[Enregistrement électronique]
Le mercredi 26 avril 1995
[Traduction]
Le président: Bonsoir à vous tous. Nous allons poursuivre la séance de ce soir. Nous en sommes à notre deuxième journée d'audiences.
Il s'agit du Colloque sur la situation de la faune au Canada. Nous avons déjà reçu deux groupes de témoins et nous allons en entendre un autre ce soir, sur le thème général des stratégies et de l'intendance. Ce groupe traitera des modèles, et possiblement des modèles de réussite.
Nous accueillons quatre témoins ce soir. D'abord, M. Germaine, qui est président suppléant du Conseil de gestion de la harde de caribous de la Porcupine. Bienvenue, monsieur Germaine. Il est accompagné de M. Bob Whittam, directeur exécutif du Wye Marsh Wildlife Centre. Bienvenue, monsieur Whittam.
Nous avons également parmi nous le célèbre et facilement reconnaissable Kevin McNamee, directeur exécutif, je pense, de la Fédération canadienne de la nature, et
[Français]
M. Louis Gagné, le président de SARCEL, soit la Société d'aménagement récréatif pour la conservation de l'environnement du lac Saint-Pierre.
[Traduction]
Monsieur Germaine, encore une fois, je vous souhaite la bienvenue. La parole est à vous.
M. Billy Germaine (président suppléant, Conseil de gestion de la harde de caribous de la Porcupine): J'aimerais tout d'abord remercier les membres et le président du comité de m'avoir invité.
J'aimerais me présenter. Je suis de la région centrale du Yukon. Je suis vice-président du Conseil de gestion de la harde de caribous de la Porcupine. Je suis membre du Conseil depuis cinq ans environ. C'est un conseil très intéressant.
Le président: Êtes-vous venu jusqu'à Ottawa en canot?
M. Germaine: Non.
J'aimerais vous parler un peu de notre stratégie et de notre modèle d'intendance. C'est un modèle de réussite.
J'aimerais parler de la harde et de son habitat. La première question que les gens se posent quand ils entendent parler de la harde de caribous de la Porcupine, c'est: «pourquoi, de la Porcupine?». Certains font des commentaires et nous demandent si ces caribous sont couverts de piquants ou s'il s'agit de hardes de porc-épic. Cela s'explique par un manque de communication entre les Canadiens et les Américains et entre les gens en général.
La harde de caribous de la Porcupine tire son nom de la rivière Porcupine qui coule du nord du Yukon jusqu'au nord-est de l'Alaska, où elle se jette dans le fleuve Yukon, à Fort Yukon. Chaque automne, la harde de caribous de la Porcupine franchit la rivière Porcupine du côté canadien en se dirigeant vers le sud pour se rendre dans ses quartiers d'hiver, au Yukon. Puis, au printemps, elle retraverse la rivière et se dirige au nord, vers ses terrains de mise bas dans la réserve faunique nationale de l'Arctique en Alaska - il s'agit plus précisément des terres «1002». C'est de ces terres que les Américains veulent extraire du pétrole. Je vous en reparlerai un peu plus longuement.
La harde de caribous de la Porcupine compte 152 000 caribous des toundras qui se déplacent entre le nord-est de l'Alaska, le nord du Yukon et les monts Richardson, à l'ouest du delta du Mackenzie - une aire géographique qui englobe également les territoires traditionnels des Gwich'in, des Han, des Tutchonis du nord des Inuvialuit et des Inupiat. Aujourd'hui, ces peuples vivent dans 15 collectivités situées sur les territoires ou à proximité de l'habitat des caribous où l'on chasse les caribous à longueur d'année, et ces collectivités dépendent des caribous selon les saisons.
La gestion dans le passé: étant donné que la harde de caribous se déplace entre deux nations, traversant un État, deux territoires et les réserves de cinq premières nations, il a toujours été difficile de faire une gestion et une conservation efficaces. Dans le passé, on a géré la harde de caribous de la Porcupine au moyen d'une série de politiques et de règlements disparates et d'études effectuées par des organismes environnementaux du territoire, de l'État et du gouvernement fédéral. Ainsi, il était courant, à l'époque, de voir les cartes du territoire de la harde de caribous se terminer à la frontière de chaque administration, comme si le reste du monde n'existait pas. Les règlements de chasse étaient aussi élaborés de façon indépendante, et il n'y avait pas de coordination de la protection de l'habitat.
Les autochtones ne participaient guère à la gestion. Depuis toujours, un ministère donné décidait de faire une recherche sur les caribous, débarquait sans prévenir dans la collectivité autochtone, effectuait du travail sur place, préparait un rapport interne scientifique et prenait ensuite des décisions administratives sans avoir conculté le public, ou très peu, et sans avoir fait de coordination avec d'autres administrations.
Au Canada, on a fait ressortir ces problèmes en 1977, lors des audiences sur le pipeline de la vallée du Mackenzie au cours desquelles le juge en chef, Tom Berger, a recommandé qu'un conseil de cogestion soit établi pour la harde de caribous de la Porcupine. Néanmoins, ce n'est qu'en 1985 qu'une entente à ce sujet a été signée au Canada par les deux gouvernements territoriaux, le gouvernement fédéral et trois organisations des premières nations.
La gestion à l'heure actuelle : l'entente sur la gestion de la harde de caribous de la Porcupine a été conçue pour pallier au manque chronique de communication et de collaboration entre les biologistes, les bureaucrates, les politiciens et les premières nations afin d'en arriver à une approche concertée pour la gestion et la conservation de la harde de caribous de la Porcupine. Ces documents sont désignés comme des ententes de «cogestion» pour souligner le besoin de collaboration entre toutes les parties concernées.
L'entente de cogestion prévoit la création d'un Conseil de cogestion composé de huit représentants du gouvernement fédéral et des gouvernements territoriaux ainsi que des premières nations du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest. Le Conseil a pour mandat de présenter, aux ministres territoriaux et fédéraux concernés, des recommandations sur la gestion de la harde de caribous au Canada et plus précisément d'améliorer les communications entre tous les intéressés et de favoriser une grande participation de la collectivité à la prise de décisions.
Le Conseil existe depuis 1986 et a fait, au cours des neuf dernières années, plusieurs réalisations importantes dans des aspects fondamentaux de la cogestion. En voici quelques-unes.
Le consensus: Le Conseil de gestion de la harde de caribous de la Porcupine s'est toujours composé d'une majorité de membres autochtones qui aurait pu dominer le Conseil en vertu du principe de la majorité. Cependant, lorsque le Conseil a rédigé ces procédures opérationnelles, les autochtones qui en étaient membres ont demandé que les décisions soient prises non pas par vote majoritaire mais par consensus, comme le veut la tradition chez les premières nations. Dans ce contexte, le consensus signifie qu'aucune décision ne peut être prise tant que l'on a pas tenu compte adéquatement des préoccupations de tous les membres ou, si cela n'est pas possible, tant que tous les membres, au moins, ne se sont pas entendus sur une façon de procéder en reconnaissant que des compromis acceptables avaient été faits.
Le Conseil de gestion de la harde de caribous de la Porcupine fonctionne par consensus depuis neuf ans et préfère cela, de loin, à toute autre façon d'aborder la cogestion. Vu la nécessité d'en arriver à un consensus, aucun membre ne sent qu'on lui impose des décisions et même si le processus peut être beaucoup plus long pour les questions complexes, les recommandations qui en résultent reçoivent un appui beaucoup plus fort autant au sein du Conseil que des collectivités qui utilisent la harde de Caribous.
La communication: Étant donné que l'une des principales tâches était d'améliorer la communication entre toutes les parties concernées par la gestion des caribous, le Conseil a entrepris une étude pour déterminer quelles étaient les méthodes de communication qui fonctionnaient le mieux, surtout chez les utilisateurs. En se basant sur cette étude, le Conseil administre un programme de communication imaginatif et complet qui comprend des annonces vidéo et des documentaires, des bulletins radiophoniques bi-hebdomadaires, des entrevues et des annonces à la radio, des articles de journaux mensuels, des visites de collectivités, des affiches, des réunions publiques et des rapports sommaires.
Par conséquent, le public du Nord est mieux informé sur les questions qui touchent les caribous de la Porcupine que sur presque toute autre question d'environnement. De même, quand des problèmes précis surgissent, comme le projet de mise en valeur des ressources pétrolières présentes dans les terrains de mise bas des caribous, le Conseil dispose d'une variété de stratégies de communication éprouvées pour informer le public et les gouvernements de l'effet de ces mesures sur la harde de caribous de la Porcupine.
La planification: Le plus grand défi de toute organisation de gestion est peut-être de produire un plan général de gestion. On sait qu'un plan est bon s'il est pratique et facilite la gestion au lieu d'être relégué aux oubliettes.
Puisque le gouvernement et les représentants des collectivités avaient demandé que le plan de gestion des caribous soit à la fois succinct et axé sur les mesures à prendre, le Conseil a produit le plan de gestion de la faune le plus original qui soit. Il s'articule essentiellement autour d'un tableau où chaque figure représente un aspect de la gestion dont il faut s'occuper. Ces composantes se divisent à leur tour en projets annuels précis pour des organisations particulières qui doivent faire rapport un fois par an au Conseil. Des mises à jour à insérer sont envoyées chaque année aux abonnés du plan pour les informer de ce qui se fait en matière de gestion et des modifications apportées.
Le plan part du principe que le bien-être du caribou passe avant tout et que les intérêts humains sont secondaires. On peut le constater dans le tableau du plan et les objectifs énoncés qui sont, pour les caribous «être en santé et nombreux, avec utilisation libre du territoire traditionnel», et pour les personnes «poursuivre l'utilisation faite depuis toujours des caribous et apprécier pleinement les caribous et leurs territoires».
Ce type de plan s'est révélé si populaire qu'il sert maintenant de modèle pour d'autres plans généraux comme d'autres plans de gestion et de conservation du versant nord et le plan de gestion intégrée du gros gibier de Mayo.
La protection de l'habitat: En 1980, le Congrès américain a adopté la Loi sur la conservation des terres d'intérêt national en Alaska. Cela a permis de doubler la réserve faunique nationale de l'Arctique. Cependant, il était prévu à l'article 1002 de la loi qu'avant de désigner la plaine côtière de l'Arctique comme réserve faunique, il fallait attendre que le ministère américain de l'Intérieur ait évalué le potentiel pétrolier de la région.
En 1987, le ministère de l'Intérieur a déclaré qu'il y avait 20 p. 100 des chances que l'on trouve du pétrole exploitable dans la plaine côtière (aujourd'hui appelée les terres «1002») et que c'est la harde de caribous de la Porcupine qui met bas dans cette région qui en subirait le plus les conséquences. Étant donné qu'il s'occupe de la gestion et de la conservation de la harde au Canada, le Conseil de gestion des caribous de la Porcupine a immédiatement informé le gouvernement du Canada et celui des États-Unis des effets dévastateurs qu'un déclin de la harde aurait sur les collectivités autochtones qui comptent sur elle pour assurer leur survie économique et culturelle.
Au cours des huit dernières années, le Conseil a délégué plusieurs représentants autochtones à Washington pour témoigner à des audiences du Congrès et y visiter des bureaux. De même, il permet à des représentants des utilisateurs de parcourir les États-Unis pour renseigner les Américains sur les préoccupations du Canada à propos de la réserve de l'Arctique et de la harde de caribous.
Au début de l'année, le Conseil a réussi à faire en sorte que la question soit abordée au Sommet Clinton-Chrétien et à obtenir des déclarations individuelles d'appui du premier ministre Chrétien, de la ministre de l'Environnement, Sheila Copps, et du ministre des Affaires étrangères, André Ouellet.
