiques et sociaux, on aborde la question du rythme auquel il est possible de réduire le déficit.
Telle est la question - Où affecter les ressources de la collectivité? Cette question se pose à chaque pays qui veut décider de son propre système interne. Il est plus difficile pour des étrangers d'intervenir et de dire: «C'est ainsi que vous devriez affecter vos ressources.»
Ce comité a publié un rapport sur les institutions financières internationales. Pour en revenir au concept de l'impérialisme culturel, des ONG nous ont dit que les structures économiques de la Banque mondiale et du FMI visant à renforcer l'économie des pays étaient totalement inacceptables, car elles étaient assujetties à des conditions qui créaient des difficultés pour ces pays. Tous ces groupes nous ont proposé de nouvelles conditions, disant que nous ne devrions pas prêter d'argent à des pays armés, que nous ne devrions rien donner à des pays connus pour leurs abus en matière de droits de la personne et que nous ne devrions rien donner non plus à des pays qui n'adoptent pas de processus démocratique. Nous nous sommes donc débarrassés de conditions que nous n'aimions pas et en avons imposé de nouvelles que nous aimions et qui fonctionnaient bien.
Je ne crois pas que ce soit une bonne façon de procéder si nous voulons régler ces questions en fonction de certains principes. En tant que comité, nous devons fixer des principes pour le Canada, nous concentrer sur des objectifs réalisables, déterminer les tribunes internationales qui pourraient nous aider à les atteindre et ensuite prendre les mesures qui s'imposent.
Cela donne-t-il à penser? Cela suscite-t-il la réflexion parmi les membres du comité? Pensez-vous que je sois complètement fou?
La présidente: Je suppose que vous posez une question.
M. Graham: Oui, je demande si je suis fou?
La présidente: On peut vous répondre simplement et brièvement.
Je pense que nous avons le temps de poser quelques questions de plus. Veuillez essayer d'être un peu plus bref que notre président.
M. Clark: Comme vous le dites, je crois que nous devons revenir à certains principes et partir de l'essentiel, que nous traitions des droits civils et politiques ou d'autres droits. Nous devons définir ce qui, à notre avis, représente l'essentiel en ce qui concerne les valeurs canadiennes. Toutefois, je ne crois pas que ces valeurs canadiennes se distinguent des sortes de valeurs qui sont énoncées dans la Déclaration universelle et dans les divers pactes et instruments qui en découlent.
Les pays non alignés, comme les pays d'Asie, ont tendance à remettre périodiquement sur le tapis la question de l'impérialisme culturel dans le cadre de certains discours officiels. Comme on l'a souligné plus tôt, beaucoup des ONG autochtones et de la base qui travaillent dans ces pays savent fort bien ce qu'est l'essentiel. Pour en revenir à la question de John English au sujet des nombreux points de vue qui s'expriment et de la confusion des messages, il suffit de tenir de vrais débats sur des personnes réelles qui se trouvent dans des situations authentiques pour que toute confusion disparaisse. Il n'y a pas énormément d'information, mais je suis surpris par la cohérence des ONG, tant au Canada que dans le monde entier, lorsqu'il s'agit d'aborder certaines questions essentielles.
Il a été intéressant de voir un consensus quasi-universel au sujet de l'affaire Saro-Wiwa. Nous devons essayer d'en comprendre les raisons. Qu'est-ce qui n'allait pas? Pourquoi les gens étaient-ils si perturbés? Si nous commençons à répondre à ces questions, ce qui, à mon avis n'est pas très compliqué, nous serons de plus en plus en mesure de mobiliser l'opinion d'une manière qui permettra de régler ces questions. Bien sûr, les gens auront des priorités différentes à des moments différents, mais il est inacceptable qu'une personne soit torturée et condamnée à mort après un procès injuste.
C'est ainsi que je réponds en partie à votre question.
M. Graham: Je tiens à dire très clairement que je ne parle pas des droits fondamentaux. Lorsque l'on aborde la question de la torture ou des droits de la Déclaration universelle - ce n'est pas ce dont je parle. Le plus dur commence, lorsque l'on sort de ce cadre.
M. Clark: Comment élargir les droits fondamentaux? Tel est notre défi.
M. Graham: Exactement. Comment obtenez-vous le consensus nécessaire pour élargir ces droits fondamentaux?
M. McChesney: Certains moyens existent naturellement, comme le sait bien M. Graham; ils permettent d'utiliser les droits civils et politiques pour faire progresser les droits économiques et sociaux des groupes et des particuliers moins favorisés de la société. S'ils jouissent de droits participatifs et ne sont pas punis sous prétexte qu'ils essaient de les exercer, ils peuvent revendiquer certains de leurs propres droits économiques et sociaux.
