[Enregistrement électronique]
Le mercredi 7 juin 1995
[Traduction]
Le président: Je m'appelle Gar Knutson et je suis président du sous-comité. Je souhaite la bienvenue à M. Matas et à Mme Dench.
Ce n'est pas la première fois que vous venez devant un comité parlemetaire et vous connaissez donc la procédure. Allez-y.
M. David Matas (président, Conseil canadien pour les réfugiés): Nous vous remercions infiniment de nous avoir invités. Permettez-moi d'abord de vous présenter en quelques mots le Conseil canadien pour les réfugiés.
Je suis président du Conseil canadien pour les réfugiés et Janet Dench est coordinatrice du groupe de travail. Je suis bénévole et elle est employée.
Le conseil est un organisme cadre regroupant environ 135 autres organismes qui s'occupent du parrainage, de l'aide, de la protection, de l'assistance aux réfugiés et de leur intégration dans la société.
Je tiens à féliciter le comité de s'être engagé dans ces discussions sur les consultants en immigration. C'est un sujet dont un discute depuis un certain temps. J'étais membre du groupe de travail qui, en 1981, a préparé le rapport sur les consultants en immigration. Je l'ai encore. Ce rapport, publié en 1981 par le ministère de l'Emploi et de l'Immigration, et qui s'intitule L'exploitation de requérants immigrants par des conseillers sans scrupules, proposait diverses solutions qui malheureusement n'ont pas toutes été retenues, et le problème persiste.
Je suis avocat, mais nous n'avons pas l'intention de présenter la perspective de l'avocat dans notre soumission. En fait, nous entendons donner un point de vue plus large. Nous avons préparé des observations sur les consultants en immigration divisées en 16 points. Nous en avons suffisamment d'exemplaires pour les membres du comité.
Nous savons qu'il existe diverses propositions visant à limiter la représentation devant les conseils administratifs aux seuls avocats. Nous tenons à signaler que, si le sujet est effectivement complexe et les avocats souvent mieux placés que quiconque pour représenter un demandeur du statut de réfugié dans le processus de détermination, il y a de bons et de mauvais avocats, des avocats compétents et des avocats incompétents. On risque d'avoir des problèmes si l'avocat qui représente le demandeur a peu d'expérience, est incompétent, mal informé ou peu motivé.
Je rappelle aux députés qu'autrefois, à l'étape de l'audience pour déterminer le minimum de fondement, l'avocat était désigné, c'est-à-dire en fait imposé aux demandeurs de par la loi. Ceux-ci n'avaient pas le droit de choisir leur avocat. On vous attribuait un avocat, de par la loi, et dans bien des provinces, il y avait une liste de roulement des avocats. Cela variait d'une province à l'autre, mais souvent l'attribution était faite simplement dans l'ordre d'arrivée. Ces systèmes donnaient des niveaux de représentation très inégaux.
Le Conseil canadien pour les réfugiés a eu à se pencher sur ce problème de la représentation, y compris par un avocat qui s'est avéré inefficace et incompétent, et nous n'avons pas aujourd'hui de solution à proposer. Nous avons écrit aux divers barreaux, pour leur signaler le problème, mais ils se sont montrés plutôt réticents. Quelques tentatives de recours judiciaire ont échoué.
Dans nos notes, nous citons un cas - celui d'Ali Sheikh - dans lequel le client était représenté par un avocat désigné, lequel s'était endormi à trois reprises pendant l'audience, avait dû être à chaque fois réveillé par l'arbitre et se faire résumer les faits. Le demandeur a perdu et l'affaire a été portée devant un tribunal pour cause d'incompétence de l'avocat; le demandeur a encore une fois été débouté. Permettez-moi de vous lire une phrase du jugement:
- Comme une décision affirmant
- - l'incompétence de l'avocat -
- pourrait donner lieu à des poursuites pour négligence par le client lésé ou à procédures
disciplinaires par le Barreau concerné, sans même parler de la tache à la réputation de l'avocat
endormi, le tribunal doit s'assurer que sa conclusion est bien fondée avant de la prononcer.
- Et il ne l'a pas fait.
L'Association du Barreau canadien a cherché à s'attaquer au problème dans un rapport intitulé Les experts inconnus, publié en 1983, et qui proposait une spécialisation des avocats autofinancée par le Barreau et volontaire. Cette spécialisation n'aurait pas été obligatoire. Mais il s'agit-là encore d'un vieux rapport qui contenait de bonnes idées et qui n'a rien donné.
Le problème est réel. Il est ancien et on s'y est attaqué à diverses reprises sans résultats. Nous encourageons le Comité à démêler ce problème complexe.
Il y a une deuxième chose que je voudrais signaler, et c'est à propos des bureaux des visas à l'étranger. Des problèmes se posent également au Canada, mais ils sont plus graves à l'étranger car notre réglementation ne s'applique pas en dehors du Canada. Et puis, bien entendu, le degré d'ignorance y est plus fort. Nous avons l'habitude de jeter l'éponge face à ces problèmes. Pourtant, nous estimons que c'est là que le problème est le plus aigu et nous devons et pouvons y remédier.
J'ai participé aux consultations sur l'immigration l'an dernier et j'ai participé au groupe de travail numéro sept qui s'est penché sur la question de l'application, et nous y avons abordé cette question. L'un des points sur lesquels, si ma mémoire est bonne, il y avait consensus, c'était la nécessité de communiquer avec les collectivités d'immigrants dans les pays où nous avons des bureaux de visas afin d'essayer d'améliorer la qualité de l'information.
Les consultants et les agents de voyage sont très actifs dans la communication avec ces collectivités et ils gagnent grassement leur vie à donner des conseils, parfois bons parfois mauvais, surtout depuis que le gouvernement impose des droits faramineux pour venir au Canada. Il nous semble qu'il conviendrait d'augmenter le niveau du service au moins pour contrer les rumeurs, démentir les fausses informations, au moins les plus criantes, qui circulent dans les collectivités, et améliorer l'accès aux bureaux des visas à l'étranger et la qualité de l'information qui y est dispensée.
Avant de donner la parole à ma collègue qui conclura cet exposé, je tiens à dire encore une chose à propos de la difficulté d'accès à un avocat aux points d'entrée. Actuellement, la politique et la pratique au Canada sont de n'autoriser aucun accès à un conseiller, juridique ou non, compétent ou non, au demandeur qui arrive à un port d'entrée. Ils sont isolés, et passent une première et une deuxième entrevue sans l'assistance d'un conseiller. La Cour suprême du Canada a jugé que cette procédure était constitutionnelle.
Or, cela a une incidence sur le problème qui nous occupe car plus on ferme l'accès aux conseillers compétents ou efficaces, plus on laisse le champ libre aux moins scupuleux. Si un nouvel arrivant ne peut pas obtenir des conseils juridiques efficaces et compétents parce que le gouvernement le lui interdit, il devient une proie facile pour ceux qui sont prêts à dire tout et n'importe quoi pour de l'argent. Nous estimons que le Comité, dans son étude du problème, peut régler celui de l'accès à un conseiller aux ports d'entrée.
Voilà ce que j'avais à dire; je laisse maintenant la parole à Janet Dench qui terminera notre présentation.
Mme Janet Dench (coordonnatrice du groupe de travail, Conseil canadien pour les réfugiés): Je me contenterai de souligner certains points que vous trouverez dans notre document.
Il y a d'abord la nécessité de créer un mécanisme permettant de porter plainte contre un conseiller, qu'il s'agisse d'un consultant ou d'un avocat, et de faire procéder à une enquête détaillée et efficace sur ces plaintes. Si les plaintes portent sur des avocats, elles peuvent bien sûr être adressées au Barreau concerné, mais l'expérience nous a démontré qu'il est extrêmement difficile d'obtenir que les demandeurs portent plainte. Les demandeurs du statut de réfugié en particulier sont peu enclins à porter plainte, et il est de toute manière difficile de les y encourager puisque, come l'a dit David, nous avons pu constater que les barreaux, tout comme les tribunaux, ont tendance à se préoccuper davantage de préserver la réputation des avocats que d'assurer la protection des clients.
Dans le cas des consultants, il n'y a bien sûr aucune voie possible. Par conséquent, si le Comité envisage une réglementation quelconque - licence pour les consultants - nous insisterions sur l'importance d'établir un mécanisme permettant aux demandeurs de porter plainte sans difficulté, sans s'exposer à des risques, et assurant que ces plaintes feront l'objet d'enquêtes détaillées et pourront aboutir à des sanctions.
La deuxième chose que je voulais dire, c'est que d'après nous, dans certains cas, il serait bon que des représentants d'organismes non gouvernementaux, qui ne sont pas directement rémunérés par le client, mais qui ont un lien avec celui-ci parce qu'il leur a demandé assistance, puissent l'accompagner par exemple à certaines entrevues avec les agents de l'immigration.
Il est arrivé, par exemple, que des représentants assument le rôle d'avocat lors des révisions relatives à la garde. Nous estimons que dans certains cas, de fait dans la plupart des cas qui sont entendus par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, par exemple, il est dans l'intérêt du demandeur d'être représenté par un avocat.
Nous souhaitons que le droit d'accès des organismes non gouvernementaux et autres représentants non rémunérés soit protégé. De fait, nous souhaitons que ce droit soit réaffirmé, car certains membres d'ONG qui accompagnaient un demandeur pour lui apporter un soutien moral lors de l'entrevue avec un agent de l'immigration se sont vu refuser l'entrée.
Je tiens à souligner que les problèmes que nous soulevons ne concernent pas seulement la comparution devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, domaine qui est bien sûr couvert par le pouvoir d'octroi de licence de consultant que confère la Loi sur l'immigration. Bien des consultants n'ont auucunement l'intention de comparaître devant la commission, mais ils s'offrent, par exemple, à présenter le cas lors du processus de révision postérieur des revendications refusées, le DNRSRC. Ils ne comparaissent pas devant la commission, mais le besoin de règlementation des consultants est le même car certains sont incompétents et peu scrupuleux.
Enfin, je voudrais souligner un autre aspect de ce que disait David tout à l'heure à propos de la situation à l'étranger. Le ministère doit veiller à ce que les gens qui traitent avec le ministère de l'Immigration au Canada soient suffisamment informés pour ne pas devenir une proie facile pour les consultants.
Malheureusement, depuis quelques années, avec le retrait progressif de l'accès aux agents de l'immigration, le problème n'a fait que s'accentuer. Tandis que le nombre des agents de l'immigration dans les princpales villes diminue, toute l'administration est transférée aux centres de traitement des dossiers à Vegreville et Mississauga. Ils devient donc très difficile pour un demandeur d'obtenir des renseignements de base sur son dossier ou sur les règles de l'immigration en général. Je suis sûr que certains d'entre vous savent bien, de par le travail que font vos propres employés sur des dossiers individuels, combien il est difficile d'obtenir le moindre renseignement concernant les règlements.
Nous estimons qu'il incombe au Ministère de protéger ses clients des risques d'exploitation par des consultants sans scrupules. Il lui suffirait de mettre à la disposition du public des renseignements écrits et oraux, et de veiller à avoir le personnel nécessaire pour donner des conseils et des informations de base.
Ces informations devraient être données notamment aux ports d'entrée. Lorsque les gens arrivent, il rencontrent un agent de l'immigration qui leur pose des questions. Il faudrait saisir cette occasion pour s'assurer que les arrivants, et surtout les demandeurs, soient informés de leurs droits et de ce qui les attend, de manière à ce qu'ils aient au moins quelques éléments d'information lorsque les consultants viendront les voir ou lorsqu'ils verront des annonces laissant entendre que tel consultant pourra régler tous leurs problèmes.
Je m'arrête là. Merci.
M. Matas: Avant de passer aux questions, j'aimerais dire encore une chose. Je crois comprendre que les conservateurs de Mike Harris ont promis lors de la campagne électorales de retirer l'aide juridique aux personnes qui comparaissent devant des tribunaux administratifs. Bien entendu, cela couvre également les demandeurs de statut de réfugié.
Le cas échéant, le problème en serait aggravé, car nous avons pu constater que dans les provinces où l'aide juridique n'est pas accordée actuellement, c'est-à-dire en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, peu d'avocats se présentent aux audiences. Les gens se présentent en général seuls ou avec des assistants en formation juridique. Si les choses doivent se dérouler essentiellement ainsi en Ontario, les problèmes sur lesquels se penche ce comité seront amplement multipliés.
Le président: Que suggérez-vous que nous fassions?
M. Matas: Nous avons parlé de ces problèmes dans une certaine mesure et les solutions sont éparpillées. C'est sans doute la raison pour laquelle le problème n'a jamais été résolu. Il ne suffit pas que le gouvernement fédéral adopte un règlement. S'il n'en fallait pas plus, je crois que cela aurait été fait depuis longtemps.
C'est un domaine de compétence partagée entre le fédéral et les provinces et celles-ci ont généralement délégué leurs responsabilités aux barreaux provinciaux, lesquels ont tendance à ne rien faire. Les provinces se sont peu intéressées au problème qu'elles considèrent de nature essentiellement fédérale, même si le pouvoir de réglementation administratif des professions est provincial.
Nous avons essayé de trouver une solution à ce problème au sein du CCR. Comme je l'ai dit, nous avons écrit aux divers barreaux. Nous avons également abordé le problème avec le ministre fédéral et ses homologues provinciaux pour qu'ils l'inscrivent à leur ordre du jour puisqu'il y a maintenant une conférence des ministres de l'Immigration.
J'ai parlé à Peter Harder et au sous-ministre manitobain qui était président à l'époque. Ils étaient plutôt d'accord, mais l'affaire a été renvoyée à un sous-comité et cela n'a rien donné de concret.
