[Enregistrement électronique]
Le mardi 29 octobre 1996
[Traduction]
Le président: Comme nous avons le quorum, nous allons commencer.
Le comité des finances poursuit cet après-midi ses consultations prébudgétaires avec plusieurs témoins qui nous parleront de la stimulation fiscale des dons de charité. L'une des questions auxquelles nous nous intéresserons particulièrement concerne le don de biens.
Avant de commencer, je précise que nous avons avec nous un invité d'honneur, M. Edvins Parups, directeur adjoint du Département des politiques fiscales du ministère des Finances du gouvernement de la Lettonie.
M. Parups, auriez-vous la gentillesse de vous lever pour que l'on vous reconnaisse? Merci beaucoup.
Les participants à la table ronde de cet après-midi seront Son honneur M. Henry Jackman, lieutenant-gouverneur de l'Ontario; Orly Buzclan, de la Ottawa Jewish Community Foundation; Charlotte Sutherland, de l'Association canadienne des professionnels en dons planifiés; Robert Prichard, président de l'Université de Toronto; Donald Johnson, du Ballet national du Canada; Satya Poddar, de Ernst & Young; Barry Sherman, président et chef de la direction de Apotex Inc.; Robin Cardozo, vice-président et chef de la direction de Centraide Canada; Jim Pitblado, du Hospital for Sick Children; et Clark Hollands, de Peat Marwick Thorne.
Nous vous remercions de votre présence. Monsieur Johnson, puis-je vous demander de commencer?
M. Donald Johnson (directeur, Ballet national du Canada): Merci, monsieur le président. Je tiens tout d'abord à vous remercier de nous donner la possibilité de participer à cette table ronde.
Je tiens à vous dire pour commencer que j'appuie le programme gouvernemental de réduction du déficit. Je suis d'accord avec l'idée que cela doit se faire par la compression des dépenses plutôt que par des hausses d'impôt. Et je conviens que ces réductions de dépenses peuvent avoir des conséquences sur les organismes à but non lucratif de l'enseignement, de la santé, des services sociaux et des arts.
Nous félicitons le gouvernement pour les mesures qu'il a annoncées dans le budget de 1996. Nous avons constaté que le ministre des Finances a déclaré à cette occasion que l'on devrait faire encore plus et nous examinerons avec attention les propositions qui pourront être faites dans ce contexte à l'occasion de cette table ronde.
Les mesures annoncées par le gouvernement dans son dernier budget ont certainement été utiles pour atténuer les problèmes de liquidités reliés aux dons de charité, mais il est clair qu'elles ne vont pas assez loin. Nous avons aujourd'hui plus de preuves que jamais qu'il faut faire encore plus, au moment où le gouvernement retire une partie de son appui aux organismes à but non lucratif.
Si l'on veut inciter le secteur privé à accroître ses dons de charité, pour compenser les compressions budgétaires nécessaires du gouvernement, il faut rechercher les méthodes qui produiront les plus fortes hausses possibles de dons du secteur privé sans réduire de manière importante les recettes fiscales de l'État. Quelle que soit la solution retenue par le gouvernement, elle devra respecter l'objectif de réduction du déficit mais on devra en même temps avoir la conviction qu'elle produira une hausse substantielle des dons. Ces critères nous amènent tout naturellement à envisager de nouvelles catégories de donateurs. Pour les identifier, il suffit de voir ce qui se fait aux États-Unis depuis de nombreuses années.
Après avoir examiné les nombreuses méthodes envisageables pour accroître les dons de charité, nous sommes parvenus à la conclusion que le gouvernement pourrait apporter à la Loi de l'impôt sur le revenu une modification qui respecterait notre double critère de hausse importante des dons sans pertes fiscales importante pour l'État. Il s'agirait d'exonérer de l'impôt sur les plus-values les dons de biens ayant pris de la valeur, comme cela se fait aux États-Unis. Je vais vous en donner deux ou trois exemples.
Comme vous le savez, certaines universités américaines bénéficient de fondations très riches, dont 90 p. 100 ont été créées avec des dons de biens en capital ayant pris de la valeur. De fait, 95 p. 100 de tous les dons effectués aux États-Unis proviennent de 5 p. 100 des donateurs.
Un autre facteur pertinent est que les dons par habitant aux États-Unis sont près de quatre fois plus élevés qu'au Canada. À mon avis, cela s'explique avant tout par cette exonération de l'impôt sur les plus-values. L'exemple le plus spectaculaire d'application de ce régime aux États-Unis fut le don de un milliard de dollars effectué par les fondateurs de Hewlett-Packard, dont 600 millions furent offerts à l'Université Stanford. Si un équivalent canadien des fondateurs de Hewlett-Packard avait décidé de faire un don de un milliard de dollars d'actions qui ne lui auraient rien coûté au départ, il aurait dû payer 400 millions de dollars d'impôt sur les plus-values. Il n'aurait donc même pas envisagé cette possibilité.
Voilà pourquoi nous recommandons fermement au gouvernement, pour le prochain budget, de modifier la Loi de l'impôt sur le revenu afin que les dons de biens ayant pris de la valeur soient exonérés de l'impôt sur les plus-values.
En conclusion, je dois vous dire que j'ai discuté de cette question avec beaucoup de gens cette année et que certains ont exprimé des réserves. Certes, ces réserves ne sont pas nécessairement dénuées de fondement mais je crois qu'il faut voir la chose en toute objectivité. De fait, nous avons préparé à votre intention, avec les sages conseils fiscaux de la firme Ernst & Young, un document qui apporte des réponses très objectives à ces réserves. Chacune d'entre elles fait l'objet d'une réponse dans ce document que j'ai le plaisir de remettre aux membres du comité. Nous en aurons une version française dans deux ou trois jours.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Johnson.
Monsieur Jackman.
L'hon. Henry N.R. Jackman (lieutenant-gouverneur de l'Ontario): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je m'adresse à vous à titre de lieutenant-gouverneur de la province d'Ontario. Certes, il est sans doute assez inhabituel de voir un représentant de la Reine s'adresser à un comité parlementaire et j'invoque donc tout de suite le précédent établi par Roland Michener, qui a comparu devant le comité de la Constitution en 1981-1982, je crois.
Vous savez tous que le rôle constitutionnel d'un lieutenant-gouverneur est relativement mince. Il s'agit de lire le Discours du Trône, de mettre fin aux travaux de l'Assemblée législative, de donner la sanction royale, et c'est à peu près tout. Demandez à quiconque occupe un poste semblable au mien et c'est sans doute ce qu'on vous répondra. Voilà pourquoi j'ai aujourd'hui une possibilité que je n'avais jamais eue auparavant de me rendre dans les villes et villages de l'Ontario où je vois d'innombrables exemples de bénévoles qui oeuvrent pour leur collectivité.
L'ex-premier ministre Rae et le premier ministre Harris m'ont tous deux dit à l'occasion qu'ils devaient parfois se rendre à de mauvaises réunions. Je leur ai répondu en plaisantant que cela ne m'arrivait jamais car je n'allais qu'à de bonnes réunions. En effet, celles auxquelles je me rends me permettent de voir ce qu'il y a de mieux chez les gens, leur bénévolat. Cela dit, et pour ne pas vous faire perdre de temps, j'appuie les déclarations de M. Johnson au sujet du régime fiscal des dons de biens ayant pris de la valeur.
Les Ontariens sont des gens généralement généreux, comme les citoyens des autres provinces, et ils aimeraient pouvoir donner plus. Hélas, le régime fiscal actuel les pénalise s'ils font des dons élevés. M. Johnson vient de dire que les dons par habitant sont quatre fois plus élevés aux États-Unis qu'au Canada. Je crois que c'est une statistique très grave. Le Canada s'enorgueillit de la générosité de ses habitants mais celle-ci n'est pas évidente si l'on en juge uniquement d'après le montant des dons moyens.
L'une des principales raisons en est que les dons sont imposés au Canada. Autrement dit, si quelqu'un décide de donner un bien qui a pris de la valeur, il doit payer de l'impôt sur la plus-value. Notre recommandation n'est aucunement destinée à enrichir qui que ce soit. Il s'agit simplement de permettre à quelqu'un qui veut faire un don substantiel de ne pas payer d'impôt sur ce don.
Évidemment, les gens veulent donner, ils veulent faire du bénévolat, mais ils ne veulent pas payer d'impôt. L'alternative qui leur est offerte à l'heure actuelle est très simple: faire un don et payer de l'impôt ou ne pas faire de don et ne pas payer d'impôt. Il y a malheureusement trop de Canadiens qui choisissent la deuxième solution. Ils ne font pas de dons, ils ne paient pas d'impôt et le gouvernement ne touche pas de recettes supplémentaires, mais les universités, les hôpitaux, les organismes philanthropiques et les organismes artistiques, qui ont besoin d'argent, ne reçoivent rien.
Voilà ce que je voulais vous dire, monsieur le président. J'aimerais que votre comité et le gouvernement du Canada encouragent le bénévolat et la générosité innée de tous les Canadiens.
Merci.
Le président: Merci beaucoup, votre honneur.
Robert Prichard.
M. J. Robert Prichard (président, Université de Toronto): Merci, monsieur le président. Je m'adresse à vous à titre de président de l'Université de Toronto, où j'enseigne également le droit. De fait, c'est vous-même, monsieur le président, qui me l'avez enseigné. Et comme vous m'avez enseigné le droit fiscal, j'espère que cela donnera un poids particulier à mon témoignage.
M. Fewchuk (Selkirk - Red River): On aura tout vu.
Mme Chamberlain (Guelph - Wellington): C'est le zénith de votre carrière.
Le président: Je suis sensible à vos remarques, Robert, mais je puis vous dire qu'elles n'auront aucun effet car ces gens me connaissent.
M. Prichard: L'Université de Toronto est la plus grande université du pays. Je m'adresse donc à vous en son nom et au nom de nos dix hôpitaux d'enseignement primaires.
Je suis également autorisé à m'adresser à vous au nom de l'Association des universités et collèges du Canada, qui représente les 88 collèges et universités octroyant des diplômes au pays. L'AUCC vous a adressé un mémoire signé par son président, Bob Giroux, et son conseil d'administration m'a autorisé à parler en son nom.
Je voudrais simplement vous dire que l'Université de Toronto et l'AUCC appuient sans aucune réserve la proposition d'exonération de l'impôt sur les plus-values lorsque des biens ayant pris de la valeur sont donnés à un organisme de charité. D'après nous, ce changement fiscal est le plus important que l'on puisse adopter pour renforcer les universités, les hôpitaux et les institutions culturelles de tout le pays.
Et nous croyons que ce changement est à la fois important et urgent. Il est important pour nous, les universités, parce qu'on nous demande de plus en plus, à juste titre je crois, de devenir autosuffisants. De fait, nous recevons aujourd'hui beaucoup moins d'argent du gouvernement provincial. Comme vous le savez, le gouvernement du Canada a réduit les paiements de transfert reliés à l'enseignement postsecondaire. Nous sommes donc obligés de devenir de plus en plus autosuffisants. Pour cela, nous devons bénéficier d'un appui vigoureux et soutenu du secteur privé, par le truchement de dons consentis aux universités.
Je tiens à souligner que nos universités ne se font pas concurrence entre elles. Elles font de plus en plus concurrence aux universités d'Amérique du Nord et du monde. De ce fait, si nous voulons que nos jeunes aient une possibilité sérieuse d'obtenir un enseignement de qualité qui soit compétitif avec celui que l'on offre ailleurs, il faut tout simplement que nos universités deviennent plus compétitives.
Hélas, le régime fiscal actuel d'imposition des plus-values reliées aux dons de charité nous désavantage considérablement par rapport aux établissements publics aussi bien que privés des États-Unis avec lesquels nous sommes en concurrence directe. Dans notre cas, nos concurrents directs sont des établissements tels que l'Université du Michigan, Berkeley et l'UCLA. Or, lorsque nous devons leur faire concurrence, nous sommes très sérieusement handicapés. De fait, pour qu'il n'y ait aucune équivoque à cet égard, je dois vous dire qu'il ne me paraît pas raisonnable de demander aux universités de devenir plus autosuffisantes et d'être moins tributaires des deniers publics alors qu'on leur inflige un handicap aussi lourd lorsqu'elles veulent solliciter des dons privés pour appuyer leurs objectifs publics. Voilà pourquoi cette question est importante.
Pourquoi est-elle urgente? Elle est urgente parce que j'estime qu'une génération de jeunes Canadiens risque d'être confrontée à une baisse de qualité de l'enseignement dispensé dans les universités publiques du Canada si la situation ne change pas. Croyez bien que nous faisons des efforts considérables pour préserver la qualité de l'enseignement offert à nos jeunes.
Je dois cependant vous dire très franchement que le Canada connaît à nouveau un grave phénomène d'exode des cerveaux. Nous perdons nos meilleurs professeurs au profit d'établissements d'enseignement étrangers, c'est-à-dire des États-Unis ou d'Angleterre. Typiquement, ces professeurs s'en vont pour occuper des chaires d'universités publiques ou privées qui sont généreusement financées par des fondations.
Nous perdons aussi un grand nombre de jeunes Canadiens exceptionnels qui préfèrent aller faire leurs études à l'étranger, où les possibilités sont moins limitées qu'ici. J'estime en conséquence que le gouvernement du Canada, et pas seulement les organismes provinciaux, doit se fixer comme priorité nationale de renverser cet exode des cerveaux.