Le Canada peut appuyer de tels groupes locaux dans d'autres pays qui essaient de procéder de la sorte. Nous pourrions également essayer de faire en sorte que nos propres politiques - par exemple, l'aide que nous voulons consentir pour construire un barrage dans un endroit où les gens n'en veulent pas, parce que ce n'est pas économiquement viable et risque en fait d'anéantir certains droits économiques, sociaux et culturels... Ce sont des facteurs dont il faut tenir compte.
Nous devrions également garantir l'application d'un principe aux deux genres de droits; je veux parler de la non-discrimination. Je ne pense pas que quiconque au Canada serait d'accord pour dire que les filles d'autres pays ne devraient pas avoir les mêmes chances d'éducation primaire et secondaire que les garçons. Pourtant, il s'agit d'un droit social.
Bien sûr, il y a des droits que certaines personnes définissent comme des droits fondamentaux; ainsi la liberté d'association, qui est un facteur important dans les affaires civiles et politiques ainsi que pour les travailleurs, les coopératives et les agriculteurs dans le domaine économique et social.
Merci.
M. Mendes: J'aimerais m'attarder sur un droit dont je suis sûr il a été question à plusieurs reprises à Carthagène; je veux parler du droit au développement. C'est maintenant devenu l'appel de clairon de la grande majorité des pays du Sud. En invoquant ce soi-disant droit au développement, ils prétendent qu'entre le droit au développement et les droits civils et politiques, il faut tenir compte de leur échelle de valeurs, de leurs traditions et de leur culture.
D'après mon expérience dans ce domaine, c'est un faux débat qu'il faut considérer comme tel et examiner de près. Si nous examinons ce que représente le droit au développement, ce n'est pas plus ni pas moins que ce que nous exigeons de notre propre pays: un équilibre entre les droits individuels et collectifs et toute la gamme des droits.
Peut-être ne sommes-nous pas parvenus à un degré de satisfaction, ainsi qu'en témoignent nos propres problèmes constitutionnels intérieurs. La même bataille se livre dans le monde entier. Je m'en suis aperçu en Chine, en Indonésie et partout ailleurs. Il s'agit du débat fondamental sur les droits collectifs d'une part, et les droits particuliers d'autre part.
À certains égards, nous sommes arrivés à un point où les valeurs mondiales sont maintenant offertes à qui les veut bien et le Canada a un rôle essentiel à jouer pour ce qui est de la forme que va prendre ce débat. C'est la raison pour laquelle on ne devrait pas céder chaque fois que l'on nous dit que le droit au développement doit être prioritaire sur tout le reste. Nous devons examiner ce que nous avons réalisé au plan intérieur en ce qui concerne l'équilibre de nos droits.
Nous pouvons tenir le même dialogue à propos de notre propre expérience dans le monde entier et c'est ce que fait mon centre dans des endroits aussi éloignés que la Chine; nous avons réussi à jeter les bases de ce dialogue.
[Français]
M. McKenzie: Vous m'amenez à témoigner des propos tenus par nos amis, que ce soit du Tchad, du Togo ou d'Asie, quand on arrive à la question du relativisme culturel dans la définition des droits. Ils sont outrés. Ils défendent l'universalité des droits et s'élèvent de plus en plus pour la défense des droits politiques et civils. Et ils le font avec beaucoup d'ardeur. À un moment donné, on se faisait indiquer quels étaient les droits socioéconomiques qui primaient. Mais maintenant, plusieurs ONG du Tiers monde disent qu'elles veulent avoir le droit de parler. Le problème, c'est le droit de parler, de voter et d'avoir son mot à dire dans la société.
Il y a un renversement qui est en train de se produire. Ici, par exemple, on assiste de plus en plus à la défense des droits socioéconomiques. Donc, les ONG dans le monde se rejoignent de plus en plus à cet égard, et je ne pense pas que notre gouvernement doive céder aux arguments du relativisme culturel.
