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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 2 mai 1995

.1100

[Traduction]

Le président: Si tout le monde est prêt, nous allons commencer.

Je m'appelle Gar Knutson, et je préside le sous-comité de l'immigration.

Je souhaite la bienvenue à M. DeVoretz, avec qui nous allons avoir une réunion d'environ une heure et demie. Je voudrais vous dire que nous voudrions pouvoir discuter de manière aussi approfondie que possible, non pas nécessairement du livre mais plutôt du problème général de l'incidence économique des immigrants.

Je vous donne la parole.

M. Don J. DeVoretz (professeur d'économie, Simon Fraser University): Merci beaucoup. Je suis flatté d'avoir été invité par votre Comité.

Je n'ai pas l'intention de vous lire mon mémoire, puisque vous l'avez sous les yeux, je vais plutôt vous donner un aperçu de mes recherches et un bref résumé des conclusions du livre. Ensuite, puisque vous m'avez fait venir jusqu'ici, j'espère que vous aurez beaucoup de questions à me poser.

La question de l'immigration soulève depuis 70 ans des questions qui reviennent constamment: les immigrants prennent-ils des emplois aux Canadiens? Sont-ils un fardeau net pour le Trésor public? Sont-ils capables de s'insérer rapidement dans notre économie?

Depuis cinq ou dix ans, nous voyons apparaître de nouvelles questions axées sur notre réseau de sécurité sociale: les immigrants sont-ils un fardeau net pour les régimes de pension? Sont-ils un fardeau pour l'assurance-chômage? Rehaussent-ils nos possibilités de commerce avec l'Asie et avec les pays côtiers du Pacifique, questions que l'on a vue apparaître dans les années 1980 et 1990? Finalement, l'absence de recherches sur la participation des immigrantes à l'économie constitue un souci majeur, surtout sur la côte ouest.

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Considérant donc ces questions, traditionnelles ou nouvelles, j'ai décidé en 1993 de prendre contact avec mes étudiants des 10 dernières années pour voir si nous pourrions organiser une conférence au sujet des «Nouvelles questions économiques», afin de traiter des problèmes que je viens d'évoquer.

J'ai assez d'étudiants diplômés pour préparer la plupart des rapports nécessaires mais, pas tous. En 1994, plusieurs fondations, dont la Laurier Institution de Vancouver et l'Institut C.D. Howe de Toronto, ont pris contact avec moi pour suppléer à mes maigres ressources en demandant à d'autres personnes de se pencher également sur ces questions.

Je rappelle tout cela pour vous dire que les contributions à ce livre, à l'exception du premier chapitre, sont le résultat de bourses d'études sérieuses, qui ont été examinées par des pairs lors d'examens de doctorat oraux, puis deux autres fois par des pairs indépendants. Autrement dit, cet ouvrage n'a pas été commandé par un institut. Il est le fruit de recherches universitaires qui ont généralement duré deux ou trois ans avant que les rapports n'aient été rédigés.

Quelles sont les conclusions? Certaines sont parfaitement claires.

Tout d'abord, on peut dire de manière générale que vers 1991 ou 1992, considérant certaines données, notamment du recensement, les immigrants apportaient toujours une contribution modeste mais positive à notre économie. Le titre de l'ouvrage, Diminishing Returns, montre cependant que cette contribution positive s'amoindrit. Cela ne veut pas dire qu'elle soit déjà négative mais plutôt que nous avons repéré certaines tendances préoccupantes, qui appellent une réaction des pouvoirs publics.

Dans le livre, comme dans mon mémoire, je fais le point sur certaines des nouvelles questions qui se posent. Par exemple, quelle est l'incidence des immigrants sur notre régime de pensions? Les données de Statistique Canada, analysées par diverses sources, montrent que les immigrants ne sont pas un fardeau pour le régime de pensions. En fait, leur épargne privée est supérieure à celle des autres Canadiens, pour compenser le fait qu'ils ne sont pas admissibles à certains de nos programmes. De plus, cette épargne nette supérieure est consacrée à leurs enfants, puisque les immigrants consacrent plus à l'éducation de leurs enfants et à l'héritage.

Cela règle donc son compte à l'idée fausse voulant que les étrangers sont un fardeau pour notre régime de pensions, voire pour notre système d'enseignement. Il y a cependant un autre facteur qui n'est pas aussi positif.

Les immigrants prennent-ils nos emplois? Plusieurs personnes, moi compris, ont mené des études sérieuses au début des années 1980 sans pouvoir obtenir de preuves incontestables que les immigrants prennent des emplois. Aujourd'hui, cependant, cet ouvrage, qui nous amène jusqu'à 1991-1992, comprend un rapport de Marr et Siklos établissant qu'il y a désormais un lien entre le niveau d'immigration et le chômage, ce qui est une autre tendance préoccupante.

Cela dit, nous avons quand même encore beaucoup d'informations positives. De manière générale, les transferts au Trésor public, c'est-à-dire les taxes payées par les immigrants moins les coûts financiers que l'on peut repérer, montrent qu'une famille étrangère vivant au Canada payait en moyenne en 1991 plus de 30 000$ de plus au Trésor public qu'elle n'en utiliserait pendant sa vie. Ce chiffre est fondé sur les données du recensement. Une réserve s'impose cependant: les arrivants les plus récents ne transfèrent pas autant d'argent au Trésor public que ceux des générations antérieures.

La question fondamentale est donc de savoir si les nouveaux immigrants, ceux qui sont arrivés depuis 1986, finiront par se comporter comme ceux qui les ont précédés, par exemple depuis 1965. Leurs revenus vont-ils augmenter aussi rapidement? Leur taux d'assimilation sera-t-il aussi rapide, ce qui ferait augmenter leurs paiements fiscaux?

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La dernière remarque que je voudrais faire avant de passer aux questions est que Fagnan, dans son étude sur l'évolution des revenus, aborde directement la question centrale. À son avis, il faut plus longtemps aux hommes qui immigrent pour rattraper les revenus des Canadiens de souche ou des immigrants plus âgés. Or, dans notre pays, moins de revenu signifie moins d'impôts, ce qui est crucial.

Les prochains immigrants verront-ils le taux de croissance de leurs revenus augmenter ou diminuer, comme le dit Sheila? Voilà la question essentielle. Cependant, comme nous ne pouvons pas y répondre, nous recommandons que les pouvoirs publics prennent des mesures pour faire en sorte que cette croissance des revenus soit aussi rapide à l'avenir que dans le passé.

En résumé, les conclusions de cet ouvrage sont que les immigrants contribuent encore de manière positive à notre économie, mais que de nouvelles tendances préoccupantes ont vu le jour. Il se peut par conséquent que les résultats encore positifs d'aujourd'hui ne le soient plus en l'an 2001, lors du prochain recensement, si nous ne prenons pas certaines mesures d'ordre public. Vous en trouverez quelques-unes dans l'ouvrage et nous pourrons les discuter en détail si vous le souhaitez. Merci.

Le président: Nous y viendrons.

Monsieur Nunez.

[Français]

M. Nunez (Bourassa): Merci, monsieur DeVoretz, pour votre présentation. Je pense que vous êtes considéré à juste titre comme une autorité en matière d'immigration, surtout du point de vue des retombées économiques pour le Canada. Vous avez fait des recherches très approfondies. J'ai ici votre livre.

Vous dites qu'aujourd'hui, l'apport économique de l'immigration à la société canadienne n'est pas aussi important que dans le passé. Il y a des gens qui disent qu'il faudrait réduire le nombre d'immigrants de 100 000 à 150 000 immigrants par année. On va en recevoir cette année environ 230 000. Quelle est votre pensée à cet effet? Est-ce qu'il faut réduire radicalement l'immigration? Est-ce que le niveau actuel est trop généreux ou s'il faudrait augmenter le nombre d'immigrants?

[Traduction]

M. DeVoretz: Voilà le coeur du problème, n'est-ce pas? Je tiens d'abord à dire que les facteurs économiques ne constituent qu'un volet du problème. Il y en a beaucoup d'autres à prendre en considération pour pouvoir répondre à votre question. Quoiqu'il en soit, puisque je suis un économiste, je vais vous répondre d'un point de vue strictement économique.

Si nous voulions envisager le problème uniquement du point de vue de la Colombie-Britannique, je dirais que nous devrions augmenter sensiblement le nombre d'immigrants dans notre pays, pour dépasser les 215 000 prévus et pour atteindre peut-être jusqu'à 300 000. Par contre, si la conjoncture qui existe actuellement en Ontario et dans le centre du Canada se maintient, j'abaisserais le chiffre, peut-être jusqu'à environ 217 000.

Autrement dit, du seul point de vue de la contribution économique, notamment de la contribution au Trésor public, je dirais qu'il faut accroître le nombre d'immigrants si l'on prévoit une solide croissance économique, comme celle que connaît la Colombie-Britannique, mais qu'il faudrait probablement s'en tenir à environ 217 000 si la conjoncture économique nationale continuait d'être celle de l'Ontario. J'espère que cela répond à votre question.

[Français]

M. Nunez: Quel est l'impact des membres de la famille qui viennent ici? Dans le passé, les immigrants venaient avec leur famille. Aujourd'hui, c'est un peu plus difficile. Le gouvernement actuel met des obstacles à la politique de réunification de la famille, malgré la promesse libérale. Jusqu'où peut-on aller? Est-ce qu'on doit se baser exclusivement sur les immigrants dépendants ou s'il faut tenir compte des considérations familiales? Quand on parle des familles, c'est à quel degré? Est-ce qu'on parle seulement des parents immédiats, des enfants ou des conjoints, ou peut-on aller plus loin? Comment voyez-vous la question de la réunification des familles?

.1115

[Traduction]

M. DeVoretz: Encore une fois, du point de vue d'un économiste, je dirais qu'il faudrait faire moitié-moitié. Autrement dit, pour chaque immigrant économique que nous laissons entrer ou que nous réussissons à attirer...

M. Nunez: Aujourd'hui, c'est moins de 50 p. 100, je crois.

M. DeVoretz: Si nous accueillons 100 000 immigrants dans la catégorie économique, à titre d'investisseurs, ou dans la catégorie des indépendants, je serais porté à conclure que nous devrions en accueillir 100 000 autres dans la catégorie familiale. Voilà ce que nous disent les analyses économiques.

La deuxième partie de votre question, si je l'ai bien comprise, concerne les conséquences qu'aurait une compression de catégorie familiale. Lorsque j'ai interrogé des investisseurs ayant immigré au Canada, j'ai dû constater qu'ils l'ont fait pour de nombreuses raisons. Ainsi, ceux qui ont préféré Vancouver à Los Angeles, où ils auraient pourtant pu obtenir un taux de rendement plus élevé pour leurs investissements, l'ont fait parce que la réunification des familles est plus facile au Canada.

Il y a encore quelques années, dans les pays qui nous font concurrence sur le plan de l'immigration, on ne pouvait parrainer les parents qu'après être devenus citoyens. Le point important est que les parents ne sont pas séparés des immigrants. Autrement dit, si vous réduisez le nombre d'immigrants de la catégorie familiale, vous réduirez en même temps le nombre d'immigrants investisseurs. En fait, on a constaté l'an dernier en Colombie-Britannique une baisse de 58 p. 100 du nombre d'immigrants de la catégorie des investisseurs ou des entrepreneurs, en partie à cause des pressions exercées sur la catégorie familiale.

[Français]

M. Nunez: Vous avez fait des études très approfondies concernant les coûts de l'immigration pour le Canada, c'est-à-dire les coûts de l'accueil, de l'intégration, de l'apprentissage des langues, les coûts sociaux, le bien-être social l'assurance-chômage. Est-ce que vous avez examiné la question du coût de l'éducation d'un immigrant adulte avant qu'il ne vienne ici, le coût pour son pays d'origine? Il y a beaucoup de professionnels, de professeurs d'université, de médecins. Ils ont coûté très cher à leur pays d'origine. Est-ce que vous avez fait des recherches là-dessus?

[Traduction]

M. DeVoretz: Oui. Cela n'a rien à voir avec l'ouvrage et je peux vous dire que nous avons consacré plusieurs études précisément à cette question. Quelle est la valeur de l'enseignement supérieur dont à bénéficié le Canada entre 1967 et 1981 grâce à tous les immigrants qui sont venus nous apporter leur savoir-faire, surtout ceux du Tiers monde? Nous nous sommes ensuite posé à nouveau la question pour la période allant de 1981 à 1991.

Pour la première période, nous avons constaté que la valeur de l'éducation immigrée était d'environ 2,7 milliards de dollars canadiens en 1981. Pour replacer les choses dans leur contexte, c'est l'équivalent d'une année d'enseignement postsecondaire gratuit pour tout le pays. C'est donc un cadeau que nous ont fait les contribuables des Philippines, de l'Inde, du Royaume-Uni et d'ailleurs. Depuis 1981, ce chiffre a baissé. Selon nos estimations, il se situe à environ 700 millions de dollars, soit un tiers de la somme précédente, pour la période allant de 1981 à 1987.

Le chiffre est certes important mais, comme nous l'indiquons dans l'ouvrage, c'est un résultat positif qui s'amoindrit, même s'il est loin d'être négligeable.