Le rôle des représentants des utilisateurs autochtones a toujours passé avant tout dans les différentes activités du Conseil relatives aux terres 1002, car ce sont les cultures autochtones du territoire des caribous qui souffriront le plus si l'on autorise l'exploitation des ressources pétrolières sur les terres de mise bas de la harde des caribous de la Porcupine, dans la réserve nationale de faune de l'Arctique, en Alaska.
À l'heure actuelle, la menace est à son plus fort dans cette région à cause de la majorité républicaine aux deux chambres du Congrès et des délégués de l'Alaska comme présidents des comités du Congrès qui ont compétence sur cette question. Cependant, grâce à l'appui ferme du gouvernement canadien, de l'administration américaine et, en particulier, des premières nations tant en Alaska qu'au Canada, il y a tout lieu d'espérer que la crise actuelle sera désamorcée et que la plaine côtière de l'Arctique, qui est le coeur biologique de toute la région écologique englobant la réserve de l'Arctique ainsi que les parcs nationaux Ivvavik et Vuntut, au Canada, sera désignée réserve faunique permanente.
En résumé, l'évolution de la gestion et de la conservation de la harde de caribous de la Porcupine d'un ramassis de politiques gouvernementales disparates à un système national et international bien coordonné auquel participent étroitement les utilisateurs autochtones est une véritable réussite et un excellent modèle de gestion et de conservation de la faune pour n'importe quelle région du monde.
Les principes fondamentaux qui contribuent au succès de cette gestion sont: le respect sincère qu'ont, entre eux, les utilisateurs, les bureaucrates et les scientifiques, un mélange d'approche traditionnelle des non autochtones face à la prise de décision et l'objectif commun de conserver, pour les générations futures, une population de caribous en santé sur son territoire traditionnel.
J'aimerais ajouter que l'homme a tendance à oublier la faune et la nature qui l'entourent car le développement économique a toujours pris le pas sur la faune et son habitat. Cette tendance doit être renversée.
Si nous regardons autour de nous, tout ce qui nous entoure - la voiture que nous conduisons, les vêtements que nous portons - nous viennent de notre mère la terre, c'est-à-dire la nature. En tant qu'être humain, nous faisons partie de la nature. Il faut sans cesse nous en rappeler. Nous ne devrions jamais l'oublier. Nos enfants aussi en font partie et nous n'avons pas le droit de l'oublier.
J'aimerais vous remercier d'avoir pris le temps d'écouter ce que j'avais à vous dire avec un esprit et un coeur ouvert. J'aimerais vous remercier de m'avoir invité. Je ne pense pas qu'il y ait pour moi ni pour vous un ailleurs. Nous sommes ici pour rester et nous devons léguer un bon héritage aux générations futures.
Le président: Nous vous remercions également, monsieur Germaine, d'avoir parcouru un si long chemin pour nous apporter votre rapport, pour nous apporter de bonnes nouvelles sur les terres 1002 et pour nous rassurer sur le sort de la harde. J'ai beaucoup aimé votre référence à l'évolution de la gestion et de la conservation de la harde de caribous de la Porcupine «d'un ramassis de politiques gouvernementales disparates» - combien ces termes sont bien choisis - «à un système national et international bien coordonné».
Nous sommes heureux de votre participation et nous serons heureux de pouvoir vous poser des questions tout à l'heure. Nous avons trouvé votre exposé fort rassurant. Nous sommes extrêmement heureux que vous ayez pu venir.
Monsieur Whittam, je vous en prie.
M. Bob Whittam (directeur exécutif, Centre de la faune du Wye Marsh): Monsieur le président, mesdames et messieur les membres du comité, je vous remercie de m'avoir invité à votre tribune sur les stratégies et la gestion.
Il y a vingt-cinq ans, le 5 juin 1970, l'honorable Jean Chrétien procédait à l'ouverture officielle du Wye March Wilfide Centre (le Centre Wye Warch). M. Chrétien était à l'époque ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, et responsable du Service canadien de la faune.
La création du Centre Wye March faisait partie d'un plan, mis au point par le SCF, visant à établir des centres d'interprétation faunique dans chacune des régions biotiques du pays. Chaque centre devait raconter l'histoire unique des habitants, de la faune et du paysage de la région afin de permettre aux Canadiens et aux visiteurs qui se déplacent à la grandeur du pays d'apprécier davantage le Canada.
Le Centre Wye Marsh est le premier des centres qui devait être créé aux termes du plan. Les autres furent établis à Percé et à Cap Tourmente, au Québec, à Webb, en Saskatchewan, et à Creston, en Colombie-Britannique. Malheureusement, le plan visant à offrir une interprétation du visage écologique d'une extrémité à l'autre du pays ne fut jamais achevé. En novembre 1984, de sévères compressions budgétaires obligèrent le SCF à couper de nombreux programmes de recherche sur la faune et à mettre fin à tous les programmes d'interprétation dans les cinq centres et dans les autres réserves nationales de la faune. Ce retrait soudain a obligé chaque centre à mettre au point de façon autonome un plan de survie.
J'aimerais vous raconter ce soir l'histoire vécue par le Centre du marais Wye Marsh qui, nous l'espérons, peut servir d'exemple d'une lutte et d'une réussite mettant en cause une opération de privatisation et une gestion par la collectivité.
Lorsque les coupures furent annoncées en 1984, le Centre du marais Wye faisait face à un avenir sombre. Mais heureusement, nous avions des amis. Les amis de Wye Marsh avaient été constitués en 1983 en tant que groupe qui collaborait avec le SCF. A titre de société à but non lucratif possédant le statut d'organisme de charité enregistré, les amis apportaient un soutien bénévole au Centre et exploitaient un petit magasin de cadeaux dont les modestes recettes servaient à soutenir les programmes du Centre.
Lors de la crise de 1984, cependant, Les amis du marais Wye ont entrepris une campagne visant à prévenir la fermeture du Centre en s'adressant aux organismes de conservation, aux clubs de services, aux conseils scolaires, aux associations touristiques, aux représentants du gouvernement fédéral, des provinces et des municipalités et au grand public. Grâce à leur détermination et à leur travail acharné, Les amis du marais Wye ont pu amorcer une vague de fonds qui leur a permis de trouver des appuis nécessaires pour prendre en main de façon officielle le fonctionnement du Centre en avril 1985 - il y a presque 10 ans jour pour jour.
Selon les dispositions de l'entente conclue à cette date - et encore en vigueur aujourd'hui - le site continuait d'appartenir à Environnement Canada et Les amis du marais Wye devenaient responsables du fonctionnement du Centre. L'entente prévoyait le versement d'une subvention unique et l'octroi d'un prêt sans intérêt par Environnement Canada devant permettre à l'entreprise de se développer. L'entente portait sur une période de dix ans. Elle fait au moment où nous parlons l'objet d'une renégociation.
La gestion des amis de Wye Marsh est assurée par un conseil d'administration, composé de représentants de divers secteurs de la collectivité. Constitué au départ d'un groupe d'environ 100 personnes, les amis comptent maintenant plus de 2 000 membres et donnateurs. Le centre gère un budget de plus de 1,4 million de dollars, dont la majorité provient de sources privées.
Nous offrons maintenant des programmes d'interprétation faunique à l'année longue à plus de 60 000 visiteurs y compris plus de 15 000 enfants d'âge scolaire. Je suis heureux d'entendre tous ces commentaires sur l'importance accrue de l'éducation environnementale.
Les amis de Wye Marsh emploie neuf personnes à plein temps et plus de 20 personnes sur une base saisonnière. Plus de 500 bénévoles participent aux activités de levée de fonds telle que la tenue de festivals et de dîners bénéfices. Ils prêtent aussi leur concours pour effectuer du travail de bureau et l'entretien des installations et participer aux programmes d'éducation publique.
Nous offrons au public des marches guidées axées sur des thèmes fauniques, l'accès à des sentiers d'interprétation de la nature, des promenades dans le marais, des excursions en canot et un certain nombre d'activités récréatives.
Pendant toute l'année, la tenue d'événements spéciaux permet de recueillir des fonds et de sensibiliser les gens à tout ce qui touche à la faune. L'événement marquant de l'année est le festival Wye Marsh, une manifestation consacrée à la promotion de l'environnement. Tenue chaque année dans la région de Wye et dans toute la région du Midland, le festival Wye Marsh en est maintenant à sa 10e saison. Il a été lancé tout de suite après la perte du financement du gouvernement. L'événement attire 10 000 visiteurs dans la région, offrant ainsi des avantages économiques et éducationnels à la région en allongeant la saison touristique jusqu'à l'automne.
Le Centre a pu survivre grâce à un partenariat avec la collectivité et à l'utilisation de diverses stratégies de marketing. Il importe de faire connaître ces stratégies car, à titre d'ancien biologiste au SCF, j'ai dû jouer un rôle de gestionnaire de l'entreprise pour lequel j'étais mal préparé. Je dis souvent avoir quitté les services de la faune juste au moment où j'ai véritablement rejoint ses rangs - un licencié heureux.
On n'enseigne pas aux biologistes du SCF des principes de gestion et de marketing mais grâce à des gens d'affaires avisés et à des partenaires dans la collectivité, notre apprentissage fut rapide. Si des commerçants peuvent vendre tous ces hamburgers en s'appuyant sur des programmes de marketing, nous pouvons certes arriver à sensibiliser la population à l'environnement, à la conservation et à la connaissance de la faune en utilisant des techniques semblables.
La façon de présenter la question de l'écologie des terres humides était un élément crucial pour notre survie. L'un de nos principaux partenaires a été la station de télévision CKVR de Barrie qui a fait de la publicité pour notre centre en nous offrant du temps d'antenne gratuit d'une valeur dépassant les 150 000 dollars par année sur une période de cinq ans.
Qui s'intéresse au marais? Tous, s'ils sont conscients de leur valeur, et ce partenariat avec la station CKVR a contribué grandement à diffuser le message.
Le Centre a aussi lancé de nouveaux programmes importants pour la survie de la faune en faisant appel à des stratégies novatrices en matière de gestion de la faune, de recherche et de planification de l'environnement. Depuis 1986, nous avons participé à un programme fascinant de gestion de la faune - la réintroduction du cygne trompette. Cet oiseau faisait autrefois partie de la vie faunique dans l'Est du Canada. On trouve des indices qui permettent de croire qu'avant l'arrivée des Européens, il se reproduisait des côtes de l'Atlantique à celles du Pacifique. La vallée de Wye possède les meilleurs dossiers archéologiques de l'espèce dans l'Est du Canada, qui proviennent des dépotoirs datant du XVIIe siècle de la mission de Ste. Marie chez les Hurons.
Cependant, les cygnes trompettes étaient vulnérables aux pressions de la chasse et aux pertes de terres humides. Ils disparurent en bonne partie à mesure que la colonisation a progressé. Ils constituaient un élément important de notre ensemble de terres humides se nourrissant surtout de plantes aquatiques qu'ils allaient chercher à des profondeurs d'environ 1 mètre. Leur réservoir d'alimentation se situe entre ceux des canards de surface et des canards plongeurs. Leur disparition de l'Est du Canada a contribué à réduire la biodiversité des terres humides.
Le Comité sur le statut des espèces manacées de disparition au Canada (CSEMDC), dont vous avez entendu à plusieurs reprises les représentants, inclut les cygnes trompettes à la liste d'environ 237 espèces vulnérables, en danger ou menacées de disparition. Selon ce comité les cygnes trompettes appartiennent à la catégorie des espèces vulnérables.
En 1993, on a procédé à l'élevage de six cygnes sauvages au centre Wye Marsh, les premiers cygnes trompettes à vivre à l'état sauvage dans le sud de l'Ontario depuis plus de 200 ans. Depuis lors, le programme du Centre a permis de mettre en liberté 24 oiseaux, tandis qu'une volée de22 autres oiseaux attendent le moment d'être libérés. C'est la bonne nouvelle.