Cela ne veut pas dire qu'on ne doive pas penser à différentes stratégies. C'est d'ailleurs le raisonnement que tiennent plusieurs organisations du Tiers-monde - d'Afrique, entre autres - , lorsqu'elles nous disent qu'il existe des stratégies pour lutter contre certaines pratiques qui violent les droits de la personne. Cela ne veut pas dire pour autant qu'on ne croit pas à l'universalité des droits. Je pense que là-dessus toutes les ONG du monde s'entendent.
Sur la question des priorités, je suis d'avis que le Canada doit signifier clairement, par les initiatives qu'il prend, que c'est l'ensemble des droits qu'il défend.
Ses engagements vont d'ailleurs dans le même sens que ce dont on a discuté lors des forums internationaux. En effet, les initiatives que le Canada prend ou les dénonciations qu'il fait ne portent pas seulement sur le fait qu'on a assassiné les leaders ogoni, mais aussi sur la cause qu'ils défendaient. Donc, le Canada ne porte pas son attention uniquement sur une violation précise, mais aussi sur l'ensemble des violations qui se traduisent par des gens emprisonnés, pendus ou tués. Le message canadien doit, par conséquent, être clair et net. Mais le problème qui se pose à l'heure actuelle, c'est qu'on a l'impression que la souveraineté des États, - le mot souveraineté est très connu maintenant au Canada - est remise en cause maintenant par les politiques internationales.
[Traduction]
La présidente: Je suis désolée de vous interrompre. Peut-être pourrions-nous revenir sur ce point, mais M. Morrison doit partir et il aimerait poser une question.
M. Morrison: Merci.
C'est à la fois une observation et une question. Je comprends parfaitement pourquoi le comité s'exprime ainsi au sujet du lien à établir entre les droits de la personne et le commerce international. J'imagine que vous aimeriez tous que l'on adopte certains principes uniformes dans tous les pays, que ces pays soient grands, petits ou aient beaucoup à offrir en matière de commerce ou autre.
Je ne veux absolument pas dire que nous devrions poursuivre la politique actuelle qui consiste peut-être à soudoyer des gouvernements despotes pour qu'ils commercent avec nous en contrepartie de notre aide; nous leur demandons de commercer avec nous maintenant, puisque nous avons financé leur programme de développement. Mais que gagnons-nous, lorsque nous disons unilatéralement à la Chine ou à l'Indonésie par exemple, que nous ne ferons pas de commerce avec elles en raison de leurs méprisables antécédents en matière de droits de la personne?
De tels pays se soucient peu du Canada et des échanges commerciaux qu'il peut leur offrir. Ce qui les intéresse, c'est l'argent que nous pourrions leur donner pour l'aide au développement; peu leur importe si nous commerçons avec eux ou non, si nous ne leur offrons pas de pots-de-vin. Que gagnons-nous en insistant sur le respect des droits de la personne dans des pays comme ceux-ci? S'il s'agit de Haïti, bien sûr que nous pouvons peut-être défendre notre cause, car ce pays a davantage besoin de nous en matière de commerce que nous de lui. Mais que dire des pays pour lesquels le Canada n'a aucune importance?
M. Clark: Tout d'abord, j'aimerais être clair. Amnistie internationale est un organisme qui ne croit pas que les sanctions, le désinvestissement ou les embargos devraient influer sur la façon dont nous abordons les questions des droits de la personne.
En ce qui concerne la politique à adopter au Canada, dans les exposés que nous avons faits devant le gouvernement, nous avons essayé de désamorcer un tel débat. Pour nous, il ne s'agit pas de solutions de rechange. Ce n'est pas une question de commerce ou de droits de la personne. Au contraire, nous prétendons que les débouchés commerciaux pourraient bien, ainsi que le prétendent nos leaders , permettre de faire progresser les questions relatives aux droits de la personne. Là où nous divergeons, c'est que les débouchés ne sont pas exploités ou que l'investissement en matière de droits de la personne est profitable à long terme et non à court terme.
Le Canada peut fort bien contribuer à l'instauration d'un dialogue intéressant et utile en Chine au sujet de la primauté du droit, de la formation des juges, etc. C'est parfait, mais où se trouve le Canada, lorsqu'il est question de Wei Jinjsheng, accusé ce matin de trahison contre l'État? Il a déjà purgé une peine de 14 ans de prison et risque fort d'être condamné à mort. Tant que le Canada n'a pas voix au chapitre et ne trouve pas le mécanisme dans le cadre des débouchés commerciaux qui lui permettrait de soulever ces questions, je ne crois pas que nous nous dirigions sur la bonne voie. Nous choisissons d'offrir la moindre résistance et je ne pense pas que ce soit la bonne solution.