[Français]

M. Nunez: Pour ce qui est des coûts de l'éducation dans les pays d'origine, est-ce que vous avez fait des études comparatives avec d'autres pays? Par exemple, les immigrants qui viennent aux États-Unis sont-ils plus qualifiés et plus instruits que ceux qui viennent au Canada? Est-ce que vous voyez aujourd'hui un problème au niveau du recrutement des immigrants à l'étranger?

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Les immigrants d'Europe ne viennent plus en aussi grand nombre qu'auparavant parce que la situation économique s'est beaucoup améliorée en Europe. Si la qualité de la vie continue son niveau de croissance dans d'autres pays, il n'y aura plus beaucoup d'immigrants de ces pays qui viendront non plus. Est-ce qu'il y a un problème réel de recrutement des immigrants à l'étranger? Est-ce qu'il ne faudra pas concurrencer d'autres pays d'immigration, par exemple l'Australie ou les États-Unis, à l'avenir? Comment peut-on résoudre ce problème au niveau du Canada?

[Traduction]

M. DeVoretz: Je vais répondre à vos questions dans l'ordre inverse où vous les avez posées.

Sommes-nous en concurrence avec d'autres pays? La réponse est incontestablement oui, très nettement. Nous sommes particulièrement en concurrence avec les États-Unis et l'Australie. Chaque fois que nous modifions l'une de nos politiques, on l'annonce dans le New Wouth China News ou dans d'autres publications de Hong Kong. Les immigrants asiatiques, surtout de Hong Kong et de Taiwan, sont parfaitement au courant de ce que nous faisons. Il y a donc incontestablement une concurrence avec les autres pays d'immigration.

Pour ce qui est du recrutement, question qui est reliée à la précédente, cette concurrence fait qu'il nous est plus difficile d'attirer des immigrants investisseurs, par exemple, quand nous modifions les conditions imposées à la catégorie de la réunification familiale, comme je l'ai déjà dit. En effet, quand nous modifions nos politiques, on le sait très rapidement en Asie, surtout chez les dirigeants politiques, et dans les autres pays qui nous font concurrence.

Cela dit, la diminution du nombre d'immigrants investisseurs et du nombre d'immigrants fortement scolarisés ne s'explique pas uniquement par nos changements de politiques. Vous avez parfaitement raison de le dire qu'il est plus difficile d'attirer des personnes qualifiées de tous les autres pays, essentiellement parce que la situation ne cesse de s'améliorer dans ces autres pays. Autrement dit, leurs citoyens sont moins poussés à partir.

Que pouvons-nous faire pour attirer plus d'immigrants qualifiés? L'une des solutions est de préserver l'intégrité du programme de réunification familiale, qui est à mon avis un avantage plutôt qu'un inconvénient. Deuxièmement, nous devrions simplifier notre procédure d'évaluation des candidats à l'immigration. Nous appliquons actuellement trop de règles pour calculer les 70 points qu'il faut environ pour entrer au Canada. Si nous pouvions simplifier les règles relatives à la connaissance des langues, à la scolarisation et à l'âge, nous pourrions recruter des gens qui, en très grosse majorité, réussiront très bien chez nous.

Finalement, je crois que nous devrions également tenir compte de la situation des conjoints, en leur attribuant des points. Ainsi, si le candidat principal intéressé est un homme qui ne peut obtenir qu'une soixantaine de points, pourquoi ne pas tenir compte des caractéristiques de la femme qui va l'accompagner, en lui donnant à elle aussi des points? Cela reflèterait notre besoin d'immigrants économiques et montrerait que nous sommes sensibles au fait que les femmes doivent également contribuer à notre expansion économique, ce qui nous permettrait d'attirer un plus grand nombre d'immigrants qualifiés.

Voilà des mesures que le gouvernement pourrait adopter.

M. Hanger (Calgary-Nord-Est): Je suis très heureux de pouvoir finalement vous rencontrer, monsieur DeVoretz. Nous avons déjà participé en même temps à plusieurs émissions radiophoniques mais nous n'avions jamais pu nous rencontrer. Je dois dire que j'apprécie beaucoup les études que vous avez menées dans ce domaine.

À mon avis, nos bureaucrates ont beaucoup d'informations sur les questions d'immigration, et je suis prêt à parier que beaucoup d'entre eux sont probablement d'accord avec ce que vous venez de dire.

Par exemple, nous avons accueilli des fonctionnaires du ministère de l'Immigration qui nous ont dit que les gens de certains pays sont culturellement mieux équipés que d'autres pour s'intégrer à l'économie canadienne. Êtes-vous d'accord et croyez-vous que nous devrions en tenir compte dans notre politique de l'immigration?

M. DeVoretz: Pour un économiste, la «culture» désigne la langue et les années d'expérience dans une population active moderne. Si on se limite à cela, c'est-à-dire à la langue et à la technologie moderne, je dois dire que c'est absolument essentiel.

Si vous examinez les données scientifiques du recensement de 1991, vous constaterez que la pénalité que l'on doit acquitter sur le plan des revenus lorsqu'on ne parle pas l'anglais et (ou) le français dans la province appropriée revient à payer 14 p. 100 d'impôts supplémentaires sur le revenu à perpétuité. Je veux dire par là que l'on peut considérer que quiconque ne possède pas l'un des ingrédients nécessaires pour devenir un immigrant culturellement complet doit en payer le prix.

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Le deuxième ingrédient important pour être culturellement assimilé est l'expérience professionnelle, c'est-à-dire à la fois les qualifications professionnelles et l'éducation acquises à l'étranger. Bien souvent, une 12e année ne vaut pas la même chose au Canada que dans un autre pays. En outre, la culture englobe aujourd'hui bien des compétences technologiques très modernes. C'est aussi simple que la question de savoir utiliser des ordinateurs d'aujourd'hui plutôt que des ordinateurs d'il y a dix ou quinze ans. Si l'on ne sait pas utiliser les ordinateurs d'aujourd'hui, on est handicapé.

Finalement, pour autant que l'on puisse évaluer cette variable, rien ne prouve de manière incontestable que le pays d'origine influe sur le succès économique au Canada. Autrement dit, si vous venez d'un pays X et que vous êtes allé dans une école où l'on vous a enseigné correctement l'informatique, que vous connaissez l'anglais et que vous avez dix ans d'expérience dans une entreprise moderne de ce pays, vous ne serez pas handicapés lorsque vous arriverez au Canada, simplement parce que vous venez du Vietnam ou de ce pays X.

Ce n'est pas vraiment la culture du pays d'origine qui influe sur le succès économique, ce sont plutôt les autres caractéristiques telles que la connaissance linguistique, l'expérience professionnelle et le niveau d'étude.

M. Hanger: Le Canada devrait-il donc formuler sa politique de l'immigration en conséquence?

M. DeVoretz: Oui, d'un point de vue strictement économique.

Je pense qu'il faut reconnaître ces caractéristiques. Par exemple, une formation professionnelle à l'étranger n'est pas nécessairement équivalente à une formation professionnelle ici. Je dis donc «oui» parce que tout cela a une incidence sur le bien-être social, sur l'assurance-chômage et sur les risques de discrimination.

Personnellement, je ne pense pas qu'il faille atténuer l'importance de ces facteurs si cela nous fait accepter des gens ayant des attentes injustifiées. Par exemple, si le niveau de formation médicale reçue à l'étranger ne correspond pas à celui permettant de pratiquer la médecine dans le nord de la Colombie-Britannique, je pense qu'il faut le dire honnêtement aux gens, avant qu'ils ne mettent le pied chez nous, et ne pas leur donner de points pour cela. Nous devrions être parfaitement clairs là-dessus.

M. Hanger: J'ai eu des conversations intéressantes à l'étranger, dans certains de nos bureaux d'immigration, au sujet de notre politique de sélection des immigrants. Certains de nos fonctionnaires étaient mécontents qu'il y ait une sorte de propagande présentant le Canada comme un pays utopique, disant aux étrangers que tous leurs rêves pourront se réaliser ici.

Or, il y a manifestement des gens très bien intégrés à leurs pays qui ont accepté ce message. Ils se sont déracinés pour venir chez nous, où ils ont constaté ensuite que le message était faux. D'un point de vue économique, ils étaient plus prospères, d'une certaine manière, dans leurs pays d'origine.

Le gouvernement canadien semble s'efforcer d'atteindre un certain nombre d'immigrants sans faire suffisamment attention aux caractéristiques de ces derniers. Nous disons que nous voulons 215 000 immigrants cette année, et nous allons faire tout notre possible pour atteindre cet objectif, mais il ne semble pas y avoir le nombre de candidats qualifiés voulus. Qu'en pensez-vous?

M. DeVoretz: C'est une réalité depuis Clifford Sifton. À certains égards, nous faisons de notre pays une peinture beaucoup trop radieuse. Je ne pense pas qu'il ait jamais fait 50 degrés Fahrenheit en décembre à Winnipeg, comme il l'avait laissé entendre.

Malgré cela, le recrutement des immigrants se fait en fonction de certains facteurs plus importants que le fait que nous prétendions être le pays numéro un au monde d'après l'ONU. Si les immigrants constatent qu'ils ont fait une erreur, à cause des informations que nous leur avons données ou qu'ils ont obtenues auprès de leurs amis ou parents, ils peuvent toujours retourner chez eux. Cela ne me préoccupe pas autant que certaines autres personnes. La porte est toujours ouverte pour ceux qui veulent partir.

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En fait, nous savons que le chiffre brut et le chiffre net sont sensiblement différents. Selon un démographe de l'Université Western de l'Ontario, il y a entre 50 000 et 80 000 personnes qui quittent le Canada chaque année. Autrement dit, il y a un nombre assez élevé de gens qui sont déçus du Canada ou qui se sont servis de notre pays pour aller ailleurs. Cela ne prouve pas que nous faisions de la propagande ou que les procédures de sélection soient erronnées. C'est un phénomène qui existe depuis longtemps, et les gens peuvent corriger leurs erreurs.

Je prévois d'ailleurs que le gouvernement ne sera bientôt plus le seul à faire de la publicité au sujet du Canada et que l'entreprise privée aura bientôt le droit de participer au recrutement. À mon avis, notre politique devrait permettre aux entreprises de faire des efforts sérieux pour recruter à l'étranger des personnes ayant les compétences dont elles ont besoin, sans dépendre totalement du système de points du gouvernement.

Je ne veux pas dire qu'il faille confier tout notre programme d'immigration à une entreprise, mais simplement qu'il est très difficile, même pour moi, qui ai 52 ans, de savoir quels sont exactement nos besoins en matière de programmeurs en informatique. Bon nombre de ces éléments pourraient être confiés à des organismes professionnels, à la condition importante qu'il ne s'agisse pas là d'un droit de recrutement illimité.

Cela permettrait d'éviter que l'on essaie d'atteindre l'objectif de 215 000 immigrants en faisant de la publicité peut-être erronnée, étant donné que l'entreprise aurait l'obligation contractuelle de faire venir ses propres immigrants, ce qui coûte de l'argent.

Voilà ce que je propose pour répondre à cette critique.

M. Hanger: Qu'est-ce qui est le plus important sur le plan économique, le déficit et la dette ou l'immigration? Devons-nous résoudre le problème économique en nous attaquant à la dette et en encourageant l'investissement ou en acceptant plus d'immigrants?

M. DeVoretz: Les études montrent que c'est l'un des rares domaines de l'économie où l'on peut avoir le beurre et l'argent du beurre. Si nous accueillons au moins 50 p. 100 d'immigrants de la catégorie économique, et s'il est vrai qu'Akbari et d'autres ont raison de dire que les immigrants contribuent plus au trésor public qu'ils n'en retirent pendant toute leur vie, cela nous permet de mener une attaque contre le déficit, encore qu'il s'agisse d'une petite attaque, tout en accueillant beaucoup d'immigrants.

Nous avons calculé le nombre d'immigrants qu'il nous faudrait accueillir par an pour compenser le seul déficit de notre régime de pension de retraite. Le chiffre est tellement énorme que je n'ose pas vous le dire. Cela montre au demeurant que l'immigration ne devrait pas être un outil pour s'attaquer au déficit, même si elle peut y contribuer de manière très marginale.

M. Assadourian (Don Valley-Nord): Sur une échelle de un à dix, quelle est d'après vous l'incidence des politiques du gouvernement sur les nouveaux immigrants qui essaient de trouver un emploi?

M. DeVoretz: À mon avis, cette incidence est proche de 10.

Apprendre l'anglais, surtout pour les femmes, a une incidence énorme sur le revenu. Les immigrantes, cela a été largement prouvé dans cet ouvrage ou dans d'autres, se retrouvent souvent dans des emplois n'offrant aucun avenir. Si elles ne connaissent pas l'anglais, il leur est difficile de trouver le temps ou l'argent nécessaires pour aller l'apprendre. Quand on leur donne les ressources nécessaires, elles peuvent accroître leurs revenus, et l'on constate la même chose pour les revenus de leur mari qui peut alors lui aussi suivre des cours.

En conclusion, pour certains groupes au moins, la connaissance des langues vaut 10 sur votre échelle.

En ce qui concerne d'autres aspects du programme d'immigration, ils sont très difficiles à évaluer. Par exemple, rien ne prouve qu'apprendre le fonctionnement de nos institutions publiques - c'est-à-dire comment présenter une demande d'assurance-chômage ou de citoyenneté - contribue au succès économique. Je suppose que c'est positif mais on ne peut tout simplement pas le prouver.

