[Enregistrement électronique]
Le jeudi 5 décembre 1996
[Traduction]
La présidente: Bienvenue à cette séance du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration. Nous avons à l'ordre du jour, en conformité avec l'article 108(2) du Règlement, l'étude de la réglementation concernant l'établissement des réfugiés sans pièces d'identité.
Nous accueillons aujourd'hui Mme Nancy Worsfold, directrice générale du Conseil canadien pour les réfugiés.
Voulez-vous bien nous présenter les deux autres personnes qui vous accompagnent, Nancy? Vous avez la parole. Vous avez dix minutes.
Mme Nancy Worsfold (directrice générale, Conseil canadien pour les réfugiés): Merci.
Sont ici aujourd'hui comme représentants du Conseil canadien pour les réfugiés Laran Affi, qui est membre de notre comité de direction, et Mohammed Tabit, qui est coordonnateur de programmes à Midaynta, association torontoise de services à la communauté somalienne.
Je tiens à remercier le comité d'avoir décidé de tenir ces audiences. Nous sommes très heureux que vous ayez pu, malgré le préavis très court, tenir des audiences sur cette question qui touche de manière vraiment très profonde la vie de 14 000 personnes.
[Français]
Nous remercions le comité de bien vouloir entendre aujourd'hui notre point de vue sur ce sujet qui touche de si près tellement de personnes ici, au Canada.
[Traduction]
Je tiens au départ à dire que, selon nous, il y a deux termes dans le résumé de l'étude d'impact de la réglementation et dans le règlement qui sont vraiment très mal appropriés.
D'abord, on indique dans le résumé de l'étude d'impact de la réglementation que le Conseil canadien pour les réfugiés a été consulté. Il est effectivement juste de dire que nous avons assisté à des rencontres et que des sons sont sortis de nos bouches, mais comme il n'est absolument pas tenu compte dans la réglementation de ce que nous avons dit, je ne pense pas qu'on puisse vraiment parler de «consultation».
Par ailleurs, le nom de la catégorie ne concorde absolument pas avec la réalité. La catégorie est appelée «catégorie des réfugiés au sens de la convention se trouvant au Canada sans pièces d'identité». Elle devrait plutôt s'appeler «catégorie des réfugiés au sens de la convention se trouvant au Canada sans pièces d'identité satisfaisantes», car contrairement à l'image qu'évoque le nom en question, beaucoup des personnes qui se trouvent dans cette situation ont effectivement des pièces d'identité. Elles ont des certificats de naissance, des diplômes de fin d'études, des cartes d'identité municipales et des cartes d'employés, mais quelque agent du Service d'immigration a décidé que ces documents n'étaient pas satisfaisants.
Je vous explique la position du Conseil canadien pour les réfugiés sur les pièces d'identité et je vous parlerai de certaines des préoccupations que nous avons du fait que CIC est si obsédé, selon nous, par les papiers.
Le Conseil canadien pour les réfugiés estime que la loi devrait être modifiée de manière à ce que nous revenions à la situation d'avant 1993. Il n'existe aucune preuve selon laquelle la situation d'avant 1993 a causé des problèmes. Il n'y a aucune preuve selon laquelle les personnes appartenant à cette catégorie ont par la suite, du fait qu'elles n'avaient pas de papiers, créé des problèmes pour le Canada.
Étant donné toutefois que votre comité n'est pas mandaté pour modifier la loi, notre position de repli consisterait à demander que les pièces d'identité autres que les passeports puissent être considérées comme des pièces répondant aux exigences, et que les déclarations solennelles - ou faites sous serment - ne soient pas sommairement rejetées par les agents d'immigration chargés d'étudier les dossiers.
Pourquoi nous retrouvons-nous dans cette situation? La nouvelle tendance au Service d'immigration voulant que les demandes soient traitées à partir des documents présentés a fait en sorte qu'il est maintenant nécessaire de fournir des pièces pour prouver son identité. C'est l'impératif bureaucratique voulant qu'on crée des systèmes moins coûteux qui a conduit à cette situation qui entraîne un gaspillage et un coût incroyables.
Il est ridicule de s'en remettre à des pièces justificatives pour prouver l'identité. Il n'y a absolument aucun lien entre passeport et identité. Je vous donne deux exemples canadiens.
Ma fille est née il y a trois ans et demi à Montréal. Elle s'appelle Constance Worsfold Gervais. Son certificat de naissance montréalais ne fait aucune distinction entre son prénom et son nom de famille. Quand j'ai demandé un passeport pour ma fillette, on m'en a envoyé un où c'est Gervais qui figurait comme nom de famille. Comme j'avais des doutes à ce sujet, j'en ai parlé à un avocat, qui m'a conseillé d'écrire une lettre et de faire changer le nom. Alors, dites-moi: quel est son nom?
Nous savons que, dans les divers pays du monde, il y a différentes façons d'indiquer les noms, les surnoms et les prénoms, et que la traduction des noms à partir de langues différentes et d'alphabets différents cause des problèmes. Les noms ne sont pas quelque chose d'absolu.
Par ailleurs, les documents ne fournissent pas nécessairement une preuve certaine, en ce sens qu'ils sont délivrés par des personnes, des personnes qui sont faillibles et qui peuvent aussi être soudoyées. À Toronto, deux agents de CIC sont accusés au criminel d'avoir vendu le statut de résidence permanente.
Accepte-t-on des pots-de-vin au Bureau canadien des passeports? Le document qu'on obtient d'un employé du gouvernement en échange d'un pot-de-vin est-il valable?
Le passeport qu'on obtient de manière légitime, mais qui contient de fausses informations, est-il un document valable? Le passeport qu'on achète au marché est-il un faux s'il porte le nom réel et la date de naissance réelle de la personne?
Par ailleurs, les modalités servant à fixer le début de la période d'attente sont un autre exemple de la bureaucratisation excessive que prévoit la réglementation. Dans certains cas, l'examen du dossier par la CISR prend quelques mois. Dans d'autres, il faut parfois deux ans pour être accepté comme réfugié. Pourquoi la période d'attente fixée pour cette catégorie débute-t-elle après que la CISR rend sa décision? Si l'objectif est d'examiner le comportement de la personne au Canada, le besoin d'être juste devrait sûrement l'emporter sur le besoin de la bureaucratie de distinguer le processus d'établissement du processus de détermination du statut de réfugié. Le règlement proposé pourrait priver la personne de deux ans de vie normale pour satisfaire à un besoin imaginaire des fonctionnaires qui veulent distinguer le processus de détermination du statut de réfugié du processus d'établissement.
Il y a cinquante ans, le gouvernement canadien a divisé les familles autochtones par son système de pensionnats. Il pensait bien faire. Nous en payons maintenant le prix. De nos jours, le gouvernement cherche à diviser les familles de réfugiés provenant de la Somalie et d'autres pays. Devrons-nous attendre encore cinquante ans pour obtenir justice?
M. Mohamed Tabit (Conseil canadien pour les réfugiés): Je m'appelle Mohamed Tabit. Je suis coordonnateur de programmes à la Midaynta Association of Somali Service Organizations de Toronto, organisme membre du Conseil canadien pour les réfugiés.
Je tiens tout d'abord à vous remercier de me donner l'occasion de vous adresser la parole. Je suis sûr qu'en comprenant mieux les questions en cause vous arriverez à la conclusion que la réglementation proposée est inacceptable et punitive à l'endroit d'un groupe de personnes qui n'ont rien fait de mal et qui ont seulement décidé d'apporter leur contribution à ce grand et beau pays.
Je veux vous parler de deux questions très importantes, la réunion des familles et les criminels de guerre. Les réfugiés au sens de la convention qui proviennent de la Somalie, de l'Afghanistan, du Sri Lanka, du Rwanda, du Zaïre, de l'Iran et d'autres pays sont tout particulièrement touchés par la réglementation proposée. Le problème de la réunion des familles qui serait retardée ou refusée est la conséquence la plus grave de cette réglementation. Bien souvent, les réfugiés laissent derrière eux des membres de leur famille immédiate qui se trouvent dans des circonstances dangereuses où ils sont exposés à la violence, au viol et à la maladie. Quand la réunion de la famille est retardée, les conséquences sont la dépression, un profond sentiment d'isolement et la désintégration des familles de réfugiés.
Il y a quelques jours de cela, j'ai rencontré une petite fille. Elle s'appelle Amina et elle a maintenant six ans. Elle est née en 1990 au bord d'une route quelque part en Somalie, près de la frontière du Kenya, pendant que sa mère était en fuite. Elle n'a aucun papier, et parce qu'elle n'a pas de papiers, les autres membres de la famille ne peuvent pas obtenir le statut de résident permanent. Le père ne peut donc pas être parrainé.
Le père se trouve dans un camp de réfugiés appelé Dhadhap. Le camp est un véritable enfer sur terre et est entouré de bandits. Le père ne peut pas comprendre pourquoi sa femme et ses enfants ne le font pas venir ici. Il est persuadé que sa femme ne veut plus de lui et il a depuis parlé de divorce.
La petite fille a quitté son père quand elle avait trois ans et elle n'a aucun espoir de le voir avant qu'elle ait douze ans. C'est là une violation du droit de cette enfant.
Quel problème pourrait-il y avoir à accorder la résidence permanente à une fillette de six ans et à réunir sa famille? La majorité des réfugiés au sens de la convention qui sont sans pièces d'identité sont des femmes et des enfants: la proportion est de 80 p. 100 selon le ministère de l'Immigration. Accorder le droit d'établissement aux réfugiés au sens de la convention est essentiel à la réunion des familles. Cependant, comme vous pouvez le constater, la réglementation proposée ne fait vraiment rien pour aider à régler le problème urgent des familles divisées. Le sort de ces familles devrait être au haut de la liste des priorités de tout programme d'établissement des réfugiés. C'est là l'effet le plus humanitaire du droit d'établissement.
Enfin, je voudrais vous dire quelques mots au sujet des criminels de guerre. Certains disent que le Canada a besoin de savoir qui vient ici et qu'il est important pour assurer la sécurité d'exiger des papiers. Moi aussi je veux que le Canada soit un endroit sûr, mais d'après mon expérience et d'après celle de beaucoup de communautés immigrantes, les criminels ont tous les papiers voulus. Ils ont généralement de l'argent et ont accès aux meilleurs documents. Du reste, le Canada a les moyens juridiques lui permettant d'expulser quand il le veut n'importe quel criminel de guerre.
Aucune communauté d'immigrants ne souhaite se retrouver avec des criminels. Les immigrants ne veulent pas que leurs persécuteurs viennent les poursuivre ici au Canada. La communauté rwandaise de Montréal fait des rapports au gouvernement pour qu'il prenne des mesures contre les personnes accusées de crimes de guerre. À ma connaissance, les Somaliens qui ont été expulsés du Canada pour crimes de guerre avaient tous été identifiés par la communauté somalienne et avaient tous des pièces d'identité valables. Ce n'est pas avec une pièce d'identité qu'on peut déterminer si la personne est un criminel.
Nous estimons que ce n'est pas en exigeant des pièces d'identité dans le contexte que je viens de décrire qu'on peut atténuer les craintes relatives à la sécurité. Au lieu de reconnaître l'information et l'aide fournies par les communautés de réfugiés pour expulser les criminels, la réglementation proposée aliène ceux-là mêmes qui pourraient aider le gouvernement à cet égard. Si la majorité des réfugiés non établis sont des femmes et des enfants, où est le problème? Une fillette de six ans représente-t-elle une menace pour la sécurité du Canada?
J'espère que mes propos vous aideront à comprendre pourquoi cette période d'attente de cinq ans ou n'importe quel délai prescrit est inacceptable aux yeux des communautés de réfugiés. Merci beaucoup pour le temps et l'attention que vous m'avez accordés.
La présidente: Merci, monsieur Tabit.
Bon, vous n'avez qu'une minute, et je serai très stricte là-dessus, car nous devons terminer notre étude aujourd'hui.
Mme Laran Affi (membre, Comité de direction, Conseil canadien pour les réfugiés): D'accord, ça va. Je me concentrerai sur les conséquences en ce qui a trait à l'éducation.
Pour être admissible au régime d'aide financière aux étudiants de l'Ontario, il faut être citoyen canadien ou résident permanent du Canada. Pour être admissible en vertu de la Loi fédérale sur l'aide financière aux étudiants, il faut aussi être citoyen canadien ou résident permanent. Par conséquent, beaucoup d'étudiants qui ont terminé leurs études secondaires ne sont pas admissibles à des bourses ou à l'aide financière du RAFEO pour poursuivre des études qui leur permettraient de devenir des membres productifs de la société canadienne.
Nous ne sommes pas admissibles à beaucoup d'emplois. C'est une cause de dépression. La santé mentale est un problème qui prend de plus en plus d'ampleur dans notre communauté à cause de cette question des papiers d'identité. Cinq ans, c'est long quand on doit attendre pour pouvoir s'avancer dans sa vie professionnelle ou dans ses études. Il faut aussi tenir compte des conséquences pour la société canadienne et pour la société somalienne au Canada, qui se trouve aliénée et marginalisée.
Nous estimons que les mesures proposées entraveront notre intégration à la société canadienne. Le Service d'immigration, quant à lui, n'a pas de méthode uniforme pour déterminer si une pièce d'identité est satisfaisante. Pendant la période de questions, je serais très heureuse de vous expliquer comment les agents d'immigration se contredisent constamment quant aux pièces d'identité qu'ils jugent acceptables.
La présidente: Merci beaucoup, et je tiens aussi à vous remercier d'être venus malgré le préavis très court, comme l'a dit Nancy Worsfold.
Nous commençons par M. Nunez, pour dix minutes.
[Français]
M. Nunez (Bourassa): Merci et félicitations au Conseil canadien pour les réfugiés.
Vous teniez il y a quelques jours votre conférence annuelle nationale et j'ai eu l'occasion d'y participer les premiers jours. J'ai beaucoup apprécié le travail que vous faites en faveur des réfugiés, tout comme j'ai apprécié la présence de nombreux participants venant des communautés ethniques et d'anciens réfugiés. Je vous félicite pour le travail que vous faites, particulièrement dans le domaine des réfugiés se trouvant au Canada sans pièces d'identités ou se présentant avec des documents que les fonctionnaires du ministère de l'Immigration jugent inacceptables.
Ma première question porte sur l'acceptation de ces documents. Nancy, vous disiez que parfois même le passeport ne suffisait pas pour identifier une personne. La loi parle de documents acceptables et les fonctionnaires interprètent cette disposition de la loi de façon très restrictive. Que considérez-vous être des documents acceptables aux fins de l'octroi du droit d'établissement?
Mme Worsfold: Merci beaucoup de vos commentaires au sujet de notre conférence.
[Traduction]
Je vous dirai tout d'abord que le Conseil canadien pour les réfugiés ne s'occupe pas de cas individuels, mais je demanderais à Laran et à Tabit de vous parler de la façon dont les papiers sont évalués.
D'après ce que nous en savons, il arrive souvent que des papiers légitimes soient rejetés comme étant des faux et que des faux papiers soient acceptés comme étant légitimes. Dans certains cas, le même papier d'identité est jugé acceptable par un agent et inacceptable par l'autre. Nous avons des exemples concrets.
Mme Affi: On ne sait jamais trop quel papier d'identité sera accepté par tel ou tel agent d'immigration. Ainsi, c'est seulement en 1972 que le somalien est devenu une langue écrite, et j'avais une cliente qui avait un permis de conduire rédigé en italien. L'agent d'immigration a refusé son permis parce qu'il lui avait demandé si elle était déjà allée en Italie et qu'elle a répondu non. Il a donc refusé le document en question comme étant un faux. Or, la Somalie ayant été colonisée par l'Italie, beaucoup de documents étaient délivrés en italien.
Dans certains cas, la famille a des certificats de naissance. J'ai travaillé avec une famille de neuf personnes. La mère et les enfants avaient tous fourni des certificats de naissance, mais on a décidé à partir des certificats de naissance d'accorder le droit d'établissement à sept des membres de la famille et de le refuser à deux d'entre eux. Interrogés à ce sujet, les agents d'immigration répondent simplement que les certificats avaient l'air d'être des faux.
Dans un autre cas, une cliente a présenté une carte d'identité municipale, que le Service d'immigration a refusée. Son avocat a demandé au Service d'immigration d'envoyer le document en question à la GRC pour en vérifier l'authenticité, car on disait que le document avait été modifié. D'après la GRC, le document n'avait jamais été modifié. Le Service d'immigration a néanmoins refusé d'accepter le document, indiquant qu'il s'en tiendrait à sa réaction instinctive selon laquelle le document avait été falsifié.
S'agissant des noms somaliens, même si nous utilisons l'alphabet romain, nous avons certains mots qui n'existent pas en anglais, de sorte que les documents de la Somalie sont écrits en somalien. Par exemple, vous n'avez pas le mot [Le témoin parle dans sa langue maternelle] en français; quand nous écrivons notre nom en français, nous le francisons et l'écrivons avec un A. Ainsi, on laisse tomber le [Le témoin parle dans sa langue maternelle], et le nom devient simplement, par exemple, Ali. Les agents d'immigration disent: votre nom est écrit de telle façon sur les documents en somalien et il est écrit de telle autre façon en français; le document est donc un faux.
Nous n'accordons pas beaucoup d'importance aux dates de naissance. Parfois, il n'y a que l'année qui est indiquée. Quand nous arrivons au Canada, on nous dit qu'il faut le jour et le mois de naissance. C'est ainsi que, d'après leurs papiers d'immigration, beaucoup de Somaliens sont nés le 1er janvier, le 21 octobre et le 1er juillet, parce que ce sont là des jours qui sont importants dans notre histoire. Ce sont de petites choses comme ça, et comme l'a expliqué Nancy, on refuse parfois des documents légitimes et on en accepte de faux.
Pour ma part, je trouve qu'ils sont complètement à côté de la plaque dans leur façon d'évaluer les documents.
[Français]
M. Nunez: D'accord, c'est très clair. La ministre et le gouvernement nous ont dit que l'objectif de ces règlements était d'empêcher que des criminels venant de la Somalie n'établissent leur résidence permanente au Canada.
Vous savez que le Code criminel est très sévère à l'égard de certains citoyens qui commettent des crimes. Vous avez participé à la discussion sur le projet de loi C-44, dont les dispositions sont également sévères à l'égard des criminels en général, et plus particulièrement à l'égard des criminels de guerre. Cette loi permet de retirer le statut de résident permanent à une personne à qui on l'aurait accordé sans qu'elle y ait droit, et même dans certains cas de lui enlever la citoyenneté canadienne.
À votre avis, le Code criminel, le projet de loi C-44 et les autres lois ne protègent-ils pas déjà suffisamment le Canada? Avons-nous vraiment besoin d'une telle disposition de la loi, d'un tel règlement?
Mme Worsfold: Merci, monsieur Nunez.
J'aimerais souligner que le Conseil canadien est préoccupé non seulement par la situation des Somaliens, mais aussi par celle d'autres groupes. Il est vrai que la question de la criminalité est toujours importante.
[Traduction]
Comme M. Tabit l'a expliqué dans le détail, les réfugiés eux-mêmes sont bien plus préoccupés que quiconque par le problème des criminels de guerre, parce qu'ils ne veulent pas croiser leurs persécuteurs dans la rue Yonge ou la rue Bank.
Nous croyons qu'il est ridicule de mettre des milliers de personnes en attente quand il existe déjà bien des moyens de révoquer le statut de réfugié si on se rend compte par la suite qu'il n'aurait pas dû être accordé. À l'heure actuelle, quand on expulse quelqu'un, il faut de toute façon révoquer son statut de réfugié. Il suffit d'en demander la révocation. Il existe donc des moyens, et nous croyons fermement, comme vous l'avez dit, que le Canada est suffisamment bien protégé.
Mme Affi: Les réfugiés n'arrivent pas au Canada avec grand-chose. Ils arrivent cependant avec leur détermination et leurs enfants. Nous ne sommes pas ici pour commettre des crimes et, comme l'a dit Nancy, nous ne voulons pas que ceux qui nous ont persécutés dans notre pays, qui nous ont obligés à nous enfuir, se retrouvent ici avec nous.
La communauté somalienne signale systématiquement au Service d'immigration les personnes qui ont commis des crimes de guerre en Somalie. Le Service d'immigration hésite beaucoup à les déporter. C'est nous qui signalons leur présence ici.
M. Tabit: Ces 80 p. 100 sont des femmes et des enfants ou des personnes sans pièce d'identité. Nous avons eu connaissance de familles qui avaient tous les papiers voulus, mais qui se sont retrouvées dans un vide juridique parce qu'un des enfants n'avait pas de pièce d'identité. Les communautés sont donc préoccupées par la sécurité du Canada. Tout comme les Canadiens, les réfugiés ne veulent pas que des criminels ou leurs persécuteurs viennent les poursuivre ici au Canada.
Je me souviens par exemple du cas de ces réfugiés qui, à Toronto, manifestaient devant les maisons de ces criminels. Les réfugiés avaient signalé la présence des criminels en question, qui ont dû être expulsés. Tout le monde est préoccupé par la criminalité.
La présidente: Je ne ferai pas de deuxième tour, monsieur Nunez. Vous avez droit à une dernière question. Vos dix minutes comprennent les réponses, soit dit en passant.
[Français]
M. Nunez: Vous avez parlé de la période d'attente de cinq ans, à laquelle s'oppose le Bloc québécois parce qu'elle va à l'encontre de la réunification des familles et occasionne de nombreux problèmes au niveau du travail et des études postsecondaires. Auriez-vous une contre-proposition à nous présenter?
Mme Worsfold: Non. Nous considérons que cette période d'attente n'a aucune relation avec le fait qu'une personne doit prouver son identité.
[Traduction]
Nous n'acceptons pas l'idée d'une période d'attente. S'il y a de nouveau un gouvernement en Afghanistan ou en Somalie un jour, comment ces gouvernements délivreront-ils des passeports à leurs ressortissants? Ce sera à partir des documents qu'on refuse ici - des certificats de naissance et des diplômes de fin d'études. Tout cela est bien ridicule.
Au Canada, il suffit - quand on est né au Canada - de présenter son certificat de naissance pour obtenir un passeport. Il y a simplement une étape de plus dans le cas des réfugiés. Cela se passerait exactement de la même façon - et nous espérons que ce sera pour bientôt - quand il y aura de nouveau un véritable gouvernement en Afghanistan et en Somalie. Bien entendu, cela ne résoudra pas tous les autres problèmes auxquels se heurtent ceux qui craignent de faire une demande à leur gouvernement parce que ce gouvernement - c'est notamment le cas de l'Iran - a l'habitude de persécuter la famille de ceux qui demandent le statut de réfugié au Canada.
[Français]
M. Nunez: Merci.
[Traduction]
La présidente: Merci. Madame Meredith.
Mme Meredith (Surrey - White Rock - South Langley): Merci, madame la présidente.
Mes questions s'adressent à vous, Nancy. Ne croyez-vous pas que le Canada devrait exiger des pièces d'identité?
Mme Worsfold: Je crois que le Canada devrait exiger qu'on prouve son identité.
Mme Meredith: Ainsi, vous croyez que le Canada devrait exiger des pièces d'identité?
Mme Worsfold: Pour établir l'identité.
Mme Meredith: C'est-à-dire une pièce d'identité.
Mme Worsfold: Pas du tout.
Mme Meredith: N'appelle-t-on pas pièce d'identité le document qui établit l'identité de quelqu'un?
Mme Worsfold: Je crois avoir déjà expliqué qu'il n'y a pas de lien absolu entre l'identité et la pièce d'identité. Le Conseil canadien pour les réfugiés est d'avis que quand quelqu'un s'est présenté devant un tribunal quasi judiciaire pour prouver que ce qu'il raconte est vrai et qu'il s'est soumis à des tests de crédibilité, cela devrait être suffisant. Il n'y a absolument aucun lien entre la pièce d'identité et l'identité, mais quand quelqu'un s'est présenté devant un tribunal, il doit...
Mme Meredith: Peut-être que je ne me suis pas bien expliquée. Je ne parlais pas du demandeur du statut de réfugié qui doit passer par le processus pour être admis comme réfugié. Je parlais des personnes qui se présentent aux frontières ou aux aéroports du Canada. Ces personnes-là ne devraient-elles pas être obligées de fournir des pièces d'identité?
Mme Worsfold: Je suis désolée, mais je ne vois pas le lien avec la réglementation proposée.
Mme Meredith: Quand les gens arrivent au Canada, il leur faut des documents de voyage pour venir ici de la Somalie, de l'Afghanistan, de l'Iran ou de n'importe quel pays d'Europe. Ils ont besoin de documents de voyage pour venir en Amérique du Nord d'un pays étranger. Est-il injuste de la part du Canada de s'attendre à recevoir, au point d'entrée, une pièce d'identité quelconque, des documents de voyage quelconques?
Mme Worsfold: Cela va à l'encontre de l'esprit et de la lettre de la Convention de Genève relative au statut de réfugié. Il est reconnu dans cette convention que les réfugiés ne sont pas toujours en mesure d'obtenir des documents légitimes.
Mme Meredith: Je ne parle pas de documents légitimes ou de faux, mais de documents tout court. D'après les fonctionnaires du ministère, il semble que bien des personnes arrivent ici sans aucune pièce d'identité. Le Canada ne devrait-il pas exiger des documents de voyage, des pièces d'identité, de ces personnes quand elles arrivent au point d'entrée? Je ne parle pas de l'authenticité des documents en question. Le Canada ne devrait-il pas exiger des papiers quelconques?
Mme Worsfold: Vous voulez dire au point d'entrée?
Mme Meredith: Oui.
Mme Worsfold: Vous évoquez le fait que CIC préfère que la personne lui remette le faux document avec lequel elle a voyagé plutôt que de le détruire?
Mme Meredith: Une pièce d'identité quelconque.
Mme Worsfold: C'est ce qui préoccupe le ministère. Je ne comprends pas pourquoi. Non, je ne pense pas qu'il s'agisse là d'une attente raisonnable.
Mme Meredith: Ce qui me préoccupe, c'est que le ministère propose un règlement qui donne essentiellement à entendre - et vous pouvez me corriger si je me trompe - qu'il n'est pas nécessaire de présenter quelque pièce d'identité que ce soit pour obtenir le droit d'établissement.
Ce ne sont pas simplement les deux communautés en question qui me préoccupent. Je considère que le règlement pourrait à l'avenir être considéré par la communauté internationale comme un signal que le Canada n'exigera pas dans tous les cas des pièces d'identité.
Mme Worsfold: En effet, et j'irais même plus loin que cela. Je dirais qu'il faudrait revenir à la situation d'avant 1993, et je vous mets au défi de me dire pourquoi cela poserait un problème.