L'Université de Toronto ne fait pas concurrence seulement aux autres institutions canadiennes mais aussi à l'Université de l'Ohio, par exemple, qui obtient un milliard de dollars de deniers publics, ou avec l'Université Berkeley, qui récolte un milliard de dollars de dons d'origine privée. Nous faisons aussi concurrence à l'Université du Michigan. Nous faisons concurrence aux grandes universités publiques qui bénéficient toutes par rapport à nous de l'avantage énorme de ne pas voir leurs donateurs pénalisés comme ceux du Canada.
À titre de président d'université, je consacre une bonne partie de mon temps à discuter avec des gens qui seraient prêts à donner un appui financier à l'université ou à ses hôpitaux en faisant des dons importants. De fait, il n'y a probablement pas beaucoup de gens, et pas beaucoup de PDG du Canada qui consacrent autant de temps que nous à solliciter des dons.
Je n'ai aucune hésitation à vous dire qu'apporter cette modification à notre régime fiscal modifierait considérablement le comportement de nombreux donateurs potentiels du Canada. C'est une opinion que pourront vous confirmer les présidents de toutes les universités du Canada car tous estiment que cette mesure ferait plus que n'importe quelle autre pour aider les établissements d'enseignement à mieux faire leur travail.
J'ai la conviction que nous pourrions vraiment améliorer la situation si nous pouvions faire vraiment concurrence aux établissements américains sur un pied d'égalité. Nos propres établissements deviendraient plus solides et plus autosuffisants, ce qui leur permettrait de mieux faire concurrence et d'être mieux en mesure de donner aux jeunes Canadiens la chance qu'ils méritent, ce qui constituerait une base solide pour la croissance et la prospérité du Canada.
Merci beaucoup de votre attention, monsieur le président. Au nom de tous mes collègues du Canada qui oeuvrent dans les universités et les collèges, nous vous implorons vivement de recommander cette modification au ministre des Finances et au gouvernement.
Le président: Merci, Robert Prichard.
Robin Cardozo.
M. Robin Cardozo (vice-président et directeur général, Centraide Canada): Merci, monsieur le président.
Je voudrais faire quatre remarques pendant les quelques minutes que vous m'accordez. Je voudrais dire d'abord quelques mots du travail effectué par Centraide à Toronto. J'aimerais vous donner une idée du milieu dans lequel nous travaillons. Je parlerai ensuite des tendances que nous avons constatées, à Centraide, au sujet de la philanthropie. Finalement, cela m'amènera directement à traiter de la question des dons de biens ayant pris de la valeur.
Centraide de la région métropolitaine de Toronto, l'organisation que je représente, espère recueillir 52 millions de dollars cette année, soit environ 20 p. 100 de ce que recueilleront toutes les organisations de Centraide du pays. En fait, les organisations de tout le Canada espéraient parvenir à 250 millions de dollars cette année.
À Toronto, nous finançons 250 organismes de service humanitaire dont la plupart font face à un avenir très incertain. Il suffit pour s'en convaincre d'examiner le graphique en couleurs que nous avons préparé à votre intention. Vous y verrez que la situation est très sombre. Nos agences y sont réparties par secteur d'activité - personnes âgées, jeunes, femmes battues, etc. - et le tableau montre très bien la vulnérabilité de leur financement.
Même en adoptant une position de prudence sur les coupures budgétaires annoncées par le gouvernement, on constate que ces organismes de service humanitaire perdront au minimum 50 millions de dollars dans les deux prochaines années, soit 13 p. 100 de leur financement total. Bon nombre seront obligés de fermer leurs portes.
Évidemment, cette réduction du financement des organismes humanitaires se produit en période de restructuration économique et de réduction des prestations de bien-être social. Tous ces facteurs produisent une hausse du chômage des jeunes, un recours accru aux banques d'alimentation, plus d'expulsions de locataires, plus de gens mis à la rue. De ce fait, des organismes qui sont déjà confrontés à la compression de leurs ressources constatent une hausse de la demande de services. Je sais que vous avez déjà entendu cela, et je regrette de devoir le répéter, monsieur le président, mais cela me paraît très important.
Voici les tendances que nous avons observées dans le domaine de la philanthropie. Dans sa campagne annuelle, touchons du bois, Centraide à réussi à obtenir ces dernières années une légère hausse de ses dons. Certes, cela ne pourra jamais compenser la totalité des coupures budgétaires gouvernementales mais, grâce à la générosité des gens, nous avons pu rester une source stable de financement, mais une source au demeurant petite comme le montre le tableau.
Notre analyse de la campagne révèle cependant des tendances inquiétantes à terme. Il s'agit tout simplement du fait qu'un nombre moins élevé de donateurs font des dons plus élevés. Entre 1994 et 1995, notre campagne de Toronto a recueilli 3,4 p. 100 de plus, mais le nombre total de donateurs individuels a baissé de 4,9 p. 100.
De fait, les dons de leadership, qui sont pour nous les dons personnels de plus de 1 000 $, constituent le secteur où nous connaissons le plus de succès à Toronto. J'ajoute entre parenthèses que je suis très heureux de constater que cinq de nos plus grands donateurs se trouvent dans cette salle aujourd'hui, dont le plus important de tous.
Entre 1990 et 1995, le nombre de donateurs de leadership de la campagne de Toronto est passé de 2 200 à 5 300. Plus important encore, le pourcentage du total des sommes recueillies pendant la campagne par le truchement des dons de leadership est passé de 8,6 p. 100 à 18 p. 100.
Que peut-on déduire de ces statistiques? Même si nous continuons nos efforts pour accroître le nombre de nos donateurs, nous pensons que les dons de leadership constituent le secteur offrant le plus de possibilités de croissance à l'avenir. Comme l'a dit Don Johnson, les gens qui ont le moyen de faire des dons importants continueront probablement de les faire, et nous pensons qu'il faudrait les y inciter. Les autres seront probablement de plus en plus prudents.
Cela m'amène au thème précis de la table ronde d'aujourd'hui, les dons de biens ayant pris de la valeur. Au cours de la prochaine décennie, on va attendre des résultats extraordinaires de Centraide, de United Way, de nos divers organismes et des organismes que nous finançons.
Ensemble, nous cherchons à réaliser des gains d'efficience. Nous examinons les possibilités de fusionnement d'agences et de programmes, de modification de nos priorités de financement et d'adoption de nouvelles mesures d'efficacité. Toutes ces initiatives sont utiles mais, en fin de compte, leur efficacité sera limitée si nous ne pouvons pas attirer de nouveaux donateurs.
Je crois pouvoir dire - mais ce n'est sans doute pas nécessaire devant vous - que l'on ne peut s'attendre à une hausse quelconque des fonds gouvernementaux fournis à ce secteur, dans un avenir prévisible, ce qui nous oblige à nous en remettre aux dons. Don Johnson affirme dans son mémoire qu'il existe un potentiel extraordinaire d'obtention de dons élevés de la part de personnes qui auraient la possibilité de faire don de leurs biens plutôt que de sommes prélevées sur leurs revenus. Cependant, ce changement ne se produira pas sans une nouvelle incitation, la plus attrayante étant d'exonérer de l'impôt sur les plus-values les dons de biens ayant pris de la valeur.
J'aimerais dire quelques mots sur une critique formulée à l'égard de cette proposition, à savoir qu'elle ne bénéficiera qu'aux plus grands organismes philanthropiques. En ce qui nous concerne, cela serait vrai si nous n'organisions de collectes de fonds que pour nous-mêmes, mais ce n'est pas le cas. Bon nombre des organismes financés par Centraide ont un budget minuscule et un personnel très réduit. Rien qu'à Toronto, un quart des organismes que nous finançons ont un budget de moins de 500 000 $, et la moitié, de moins de un million de dollars. Il y a donc beaucoup de petits organismes qui profiteraient de ce que Centraide puisse bénéficier de cette incitation.
D'autres propositions ont été formulées. Je sais que vous en avez entendues beaucoup ce matin, et Centraide de Toronto en appuie la plupart. Cela dit, j'aimerais souligner que la proposition particulière dont nous parlons offre la possibilité d'encourager une nouvelle sorte de don, à un niveau beaucoup plus élevé qu'autrefois, ce qui permettrait de transformer radicalement le financement des organismes philanthropiques. Nous savons que le gouvernement a pris l'engagement d'abolir le déficit mais nous vous implorons de réfléchir aux avantages considérables que pourrait tirer la société d'une telle exonération de l'impôt sur les plus-values dans le cas des dons de biens.
Merci.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Cardozo.
Monsieur Poddar.
M. Satya Poddar (partenaire national sur l'impôt, Ernst & Young): Merci, monsieur le président. Je suis plus ici pour écouter que pour parler. Don Johnson a présenté la plupart des arguments pertinents.
Je me permets cependant d'ajouter que, lorsque j'étais au ministère des Finances, on me payait pour trouver de nombreuses raisons de ne pas faire des choses. Don Johnson m'a posé exactement la même question, et je lui ai donc donné toutes les raisons qui sont indiquées dans ses notes et auxquelles il s'est efforcé de répondre.
Toute disposition fiscale de cette nature soulève un conflit entre les principes de la politique fiscale et les principes sociaux. Cela vaut cependant pour la plupart des dispositions de nature fiscale. Ce qu'il convient de souligner, c'est le besoin social auquel répondrait une mesure de cette nature. On peut toujours trouver de nombreuses raisons, comme des difficultés techniques ou des complexités qui amènent à s'écarter d'un bon régime fiscal bien net, mais il arrive que les politiques sociales exigent un tel écart.
À mon avis, si vous croyez que cette proposition a du mérite, on peut l'appliquer. Les États-Unis l'ont fait. Certes, on peut craindre qu'elle n'entraîne des abus, mais ceux-ci peuvent être réglés en limitant l'application de cette disposition à des catégories de biens clairement définies, comme des actions boursières, ou en limitant son application aux organismes de charité publics plutôt qu'à tous les organismes de charité. Ce sont là des limites que les Américains ont retenues.
Merci.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Poddar.
Monsieur Pitblado.
M. Jim Pitblado (président, Hospital for Sick Children): Je vais m'efforcer de ne pas répéter ce qu'ont dit les autres.
J'aborde la question du point de vue d'un homme d'affaires qui fait depuis longtemps du bénévolat. Par exemple, je préside le conseil d'administration de l'Hôpital des enfants, ainsi que celui du Ballet national. J'ai organisé des campagnes de collecte de fonds pour ces deux organisations, pour Centraide et pour bien d'autres qu'il serait trop long de mentionner aujourd'hui.
La question dont nous sommes saisis est très simple. C'est une question de politique publique et, comme l'a dit Satya, qui ne peut être compliquée que par l'ingénuité humaine à trouver toutes sortes d'excuses pour ne pas agir. Il faut dire qu'elle peut aussi être compliquée par ceux qui trouveront les réponses à ces critiques.
Commençons par nous poser deux questions fondamentales. Premièrement, voulons-nous vraiment encourager les Canadiens à être plus généreux et plus philanthropiques? Deuxièmement, voulons-nous nous placer dans une situation de désavantage compétitif par rapport aux États-Unis? Si la réponse est que nous voulons encourager les citoyens et les entreprises du Canada à être plus généreux, en faisant plus de dons aux organismes philanthropiques, et que nous voulons nous placer sur un pied d'égalité par rapport à nos voisins du Sud, il devient évident qu'il faut décider d'abolir cette taxe punitive qui frappe les gens qui donnent des choses aux autres.
Beaucoup de richesse a été créée ces dernières années dans notre pays, du point de vue de la valeur marchande des biens. Cette richesse est une énorme ressource inexploitée pour les hôpitaux, les universités, les organismes communautaires et les organismes artistiques mais, dans bien des cas, elle existe sous forme de biens et non pas d'argent liquide. Si nous voulons l'exploiter et la faire passer de mains improductives à des mains productives, il suffit d'abolir l'impôt sur les plus-values appliqué aux dons de biens. À mon avis, cela libérerait des centaines de millions de dollars. Beaucoup de Canadiens pourraient prendre la décision d'investir cette richesse.
Aujourd'hui, toutes les organisations philanthropiques ont besoin de fondations pour assurer leur avenir. Cela vaut aussi bien pour Centraide que pour l'Université de Toronto ou pour le Ballet national. Aux États-Unis, ces fondations sont presque toutes constituées totalement de biens qui ont été donnés.
J'ai la conviction que nous pourrions libérer de nouvelles sommes importantes pour les secteurs qui en ont le plus besoin, afin de mettre sur pied des fondations plus solides, d'assurer leur avenir et de rehausser notre compétitivité pour attirer le capital humain dont nous avons besoin dans les établissements d'enseignement, les hôpitaux et les organismes artistiques.
Le président: Merci, monsieur Pitblado.
Charlotte Sutherland.
Mme Charlotte Sutherland (présidente, Association canadienne des professionnels en dons planifiés): Merci, monsieur le président. Je suis heureuse de pouvoir m'adresser à votre comité au nom de l'Association canadienne des professionnels en dons planifiés.
Lors de la séance de ce matin, j'ai demandé que la proposition qui avait été formulée avant l'élaboration du budget de mars 1996 soit reprise en considération dans le prochain budget. Il s'agissait d'exonérer les dons de biens de l'impôt sur les plus-values.
