[Enregistrement électronique]
Le lundi 2 octobre 1995
[Traduction]
Le coprésident (M. Milliken): La séance est ouverte. Notre Comité étudie le mandat qui lui a été confié par le Sénat et la Chambre des communes et qui porte sur l'étude d'un code de conduite à l'intention des députés et des sénateurs.
Cet après-midi nous recevons la professeure Sharon Sutherland du Département des sciences politiques de l'Université Carleton. Elle a une déclaration à faire après quoi les membres du comité pourront lui poser des questions.
Je suis désolé. Nos interprètes ne sont pas encore arrivés, nous allons donc suspendre la séance en attendant qu'ils arrivent.
PAUSE
[Français]
Le coprésident (M. Milliken): Nous pouvons recommencer.
Professeur Sutherland, vous avez la parole.
[Traduction]
Le professeur Sharon Sutherland (Département de sciences politiques, Université Carleton): Merci de m'avoir invitée à assister à cette réunion.
[Français]
Merci beaucoup de votre invitation. Je suis ravie d'être ici ce soir afin de participer à vos débats sur la déontologie. Si vous désirez poser vos questions en français, je pourrai y répondre, mais je ne prétends pas être bilingue.
[Traduction]
À mon avis, les codes, qu'ils soient des codes de déontologie ou autres, ne sont pas la bonne solution aux maux de l'appareil politique. Ces codes ont une certaine valeur éducative, mais à mon avis, ils ne sauraient résoudre les problèmes concrets ou importants. Mais cela dit, car en effet il y a un «mais», je reconnais que la Chambre et le Sénat devraient probablement adopter un code à l'intention des simples députés, et pas seulement pour les membres du gouvernement.
En fait, je pense qu'il est probablement inévitable d'adopter un code, et de plus, vous aurez besoin d'un code sévère qui résiste à la comparaison. En effet, vous allez devoir faire aussi bien, sinon mieux, que les provinces. Vous allez devoir tenir compte des travaux du comité Nolan en Grande-Bretagne, par exemple, car vos actes seront forcément examinés à la loupe.
Malheureusement, ce code va poser plus de problèmes qu'il n'en résout. Je crois en effet qu'il risque de poser d'énormes problèmes à moins qu'il ne s'agisse d'un code particulièrement bien conçu, comportant des mécanismes de contrôle, lesquels permettent de censurer et de discipliner les représentants qui transgressent. Comme vous le savez, un code, c'est une norme de conduite à l'intention de vos membres et les médias n'hésiteront pas à vous juger à la lumière de cette norme de conduite.
De plus, les médias et le public ne seront satisfaits que si votre code assume la solidité d'une véritable loi, que s'il comporte un mécanisme d'application bien défini.
Pourquoi avons-nous inévitablement besoin de ces codes quand nous savons fort bien qu'ils aggravent systématiquement la situation? À mon avis, cela tient à six facteurs. Le plus souvent, on parle de trois facteurs, mais comme j'ai eu tout à l'heure quelques minutes de tranquillité, j'ai réussi à trouver six facteurs.
Le premier de ces facteurs, c'est le fait que le public n'est satisfait ni des hommes politiques ni de la politique en général. La Commission royale sur la réforme électorale a fait des sondages et déterminé que les deux-tiers ou trois-quarts de tous les Canadiens étaient moyennement ou très insatisfaits du processus politique et des hommes politiques. C'est loin d'être un environnement favorable.
Deuxièmement, nous vivons dans un climat d'austérité et de soi-disant mondialisation, où on demande aux sociétés d'abandonner leurs programmes sociaux et de voir les choses en face, où on leur dit que la vie est dure, que les gens doivent travailler fort et que tout le monde doit aujourd'hui lutter pour obtenir ce qu'on prenait jadis pour acquis. Autrement dit, la situation du public ne va pas s'améliorer et ce public va devenir de plus en plus amer et de moins en moins tolérant.
La troisième raison c'est que la politique canadienne ne répond pas à une idéologie. Elle n'est pas fondée sur des principes. Les différences entre les partis sont une affaire de degré et portent essentiellement sur la meilleure façon de créer la prospérité. La discussion entre les partis a pour principal objectif de déterminer qui est le mieux à même de diriger l'économie.
Cela aboutit à une politique où les gens ne voient guère de différence entre les partis si bien que les hommes politiques cherchent à se distinguer en jouant sur leurs personnalités respectives. Les partis, de leur côté, essaient de se distinguer en faisant valoir leur solidité morale et leur probité, leur compétence à assumer des charges publiques et des postes de confiance. Inévitablement, cela encourage les hommes politiques à attaquer mutuellement la personnalité et les intentions de leurs adversaires et le public les croit.
Cela donne l'impression que la corruption s'aggrave de plus en plus alors qu'en réalité, comme ceux d'entre nous qui étudient la corruption politique le savent, elle ne s'aggrave pas, mais diminue. Et si elle diminue, mais c'est parce qu'il y a plus de vérifications, de meilleurs systèmes et une meilleure administration. Très souvent, cela tient à de nouvelles technologies et ce n'est probablement jamais dû à une évolution positive de la nature humaine. Toutefois, quand on demande aux gens de se concurrencer mutuellement dans des situations où il est difficile de déceler des différences, ils jouent facilement la carte des personnalités. Cette politique de la moralité ébranle la confiance du public.
Un Américain, Bayless Manning, a appelé cela la guerre de la pureté dans le contexte américain. Aux États-Unis, c'est un phénomène qui détruit virtuellement tous les présidents et qui finit par rendre ce pays ingouvernable.
La quatrième raison, c'est la volatilité électorale au Canada. Le Canada remplace ses élus à un rythme effarant, plus de 60 p. 100 en 15 ans, si je ne me trompe pas. C'est renversant comparé à ce qui se passe dans tous les autres gouvernements occidentaux. Aux États-Unis, il n'y a pratiquement pas de changements d'une élection à l'autre, et en Grande-Bretagne, le changement est minime comparé à celui du Canada.
Bref, chaque législature nouvelle voit arriver au Parlement toute une bande de députés sans expérience. Parfois, ils ne savent pas diriger leur bureau de circonscription ou leur bureau à la Chambre. On leur dit qu'ils ont une certaine somme à dépenser et la dernière chose qui leur vient à l'esprit c'est de mettre en place un système pour contrôler la façon dont cette somme est dépensée. Certains d'entre eux pensent que cet argent leur est dû et ils tiennent leurs livres presque comme les livres d'une société privée qui fait sa déclaration d'impôt, c'est-à-dire en cherchant à s'en tirer le mieux possible.
Pendant l'ère Mulroney, il y a eu au moins 15 infractions ou malentendus de ce genre. Ces incidents sont systématiques mais leur nombre a augmenté depuis que les budgets ont augmenté. Ce n'est pas la nature humaine qui est en cause, mais de très mauvaises structures.
Nous avons également des ministres inexpérimentés. Nous avons tendance à donner les grands ministère d'État à des gens qui viennent d'être élus pour la première fois. Cela favorise également les erreurs, et en particulier un malentendu fréquent sur la nature de la responsabilité ministérielle.
La cinquième raison, c'est une tendance de plus en plus marquée à faire jouer un rôle plus important à l'arrière-banc dans les comités parlementaires. Autrement dit, les députés ont aujourd'hui plus de pouvoir que jadis et, de ce fait, ils deviennent une cible plus attrayante pour les lobbyistes. Par voie de conséquence, il y a plus d'erreurs possibles.
Le dernier facteur, c'est un système médiatique modelé sur l'exemple américain. Les médias sont fascinées par les questions de personnalité et obsédées par ce stand de tir qu'est la responsabilité ministérielle. Si vous voulez voir ce que cela signifie pour la politique canadienne depuis quelques années, pensez à la législature de 1984-88, à une époque où le premier ministre qui avait la plus grosse majorité jamais obtenue par un premier ministre canadien a été forcé de congédier six ministres à cause de l'intervention de l'opposition, les attaques des médias et d'un doute crucial dans l'esprit de ses propres députés de l'arrière-banc. Si cela se produisait aujourd'hui, je suis certain qu'il passerait simplement outre, dans la mesure du possible aux objections mentionnées contre ces minsitres, ou du moins contre la moitié d'entre eux.
Bref, il y a une action réciproque entre les mesures disciplinaires qui doivent s'appliquer à un corps législatif, les pouvoirs indépendants et les ressources d'une telle assemblée et le rôle de la discipline parlementaire. Autrement dit, plus un corps législatif a de pouvoirs, plus il est nécessaire de mettre en place un mécanisme externe pour réglementer la conduite des gens qui exercent ce pouvoir.
Aux États-Unis, le corps législatif accomplit des tâches véritablement importantes. Il adopte des lois dans l'enceinte des Chambres et il dispose d'importantes ressources. D'autre part, il n'y a pratiquement pas de discipline de parti. Dans ces conditions, le mécanisme qui établit les règles de conduite et qui contrôle l'application est particulièrement lourd et les simples législateurs sont assujettis au même genre d'appareil que nos ministres. Les registres sur la façon dont ils votent sont épluchés, leurs intérêts sont catalogués et la législature a le pouvoir de punir les transgressions.
En Grande-Bretagne, les partis se comportent selon des principes et la discipline est plus lâche Les comités font un travail intéressant, mais c'est le gouvernement qui décide. Les députés n'ont pratiquement aucune ressource à dépenser si bien qu'on peut les laisser tranquilles, du moins jusqu'à ce que le comité Nolan... Cela provoque des abus, mais il est facile de voir que ces abus tiennent à des structures plus enracinées. Les députés doivent s'adresser à des sociétés privées pour financer leurs recherches et administrer leur bureau. Bref, ils doivent se faire lobbyistes pour pouvoir faire leur travail de circonscription. Ils ont besoin d'argent pour rédiger le moindre rapport, effectuer des recherches et se faire remarquer à la Chambre des communes.
En France, au début du siècle, au moins 25 et peut-être même 125 législateurs ont vendu leurs voix à la Panama Canal Company. Pourquoi la compagnie les a-t-elle achetées? Parce qu'elles étaient importantes. Parce que législateurs pouvaient faire passer ou faire échouer la loi dont la compagnie avait besoin. Ces législateurs étaient indépendants du gouvernement.
Cet incident et d'autres abus ultérieurs créèrent de tels scandales que la république fut remplacée par une autre, puis par une autre encore. Aujourd'hui, les législateurs français ont individuellement, beaucoup moins d'importance parce que les gens ne leur font pas confiance.
Au Canada, notre système est pratiquement calqué sur le système américain, à l'exception des institutions représentatives de base. Autrement dit, notre vérificateur général n'a pas les mêmes fonctions que le vérificateur général britannique mais il a plutôt les fonctions d'un bureau de comptabilité générale.
Nous organisons nos fonctionnaires de la même façon qu'aux États-Unis. Sur le plan culturel, nous sommes comparables, et nous imitons les modes américaines, comme la mode actuelle qui consiste à supprimer des paliers, à déléguer des pouvoirs, à mettre en place des budgets à palier unique, et nous avons également un cadre administratif général dont je tiens à dire, si personne ne l'a encore fait jusqu'à présent, que c'est une véritable invitation à la fraude et au désastre dans la fonction publique.