Mme Meredith: Eh bien, moi aussi je veux vous mettre au défi. J'ai ici une déclaration de quelqu'un du domaine de l'immigration et du statut de réfugié qui dit qu'en 1991, 8 300 demandeurs du statut de réfugié sont arrivés au Canada sans pièces d'identité. L'an dernier, il y en a eu 27 500. Ces personnes arrivent au Canada sans pièces d'identité. Il me semble que l'accroissement du nombre de ceux qui arrivent ici sans pièces d'identité devrait peut-être nous préoccuper.
Mme Worsfold: Il n'y en a pas eu 27 000 l'an dernier. Il s'agit sans doute du nombre total de ceux qui sont arrivés ici, et ils n'étaient pas tous sans pièces d'identité. Je crois...
Mme Meredith: Non, non, non.
Mme Worsfold: Vos chiffres ne doivent pas être exacts.
Mme Meredith: Il ne s'agit pas nécessairement de ceux qui ont été admis. Il s'agit de ceux qui sont arrivés ici, qu'ils aient été renvoyés, qu'ils aient été autorisés...
Mme Worsfold: Mais il n'y en a pas eu 27 000 qui sont arrivés ici.
Mme Meredith: C'est un fonctionnaire de l'immigration qui a donné ces chiffres publiquement.
Mme Worsfold: De 27 000 personnes qui sont arrivées ici sans pièces d'identité?
Mme Meredith: De ceux qui sont arrivés à divers points d'entrée au Canada sans pièces d'identité.
La présidente: Madame Meredith, nous ne nous querellons pas sur des chiffres, parce que nous n'avons pas le temps pour ce genre de chose. Voulez-vous dire au comité si la déclaration a été faite devant notre comité?
Mme Meredith: Non, il s'agit...
Je veux savoir si oui ou non vous pensez qu'il est acceptable que des gens arrivent au Canada sans pièces d'identité. Ou votre préoccupation porte-t-elle sur le type de document qui devrait pouvoir être utilisé? Vous avez parlé de pièces d'identité «satisfaisantes». Est-ce là votre préoccupation, ou croyez-vous que les gens devraient pouvoir arriver au Canada sans aucune pièce d'identité?
Mme Worsfold: Vous voulez dire arriver au Canada ou se voir accorder le droit de s'établir au Canada? Je croyais savoir que le comité devait examiner la réglementation sur l'établissement des réfugiés au sens de la convention, de personnes ayant déjà passé par le processus.
Mme Meredith: Excusez-moi, mais je ne vois pas la distinction. Les gens qui arrivent ici et qui, après avoir fait une demande, se voient accorder le statut de réfugié sans avoir fourni de pièces d'identité... c'est là une conséquence directe du fait que les gens arrivent au Canada sans pièces d'identité.
Mme Affi: Je peux répondre à cette question. Ce ne sont pas tous les demandeurs du statut de réfugié qui arrivent sans pièces d'identité. La majorité d'entre eux ont effectivement des pièces d'identité. Alors, je comprends vraiment où l'on veut en venir ici. Même les réfugiés somaliens et afghans et les réfugiés de tous les autres pays ont des pièces d'identité que l'Immigration refuse d'accepter.
Mme Meredith: C'est justement ce à quoi je voulais en venir. J'essaye de savoir si vous croyez que le Canada devrait permettre à des gens de venir ici sans pièces d'identité, ou votre préoccupation tient-elle au fait que les pièces qu'ils ont ne sont pas jugées satisfaisantes par les agents d'immigration?
Mme Worsfold: Il n'y a pas de lien absolu, parce que les gens peuvent demander des pièces une fois qu'ils sont ici. Certains peuvent le faire, mais d'autres pas. Le Conseil canadien pour les réfugiés croit-il qu'une personne devrait pouvoir demander le statut de réfugié sans avoir de pièces d'identité? Oui.
Mme Meredith: Vous dites donc que vous ne pensez pas que le Canada ait le droit d'exiger des pièces d'identité.
Mme Worsfold: Je crois que le Canada a le droit de s'attendre à ce que les gens établissent leur identité pour pouvoir obtenir le droit de s'établir ici.
Mme Meredith: Vous me dites donc que vous ne croyez pas qu'il soit nécessaire de produire des pièces d'identité, que quelqu'un pourrait simplement dire: «Je suis la personne que je dis être, et vous devez me croire.» Vous dites que cela devrait être suffisant pour les agents de l'Immigration canadienne.
Mme Worsfold: Au point d'entrée?
Mme Meredith: Non, vous avez parlé d'un document juridique quelconque, d'une déclaration solennelle, qui devrait suffire.
Mme Affi: La Cour suprême du Canada accepte la déclaration solennelle comme preuve d'identité. L'Immigration est-elle au-dessus de la Cour suprême du Canada?
Mme Meredith: Je vous demande si, à votre avis, on devrait accorder le droit d'établissement en se fiant à la parole du demandeur.
Mme Worsfold: Je crois personnellement qu'on devrait se fier à la parole de quelqu'un dont le témoignage a été accepté par un tribunal quasi judiciaire, même s'il ne peut pas fournir de preuve documentaire à l'appui. Ce n'est d'ailleurs pas le cas de la majorité des demandeurs. C'est également la position du Conseil canadien pour les réfugiés. Je répondrais oui également à la question portant sur le point d'entrée. Vous voulez savoir si selon la convention et selon nous on devrait permettre aux gens de réclamer le droit d'établissement sans preuve documentaire. Si c'est vraiment la sécurité qui vous préoccupe, vous devriez vous intéresser aux millions de touristes américains qui traversent la frontière sans documents.
Mme Meredith: Mais ces gens avaient bien des documents au départ, n'est-ce pas?
Mme Worsfold: Certains en avaient, d'autres pas.
Mme Meredith: Vous nous dites que les gens peuvent aller d'un pays à l'autre sans titre de voyage.
Mme Worsfold: S'ils traversent à pied l'Amérique centrale, oui. S'ils voyagent en avion, non.
Mme Meredith: Selon vous, on n'a donc pas besoin de montrer une pièce d'identité lorsqu'on franchit la frontière entre le Mexique et les États-Unis ou entre les États-Unis et le Canada.
Mme Worsfold: Pas nécessairement.
Mme Meredith: Très bien. Je vous remercie.
La présidente: Je vous remercie, madame Meredith.
Monsieur Wappel.
M. Wappel (Scarborough-Ouest): Je vous remercie.
Bonjour. Je veux poursuivre dans la même veine, mais je ne veux pas parler de documents. Ne pensez-vous pas que le Canada est tout à fait en droit de demander à ceux qui veulent entrer au pays et s'y installer de prouver leur identité?
Mme Worsfold: Je crois que nous avons dit à plusieurs reprises qu'il est raisonnable de s'attendre à ce que les gens puissent prouver leur identité.
M. Wappel: Très bien. Vous reconnaissez donc qu'on peut leur demander de prouver leur identité.
Mme Worsfold: Oui.
M. Wappel: Qui devra fixer les règles à cet égard?
Mme Worsfold: Ce sera évidemment le gouvernement ou un organisme gouvernemental. Que ce soit la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ou CIC...
M. Wappel: Tenons-nous-en pour l'instant aux réfugiés. À qui doivent-ils prouver leur identité?
Mme Worsfold: Parce qu'on fait une distinction au Canada entre le processus du droit d'établissement et le processus du statut de réfugié, on demande aux gens de prouver leur identité devant deux commissions n'ayant pas les mêmes critères. Nous ne comprenons pas pourquoi ces deux organismes gouvernementaux ne reconnaissent pas leurs décisions respectives.
L'étude d'impact de la réglementation précise que la majorité des gens dans cette situation sont des réfugiés véritables, ce qui signifie que CIC n'accorde aucune foi aux décisions rendues par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Un organisme refuse d'accepter la validité de la décision rendue par un autre organisme.
M. Wappel: Je vous demande à quel organisme on devrait confier la tâche de se prononcer sur l'identité des gens.
M. Tabit: Les agents d'immigration...
Mme Worsfold: Quel est l'organisme qui le fait à l'heure actuelle ou quel organisme devrait le faire?
M. Wappel: Je croyais avoir dit quel organisme devrait le faire.
Mme Worsfold: Nous estimons que le demandeur qui a prouvé son identité devant la CISR ne devrait pas avoir à le faire devant un autre organisme. Quant aux critères sur lesquels se fonder, je ne pense pas que le Conseil canadien pour les réfugiés ait de position à cet égard. Pour nous, une fois que l'identité a été prouvée, elle ne devrait plus être remise en cause.
M. Wappel: Si le gouvernement décide donc de confier cette tâche au ministère de l'Immigration, vous ne vous y opposerez pas.
Mme Worsfold: Nous n'avons pas pris position sur cette question. Pour nous, l'identité a déjà été prouvée. Peut-être cette tâche devrait-elle être confiée à la CISR. Je ne le sais pas.
M. Wappel: Voilà où je veux en venir. Je crois que nous convenons tous qu'il est juste et raisonnable que le Canada connaisse l'identité de ceux qui réclament le droit d'établissement. La question est maintenant de savoir quel organisme ou ministère devrait établir leur identité.
Mme Worsfold: Nous jugeons que la preuve de l'identité a déjà été faite devant la CISR, mais que cette preuve n'est pas jugée suffisante. Le problème qui se pose à cet égard découle du fait qu'on établit une distinction entre le processus d'établissement et le processus du statut de réfugié.
M. Wappel: Vous pensez donc que le fait de prouver son identité devant la CISR devrait suffire pour tous les processus d'immigration.
Mme Worsfold: Je suppose que oui.
M. Wappel: Très bien. Je croyais avoir posé une question simple.
Vous avez dit avoir été consultés, mais pas vraiment, parce qu'on a rejeté toutes vos suggestions. Je crois que c'est la façon dont vous avez présenté les choses. Combien de vos suggestions faudrait-il accepter pour que vous estimiez avoir été consultés?
Mme Worsfold: Peut-être une.
M. Nunez: Toutes.
M. Wappel: Je crois m'être fait bien comprendre. Je vous remercie.
La présidente: Je vous remercie, monsieur Wappel.
Madame Minna.
Mme Minna (Beaches - Woodbine): Je voudrais préciser quelque chose au sujet de la CISR et du processus d'établissement.
Il a été question plus tôt des documents. Parfois c'est le faux document qu'on accepte, et parfois c'est le vrai. Faut-il comprendre que la CISR accepte la validité des documents qui lui sont soumis, jugeant qu'ils constituent une preuve que le demandeur est un réfugié véritable, mais que ces mêmes documents ne sont plus jugés valides quand c'est le moment d'établir s'il convient d'octroyer le droit d'établissement? Vous ai-je bien compris?
Mme Affi: Non, ce n'est pas...
Mme Minna: J'essaie de comprendre si les documents auxquels vous faisiez allusion sont acceptés dans un cas et refusés dans l'autre. Cela arrive-t-il?
Mme Affi: Non, ce n'est pas ce que je veux dire. Ce que je veux dire...
Mme Minna: Ça va, vous pouvez tous répondre à la question.
Mme Affi: L'exemple que je vous ai donné est celui de Somaliens que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a reconnu être des réfugiés au sens de la convention. La commission vous remet une lettre sur laquelle figure votre nom, votre date de naissance et votre pays d'origine, en l'occurrence la Somalie.
Le ministère de l'Immigration délivre des documents portant mon nom et précisant le fait que je viens de la Somalie. Je ne vois pas pourquoi il en faudrait plus.
Pour revenir à votre question, il s'agit de gens qui se sont retrouvés dans des situations très difficiles et qui ont pensé qu'ils pourraient obtenir le droit d'établissement en se procurant de faux documents. Quand les gens sont désespérés, on peut s'attendre à tout.
J'estime que cette loi encourage les gens à essayer d'obtenir de faux documents.
Mme Minna: Ce que je voulais savoir, c'est...
Mme Worsfold: La CISR demande qu'on produise des documents. Comme je l'ai dit plus tôt, je ne m'occupe pas du traitement des dossiers, mais je sais que la CISR exige la production de certains documents. Je suppose qu'il s'agit des documents que demande aussi CIC.
Mme Affi: Pas toujours. Les gens se procurent parfois des documents d'identité après avoir été reconnus comme réfugiés au sens de la convention parce qu'ils savent qu'on va leur en demander. La CISR est plus souple.
Mme Minna: Je comprends. J'essayais de voir si certains documents étaient acceptés par un organisme et refusés par l'autre.
Mme Worsfold: Je crois que cela arrive.
Mme Minna: Je me demandais simplement s'il y avait une conclusion utile à tirer à ce sujet.
Mme Worsfold: Les témoins subséquents auront peut-être des cas semblables à vous signaler.
La présidente: J'aimerais vous demander une dernière précision. Dans le document que vous nous avez remis et qui s'intitule: «Identity Documents», vous dites en substance que vous pressez le ministre d'affecter le personnel et les ressources voulues pour traiter dans un délai de six mois les demandes d'établissement présentées par les personnes sans pièces d'identité. Vous disiez plus tôt qu'il ne fallait pas fixer de délai. Autrement dit, un délai de cinq ans serait-il trop long? Six mois serait-il un délai trop court? Recommandez-vous un délai de six mois?
Mme Worsfold: Non, non, non. Le délai de six mois est pour le traitement des demandes. Il y a une distinction à faire entre le délai prévu par la loi et le délai de traitement des demandes. Même si la loi prévoyait un délai de cinq ans, il faudrait ajouter à cela le délai de traitement des demandes. Étant donné qu'on refuse maintenant de régler au même moment le cas des personnes à charge demeurées à l'étranger, celles-ci devront attendre deux ou trois ans de plus.
La présidente: Connaissez-vous des pays qui ne fixent pas de période d'attente?
Mme Worsfold: Vous voulez dire une période d'attente entre...
La présidente: À partir de l'établissement.
Mme Worsfold: Je ne sais pas s'il y a une période d'attente... Dans la plupart des pays, la reconnaissance du statut de réfugié donne droit à l'établissement.
La présidente: À votre connaissance, le processus ne comporte pas deux étapes dans la plupart des pays?
Mme Worsfold: Non, il n'existe pas de processus en deux étapes.
La présidente: Vous exhortez aussi le ministre dans votre mémoire à demander à ces fonctionnaires d'accorder plus de poids aux entrevues personnelles et aux preuves documentaires indirectes. Savez-vous quel type de documents les agents d'immigration acceptent, ou n'y a-t-il pas de règle à cet égard?
Mme Worsfold: C'est tout à fait arbitraire.
La présidente: Très bien. Je vous remercie. Je remercie le conseil de son apport à nos travaux.
Poursuivons. J'espère qu'il n'y aura pas de vote.
Mme Meredith: Madame la présidente, nous avons demandé l'autre jour au ministère de nous fournir une liste des documents qui sont pris en compte. Ne l'avons-nous pas reçue?
La présidente: Pas encore.
M. Nunez: Il importe que nous obtenions cette information avant la fin de nos consultations.
La présidente: J'essaierai de l'obtenir.
J'invite maintenant David Matas et Tamra Thompson, de l'Association du Barreau canadien, à bien vouloir prendre place à la table.
Je vous signale pour votre gouverne que la sonnerie indique simplement qu'il y a quorum à la Chambre. Vous pouvez commencer à votre convenance monsieur Matas.
[Français]
Mme Tamra Thomson (directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien): Merci, madame la présidente.
L'Association du Barreau canadien est une association nationale qui représente plus de 34 000 juristes de l'ensemble du Canada. Les principaux objectifs de l'Association sont l'amélioration du droit et de l'administration de la justice, ainsi que la promotion de l'égalité dans le système judiciaire. C'est dans cette optique que nous présentons nos commentaires aujourd'hui.
[Traduction]
L'Association du Barreau canadien, et en particulier la section du droit de l'immigration, est heureuse d'avoir l'occasion de présenter son point de vue sur le règlement envisagé.
Je suis accompagné aujourd'hui de M. David Matas, le président de la section du droit de l'immigration, qui a une longue expérience des questions d'immigration, et en particulier des questions se rapportant aux réfugiés. C'est lui qui vous résumera notre mémoire aujourd'hui.
M. David Matas (président, Section nationale du droit de l'immigration, Association du Barreau canadien): Madame la présidente, je vous remercie de nous accueillir aujourd'hui.
C'est en 1993 qu'on a modifié la Loi sur l'immigration pour que l'obligation soit faite aux demandeurs de fournir des pièces d'identité acceptables. Nous savons maintenant qu'on a eu tort de le faire parce que, d'après ce que nous pouvons juger, cette modification n'a aidé en rien le ministère à remplir la partie de son mandat qui consiste à protéger les Canadiens. Par contre, elle a créé cette énorme sous-catégorie de gens marginalisés qui attendent indéfiniment qu'on leur accorde le droit d'établissement. À la décharge du ministère, celui-ci s'est dans une certaine mesure rendu compte de cette erreur, et la catégorie des réfugiés se trouvant au Canada sans pièces d'identité qui est maintenant envisagée vise justement à régler ce problème.
Nous avons certaines réserves au sujet de cette proposition. Nous ne sommes pas d'avis qu'elle constitue la bonne solution aux problèmes que pose la loi. Avant de vous proposer une façon d'améliorer la disposition, permettez-moi de faire remarquer qu'il serait peut-être possible d'appliquer la loi de manière à éviter le problème qui se pose à l'heure actuelle et qui découle du fait qu'une obligation est faite au demandeur de présenter des pièces d'identité acceptables. Pour certains agents d'immigration notamment, tout ce qui acceptable, c'est un passeport.
Nous suggérons au comité de simplement recommander l'abrogation de cette disposition, qui, à notre avis, n'aide en rien les services d'immigration, le Canada ou les Canadiens. Le gouverneur en conseil n'est évidemment pas habilité à abroger une disposition de la loi, mais vous pouvez certainement recommander que cela soit fait.
La Convention sur les réfugiés prévoit l'octroi de pièces d'identité aux personnes auxquelles l'État hôte accorde le statut de réfugié. En créant cette confusion au sujet de l'identité des réfugiés, nous enfreignons en fait la convention sur les réfugiés. Nous devrions simplement accepter que l'obtention du statut de réfugié s'accompagne d'une reconnaissance de l'identité de la personne visée.
Pour ma part, je n'ai pas perdu espoir que la loi puisse fonctionner sans qu'on doive la modifier. Il suffit pour cela de bien définir ce qu'on entend par une pièce d'identité acceptable. Une déclaration solennelle ou sous serment de la personne visée devrait suffire.
En droit, une déclaration sous serment est présumée être véridique. De toute évidence, cette présomption peut être réfutée, étant donné que tout le monde ne dit pas la vérité. On ne peut cependant pas dire non plus que tout le monde ment. Or, c'est ce qu'on semble présumer à l'heure actuelle, puisqu'on ne fait confiance à personne. On va trop loin. Il conviendrait simplement que les manuels opérationnels ainsi que le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration donnent aux déclarations sous serment le même poids que lui ce qu'elles ont en droit: c'est-à-dire qu'elles sont présumées véridiques tout en étant réfutables.
Parlons maintenant de la catégorie envisagée. La solution que propose le gouvernement, c'est de prévoir un délai d'attente de cinq ans. Comparons cette catégorie à la catégorie des ordonnances de renvoi différé. Je reconnais que cette catégorie déplaît à certains, mais ceux qui sont visés par celle-ci peuvent obtenir le droit d'établissement - même s'ils n'ont pas de pièces d'identité - s'ils n'ont pas été renvoyés du pays dans un délai de trois ans et que cet état de fait est attribuable au gouvernement, et non pas à la personne visée.
Il ressort d'une comparaison entre ces deux catégories que ceux à qui on a refusé le statut de réfugié et qui n'ont pas de pièces d'identité peuvent obtenir le droit d'établissement après trois ans. Par contre, si on s'est vu accorder le statut de réfugié et qu'on n'a pas de pièces d'identité, on ne peut obtenir le droit d'établissement qu'après cinq ans. Il en découle qu'il vaut mieux se voir refuser le statut de réfugié que l'inverse.
Cela vaut en particulier pour les Somaliens. On accorde actuellement le droit d'établissement à des Somaliens à qui on a refusé le statut de réfugié, mais qui appartiennent à la catégorie des ordonnances de renvoi différé, tandis qu'on refuse ce droit à d'autres Somaliens qui n'ont pas de pièces d'identité, mais à qui on a reconnu le statut de réfugié. Ces derniers se retrouvent dans ce vide juridique.
La même chose vaut pour les Afghans puisque le gouvernement a pour politique et avec raison, de ne pas les renvoyer en Afghanistan. Tous les Afghans qui se voient refuser le statut de réfugié tombent dans la catégorie des ordonnances de renvoi différé. S'ils obtiennent le statut de réfugié, ils sont casés dans la catégorie des personnes sans pièces d'identité, puisque l'Afghanistan est l'un des pays désignés. Les Afghans aussi doivent donc attendre cinq ans s'ils obtiennent le statut de réfugié et trois ans si on le leur refuse. C'est à tout à fait illogique.
Nous avons des réserves au sujet du délai d'attente, mais dans tous les cas il devrait être moins long pour ceux à qui la Section du statut de réfugié a accordé le statut de réfugié que pour ceux à qui elle l'a refusé. S'il faut fixer un délai d'attente, il devrait être de deux ans, ce qui reviendrait à un délai inférieur dans le cas de ceux à qui on a accordé le statut de réfugié. Le délai de deux ans devrait commencer à partir de la date où le statut est réclamé, et non pas à partir de la date à laquelle la demande d'établissement a été faite.
Nous proposons aussi que cette catégorie s'applique à tous les pays, et non pas seulement aux pays désignés. Les deux pays désignés à l'heure actuelle sont des pays dont les gouvernements ne délivrent pas de passeports. Or, ce n'est pas la seule raison pour laquelle il peut être difficile d'obtenir un passeport. Certains gouvernements peuvent délivrer des passeports et ne le font pas. Certaines personnes refusent de délivrer un passeport à des réfugiés parce qu'elles ne souhaitent pas les aider à se réinstaller ailleurs. Certaines personnes mettraient leur propre vie ou celle de leur famille ou de leurs amis en péril si elles essayaient d'obtenir des passeports, et c'est pourquoi elles ne le font pas. Certains refusent d'essayer d'obtenir des passeports pour des raisons morales. Nous estimons donc que cette catégorie ne devrait pas être limitée aux pays désignés, mais devrait comprendre tous les pays.
Le troisième changement que nous proposons vise à régler le problème que pose la réunification des familles. Le vide juridique qui a été créé pose beaucoup de difficultés aux personnes visées, mais le problème le plus grave, c'est qu'il retarde la réunification des familles. Dans certains cas, les familles des réfugiés mettent des années à les retrouver au Canada. La disposition visant la catégorie envisagée ferait en sorte qu'une personne pourrait attendre de huit à neuf ans avant de retrouver sa famille. Comme les enfants de plus de 19 ans n'appartiennent plus à la catégorie de la famille, tout enfant de 10 ou 11 ans laissé à l'étranger ne reverrait jamais sa famille au Canada. Voilà le problème.
Nous avons trois propositions à faire à ce sujet. La première, c'est de permettre aux membres de la famille de venir au Canada comme visiteurs, une fois que le demandeur s'est vu accorder le statut de réfugié au Canada. La deuxième, c'est de permettre à ceux qui présentent une demande d'établissement en vertu de cette catégorie d'inclure les personnes à charge laissées à l'étranger, et non pas seulement celles qui vivent au Canada. La troisième, c'est que la date s'appliquant quand vient le moment de déterminer si une personne appartient ou non à la catégorie de la famille devrait être la date à laquelle la demande d'établissement a été présentée à l'origine aux termes de la Loi sur l'immigration, et non pas la date à laquelle l'enfant demande le droit d'établissement après que le parent a obtenu ce droit, aux termes de la catégorie désignée. De cette façon, personne ne serait privé du droit d'être réuni à sa famille simplement parce qu'il attend depuis longtemps.
Le quatrième changement que nous proposons porte sur les droits. En vertu du système actuel, il est nécessaire de payer des droits pour l'établissement des personnes à charge demeurées à l'étranger au moment où une demande d'établissement est faite aux termes de la loi, et ensuite lorsqu'une demande d'établissement est faite aux termes de cette catégorie. Il ne faudrait pas demander aux gens de payer des droits deux fois.
L'objet de cette catégorie est évidemment de faire en sorte qu'on puisse renvoyer chez elles, les personnes indésirables, mais le délai prévu n'atteint pas cet objectif. Comme on vous l'a déjà dit, il y a des personnes indésirables qui possèdent des documents valides, et il est effectivement regrettable qu'un certain nombre de gens qui se sont installés au Canada et qui n'auraient pas dû le faire possédaient de tels documents. Ce moyen ne permet pas vraiment de régler le problème de la criminalité.
La façon de régler ce problème, c'est évidemment d'intenter des poursuites. Le Code criminel prévoit des délits qui sont universellement reconnus comme des crimes, mais, en raison de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Finta, ces dispositions sont rarement invoquées. Il convient de modifier le Code criminel pour qu'il soit possible de poursuivre devant les tribunaux canadiens les criminels de guerre, ainsi que les coupables de crimes contre l'humanité.
Ce n'est pas par des délais de ce genre qu'on va régler le cas de ces criminels. Et d'autres raisons rendent le recours à cette solution illogique. De toute façon, les pires criminels ont tendance à adopter un comportement sans reproche une fois qu'ils sont admis ici, parce qu'ils sont justement ici pour fuir la justice, et non pas pour commettre de nouveaux crimes. Comme M. Nunez l'a fait remarquer dans ses questions, en raison du projet de loi C-44, il n'est plus possible à ces gens-là d'éviter ou de retarder un renvoi. Il n'est pas vraiment plus facile pour eux de demeurer ici si nous leur accordons le droit d'établissement et si nous découvrons par la suite qu'ils sont des criminels.
Nous aimerions aussi insister sur le caractère discriminatoire de cette disposition. Nous savons bien que le ministère ne cherche pas à faire de la discrimination volontairement, mais le fait est que la plupart des cultures attachent beaucoup moins d'importance que nous aux documents. Certaines cultures sont des cultures de type oral ou communautaire dans lesquelles les documents importent peu ou pas du tout.
Le fait d'insister sur les documents revient à établir une discrimination fondée sur le sexe, l'âge et la résidence. Ceux que cela lèse le plus, c'est ceux qui sont les moins susceptibles d'accumuler des documents.
Il nous faut vraiment prendre conscience de l'aspect discriminatoire de cette insistance sur la production de documents.