La mauvaise nouvelle est que le programme de mise en liberté des cygnes à Wye Marsh a dû être interrompu parce que plus de la moitié des oiseaux relâchés sont morts, empoisonnés après avoir absorbé des grenailles de plomb.
Les cygnes trompettes sont un symbole important de ce problème environnemental terrible. Grâce au dévouement du personnel du Centre Wye Marsh, on a surveillé avec grand soin l'effectif des cygnes trompettes sur place, ce qui a permis de recueillir des données précieuses sur l'empoisonnement attribuable à l'absorption de grenailles de plomb provenant des cartouches perdues.
La réserve provinciale de faune du marais Wye a été désignée zone de chasse non toxique pour le gibier aquatique, conformément à la politique du «point chaud» applicable aux régions à problèmes et mise au point par le ministère des Ressources naturelles de l'Ontario et le SCF. Nos données indiquent que cette stratégie du «point chaud» appliquée à un problème de toxicologie de la faune n'est pas efficace et qu'il faut imposer une interdiction à l'échelle provinciale et même fédérale pour appuyer la réglementation actuelle en vigueur aux États-Unis.
L'interdiction d'utiliser des cartouches à grenailles de plomb pour la chasse aux oiseaux aquatiques annoncée récemment par la Colombie-Britannique est une excellente nouvelle. L'Ontario et le Canada devraient imiter l'initiative de la Colombie-Britannique et fournir ainsi une amorce de solution au problème de l'empoisonnement du gibier aquatique et permettre par la même la réintroduction d'espèces vulnérables comme le cygne trompette.
Grâce à l'aide financière provenant du fonds créé par le Société Scott Paper Limited pour la survie des cygnes trompettes et du fonds d'assainissement des Grands Lacs, le Centre Wye Marsh a entrepris des recherches sur l'empoisonnement au plomb et sur la façon de corriger le problème en rendant les grenailles de plomb non accessibles au gibier aquatique une fois que leur utilisation a été interdite. Étant donné que les grenailles de plomb qui se sont déposées dans les terres humides demeurent accessibles au gibier aquatique de façon indéfinie, ce projet de recherche est d'une importance cruciale pour les gestionnaires de la faune. L'étape première la plus importante consiste à adopter une loi interdisant l'utilisation des cartouches toxiques partout au Canada.
Le centre Wye Marsh participe aussi à l'effort international visant à redonner une santé écologique au bassin des Grands Lacs. Nous jouons le rôle de facilitateur de la participation du public au plan de mesures correctives (PMC) de Severn Sound, une initiative du gouvernement du Canada et de l'Ontario visant à améliorer la qualité de l'eau. Par le biais de notre apport au PMC, nous avons participé à la restauration d'habitats fauniques et aquatiques, à des projets de contrôle de la pollution, à des recherches sur la qualité de l'eau et à des études sur la faune.
Le processus du PMC est un exemple de partenariat réussi. Dans le secteur de Severn Sound, le gouvernement fédéral est un partenaire actif, qui unit ses efforts à ceux du gouvernement provincial et des municipalités, de personnes et de goupes communautaires comme Les amis de Wye Marsh. Dans le cadre de notre partenariat avec le PMC de Severn Sound, l'un de nos objectifs vise à soutenir et à améliorer la sensibilisation de la population à l'égard des questions écologiques, afin qu'une tradition de gestion éclairée puisse être maintenue par une collectivité renseignée et motivée.
Que de chemin parcouru. Nous sommes fiers de nos nouvelles initiatives dans les domaines de gestion de la faune, de la recherche et de la planification environnementales. Nous sommes fiers de participer à l'effort international d'assainissement du bassin des Grands Lacs et d'offrir au public des services et des programmes éducationnels, surtout aux jeunes. Cette terre humide qu'est le marais Wye est maintenant devenu un bien précieux pour notre collectivité à cause de ses avantages en tant que ressources naturelles, ressources économiques, centre de formation et partenaire important dans l'industrie touristique.
La mission du Centre Wye Marsh est de susciter et de stimuler la sensibilisation, la formation, l'intérêt et l'appréciation du public à l'égard de la science, de la faune et des terres humides. C'est un défi de taille qui n'a pas été facile à relever. Permettez-moi de vous suggérer qu'il ne serait peut-être pas judicieux non plus d'utiliser le Centre Wye Marsh comme modèle national pour tous les projets de collaboration entre le gouvernement fédéral et les provinces.
L'ingéniosité, l'esprit d'entreprise et le travail acharné ont permis d'assurer la survie du Centre, mais ce dernier continue à lutter pour maintenir son autosuffisance. Nous n'avons pas les moyens d'entreprendre des projets de rénovation majeurs et des travaux d'entretien non essentiels, et nous devons continuer de compter sur le dévouement extraordinaire de nos employés et de bénévoles pour assurer le fonctionnement du Centre - comme beaucoup d'ONG de nos jours.
L'établissement d'un véritable partenariat entre le secteur public et le secteur privé met en cause une démarche fondée sur le dialogue, le compromis et l'esprit de collaboration. La simple fermeture d'un établissement public, sans la tenue de négociations avec le secteur privé, ne mènera pas à un processus de transition efficient. Le fonctionnement du Parc national de la Pointe Pelée devra-t-il être assuré par Les amis de la Pointe-Pelée, ou celui du Parc provincial Algonquin, par Les amis du parc Algonquin? Il est tout simplement irréaliste de nourrir des attentes de ce genre, mais c'est ce que l'on attendait des Amis de Wye Marsh lorsqu'on a coupé les ressources financières accordées jusque-là au Centre.
Les coupures budgétaires soudaines dont le SCF a été victime en 1984 et, plus récemment, au printemps de cette année, ont créé un manque à gagner que le secteur privé peut difficilement combler. La décision de faire participer le secteur privé n'est pas remise en cause ici; l'aspect crucial est plutôt la façon dont cette décision est prise. Un partenariat devrait faire l'objet d'une planification soignée, non pas être imposé dans un contexte de vie ou de mort.
Si nous nous entraidons afin de préciser le rôle des partenariats entre le secteur privé et le secteur public des organismes non gouvernementaux s'intéressant aux questions écologiques comme Les amis de Wye Marsh pourront alors contribuer à comprimer les dépenses publiques.
On a calculé que, pendant les 10 dernières années, Les amis de Wye Marsh ont permis au gouvernement d'économiser au-delà de 3 millions de dollars par le biais d'une stratégie de type commercial appliquée à la conservation de la faune et à des programmes de formation. C'est un chiffre conservateur. Il dépasse probablement plutôt les 5 millions de dollars. Cependant, le modèle qu'est le Centre Wye Marsh doit être appliqué avec discernement. Il ne faut pas effectuer des coupures et des compressions et s'attendre ensuite à ce que le secteur privé prenne la relève. Les intervenants des deux secteurs doivent unir leurs efforts et planifier la transition, ce qui exige temps, préparation et formation afin de développer un sens des responsabilités de gérance.
Par définition, un gérant est une personne à qui l'on a confié la responsabilité de gérer une propriété au nom de son propriétaire. Nous ne sommes pas propriétaires de terres humides et de la faune. Nous en sommes les gérants ou les gestionnaires. On a souvent répété que nous gérons la planète au nom de nos enfants et que l'objectif que nous poursuivons consiste à la remettre dans un meilleur état que celui dans lequel nous l'avons reçue de nos prédécesseurs. Pour être de bons gestionnaires, il importe de saisir l'importance de la valeur des terres confiées à nos soins.
Le Canada a la responsabilité de gérer plus de 127 millions d'hectares de terres humides, soit un quart du stock mondial des terres humides. Les terres humides sont une composante essentielle à la survie de la planète, non seulement parce qu'elles servent d'habitat pour les espèces menacées mais aussi parce qu'elles représentent un élément vital de l'économie et des écosystèmes mondiaux. Sur le plan écologique, comme vous le savez tous, elles jouent le rôle de système de recharge des eaux et elles servent à protéger le littoral et à contrôler la crue des eaux.
Comme les terres humides sont des refuges pour les animaux à fourrure, les poissons, les reptiles, les amphibiens et toute une myriade d'invertébrés et de plantes, elles contribuent ainsi à préserver la biodiversité des espèces en remplissant le rôle de berceau de la nature. Étant donné que les terres humides sont des puits naturels pour les substances polluantes, on les considère comme les reins de la nature qui assurent la purification de l'eau.
Dans une perspective socio-économique, les terres humides sont importantes pour l'industrie de la chasse, de la pêche et du piégeage. Elles sont un attrait pour des activités touristiques et récréatives telles que l'observation des oiseaux. Elles sont une source de produits forestiers et agricoles. Les terres humides sont des habitats riches en ressources qui se prêtent à la mise sur pied de programmes de formation et de recherche scientifique comme ceux que nous offrons au centre Wye Marsh. En tant qu'élément du patrimoine naturel, leur valeur dépasse les 10 milliards de dollars annuellement au Canada. Il suffit de maintenir leur humidité pour assurer leur survie.
Cependant, en dépit de leur importance écologique et économique, nous laissons ces ressources se perdre et se dégrader au Canada. Nous savons déjà perdu 65 p. 100 des marais salés du littoral de l'Atlantique, jusqu'à 98 p. 100 des marais situés dans les zones urbaines, 68 p. 100 de ceux situés dans le sud de l'Ontario, 50 p. 100 des puits naturels du centre des Prairies et 70 p. 100 des marais dans les estuaires du Pacifique. Ces données sont tirées du document intitulé «Politique fédérale sur la conservation des terres humides», qui fut d'ailleurs rendu public par le gouvernement fédéral en 1992 au Centre Wye Marsh.
Vous devez appuyer l'objectif de cette politique qui consiste à empêcher toute perte nette des ressources en terres humides et sa stratégie principale qui vise à sensibiliser la population dans l'ensemble du pays aux programmes relatifs aux terres humides, en collaboration avec des organismes non gouvernementaux et le secteur privé, comme Les amis de Wye Marsh.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir donné cette occasion de décrire devant vous les efforts que nous déployons au Centre Wye Marsh dans le domaine de la sensibilisation aux questions de conservation et de gestion de la faune. Notre travail acharné a eu pour objet d'assurer la survie dans l'ensemble important des terres humides et d'offrir à la population des programmes de sensibilisation et d'éducation afin de la rendre consciente de l'importance de la faune et des terres humides. Nous sommes fiers de nos réalisations et du fait que l'on nous considère comme un modèle de réussite en matière de gestion. Toutefois, l'exemple du Centre Wye Marsh démontre qu'une délégation de responsabilités, et non pas leur abandon au nom d'un partenariat, offre les meilleures chances de succès.
Au moment de partager notre expérience avec d'autres Canadiens, il ne faut pas oublier de rappeler la responsabilité du gouvernement fédéral de maintenir en bon état l'ensemble des terres humides et des ressources fauniques qui y vivent, en collaboration avec les provinces, le secteur privé et des organismes non gouvernementaux. Il importe d'accorder votre soutien au SCF, le gestionnaire fédéral de la faune et des terres humides. Il est crucial de maintenir votre appui au programme de PMC, aux termes de l'entente entre le Canada et l'Ontario. Il importe aussi au plus haut point que vous continuiez d'appuyer la recherche portant sur les espèces menacées ou déracinées, telles que le cygne trompette, ainsi que les initiatives en matière de politique de la faune visant à interdire l'utilisation des cartouches au plomb. Le gouvernement fédéral doit renouveler son engagement envers la gestion de notre environnement naturel et réitérer son appui au programme de sensibilisation et d'éducation dans la population, de sorte que cet esprit de gestion responsable des ressources puisse être transmis aux générations futures.
Je vous remercie infiniment de votre attention.