Je pense que si nous pouvions organiser une rencontre entre des représentants du fédéral, des provinces et des différents barreaux provinciaux, avec ce problème pour seul sujet à l'odre du jour, nous pourrions peut-être obtenir un concensus.
Le président: Si vous avez terminé, nous pouvons passer aux questions. Il faudrait quand même que vous nous présentiez une recommandation pour le cas où nous n'obtiendrions pas la coopération des provinces.
Nous partons du principe qu'il serait souhaitable que les provinces fassent quelque chose et règlent le problème. Mais nous ne voulons pas non plus que notre rapport soit cité dans 12 ans et qu'on dise: la question a été examinée il y a 12 ans, mais ça n'a rien donné de concret. Nous entendons faire tout notre possible, et je crois par là exprimer l'avis de tous les membres du comité.
M. Matas: Il serait utile d'avoir une procédure d'accréditation. Malheureusement, la règlementation actuelle ne permet l'accréditation que pour la comparution devant les tribunaux. C'est trop limité.
L'accréditation dans le contexte du système actuel serait utile, mais il serait préférable d'avoir un système plus vaste qui permettrait d'accréditer non seulement ceux qui comparaissent devant les tribunaux, mais aussi ceux qui présentent des dossiers devant les bureaux de visa, les centres d'immigration, ou au port d'entrée.
Le président: Sur ce, nous allons maintenant passer aux questions.
Monsieur Nunez.
[Français]
M. Nunez (Bourassa): Je suis arrivé en retard parce que j'étais à un autre comité. Merci de votre présentation, du moins en ce qui a trait à la partie que j'ai entendue.
Est-ce que vous connaissez des expériences à l'étranger où ce problème a été réglé, par exemple en Australie, où il y a un conseil qui examine les candidats aux postes de conseillers, où il y a un mécanisme des plaintes, etc? Est-ce que vous êtes au courant de cela?
M. Matas: Oui. Je sais qu'il y a une loi en Australie et j'ai lu les notes du gouvernement du Canada qui a fait quelques remarques sur cette expérience, à savoir qu'avec ce système, il y a beaucoup de plaintes. Il y a des plaintes de gens qui disent que même si quelqu'un est accrédité, il ne fait pas nécessairement un bon travail. Cependant, c'est mieux que rien et c'est meilleur que ce que nous avons maintenant.
M. Nunez: Aux États-Unis, est-ce qu'il y a un organisme similaire?
M. Matas: Il n'y a pas de loi similaire. Aux États-Unis, c'est un peu comme au Canada: c'est n'importe quelle personne.
M. Nunez: Est-ce que vous pourriez élaborer un peu plus sur les contrôles et la surveillance des conseillers en immigration à l'étranger? Je suis allé au Maroc. Il semble qu'il y a plusieurs conseillers en immigration là-bas. C'est un problème. C'est l'agent d'immigration qui m'a dit ça. Comment est-ce qu'on pourrait réglementer un groupe de personnes à l'étranger? Le Canada n'a pas de juridiction là-dessus. Qu'est-ce qu'on pourrait faire?
M. Matas: Nous pouvons faire trois choses. Premièrement, on peut dire que si vous voulez représenter quelqu'un auprès d'une ambassade, vous devez être accrédité par le gouvernement du Canada. C'est une chose. Deuxièmement, on peut donner des renseignements aux gens au sujet de la loi, de notre système et de nos critères pour qu'ils soient mieux renseignés qu'ils ne le sont maintenant. Ça, c'est une deuxième chose. Troisièmement, on peut faire des démarches auprès des gouvernements étrangers pour qu'ils réglementent ce problème, parce que, pour eux, ce n'est pas un problème. Si nous leur disons que c'est un problème pour nous, peut-être feront-ils quelque chose.
M. Nunez: Concernant la question constitutionnelle et juridictionnelle, ces secteurs relèvent des provinces et celles-ci veulent les garder comme des secteurs de compétence exclusive. Est-ce que le Conseil canadien pour les réfugiés a fait des représentations au niveau des gouvernements provinciaux pour que ce problème soit réglé?
M. Matas: Je pense que non. Nous avons fait des représentations auprès des barreaux et des sociétés de droit, mais pas auprès des gouvernements provinciaux. J'ai demandé au gouvernement manitobain de mettre ce sujet à l'ordre du jour de la conférence interprovinciale, mais c'est tout.
M. Nunez: Est-ce que les fautes commises par des avocats ou des conseillers sont un problème étendu? À quel niveau? Par exemple, quels sont les actes frauduleux les plus fréquents?
M. Matas: Le problème le plus fréquent, c'est l'incompétence plus que la fraude. La fraude est plutôt rare. Je suis à Winnipeg et je ne vois presque pas de cas de fraude. Ce n'est peut-être pas la situation à Montréal.
Mme Dench: Cela dépend un peu de la façon dont on définit la fraude. Au niveau des avocats, dans le secteur des ONG, on peut avoir l'impression que c'est plutôt un faible pourcentage des avocats qui font un très bon travail.
M. Matas: Oui, c'est plutôt un problème d'incompétence. Il y a beaucoup d'avocats qui ne sont pas frauduleux, mais ce n'est pas leur spécialité. Ils font cela avec beaucoup d'autres choses, ils acceptent tous les clients dans toutes les affaires et ils sont très occupés. C'est un domaine très technique et la loi est très spécialisée, et souvent ils ignorent certaines choses relativement aux personnes qui revendiquent le statut de réfugié. Il faut connaître la définition et savoir ce qui est pertinent et ce qui ne l'est pas.
Souvent, les gens ont des renseignements qui ne sont pas pertinents et ils ne disent pas les choses pertinentes. Même si les revendicateurs connaissent ces choses, ils ne savent pas qu'elles sont pertinentes, et l'avocat non plus. Par la suite, c'est trop tard. Ce n'est pas un problème de fraude, mais un problème d'incompétence.
M. Nunez: L'incompétence est une chose difficile à prouver. Si on porte plainte contre quelqu'un pour incompétence, comment va-t-on prouver ça? Il est plus facile de prouver la fraude, le vol ou la négligence. Même la négligence est difficile à prouver. Pour ce qui est de l'incompétence, s'il n'y a pas un mécanisme d'accréditation de ces conseillers...
M. Matas: C'est ce que nous disons. Il faut qu'il y en ait un, même pour les avocats.
M. Nunez: Pour les avocats, dites-vous? En plus d'être membres du Barreau, ils devraient...
M. Matas: Oui.
Mme Dench: ...être spécialisés en matière d'immigration.
M. Nunez: Est-ce que le Barreau est d'accord sur cela?
M. Matas: Oui. Le Barreau canadien était d'accord. J'ai montré un rapport contenant une recommandation en ce sens, mais cela ne s'est jamais réalisé.
Mme Dench: On a aussi abordé la question dans les lettres qu'on a envoyées aux barreaux des provinces. Il y en avait certains qui étaient plutôt favorables et d'autres qui n'ont pas répondu. Donc, la question est restée un peu ouverte.
M. Nunez: Certaines universités donnent des cours spécifiques à des conseillers en immigration. Par exemple, il semble qu'à Montréal, l'UQAM donne des cours.
M. Matas: Cela est exact, mais ce ne sont pas toujours des gens qui ont suivi le cours qui conseillers; il y en a d'autres aussi.
Mme Dench: La formation est évidemment une question clé; on aimerait bien que tous les conseillers soient bien formés.
M. Nunez: C'est cela.
[Traduction]
Le président: Je précise qu'aucun réglement n'oblige un avocat à se spécialiser pour faire ce genre de travail.
M. Matas: Non. De fait, il n'existe aucun type de spécialisation au barreau... Les barreaux sont des sociétés provinciales, mais à ma connaissance, aucun barreau n'a de système de spécialisation.
Le président: Si, en Ontario, mais c'est davantage pour susciter la confiance du consommateur qu'autre chose.
M. Matas: Je crois que c'est surtout une question de publicité. Vous pouvez faire de la publicité dans certains domaines si vous avez suivi un certain nombre d'heures de cours de spécialisation, par exemple.
Le président: Bien.
Mme Dench: L'un des avantages de ce type de spécialisation serait d'assurer une formation permanente. Dans le domaine de l'immigration, les lois et règlements changent fréquemment. Il faut se tenir au courant des changements pertinents et de la jurisprudence dans la détermination du statut de réfugié, et si les gens ne pratiquent plus dans ce domaine depuis quelques années, ou s'ils ne se sont pas tenu informés, ils faut les mettre au courant.
Le président: Vous voulez commencer pour le Parti réformiste?
M. Hanger (Calgary Nord-Est): Monsieur Matas, je présume que l'élimination de l'aide juridique vous préoccupe, ou plutôt non pas son élimination, mais la simple suggestion que cela puisse arriver. Je sais que nous nous penchons principalement sur les consultants illégaux. Votre recommandation consiste à faire le ménage dans toutes ces choses.
Il y a les faux consultants et les plaintes sur la manière dont ils traitent les dossiers ou représentent les demandeurs. Maintenant il y a cette menace de retrait de l'aide juridique - mais je ne vois pas très bien le rapport avec les consultants - et puis vous demandez l'accréditation de ceux qui ont accès au bureau des visas à l'étranger, au bureau de l'immigration, aux audiences en général et certainement aux commissions et audiences de nature quasi-judiciaires.
M. Matas: Je propose d'agir sur tous les fronts à la fois.
J'ai mentionné également l'aide juridique car à mon sens le problème va s'aggraver si les avocats sont en fait exclus de ces audiences. Sans l'aide jurdidique, il y aura encore quelques avocats, ils ne seront pas complètement exclus. Nous avons vu ce que cela donne dans d'autres provinces, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. Je crois qu'il n'y a jamais eu d'aide juridique au Nouveau Brunswick, mais en Nouvelle-Écosse elle a été disponible puis elle a été éliminée. On a pu constater que les avocats disparaissaient du paysage.
Il est compéhensible qu'ils ne se présentent pas s'ils ne sont pas payés. Certains le feront peut-être à titre gracieux, et certains clients peuvent se payer un avocat, mais il y a eu un net recul.
Les avocats disparus, le champ est d'autant plus libre pour les autres. Et l'on entre alors dans un domaine non réglementé, avec des gens sans scrupules, des incompétents, et aussi des gens honnêtes et compétents. Je conviens que les avocats présentent eux aussi bien des problèmes, mais il existe au moins un organisme de règlementation; nous avons vu qu'il se préoccupe assez peu du problème, mais au moins il existe. Pour les consultants, il n'y a rien du tout.
M. Hanger: Vous avez cependant commencé par dire que vous n'étiez pas nécessairement opposé à l'idée de fermer ce domaine à d'autres; puis vous dites que seuls les avocats devraient être autorisés à traider des questions d'immigration.
M. Matas: Non. J'ai dit que nous devons essayer de laisser une place aux avocats, et essayer de les amener à se spécialiser, mais sans pour autant leur donner une chasse réservée.
M. Hanger: Pour l'accréditation donc - et on et a déjà dit à plusieurs reprises - il faudrait établir des critères. Il faudrait un organisme de règlementation, et en faire autant pour les consultants et presque tous les domaines, je dirais.
M. Matas: Oui.
M. Hanger: Pourquoi ne pourrait-on pas confier le règlement des plaintes et autres procédures dont un consultant ou un avocat pourrait ou non s'occuper, à des agents d'immigration?
M. Matas: Nous souhaiterions voir une plus grande responsabilité des agents d'immigration dans ce domaine. Ils peuvent faire énormément de choses, par exemple en commençant par donner davantage d'informations, en démentant les rumeurs, en faisant connaître les programmes dans les collectivités.
Nous voyons des consultants mettre des annonces dans les journaux et convoquer des réunions à l'étranger, et je ne vois pas pourquoi les représentants du ministère de l'Immigration ne pourraient en faire autant. C'est ce que nous souhaiterions voir. Cela permettrait certainement de réduire la dimension du problème actuel. Toutefois, cela ne suffit pas, car les agents d'immigration ne sont pas là dans le seul but d'aider les gens qui souhaitent venir au Canada.
Ils doivent aussi faire appliquer la loi. Devant une infraction possible à la loi, ils doivent agir. Ils ne peuvent pas passer par-dessus. Si quelqu'un s'adresse à eux et leur donne l'impression de demander un visa de visiteur dans l'intention de s'installer, ils ne peuvent pas leur donner de conseil. Ils ne peuvent que refuser le visa. Ce ne sont pas de simples conseillers, ils sont directement concernés.
Parfois ils deviennent des adversaires. Leur interprétation de la loi peut être différente de celle qu'en fait la personne qui s'adresse à eux. Il arrive que le ministère et des immigrants soient parties adverses devant un tribunal. Les agents d'immigration ne peuvent pas en toute simplicité aider ceux qui s'adressent à eux. Il est parfois nécessaire de faire représenter les intérêts de la personne concernée par un tiers.
M. Hanger: Je me demande jusqu'où on peut aller. Nous avons une fonction publique et elle est au service de la population. Faut-il que dans cette fonction publique, ici dans le cas du ministère de l'Immigration, chaque plainte, procédure ou demande soit défendue par un avocat ou une personne agréée?
Mme Dench: On peut tirer un parallèle avec les déclarations d'impôt et les comptables. Certains contribuables se contentent de l'information que leur fournit le ministère du Revenu et remplissent leur propre déclaration. D'autres estiment nécessaire de s'adresser à un comptable ou de faire remplir leur déclaration par leur comptable. Vous voulez être sûr de pouvoir faire confiance à ce comptable et savoir que s'il est malhonnête, vous pouvez porter plainte. Je vois le rôle des consultants de la même façon.
M. Hanger: Il y a sans doute là un marché. S'il y a un marché pour des comptables, il y aura un certain nombre de comptables. S'il y a un marché pour des consultants ou des avocats, il y aura un certain nombre d'avocats. J'ai presque l'impression que nous essayons de créer un marché pour les avocats ou les personnes agréées dans ce domaine.