Le problème existe. La modification apportée à la loi en 1993 a créé une sous-catégorie de gens qui ne peuvent pas travailler au Canada, ni fréquenter l'école, sans obtenir la permission de le faire, qui ont du mal à obtenir des services sociaux, qui ne peuvent pas quitter le Canada et y revenir et à qui on refuse d'être réunis à leur famille. Ces gens sont marginalisés et ne peuvent pas s'intégrer à la société canadienne. Cette situation comporte des conséquences pour tout le Canada.
La catégorie envisagée vise à régler ce problème. Or, comme elle ne le règle pas, il faut trouver une autre solution.
La présidente: Je vous remercie beaucoup.
Monsieur Nunez.
[Français]
M. Nunez: Merci aux représentants de l'Association du Barreau canadien. Je vous écoute toujours avec beaucoup d'attention parce que les mémoires que vous présentez dans le cadre des consultations de nos comités sont toujours très étoffés.
La présidente: Nous voulons les remercier aussi.
M. Nunez: Et de plus, ils sont rédigés en anglais et en français.
La présidente: Oui.
M. Nunez: Les recommandations que vous nous présentez sont très valables et pertinentes. Le comité devra en tenir compte lors de la rédaction de son rapport.
J'aimerais aborder la question de la constitutionnalité de ce règlement et de l'article 46 de la Loi sur l'immigration qui est entré en vigueur en 1993. Deux éminents avocats sont venus devant notre comité et ont mis en doute ce règlement qui risque d'aller à l'encontre de la Charte canadienne des droits et libertés puisqu'il établit des catégories de personnes de façon discriminatoire. D'autre part, vous avez constaté que ces règlements et l'article 46 vont probablement à l'encontre de la Convention de Genève sur les réfugiés et probablement aussi à l'encontre la Convention internationale des droits de l'enfant, qu'à ma connaissance le Canada n'a pas signée.
Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de la constitutionnalité de cette loi et de ces règlements?
[Traduction]
M. Matas: Je connais ce cas qui vient d'être porté devant les tribunaux. L'argument sur lequel on se fonde, c'est qu'on exerce une discrimination à l'endroit des réfugiés somaliens parce que ceux-ci appartiennent à des cultures ou à des nationalités qui n'ont pas les mêmes pièces d'identité que nous.
Nous sommes d'accord pour dire qu'il y a discrimination indirecte, et non pas discrimination volontaire. Reste à voir si les tribunaux accepteront cet argument. Nous estimons que cela se défend. La contestation judiciaire repose sur des arguments solides.
Le Parlement et le gouvernement, pour leur part, n'ont pas à attendre qu'un tribunal rende une décision pour régler le problème. Il suffit de reconnaître qu'un problème se pose. Il y a discrimination, qu'il y ait violation ou non de la Charte.
Il y a certainement un problème qui se pose en ce qui touche la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans la mesure où toutes ces conventions sur les réfugiés mentionnent l'obligation faite aux États hôtes de fournir des pièces d'identité aux personnes auxquelles ils accordent le statut de réfugié. La situation est complètement renversée. Au lieu de respecter l'engagement que nous avons pris à cet égard, nous privons les réfugiés de pièces d'identité en raison des exigences que nous leur imposons.
[Français]
M. Nunez: Vous avez proposé de réduire la période d'attente de cinq à deux ans. Pouvez-vous nous expliquer un peu votre raisonnement? Nous avons posé la même question aux fonctionnaires du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration et je dois avouer que je n'ai pas bien compris pourquoi ils ont fixé cette période à cinq ans plutôt qu'à six, quatre, trois ou deux ans. Pourquoi cinq ans? Pourquoi proposez-vous deux ans, ce qui me semble un délai plus raisonnable pour les droits d'établissement au Canada? De quels facteurs ou éléments avez-vous tenu compte pour proposer cette période d'attente de deux ans?
[Traduction]
M. Matas: La raison pour laquelle je propose un délai de deux ans, c'est que j'ai constaté que dans le règlement le délai prévu est de trois ans si on se voit refuser le statut de réfugié. Je pense donc que le délai devrait être moins long si l'on s'est vu octroyer le statut de réfugié.
À mon sens, le ministère a établi un délai de trois ans lorsqu'il a fixé la catégorie des ordonnances de renvoi différé. Le fait que le ministère propose un délai de cinq ans à ceux qui ont obtenu le statut de réfugié, et de trois ans à ceux qui se sont vu refuser ce statut, est contraire au règlement. Il est vrai que la Section du statut de réfugié a établi l'identité de ceux dont elle a approuvé le statut de réfugié, alors que cela n'a pas été fait dans le cas de ceux qui se sont vu refuser ce statut.
Il semble donc raisonnable que lorsqu'il y a ce délai de trois ans et que le ministère a déjà établi l'identité d'une personne, au moment de lui accorder le statut de réfugié, ce délai soit inférieur à trois ans. Voilà pourquoi nous recommandons un délai de deux ans.
[Français]
M. Nunez: Ce règlement sera en vigueur pendant deux ans, soit de la fin décembre 1996 jusqu'à la fin décembre 1998. Nous avons posé aux fonctionnaires des questions relativement au nombre de Somaliens et d'Afghans qui ne possèdent pas les documents jugés satisfaisants par les fonctionnaires. Ils nous ont répondu qu'environ 7 000 réfugiés, probablement 50 p. 100, pourraient bénéficier de ce règlement au cours des deux prochaines années. Que pouvez-vous nous dire concernant ce délai de deux ans? Avez-vous fait des calculs afin de déterminer à combien de réfugiés cela pourrait bénéficier?
[Traduction]
M. Matas: Je dois reconnaître ne pas avoir prêté beaucoup d'attention à ce délai de deux ans, parce que je connais le fonctionnement des anciennes catégories désignées. Je songe ici à la catégorie des exilés volontaires, à la catégorie de Latino-Américains, à la catégorie des prisonniers politiques et à la catégorie des gens de la presse. Les délais s'appliquant à ces catégories étaient toujours très brefs et étaient constamment renouvelés. Juste avant la date d'expiration, le gouverneur en conseil adoptait un règlement changeant celle-ci. Je suppose que si cette catégorie se révèle utile, à des fins de politique publique, elle sera renouvelée, comme on renouvelle encore ces autres catégories désignées.
Je ne m'inquiète donc pas particulièrement du fait qu'on prévoit l'élimination de cette catégorie dans deux ans.
[Français]
M. Nunez: Comme vous le précisiez, ce règlement ne s'applique qu'à la Somalie et à l'Afghanistan. Des problèmes similaires se présentent en Iran, au Sri Lanka et probablement dans d'autres pays, tout particulièrement en Afrique. Jugez-vous acceptable que seulement deux pays bénéficient de ce règlement?
[Traduction]
M. Matas: Comme vous l'avez peut-être constaté, nous avons recommandé que la catégorie vise tous les pays dont proviennent les réfugiés dans le monde. Le problème que pose le fait de désigner certains pays, c'est que le gouvernement met toujours un certain temps à réagir à tout changement dans la situation interne d'un pays. Tout gouvernement peut se montrer à ce point mesquin avec ses citoyens qu'il refusera de leur délivrer des passeports. Il se peut aussi qu'on accepte de délivrer des passeports, mais qu'on en refuse un à quelqu'un simplement pour lui causer le plus d'ennuis possible. C'est dans ce genre de situation que le gouvernement devrait pouvoir recourir à une catégorie de ce genre.
[Français]
M. Nunez: Vous savez que l'acceptation de certains documents dépend beaucoup du jugement du fonctionnaire. Il va sans dire que les passeports sont des documents acceptés universellement. Comme je le demandais aux représentants du Conseil canadien pour les réfugiés, quelles sortes de pièces d'identité seraient acceptables?
[Traduction]
M. Matas: Ce n'est pas des documents acceptables dont il est question ici, mais de l'établissement de l'identité. Les documents sont un moyen d'établir l'identité, mais ce n'est pas le seul.
Monsieur Nunez, je sais qui vous êtes. Je n'ai jamais vu votre passeport, je n'ai jamais vu votre certificat de naissance, je n'ai jamais vu votre carte d'identité de la Chambre des communes et je n'ai pas besoin de les voir. Je sais qui vous êtes. Il faut cesser de mettre ainsi l'accent sur les pièces d'identité.
Dans le cas des réfugiés, ils ont déjà été identifiés ou reconnus comme étant des réfugiés, étant donné qu'ils sont passés par le processus de détermination du statut de réfugié, et cela devrait être suffisant. Si ce n'est pas suffisant, nous devrions croire les gens sur parole. Nous pouvons toujours émettre des doutes. Nous pouvons toujours faire des vérifications. Si nous n'avons pas de raison de douter de la parole des gens, nous devrions les croire.
[Français]
M. Nunez: Bien que vous en ayez parlé, j'aimerais que vous précisiez comment le Code criminel et le projet de loi C-44 aident le Canada à lutter contre la criminalité chez les immigrants, soit en les empêchant de venir au Canada, soit en les expulsant s'ils ont commis des infractions graves. Est-ce que la loi actuelle est suffisante ou si nous devrions prévoir des mesures encore plus sévères, comme le propose un projet de loi d'intérêt privé que nous étudions, pour contrer la criminalité chez les immigrants?
[Traduction]
M. Matas: Pour ce qui est de la Loi sur l'immigration, elle est très stricte. Comme vous le savez, le projet de loi C-44 a supprimé tous les appels, à un point tel que des causes contestant la constitutionnalité du projet de loi C-44 ont été portées devant les tribunaux.
La Loi sur l'immigration pose certains problèmes. Si quelqu'un est déjà citoyen, il n'y a aucune coordination entre les diverses étapes de la procédure. Vous devez reprendre chaque étape. La citoyenneté, la dénaturalisation et l'expulsion.
On se demande, dans l'affaire Nemsila, si une période de cinq ans doit conférer l'immunité. Il reste à voir comment cela se terminera. Si une période de cinq années vous confère vraiment l'immunité, il va falloir réviser la loi.
Le plus gros problème se pose à l'égard du Code criminel. En théorie, nous acceptons le principe de la compétence universelle pour un certain nombre de délits. À la suite de l'interprétation des tribunaux, ce n'est plus possible en pratique. Nous devons modifier le Code criminel. Cela aurait un bien meilleur effet dissuasif. Si vous dites seulement aux gens qu'ils doivent partir, vous les déplacez, mais vous ne les punissez pas.
Si nous pouvions menacer les gens de les poursuivre, de les juger, de les condamner et de les mettre en prison pour des infractions criminelles internationales, ce serait beaucoup plus efficace que de modifier le système d'immigration.
La présidente: Avant que je donne la parole à Mme Meredith, Mme Minna voudrait avoir quelques éclaircissements avant de partir.
Mme Minna: Je voudrais seulement avoir une précision au sujet d'un renseignement queMme Meredith a déposé plus tôt.
En 1995, vous dites qu'il y a eu 27 000 réfugiés sans pièces d'identité. En fait, 26 000 personnes ont déclaré être des réfugiés, et non pas 27 000, et sur ce nombre 14 000 n'avaient pas de pièces d'identité.
Mme Meredith: Ce n'était pas des réfugiés. C'est 27 000 personnes qui sont entrées au Canada sans pièces d'identité. Comme je l'ai dit, ce sont les gens qu'on a laissés entrer, peu importe qu'ils aient revendiqué le statut de réfugié, qu'ils soient là comme visiteurs. Selon cet article, 27 500 personnes sont arrivées au Canada sans pièces d'identité. Je ne parlais pas des réfugiés, mais de ces personnes en général.
Mme Minna: Merci.
La présidente: Madame Meredith.
Mme Meredith: Merci, madame la présidente. En examinant le résumé de vos recommandations, plusieurs choses me sont venues à l'esprit. Je voudrais vous poser la même question qu'au Conseil canadien pour les réfugiés. Pensez-vous que le Canada a le droit de réclamer une pièce d'identité, quels que soient les documents qui servent à voyager pour se rendre au Canada?
M. Matas: De façon générale, je dirais que oui. Quand vous demandez si le Canada en a le droit, comment établir si c'est un droit? Il faut examiner le régime juridique international. Nous avons parlé de la Convention relative au droits de l'enfant, de la Convention sur les réfugiés, etc. Aucune d'elles n'indique expressément que vous ne pouvez pas exiger de pièces d'identité.
À l'heure actuelle, une disposition du règlement le fait. L'article 14 du règlement porte que chaque immigrant doit être en possession d'un passeport valide et non périmé. Nous ne contestons pas cette disposition. C'est très bien. La question n'est pas là.
Le problème se pose en ce qui concerne les personnes qui ont déjà été reconnues comme étant des réfugiés. Cela suffit-il pour leur accorder le droit d'établissement, ou va-t-on exiger autre chose? Voilà la question.
Mme Meredith: D'accord, mais ce règlement me semble avoir des répercussions beaucoup plus vastes. Si le problème se limitait à cela, je serais moins inquiète. Selon moi, ce règlement va laisser entendre au monde entier que le Canada est prêt à accepter des gens sans pièces d'identité. Tel est le message que nous allons envoyer.
Je voudrais savoir si vous acceptez quelqu'un sans pièces d'identité, ou s'il s'agit plutôt de voir quel document devrait être suffisant pour prouver l'identité d'une personne qui revendique le statut de réfugié ou demande le droit d'établissement.
M. Matas: Comme je l'ai dit, les pièces d'identité ne sont qu'un moyen, et non pas une fin en soi. Le but visé est d'établir l'identité ou la bonne foi de la personne en question. Il y a plusieurs moyens de le faire, et les pièces d'identité en sont un. Mais comme vous le savez, les documents peuvent être falsifiés, et certaines personnes peuvent mentir. Il faut utiliser tous les moyens possibles pour obtenir la vérité.
Cette proposition ne s'applique qu'aux réfugiés reconnus comme tels. D'autres personnes qui ne font pas partie de cette catégorie verront peut-être là un message, mais, malheureusement, la désinformation est chose fréquente. Si de fausses rumeurs circulent, il faut les dissiper. On ne peut pas éviter de faire une chose logique simplement parce que des gens pourraient en faire une fausse interprétation. Il faut agir de façon logique, même si le message peut être déformé. Vous devez simplement faire en sorte de bien communiquer le message si c'est la bonne solution.
Mme Meredith: Mais une de vos recommandations ne se limite pas à régler le problème que cause actuellement le grand nombre de Somaliens et d'Afghans qui se trouvent dans cette situation. Vous ne voulez aucune limitation à l'égard des pays désignés. Vous pensez que la porte devrait être grande ouverte à tous ceux qui veulent se servir de ce...
M. Matas: Oui, mais ces personnes seraient toutes reconnues comme des réfugiés. Je ne dis pas que tout le monde doit être accepté sans pièces d'identité. Ce n'est pas le but de cette proposition. Les personnes qui ont déjà été identifiées parce qu'elles sont passées par le processus de détermination du statut de réfugié ne devraient pas avoir à prouver deux fois leur identité. Une fois devrait suffire.
Mme Meredith: D'accord. Vous voyez des objections à la période de cinq ans. Dans son résumé de la réglementation, le ministère dit que ce délai de cinq ans vise deux objectifs. Le premier est de permettre à un membre de la communauté de dénoncer quelqu'un qui a un passé criminel ou a fait quelque chose de répréhensible.
Deuxièmement, cette période permet d'établir si l'intéressé respecte les lois du Canada et les normes de la société canadienne, quel que soit le sens que l'on donne à cela.
Voulez-nous nous dire qu'il n'est pas essentiel de pouvoir découvrir un passé criminel? Et qu'en est-il du respect des lois du Canada et des normes dont il est question ici?
M. Matas: Vous parlez de la deuxième justification?
Mme Meredith: Oui.
M. Matas: La meilleure façon d'amener les gens à respecter les lois du Canada, c'est de les intégrer dans le système. Plus ils sont marginalisés, moins ils sont susceptibles de devenir des partenaires à part entière de la société canadienne. Quand on met ces gens de côté pendant des années, c'est une drôle de façon de vouloir les amener à respecter nos lois. C'est discriminatoire.
Pourquoi le faire pour ces personnes? Vous savez, il y a un lien entre la période d'identification et la période d'attente. Mais en réalité, ce lien n'existe pas entre l'identification et la criminalité. Quand les gens commettent des crimes, ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas d'identité, mais pour d'autres raisons. Je ne vois pas le rapport entre le but énoncé et le programme qui a été conçu.
Mme Meredith: D'accord. Je dois supposer - je ne suis pas l'auteure de ce texte et c'est donc une simple supposition - que le ministère a pensé, qu'une fois qu'une personne a obtenu le droit d'établissement il est plus difficile de voir si elle a enfreint la loi et eu des activités criminelles. Cela devient beaucoup plus compliqué. Nous avons des individus qui ne respectent pas les lois et les normes du Canada - quel que soit le sens donné à l'expression «normes de la société» - nous voulons donc leur enlever leur droit d'établissement. Il est beaucoup plus difficile, après coup, de leur dire que nous voulons savoir s'ils vont respecter ou non les lois canadiennes.
M. Matas: Il s'agit de se demander dans quelle mesure c'est plus difficile. Je ne vous demande pas de répondre à cela; j'ai ma propre réponse.
Avant le projet de loi C-44, c'était plus difficile. En effet, un immigrant reçu qui faisait l'objet d'une ordonnance d'expulsion pour avoir été reconnu coupable d'un acte criminel pouvait faire appel à la division des appels de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. En réalité, à l'heure actuelle, un réfugié qui fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion, qu'il ait obtenu ou non le droit d'établissement, peut également faire appel. Je ne vois pas en quoi le droit d'établissement avantage un criminel. S'il peut toujours être expulsé, qu'il ait ou non obtenu le droit d'établissement, son droit d'appel est le même.
Mme Meredith: C'est peut-être que le ministère a beaucoup de difficulté à expulser des gens qui ont été reconnus coupables d'activités criminelles, malgré les changements apportés par le projet de loi C-44. La Cour fédérale vient de rendre un verdict favorable à l'égard du deuxième appel d'un individu reconnu coupable de trafic de stupéfiants. Le ministère a peut-être voulu faire preuve de prudence parce qu'il s'est rendu compte que les changements apportés dans le projet de loi C-44 ne l'aident pas à expulser les criminels du pays.
M. Matas: Même sans tenir compte du projet de loi C-44... Comme je l'ai dit tout à l'heure, la situation est la même. En l'absence du projet de loi C-44, un réfugié qui fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion peut faire appel à la division des appels de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, qu'il ait ou non obtenu le droit d'établissement. Vous n'augmentez pas son droit d'appel en lui accordant le droit d'établissement. Son droit d'appel est le même.
Mme Meredith: Par conséquent, vous dites que cette protection est déjà dans la loi.
Vous voulez apporter des changements au Code criminel. Comme nous n'avons pas le temps... je ne comprends pas très bien ce que vous voulez dire.
Vous estimez que la législation canadienne assure déjà une protection suffisante et que ce changement à la réglementation n'est donc pas nécessaire. La période de cinq ans qui doit permettre au Canada de se protéger contre la criminalité n'est donc pas utile.
M. Matas: Cette période de cinq ans n'est pas une protection; elle cherche à résoudre le problème causé par la loi de 1993, car, autrement, ces personnes resteraient là indéfiniment sans obtenir le droit d'établissement. C'est la situation malheureuse dans laquelle elles se trouvent. Au lieu de dire que cette situation est indéfinie, on dit qu'elle va durer cinq ans.
Mme Meredith: Mais on aurait pu dire - comme je l'ai déjà fait valoir - qu'on reconnaît l'existence d'un problème. Ce problème pourrait être réglé en accordant à ces personnes le droit d'établissement dès demain. Le ministère aurait pu choisir d'autres solutions.
M. Matas: En effet.
Mme Meredith: Il s'agit donc de voir pourquoi ces cinq ans, ce que cette période de cinq ans est censée accomplir. J'ai essayé de comprendre pourquoi le ministère a proposé cinq ans.
Vous estimez que ce n'est pas justifié.
M. Matas: Absolument.
Mme Meredith: Vous pensez que la législation protège déjà le Canada et qu'il n'est pas nécessaire de prévoir cette période de cinq ans.
M. Matas: Je présenterais les choses ainsi. Bien entendu, il y a toutes sortes de choses que j'aimerais voir dans la Loi sur l'immigration, notamment sur le plan de la protection. Pour ce qui est de protéger les Canadiens, il n'y a pas de différence entre les personnes qui ont obtenu le droit d'établissement et les autres. Les Canadiens ne seront pas mieux protégés si l'on refuse à ces personnes le droit d'établissement, étant donné qu'elles ont le même droit d'appel. Je ne vois pas l'intérêt de tout cela. On leur cause des difficultés pour rien.
Mme Meredith: Merci.
La présidente: Merci. Monsieur Cullen.
M. Cullen (Etobicoke-Nord): Merci, madame la présidente.
Merci, monsieur Matas. Je suis désolé d'avoir raté votre exposé.
J'ai une question à poser au sujet des chiffres qui ont été lancés. Je suppose que cela provient de l'analyse d'impact de la réglementation. Le nombre de réfugiés considérés comme des réfugiés au sens de la convention, sans pièces d'identité, en vertu de cette disposition, est de 7 000. Êtes-vous d'accord avec ce chiffre?
M. Matas: J'ai vu le même chiffre.
M. Cullen: Vous n'avez pas de...
M. Matas: Comme je suis avocat...
M. Cullen: Je suis comptable.
L'une des questions sur lesquelles j'ai essayé de m'informer est la suivante. Compte tenu de la période d'attente de cinq ans, combien de Somaliens et d'Afghans, par exemple, ont été déclarés comme étant des réfugiés en 1991, 1992 et 1993? Autrement dit, à la fin de la période de cinq ans, combien d'entre eux seraient visés par cette disposition en 1997, 1998 et 1999? Vous n'avez pas de chiffres à ce sujet, n'est-ce pas?
M. Matas: Non, mais je suppose que le ministère en a.
M. Cullen: D'accord, je pose donc la question à la mauvaise...
La présidente: Non, M. Cullen n'était pas là lorsque nous... Nous avons eu ce chiffre.
M. Cullen: D'accord, désolé, nous l'avons déjà. Je vais le rechercher.
J'ai une autre question - plusieurs questions ont peut-être déjà été abordées - qui concerne le nombre d'étudiants qui arrivent à l'âge où ils veulent aller à l'université ou au collège, des Somaliens ou des Afghans qui, si les dispositions actuelles étaient appliquées, seraient considérés comme des étudiants étrangers et auraient des frais de scolarité extrêmement élevés à payer. Avez-vous une idée de ce nombre, par exemple, si votre proposition était adoptée... et je crois que vous parlez de réduire la période d'attente de cinq à deux ans?
M. Matas: À compter du moment où ils revendiquent le statut de réfugié.
M. Cullen: Savez-vous combien de ces étudiants, qui se trouvent dans cette situation difficile, pourraient bénéficier de votre proposition?
M. Matas: Là encore, je pense qu'il y a conflit entre nos professions. Vous me demandez des chiffres, mais j'ai bien peur de ne pas les connaître.
M. Cullen: Madame la présidente, avons-nous déjà ces chiffres?
La présidente: Oui.
M. Cullen: D'accord, je pose encore une fois la question à la mauvaise personne. Dans ce cas, je vais vous poser une question sur laquelle vous êtes peut-être mieux renseigné. C'est un détail qui a été abordé lors des consultations que j'ai eues notamment avec la communauté somalienne, mais cette disposition prévoit, si j'ai bien compris, une clause d'abrogation de deux ans.
Selon cette proposition, si le pays en question n'a pas de gouvernement reconnu qui puisse fournir des documents valides, cette disposition sera probablement renouvelée, mais dans le cas contraire il se peut qu'elle ne le soit pas.
Peut-être pourriez-vous préciser si j'ai bien compris. En supposant que oui, certains membres de la communauté somalienne craignent que, même si à un moment donné le pays a un gouvernement reconnu, étant donné la situation politique et tribale - surtout en Somalie, un pays que je connais un peu mieux - il ne soit difficile de garantir au gouvernement canadien que les documents obtenus sont complets ou équitables. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Matas: Vous avez abordé deux questions. D'une part, la période d'attente et d'autre part la désignation du pays.
La désignation du pays peut être modifiée n'importe quand. Il n'est pas nécessaire d'attendre deux ans. Le gouverneur en conseil peut changer la désignation du jour au lendemain. C'est sans doute là l'intérêt de désigner les pays comme faisant partie d'une certaine catégorie, selon les circonstances. La période de deux ans est prévue au cas où la désignation prendrait fin.
Quant à savoir quel genre de documents un gouvernement somalien émettrait au cas où il y aurait un gouvernement au pouvoir, c'est une bonne question. Cela nous ramène à l'importance accordée aux pièces d'identité. J'ai fait valoir qu'il faudrait s'intéresser à l'identité de la personne, et non pas aux pièces d'identité qu'elle possède. En réalité, si la Somalie se retrouve avec un nouveau gouvernement, la qualité des documents fournis risque de laisser beaucoup à désirer.
On peut en dire autant de nombreux pays. Bien des pays ne s'intéressent pas autant que nous aux pièces d'identité. Ils y attribuent moins d'importance; ils sont beaucoup moins pointilleux, pas aussi fiables, et les systèmes sont parfois corrompus.
Cette insistance sur les pièces d'identité, quand vous avez affaire au monde entier, est pratiquement une forme d'ethnocentrisme. Nous imposons au reste du monde nos normes culturelles pour l'établissement de l'identité, et c'est tout simplement inacceptable.
M. Cullen: Si nous ne nous fions pas aux pièces d'identité, à quoi nous fions-nous?
M. Matas: Je ne dirais pas qu'il ne faut jamais tenir compte des pièces d'identité. C'est certainement un bon indice, et on peut examiner les documents disponibles, mais il faut tenir compte de tout le reste. Il faut voir ce que disent les gens, ce que disent les autres personnes qui les connaissent. Il faut faire preuve de bon sens.
L'ennui, c'est que, pour le moment, nous nous fions uniquement aux pièces d'identité, et nous avons établi une hiérarchie de ces pièces d'identité qui place le passeport en tête de liste. C'est peut-être logique dans le contexte canadien, mais dans le contexte mondial, ce n'est tout simplement pas la bonne façon d'établir l'identité.
M. Cullen: Je ne sais pas combien de temps nous avons.
La présidente: Il vous reste une minute ou deux.