Mme Francis: J'aimerais simplement vous parler de l'expérience des églises et citer l'exemple de la Birmanie.
Nous ne demandons pas de sanctions unilatérales pour commencer. Ce que nous avons déjà fait - et je prends l'exemple de Pétro-Canada en particulier. Cette société d'État se renseignait sur les débouchés et avait déjà versé six millions de dollars en pots-de-vin pour attirer l'attention du SLORC. Le problème, c'est que Pétro-Canada s'est tournée vers nous.
Je crois que les ONG sont plus sophistiquées; il faut reconnaître que nous sommes en mesure de présenter diverses solutions, les unes après les autres. Nous demandons des sanctions, lorsque toutes les autres méthodes ont échoué. Nous parlons aux sociétés, nous leur présentons des preuves.
Nous avons demandé à Petro-Canada si elle avait seulement songé à se renseigner sur la santé de Aung San Suu Kyi lorsqu'elle était... Je tiens à préciser qu'elle n'était pas en résidence surveillée; elle est maintenant plus ou moins libre de faire ce qu'elle veut. Mais Petro-Canada n'avait même pas songé que c'était une mesure qu'elle aurait pu prendre en tant que corporation, ce qui est toute une déclaration politique dans le contexte d'un régime militaire comme celui de la Birmanie.
Il existe donc de nombreuses mesures et je crois que les églises n'ont opté finalement pour cette solution - et contrairement à Amnistie, nous appuyons à l'occasion des appels en faveur de sanctions, qu'après toute une série d'étapes mûrement réfléchies qui nous ont amenés...à cette situation odieuse qu'a vécue l'Afrique du Sud. Mais on aura auparavant épuisé plusieurs autres possibilités d'amélioration progressive.
Je pense que les ONG voient d'un oeil différent la question des sanctions; cela ne fait aucun doute. Pour beaucoup, c'est tout ou rien. Mais plusieurs d'entre nous considèrent qu'il existe des étapes intermédiaires et nous exhortons simplement les Canadiens à exercer des pressions sur le secteur commercial pour qu'il réagisse de façon responsable.
M. Mendes: J'aurais aimé que John English soit encore ici car c'est un cas où il aurait pu constater qu'il existe en fait un consensus parmi les ONG de ce pays. Je suis d'accord avec tout ce qui a été dit jusqu'à présent.
J'aimerais toutefois ajouter quelque chose à propos du leadership moral. Ceux qui présentent les sanctions commerciales comme des mesures que privilégient les ONG, la société civile ou la gauche...tout d'abord, d'après ce que vous venez d'entendre, c'est inexact.
Deuxièmement, ils négligent de soulever le problème très important du leadership moral et je prendrai comme exemple la situation au Nigéria. Avant la réunion du Commonwealth et avant l'exécution de Ken Saro-Wiwa, la situation au Nigéria laissait pas mal de gens indifférents, même si l'on sait très bien que celui qui a remporté les élections en 1993, Abiola, est en train de croupir en prison, d'après l'information la plus récente dont je dispose, sans parler de l'exécution de Saro-Wiwa. Malheureusement, il a fallu qu'on exécute Saro-Wiwa pour que s'exerce le leadership moral que nous avons constaté au sein du Commonwealth.
J'ai lu les transcriptions de certains témoignages entendus par votre comité et je ne suis absolument pas d'accord entre autres pour que l'on fasse une croix sur le Commonwealth, parce que ce genre d'institution peut exercer un leadership moral.
Nelson Mandela, qui a décidé de lancer sa propre croisade, en est un bon exemple. Même si le reste du monde ne lui emboîte pas le pas, il va quand même tâcher d'obtenir certaines mesures de la part de la communauté internationale à propos du Nigéria. J'estime que le Canada devrait l'appuyer et joindre ses efforts aux siens, car on peut faire beaucoup.
Je crois savoir que tout récemment, hier ou avant-hier, l'Union européenne a décidé de ne pas prendre de sanctions réellement efficaces comme par exemple un embargo pétrolier. Elle s'est contentée de limiter l'octroi de visas et de consolider l'embargo sur les armes. Or, les mesures que le Canada peut prendre pour exercer un leadership moral de concert avec Mandela sont innombrables. Il est en train de montrer la voie. Ni le Canada, ni Mandela n'ont proposé de sanctions commerciales proprement dites mais laissent entendre qu'il existe des moyens d'exercer des pressions sur les juntes militaires, susceptibles d'avoir d'importantes répercussions. Il faut du leadership moral pour agir ainsi.