Le président: C'est nous qui vous remercions, monsieur Whittam de nous avoir rappelé les pertes subies dans les marais de l'Atlantique, du sud de l'Ontario, des Prairies et du Pacifique.
Vous avez tout à fait raison. Il nous faut tout faire pour que les terres humides ne perdent aucune de leurs fonctions. Il est bon de nous rappeler la responsabilité du fédéral de maintenir en bon état l'ensemble des terres humides et les ressources fauniques qui y vivent, en collaboration avec les provinces, le secteur privé et les organismes non gouvernementaux. C'est un rappel tout à fait opportun et nous ne l'oublierons certes pas.
Encore une fois, merci.
Monsieur McNamee, voudriez-vous commencer, s'il vous plaît?
M. Kevin McNamee (directeur, Programme des espaces naturels, Fédération canadienne de la nature): Merci, monsieur le président. Bonsoir. J'aimerais aussi vous remercier de m'avoir offert cette occasion de vous entretenir ce soir sur cette question des stratégies et de la gestion: des modèles de réussite dans la protection des espèces sauvages et des habitats fauniques.
J'aimerais également vous féliciter de prendre le temps d'étudier cette question. Le moment est tout à fait opportun.
Avant de commencer, monsieur le président, j'aimerais vous signaler qu'en 1995 nous célébrons deux centenaires importants. Le premier concerne le Centenaire du réseau des parcs provinciaux du Québec établi en 1895.
C'est également l'année du Centenaire du Parc national des lacs Waterton en Alberta. Il est intéressant de noter, au sujet de Waterton, qu'au moment où le gouvernement a envisagé de le transformer en parc national, certains fonctionnaires ont rappelé au ministre qu'il y avait déjà trois parcs nationaux à Banff, Glacier et Yoho et qu'il n'était donc pas nécessaire d'en ajouter un autre. Heureusement, le ministre de l'époque leur a répondu que l'on allait créer ce parc national et que la postérité leur en serait reconnaissante.
Le Parc Waterton est donc devenu parc national en 1895. C'est aujourd'hui devenu un refuge faunique très important pour les grizzly. C'est un parc très important pour la paix internationale. C'est aussi un endroit où les citoyens et les éleveurs travaillent ensemble pour protéger cette région. C'est un des joyaux les plus magnifiques de notre réseau de parcs nationaux. Il doit son existence au fait que les habitants de la région craignaient de perdre leur terre.
Depuis plus d'un siècle, le Canada protège et gère la nature sauvage grâce à ses parcs.
Je suis le directeur du programme des espaces naturels de la Fédération canadienne de la nature. Je suis aussi coordonnateur fédéral chargé des espaces en danger pour le Fonds mondial pour la nature. L'objectif que je me suis donné, c'est la réalisation complète du réseau des parcs nationaux d'ici l'an 2000. Je m'occupe du dossier des zones protégées et de la faune depuis 12 ans. J'ai travaillé à de nombreux dossiers en matière de parcs naturels, y compris ceux de South Moresby, de Tatsenshini, du parc national des Prairies et de celui de Wood-Buffalo.
D'entrée de jeu, je reconnais avoir un préjugé favorable à l'endroit de la nature canadienne et suis persuadé qu'il faut en protéger de grands secteurs. De nombreux succès ont été remportés. En effet, Canards Illimités et la Société canadienne pour la conservation de la nature ont réussi à protéger des terrains privés et créer des fiducies foncières. Quant à moi, j'aimerais parler aujourd'hui de la protection des grandes aires de nature sauvage.
Depuis 12 ans, à titre de défenseur des parcs nationaux, d'usager des parcs provinciaux et nationaux et d'enseignant à l'Université Trent pendant un semestre ou deux, j'ai rencontré un grand nombre de Canadiens passionnés de nature sauvage et de faune qui adorent leurs parcs. Ils se tournent vers les autorités pour que celles-ci prennent l'initiative et fassent davantage, et eux-mêmes sont prêts à faire don de leur temps et de leur argent pour accomplir cette tâche.
Les zones protégées sont un élément crucial - mais pas le seul - de la protection de la faune et de la nature canadiennes. De plus en plus, la science nous apprend que le développement des fonds de vallée empiète sur l'habitat de l'ours brun, du loup et du caribou. Ces espèces sauvages ont besoin de territoires vierges. Quand je parle de zones protégées, je parle d'endroits où il n'y a ni exploitation minière ou forestière, ni prospection gazière ou pétrolière ni aucune autre activité semblable.
Je signale que les pouvoirs publics, tant fédéraux que provinciaux, l'industrie et les éleveurs se sont enfin entendus sur un plan de gestion des versants de l'est des Rocheuses de façon à ce que le Parc national de Banff, d'autres zones protégées ainsi que les terrains privés puissent être gérés en concertation pour protéger l'habitat en voie de disparition de l'ours brun.
Il faut savoir qu'au Canada aucune loi n'oblige les autorités à protéger ce qui nous reste de nature sauvage ou à créer de nouveaux parcs. C'est l'appui de la population et la volonté politique qui, seuls, nous donneront de nouvelles zones protégées. Vous, députés du Parlement du Canada, avez donc un rôle très important à jouer ici.
Notre économie, notre culture et nos lois ne reconnaissent toujours pas qu'il nous faut des zones naturelles inviolées. Il faut se battre pour obtenir la moindre parcelle. C'est pourquoi, après 100 ans passés à créer des zones protégées, à peine 5,2 p. 100 du territoire national bénéficie d'une protection juridique et plus de 60 p. 100 a été mis en valeur ou le sera, avec pour résultat que nous perdons un kilomètre carré de zone sauvage l'heure.
Monsieur le président, permettez-moi également de signaler l'éminente contribution du Service canadien de la faune et de Parcs Canada à nos programmes de conservation. Parcs Canada est le premier service national du genre au monde. Or, à cause de la réorganisation actuelle du service public, je crains que ces deux organismes prestigieux ne soient en train de vivre une mort lente.
D'autres vous ont peut-être dit qu'il est indispensable d'achever le réseau des zones protégées d'ici la fin de l'an 2000. La carte que vous voyez à l'écran illustre les 424 régions naturelles du pays. C'est l'État lui-même qui les a définies. L'objectif est d'avoir une zone protégée pour chacune des 424 régions naturelles.
Le Fonds mondial pour la nature a lancé en 1989 une campagne échelonnée sur dix ans dans le but d'amener les pouvoirs publics à atteindre ce but d'ici l'an 2000. De fait, nous n'avons fait que fixer une échéance à un objectif qu'ils avaient établi dans les années soixante-dix. Il n'y a donc rien là de nouveau, sauf l'échéance politique que nous avons fixée.
Les autorités ont souscrit à cet objectif. En 1992, tous les ministres de l'Environnement, des Parcs et de la Faune du Canada ont signé une déclaration inter-conseils à Aylmer, au Québec, aux termes de laquelle les 13 gouvernements se sont engagés à accomplir cette tâche d'ici l'an 2000.
À ce jour, sur les 424 régions naturelles, 5 p. 100 sont représentées en totalité, 45 p. 100 en partie et 55 p. 100 pas du tout. C'est à ces 55 p. 100 qu'il faut se consacrer dans les années à venir.
Tout à l'heure, j'ai félicité le Service canadien de la faune non seulement parce que c'est un bon service mais aussi parce que c'est un de ses représentants qui s'occupe de mes diapositives. J'ai donc besoin de lui.
Monsieur le président, je rappelle également que dans le Livre rouge du Parti libéral, celui-ci s'engage à travailler en concertation avec les pouvoirs publics provinciaux et territoriaux pour préserver à l'état sauvage le patrimoine naturel de chaque région, illustré tout à l'heure sur la carte, d'ici l'an 2000. J'insiste sur l'expression «en concertation».
La question est de savoir comment s'y prendre. Le gouvernement fédéral n'a toujours pas fait connaître sa stratégie. L'achèvement du réseau des parcs nationaux est certes une étape importante mais il faut aussi étudier d'autres méthodes de concertation. Comment peut-on gérer ensemble les parcs nationaux et provinciaux? Il n'est pas nécessaire qu'il y ait deux services publics qui gèrent le même territoire. Peut-être Parcs Canada pourrait-il mettre une partie de ses moyens à la disposition des gouvernements provinciaux.
Il faut modifier la Loi de l'impôt sur le revenu, un texte fédéral, pour que les Canadiens puissent céder des terrains voués à la conservation sans être assujettis à l'impôt sur les gains en capital. Le budget fédéral de 1995 comportait des mesures positives, mais il faut davantage.
Dans certaines régions du pays, les autochtones aimeraient qu'on les aide à apprendre à administrer et à gérer les parcs territoriaux ou provinciaux dans lesquels ils évoluent. Peut-être aussi pouvons-nous nous servir des terrains du ministère de la Défense si ceux-ci deviennent excédentaires.
Nous en avons un bel exemple avec la base militaire de Suffield, en Alberta, qui a transformé une partie de son terrain en Réserve nationale de faune. Il se trouve que dans les Prairies, c'est le ministère de la Défense qui occupe ou détient une partie de nos précieuses prairies herbeuses en voie de disparition.
Et si je vous donnais des exemples de réussites? Les médias nous ont habitués à entendre parler d'échecs et de conflits. Pourtant, en Colombie-Britannique, la nation Haisla a réservé la vallée de Kitlope et une compagnie forestière a renoncé à de vieux peuplements d'une valeur de 12 millions de dollars si bien que la plus grande forêt pluviale tempérée du Canada est maintenant protégée.
En 1989, la population de Paulatuk a décidé que la protection du troupeau de caribous de Bluenose était essentielle à son mode de vie et à son économie dans les Territoires du Nord-Ouest. Elle a demandé à Parc Canada de collaborer avec elle pour créer un parc national.
Dans le nord de la terre de Baffin, une communauté autochtone a jugé que la protection de la baleine boréale était essentielle pour elle. Aujourd'hui, elle collabore avec le ministère des Pêches et des Océans et Environnement Canada en vue de créer la réserve nationale de faune d'Iqalirtuuq. Je pense qu'il serait bon, monsieur le président, que la ministre Copps accorde son appui à cette idée le moment venu.
En Ontario, dernièrement, le parc provincial de Waqbakimi a vu sa superficie passer à un million d'hectares parce que, encore une fois, les pouvoirs publics, l'industrie, les écologistes et les autochtones se sont entendus.
Je pourrais continuer encore longtemps. Je connais des exemples de compagnies qui ont renoncé à leur bail d'exploitation minière, pétrolière et gazière en faveur du parc national de Vuntut.
Qu'est-ce qui explique cette collaboration? Premièrement, et je vous invite à y réfléchir, le gouvernement a fixé des objectifs clairs en matière de zones protégées. Il a indiqué à la population qu'il nous faut des échantillons représentatifs de notre patrimoine naturel et qu'il faut protéger l'habitat délicat de la faune. Deuxième, les citoyens eux-mêmes reconnaissent qu'il faut intervenir. Troisièmement, les gens savent que l'État dispose des instruments juridiques nécessaires. Quatrièmement, il arrive que l'État reconnaisse la nécessité de la concertation. Cinquièmement, les gens ne veulent pas toujours être en situation de conflit. Sixièmement, l'industrie veut que les pouvoirs publics commencent dès maintenant à désigner les zones protégées pour qu'elle sache avec certitude quelles sont les terres accessibles et quelles sont celles qui ne le sont pas.
Pour abréger, je vais sauter certains passages et abandonner mes diapositives. Je vous ferai parvenir le reste par écrit.
J'aimerais signaler d'autres choses. Le Conseil de gestion des bisons du Nord avait été créé de façon temporaire il y a deux ans pour examiner la proposition d'abattage de bisons qu'envisageait le gouvernement dans le parc national de Wood Buffalo. Pendant plus d'un an, les gens se sont réunis pour examiner la question puis ont présenté un rapport au gouvernement il y a deux ans. Nous n'avons pas eu de réponse.