Pour la langue par contre, les preuves sont parfaitement claires et cela mérite un 10.

M. Assadourian: D'après vous, comment devrions-nous améliorer les programmes d'établissement des immigrants?

.1135

M. DeVoretz: Oui. Si nous pouvions offrir plus de ressources aux immigrantes, nous pourrions rehausser la productivité des immigrants. En ce qui concerne les hommes, ils se débrouillent généralement très bien une fois qu'ils sont arrivés. Si l'on a un choix à faire en ce qui concerne l'utilisation de ressources plutôt maigres, je dirais que c'est en aidant les immigrantes faisant partie de la population active que l'on aura le plus de résultats.

M. Assadourian: Vous avez dit que la contribution des immigrants est dans l'ensemble positive mais plus petite que celle d'il y a 15 ou 20 ans. Cela s'explique-t-il par les changements apportés à notre politique ou par l'évolution de la conjoncture internationale?

Au Canada, est-ce que les gens contribuent moins et prennent plus, et est-ce pour cela que le déficit est tellement élevé?

M. DeVoretz: D'après mes recherches scientifiques, j'estime que la baisse de contribution s'explique au moins pour moitié par notre politique. Autrement dit, l'accroissement du nombre de personnes acceptées sans évaluation économique a tendance à réduire la contribution fiscale. Dans les années 1970, environ la moitié des immigrants faisaient l'objet d'une évaluation économique. Au milieu des années 1980, aucun ne l'était plus. En 1984-1985, par exemple, pratiquement tous faisaient partie de la catégorie familiale.

Nous constatons aujourd'hui les conséquences d'une politique adoptée dans les années 1980 qui a attribué moins d'importance aux immigrants économiques. Je crois que les choses sont en train de changer et que l'on repart dans le bon sens, ce qui fera augmenter les contributions dans une dizaine d'années. D'après moi, il y a là une implication politique.

Mais la politique n'est pas tout. Comme on l'a dit plus tôt, les sources traditionnelles d'immigration se sont asséchées. La raison pour laquelle les Norvégiens ne viennent plus pêcher en Colombie-Britannique est qu'en Norvège, le revenu par habitant est d'environ 50 p. 100 supérieur à celui de la Colombie-Britannique. Je ne vois donc pas quelle politique on pourrait adopter pour amener les Norvégiens à immigrer en Colombie-Britannique. Tout ne s'explique pas par la politique.

M. Assadourian: Vous avez dit qu'il faut aux immigrants 70 points pour pouvoir entrer au Canada. Seriez-vous d'accord pour que l'on attribue cinq points aux candidats de la catégorie familiale s'ils acceptent d'aller vivre dans une région rurale? De cette manière, nous pourrions accroître la population des régions rurales plutôt que des villes.

M. DeVoretz: Ma réponse à votre question est que je ferais tout ce qui est possible en vertu de la Charte pour mieux disperser les immigrants dans l'ensemble du pays. Quand je vais à Halifax ou dans d'autres communautés qui ne reçoivent pas beaucoup d'immigrants, on me demande constamment ce que nous devrions faire pour en attirer plus.

La principale conclusion des études consacrées à cette question est que les immigrants ont tendance à aller s'établir là où sont allés leurs prédécesseurs. C'est quelque chose qu'il est très difficile de changer. Je serais donc en faveur de mesures politiques plus vigoureuses à ce sujet, à condition qu'elles soient conformes à la Charte.

M. Assadourian: Quand nous accueillons des immigrants extrêmement qualifiés ou qui ont fait beaucoup d'études, quelle incidence cela a-t-il sur leur pays d'origine, surtout si c'est un pays du Tiers monde? En outre, avez-vous étudié le cas des immigrants qui sont retournés dans leur pays d'origine après l'effondrement de l'U.R.S.S. et du communisme?

M. DeVoretz: Je réponds tout de suite non à votre deuxième question. Nous avons certaines informations sur des immigrants âgés qui retournent en Italie et dans les Philippines, mais c'est tout.

En ce qui concerne les coûts pour le Tiers monde, et l'indemnisation éventuelle des pays concernés, je dois dire que c'était une question dont on parlait beaucoup dans les années 1970 mais qui ne paraît plus très importante aujourd'hui.

En revanche, il y a toujours beaucoup de préoccupation au sujet du fait que nous n'acceptions que des immigrants qualifiés. La population immigrante que nous acceptons des Philippines est plus équilibrée, ce que je sais parce que c'est l'un de mes domaines de spécialisation, et je n'ai lu ou entendu aucune critique au sujet de notre politique actuelle c'est-à-dire depuis 1984, sur l'immigration.

M. Assadourian: Merci.

Le président: Vous avez dit à la fin de votre exposé que vous pourriez formuler des recommandations. Peut-être pourrions-nous en discuter maintenant?

Plus précisément, j'aimerais avoir votre avis sur la politique annoncée par M. Marchi l'an dernier. Je crois comprendre que vous l'appuyez sans réserve, mais vous pouvez me corriger si tel n'est pas le cas.

.1140

M. DeVoretz: Je vais d'abord vous présenter mes recommandations, après quoi je parlerai des propositions du ministre Marchi.

Ma première recommandation est que nous formulions des politiques régionales, fondées sur les besoins particuliers des régions.

Ma deuxième recommandation est qu'il est urgent d'adopter de nouvelles politiques car nous faisons face à de nouveaux problèmes. Je vais passer tout de suite aux politiques régionales.

Si nous sommes préoccupés par l'incidence de la catégorie familiale sur le bien-être social ou l'assurance-chômage, il faut permettre aux régions d'exiger une caution, c'est-à-dire une somme versée en garantie et calculée en fonction de l'expérience acquise dans chaque province en matière d'utilisation du bien-être social. Il n'y a aucune raison que cette caution soit exigée d'un bout à l'autre du pays.

En effet, l'une des études rapportées dans l'ouvrage, il y en a eu d'autres ailleurs, montre que les immigrants de la Colombie-Britannique n'ont tout simplement pas recours au bien-être social. De ce fait, leur imposer une caution constituerait tout simplement une pénalité inutile. Voilà pourquoi la première politique régionale à adopter, concerne l'obtention d'un cautionnement. Cela rassurerait nos concitoyens, de Toronto ou de la Vallée du Fraser, qui sauraient que les immigrants n'ont pas recours au filet de sécurité sociale aux dépens des contribuables. À mes yeux, c'est là une politique absolument essentielle.

Deuxièmement, je crois que nous devons modifier la manière dont nous recrutons nos immigrants, notamment en simplifiant le système. Nous ne parlons pas ici d'un domaine dans lequel on peut prévoir avec exactitude les besoins futurs. Un économiste vous recommanderait donc de tenir compte du capital humain, c'est-à-dire des connaissances linguistiques - et j'ai déjà parlé de l'Anglais et du Français - en attribuant plus de points aux jeunes. J'ai déjà dit que l'on devrait également attribuer des points selon la situation familiale, pour tenir compte de la réalité des années 1990.

La dernière chose à faire pour simplifier le processus consisterait à s'assurer que les études réalisées dans le pays d'origine correspondent aux nôtres, ce qui ne serait pas très difficile. Comme je fais partie du comité des admissions de l'Université Simon Fraser, je sais que nous utilisons des livres établissant la correspondance entre les diplômes de divers pays. En outre, nous pouvons profiter de l'expérience acquise, puisque nous savons que certains pays ont tendance à exagérer la qualité de leurs diplômes. Voilà donc quatre facteurs, les études, l'âge, la connaissance de l'Anglais et du Français et la famille, qui permettraient de simplifier le processus de recrutement et d'accueillir plus d'immigrants.

Cela dit, je répète que l'économie n'est que l'un des éléments à prendre en considération pour gérer un programme d'immigration. Il est bien évident que nous ne devons pas accueillir des immigrants que dans la catégorie économique et qu'il nous en faut aussi dans la catégorie familiale. C'est un point que les études ne font pas ressortir clairement mais c'est parfaitement clair quand on parle avec les gens. Il faut donc attribuer des points à la catégorie familiale, surtout si la famille est dotée d'atouts économiques. Je suis de plus en plus favorable à l'idée que les mères et les pères font oeuvre utile lorsqu'ils viennent ici pour s'occuper des enfants, puisque cela élimine des frais de garde d'enfants. D'après moi, c'est un argument très puissant pour la Colombie-Britannique.

Voilà donc les recommandations que je veux faire, le cautionnement et changer...

Pour ce qui est du programme de M. Marchi, je dois reconnaître, en toute modestie, que j'en appuie une bonne partie. Je faisais partie du comité permanent qui lui avait recommandé d'adopter un bon nombre de ces mesures, et je suis ravi qu'il en ait retenu plusieurs. J'espère maintenant qu'il adoptera le système de cautionnement. Je précise toutefois que je ne suis pas en faveur de toutes ses politiques.

J'ai publié dans le Vancouver Sun un article dans lequel je disais que je contestais vigoureusement la taxe d'établissement. À mon sens, un cautionnement suffirait.

Dans l'ensemble, j'estime que les dispositions économiques des politiques proposées par le gouvernement actuel sont positives, mais je critique vigoureusement la taxe d'établissement car je pense que nous devions accueillir plus d'immigrants, pas moins. Je crois que l'on fait une erreur en réduisant le nombre d'immigrants de la catégorie familiale. Nous devrions plutôt changer le système de points pour attirer les meilleurs candidats de cette catégorie, en appliquant un système de caution afin de n'imposer aucun fardeau aux contribuables.

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Le président: Supposons, simplement pour le débat, que la taxe d'établissement soit une politique de Paul Martin, et laissons-la de côté pour le moment. En ce qui concerne la caution, je crois savoir qu'il faut avoir un revenu d'environ 16 000 $ par an pour pouvoir parrainer un immigrant. Ne croyez-vous pas que l'on devrait relever cette somme?

M. DeVoretz: C'est le seuil de la pauvreté; mais c'est ce que Recensement Canada définit pour l'unité familiale. Quoi qu'il en soit, acceptons-la telle quelle.

D'après le recensement de 1991, à Vancouver cette somme voudrait dire que chaque ménage immigrant arrivé entre 1986 et 1991 pouvait parrainer la famille, puisque le revenu moyen de ce groupe était alors de 16 791$. On voit tout de suite que c'est beaucoup trop faible. Toutes ces personnes-là n'étaient manifestement pas en mesure d'en parrainer d'autres.

Le problème est qu'il serait difficile, si l'on relevait cette limite, de percevoir de l'argent auprès des parrains si les personnes parrainées avaient le malheur de perdre leur emploi pendant une récession. Que ferait-on? On ne pourrait pas exiger de l'argent de personnes tributaires du Bien-être social ou de l'Assurance-chômage?

Le deuxième problème est ce que l'on appelle en économie le risque moral. Il y a certaines personnes - et je précise qu'elles sont peu nombreuses - qui viennent ici et recrutent leurs parents dans le but explicite de profiter du filet de sécurité. Nous le savons fort bien, notamment grâce aux études réalisées sur l'assurance-chômage. C'est ce qu'on appelle le risque moral. Le fait de relever le niveau de salaire exigé des parrains n'éliminera pas ce petit nombre de profiteurs.

Si l'on exigeait une caution dès le départ, il n'y aurait pas de problème de recouvrement et les parrains n'auraient aucune raison, trois ans plus tard, de ne pas payer. Il y a donc bien des avantages à l'établissement d'une caution, mais l'essentiel bien sûr, est de savoir quel en serait le montant.

Le président: Voudriez-vous proposer un chiffre?

M. DeVoretz: Je peux vous dire comment le calcul et je peux vous donner un chiffre pour la Colombie-Britannique. En me fondant sur le recensement de 1991, j'ai déterminé le montant des actifs avec lesquels sont arrivés des immigrants récents, pour avoir une idée de leur capacité de payer. Pour la Colombie-Britannique, le principal élément d'actifs est la maison. Cinquante-sept pour cent des gens arrivés dans cette province entre 1985 et 1990 possèdent une maison valant au minimum 176 000$.

Cela veut dire que l'immigrant «typique» arrivé récemment dans cette province dispose de beaucoup de ressources pour verser une caution. En fait, comme vous le savez, il ne s'agit pas vraiment de caution mais plutôt de nantissement, puisque les gens n'ont pas à verser l'argent sur le champ. La limite maximale serait un tiers des actifs, soit environ 45 000$.

Cela dit, si l'on examine l'expérience acquise en Colombie-Britannique, pour déterminer le risque auquel seraient exposés les contribuables de cette province par la catégorie familiale, on constate que le chiffre tombe à environ 10 000$.

En bref, selon les estimations scientifiques, je suis porté à faire la proposition suivante pour la Colombie-Britannique - et on pourrait la faire pour l'Ontario ou pour n'importe quelle autre province. Il faudrait deux cautions, de 5 000$ chacune pour un montant total de 10 000$, ce qui représente le risque global. La raison pour laquelle je fixerais deux cautions est que les personnes n'ayant pas eu de problème durant les cinq premières années récupéreraient la première, ce qui les inciterait à continuer de bien se comporter pendant les cinq années suivantes.

Vous voyez ainsi qu'il est possible de voir ce qui serait politiquement acceptable en se fondant sur les données du recensement et en calculant le degré de risque pour les contribuables.