M. Cullen: D'accord, merci.
Permettez-moi de me faire l'avocat du diable. Si je suis ici, c'est pour écouter les divers points de vue. Quand on se fie à ce que disent les gens - et vous dites que c'est seulement un moyen parmi bien d'autres - la plupart des gens sont de bonne volonté, la plupart disent la vérité, etc. Mais comment peut-on se fier à des ouï-dire ou à des preuves verbales pour des questions aussi importantes? Considérez-vous que cela fait partie d'une série de preuves qu'il faudrait examiner?
M. Matas: L'identité de la personne a déjà été établie lors de la détermination du statut de réfugié. Il y a eu une audience; l'intéressé a présenté son témoignage et a été soumis à un contre-interrogatoire. On a déterminé sa crédibilité, et un tribunal spécialisé indépendant a jugé que cette personne disait la vérité. Que vous faut-il de plus? L'intéressé n'a pas seulement fait une déclaration sous serment. Il a subi tous les tests de crédibilité auxquels on soumet un témoin devant un tribunal. Cela devrait certainement être suffisant.
M. Cullen: D'accord.
La présidente: Madame Bethel.
Mme Bethel (Edmonton-Est): Merci, madame la présidente.
Avez-vous été consulté avant la rédaction de cette loi?
M. Matas: Pas en tant que représentant de l'Association du Barreau canadien. Je suis le président sortant de l'association...
Mme Bethel: Non, ce n'est qu'une simple question. L'Association du Barreau canadien a-t-elle été consultée avant...
M. Matas: L'Association du Barreau canadien n'a pas été consultée.
Mme Bethel: Est-ce normal? Êtes-vous généralement consultés avant qu'une loi soit rédigée?
M. Matas: Nous avons discuté du processus de consultation avec le ministère parce que nous rencontrons assez régulièrement ses représentants. Quant à la façon dont le ministère a procédé jusqu'ici, il a publié l'avant-projet de règlement dans la Gazette du Canada en invitant les intéressés à faire leurs commentaires, et les consultations se sont limitées à cela.
J'avoue que cette période de deux semaines me semble beaucoup trop courte. Le ministère veut recevoir les mémoires d'ici le 16 décembre, et le règlement entrera en vigueur le 30 décembre. Il ne peut pas sérieusement réviser le libellé en fonction des suggestions reçues s'il prévoit seulement deux semaines entre la date d'envoi des mémoires et la date d'entrée en vigueur.
Mme Bethel: Madame la présidente, je crois que c'est là une question cruciale. Si les ministères tenaient de bonnes consultations, la réglementation et la législation qu'ils nous présentent tiendraient compte de l'avis des gens et seraient bien acceptées. Je le dis en passant. Je le pense vraiment...
La présidente: Merci, madame Bethel, mais vous n'étiez pas là quand M. Wappel a fait ses observations.
Mme Bethel: En effet.
Pour ma deuxième question, je voudrais revenir au point de départ. Quels sont les critères et les lignes directrices que recommande l'Association du Barreau canadien pour établir l'identité des gens?
M. Matas: Tout d'abord, nous estimons que la détermination du statut de réfugié devrait être suffisante.
Mme Bethel: D'accord, mais quelle est alors son opinion? Je pose la question au Barreau canadien.
M. Matas: Comment la Section du statut de réfugié devrait-elle procéder pour déterminer l'identité?
Mme Bethel: Nous ne nous occupons pas de ce qu'elle fait maintenant. Quels critères recommanderiez-vous?
M. Matas: Je crois important d'examiner toutes les preuves et de faire une évaluation à partir de toutes les preuves disponibles. N'écartez pas une preuve a priori, simplement à cause de sa nature, et n'acceptez aucune preuve aveuglément, simplement à cause de la catégorie dans laquelle elle entre.
Mme Bethel: Définissez-nous ce que vous entendez par «preuve». Donnez-nous un exemple concret...
M. Matas: Par «preuve» j'entends non seulement les pièces d'identité, mais tous les autres documents, c'est-à-dire les certificats de naissance, les certificats de fin d'études, l'inscription sur la liste électorale, les cartes de rationnement, toutes les formules d'identification disponibles sous la forme de documents. Deuxièmement, il faudrait pouvoir tenir compte des preuves orales, du témoignage de l'intéressé, du témoignage de personnes qui le connaissent, c'est-à-dire toutes les preuves auxquelles on peut penser.
Mme Bethel: Récemment un témoin a laissé entendre qu'il y avait sans doute un manque d'uniformité entre les différentes sections de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Si c'est le cas, j'aimerais savoir ce que vous en pensez. Comment pouvons-nous alors nous fier à la décision de la commission?
M. Matas: Bien entendu tous les humains sont faillibles.
Mme Bethel: Je suis d'accord, mais il faut...
M. Matas: Le processus de détermination du statut de réfugié est un processus beaucoup plus approfondi, auquel participent beaucoup plus de personnes spécialement formées que ce n'est le cas des agents d'immigration qui interviennent par la suite. La Section du statut de réfugié peut prendre des décisions erronées, et certaines personnes peuvent se contredire, mais c'est un processus meilleur et plus fiable que celui qui intervient après.
Bien entendu, si vous avez des preuves qui vous amènent à croire que la commission a rendu une mauvaise décision, il ne faut pas rester sans agir. Comme on l'a souligné, il y a une procédure d'annulation. Le gouvernement a le pouvoir d'amener la Section du statut de réfugié à annuler sa décision s'il possède des renseignements lui permettant de croire que cette décision était mauvaise. Le gouvernement peut également participer aux audiences de la section s'il a des doutes au sujet de l'identité du revendicateur. Mais s'il a des doutes et ne participe pas au processus, s'il ne demande pas l'annulation ensuite, à quel point ces doutes sont-ils sérieux?
La présidente: Madame Bethel, une dernière question. Je vais devoir passer aux autres témoins.
Mme Bethel: Certainement.
Quelle sorte de critères ou de lignes directrices faudrait-il inclure dans la loi pour résoudre le problème des réfugiés sans pièces d'identité?
M. Matas: Dans nos recommandations 1 et 2 nous avons essayé de proposer des lignes directrices ou des critères, mais ils ne s'appliquent pas au règlement. Ce sont des lignes directrices ou des critères pour l'application de la loi. Nous avons besoin de ce règlement uniquement parce que la loi n'est pas appliquée, selon nous, de façon très fonctionnelle. Je crois que ce règlement deviendrait inutile si la loi était bien appliquée.
Mme Bethel: Merci.
M. Matas: Madame la présidente, je me demande si...
La présidente: Allez-y, monsieur Matas.
M. Matas: ... je pourrais seulement revenir sur la première question concernant les consultations. Une chose dont nous avons discuté avec le gouvernement c'est la possibilité de tenir des consultations avant la publication dans la Gazette du Canada.
La présidente: Je signale toutefois que le règlement a été publié dans la Gazette le17 novembre, et cela ne fait donc pas deux semaines.
M. Matas: Non, les deux semaines sont entre...
La présidente: Nous n'allons pas nous battre pour quelques jours. Je dis simplement que si nous avons entrepris cet examen, c'est pour tenir des consultations publiques. Ces audiences sont les consultations, mais si vous voulez clarifier les choses, monsieur Matas, allez-y.
M. Matas: Quand j'ai parlé de «deux semaines», je ne faisais pas allusion à la période entre la publication dans la Gazette et le délai fixé pour les mémoires. Il s'agit de la période entre ce délai et l'entrée en vigueur du règlement.
La présidente: D'accord; merci de l'avoir précisé.
M. Matas: Une des choses dont nous avons discuté avec le gouvernement, c'est la possibilité de tenir des consultations avant la publication dans la Gazette. Dans l'ensemble, cette idée a reçu un accueil favorable, et nous essayons notamment de faire en sorte que les consultations aient lieu avant la publication.
La présidente: Merci beaucoup.
Mme Meredith voulait avoir un éclaircissement.
Mme Meredith: Oui, je voulais avoir un éclaircissement, et notre attachée de recherche pourrait peut-être nous aider.
D'après ce que nous ont dit sans doute les fonctionnaires du ministère, j'ai cru que, pour les études et les prêts aux étudiants, un réfugié au sens de la convention était considéré au même titre qu'un résident permanent. Ai-je tort de croire que le gouvernement provincial a permis aux réfugiés...
Mme Margaret Young (attachée de recherche du comité): Nous avons un document du gouvernement ontarien précisant que les réfugiés au sens de la convention et les personnes à leur charge ne sont pas considérés comme des étudiants étrangers pour le paiement des frais de scolarité. Nous n'avons aucun renseignement au sujet des bourses ou des prêts aux étudiants ni aucun renseignement concernant les autres provinces. J'ai parlé à ce fonctionnaire et je lui ai demandé s'il savait quelle est la situation dans les autres provinces, mais il n'en savait rien.
Mme Meredith: C'est donc pour le statut d'étudiant étranger... D'accord, merci.
Mme Young: C'est pour les frais de scolarité.
La présidente: Merci, madame Meredith. C'est une précision importante.
Monsieur Matas et madame Thomson, merci beaucoup. Je vous remercie également du mémoire que vous nous avez adressé par écrit. C'est toujours très utile.
Nous allons faire une pause de cinq minutes, après quoi je demanderais aux membres de la Afghan Association of Ontario, du Somali Council for Refugees et du Centre somalien pour les jeunes, les femmes et le développement communautaire de bien vouloir s'avancer.
La présidente: L'Afghan Association of Ontario, le Somali Council for Refugees et le Centre somalien pour les jeunes, les femmes et le développement communautaire veulent-ils bien s'avancer?
Veuillez commencer par vous présenter. Il y a dix minutes en tout pour les trois groupes, après quoi les membres du comité vous poseront des questions par tours de dix minutes. Je m'excuse pour la limite de temps, mais nous devons présenter notre rapport avant que la Chambre ne s'ajourne la semaine prochaine.
Nous allons commencer par l'Afghan Association of Ontario.
M. Sultan Barekzai (président, Afghan Association of Ontario): Je suis Sultan Barekzai, président de l'Afghan Association of Ontario.
M. John Alekozai (directeur général, Afghan Association of Ontario): Je m'appelle John Alekozai. Je suis le directeur général de l'association.
M. Ahmed Hashi (conseiller, Centre somalien pour les jeunes, les femmes et le développement communautaire): Je m'appelle Ahmed Hashi. Je suis du Centre somalien pour les jeunes, les femmes et le développement communautaire, à Ottawa.
M. Abdul Hakim Mohammed (conseiller en établissement, Centre somalien pour les jeunes, les femmes et le développement communautaire): Je suis Abdul Hakim Mohammed, du Centre somalien pour les jeunes, les femmes et le développement communautaire.
M. Abdi Ulusso (coordonnateur, Somali Council for Refugees): Je suis Abdi Ulusso, du Somali Council for Refugees.
M. Abdullahi Aden (membre, Comité de direction, Somali Council for Refugees): Je suis Abdullahi Aden, du Somali Council for Refugees.
La présidente: Merci. Nous allons commencer par M. Barekzai.
M. Barekzai: Madame la présidente, mesdames et messieurs, au nom de la communauté afghane de l'Ontario, nous tenons à vous adresser nos sincères remerciements pour nous permettre d'exprimer les préoccupations de notre communauté à l'égard de l'annonce faite récemment par l'honorable Lucienne Robillard, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, au sujet des preuves d'identité exigées des réfugiés afghans au Canada.
Le conflit et les bouleversements que connaît l'Afghanistan ne constituent pas un problème purement afghan. Comme vous le savez, la plupart des difficultés de l'Afghanistan sont attribuables à l'intervention d'éléments extérieurs dans la politique afghane. Cela a eu des répercussions dévastatrices sur l'Afghanistan et sa population civile. La guerre d'Afghanistan a créé une énorme population de réfugiés qui compte à la fois des personnes déplacées restant à l'intérieur du pays et celles qui se sont servies de leurs dernières ressources pour trouver refuge dans un pays sûr comme le Canada.
Un problème qui accompagne la guerre et la fuite des réfugiés, c'est que la plupart des gens préfèrent, par peur, ne pas porter leurs cartes d'identité sur eux. De nombreuses personnes ont perdu leurs papiers d'identité, et leurs biens personnels ont été détruits dans les bombardements ou confisqués à l'occasion des raids ou du pillage. Vous devez également savoir que les enfants afghans n'obtiennent aucun papier d'identité avant d'atteindre l'âge de la scolarité. Sachez également que, sous le régime communiste, la majorité des Afghans n'avaient pas le droit de quitter le pays ou d'obtenir un passeport. On a refusé de remettre leurs diplômes à de nombreux diplômés d'université, de peur qu'ils ne quittent le pays.
Par conséquent, les papiers d'identité dont disposent les ressortissants afghans sont limités par rapport aux normes canadiennes. La possibilité d'être porteur d'une pièce d'identité est certainement compromise par la guerre, parce que ces gens ont pris la fuite et qu'après leur départ d'Afghanistan ils ne peuvent plus se faire envoyer de documents au Canada.
Nous savons que le Canada a renoncé à exiger des pièces d'identité pour les réfugiés afghans, mais la communauté afghane considère la période de cinq ans comme une punition injuste. Cela va faire perdre espoir aux centaines de réfugiés afghans qui attendaient désespérément d'être réunis avec les membres de leurs familles.
La Afghan Association of Ontario travaille en collaboration avec le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration depuis plusieurs années, et nous croyons avoir établi de bonnes relations de travail. Nous sommes convaincus qu'il faut aider les Afghans à devenir des membres à part entière de la société canadienne.
À notre avis, cette période d'attente de cinq ans marque une rupture dans des relations fondées sur la coopération et la bonne foi. Nous ne nous attendions pas à ce que l'honorable Lucienne Robillard, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, ne tienne aucun compte des longues souffrances des réfugiés afghans et leur impose une période d'attente de cinq ans pour obtenir leur résidence permanente. C'est une lourde exigence, qui empêche la majorité des Afghans de devenir des membres à part entière de la société canadienne.
Nous exhortons le gouvernement canadien à réexaminer cette politique. Nous nous ferons un plaisir de participer à des réunions dans le but de résoudre cette question à notre avantage mutuel. Merci beaucoup.
La présidente: Merci. Si vous avez un mémoire écrit, nous aimerions beaucoup en recevoir des exemplaires.
Nous allons maintenant entendre un représentant du Somali Council for Refugees.
M. Ulusso: Merci de nous avoir invités à comparaître aujourd'hui devant le comité pour faire valoir notre point de vue sur l'annonce que la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a faite le mercredi 13 novembre 1996.
La présidente: Je signale aux membres du comité que vous avez un mémoire écrit. Nous l'apprécions et nous vous en remercions beaucoup.
Monsieur Ulusso.
M. Ulusso: Je voudrais remonter à 1992, année où le gouvernement a présenté la nouvelle loi, le projet de loi C-86. Les révisions de la loi sont entrées en vigueur en février 1993.
Ce qu'il y avait de plus curieux au sujet du projet de loi C-86, c'est qu'il est entré en vigueur en février 1993. Néanmoins, il a été appliqué rétroactivement aux personnes déjà classifiées comme réfugiés au sens de la convention sans qu'aucune explication ne soit fournie.
La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a elle-même aggravé les retards en retardant les avis d'audience et les avis de décision et en renvoyant inutilement certaines affaires à des audiences complètes, ce qui prend toujours beaucoup de temps, et ce qui suppose également des frais supplémentaires.
Partout où vous vous tournez, le système d'immigration est en crise, qu'il s'agisse des visas en souffrance dans les bureaux à l'étranger, des centres d'immigration du Canada, des frontières, des aéroports ou de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Ce qui est plus grave encore, d'après les statistiques fournies par M. Jeff Le Bane, directeur des affaires des réfugiés, c'est que de 6 700 à 7 000 Somaliens n'ont pas encore obtenu le droit d'établissement. Vos fonctionnaires ont demandé pourquoi 3 200 d'entre eux n'ont pas obtenu le droit d'établissement et ont demandé où ils étaient. C'est une préoccupation que nous partageons. Ensemble, nous pourrions trouver des réponses à ces questions, et nous pensons que cette nouvelle réglementation devrait permettre de remédier à cette situation. Avec la nouvelle réglementation, nous pensons qu'il y aura moins de Somaliens demandant le droit d'établissement qu'on ne le prédisait.
De plus, d'après le ministère de l'Immigration, 40 p. 100 des gens qui se heurtent à ce dilemme sont des parents seuls et des enfants. La communauté somalienne a l'impression d'être visée plus que les autres réfugiés. En même temps que le financement de l'aide juridique diminue, on les force à faire appel, et il y a de moins en moins d'avocats qui sont prêts à accepter ces causes-là, même lorsqu'il s'agit uniquement de faire face aux demandes supplémentaires des centres et des commissions d'immigration. Lors des audiences, on constatait de plus en plus un déséquilibre, car les demandeurs n'étaient tout simplement pas en mesure de faire face à toutes les exigences.
Le taux d'approbation des demandes d'asile des Somaliens étant particulièrement élevé, ces causes-là n'offraient pas de difficultés juridiques particulières, et il n'était pas non plus très difficile d'établir les faits et la crédibilité de ces demandeurs puisque les conditions régnant dans le pays étaient connues. Il suffit de regarder les nouvelles à la télé pour connaître les causes de cet exode.
Selon toutes les indications, le gouvernement hésitait à respecter ses engagements en ce qui concerne la protection des personnes reconnues comme des réfugiés au sens de la convention. Apparemment, le gouvernement voulait limiter sa responsabilité en ce qui concerne les réfugiés somaliens en leur offrant uniquement un asile sûr. Cela inquiétait la plupart des réfugiés, car cela représentait des années d'incertitude et la peur constante d'être rapatriés. Très souvent, ils avaient l'impression que le Canada les recevait temporairement, à condition qu'ils retournent un jour en Somalie.
Comment une personne peut-elle avoir une vie normale quand il ne lui est pas possible de se retrouver avec sa famille, quand il ne lui est pas possible d'obtenir un prêt pour poursuivre ses études? Ce genre de situation empêche de trouver un emploi, rend les voyages internationaux impossibles, et cela, même dans l'éventualité d'une crise familiale. Il est impossible d'exprimer les ravages d'une telle politique sur le plan humain. Nous avons vu des mariages s'effondrer, des problèmes de santé mentale dus au stress, des problèmes de manque de confiance en soi et des jeunes qui n'ont pas d'avenir et pas de possibilité de s'en sortir.
La présidente: Merci beaucoup. Nous avons beaucoup apprécié votre mémoire et également le fait que vous avez été très bref.
Du Centre somalien pour les jeunes, les femmes et le développement communautaire, je crois qu'il s'agit de M. Hashi.
M. Hashi: Pour commencer, je tiens à remercier le comité de nous donner l'occasion de présenter notre cause.
J'aimerais vous expliquer nos conditions et les problèmes auxquels se heurtent les réfugiés au sens de la convention. Pour commencer, un grand nombre d'immigrants somaliens vivent au Canada sans l'espoir d'obtenir jamais le statut de résident permanent. Avec ce nouveau règlement, des milliers de réfugiés au sens de convention seront privés d'un statut officiel. Or, ce sont des gens que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié considère comme des réfugiés authentiques au sens de la convention.
Sans droit d'établissement, les réfugiés ne peuvent pas espérer faire venir les membres de leur famille qu'ils ont laissés dans leur pays. Les familles de ces réfugiés vivent dans des conditions désespérées et souvent dangereuses. Il leur est pratiquement impossible de trouver du travail, car les employeurs ne veulent pas d'employés qui n'ont pas le statut de résident permanent au Canada. Sans ce statut, il est extrêmement difficile de poursuivre ses études. On ne peut pas non plus lancer une petite entreprise, parce que les institutions financières n'accordent pas de prêts à des gens qui n'ont pas le statut de résident permanent. Sans ce statut, les non-résidents somaliens sont dans l'impossibilité de s'intégrer à la société canadienne et de lui apporter leur contribution. Sans ce statut, on n'a pas droit aux divers programmes de formation qui existent. Faute de travail, beaucoup de gens sont forcés de faire appel à l'aide sociale, ce qui se répercute sur les contribuables canadiens et sur l'ensemble de l'économie.
Les nouveaux règlements ne règlent pas non plus les problèmes actuels. Faute de consultation avec la communauté directement intéressée, les nouveaux règlements ne règlent pas les problèmes actuels, qu'il s'agisse de la réunification des familles ou de la réintégration dans la société canadienne.
Les nouveaux règlements contredisent les valeurs fondamentales canadiennes et les engagements internationaux pris par le Canada en ce qui concerne la réunification des familles. Les nouveaux règlements s'intéressent uniquement aux gens sans pièces d'identité, mais on a souvent vu également des gens qui avaient des pièces d'identité être rejetés. Nous avons une liste de noms à votre disposition.
Pendant la période de cinq ans prévue par la nouvelle réglementation, les vérifications en ce qui concerne la criminalité et la sécurité pourraient cesser d'être valides, et les gens subiraient de nouveaux retards lorsqu'ils seraient forcés de faire renouveler ces documents. Nous avons l'impression que ces nouveaux règlements font de nous des criminels en puissance. Le fait de stigmatiser et de criminaliser des communautés entières aurait certainement un impact négatif durable sur plusieurs générations. Ces nouveaux règlements aggravent encore la situation de gens qui sont déjà très vulnérables, des gens qui ont déjà beaucoup souffert. C'est inconstitutionnel, c'est de la véritable discrimination d'appliquer ces nouveaux règlements à notre communauté. À notre avis, c'est une violation des droits de la personne.
Puisque le ministère de l'Immigration déporte déjà les gens qui ont le statut de résident permanent et qui commettent un crime ou qui sont associés à un crime, on ne voit pas à quoi ces nouveaux règlements serviront. Nous recommandons que le gouvernement accorde le statut de résident permanent, modifie la Loi sur l'immigration pour supprimer les exigences en matière de pièces d'identité, accorde le statut de résident permanent à tous les réfugiés au sens de la Convention qui ont obtenu les certificats nécessaires sur les plans médicaux et criminels et sur le plan de la sécurité, et demande aux réfugiés au sens de la Convention de signer un affidavit qu'il acceptera.
Merci de nous avoir écoutés.
La présidente: Je remercie tous les témoins d'avoir été très brefs, et je les remercie également pour les mémoires écrits qu'ils ont apportés.
[Français]
Monsieur Nunez, dix minutes.
M. Nunez: D'abord, j'aimerais saluer les représentants des communautés afghane et somalienne du Canada. Malheureusement, semble-t-il, il n'y a personne du Québec. Je suis très sensible aux problèmes que vous avez vécus et à la situation dramatique des guerres civiles dans vos pays d'origine.
Ma première question portera sur les consultations. Les fonctionnaires nous ont dit qu'ils avaient consulté beaucoup d'organismes, y compris les communautés de la Somalie et de l'Afghanistan. Jusqu'à ce jour, aucun organisme n'est venu défendre ces règlements.
Normalement, quand on consulte, on prend en considération les revendications des personnes ou des organismes consultés. Certains Somaliens d'Ottawa m'ont dit qu'ils n'avaient pas été appelés à de telles consultations et qu'ils avaient toujours fait face à des refus lorsqu'ils avaient essayé de rencontrer la ministre.
De quelle façon avez-vous été consultés? Avez-vous essayé d'entrer en communication avec le gouvernement, la ministre particulièrement, pour exposer ces situations?
[Traduction]
La présidente: Vous voulez répondre? Vous voulez commencer? Vous pouvez tous répondre à la question.
M. Alekozai: Je vous remercie pour vos observations.
Le 13 novembre nous avons rencontré le représentant du ministre de l'Immigration au 4900 rue Yonge à Toronto. La plupart de nos amis qui sont ici aujourd'hui doivent connaître cette adresse. Personne ne s'attendait à ce qui a été annoncé: la période de cinq ans et tous ces autres problèmes.
Nous commençons à nous attaquer aux problèmes. Ce sont des requérants du statut de réfugié qui sont en cause. Ce sont des membres de la communauté. Nous connaissons leurs problèmes. Lorsque ces mesures ont été annoncées, le représentant du ministre de l'Immigration les a lues à l'auditoire qui a été à la fois surpris et choqué.
Nous n'avons jamais demandé au gouvernement de donner aux réfugiés ces périodes de cinq ans, car c'est un système qui pose beaucoup trop de problèmes. Voilà pour un aspect de la question; d'autre part, cela empêche les gens de participer pleinement à la société canadienne. Notre position est très claire et nous l'avons fait connaître.
M. Nunez: D'accord, oui.
M. Hashi: Madame la présidente, en ce qui concerne les consultations, comme les représentants du ministère de l'Immigration qui étaient ici l'autre jour l'ont dit... Ils ont rencontré les représentants de la communauté somalienne à deux reprises à Toronto, le 15 avril, puis une seconde fois, dans le courant du mois d'août.
Nous avons le procès-verbal de ces réunions et la liste des gens qui étaient présents:Mohamed Tabit, qui est ici, Samanther, Ron Shacter, Kevin Sack, Jeff Le Bane, John Butt,Linda Read, Nancy Worsfold, Tanya Lena, etc.
Apparemment, la communauté somalienne est la communauté la plus directement touchée par le projet de loi C-86 et les nouveaux règlements. Nous pensions que le ministère de l'Immigration consulterait les membres de la communauté somalienne à Ottawa, Vancouver, Montréal et Toronto, pas forcément pour se ranger à leur avis, mais au moins pour les écouter.
Dans le procès-verbal de la réunion du 15 avril, Jeff Le Bane, qui a comparu devant ce comité, propose une solution. Il s'agit de changer la législation actuelle, d'autoriser les affidavits, sur la base d'un conseil d'anciens, un système fondé sur l'absence de criminalité, d'accusations... Sans s'attaquer à ces problèmes à la base, le statu quo demeure.
Il est question ici de solutions proposées par le représentant du ministère de l'Immigration. Quand nous parlons de consultation, nous ne voulons pas forcément que nos idées soient retenues, mais nous pensons que le processus doit être exhaustif, ouvert, et ce n'est pas ce qui s'est produit.
La présidente: Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Ulusso?
M. Ulusso: Madame la présidente, périodiquement, nous rencontrons les représentants du gouvernement, mais ils n'écoutent pas forcément ce que nous leur disons. Nous leur écrivons, et ils nous répondent, mais nous savions déjà qu'ils avaient l'intention d'appliquer cette période de cinq ans. Nous leur avons dit que ce n'était pas acceptable, mais la décision a été prise tout de même.
La présidente: Vous devez savoir que cette réunion est également une forme de consultation, de même que la publication des règlements dans la Gazette est également l'amorce d'un processus de consultation. Je tiens à m'assurer que notre auditoire se rend compte de ceci: pendant cette séance, le gouvernement et les députés de l'opposition vous consultent.
[Français]
Monsieur Nunez, avez-vous encore des questions?