Notre association a pris cette position après avoir consulté ses membres au cours des sept derniers mois et après en avoir discuté avec des représentants du ministère des Finances. Comme beaucoup de membres du comité étaient présents ce matin, je ne répéterai pas les remarques que j'ai faites à cette occasion. Qu'il me suffise de dire que l'ACPDP croit beaucoup en cette recommandation et estime que ce serait l'incitation fiscale la plus bénéfique pour ses organisations membres. Je rappelle que nous avons plus de 600 membres d'un bout à l'autre du pays, représentant un large éventail d'organismes de charité, des plus grands aux plus petits.
Merci.
Le président: Merci, madame Sutherland.
Monsieur Hollands.
M. Clark Hollands (partenaire, Peat Marwick Thorne): Merci, monsieur le président. Je représente aujourd'hui l'autre bout de la chaîne, étant donné que je m'exprime au nom de deux entrepreneurs qui connaissent beaucoup de succès. Chacun de ces deux clients a constitué une fondation privée très importante et très active. L'un d'entre eux contribue au financement de grands équipements dans le secteur de l'éducation, et l'autre fait de même dans le secteur de la santé et des services sociaux.
Je voudrais simplement dire qu'une disposition comme celle qui est proposée serait manifestement très efficace pour faire deux choses, du point de vue de ces deux clients. Premièrement, elle les amènerait à envisager très sérieusement de transférer une plus grande partie de leur richesse dans leurs fondations, étant donné qu'ils auraient des raisons de le faire et qu'ils y trouveraient avantage puisque cela n'augmenterait pas leur facture fiscale.
Deuxièmement - et ce facteur est peut-être aussi important que le premier - elle accélérerait considérablement le moment où ces biens seraient transférés aux fondations et où ils pourraient donc produire des avantages sociaux pour la collectivité. À bien des égards, cet aspect de la proposition est celui qui produirait à mon avis les plus grands bienfaits sociaux dans notre pays, ce qui compterait plus que les autres éléments que j'ai mentionnés, c'est-à-dire accélérer le transfert dans les fondations de biens actuellement passifs.
Je sais parfaitement que cela se produirait car j'ai déjà conseillé à ces deux personnes d'agir ainsi. Je sais qu'ils auraient manifestement intérêt à tirer parti d'une telle disposition.
En conséquence, j'ai la ferme conviction qu'une telle disposition serait efficace. Je sais que mes deux clients l'appuient.
Merci.
Le président: Merci, monsieur Hollands.
Monsieur Barry Sherman.
M. Barry Sherman (président et directeur général, Apotex Inc.): Merci, monsieur le président, de m'avoir invité devant votre comité. Je souhaite vous parler d'une question légèrement différente de celles qu'ont abordées les autres témoins. S'il est vrai que j'ai relativement l'habitude d'adopter des positions légèrement différentes des autres, je dois vous dire tout de suite que j'appuie tout ce qui a été dit jusqu'à présent.
Il ne fait aucun doute que nos universités et nos autres institutions à but non lucratif ont désespérément besoin de dons plus importants et de fondations plus riches. Si l'on n'adopte pas l'exonération de l'impôt sur les plus-values qui est recommandée aujourd'hui, elles ne les obtiendront pas. En conséquence, il est clair que la possibilité de répondre à certains besoins essentiels dépend aujourd'hui en grande mesure de l'adoption de cette exonération.
Cela dit, je m'adresse à vous à titre de président de la Fondation Apotex et de président du conseil d'administration de la Société Apotex Inc. La question dont je voudrais vous parler concerne la possibilité pour les fondations de reprêter de l'argent aux donateurs, ou à des sociétés reliées aux donateurs, c'est-à-dire la question dite du prêt en retour. J'aimerais vous expliquer de quoi il s'agit en vous relatant brièvement l'historique d'Apotex et de la Fondation Apotex, deux organisations qui se sont épanouies parallèlement grâce à cette possibilité de prêts en retour.
Apotex Inc. a été constituée en société en 1974, c'est-à-dire il y a un peu plus de 20 ans, et elle est très rapidement devenue la plus grande société pharmaceutique du Canada. Je crois que nous contribuons à l'économie canadienne de nombreuses manières qui sont très importantes.
Nous employons aujourd'hui plus de 2 000 personnes. Nous occupons plus d'un million de pieds carrés de locaux. Nous produisons au Canada, de manière tout à fait indépendante, la quasi totalité de ce que nous vendons. Nous avons adopté le principe du marché mondial pour tout ce que nous fabriquons. Nous exportons dans plus de 100 pays plus de 40 p. 100 de notre production. Nous payons de l'impôt sur le revenu au Canada et nous sommes l'une des sociétés du Canada qui investissent le plus dans la recherche. Au fond, nous avons réussi avec Apotex à bâtir ce que je considère comme l'un des joyaux de l'industrie canadienne.
Parallèlement à cela, nous avons bâti la Fondation Apotex, qui a également été constituée en société il y a une vingtaine d'années. Au départ, nous avions établi comme politique de faire don chaque année de 20 p. 100 des profits réalisés par Apotex Inc. et de 20 p. 100 des revenus personnels que moi-même, les membres de ma famille ou toute société connexe gagnerait. Cela correspondait évidemment au maximum du don qui était autorisé et que l'on pouvait déduire de l'impôt sur le revenu.
Grâce à ces dons et aux revenus qu'ils ont engendrés, la Fondation Apotex dispose aujourd'hui d'un capital d'environ 100 millions de dollars. Nous espérons continuer ainsi dans les années à venir de façon à constituer l'une des plus grosses fondations du pays, rassemblant, nous l'espérons, un capital d'au moins un milliard de dollars d'ici 10 à 20 ans.
La Fondation Apotex a donné des dizaines de millions de dollars à des institutions canadiennes importantes comme l'Université de Toronto ou Centraide. Ces dons ont permis de financer la recherche médicale, l'enseignement, les soins de santé et les services communautaires, ce qui veut dire qu'ils ont joué un rôle très important pour beaucoup de gens.
Il faut savoir cependant que la croissance parallèle d'Apotex Inc. et de la Fondation Apotex n'a été ni accidentelle ni fortuite. Elle a été rendue possible par le fait que notre Loi de l'impôt sur le revenu permet aux fondations philanthropiques de faire des investissements dans des organismes reliés, à condition de respecter certaines règles. Ainsi, la Fondation Apotex a effectué de gros investissements dans les sociétés du groupe Apotex, sous forme de prêts, ce qui lui a permis d'obtenir des revenus qu'elle a utilisés pour faire ses dons. Autrement dit, la croissance de la Fondation a reposé sur le succès de la Société Apotex et des sociétés du groupe Apotex, et la Société Apotex a obtenu à son tour de la Fondation Apotex des capitaux d'investissement qui ont favorisé sa croissance. Les sociétés du groupe Apotex et la Fondation Apotex ont donc réussi à se développer de manière synergique pour atteindre le double objectif de l'expansion industrielle et de la philanthropie.
La question des prêts en retour a été examinée attentivement par le législateur et par des comités parlementaires. Ainsi, en 1982, le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a tenu des audiences sur des changements que l'on envisageait d'apporter à la Loi de l'impôt sur le revenu en ce qui concerne les activités philanthropiques. Après avoir analysé cette question, le comité a donné son approbation à de tels investissements, à condition qu'ils produisent un taux de rendement égal à celui du marché. Telle est évidemment la méthode que nous avons utilisée pour assurer la croissance synergique d'Apotex et de la Fondation Apotex.
La raison pour laquelle nous nous adressons à vous aujourd'hui est que Revenu Canada a récemment adopté, sans aucun pouvoir apparent et de manière tout à fait précipitée, la position qu'un prêt en retour accordé par une fondation à son donateur ou à une entité reliée au donateur rend le don fait à la fondation inadmissible à la déduction de l'impôt sur le revenu. De fait, le ministère tente même d'imposer cette opinion rétroactivement et, s'il obtient gain de cause, cela aura de graves conséquences sur Apotex Inc. et sur tout notre groupe.
Cette situation soulève deux problèmes. Premièrement, est-il souhaitable de préserver la politique voulant qu'une fondation puisse prêter de l'argent à un donateur ou à une partie reliée à un donateur? J'affirme que oui.
Il est évidemment nécessaire de stimuler la philanthropie - c'est ce dont nous parlons aujourd'hui - et l'une des méthodes existant au Canada consiste à permettre à une fondation de prêter à une entreprise les dons que celle-ci lui a faits, afin qu'elle puisse les réinvestir à des taux de rendement appropriés. Cette politique me semble très sage car elle permet d'atteindre en même temps deux objectifs: bâtir une fondation et bâtir une entreprise industrielle.
La deuxième question porte sur le fait que les règles régissant la déductibilité fiscale doivent absolument être claires et certaines. Il est tout à fait inconcevable qu'un contribuable respecte toutes les règles existantes pendant de nombreuses années puis soit soudainement confronté à un renversement de position de Revenu Canada, qui exige un impôt considérable à moins que l'on ne fasse certaines choses, et nonobstant le fait que toutes les règles établies ont été respectées et qu'aucun préavis n'a été donné.
Nous sommes aujourd'hui placés dans la situation suivante: si nous ne négocions pas un règlement quelconque avec Revenu Canada et si le ministère décide de percevoir un impôt, nous savons que nous finirons par gagner devant les tribunaux parce qu'il est pratiquement certain que la Loi nous est favorable. Cependant, si Revenu Canada prend cette décision, nous serons confrontés au dommage énorme de devoir payer la somme exigée avant même d'avoir pu porter l'affaire en appel devant les tribunaux.
Il est donc non seulement important d'appliquer des règles adéquates pour encourager la philanthropie, notamment en permettant la déductibilité des plus-values et les prêts en retour, mais aussi d'appliquer des règles claires et certaines afin que toute personne faisant un don ait la garantie absolue que la déductibilité fiscale de ce don sera acceptée et ne risque pas d'être contestée des années plus tard parce que quelqu'un a décidé d'interpréter les règles différemment et d'appliquer rétroactivement sa nouvelle interprétation.
Voilà donc les deux questions que je souhaitais soulever devant votre comité. M. David Nathanson, mon conseiller fiscal, m'a accompagné pour répondre aux questions plus techniques que vous voudrez peut-être poser. Sachez bien que je suis très sensible à la possibilité qui m'a été offerte de présenter mon point de vue. J'estime qu'il est important pour encourager la philanthropie et l'expansion industrielle de préserver le droit pour une fondation de reprêter de l'argent à son donateur, sous réserve de règles adéquates. Je crois par ailleurs qu'il est extrêmement important que les règles que l'on établit soient parfaitement claires et certaines afin que personne ne se retrouve dans la situation de faire un don sans savoir si celui-ci sera ou non déductible de l'impôt. Merci de votre attention.
Le président: Merci, monsieur Sherman.
Je donne finalement la parole à Orly Buzclan, directrice générale de la Ottawa Jewish Community Foundation.
Mme Orly Buzclan (directrice générale, Ottawa Jewish Community Foundation): Merci, monsieur le président. Je représente mon collègue Robert Kleinman, directeur général de la Jewish Community Foundation of Greater Montreal, qui n'a pas pu venir à Ottawa et qui vous adresse ses regrets.
Les deux fondations de la communauté juive de Montréal et d'Ottawa sont des organismes cruciaux de collecte de fonds, notamment de sommes à destination précise, qui permettent de contribuer au financement de services sociaux, éducatifs, de santé et autres. Je dois dire que les changements apportés jusqu'à présent sont très positifs. En effet, la hausse de la limite admissible de 20 p. 100 à 50 p. 100, et l'adoption d'une limite de 100 p. 100 sur les legs, sont très positives. Le traitement fiscal des legs est en particulier très bénéfique à de nombreux donateurs, notamment aux plus âgés d'entre eux qui sont heureux de pouvoir subvenir à leurs besoins et d'agir de manière philanthropique tout en conservant une partie de leurs biens dans leur patrimoine.
À titre de solliciteurs de fonds pour ces organismes philanthropiques, nous vous disons que tout changement positif ou tout appui législatif contribuant à répondre aux besoins sociaux des collectivités sera fort bien accueilli. Encourager les dons du secteur privé ne peut qu'atténuer l'effet négatif des coupures budgétaires auxquelles nous faisons face.
Merci.
Le président: Merci, madame Buzclan.
Il n'y a pas eu beaucoup de controverse autour de la table cet après-midi. Cela dit, comme j'avais prévu la teneur générale de vos témoignages, j'avais demandé aux gens du ministère des Finances de préparer quelques chiffres sur ce qui pourrait arriver si cette proposition était adoptée, afin que les députés puissent y réfléchir en connaissance de cause.
Je crois comprendre que nous avons avec nous des représentants du ministère des Finances. Je vais donc leur demander de s'avancer à la table et de répondre à vos questions ainsi qu'à celles des autres participants.
J'ai le grand plaisir d'accueillir Lucy Brickman et Louis Lévesque, du ministère des Finances. Je ne sais pas comment vous voulez vous y prendre mais vous avez entendu les déclarations qui ont été faites sur l'application de l'impôt sur les plus-values aux biens faisant l'objet de dons. La proposition semble recueillir l'assentiment général de nos témoins mais je pense qu'il serait important de bien en comprendre les ramifications budgétaires, c'est-à-dire l'incidence qu'elle aurait sur les contribuables et sur les recettes de l'État.
M. Louis Lévesque (ministère des Finances): Notre rôle n'est évidemment pas d'intervenir dans un débat de politique publique mais je crois qu'il serait utile de vous communiquer certains chiffres afin de connaître vos réactions.