Toutefois, au Canada nous surveillons contrôlons la conduite des députés comme le font les Britanniques c'est-à-dire sans mécanisme véritable. Or, jusqu'à présent, au Canada, le manque d'expérience des hommes politiques et le fait que les partis ne règlent pas leur comportement sur des principes sont remplacés par une discipline de parti. La discipline de parti a évité des ennuis aux gens, et leur impose également un joug qui leur semble souvent arbitraire. Ce joug est le plus souvent celui du BPC, du Bureau du Conseil privé, car les fonctionnaires qui travaillent dans ces institutions cherchent à s'assurer une existence le plus tranquille possible ne tiennent pas du tout à étouffer des scandales chaque fois qu'ils ont un moment de répit.
Aujourd'hui, la Chambre des communes voudrait avoir plus de marge de manoeuvre, les comités veulent jouer un rôle plus important et, de son côté, le public est mécontent.
Que se produira-t-il si vous imposez un code officiel véritablement ambitieux? Eh bien, comme je l'ai déjà dit, au Canada on aura toujours des députés nouveaux venus et inexpérimentés. Nos médias sont très agressifs et la concurrence entre les partis est très forte. Avec un code véritablement ambitieux, vous pourriez devenir un divertissement pour la nation canadienne ce qui ferait encore baisser la confiance du public dans les institutions représentatives.
Ma recommandation est de faire le plus simple possible. Ne cherchez pas à faire dans le grandiose, ne soyez pas trop optimistes en ce qui concerne les mesures que vous prendrez ou les résultats qu'elles auront. Ne soyez pas trop optimistes non plus en ce qui concerne la portée de ces réformes destinées à rétablir la confiance et la probité. Cela ne marchera pas.
La seule chose que vous puissiez faire pour vous simplifier la vie, c'est d'adopter un mécanisme d'application plus solide encore que votre code, c'est de mettre en place un programme d'éducation permanente pour limiter le nombre des ennuis auxquels vos membres peuvent s'exposer.
Qu'est-ce que vous devez chercher à éviter? Eh bien, à mon avis, il n'y a que quatre types d'incidents qui peuvent aller de travers.
Pour commencer, il y a le cas où les gens dans votre position, les gens qui occupent une position de pouvoir et d'honneur en général, utilisent cette position pour offrir des récompenses ou des avantages à d'autres dans le but d'en retirer un avantage monétaire ou autre. Il peut s'agir d'argent, il peut s'agir de faveurs sexuelles, de n'importe quoi.
Il y a ensuite le cas des gens qui, dans un but personnel, utilisent leur position pour intimider et pour contraindre de toutes sortes de façons.
Troisièmement, il y a les gens qui essaient d'aider leur parti ou leur cause et qui promettent des faveurs en échange. Par exemple, on peut promettre un contrat en échange d'un don monétaire au parti. Cela peut prendre beaucoup de formes et peut sembler normal sur le coup.
C'est terrible à dire, mais il est extrêmement facile de se laisser entraîner dans de telles situations. Le troisième cas est plus une affaire de principes que les deux premiers où il s'agit en réalité de simples conflits d'intérêts.
Le quatrième type de péché, c'est d'intimider et de manipuler les gens pour les forcer à adopter la stratégie qu'on désire, et cela, au profit d'un parti ou d'une cause politique. Pour ce faire, on peut dissimuler des faits ou manipuler des dossiers historiques. C'est le genre de stratégie à laquelle on fait appel pour rehausser les apparences.
Autrement dit, ce que vous devez éviter de faire, c'est d'aider vos amis, y compris vous mêmes, et d'irriter ou de nuire à vos ennemis. Cela se fait grâce à un code qui a pour effet de rendre la politique moins politique, ou du moins d'arrondir les angles de la politique. Plus votre code est ambitieux, plus il sera dangereux.
De quels mécanismes avez-vous besoin? Ces mécanismes devraient être placés hors de portée des membres de votre club. L'époque où il était possible de demander à un comité chargé de veiller aux intérêts des membres ou à un comité de la procédure de se pencher sur certaines transgressions et d'annoncer aux médias qu'on s'en occupait dans l'espoir que les tribunaux n'y mettraient pas le nez, cette époque là est révolue. Autrement dit, la solution que vous adopterez devra forcément s'accompagner d'un mécanisme de contrôle et de vérification digne de confiance, un mécanisme qui offrira suffisamment de transparence et de franchise. Vous pourriez même envisager de centraliser les budgets des députés et des sénateurs et d'en confier la vérification à des professionnels.
À deux reprises les tribunaux ont signalé que dorénavant ils n'attendraient plus une décision des régimes aux comités internes pour intervenir. Les tribunaux de l'Ontario et du Québec ont annoncé cette position nouvelle au cours des six ou sept dernières années. Dorénavant, toute hésitation, toute tentative d'intervention modérée va être considérée par le public comme une tentative d'étouffer l'affaire. Bref, vous devez chercher à tirer le meilleur parti possible d'une situation très déplorable et espérer que le mécanisme que vous adopterez sera convaincant.
C'est tout ce que j'avais à dire. Merci.
Le coprésident (M. Milliken): Merci beaucoup.
[Français]
M. Bellehumeur (Berthier - Montcalm): Je vais vous poser mes questions en français et vous me répondrez en anglais. Cela ne me pose aucun problème.
Mme Sutherland: J'aimerais bien y répondre en français.
M. Bellehumeur: Je tiens à vous remercier d'être venue ce soir pour nous livrer vos commentaires sur ce sujet très important. J'apprécie la façon dont vous voyez cela.
Vous avez mentionné des éléments extrêmement importants. Cependant, vous nous avez dit qu'un code n'allait pas régler tous les problèmes. Croyez-vous qu'en ayant un code comportant un mécanisme d'application ayant certaines limites et certaines restrictions, et en faisant de l'éducation, on améliorera l'image que se fait le public des députés et des sénateurs? Croyez-vous également que le public se sentirait ainsi mieux protégé ou plus sûr de ses élus? Pourrait-on faire de la prévention?
Étant donné ce que vous venez de dire, peut-on dire qu'avec un code, on toucherait à des choses importantes, c'est-à-dire améliorer l'image du député parmi la population et protéger le public? Le public craint certaines choses et se demande toujours ce qui se passe sur la Colline parlementaire, les journaux ne rapportant habituellement que les mauvais coups et non les bons. Avec un code, pourrait-on même faire de la prévention? Comme vous l'avez si bien dit au début, les députés changent beaucoup d'une élection à l'autre et leur carrière est volatile, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays. Un bon code pourrait-il faire oeuvre de prévention auprès des jeunes députés, par exemple?
Mme Sutherland: Je vais répondre à la troisième question parce qu'elle est la plus facile. C'est la question de la prévention des délits par un code. Je crois que, pour qu'un code soit fonctionnel, on doit faire de l'éducation. Autrement dit, un code qui ne fait pas partie d'un programme d'éducation auprès des députés ne fonctionnera pas. On oubliera très vite et on retombera dans les mêmes pièges. Donc, pour moi, la prévention viendra par l'éducation.
Quant à la protection du public, je ne crois vraiment pas que le public soit en grand danger à cause des députés. On ne constate pas ici, dans la députation, le genre de délits que l'on trouve dans d'autres pays. Il y a des écarts en ce qui a trait aux budgets des députés, mais ce genre de scandales ne coûte pas grand-chose, bien qu'il offense la sensibilité des médias et du public. Donc, je ne crois pas que le public ait besoin d'être protégé.
Quant à l'image des parlementaires, je crois que, quoi que vous fassiez, elle sera toujours très, très difficile à protéger ou à améliorer. Dès que le code sera en vigueur, les médias en scruteront chaque élément et rapporteront qu'un tel n'a pas respecté l'une de ses dispositions, qu'il a pris une quelconque somme d'argent et qu'il doit maintenant démissionner de son poste. Il y aura des scandales artificiels. Un code peut même augmenter le nombre de scandales.
M. Bellehumeur: Nous dites-vous que ce n'est pas parce qu'on aura un code qu'on sera à l'abri des critiques?
Mme Sutherland: C'est cela.
M. Bellehumeur: On sera quand même critiqués.
Mme Sutherland: Cependant, si vous n'avez pas de code ou d'appareil pour exposer les agissements des députés, on dira que le Parlement du Canada est probablement le pire du monde occidental, etc.
M. Bellehumeur: Ce sera pire si on ne se donne pas de code.
Mme Sutherland: Oui, ce sera terrible.
M. Bellehumeur: D'accord. Qui devrait gérer ce code d'éthique?
Mme Sutherland: Je ne le sais pas. Ce devrait être quelqu'un qui ne fait pas partie de la députation, quelqu'un qui n'a pas la tentation d'être gentil avec les députés. Ce devrait être quelqu'un de complètement neutre, qui exposera ce genre de choses.
Selon moi, même les députés ont le droit d'être représentés par un avocat. La politique, ce n'est pas très gentil.
M. Bellehumeur: Merci beaucoup.
Le coprésident (M. Milliken): Monsieur Boudria.
[Traduction]
M. Boudria (Glengarry - Prescott - Russell): Merci, monsieur le président.
J'écoute attentivement les questions qui viennent d'être posées, mais il reste une réalité que nous devons accepter en tant que législateurs. Il s'agit de la suprématie du Parlement, qui entraîne comme corollaire, la question de la responsabilité envers la population.
Autrement dit, il est impossible au Parlement de laisser ce pouvoir qui est le sien dans les mains de quelqu'un d'autre, puisqu'il veut demeurer l'instance suprême. Donc, si nous nommons quelqu'un, cette personne doit être un agent du Parlement pas nécessairement un député mais quelqu'un dont les fonctions pourraient ressembler à celles du Vérificateur général. Dans le rapport que nous avons préparé vers 1992, nous parlions déjà d'un jurisconsulte, un peu comme celui qui est en poste à Québec. Cette personne doit rendre compte au Parlement, et pas à une agence du gouvernement ou à quelqu'un d'autre, car nous risquerions ainsi de faire perdre au Parlement sa suprématie. N'en convenez-vous pas?
Mme Sutherland: On m'a souvent accusée d'être une romantique quand il s'agissait du Parlement et de la suprématie de l'institution parlementaire; mais je ne suis pas prête à admettre que la suprématie du Parlement soit liée à des incidents spécifiques qui pourraient offenser la population ou liée au sentiment de probité des Canadiens à l'égard de l'argent.
À l'époque où on a commencé à songer à des conventions et à la nécessité d'aplanir les obstacles empêchant les parlementaires de remplir leurs devoirs, n'oublions pas que les parlementaires étaient des gens qui devaient se «frayer un passage» jusqu'au Parlement pour s'adresser à un monarque, puisqu'il n'y avait pas de gouvernement établi comme tel. En effet, le monarque n'étant pas encore descendu dans la Chambre des communes, il n'existait de gouvernement dont les représentants étaient chargés de conseiller le monarque.
Il se passait presque la même chose qu'en France, où les votes sur le parquet de l'Assemblée pouvaient décider de l'issue d'une situation. Les parlementaires risquaient de tomber dans des guet-apens, de se faire battre et bâillonner jusqu'a la fin du vote, par exemple. Ce temps est révolu aujourd'hui. De plus, à l'époque où l'on a commencé à mieux comprendre quel pouvait être le rôle du Parlement, les députés ne disposaient pas de budget et ne possédaient aucuns privilèges par rapport au reste du peuple.