M. Nunez: La présente consultation est faite par le Parlement et non par le gouvernement. Je leur ai demandé s'ils avaient été consultés par le gouvernement.
Les fonctionnaires nous disent que l'objectif de ce règlement est de protéger le Canada contre les immigrants criminels, y compris ceux de vos deux communautés.
Y a-t-il vraiment des criminels de guerre qui ont participé à la violation des droits de la personne dans vos pays d'origine et qui sont venus ici? Si c'est le cas, quelle est votre attitude en ce qui a trait à ces criminels? Avez-vous offert votre collaboration aux autorités canadiennes pour identifier ces criminels? Lorsqu'on dit qu'il y a des criminels, cela touche toute la communauté. Vous avez probablement avantage à dire que ce ne sont pas tous des criminels. Je ne le sais pas. Je vous pose la question.
Est-ce un phénomène grave? S'agit-il de quelques personnes seulement? Pouvez-vous nous dire si c'est un problème grave?
La présidente: Monsieur Hashi.
[Traduction]
M. Hashi: Merci, madame la présidente.
En ce qui concerne les criminels qui arrivent au Canada, les responsables de l'immigration ont reconnu que 80 p. 100 des gens qui sont touchés par ces règlements et par le projet de loi C-86 sont des femmes et des enfants: 40 p. 100 sont des femmes et 40 p. 100 sont des enfants. Quand vous parlez de criminalité dans la communauté, quand on pense que 40 p. 100 des femmes sont des mères qui élèvent seules leurs enfants, des femmes dont les maris ne sont pas là, et que les autres 40 p. 100 sont des enfants, des jeunes, il faudrait peut-être donner le bénéfice du doute à ces femmes et à ces enfants. Voilà pour une chose.
D'autre part, quant à savoir si la communauté somalienne en particulier a coopéré avec le ministère de l'Immigration ou pas, effectivement, nous avons coopéré. Le ministère de l'Immigration n'a pas pu trouver une seule personne en Somalie qui ait porté atteinte ou attenté aux droits de la personne. Il les a admises.
C'est nous qui leur avons dit: «Non, je ne veux pas de ce type-là comme voisin, je sais qu'il a un dossier criminel en Somalie. Il a violé les droits de la personne dans l'exercice de ses fonctions.»
Mais d'un autre côté, nous devons être très clairs, dans n'importe quelle communauté, il y a toujours un petit nombre de mauvais éléments. Ce n'est pas une raison pour victimiser le reste de la communauté. Qu'on s'en prenne à eux, très bien, mais les 80 p. 100 qui restent, les femmes et les enfants, qu'on les laisse en paix.
Merci.
La présidente: Y a-t-il d'autres observations?
M. Alekozai: Oui, bien qu'il ait déjà donné une réponse très complète.
La communauté afghane s'est organisée en 1982 et a été reconnue en 1984. Depuis cette époque, nous coopérons régulièrement avec le gouvernement et avec les autorités de l'Immigration.
Comme il l'a dit, c'est nous qui signalons les criminels qui ont commis des crimes en Afghanistan sous le régime communiste. Ce sont des gens qui ont tué 2 millions de personnes puis qui sont venus au Canada et qui ont revendiqué le statut de réfugié. Quand nous avons appris cela, nous nous sommes adressés au public, aux médias, et également aux autorités de l'immigration et au gouvernement, et nous leur avons dit: ce type a tué des quantités de gens, et pourtant, on lui accorde le statut de réfugié au sens de la Convention.
M. Nunez: Il avait des papiers?
M. Alekozai: Oui. Si vous consultez les dossiers de la GRC, vous verrez que nous avons coopéré et que nous avons apporté toute l'aide voulue.
Comme il l'a dit, nous avons tous souffert. Nous ne sommes pas venus ici en visite ou pour notre plaisir. Si nous avons quitté notre pays, c'est par crainte des persécutions, par crainte de l'oppression du régime communiste en Afghanistan. Nous avons tous eu l'expérience d'une grande violence et nous avons assisté à des incidents affreux.
Nous ne voulons certainement pas qu'une telle personne revendique le statut de réfugié et profite des privilèges de la loi et des règlements canadiens. Elle n'a pas sa place ici. Elle peut seulement donner une mauvaise réputation à la société canadienne. Nous n'en voulons pas.
D'un autre côté, si vous consultez les dossiers de notre association, vous verrez que nous avons coopéré. Il est très facile de faire une distinction entre les criminels et les réfugiés au sens de la Convention qui sont légitimes.
Comme je l'ai dit également, tout cela comporte un aspect humain. Une personne doit attendre cinq ans après avoir obtenu le statut d'immigrant ayant reçu le droit d'établissement pour parrainer son conjoint ou ses enfants. C'est très dur. Si je me trouvais dans une telle situation, par exemple, je trouverais particulièrement dur de ne voir ni ma femme ni mes enfants pendant cinq ans plus une autre année. C'est une chose que la communauté aurait beaucoup de mal à accepter.
Merci.
La présidente: Monsieur Nunez, vous avez une minute.
[Français]
M. Nunez: En ce qui a trait aux documents, il y a probablement beaucoup de vos compatriotes qui arrivent sans passeport. La plupart d'entre eux arrivent probablement par avion. Quels documents apportent-ils ici?
Normalement, les compagnies aériennes demandent certains documents d'identité. Quelle est la gravité de ce problème? Y en a-t-il beaucoup qui n'ont pas de passeport? Y en a-t-il beaucoup qui arrivent avec d'autres documents? Quels documents les compagnies aériennes que vous retenez exigent-elles?
[Traduction]
M. Alekozai: Merci.
Comme je l'ai dit dans ma courte déclaration, les gens qui quittent l'Afghanistan se trouvent dans une situation critique. Il y a des combats, des bombes et du maraudage, et on emploie des gaz. C'est une guerre qui dure depuis 18 ans. Les gens n'ont pas la possibilité d'amener leurs enfants, par exemple. Ils laissent leurs enfants pour trouver un refuge plus sûr.
Quand ils passent la frontière d'un pays voisin, ils ne pensent pas en termes de papier, de pièces d'identité ou de passeport, parce que de toute façon il n'y a pas de gouvernement pour émettre ces pièces. La seule chose qui leur importe, c'est de rester vivants.
Deuxièmement, quand ils arrivent dans le pays voisin, ils n'ont pas de statut. Ils se heurtent aux mêmes persécutions, parce que dans ces pays-là, il y a des groupes armés très puissants. Là encore, les dangers sont multiples.
Ce que les gens possèdent... Nous avons vu des gens vendre leurs bijoux. En Afghanistan et dans d'autres pays, les femmes ont souvent des bijoux, et elles les donnent à ceux qui sont prêts à les faire sortir de cet enfer. Là encore, c'est un problème. Il y a toujours des gens pour profiter de la misère des autres. Ces gens-là les envoient par avion, ou autrement, dans un pays où ils peuvent revendiquer le statut de réfugié.
Pour eux, c'est une question de survie, de vie ou de mort. C'est la première chose à laquelle ils pensent.
Quand ils arrivent ici et qu'ils annoncent qu'ils sont Afghans, pour nous c'est très facile. Ni l'association ni moi-même ne nous porterons garants d'une personne qui n'est pas afghane, car comme je l'ai dit, c'est une question de crédibilité et d'honnêteté. Nous n'avons aucun mal à déterminer si une personne vient d'Afghanistan ou pas.
Nous coopérons avec la CISR, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, nous leur disons que nous avons interrogé cette personne, qu'elle parle telle langue, une des langues officielles de l'Afghanistan. Elle est apparentée à telle tribu, et un ressortissant d'un pays voisin ne pourrait pas parler avec le même accent, etc. Nous confirmons donc que telle personne est un ressortissant afghan.
Pendant un certain temps, les autorités ont accepté cela. C'est très facile de déterminer qu'une personne est bien afghane.
Comme je l'ai dit, quand ils arrivent ici, ils n'ont rien, parce que c'est une question de survie.
La présidente: Monsieur Hashi, très rapidement.
M. Hashi: Très rapidement, oui.
Au sujet des papiers, j'espère que les membres de ce comité comprennent la situation somalienne. C'est seulement en 1972 que notre langue est devenue une langue écrite. Avant cela, nous vivions dans une société orale.
Nous avons été colonisés par les Britanniques, par les Français et par les Italiens. Nous avons donc eu la Somalie française, la Somalie italienne et la Somalie britannique. Je viens du secteur britannique. J'ai des amis qui sont du secteur italien.
Pour nous, les papiers d'identité n'ont pas une grande signification. Quand nous arrivons au Canada, on nous demande une preuve de notre âge. Pour être honnête, je crois que j'ai 54 ans, peut-être 56 ans. En toute honnêteté, je ne peux pas vous dire exactement quel âge j'ai, et ma mère ne le pourrait pas non plus. Beaucoup de gens vivent de cette façon-là. Nous n'accordons pas beaucoup d'importance aux papiers.
Et pourtant, il y a beaucoup de gens qui n'ont pas de papiers d'identité et que le ministère de l'Immigration refuse. Nous avons vu des Somaliens travailler dans des pays arabes et faire des études en Europe ou en Amérique du Nord. Si le seul document d'identité que vous ayez à soumettre à l'immigration est un diplôme universitaire rédigé en italien, les responsables de l'immigration refusent, ils considèrent que ce n'est pas un document acceptable parce qu'il est rédigé en italien et qu'il n'a pas été émis en Somalie. Par contre, ce certificat qui atteste de certaines études porte une photographie. Et pourtant, il n'est pas accepté.
Je peux citer également le cas d'un docteur somalien qui a fait ses études en Roumanie. Quand le ministère de l'Immigration a refusé d'accepter ce document, il s'est adressé à l'ambassade de Roumanie qui a fait des vérifications et a émis une attestation. Ce médecin n'est pas encore reçu parce que l'Immigration a refusé d'accepter ce document. Et pourtant, sa photo figure sur le document, et c'est bien lui. Ils reconnaissent cela, mais ils disent que ce document n'a pas été émis en Somalie.
Que pouvons-nous faire? Quand vous avez des papiers, on ne vous accepte pas, et quand vous n'en avez pas, c'est encore pire.
Quant à la façon dont nous voyageons, nous sommes des êtres humains. Quand on prend la fuite pour survivre... C'est une expérience que nous avons connue. C'est une expérience que j'ai eue personnellement. Avec mes huit enfants, j'ai dû prendre la fuite. Il m'a fallu un mois pour aller de Mogadiscio à une ville appelée Kismaayo.
Parfois il faut choisir entre ses propres enfants. Parfois c'est par manque de place, qu'on doit choisir, on décide de laisser les plus vieux. C'est ce que nous avons fait. Je l'ai fait moi-même. J'ai laissé deux de mes aînés en Somalie. Aujourd'hui, ils doivent être quelque part en Europe. Il a fallu que je décide entre les plus jeunes qui sont vulnérables et ceux qui sont déjà grands. Ce sont des choix très difficiles.
La présidente: Nous apprécions beaucoup ce que vous nous dites, mais si nous voulons terminer aujourd'hui, il va falloir arriver à la question. Merci beaucoup pour ces informations.
M. Hashi: Mais ce sont d'êtres humains dont nous parlons.
La présidente: Nous aussi nous sommes des êtres humains. Merci.
Madame Meredith.
Mme Meredith: Je vous remercie de m'avoir expliqué les problèmes posés par les pièces d'identité. Nous vivons dans la société canadienne, et pour cette raison, dès que nos enfants naissent, ils sont inscrits au gouvernement et que cela nous plaise ou pas, le gouvernement est très présent tout au long de notre vie. C'est ce qui nous semble normal. J'ai beaucoup apprécié vos explications au sujet des problèmes de pièces d'identité et je pense que les gens qui nous écoutent ont dû apprécier également.
Depuis deux jours, il y a une chose qui est revenue souvent, le fait qu'on reconnaisse certains documents mais pas d'autres. C'est une préoccupation pour vous également, le fait que le ministère n'a pas une politique uniforme en ce qui concerne les documents. Quand ils disent que les gens arrivent sans pièces d'identité, cela veut dire plutôt qu'ils arrivent avec des documents, qui ne sont pas valables ou qui ne sont pas acceptés.
Je ne sais pas si les autres membres du comité partagent ma préoccupation, et vous avez soulevé la question en disant qu'il y avait un préjugé contre les Somaliens, qu'on vous visait particulièrement, mais on nous a dit que cela était dû au grand nombre d'Afghans et de Somaliens qui arrivaient. Cette situation, cette arrivée en masse, a forcé le gouvernement à prendre des mesures. C'est la première fois qu'une telle chose se produit.
Ce qui m'inquiète, c'est qu'en acceptant ces dispositions, le gouvernement pourrait envoyer un message à la communauté internationale, faire penser qu'il est possible d'arriver au Canada sans pièces d'identité. Je comprends les particularités de votre situation, mais en même temps, je m'interroge sur la situation dans ma région, à Vancouver. Si nous disons à la communauté chinoise, qui vit sous un régime communiste, un régime qui a très mauvaise réputation sur le plan des droits de la personne, si nous leur disons que notre porte est ouverte à 1,2 milliard de personnes et qu'ils peuvent arriver sans pièces d'identité, cela risque d'envoyer un message que nous ne voulons pas envoyer.
Je ne vois pas d'inconvénient à ce que le gouvernement considère que vos communautés respectives posent un problème particulier: nous savons qu'il y a beaucoup de monde, nous avons reconnu que vous étiez des réfugiés authentiques, et il convient de prendre des mesures. Je ne comprends pas sur quelle base on a décidé que le délai serait de cinq ans. Personne ne m'a expliqué pourquoi on a choisi cinq ans. Toutefois, je ne voudrais pas qu'on crée de toutes pièces, une nouvelle catégorie et que cela ouvre la porte à toutes sortes de choses.
Supposons que le gouvernement décide demain de vous accorder, à la communauté afghane, et à la communauté somalienne, le droit d'établissement, de vous accorder ce statut à vous uniquement et à personne d'autre, pensez-vous que vous pourriez faire comprendre cela à toutes les autres communautés d'immigrants? Pourriez-vous justifier cette mesure devant vos collègues des communautés iraniennes, irakiennes, etc.?
M. Hashi: C'est une question très intéressante. Nous comprenons pourquoi vous la posez, et nous apprécions que vous compreniez également notre position.
Le problème, c'est que nous nous heurtons à une situation très particulière. La situation dont vous parlez, c'est celle des réfugiés qui n'ont pas de papiers d'identité. S'ils avaient des documents, ils les produiraient. Ils n'en ont pas. D'un autre côté, la majeure partie des réfugiés somaliens qui sont arrivés au Canada possédaient des papiers d'identité quelconques.
On estime que la communauté somalienne au Canada s'élève à 80 000 ou 100 000 personnes. Elle est répartie surtout entre Vancouver, Toronto et Ottawa, et également au Québec. D'après Citoyenneté et Immigration Canada, 7 000 Somaliens seulement sont touchés par le projet de loi C-86. La très grande majorité d'entre nous sont arrivés au Canada avec des pièces d'identité. Tout le monde sait que le Canada demande aux gens de produire des pièces d'identité quelconques. En l'absence de documentation, nous pensons que les gens devraient pouvoir prêter serment, signer un affidavit pour établir leur identité, ou encore accepter de se soumettre au processus de détermination du statut de réfugié qui permet d'identifier les gens: Abdul Hakkim est Adbul Hakim ou Mohammed Ali est originaire de la Somalie, et il est né à telle date. Voilà la façon de procéder.
La présidente: Est-ce que quelqu'un d'autre a une réponse à donner? Oui, monsieur Ulusso.
M. Ulusso: Madame Meredith, nous ne voulons pas que le Canada laisse entrer tout le monde sans papier. Je ne voudrais pas qu'on autorise tout le monde à entrer sans montrer des pièces d'identité en règle, mais en fait, là n'est pas la question.
Il faudrait commencer par se demander d'où vient le problème. Nous n'en sommes pas responsables, ce sont les agents d'immigration dans vos centres ou même la Commission d'immigration et du statut de réfugié elle-même qui en sont responsables. Comme monsieur vient de le dire, la plupart des gens ont des documents, des pièces d'identité quelconques, mais les agents d'immigration ont des pouvoirs discrétionnaires et... Telle est la nature humaine. Quand on n'y connaît rien, il est facile de dire que c'est un faux. Or, c'est précisément ce qui se passe. C'est justement... On voit des étudiants qui travaillent l'été dans les centres d'immigration refuser certains documents, déclarer qu'ils ne sont pas valables. Les gens sont impuissants. Ils n'ont aucun recours. C'est justement le dilemme.
Je peux surtout vous parler des ressortissants somaliens et afghans, des problèmes que cela leur cause et vous dire que ce sont les plus touchés parce que nous n'avons pas de gouvernement. Et même si nous avions un gouvernement, il ne pourrait pas émettre de pièces d'identité. Toutefois, si nous restons dans les limbes depuis dix ans... c'est tout à fait inacceptable. Il est vraiment temps que le gouvernement fasse quelque chose pour que ces gens-là puissent avoir une vie normale. Voilà tout ce que nous voulons.
La présidente: Je crois que quelqu'un a quelque chose à ajouter.
M. Alekozai: Nous n'avons jamais dit que tous les réfugiés afghans devraient obtenir immédiatement le statut d'immigrant reçu, ou obtenir immédiatement le statut de réfugié au sens de la Convention, c'est-à-dire sans une procédure équitable et acceptable. Comme je l'ai dit, il y a la CISR, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Pour commencer, un membre de la commission interroge le requérant et prend des notes. Cela amorce la procédure. Comment un membre de la commission peut-il déterminer la véracité de ce qu'on lui dit en ce qui concerne l'identité?
Il dispose de deux outils: la crédibilité et l'identité. Sur la base de l'identité et de la crédibilité du requérant, il est déjà possible de se former une opinion, de déterminer s'il s'agit véritablement d'un réfugié d'Afghanistan au sens de la Convention. C'est tout à fait simple.
En ce qui concerne le droit d'établissement, encore une fois... À mon avis, cela signifie que le gouvernement ne respecte pas les décisions de la CISR. Je ne sais pas. Est-ce que je me trompe? Ou bien est-ce que les documents préparés pour la CISR ne sont pas suffisants pour les centres d'immigration? Je ne sais que croire.
Mme Meredith: Je ne sais plus quel témoin en a parlé, mais pour une raison ou pour une autre, je ne vous dirai pas si je suis d'accord ou pas, le gouvernement a décidé qu'il fallait constituer un dossier. Les demandes vont devoir être par écrit. On n'aura plus besoin d'entrevues; on n'aura plus besoin de rencontrer les gens en personne. Vous pensez peut-être que vous avez un problème aujourd'hui, mais si le ministère prend cette décision, les choses vont encore s'aggraver, parce que toute décision sera fondée sur les papiers que vous pourrez fournir pour prouver que...
Vous n'avez pas réellement répondu à ma question, à savoir comment vous allez justifier aux autres communautés le fait que vous puissiez obtenir le statut d'immigrant reçu sans document, quand le même privilège leur sera refusé?
M. Hashi: C'est que nous sommes les deux seules communautés à ne pas pouvoir fournir les pièces d'identité requises.
Nous pouvons le justifier parce que c'est inacceptable, à nos yeux, d'exiger des pièces d'identité, de gens dont la culture n'en reconnaît pas la valeur. Ceux qui fuient la guerre civile peuvent justifier qu'un tort a été redressé par le bon gouvernement canadien.
Mme Meredith: D'accord, merci.
La présidente: Monsieur Cullen.
M. Cullen: Merci, madame la présidente.
J'aimerais moi aussi vous féliciter publiquement, madame la présidente, d'avoir pris l'initiative d'organiser ces consultations qui font partie, je crois, du processus.
J'aimerais remercier nos témoins, et les remercier de leurs exposés. J'aimerais souhaiter plus particulièrement la bienvenue à M. Ulusso, qui est de ma circonscription et que je connais très bien.
Quant à la consultation, je crois que M. Ulusso fait allusion au fait qu'il y a eu sur une très longue période, du moins dans Etobicoke-Nord, un dialogue entre la communauté somalienne, le secrétaire parlementaire, le ministre, moi-même et d'autres encore. Cela ne veut pas dire que la politique ou les annonces qui sont l'aboutissement de ce dialogue font toujours plaisir à tous, mais je pense qu'il y a eu de bonnes consultations.
J'aimerais parler de votre mémoire, monsieur Ulusso, et j'aimerais que vous me fournissiez de plus amples détails sur certains points. Il y a beaucoup plus de réfugiés somaliens, aux États-Unis, comme vous le savez fort bien. Vous avez parlé du traitement réservé aux Somaliens dans ce pays. Vous pourriez peut-être nous donner de plus amples détails.
M. Ulusso: Le fait est que les États-Unis reçoivent de nos jours un grand nombre de Somaliens, je dirais même des avions entiers de Somaliens, qui viennent de pays voisins comme le Kenya et l'Ethiopie, pour ne mentionner que ces deux-là.
Si j'étais aux États-Unis et que j'avais un permis de travail, ou même si je n'avais pas un permis de travail, mais que je présentais une demande, je serais autorisé à faire venir ma famille. Ici, au Canada, je dois répondre à toute une série d'exigences auxquelles je ne serais pas toujours en mesure de satisfaire en raison de ma situation financière.
C'est triste à dire, mais les États-Unis semblent un peu plus humains à l'endroit de la communauté somalienne. Ils n'exigent pas de preuves d'identité. Les gens sont acceptés.
Quand vous leur parlez, vous devez accepter ce qu'ils vous disent, sans mettre en doute leur parole. S'ils vous disent qu'ils sont M. Joe, vous devez l'accepter, ou encore qu'elle est Janet. Si vous dites «Prouve-moi que tu es Janet», cela crée tout un problème. Voilà pourquoi nous nous trouvons actuellement dans une telle détresse.
M. Cullen: Je vais m'en tenir au mémoire de M. Ulusso. Je connais mieux la situation somalienne que l'afghane, et je m'en excuse à l'avance.
Dans votre mémoire, monsieur Ulusso, vous dites au sujet des chiffres que cite le ministère, 7 000 environ, que vous croyez que le nombre réel pourrait être beaucoup plus bas que cela. Pouvez-vous me donner d'autres détails?
M. Ulusso: En réalité, quand Mme Robillard a annoncé les niveaux d'immigration et que nous sommes allés par la suite à la séance d'information, on nous a dit qu'il y en aurait environ 7 600, y compris les Afghans, qui recevraient le statut d'immigrant reçu pendant cette période qui s'étendra jusqu'à l'an 2000. Cela aussi c'est inacceptable. Certains d'entre eux ne pourront même pas voter lors de la deuxième élection fédérale de l'an 2000.
Il faudra qu'un Somalien ou un Afghan attende 10 ans, avant de devenir citoyen, ce qui est aussi inacceptable, tandis qu'aux États-Unis, il suffit de six années de résidence, plus le délai de cinq ans, pour devenir citoyen.
Quand j'ai parlé de ces chiffres, j'ai songé à ce qu'a dit l'un des membres somaliens, à savoir que le 15 avril, Jeff Le Bane a dit que 3 200 Somaliens n'ont jamais remis leur demande. Quand nous avons participé à la séance d'information de ce jour-là, personne n'a mentionné les 3 200.
Nous voulons savoir si le chiffre de 7 000 inclut les 3 000 autres. Si oui, alors le nombre de Somaliens qui recevraient le statut d'immigrant reçu n'approcherait même pas les 6 000. Il y en aurait peut-être la moitié qui obtiendrait le droit d'établissement sur cette période de cinq ans, et c'est réellement inacceptable.
Nous voulons savoir exactement où sont allées ces 3 200 personnes. Où sont leurs demandes?
M. Cullen: Nous pourrions peut-être nous saisir de cette question et nous renseigner.
Monsieur Ulusso, vous avez parlé du fort taux d'approbation des demandes d'asile des réfugiés somaliens. Cela a-t-il une incidence sur la situation?
M. Ulusso: Étant donné les conditions qui prévalent dans le pays, les familles de Somalie n'ont pas de pays où retourner. Chacun sait que le Canada accepte des réfugiés et il faudrait leur accorder le bénéfice du doute quant à la véracité de leurs dires s'ils sont somaliens et qu'ils demandent le droit d'asile au Canada.
Les chiffres réels ne sont pas trop élevés. Je me demande s'ils se rapprochent même des chiffres cités sur le nombre d'entre eux venant au Canada, dans un délai de trois mois.
Le taux d'acceptation au Canada est très élevé. Nous sommes très reconnaissants envers ce pays et ses citoyens. Tant que nous aurons des problèmes, nous aimerions que cet accueil soit maintenu. Voilà essentiellement ce que j'essaye de dire.
M. Cullen: Monsieur Ulusso, vous dites qu'en vertu des règlements, vous devez fournir un formulaire de renseignements personnels et que cela vous préoccupe. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi.
M. Ulusso: C'est ce que nous avons appris lors de la séance de l'après-midi où ils nous ont dit que nous devions apporter deux formulaires. Il y en a un premier, ensuite un deuxième qui renferme les renseignements personnels qui doit être présenté lorsque l'on demande le statut de réfugié au sens de la Convention.
C'est normal que l'on me demande de démontrer la relation qu'il y a entre moi et les membres de ma famille qui feront une demande de statut de réfugié et qui disent être de mes parents. Cependant, l'agent d'immigration agit sur de simples présomptions lorsqu'il dit que quelqu'un a menti dans les documents d'immigration et demande si c'est vrai qu'une personne a été violée, rouée de coups ou emprisonnée. Cela nous déplaît de réexpliquer ce que nous avons déjà dit à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, ou peu importe. Je ne crois pas qu'ils ont raison de faire cela. Je veux bien fournir la preuve du lien entre moi et les membres de la famille. Je comprends cette exigence-là, mais pas l'autre.
M. Cullen: Vous dites aussi, monsieur Ulusso, que le gouvernement devrait supprimer les revendications de statut au Canada. J'aimerais davantage de détails.
M. Ulusso: Voici la situation. Tout ce règlement baptisé CRCCSPI a été adopté pour régler des problèmes à l'arrivée et les choses pourraient être plus simples que cela. Les gens viennent de toute façon munis de visas et présentent une revendication de statut de réfugié. Ce serait plus simple de supprimer cette étape-là, afin qu'ils n'aient pas à présenter leur revendication à l'intérieur du pays. Voilà essentiellement ce que j'essayais de dire.
La présidente: Monsieur Hashi.
M. Hashi: Oui, en ce qui à trait à la dernière question, je crois que l'élimination des revendications au Canada serait contraire à la Convention de Genève relative aux réfugiés. Quand un réfugié entre dans un pays qui a ratifié cette convention, il n'est pas possible de refouler ce réfugié.