Mon message, monsieur le président, c'est que si les gouvernements veulent favoriser la concertation pour résoudre les problèmes de conservation, il se doit de fournir une réponse à la population en retour.
D'autre part, Parcs Canada a déposé dernièrement à la Chambre un rapport sur l'état des parcs. Je suggère que votre comité ou celui du Patrimoine canadien tienne des audiences pour discuter de ce rapport et de nos progrès en matière de protection des parcs nationaux et de parachèvement du réseau des parcs.
Troisièmement, dans le cas de deux parcs nationaux, le programme d'acquisition des terres n'a pas été financé. On a promis aux Canadiens de parachever le parc national des Prairies et celui de la péninsule Bruce. Pourtant, le premier n'est qu'à moitié terminé. La Fédération canadienne de la nature et la Société canadienne pour la conservation de la nature ont collecté 80 000$ en vue de l'achat de terrains mais aucun crédit n'a été prévu dans les quatre derniers budgets. Nous sommes en train de perdre un habitat des prairies très important et je n'ai pas besoin de vous rappeler que la chouette des terriers que l'on y trouve a maintenant été placée dans la catégorie des espèces en voie de disparition. Et au moment où je vous parle, des terrains sont à vendre dans la péninsule Bruce.
Là où je veux en venir, monsieur le président, c'est que si l'État n'a plus de crédits pour se porter acquéreur de terrains privés destinés à ces deux parcs nationaux, qu'il nous le dise. Qu'on le sache, et l'on envisagera d'autres stratégies pour protéger les terres, mais ne les laissons pas sombrer dans l'oubli.
Enfin, j'aimerais que le comité nous aide à savoir ce qui advient du Plan vert. Les Canadiens ont consacré beaucoup d'énergie à l'élaboration de ce document. Huit groupes nationaux de conservation représentant plus d'un million de citoyens ont manifesté leur ferme appui à ce document. Certains passages consacrés à la vie sauvage étaient excellents. Mais comme il a été dit dernièrement que le Plan vert est mort, nous sommes perplexes. Quelle est la politique de l'État en matière d'environnement et de réserves naturelles?
Environnement Canada a subi des compressions budgétaires radicales. On ignore ce qu'il en est du Plan vert. Une opération d'harmonisation est en cours et on ignore le sort des réserves naturelles.
Comme je l'ai dit au Parti libéral avant les élections et au lendemain de l'annonce du Plan vert, si vous le faites disparaître, il faudra qu'il nous dise à nous et à la population quelles sont ses intentions en matière d'environnement.
Pour terminer, je veux moi aussi exhorter le comité à se déclarer en faveur des terres visées par l'article «1002» dans le nord du Yukon. Je vous exhorte à vous rendre au Congrès. Allez voir les Républicains qui, à l'automne, vont peut-être décidé de sacrifier une partie de cet écosystème à l'exploitation pétrolière et gazière. Il faut absolument que le Parlement du Canada fasse savoir aux Américains que nous avons ici un modèle qui a fait ses preuves. De notre côté de la frontière, nous avons consacré beaucoup de temps, d'efforts et d'argent pour protéger Ivvavik et le parc national de Vuntut. Il faut sauver ce territoire. S'il y a une chose que vous pouvez faire, c'est de demander au Congrès de ne pas y autoriser ces activités.
Merci.
Le président: Merci, monsieur McNamee. Je vous remercie en particulier des questions bien senties que vous avez posées et que nous allons examiner. Nous allons voir à ce qu'elles reçoivent une réponse adéquate, en particulier la dernière, concernant les intentions générales du gouvernement en matière d'environnement. Nous veillerons à ce qu'elles soient posées à qui de droit.
Entre-temps, je demanderais au président de la SARCEL, M. Louis Gagné, de faire son exposé.
[Français]
M. Louis Gagné (président, Société d'aménagement récréatif pour la conservation de l'environnement du lac Saint-Pierre): Merci, monsieur le président. Messieurs les membres du Comité, invités, mesdames, messieurs, bonsoir. Je serai le plus bref possible. J'aimerais remercier le comité organisateur d'avoir invité une modeste société comme la nôtre à participer aux illustres travaux de ce comité. Cela dit, c'est pour les subventions futures.
Nous travaillons principalement dans la région de la Baie-du-Febvre. Située en bordure du lac Saint-Pierre, exactement entre Montréal et Québec, la Baie-du-Febvre n'est pas tellement connue bien qu'elle soit la halte migratoire la plus importante de l'ensemble du fleuve Saint-Laurent. À cette période de l'année, durant le mois d'avril, on peut y dénombrer jusqu'à 350 000 oiseaux: les oies blanches, les bernaches et les canards.
Au printemps, il y a un phénomène d'inondation au lac Saint-Pierre et 7 000 hectares de terres y sont submergées. Il s'agit principalement de terres agricoles, de quelques parties boisées ainsi que de prairies. Cette année, il n'y a encore eu aucune inondation. C'est la première fois qu'on voit cela. On parle aux gens âgés et ils nous disent qu'ils n'ont jamais vu cela et que leurs pères ne leur avaient jamais dit que cela s'était produit. Vous pouvez peut-être voir ce qui se passe de ce côté-là. On m'a dit qu'on avait fermé les Grands Lacs depuis fort longtemps avec les barrages de la rivière des Outaouais. Ce sont habituellement les deux cours d'eau qui provoquent une inondation chez nous au printemps. Cela dit, on a eu des conditions exceptionnelles au niveau de l'inondation et on a également eu des conditions exceptionnelles au niveau de la température.
Habituellement, les oiseaux utilisent la plaine d'inondation pour deux raisons: premièrement, pour se reposer, car on y retrouve des profondeurs d'eau agréables pour les oiseaux migrateurs pour qu'ils puissent y passer la nuit et faire certaines activités et deuxièmement, comme aire d'alimentation, parce qu'il s'agit en grande partie de terres cultivées. Toutefois, pendant la journée, les oies vont à ailleurs. Elles peuvent faire de 50 à 80 kilomètres pour aller s'alimenter et elles reviennent au coucher du soleil. Donc, cette année, comme je l'expliquais, il n'y a pas d'inondation, sauf dans les terres qui nous appartiennent et qui ont été aménagées. Je vais vous dire comment on en est arrivés là.
La plaine d'inondation est utilisée comme frayère par environ 19 espèces de poissons d'eau douce au lac Saint-Pierre. Étant donné sa faible profondeur, l'eau se réchauffe beaucoup plus rapidement.
Au début des années 1980, un groupe d'agriculteurs de la région, fort des politiques d'autosuffisance alimentaire du gouvernement de l'époque et du gouvernement actuel, avait encouragé les agriculteurs à cultiver beaucoup de maïs, entre autres. Ces terres, bon an, mal an, étaient utilisées quand l'inondation le permettait. Si l'inondation finissait tôt, ils essayaient de cultiver. Quand l'inondation durait jusqu'au milieu du mois de mai, il était alors trop tard pour les semences. À ce moment-là, ils attendaient l'année suivante. Ils se sont alors dit: «Il faut produire du maïs; c'est intéressant et très payant. On va essayer de récupérer ces terres-là. On va les endiguer et les soustraire au phénomène d'inondation. On va mettre des stations de pompage, etc.»
Ils ont fait une première tentative timide, puisque ce n'était pas une vraie digue. Ils ont creusé un gros fossé et ils ont mis de la terre à côté. Ce n'était pas une digue étanche, mais c'était assez pour retarder l'écoulement d'eau. Ils avaient aussi installé des stations de pompage aux deux bouts.
Le ministère de l'Agriculture les encourageait, mais le ministère des Loisirs, de la Chasse et de la Pêche, qui s'appelle aujourd'hui le ministère de l'Environnement et de la Faune, a dit: «Attendez, il y a beaucoup de poissons dans ce territoire et si vous commencez à exclure ce territoire et à faire du pompage, vous aurez de sérieux problèmes car on devra intervenir.»
Donc, le ministère de l'Agriculture leur disait d'y aller et le ministère de l'Environnement et de la Faune leur disait le contraire. Finalement, ils ont décidé d'y aller et il est arrivé ce qui devait arriver. Un bon matin, les agents de la faune se sont présentés pour saisir les tracteurs, les pompes, etc. Le maire du village était parmi ceux qui ont été saisis, et un scandale a éclaté dans la région, avec des poursuites judiciaires en vertu de la Loi sur les pêcheries.
C'était en 1984. Nous étions un groupe de gens de la région et non pas du village de la Baie-du-Febvre, ce qui représentait pour nous un certain handicap. Mis à part le problème d'endiguement et de saisie de tracteurs que je viens de vous mentionner, nous avions décidé d'intervenir dans la région. On se demandait d'où venaient ces oiseaux qui s'arrêtaient chez nous au printemps. Alors, nous sommes allés voir les aires d'hivernage sur la côte-est américaine. On s'est demandé comment il se faisait que les Américains avaient des refuges d'oiseaux migrateurs depuis 50 ou 60 ans. Nous, nous les recevons au printemps et on nous dit que c'est la période la plus importante parce que c'est à ce moment-là qu'ils font leur réserve de graisse et de protéines pour aller nicher. C'est quand même important. Ils passent l'hiver là-bas et ils peuvent aller où ils veulent parce qu'aux États-Unis, il y a du maïs partout.
Lorsqu'ils quittent notre région, ils sont engraissés; ils sont boulimiques et ils mangent sans arrêt. Donc, la halte migratoire est peut-être plus importante que... À ce moment-là, il n'y avait absolument rien de fait et, de plus, l'endiguement posait une menace sérieuse car il risquait d'empêcher les oiseaux migrateurs d'utiliser la plaine d'inondation.
On s'était réunis pour former une association pour essayer d'intervenir, mais pas de façon agressive. Une réunion a été organisée par la Chambre de commerce de la région en vue d'examiner les possibilités d'y développer le tourisme.
Évidemment, la première chose dont on a parlé a été l'histoire du maire de la Baie-du-Febvre. Tout le monde était au courant car cela avait paru dans les journaux. «Pourquoi t'es-tu fait saisir ton tracteur?» «Oui, c'est à cause des oiseaux et des poissons. On n'a pas besoin de cela. On veut cultiver et ils viennent saisir nos tracteurs. Cela n'a pas de bon sens.»
On a alors dit au maire. «Cela n'a peut-être pas de bon sens, mais il faut quand même penser aux autres.» Le maire a répondu: «Lundi prochain, il y aura une rencontre des 40 agriculteurs. Il n'y a plus un seul chasseur qui va venir sur nos terres. Ces terres sont à nous et nous voulons les cultiver.» On lui a alors demandé si nous pouvions assister à cette réunion afin de faire des propositions. Il nous a répondu: «Il n'y a pas de problème.»
Alors, le lundi nous nous présentons à la réunion. L'atmosphère de la salle est assez bouillonnante. Nous, nous allons leur proposer de faire une chasse contrôlée sur ces terres parce que nous avions entendu dire qu'il y avait des problèmes. Tous nous ont raconté des mésaventures. Des chasseurs avaient creusé des caches et ils ne les avaient pas vues. Ils sont arrivés là-dedans avec leurs tracteurs et les ont brisées. L'un s'était fait tirer dessus, l'autre s'était fait casser ses vitres. Les chasseurs avaient exagéré. Alors, ils ont dit: «C'est fini. De toute façon, c'est à nous et ce n'est pas le gouvernement qui viendra nous dire quoi faire.»