Aujourd'hui, on vous perçoit différemment. Les formes de liberté dont jouit nécessairement le Parlement sont souvent confondues avec ce qu'on pourrait appeler les «libertés» individuelles des parlementaires, ce qui n'est pas nécessairement la même chose. Je crois que vous devriez y réfléchir longuement.
En outre, vous ne pouvez plus espérer avoir les mêmes privilèges parlementaires qu'autrefois, car vous ne pouvez plus prendre toutes les libertés à la Chambre des communes, ni dire n'importe quoi au sujet des fonctionnaires, notamment. Les fonctionnaires ont de plus en plus un rôle à jouer au Parlement. Aux États-Unis, ils sont même protégés par les règles concernant l'expression. À la Chambre, les députés ne peuvent pas ternir impunément la réputation d'autrui car ils peuvent être poursuivis pour diffamation.
Il faut juger la liberté du Parlement conjointement avec les prescriptions de votre code. Plus votre code sera détaillé, et plus vous serez appelé à vous justifier.
M. Boudria: Je crains que vous et moi ne soyons pas d'accord là-dessus. Personnellement, je ne puis imaginer qu'un témoin comme vous, ou un collègue d'en face ou moi-même - puisse être empêché de témoigner, puisse subir des menaces pour l'empêcher de dire ce qu'il pense vraiment parce qu'on vous a menacé de poursuites en libelle diffamatoire si vous dites quelque chose qui ne plait pas? Dans le système actuel...
J'ai déjà été au centre d'un débat de ce genre il y a plusieurs années. Quelqu'un qui avait témoigné devant un comité parlementaire avait reçu par la suite des menaces de la part d'une réalisatrice de télévision, sous prétexte que le témoin avait utilisé un vidéoclip qui était censé appartenir à cette dernière, sans en avoir mentionné la source. On avait à l'époque parlé de privilège, ce qui aurait pu avoir pour effet d'empêcher d'autres témoins d'utiliser à leur tour des vidéoclips du même genre.
Mme Sutherland: Monsieur Boudria, je n'aurais pas dû essayer d'intervenir...
M. Boudria: Non, allez-y.
Mme Sutherland: ...mais je voudrais préciser que je parlais de la façon dont s'était formée la notion d'immunité parlementaire. C'étaient les parlementaires qui étaient baillonnés. Voilà pourquoi, à l'époque, c'étaient les parlementaires qui jouissaient de privilèges et non pas les témoins.
M. Boudria: Mais avec tout le respect que je vous dois, madame, c'est la même chose. Que vous, en tant que citoyenne - ou peut-être même une de mes électrices - pressentiez votre député pour qu'il soulève une question en votre nom à la Chambre des communes, ou que vous témoigniez vous-même à un comité de la Chambre des communes, ou à un comité mixte comme celui-ci, c'est la même chose. Je devrais pouvoir soulever la question en votre nom, et vous devriez tout autant pouvoir témoigner vous-même devant un comité parlementaire, sans que ni l'un ni l'autre n'ayons à subir des menaces, n'est-ce pas?
[Français]
Mme Sutherland: Je n'en suis pas si sûre.
M. Boudria: Non? Je vais vous poser une autre question. Je ne crois pas que les budgets des parlementaires soient nécessairement au centre de tout le débat que nous avons aujourd'hui. Je ne crois pas que ce soit le dossier principal. Il s'agit plutôt de concilier les intérêts personnels des députés et les intérêts du public.
Oui, il peut y avoir des malversations de la part de certains, mais je ne crois pas que ce soit ce qui est au centre du débat. Je crois plutôt qu'on doit discuter des occasions où un parlementaire peut ou ne peut pas voter sur un projet de loi. La loi actuelle n'est pas claire là-dessus. La Loi sur le Parlement du Canada traite de travaux publics, une définition assez archaïque. Je suppose que dans le passé, cela aurait pu provoquer une controverse lors d'un vote sur la construction d'un pont, etc. Un logiciel qui vaut des millions de dollars ne portait pas alors à controverse parce qu'il n'y en avait pas à l'époque. Cependant, il y en a aujourd'hui. Il faut moderniser cela. C'est un des volets que l'on doit examiner.
Un autre volet a trait à l'intérêt personnel du conjoint ou de la conjointe d'un parlementaire. Nous devons trouver des façons d'établir des règles qui vont nous guider pour définir ce qui bien et acceptable par rapport à ce qui est mal et inacceptable.
Vous n'avez pas touché à ces aspects du dossier lors de vos remarques préliminaires. Voulez-vous partager avec nous là-dessus?
Mme Sutherland: J'ai pensé le faire un peu à la fin, lorsque j'ai décrit les genres de situations dans lesquelles on pourrait se trouver. Vous avez raison: il y a la question des conflits d'intérêts et l'empêchement, pour certaines députés, de voter et même de participer à certains débats lorsque leurs intérêts sont en cause, mais...
[Traduction]
Je reviens à ce que j'ai dit plus tôt: avant que l'on exige des députés d'arrière-banc qu'ils assument plus de pouvoirs et avant qu'on leur donne le pouvoir d'élaborer des mesures, on n'avait pas à s'inquiéter des conflits d'intérêt éventuels chez eux. Les députés n'étaient pas vraiment en mesure d'influer sérieusement sur le cours des événements.
Une fois que le gouvernement faisait connaître son intention, les députés obtempéraient au moment du vote. Les députés étaient donc libres de chercher au besoin des appuis parmi leurs amis de converser avec le ministre ou même de l'influencer dans une certaine mesure en lui prodiguant des conseils. Ils étaient en fait libres de faire valoir certains de leurs intérêts.
Plus les députés voient leur pouvoir augmenter, et plus la Chambre des communes s'américanise, plus vous devrez divulguer les actifs de vos conjoints et énumérer tous vos intérêts personnels pour que les Canadiens puissent surveiller vos agissements et s'assurer que vous ne défendez pas vos intérêts.
C'est un phénomène moderne et malheureux, car il arrive que bien des gens d'affaire aient d'excellentes idées sur la façon de représenter les Canadiens en général et en particulier les clientèles auxquelles ils appartiennent. Nous en sommes arrivés au point où, malheureusement, la moindre apparence de conflit d'intérêts peut disqualifier les députés.
Prenez l'exemple suivant tiré du livre de la Colombie-Britannique intitulé Corruption, character and conduct: un juge aurait songé à remplacer un avocat dans une affaire d'aggression sexuelle mettant en cause un prête et deux de ses jeunes ouailles, tout simplement parce que l'avocat était un catholique pratiquant; le juge et certains du milieu juridique croyaient en effet qu'il fallait s'attendre à ce que ce catholique dévot soit influencé et déclare le prête innocent. C'est une façon nouvelle de percevoir la réalité qui semble faire partie intégrante de l'émotivité moderne.
Voilà ce contre quoi vous devrez vous protéger. Voilà pourquoi j'affirme que moins votre code est détaillé et mieux cela vaudra.
[Français]
Le coprésident (M. Milliken): Monsieur Epp.
[Traduction]
M. Epp (Elk Island): Certains de vos propos m'ont intrigué. Vous avez dit qu'à votre avis, le gouvernement était plus sensible à la déontologie que naguère. Comparez-vous le gouvernement actuel au gouvernement précédent d'avant 1993? Quel cadre temporel et quelle preuve empirique vous permettent d'affirmer cela? Avez-vous fait une enquête? Comment avez-vous fait pour déterminer cela?
Mme Sutherland: Je n'ai pas de données empiriques sous la main pour étayer cette affirmation, mais elle existe. Je ne compare pas le gouvernement actuel au gouvernement qui l'a précédé. Au fil du siècle, on a pu constaté un moins grand nombre de cas de fraude et de malhonnêté flagrante aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et au Canada. Je dirais même que les comptes publics de l'Italie se portent relativement bien, car la population sait où va l'argent. L'argent ne disparaît plus dans la brume comme à l'époque de John Macdonald. Les experts disent que c'est surtout parce que l'on tient mieux les dossiers qu'autrefois et qu'il est plus facile de vérifier les comptes électroniquement. Il plus difficile aujourd'hui de frauder le gouvernement ipunément.
M. Epp: Croyez-vous que le problème s'est amoindri parce que nous avons abaisser nos normes ou parce que nous sommes moins facilement scandalisés que naguère?
Mme Sutherland: Je ne crois pas que nous ayons abaissé nos normes. Rappellez-vous ce qui s'est passé au tournant du siècle, à l'époque où Macdonal avait envoyé un télégramme aux barons des chemins de fer pour leur demander de ne pas le laisser tomber et de lui envoyer 10 000$ de plus, mais que ce serait sa dernière demande du genre. Et ils lui ont envoyé l'argent demandé; Mcdonald perdit une élection et fut reporté au pouvoir la fois suivante. Aujourd'hui ce serait inimaginable. À l'époque, il était généralement plus facile d'extorquer des faveurs du gouvernement. Mais aujourd'hui, il y a aussi moins de favoritisme dans la fonction publique, notamment.
Nous sommes en grande mesure victimes de ce que j'ai appelé plus tôt la guerre de la pureté. Les politiques aiment bien se prendre les uns et les autres en flagrant délit de moralité, car c'est l'un des rares domaines dans lesquels on n'a vraiment pas grand chose à offrir au public, de nos jours. On ne peut plus aujourd'hui acheter la population avec les deniers publics comme on pouvait le faire autrefois.
M. Epp: Dans ce cas, comment expliquer qu'une grande partie de la population se méfie à ce point de nous? Vous avez dit que des deux tiers aux trois quarts de la population était insatisfaite de ces hommes publics. Vous dites par ailleurs que nos normes en matière de déontologie s'améliorent. De nombreux témoins nous ont dit de faire bien attention parce qu'en fait, nos moeurs ne faisaient pas problème et que c'était uniquement un problème de perception des gens. D'où viendrait donc cette idée que tout va mal, alors que, en fait, tout va mieux, d'après ce que vous affirmez?
Mme Sutherland: Je crois que la population se fait une idée que les choses vont très mal, parce qu'elle voit à quel point les politiques aiment se tendre des pièges.
Rappelez-vous tous les scandales... Remontons dans le temps pour que cela ne soit plus gênant et rappelez-vous ce que Diefenbaker et Nielsen ont fait aux trois ministres du Québec Favreau, Lamontagne et Tremblay. Ils n'avaient aucune chance de s'en tirer. Ils appartenaient à un gouvernement minoritaire, et Diefenbaker et Nielsen ont orchestré toute une série d'accusations contre eux. Or, lorsqu'on vous accuse de quelque chose et que vous vous mettez à vous défendre, vous perdez tout attrait, vous avez l'air d'un plaignard et de vous chercher des excuses. Il est très difficile de prouver que l'on n'a rien fait, surtout lorsque la population se raccroche à certains détails qui semblent être des preuves, comme un motif, par exemple. Les preuves circonstancielles peuvent être très accablantes, et vous êtes très mal placé pour vous protéger.
Voilà pourquoi un code qui fixerait des dispositions sérieusement et qui établirait un grand nombre d'infractions devra également vous permettre de vous protéger en vous opposant aux accusations pour défendre votre réputation. Vous devrez avoir des avocats et il faudra faire très attention, sans quoi vous créerez de nouvelles victimes pour le plus grand plaisir des médias.