La présidente: Monsieur Ulusso.
M. Ulusso: Nous ne parlons pas du point d'entrée. Nous parlons de gens qui viennent ici munis de visas, qui atterrissent à l'aéroport international Pearson, ou à l'un des aéroports de Montréal, et qui deux ou trois jours plus tard, se présentent au bureau de l'immigration et disent qu'ils n'ont pas de document, mais revendiquent le statut de réfugié. Voilà ceux de qui je veux parler.
La présidente: Je ne veux pas de débat, seulement des questions ou des réponses. Si vous voulez ajouter quelque chose, allez-y. Monsieur Hashi.
M. Hashi: J'aimerais ajouter une chose. En ce qui concerne ces revendications au Canada, ce n'est pas la même chose. Si quelqu'un vient à Ottawa, au Canada, alors que la situation est au beau fixe en Somalie et qu'ensuite la situation explose, qu'arrive-t-il? Si vous venez et que vous demandez le droit d'asile ou que vous travaillez à l'ambassade et que les dirigeants du régime vident les droits de la personne et que vous vivez à Ottawa et que les autorités canadiennes vous disent qu'elles ne vont pas vous accepter, c'est contraire à la Convention de Genève.
Merci.
La présidente: Monsieur Cullen.
M. Cullen: M. Ulusso voudrait peut-être ajouter quelque chose à cela.
M. Ulusso: Naturellement, je ne parlais pas de cas bien connus. Si je m'enfuis de la Chine et que je suis sportif, ou peu importe, c'est parfait parce que j'ai des pièces d'identité. Je m'inquiète de celui qui n'aurait pas de pièces d'identité ou qui aurait présenté une revendication de statut déjà dans d'autres pays. Je ne parle pas de généralités.
La présidente: Voulez-vous invoquer le Règlement, madame Meredith?
Mme Meredith: Je voulais tout juste confirmer que cela se produit assez régulièrement que des gens viennent munis d'un permis de séjour pour visiteur. La même chose s'est produite pour une famille russe de la région de Vancouver. Ils sont venus munis de permis de séjour pour visiteur, ont réclamé le statut de réfugié dans l'intervalle et l'Union soviétique n'était plus... Les membres de cette famille seront expulsés, parce qu'on a jugé qu'ils n'avaient pas de raison légitime de revendiquer le statut de réfugié. Alors, cela se produit. Les décisions sont fondées sur les choses qui se produisent et qui sont indépendantes de leur volonté.
La présidente: Merci, madame Meredith.
Monsieur Cullen, il vous reste deux minutes.
M. Cullen: Merci, madame la présidente.
J'en reviens à ce que disait M. Barekzai, de l'Association afghane. Cela m'a toujours laissé perplexe et j'aimerais que vous me donniez davantage de détails sur le genre de pièces d'identité qu'il faut avoir ou ne pas avoir pour passer devant la CISR.
La question que vous avez posée sur la vérification des pièces d'identité m'apparaît excellente, à savoir de déterminer si les pièces d'identité sont nécessaires pour prendre une décision sur la revendication de statut de réfugié ou si ces pièces d'identité sont nécessaires pour déterminer le statut des personnes ayant obtenu le droit d'établissement. Je me suis souvent demandé si les choses s'amélioreront un jour. Comme l'a dit M. Hashi, si vous fuyez une situation très violente, comment peut-on espérer une amélioration de la situation pour ce qui est des pièces d'identité? C'est là le véritable problème. Vous pourriez peut-être m'en dire plus long.
M. Alekozai: Comme je l'ai dit, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié exige qu'une personne soit de l'Afghanistan, par exemple, et cela pose la question des pièces d'identité et de la crédibilité. Certains pourront par chance avoir des pièces d'identité, comme un document d'identité nationale qu'ils auront amené avec eux. C'est un document qui leur aurait été délivré10 ans plus tôt et ils craignaient d'amener leurs pièces originales et d'être interceptés en Europe ou dans d'autres pays avec ces documents. Ce serait très difficile pour eux de venir au Canada.
Si quelqu'un n'a pas de pièces d'identité et que la CISR détermine que cette personne est un réfugié au sens de la Convention, mes huit ou neuf années d'expérience m'ont appris que, normalement, les avocats convoquent des témoins. Ils leur demanderont si quelqu'un les connaît, un camarade de classe ou un voisin, qui pourrait bien l'avoir rencontré dix ans plus tôt, dans leur pays d'origine. Cette personne est convoquée comme témoin. L'agent d'audience pose des questions sur la crédibilité de ce témoin, de sa relation avec le demandeur de statut, peu importe. Si l'agent d'audience est satisfait de la crédibilité du témoin pour ce qui est de l'identité du demandeur, ça c'est une chose.
La deuxième c'est qu'ils demanderont à l'avocat du demandeur de statut, une attestation sous serment. C'est la pratique, et c'est chose courante. On dira qu'on est M. Y, ou peu importe, d'Afghanistan, lié à une certaine tribu, et qu'on est venu au Canada revendiquer le statut de réfugié. En plus, heureusement, ils demanderont une lettre de l'Association afghane.
Comme je l'ai dit, notre association a été créée en 1984 et nous écrivons des lettres pour les gens, sur notre papier à en-tête. L'auteur dira, par exemple, qu'il est le président et qu'il a interviewé telle ou telle personne. L'auteur donne son nom et agit comme témoin envoyé par l'Association pour dire que telle ou telle personne parle l'une des deux langues officielles du pays et est liée à une certaine tribu. Le témoin dira qu'il a interviewé la personne et a conclu qu'elle est afghane ou que la famille est afghane. Voilà qui sont les témoins, ou c'est parfois un membre de la famille immédiate. Si le demandeur de statut a des membres de sa famille immédiate au Canada, l'un d'eux pourra être témoin.
J'ai constaté que la CISR fait son travail. Elle le fait bien et d'une façon que je trouve acceptable. Si une personne n'a pas de pièces d'identité, elle aura des difficultés. Une fois qu'on aura déterminé que la personne est réfugiée au sens de la Convention, sur la foi de ce qu'elle a raconté, de sa crédibilité et des pièces d'identité en sa possession, j'estime que cela suffit. Pourquoi l'agent d'immigration ou l'agent d'audience demanderait-il à voir des pièces d'identité additionnelles? La personne ne peut fournir de preuves d'identité additionnelles. Si vous la contraignez à le faire, il se peut, par exemple, qu'elle présente des pièces contrefaites, ou autre chose du genre, ce qui n'est pas du tout une bonne chose, pour une personne qui tente de sauver sa vie.
La présidente: Merci. Merci, monsieur Cullen.
Monsieur Sauvageau,
[Français]
vous avez une question?
M. Sauvageau (Terrebonne): Excusez mon arrivée tardive. Je remplace M. Nunez. J'espère que la question que je vais vous poser n'aura pas déjà été posée. Si oui, vous n'avez qu'à me le dire.
Pour m'orienter et m'initier un peu à cette problématique, pourriez-vous me dire si le Canada, comparativement à d'autres pays similaires, par exemple les États-Unis, la France et la Belgique, pour n'en nommer que quelques-uns, est plus permissif ou moins permissif, plus tolérant ou moins tolérant? Quelle image dresseriez-vous? Quel pointage donneriez-vous au Canada pour cet aspect-là?
Si Mme la présidente me le permet, j'aurai d'autres questions.
La présidente: On est vraiment serrés dans le temps.
[Traduction]
Monsieur Hashi, une courte réponse, s'il vous plaît. Avez-vous compris la question?
M. Hashi: Oui, c'est une question très intéressante.
Il existe deux images du Canada. On s'en fait une idée très plaisante, très bonne: un pays compatissant, riche, humanitaire, qui est accueillant pour les réfugiés. Voilà pourquoi de nombreux réfugiés préfèrent le Canada à tout autre pays au monde.
Une fois rendus ici, après avoir franchi la frontière et être passés à l'immigration, on prend conscience de tous les obstacles systémiques, mis en place par le projet de loi C-86 et on constate qu'on ne peut pas tout simplement reprendre le cours normal de sa vie parce qu'on est ligotés pieds et mains par toute la réglementation. L'idée qu'on se faisait du Canada change quand on y arrive, mais cela reste le meilleur pays au monde.
La présidente: Y a-t-il quelqu'un d'autre? Monsieur Barekzai.
[Français]
M. Sauvageau: Et quant à la réglementation?
La présidente: Je crois qu'il a répondu en ce qui a trait à la réglementation.
[Traduction]
Nous parlons ici des règlements, soyons clairs.
M. Barekzai: D'accord. En tant que citoyen canadien, ici depuis neuf ou dix ans, je considère que le Canada respecte et défend les droits de la personne au niveau national et international. Malheureusement, si ce règlement est adopté et appliqué, les problèmes que créera le projet de loi C-86 empêcheront les gens de s'intégrer à la société canadienne. C'est un problème national et cela ternira la réputation du Canada sur la scène internationale.
Nous nous plaignons du fait que les réfugiés sont expulsés d'Allemagne. Ils sont détenus pendant quatre ou cinq ans. Pourquoi nous comparerions-nous à cela?
Plus tôt, quelqu'un a parlé de la façon dont les États-Unis traitent les Somaliens, mais nous ne devrions pas nous comparer à eux. Pourquoi comparer le Canada à ce qui existe en Afghanistan, par exemple? Là-bas il y a des violations des droits de la personne et des persécutions. Nous ne voulons pas comparer le Canada à ce qu'il y a de moins bon dans d'autres pays.
Nous disons que le Canada est le meilleur pays. Le Canada est un pays dont on s'attend qu'il se conformera au droit international pour des raisons d'ordre humanitaire. Par exemple, cinq millions d'Afghans ont quitté leur pays. Si vous vous reportez à la situation d'avant 1980, vous constaterez qu'il n'y avait ici que trois ou quatre étudiants. En raison des problèmes qui sont des problèmes internationaux et non nationaux, les gens ne peuvent revendiquer le statut de réfugié. Nous attendons du gouvernement canadien qu'il aide ceux qui ont dû quitter leur pays, par crainte d'être persécutés.
Jusqu'ici, le Canada s'est montré respectueux des droits de la personne, mais si ces règlements sont adoptés... j'en doute.
La présidente: Madame Meredith, vous vouliez ajouter quelque chose, et puis ce sera tout pour le groupe.
Mme Meredith: Merci, madame la présidente.
Je voulais tout juste ajouter que je déteste défendre le gouvernement, mais je dois néanmoins dire, à sa décharge, qu'il y a dans le monde entier des centaines de millions de personnes qui se cherchent un nouveau pays où se refaire une meilleure vie. Le Canada ne peut absolument pas absorber tous ceux qui souhaitent améliorer leur situation économique.
Le Canada doit déterminer qui a des raisons légitimes de revendiquer le statut de réfugié et faire la distinction entre eux et les migrants économiques. Cela peut sembler injuste pour certaines personnes à qui les décisions qui seront prises ne plairont pas, mais il faut décider qui a des raisons légitimes de craindre la persécution et qui souhaite tout simplement une meilleure situation économique pour sa famille.
Il doit y avoir des règlements. Il doit y avoir des contrôles pour que ceux qui ont le plus besoin de protection, puissent être protégés. Malheureusement, cela signifie qu'un grand nombre de ceux qui voudraient trouver une meilleure vie dans un autre pays essuieront un refus.
La présidente: J'en conclus que c'était un rappel au Règlement, madame Meredith?
Mme Meredith: Je voulais des éclaircissements. Merci.
[Français]
La présidente: J'aimerais apporter une précision. Monsieur, je vous avais donné du temps additionnel parce que M. Nunez avait déjà posé des questions. Je m'excuse. Au prochain tour, nous allons vous donner dix minutes.
[Traduction]
Merci beaucoup.
Nous accueillons maintenant les porte-parole des deux derniers groupes: l'Association communautaire iranienne et la Eelam Tamil Society.
Pouvez-vous d'abord vous présenter pour nos auditeurs et pour les membres du comité, s'il vous plaît?
Le révérend Francis Xavier (membre, conseil d'administration, Tamil Eelam Society of Canada): Je m'appelle Francis Xavier, et je suis prêtre de l'Église anglicane du Canada. Je suis aussi membre du conseil d'administration de l'Association Tamil Eelam, à Toronto.
M. K. Sivasegaran (préposé à l'établissement des réfugiés, Tamil Eelam Society of Canada): Je m'appelle Sivasegaran. Je travaille comme agent d'établissement des réfugiés à la Tamil Eelam Society of Canada.
La présidente: Merci.
Qui représente l'Association communautaire iranienne?
M. Mohammed Shams (vice-président, Association communautaire iranienne de l'Ontario): Je m'appelle Mohammed Shams. Je suis vice-président de l'Association communautaire iranienne de l'Ontario.
Mme Saghi Sadighi (préposée à l'établissement des réfugiés, Association communautaire iranienne de l'Ontario): Je m'appelle Saghi Sadighi. Je suis préposée à l'établissement des réfugiés à l'Association communautaire iranienne de l'Ontario.
La présidente: Vous avez cinq minutes chacun, pour un total de 10 minutes. J'aimerais que vous nous parliez des propositions de changement susceptibles d'améliorer les règlements. C'est la raison pour laquelle nous vous avons invités à comparaître devant le comité.
Nous entendrons d'abord le porte-parole de l'Association communautaire iranienne. Qui doit commencer, M. Shams, ou Mme...
Mme Sadighi: Je vais commencer.
La présidente: Allez-y.
Mme Sadighi: Il y a une chose sur laquelle nous aimerions insister. Le projet de loi ne devrait pas s'appliquer seulement à une catégorie ou à un groupé désigné. S'il est adopté, il devrait s'appliquer à tous.
Nous aimerions aussi souligner qu'en demandant aux réfugiés au sens de la Convention de fournir des pièces d'identité acceptables, le gouvernement canadien leur demande essentiellement de s'adresser au consulat d'Iran pour obtenir ces pièces d'identité. Cela signifie s'adresser aux représentants du pays même qu'ils ont fui par crainte d'être persécutés. D'après la Convention de 1951 sur les réfugiés, aucun réfugié au sens de la Convention ne doit être contraint de retourner dans son pays. Comme l'ambassade d'Iran est réputée être territoire du gouvernement iranien, nous ne croyons pas qu'il soit acceptable de contraindre les réfugiés de s'y rendre pour demander des pièces d'identité.
Voilà les principaux commentaires que je tenais à faire. Il y a enfin une dernière chose. Ce règlement met énormément de pression sur la communauté. Elle sera marginalisée. Il est déjà difficile de s'intégrer dans la société en général et nous croyons que cela posera des problèmes à long terme.
La présidente: Voulez-vous ajouter autre chose, monsieur Shams?
M. Shams: De fait, je voulais ajouter, dans le même sens, que les familles ou les membres des familles doivent attendre ici quatre ou cinq ans. Ils ne peuvent rien faire d'utile. Ils restent ici sans obtenir de pièces d'identité canadiennes acceptables. Ils ne peuvent pas reprendre le cours normal de leur vie. Ils ne peuvent pas s'ouvrir un commerce. Ils ne peuvent pas entreprendre des études. Ils ne peuvent faire venir les membres de leur famille. Cela ajoute aux problèmes psychologiques et financiers qu'ont déjà ces personnes déplacées et cela impose aussi un fardeau à la société canadienne.
La présidente: Le révérend Xavier, de la Tamil Eelam Society.
Rév. Xavier: La communauté tamoule commence à ressentir une peur profonde devant le sort de nos frères et soeurs des communautés somaliennes et afghanes. Cette loi pourrait être adoptée... à cause de cette guerre terrible et abominable qui se déroule à l'insu de tous. Des centaines et des milliers de Tamouls prennent la mer pour se rendre en Inde et cela sans papiers d'identité. La même situation pourrait se produire ici aussi; nous tenions donc à vous faire part de cette crainte que nous avons. Nous voulons aussi exprimer notre solidarité avec eux, avec les Afghans et les Iraniens, et appuyer plus pratiquement les propositions formulées par le Conseil canadien pour les réfugiés et l'Association du Barreau canadien.
J'aimerais insister sur le fait que chaque cas doit être examiné dans des contextes différents. Étant donné le sort réservé à nos frères et soeurs somaliens, ils ne méritent pas d'être traités de la façon dont les a traités le système canadien d'immigration. Il s'agit d'une situation particulière où on tente d'empêcher ce qui n'existe pas de crainte que partout dans le monde s'ébruite le fait qu'aucune pièce d'identité n'est requise, ce qui inciterait les gens à venir ici.
Il y a aussi toute cette question de savoir ce qu'il arrivera à un si grand nombre de gens - et peut-être à nous à l'avenir - si nous devons être marginalisés de cette façon et obligés de vivre sans pouvoir faire venir nos familles, surtout si ce délai de cinq ans peut être prorogé pour des périodes successives. Nous détruisons les valeurs mêmes que nous sommes censés défendre, la famille, la jeunesse - tandis que nous disons à nos enfants qu'ils devront prendre en charge l'avenir et construire le Canada - Toronto, Ottawa et toutes ces villes. Nous sommes tous des immigrants. Il n'y a que l'époque qui change, n'est-ce pas? Ainsi, nous devrions construire un pays où la confiance pourra régner entre les citoyens.
Je ne veux pas donner l'impression que je défends la vertu, mais j'aimerais, en dernier lieu, revenir à ce que disait le député au sujet de l'image. Nous avions en tête une image du Canada tel qu'il existait dans le passé, mais tout cela est en train de disparaître. Pourquoi? Nous ne le savons pas.
Le Canada se tourne vers le reste du monde pour accroître ses débouchés à l'exportation, même vers le Timor oriental. Je ne comprends pas cela. Si les habitants du Sri Lanka, de l'Inde et plus particulièrement les Tamouls ont l'impression que le Canada nous coupe l'herbe sous le pied, comment cela améliorera-t-il notre image quand nous irons en mission commerciale? Je vous invite donc, au nom de tous ceux avec qui nous sommes solidaires et au nom de tous les Canadiens qui sont accueillants et chaleureux, à faire ce qu'ont fait les Premières nations quand les premiers Européens sont venus ici: ouvrez-leur les bras.
Merci.
La présidente: Merci.
Je crois que le Canada est encore un pays accueillant qui ouvre ses frontières aux nouveaux venus, mais c'est un avis personnel que j'exprime.
J'accorde d'abord la parole à M. Sauvageau.
Je suis désolée. Vouliez-vous ajouter quelque chose, monsieur Sivarsegaran? Vous avez deux minutes.
M. Sivasegaran: Permettez-moi d'ajouter un élément nouveau. Jusqu'à présent, personne ne l'a abordé. Si l'on demande des pièces d'identité, c'est pour limiter le nombre des immigrants. C'est très clair. Avant 1993, il n'était pas nécessaire d'avoir des pièces d'identité satisfaisantes pour obtenir le statut d'immigrant reçu.
En outre, on demande des documents qui datent d'avant la revendication. Je ne sais pas si vous êtes tous au courant, mais on nous demande des pièces d'identité qui datent d'avant notre revendication du statut de réfugié. Pourquoi ne peut-on pas produire des pièces d'identité qui datent d'après la revendication? Lorsque des gens quittent leur pays et viennent au Canada sans pièces d'identité, il est encore possible à certains d'entre eux d'obtenir leur certificat de naissance par le truchement de parents ou d'amis qui vivent au Sri Lanka. Ces documents seront postérieurs à la revendication, car ils seront demandés après qu'aura été présentée la revendication du statut de réfugié au Canada. Il est ridicule d'exiger des documents qui datent d'avant la revendication. Évidemment, cela sert à mettre des bâtons dans les roues et à empêcher des immigrants de venir d'autres pays. C'est pourquoi cette exigence doit être immédiatement abolie.
Je peux vous parler d'un cas entre autres où - j'ai assisté à la réunion où l'on a dit que si les documents produits étaient satisfaisants, la famille pourrait recevoir le statut d'immigrant reçu. Le mari a fourni tous les documents. Sa femme n'avait pas de documents datant d'avant la revendication, mais elle a pu fournir un certificat d'enregistrement de mariage. Deux de leurs enfants étaient nés au Canada et leurs certificats de naissance portaient et le nom du père et celui de la mère. J'avais également envoyé des photographies - des photos de mariage, d'anniversaire, etc. Après six mois, les demandeurs ont écrit à l'administration centrale nationale qui leur a refusé le statut d'immigrant reçu, sous prétexte que les pièces d'identité étaient insatisfaisantes. Je suis très inquiet par conséquent de cette exigence à l'égard de documents qui datent d'avant la revendication.
La présidente: Je vous remercie de vos commentaires. Permettez-moi de poser une question avant que nous commencions, puisque c'est un élément qui est ressorti des questions que nous avons posées aux fonctionnaires. Dans vos groupes, savez-vous combien il y a de cas de réfugiés sans pièces d'identité dans vos communautés? En avez-vous une idée?
Mme Sadighi: Nous n'avons pas de données là-dessus.
La présidente: En avez-vous une idée? Y en a-t-il 100 ou 1 000? De combien de cas s'agit-il?
Mme Sadighi: Je n'en ai pas idée - je suis désolée.
M. Sivasegaran: D'après nous, il y en a de 4 000 à 5 000.
La présidente: Des gens sans pièces d'identité?
M. Sivasegaran: Oui.
La présidente: Des réfugiés?
M. Sivasegaran: Des gens qui ne reçoivent pas le statut d'immigrant reçu parce qu'ils n'ont pas de pièces d'identité, oui.
La présidente: D'accord. Avez-vous à ce sujet des documents que vous pourriez présenter au comité?
Des voix: Oh, oh!
M. Sivasegaran: Il s'agit surtout d'enfants. Dans notre communauté, le problème, ce sont les enfants nés après 1986 parce qu'il n'est pas possible de fournir pour eux de pièces d'identité, puisqu'ils n'ont pas été inscrits au Bureau régional du registraire général ni au gouvernement central.
La présidente: Sur quoi fondez-vous vos chiffres?
M. Sivasegaran: À l'heure actuelle, c'est à Etobicoke que se trouve le point de contrôle du CIC - c'est là qu'est accordé le statut d'immigrant reçu. D'après nos dossiers, il y a de 4 000 à 5ts000 réfugiés qui ne reçoivent pas le statut d'immigrant reçu pendant trois ans parce qu'ils ne peuvent présenter de pièces d'identité - surtout à l'égard de leurs enfants.
La présidente: Merci beaucoup. Cela précise les choses.
[Français]
Monsieur Sauvageau.
M. Sauvageau: Ce que vous dites est très intéressant, mais la frontière est très mince, je crois. Plus tôt, j'écoutais le groupe somalien. Évidemment, j'avais beaucoup de compassion, mais la frontière est très étroite pour les immigrants sans documents.
Vous dites que vous nous faites confiance. Je suis persuadé que la très grande majorité sont des gens de bonne foi et ne viennent ici que pour faire des demandes justes et légitimes.
Cependant, malgré tout, on sait tous que, malheureusement, il y en a qui profitent parfois de lacunes dans le système. Vous voudriez bénéficier de cette exception tout en étant conscients qu'il pourrait y avoir de l'abus.
Où pourrions-nous tracer une ligne, là où la zone grise serait le moins pâle possible? Vous avez en partie raison, mais il faut aussi être prudent.
[Traduction]
Mme Sadighi: Des tas de gens abusent du système, mais cela n'a rien à voir avec les pièces d'identité. Le fait qu'une personne n'ait pas de pièces d'identité ne signifie pas qu'elle abuse du système, et l'inverse est également vrai.
[Français]
M. Sauvageau: Non, non, non.
[Traduction]
Mme Sadighi: C'est exact; je ne crois pas que ces choses-là s'excluent mutuellement. C'est la même chose dans le cas des actes criminels. Une personne peut être réfugiée au sens de la Convention, présenter de bonnes pièces d'identité et obtenir le statut d'immigrant reçu et n'en être pas moins un criminel. Cela n'a rien à voir. L'un ne dépend pas de l'autre.
La présidente: Monsieur Shams.
M. Shams: Permettez-moi de répondre à l'autre partie de votre question, à savoir comment on peut détecter les criminels qui arrivent au Canada.
Monsieur Sauvageau - vous êtes arrivé un peu après le début de notre témoignage - les gens de la communauté savent très bien qui arrive au pays et qui en part. Nous sommes en mesure d'aider le service d'immigration, la Commission du statut de réfugié, le gouvernement - et même en fait les enquêteurs - à déterminer qui est un vrai réfugié et qui n'en est pas un; nous savons qui vient ici pour tirer profit du système et qui a commis des actes criminels dans son pays d'origine. La communauté sait si ce sont de vrais réfugiés ou pas. Elle sait de quelle partie du pays les gens viennent. Elle peut collaborer avec le gouvernement et d'ailleurs, elle l'a fait.
Nos collègues afghans l'ont déjà expliqué avant nous. Ils ont aidé les agents de la CISR. Ils ont aidé leur gouvernement de cette façon, en reconnaissant et en identifiant des gens qui étaient des criminels.
La présidente: Est-ce que quelqu'un a quelque chose à ajouter?
M. Sivasegaran: Oui. Au Sri Lanka, personne ne voulait venir au Canada avant 1983 car nous avions une vie aisée et il n'y avait pas grand problème. Si le problème du Sri Lanka était résolu demain, je puis vous assurer que 90 p. 100 d'entre nous retournerions dans notre pays, moi y compris. Cela signifie que nous sommes de vrais réfugiés, que nous ne sommes pas intéressés à vivre ici. Nous connaissons des problèmes graves et nous ne sommes pas venus ici pour gagner quelque chose, pour faire des profits ou pour en tirer un avantage financier.
Lorsque je suis arrivé, en 1984, bien des Canadiens me demandaient d'où j'étais. Personne ne savait où était le Sri Lanka. Mon pays est maintenant populaire à cause de son problème. Mais si ce problème était résolu demain, nous serions nombreux à y retourner. Cela signifie que nous sommes arrivés ici comme de vrais réfugiés.
Rév. Xavier: Je dirai brièvement que, d'une façon générale, lorsque les gens arrivent ici en grand nombre, nous savons d'où ils viennent et pour quelle raison. Autrement dit, c'est le contexte qui nous l'explique.
Deuxièmement, c'est un problème qui touche de très près le Canada, puisque le pays devient de plus en plus multiculturel. Pour que le multiculturalisme devienne un phénomène positif, il faut que tous les groupes puissent faire confiance - une confiance de plus en plus grande - aux communautés dans lesquelles ils vivent. À mon avis, cette confiance permettra en fin de compte de régler des cas comme ceux-là - les problèmes de l'immigration au Canada ou les problèmes avec le gouvernement canadien. Ce qu'il faut, c'est de la collaboration et des changements; si les gens sont prêts à aller dans ce sens, alors nous y travaillerons encore plus d'arrache-pied.