Mme Dench: Mais nous disons justement le contraire. Nous aimerions que le ministère fasse beaucoup plus, pour que les gens ne se sentent pas obligés de voir un consultant. Les gens pourraient se satisfaire de l'information qu'ils reçoivent du ministère et se sentir capables de remplir leur propre formulaire et de faire les démarches nécessaires.
M. Matas: Malheureusement, le droit de l'immigration est extrêmement complexe. Je ne suis pas le seul à le dire. Bien des avocats et des juges ont fait remarquer que le droit de l'immigration est peut-être un des plus complexes au niveau fédéral, avec la Loi de l'impôt sur le revenu. Et pourtant, les personnes touchées ne connaissent pas nos lois, notre langue, notre culture, et elles sont donc facilement perdues, trompées, mal conseillées.
Une solution, d'après moi - et je ne sais pas si elle est réalisable - serait de rédiger une loi de l'immigration à la portée de tous, quelle que soit la langue ou la culture du lecteur. On n'aurait plus alors besoin de consultants ou d'avocats. Mais nous en sommes encore bien loi et je doute de la voir un jour.
Toutefois, en raison premièrement de la complexité de la loi, et deuxièmement du peu d'information qu'obtiennent les intéressés, nous avons un problème particulier à ce domaine.
Le président: Avez-vous l'intention de conclure?
M. Hanger: Oui, j'ai encore une question.
Comment entendez-vous éliminer les demandes frauduleuses en réglementant les consultants?
M. Matas: Actuellement, tout avocat qui participe à une fraude commet une faute de déontologie. Il peut en outre être radié du barreau. Cela fait partie du code de déontologie de l'Association du barreau canadien et du barreau manitobain, et j'imagine aussi de toutes autres provinces: il est interdit de participer à une fraude devant un tribunal. Vous risquez d'être radié du barreau.
Je souhaiterais que ce soit aussi le cas pour les consultants. On établirait un code de déontologie pour les consultants agréés. S'ils participent à une fraude, ils sont rayés. Ce serait une manière de les encourager à l'honnêteté. Bien entendu, on peut actuellement entamer des poursuites, mais ce sont alors des poursuites criminelles, et il faut pouvoir prouver la faute au-delà de tout doute raisonnable, et il est souvent extrêmement difficile de prouver une fraude dans une affaire criminelle. C'est plus facile dans une poursuite civile. Un système d'accréditation permettrait donc de s'attaquer à la fraude.
M. Hanger: Un avocat radié du barreau pourrait-il être accrédité? Je sais qu'un certain nombre de ces avocats font actuellement de la consultation et entendent même des cas au sein de la CISR.
M. Matas: Il faudrait en décider en établissant les critères d'accréditation. Personnellement, je dirais que cela dépend de la raison pour laquelle cette personne a été rayée du barreau. Si c'était pour fraude, il me semble qu'il faudrait y réfléchir à deux fois avant de l'accréditer comme consultant en immigration. Si c'était pour une toute autre raison, cela n'a peut-être aucune incidence.
Le président: Par exemple, s'il s'agit d'un alcoolique qui dix ans plus tard est guéri et s'est réinséré dans la société.
M. Matas: C'est cela.
Le président: Bon. C'est tout, Art?
M. Hanger: J'ai d'autres questions, mais je les poserai plus tard si nous en avons le temps.
M. Assadourian (Don Valley-Nord): Je vous prie d'excuser mon retard. J'ai une petite question qui découle de la réponse que vous avez donnée tout à l'heure.
Un avocat rayé du barreau peut-il devenir consultant? Est-ce que ce n'est pas contraire....
M. Matas: Absolument. Il n'y aucune....
M. Assadourian: Nous n'avons donc pas fait notre travail.
Mme Dench: N'importe qui peut devenir consultant.
M. Assadourian: Avoir été rayé du barreau ne signifie pas qu'on ne puisse pas être consultant. On peut même être un meilleur consultant, puisqu'on n'a plus grand-chose à perdre.
M. Matas: De fait, j'ai lu quelque part - je ne sais plus où - qu'un avocat rayé du barreau se présentait tout de même comme avocat, et représentait des demandeurs, sans trop de succès d'ailleurs.
Il n'y a absolument aucune règlementation. La seule règlementation possible sous le régime actuel serait que les barreaux provinciaux entament des poursuites, ou essaient de faire poursuivre ces consultants pour exercice du droit sans licence. C'est une possibilité, mais les barreaux ont montré très peu d'enthousiasme.
M. Assadourian: Je voudrais maintenant poser ma question principale.
Il existe une entente en matière d'immigration entre le Canada et le Québec. Pensez-vous qu'elle doive être revue? Peut-être pourrait-on alors s'attaquer au problème des consultants. Vous avez dit, comme d'autres avant vous, qu'il y a un chevauchement de compétences entre le gouvernement fédéral et les provinces. Pourrait-on envisager de revoir cette entente pour y intégrer des clauses relatives aux consultants? Est-ce la chose à faire?
M. Matas: Je vous répète que mes commentaires se fondent sur les notes produites par le gouvernement du Canada. Apparemment, celui-ci a pris contact avec les provinces, et celles-ci disent qu'elles ne seraient intéressées que si le gouvernement fédéral acceptait de payer quasiment tout.
M. Assadourian: Dans le cas du Québec, nous payons certains services, n'est-ce pas?
M. Matas: Bien sûr, le gouvernement du Canada paye le gouvernement du Québec, mais pas pour cela. Pour ce que nous envisageons, il faudrait un nouveau budget. Si je comprends bien, c'est ce que le gouvernement du Québec voudrait pour s'occuper de réglementation dans ce domaine.
C'est peut-être la bonne solution, mais il est difficile de proposer de nouvelles dépenses, surtout maintenant. En règle générale, la population ne voit pas d'un très bon oeil que le gouvernement fédéral donne simplement de l'argent aux provinces mais il se peut que le système puisse fonctionner.
Si l'on donnait de l'argent aux provinces pour qu'elles mettent en place un système de réglementation des consultants, cela marcherait peut-être.
Le président: Les consultants ont proposé d'assumer eux-mêmes les coûts.
M. Matas: En effet, et telle était la proposition du barreau, c'est-à-dire que les avocats assument eux-mêmes les frais d'accréditation. Je crois que le système pourrait s'autofinancer, mais la question est de savoir comment mobiliser les provinces et comment les inciter à appliquer ce pouvoir de réglementation.
Il n'est sans doute pas nécessaire qu'elles réalisent des profits avec ce système, mais elles devraient au moins avoir le sentiment qu'elles n'assument pas de dépenses substantielles. Au début, en tout cas, les consultants ne fourniront probablement pas l'argent puisqu'ils ne sont pas organisés.
M. Assadourian: J'ai lu dans les documents de nos recherchistes que les avocats ou d'autres personnes - je crois que c'est le mot qui était employé - peuvent représenter n'importe qui devant le tribunal de l'immigration ou sur les questions de réfugiés. Si nous éliminons les mots «ou d'autres personnes», cela résoudrait-il le problème?
M. Matas: Cela résoudrait les problèmes des consultants qui ne sont pas avocats, mais pas celui des avocats. Je le répète, le problème ne concerne pas uniquement les consultants. D'après ce que je peux voir, il y a aussi des avocats qui ne font pas un bon travail.
M. Assadourian: Tout le monde sait qu'il y a de bons et de mauvais avocats, et pas seulement dans le secteur de l'immigration. Par contre, c'est dans ce secteur uniquement qu'il y a des consultants, n'est-ce pas?
M. Matas: Janet a parlé du problème de l'impôt, qui est préparé aussi bien par des comptables que par des personnes qui ne sont pas comptables.
M. Assadourian: Mais il y a dans la loi des dispositions permettant de sanctionner ceux qui...
M. Matas: Il y a un système, mais il ne marche pas. Nous en avons parlé à toutes les sociétés du barreau mais elles ne sont pas intéressées.
Mme Dench: J'aimerais ajouter que le problème ne concerne pas uniquement la comparution devant ce tribunal de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié, puisqu'il y a des consultants qui donnent aussi des conseils à des gens qui ne se présentent pas devant le tribunal.
L'amendement que vous proposez ne permettrait donc pas de résoudre complètement le problème des consultants en immigration. Ceux-ci pourraient toujours continuer de donner des conseils, d'adresser des soumissions aux bureaux de délivrance des visas et au ministère de l'Immigration.
M. Assadourian: Je sais, d'après les personnes qui prennent contact avec mon bureau, que l'on donne beaucoup d'argent en espèces à ces consultants, lesquels ne le déclarent pas, ou pas en totalité. Croyez-vous que la personne n'ayant pas reçu le service pour lequel elle a payé devrait dénoncer le consultant concerné pour fraude fiscale?
M. Matas: Les gens doivent déclarer leurs revenus et il faudrait sanctionner ceux qui ne le font pas, mais ce n'est pas cela qui va résoudre le problème.
M. Assadourian: Quelle est donc la solution?
M. Matas: Tout d'abord, ce n'est pas uniquement un problème chez les non-avocats, c'est un problème tant chez les avocats que les non-avocats. Deuxièmement, ce n'est pas uniquement un problème pour la Commission mais pour les bureaux de visas également. Les conseillers non-avocats ne sont pas nécessairement tous mauvais; certains d'entre eux sont bons.
Ce qui règlerait le problème serait un système d'accréditation intégral qui couvrirait tous les services des avocats et des non-avocats et qui comprendrait un volet de sensibilisation, ou le ministère lui-même ferait beaucoup plus pour diffuser l'information. À mon avis, ce serait une solution.
M. Assadourian: Merci.
Le président: M. Loney, avez-vous des questions?
M. Loney (Edmonton Nord): Deux choses me préoccupent. M. Matas a répondu à une d'entre elles avant que je ne pose la question, et vous posiez l'autre question, alors je cède mon tour pour le moment.
Le président: Il semblerait que la réunion de 19 h 30 a été annulée, alors il n'est pas essentiel que nous terminions avant 19 h 30. Nous allons continuer encore un peu si tout le monde est d'accord. Cela signifie que ce groupe travaillera au-delà de 19 h 30, si vous êtes d'accord.
M. Hanger: Je dois vous quitter bientôt, mais mon collègue, Philip, restera.
Le président: Si, par exemple, nous sommes prêts à travailler jusqu'à 20 h 00, je dois confirmer que nous pouvons continuer et passer plus de temps avec ce témoin sans enlever du temps à notre prochain témoin.
M. Hanger: Ça peut aller.
Le président: Dans ce cas là, monsieur Nunez.
[Français]
M. Nunez: Nous avons entendu ici les représentants de l'organisme de consultants de l'Ontario, qui a aussi des affiliés à l'extérieur de l'Ontario. Ces représentants étaient surtout d'anciens fonctionnaires du ministère de l'Immigration. Comment voyez-vous ce problème? J'ai demandé à certains d'entre eux s'ils avaient attendu une certaine période avant de commencer à travailler comme conseillers. L'un m'a dit qu'il avait attendu un an et l'autre m'a dit qu'il avait commencé tout de suite à travailler comme conseiller. Est-ce que vous voyez un conflit d'intérêts dans le fait que ces fonctionnaires ont eu des contacts privilégiés avec les fonctionnaires en exercice? Est-ce qu'il peut y avoir des problèmes particuliers dans ce domaine?
M. Matas: Ce n'est pas un problème que le Conseil canadien pour les réfugiés a étudié. Le problème que je peux voir est celui-ci: si quelqu'un a travaillé au ministère et devient conseiller par la suite, il y a peut-être une possibilité que ses clients soient favorisés. C'est peut-être un danger ou une apparence de danger.
Je pense qu'il faut régler cela par un code de conduite avec le ministère. Cela n'est pas un problème de compétence ou de fraude. Peut-être que ces gens-là, un jour plus tard, seront plus compétents qu'une année plus tard parce qu'ils seront plus à jour. Mais ils donnent peut-être l'impression de faire du favoritisme et cela constitue un autre problème.
À vrai dire, nous ne nous sommes pas penchés sur ce problème.
M. Nunez: Vous avez mentionné dans votre présentation que s'il y a un aussi grand nombre de conseillers en immigration, c'est à cause des coupures au sein du ministère de l'Immigration. Il n'y a pas assez de personnes qui peuvent informer les clients, les revendicateurs du statut de réfugié ou les immigrants. À Montréal, la seule personne qui donne parfois des informations sur la façon de remplir un formulaire, c'est le gardien de sécurité. C'est incroyable! Est-ce que c'est un phénomène pancanadien, national? C'est un problème partout. Comment le voyez-vous?
M. Matas: Ce n'est pas uniquement à cause d'une diminution de personnel. C'est aussi parce qu'on a muté beaucoup de personnel à des endroits inaccessibles, à Vegreville, à Mississauga. Il y a des usines d'immigration pour ces formulaires. Il y a beaucoup de gens, mais on ne peut pas leur téléphoner ou les voir. Ils restent emmurés dans l'usine avec ces formulaires. Après quelques jours ou quelques semaines, ils renvoient ces formulaires s'ils ne sont pas bien remplis. Ce n'est pas un système accessible aux étrangers.
Mme Dench: Le manque d'information est aussi attribuable au manque de publicité sur des changements de programme. Je pense au programme IMRED qui a été annoncé l'année dernière par le ministre, mais qui n'a jamais été l'objet d'une campagne d'information auprès des personnes qui risquent d'être touchées par ce programme. Donc, il y a un changement.
Il y a des personnes qui avaient la possibilité de demander la résidence permanente au Canada, mais qui ne le savaient pas parce que le ministère avait fait très peu ou même rien pour informer les gens de l'existence du programme.