M. Epp: Bien. J'en arrive à l'objet de cet exercice. Nous discutons ici de l'élaboration d'un code de conduite et d'une façon de l'appliquer.
Si je vous ai bien compris, vous nous conseilleriez de ne pas concrétiser notre projet et plutôt de le laisser tomber, n'est-ce pas?
Mme Sutherland: Non. Vous devez adopter un code de conduite, je crois que c'est impérieux mais votre code devra avoir de la vision et être élaboré de façon très intelligente. Je vous conseille d'accorder la plus grande attention au mécanisme d'application, car vous ne pouvez songer à toutes les éventualités. Fixez-vous des catégories simples et essayez d'imaginer le type de mécanisme d'application qui ne prêtent pas le flanc au cynisme de la population et des médias. Votre plus grand atout, c'est la divulgation.
M. Epp: Ce cynisme est alimenté par... Supposez, par exemple, que nous élaborions un code et que nous le faisions appliquer par un comité parlementaire mixte. Vous dites que cela créerait beaucoup de cynisme, et je suis d'accord. Ne croyez-vous pas que même notre comité-ci ne crée pas de cynisme? Après tout, ne sommes-nous pas réunis ici entre nous pour essayer de fixer nos propres normes et pour décider qui va les appliquer? Cela ne crée-t-il pas aussi du cynisme parmi les gens?
Mme Sutherland: Je ne le crois pas car vous faites ce que le Vérificateur général avait espéré voir le gouvernement faire, c'est-à-dire que vous mettez en place un budget de programmes qui établit toutes sortes de projets ambitieux et, en même temps, constitue le fouet qui servira à vous maintenir dans le droit chemin. C'est ce que les médias et le public attendent de vous.
Vous allez probablement pouvoir mettre en place une sorte de tribunal qui serait créé par une loi et se pencherait sur chaque cas individuellement. Cela permettrait aux gens de savoir précisément ce qu'on leur reproche et de faire appel à un avocat pour les défendre. Tout cela se passerait dans le plus grand sérieux.
En Grande-Bretagne il y a une Loi sur les tribunaux. Chaque fois que l'on conteste le bien-fondé du comportement d'un fonctionnaire, la cause est portée devant le tribunal. L'affaire Sinclair Stevens, par exemple, aurait été portée devant un tel tribunal.
M. Epp: À mon avis, en ce qui concerne l'éthique, nous devrions avoir un mécanisme d'application comparable au mécanisme totalement indépendant qu'est le Bureau du Vérificateur général. Que pensez-vous de cette idée-là?
Mme Sutherland: Quand vous parlez d'un mécanisme d'application comparable au Bureau totalement indépendant du Vérificateur général, vous risquez de voir le gouvernement faire ce que le gouvernement libéral fait d'ordinaire, c'est-à-dire donner de nouveaux pouvoirs au Bureau du Vérificateur général. Cela vous mettrait à la merci du Bureau du Vérificateur général. Personnellement, je serais tentée de m'écarter de la politique.
M. Epp: Pourquoi?
Mme Sutherland: Ce Bureau jouit actuellement de pouvoirs considérables, des pouvoirs dont les autorités politiques ne se mêlent pas.
M. Epp: Mais la force même du Vérificateur général réside justement dans le fait qu'il n'a pas à craindre de représailles politiques. Il peut véritablement défendre les intérêts du public en procédant à des enquêtes et en révélant librement tout ce qu'il a découvert. Il n'a pas besoin de s'inquiéter.
Un tel système aurait un double effet; d'une part en cas de culpabilité véritable, le responsable pourrait prendre des mesures sans crainte de représailles et cela règlerait le problème.
D'autre part, et c'est une chose qu'on entend très souvent, le problème n'est pas si considérable. Il y a des gens qui sont accusés à tort. Et c'est là que l'indépendance d'un administrateur chargé des questions d'éthique, ou autres deviendrait importante. En cas d'innocence, la décision de cette personne serait digne de foi puisqu'elle ne serait pas assujettie à des influences politiques.
Mme Sutherland: Oui, je comprends votre point de vue, et dans certains pays, effectivement, cela marcherait. En France par exemple où la justice est fondée sur un système d'enquête. Là-bas, ce sont des juges d'instruction qui constituent un dossier et le procès commence quand le dossier est suffisant.
Par contre, au Canada je ne pense pas que ce modèle fonctionne de façon satisfaisante car, chez-nous, le système n'est pas fondé sur une instruction ou enquête, c'est un système de confrontation. La situation est comparable à ce qui se produit lorsque le Vérificateur général se penche sur une affaire. Il constitue un dossier contre certains individus ou un organisme.
Pour nous, ce n'est pas une situation naturelle. Nous voulons laisser aux gens le droit de se défendre dès le début, le droit de savoir précisément ce qu'on leur reproche, et nous ne voulons pas qu'on puisse constituer un dossier d'accusation au fur et à mesure. Cette façon de considérer les droits des particuliers ne répond pas à notre mentalité car, en effet, cela reviendrait à renoncer aux droits des gens.
M. Epp: Effectivement, si vous portez ce modèle à l'extrême, je comprends très bien ce que vous dites. Cela dit, je ne suis probablement pas d'accord quand vous dites qu'il serait impossible d'utiliser ces modèles.
Monsieur le président, il me reste une question. Une question dont je m'excuse envers nos deux coprésidents.
Vous avez dit que nous étions plus exposés de nos jours parce que de moins en moins de parlementaires avaient une formation d'avocat. J'appartiens à un parti de 52 députés dont un seul est avocat, une femme extrêmement capable et compétente dont nous sommes très fiers à juste titre et que nous ne devrions pas disqualifier pour la simple raison qu'elle est avocate. Quant aux autres, nous avons tous des formations différentes. Pourquoi pensez-vous que nous sommes plus exposés que ceux de nos collègues qui sont avocats?
Mme Sutherland: Pour une raison extrêmement simple qui n'est pas particulièrement noble et qui n'a pas grand chose à voir avec l'honnêteté: Les avocats ont une formation qui est très axée sur les dispositions du code criminel, et la moindre transgression de leur part pourrait leur faire perdre leur licence et les empêcher d'exercer le droit. Ils font donc particulièrement attention, et probablement encore plus sur le plan des apparences que dans la réalité, mais en attendant, cela leur évite des ennuis. Cela leur évite également des ennuis lorsqu'ils sont députés, et aussi lorsqu'ils sont ministres. Ils prennent donc tout naturellement les précautions et dans l'ensemble, ils font très attention à ce qu'ils disent.
D'autre part, pour être admis dans une faculté de droit, il faut avoir une connaissance assez solide des systèmes parlementaires, entre autres. Les avocats savent donc comment le système fonctionne et en connaissent les écueils.
Le fait de connaître la loi est une protection, de même que le fait de connaître l'appareil gouvernemental.
Il y a un troisième élément; les transactions dont s'occupent les avocats se font le plus souvent entre deux personnes, elles sont fondées sur un assentiment mutuel et elles ont une portée limitée; par contre, l'homme ou la femme d'affaires part d'une certaine notion et cherche à produire quelque chose, et cela doit se faire grâce à des contacts avec d'autres personnes. Dans ce milieu-là, on a donc d'innombrables paliers de contact, qui tous contribuent à l'aboutissement d'une transaction, et par conséquent, il y a beaucoup plus de gens qui sont au courant. Plus on met de gens au courant, plus on s'expose à des problèmes. Un avocat malhonnête est beaucoup moins exposé puisqu'une seule personne à la fois est mise au courant. Mais dans le monde des affaires, il peut y avoir 15 ou 20 personnes qui sont au courant.
Je ne pense donc pas que les avocats aient une supériorité intrinsèque, et je sais que la rumeur publique m'empêcherait de prétendre que les avocats sont plus honnêtes. Cela dit, ils font beaucoup plus attention à ce qu'ils font.
M. Epp: Une observation pour terminer et non pas une question, monsieur le président.
C'est une observation qui m'intrigue. En effet, dans les diverses réunions auxquelles j'assiste, quand on me présente, on entend souvent deux sortes de plaisanteries ou d'histoires peu flatteuses, et le plus souvent, ce sont les hommes politiques et les avocats qui sont visés.
Le coprésident (M. Milliken): Vous évoluez dans des cercles mal fréquentés.
M. Epp: Avec tout le respect que je porte à notre honorable président...
Le coprésident (M. Milliken): Sénateur Oliver, vous avez une question supplémentaire.
Le coprésident (Sénateur Oliver): Une question supplémentaire très courte.
Deux membres du comité vous ont posé des questions au sujet du contenu de ce code. Lorsque Mitchell Sharp et M. Wilson ont comparu, ils nous ont dit que nous devrions élaborer certains principes, constituer toute une série de principes. Par la suite, un commissaire que nous nommerions pourrait déterminer chaque cas au regard de ces principes. Ce sont des principes comparables à ceux qui sont cités dans le rapport Nolan.
Un de ces principes, sous le titre «normes déontologiques» se lit:
- Les détenteurs de charges publiques se conduisent avec honnêteté et respectent les normes
déontologiques les plus élevées, ce qui a pour effet de maintenir et de promouvoir la confiance
du public dans l'intégrité, l'objectivité et l'impartialité du gouvernement.
- Que penseriez-vous d'une telle série de principes dans un code destiné aux parlementaires?
Le coprésident (Sénateur Oliver): Dans ce cas, que pouvez-vous nous proposer pour nous aider?
Mme Sutherland: Je n'ai pas beaucoup approfondi votre cas particulier, et je m'en excuse, mais je pense que vous pourriez consulter d'autres codes et essayer de les simplifier.
Il existe quelques grands principes de base: soit qu'on utilise en aucune manière son autorité, son pouvoir ni son prestige pour s'approprier des avantages indus. Qu'est-ce qu'un avantage indu? C'est extrêmement difficile à définir.
On peut examiner la quinzaine de cas qui se sont produits depuis 10 ou 15 ans. Il s'agissait essentiellement de cas où l'on avait utilisé des fonds destinés aux bureaux de circonscriptions et aux bureaux des députés sur la Colline et cela pour accorder au personnel de circonscriptions des avantages auxquels ils n'avaient pas droit. Les députés ont eu tendance à embaucher réciproquement leurs fils et leurs filles, et cela fait toujours mauvaise impression.
Quoi d'autre a-t-on fait? Je pense que c'est surtout l'aspect financier qui irrite les médias. Puis, comme on l'a mentionné tout à l'heure, tout à l'heure, il y a le problème des députés qui préconisent vigoureusement l'adoption de certaines mesures législatives qui les favoriseraient si elles étaient adoptées. Il se peut encore qu'on mène une campagne. Pendant le premier gouvernement Mulroney, le comité du travail et de l'emploi a mené une campagne contre un fonctionnaire, campagne menée par un ancien ennemi politique de l'intéressé. Cela a donné lieu à une véritable campagne, et le ministre n'a accordé aucune protection au fonctionnaire.
Je dirais donc qu'il s'agit au fond de s'approprier des avantages, d'en accorder à ses amis, des avantages qu'il n'est pas légitime d'attribuer, ou encore de recourir à la coercition, à la répression ou à des tactiques d'intimidation pour obtenir des avantages pour soi ou pour le parti ou pour qui que ce soit d'autre.
Il me semble qu'on ne peut définir que ces quatre catégories.
Le coprésident (M. Milliken): Madame Parrish.