M. McChesney: Nous avons entendu de très bonnes idées des derniers intervenants en réponse aux questions de M. Morrison.
Je suis d'accord avec Daisy Francis en ce qui concerne la dirigeante de la Birmanie. Elle était effectivement assignée à domicile, ce qui n'est plus le cas maintenant. Elle reste toutefois isolée et elle est ignorée des militaires au pouvoir. Elle est libre de s'adresser aux groupes qui viennent la voir en grand nombre mais uniquement depuis le pas de sa porte. Je remercie Mme Francis d'avoir rectifié ce point.
La présidente: Merci, monsieur Morrison.
Monsieur Morrison, pouvons-nous continuer sans votre présence?
M. Morrison: C'est à vous d'en décider.
La présidente: Non, monsieur, aujourd'hui la décision vous appartient.
M. Morrison: Je ne voudrais surtout pas déranger le déroulement de cette séance mais j'ai effectivement un autre rendez-vous.
La présidente: Mais nous pouvons...?
M. Morrison: Bien entendu.
La présidente: Merci.
J'ai une dernière question ou du moins une question à laquelle j'aimerais une réponse. Dans tous les comités où nous siégeons, nous entendons dire que le Canada ou le gouvernement n'en fait pas assez. Il m'arrive moi aussi de le dire mais je pense que nous avons vraiment le don de nous prendre pour cibles.
J'aimerais savoir comment d'autres pays abordent ce problème. Vous avez parlé de cohérence et d'uniformité. Selon vous, existe-t-il d'autres pays ayant des politiques particulièrement fermes en matière de droits de la personne, qui ont fini par leur causer du tort sur le plan commercial?
M. Clark: Je n'ai pas les renseignements nécessaire pour répondre à la dernière partie de cette question. Je dirais que les pays scandinaves - le Danemark, la Hollande, la Suède, la Norvège - ont fait preuve de beaucoup d'audace en ce qui concerne les nouveaux moyens qu'ils ont envisagés pour assurer l'efficacité de la politique étrangère dans le domaine des droits de la personne. J'estime qu'ils offrent certains modèles intéressants à étudier. Lorsque les ONG au Canada ont envisagé d'établir un conseil consultatif, elles se sont inspirées en partie de l'expérience constatée dans les pays scandinaves, bien que ce modèle même n'existe pas comme tel.
Je ne crois pas qu'il existe un seul pays qui se démarque par son succès dans le domaine des droits de la personne. Il existe sans aucun doute un certain nombre de pays qui tentent de trouver la bonne solution. Le Canada les appelle parfois les pays de même opinion et ils se manifestent effectivement aux Nations Unies par les politiques et les positions conjointes qu'ils adoptent. C'est un aspect à approfondir mais je dirais que les commentaires d'Errol Mendes à propos du leadership moral pourraient également s'appliquer ici.
Nous avons la chance de pouvoir vous parler ici aujourd'hui. Bien des pays n'ont pas cette possibilité, y compris les pays soi-disant développés. C'est un type d'initiative qu'il faut encourager et exploiter. S'il n'existe pas encore de modèles efficaces dans d'autres pays, c'est ce vers quoi devraient tendre nos efforts.
La présidente: Madame Francis.
Mme Francis: Je voulais simplement ajouter, suite aux questions posées plus tôt parM. Graham à propos des droits économiques, sociaux et culturels, que le gouvernement hollandais a envisagé certaines solutions originales.
Je songe particulièrement à Cees Flinterman, qui était chef de la délégation des droits de la personne en 1994. C'est incontestablement un professeur de droit et je ne me souviens pas de l'organisme pour lequel il travaille mais il ne fait aucun doute qu'il entretient des relations avec le ministère des Affaires étrangères.
Il a en fait proposé certains moyens très intéressants d'utiliser les mécanismes existants du système des droits de la personne pour concrétiser davantage les droits économiques, sociaux et culturels.
Certaines de ses idées sont à mon avis originales et intéressantes mais je fais écho...
En tant qu'ONG canadiennes, et nous ne le répéterons sans doute jamais assez, la question pour nous n'est pas simplement de reconnaître que nous avons un gouvernement assez convenable. Nous avons l'obligation en tant qu'ONG canadiennes de nous assurer que le Canada se conforme aux normes et aux principes auxquels il a souscrit. Nous ne pouvons pas nous contenter de dire qu'étant donné que le Canada est meilleur que les autres, tout va bien.