M. Nunez: Ma question était un peu plus générale. Dans la situation actuelle, étant donné les coupures au sein du gouvernement en général et du ministère de l'Immigration en particulier, est-ce que ce problème des conseillers va s'aggraver?
M. Matas: S'il y a ignorance, manque d'information, manque de personnel, il y en a d'autres qui viennent remplir le vide.
[Traduction]
Le président: Nous en sommes au tour de cinq minutes, alors pouvez-vous poser votre dernière question?
[Français]
M. Nunez: Plusieurs personnes sont venues ici et ont proposé, pour résoudre en partie le problème, que les conseillers en immigration soient tenus de travailler sous la surveillance d'un avocat. Comment voyez-vous cela?
M. Matas: Oui, mais qui va surveiller l'avocat? On ne peut pas dire que l'avocat sait tout et que les conseillers ne savent rien. C'est souvent l'inverse. Nous avons des conseillers qui sont très bien renseignés et des avocats commençants qui ne savent pas grand-chose.
M. Nunez: Merci.
[Traduction]
M. Mayfield (Cariboo--Chilcotin): J'ai quelques questions.
Au paragraphe 8 de votre présentation, vous mentionnez que la Loi de l'immigration donne au gouvernement le pouvoir de réglementer l'accréditation. La dernière phrase dit que cela semble être tombé entre le fédéral et le provincial. Pouvez-vous nous expliquer plus longuement pourquoi cela semble être le cas.
M. Matas: S'ils accréditaient les conseillers de façon plus générale, plutôt que simplement pour la comparution devant la commission, il faudrait que cela se fasse au niveau provincial.
Si vous regardez dans l'ensemble la réglementation des professions, vous verrez que cela se fait par les provinces. Les associations du barreau, les médecins, etc. - toutes les professions - sont réglementées par les provinces. Si vous voulez établir un système de réglementation des conseillers en immigration, on peut présumer que cela...
M. Mayfield: Je sais tout cela. Je vois qu'on dit que la Loi de l'immigration donne au gouvernement le pouvoir de réglementer l'accréditation, et ce qui m'intéresse c'est ce que vous pensez de cela. Si le gouvernement a effectivement ce pouvoir, pourquoi ne l'utilise-t-il pas?
Pour ce qui est du partage des pouvoirs entre les gouvernement fédéral et provinciaux, nous nous aventurons dans le territoire constitutionnel.
M. Matas: Ce n'est pas une question constitutionnelle en ce sens que les deux paliers veulent ce pouvoir et qu'ils ne peuvent pas s'entendre. Ni l'un ni l'autre ne veut s'occuper de cela; voilà le problème. Du point de vue constitutionnel, l'immigration est une responsabilité partagée. C'est concomitant. En théorie, les deux pourraient le faire ou soit l'un soit l'autre. Jusqu'à présent, ni l'un ni l'autre ne l'a fait.
Pourquoi le gouvernement fédéral ne l'a-t-il pas fait jusqu'à présent? En partie, pour les réseaux que nous avons indiqués. S'occuper uniquement du problème des consultants qui ne sont pas des avocats et du problème de la comparution devant les instances réglementaires ne serait qu'une solution partielle. Il y a aussi beaucoup d'autres choses qui se passent dans les bureaux de visa, dans les centres d'immigration et par écrit. Il y a aussi la situation des avocats, qui peut être problématique.
Dire que l'on va réglementer ceux qui ne sont pas des avocats et qui se présentent devant les organismes de réglementation, contre le versement de certains droits, va résoudre ce problème-là mais pas les autres. Autrement dit, on risque de mettre en place une structure de réglementation et d'accréditation fort complexe, et probablement lourde ou coûteuse, pour ne résoudre qu'une partie du problème.
Je crois que ce qui a mené à cette inactivité est dans une certaine mesure le fait que nous avons un pouvoir de réglementation qui ne concorde pas avec le problème que l'on tente de résoudre.
M. Mayfield: Quelle serait la solution?
M. Matas: On peut en envisager trois. Tout d'abord, on peut considérer qu'il s'agit simplement d'une question d'éducation, c'est-à-dire de mieux informer les agents d'immigration et de visa, de distribuer des brochures au public, etc. Dans ce cas, on estimerait qu'il ne s'agit pas simplement d'un problème de réglementation mais plutôt d'information du public.
On pourrait aussi étendre les pouvoirs de réglementation pour qu'ils ne touchent pas uniquement les consultants qui ne sont pas des avocats et qui témoignent devant les instances administratives. Autrement dit, on étendrait ces pouvoirs pour régir aussi bien les avocats que les autres, ainsi que les centres d'immigration et les bureaux de visa.
On pourrait aussi obtenir que les provinces passent à l'action, étant donné qu'il s'agit après tout d'une compétence partagée.
M. Mayfield: Serait-il possible de faire cela sans créer un système d'atelier fermé, en quelque sorte?
M. Matas: Non, c'est cela, l'accréditation. C'est un atelier fermé.
M. Mayfield: Il faut donc que quelqu'un puisse dire non.
M. Matas: Oui. Ou quelqu'un est certifié ou il ne l'est pas.
M. Hanger: Qui va dire non?
M. Matas: L'organisme de réglementation. Je suppose qu'il s'agirait d'un organisme indépendant, comme ceux qui existent actuellement pour régir les avocats, ou comme le Collège royal des médecins et chirurgiens.
M. Mayfield: D'aucuns estiment que l'on pourrait avancer dans cette voie en veillant à ce que le ministère de l'Immigration n'ait aucun contact avec quiconque ne serait pas certifié, et en laissant les consultants s'adresser à leur gouvernement provincial pour mettre en oeuvre un processus d'accréditation. Croyez-vous que ce serait une bonne méthode pour faire avancer la solution?
M. Matas: Certes, cela pourrait être utile mais cela reviendrait aussi à attendre que d'autres résolvent le problème. Comme votre comité en est saisi, je vous encourage à essayer de le résoudre directement plutôt que de vous en débarrasser sur quelqu'un d'autre.
M. Hanger: Je voudrais vous demander une précision. Je ne connais aucun organisme de réglementation à l'échelle fédérale dont l'existence soit expressément prévue dans une loi. En connaissez-vous vous-même, puisque vous êtes juriste?
M. Matas: Non, je ne connais aucune loi prévoyant un système de certification fédérale. La seule chose qui se rapproche serait un mécanisme fédéral ou provincial de constitution en société.
M. Hanger: Nous parlons ici d'une loi qui va...
M. Matas: Comme je l'ai dit, la situation est tout à fait particulière, à plusieurs égards, notamment parce qu'il s'agit d'un domaine relevant des compétences fédérales.
Normalement, en effet, c'est au palier provincial que les professions sont réglementées. C'est le système habituel. Chaque province réglemente toutes sortes de professions, comme les agents immobiliers, les pharmaciens et bien d'autres. La liste des professions réglementées est très longue, et il n'y aurait rien d'extraordinaire à ce que les provinces fassent de même dans ce secteur. La raison pour laquelle on a aujourd'hui un problème est que les provinces ne sont aucunement intéressées à réglementer ce secteur d'activités parce qu'il est devenu fédéral du point de vue législatif.
Normalement, la réglementation d'une profession se fait au moyen d'un texte de loi portant sur le sujet. Ainsi, on peut avoir une loi sur la société du barreau, afin de réglementer la profession d'avocat. De même, il y a des lois sur les optométristes, des lois sur les médecins et toutes sortes de lois provinciales de cette nature, alors que nous avons, dans le domaine de l'immigration, une loi sur l'immigration qui ne réglemente rien. Or, aucune province n'a adopté de loi sur l'immigration pour comber ce vide. Voilà pourquoi nous disons dans notre exposé que nous sommes assis entre deux chaises. A cause de la répartition des pouvoirs entre les provinces et le gouvernement fédéral, cette question de réglementation est quasiment passée inaperçue. On ne s'en est pas occupé.
Le président: Je dois maintenant donner la parole aux Libéraux.
M. Assadourian: Corrigez-moi si je me trompe mais il y avait en 1988-1989 environ 100,000 dossiers en retard.
M. Matas: Oui... le vieil arriéré.
M. Assadourian: C'est probablement à cause de ce retard que le gouvernement précédent a adopté ce gros projet de loi. Il voulait trouver une sorte de système électronique qui permettrait de résoudre tous les dossiers en poussant des boutons. Ai-je raison?
M. Matas: Oui.
M. Assadourian: Comme avec Mississauga, d'ailleurs.
M. Matas: Je ne saurais le dire. Les bureaucrates à qui j'ai parlé de Vegreville ne m'ont jamais dit que ce bureau existait à cause des retards. Ils m'ont toujours dit qu'il s'agissait d'une question d'efficience.
M. Assadourian: D'accélérer le processus. De fait, le ministre nous a dit qu'il n'y a plus de dossiers en retard aujourd'hui.
Est-il possible que cela s'explique par le fait que ces consultants qui se nourrissent du sang des innocents, savent mieux que ces derniers répondre aux questions ou remplir les formulaires? Se peut-il que les mauvaises réponses figurant sur les formulaires que remplissent les immigrants eux-mêmes soient à l'origine des retards, ce qui coûte de l'argent aux candidats?
Si l'on fermait Vegreville et Mississauga pour revenir à l'ancien système, parce qu'il n'y a plus de retard, et que les candidats s'occupent eux-mêmes de leur dossier, on éliminerait les consultants. Le candidat pourrait se rendre au bureau de l'immigration et présenter son formulaire à un agent qui lui dirait comment le corriger en cas d'erreur. Cela permettrait de résoudre beaucoup de problèmes pour tout le monde - surtout pour les candidats à l'immigration - et éliminerait une part considérable du travail que prétendent faire les consultants, contre une rémunération.
Conviendriez-vous donc avec moi que remplacer le système électronique d'aujourd'hui par l'ancien système manuel, étant donné qu'il n'y a plus de dossiers en retard, permettrait de rendre un meilleur service, personnalisé, ce qui éliminerait le recours aux consultants?
Mme Dench: Ce que je puis vous dire, c'est que nous sommes tout à fait en faveur de contacts plus étroits entre les agents d'immigration et les candidats, en donnant à ces derniers un accès direct aux premiers. Nous n'avons jamais été en faveur de Vegreville.
M. Assadourian: Seriez-vous donc en faveur de la fermeture de Vegreville?
Mme Dench: Oui.
M. Matas: Mais ça ne résoudra pas tout le problème. Ce serait une solution partielle.
Cela dit, je ne pense pas que la fermeture de Vegreville soit probable, même si nous n'avons jamais été satisfait de sa création. En outre, même si Vegreville reste ouvert, il est toujours important qu'il y ait dans les bureaux locaux des agents d'immigration qui soient accessibles à la populaqtion et qui puissent aider les candidats à remplir leur formulaire. Cela constiturait une amorce de solution au problème des consultants.
M. Assadourian: Je vois que ces consultants existent depuis 1989. Avant, je n'en avais jamais entendu parler. Autrement dit, dès qu'il y a eu des dossiers en retard, on a vu apparaître ces consultants qui ont pu commencer à s'emparer des économies de leurs clients et à les tromper. Avant cela, je n'avais jamais entendu parler de consultants en immigration.
M. Matas: Chaque fois que l'on crée un nouveau programme, cela offre à des personnes la possibilité de s'improviser consultant, surtout lorsque le programme n'est pas bien expliqué. On a vu cela avec la Commission du statut de réfugié, avec le processus de traitement des dossiers en retard. Pour les consultants, c'est une forme de publicité gratuite.
Cela dit, si les consultants peuvent promouvoir le système, je ne vois pas pourquoi le gouvernement ne le pourrait pas. S'ils peuvent ganger de l'argent avec cela, je ne vois pas pourquoi le gouvernement ne le peut pas.
M. Assadourian: Considérant tous les changements apportés au système d'immigration, je crois qu'on aurait tout intérêt à réintroduire une touche personnelle dans les relations avec les candidats. Il faudrait se débarasser de ce système de «appuyer sur 1 pour un service en français; appuyer sur 4 pour le numéro d'assurance sociale», etc. De toute façon, la plupart des gens n'y comprennent rien, surtout ceux qui ont besoin du service.
La plupart des gens qui s'adressent à des consultants viennent de l'étranger. Rares sont ceux qui parlent le français ou l'anglais et ils ont donc besoin de quelqu'un de leur collectivité qui puissent les renseigner.
M. Matas: Encore une fois, il n'y a aucune raison pour que le ministère ne fasse pas appel aux membres des collectivités immigrantes pour l'aider à communiquer le message.
M. Assadourian: Cela reviendrait-il moins cher?
M. Matas: En tout cas, pour les immigrants, ce serait moins cher que de passer par des consultants. Certains d'entre eux sont satisfaisants mais vous savez qu'il y en a qui posent des problèmes. Dans leur cas, il serait bien préférable que les candidats puissent s'adresser directement au ministère.
M. Assadourian: C'est juste - à condition qu'il y ait un ministère. S'il n'y a pas de ministère, la personne est bien obligée de s'adresser à un consultant.
Puisqu'on a éliminé les possibilités de choix dans les services gouvernementaux, que voulez-vous que fassent les gens? Ils doivent s'adresser à un consultant ou à un avocat, au risque de perdre toutes leurs économies.
Le président: Je dois vous interrompre.
J'aimerais revenir sur une question que nous avons déjà abordée. Mettez-vous à la place du ministre de l'Immigration, qui constate que les provinces ne veulent pas coopérer. Considérez par ailleurs que vous n'avez pas d'argent, à moins de le prendre sur le budget des audiences d'établissement. Certes, l'éducation du public peut résoudre le problème en partie, mais vous ne voulez pas qu'on dise de vous plus tard que vous n'avez été qu'un autre ministre de l'Immigration qui a été incapable de résoudre directement et efficacement ce problème alors qu'il l'aurait pu. Que faites-vous?