Mme Parrish (Mississauga-Ouest): Merci, monsieur le président.
J'aimerais faire quelques observations, mais je parlerai d'abord de ceci. Ce que j'en déduis, madame Sutherland, c'est que vous préférez le modèle américain, où une affiliation au parti n'est pas aussi forte. Est-ce que je comprends bien ce que vous avez dit?
Mme Sutherland: Non. Je ne préfère pas le modèle américain. Je préfère, et de loin, le régime parlementaire. Mais au moins le régime américain est doté d'un puissant mécanisme pour discipliner les députés. Il le faut, parce que les simples législateurs ont beaucoup plus d'autonomie et beaucoup plus de pouvoir, et ont souvent une très grande influence sur la prise de décisions.
Mme Parrish: Essentiellement, je pense qu'ils sont beaucoup plus libres de voter conformément à ce que les lobbyistes les forcent à approuver. Je ne pense pas qu'ils aient la liberté dont nous disposons. Il me semble que ce qui se passe maintenant - et je ne peux m'empêcher de défendre un peu notre régime - c'est que nous choisissons un parti; nous choisissons les règles du parti; nous choisissons la plate-forme du parti; et nous ne nous en éloignons pas vraiment au sein de notre propre groupe. Je pense qu'aux États-Unis le régime se prête à tous les abus. Chaque individu vote en tant qu'individu, et le dernier à s'être occupé d'un dossier et à y avoir consacré le plus d'argent l'emporte.
Si bien que quand vous parlez de règles strictes, j'en reviens à vos six points. Je vous ai écouté attentivement et en fait vous n'énoncez que trois points. Je pense que vous aviez raison au départ.
Je pense que vous avez parlé du dégoût du public. C'est une incidence sur toute cette raison d'être. Il nous faut un code d'éthique parce que la population nous trouve dégoûtants; parce que les médias et les attaques d'autres partis en font une lecture de choix; et parce que l'on lit et observe tellement nos faits et gestes que nous sommes totalement transparents ou très en vue.
Je pense que vous avez parlé d'inexpérience et du fait qu'un grand nombre d'entre nous manque d'expérience. Je pense que c'est ce qui fait l'intérêt du système de partis, puisqu'ainsi nous ne commettons pas autant d'erreurs que si nous étions à la fois sans expérience et sans système de partis.
Ce qui nous trouble cependant, c'est que vous passez un message très mitigé. En tant que professeur d'université... j'ose espérer que le message que je déduis n'est pas celui que vous transmettez à bon nombre de vos étudiants. Vous allez employer des mots comme «mécanisme» et «bâton». Vous avez dit, et je cite, nous aurions «le plus terrible Parlement de l'Occident» si nous n'avions pas de code d'éthique, et que la politique n'est pas une affaire d'enfants de choeur.
Ce que vous avez dit fort à propos, c'est que notre conduite s'est améliorée par rapport au passé, et que nous n'étions soumis à aucun code strict en matière d'éthique. Donc en apparence vous dites bien gentiment, sans vouloir vous contredire, que «vous les politiques ne vous en tirez pas si mal». Mais par vos propos vous nous faites passer aussi un message très troublant en disant que nous pourrions être le plus terrible Parlement de l'Occident.
Mme Sutherland: J'espère ne pas avoir dit cela.
Mme Parrish: Vous l'avez dit. J'en ai pris note.
Mme Sutherland: Je devrai revoir ce que j'ai dit, parce que je n'aurais pas voulu dire cela.
C'est-à-dire que je ne voulais pas passer de message équivoque. Je veux vous dire que vous êtes dans une position délicate. Je n'ai pas de solution facile à vous proposer.
Mme Parrish: Si vous le permettez? Vous dites qu'il nous faut vraiment ce strict code d'éthique et que nous avons besoin d'une stricte discipline ainsi que d'avocats pour nous aider dans tout ce que nous faisons. Puis du même souffle que vous dites que quelqu'un qui est accusé publiquement, peu importe la défense qu'il invoque, donnera l'impression de se plaindre, de se lamenter et d'être coupable jusqu'à ce qu'on l'ait exonéré de tout blâme. Comment votre strict code d'éthique éliminerait-il ce problème?
Mme Sutherland: Il ne l'éliminerait pas. C'est pourquoi je dis que votre strict code d'éthique devrait contenir le moins de dispositions possibles... le moins qu'il est raisonnable d'en inclure.
Mme Parrish: Mais selon vous, les règles, quand on se fait prendre, devraient littéralement nous tomber dessus comme des matraques.
Mme Sutherland: Non. Je pense que vous devriez bénéficier de certaines protections. Je pense que le code que vous allez élaborer sera utilisé contre vous comme une matraque. Il est presque certain que le code que vous élaborez servira de norme en regard de laquelle votre conduite sera jugée. N'allez surtout pas vous attendre à ce que les médias et le public se montrent compréhensifs.
Mme Parrish: Ni de la part des partis d'opposition, car plus on nous fait mal paraître plus ils ont bonne mine.
Mme Sutherland: C'est juste. Je l'ai dit bien clairement.
Mme Parrish: Il me semble que vous avez été très claire, et je n'avais aucune raison d'être de plus en plus furieuse à mesure que je vous écoutais parler.
J'ai une fille à l'Université York. Elle vient à la maison tous les jours et dit que selon son professeur toute la classe politique est dégoûtante. Elle doit l'écouter bien tranquillement et ne pas attirer l'attention sur l'identité de sa mère. Ce professeur vient de Carleton - il vient tout juste d'arriver à l'Université York - et je pense que c'est là qu'il a pris ces idées.
Ce qui me préoccupe, c'est que vous comptez manifestement parmi les gens les plus intelligents de notre société. Vous nous avez dit qu'un code d'éthique devrait être assez général, mais que ses règles devaient être très strictement appliquées: un code mesuré, des règles strictes.
Mme Sutherland: Prudence et rigueur, oui.
Mme Parrish: Mais vous reconnaissez aussi que les médias ne vont pas s'en contenter quoi qu'on fasse. Les partis d'opposition vont s'affairer à déterrer la moindre chose, et si ce n'est pas vrai, ils vont trouver une explication.
Nous ne sommes donc pas seulement entre le marteau et l'enclume; en élaborant ce code et en faisant ce que vous proposez, est-ce que nous n'allons pas au devant de tous les coups?
Mme Sutherland: Je pense que c'est par là que j'ai commencé. Je pense que vous devrez le faire, parce que si vous ne le faites pas, ce sera pire. Les gens seront accusés sans bénéficier de la moindre protection. Le public aura l'impression que le Parlement du Canada fait figure de lanterne rouge par rapport aux autres parlements en ce qui concerne l'élaboration de ces codes, et ainsi de suite. Tout pousse à l'élaboration de codes et à la mise en place de mécanismes d'application. Cela fait partie de la vie du Parlement.
Mme Parrish: Si vous faisiez un sondage demain dans les rues, vous verriez que le pays manifeste une tendance en faveur du rétablissement de la peine capitale, ce qui ne justifie pas la chose pour autant. Avons-nous la responsabilité d'informer la population et de dire que ces code existent aux États-Unis parce que c'est inhérent au lobbying et que cela ne marche pas?
Mme Sutherland: Oui, on pourrait le dire, mais je ne pense pas que cela serve vraiment à quelque chose, puisqu'on a l'exemple d'autres parlements. Le comité Nolan ou Standards in Public Life (sur les normes dans la vie publique) vient de se réunir et présente différentes recommandations intéressantes. D'autres parlements ont aussi leur code d'éthique et c'est ce qui se passe.
Comme les abus sont inévitables, on demandera: Pourquoi le gouvernement libéral n'a-t-il pas de code d'éthique? Le gouvernement Mulroney - dont tous connaissent le sort - n'avait pas adopté de code; il n'avait prévu qu'un très faible mécanisme d'application et ainsi de suite.
Vous serez donc forcé de faire face aux problèmes à mesure qu'ils se présenteront. On peut toujours faire une petite prière et espérer qu'il n'y aura pas le moindre scandale, mais c'est fort peu probable, surtout à mesure qu'on approche de la période électorale où l'Opposition se montre un peu plus dure et moins scrupuleuse.
Par ailleurs, vous avez tout à fait raison à propos des lobbyistes aux États-Unis. Le fait est, comme vous dites, que les lobbyistes veulent gagner les voix des membres du Congrès.
Mais la situation au Canada évolue. À la Chambre des communes depuis douze ans, on s'est forcé d'accroître le rôle, le pouvoir, le pouvoir discrétionnaire qu'ont les simples parlementaires.
Vous siégez au comité de la Justice, par exemple. Il y a maintenant un sous-comité du comité de la justice qui supervise le fonctionnement du CSRS. Voilà donc différentes nouvelles choses pour un régime parlementaire qui...
Mme Parrish: Un instant s'il vous plaît. Je pense qu'il faut voir la question dans son ensemble. Nous les députés de l'arrière-banc avons peut-être un peu plus de pouvoir, mais c'est seulement dans le cadre de la discipline du parti et de l'idéologie du parti.
Je pense que ce qui s'est produit dans le cas de M. Mulroney, c'est que les gens finalement lassés des scandales, ont recouru à l'ultime code d'éthique et l'ont balancé. Ils l'ont rejeté à tel point que son caucus se réunit maintenant dans une cabine téléphonique. Si bien que je pense que l'ultime moyen dont dispose le public Canadien, c'est ce qui va contribuer à convaincre tout le monde de suivre le droit chemin.
Je voulais vous souligner une petite chose parce que je ne veux pas me lancer dans une discussion ni dans un débat interminable. Tous ceux qui ont eu des démêlés dans le passé étaient des avocats - tous sans exception. C'était aussi des hommes, soit dit en passant. Je pense donc qu'en tant qu'avocat on est d'autant mieux placé pour se tirer d'affaire s'il se trouve que l'on a des prédispositions au vol. Merci.
Le coprésident (M. Milliken): Ce n'était pas vraiment une question, n'est-ce pas? N'était-ce pas plutôt une observation?
Mme Parrish: Non, c'était une dernière salve.
Le coprésident (M. Milliken): J'aimerais poser une question au témoin avant de donner la parole au sénateur Stollery, qui est le prochain sur ma liste.
Au début de vos observations, madame, vous avez dit que le code doit primer les codes des provinces sinon nous serions écrasés. Mais vous avez ensuite dit que moins le code renferme de préceptes, mieux cela vaut. Est-ce possible de renchérir sur les provinces tout en gardant le silence sur le code?
Mme Sutherland: Oui, en s'assurant de surveiller le mécanisme de divulgation et en améliorant la transparence. Peut-être pourrait-on constituer un tribunal. Je ne crois pas que les libéraux se démarqueront très nettement des conservateurs. Je pense que vous aussi allez voir des choses survenir. La nature humaine est assez semblable de part et d'autre de la Chambre et dans toute profession.
Le sénateur Stollery (Bloor and Yonge): Monsieur le président, je serai très bref.
Vous avez fait quelques observations qui me semblent assez contradictoires. D'abord, j'ai suivi les travaux du comité Nolan et je me souviens que le sujet portait sur le fait qu'à Westminster à la Chambre des communes des députés s'étaient fait payés pour poser des questions. Des gens acceptaient de l'argent pour poser des questions au nom de certains intérêts, ce qui à ma connaissance ne s'est jamais produit à la Chambre des communes du Canada.