La présidente: Vous avez dit qu'il s'agissait d'une philosophie, mais est-elle mise en pratique par le gouvernement? Nous avons de grands penseurs dans le domaine des droits de la personne ici même au Canada. Mais sa philosophie correspond-elle à une position officielle du gouvernement des Pays-Bas?
Mme Francis: Il ne fait aucun doute que les Pays-Bas font partie des pays de même opinion et dans ce domaine en particulier sont beaucoup plus en avance que le gouvernement du Canada. Je pense que c'est un aspect qui mérite d'être approfondi.
Le professeur Mendes: Je tenais simplement à confirmer qu'il existe un groupe de pays de même opinion, les pays scandinaves, etc. Mais je tiens à situer cette question dans le contexte particulier de la concurrence, c'est-à-dire le désir de certains pays de propulser leurs entreprises sur le marché international, peut-être aux dépens des droits de la personne. Je dois faire attention à ne pas divulguer de nom.
Je suis au courant d'un cas très...où une certaine entreprise faisant affaire avec l'ancien régime Marcos aux Philippines ne s'est absolument pas souciée des droits de la personne, ni des normes du commerce international.
Depuis le changement de régime, cette entreprise est exclue de toute possibilité d'affaires aux Philippines. Le gouvernement a fait le nécessaire pour qu'elle n'obtienne plus jamais d'autres contrats.
C'est un aspect dont nous devrions tenir compte lorsque nous courrons coûte que coûte après d'énormes contrats, parce que les régimes peuvent changer. On risque, en agissant ainsi, de se couper l'herbe sous le pied.
C'est tout ce que j'ai à dire.
M. McChesney: Je poursuivrai simplement sur la question de savoir si la promotion des droits de la personne à l'échelle internationale coûte cher au Canada. J'ignore si le fait d'être considéré comme un chef de file dans le domaine des droits de la personne nous a coûté cher. Nous sommes des intervenants importants dans certains des cercles financiers et politiques internationaux les plus importants.
Nombreux sont ceux qui envient les pouvoirs économiques et sociaux des pays nordiques, y compris la Scandinavie, les Pays-Bas et l'Allemagne. Tous ces pays ont fait la promotion des droits de la personne à l'échelle internationale. Cela ne semble pas leur avoir causé du tort.
Aux Pays-Bas, bien entendu, le comité consultatif des droits de la personne est un mécanisme permanent grâce auquel les ONG influencent directement la politique étrangère en matière de droits de la personne à l'échelle internationale. Je suppose qu'il s'agit du modèle le mieux connu auquel Roger Clark a fait allusion.
Le fait que la Norvège, la Suède et l'Australie aient fait la promotion des droits de la personne à l'échelle internationale ne semble pas leur avoir nui. Je pense que ce leadership moral contribue à donner au Canada et à d'autres pays peut-être plus de pouvoir que nous n'en aurions autrement à cause de notre taille.
[Français]
M. McKenzie: Le Canada doit développer un modèle qui soit fidèle à la volonté de tous les Canadiens de promouvoir les droits de la personne dans le monde. Il peut s'inspirer des stratégies des pays nordiques ou des pays qu'on vient de nommer, car ces stratégies sont intéressantes. Mais je pense qu'il y a moyen de développer ici des mécanismes nouveaux tout en respectant la volonté des Canadiens et des Canadiennes.
D'autre part, on a souvent le sentiment que les interventions dans le domaine des droits de la personne ne doivent s'adresser qu'aux pays coupables de violations. Or, elles doivent aussi s'adresser aux pays amis. Prenons la France, par exemple, qui appuie, dans certains secteurs, des régimes dictatoriaux, en Afrique plus particulièrement. Le Canada peut donc jouer un rôle non seulement vis-à-vis des chefs de ces pays qui ne nous écoutent pas souvent, mais aussi auprès des pays qui les soutiennent.
Ma dernière réflexion porte sur le développement économique. Quand on parle de développement économique, il importe de savoir de quoi on parle. S'agit-il du développement économique des grandes compagnies ou de celui de la population canadienne? Bien sûr, on fait généralement référence au développement de l'emploi, de la société canadienne. Or, il faut s'assurer que le développement économique qu'on promeut sur le plan international englobe toute la société et qu'il n'en favorise pas une partie à l'exclusion d'une autre.