M. Matas: Difficile à dire. Je commencerais certainement par me demander s'il serait possible que le ministère diffuse plus d'informations aux collectivités immigrantes, simplement en réorganisant le budget, de façon à ne pas dépenser plus d'argent, car c'est là une donnée importante.
Je crois par ailleurs qu'il faudrait modifier le pouvoir de réglementation, afin de ne pas le limiter aux instances admnistratives, comme c'est le cas aujourd'hui. Il faudrait aussi qu'il ne soit pas limité qu'aux personnes qui ne sont pas des avocats. Ensuite...
Le président: Restons sur cette question pendant une seconde. Vous proposeriez des modifications à la loi?
M. Matas: Oui. Il faudrait modifier la loi de façon à étendre le pouvoir de réglementation. Vous trouverez dans notre mémoire une proposition du barreau - ou plutôt d'un comité du barreau - recommandant un système d'accréditation auto-financé à l'intérieur du barreau. Je m'adresserais à la fois au barreau et aux consultants pour mettre ce système sur pied.
Le président: Cela veut dire qu'on ne vas pas accepter d'office tous les avocats mais seulement ceux qui auront été accrédités. Autrement dit,il faudra introduire un niveau supplémentaire d'accréditation pour les membres du Barreau. Est-ce bien cela?
M. Matas: Oui, mais il y aurait un système de certification uniforme, ne faisant aucune distinction entre les avocats et les autres. Voyez-vous, en vertu de la loi actuelle, on présume qu'il n'y a pas de problème avec les avocats, ce qui n'est pas faux à un certain niveau, mais il faut aller plus loin.
Le président: Quoi d'autre?
M. Matas: Je crois qu'il vaudrait aussi la peine d'intégrer les provinces au processus.
Le président: Vous venez de sortir des paramètres de ma question.
M. Matas: Je viens de parler de trois choses: l'éducation, des modifications à la loi pour étendre les pouvoirs d'accréditation, et la mise en place d'un système d'accréditation.
Il y a une autre chose que je voudrais proposer, comme je l'ai déjà fait en réponse à une question. Il s'agit de demander aux gouvernements étrangers de réglementer le problème sur leur territoire. Je pense que cela ne coûterait pas cher et que les gouvernements étrangers pourraient être intéressés.
Le président: Le système d'accréditation s'appliquerait-il aussi aux gens qui entreprennent des démarches auprès des ambassades ou consultants à l'étranger?
M. Matas: Oui, j'aimerais que ce pouvoir soit prévu dans la loi, de façon à ce que nous puissions encourager la mise en place d'un système de certification auto-financé pour les gens exploitant un bureau de visas à l'étranger autant qu'au Canada.
Le président: Mme Dench, voulez-vous ajouter quelque chose?
Mme Dench: Non.
Le président: Je dois dire en conclusion que le ministre espère sérieusement que nous allons lui proposer une vraie solution.
M. Mayfield: J'aimerais poser une autre question, monsieur le président.
Vous avez parlé à plusieurs reprises d'éducation, et je voudrais savoir ce que vous entendez par là. Vos remarques étaient très générales et j'aimerais comprendre un peu mieux.
M. Matas: Soyons donc précis. Prenons l'exemple des ordonnances d'expulsion différée, qui constituent un nouveau programme, très technique et mal compris. Certes, il existe des brochures à ce sujet mais elles ne sont pas très accessibles. J'aimerais que le gouvernement dresse le profil des collectivités concernées et des pays où elles se trouvent.
Dans bien des cas, il s'agit de collectivités chinoises, car nous savons que les personnes faisant l'objet de ces ordonnances sont des personnes qui sont ici depuis trois ans ou plus et qui ont été constamment en contact avec les services d'immigration, mais sans que rien ne fasse avancer leurs dossiers. Au fond, ce sont les personnes que nous n'avons pas expulsées, parce que nous n'obligeons pas les citoyens de certains pays à y retourner. Nous pouvons donc expliquer le programme à des membres de ces collectivités, qui parlent les langues concernées - le mandarin, le cantonais, etc - de façon à ce qu'ils sachent bien comment formuler une demande, quels sont les critères, où on peut obtenir les formulaires et comment on les remplit.
Si l'on fait cela, on coupe l'herbe sous le pied aux consultants. On offre un service que des consultants pourraient offrir, peut-être bien, peut-être mal - et les gens n'ont plus besoin d'eux. Autrement dit, on règle le problème à la source.
Mme Dench: J'en profite pour souligner l'importance de veiller à ce que les agents d'immigration des ports d'entrée remettent aux candidats des brochures leur expliquant leurs droits, et ce qu'ils peuvent attendre du processus, leur indiquant de se méfier des gens qui pourraient essayer de leur faire payer des services qu'ils peuvent avoir gratuitement, etc.
M. Hanger: Une certain nombre de services d'établissement fournissent ce genre de service.
Mme Dench: Oui.
M. Hanger: Par exemple, je me trouvais à Vancouver et le succès... Les services d'établissement de Chinatown peuvent fournir toutes les informations dont on peut avoir besoin au sujet des services d'immigration.
Mme Dench: C'est vrai, les ONG jouent ce rôle, mais beaucoup de gens vous diront aussi qu'ils ont déjà donné beaucoup d'argent à un consultant avant de s'adresser à une organisation officielle.
M. Hnager: C'est vrai.
M. Matas: Évidemment, les organismes d'établissement sont débordés de travail et manquent d'argent. Ils font déjà beaucoup, et on ne saurait certainement pas attendre d'eux qu'ils assurent gratuitement la prestation des services publics, parce qu'ils n'ont pas le personnel ni les ressources pour ce faire.
Le président: J'allais ajouter que nous n'allons sans doute pas rédiger notre rapport avant plusieurs semaines et que, si vous pensez à autre chose...
Si vous voulez vous envoyer autre chose dans les prochains jours, vous constaterez que nous y serons très réceptifs.
M. Matas: Nous allons poursuivre cette discussion avec nos collègues et leur demander de poursuivre la réflexion. Nous avons consulté les gens du Conseil avant de venir ici, dans le but de préparer notre mémoire. Nous continuerons à le faire.
Le président: Il est parfaitement clair que vous souhaitez sincèrement une solution à ce problème, et je crois pouvoir vous dire que le ministre la souhaite tout autant.
M. Matas: Bien.
Le président: Merci beaucoup.
Nous allons faire une pause.
PAUSE
Le président: Chers collègues, nous accueillons maintenant le professeur Buckley, d'Ottawa.
M. Frank Buckley (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président. Je suis très heureux et très fier de pouvoir m'adresser à vous. Je suis professeur à l'Université George Mason, d'Arlington, en Virginie, mais je suis citoyen canadien. J'ai enseigné pendant longtemps à l'Université McGill et j'ai pratiqué le droit à Toronto. Finalement, je viens de la Saskatchewan.
J'avais préparé un mémoire assez étoffé, et ceux d'entre vous que cela intéresse pourrons le lire à loisir. J'ai également apporté avec moi d'autres documents, c'est-à-dire un article sur l'immigration internationale que j'ai écrit pour un livre qui sera publié par les presses de l'Université Cambridge, et aussi un autre article sur les immigrations internes aux États-Unis. Je dois dire que l'immigration m'intéresse plus comme économiste que comme avocat.
Le message que je voudrais vous communiquer aujourd'hui est très simple, monsieur le président. Il faut simplement tenir fermement la barre. Malgré tous les défauts du système canadien d'immigration, et malgré toutes les critiques dont il a fait l'objet, il est largement supérieur à celui des États-Unis.
Je ne dis pas cela parce que je suis un Canadien établi aux États-Unis. Je dis cela parce que c'est à mon avis l'opinion de la plupart des spécialistes de l'immigration des États-Unis, quelle que soit leur obédience politique. Voici d'ailleurs quelques facteurs qui expliquent cette supériorité.
Maintes études économiques comparant les deux pays permettent de conclure que, en ce qui concerne le marché des migrants, le Canada a tout simplement battu les États-Unis à plates coutures. Il ne l'a pas fait en se réservant le haut du panier ni en ne sélectionant qu'un petit groupe d'immigrants extrêmement qualifiés. Il l'a fait tout en acceptant beaucoup d'immigrants par rapport à sa population, et beaucoup plus proportionnellement que les États-Unis.
Nous avons dans notre pays près de 20 p. 100 de personnes d'origine étrangère, proportion qui n'est que d'environ 8 p. 100 aux États-Unis. Songez à cela un instant, dans le contexte des vives controverses que suscite déjà l'immigration aux États-Unis. Dieu sait ce qui se passerait aujourd'hui en Californie si la proportion d'immigrants y était de 20 p. 100 comme au Canada.
J'ajoute, monsieur le président, que nous n'avons pas atteint ce résultat en étant purement des mercenaires. Nous avons en effet un programme fort généreux à l'intention des réfugiés. De fait, le nombre de réfugiés au Canada, par rapport à la population, dépasse le nombre de réfugiés plus le nombre d'immigrants illégaux aux États-Unis. Et vous savez quelle controverse suscite le problème des illégaux aux États-Unis.
Le Canada s'est doté d'un système juste et généreux, un système qui marche bien.
Mon argument est que nous avons clairement battu les États-Unis sur le marché des migrants. J'aimerais vous dire quelques mots sur la manière dont les pays se font concurrence sur ce marché.
Évidemment, ils s'y font concurrence en se dotant de structures politiques différentes. Chacun sait que les réfugiés vont de la Havane à Miami, et non dans le sens contraire.
Ils se font concurrence sur le plan économique. Bien sûr, les gens préfèrent émigrer vers les nations les plus prospères. Et la concurrence économique se manifeste aussi au niveau des États, à l'intérieur d'un même pays, ou des provinces, comme au Canada, par le truchement des politiques budgétaire et sociale. Les nations se font concurrence au moyen de mécanismes de sélection des immigrants, semblables au système de points du Canada.
Voici un graphique que je vais placer sur le tableau. Ce graphique simple en double cloche vise à illustrer les politiques canadienne et américaine d'immigration. Considérez que les courbes représentent, en abscisse des pourcentages et, en ordonnée, des dollars. De manière générale, les personnes migrent vers le coin en haut à droite, c'est-à-dire vers les pays les plus prospères.
Que se passe-t-il cependant dans le cas de deux pays de prospérité relativement égale, comme les États-Unis et le Canada? Dans ce cas, la différence importante concerne les politiques budgétaire et sociale. Je crois pouvoir dire que le Canada est généralement plus généreux sur le plan de l'aide sociale, même s'il impose un peu plus d'impôts sur les personnes les plus fortunées. J'ai constaté moi-même, quand je suis passé du Québec aux États-Unis, que ma situation fiscale avait radicalement changé.
Qu'est-ce que cela veut dire sur le plan de la migration? Souvenez-vous que les migrants ont tendance à aller vers la droite. Supposez que vous ayez des gens ici. Cette courbe plus plate représente les États-Unis, et cette courbe plus étroite représente le Canada. Supposez que vous ayez des gens d'économie sociale inférieure des États-Unis. Leur intérêt sera d'émigrer vers un pays ayant une politique d'aide sociale plus généreuse.
En ce qui concerne les migrants des couches sociales supérieures du Canada, leur incitation sera d'émigrer vers un pays ayant une fiscalité marginale moins lourde, comme les États-Unis.
En conclusion, il y a des différences notables en matière de fiscalité et d'aide sociale entre nos deux pays qui semblent pouvoir expliquer certaines différences caractérisant les phénomènes de migration entre les deux.
Je voulais vous présenter ceci pour aborder le rapport Diminishing Returns.
Le président: Voulez-vous dire que la personne qui se trouve à l'extrême gauche de ce graphique irait aux États-Unis?
M. Buckley: Généralement, les gens émigrent vers la droite, vers un rendement supérieur. L'abscisse représente des dollars. Les Canadiens qui se trouvent sur cette courbe peuvent améliorer leur sort en émigrant vers les États-Unis, où ils profiteront d'un régime fiscal plus généreux pour les gens fortunés.
Le président: Je comprends bien. Pourriez-vous me dire ce que représente ce qu'il y a à l'extrême gauche?
M. Buckley: La courbe plate représente les États-Unis; vers le bas de la courbe, on trouve les bénéficiaires de l'aide sociale aux États-Unis qui pourraient donc améliorer leur sort en émigrant vers le Canada ou vers un pays ayant un régime d'assistance sociale plus généreux que le système américain.
Le président: Bien.
M. Buckley: Voilà mon argument principal. Les données empiriques montrent que cela explique les phénomènes d'immigration États-Unis-Canada.
Je voulais cependant présenter une thèse légèrement différente, concernant le rapport Diminishing Returns. Il s'agit simplement du fait qu'il semble y avoir un effet de cohorte dans les phénomènes d'immigration au Canada.
Les données semblent en effet montrer que les immigrants offraient au Canada un rendement plus élevé qu'aujourd'hui. Pourquoi cela devrait-il nous surprendre? Si l'on considère que les pays que quittaient ces personnes il y a 40 ou 50 ans étaient les pays dévastés d'Europe occidentale et de l'Est, il est évident que ces immigrants pouvaient plus facilement améliorer leur sort en venant au Canada, pays plus prospère.
On ne saurait espérer recréer la situation qui prévalait à cette époque-là, à moins de souhaiter à l'Europe une catastrophe semblable. Cela veut dire que nous ne pourrons tout simplement plus faire concurrence comme autrefois. Sur le marché des migrations, bénéficier d'une économie stable et d'un gouvernement démocratique était il y a 40 ans une source automatique d'abondance.