M. Hanger: Je comprends ce que vous dites au sujet de la caution, ou du nantissement, qui serait relativement facile à gérer, mais vous savez bien qu'il semble y avoir une réticence générale à exiger quoi que ce soit dans le cadre de la Loi sur l'immigration ou de ses règlements.

Croyez-vous que l'on devrait exiger du parrain un engagement quelconque à respecter ses obligations, ce qu'on ne semble pas faire aujourd'hui?

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On peut bien inventer de nouveaux règlements, mais à quoi cela sert-il si personne n'en assure l'exécution?

M. DeVoretz: J'ai tenu compte de ce problème quand j'ai proposé mon système de nantissemement. Il ne faudrait pas en confier la responsabilité au gouvernement.

Vous savez qu'il y a dans le secteur privé une entreprise très dynamique, Molly Maid, qui fournit les services de femme de ménage et qui exige des nantissements. De même, quiconque importe des produits au Canada doit donner un nantissement. À mon avis, ce sont des agents de nantissement privés qui devraient se charger de cette question, après avoir évalué les biens des personnes concernées. Le gouvernement n'aurait rien à voir avec cela.

Le seule rôle du gouvernement consisterait à percevoir les sommes prévues en cas de défaillance. En fait, il n'aurait même rien à percevoir puisque les sommes seraient directement transmises au Trésor public. Personne n'aurait à appeler le ministère des Services sociaux, par exemple, pour dire que M. ou Mme X, de la catégorie familiale, touche de l'assurance-chômage depuis trois mois, car le nantissement entrerait en jeu immédiatement. La somme serait transférée automatiquement au Trésor public par l'agent privé de nantissement, le Trésor paierait ce qui serait dû à l'assurance-chômage et garderait la différence. On trouve le même système lorsque de l'alcool est importé au Canada.

M. Hanger: Je voudrais vous parler maintenant de la taxe d'établissement, pour laquelle je crains que l'on ne soit encore une fois obligés de créer toute une nouvelle bureaucratie.

Je voudrais revenir à l'aspect économique du problème. Nous consacrons 500 millions de dollars par an, au minimum, à nos programmes d'immigration. D'après vous, qu'est-ce qui serait le plus bénéfique à notre économie: continuer dans cette voie ou consacrer la même somme à donner des cours de technologie avanmcée aux Canadiens?

M. DeVoretz: Encore une fois, tout dépend du nombre d'immigrants acceptés dans chaque catégorie. Pour répondre à votre question, on ferait mieux d'exminer comment l'argent est dépensé par le ministère plutôt que de le confier immédiatement à d'autres ministères.

La méthode la plus rapide pour obtenir des spécialistes en technologie avancée est de faire venir des programmeurs d'autres pays, connaissant bien les nouvelles langues informatiques et les nouvelles techniques. J'irais même encore plus loin en disant qu'il faudrait autoriser les entreprises privées à les recruter, comme on le fait activement à Toronto. Je ne crois donc pas qu'il y ait nécessairement un compromis à faire, comme vous le proposez. Je crois qu'on pourrait faire mieux en répartissant mieux les sommes disponibles.

Ma deuxième remarque est qu'il ne faut jamais oublier que le budget de Citoyenneté et Immigration Canada nous est utile à nous, citoyens canadiens, autant qu'aux immigrants. Une bonne partie de ce budget sert à garantir l'intégrité de nos frontières et à mettre en oeuvre la procédure de traitement des immigrants qui y contribue.

En nous plaçant à nouveau du point de vue d'un économiste, je crois qu'il convient de tenir compte de tous les services fournis. À la limite, on ne parle pas de 640 millions de dollars mais plutôt de 145 millions, environ, puisque c'est le montant que l'on attend généralement de la taxe d'établissement.

Si l'on prend cette somme moins importante, il est vrai que l'on pourrait toujours la réaffecter de manière différente, et j'ai fait quelques propositions à ce sujet pour nous assurer, par exemple, que certains des nouveaux immigrants obtiennent bien la formation la plus utile possible.

M. Hanger: En ce qui concerne la somme actuelle de 500 millions de dollars qui est dépensée par le secteur de l'immigration, croyez-vous qu'elle va diminuer? Je parle ici de 500 millions de dollars au titre de la taxe d'établissement ou des dépenses d'étalissement. Croyez-vous que ce chiffre...?

M. DeVoretz: Je n'ai pas le chiffre précis sous les yeux.

M. Hanger: Quoiqu'il en soit, croyez-vous qu'il diminuerait de manière consisdérable si l'on modifiait la proportion des diverses catégories d'immigrants?

M. DeVoretz: Il faudrait plus que modifier la proportion relative. Il faudrait aussi mettre en oeuvre certaines des autres recommandations qui ont été faites, notamment dans l'ouvrage dont nous avons parlé, pour nous assurer que les gens qui arrivent ici ont la formation et les compétences linguistiques dont nous avons besoin. Si tel était le cas, il est certain que ce chiffre diminuerait considérablement.

Il ne s'agit donc pas simplement de revoir la proportion relative, il s'agit aussi d'exiger les compétences minimales.

M. Hanger: Comment évaluez-vous la capacité économique et culturelle d'assimilation de notre pays?

M. DeVoretz: Pour un économiste, la capacité d'assimilation est très facile à évaluer, en termes strictement économiques. Il s'agit de tenir compte des taxes, dont on soustrait les coûts des services sociaux. Tant que le résultat est positif, c'est-à-dire que tant que les immigrants contribuent au Trésor public, on ne dépasse pas notre capacité d'assimilation. C'est une idée qui remonte aux années 1950 et qui a cours dans le monde entier.

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Je dirais donc que les 250 000 ou 243 000, que nous avons accueillis ces dernières années correspondent à notre capacité d'accueil. Le groupe le plus récent ne contribue que 4 000$ à 5 000$ de plus au Trésor public, ce qui est très proche de la limite acceptable.

Du point de vue culturel, je crois que l'on peut accroître notre capacité d'accueil. Je ne sais pas ce qu'elle pourrait être mais je sais qu'on pourrait l'accroître si les immigrants étaient encouragés à s'établir dans diverses régions du pays, ou s'ils le faisaient volontairement. Par exemple, à Halifax et dans d'autres régions, on aimerait accueillir plus d'immigrants. La capacité culturelle d'Halifax est très élevée. Toutefois, elle est peut-être minime dans d'autres régions.

M. Hanger: Que pensez-vous des sondages qu'effectue le ministère de l'Immigration depuis 1975 pour examiner les attitudes de la population, dans les diverses régions, et qui révèlent une certaine inquiétude à l'égard des niveaux élevés d'immigration, notamment dans des villes comme Toronto, Montréal ou Vancouver? Ne croyez-vous pas que l'on devrait tenir compte de cela dans notre politique sur l'immigration? N'est-ce pas aussi important que le facteur économique?

M. DeVoretz: Je suis moi aussi l'évolution des sondages sur l'immigration, depuis avant 1975, et la vraie question est la suivante: le pays a-t-il besoin de plus d'immigrants? L'une des caractéristiques constantes de l'opinion publique canadienne est qu'environ 40 p. 100 des habitants répondent toujours non à la question. Que ce chiffre puisse évoluer ne m'étonne pas.

Ce qui est révélateur, c'est la question supplémentaire: pourquoi pensez-vous que le pays n'a pas besoin de plus d'immigrants? La raison la plus fréquemment avancée, depuis 1973, est que les immigrants prennent nos emplois. C'est la crainte la plus courante. Et l'on constate que la proportion de réponses négatives augmente avec le taux de chômage.

Ce n'est donc pas tant la proportion de gens qui s'opposent à l'immigration qui est importante, c'est plutôt leurs explications. Si l'on pouvait avoir une politique de l'immigration n'exacerbant pas le problème du chômage, on pourrait sans doute atténuer une bonne partie de ces craintes.

Il importe de bien comprendre ce que nous disent les sondages. Entre 30 et 40 p. 100 des Canadiens ont toujours eu une réaction négative à l'immigration. C'est le groupe clé des derniers sondages de Decima, qui est passé de 38 p. 100 à 52 p. 100 ou 54 p. 100. Je crois qu'il faut tenir compte de ses préoccupations. La plupart de ses membres réagissent négativement à l'immigration pour des raisons d'ordre économique. Ils disent que les immigrants sont un fardeau pour le Trésor public ou pour notre système de sécurité sociale.

Je crois donc pouvoir en conclure que les facteurs économiques comptent beaucoup pour ce groupe déterminant, et je ne suis pas le seul à le penser. C'est la même chose aux États-Unis et dans d'autres pays. Les facteurs économiques influent considérablement sur l'opinion de la population à l'égard des immigrants.

M. Hanger: L'expansion rapide des grandes villes à cause de l'immigration coûte-t-elle cher aux habitants de ces villes?

M. DeVoretz: Nous ne pouvons le dire pour le moment, mais ce sera bientôt possible car une étude est en cours à ce sujet dans les grandes villes du monde, dont celles du Canada, et nous avons d'excellents jeunes universitaires qui y participent.

L'un des coûts les plus élevés de l'urbanisation, ou de l'accueil d'un grand nombre d'immigrants dans les villes, ne concerne pas notre système scolaire ou les services publics, mais les salaires, ce qui peut surprendre. On a le sentiment que l'afflux d'un grand nombre d'immigrants semi-qualifiés ou sans qualifications, exerce une influence considérable sur la structure salariale des collectivités urbaines. Cela semble être le coût le plus important révélé par les études sur l'urbanisation des immigrants.

M. Hanger: Merci.

M. Assadourian: Une brève question. En lisant votre livre, j'ai vu que vous parlez constamment des Canadiens de souche et des immigrants. J'ai l'impression que vous considérez que ceux qui sont arrivés avant 1960 ou 1970 sont tous des immigrants.

À mon avis, vous devriez parler plutôt des Canadiens de souche et des nouveaux Canadiens. En ce qui me concerne, je ne suis pas un immigrant, je suis un nouveau Canadien.

M. DeVoretz: Votre remarque est tout à fait pertinente, monsieur. Hélas, cette définition vient de Statistique Canada.

M. Assadourian: Nous devrons donc la changer.

M. DeVoretz: Il faudra sans doute en parler aux responsables de Statistique Canada.

M. Assadourian: Merci.

.1200

Le président: Puis-je revenir à la question centrale, les niveaux d'immigration?

Je comprends bien la répartition moitié moitié. Toutefois, pourquoi pas 150 000 par an au lieu de 200 000 et plus, ou pourquoi pas 300 000 au lieu de 200 000?

Prenons le chiffre le plus bas d'abord. Si nous disions que nous n'allons accueillir que 150 000 immigrants par an, cela poserait-il des problèmes d'ordre économique?

M. DeVoretz: Ce serait peut-être une bonne nouvelle pour le Canada central mais ce serait catastrophique pour Vancouver. Nous avons déjà vu la conséquence de la baisse du nombre d'immigrants. Le prix des maisons ne cesse de chuter à Vancouver. On a constaté des phénomènes tout à fait inédits au cours des quatre à six derniers mois.

Le président: Peut-être que pour le logement...

M. DeVoretz: L'investissement est en train de disparaître.

Si vous réduisez le nombre d'immigrants à l'échelle nationale, cela aura des conséquences régionale. Ce sera peut-être bon pour les régions du Canada central, considérant les catégories accueillies sur les 150 000, mais ce serait manifestement préjudiciable à Vancouver et à toute la région environnante.

Le président: Pourriez-vous m'expliquer précisément pourquoi? Je ne mets pas votre parole en doute mais j'ai besoin de donner des explications à certains de mes voisins. Leur dire que le prix des maisons baisse à Vancouver ne va certainement pas leur donner satisfaction. Y a-t-il d'autres facteurs?

M. DeVoretz: À part Vancouver?

Le président: Quelles seraient quelques-unes des conséquences négatives si l'on ramenait le nombre d'immigrants à 150 000 par an?

M. DeVoretz: À long terme - c'est-à-dire sur 10 à 12 ans, voire plus - l'excédent budgétaire produit par les immigrants n'existerait tout simplement plus. La subvention constante que nous apporte les étrangers ne serait plus là. Et ce n'est pas un chiffre négligeable si on multiplie 35 000$ à 45 000$ par un million de gens sur cinq ans. C'est un apport considérable au budget.

La deuxième chose importante pour tous les Canadiens, est qu'une politique dynamique de l'immigration contribue à la concurrence. Je parle ici de concurrence dans le secteur du commerce, de l'enseignement et de l'entreprises privée. Un programme d'immigration soutenu et dynamique, mettant l'accent sur les compétences professionnelles et sur l'investissement, nous rend beaucoup plus compétitifs, tant sur le plan intérieur qu'extérieur. Nous pouvons d'ailleurs le voir par la renaissance de l'industrie du textile dans votre région. Il y a 15 ou 12 ans, cette industrie était morte. Les immigrants de ces dernières années l'ont ressucitée. Dans certains secteurs, il est donc évident que les immigrants sont bénéfiques, et on l'a vu même pendant la période de restructuration de l'industrie ontarienne.

Il y a aussi l'avantage à long terme résultant des paiements fiscaux, et l'avantage à court terme résultant de la création d'emplois dans certaines industries vieillottes. Le facteur déterminant reste cependant celui de la concurrence. L'immigration nous rend plus compétitifs sur le plan commercial.