Comme vous le savez sans doute, le système actuel prévoit une sorte de partenariat à égalité entre les gouvernements et les donateurs dès que l'on dépasse le seuil de 200 $ de dons. Le chiffre varie d'une province à l'autre. Quoi qu'il en soit, puisque nous parlons aujourd'hui de don de biens de grande valeur, ce seuil n'entre pas en considération.
Le régime actuel prévoit donc un niveau d'aide fiscale de 50 p. 100. Le ministère des Finances pense comme vous qu'une exonération de l'impôt sur les plus-values entraînerait probablement une hausse sensible du montant des dons, personne ne le conteste. On a lancé à ce sujet des chiffres pouvant atteindre des centaines de millions de dollars. Or, on peut calculer le coût qu'assumerait le gouvernement, sous forme d'aide fiscale, en accordant cette exonération de l'impôt sur les plus-values. Évidemment, tout dépend en fin de compte des situations particulières, par exemple de ce qu'aurait fait la personne si elle n'avait pas pu bénéficier de l'exonération.
Prenons le cas d'une personne qui a la possibilité de faire cette année le don de biens dont nous fixerons le coût originel à zéro. Considérant le taux d'inclusion de 75 p. 100 dont vous parlez, le niveau de l'aide fiscale consentie passerait de près de 50 p. 100 à près de 91 p. 100. Cela a suscité beaucoup de débats aux États-Unis. Quoi qu'il en soit, les chiffres américains montrent que le coût des biens représente en moyenne près de 40 p. 100, ce qui revient à fournir une aide fiscale de l'ordre de 75 p. 100.
Franchement, ces chiffres montrent que les ramifications sont loin d'être négligeables pour les gouvernements. Certes, la valeur des dons augmentera considérablement, mais à un coût très élevé pour l'État. Du point de vue des politiques fiscales, c'est un facteur qui n'est pas négligeable. J'aimerais avoir les réactions des participants à cela. Je suis sûr qu'ils en ont.
Le président: Votre honneur, monsieur Jackman.
M. Jackman: Vous prenez pour hypothèse que, selon la proposition de M. Johnson, le gouvernement accordera un crédit d'impôt qu'il n'accorderait pas dans le système actuel. C'est là votre hypothèse fondamentale. Autrement dit, vous vous mettez dans la situation du donateur et vous considérez que celui-ci ne ferait pas son don dans le régime actuel, ce qui est exactement la réalité. Les gens ne donnent pas parce que vous les taxez s'ils donnent. Voilà ce que vous faites. La solution est de ne pas donner. En conséquence, vous voyez des universités et des hôpitaux des États-Unis recueillir des fondations de centaines et de centaines de millions de dollars. Je crois savoir que 80 p. 100 à 90 p. 100 des fonds recueillis par les universités et les hôpitaux proviennent de dons de biens de valeur. Dans notre pays, les universités et les hôpitaux n'ont pas accès à cette source parce que vous et votre ministère insistez pour taxer les donateurs. Voilà ce que vous faites.
M. Lévesque: Il serait peut-être bon d'examiner un exemple concret, pour voir ce qui se passe quand on fait un don. Disons que vous ayez des biens qui n'avaient pas de valeur...
M. Jackman: Veuillez m'excuser, pourquoi ne pas nous concentrer sur l'option qui est proposée? En fait, il n'y a que deux options: ou la proposition de M. Johnson est adoptée et il y a des dons, ou elle ne l'est pas et il n'y en a pas. C'est tout. Dans le système actuel, il n'y a pas de dons. Voilà notre argument.
Le président: Voulez-vous répondre à cela, monsieur Lévesque?
M. Lévesque: Écoutez, chaque personne prend ses décisions en fonction de sa situation. Par exemple, il y a aujourd'hui des contribuables qui possèdent des parts de fonds mutuels qui pourraient décider, s'ils obtenaient l'exonération de l'impôt sur les plus-values, de faire des transferts entre des dons en espèces et des dons de biens.
Dans ce cas, on pourrait se retrouver avec des coûts supplémentaires pour l'État mais pas de dons. Il y a des gens qui ne feraient pas de dons dans d'autres circonstances mais qui en feraient si cette mesure était adoptée, auquel cas nous finirions par percevoir l'impôt sur les plus-values auprès d'autres personnes, ce qui réduirait les coûts. Quoi qu'il en soit, on parle toujours de coûts se situant entre 52 p. 100 et 91 p. 100 et, si l'on en croit l'expérience américaine, d'une moyenne de 60 p. 100 à 70 p. 100.
Le président: Monsieur Duhamel.
M. Duhamel (Saint-Boniface): Je voudrais des précisions. Pourriez-vous nous donner des chiffres précis? Par exemple, si quelqu'un donnait une somme X, qu'est-ce que cela coûterait dans la situation actuelle et en vertu de la proposition? Cela m'aiderait car j'ai beaucoup de mal à comprendre ce qui se dit maintenant. C'est peut-être parce que je ne fais pas de dons assez élevés.
M. Lévesque: Je ne sais pas si l'on vous a remis le document que nous avions préparé. Vous y trouverez un exemple.
Prenons un bien de 100 $ à coût nul.
M. Duhamel: Prenons 100 000 $, si vous voulez.
M. Lévesque: Cent mille dollars.
Mme Chamberlain: Oui, un bien de 100 000 $.
Le président: C'est parce qu'il y a des grosses fortunes au Parlement.
Mme Chamberlain: Que pourrait être un bien de 100 $?
M. Lévesque: Bien. Cent mille dollars.
Dans le système actuel, si vous décidez de faire don de ce bien, et nous considérerons qu'il ne vous a rien coûté au départ ou que son coût a été minime par rapport à sa valeur actuelle, on applique une règle que l'on appelle la disposition présumée, ce qui veut dire que vous devez payer un impôt sur votre plus-value.
Pour un bien de 100 000 $, on vous impose sur 75 000 $. C'est le taux d'inclusion. Vous donnez 100 000 $ de biens et vous obtenez des crédits d'impôt qui couvrent totalement ce passif - un crédit d'impôt de 52 p. 100 sur 100 000 $. En termes d'aide fiscale qui vous est consentie pour votre don, vous obtenez 52 p. 100 de 100 000 $ et ces 52 p. 100 vous aident à payer la facture fiscale correspondant à la plus-value.
Vous obtenez 52 p. 100 et vous n'avez à aucun moment à assumer de coûts financiers résultant du don. C'est l'une des choses qui ont été corrigées dans le budget de 1996, c'est-à-dire le cas où quelqu'un aurait pu faire un don mais, du fait de la limite de 20 p. 100 sur les crédits pendant l'année du don, aurait pu faire face du fait de la réalisation de la plus-value, d'une part, à, disons, 39 000 $ d'impôt sur les plus-values, n'aurait pu réclamer de crédits pendant cette année-là pour le montant total à cause de la limite de 20 p. 100, disons 20 000 $, sur le capital d'un crédit philanthropique et aurait dû payer l'impôt. Si le don concernait un immeuble, par exemple, il se peut fort bien que la personne n'ait pas eu à sa disposition la somme nécessaire pour régler sa facture fiscale. De ce fait, elle n'aurait pas du tout été incitée à faire don de son immeuble.
Cette situation a été corrigée dans le budget étant donné que l'on peut toujours réclamer le crédit d'impôt pour le plein montant des 100 000 $ pendant l'année du don. De fait, avec ces crédits d'impôt, on peut aussi abriter d'autres revenus.
Ce que l'on propose revient à dire que les 75 000 $ que l'on inclut, produisant environ 39 000 $, ne devraient pas du tout être là. Si tel est le cas, l'aide fiscale consentie sur le don représente alors le total des 52 p. 100 que l'on accorde actuellement sur le total des 100 000 $ plus l'exemption de l'impôt sur les plus-values. Si quelqu'un devait faire un don dans ce contexte, cela pourrait être 91 p. 100.
Dans d'autres cas, par exemple avec une base d'imposition plus faible, un coût d'acquisition plus élevé...
Le président: Restons-en à un coût nul, pour un gain de 100 000 $. Essayons de rester simples.
M. Lévesque: Si quelqu'un devait faire don d'un bien n'ayant rien coûté, le coût fiscal pour le gouvernement serait de 91 p. 100. On dira peut-être que ce n'est pas réaliste mais cela représente une moyenne.
Les gens peuvent faire leur don au bout de 10 ans, de 20 ans ou de 30 ans. Plus le don se fait dans l'avenir, plus la situation peut changer, dépendant de la valeur ultime du bien. Évidemment, si le bien se dévalorise, la valeur fiscale de l'aide peut encore augmenter. Si le bien s'apprécie, elle peut diminuer. En général, cependant, on parle d'un chiffre se situant entre 52 p. 100 et 91 p. 100.
M. Duhamel: Il est clair, monsieur le président, qu'il y aurait plus de dons si la proposition était adoptée. Avons-nous...
M. Discepola (Vaudreuil): À quel prix?
M. Duhamel: Non, ce n'est pas la question que je pose.
Mme Brushett (Cumberland - Colchester): Il y aurait plus de dons.
M. Duhamel: Je voudrais savoir si l'on a des preuves qu'il y aurait plus de dons ou si c'est simplement une hypothèse.
Le président: Je crois que nous devrions donner à M. Johnson la chance de préciser sa pensée car il nous a déjà donné beaucoup matière à réflexion ces dernières années.
M. Johnson: Je voudrais juste faire de brèves remarques.
Premièrement, je crois que ce cas de 91 p. 100 est une hypothèse extrême car il repose sur le postulat que le donateur va vendre le bien, payer l'impôt sur la plus-value puis faire son don. Or, comme Votre honneur l'a mentionné, l'autre solution qui s'offre au donateur est de ne rien faire. Prenons un exemple particulièrement remarquable aux États-Unis, le don de un milliard de dollars consenti par les fondateurs de Hewlett-Packard. Je puis vous donner la garantie que si vous aviez demandé à M. Hewlett et à M. Packard s'ils étaient prêts à faire don d'un milliard de dollars d'actions à condition de payer 400 millions de dollars d'impôt sur les plus-values, ils auraient refusé. Ils auraient conservé leurs actions.
En fait, le gouvernement ne renonce pas à ces 40 p. 100 de la valeur des biens sous forme de renoncement à l'impôt sur la plus-value tant que le donateur ne décède pas. Vous connaissez la situation bien mieux que moi. L'espérance de vie moyenne des hommes de 60 ans du Canada, ce qui est sans doute l'âge où ils sont le plus riches, est de 20 ans. Pour les femmes, c'est de 25 ans. Donc, ce à quoi renonce le gouvernement, c'est à l'impôt sur les plus-values à une date ultérieure, autrement dit à la valeur actualisée de cet impôt.
Si l'on applique un taux d'actualisation de 7 p. 100 ou 8 p. 100 sur 20 à 25 ans, je peux vous garantir que la partie des 40 p. 100 que vous ajoutez aux 52 p. 100 est tout à fait minuscule. Donc, à mon avis, votre exemple est parfaitement trompeur. Il est atypique. Je ne suis donc pas du tout d'accord quand vous dites que le gouvernement fournit une aide fiscale de 91 p. 100. Ce n'est pas vrai. Il y a les 52 p. 100, tout comme dans le cas d'un don en espèces, et il y a aussi la valeur actualisée de ce que le gouvernement aurait perçu lors du décès du donateur, en supposant toutefois que celui-ci n'ait pas fait un transfert à sa jeune épouse...
Mme Chamberlain: Ou à son jeune mari.
M. Johnson: ...et en supposant qu'il n'ait pas gelé son patrimoine...
Je pense que ce chiffre est trompeur. C'est une combinaison de 52 p. 100 et de la valeur actualisée de l'impôt sur les plus-values auquel le gouvernement renonce en fin de compte puisque l'option qui s'offre au donateur est de ne rien faire. Il ne va pas faire de don s'il doit payer l'impôt sur les plus-values.
Deuxièmement, pour ce qui est des mesures adoptées dans le dernier budget - et je dois dire que je félicite le ministère des Finances de ce qu'il a fait, car relever une première fois la limite annuelle à 50 p. 100 puis une deuxième fois jusqu'à 100 p. 100 pour les dons de biens ayant pris de la valeur règle le problème du manque de liquidités du donateur. On peut se servir des crédits d'impôt pour compenser l'impôt sur les plus-values qu'il aurait fallu payer au moment du don. Cependant, ce que vous ne dites pas, c'est que le donateur utilise ces crédits d'impôt. Il utilise disons environ les trois quarts des crédits d'impôt pour compenser l'impôt sur les plus-values, ce qui veut dire qu'il ne lui reste qu'un quart de ses crédits pour ses autres types de revenus. Aux États-Unis, le donateur conserve 100 p. 100 de ses crédits d'impôt pour ses autres sources de revenu.
Votre méthode résout un problème de liquidités mais l'obstacle aux donations existe toujours puisque le donateur est obligé d'utiliser la majeure partie de ses crédits d'impôt pour compenser l'impôt sur les plus-values. De ce fait, il lui en reste très peu pour les 52 p. 100.
Le président: Rob Prichard, après quoi nous donnerons la parole aux députés.
M. Prichard: Merci, monsieur le président. Je remercie nos collègues du ministère des Finances d'avoir exprimé leurs préoccupations car nous ne pourrons faire adopter une telle disposition que si nous parvenons à nous entendre sur la nature du problème.