Il y a 20 ans encore, où il semble que les cohortes d'immigrants étaient supérieures à celles d'aujourd'hui, nous étions dans la période qui a précédé la révolution fiscale de Reagan, où les taux d'imposition marginaux de nombreux pays européens étaient de l'ordre de 90 p. 100, en haut de l'échelle. Dans un tel contexte, il ne fallait certainement pas être un génie pour attirer des entrepreneurs d'Europe occidentale, qui étaient plus que disposés à fuir des pays comme l'Angleterre, par exemple.
Que s'est-il passé depuis lors? Avec la révolution fiscale de Reagan, les taux d'imposition marginaux ont beaucoup diminué.
Nous sommes aujourd'hui dans un milieu beaucoup plus compétitif. Certes, nous n'avons aucune difficulté à faire concurrence aux États-Unis, mais nous en avons plus à faire concurrence aux pays d'immigration traditionnelle, c'est-à-dire les pays d'Europe de l'Ouest et du Sud. Cela en soi explique une bonne partie des données présentées dans le rapport Diminishing Returns.
J'allais faire quelques remarques au sujet de la situation aux États-Unis. Je ne les ferai pas, ne serait-ce que parce que j'ai du mal à me servir de ma main gauche et à écrire dans la marge sur des acétates.
Plutôt que de parler des erreurs des Américains, parlons de ce que le Canada fait bien par rapport aux États-Unis sur le marché des migrations.
Tout d'abord, il offre une société accueillante, ce que confirment bon nombre de données anecdotiques. Par exemple, on raconte que lorsque le père Reichmann est venu en Amérique, juste après la Seconde Guerre mondiale, il a passé quelques jours à New York et en est tout de suite parti pour Montréal parce qu'il avait constaté que New York n'était pas pour lui.
Je soupçonne qu'il y a encore un peu de cela aujourd'hui - et probablement beaucoup de cela, d'ailleurs.
À mes yeux, le secret du succès canadien procède avant tout de la proportion d'immigrants économiques par rapport aux autres catégories d'immigrants. J'ai fait une étude économétrique sur ce qui motive les personnes qui émigrent aux États-Unis. Pour la période considérée, de 1985 à 1991, environ 5 p. 100 des personnes ayant émigré aux États-Unis l'on fait pour des raisons économiques. Le chiffre comparable pour le Canada, pour la même période, est de 35 p. 100.
Le ministre a proposé dans son plan de novembre dernier de porter ce chiffre à près de 50 p. 100. Cela constitue à mes yeux un excellent exemple de ce que le Canada fait extrêmement bien sur le marché des migrants. En outre, le système canadien se distingue du système américain en ce qu'il met l'accent sur la prévisibilité, par le système des points.
Le témoin précédent a parlé de la complexité du système d'immigration canadien. Je peux vous assurer, monsieur le président, qu'il est beaucoup plus simple que le système américain. Je le sais parce que j'ai dû me battre contre ce système pour aller là-bas.
Par exemple, la première catégorie privilégiée doit se composer à 28 p. 100 de travailleurs prioritaires, composante qui englobe les requérants pouvant prouver qu'ils jouissent d'une réputation nationale ou internationale. J'ai examiné les conditions de près et je me suis dit que ce n'était pas pour moi, mais on m'a rapidement répondu que cela ne veut pas dire grand-chose.
Soit dit en passant, les réglements précisent heureusement qu'il suffit d'avoir remporté le prix Nobel.
Ces conditions ne sont pas définies, et lorsqu'on arrive aux États-Unis, ont ne sait pas ce qu'elles veulent dire. Tout ce qu'on sait, c'est qu'on va y rester quelques années en espérant non seulement s'entendre avec son employeur, mais aussi avoir sa carte verte d'ici deux à trois ans. Les chances sont assez bonnes, mais les migrants économiques qui se situent dans la partie supérieure seront moins vraisemblablement prêts à miser sur leur capital humain au cours des 20 ou 30 prochaines années.
Le système canadien de points d'appréciation qui donne plus de certitude est de loin supérieur au système américain. De plus, il est beaucoup plus rapide que le système américain, même si certains le trouvent long. Une des raisons à cela est la reconnaissance professionnelle aux États-Unis. Avant d'obtenir un emploi comme immigrant de la composante à caractère économique, il faut obtenir du Département du travail américain un certificat disant qu'il n'y a aux États-Unis aucun travailleur qualifié pour faire le même travail. Ce processus prend à peu près un an. Le processus d'immigration lui-même prend une autre année.
En comparaison, dans le système canadien, il faut à peu près 12 mois pour les immigrants de la catégorie économique. Je dois aussi ajouter que plus le régime juridique est complexe, plus le besoin d'avocats est grand.
En outre, le système canadien met l'accent sur la souplesse. C'est un système à l'intérieur duquel les changements ne nécessitent pas l'adoption d'une loi par le Parlement, contrairement aux États-Unis où le Congrès légifère. Toutes les catégories nécessitent l'adoption de lois par le Congrès et, lorsqu'un problème se pose dans le système américain, il ne peut pas être réglé aussi rapidement qu'au Canada.
L'autre avantage en ce qui concerne le Canada, monsieur le président, c'est le fédéralisme. Il y aurait certainement moyen de tirer encore davantage profit du fédéralisme, mais comparez le système canadien à celui des États-Unis où les gouverneurs de trois États ont intenté des poursuites contre le Départment américain de la Justice parce que le fédéral n'avait pas respecté les exigences en matière d'immigration.
Il y a beaucoup plus de litiges aux États-Unis, comme en fait foi la proposition 187 de la Californie, qu'il pourrait y en avoir au Canada. Comme je l'ai dit, le fait que le fédéral soit prêt à écouter ce que les provinces ont à dire est l'une des raisons qui expliquent cela.
À mon sens, vous auriez intérêt à déléguer des pouvoirs aux provinces en ce qui concerne les questions d'immigration. L'incidence de l'immigration se fait sentir là où les gens choisissent de vivre et on aurait raison de penser que le gouvernement qui est le plus près d'eux est normalement le mieux placé pour juger de cette incidence.
Donc, premièrement, monsieur le président, je dirais que le Canada a fait mieux pour les immigrants que les États-Unis. Deuxièmement, j'applaudis aux plans proposés par le ministre dans son étude de novembre dernier.
Merci.
Le président: Monsieur Nunez.
[Français]
M. Nunez: Merci, professeur Buckley. J'ai écouté avec beaucoup d'attention votre exposé et je pense que je vais lire également votre document. À mon avis, vous êtes la personne idéale pour nous enseigner ce qui se passe au États-Unis. On prend souvent l'exemple américain. On prend parfois de mauvaises choses aussi.
Vous dites que les États-Unis, par tête d'habitant, accueillent moins de réfugiés, moins d'immigrants. Vous savez qu'au Canada, le nombre d'immigrants a été réduit pour l'année 1995. Probablement que l'année prochaine, ce nombre sera encore réduit. Vous connaissez bien le Canada. Pour le Canada, quel serait le nombre idéal? En ce qui a trait aux États-Unis, combien d'immigrants et de réfugiés reçoivent-ils?
[Traduction]
M. Buckley: Je suis désolé, mais pourriez-vous répéter la dernière partie de votre question?
[Français]
M. Nunez: Vous savez qu'au Canada, cette année, on reçoit moins d'immigrants que l'année dernière. Probablement que l'année prochaine, ce sera encore moins que cette année. Il y a beaucoup de discussion ici en vue de connaître le nombre idéal.
M. Buckley: Ça n'existe pas.
M. Nunez: Mais quelle est votre opinion pour le Canada, dans la situation actuelle?
M. Buckley: Je ne pense pas qu'il y ait de situation idéale ou de nombre idéal.
[Traduction]
Je pense que ce qui est important, c'est que le Canada demeure souple en ce qui concerne les cohortes d'immigrants qu'il reçoit. Au lieu de se demander quel serait le nombre idéal, je pense qu'il devrait s'interroger sur les gens qu'il accueille et se demander s'ils seront utiles au Canada ou non.
C'est l'approche adoptée par les Américains. Ils essayent de se fixer des objectifs, et c'est ce que le rapport Jordan, qui sera publié aujourd'hui, je pense, recommandera pour les États-Unis.
Je sais que le ministre s'est fixé des objectifs en ce qui concerne l'immigration, mais comme vous le savez, il arrive souvent que les chiffres réels n'aient rien à voir avec ce qui avait été proposé. Le nombre d'immigrants a diminué au cours des deux dernières années par rapport à ce qu'il devait être, en raison je suppose, des changements survenus dans la situation économique du Canada. Le déficit canadien, comme vous le savez, fera augmenter les impôts de sorte que ceux qui viennent s'installer au Canada devront payer des impôts plus élevés pendant le reste de leur vie que c'était le cas il y a deux ans. Je pense que des changements de ce genre expliquent bien des choses.
[Français]
M. Nunez: Maintenant, pourriez-vous nous parler un peu de l'immigration entre les États-Unis et le Canada? Êtes-vous au courant du nombre de Canadiens qui émigrent chaque année aux États-Unis, et pour quels motifs? Vous dites ici que le Canada est plus généreux que les États-Unis en matière d'immigration. Comment expliquez-vous que des milliers d'immigrants viennent au Canada avec le seul objectif d'aller par la suite s'installer aux États-Unis?
[Traduction]
M. Buckley: Je ne voudrais pas que vous pensiez... Je pense qu'il y aurait lieu de s'inquiéter d'une immigration motivée par l'aide sociale. Mon étude des mouvements migratoires aux État-Unis a fait ressortir l'existence de quelque chose du genre. Je ne veux pas dire que... En réalité, je ne sais pas si c'est un problème de taille au Canada. Je peux vous dire cependant que c'est bel et bien un problème aux États-Unis.
En ce qui concerne le Canada, George Borjas s'est aperçu que des Américains moins à l'aise avait tendance à immigrer au Canada et que des Canadiens plus à l'aise allaient pour leur part vers les États-Unis. Cette différence s'explique selon moi, par des considérations financières. Mais je ne sais pas dans quelle mesure cela est un facteur déterminant pour le Canada. Je dirais qu'il est beaucoup moins déterminant qu'aux États-Unis où en fait, le régime d'aide sociale est moins généreux.
La différence s'explique plutôt par le système de sélection canadien et par le fait que le système de points représente un plus grand obstacle que le système d'immigration américain.
[Français]
M. Nunez: Vous dites qu'il y a actuellement un problème de concurrence entre les différents pays pour attirer des immigrants. Vous êtes probablement au courant du fait que, depuis février dernier, on a établi ici des frais d'immigration de 975$.
Est-ce que vous croyez que cela pourrait avoir une influence sur l'immigration?
[Traduction]
M. Buckley: Je ne peux pas vous dire si cette taxe devrait s'appliquer aux réfugiés. La question des réfugiés doit demeurer distincte en ce qui concerne la taxe.
Par ailleurs, nous pouvons probablement nous entendre sur le fait que cette taxe est minime pour les immigrants de la composante à caractère économique. Pour ceux de la catégorie de la famille, il faut avouer que les avis sont partagés. Il y a un fait que les Canadiens et les gens des pays d'immigration ne doivent pas ignorer: la question ne se pose pas isolément; il faut tenir compte de ce que font les autres pays.
Comme vous le savez, les Australiens ont mis au point un système en vertu duquel ils exigent des cautions des nouveaux arrivants de la catégorie de la famille. En outre, la American Personal Responsability Act, adoptée par la Chambre des représentants en mars dernier, mettrait fin à tous les avantages sociaux offerts par le gouvernement fédéral aux immigrants, légaux ou non. Il n'y a évidemment rien de comparable au Canada. Le système canadien prévoirait un petit montant à l'arrivée, mais après l'immigrant serait pris en charge.
Le Congrès américain contrôlé par les Républicains adopte une approche tout à fait différente. Même pour les immigrants de la catégorie de la famille, le montant de 975$ peut être considéré comme insignifiant. Il ne faut pas seulement voir les 975$. Il faut tenir compte de tous les avantages offerts aux nouveaux arrivants. La taxe de 975$, si la mesure est adoptée, représente vraiment peu de choses.
Le président: Elle va l'être.
M. Nunez: Cette taxe à l'immigration s'appliquera également aux réfugiés?
M. Assadourian: Il ne s'agit pas vraiment d'une taxe. Ce sont plutôt des frais d'entrée.
M. Buckley: Je ne veux pas me prononcer en ce qui concerne les réfugiés. Il me semble qu'ils pourraient être considérés à part. Un réfugié pourrait arriver au pays tout à fait démuni. Les frais de 975$ lui sembleraient pour le moins exagérés. Il convient par ailleurs de noter que beaucoup de réfugiés sont venus dans notre pays au cours de son histoire. Après la Seconde Guerre mondiale, en particulier, ils ont établi des réseaux de groupes ethniques qui les ont aidés. Pour y avoir accès, une somme de 975$ ne semble pas exorbitante.
Je ne peux quand même pas me prononcer définitivement en ce qui concerne les réfugiés. Je ne suis pas opposé à des frais d'usagers pour les immigrants de la composante à caractère économique ou même pour ceux de la catégorie de la famille. Pour ce qui est des réfugiés, c'est autre chose.
[Français]
M. Nunez: Vous savez que l'immigration est une compétence partagée par le gouvernement fédéral et les provinces et qu'il y a des provinces, dont le Québec, qui réclament encore plus de pouvoirs en matière d'immigration. Qu'est-ce que vous pensez de cela? Est-ce qu'on peut encore décentraliser l'immigration? Vous avez abordé un tout petit peu ce problème.
[Traduction]
M. Buckley: J'ai indiqué plus tôt que le fédéralisme canadien semblait fonctionner assez bien vu des États-Unis, où les problèmes entre le gouvernement fédéral et les États se multiplient.