Si je me souviens bien, je crois avoir lu que des députés britanniques très haut placés qui n'étaient impliqués dans aucun scandale et qui jouissaient d'une excellente réputation se sont opposés à un bon nombre des recommandations du Comité Nolan. La raison qu'on invoquait - vous en avez parlé au cours de votre témoignage - c'est que les députés, à ce que je sache, sont aussi des citoyens.
M. Epp est un citoyen élu par le peuple là où il vit et est mandaté pour les représenter à Ottawa, mais il est d'abord et avant tout un citoyen. Je n'avais jamais rencontré M. Epp avant que nous nous croisions à ce comité-ci, mais je suppose qu'il est un homme d'honneur parce que je suppose que les femmes et les hommes autour de cette table sont des gens honorables, et ce sont des citoyens. Ils font partie de la population canadienne. Ce ne sont pas des bureaucrates.
Soit dit en passant, pensez aux États-Unis. Vous avez parlé de l'évolution de nos bureaucrates. La dernière fois que je me suis intéressé à la question, j'ai constaté que près de 6 000 étaient renvoyés après chaque élection fédérale. Le fait est que les hommes et les femmes qui sont ici sont des citoyens qui représentent leurs concitoyens qui les ont élus au cours d'élections équitables.
L'essentiel de vos propos, il me semble, c'est que même s'ils sont des citoyens, ils ne sont pas assez compétents. Donc nous devons trouver quelqu'un d'autre, qui en fait serait un bureaucrate, pour détenir les types de pouvoir dont vous parliez, qui en réalité superviserait les citoyens qui ont été élus dans les quelque 200 circonscriptions de tout le Canada.
Cela ne vous semble-t-il pas un peu contradictoire? Est-ce là le genre de climat qu'on veut voir naître dans un Parlement libre et ouvert?
Mme Sutherland: J'ai dit aussi clairement que j'ai pu que j'étais fermement opposé à ce qu'on soumette quiconque à une enquête digne de l'Inquisition. Je crois aux règles de la justice naturelle, celles qui s'appliquent quand on est visé et selon lesquelles on a le droit de savoir tout ce qu'on nous reproche, et on a le droit de bénéficier des mêmes protections que tout autre citoyen quand il est accusé de quelque chose.
J'aimerais que ce soit au moins inscrit dans ce code. Pour que ce soit logique, c'est à vous d'en décider, parce que je ne peux résoudre cette question ni mener cette recherche avec des moyens dérisoires. Vous, par contre, vous avez une bonne équipe de recherche. Vous devriez avoir un mécanisme qui donne aux personnes qui sont mises en accusation et qui sont impliquées dans un scandale la même protection que celle dont on jouit dans d'autres circonstances pour protéger sa réputation. On devrait être informé d'un coup plutôt que de voir des gens fouiller notre passé pendant que vous êtes là à attendre et vous morfondre.
Je pense que la méthode inquisitoriale n'est pas celle qu'il faut adopter. Je pense que vous êtes effectivement des citoyens et que vous avez droit à cette protection tout comme les fonctionnaires devraient avoir le droit de bénéficier de cette protection quand ils sont accusés, par exemple d'infractions au code d'éthique.
Je tombe peut-être dans le piège tendu aux professeurs et qui les amène à soutenir des choses avec plus de conviction qu'ils n'en n'auront jamais pour les défendre un jour, mais c'est essentiellement ce que je crois.
Le sénateur Stollery: Il me semble que vous dites que c'est la même chose pour les fonctionnaires. Bien sûr ils sont des citoyens, mais ils ne sont pas élus par leurs concitoyens des diverses régions du Canada pour se rendre à Ottawa, selon notre régime inspiré de Westminster, pour appuyer ou désapprouver le gouvernement et participer à la conduite des affaires publiques.
À vrai dire, cette pratique qui consisterait à s'amuser à accuser les gens de toutes sortes de choses n'a pas eu cours au Parlement pendant la majeure partie du temps que j'y ai passé.
En deuxième lieu, j'estime qu'il est important pour nous que les parlementaires ne soient pas des bureaucrates. À l'exception des députés de la région d'Ottawa, ils ne sont pas issus de la structure bureaucratique.
Ils sont délégués à Ottawa par la population de leur lieu d'origine et ils doivent se faire réélire. Tout le monde oublie qu'ils doivent faire renouveler leur mandat après un certain nombre d'années. Bien souvent, leurs voisins et leurs concitoyens choisissent quelqu'un d'autre pour les représenter à Ottawa.
Voilà quel genre de système nous avons. Je ne vous ai peut-être pas bien compris, mais j'ai eu l'impression que vous aviez un peu tendance à dénigrer les politiciens. Les gens qui sont élus sont envoyés ici pour participer aux compromis qui doivent se faire dans la conduite des affaires d'un pays. Il y a beaucoup à faire et de nombreux intérêts sont en jeu.
Ce sont des citoyens. Je vous ai peut-être mal compris, mais j'ai eu l'impression que vous aviez un peu tendance à malmener les politiciens. Pourtant, ce pourrait être vous. Je suppose que vous votez. Vous auriez pu vous présenter dans une circonscription et devenir député. Ce sont des gens comme vous.
Mme Sutherland: J'aurais aimé le faire. Ce qu'on peut dire des politiciens aussi bien que des fonctionnaires c'est que, dans un cas comme dans l'autre, lorsqu'on porte une accusation contre eux devant la Chambre, il est difficile de vider la question une fois pour toute. À cet égard, il me semble que certaines modalités pourraient être utiles. Il n'y a pas vraiment moyen, à l'heure actuelle, d'aller au fond des choses, de vider la question une fois pour toute.
Pour ce qui est de la civilité qui caractérise l'activité politique et la Chambre des communes, je dois dire que je ne suis pas du tout d'accord avec vous. Durant la dernière législature, on a pu voir Harvie Andre implorer ses collègues de baisser le ton de quelques crans durant la période des questions et de se modérer dans leurs accusations. Il y aurait d'ailleurs bien des choses à dire au sujet de la période de questions, mais, évidemment, c'est l'occasion pour bien des gens de former leurs opinions au sujet des politiciens et de la Chambre des communes. C'est assez peu édifiant.
Le sénateur Stollery: Je ne suis pas d'accord, j'ai eu l'occasion d'être élu ou nommé à diverses charges. J'ai pu constater sans l'ombre d'un doute que c'est un endroit où on se comporte de façon civile et courtoise, même s'il y a des exceptions, bien sûr.
Merci, monsieur le président.
Le sénateur Gauthier (Ontario): Professeur Sutherland, je dois dire que vos réponses me rendent perplexes.
Vous semblez attacher beaucoup d'importance à un code de conduite qui contiendrait un ensemble de principes, ce que j'accepte, et à la divulgation complète, ce que vous acceptez je crois mais que vous n'avez pas défini. Pouvez-vous m'aider à mieux comprendre ce que vous voulez dire par divulgation complète.
Vous proposez un tribunal d'adjudication, qui doit être crédible. Selon vous, il ne doit pas être composé de parlementaires de la Chambre ou du Sénat, puisqu'il pourrait alors y avoir apparence de conflit d'intérêts. Il doit donc s'agir de personnes qui viennent d'ailleurs.
Je ne comprends pas tout à fait ce que vous voulez dire lorsque vous nous parlez d'un code qui doit être progressiste tout en étant aussi simple que possible.
Je vous poserai donc trois questions. Vous voudrez peut-être y répondre en ordre inverse.
Tout d'abord, que signifie pour vous un code d'éthique simple? En français, nous avons l'expression «déontologie», qui est plus juste que celle que nous utilisons ici. J'ai tenté de la faire changer. Un jour peut-être, nous parlerons d'un code de déontologie plutôt que d'un «code de conduite», une expression qui pourrait être discutable. En anglais, lorsque l'on parle d'un code de conduite, c'est de bonne conduite dont il est question. En français cependant, un code de conduite n'a pas nécessairement de connotation éthique. Je tenais à le signaler en passant.
Pouvez-vous me dire ce que vous entendez lorsque vous parlez d'un code simple? Également, que signifie d'après vous la divulgation complète et comment choisiriez-vous les membres de ce fameux tribunal qui se pencherait sur les divers dossiers ou sur les allégations faites à la Chambre ou ailleurs?
J'aurais également une autre question à vous poser par la suite.
Mme Sutherland: Je dois tout d'abord dire que je suis contente que cette tâche soit la vôtre et non pas la mienne. Un code simple comporterait quelques grandes lignes directrices, comme celles dont je vous ai parlé, qui correspondraient aux types d'écarts de conduite qui guettent les titulaires de charge: inciter ou obliger autrui à agir en utilisant ses fonctions pour son gain personnel ou pour obtenir certains avantages partisans. Voilà l'essentiel.
Puis, il y a la question de la divulgation qui doit, selon moi, être résolue en fonction de la situation. D'après ce que j'ai pu lire au sujet de l'éthique parlementaire au Canada, il pourrait être intéressant d'étudier des dossiers de l'organisme responsable des questions de discipline pour faire une analyse empirique des situations qui ont été les plus difficiles à traiter ou qui ont été les plus pénibles. Cela pourrait donner lieu à des surprises. Le public apprendrait peut-être des choses qu'il ne sait pas. Ce que voit le public, c'est ce que monte en épingle les médias: le fait qu'on embauche les enfants de ses collègues ou que l'on utilise à mauvais escient les budgets de la circonscription. Voilà ce que relève les médias. C'est justement ce genre de choses qui ont troublé les gens durant le mandat de M. Mulroney.
Il serait donc utile de déterminer de façon empirique ce qui trouble les gens dans le comportement de la Chambre des communes, et de tenter de trouver des solutions. Il pourrait s'agir de fournir davantage d'aide professionnelle aux nouveaux parlementaires, de leur expliquer, par exemple, que les budgets qui leur sont alloués ne doivent pas nécessairement être dépensés, et de les encourager à réfléchir aux conséquences avant d'approuver certains types de dépenses.
On pourrait également en faire autant au sujet des membres du personnel des parlementaires. Il s'agit d'être particulièrement prudent dans les domaines où les difficultés risquent de survenir.
Le sénateur Gauthier: La plupart des aspects que vous avez abordés jusqu'à maintenant sont visés par la Loi sur le Parlement du Canada ou par le Code criminel. Je dirais même que tout ce que vous avez abordé est visé par la Loi du Parlement du Canada ou le Code criminel. Nous n'en sommes pas à des questions d'éthique. C'est tout simplement illégal.
Mme Sutherland: C'est exact.
Le sénateur Gauthier: Il est tout à fait illégal d'embaucher un membre de sa famille. Tous les parlementaires le savent très bien.
Mme Sutherland: Il faut peut-être réaffirmer...
Le sénateur Gauthier: Ceux qui enfreignent la loi s'exposent à des poursuites aux termes de la Loi sur le Parlement du Canada ou du Code criminel.
Parmi les 14 personnes réputées avoir commis des écarts de conduite ou des effractions quelconques, il y en avait 4 ou 5 qui étaient visés par la Loi électorale du Canada, ce qui n'avait rien à avoir avec le Code criminel ou la Loi sur le Parlement du Canada. Il s'agissait d'entorses mineures au règlement, de personnes, par exemple, qui avaient fait de la publicité avant la date prévue. Il n'y avait rien de criminel là-dedans. Pourtant, la GRC a poussé l'affaire dans les manchettes lorsqueM. Inkster a déclaré que 14 députés faisaient l'objet d'une enquête de la part de la GRC. Quelle absurdité.