Le président: Les niveaux que vous recommandez sont-ils plus ou moins constants, en supposant un taux de croissance économique de 2 à 3 p. 100 par an, ou pourraient-ils changer?

M. DeVoretz: Actuellement, on ouvre ou on ferme le robinet en fonction des groupes qui se plaignent le plus. Je m'oppose totalement à cela.

Je crois qu'il est nécessaire de fixer une moyenne approximative de trois ans et de s'y tenir, autant pour des raisons économiques que culturelles.

La raison économique est qu'il faut longtemps pour recruter des gens, pour mener un programme actif de recrutement, afin d'obtenir le genre de personnes dont nous venons de parler.

Deuxièmement, les immigrants ont tendance à aller s'établir là où se sont établis leurs prédécesseurs. Il faut permettre à ce processus de se renforcer. C'est ce que nous avons constaté en Colombie-Britannique. La hausse de l'immigration d'origine asiatique n'est pas brutale, elle s'est faite sur plusieurs années.

La troisième raison est qu'il faut se prévoir une marge pour bien analyser l'évolution de la situation. Quand on ferme le robinet, c'est généralement après coup. Il est donc très difficile de dresser des plans à long terme si l'on réagit dans l'immédiat en fonction des taux de chômage. En fait, lorsque le taux de chômage augmente, il est trop tard pour fermer le robinet de l'immigration. De nouveaux immigrants sont déjà dans le système. Il serait donc préférable, du point de vue économique, d'avoir une moyenne mobile de trois ans.

L'autre raison ne concerne pas l'économie mais plutôt l'établissement d'un plan à long terme. Il y a chez nous des groupes de pression très actifs, par exemple, ceux qui sont venus s'adresser à vous ou qui s'adressent à moi. Des gens ne cessent de nous appeler pour nous dire qu'il faudrait plus ou moins d'immigrants. Si on avait une moyenne mobile sur trois ou cinq ans, cela éliminerait une partie des débats oiseux consacrés à cette question et on serait mieux à même de dresser des plans. Évidemment, la question est de savoir quel devrait être le chiffre sur une période de trois à cinq ans.

Le président: Très bien. Merci.

.1205

M. Hanger: La Suisse accepte très peu d'immigrants. De fait, je crois qu'elle n'en accepte aucun. Comment font-ils?

M. DeVoretz: Si l'on considère les travailleurs étrangers commes des immigrants, la Suisse à l'un des taux d'immigration le plus élevé au monde, et cela semble bien lui réussir. Par contre, vous pouvez définir les immigrants de manière très restreinte, et vous direz alors que la Suisse a très peu d'immigrants et qu'elle s'en tire fort bien aussi.

L'une des chose qu'ont montré les études économiques est qu'il n'y a absolument aucun lien entre le niveau d'immigration et la croissance économique, à preuve, le Japon. Il est impossible d'entrer au Japon comme immigrant. Même chose pour la Norvège. Mon travail en Norvège m'a montré que la notion d'immigrant norvégien n'existe pas. Pourtant, ce sont deux pays où le revenu par habitant est le plus élevé au monde.

Il n'y a donc aucun lien entre les deux choses. On les trouve partout. En revanche, certains pays qui reçoivent depuis toujours des immigrants ont de meilleurs résultats lorsqu'ils en accueillent plus que moins.

M. Hanger: Il y a quelque temps, le ministère des Finances a publié un document disant que le taux de chômage n'a jamais vraiment baissé jusqu'où il aurait dû pendant la récente période d'expansion économique, à cause des niveaux élevés de l'immigration. Acceptez-vous ce raisonnement?

M. DeVoretz: Difficilement, à cause de la donnée scientifique suivante: entre 1986 et 1991, 40 p. 100 des nouveaux emplois créés au Canada l'ont été à Vancouver. Cette région, qui a reçu un grand nombre d'immigrants, est donc aussi celle qui a produit le plus de nouveaux emplois.

Je ne doute pas, toutefois, que l'on puisse trouver des régions du Canada central témoignant du phénomène inverse. Il est donc très difficile de généraliser à ce sujet.

À mon avis, si l'on accueille un groupe équilibré d'immigrants, ce qui s'est heureusement produit à Vancouver, on ne constate pas de conséquences négatives sur le chômage.

M. Hanger: C'était pourtant un document du ministère des Finances.

M. DeVoretz: En bref, je le conteste.

M. Hanger: Vraiment?

M. DeVoretz: Oui.

M. Hanger: À l'échelle internationale, a-t-on jamais constaté une corrélation entre l'immigration et la santé économique d'un pays?

M. DeVoretz: La réponse est non, pas du tout. Je dis cela en songeant au rapport de 1989-1990 du Conseil économique et à beaucoup d'autres études spécialisées.

Je tiens cependant à répéter qu'il n'est pas légitime, sur le plan scientifique, de mettre tous les pays dans le même sac. Je reformulerai donc plutôt votre question de la manière suivante: quelle est l'incidence de l'immigration sur les régions accueillant traditionnellement des immigrants? Dans ce cas, la réponse est plus incertaine car tout dépend de la politique adoptée.

L'immigration n'a pas été bénéfique sur le plan économique, aux États-Unis parce que ce pays ne selectionne vraiment que 6 p. 100 de ses immigrants. Tous les autres, soit 94 p. 100 des immigrants légaux entrent sans aucune forme de sélection. C'est ce qui amène les réactions que l'on a pu constater en Californie.

Dans d'autres pays, comme l'Australie, la politique de sélection est beaucoup plus rigoureuse et je crois pouvoir dire qu'elle produit plus d'avantages. J'ajoute que nous devrions en être flattés puisque l'Australie a copié notre Loi de 1976 sur l'immigration.

Le président: Nous parlons d'«immigrants économiques» et de la «catégorie familiale». Selon mes informations, si quelqu'un immigre au Canada avec sa femme et ses enfants, toute la famille est considérée comme un groupe d'immigrants économiques, que l'épouse ait des qualifications professionnelles ou non. Autrement dit, lorsqu'on parle d'évaluer les compétences, on laisse de côté celles de 50 p. 100 des membres de cette catégorie, puisque ce sont les chefs des entreprises familiales qui font l'objet d'un classement. Est-ce bien cela?

.1210

M. DeVoretz: Ma recommandation est de ne pas se contenter d'évaluer le candidat primaire. Votre commentaire sur les statistiques de l'immigration est parfaitement exacte. Dans le système actuel, on procède à l'évaluation économique du candidat primaire, et les personnes à charge qui l'accompagnent sont généralement classées dans les statistiques comme ayant aussi fait l'objet d'une évaluation économique, ce qui n'est pas vrai.

Je dois cependant dire que cela ne m'inquiète pas beaucoup, d'abord parce qu'il y a une forte corrélation entre le niveau d'études du candidat primaire et celui des personnes à sa charge. Bien des données recueillies dans d'autres domaines que l'immigration permettent de penser que des unités familiales solides produisent d'excellents résultats économiques, avec ou sans évaluation préalable.

Deuxièmement, plutôt que d'essayer de changer les chiffres ou de noyer le poisson, j'estime qu'il faudrait intégrer le candidat secondaire à l'ensemble familial, en lui donnant des points supplémentaires, s'il y a lieu, pour pouvoir tirer un avantage économique du candidat secondaire aussi.

Dans mes propositions, j'ai tenu compte des préoccupations que vous venez de soulever en demandant à ce qu'on fasse aussi l'évaluation des candidats secondaires.

Le président: Quand vous parlez de points supplémentaires, vous voulez sans doute dire qu'il ne serait pas nécessaire de tenir compte des qualifications du conjoint si le chef de famille obtient seul le minimum de points requis. Par contre - et corrigez-moi si je me trompe - s'il n'atteint pas tout à fait le minimum, on pourrait essayer de trouver des points supplémentaires en examinant la situation du conjoint, n'est-ce pas?

M. DeVoretz: Ce que je veux dire par points supplémentaires est très clair: Il s'agirait de points ajoutés pour la deuxième personne, mais jamais de points retirés ni inclus pour faire une moyenne. Donc, si le candidat primaire n'atteint pas tout à fait ce qu'il faut, les points supplémentaires lui permettraient peut-être de franchir la barre.

Cela dit, que se passerait-il si vous aviez 140 points avec vos deux candidats, parce qu'ils auraient chacun 70 points? À mon avis, il faudrait les faire passer en tête de file.

Autrement dit, si tous les deux franchissent la barre et que tous deux sont des programmeurs, j'accélérerais considérablement leur demande d'immigration. Cela me paraîtrait tout à fait normal.

Le président: Je reviens à ma première question. Vous avez recommandé qu'il y ait une proportion à peu près égale d'immigrants de la catégorie économique et de la catégorie familiale. J'en conclus que vous n'avez aucune difficulté avec le fait que les immigrants de la catégorie familiale ne soient pas évalués par notre système de points.

M. DeVoretz: Si, j'ai quelque difficulté avec cela. Il faudrait que l'on évalue à la fois le candidat primaire et, dans une certaine mesure, le candidat secondaire, mais pas les enfants. J'ajouterais les chiffres et je diviserais par deux pour m'assurer que l'on arrive à 50 p. 100.

À l'heure actuelle, la catégorie familiale, qui représente la deuxième moitié, ne fait l'objet d'une évaluation que sur les liens familiaux ou sur les engagements contractuels. Ce sont les deux facteurs pris en considération.

D'après moi, il faudrait en ajouter d'autres. Je crois que l'âge et les connaissances linguistiques devraient également permettre de passer en tête de file. Je le répète, non pas d'exclure certaines personnes mais de faire avancer ceux pour qui c'est un avantage.

En outre, la question du nantissement règle le problème de l'évaluation économique. Si nous nous trompons dans notre évaluation économique rudimentaire des membres de la catégorie familiale, le nantissement règlerait le problème puisque ce serait notre garantie.

Je ne voudrais pas ajouter trop d'autres facteurs mais, croyez-moi, je n'hésiterais absolument pas à accélérer l'immigration des jeunes qui sont membres de familles d'immigrants, du fait de leur contribution économique potentielle.

Le président: Si je comprends bien, vous n'avez aucun problème avec l'idée du parrainage des membres de la famille. Vous dites que c'est un facteur positif de notre politique de l'immigration et que nous devrions maintenir l'égalité entre les deux catégories.

Certes, vous recommandez que l'on donne des points supplémentaires à certaines personnes, et qu'on accélère le traitement des dossiers des candidats offrant de sérieux atouts économiques, mais vous appuyez généralement le fait que la catégorie familiale soit le pilier de notre politique de l'immigration, alors que bien des gens la critiquent vigoureusement.

M. DeVoretz: Je l'appuie très vigoureusement à condition que l'on ait un système de nantissement pour pouvoir corriger immédiatement toute erreur flagrante. Deuxièmement, il est scientifiquement prouvé que la catégorie familiale contribue à notre succès économique et n'est pas un fardeau net pour l'état. Rien ne prouve que le taux d'utilisation des services sociaux soit plus élevé dans cette catégorie, comme je l'ai déjà dit.

.1215

Du point de vue positif, je me suis penché sur le cas des familles immigrantes de Vancouver pour voir si les femmes sont mieux intégrées à la population active lorsque le père et la mère sont ici. Il est évident que oui. Il ne m'a fallu que trois mois pour faire les analyses avec mon ordinateur.

Nous avons fait une erreur en ne tenant pas compte de ce facteur plus tôt. C'est l'un des nouveaux éléments à prendre en considération, et qui confirme que la catégorie familiale apporte une contribution positive au pays. De fait, les immigrants de la catégorie des investisseurs qui viennent à Vancouver disent toujours que c'est la raison pour laquelle ils ont choisi Vancouver plutôt que Los Angeles.

Le président: Merci.

M. Hanger: Serait-il possible de concilier nos objectifs économiques avec nos objectifs actuels en matière de réfugiés?

M. DeVoretz: Dans toutes les informations que je vous ai données, les réfugiés sont intégrés aux immigrants. Il serait très difficile, voire impossible, de faire la distinction dans ce genre d'étude. On m'a reproché tout à l'heure de parler de Canadiens de souche et d'immigrants, mais c'est la terminologie utilisée par Statistique Canada. Quoi qu'il en soit, lorsque je parle d'immigrants, je parle aussi des réfugiés, dont la contribution est également positive, mais plus petite.

Vous trouverez quelques informations spécifiques sur les réfugiés dans l'ouvrage dont nous parlons, et vous pourrez en trouver ailleurs. Tout d'abord, les réfugiés sont les seuls immigrants de la région de Vancouver qui ont fait usage du bien-être social pendant la période considérée. Cela s'explique cependant par le fait qu'ils y étaient obligés puisqu'ils n'avaient pas le droit d'avoir un emploi. Si nous faisions l'étude aujourd'hui, ce ne serait plus le cas.

Si l'on veut répondre sérieusement à votre question, avec des données scientifiques, la meilleure chose à faire est de se pencher sur les cas des Vietnamiens arrivés entre 1978 et 1981, et qui étaient presque tous des réfugiés. Or, on constate que leur succès économique a été absolument phénoménal.

Ce n'est cependant là qu'une donnée partielle, concernant un groupe unique, à une période de motivation extrême.