On a dit: «C'est bien beau, tout cela, mais qu'est-ce que vous allez faire le matin? Les chasseurs arrivent de bonne heure sur les terres; ils arrivent à peu près au moment où on fait la traite des vaches.» Il a dit: «Je m'arrangerai bien et j'irai les sortir plus tard.» Mais plus tard, le chasseur aura chassé sa limite d'oiseaux et il aura déjà quitté les lieux. Alors on a dit: «On va y aller, nous. On va avertir les chasseurs. On va faire ton job et, en plus, on va faire de l'argent avec ça et on va te donner la moitié des profits.» Cela a été la risée générale. Ils ont dit: «Tu ne feras jamais d'argent avec cela. Les canards et les chasseurs nous posent des tas de problèmes. Si tu veux venir les sortir le matin, ne te gênes pas.» On leur a fait signer un petit contrat. Il a fallu deux ou trois réunions pour les convaincre, mais à la fin, la plupart trouvaient que cela avait de l'allure. Ils ont bien vu qu'ils ne pouvaient pas le faire eux-mêmes.
Donc, le jour de l'ouverture, on se présente. On arrive là vers 4 heures du matin. Laissez-moi vous dire que j'en ai vu des chasseurs. Je suis sûr et certain qu'au Canada, personne n'a eu plus de menaces de mort que moi. J'en ai eu des centaines et des centaines avec des fusils, tous les ans pendant les quatre ou cinq premières années. C'était sérieux.
Évidemment, dans certains cas, on a dû intervenir avec la Sûreté du Québec, et cela s'est réglé. Il s'agissait simplement d'en dompter quelques-uns, comme on dit. Il y en a qui n'avaient pas aimé ça. On avait une petite roulotte pour recevoir les chasseurs, et cela a été une cible pendant quelques semaines. Il y a eu des coups de fusil. Heureusement qu'il n'y avait personne à l'intérieur. C'est pour vous dire dans quel climat on évoluait.
Tout l'aspect du procès avec les tracteurs a été retardé pour différentes raisons. Il y a eu des procédures à gauche et à droite. On était là avec eux et on faisait de la chasse. À la fin de la première saison, on les a appelés et on leur a dit: «On a une rencontre à telle heure, à tel endroit, et on a un petit chèque pour vous. On a fait de l'argent. Les chasseurs sont venus et on leur demande de l'argent pour venir chasser sur vos terres. On paie nos choses avec cet argent, mais on en a un peu à vous donner.» Ils sont tous venus. Il n'en manquait pas un. Ce n'était pas un gros chèque, mais il y avait quand même un chèque. On a dit: «Il y a de l'argent à faire avec cela.» Ils ont dit: «On a toujours pensé...» On leur a alors dit: «On n'en a pas fait beaucoup parce qu'on a eu beaucoup de dépenses cette année. Il a fallu acheter des caches, etc.»
Il faut dire que les premières années, on faisait cela bénévolement. Je me levais à 4 heures pour recevoir les chasseurs. Ensuite j'allais à la cour, car je suis avocat. Je plaidais et je revenais le soir pour recevoir les chasseurs qui revenaient. Cela s'est fait pendant plusieurs années.
Un bon matin, quelqu'un est arrivé et a dit: «On a tout un problème. Un ministère dit oui et l'autre dit non. On est bloqués et les choses n'avancent pas. Il y a des élections qui s'en viennent et on nous dit que ce sera pire après les élections. Vous semblez connaître cela. Vous faites de l'argent avec cela. Nous, on a toujours pensé qu'il n'y avait pas d'argent à faire. Y a-t-il moyen de faire autre chose?» On a répondu: «Oui, il y a moyen de faire autre chose. On va aménager l'endroit. On va faire exactement le contraire de ce que vous vouliez faire. Au lieu de sortir l'eau de là, on va en ajouter.»
Bon, un autre projet et ça commence. Il y a eu des bêtises et ceci et cela. On a dit: «On va faire une rencontre pour vous expliquer cela.» Si on s'était fiés à cette rencontre... Je peux vous dire que c'était assez décourageant. Mais ce n'était pas grave. On a continué et on a modifié le projet. Il y a eu rencontre par-dessus rencontre. Nous avons un syndicat de producteurs qui est l'UPA: rencontre avec l'UPA, rencontre avec les agriculteurs, etc. Évidemment, quand on rencontre les agriculteurs, il faut aussi rencontrer les femmes d'agriculteurs. Parfois, il faut tout recommencer parce que l'épouse n'était pas là quand on est allés chez lui. Ou bien elle est là et elle est en train de faire la vaisselle. Si elle frotte de ce côté-là, cela veut dire oui, et si elle frotte de l'autre côté, cela veut dire non. Ou bien à un moment donné, on entend «beding, bedang». On se dit alors: Oh... Alors on parle à une personne, on parle au propriétaire. Parfois c'est à recommencer parce qu'il y en a un qui passe derrière toi et dit: «Ce qu'il dit n'est pas vrai. Ils n'ont pas d'argent. Ils ne font jamais quoi que ce soit.» À un moment donné, je me suis dit: «J'ai trouvé le truc. Je vais faire une réunion avec toutes les femmes. Elles ont une association, le Cercle des fermières.» Je les ai alors vues toutes en même temps. Les choses allaient beaucoup plus vite. Je suis donc allé à la réunion du Cercle des fermières et je leur ai expliqué le projet. Je venais alors d'avoir une petite fille. À la réunion suivante, je me suis retrouvé avec 42 paires de «gougounes» en Phentex!
[Difficultés techniques]... On se rend compte que quand on parle à l'un, l'autre apprend. Il y a eu cinq ans de négociations, tous les soirs et toutes les fins de semaine. On a fait cela bénévolement. On en a fait signer un et ensuite un autre, un autre et un autre. Aujourd'hui, ils ont presque tous signé, sauf un, mais on a quand même pu réaliser le projet en collaboration avec d'autres propriétaires.
Au moment où on se parle, il y a 2,7 millions de dollars d'investis dans notre projet, ce qui comprend l'acquisition et l'aménagement des terres. Comme je vous le disais, on met de l'eau là où ils voulaient en enlever, mais à une certaine date, le 6 mai pour certains secteurs et le 8 mai pour d'autres. On évacue l'eau avec des systèmes de pompes et les terres sont alors remises en culture et relouées à l'ancien propriétaire. Celui-ci est doublement gagnant. Il a été compensé monétairement et il peut continuer à cultiver ses terres.
Évidemment, il y a des contraintes au nivau des types de céréales parce qu'on ne veut pas qu'ils sèment n'importe quoi. Jusqu'à maintenant, nous n'avons pas eu trop de plaintes à ce sujet.
L'aménagement de la halte migratoire a amené beaucoup de visiteurs parce que le nombre d'oiseaux qui l'utilisent a augmenté de façon incroyable. On a à peu près 50 000 visiteurs par année; la majorité durant le mois d'avril. Je suis ici ce soir, mais je serai sûrement là demain. C'est pour cela que je n'ai pas fait de résumé de conférence. Nous recevons des visiteurs de partout dans le monde. Hier, on avait un groupe de la France. En fin de semaine, on avait un groupe de l'Allemagne. Le tourisme étranger commence. La halte migratoire de la Baie-du-Febvre est reconnue internationalement.
Recevoir ces visiteurs n'a pas toujours été facile. Les premières années, les agriculteurs m'appelaient et me disaient: «Il y a des autos stationnées dans mon entrée, ce sont tes visiteurs. Peux-tu leur dire de partir?» Je partais de chez moi, j'allais chercher le gars dans le champ et je lui disais: «Pouvez-vous déplacer votre véhicule? L'agriculteur voudrait sortir pour aller à la messe.» Le visiteur s'excusait. Maintenant, je n'ai plus ces problèmes-là. L'agriculteurs est bien content que le monde stationne; il dit: «Un gars est venu de Sherbrooke, un autre de Sept-Îles, et c'est intéressant.»
À l'époque, le maire s'était fait saisir son tracteur. Aujourd'hui, la municipalité a investi 150 000$ dans la construction d'un centre d'interprétation. La municipalité ne compte que 1 000 habitants. Lors d'une collecte populaire, un dimanche après-midi après la messe, on a récolté 25 000$ en une seule journée, pour un village de 1 000 habitants.
Évidemment, ça a été beaucoup de travail. Le temps nous a aidés. Il y a eu un changement de mentalité qui s'est effectué dans la population du village et parmi les agriculteurs. Aujourd'hui, il y a des retombées économiques qui sont évaluées à au moins deux millions de dollars par année.
J'aimerais maintenant vous nommer les partenaires du projet. Ce sont: le Plan conjoint des habitants de l'Est, le ministère de l'Environnement et de la Faune, la Fondation de la faune du Québec, l'Habitat faunique Canada, le Service canadien de la faune et le Secrétariat aux Affaires régionales. Merci.
Le président: Merci à vous, monsieur Gagné, de nous avoir si bien raconté votre expérience au niveau régional. On va commencer tout de suite un tour de questions de cinq minutes. Monsieur Sauvageau.
M. Sauvageau (Terrebonne): Monsieur Gagné, en mon nom et au nom des interprètes, j'aimerais vous remercier. Vous avez parlé de vos partenaires dans votre plan d'aménagement. D'abord, je vous félicite pour la réussite de ce plan, mais je n'ai pas entendu parler du Plan d'action Saint-Laurent. Est-ce que vous avez essayé de travailler avec le Plan d'action Saint-Laurent, phases I et II? Est-ce que ça a fonctionné?
M. Gagné: Évidemment, j'ai nommé les partenaires puisque c'est un projet qui s'est inscrit dès le départ dans le Plan nord-américain de gestion de la sauvagine. À ce moment-là, il y avait déjà de l'argent qui venait du Service canadien de la faune. Il faut dire que c'est un projet qui a commencé en 1984. Au début, il n'y avait qu'Habitat faunique Canada et Canards illimités Canada qui étaient partenaires. Le Plan nord-américain de gestion de la sauvagine s'est joint par la suite. Le projet a été intégré. Il y a eu des négociations, non seulement avec les propriétaires, mais également entre les partenaires. Étant donné que c'était le premier projet dans l'Est, on voulait savoir ce que les Américains payaient dans le cadre du Plan nord-américain, etc. On a eu de l'argent du Plan d'action Saint-Laurent, mais pas pour l'acquisition ou l'aménagement des terrains. On a eu des subventions pour la gestion et la surveillance du site.
Au printemps, le problème que nous avons, c'est le dérangement des oiseaux par les utilisateurs. Souvent les visiteurs viennent et aperçoivent 100 000 oies blanches dans un champ. Ils partent à courir et pensent qu'ils sont capables de les toucher ou de les prendre. L'argent vient de là.
Par contre, il y a peut-être de l'argent qui a été versé par le Service canadien de la faune, à l'époque, qui venait du Plan d'action Saint-Laurent. Pour ma part, je n'ai pas eu à faire de demande auprès du Plan d'action Saint-Laurent. Peut-être qu'un des partenaires s'en est chargé.
C'était un avantage pour nous que d'avoir beaucoup de partenaires. À un moment donné, l'un faisait lui-même la demande à un autre dans le cadre de ces programmes afin d'avoir de l'argent pour procéder au projet. S'il nous avait fallu trouver nous-mêmes deux millions de dollars de subventions, nous n'aurions pas eu le temps de négocier avec les propriétaires pour le dépenser.
M. Sauvageau: Vous êtes un groupe privé qui, en relativement peu de temps, soit dix ans, a atteint les objectifs que vous nous avez cités. Quelle est votre opinion au sujet du secteur privé et du gouvernement quand il s'agit de s'occuper d'un dossier comme celui-là, un dossier de la faune dans un secteur très particulier?
M. Gagné: Le gouvernement n'aurait pas pu, à mon avis, agir comme nous l'avons fait et cela, pour une bonne raison: c'est lui qui avait causé le conflit. Il y avait deux ministères qui se disputaient. La perception que j'ai alors eue en rencontrant les agriculteurs a été que, si j'avais été quelqu'un du gouvernement, je me serais fait sortir beaucoup plus rapidement.