Il me semble légitime de calculer le coût fiscal, même hypothétique, de la proposition. C'est une manière d'aborder le problème. Et c'est une manière tout à fait compréhensible pour quelqu'un qui travaille au ministère des Finances et qui a été invité par le président du comité à envisager le problème sous cet angle. Pour ma part, je l'envisage du point de vue du coût du don.
Je parle souvent à des donateurs à qui je demande de faire preuve de grande générosité envers diverses causes. Le facteur crucial à comprendre, à mon avis, est que leur option est de ne rien faire. C'est leur argent, après tout. C'est leur richesse ou celle de leur famille. Ils ont le choix de ne rien faire.
Avec notre proposition, il faut toujours que le donateur ait une très forte tendance à la philanthropie. Il ne va pas faire son don parce qu'il y trouve un avantage quelconque. La question est de savoir combien le don va lui coûter, et croyez bien que c'est un coût réel.
Même dans l'exemple envisagé, faire un don de 10 millions de dollars, par exemple, coûte beaucoup au donateur. Sachez bien que c'est un coût réel. Sa richesse personnelle diminue d'autant, mais l'organisme philanthropique qui a reçu le don voit sa situation considérablement améliorée.
On ne propose rien ici qui permette aux gens de finasser pour s'enrichir. Il s'agit toujours de leur demander de transférer une partie de leur richesse à des organismes de charité et donc de s'appauvrir en conséquence. La question est de savoir de combien ils s'appauvrissent.
Du point de vue du donateur, n'oublions pas qu'il s'agit toujours de dons. Certes, comme le dit M. Duhamel, cette proposition ferait augmenter les dons, ce qui est l'objectif visé. C'est pour cela que nous sommes ici. Et c'est pour cela qu'il est tellement urgent d'agir si nous voulons que nos institutions deviennent plus autonomes et plus compétitives par rapport à celles des États-Unis. Il faut plus de dons.
Troisièmement, je voudrais revenir sur le moment du don, puisque vous répétez constamment que l'impôt devra de toute façon être payé lors du décès de la personne. Dans l'économie d'aujourd'hui, vous savez que certaines richesses se créent très rapidement, notamment dans les secteurs de la haute technologie, de l'informatique, de l'industrie minière. On voit aujourd'hui des fortunes qui se créent très rapidement.
La situation est radicalement différente quand on parle du coût fiscal que devrait assumer une personne dans la quarantaine si elle faisait un don dans l'immédiat ou si elle ne le faisait pas et gardait l'argent jusqu'à son décès. Le facteur d'actualisation est tellement énorme en cas de disposition présumée au moment du décès, si l'on tient compte des années écoulées, des objectifs de planification familiale, des transferts au conjoint, et de toutes les choses qui font que les gens ne s'intéressent pas beaucoup aux dons parce que ça leur coûte trop cher.
Pour quelqu'un qui possède des biens qui se sont considérablement appréciés, l'idée de cette disposition présumée - et je parle d'expérience car mon travail consiste surtout à discuter avec ces gens-là - n'est tout simplement pas envisageable dans la grande majorité des cas; on préférera attendre 30, 40 ou 50 ans avant de devoir assumer cette facture fiscale.
Je crains, monsieur le président, que vous ne sachiez pas exactement ce que pense la majeure partie de ces gens. Certes, Barry Sherman est avec nous et, si le monde n'était fait que de Barry Sherman, nous ne serions pas ici à témoigner. Le problème est qu'il n'y a à ma connaissance dans tout l'Ontario qu'un seul Barry Sherman, le plus gros donateur de Centraide, qui donne six millions de dollars à notre hôpital d'enseignement, quatre millions de dollars à l'université et un million de dollars à notre théâtre. Cet homme fait plus à lui seul que des centaines de milliers d'autres.
Nous avons aussi avec nous le Lieutenant-gouverneur, dont la famille a fait énormément pour Toronto depuis trois générations. Il suffit de faire un tour dans la région métropolitaine pour s'en rendre compte. Lui et sa famille ont toujours fait preuve d'une générosité incroyable. Hélas, ce n'est pas à eux que vous devriez parler car ils n'hésitent pas à faire des dons malgré les obstacles considérables qui pourraient les en décourager.
Notre objectif est d'élargir notre bassin de donateurs à des niveaux comparables à celui des États-Unis, pour permettre à nos institutions publiques d'être compétitives. C'est de cela dont nous parlons. Nous ne parlons pas ici de Barry Sherman ou de Son honneur le Lieutenant-gouverneur, dont la générosité à l'égard de notre collectivité est légendaire. Quoi qu'il en soit, eux-mêmes sont venus vous dire qu'ils discutent souvent avec des gens qui voudraient bien suivre leur exemple mais qui ne le peuvent pas à cause du régime actuel qui est punitif. Voilà pourquoi la proposition a été faite.
[Français]
Le président: Je donne la parole à M. René Laurin. Avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Laurin (Joliette): Oui, monsieur le président. J'aimerais qu'un témoin puisse m'expliquer comment on pourrait protéger les intérêts des organismes qui ont besoin de dons de charité tout en permettant à l'État de retirer la part d'impôt qui lui revient.
N'y aurait-il pas un mécanisme qui permettrait que chacun en tire son profit? Nous avons souvent l'impression que les dons qui sont faits sont finalement payés par les autres contribuables ou par l'État. Si la majorité du don que vous faites est déductible de l'impôt, c'est autant d'impôt qui n'entre pas dans les caisses de l'État.
Finalement, ce n'est plus le particulier ou la compagnie qui fait le don, mais l'État et même l'ensemble des contribuables, puisqu'il y a un manque à gagner. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
[Traduction]
M. Prichard: Sans vouloir vous offenser, je répète que votre postulat me semble erroné car nous parlons ici d'impôts qui ne seraient pas payés. Ce ne sont donc pas les autres contribuables qui vont les payer. Si les détenteurs de ces fortunes n'obtiennent pas ce traitement fiscal, ils se contenteront tout simplement de ne pas faire de dons et il n'y aura donc aucun impôt qui sera payé. Cet impôt pourra être reporté pendant 10, 20, 30, 40 ou 50 ans.
Le coût à prendre en considération, et c'est à ce chapitre que nous nous distinguons de nos collègues du ministère des Finances, est le coût actualisé en fonction du nombre d'années qui s'écouleront avant l'application de l'impôt. Ce coût réduit considérablement le montant que les autres contribuables pourraient être appelés à assumer pour subventionner le don qui pourrait être fait.
Le deuxième facteur est que cela ne vaut que pour les organismes de charité publics. Certains tracent peut-être une ligne de démarcation très nette entre le gouvernement et les organismes de charité publics, mais je ne trouve pas cette ligne très convaincante car je travaille dans une institution publique et je dirige une institution publique. Que les fonds de l'institution publique viennent de l'État ou de dons, ils sont destinés dans les deux cas à des fins publiques.
Je n'ai pas le sentiment que les fonds sont détournés à des fins privées. Je ne considère pas qu'un don accordé à l'Université de Toronto soit destiné à un usage privé ou personnel. J'estime qu'il s'agit d'un objectif public, pour un établissement régi par les pouvoirs publics et oeuvrant dans l'intérêt public.
[Français]
M. Laurin: Est-ce que vous seriez satisfaits si on procédait à un réaménagement de la fiscalité de sorte que les individus auraient intérêt à faire des dons de leur vivant plutôt que d'attendre le moment de leur décès ou un autre moment que fixerait la loi?
Un des rôles principaux de l'État est d'assurer le partage des richesses. L'État pourrait donc, par une loi, inciter les gens à donner de leur vivant plutôt que d'attendre le moment de leur mort, et les organismes de bienfaisance en tireraient profit.
J'ai l'impression que vous cherchez une façon de bénéficier de la générosité des mécènes. Je pense que vous voudriez que l'État continue d'assurer votre subsistance par ces dons tout en trouvant un moyen pour que les personnes qui possèdent ces biens payent davantage d'impôt en payant leur part comme n'importe quel autre contribuable.
Dites-moi si j'ai bien compris la situation et si j'ai bien interprété vos demandes.
[Traduction]
M. Pitblado: C'est là le vrai fondement de votre question. C'est exactement ce que nous proposons, c'est-à-dire que ces dons soient faits dans l'immédiat plutôt que dans 20 ou 30 ans. Cette proposition répond donc exactement à la question que vous posez et permet d'accomplir exactement l'objectif que vous envisagez.
[Français]
M. Laurin: Je voudrais savoir ce que vous en pensez.
En ce qui concerne l'impôt sur les successions, il y a déjà eu une loi qui différait selon les provinces. Dans certaines provinces, je crois même qu'elle a disparu.
On pourrait proposer aux gens une taxe moins lourde dans le cas où ils feraient ces dons avant leur décès, ce qui les encouragerait à faire de tels dons, et vous pourriez ainsi en bénéficier plus tôt. Et, naturellement, les gens paieraient tout de même leur part d'impôt.
Est-ce que c'est cela que vous recherchez?
Le président: Je ne crois pas que ce soit une solution. J'ai l'impression que le résultat fiscal serait le même, que le don soit fait avant ou après le décès de la personne.
M. Laurin: Peut-être. Je voudrais quand même préciser que ce que nous recherchons, c'est que les personnes qui possèdent des richesses paient leur part d'impôt parce que nous ne voulons pas que, par un geste de générosité ou une astuce fiscale quelconque, ils puissent échapper à l'impôt.
Il me semble qu'on pourrait demander au gouvernement de trouver un moyen qui, sans vous pénaliser, ferait en sorte que les personnes qui détiennent le plus de biens paient des impôts raisonnables.
[Traduction]
M. Prichard: Je pense que M. Laurin soulève une question importante du point de vue fiscal, c'est-à-dire le rôle de l'impôt sur la richesse. Bien que ce ne soit pas la question sur laquelle nous sommes censés témoigner, je puis vous dire que nous avons organisé il y a trois ans un colloque à l'Université de Toronto, avec l'appui de certains donateurs. À cette occasion, nous avons réuni les principaux spécialistes mondiaux de l'impôt sur la richesse pour savoir ce qui se fait dans leur pays et quels résultats ils ont obtenus.
Si vous le voulez, je serais très heureux de remettre au président du comité et à M. Laurin des exemplaires de l'ouvrage qui a été publié suite à ce colloque. Vous y trouverez l'opinion de spécialistes non seulement canadiens mais également étrangers sur les questions précises que vous avez posées.
Personnellement, je ne veux pas aborder cette question parce que je ne suis pas un spécialiste.
Le président: Madame Sutherland.
Mme Sutherland: Il y a une chose que l'on a souvent tendance à oublier. Il s'agit du fait que ces biens, lorsqu'ils sont donnés aux organismes de charité, commencent à travailler immédiatement dans les collectivités concernées et à produire un rendement économique. C'est un facteur dont on ne tient pas assez compte. Lorsqu'un don est effectué, ces biens produisent quelque chose pour la collectivité et non plus seulement pour le possédant.
Le président: Monsieur Jackman.
M. Jackman: À ce sujet, il y a un piège qu'il faut mentionner. Il y a au Canada un impôt sur les plus-values, et il est généralement accepté. Dans l'exemple que vous avez mentionné, de biens de 100 000 $, on peut supposer que l'impôt sur la plus-value serait de 40 p. 100. Si ce bien est donné à un organisme de charité, le donateur ne le possède plus mais il doit payer 40 000 $.
Évidemment, si c'était lui qui réalisait la plus-value, il n'aurait aucune hésitation à payer l'impôt de 40 p. 100 puisque c'est lui engrangerait la plus-value. Par contre, lorsqu'il fait don du bien, lorsqu'il donne les actions, il perd les 100 000 $ et c'est l'organisme de charité qui bénéficie de la plus-value. Psychologiquement, le donateur voit mal pourquoi il devrait payer l'impôt.
Je puis ajouter que je n'ai jamais rencontré un bénévole qui n'ait pas ressenti une grande satisfaction lorsqu'il faisait un don. Je n'ai jamais rencontré personne qui ait donné de l'argent à une université ou à un hôpital et qui l'ait regretté. Cela dit - et je ne veux pas manquer de respect au gouvernement en ajoutant cela - je n'ai jamais rencontré personne qui ait tiré un sentiment de satisfaction en payant plus d'impôt.
Il y a donc cet obstacle psychologique à surmonter. Il y a des gens qui veulent faire des dons mais, lorsqu'ils examinent la situation, ils reculent immédiatement parce qu'ils ne voient aucune raison de payer un impôt sur un gain qu'ils ne réalisent pas.
Le président: Merci, monsieur Laurin. Monsieur Grubel.
M. Grubel (Capilano - Howe Sound): Merci, monsieur le président.
Je voudrais vous rappeler que Bob Fogel, prix Nobel d'économie, a publié une étude sur les grandes fortunes qui se sont créées aux États-Unis au 19e siècle grâce à l'exportation des ressources naturelles, au monopole de la technologie - je parle des Forbes, des Rockefeller, etc. Or, en transférant une grande partie de ces fortunes aux universités, les États-Unis ont bénéficié d'un transfert massif de richesses des ressources naturelles vers le capital humain, ce qui est la source des richesses d'aujourd'hui.