M. Hanger: Je comprends bien.

M. DeVoretz: Ma dernière remarque à ce sujet est que les économistes ne devraient pas parler de la politique des réfugiés. De fait, j'affirme à la fin de mon mémoire que nous n'avons pas les outils nécessaires pour parler d'un bon nombre de choses, et celle-là en est une.

M. Hanger: Pour un investisseur ou un entrepreneur asiatique, le Canada est probablement un pays très attrayant, mais croyez-vous vraiment qu'il le considère comme un pays qui va lui donner un taux de rendement satisfaisant sur son investissement? Pourquoi choisirait-il d'établir une entreprise au Canada, où les possibilités de rendement sont relativement limitées, vu la conjoncture économique et, en tout cas, notre endettement public?

M. DeVoretz: J'ai posé précisément cette question, dans l'ouvrage, suite à des entrevues publiés dans le Seattle Times, entre autres. Pourquoi ces gens-là viennent-ils à Vancouver? En examinant les chiffres, j'ai constaté qu'il fallait à cette période un investissement de 350 000$ pour entrer comme investisseur en Colombie-Britannique. Or, nous avons vu que l'investissement moyen était de 2,2 millions de dollars.

M. Hanger: Investi sous forme d'achat de biens immobiliers ou de création d'entreprises?

M. DeVoretz: L'économiste se penche simplement sur les sommes qui entrent dans le pays.

M. Hanger: D'accord.

M. DeVoretz: Je me suis cependant demandé aussi si ces gens-là se contentaient d'acheter un ticket d'immigration, pour aller ensuite placer leur argent ailleurs, afin d'obtenir un taux de rendement plus élevé. La réponse est évidente. En moyenne, ils apportent six à sept fois plus que ce qui est nécessaire pour acheter leur ticket.

Certes, il est vrai que trois Li Ka Shings vont faire exploser la moyenne. Il y a un grand nombre de très gros investisseurs qui n'apportent que les 350 000$ demandés. Il s'agit cependant là d'un problème inhérent au programme lui-même, et que l'on devrait résoudre.

En ce qui concerne la question de savoir si les immigrants investisseurs sont découragés par notre lourde fiscalité, rien n'a encore permis de le prouver. Je suis sûr que l'on pourrait obtenir des données à ce sujet mais nous n'en avons trouvé aucune pour la période sur laquelle nous nous sommes penchés, qui va de 1989 à 1992. Je dois donc en conclure que ce n'est pas une préoccupation majeure.

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J'ajouterai que les investisseurs, quand on les interroge, répondent souvent que ce n'est pas seulement une question de rentabilité. Ils peuvent faire venir leurs parents dans une société relativement sécuritaire, où l'on ne trouve pas certains des phénomènes de ressac qui se produisent dans d'autres pays. Il n'y a donc pas que l'économie qui compte.

M. Hanger: À votre avis, quel serait le niveau de population idéal pour le Canada?

M. DeVoretz: J'enseigne un cours intitulé «L'économie de la démographie», et je dois vous dire que c'est la dernière question que je pose dans mes examens. C'est une question tout à fait légitime. Je ne vous dirai pas ce que me répondent mes étudiants, je vous dirais simplement que les réponses sont extrêmement diversifiées, car elles tiennent compte d'un très grand nombre de facteurs.

D'un point de vue économique, j'estime que la taille optimale de notre population est beaucoup plus importante que sa taille actuelle. En octrobre 1994, The Economist s'est penché sur cette question et sa réponse a été de 355 millions d'habitants. Je puis vous dire qu'il aurait obtenu un F à mon examen.

À condition, encore une fois, que la moitié des immigrants rentrent dans la catégorie économique, la manière de répondre à cette question est de se demander comment nous pourrions accepter un taux de croissance de 1 p. 100 par an à perpétuité. Voilà comment j'envisage le problème. Notre taux de croissance démographique historique de 1 p. 100 a produit d'excellents résultats pour notre économie. Si nous produisions autant d'enfants que ma génération, le taux d'immigration serait très bas mais, étant donné que nous sommes largement en-dessous du taux de remplacement - nous somme à environ 0,7 p. 100 ou 0,65 p. 100 - il nous faut un taux d'immigration assez élevé pour rester à 1 p. 100.

À mon avis, un taux d'expansion démographique de 1 p. 100 constitue un taux optimal, ce qui nous donnerait 50 millions d'habitants en 2036, d'après mes calculs, avec environ la moitié ou plus provenant de l'immigration, si nous maintenons le même taux de reproduction de notre population.

M. Hanger: Les niveaux d'immigration n'ont cessé de fluctuer au cours des décennies et je me demande si cela est tellement négatif. Pourquoi veut-on tellement une croissance stable à partir de maintenant? Cela semble engendrer plus de problèmes que de solutions. Je ne veux pas dire par là que des taux d'immigration élevés soient nécessairement mauvais mais seulement que je ne comprends pas pourquoi on veut qu'ils soient stables.

M. DeVoretz: Autrement dit, vous voulez savoir pourquoi on devrait ouvrir ou fermer le robinet au cours des années?

M. Hanger: Oui.

M. DeVoretz: À cause des pouvoirs législatifs que nous détenons par rapport aux autres pays. Pouvoirs dont nous nous sommes dotés parce que nous avons pensé être capables de prévoir les taux de chômage.

Comme le dit le professeur Green de Queen's, dans l'ouvrage, si nous savions quel serait le taux de chômage dans deux ans, nous pourrions évidemment accroître ou réduire l'immigration. La raison intellectuelle est donc celle que je vous ai donné: nous avons cru être capable de prévoir le chômage et d'adapter les niveaux d'immigration en conséquence. C'est donc une combinaison de raisons politiques et de raisons historiques.

Aujourd'hui, la plupart des économistes conviennent probablement que nous sommes incapables de prévoir les taux de chômage. Nous ne sommes pas très forts en matière de prévisions, de manière générale, spécialement en ce qui concerne les taux de chômage. À mes yeux, c'est une bonne raison pour cesser d'ouvrir ou de fermer le robinet en fonction des circonstances. Nous ne savons pas quelle sera la situation future.

Cela n'empêche pas que nous devons garder un certain contrôle de la situation. Voilà pourquoi nous proposons de nous en tenir à une moyenne sur trois ans. Choisissons un chiffre et, si le taux de chômage augmente un peu, ne paniquons pas parce que, si nous voulons apporter des ajustements à l'immigration, le chômage aura probablement baissé au moment où les mesures produiront leurs effets.

Nous venons d'ailleurs de le constater récemment. Nous réduisons l'immigration alors que l'Ontario est en plein boom économique. Or, les données avancées par les économistes lors des audiences de l'été dernier se fondaient sur le taux de chômage élevé de l'Ontario. Nous sommes passé à côté de la réalité.

Je ne crois donc pas qu'il soit bon d'ouvrir ou de fermer le robinet à volonté. Il me paraît bien préférable de fixer le niveau pour trois ans ou pour cinq ans, en fonction d'une situation économique satisfaisante.

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La deuxième raison est celle à laquelle je faisais allusion plus tôt: Les pressions considérables exercées par certains groupes pour accroître ou abaisser le nombre d'immigrants, et le vif sentiment de dissension qu'il y a dans notre pays au sujet du rôle des immigrants. Il faut accepter des immigrants et accepter leurs contributions.

J'ajoute que la politique des États-Unis, qui va à l'autre extrême, puisqu'il y a un nombre fixe chaque année, ne permet aucune planification. Si le nombre de candidats à l'immigration augmente, ou s'il y a beaucoup de nouveaux emplois qui sont créés, les immigrants entrent illégalement. Selon la politique américaine de l'immigration, fondée sur la Loi de 1965, sur l'immigration révisée en 1990, le nombre d'immigrants qui peuvent entrer chaque année est fixe. Je crois que c'est 941 000. Quand il y a plus de candidats, ils entrent illégalement. Autrement dit, les Américains n'ont pas de politique d'immigration. Ils n'ont aucune possibilité de s'adapter à l'évolution de la conjoncture.

Donc, pour répondre à votre question, il faudrait modifier la politique du robinet, sur trois ans...

M. Hanger: Vous dites de la modifier mais non pas de l'abandonner complètement.

M. DeVoretz: Oui, je crois qu'il faut être toujours prêt à s'adapter, mais en le faisant en fonction du moyen terme. Par exemple, si vous calculez qu'il y a eu disons 100 immigrants économiques en tout en 1991, 1992 et 1993, vous pourriez dire que vous en accepterez 600 pendant les trois prochaines années, d'après ma règle moitié moitié.

M. Hanger: Les provinces expriment toujours des réserves sur la manière dont Ottawa gère l'immigration. Elles estiment qu'elles devraient avoir leur mot à dire, pour que l'on puisse tenir compte de leurs réels besoins particuliers. Toutefois, comme l'immigration est un domaine éminemment politique, vous avez le gouvernement fédéral qui va décider, par exemple d'attirer un certain nombre d'immigrants d'Asie, alors qu'une ou plusieurs provinces auraient voulu attirer des personnes capables de travailler dans l'industrie de la construction ou dans d'autres secteurs. En outre, le dernier groupe qui est arrivé avait l'âge de la retraite, et les enfants n'ont pas adopté la même profession que leurs parents. C'est un phénomène qui arrive de temps à autre dans la collectivité asiatique.

Comment pourrait-on résoudre ce genre de problème, de façon à tenir compte des besoins des populations?

M. DeVoretz: J'ai la ferme conviction que les provinces devraient avoir leur mot à dire sur le nombre total d'immigrants. À mon avis, on devrait interroger les employeurs potentiels, ainsi que les bureaucrates provinciaux, pour essayer de prévoir dans quelles régions il risque d'y avoir une pénurie - pour la Colombie-Britannique, à Prince George ou à Vancouver, par exemple - et dans quelles professions. Ensuite, on totaliserait les chiffres de toutes les provinces pour obtenir un total national approximatif, en tenant compte évidemment du cas spécial du Québec.

Certes, ce sont des informations qu'il faut un certain temps à compiler. Voilà pourquoi je suis favorable à cette idée de planifier - même si j'hésite à utiliser ce mot, puisque je suis un partisan de l'économie de marché - sur trois ans. L'un des éléments-clé serait de permettre aux entreprises de recruter directement, pendant cette période - c'est-à-dire de tenir compte de leurs besoins et de leur donner un certain nombre de places. Elles savent mieux que n'importe quel professeur d'économie, de Simon Fraser ou d'ailleurs, quels seront leurs besoins dans deux ou trois ans. Cela devrait faire partie du processus de planification.

Je ferais donc le total du nombre d'immigrants économiques, puis je le doublerais pour accueillir autant d'immigrants de la catégorie familiale. Voici donc la procédure que je propose: Mener des entrevues à l'échelle provinciale, obtenir des informations, prévoir un certain nombre d'entreprises privées, faire le total, le doubler, et faire un rapport le 1er novembre.

M. Hanger: Pensez-vous que cela se fait maintenant?

M. DeVoretz: Oui, je vois qu'on y arrive peu à peu, et je ne suis qu'un observateur. Apparemment, le ministre a fait plusieurs suggestions à la Colombie-Britannique lors de son passage le 20 avril. Il y a même eu des commentaires dans les journaux. À cette occasion, le ministre a signé une entente avec la Colombie-Britannique, à l'égard de programmes d'établissement, ce qui est un changement important. La Colombie-Britannique refusait de signer depuis longtemps et je pense qu'il est très positif de constater cette évolution.

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M. Hanger: Croyez-vous qu'il devrait y avoir des ententes avec chaque province, comme entre le Canada et le Québec?

M. DeVoretz: Il ne peut pas y avoir avec toutes les provinces des ententes similaires à celles signées avec le Québec, mais une coopération semblable serait certainement indiquée.

M. Hanger: Vous pensez cependant que l'immigration devrait être plus régie à l'échelle nationale qu'en fonction des détails de l'entente?

M. DeVoretz: Je pense que les détails de n'importe quelle entente sont moins importants que les besoins provinciaux. Je voudrais que la politique nationale soit établie en fonction des besoins de chaque province.

L'une des dispositions importantes de la Charte est que toute personne arrivant au Canada peut aller s'établir où elle veut. À mon avis, c'est rêver en couleurs...

M. Hanger: Exactement.

M. DeVoretz: ...et nous devrions admettre que si la Saskatchewan dit... ce n'est pas juste. Si les provinces des Prairies disent qu'elles veulent un million d'habitants, il est évident que ce ne serait pas réaliste. De toute façon, si elles accueillaient un million d'immigrants, ceux-ci ne tarderaient pas à partir en grand nombre. Il faut donc être réaliste.

M. Hanger: Puis-je continuer, monsieur le président?

Le président: Certainement.

Avez-vous un avion à prendre?

M. DeVoretz: Non. J'ai un cours lundi prochain. Je n'aurais pas dû dire cela.

M. Hanger: En ce qui concerne l'accord Québec-Canada, on y trouve des dispositions qui n'ont manifestement aucun équivalent ailleurs au pays. Vous considérez cependant que nous devrions avoir une politique nationale de l'immigration?

M. DeVoretz: Oui, je crois que quelqu'un doit faire le total. Quelqu'un doit ajouter la classe de réunification des familles et essayer de concilier les différences qui existent entre les diverses provinces.