Cette question nous amène à nous demander si les États qui sont élus sont encore souverains. Est-ce qu'ils ont une influence ou s'ils sont seulement des brokers pour les marchands? Voilà la question fondamentale!
Quant au déficit que l'on connaît, il n'est pas seulement économique, mais aussi démocratique. À l'heure actuelle, on a l'impression que les citoyens de ce pays se demandent s'ils ont une prise sur le développement économique. C'est une question qui touche non seulement les droits socioéconomiques, mais l'ensemble des droits.
[Traduction]
La présidente: Merci.
Monsieur Graham.
M. Graham: C'est une question de processus. Vous en avez peut-être parlé et je tiens à nouveau à m'excuser de mon retard.
La conférence que le gouvernement fédéral organise au printemps de chaque année est-elle utile? Est-ce le seul moment de l'année où les ONG qui travaillent dans ce domaine se réunissent? Y a-t-il d'autres mesures qui pourraient être prises pour améliorer l'efficacité du système?
M. Clark: Si vous me le permettez...
M. Graham: Il est assez tard, par conséquent je...
M. Clark: Je laisserai une réponse à mes collègues. Je suis désolé mais je dois me retirer. J'ai un autre rendez-vous à 18 h. Si vous voulez bien m'excuser, madame la présidente. Je tiens toutefois à vous remercier de m'avoir offert l'occasion de comparaître.
La présidente: Nous vous remercions d'avoir été des nôtres.
M. Graham: Cette conférence est-elle utile? Pouvez-vous simplement répondre par oui ou par non?
Le professeur Mendes: C'est un bon mécanisme. Puis-je m'en tenir à cela?
M. Graham: D'accord.
M. McChesney: Je suis sûr que Daisy Francis aurait quelque chose à ajouter.
À bien des égards, elle est utile. Au fil des ans, certaines améliorations ont été apportées à la conférence qui se tient habituellement en janvier mais qui aura lieu un peu plus tard cette année puisque la Commission des Nations Unies sur les droits de l'homme se réunit plus tard. Mais Daisy aimerait peut-être souligner certains aspects de ce processus qu'il y aurait lieu d'améliorer.
Il ne fait aucun doute que les églises et Amnistie internationale assurent la liaison tout au long de l'année avec les agents des Affaires étrangères sur certains thèmes, mais cette conférence est la seule occasion de se préparer à la réunion annuelle de la Commission des Nations Unies sur les droits de l'homme et permet à toutes les ONG de se réunir avec les représentants du ministère des Affaires étrangères. Il ne s'agit pas uniquement du réseau mais de toutes les autres ONG. Mais je suis sûr que Daisy aimerait ajouter quelques observations.
Mme Francis: Cela ne m'ennuie pas de répondre en privé.
La présidente: Daisy, avez-vous quelque chose à ajouter?
Mme Francis: D'accord, très rapidement. Je pense que les consultations sont devenues un peu plus difficiles - car nous ne contrôlons pas la liste d'invitations. C'est une consultation organisée par le ministère des Affaires étrangères et il reconnaît que la liste d'invités ne cesse de s'allonger. Les 200 participants n'ont que deux jours pour se faire entendre. Cela devient donc de plus en plus difficile.
Mais c'est une tribune vraiment importante pour les ONG qui n'ont absolument aucune autre possibilité de rencontrer les représentants des Affaires étrangères. En ce qui nous concerne, nous avons plus de chance.
[Français]
M. McKenzie: Je pense que les dernières consultations qu'il y a eu sur le Commonwealth et la Francophonie sont vraiment importantes. Elles nous engagent à voir à ce que ces forums internationaux prennent en compte la question des droits et libertés et des droits de la personne. On a déjà eu une première consultation. Je pense que cela devrait se poursuivre et se développer.
[Traduction]
La présidente: Merci beaucoup.
Y a-t-il des témoins qui ont des choses à ajouter ou des points à résumer?
[Français]
M. McChesney: Je suis d'accord avec Gerald sur la dernière question. Merci encore de nous avoir donné l'occasion de venir discuter avec vous de questions aussi importantes.
[Traduction]
La présidente: Je tiens à remercier également chacun d'entre vous. Vous nous avez fait part de certaines réflexions très utiles qui nous aideront à prendre une décision finale à propos de la formation de notre comité. Merci.
La séance est levée.