Cela dit, monsieur Prichard et monsieur Johnson, il y a une faille dans votre argument sur la valeur actualisée de l'impôt sur la plus-value auquel le gouvernement renoncerait. En effet, si un don n'est pas effectué aujourd'hui, sa valeur à lui aussi augmente de 6 p. 100 ou 10 p. 100. Il faut donc actualiser non seulement l'impôt sur la plus-value mais aussi le montant du don lui-même qui n'est pas effectué. Par contre, j'accepte l'argument de Votre honneur en ce qui concerne l'obstacle psychologique. Je crois que c'est un très bon argument.
M. Johnson: Je voudrais répondre au sujet de la faille dans notre argumentation. Lorsqu'une personne fait un don, c'est l'organisme de charité qui reçoit le bien. S'il s'agit d'actions, par exemple, l'organisme de charité peut les revendre et c'est l'acheteur, lorsqu'il revend lui-même les actions, qui paie l'impôt sur la plus-value.
Si les actions n'avaient pas été données à l'organisme de charité et si celui-ci ne les avait pas revendues, il n'y aurait pas eu d'acheteur ultime qui aurait payé un impôt sur la plus-value.
M. Grubel: Je demanderai à Satya de me réexpliquer tout cela plus tard.
M. Johnson: Il me l'a déjà expliqué.
Des voix: Oh, oh!
M. Grubel: Il voit toujours des choses que je ne vois pas, mais je suis toujours prêt à apprendre.
Si une personne achète les actions de l'organisme de charité, le montant sur lequel elle devra payer un impôt sur la plus-value dépend du prix d'achat, n'est-ce pas?
M. Johnson: C'est exact. Si le cours de l'action monte...
M. Grubel: C'est différent.
M. Johnson: Mais on suppose que l'action prend de la valeur?
M. Grubel: Oui.
M. Johnson: Bien. Supposons que l'investisseur achète l'action à l'organisme de charité au prix de 10 $ et que le cours monte à 20 $. Comme c'est un investisseur, s'il revend l'action à 20 $, il paiera l'impôt sur une plus-value de 10 $. Donc, le gouvernement percevra un impôt qu'il ne toucherait pas si les actions n'étaient pas vendues. Autrement dit, si l'on n'avait pas exonéré la plus-value au départ, le donateur n'aurait pas fait don de ses actions à l'organisme de charité, celui-ci ne les aurait pas revendues à l'investisseur, et l'investisseur n'aurait pas réalisé de plus-value ultime et il n'aurait donc pas payé au gouvernement d'impôt sur la plus-value.
M. Grubel: J'aurais dû savoir que Satya avait raison.
Des voix: Oh, oh!
M. Johnson: J'ai appris cela il y a un an. Satya avait vérifié chacun de nos mémoires.
Des voix: Oh, oh!
M. Prichard: Contrairement à Don, je n'aurais pas le courage de discuter de cela avec vous si Satya ne nous avait pas donné confiance en nous-mêmes.
M. Grubel: Très bien. Quoi qu'il en soit, je pense qu'il serait utile d'avoir une étude sur l'historique du comportement des riches du Canada avant l'entrée en vigueur de l'impôt sur les plus-values, par rapport aux riches des autres pays. Cela aiderait peut-être à régler la question.
De toute façon, et quelle que soit la valeur des arguments pour ou contre, j'estime personnellement qu'il s'agit en fait d'une question d'ordre idéologique. Pour ma part, je me réjouis chaque fois que quelqu'un réussit à convaincre le gouvernement d'abaisser les impôts. Le gouvernement est trop gros et, moins il percevra d'impôts, moins il aura d'argent à dépenser.
Deuxièmement, je crois que ce genre de proposition aboutira en fin de compte à rendre aux gens le pouvoir d'utiliser leur argent comme bon leur semble, ce qui est finalement, pour l'ensemble de la société, à ce que cet argent soit géré par des bureaucrates et des politiciens. À mes yeux, l'argent que les gens dépensent eux-mêmes est en fin de compte toujours mieux dépensé, dans l'intérêt de la société, que s'il est prélevé par le gouvernement puis retransféré, de manière indirecte.
M. Johnson: Je peux donc supposer que vous appuyez notre proposition?
M. Grubel: En effet. J'essayais simplement de mieux la comprendre.
M. Johnson: Bien.
M. Prichard: Une troisième raison que l'on peut ajouter au sujet des effets - et qui n'a rien à voir avec les deux premières - est que l'autre grand avantage d'une stimulation de la générosité privée envers les institutions publiques concerne la reddition de comptes. En effet, cela amène les donateurs à s'intéresser activement aux activités de l'institution et à la manière dont elle est gérée. Autrement dit, on voit apparaître un groupe plus étendu de personnes à qui l'institution doit rendre des comptes, ce qui contribue sans doute à en améliorer le rendement. Cela rapproche l'institution de la collectivité dans laquelle elle est établie et de ses bienfaiteurs.
En fait, si l'on ajoute vos deux remarques, cela engendre une transformation du comportement des institutions. Au lieu d'obtenir tout leur argent du gouvernement, comme c'était le cas des universités publiques il y a 25 ans, elles sont obligées de s'adresser aux collectivités locales, ce qui les oblige à améliorer leur rendement à terme.
M. Grubel: Mais dans un contexte différent, cependant. Par exemple, si tout l'argent était donné à des institutions qui ne rendaient d'avantages qu'aux riches, ce serait un type de résultat. Par contre, comme on peut s'y attendre, si les institutions se servaient de cet argent pour répondre précisément aux besoins des pauvres, le résultat serait probablement plus bénéfique, pour les raisons que vous avez mentionnées et pour les raisons psychologiques évoquées par Votre honneur.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Grubel. Monsieur St. Denis.
M. St. Denis (Algoma): Merci, monsieur le président.
Je voudrais d'abord vous remercier d'être venus devant notre comité. Je trouve ces tables rondes extrêmement intéressantes. Pour ma part, le coeur du problème est de bien comprendre les conséquences de la proposition, étant donné que nous avons un problème de déficit à régler, puis ensuite un problème de dette, et que le ministre des Finances doit veiller aux affaires.
M. Johnson a soulevé la question des coûts actuels par rapport aux coûts actualisés. Je ne suis pas sûr de bien comprendre et je vais donc vous demander quelques précisions.
Si un contribuable décide aujourd'hui de faire un don de 100 000 $ à un organisme de charité, dans le régime actuel, mais qu'il décède avant de faire son don et que ses héritiers font le don à sa place, je suppose que les recettes de l'État restent les mêmes.
S'il n'y avait pas de modification du régime fiscal dans les 25 prochaines années et que la personne décédait dans 25 ans, quelle serait la différence entre le fait que le donateur ait gardé ses actions pendant les 25 ans et le fait qu'il les ait données à un organisme de charité qui les aurait ensuite revendues à quelqu'un d'autre qui aurait, lui, payé l'impôt sur la plus-value?
À mon avis, la question de la valeur actualisée... Je ne comprends pas pourquoi on doit faire cette actualisation. Que les actions soient détenues par une tierce partie qui les aurait achetés à l'organisme de charité ou qu'elles appartiennent toujours à quelqu'un qui prend la décision de ne pas en faire don à cause du régime fiscal, cela importe peu, selon moi.
Le président: Peut-être pourrais-je demander à Satya Poddar de nous expliquer cela très brièvement...
M. St. Denis: Avec les 100 000 $.
Le président: ...en comparant simplement l'exemple d'une personne qui fait un don aujourd'hui et d'une personne qui...
M. St. Denis: Vingt-cinq ans.
Le président: ...décède dans 25 ans.
M. Poddar: Supposez que la plus-value soit aujourd'hui de 100 000 $; en l'absence de don, le capital vaudrait donc 175 000 $.
Le président: Non. Supposez pour l'instant que la valeur n'augmente pas.
M. St. Denis: Non, pour les 25 prochaines années.
M. Poddar: Pour les 25 prochaines années?
M. St. Denis: Oui, il faut que la valeur augmente si l'on veut répondre à ma question.
Le président: Bien.
M. Poddar: Si la personne fait un don aujourd'hui, la question est de savoir comment le gain futur de 75 000 $ sera traité.
Le ministère des Finances suppose que si l'on accorde une exonération pour le gain de 100 000 $, la plus-value de 75 000 $ sera également exonérée d'impôt. Cela ne vaut cependant que si l'organisme de charité conserve les actions et réalise la plus-value non seulement de 100 000 $ mais aussi de 75 000 $.
L'expérience américaine a cependant montré que, lorsqu'un organisme de charité reçoit un don d'actions, il a dans la plupart des cas tendance à le convertir en espèces. À ce moment-là, le surcroît de valeur de 75 000 $ devient imposable. Donc, aux États-Unis, si le don est fait aujourd'hui, l'État ne renonce à l'impôt que sur les 100 000 $ car les 75 000 $ deviennent imposables dès la vente des actions.
L'argument du ministère des Finances est juste si l'on suppose que l'organisme de charité conserve les actions et ne les utilise pas à des fins philanthropiques. Par contre, s'il veut les vendre pour utiliser l'argent à des fins philanthropiques, la situation va changer. Or, l'expérience américaine nous apprend que la quasi totalité des organismes de charité vendent les actions qu'ils reçoivent en don. Voilà la différence.
Si vous supposez que les 75 000 $ futurs s'accumulent au sein de l'organisme de charité, il n'est pas nécessaire d'actualiser le chiffre car on perd l'impôt non pas sur 100 000 $ mais sur 175 000 $. L'escompte et tout le reste se compensent et le coût réel est la valeur actuelle de l'impôt sur 100 000 $.
Si l'on suppose en revanche que les 75 000 $ sont versés dans la poche imposable, parce que l'organisme de charité vend les actions à une personne imposable, on parle alors de percevoir de l'impôt sur 100 000 $ aujourd'hui plutôt qu'à l'époque du décès du propriétaire. La valeur de l'impôt sur 100 000 $ est donc beaucoup moins élevée.
M. St. Denis: Mais si le donateur conserve les 100 000 $ d'actions et que celles-ci valent 175 000 $ au moment de son décès, dans 25 ans, l'impôt sera perçu sur tout...
M. Poddar: Mais, dans les deux cas, vous percevez l'impôt sur les 75 000 $ de toute façon.
M. St. Denis: D'accord.
M. Poddar: Le débat porte donc en fait sur les 100 premiers mille dollars de plus-value.
M. St. Denis: Ce qui se passe dans ce scénario... Disons qu'il y a dans la société canadienne 20 milliards de dollars d'actifs qui pourraient faire l'objet de dons. Calculons la valeur actuelle de ces actifs. Au lieu que ces actifs fassent l'objet de dons à l'avenir, ramenons tout ce capital dans le présent. Et cela ne pénalisera pas les organismes de charité dans 20 ans car cet argent... Nous supposons qu'il y a une sorte de tapis roulant sans fin qui assure la croissance des biens et que l'on fait simplement avancer ce tapis roulant de 25 ans pour arriver au présent.
M. Poddar: Non. L'hypothèse est la suivante: en l'absence de cette proposition, l'argent continue d'appartenir complètement à des intérêts privés, même au moment du décès. En revanche, si l'octroi de cette incitation encourage les particuliers à faire des dons à des organismes de charité, on renonce en fait aujourd'hui à l'impôt que l'on aurait autrement perçu dans 25 ans. La différence est que cet impôt s'applique non pas à 175 000 $ mais à 100 000 $ parce que, toujours en acceptant la proposition, on percevra quand même de l'impôt sur les 75 000 $. Je considère ici que l'organisme de charité vendra les actions en faisant cette plus-value et que le gouvernement percevra l'impôt sur les 75 000 $.
Cette proposition revient donc à inciter les particuliers à renoncer à l'impôt qu'ils auraient dû payer au moment de leur décès, et qui sait s'il n'y aurait pas eu un transfert au conjoint dans 25, 30 ou 40 ans.
M. St. Denis: Il pourrait donc y avoir pour le gouvernement un coût de 200 millions de dollars pendant une année, à quoi il faut ajouter la part des provinces?
M. Poddar: Le chiffre de 200 millions de dollars me paraît extrêmement élevé en ce qui concerne le gouvernement fédéral. Même dans l'hypothèse la plus favorable possible, je ne pense pas que l'on puisse envisager plus de 100 millions de dollars. De fait, le chiffre que nous avons essayé de calculer dans ce document varie entre 25 et 65 millions de dollars.
M. St. Denis: À quoi il faut ajouter la part des provinces...
M. Poddar: Plus la part des provinces.
M. St. Denis: Bien.
M. Pitblado: Puis-je prendre la position contraire? Autrement dit, même dans le pire des scénarios envisagés par le ministère des Finances, si ces biens étaient donnés, le gouvernement obtiendrait toujours sept dollars sur 100 aujourd'hui. Donc, en effectuant aujourd'hui un don qui ne serait pas traité pendant 25 ans, même dans le pire des cas, le gouvernement reçoit sept dollars aujourd'hui, dans le pire des cas, et 52 $, 48 $ ou 50 $ dans le meilleur.
Donc, le gouvernement percevra aujourd'hui de l'argent qu'il ne percevrait pas avant le décès de la personne si celle-ci ne faisait pas de don. C'est comme considérer que le verre est à moitié vide ou à moitié plein.
Le président: Monsieur Lévesque.