Le président: Il n'y a pas de referendum là-bas.
M. Buckley: Le fédéralisme et la délégation de pouvoirs aux provinces offrent deux avantages. Premièrement le palier de gouvernement le plus touché par l'immigration a son mot à dire.
Deuxièmement, les provinces sont un merveilleux laboratoire de démocratie. Il serait intéressant de voir des approches différentes dans des provinces différentes, ayant des vues diamètralement opposées les unes des autres au sujet de l'immigration, si elles étaient en mesure d'établir leur propre politique concernant le marché des migrants.
La concurrence pour les migrants, si elle était déléguée aux provinces, pourrait être favorable. L'argument le plus valable contre une plus grande délégation de pouvoirs aux provinces est que la course pourrait se faire non pas pour les immigrants au haut de l'échelle, mais plutôt pour les immigrants au bas de l'échelle. Les provinces pourraient se disputer les immigrants ayant le moins à offrir. Elles seraient ainsi en mesure d'exiger des frais d'établissement d'émigrants qui auraient de bonnes chances de déménager dans une autre province.
Pour obvier à cette difficulté, au cas où vous désireriez déléguer plus de responsabilités à des provinces comme le Québec en matière d'immigration, il faudrait vous assurer que les autres provinces puissent imposer des conditions de résidence aux nouveaux arrivants d'autres provinces avant qu'ils puissent bénéficier des avantages sociaux.
Soit dit en passant, c'est une question extrêmement controversée aux États-Unis. Elle est censée avoir son dénouement ce mois-ci à la Cour suprême. Le problème est beaucoup plus marqué aux États-Unis, où les États commencent à expérimenter des systèmes sociaux différents.
Le président: C'est également une question controversée ici. Après-demain, elle le sera encore plus.
Monsieur Mayfield.
M. Mayfield: J'ai été particulièrement intéressé par ce que vous avez dit au sujet des provinces.
Je cède cependant mon tour au profit des Libéraux.
Le président: Monsieur Assadourian.
M. Assadourian: J'ai apprécié votre témoignage. Je me demande pourquoi mon collègue ne daigne pas vous poser de questions.
Je déplore également le fait qu'il n'y ait pas plus de députés présents, surtout du côté de l'opposition. Ils n'ont pas pu entendre ce que vous avez dit au sujet du fédéralisme et de la bonne décision que le gouvernement a prise le 1er novembre.
J'aimerais vous poser deux questions. Vous avez indiqué que les Canadiens d'origine étrangère comptaient pour environ 20 p. 100 de la population canadienne et que les Américains nés à l'étranger comptaient pour 8 p. 100 de la population des États-Unis. Je fais remarquer en ce qui me concerne que le taux de meurtres au Canada est moins de 1 pour 100 000 habitants. Je suis sûr qu'il est plus élevé aux États-Unis.
Compte tenu du fait qu'un de nos collègues absents, M. Hanger, lors d'un voyage le mois dernier à Washington - où il a partagé une tribune avec Patrick Buchanan - a blâmé les nouveaux Canadiens pour la recrudescence de la criminalité dans notre pays...
Le président: Ce n'est pas ce qu'il a dit.
M. Assadourian: Qu'a-t-il dit alors?
Le président: Ce n'est pas ce qu'il a dit.
M. Assadourian: Qu'a-t-il dit dans ce cas?
Le président: Je ne répèterai pas ce qu'il a dit, mais ce n'est pas ce qu'il a dit.
M. Assadourian: Dites-moi ce qu'il a dit pour que je puisse terminer ma question.
Le président: Pourquoi ne vous contentez-vous pas d'interroger le témoin?
M. Assadourian: J'estime, moi, que c'est ce qu'il a dit.
Si cette déclaration est fondée, comment expliquez-vous que 20 p. 100 de Canadiens nés à l'étranger commettent moins de crimes de façon générale que 8 p. 100 d'Américains nés à l'étranger? Est-ce à cause de notre système ouvert aux immigrants et aux réfugiés? Est-ce parce qu'ils sentent moins de contraintes ici qu'aux États-Unis?
M. Buckley: D'après des études - celle-ci provient du Globe and Mail et je peux distribuer une copie de l'article - le nombre d'immigrants dans les pénitenciers est très faible par rapport à leur proportion de la population.
Le nombre de personnes nées à l'étranger est d'environ 8 p. 100. Au Canada, le nombre de détenus nés à l'étranger est beaucoup moindre, ce qui témoigne probablement du bon fonctionnement du système comparativement à ce qui se passe aux États-Unis.
Les données que j'ai vues pour les États-Unis concernent San Diego. Je n'ai pas vu d'autres études sur le sujet. L'étude sur San Diego révèle que le nombre de détenus nés à l'étranger est disproportionnellement élevé.
M. Assadourian: Aux États-Unis.
M. Buckley : Oui.
M. Assadourian: Donc, c'est le contraire ici.
Deuxièmement, dans le résumé qui a été préparé pour nous par la Bibliothèque du Parlement, on vous fait dire que vous souhaitez accueillir plus d'immigrants économiquement rentables et que le Canada devrait adopter la même attitude.
Nous sommes une nation accueillante et que d'autres pays nous envoient des immigrants... si nous accaparons leurs citoyens les plus économiquement rentables, quel impact cette situation risque-t-elle d'avoir sur ces autres pays et leur économie?
M. Buckley: Vous faites sans doute allusion à ce qu'on appelle l'exode des cerveaux et aux répercussions de cet exode sur le pays d'émigration. Tout ce que je puis vous dire à ce sujet, c'est que c'est une bonne chose que les pays puissent se faire concurrence pour les immigrants et que les gens puissent se déplacer comme ils l'entendent. Il se peut que certains pays y perdent au change.
Mes ancêtres à moi ont émigré d'Irlande et j'en suis fort heureux. Je ne voudrais pas vivre dans ce pays actuellement. Je suis ravi de vivre en Amérique du Nord et j'aime bien le Canada. Certains pays ont effectivement souffert de l'exode des cerveaux, mais les avantages entraînés par la concurrence ont compensé cette situation.
Lorsque je parle d'avantages, je veux dire que des gens qui peuvent se joindre à une société qui leur accorde une plus grande importance et qui les récompense davantage produisent plus au sein de cette nouvelle société et sont plus en mesure de s'y épanouir. C'est pourquoi j'estime que les droits reliés à la mobilité garantis dans la Constitution sont parmi les plus importants qu'une personne puisse posséder.
M. Assadourian: Vous avez cité l'Irlande. Je peux vous citer l'Italie, la Pologne, l'Arménie et le Liban. Ils ont plus de ressortissants ailleurs que chez eux. La plupart de ces pays traversent des périodes difficiles.
Ils seraient peut-être en meilleure posture aujourd'hui s'ils n'avaient pas perdu leur population et s'ils n'avaient pas connu un exode des cerveaux. Ils n'éprouveraient pas les difficultés économiques et autres qu'ils éprouvent actuellement.
M. Buckley: Vous soulevez un problème auquel il n'y a pas de solution facile. Je pense que si je suis Canadien, Irlandais ou Libanais, je veux avoir le droit, en tant que personne, de me faire respecter en tant que Canadien, Irlandais ou Libanais là où je l'entends. Je ne veux pas être forcé de rester dans un pays à cause de l'avantage économique que je représente pour ce pays.
Votre argument est intéressant, mais je pense que le droit d'un individu d'aller dans le pays de son choix transcende. Les pays qui refusent de reconnaître les droits à l'émigration sont parmi ceux qui sont reconnus pour violer le plus souvent les droits de la personne. Le problème que vous soulevez existe et mérite réflexion, mais pour moi, ce qui prime, c'est le droit à la mobilité.
M. Assadourian: L'Égypte, entre autre, est un pays qui croît très rapidement. Il s'y produit une explosion démographique. Pourtant, nous accueillons des immigrants égyptiens très instruits sans rien donner en retour.
Je me demande comment vous réagissez. Si nous accueillons des cerveaux d'autres pays, nous devrions dédommager ces pays au moyen de l'aide étrangère ou autrement de façon à ce qu'ils puissent avoir eux-mêmes des cerveaux au service de leur propre population. Nous ne pouvons pas nous approprier les meilleurs éléments d'Égypte et laisser ce pays démuni, sans dirigeants et sans moyens de production. Il y a un exode de capitaux et de cerveaux qui n'est pas justifié.
M. Buckley: Sur le plan de la morale, votre argument est sûrement fondé. En tant qu'avocat, cependant, je ne voudrais pas que ce genre de principe soit inscrit dans nos lois. La Russie, l'Union soviétique l'a fait. Elle a imposé une taxe de départ à sa population juive. Les Juifs sont devenus une ressource nationale en Union soviétique. Si on les voulait, il fallait payer, et c'est ce qu'Israël a fait.
Les personnes ne devraient pas être considérées comme appartenant à l'État et comme une denrée vendable.
M. Assadourian: Ce n'est pas ce que j'ai dit.
M. Buckley: Je sais. Si vous parlez sur le plan de la morale, si vous dites que le Canada devrait prêter davantage attention aux pays exportateurs traditionnels, je suis bien d'accord avec vous. Cependant, ce n'est pas facile à quantifier.
M. Loney: J'ai une question.
Vous avez parlé, M. Buckley, des migrants motivés par les programmes sociaux. Sans donner de chiffres précis, pouvez-vous nous dire si la tendance est identifiable?
M. Buckley: Elle existe certainement aux États-Unis, où le système d'immigration est très différent.
Je dois vous expliquer quelquechose. J'ai effectué une étude économétrique dans laquelle j'ai essayé de voir ce qui motivait les migrations, tant de l'étranger qu'internes. J'ai découvert que les migrants des deux catégories étaient en fait motivés par la perspectives de programmes sociaux plus généreux dans le pays d'accueil.
J'ai également découvert et que les migrants internes - les gens se déplaçant d'un État à l'autre - craignaient les impôts élevés. Les migrants internationaux, eux, ne s'en préoccupaient pas. J'en déduis que les migrants internes aux États-Unis s'attendent à devoir payer de l'impôt tandis que les migrants internationaux pensent que ce sont les gens du pays qui vont le payer pour eux. Les migrants internationaux s'en préoccupent donc moins.
M. Loney: Les gens attirés par les programmes sociaux se soucient certainement moins de l'impôt.
M. Buckley: C'est juste. Un taux d'imposition élevé peut même avoir un effet pervers, c'est-à-dire laisser croire que les programmes sociaux sont plus généreux dans cet État.
M. Loney: C'était le dernier point que je voulais aborder. Une des critiques à l'endroit du programme de réunificatioan des familles est liée à la mentalité des gens qui disent: «Venez vous baigner, l'eau est bonne». On ne veut pas seulement faire venir au pays sa parenté ou les membres de sa famille élargie. On estime simplement que les avantages sociaux sont plus faciles à obtenir et plus généreux ici.
M. Buckley: Il pourrait être intéressant de faire d'autres études économiques et économétriques sur les facteurs qui incitent à immigrer au Canada.
Dans Diminishing Returns, il n'y avait qu'une étude, dont je me souvienne, qui portait sur les immigrants par catégorie, et c'était celle sur la Colombie-Britannique, par Susanna Lui-Gurr. Essentiellement - je résume les conclusions de l'auteur - elle estimait que les immigrants économiques n'abusaient pas des programmes sociaux, contrairement aux immigrants de la catégorie de la famille et aux réfugiés. C'était l'étude sur la Colombie-Britannique.
D'autres études semblables pourraient être intéressantes. Une étude portant sur une cohorte pure - en d'autres termes, tous les immigrants pour une période donnée de cinq ans au Canada - n'est guère utile en vue de la formulation d'une politique d'immigration. Ce qu'il faudrait, c'est examiner chaque catégorie et poser les bonnes questions.
Par exemple, dans quelle mesure est-il important de pouvoir parler l'une des deux langues? Des études montrent que c'est un bon moyen de prédire la façon dont les gens vont se débrouiller sur le plan économique. Ainsi, l'accent que le système de points met sur la langue est probablement justifié.
Il me semble que ce genre de recherches pourrait être plus utile que de simplement suivre les progrès de tous ceux qui sont entrés dans le pays une année donné.
Je trouve le rapport du ministre très bien fait.
[Français]
M. Nunez: Les illégaux aux États-Unis sont très nombreux, beaucoup plus nombreux qu'ici. Est-ce que vous avez des chiffres? Comment peut-on solutionner ce problème au Canada et aux États-Unis?
[Traduction]
M. Buckley: Il s'agit en réalité de savoir si les illégaux posent vraiment un problème. Aux États-Unis, les illégaux utilisent les programmes sociaux bien moins que les immigrants légaux. Certains auteurs, à commencer par Julian Simon, estiment que l'immigration illégale est en réalité une bonne chose, qu'elle est avantageuse pour les États-Unis.
Je ne comprends vraiment pas pourquoi on vilipende les immigrants illégaux aux États-Unis. On cherche simplement des boucs émissaires. Il y a certainement un problème aux États-Unis, mais il est davantage dû au fait que seulement 5 p. 100 des immigrants dans ce pays sont des immigrants économiques. Ils sont plus nombreux que les immigrants illégaux.
M. Loney: Je ne sais pas si c'est vrai, mais j'ai entendu dire qu'une des raisons pour lesquelles il y a tellement d'immigrants illégaux dans la région de Miami est qu'ils constituent une source sûre de main-d'oeuvre à bon marché et que les autorités ferment les yeux.