Très sincèrement, si les données ne justifient pas que 200 000 immigrants viennent s'établir dans telle ou telle province, il faut que quelqu'un puisse le dire. Si les informations sont inexactes, si les entreprises privées disent qu'elles n'ont besoin de personne, il faut qu'on puisse en tenir compte. Il faut qu'il y ait un arbitre ultime, et qu'il ait des pouvoirs forts.

Le président: Je voudrais poser quelques questions.

Le chiffre de 200 000 est-il directement relié à un taux de croissance démographique de 1 p. 100?

M. DeVoretz: Non, pour cela, le chiffre devrait être plus proche de 300 000. Les chiffres de 217 000 à 255 000 dont je parle dans l'ouvrage sont calculés en fonction des informations, purement économiques, de l'ouvrage.

Pour ce qui est de la population optimale du Canada, les estimations sont beaucoup diverses. Tout dépend du nombre d'enfants qui naîtront dans le pays et, pour le moment, il continue d'être bien inférieur au taux de remplacement. Il est d'environ 0,7 p. 100 au lieu de 1,2 p. 100. Donc, pour avoir un taux de croissance démographique de 1 p. 100, il faudrait environ 300 000 immigrants.

Le président: Je croyais vous avoir entendu dire que la population optimale, avec un taux de croissance annuel de 1 p. 100, était calculée d'après des facteurs économiques.

M. DeVoretz: Oui, mais qui ne sont pas rapportés dans l'ouvrage. Il s'agit d'autres études. Je vais vous donner un exemple.

Il existe dans notre pays un contrat implicite en vertu duquel, si les contribuables paient pour mes études, je paierai pour ceux qui me suivront.

Le président: D'accord.

M. DeVoretz: Le taux de 1 p. 100 nous permet de faire cela avec une certaine latitude. Et tous nos programmes de transfert sont fondés sur une certaine croissance démographique.

Deuxièmement, à condition que notre population continue d'être toujours bien éduquée et bien formée, la croissance démographique entraîne en soi une croissance du pays. Par contre, dans l'environnement nord-américain, rien ne prouve qu'une croissance démographique supérieure à 1 p. 100 ou 2 p. 100 continue de contribuer à la croissance économique. Donc, une croissance démographique modeste, de 1 p. 100, protège l'intégrité de ce qu'on appelle «les transferts inter-générations», par le truchement des programmes publics, et elle contribue à la croissance économique.

Les facteurs économiques ne sont pas rapportés dans l'ouvrage. Quoi qu'il en soit, ils nous amènent à conclure qu'il nous faudrait près de 300 000 immigrants, considérant notre taux de naissances.

Le président: Donc, si nous avions des immigrants de la qualité voulue, du point de vue économique, nous devrions en accueillir près de 300 000, n'est-ce pas?

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M. DeVoretz: Oui, ce serait ma conclusion. Sur des critères strictement économiques, il nous en faudrait plus près de 300 000 que de 215 000 ou de 217 000.

Le président: Et toujours avec une répartition moitié-moitié?

M. DeVoretz: Bien sûr, et même encore plus.

Le président: Pour quelle catégorie?

M. DeVoretz: Pour ceux qui font l'objet d'une sélection économique. Un petit peu plus, cependant. Peut-être 52 p. 100 ou 53 p. 100.

Le président: Soit 2 p. 100 ou 3 p. 100 de plus. Je sais que ce serait important sur le plan politique mais c'est quand même marginal. Que la répartition soit 52-48, ou de 50-50 ou de 53-47, la différence ne semble pas importante.

M. DeVoretz: Elle l'est sur le plan économique. Des changements de cette importance, même s'ils sont minimes, influent sur les transferts de fonds dans le trésor public. Voilà pourquoi nous parlons de «rendement décroissant». Si on passe en dessous de 50 p. 100, le manque à gagner pour le trésor public est considérable. C'est pourquoi je dis qu'il faudrait au minimum 50 p. 100, mais probablement 1 ou 2 p. 100 de plus au cas où je me trompe.

Le président: Mais vous ne dites pas que la proportion devrait être de 55-45, car cela découragerait les immigrants de la catégorie «économique», dont certains ne pourraient plus parrainer leurs familles, n'est-ce pas?

M. DeVoretz: C'est cela. Les données montrent que l'effet de multiplication, c'est-à-dire le nombre de personnes réunies au bout de 17 à 20 ans de présence dans le pays, représente environ 1,2 p. 100 par immigrant, ce qui nous porte à conclure que la proportion devrait être de moitié-moitié.

Le président: Voulez-vous répéter cela, mais un peu plus lentement?

M. DeVoretz: On indique dans un chapitre du livre, et dans d'autres études, que le nombre moyen de personnes parrainées par immigrants entre 1971 et 1986 était de une.

Le président: D'accord.

M. DeVoretz: Ce qui porte à conclure que la répartition devrait être égale dans les deux catégories: une personne en entraînant une autre. Voilà comment je tire ces conclusions.

Le président: Bien.

M. Hanger: À l'heure actuelle, le Canada accepte environ 15 p. 100 d'immigrants indépendants. Lorsque vous parlez de 50 p. 100, vous ne parlez pas seulement de la catégorie des immigrants pour raisons économiques mais aussi de certains membres de la catégorie «familiale».

M. DeVoretz: Oui, pour les raisons que j'ai déjà données. Bien souvent, les parents immédiats sont inclus dans ce groupe. Ce n'est donc pas 15 p. 100 mais plutôt 27 p. 100 ou 30 p. 100...

Le président: En comptant les enfants et les conjoints.

M. DeVoretz: ...et c'est comme cela que j'ai calculé...

Mon argument est que les conjoints ont rarement les mêmes caractéristiques que le candidat primaire. Deuxièmement, il faut tenir compte des enfants. La seule manière est de les ajouter au départ. Toutefois, les données permettent de penser que les enfants des immigrants réussissent mieux que tous les autres. Je serais donc tout à fait satisfait qu'on les intègre à la catégorie des immigrants économiques.

Voilà comment je tire cette conclusion.

M. Hanger: Comment définissez-vous la catégorie familiale?

M. DeVoretz: Ma définition est plus ou moins celle qu'on utilise aujourd'hui, c'est-à-dire pas nécessairement la famille immédiate vivant sous le même toit, pas l'immigrant à charge plus le conjoint, mais tous les autres. J'y inclus donc les parents éloignés assistés, les parents immédiats et les grands-parents, bien que le cas des parents assistés soit relativement différent puisqu'on applique le système de points à certains d'entre eux. En bref, pour moi, la catégorie familiale, comprend les parents assistés, les grands-parents et les parents.

M. Hanger: Vous avez dit qu'il faudrait limiter la catégorie «familiale» à un certain pourcentage de la catégorie des indépendants de l'année précédente, lorsque les niveaux d'immigration doivent baisser. Comment cela se ferait-il?

M. DeVoretz: De la manière suivante. Dans chaque plan triennal, il devrait y avoir la moitié des immigrants dans la catégorie «économique». Comment s'en assurer? En tenant compte du nombre d'immigrants économiques qu'il y a eu dans les trois années précédentes. Il suffit de les ajouter et de diviser le total par trois.

Par exemple, s'il y en avait 100 en 1990, 100 en 1991 et 100 en 1992, j'en conclus qu'il y en a eu en moyenne 100 pendant ces trois années. Je doublerais donc le chiffre pour les trois années suivantes, pour arriver à 200 par an. Autrement dit, le chiffre futur serait toujours fondé sur le chiffre immédiatement précédent, qu'il suffirait de doubler.

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M. Hanger: La catégorie «familiale» ne comprend pas les personnes proches à charge?

M. DeVoretz: Non. Je les ai inclus, pour les raisons que j'ai données, mais elles font partie d'une analyse économique.

Le président: Je vous redonnerai la parole dans un instant, Art, si vous le voulez bien.

M. Hanger: Certainement.

Le président: Vous avez dit qu'il faudrait effectuer un contrôle économique de la catégorie «familiale», et je dois dire que cela n'est pas clair à mes yeux. Vous avez dit que 60 p. 100 des membres de cette la catégorie comprennent actuellement les conjoints et les enfants à charge. Votre proposition serait-elle donc de la limiter aux parents et grands-parents?

M. DeVoretz: Ma définition de la catégorie familiale est la suivante: parents, éloignés assistés, parents et grands-parents. Il ne s'agit pas du conjoint immédiat d'un parent éloigné assisté ni de ses enfants mineurs. Donc, pour arriver à moitié-moitié, je mets ce groupe dans la catégorie de ceux faisant l'objet d'un contrôle économique.

Le président: Donc, si un homme immigre ici avec sa femme, celle-ci fait partie de la catégorie «économique», selon la définition actuelle; si un autre homme immigre, passe cinq ans ici puis retourne dans son pays pour épouser quelqu'un et parraine sa femme, celle-ci entre dans la catégorie «familiale». C'est bien cela, dans le système actuel? Est-ce que cela a une importance?

M. DeVoretz: Je me le demande. Dans votre exemple, il y a un décalage dans le temps. Il se peut que mes facultés de raisonnement ne soient plus très bonnes. Mes remarques concernaient les candidats primaires qui, lorsqu'ils présentent leur demande, mentionnent ou non des personnes à charge. Dans toutes autres circonstances, ces personnes à charge seraient placées dans la catégorie familiale. Si un immigrant a une fiancée et qu'il la parraine plus tard, je crois que celle-ci devrait être évidemment placée dans la catégorie «familiale».

En fait, votre question me porte à croire que je devrais essayer de préciser tout cela. Pour le moment, je dirais sans aucune ambiguité que le candidat primaire, son épouse et ses enfants mineurs, constituent un volet de la catégorie économique. L'autre volet est celui des investisseurs.

Le président: Bien. J'aimerais poser une dernière question à ce sujet pour que tout soit bien clair. Vous me dites qu'il faut donner des points supplémentaires aux membres de la famille, vous ne dites pas qu'il faudrait en donner à un parent ou à un grand-parent ne répondant pas à certains critères; par exemple, qui ne parlerait pas l'Anglais ou qui refuserait de l'apprendre. Est-ce bien cela?

M. DeVoretz: Oui.

Le président: Revenons maintenant au chiffre de 300 000. Dites-vous que nous devrions élaborer une politique d'immigration telle que dans trois, quatre, cinq ou six ans, la proportion de cette catégorie serait globalement satisfaisante, et que nous pourrions alors en accueillir un peu plus pour que notre population continue d'augmenter de 1 p. 100?

M. DeVoretz: Oui.

Le président: Nous devrions donc présenter ces arguments à la population canadienne pour éviter le genre de ressac que l'on constate traditionnellement lorqu'on accroît les niveaux d'immigration?

M. DeVoretz: C'est cela.

M. Hanger: Vous avez dit que les retombées économiques de l'immigration pour le Canada sont encore positives, dans les années 1990, mais qu'elles vont en décroissant. À part vos propres études, y en a-t-il d'autres qui confirment cette conclusion?

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M. DeVoretz: D'après moi, toutes les études rapportées dans cet ouvrage font état des effets positifs, minimes ou moyens, à l'exception de l'étude importante, concernant les effets sur le commerce. Selon l'auteur de cet essai, il n'existe aucune preuve de relation directe entre l'immigration et les échanges commerciaux. Pour tous les autres, il y aurait eu des effets positifs, modestes ou moyens, en 1991 et 1992.

M. Hanger: Je voudrais poser une autre question. Je sais que mon temps de parole achève rapidement et que nous devrons bientôt lever la séance.

Le président: Comme nous ne sommes que deux, prenez tout le temps que vous voulez.

M. Hanger: Notre témoin commence probablement à être fatigué lui aussi.

À l'heure actuelle, l'âge moyen des immigrants n'est pas très différent de celui du reste de la population. Cela s'explique probablement par la catégorie «familiale». Si l'on veut profiter des avantages qu'offre une population plus jeune, pour régler des questions telles que les pensions de retraite - puisque vous avez abordé le sujet - la seule solution, à mon sens, serait de limiter la catégorie «familiale» aux parents, aux jeunes parents et aux enfants à charge.

M. DeVoretz: Selon le recensement de 1991, l'âge moyen des Canadiens nés à l'étranger est d'environ 43 ans ou 44 ans...

M. Hanger: Oui, et c'est aussi l'âge moyen de la population canadienne, si je ne me trompe.

M. DeVoretz: ...ce qui est la même chose que pour la population canadienne dans son ensemble.

Ce que j'ai dit dans l'ouvrage et que j'ai répété aujourd'hui, c'est que l'on devrait faire passer les jeunes en tête de file, dans la catégorie familiale. Ce serait une solution.

Deuxièmement, même si l'âge moyen est de 43 ans, nous ne parlons pas ici de gens qui font une ponction nette sur nos régimes sociaux, l'une des raisons en étant qu'il y a une règle de 10 établie dans la loi. Dans l'un des programmes de pension, on est obligé d'avoir travaillé ici 10 ans de manière continue, que l'on soit Canadien ou non, pour obtenir... Je ne sais plus de quel programme il s'agit. Quoi qu'il en soit, il y a certains critères d'admissibilité qui interdisent aux personnes nées à l'étranger de percevoir des prestations si elles arrivent après l'âge de 55 ans, étant donné qu'elles n'auraient pas pu travailler pendant 10 ans.