M. Lévesque: Je voudrais faire quelques remarques. Ce que dit Satya est juste si l'on suppose que les gens n'auraient pas fait de don sans la proposition mais qu'ils en feront si elle est adoptée, et que quelqu'un devra ensuite payer l'impôt. Même avec des taux d'actualisation, on trouve encore des chiffres extrêmement élevés, et bien supérieurs à la normale ou à la moyenne de 52 p. 100 pour 10, 20 ou 30 ans. À très long terme, dans 50 ans, on s'approchera de 50 p. 100, mais avant, dans une période de 10 ou 15 ans, on sera toujours à 70 p. 100.
Le deuxième facteur est que le don consenti à un organisme non imposable concerne des choses qui seront utilisées jusqu'à la fin des temps, comme des terrains ou des immeubles, et sur lesquelles il n'y aura jamais de plus-value. Dans ce cas, nous perdrons complètement les 75 000 $ à l'avenir. Je conviens que ce n'est pas du tout ce que montre l'expérience américaine dans la majorité des cas, mais le coût reste quand même élevé.
On a parlé d'actualiser les chiffres. Si l'on considère que les actifs se valorisent, on fera face à des coûts relativement plus élevés si les gens en font don à des entités non imposables.
Ma dernière remarque est que je ne suis pas sûr de bien comprendre le dernier débat. Dans le système actuel, si quelqu'un fait don de 100 000 $... Revenons à notre exemple. Une plus-value de 75 000 $ suppose un impôt sur les plus-values d'environ 39 000 $ ou 40 000 $, en contrepartie de quoi la personne peut quand même réclamer 52 000 $ de crédit pour don de charité.
Sur le plan fiscal, dans le régime actuel, il y a donc un montant immédiat de 13 000 $ sur les 100 000 $. Le gouvernement ne peut pas faire mieux si... Évidemment, si les gens font des dons plus élevés, le coût est plus élevé pour les gouvernements.
M. Prichard: Je respecte votre argumentation, parce que je respecte les fonctionnaires, mais je pense qu'il est extrêmement important, quand on parle des coûts, de parler en même temps des avantages. Dans chaque cas envisageable, à moins que vous n'estimiez que les activités gouvernementales ont plus de valeur que celles des organismes philanthropiques, position que ne partagent sans doute pas beaucoup de gens dans cette salle, le bienfait est toujours sensiblement plus élevé que le coût, même dans le pire scénario.
On parle ici d'activité publique, pas d'activité dictée par le gouvernement mais d'activité publique - c'est-à-dire d'activité admissible au statut des dons de charité... Les centaines de milliers d'étudiants du Canada, les millions de gens qui bénéficient de Centraide - tout cela constitue dans chaque cas un bienfait public largement supérieur au coût public. Certes, votre rôle est de compter les sous du gouvernement mais, chaque fois que je vous entends parler de «coût», je vous invite à songer aux bienfaits auxquels on renonce si l'on n'accepte pas d'assumer ce coût.
Je parle ici de bienfaits auxquels on renonce pour la population du Canada, pour les étudiants, pour les pauvres, pour les personnes âgées, pour les malades - bienfaits dont la valeur serait largement supérieure aux coûts, même dans le scénario le plus prudent possible.
Le président: Don Johnson.
M. Johnson: Je suis parfaitement d'accord avec cet argument. Je veux par ailleurs vous répondre, Louis, que nous ne nions absolument pas que l'octroi d'une exonération de l'impôt sur les plus-values comporte un coût marginal. Les 52 p. 100 sont là pour les dons en espèces ou pour les biens dont la valeur a augmenté. Le gouvernement assume un coût marginal en renonçant à l'impôt sur la plus-value. C'est évident. La vraie question, cependant, consiste à savoir ce que le gouvernement peut... Tout le monde convient qu'il est nécessaire que le secteur privé fasse des dons plus généreux pour compenser l'incidence des coupures budgétaires nécessaires. Tout le monde ici conviendra que la réduction du déficit est précisément ce dont notre pays a besoin.
La question est donc de savoir ce que peut faire le gouvernement, dans le cadre de son objectif de réduction du déficit, pour encourager les donateurs à être beaucoup plus généreux, mais sans que cela n'ait d'incidence négative profonde sur les recettes fiscales. Comme l'a dit Jim Pitblado, la seule chose que le gouvernement puisse faire, de manière réaliste, c'est d'avoir accès à cette nouvelle catégorie de donateurs qui ne font actuellement pas de dons parce qu'ils devraient payer l'impôt sur la plus-value. C'est la seule chose.
Examinez toutes les propositions qui ont été faites. Elles ont été analysées à mort ces derniers mois. C'est la seule chose que l'on peut faire. Comme dit M. Prichard, il faut comparer les coûts aux avantages. Certes, vous acceptez un coût modeste sur le plan des recettes fiscales, mais voyez les avantages énormes qui en résultent!
Si vous considérez l'expérience américaine, et c'est la seule dont nous disposions, 11 p. 100 de tous les dons de charité qui sont effectués aux États-Unis le sont sous forme de biens dont la valeur a augmenté. Si l'on copie l'expérience américaine au Canada, en exonérant les dons de l'impôt sur la plus-value, et si l'on considère que 11 p. 100 de tous les dons de charité du Canada proviendront du don de biens dont la valeur a augmenté, cela nous donne un chiffre qui se situe entre 400 et 500 millions de dollars par an.
Je n'ai pas de chiffres précis sur la proportion des dons de charité qui sont actuellement effectués au Canada sous forme de biens dont la valeur a augmenté mais je soupçonne que le pourcentage est minuscule, précisément pour les raisons que nous venons d'évoquer. Donc, une très grande partie des 400 à 500 millions de dollars de dons représenterait des dons nouveaux. Il est facile de voir l'avantage qu'en retireraient les universités, les hôpitaux, les organismes sociaux et les organismes artistiques. Quel en serait le coût? Le coût peut être calculé d'après les études de Satya, et sachez bien que je m'incline devant son grand savoir en la matière. Il vient de passer 15 années au ministère des Finances, si je ne me trompe, et il a donc acquis son savoir de manière très honorable.
Le coût serait de 25 millions de dollars, 65 millions ou même 100 millions de dollars. Je crois me souvenir qu'on a parlé de 25 millions à 65 millions de dollars. Comparons cela aux 400 à 500 millions de dollars de dons qui seraient canalisés vers nos organismes philanthropiques. C'est beaucoup plus élevé que ce à quoi renoncerait le gouvernement sur le plan fiscal. Les bienfaits seraient largement supérieurs aux coûts. C'est aussi simple que cela. Voilà l'argument final.
Le président: Merci.
J'ai sur ma liste les noms de Mme Whelan, M. Campbell, M. Laurin et Mme Chamberlain.
Mme Whelan (Essex - Windsor): Merci, monsieur Peterson.
Je voudrais vous poser d'abord une question d'ordre général. Nous avons beaucoup parlé de ce qui se fait aux États-Unis mais nous n'avons pas comparé le traitement fiscal des successions dans les deux pays.
Je viens d'une collectivité frontalière où j'ai l'occasion de lire beaucoup d'articles dans les journaux et revues des États-Unis sur l'imposition du patrimoine au moment du décès. Certes, nous avons au Canada un impôt sur les plus-values qui s'applique au moment du décès mais, si j'en crois mes lectures, les impôts perçus aux États-Unis sur les successions sont beaucoup plus élevés.
Corrigez-moi si je me trompe mais cela constitue probablement une autre incitation, aux États-Unis, à faire don de ses biens avant le décès. Et je n'ai entendu personne ici réclamer que l'on modifie l'imposition des successions au Canada.
M. Prichard: Le Lieutenant-gouverneur est le philosophe de notre équipe. Je ne sais s'il peut vous répondre.
M. Jackman: Non, je ne connais pas le système d'imposition des successions aux États-Unis.
M. Johnson: Il est vrai que les Américains ont une autre incitation à faire don de leurs biens avant de décéder. En effet, il y a là-bas un impôt sur les successions, dont je ne connais pas le nom exact, qui est de l'ordre de 55 p. 100 à 56 p. 100.
Au Canada, on applique le principe de la disposition présumée et c'est donc l'impôt sur la plus-value qui est perçu. Il y a donc peut-être une raison supplémentaire de faire don de ses biens aux États-Unis mais je ne sais pas si la différence entre la disposition présumée au moment du décès... Reprenons le cas extrême d'un patrimoine acquis à un coût égal à zéro. Au Canada, après le décès, 40 p. 100 de la valeur du patrimoine va au gouvernement, sous forme d'impôt sur la plus-value. Aux États-Unis, c'est 56 p. 100.
Je ne pense pas que cette différence puisse jouer un rôle dans la décision éventuelle d'une personne de faire don de ses biens si nous adoptions l'exonération de l'impôt sur la plus-value. C'est entre 40 p. 100 et 56 p. 100 à 30 ans d'échéance - ou plus tard.
M. Prichard: Vous avez raison mais vous ne tenez pas compte de l'exemption de base. Aux États-Unis, elle vaut environ 600 000 $, ce qui veut dire qu'un très grand nombre de contribuables américains sont fortement avantagés par rapport aux contribuables canadiens.
Quoi qu'il en soit, votre remarque est pertinente et nous devrions peut-être poursuivre nos discussions avec Satya pour voir s'il y a des informations complémentaires à fournir.
Le président: Je crois qu'il serait bon de comparer les deux systèmes dans leur ensemble.
M. Prichard: C'est un facteur important.
Mme Whelan: Cela dit, les contribuables dont nous parlons aujourd'hui possèdent des biens dont la valeur dépasse largement l'exemption de 600 000 $. Si j'ai bien compris, on parle de dons de 400 millions de dollars, ce qui est assez substantiel, vous en conviendrez. Il n'en reste pas moins qu'il vaudrait la peine de faire ces comparaisons avec les États-Unis pour bien comprendre toutes les ramifications de ce qui est proposé.
M. Prichard: Vous avez raison. Nous allons en prendre note et analyser le traitement fiscal des grosses fortunes au moment du décès.
Il vaudrait peut-être la peine aussi de tenir compte, avec l'aide de Satya - et peut-être de nos homologues des États-Unis - des mécanismes de planification fiscale existant dans les deux pays. Je soupçonne qu'il y a, pour la catégorie dont vous parlez, une foule de mécanismes permettant de reporter ou d'éviter l'impôt, et il faudrait en tenir compte pour faire une comparaison valable.
Nous allons donc simplement prendre note de votre question en vous proposant d'envoyer des informations complémentaires au comité.
Mme Whelan: Merci.
M. Sherman: Il vaudrait peut-être la peine de garantir très longue vie à tous les donateurs.
Des voix: Oh, oh!
Le président: Barry, c'est vous que ça regarde.
M. Johnson: Tout a un prix, Barry.
Le président: Monsieur Campbell.
M. Campbell (St. Paul's): Merci.
Il serait peut-être utile de reprendre l'exemple du don Hewlett-Packard pour voir quel aurait été le traitement fiscal de cette fortune au moment du décès si la famille n'avait pas fait le don. Je ne veux cependant pas être cruel.
Je dois dire, monsieur le président, que nous sommes plusieurs au sein de ce comité qui attendaient depuis trois ans ce débat. Comme nos invités le savent, le comité a été très actif sur cette question, grâce à votre leadership. Je crois que nous pouvons nous enorgueillir d'avoir eu un effet sur le budget de l'an dernier et je peux dire que nous continuons nos efforts dans ce sens. C'est vraiment à votre leadership que nous le devons.
Cela dit, je tiens à souhaiter la bienvenue aux témoins qui représentent tout ce que les milieux d'affaires, la fonction publique, les organismes philanthropiques et les organismes sociaux ont de mieux à offrir. Le débat a été extrêmement intéressant. Je voudrais maintenant faire une ou deux remarques, mais je ne garantis pas qu'il y aura de question.
Je ne voudrais pas que le lecteur de ce compte rendu ait l'impression que la fiscalité est la seule raison pour laquelle les gens font des dons. Si tel était le cas, il serait difficile d'expliquer - et je me tourne ici vers M. Prichard - les dons extraordinaires qu'a reçus l'Université de Toronto l'an dernier, en l'absence de tout avantage fiscal particulier. Il y a donc beaucoup d'autres facteurs qui poussent les gens à faire des dons, et il est difficile de prévoir exactement comment ils peuvent réagir aux dispositions fiscales à tel ou tel moment.
En écoutant ce débat sur la mort et les taxes, je me suis dit qu'il y avait bien une raison pour laquelle je ne voulais pas, lorsque je pratiquais le droit, avant de me faire élire, m'occuper de droit des successions. C'est en partie parce que j'ai toujours eu du mal à envisager la mort de quelqu'un, et en partie parce que je n'ai jamais compris le calcul des valeurs actualisées.
Cela dit, je suppose que nous pouvons convenir que, si ce n'est pas 91 $ sur chaque centaine, c'est sans doute plus que 52 $. Je crois avoir entendu cette confirmation de M. Johnson un peu plus tôt.
Par contre, nous ne connaissons pas le chiffre réel. D'aucuns disent que l'option, pour les gens fortunés, est de garder leur argent jusqu'à la mort et de l'emporter dans leur tombe, ou de lui laisser subir le sort normalement prévu après le décès. L'autre solution pourrait être de vendre le lendemain matin. Nous ne savons pas vraiment ce que les gens décideraient. Rien n'est très clair mais il vaut la peine de faire l'analyse.
Au fond, monsieur le président, il me semble que la question essentielle est de savoir s'il serait bon, du point de vue des politiques publiques - ou du point de vue de la maîtrise du déficit, pour profiter du compliment qui nous a été fait un peu plus tôt à cet égard - de donner plus de 52 p. 100 d'aide fiscale pour encourager les dons discrétionnaires.