Quand ils ont vu que nous étions un groupe local, privé, que nous étions près d'eux et que nous étions toujours là... Ils n'avaient qu'à nous appeler et le lendemain on était là, ils me voyaient passer tous les soirs lorsque j'allais chez l'un ou chez l'autre. À un moment donné, ils se sont dit que nous étions capables de nous en occuper.
Je ne dis pas que, dans d'autres circonstances, le gouvernement ne serait pas capable d'arriver à des résultats semblables. Je négocie actuellement d'autres acquisitions. Lorsque les gens savent que c'est de l'argent du gouvernement, ils pensent tout de suite à monter les prix et à poser des conditions très différentes.
M. Sauvageau: Merci, monsieur Gagné. Une dernière question pour M. Germaine. À la page 2 de votre document - cela me fait penser un peu à un document qu'on a eu hier et qui m'a fait sourire à quelques reprises - vous dites que des chercheurs du ministère débarquaient sans prévenir pour effectuer un travail sur place, un rapport interne «scientifique».
Le mot «scientifique» entre guillemets est sûrement volontaire. Est-ce que vous laissez entendre par cela que, scientifiquement, il est difficile d'aller faire de la recherche? Est-ce que vous mettez un peu en doute les résultats de ces recherches-là en mettant ce mot entre guillemets?
Je m'excuse. J'ai une chose à ajouter. Hier, on nous a dit qu'il y avait eu, en dix ans, 34 p. 100 d'augmentation d'activités de la faune. On n'a jamais su quelles étaient ces activités. Peut-être que c'est cela qui est scientifiquement louche.
[Traduction]
M. Germaine: Pour répondre à votre première question, soit la décision de mettre le mot «scientifique» entre guillemets, il faut comprendre qu'il y a toujours eu des biologistes, des scientifiques, des journalistes et autres qui sont venus dans les collectivités autochtones pour effectuer des recherches scientifiques et élaborer des rapports interminables. Les termes utilisés sont tellement spécialisés que seuls les universitaires arrivent à les comprendre. Incapables de les comprendre ou rebutés par l'épaisseur de ces rapports, les représentants des Premières nations et la collectivité autochtone en général les mettent de côté et les oublient.
C'est la raison pour laquelle notre plan de gestion était un bon exemple. Des membres du conseil ont décidé que pour en assurer le succès, le plan de gestion doit être présenté sous forme d'images pour attirer l'attention de la nouvelle génération dans les écoles et le rendre compréhensible aux aînés qui sont analphabètes et ne parlent pas l'anglais. Nous avons donc tiré les leçons des autres rapports et plans de gestion que les scientifiques et les chercheurs avaient élaborés. Nous avons appris de cette expérience.
Je suis sûr que nous apprendrons aussi de ce plan de gestion, car il est tellement simple. Il est très facile à comprendre. Il énonce des buts et des objectifs. Il définit clairement les responsabilités dont chaque membre du conseil doit s'acquitter. Ils ne peuvent donc pas y échapper.
Quand on représente quelqu'un, un gouvernement ou un organisme, on se comporte en conséquence. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons cet outil; il est utile, c'est un bon modèle pour les autres commissions, conseils et comités découlant des revendications territoriales du Yukon. Ce plan de gestion est très bien accueilli de façon générale. Nous voulons nous en inspirer pour notre propre plan de gestion.
Chez moi, je siège à divers commissions, conseils et comités en tant que représentant de la nation Na'cho Nvak Dun, notre première nation, ainsi que d'autres premières nations. Nous voulons un plan de gestion des êtres humains d'abord - non pas un plan de gestion de la faune, mais un plan de gestion des êtres humains et de leur ingérence. Voilà ce que nous cherchons à gérer. Voilà le but de ce plan de gestion. Il ne vise pas le caribou. Celui-ci prend soin de lui-même avec l'aide de la nature. Ce plan de gestion concerne l'ingérence des être humains. C'est ce que nous devons essayer de faire comprendre à tout le monde.
Le président: Vous méritez certainement des félicitations pour ce plan, monsieur Germaine. Il est très bien fait.
Monsieur Adams.
M. Adams (Peterborough): Merci beaucoup messieurs. En ce qui me concerne, nous sommes au soir de notre deuxième journée et nous sommes heureux de vous rencontrer parce que nous avons ici l'occasion d'entendre des idées pratiques et positives. Je suis censé poser des questions à chacun de vous en cinq minutes... Je ne sais pas si j'y arriverai.
Je voudrais d'abord dire aux éducateurs qui regardent ces audiences et qui lisent le compte rendu qu'il devraient communiquer avec vous ou votre conseil, monsieur Germaine, afin d'obtenir un exemplaire de votre plan de gestion. À des fins d'éducation, tous les groupes comme ceux qui sont représentés ici devraient d'ailleurs faire de même. Je signale aux intéressés qu'il s'agit du plan de gestion de la harde de caribous de la Porcupine au Canada, 1993-1994 à 1995-1996, préparé par le Conseil de gestion de la harde de caribous de la Porcupine. Il est excellent. Il associe, par exemple, les photos des animaux à des renseignements sur les conditions, la gestion, la biologie, etc. Je le signale pour le compte rendu.
M. McNamee a mentionné Waterton. J'ai été intrigué par le fait que l'une des caractéristiques de Waterton, dont M. McNamee a parlé, c'est qu'il s'agit d'un parc de la paix. Votre secteur chevauche la frontière internationale, comme vous l'avez dit. Vous avez indiqué qu'il s'étendait sur deux pays, un État et deux territoires. Du point de vue humain, c'est une merveilleuse réussite, n'est-ce pas?
J'aurais deux questions à vous poser, monsieur Germaine. D'abord, la route Dempster s'est beaucoup développée depuis la création de votre conseil. Aimeriez-vous en parler un peu et indiquer comment votre conseil a réagi?
Deuxièmement, comme vous le savez, la gestion du gibier fait actuellement l'objet d'une vive controverse au Canada. Je ne sais pas où se trouve le troupeau de rennes de la vallée du Mackenzie par rapport à votre secteur, mais je me demande quelle est la position de votre conseil par rapport à ce troupeau. Mes deux questions portent donc sur la route Dempster et le troupeau de rennes.
M. Germaine: En ce qui concerne votre première question, lors de la réunion de notre conseil il y a trois semaines à Fort McPherson, la route Dempster a été l'un des sujets à l'ordre du jour. Nous avions reçu des lettres et entendu des observations au sujet du contrôle des caribous de la Porcupine lorsqu'ils traversent la route à certaines époques de l'année, que ce soit sur le plan de la chasse, du passage des motoneiges et des véhicules tout terrain.
Le Conseil recommande au ministre des Ressources renouvelables du Yukon, d'établir un corridor de chaque côté de la route. Je pense qu'il s'agit d'un corridor d'un km tout le long de la route à l'époque de l'année où le caribou se déplace. À un certain moment, il se dirige vers son gîte d'hivernage et plus tard au printemps il retraverse la route. Ces corridors ne seraient pas permanents. Une fois que les caribous auraient traversé, ils seraient de nouveau accessibles.
Il y aurait un autre corridor de sécurité, qui empêcherait les gens de tirer à partir ou de la route ou de l'autre côté. Celui-ci serait maintenu toute l'année. Il s'appliquerait également à tout le monde, y compris les autochtones.
Je ne connais pas bien la gestion du renne en tant que gibier. Je connais le troupeau Bleunose dans les Territoires du Nord-Ouest. Je peux vous dire qu'en ce qui me concerne, ce gibier n'a pas du tout le même goût que le caribou de la Porcupine.
M. Adams: Je voudrais également dire ceci, monsieur le président.
Vous avez mentionné le Congrès américain. Sachez que toute de suite après l'élection des majorités républicaines notre comité s'est rendu au Congrès. Je ne pense pas qu'il ait été question de la harde de la Porcupine à ce moment-là. Il aurait sans doute dû en être question. Nous voulions simplement établir des liens et voir quelles étaient les nouvelles positions au Congrès face à l'environnement.
Ai-je encore du temps, monsieur le président?
Le président: Votre temps est écoulé.
Je dois vous dire que le comité a malgré tout incité le Premier ministre à mentionner la harde de la Porcupine lors d'une rencontre avec M. Clinton. Le Premier ministre l'a fait à notre plus grand plaisir.
Madame Kraft Sloan.
Mme Kraft Sloan (York - Simcoe): Je m'excuse d'avoir râté une partie de votre exposé, monsieur Germaine. J'ai avec moi des étudiants du Canadian Youth Forum.
Je dois vous dire que je suis tout à fait d'accord avec votre orientation. Ce que nous voulons contrôler, c'est l'ingérence des être humains; la nature peut très bien prendre soin d'elle-même.
J'aimerais parler du marais Wye. Il a beaucoup été question de l'éducation du public à ce comité. Je pense que l'occasion de visiter soi-même un site naturel est la meilleure forme d'éducation. J'ai eu le plaisir de faire visiter le marais Wye à une troupe de louveteaux. Nous avons vu toute sorte d'insectes et de choses intéressantes dans l'eau. Nous avons également vu ce qu'était un site tout à fait sauvage. C'est un endroit tout à fait magnifique.
D'autres témoins nous ont parlé de la loi proposée sur les espèces menacées et des consultations qui doivent se tenir à ce sujet un peu partout au pays. Je me demande si les membres de ce panel ont une opinion sur ce qui devrait constituer l'élément clé ou les deux éléments clés de cette loi sur les espèces menacées.
M. McNamee: J'aimerais voir deux choses en particulier dans cette loi sur les espèces menacées, monsieur le président. Les gouvernements peuvent toujours établir des listes d'espèces menacées, mais il n'y a rien qui oblige les gens à agir. Le succès des plans de rétablissement dépend de l'intérêt des gens et de la présence des fonds nécessaires. S'il y a des espèces menacées, il faut établir des plans de rétablissement pour les sauver. Sinon, il faudra dépenser de plus en plus d'argent pour restaurer leur habitat.
Je vais m'en tenir à ce point.
M. Whittam: Comme Kevin l'a fait remarquer, il faut joindre à cette question celle des espaces menacées. La question rejoint les plans de mesures correctives et la planification des écosystèmes. Dans le cadre de la Loi sur les espèces menacées, nous devons tenir compte de leur habitat comme de celui de la flore et nous assurer qu'ils soient également protégés.
M. Germaine: Je suis d'accord avec mes collègues. Je pense que les questions de l'habitat, de la faune et des espèces menacées sont reliées. L'habitat doit être protégé pour que les espèces survivent. C'est évident.
Regardez ce qu'il y a sur la table là. C'est un bon exemple. Ces choses ne devrait pas s'y trouver. Je ne peux pas nommer d'espèces en particulier qui devraient être protégées, mais je suis sûr qu'il y en a beaucoup qui n'ont pas été suffisamment étudiées pour savoir si elles sont en danger ou non. Nous ne le savons tout simplement pas. Pourquoi? Parce que nous n'avons pas fait suffisamment de recherches afin de voir si elles étaient en voie de disparition, si elles étaient chassées ou si elles faisaient l'objet de braconnage.
Mme Kraft Sloan: Voudriez-vous dire quelque chose, monsieur Gagné?
[Français]
M. Gagné: Non, merci.
[Traduction]
M. Finlay (Oxford): Je voudrais d'abord dire à tous les témoins de ce soir que je considère leurs exposés comme une façon très positive de terminer la journée. Mes collègues se souviendront qu'il y a eu des moments au cours de la journée d'hier où l'avenir de la faune et des régions sauvages dans ce pays et ailleurs dans le monde est apparu comme très sombre. C'est évidemment la situation dans notre pays qui nous intéresse le plus. Après avoir entendu les quatre témoins de ce soir, je suis plus optimiste que je ne l'étais à la même heure hier.