L'une des conclusions les plus importantes, d'après les chiffres de Statistique Canada, est que les personnes nées à l'étranger produisent une épargne nette beaucoup plus importante que les personnes nées au Canada, toutes choses étant égales par ailleurs. Pourquoi cela? Parce qu'elles mettent plus d'argent de côté pour leur retraite - les chiffres le prouvent - et pour léguer à leurs enfants.

Je ne suis donc pas très préoccupé par l'incidence économique du vieillissement éventuel de la catégorie «familiale». Cela dit, toutes choses étant égales par ailleurs, je préférerais que les immigrants soient plus jeunes. Vous avez parfaitement raison. Cela nous permet d'en recueuillir les bienfaits pendant plus longtemps.

Le président: Puis-je vous demander une brève leçon d'histoire? Quelle politique aurions-nous dû adopter, et depuis quand, si nous avions voulu que votre livre soit intitulé rendements croissants plutôt que rendements décroissants?

M. DeVoretz: Pour avoir des rendements croissants?

Le président: Autrement dit, quand nous sommes fourvoyés, et dans quelle mesure?

M. DeVoretz: C'est précisément la question que je me posais. Quand les choses ont-elles changé? À mon sens, c'est en 1984-1985 que nous avons commis une erreur, c'est-à-dire lorsque nous avons décidé de n'accepter que des immigrants que de la catégorie familiale. Si vous regardez les chiffres de cette période, vous voyez que nous n'avons accueilli que 80 000 à 85 000 immigrants, ce qui est bien inférieur à la moyenne. Or, presque tous faisaient partie de la catégorie «familiale». Les conséquences commencent à se faire sentir, puisque ce sont des personnes qui n'ont pas contribué autant au trésor public. C'est donc dans cette période que se situe le point tournant.

Quand les choses ont-elles commencé? Avec le changement spectaculaire de politique en 1976, année où l'on a élargi la définition de la catégorie «familiale» et où l'on a adopté des règlements nous permettant de réduire sensiblement l'immigration en cas de chômage dans telle ou telle profession.

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D'après moi, le phénomène a donc commencé en 1976, et il a eu ses effets les plus brutaux lors de la récession de 1981-1983. C'est ce que révèle le recensement de 1991.

Les choses changeront à nouveau d'ici à l'an 2001 si nous corrigeons certains de nos règlements, en n'oubliant pas de ne jamais aller au-delà de 50 p. 100 pour la catégorie «familiale».

Le président: J'essaie de me souvenir du tableau. Il y a une année où nous n'avons accepté que 81 000 personnes. C'était au début des années 1980, n'est-ce pas?

M. DeVoretz: Je crois que le chiffre était plus élevé en 1981. En fait, je crois que la baisse spectaculaire est survenue en 1984-1985. Je suis presque sûr que c'est moins de 100 000 pour cette année-là. Et nous sommes restés à 100 000 environ pendant le milieu des années 1980. C'est seulement après 1988 qu'il y a eu une augmentation.

Le président: La situation a donc commencé à se redresser en 1988? Je sais que les chiffres ont beaucoup augmenté, mais qu'en a-t-il été de la répartition?

M. DeVoretz: La situation s'est améliorée dans une région, mais je crois que c'était un hasard. Je ne pense qu'il y ait eu de politiques délibérées pour accueillir essentiellement des investisseurs dans une région donnée, et que l'on ait attribué des points à leurs conjoints. C'était tout simplement un hasard.

Le président: Et, dans les quatre autres régions, les deux catégories sont restées déséquilibrées jusqu'à très récemment?

M. DeVoretz: Sur le plan économique, oui. Voilà pourquoi je n'ai pu intitulé mon livre Rendements croissants, pour cette période.

M. Hanger: À la page 26, vous parlez d'incitation, par exemple de services de formation linguistique, pour encourager les immigrants à aller s'établir dans les régions de croissance économique. Comment pourrait-on faire?

M. DeVoretz: En leur offrant des incitatifs. Il ne s'agit pas du tout ici de pénaliser qui que ce soit. Ces incitatifs pourraient prendre la forme de programmes d'établissement plus accessibles dans les régions rurales. À mon sens, la formation linguistique est absolument cruciale, mais il faudrait qu'elle soit plus accessible dans les régions non métropolitaines. Pour la Colombie-britannique, par exemple, il pourrait s'agir de Kelowna. Pour le centre de l'Ontario, par exemple pour certaines des régions en dehors de la zone métropolitaine de Toronto, j'essaierais d'inciter les gens en leur disant qu'ils pourraient avoir plus facilement accès à certains programmes.

Au départ, je pourrais même aller jusqu'à offrir des points supplémentaires, mais pas trop, parce que je ne voudrais pas que les gens soient attirés par erreur dans une région rurale sans avoir l'assurance qu'ils y resteraient.

Les incitatifs seraient donc essentiellement des services d'établissement. Il ne s'agirait pas d'avantages fiscaux - je ne crois pas à leur efficacité dans ce contexte - mais il pourrait s'agir de points supplémentaires. J'attends une prochaine thèse de doctorat d'un étudiant pour savoir si les gens restent dans les petites régions où ils vont s'établir. Si tel est le cas, je serais prêt à leur donner des points supplémentaires.

M. Hanger: Mais cela ne se fait-il pas déjà lorsqu'on tient compte des besoins provinciaux? S'il y a une province qui a besoin de telle ou telle catégorie de main-d'oeuvre, par exemple, est-ce qu'il n'y a pas déjà des incitatifs dans le régime actuel?

M. DeVoretz: Il y a des incitatifs économiques. Cela dit, nous ne savons pas si cela permet de maintenir ces gens dans ces régions pendant une période assez longue. Quand nous avons fait une étude des immigrants vietnamiens, nous avons constaté que beaucoup étaient allés s'établir dans les régions semi-rurales de la vallée du Fraser. Plus tard, lors du recensement de 1991, nous les avons vus réapparaître dans la région de Vancouver, ce qui s'explique en partie par le processus de vieillissement. Beaucoup d'entre eux étaient arrivés à un jeune âge.

Je ne sais pas si une politique d'incitation permettrait de les maintenir plus longtemps dans les régions plus éloignées, mais je serais prêt à faire l'essai. Il ne s'agit pas ici de leur donner de l'argent. Il s'agit de mieux faire usage des programmes d'établissement, par exemple en garantissant aux immigrants une place dans un programme d'étude de l'anglais.

M. Hanger: Mais cela ne se fait-il pas déjà? Les provinces offrent déjà des incitatifs par le simple fait qu'elles offrent des emplois aux gens ayant certaines qualifications. Que peut-on vouloir de plus?

M. DeVoretz: Si tel est le cas, ce n'est pas efficace, monsieur, car la plupart des immigrants vont s'établir dans les régions de Toronto ou de Vancouver.

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Si nous nous intéressons à certains des facteurs non économiques dont nous avons parlé, comme la capacité d'accueil, il me semblerait tout à fait légitime d'avoir recours à des incitatifs, à condition que ce ne soit pas de l'argent et que l'on n'aille pas à l'encontre de la Charte. Par exemple, on pourrait garantir une place dans un cours d'anglais aux immigrants acceptant d'aller à Kelowna, à Barrie ou ailleurs. Toutefois, je ne sais pas pendant combien de temps ils y resteraient.

M. Hanger: Mais c'est précisément ma question: Quels autres incitatifs pourrions-nous fournir? Pourriez-vous me donner un exemple? À part offrir un emploi et garantir aux gens la possibilité de gagner leur vie, que peut-on offrir? Évidemment, les gens se sentiraient plus à l'aise s'ils pouvaient rejoindre des membres de leur culture mais, s'ils faisaient cela, ils risqueraient de se retrouver tributaires du bien-être social.

M. DeVoretz: Je ne voudrais pas offrir trop d'incitatifs, pour deux raisons. Premièrement, je ne veux pas que le gouvernement y consacre de l'argent et, deuxièmement, je crois que l'essentiel est de relier cela à l'apprentissage des langues.

Si vous pemettez aux gens d'apprendre l'anglais ou le français, selon la région, cela devrait les amener à se stabiliser localement. C'est cela qui fait que les gens restent où ils sont. Je n'en ai pas de preuve scientifique et je veux donc pas fonder toute ma politique là-dessus, mais des données préliminaires permettent de penser qu'il n'y a pas beaucoup plus à faire que de permettre aux gens de parler la langue dominante de la région où ils résident. On n'a pas besoin de leur donner d'autres incitatifs.

Le président: Connaissez-vous Diane Francis, qui publie une chronique dans un journal?

M. DeVoretz: Oui.

Le président: Elle consacre de temps en temps sa chronique à notre politique d'immigration.

M. DeVoretz: Oui.

Le président: Dans l'une de ses chroniques, elle a vivement reproché au Canada d'autoriser les grands-parents à immigrer. D'après elle, ceci constitue un fardeau excessif sur notre régime de soins de santé, ce qui nous coûte très cher. Êtes-vous capable de réfuter cet argument?

M. DeVoretz: Oui. Sans vouloir traiter votre question à la légère, monsieur, je crois que la réponse se trouve au chapitre 5. Vous y trouverez une réfutation très solide dans l'article de Shamsuddin sur les régimes de pension. Son argument est très solide sur le plan intellectuel. Plus on arrive ici à un âge avancé, moins on a de chances de pouvoir être admis à certains de nos régimes publics, puisqu'il faut avoir travaillé au moins 10 ans pour cela.

Le président: Qu'en est-il des soins de santé?

M. DeVoretz: C'est un problème complètement différent.

Le président: Mais c'était l'argument fondamental de Diane Francis. Elle disait que ces immigrants âgés nous coûtent des centaines de milliers de dollars et que nous ne devrions donc pas les accepter.

Une voix: Des millions.

Le président: Des millions? C'est juste.

M. DeVoretz: Je vous recommanderais de lire les études de David Foot, de l'Université de Toronto, qui est un expert en la matière. Je n'ai jamais lu dans ses études que cela nous coûte des millions ou des centaines de millions de dollars.

Quand j'en ai discuté avec lui, il nous semblait très clair que la famille typique paie largement plus, en contributions fiscales, que ce que peuvent retirer en prestations ces membres plus âgés de la catégorie familiale. Pour que les choses soient bien claires, je vous dis que les statistiques figurant dans l'ouvrage tiennent compte des coûts de soins de santé.

Il y a, dans l'ouvrage, un chiffre tenant compte des soins de santé de tout le monde, vieux et jeunes. Si nous prenons le groupe dans son ensemble, les personnes âgées ont peut-être une incidence spéciale sur les soins de santé mais, si vous ajoutez cela à tous les autres facteurs, vous verrez que le groupe paie quand même plus au trésor public qu'il n'en retire sur le plan de la santé et de tout le reste.

De fait, maintenant que j'y réfléchis bien, je n'ai aucune hésitation à dire qu'elle est complètement dans l'erreur. Elle se trompe du tout au tout.

Le président: Votre argument est que nous devons autoriser ces personnes âgées à venir pour que le Canada soit un lieu d'accueil attrayant pour l'ensemble de la famille, c'est-à-dire pour qu'on ait la bonne proportion de tous les groupes d'âge?

M. DeVoretz: En partie, mais en partie aussi parce que, comme le disent les auteurs des articles de cet ouvrage, les personnes âgées offrent des services utiles. Elles permettent aux plus jeunes de s'insérer dans la population active, puisqu'elles leur fournissent des services de garde d'enfants.

Le président: Art, voulez-vous...? Je peux vous donner quelques minutes de plus, si vous y tenez.

M. Hanger: J'aurais d'autres questions à poser mais je crois que je vais en rester là.

Le président: Je voudrais faire une dernière remarque, sur le processus. Le ministère a l'intention de produire certains des chapitres dont nous venons de parler. Seriez-vous prêt à nous donner votre réponse à cette critique, si nous vous la faisions parvenir?

M. DeVoretz: J'enseigne cet été. Je ne veux pas me défiler mais je vais vous dire quel est mon programme. J'ai un programme de cours très chargé cet été, et il commence dans une semaine. Par contre, je suis tout à fait prêt à faire de cette réponse ma deuxième priorité. Je ne vous dis pas cela pour faire de l'ironie.

Le président: Je comprends bien.

M. DeVoretz: Ma première priorité est l'enseignement, mais je serais certainement prêt à...

Le président: Parfait.

M. DeVoretz: ...lire cette critique et à la soumettre aux autres auteurs. Ce serait ma deuxième priorité.

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Le président: Nous pourrions donc établir un dialogue?

M. DeVoretz: Bien sûr, mais en tenant compte de mes responsabilités d'enseignement.

Le président: Le ministère nous a également dit qu'il souhaite faciliter les recherches des universitaires. L'avez-vous constaté?

M. DeVoretz: Oui. J'estime que l'accès aux chiffres est plus important que l'argent. Depuis 1987, le ministère fait preuve d'une excellente collaboration à ce sujet, eu égard au critère de confidentialité.

De toute façon, personne n'a plus d'argent, aujourd'hui, et l'essentiel est donc d'avoir accès aux statistiques.

Le président: Souhaitez-vous faire une conclusion?

M. DeVoretz: Non. Je vous remercie beaucoup de m'avoir accueilli.

Le président: C'est nous qui vous remercions d'être venu. Merci beaucoup.

La séance est levée.

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