Mme Sutherland: Il y avait à un moment donné une division distincte de la GRC qui était chargée des activités des parlementaires. Dans la mesure où vos recherches en confirment l'utilité, ne serait-il pas opportun de regrouper en une seule mesure législative toutes les dispositions qui concernent la conduite et les activités au criminel?
Le sénateur Gauthier: Au sujet de la divulgation. Quel pourcentage de son budget un député consacre-t-il aux salaires, au loyer, au téléphone, aux frais fixes? N'est-ce pas 90 p. 100 ou plus? Il se peut que 10 p. 100 du budget serve à la recherche dont un député peut avoir besoin parce qu'il est le porte-parole de son parti ou pour une autre raison. Il ne s'agit pas d'un montant important.
Quel est le budget total d'un député à l'heure actuelle? Est-ce 175 000$ par année?
Une voix: C'est 180 000$.
Le sénateur Gauthier: Il y a donc 10 000$ peut-être qui peuvent servir à embaucher des adjoints pour faire du travail spécialisé. Ce n'est pas grand-chose.
Mme Sutherland: Je vous comprends très bien. Voilà pourquoi il me semble que les codes ne sont pas vraiment nécessaires. Cependant, je crois qu'il existe un problème d'image.
Le sénateur Gauthier: Vous ne croyez pas qu'il soit nécessaire que les parlementaires divulguent la quantité de papier ou le nombre de crayons qu'ils ont utilisés durant le mois. J'ai entendu un parlementaire - qui n'est pas ici aujourd'hui - aller jusqu'à dire que tout, y compris les tasses à café, devait être imputé et qu'il fallait aller jusqu'à compter les feuilles de papier, les enveloppes et ainsi de suite.
C'est une bureaucratie que vous voulez créer? Allez-y; je vous laisse le champ libre. Par contre, je m'en lave les mains.
Mme Sutherland: Ce n'est pas ce que je préconiserais moi non plus, mais il faut dire que certains membres de la présente législature jouent aux vierges offensées. Pourtant, lorsque le précédent gouvernement a quitté, vous vous souviendrez de certains reportages - qui ont d'ailleurs beaucoup fait jaser - selon lesquels des fonctionnaires du Parlement ont dû récupérer des télécopieurs et des ordinateurs auprès de députés sortants.
On peut bien dire que de telles choses n'arrivent pas souvent, mais c'est malheureusement ce qui retient l'attention. On a tendance à se souvenir de l'épisode des 15 députés et des reportages au sujet de parlementaires qui se renvoyaient l'ascenseur en embauchant les enfants de leurs collègues.
Comme certains députés l'ont dit plus tôt, vous avez un problème d'image. À vous d'adopter une stratégie qui vous permettra de le surmonter. Il serait peut-être utile, comme on l'a dit plus tôt, de regrouper toutes les dispositions pertinentes.
Aucun enseignement n'est donné sur ces questions à l'université. Il n'existe absolument aucun cours sur l'éthique. Lorsque mes collègues et moi avons rédigé le livre it*Corruption, character and conduct, nous avons dû couvrir passablement de terrain: la Loi sur le Parlement du Canada, le Code criminel, le Code d'éthique ministériel et puis la possibilité d'un code du même genre pour les députés. On finit par ne plus savoir où donner de la tête.
Pour vous, il n'y a peut-être là rien de nouveau. C'est simple comme bonjour, simple comme semblent à moi les règles qui concernent les examens généraux que doivent subir les étudiants au doctorat. Il leur faut souvent six mois, les pauvres, pour déterminer combien d'examens ils auront à passer.
Je pense que les médias ont la partie facile. Malheureusement, la population a tendance à retenir ce genre de nouvelles. C'est à vous d'avoir l'audace d'imaginer des mesures qui auront pour effet de protéger les droits des citoyens et des personnes comme le sénateur Stollery, qui estimait devoir protéger la réputation des parlementaires canadiens de mes attaques.
Je souhaite sincèrement que les députés fassent preuve de modération dans leurs discours à la Chambre des communes, qu'ils fassent preuve de civilité, qu'ils adoptent un ton moins accusateur, tout en imaginant un système aussi intéressant que convaincant et dont même les cyniques devront reconnaître la transparence et la pertinence.
Le sénateur Gauthier: Je suis peut-être naïf, mais comme vous le savez sans doute, les gens bien intentionnés n'ont pas nécessairement le haut du pavé au Parlement. Cela, je puis vous l'assurer.
Mme Sutherland: Je crois qu'on peut en dire autant du milieu universitaire.
Le sénateur Gauthier: Vous avez parlé des avocats. Vous avez dit que les parlementaires qui avaient supposément enfreint le code devraient avoir accès à des avocats. Qui va donc rémunérer ces avocats qui coûtent très cher? Si vous ne savez pas combien ils coûtent au juste, je puis vous présenter des factures.
Je parle ici d'allégations et non pas de ce qui se passe une fois qu'une affaire est devant les tribunaux. Je parle tout simplement d'allégations, d'une étape antérieure à la comparution devant le tribunal.
Estimez-vous que le Parlement, étant donné que la responsabilité est la sienne en partie...puisque l'activité parlementaire peut causer du tort, un tort considérable à des innocents. Il est question ici de présomptions. Il est question de perceptions et d'impressions. Encore la semaine dernière, à la Chambre, j'ai entendu quelqu'un parler d'une impression que le public pouvait avoir. J'ai été stupéfié. Il suffit que quelqu'un ait l'impression qu'il est possible qu'une personne se comporte d'une façon incorrecte pour qu'on en fasse tout un plat et nous passons alors une heure et demie à débattre d'une impression.
Une voix: Le cas d'un prêtre catholique me vient à l'esprit...
Le sénateur Gauthier: En effet, c'est comme pour un prêtre catholique, c'est la même chose. Qui donc doit rémunérer ces avocats?
Mme Sutherland: Vous devriez peut-être imiter les avocats et les médecins en vous assurant, ou en versant ces 10 000$ dont vous avez parlé à une cagnotte qui servirait à payer les frais de comparution devant les tribunaux.
Le sénateur Gauthier: Vous dites que des fonds publics devraient servir à cette fin. Je ne suis pas certain que...
Mme Sutherland: En effet, je me dois d'être prudente.
Le sénateur Gauthier: Je vous invite à la prudence à ce sujet.
La Chambre dispose d'excellents avocats. Ils conseillent les parlementaires à la demande de ces derniers, au sujet de certains problèmes d'ordre juridique. Pourquoi n'aurions-nous pas accès à eux?
Mme Sutherland: En effet, pourquoi pas?
Le sénateur Gauthier: Je vous pose la question. Je n'en sais rien.
Mme Sutherland: Je ne vois pas en quoi cela pose problème.
J'ai relu cet après-midi certains documents au sujet des attaques de Diefenbaker et de Nielsen sur les trois... Cela m'est resté en tête, puisque je me suis demandé comment il serait possible de vider une telle question dans le contexte d'une législature minoritaire. Il n'y a aucun moyen d'épuiser la question. Le cas de la Loi sur les tribunaux du Royaume-Uni m'a alors paru intéressant. Lorsqu'une affaire s'envenime sérieusement et menace de mettre les accusés en très mauvaise posture, on la confie à un tribunal. Le processus prend alors la forme d'une enquête quasi judiciaire. L'enquête est présidée par un juge, un dignitaire à la retraite ou toute personne qui jouit du prestige nécessaire. Toutes les parties sont représentées. Elles ont l'occasion de contester les allégations qui pèsent contre elles. On en arrive à vider la question.
Ce qui posait problème, à mon avis, dans le cas de l'enquête au sujet de Sinclair Stevens, c'est qu'un juge se penchait de façon fort compétente sur les accusations portées contre Stevens, mais qu'il le faisait à la lumière d'un code de conduite dont il faut dire qu'il était extrêmement généreux.
Le sénateur Gauthier: Oui, mais qui a payé toutes les factures? En savez-vous quelque chose?
Mme Sutherland: En effet, je le sais.
Le sénateur Gauthier: Qui, pensez-vous, a payé la note? Vous et moi.
Mme Sutherland: Oui, bien entendu.
Le sénateur Gauthier: La question que j'ai à vous poser est fort simple. Étant donné que la consigne durant la période antérieure aux accusations - à savoir la période durant laquelle on fait des allégations, on fait des enquêtes, durant laquelle les policiers viennent chez vous, munis de mandats, pour examiner tous vos livres - consiste à dire qu'il faut tout d'abord et surtout de bons conseillers juridiques qui vont vous dire comment ne rien dire.
Je vous demande de nous dire, en fin de compte, pourquoi le Parlement ne réglerait pas la note. C'est ce qu'il fait à l'heure actuelle. Si vous me répondez par la négative, alors nous devrons modifier la pratique actuelle et trouver une source secrète de financement qui permettra d'aider ceux qui, souvent, sont les moins en mesure de se protéger eux-mêmes, ceux qui, comme moi, ne sont pas des avocats et ne comprennent pas grand-chose aux questions juridiques.
Mme Sutherland: Ou simplement des gens qui ont tendance à trop parler et à trop donner d'explications. Plus on donne d'explications, plus on proteste, et plus on s'embourbe, plus on s'expose aux contradictions. Il est plutôt facile, n'est-ce pas, de mettre quelqu'un en contradiction avec lui-même. C'est un jeu d'enfant. Il suffit de prendre un de ces déclarations en l'exagérant et de la lui mettre sous le nez. Rien de plus simple.
Le sénateur Gauthier: Je ne crois pas avoir entendu votre réponse au sujet de l'utilisation de fonds publics. Y êtes-vous favorable ou non?
Mme Sutherland: Si ceux qui oeuvrent dans des institutions publiques sont pris à partie, ils devraient certainement être protégés par des fonds publics.
Le coprésident (M. Milliken): Merci, sénateur.
Monsieur Szabo, veuillez poursuivre.
M. Szabo (Mississauga-Sud): J'ai été fort impressionné par les six raisons que vous avez énumérées. Le gouvernement actuel a été élu par moins de 45 p. 100 de l'électorat. À tout moment, je suppose, au moins 50 p. 100 des gens sont insatisfaits des élus, puisque le gouvernement ne correspond pas à leurs attentes. Voilà une donnée qui ne va pas changer.
Pour ce qui est de l'inexpérience des députés, ce sont les électeurs qui les choisissent. Dans le cas des médias, ils sont tellement puissants qu'il faudrait peut-être les élire.
Des voix: Bravo!
Le sénateur Gauthier: Je suis d'accord.
M. Szabo: À titre de député, ma plus grande déception jusqu'à maintenant a été de ne pas avoir eu l'occasion de déclarer publiquement que je souhaite faire mon travail sans abuser de ma charge à mon avantage personnel ou à l'avantage d'autres peprsonnes ou au détriment de qui que ce soit; que je vais employer les ressources dont je dispose uniquement dans l'exercice de mes fonctions de député et que je vais me conduire d'une façon honorable, honnête et correcte. Je souhaitais avoir l'occasion de faire une telle déclaration dès mon arrivée ici. Je voulais dire que j'étais disposé à me conformer aux normes dès le premier jour et à me soumettre au jugement de mes pairs en la matière.