[Français]
La présidente: Monsieur Sauvageau.
M. Sauvageau: Pourriez-vous me parler rapidement des difficultés que vous rencontrez dans vos pays respectifs en ce qui a trait à l'obtention de la documentation vous permettant d'arriver à la frontière avec de l'information pertinente pour légaliser ou faciliter votre entrée?
Par exemple, en Iran, à quel genre de problèmes devez-vous principalement faire face?
[Traduction]
Mme Sadighi: Puis-je commencer?
La présidente: Je vous en prie, madame Sadighi.
Mme Sadighi: Pour partir d'Iran, il faudrait obtenir un passeport, mais c'est difficile pour les gens d'obtenir de tels documents lorsqu'ils sont en conflit politique avec le gouvernement. Même s'ils obtiennent un passeport, même s'ils avaient déjà un passeport, ils se font arrêter au point d'entrée ou de sortie. La première chose que l'on fait, c'est de confisquer leurs passeports et Dieu sait ce qui arrive après.
Au fond, c'est cela le problème. Même si vous avez un passeport, vous ne pouvez pas l'utiliser. Souvent, les gens quittent l'Iran illégalement, en franchissant les montagnes, à pied, en autobus, sans avoir les documents nécessaires. Malheureusement, il arrive parfois qu'ils puissent soudoyer des gens et obtenir de faux documents. Dans d'autres cas, le gouvernement devient corrompu.
M. Shams: C'est également difficile pour ceux qui arrivent ici sans pièces d'identité de demander le statut de réfugié lorsque les fonctionnaires canadiens leur demandent de tels documents. Ils ne peuvent pas retourner à leur ambassade - l'ambassade d'Iran, par exemple, - et demander des pièces d'identité, puisqu'ils ont fui le pays et sont donc considérés comme des ennemis. En retournant à leur ambassade, ils reviennent sur le territoire. Ce n'est pas possible. Ils ne peuvent obtenir de passeport ou de documents du pays qu'ils ont fui.
La présidente: La communauté tamoule a-t-elle des commentaires?
M. Sivasegaran: Permettez-moi de vous expliquer comment se fait l'enregistrement des naissances au Sri Lanka.
Tout d'abord, il y a un registraire local dans chaque village. Lorsqu'un enfant naît dans un village, que ce soit à l'hôpital ou à la maison, les parents enregistrent la naissance auprès du registraire du village. Ce dernier transmet l'enregistrement au palier provincial, puis le palier provincial en fait autant au palier central. Il y a donc trois étapes.
Environ 500 000 personnes ont quitté la province du nord pour aller ailleurs. D'après les journaux, la plupart des bébés ont été mis au monde sous les arbres. Les mères étaient cachées à la vue des gens derrière des saris. Il n'y avait pas d'hôpitaux.
Dans de telles circonstances, il n'était pas possible à ces gens d'aller chercher un registraire et d'enregistrer la naissance, parce qu'il n'y a pas de bureaux partout.
Dans bien des cas, surtout pour les enfants nés après 1986, il n'est pas possible de fournir de document, puisqu'ils ne sont pas allés à l'école. Il n'y a pas de document sur ces jeunes. Le seul document que leurs parents peuvent produire, c'est l'affidavit. S'ils étaient allés à l'école... Le ministère de l'Immigration accepte bien sûr le certificat de fin d'études.
Dans d'autres cas, les gens sont capables d'obtenir des documents qui datent d'après leur revendication. Il faut que l'immigration reconnaisse la validité de ces pièces d'identité qui datent d'après la revendication.
La présidente: Merci.
[Français]
Monsieur Sauvageau, une autre question? Vous avez en le temps.
M. Sauvageau: Ma question s'adresse aux représentants de la communauté iranienne. Monsieur, à la suite de votre dernière intervention, l'ambassadeur d'Iran au Canada a organisé, au mois de novembre, une délégation canadienne en Iran. On avait invité quelques parlementaires et un sénateur, si je ne m'abuse. Je n'ai pas eu de compte rendu du voyage, mais il semble qu'on leur ait fait faire une visite relativement ouverte et gentille.
Pourriez-vous commenter cette attitude de l'ambassadeur d'Iran, qui invite des délégations canadiennes? Quel est son but? Pourquoi le fait-il et comment?
[Traduction]
La présidente: Si vous ne pouvez pas répondre à la question, vous pouvez le dire. Vous n'êtes pas obligé de répondre.
M. Shams: En fait, je peux faire une observation à ce sujet.
Vous voulez savoir s'il y a actuellement des liens politiques entre l'Iran et le Canada et pourquoi les Iraniens demandent encore le statut de réfugié?
[Français]
M. Sauvageau: Je n'ai peut-être pas été assez clair. Pensez-vous que c'est une opération de charme ou y a-t-il une volonté réelle de faciliter les relations entre les deux pays?
La présidente: Monsieur Sauvageau, je ne vois pas en quoi votre question est pertinente à ce dont on discute aujourd'hui.
M. Sauvageau: D'accord. Excusez-moi, madame la présidente.
[Traduction]
Madame Meredith.
Mme Meredith: Merci, madame la présidente.
Monsieur Shams, vous avez dit que sans le statut d'immigrant reçu, vous ne pouvez pas faire d'études ni lancer une entreprise. J'ai déjà entendu ce commentaire, mais je ne le comprends pas. Quel lien y a-t-il entre le statut d'immigrant reçu et le fait de créer une entreprise ou, pour des enfants, d'entreprendre des études?
M. Shams: Pour commencer, parlons des études. Si vous n'avez pas le statut d'immigrant reçu, il vous est possible en Ontario d'étudier jusqu'à la fin du cycle secondaire. Après cela, vous serez considéré comme un étudiant étranger et vous devrez payer des frais de scolarité supérieurs à ceux que paient les Canadiens. Par conséquent, vous aurez peut-être de la difficulté à étudier à l'université, même si vous êtes plein de talents et capable de poursuivre des études.
Mme Meredith: D'après ce que j'ai compris du témoignage des fonctionnaires du ministère, dans le régime ontarien, les frais de scolarité sont les mêmes que si vous étiez un étudiant canadien. Les frais de scolarité internationaux ne peuvent s'appliquer aux réfugiés au sens de la Convention. On ne peut vous imposer que les mêmes frais de scolarité payés par les Canadiens. Si j'ai bien compris, il en va autrement des prêts aux étudiants et des bourses d'études.
Mais qu'en est-il des entreprises? Qu'est-ce qui vous empêche de créer une entreprise?
M. Shams: Le réfugié au sens de la Convention ne connaît pas son statut, c'est-à-dire qu'il ne sait pas s'il recevra le statut d'immigrant reçu ou pas. Il ne peut rien entreprendre pour des raisons psychologiques. Il estime qu'il n'est pas établi. Il y a un élément psychologique.
D'autre part, si ce réfugié se rend à la banque, on lui demandera généralement un passeport ou une pièce d'identité canadienne reconnue. Mais il n'en a pas. Il ne peut pas montrer le permis qui est délivré par le ministre ou un document indiquant qu'il a revendiqué le statut de réfugié ou qu'il est un réfugié au sens de la Convention. Les banques n'acceptent pas ces documents.
Mme Meredith: Le problème serait donc d'obtenir le financement pour lancer une entreprise, par exemple?
M. Shams: C'est exact. Ces documents ne sont pas acceptés de la même façon que les pièces d'identité officielles des immigrants reçus au Canada.
La présidente: M. Sivasegaran voulait ajouter quelque chose.
M. Sivasegaran: Il a oublié un élément. Les banques ne consentent de prêts qu'aux immigrants reçus. Pour lancer une entreprise, il est bien naturel de vouloir obtenir un prêt d'une banque. Les réfugiés selon la Convention n'ont pas le droit d'obtenir de prêt.
Mme Meredith: C'est intéressant.
Il y a aussi autre chose qui m'intéresse. Je sais qu'à Vancouver, il y a des demandeurs du statut de réfugié de vos deux communautés qui ont obtenu le statut d'immigrant reçu et qui sont ensuite retournés dans leur pays d'origine. Pourquoi font-ils cela, comment peuvent-ils le faire s'ils sont persécutés? S'ils ne peuvent aller à leur ambassade pour obtenir des documents, comment peuvent-ils retourner dans leur pays d'origine une fois qu'ils ont le statut d'immigrant reçu?
M. Shams: Il ne faut pas généraliser de tels cas. Il y a peut-être des gens qui le font à leurs propres risques. Voici un exemple. Supposons que mon pays soit une prison et que j'y sois détenu parce que j'ai commis un acte criminel. Supposons que je réussisse à creuser un tunnel et à m'enfuir de la prison. Je peux, à mon choix, retourner à la prison prendre le thé ou le café avec un des gardes. Mais il se peut qu'il me reconnaisse, qu'il sache que j'étais détenu là auparavant.
Comprenez-vous ce que je dis?
Mme Meredith: Si je pose la question, c'est que cela s'est produit plus qu'une ou deux fois. Il est assez fréquent que des gens fuient la persécution, obtiennent le statut de réfugié puis celui d'immigrant reçu et qu'ils se rendent par la suite dans le pays qu'ils ont fui.
Le fait d'être immigrant reçu vous accorde-t-il une certaine protection ou alors, comme vous l'avez dit, ces gens-là sont-ils prêts à prendre des risques?
M. Shams: Ce n'est pas tout le monde, en fait. Les cas dont vous avez entendu parler... évidemment, on a toujours tendance à exagérer. D'après moi, ces cas sont très peu nombreux, mais lorsqu'on trouve une pomme gâtée dans un panier, on a tendance à croire que toutes les autres pommes le sont aussi. Ces gens-là retournent chez eux à leurs propres risques, bien sûr.
Mme Sadighi: Permettez-moi d'ajouter que dans bien des cas, le mari ou la femme a le statut de réfugié selon la Convention mais que le reste de la famille a obtenu le statut d'immigrant reçu; parfois, l'épouse ne court aucun risque à retourner dans le pays d'origine. Cela se produit souvent et de toute façon, c'est un choix personnel.
Je suis citoyenne canadienne. J'ai déjà été réfugiée, mais je n'ose pas encore m'approcher de mon ambassade, ne serait-ce que pour remplir des formulaires. Certains le font, d'autres pas.
La présidente: Merci.
Monsieur Cullen.
M. Cullen: Merci, madame la présidente. Merci, mesdames et messieurs.
La question porte sur l'emploi. Nous avons parlé d'entreprise, entre autres. Supposons qu'une personne ait le statut de réfugié, essaie d'avoir celui d'immigrant reçu et se cherche un emploi. J'ai entendu différents sons de cloche à ce sujet et je n'arrive pas à comprendre ce qu'il en est. Avez-vous des observations à ce sujet?
Mme Sadighi: Mon emploi à moi, par exemple, est financé par le gouvernement fédéral. Je ne pourrais pas avoir cet emploi si je n'étais pas immigrante reçue. C'est aussi simple que cela. Les réfugiés selon la Convention reçoivent des numéros d'assurance sociale qui commencent par le chiffre 9, contrairement aux autres qui commencent tous par un 4 ou un 5. Malheureusement, lorsqu'ils présentent une demande d'emploi, ils sont l'objet de discrimination parce qu'ils ne connaissent pas les règles. C'est un problème courant. Cela se produit tous les jours, mais il n'y a rien que l'on puisse faire. Tout ce que l'on peut faire, c'est renseigner les gens de façon à ce qu'ils puissent éviter la discrimination.
Il est bien difficile de créer une entreprise si votre statut ne vous permet pas de louer des locaux, d'obtenir du financement, comme nous l'avons dit, ou même de trouver de bons partenaires.
La présidente: Monsieur Sivasegaran, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Sivasegaran: En fait, on trouve dans le livre de renseignements sur la citoyenneté que des fonds sont consacrés à fournir des emplois du gouvernement fédéral aux immigrants reçus ou aux citoyens. C'est ce qui est écrit, et les réfugiés au sens de la Convention ne sont pas mentionnés. Toutefois, le réfugié peut mettre à jour ses compétences et, s'il est habile, trouver un emploi pour quelque temps. Mais s'il a ce problème de pièces d'identité, ce sera très frustrant pour lui d'attendre de cinq à six ans pour obtenir le statut d'immigrant reçu ou de citoyen. En fait, on insiste sur cette question des pièces d'identité, surtout pour les emplois au gouvernement fédéral, et c'est mauvais signe.
La présidente: J'aimerais obtenir une précision des représentants de la communauté srilankaise. Notre sujet d'aujourd'hui était supposé être le règlement; la communauté iranienne a demandé à ce que le règlement s'applique également à elle. Demandez-vous la même chose, ou avez-vous des recommandations à présenter au comité?
Rév. Xavier: Oui, nous demandons à ce que le règlement s'applique également à la communauté srilankaise.
Nous tenons également à vous remercier de nous donner cette occasion de comparaître devant vous.
La présidente: Merci d'être venus.
Avez-vous un commentaire, madame Sadighi?
Mme Sadighi: Je n'ai pas parlé de la communauté iranienne plus particulièrement... Je voudrais que le règlement s'applique à tous.
La présidente: À tous les gens qui n'ont pas de pièces d'identité?
Mme Sadighi: Toutes les communautés présentes ou futures qui pourraient présenter les mêmes caractéristiques que les Somaliens, les Africains ou les Iraniens...
La présidente: Sans période d'attente?
Mme Sadighi: Non, je n'irais pas jusque-là. Il faudrait simplement que le règlement s'applique à tous de façon à ce qu'il n'y ait pas de groupe désigné. C'est tout.
La présidente: Merci beaucoup de votre témoignage devant le comité.
J'invite maintenant la Table de concertation de Montréal pour les réfugiés à prendre place, s'il vous plaît.
Nous accueillons aujourd'hui Mme Rivka Augenfeld, présidente, et M. Jean-François Goyette,
[Français]
avocat. Bienvenue. Vous pouvez commencer.
Mme Rivka Augenfeld (présidente, Table de concertation de Montréal pour les réfugiés): Je vous remercie de nous entendre malgré un avis aussi court. Je vais faire ma présentation en partie en français et en partie en anglais. Le français est ma troisième langue. Donc, j'espère que vous allez m'excuser. À certains moments, je voudrais que ce soit très précis.
La Table de concertation de Montréal pour les réfugiés est un organisme parapluie qui compte maintenant 84 organismes membres. Elle existe depuis 1979 et a déjà participé à plusieurs consultations et séances de ce comité dans toutes ses permutations. À plusieurs reprises, on a malheureusement prévu des problèmes qui se sont matérialisés par la suite.
Donc, on a une longue expérience. On aide les organismes sur le terrain et on travaille dans le quotidien, mais on a aussi une vue d'ensemble de la situation et on peut vous dire qu'on avait prévu des problèmes plus d'une fois. J'espère que cette fois-ci, on va nous écouter.
La présidente: C'est l'une des raisons pour lesquelles on vous a invités.
Mme Augenfeld: J'espère que ce comité pourra amener du bon sens, de l'humanité et de la moralité dans cette situation difficile.
On est, en principe, d'accord sur la proposition du CCR et du Barreau canadien. Je ne veux pas répéter ce que les autres ont dit; je vais plutôt essayer d'y ajouter.
Il est important de souligner qu'aujourd'hui, ce comité a une chance de rectifier l'erreur qui avait été commise avec le projet de loi C-86, qui est entré en vigueur en 1993. C'est l'ancien gouvernement qui avait fait adopter ce projet de loi.
Certains membres du gouvernement de l'époque s'opposaient au projet de loi C-86 ainsi que les membres de l'opposition de l'époque, qui forment aujourd'hui le gouvernement, pour toutes les raisons et tous les problèmes qui, aujourd'hui, se manifestent. On se demande pourquoi on n'a pas rectifié ces erreurs.
On se demande s'il n'y aurait pas plutôt un désaccord entre Immigration Canada et la CISR. On voit qu'Immigration Canada n'accepte pas que la CISR ait accepté des gens à titre de réfugiés.
Pendant plusieurs années de discussions avec les fonctionnaires, discussions auxquelles j'ai participé avec d'autres membres de ma coalition, on semblait près d'une entente, d'une solution raisonnable à ce problème. Mais tout à coup, sans préavis, en dépit de toutes sortes de réunions informelles et formelles, publiques et privées, on nous présente un projet de règlement qui va à l'extrême et qui pose un nouveau problème.
[Traduction]
J'estime que ce règlement n'est pas nécessaire. Vous n'avez pas besoin d'un nouveau règlement, non plus que d'une nouvelle catégorie. Tout ce dont vous avez besoin, c'est de revoir le projet de loi C-86 et de modifier les dispositions qui posent problème. Les agents peuvent avoir un pouvoir discrétionnaire et l'utiliser de façon positive.
Pourquoi les mêmes pièces d'identité sont-elles acceptées dans certains pays et pas dans d'autres? On parle toujours de gens sans pièces d'identité. Ces gens-là ne se trouvent pas toujours sans pièces d'identité. La plupart ont des documents quelconques; il s'agit simplement de déterminer si ces documents sont acceptés ou non.
Je ne veux pas me lancer dans une analyse par pays, mais dans notre travail, nous rencontrons des gens qui viennent de divers pays et qui semblent avoir des problèmes de document. Tout cela semble arbitraire et très difficile. Je n'ai pas de statistiques, c'est le ministère de l'Immigration qui en a.
Il est toujours possible d'user de pouvoirs discrétionnaires. Mais au lieu de trouver des solutions, nous créons un nouveau problème. Quel sera le résultat? Des innocents souffriront. Les familles de ces gens souffriront.
Le comité est-il prêt à se rendre au Kenya ou dans d'autres pays pour expliquer aux familles des gens qui sont ici pourquoi elles doivent attendre? Si le comité adopte ce règlement, il faudrait qu'il soit prêt à le faire car ces gens-là n'arrivent pas à croire ce que leur disent leurs familles.
Ces familles se sentent abandonnées. Elles n'arrivent pas à croire que ceux d'entre eux qui sont au Canada n'arrivent pas à régler le problème. Et pour ceux qui sont au Canada, cela crée des sentiments de stress et de culpabilité. Pour certains, leurs femmes, leurs enfants et d'autres de leurs proches passent leur vie en suspens, dans des camps. Certains sont en danger - pas tous, mais bon nombre d'entre eux - et il faut leur dire que c'est tant pis pour eux.
Ce sont toujours les victimes qui souffrent. Les victimes souffrent toujours parce que nous nous inquiétons des abus commis par une poignée de gens. Vous faites toujours souffrir tout le monde, et ce sont toujours les réfugiés qui souffrent plus que tous les autres.
[Français]
À la Table de concertation, on vient de finir une recherche scientifique, avec une méthodologie approuvée par tous les sociologues. Cette recherche se nomme «L'impact des séparations familiales secondaires aux politiques d'immigration sur la santé mentale des réfugiés». Elle sera publiée bientôt.
Je ne vais pas vous parler de toute la recherche, mais je vais vous dire que le point saillant est notre échantillonnage des personnes interviewées. Une proportion élevée de personnes avaient subi des événements traumatiques dans leur pays d'origine. Elles avaient été victimes de torture, d'emprisonnement et de menaces et avaient été témoins d'actes violents. On a trouvé que les réfugiés les plus vulnérables à l'effet de la séparation de la famille étaient ceux qui avaient vécu des événements difficiles ou traumatisants dans leur pays d'origine.
Nos résultats démontrent que l'impact négatif de l'interaction entre la séparation et le traumatisme sur la santé mentale a tendance à disparaître lorsque les gens sont réunis avec leur famille.
Nous ne pouvons malheureusement pas vous donner tout de suite les résultats de cette recherche. Cependant, elle démontre que plus on a souffert dans son pays d'origine, plus on souffre de la séparation de sa famille. Avec la nouvelle situation qu'on est en train de créer, ce sont les réfugiés qui souffriront le plus. Je ne sais pas comment on peut justifier cela.
[Traduction]
Les fausses pièces d'identité ne créent pas de fausses gens. Dans le film Casablanca, tout le monde trouve romantique qu'Humphry Bogart donne à Ingrid Bergman les documents qui leur permettront, à elle et à son mari, de fuir Casablanca. Que ferait-on de ces gens, s'ils arrivaient à nos frontières?
Raoul Wallenberg est un héros. Il a fourni de fausses pièces d'identité à des milliers de gens pour les aider à fuir la Hongrie. On trouve des statues de lui à Montréal et même à Budapest. Que serait-il arrivé aux personnes à qui il a remis ces faux documents si elles étaient arrivées chez nous et n'avaient pu fournir de certificats de naissance parce que leur ville et leur village ont été rasés?
Pensons-y aussi. C'est un sujet qui nous émeut beaucoup, mais ce n'est pas seulement une question d'émotion. Il faut voir aussi qui souffre et qui fait les frais de ce règlement totalement inutile.
Mais j'en ai assez dit.
[Français]
Je vais maintenant donner la parole à mon collègue Jean-François Goyette, qui pourra ajouter quelques points sur d'autres aspects de ce règlement.
Me Jean-François Goyette (avocat, Table de concertation de Montréal pour les réfugiés): Je vais être bref. Je m'appelle Jean-François Goyette et je suis avocat. Je pratique en immigration depuis maintenant 16 ans. J'ai déjà été membre de l'exécutif de l'Association du Barreau canadien et je suis déjà passé devant ce comité à titre de membre du Barreau canadien.
Je trouve ce règlement très navrant dans sa logique, dans sa construction et dans la façon dont on veut atteindre certains objectifs. Il est important de souligner que le projet de règlement nous invite à penser qu'on pourrait avoir une plus grande sécurité aux frontières canadiennes en étalant cela sur une période de cinq ans. C'est là une façon d'instiller un faux sentiment de sécurité.
Il y a, dans ce règlement, des misconceptions, comme on dit en anglais, des façons de voir qui, à mon sens, sont tout à fait inappropriées. Tout d'abord, le document d'identité n'est pas une garantie que la personne n'est pas un criminel, n'a pas été un criminel ou ne se livrera pas à des actes criminels.
Cela nous indique que cette personne a une identité et qu'on doit rechercher cette identité. Il est tout à fait normal qu'un pays comme le Canada cherche à savoir qui est la personne qui arrive au Canada, mais le document d'identité ne nous garantit pas que cette personne se conduira bien. C'est ce que semble suggérer le résumé de l'étude d'impact à l'appui du projet de réglementation.
Je suis pour ma part estomaqué de voir qu'on dit notamment, à la page 32.56:
- L'évaluation de leur comportement pendant ces cinq années au Canada remplacerait la
vérification des antécédents normalement effectuée pour tous les immigrants, y compris les
réfugiés, étant donné que l'efficacité de ce genre de vérifications est limitée si le nom de la
personne visée et les renseignements personnels la concernant ne peuvent être confirmés par
des registres officiels.
À mon sens, c'est une aberration. Pourquoi? Quand une personne prétend, avec un document ou sans document, être John Doe, l'Immigration se doit de vérifier lorsque c'est possible.
Qu'on ait des documents ou qu'on n'en ait pas, ces vérifications-là doivent se faire. Je ne pense pas que la mise en oeuvre du critère de la possession de documents valides soit une assurance ou une garantie suffisante que ces personnes-là sont bien qui elles disent être. Il y a d'autres moyens de vérification et j'espère que le ministère de l'Immigration y pourvoit.
D'autre part, en ce qui a trait aux documents, il y a un secteur fondamental qui n'a pas été évalué dans l'étude d'impact et dans l'ensemble du document, et c'est la question de la réunification des familles. Il est totalement contre l'intérêt du Canada de faire en sorte que des familles soient toujours séparées par l'application de cette réglementation stricte concernant les papiers d'identité.
J'ai eu, pour ma part, bon nombre de réfugiés comme clients. J'ai vu des situations où les familles étaient séparées. Même avec les papiers d'identité, la réunification était souvent difficile. Je dois vous dire que cela crée des problèmes importants, des problèmes de tous ordres. Il faut que vous sachiez également que ces problèmes-là entraînent des coûts.
J'ai un client qui a dû attendre quatre ans et demi avant que ses trois enfants, qui vivaient dans des conditions tout à fait aberrantes, puissent venir au Canada. À l'heure actuelle, lorsque des clients ont des familles à faire venir et que la séparation est longue, je leur conseille toujours de faire affaire avec des travailleurs sociaux pour amortir le choc de la réintégration.
Généralement, les revendicateurs qui veulent faire venir leurs enfants et leurs personnes à charge promettent des choses: «J'ai consulté mon avocat, et cela va se faire l'année prochaine ou dans six mois, dans un an». Le délai d'attente crée une tension pour les êtres qui vivent dans des conditions souvent beaucoup plus difficiles que lorsque le demandeur principal est parti.
Beaucoup d'enfants ont souffert de cette séparation-là. Ils ont eu des traumatismes et ils deviennent purement et simplement des délinquants. Il y a un centre pour délinquants au Québec, à Shawbridge, où ce genre de séparation et de réunification a été abominable et a créé une classe de délinquants particulière. Personnellement, je pense qu'il faut étudier cet aspect-là. C'est important, parce qu'on crée plus de problèmes qu'on en règle.
Parlons maintenant de la question des cinq ans. C'est un chiffre qu'on a sorti de nulle part et qui n'a aucun rapport, notamment avec le DROC, comme M. Matas l'a dit, et avec la Loi sur la citoyenneté. Vous savez comme moi, membres du comité, que pour obtenir la citoyenneté canadienne, il faut trois ans.
C'est donc dire que le Canada offre aux immigrants la possibilité de devenir citoyens canadiens après seulement trois ans. On offre ce qu'on a de plus cher, la citoyenneté canadienne, après trois ans, et on demanderait cinq ans pour vérifier si certaines personnes sont raisonnablement acceptables. Je pense que c'est une aberration.
Je vais me limiter à cela. Je dirai simplement un dernier point concernant la question des autres pays. Deux pays ont été mentionnés. Ayant fait le tour de tous les pays, je sais qu'il existe des situations aberrantes qui font que, dans certains pays, on ne peut pas avoir de documents.
Vous avez vu des gens de la communauté iranienne. J'ai des clients iraniens. Il existe des villes en Iran - je pense à Abadan qui a été complètement détruite durant la guerre Iran-Iraq et à d'autres villes kurdes en Iraq qui ont été détruites durant la guerre du Golfe - qui sont rasées. J'ai une photo d'Abadan. Cela ressemble à Hiroshima après la bombe.