M. Buckley: C'est tout à fait juste.
Il y a un marchand de matériaux de construction à un mille d'où je demeure à Alexandria, en Virginie. Tous les jours de la semaine, environ 200 hommes d'apparence hispanique y font la queue pour du travail. Et ils en obtiennent, au jour le jour, comme réparateurs, jardiniers, peintres. Tout le monde est au courant de cette situation, mais personne ne fait quoi que ce soit. De temps en temps, un candidat à la présidence se retrouve dans l'eau chaude lorsqu'on apprend qu'il a déjà employé une de ces personnes. Il n'en demeure pas moins qu'elles sont aux États-Unis pour travailler, non pas pour vivre aux dépens de la société, ce à quoi elles ne sont pas très habiles.
Si vous allez un demi-mille plus loin, vous verrez beaucoup d'Américains nés aux États-Unis qui ne font pas grand-chose. Pour juger de la façon dont les immigrants de source récente se conduisent aux États-Unis, il faut voir ce qui se produit 10 ou 15 ans après leur arrivée. Parfois, ils deviennent «acclimatés», c'est-à-dire qu'ils ne travaillent plus aussi fort.
Les immigrants illégaux sont peu instruits, très souvent victimisés; ils sont foncièrement honnêtes et entretiennent des liens familiaux très étroits; ils sont très attachés à leur religion. Beaucoup restent aux États-Unis, mais beaucoup également retournent dans leur pays. Je ne pense pas que l'Amérique y perde au change avec les immigrants illégaux. Ils sont de bons boucs émissaires.
[Français]
M. Nunez: La proposition 187 en Californie visait surtout les illégaux. Cette proposition a été portée devant les tribunaux. Est-ce qu'elle sera déclarée inconstitutionnelle? Est-ce que c'est une tendance aux États-Unis? Dans d'autres États, par exemple en Floride, voit-on un mouvement similaire?
[Traduction]
M. Buckley: L'adoption de la proposition 187 a créé beaucoup de remous. Le fait marquant, cependant, a été la résolution de la Chambre des représentants, au Congrès, en novembre dernier. La controverse porte maintenant sur le contrat avec l'Amérique plutôt que sur la proposition 187. Une des clauses du contrat avec l'Amérique est la Personal Responsibility Act, qui, comme je l'ai indiqué, supprime tous les avantages sociaux pour les immigrants tant légaux qu'illégaux.
Dans le débat, on a donc assisté à un net mouvement vers la droite aux États-Unis. Il y a des choses qui ne se disaient pas ouvertement il y a six ou sept mois et qui se disent maintenant.
Je m'attends à ce que la proposition 187 soit déclarée inconstitutionnelle. Cependant, il y a toujours un élément de doute. La Cour suprême peut toujours changer d'avis. Sa décision dans l'affaire Plyler v. Doe, par exemple, concernait une situation très différente puisque c'était au cours des années 1970; une majorité de juges estimaient à ce moment-là que l'immigration n'était pas un problème, qu'elle ne représentait pas un fardeau. On aurait plus de chances de faire accepter cet argument maintenant.
J'ignore ce que décidera la Cour suprême. J'estime cependant que ce que fera le Congrès aura plus d'importance que ce que fera la Cour suprême. Le Congrès est très mal disposé vis-à-vis des programmes sociaux.
M. Nunez: D'autres états risquent-ils d'adopter des propositions semblables?
M. Buckley: La proposition 187 suit son cours devant les tribunaux actuellement et sera devant la Cour suprême l'an prochain. Les autres États se constitueront partie, ils l'ont déjà fait, et attendront de connaître la décision de la Cour suprême. Entretemps, nous pourrons avoir une idée de ses tendances. Dans environ trois semaines, elle se penchera sur une loi du Wisconsin imposant des conditions de résidence aux nouveaux arrivants de l'Illinois.
[Français]
M. Nunez: Les caractéristiques des immigrants qui viennent aux États-Unis diffèrent-elles de celles des immigrants qui viennent au Canada? Quelle est la différence?
[Traduction]
M. Buckley: Pour ce qui est des Américains, ils ont bien davantage recours au système d'assistance sociale. Ils sont moins compétents, moins instruits et moins capables de parler la langue du pays.
M. Nunez: Où, ici?
M. Buckley: Aux États-Unis.
En ce qui a trait au panachage ethnique, c'est à peu près la même chose. À l'heure actuelle, les gens d'origine européene qui émigrent au Canada représentent moins de 20 p. 100. Les immigrants en provenance d'Amérique latine qui auparavant étaient relativement peu nombreux représentent maintenant environ 15 p. 100. Naturellement, la catégorie la plus nombreuse d'immigrants à l'heure actuelle est celle des gens qui viennent d'Asie. Elle représente plus de 50 p. 100 des immigrants qui ont choisi le Canada et environ 37 ou 35 p. 100 de ceux qui sont accueillis aux États-Unis.
Il n'y a pas ue grosse différence pour ce qui est du panachage ethnique mais il y en a certainement une en ce qui a trait aux compétences, ce qui permet de conclure que, fondamentalement, les méthodes de sélection appliquées par le Canada ont bien marché.
[Français]
M. Nunez: Après combien d'années passées aux États-Unis un immigrant rattrape-t-il le niveau de vie moyen des Américains?
[Traduction]
M. Buckley: Cela varie selon la cohorte, c'est-à-dire selon l'année où l'immigrant est arrivé aux États-Unis. Pour ceux qui arrivent actuellement et ceux qui vont venir dans l'avenir prévisible, on ne sait pas s'ils vont pouvoir jamais le rattraper. Et il y a toute une controverse à ce sujet à propos des immigrants qui sont arrivés dans les années soixante-dix.
D'après un professeur, George Borjas, dont j'ai déjà parlé et qui enseigne à l'Université de la Californie à San Diego, il faut parler de générations. Les immigrants qui sont arrivés aux États-Unis dans les années soixante-dix ainsi que leurs enfants ne pourront jamais rattraper le niveau de vie moyen des Américains.
Ce que souligne Borjas, un point très intéressant lorsque nous examinons ce document, c'est que lorsqu'on étudie les effets de l'immigration aux États-Unis, on ne peut absolument pas comparer les immigrants arrivés il y a 40 ans et ceux qui se présentent aujourd'hui, parce qu'il y a trop de différence qui les séparent.
Il y a eu un âge d'or de l'immigration et les temps sont un peu plus durs à l'heure actuelle. Le Canada s'en tire encore relativement bien, mais aux États-Unis, il semble qu'ils aient baissé les bras.
[Français]
M. Nunez: Comment le système de garantie en cas de parrainage fonctionne-t-il aux États-Unis?
[Traduction]
M. Buckley: Je ne crois pas qu'il y ait quelque chose de comparable à cela aux États-Unis, ce qui est peut-être une des raisons pour lesquelles il y a un problème. On ne fait pas grand chose aux États-Unis pour refuser des prestations d'aide sociale à de nouveaux immigrants.
Au cours de mon étude, j'ai découvert une chose amusante. Lorsque vous vous intéressez à l'immigration aux États-Unis, on vous dit fréquemment qu'il n'y a pas vraiment de problème puisque les gens qui imposent un fardeau trop lourd au système d'assistance sociale aux États-Unis peuvent être expulsés. J'ai examiné les chiffres sur l'immigration aux États-Unis entre 1985 et 1991. Durant cette période, environ 7 millions de personnes sont arrivées aux États-Unis et, sur ces 7 millions, on en a expulsé exactement 7 parce qu'elles étaient tributaires du système d'assistance sociale.
Par conséquent, ce genre de chose n'existe pas vraiment. Une fois entré, vous êtes bel et bien entré. Et si vous êtes entré illégalement, vous êtes quand même entré. La seule sélection qui se fait, c'est à l'aéroport ou à la frontière. Si vous réussissez à entrer, c'est fait une fois pour toutes.
M. Mayfield: Une des observations que vous avez faites plus tôt, monsieur Buckley, m'a intéressé. Vous avez dit que les provinces pourraient imposer aux nouveaux immigrants une période d'attente avant qu'ils puissent recevoir certaines prestations. C'est bien cela?
M. Buckley: Oui.
M. Mayfield: Vous avez attiré mon attention lorsque vous avez dit cela car il me semble que cela susciterait un certain nombre de problèmes, par exemple, par rapport à notre Charte. Je me souviens que, dans un contexte totalement différent, le gouvernement de la Colombie-Britannique a essayé de faire en sorte que les jeunes médecins frais émoulus de l'université ne puissent être payés par le biais du système d'assurance que s'ils acceptaient d'aller pratiquer dans les régions de la province où l'on avait besoin de leurs services; cela a été rejeté par les tribunaux. Est-ce que ce que vous suggérez est applicable étant donné les lois actuellement en vigueur ici?
M. Buckley: Il y a en fait deux questions qui se posent: premièrement, est-ce que c'est applicable et deuxièmement, est-ce que c'est constitutionnel? Est-ce que c'est applicable...
M. Mayfield: Alors, ce que je voulais dire, c'est «constitutionnellement applicable».
M. Buckley: Chose certaine, c'est une chose qui va être fréquente aux États-Unis au cours des quelques prochaines années si la Cour suprême décide d'ici une ou deux semaines d'autoriser ce genre d'initiative, car il y a aux États-Unis un mouvement migratoire assez marqué qui est motivé par les modalités de l'aide sociale.
Certains États, comme le Wisconsin, où le taux des prestations a toujours été assez élevé, veulent le maintenir sans pour autant attirer des gens qui résident dans des États où les prestations sont moins élevées, notamment l'Illinois. Par conséquent, il se peut que vous ayez besoin de mettre en place ce genre de restrictions pour maintenir le niveau de prestations d'aide sociale que vous voulez verser à vos concitoyens.
Pour ce qui est de la question constitutionnelle, je ne peux évidemment vous donner un avis là-dessus. Bien entendu, la liberté de circulation et d'établissement est garantie par la Charte et si une province adoptait une loi interdisant à un particulier de la Saskatchewan d'aller gagner sa vie en Alberta, je pense que cela serait rejeté, comme vous le faites remarquer. Il me semble que la question qui se pose est tout à fait différente si l'on se demande si la province de l'Alberta peut adopter une loi imposant des restrictions sur le versement de prestations d'aide sociale à des gens qui viennent d'arriver de la Saskatchewan.
Dire que nous allons vous empêcher de gagner votre vie ici, d'une part, et d'autre part, que vous pouvez venir ici, mais que vous n'allez pas pouvoir nécessairement toucher des prestations d'aide sociale avant deux ans, ce sont deux choses tout à fait différentes. Il me semble que c'est une question de politique et une disposition constitutionnelle en matière de quoi l'Alberta est beaucoup mieux placée pour légiférer.
M. Mayfield: Vous avez également indiqué souhaiter que les provinces participent peut-être plus étroitement à la sélection des immigrants. Je ne suis pas sûr que vous ayez mentionné que le Québec dle fait déjà. Pour moi, un des problèmes que cela pose, c'est que le Québec reçoit tellement d'argent du gouvernement fédéral dans le cadre de ce programme que je ne sais pas si les autorités fédérales voudront vraiment se montrer aussi généreuses envers les autres provinces ou si d'ailleurs elles pourront se le permettre. Comment envisagez-vous cela... comment les provinces pourraient-elles participer comme le fait le Québec?
M. Buckley: Je ne sais pas si un universitaire devrait conseiller un politique sur un sujet si éminemment politique. Le problème auquel vous avez fait allusion, le paiement présumé de trop grosses sommes au Québec, s'il existe, n'a absolument rien à voir avec la question d'ordre constitutionnel qui consiste à savoir si le Québec devrait pouvoir déterminer le nombre d'immigrants qu'il reçoit. Ce sont deux questions distinctes. Vous vous dites préoccupés par le fait que le Québec recevrait trop d'argent, ce qui est un problème financier qui n'a rien à voir avec la question de savoir si l'entente Canada-Québec confie bel et bien au Québec des responsabilités en matière d'immigration.
M. Mayfield: Même si je suis plutôt en faveur de ce que vous avancez à propos de la participation des provinces, encore une fois, je me demande comment nous pourrions faire sur le plan pratique, étant donné tous les problèmes que cela pose, pour en arriver là.
M. Buckley: Le fait est, bien sûr , qu'il y a des accords avec sept provinces mais que, si je comprends bien, il n'y a que l'accord Canada-Québec qui soit opérationnel. La conclusion que j'en tire, c'est que les autres neuf provinces sont, en gros, satisfaites par le statu quo et n'ont pas vraiment de revendications à présenter à Ottawa.
J'estime que ce serait concéder aux provinces un droit utile que de leur permettre à chacune, au cas où elles le souhaiteraient, de se récuser. Cela ne veut pas dire qu'elles seraient obligées de le faire, mais je suis frappé de voir qu'il n'existe pas du tout ici, entre le gouvernement fédéral et les provinces, le climat de confrontation qui caractérise les relations avec les instances fédérales aux États-Unis.
Le fait que le Canada soit ouvert à ce genre d'arrangements et que les provinces n'aient pas pris la peine d'y avoir recours démontre que le système fédéral semble, en règle générale, bien marcher dans neuf des provinces. C'est peut-être difficile à concevoir, mais c'est simplement parce que le système canadien sur le plan de l'immigration est le meilleur au monde. C'est vraiment un service de première classe, géré par des gens extrêmement compétents, sérieux et dévoués.
En ce qui concerne le Québec, je croyais que l'accord Canada-Québec était une entente très utile et peu controversée. De fait, je recommanderai qu'on l'élargisse afin qu'elle s'applique également aux immigrants de la catégorie de la famille.
Le président: Il semble qu'il n'y ait plus de questions, monsieur Buckley.
M. Buckley: Je tiens simplement à vous remercier encore une fois, monsieur le président, de m'avoir invité. C'est un grand honneur pour moi.
Le président: Nous sommes heureux que vous ayiez pu vous joindre à nous. Je pense parler au nom du comité lorsque je dis que votre témoignage a été extrêmement utile.
La séance est levée.