Voilà qui soulève une question intéressante. Vous ne semblez pas favoriser un énoncé de principes comme celui que je suis disposé à respecter. Vous semblez préférer quelque chose de plus précis. Cependant, dans la mesure où ce serait plus précis, il faudrait, comme vous l'avez dit également, des mesures de mise en application et de réglementation. Un avocat m'a dit un jour dans sa sagesse que les règles ne valent pas plus que les pénalités dont elles sont assorties. Quelles sont donc les conséquences de ne pas suivre les règles?
D'après les annales des affaires politiques au Canada, on constate que, lorsque les parlementaires ont eu recours aux tribunaux comme c'est leur droit, ils n'ont généralement pas mené à terme les procédures avant les prochaines élections et ils ont donc dû se soumettre en définitive au jugement du peuple, le seul vrai juge de la valeur morale et de la valeur intrinsèque des députés.
En l'absence de règles détaillées, estimez-vous qu'il serait constructif que les députés souscrivent publiquement et ouvertement à un énoncé de principes?
Mme Sutherland: Il faut voir les deux côtés de la médaille. Chacun doit se conduire selon sa conscience. Le genre d'énoncé que vous venez de faire est fort attrayant. À titre d'enseignante, je partage vos sentiments. Je n'impose pas mes opinions aux étudiants. Lorsque j'attribue des cotes à des travaux, je ne le fais pas à la légère. Je veille attentivement à ce que les femmes timides aient l'occasion de parler autant que des personnes qui sont plus extroverties, etc.
Il y a bien des choses que nous faisons avec grand sérieux et lorsque quelqu'un nous demande si cela a de l'importance, nous sommes bien obligés de répondre que oui. La tâche qui est la mienne est exigeante et noble et je souhaite l'accomplir de mon mieux. Je tiens à la satisfaction du devoir accompli.
J'estime donc que, dans votre énoncé liminaire, vous devez parler du coeur et dire quels sont vos objectifs comme parlementaires. Par ailleurs, comme je l'ai déjà souvent dit, c'est l'équité qui prime.
On parle de perceptions. Nous n'avons pas parlé jusqu'à maintenant de ce qui se passe à l'heure actuelle dans les universités. Il serait beaucoup trop simple de faire de la rectitude politique le bouc émissaire. En réalité, les professeurs sont exposés à bon nombre des mêmes accusations que les députés. Dans un cas comme dans l'autre, on est en situation de pouvoir et d'autorité et on peut en faire mauvais usage, etc. Il est bien difficile de répondre à ce genre d'accusations.
Selon bien des gens, il serait utile de pouvoir inviter les accusateurs à mettre cartes sur table, moyennant certaines mesures de protection élémentaires.
M. Szabo: Merci.
Le coprésident (M. Milliken): Monsieur Epp, avez-vous une autre question?
M. Epp: En réalité, je suis quelque peu désolé du départ du sénateur Stollery, puisque j'aurais aimé qu'il participe au débat.
Le coprésident (M. Milliken): L'occasion se présentera certainement.
M. Epp: J'en suis convaincu.
Dans le cas où la différence entre le bien et le mal est très claire, il n'y a, à mon avis, aucun problème. Par exemple, si j'apporte chez moi le télécopieur du bureau pour l'utiliser à des fins personnelles, sans jamais le retourner par la suite, je suis fautif. Cela ne fait aucun doute. Je ne crois pas qu'il faille un tribunal ou un document qui précise qu'il est interdit d'apporter un télécopieur à la maison. Ce n'est pas nécessaire.
Les cas qui nous causent des difficultés sont ceux où il est nécessaire de faire preuve de discernement. Par exemple, le sénateur Gauthier vient tout juste de signaler que la partie discrétionnaire de notre budget ne se chiffre qu'à 10 000$, le reste étant pratiquement dépensé à l'avance. Cependant, nous continuons d'avoir une marge de manoeuvre dans l'embauche.
Comment aborder cet aspect? Il est évident que je ne vais pas embaucher - ce que je n'ai d'ailleurs pas fait - la personne qui a dirigé la campagne libérale dans ma circonscription. Par contre, je ne veux pas qu'on m'accuse de faire preuve d'un esprit de parti éhonté. Je ferais preuve de favoritisme en ne considérant que la candidature de personnes qui m'ont soutenu durant ma campagne électorale. Je dois manifester un sens de l'équilibre.
Il en va de même pour mon bureau. Dans quel immeuble vais-je louer de l'espace? Est-ce que je favorise une personne qui a soutenu financement ma campagne ou est-ce que je fais preuve d'impartialité? Comment prouver mon impartialité aux bonnes gens de Elk Island que je représente?
Avant de louer un bureau, j'ai demandé toute une série de soumissions. J'ai choisi, me semble-t-il, en fonction de l'intérêt du contribuable.
Je crois bien pouvoir dire que les gens de ma circonscription me font confiance parce que j'ai été très transparent sur ces questions. Je leur ai fait part de mes démarches dans les journaux locaux et ils sont donc au courant. Que dire, donc, du député qu'on accuse de favoritisme dans le choix de ses locaux? Comment régler ce problème?
Mme Sutherland: Je ne le sais pas. Ne fait-on pas face à un problème de même nature lorsqu'un ministre doit conclure un marché concernant un édifice public? Le problème est de même nature et il me semble que la seule façon de convaincre le public de sa neutralité consiste à aller à l'encontre de son intérêt et en l'occurrence, par exemple, à embaucher le directeur de campagne du camp adverse.
Voilà pourquoi je parle de marché de dupes. Tout devient extrêmement difficile lorsque nous commençons à nous éloigner de la civilité, lorsque nous nous mettons à chercher la paille dans l'oeil du voisin et lorsque nous transformons tout scandale et toute peccadille de la vie politique en objet de sensationnalisme dans les médias.
Les gens ont des vies intéressantes, comme en témoignent le procès d'O.J. Simpson et les accusations portées contre M. Clinton par une Américaine. La situation évolue et ce qui est dans les médias devient le discours communément accepté. C'est ainsi que des réputations se perdent et que le cynisme grandit. C'est pourquoi je suis pessimiste quant à la possibilité de stopper cette dynamique.
M. Epp: Je signale en passant que je suis parmi ceux qui sont arrivés ici, comme M. Szabo vient de le dire, armés d'idéaux et désireux de faire du Parlement un endroit plus civil. Je continue de maintenir que mon principal objectif est d'offrir aux gens qui nous ont élus un bon gouvernement au moindre coût. Je ne m'intéresse pas beaucoup aux attaques personnelles.
Toutefois, il est vrai, comme vous l'avez fait remarquer, qu'à nos débuts, les médias nous sont tombés dessus à bras raccourcis. Ils nous accusaient d'incompétence crasse parce que nous ne disions jamais rien de mal à propos du gouvernement. C'était notre rôle à titre d'opposition, du point de vue des médias, et comme nous ne jouions pas ce rôle, ils s'en prenaient à nous.
Ces derniers mois, nous nous sommes mis à la tâche pour essayer de trouver des choses négatives à dire à propos de certains ministres. Nous avons effectivement trouvé des arguments. Que ce soit vrai ou non, je suppose que c'est notre rôle de poser des questions. Voilà que tout à coup, nous recevons des félicitations. Je n'aime pas cela. Franchement, je me sens mal à l'aise à ce sujet, et pourtant c'est la réalité politique à laquelle nous sommes confrontés.
Mme Sutherland: Je suis absolument d'accord avec vous. Ce qui se passe, c'est que les médias vous châtient afin de vous forcer à jouer le petit jeu politique comme il a toujours été joué, d'après eux, parce qu'il y a là matière à des reportages plus faciles. D'après un tel, tel ou tel ministre a fait telle ou telle chose et doit donc démissionner. Mais le ministre le savait-il?
On l'a vu dernièrement dans le cas du ministre des Finances. Avait-il approuvé les augmentations de salaire des fonctionnaires de la Banque du Canada? Il a fait l'innocent et a dit qu'il n'était absolument pas au courant. Les médias demandent donc qui était au courant et descendent l'échelle de la hiérarchie jusqu'à ce qu'ils trouvent un fonctionnaire qui doit assumer le blâme, parce qu'il n'a pas mis le ministre au courant.
En fait, le ministre a peut-être bien jeté un coup d'oeil sur un bout de papier, mais compte tenu de la quantité de documents dont il prend connaissance, il l'a peut-être oublié. C'est arrivé il y a longtemps. Pourquoi doit-il prétendre qu'il est omniscient et qu'il se rappelle tout ce qu'il voit? Pourquoi ne peut-il pas tout simplement dire qu'il va examiner l'affaire? C'est le même genre de prudence dont votre collègue parlait. C'est essentiellement la façon dont il faut aborder les choses, parce que telle est la dynamique.
Il y aurait peut-être un autre moyen de lutter contre la montée du cynisme. Il s'agirait de donner aux comités de véritables pouvoirs et des mandats valables, comme dans le cas du Comité des comptes publics, ce qui leur permettrait d'être plus actifs et plus indépendants, au lieu de se contenter de passer en revue le rapport du Vérificateur général chapitre par chapitre. Les parlementaires pourraient peut-être bien se tailler un rôle en s'en tenant au principe, au lieu de jouer ce genre de politique, mais cela nous éloigne passablement de la question qui nous occupe ce soir.
M. Epp: Merci.
Monsieur le président, je pourrais poursuivre, mais je vais résister à la tentation et je vous dis merci. Je vois que je fais des heureux.
Le coprésident (M. Milliken): Je crois que cela met fin aux questions. J'ai complété ma liste et je vois qu'il est 21 heures.
Je vous remercie d'être venue, professeur. Vous avez manifestement suscité une foule de questions de la part des membres du Comité. Comme toujours, la discussion a été intéressante et je vous remercie d'avoir pris la peine de venir comparaître.
Mme Sutherland: C'est un plaisir pour moi que d'être ici. Je suis certaine que vous entendrez des gens comme Ken Kernaghan et John Langford de Colombie-Britannique. Ils font davantage confiance aux codes.
J'essayais plutôt de replacer le code dans le contexte des défis que les parlementaires doivent relever.
Le coprésident (le sénateur Oliver): Vous avez réussi.
Mme Sutherland: Merci beaucoup.
Le coprésident (M. Milliken): Merci d'être venue.
Sénateur Gauthier.
Le sénateur Gauthier: Monsieur le président, je m'excuse d'être arrivé en retard, mais j'ai ici un avis de convocation qui dit 19h30. Je suis arrivé à 19h30, mais vous aviez déjà commencé la séance. J'espère qu'on va y remédier. Merci beaucoup et je m'excuse encore.
Mme Sutherland: C'est un plaisir pour moi d'en discuter, peu importe à quelle heure.
Le coprésident (M. Milliken): La présidence présente également ses excuses pour l'erreur.
Le sénateur Gauthier: À qui? Vous l'avez fait. Bon, merci. Il faut bien que quelqu'un assume la responsabilité ultime.
Le coprésident (M. Milliken): Je dois dire que je croyais moi-même que c'était à 19h30, mais je suis passé devant la salle avant 19 heures et c'est alors que j'ai constaté l'erreur.
Merci.
Mme Sutherland: Vous vous débrouillez très bien sur le plan de la civilité.
Le coprésident (M. Milliken): En effet.
La séance est levée.