Il est impossible d'avoir des documents d'identité et l'État iranien n'aide pas beaucoup. Si vous êtes né à Abadan ou dans la région kurde de l'Iran, vous n'aurez pas de documents d'identité. Cela, c'est pour l'Iran. On pourrait faire le tour de la planète. Il existe plein de pays où il est simplement impossible d'obtenir des documents d'identité. La mention de deux pays seulement crée des inégalités.
Je soutiens qu'on devrait non seulement ne pas faire en sorte que ce règlement fonctionne, mais aussi abroger la disposition qui a été amenée par le projet de loi C-86.
La présidente: Merci beaucoup.
Mme Augenfeld: J'aurais un petit point à ajouter.
[Traduction]
La présidente: Soyez très brève.
Mme Augenfeld: Oui.
Permettez-moi de mentionner un autre exemple tout aussi paradoxal. À Montréal, nous avons des familles du Zaïre qui sont séparées depuis 1993 à cause de ce règlement. C'est déjà bien difficile, dans le meilleur des cas, de réunir les familles de certains pays. Nous n'avons pas d'agents d'immigration partout.
Comment peut-on faire quoi que ce soit au Zaïre? Le pays est au bord de l'explosion. Même nos délégués à l'étranger - l'autre jour, Raymond Chrétien a déclaré que le pays était au bord de l'explosion. Le gouvernement canadien n'arrive même pas à obtenir des documents zaïrois pour les gens qu'il essaie de déporter au Zaïre; il les renvoie là-bas avec un aller simple du Canada. Si le gouvernement canadien n'arrive pas à obtenir des documents pour une personne qu'il essaie de déporter, que peut faire un réfugié qui n'a pas à sa disposition des pièces d'identité qui satisfassent l'immigration? Ce n'est pas logique.
La présidente: Merci.
Je précise que nous étudierons la Loi sur l'immigration. Le ministre a récemment annoncé qu'un groupe de travail sera chargé d'étudier tous les aspects de la Loi sur l'immigration. Je tenais à le dire officiellement.
[Français]
M. Sauvageau: Vous avez dit, madame, dans votre présentation, que vous étiez très près d'une solution raisonnable avant l'établissement de la loi, en 1986, mais que les choses ont changé et qu'il est arrivé ce qui est arrivé. Quelle était cette solution raisonnable et quels sont ces amendements ou correctifs que vous nous suggérez?
Mme Augenfeld: Nous avions un système qui, il me semble, fonctionnait assez bien avant 1993. Ce n'est pas la préhistoire. On semble avoir une mémoire très courte dans tous les domaines. On oublie qu'il y a trois ans et demi, on avait une façon de fonctionner qui ne réglait pas tous les cas, mais la plupart d'entre eux. M. Goyette peut en témoigner.
On arrivait à identifier les gens d'une façon satisfaisante. Je lance au gouvernement le défi de demander à Immigration Canada à combien de personnes on a accordé la résidence permanente avant 1993. Parmi ces personnes, combien d'entres elles sont devenues des cas problèmes par la suite?
J'aimerais bien avoir ces statistiques. Moi, je ne les ai pas. Combien de personnes se sont avérées, par la suite, des cas problèmes?
Depuis les projets de loi C-86 et C-44, on a bien assez de dispositions pour déporter les gens. On en a plus qu'assez. On n'a pas besoin d'une autre difficulté. Il me semble que si on retournait à la situation juste avant la mise en vigueur de C-86, on aurait la solution.
Les éternelles discussions avec les fonctionnaires, c'est difficile. On a tenu des réunions avec les communautés et avec les représentants de la coalition plus large. On semblait s'en aller vers des vérifications, des affidavits, des lignages de clans, etc.
Je viens d'une famille qui est arrivée au Canada en 1948. J'avais deux ans. Je suis née dans un camp de personnes déplacées. Mes parents n'avaient pas de documents. Ce n'est pas dit ici, mais je pense que none is too many. On connaît l'histoire et on est fiers du fait qu'on a évolué depuis. On a appris de nos erreurs. On ne fera plus cela. On ne sera plus raciste, on ne sera plus antisémite, on ne sera plus tout cela, mais j'espère que dans plusieurs années, on n'aura pas un autre livre qui sera le None is too many de cette époque, où on va prouver comment on a commis une nouvelle injustice au nom de je ne sais trop quoi.
Mes parents, avec tout ce qu'ils avaient comme difficultés, sont quand même arrivés, avec l'aide... Il leur fallait prouver leur identité, mais ils ne l'ont sûrement pas fait avec l'aide des documents de Varsovie, la ville de mon père, où tout avait été rasé.
[Traduction]
Les gens se sont portés garants les uns des autres. Les gens ont fourni des affidavits et on a établi les identités.
[Français]
On peut le faire maintenant. On ne peut répéter éternellement les erreurs, créer de nouvelles tragédies et se dire, plusieurs années plus tard,
[Traduction]
Eh bien, nous avons commis une erreur. Des gens devront payer cette erreur de leur vie et de leur santé.
[Français]
Comme M. Goyette l'a dit, cela représente un coût pour la société. On voit quotidiennement des personnes dont la santé mentale est fragile, des gens qui tombent malades, des personnes qui ne peuvent travailler à pleine capacité et qui retirent des prestations du bien-être social et, enfin, des enfants qui ne peuvent aller à l'école. Tout cela nous coûte de l'argent. On se crée de nouveaux problèmes. Pourquoi? On n'a rien. Le ministère ne nous a rien donné pour nous prouver que c'était nécessaire.
La présidente: Monsieur Goyette.
Me Goyette: J'aimerais ajouter un point important. Dans la Gazette officielle, dans l'étude d'impact, on a nommé dans les solutions envisagées: «abroger la disposition législative actuelle». On disait entre autres que ce n'était pas envisagé, parce que cela n'encouragerait pas ceux qui peuvent produire des papiers d'identité à le faire.
Le projet de loi C-86 a changé les règles concernant ceux qui veulent obtenir la résidence permanente, mais également ceux qui présentent une demande de statut de réfugié.
Depuis C-86, c'est systématique: il faut présenter des documents d'identité. On est obligé de le faire et ces documents d'identité sont examinés, non seulement par la Commission, par le biais des agents d'audience, mais également par les représentants du ministre.
Lorsqu'un représentant du ministre a des doutes sur l'identité, on présente des documents ou n'importe quoi et on fait un contre-interrogatoire. À mon sens, c'est le meilleur endroit pour questionner l'identité de quelqu'un. Je ne dis pas questionner les documents d'identité, mais l'identité d'une personne.
Je suis d'accord avec David Matas qui dit que c'est une solution tout à fait raisonnable, dans les circonstances, que de confier, comme c'est le cas à l'heure actuelle, à la section du statut le soin de vérifier l'identité d'une personne avec ou sans documents. Je pense que c'est clair, mais cela a été écarté dans le document. On a passé par-dessus cela tout simplement.
La présidente: Merci.
[Traduction]
Madame Meredith.
Mme Meredith: Merci, madame la présidente.
Permettez-moi de profiter de votre expérience juridique.
Je suppose que si le ministère a inclus cette période de cinq ans dans le règlement, c'est pour protéger le Canada. Notre travail consiste à protéger le pays des risques, et je suppose que c'est de cette façon qu'il essaie de le faire.
Si le ministère accordait un statut d'immigrant reçu conditionnel, c'est-à-dire à la condition que la personne respecte les lois du Canada, selon les termes que l'on trouverait dans l'accord, obtiendrait-on, du point du vue juridique, la même protection qu'avec ce délai de cinq ans... si les gens peuvent prouver qu'ils respectent les lois et les normes du Canada pendant une période de cinq ans?
Si le gouvernement décidait d'accorder le statut d'immigrant reçu à condition que la personne respecte les lois et normes de la société du Canada, est-ce que cela protégerait suffisamment le pays, du point de vue juridique?
M. Goyette: C'est exactement ce qui se passe. Lorsqu'on accorde le statut d'immigrant reçu à quelqu'un, cette personne a le droit de demeurer au Canada, mais elle peut être déportée si elle ne respecte pas la loi - si elle commet un acte criminel et est condamnée à six mois d'emprisonnement, par exemple. Le statut d'immigrant reçu est toujours assorti de conditions implicites.
Aviez-vous d'autres conditions à l'esprit...
Mme Meredith: Pas nécessairement, mais le gouvernement constate maintenant que le projet de loi C-44 ne donne pas de bons résultats, qu'il est très difficile de déporter les criminels. Nous avons appris récemment que la Cour fédéral d'appel a confirmé la décision rendue à l'égard d'une personne reconnue coupable de trafic de stupéfiants.
Il n'est pas facile d'expulser du Canada quelqu'un qui a commis un crime. Peut-être est-ce là ce qu'ils craignent: s'ils n'accordent pas le statut d'immigrant reçu, le statut juridique avant de... S'il s'agit d'une entente contractuelle entre le demandeur et le gouvernement, est-il plus facile de dire: vous n'avez pas respecté les clauses du contrat, vous n'avez donc pas le droit de rester?
M. Goyette: Je ne pense pas qu'il y ait une différence fondamentale, comme l'expliquait tout à l'heure David Matas, il n'y a pas plus d'avantages pour celui qui n'est pas immigrant reçu, mais réfugié au sens de la Convention, que pour un immigrant reçu qui est résident permanent. Tous deux ont le même accès, mais également les mêmes restrictions pour interjeter appel auprès de la CISR.
Mme Meredith: Il n'y a donc pas d'avantages réels à cette période de cinq ans...
M. Goyette: Je ne vois aucun avantage. C'est ainsi que celui qui aurait commis un crime contre l'humanité dans un autre pays se verrait supprimer son permis de résidence permanente, et même sa citoyenneté s'il était devenu canadien, parce qu'il doit déclarer qu'il n'a pas commis de crimes contre l'humanité. Même s'il n'a pas été condamné pour un crime de cette catégorie, il perdra sa citoyenneté et son droit de résidence permanente s'il y a des preuves suffisantes qu'il a commis ces crimes. Il n'y a donc aucun avantage d'ordre juridique.
Mme Meredith: Je vous remercie.
Mme Augenfeld: Je voudrais revenir un peu en arrière. Il est paradoxal de constater que parfois, quand une personne demande le statut de réfugié et a un document ou un passeport, cela nuit à sa crédibilité. En effet, si vous détenez un passeport cela signifie que votre gouvernement vous en a émis un. Êtes-vous alors vraiment réfugié? Si vous n'avez pas de documents ou si vous avez dû obtenir un faux document, cela vous nuit également, parce qu'on vous demande pourquoi vous n'avez pu obtenir un document authentique. Un réfugié se trouve donc pris entre l'enclume et le marteau.
Par ailleurs nous avons créé un faux problème. Nous affirmons vouloir nous assurer de l'identité d'une personne, quand nous voulons vérifier ses antécédents. Cette personne a-t-elle commis un crime dans son pays? Nous reconnaissons alors que nous ne pouvons vraiment apporter de preuve ni dans un sens ni dans l'autre, et nous allons donc instituer une période d'attente de cinq ans pour voir comment cette personne se comporte au Canada.
Nous avons déjà - comme il a été dit - de nombreuses règles et règlements qui nous permettent de prendre des mesures contre ceux qui se comportent mal au Canada, qui commettent des actes criminels. Il ne nous sert pas à grand-chose d'examiner leurs antécédents, ce qu'ils ont fait ou n'ont pas fait avant d'arriver dans notre pays. Là encore, comme le disait David Matas, nous avons constaté que ceux qui ont commis des crimes contre l'humanité, que ce soit pendant l'époque des nazis, ou plus récemment, des gens qui ont eu maille à partir avec la justice, ce sont ceux dont le comportement est tout à fait anodin, ceux qui présentent le syndrome du «voisin bien tranquille». Ils se garderont bien d'attirer sur eux l'attention, tout ce qu'ils veulent, c'est se faire aussi petits que possible.
Ce devant quoi nous nous trouvons, au lieu de cela, c'est d'un jeune provenant d'une famille qui est frustré, qui se sent lésé, qui ne peut faire ses études, qui ne peut trouver un emploi, qui sur un coup de tête commet un acte qu'il regrette. C'est lui, ou elle, qui va pâtir des conséquences plus que tout autre.
Nous créons ainsi différentes classes de réfugiés, certains de pays dont nous acceptons un document, d'autres d'un autre pays qui nous est moins sympathique, et nous refusons donc ce document. Certains proviennent de pays où, comme on l'a fait remarquer, les autres gens de cette collectivité répondent de vous, et cette collectivité n'a aucun intérêt à autoriser des gens qui ont commis des crimes contre l'humanité à résider ici.
Pour revenir à votre question, il existe donc toutes sortes de freins et contrepoids, de moyens de vérifier, de façons raisonnables de vérifier l'identité des gens. Point n'est besoin de créer une nouvelle sous-catégorie, vous avez tout ce qu'il vous faut, et davantage. Il y aura toujours certaines garanties aux termes de la Charte, mais j'espère bien que nous n'allons pas déclarer que la Charte ne s'applique qu'à certains, et non aux autres.
La présidente: Monsieur Cullen.
[Français]
M. Cullen: Merci beaucoup, madame Augenfeld et monsieur Goyette.
[Traduction]
Madame Augenfeld, vous disiez que de temps en temps nous avons un trou de mémoire; je vais peut-être alors, brièvement, vous rappeler un petit fait. Dans ma circonscription d'Etobicoke-Nord, il y a une grande collectivité somalienne basée à Dixon Road. La majorité d'entre eux sont arrivés au Canada en 1988, 1989, 1990, 1991 et 1992, de sorte que plusieurs gouvernements se sont penchés sur la question, et c'est notre gouvernement qui essaie de trouver une solution.
Vous avez tous deux porté un jugement critique sur le projet de loi dont nous sommes saisis, mais je n'ai pas entendu beaucoup de propositions de solutions. Mon collègue de l'autre bord a constaté que vous disiez, dans votre exposé, qu'une solution de compromis avait été proposée à un certain moment, et j'aimerais bien savoir quelle est la solution que vous préconisez. Peut-être pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de la solution dont on discutait avant que le ministre ne présente cette proposition.
Mme Augenfeld: Ce que nous disions, monsieur Cullen, c'est que ce règlement est superflu, d'après nous. Il institue une nouvelle catégorie qui n'est pas justifiée et qui créera de nouveaux problèmes. Notre solution serait de revenir au projet de loi C-86, examiner ce que disait votre parti quand il se trouvait dans l'opposition, examiner certaines des solutions qui étaient recommandées à l'époque et amender la section du projet de loi C-86 qui est à l'origine du problème.
Nous trouverions une façon satisfaisante de traiter du problème si nous revenions à la façon dont nous considérions l'identité avant février 1993. Le ministère de l'Immigration examinait encore les documents d'identité, prenait des décisions et usait de son pouvoir d'appréciation. Il y avait des cas que nous contestions, mais nous n'avions pas ce problème, de sorte que nous préconisons un retour à cette situation-là.
Lorsque le premier ministre de l'Immigration de ce gouvernement était dans l'opposition il était d'accord avec les objections au projet de loi C-86. Quand il est devenu ministre, il avait certaines idées intéressantes sur la façon de traiter le problème. Je ne comprends pas pourquoi on a ainsi fait machine arrière, en renonçant à une solution raisonnable. Nous devrions nous demander pourquoi des propositions, au cours des ans, de certains fonctionnaires, repoussées par vous il y a trois ans, obtiennent tout à coup votre agrément.
Nous devons examiner ce qui s'est produit. Quelles sont les nouvelles pièces à conviction qui ont été produites? S'il n'y en a pas qui sont examinées quelque part à huis clos, si ce comité entend des témoignages dont nous ne sommes pas au courant, si nous ignorons pourquoi un tel problème a surgi, pourquoi il règne une telle conviction sur l'existence de quantité de gens problématiques - il me semble que nous avons le droit d'entendre ces témoignages.
Ce qui est arrivé, toutefois, à mon avis, c'est que le communiqué publié par la ministre quand elle a annoncé la création de cette nouvelle catégorie - les termes mêmes du communiqué - signifie, pour tout Canadien qui en prend connaissance, qu'il existe des collectivités qui comportent potentiellement des criminels, des terroristes et des gens qui ont commis des crimes contre l'humanité. Cela implique que toute la collectivité est sous surveillance, qu'on la suit de près, et que toute cette collectivité ne parvient pas à s'insérer dans la société. En outre, cela ne résout pas le problème des gens d'autres collectivités dont le nom ne figure même pas dans les règlements.
M. Cullen: Si je proposais aux Somaliens de ma circonscription de revenir aux dispositions d'antan... Permettez-moi de vous faire remarquer que la question des documents se pose depuis quelque temps déjà, et je ne pense pas que le retour à la situation d'avant va miraculeusement arranger les choses. Je crois que nous devons nous pencher sur...
Mme Augenfeld: Mais l'autre question que vous posiez... Comme je le disais, il y avait des solutions proposées pour les affidavits, des solutions qui envisageaient d'autres façons d'identifier les gens.
M. Cullen: Permettez-moi de terminer ce que j'avais à dire: peut-être...
Mme Augenfeld: Excusez-moi.
M. Cullen: Ce que nous devrions faire, c'est apporter des idées constructives. Comme je le disais, un grand nombre de réfugiés de Somalie résident depuis un certain temps au Canada, à Toronto, Ottawa, Vancouver et ailleurs. Ce que nous recherchons donc, ce sont des propositions constructives, et votre opinion là-dessus, sur la façon dont on devrait procéder.
Mme Augenfeld: Je proposerais que nous examinions ce qui a été discuté lors de certaines des séances précédentes, certaines des propositions avancées. Il y en avait de toutes sortes, et nous n'avons pas le temps, maintenant, de les examiner toutes, mais si nous voulons vraiment faire du bon travail, ce comité devrait, à mon avis, recommander de ne pas adopter ce règlement, de ne pas le faire entrer en vigueur le 30 décembre. Il y a longtemps que la question est sur le tapis, alors pourquoi ne pas attendre encore un peu et trouver la bonne solution. Nous pourrions débattre ces questions, de bonne foi, avec les fonctionnaires et peut-être avec certains membres du comité, examiner où réside le problème, ce que montrent les statistiques, ce que nous craignons et ce que nous pouvons raisonnablement faire.
Je peux vous assurer que les personnes ici présentes, ceux qui étaient là tout à l'heure, et certains qui ne sont pas ici aujourd'hui, ont toutes sortes de suggestions à faire. J'oserai même affirmer - même s'ils ne veulent pas l'avouer en public - qu'un certain nombre de fonctionnaires ont également des idées raisonnables et sont disposés à écouter quand on leur propose des solutions raisonnables. Mais au cours des derniers mois, le ton a subitement changé, et ceux qui sont venus vous dire pourquoi cette idée leur paraissait excellente, nous ont dit tout autre chose en privé. Je ne peux vous le prouver, je n'ai pas d'enregistrement, ou de notes de ces conversations, mais c'est là mon problème.
Nous nous sommes efforcés de proposer une solution raisonnable, et tout à coup, je ne sais comment cela se fait, c'est toute l'atmosphère qui a changé.
M. Cullen: Je vous remercie.
La présidente: Je voudrais vous poser une question très directe, qui découle de ce que nous étions censés analyser aujourd'hui. Y a-t-il une période qui vous paraîtrait acceptable?
[Français]
Monsieur Goyette, vous avez mentionné les trois ans pour obtenir la citoyenneté. Serait-il acceptable que la période soit ramenée à trois ans ou, comme le suggère le Barreau canadien, à deux ans de la date de l'arrivée de cette personne?
Mme Augenfeld: Peut-être. Je n'ai pas vu la proposition du Barreau avant aujourd'hui.
La présidente: Nous en avons des copies.
Mme Augenfeld: Ce que je vous demanderais, c'est de ne pas limiter cela aux communautés somalienne et afghane. Je sais que le gouvernement considère qu'il y a là un problème social, mais je vous soumets qu'il y a d'autres pays où il y a d'autres problèmes sérieux. On n'en a nommé que quelques-uns, notre liste n'étant pas exhaustive.
[Traduction]
Monsieur Cullen, le Conseil canadien pour les réfugiés a déposé, en avril dernier, une proposition auprès du gouvernement, proposition détaillée, approfondie et officielle. Nous pourrions revenir là-dessus, car elle a été préparée en collaboration et en consultation avec les collectivités concernées, et n'est pas venue de nulle part.
Nous pouvons partir de là et voir si elle est acceptable ou non, quels sont ses avantages et ses inconvénients. Nous n'aurons pas à réinventer la roue, voilà plusieurs années que nous discutons de cette question.
La présidente: Je vous remercie, madame Augenfeld.
[Français]
Monsieur Goyette, merci beaucoup.
[Traduction]
J'ai une demande d'un monsieur du Centre catholique d'immigration, qui est ici présent. Il aimerait faire une déclaration, si vous y consentez.
Il s'agit de M. Mayaliwa. Veuillez prendre place, s'il vous plaît.
[Français]
M. Ililo Mayaliwa (conseiller en établissement, Centre catholique pour immigrants, Ottawa): Merci, madame la présidente, de m'avoir donné cette occasion de clôturer la séance.
Je ne suis pas un expert et je ne peux aller dans le détail, parce que le temps est très court. J'aimerais parler de certaines choses, mais sans répéter les mêmes choses que tous ceux qui sont passés ici.
La présidente: On n'en a pas le temps.
M. Mayaliwa: Je travaille au Centre catholique pour immigrants. Je suis en face de ces réfugiés chaque jour. Je travaille avec eux, je sais ce qui se passe dans leur vie et c'est épouvantable. On dirait que les gens qui m'ont précédé ont tout dit mais, à propos de la réunification de la famille, personnellement, je viens du Zaïre et les images que tout le monde voit à la télé actuellement sont effrayantes.
J'aimerais parler de la réunification des familles, de la chance qu'on devrait leur accorder d'être ensemble, de mener une vie normale. L'attente est trop longue et c'est très regrettable. Ce que nous constatons maintenant, nous qui travaillons avec des réfugiés, ce sont des cas de suicide, chose qui ne s'était jamais produite dans ma communauté, par exemple.
En 1994, nous avons perdu un membre de notre famille, un père de deux enfants qui, en attendant qu'on règle son cas, s'est jeté devant l'autobus. Il s'est tué à cause de cela.
Un autre aspect de la réunification des familles, c'est l'enjeu de la culture. C'est vrai que le Canada a une culture spécifique et que les nouveaux immigrants, une fois arrivés, respectent cela. Mais il serait souhaitable que le Canada voie aussi l'autre côté de la médaille. Je regrette qu'on ne reconnaisse pas le mariage traditionnel. Cela, c'est une réalité en Afrique.
Aujourd'hui, quand je vous parle, je vous regarde dans les yeux et vous faites de même. Dans la culture canadienne, cela veut dire que vous m'écoutez et que vous croyez que ce que je dis est vrai, que je suis honnête.
Dans ma culture, regarder quelqu'un en face en parlant est un signe d'agressivité. Vous voyez la différence. Donc, il serait souhaitable qu'on examine les deux côtés de la médaille et qu'on essaie d'en venir à une juste décision.
Pour terminer, en ce qui a trait à l'exigence des documents et à la période de résidence, aujourd'hui, on parle des communautés somalienne et afghane, mais demain ce sera mon pays et, par la suite, d'autres pays.
Vous avez écouté ces gens vous parler avec franchise. Ils ont fait un effort pour dénoncer les gens qui peuvent être des criminels. Cela doit être pris en considération. Je sais qu'on oublie toujours que ces gens sont des réfugiés. Ils n'ont pas voulu être des réfugiés, mais il y a quelque chose qui les a poussés à le devenir. Vous ne savez pas ce qu'est la guerre.
Vous demandez aux gens d'avoir des documents quand des mortiers sont là, derrière eux, en train de détruire les maisons des voisins et qu'ils n'ont même pas le temps de voir si leur enfant est là ou non. Essayez d'imaginer si, dans ces circonstances, vous auriez le temps de retourner chercher votre portefeuille ou vos documents.
J'aimerais demander à ce comité d'essayer de regarder les choses en face et de reconsidérer cette décision qui, à mon point de vue, est très aberrante, parce que cela augmente l'attention accordée aux réfugiés et rend leur intégration très difficile.
La présidente: Nous vous remercions beaucoup.
[Traduction]
Nous reprendrons nos travaux mardi à 15 h 30, pour étudier un projet de rapport.
Madame Meredith.
Mme Meredith: Je trouve vraiment difficile de parvenir à une décision ou de rédiger un rapport sans que les cadres du ministère reviennent nous expliquer cette affaire de documents: pourquoi certains sont acceptés alors que d'autres sont rejetés, et comment on parvient à ces décisions. C'est là un point essentiel de cette discussion, et je n'ai pas l'impression d'avoir reçu réponse à nos questions.
La présidente: J'espère que le ministère nous répondra, et je voudrais préciser que nous avons demandé quelles catégories de documents étaient acceptées comme légitimes ou certifiées. Je n'ose les appeler «légitimes», car j'aimerais savoir quelles catégories de documents sont considérées comme preuves d'identité.
Mme Meredith: Mais je crois comprendre qu'il ne s'agit pas...
La présidente: Vous voulez dire que vous souhaitez aller plus loin, madame Meredith, n'est-ce pas?
Mme Meredith: Il ne s'agit pas que de la catégorie de document, c'est le pouvoir discrétionnaire et la façon dont il est appliqué. Dans quelles circonstances rejetterait-on les documents?
La présidente: Je ne suis pas certaine que les deux représentants qui comparaîtront pourront répondre à cette question...
Mme Meredith: C'est pourquoi je me demande si nous ne pourrions pas convoquer des agents d'immigration ou des gens qui prennent ce genre de décision, afin qu'ils nous expliquent ce qui les amènerait à accepter ou à rejeter un document.
La présidente: Mais ils ont un pouvoir d'appréciation; cela a été clairement dit. Il leur serait donc très difficile de répondre, parce qu'un agent peut décider d'accepter un document tandis qu'un autre... C'est ce que nous ont dit un nombre suffisant de témoins aujourd'hui, à savoir que ce qui est considéré comme acceptable pour l'un peut être rejeté par l'autre.
Je trouverais donc très difficile de décider quel est l'agent que je convoquerais devant le comité. Nous mentionnerons cela dans notre rapport, mais nous aurons l'occasion, mardi, d'en discuter. C'est un fait important qui doit figurer au rapport, à savoir qu'il n'y a pas d'objectivité, que le pouvoir discrétionnaire est subjectif.
Mme Meredith: Je vous remercie.
La présidente: Merci à tous.
La séance est levée.