Mes questions portent sur des détails.
Monsieur Germaine, dans votre exposé, vous avec parlé - mon collègue, M. Adams, y a fait allusion - de deux pays, d'un État, de deux territoires et de cinq premières nations. Quel a été le rôle du gouvernement américain dans cette affaire? A-t-il des représentants au sein de votre conseil de gestion de la harde de caribous de la Porcupine? Je ne vois rien en ce qui le concerne et je m'interroge à ce sujet.
M. Germaine: Le Conseil de gestion de la harde de caribou de la Porcupine est le conseil de gestion du côté canadien. Pour l'Alaska, c'est le International Porcupine Caribou Board. Des représentants canadiens y siègent. Le gouvernement canadien en a un. Le président du Conseil canadien de la harde de caribous de la Porcupine pour le Yukon ou le côté canadien y a également son mot à dire. Ce conseil est donc celui de l'Alaska. La coordination et la communication sont excellentes entre les deux conseils. Un représentant Gwich'in et des représentants autochtones font également partie de ce conseil.
M. Finlay: Ce sont des gens de l'Alaska.
M. Germaine: En effet.
M. Finlay: Le président de votre conseil et une autre personne...
M. Germaine: Un représentant du gouvernement canadien, oui.
M. Finlay: Le système fonctionne bien?
M. Germaine: Oui, tant que la communication et la coordination sont bonnes, les buts et les objectifs communs sont discutés de façon positive et sincère, nous obtenons de bonnes décisions.
M. Finlay: Je dois parler du marais Wye. J'ai vu la publicité dans nos écoles et je vous félicite de ce que vous avez fait à cet endroit.
Vous nous avez rappelé un point qui avait été mentionné cet après-midi, le danger que représente sans aucun doute possible le plomb de chasse - pour les cygnes trompettes, en particulier, et tous les autres oiseaux qui se nourissent au fond de l'eau.
M. Whittam: Les canards et les cygnes plongeurs sont particulièrement exposés à ce danger. C'est l'exemple que nous avons choisi aux fins de notre recherche. Comme M. Caccia l'a fait remarqué plus tôt, nous avons retiré le plomb de l'essence, de la céramique et de la peinture, mais nous continuons de permettre que des tonnes soient déversées dans les marais du Canada. CommeM. Thomas l'a dit, il est temps de mettre fin à cet état de chose.
Nos données prouvent sans l'ombre d'un doute que le problème est grave dans notre région. Et il y a tout lieu de croire que nous pouvons les transposer pour le reste du pays.
M. Finlay: Parfaitement.
[Français]
M. Gagné: J'aimerais ajouter que dans notre projet, il y a une chasse qui se fait dans les marais et que, depuis l'an passé, nous avons interdit la bille de plomb. Seules les billes non toxiques sont permises sur nos terres depuis l'an passé. Nous sommes une organisation privée à but non lucratif, mais nous avons imposé cette décision aux chasseurs qui collaborent.
[Traduction]
M. Finlay: Bravo.
M. McNamee: Je reviens brièvement à la question des terres visées par l'article «1002».
Vous avez parlé des Américains. Il convient de noter que le Canada a signé avec les États-Unis quatre accords et conventions internationaux portant sur ce territoire, un pour les caribous, un pour les ours polaires et un pour la sauvagine d'Amérique du Nord. J'oublie le quatrième. Il s'agit d'accords en bonne et due forme. Ils vont au-delà de la simple coopération.
Le droit international est certainement en notre faveur pour ce qui est d'empêcher les États-Unis et les Républicains au Congrès de revenir sur ces accords. En 1987, le Parlement indiquait que le Canada considérerait que les États-Unis violent ces quatre accords s'ils permettaient que la réserve de l'Arctique soit ouverte à l'exploration pétrolière.
M. Finlay: Merci beaucoup.
Le président: C'est à vous, monsieur De Villers.
M. De Villers (Simcoe-Nord): Merci, monsieur le président. Je me joints à mes collègues pour féliciter tous les membres du panel de leurs projets et de leur succès. Tout cela est très encourageant, même si j'avoue être en conflit d'intérêt et même si je me trouve à me vanter un peu du succès du projet du marais Wye, un projet de ma circonscription de Simcoe Nord.
J'aimerais que M. Whittam nous parle davantage des mesures que le groupe Les amis du marais Marsh a prises relativement au plomb de chasse. En quoi ont-elles consisté?
M. Whittam: Nous avons fait un certain nombre de choses. Lorsque nous faisons face à une crise, nous adoptons l'approche tronquée - sans vouloir faire de jeu de mots - nous faisons tout ce que nous pouvons.
Lundi de cette semaine, par exemple, nous avons eu droit à un article en première page du Toronto Star au sujet de l'empoisonnement au plomb et de ses effets sur le comportement des cygnes trompettes. C'est un aspect de notre travail. L'autre aspect consiste à adopter une approche rationnelle, à collaborer avec nos collègues de l'Université de Guelph et les services vétérinaires locaux. Nous établissons des taux de sédimentation pour le plomb et nous essayons de voir comment nous pouvons rendre le plomb encore plus inaccessible aux oiseaux une fois l'interdiction obtenue.
Comme je l'ai indiqué dans mon exposé, la première étape consiste à obtenir l'interdiction. Ensuite, nous devons essayer de voir combien de temps encore le plomb sera accessible aux oiseaux et quelles sont les méthodes à employer pour le rendre inaccessible. Le problème est très grave. Comme M. Thomas le mentionnait cet après-midi, les États-Unis ont interdit le plomb pour la chasse à la sauvagine il y a quatre ans, et les États-Unis ne sont pas enclins à interdire quoi que ce soit dans le domaine des armes à feu. Il est grand temps que le Canada fasse de même.
La stratégie des points chauds n'est pas suffisante. Il n'est pas nécessaire d'être un génie pour comprendre que les oiseaux peuvent voler, de sorte que si le lac St. Clair est déclaré toxique, si le marais Wye est déclaré toxique - ou plutôt un point chaud... Ce sont les deux endroits en Ontario où le Service canadien de la faune et le ministère des Ressources naturelles ont interdit le plomb. Grâce à nos efforts, cette zone serait étendue cette année de façon à inclure tous les secteurs de la gestion de la faune - il y en a 76, si je me souviens bien, mais ce ne sera toujours pas suffisant. Tant que toutes les provinces n'interdiront pas le plomb, nous ne pourrons pas aller de l'avant avec notre recherche en vue de réintroduire les cygnes trompettes et de faire disparaître le plomb pour les oiseaux.
M. De Villers: Merci.
J'ai une question à l'intention de M. Germaine. Dans votre exposé, vous avec dit que votre conseil fonctionne par consensus. Je pense que vous avez ajouté que même si le processus en est parfois ralenti vous obtenez ainsi de meilleurs résultats. Je me demande si vous pouvez nous donner des détails sur le fonctionnement du système et indiquer s'il y a eu des problèmes au départ.
M. Germaine: Au début, nous avons essayé de procéder autrement. Il nous a fallu deux ou trois ans avant de trouver la bonne formule. Nous avons commencé à faire des progrès lorsque nous avons demandé à certains anciens de venir nous expliquer comment les gens travaillaient par consensus par le passé. Les premières nations ont toujours fonctionné de cette façon. Elles ont toujours pris leurs décisions par consensus, de façon à ce que personne ne soit déçu d'un côté ou de l'autre.
Nous avons donc commencé par obtenir la collaboration des anciens. Certains sont avec nous depuis neuf ans ou plus maintenant. Certains ont même participé aux négociations en vue de cet accord. Essentiellement, il nous ont appris, à nous, les jeunes, la façon dont les décisions doivent être prises, c'est-à-dire par consensus.
Il y a eu des problèmes au départ car les jeunes, qui commencent tout juste à se joindre au Conseil, ne connaissaient pas le processus et ne savaient pas comment prendre des décisions. Il a fallu que les anciens montrent la voie aux jeunes, dont je faisais partie.
M. De Villers: Pourriez-vous enseigner aux Parlementaires canadiens à fonctionner de cette façon?
M. Germaine: Je suis disponible.
Le président: Ils auraient besoin de vos services.
[Français]
M. Sauvageau: Si le Comité est intéressé à aller visiter votre coin, qui semble un peu avant-gardiste dans ce domaine-là, est-ce qu'il peut y aller seulement au mois d'avril ou s'il y a d'autres périodes que vous nous suggéreriez?
M. Gagné: La sauvagine y est abondante du mois de mars au mois de novembre. Par contre, c'est pendant la halte migratoire qu'il y a le plus d'individus, principalement les bernaches du Canada et les oies blanches. Pendant tout l'été, tous les canards barboteurs y sont présents, ainsi que quelques plongeurs, puisque c'est là qu'ils nichent.
La Baie-du-Febvre est aussi le seul endroit au Québec où le canard roux, le ruddy duck, niche. On compte cinq ou six couples. Il y a aussi le phalarope de Silwon qui niche à Baie-du-Febvre. Il y a des groupes qui viennent à l'année longue et on y retrouve beaucoup d'oiseaux. Le meilleur temps pour voir ces oiseaux est évidemment pendant le mois d'avril, mais il n'y a pas de problèmes au cours des mois de juin, juillet et août.
M. Sauvageau: Vous allez nous recevoir.
M. Gagné: Nous pourons vous montrer les aménagements qui ont été faits et la gestion effectuée. Beaucoup d'oiseaux y sont présents.
M. Sauvageau: Parfait. Merci.
[Traduction]
Le président: Avant de clore la séance, le président aimerait poser une brève question. Dans votre excellent rapport, page 2, monsieur Germaine, vous dites avoir dénombré 178 000 caribous en 1989 et 160 000 en 1992, une baisse de 18 000. Avez-vous des chiffres plus récents afin que nous puissions avoir une meilleure idée de la tendance?
M. Germaine: Le chiffre le plus récent est celui que j'indique, 152 000.
Le président: Pour quelle année?
M. Germaine: Pour 1994.
Le président: Vous aurez un nouveau chiffre à la fin de cette année?
M. Germaine: Oui.
Le président: Très bien.
Voilà qui met fin à notre séance de ce soir.
M. Adams: Puis-je dire quelque chose? Il me semble que le temps est venu de procéder à un examen des parcs. Nous pourrions tenir des audiences avec Patrimoine Canada ou avec les territoires. Je pensais que cela méritait d'être dit.
[Français]
Le président: J'aimerais vous féliciter, monsieur Gagné, d'avoir interdit l'usage du plomb dans votre région et vous remercier de votre présence ici ce soir.
[Traduction]
Je vous remercie, monsieur McNamee, de votre exposé tranchant et je vous assure qu'il y aura des réponses à au moins certaines de vos questions.
Merci, monsieur Whittam, de votre exposé très complet et très juste au sujet de votre passage du domaine public au domaine privé.
Merci, monsieur Germaine, de votre excellente documentation. Nous vous souhaitons bonne chance. Si vous voulez de l'aide pour compter les caribous, vous avez peut-être un certain nombre de volontaires autour de cette table.
Demain, nous commencerons à 8h15, parce que nous avons un témoin supplémentaire qui a demandé à comparaître au nom du ministère de l'Agriculture. Je m'excuse de vous l'annoncer maintenant. J'espère que vous pourrez être présents. Il y a un député qui a craqué.
Enfin, comme notre étude sur l'Arctique nécessitera les services d'un conseiller du Comité canadien des ressources arctiques, en la personne de Terry Fenge, il faudrait une motion portant qu'un montant de 1 500$ soit débloqué pour défrayer ses services.
M. Finlay: J'en fais la proposition.
M. Adams: Je l'appuie.
La motion est adoptée
Le président: Ce fut une soirée très fructueuse.
La séance est levée.