Vous nous avez invités - surtout M. Prichard, dans un vibrant plaidoyer - à tenir compte des bienfaits. Les fonctionnaires, quant à eux, nous rappellent toujours de tenir compte des coûts. Le défi qui se pose au comité et, en fin de compte, au gouvernement, est de décider si le jeu en vaut la chandelle. Voilà la vraie question. C'est cela que nous devons établir.
La comparaison avec les États-Unis est intéressante et fort instructive. On compare souvent le Canada aux États-Unis. On dit par exemple qu'il faut tenir compte des taux d'imposition aux États-Unis parce que les gens pourraient préférer investir là-bas plutôt qu'ici. En revanche, il y a là-bas des gens qui font des dons que leurs homologues canadiens ne feraient pas. Les deux situations sont-elles vraiment comparables? Je ne pense pas que les donateurs auxquels vous parlez peuvent vraiment faire ce choix mais, si je me trompe, nous devrions le savoir.
Voilà ce que je voulais dire, monsieur le président, de manière relativement désordonnée. Il n'y avait pas vraiment de question là-dedans mais si quelqu'un a quelque chose à ajouter, je l'écouterai avec beaucoup d'attention.
Le président: Je suis sûr que vous allez provoquer beaucoup de commentaires, monsieur Campbell.
M. Prichard: Vous avez dit quelque chose au sujet des dons consentis aux universités. C'est très satisfaisant et c'est pourquoi j'ai tenté de rendre hommage au Dr Sherman et à Votre honneur.
Cela dit, la triste réalité, Barry, est que l'Université de Toronto, malgré les dons relativement importants qu'elle reçoit, ne saurait faire concurrence à celles des États-Unis. Certes, dans l'absolu, les sommes sont élevées mais, d'un point de vue relatif...
M. Campbell: Mais que disent les institutions américaines? À titre de donateur, vous leur avez parlé.
M. Prichard: Oui. Nous faisons concurrence, lorsque nous voulons recruter des enseignants et obtenir des étudiants, non seulement au Canada mais à l'ensemble de l'Amérique du Nord, tout comme M. Pitblado, en dirigeant l'Hôpital des enfants, fait concurrence aux hôpitaux du monde entier qui veulent recruter des médecins, des chercheurs et des cliniciens. En conséquence, il faut que les dons consentis à son hôpital, tout comme ceux offerts à l'Université de Toronto, lui permettent de faire concurrence aux meilleurs.
Vous avez eu le privilège - et j'en suis fort aise - de faire des études dans les grandes universités du Canada et des États-Unis. Quant à nous, nous devons faire concurrence à ces universités et offrir aux jeunes Canadiens la possibilité de poursuivre leurs études ici parce que la plupart d'entre eux, contrairement à vous et moi, ne peuvent se payer le luxe d'aller étudier ailleurs. Nous devons donc être compétitifs par rapport aux meilleures occasions qui sont offertes à nos jeunes ailleurs. Si nous ne le sommes pas, ils ne viendront pas chez nous.
Vous avez évoqué le succès de l'Université de Toronto - et je vous remercie du compliment - mais la triste réalité est que, malgré une hausse considérable des dons, ceux-ci ne représentent que le tiers de ceux qui sont accordés à une institution concurrente qui ne se trouve qu'à 250 milles de Toronto, l'Université du Michigan, qui est une autre grande université publique. Au tiers, nous ne sommes pas compétitifs. Il faut arriver à l'égalité.
Vous dites qu'on ne peut prévoir ce que les gens décideraient étant donné qu'il peut y avoir une foule de raisons qui motivent les donateurs. Cela dit, l'effet du changement que nous proposons serait manifestement d'accroître les dons. Nous ne pouvons pas connaître le pourcentage exact d'augmentation mais je ne pense pas qu'il y ait qui que ce soit ici qui doute que cette augmentation se manifesterait. En outre, il est clair que la valeur de ces dons, c'est-à-dire les bienfaits qu'ils produiraient, serait largement supérieure au coût. Quant à savoir si cela serait suffisant, c'est une autre question.
Voici ma dernière remarque. Le ministre de qui vous êtes le plus proche, M. Martin, parle sans cesse de l'effet de levier. Je voudrais donc moi aussi parler de l'effet de levier des ressources du secteur privé venant s'ajouter à celles du secteur public. Je parle ici de partenariat. C'est ça qui compte. Nous vous demandons de nous donner les outils qui nous permettront d'exercer l'effet de levier qui amènera les citoyens fortunés du Canada à partager leur richesse avec les institutions publiques, dans l'intérêt public.
Notez que je parle ici le langage du gouvernement. C'est le langage de la réduction du déficit et de la préservation de nos atouts pour les années à venir. Même si nous limitons les dépenses du gouvernement, nous le faisons en conservant un effet de levier. Notre proposition est donc d'exercer le seul effet de levier que nous connaissons pour canaliser plus de richesses privées vers les institutions publiques. Voilà pourquoi nous y tenons tellement.
Le président: Merci, monsieur Prichard. Monsieur Pitblado.
M. Pitblado: Je crois qu'on a bien établi le cadre général dans lequel s'inscrit la proposition. J'ai la ferme conviction qu'il s'agit d'une question de politique publique. Nous pourrions débattre sans fin de chiffres et de pourcentages, d'exemples de toutes sortes, de calculs d'actualisation, de tableaux de longévité et de prévisions sur le comportement des gens.
En dernière analyse, c'est quand même une question de politique publique. Les gouvernements de notre pays ne cessent de dire que nous devons faire plus avec moins, et je crois que la plupart d'entre nous sommes d'accord. Il faut donc encourager le secteur privé à faire plus et l'une des solutions que nous proposons consiste à éliminer ce qui l'encourage à faire moins. En outre, le régime actuel est anticompétitif dans la mesure où il sape notre position vis-à-vis des États-Unis, dans un nombre très élevé de domaines cruciaux.
Du point de vue des politiques publiques, comme je le disais dans ma déclaration liminaire, le problème est très simple. Cela ne veut pas dire que la solution soit simple mais seulement que le dilemme est relativement facile à comprendre. Il suffit de prendre un peu de recul et de faire une analyse coûts-avantages. Comme pour toute chose, si l'on constate que les coûts sont trop élevés, on pourra mettre fin au système, mais pas rétroactivement, j'espère. En attendant, la proposition stimulera la philanthropie du secteur privé et contribuera à égaliser le terrain de jeu. Voilà des politiques publiques qui ont beaucoup de sens à mes yeux.
Le président: Merci. Monsieur Sherman.
M. Sherman: La question est de savoir comment encourager les donateurs à un coût relativement faible. Il est vrai qu'il en coûte déjà 52 cents au gouvernement pour chaque dollar de don.
L'une des solutions que l'on pourrait peut-être envisager consisterait à relever le niveau des crédits d'impôt, mais je ne pense pas que cela changerait grand-chose à la situation. Si vous accordiez un crédit d'impôt de 60 p. 100, de 70 p. 100 ou de 90 p. 100, cela ne produirait pas beaucoup d'effet. En fait, il faudrait arriver à 100 p. 100, ce qui est évidemment impossible. Je ne crois pas que relever le niveau de déductibilité des dons en espèces serait très productif pour le gouvernement.
Par contre, la proposition me semble être une bonne solution pour encourager des dons beaucoup plus conséquents, à un coût relativement plus bas. Si l'objectif est d'obtenir des dons plus élevés à un coût relativement minime pour l'État, cette solution est la bonne.
Le président: Merci beaucoup d'avoir très bien exposé la problématique.
Madame Campbell. Oh! Madame Chamberlain.
Mme Chamberlain: Où va-t-on?
Des voix: Oh, oh!
M. Prichard: C'est pourtant un veston rouge libéral.
Le président: C'est uniquement de ma faute.
Mme Chamberlain: Je commencerai par vous dire que j'approuve à 100 p. 100 votre proposition.
Je suis nouvelle au comité des finances. Je vais essayer de faire une analogie. Je suis un peu comme M. Sherman, j'ai tendance à aborder les choses sous un angle différent.
Je suis d'accord sur l'effet dissuasif du régime actuel. Je ne pense pas que l'on puisse contester cette affirmation quand on constate qu'une personne qui veut faire don de ses biens est obligée de payer au gouvernement un impôt représentant environ 40 p. 100 de la valeur du don. Il me paraît donc évident que les gens donneraient plus si ce facteur de dissuasion disparaissait. Je n'ai aucun problème avec cela.
Voici par contre quelque chose qui suscite chez moi des réserves. Le gouvernement estime à l'évidence aujourd'hui - M. Lévesque, du ministère des Finances, n'aura aucun mal à le confirmer - que le problème très réel du déficit ne lui permet de renoncer à aucune recette fiscale. Comme nous ne savons pas de quoi demain sera fait, il ne veut pas renoncer à cet argent.
Vous avez dit que la plupart des biens faisant l'objet de dons, comme des propriétés foncières ou des actions, sont revendus par le bénéficiaire. Si tel est le cas, ils retournent dans l'économie où ils sont à nouveau productifs. Cela me semble tout à fait positif. Dites-moi, serait-il possible de revoir cette question? Est-il envisageable que les lois soient modifiées?
Vous n'allez peut-être pas aimer ce que je vais dire, puisque j'envisage un partage à égalité, mais je crois que ce serait en tout cas mieux que la situation actuelle. Si l'on disait que l'organisme de charité peut recevoir un don et que le donateur n'est pas obligé de payer l'impôt sur la plus-value, on pourrait exiger que les biens donnés soient mis en vente au bout d'un certain temps - deux ans, par exemple, ou ce que l'on juge adéquat.
Ainsi, si l'hôpital de Toronto obtenait un terrain d'une valeur de 100 000 $, l'État obtiendrait ses 40 000 $ au bout d'une certaine période, qu'il s'agisse de deux ans, trois ans ou plus. Croyez-vous que cela vaudrait la peine d'être examiné? Le gouvernement obtiendrait quand même l'argent dont il pense avoir besoin mais les gens fortunés seraient également incités à donner plus car le facteur de dissuasion dont vous avez parlé serait disparu, et les biens retourneraient dans l'économie.
M. Jackman: Au fond, vous transférez le fardeau fiscal du donateur au bénéficiaire?
Mme Chamberlain: Oui.
M. Jackman: Je soupçonne que...
Mme Chamberlain: Mais on le transfère au gouvernement.
M. Jackman: Non.
Mme Chamberlain: Si.
M. Jackman: Si quelqu'un fait un don de 100 000 $ en espèces, c'est considéré comme un revenu et le gouvernement paie à toutes fins pratiques 54 p. 100. On peut voir la chose ainsi: son revenu imposable baisse de 100 000 $ et il ne paie pas d'impôt sur cette somme. Le gouvernement, comme vous dites, paie 54 p. 100. Par contre, si je donne 100 000 $ sous forme d'actions, j'obtiendrai les 54 p. 100. Le ministère des Finances affirme de plus qu'il y a un autre montant de 40 p. 100 que vous allez obtenir, mais que le donateur n'obtient pas. Au fond, vous retenez une pénalité que le donateur serait obligé de payer. Je ne cesse de répéter que la personne qui fait don de ses actions ne réalise aucun profit. C'est l'organisme de charité qui l'obtient. Pourquoi le donateur devrait-il donc payer?
Si je fais don de 100 000 $ en espèces, je n'ai pas à payer d'impôt sur les plus-values. Je n'ai pas à payer d'impôt du tout. Si je fais don d'actions, je dois payer de l'impôt. Du point de vue du donateur, on pénalise clairement les dons de biens ayant acquis de la valeur par rapport aux dons en espèces. C'est une forme d'inégalité.
Je ne pense pas que les gens devraient payer de l'impôt lorsqu'ils font preuve de générosité. Voilà pourquoi je dis de laisser les chiffres de côté, puisqu'il s'agit d'un débat de fond. D'une question de principe. Les gens ne feront pas de dons si leur générosité leur coûte une taxe de 40 p. 100.
Mme Chamberlain: Très respectueusement, je suis d'accord avec vous. Je partage votre opinion.
M. Jackman: Le problème de votre suggestion est que je ne pense pas qu'il soit politiquement acceptable de commencer à percevoir un impôt sur les organismes de charité. Certes, ce n'est que mon avis personnel, mais je ne pense pas que les gens qui représentent les organismes philanthropiques accepteraient facilement ce changement.
M. Prichard: Il y a cependant un précédent, si j'ai bien compris. C'est une version de votre suggestion. Il s'agit des oeuvres d'art ayant acquis de la valeur et qui font l'objet d'un don. Si l'institution bénéficiaire les revend avant cinq ans, elle doit payer l'impôt. Les remarques que vous avez faites sont extrêmement appréciées, et je ne pense pas que votre suggestion puisse être rejetée d'office. Dans l'exemple que je viens de mentionner, la limite existe pour éviter les abus, c'est-à-dire la revente avant cinq ans de biens qui avaient théoriquement été donnés pour toujours.
Voici cependant ce qui m'inquiète. Supposons qu'un donateur vienne donner deux millions de dollars à l'Hôpital des enfants pour créer une chaire financée de neurochirurgie pédiatrique. Dans votre exemple, l'hôpital sera passible de 800 000 $ d'impôt. Cela veut dire qu'il ne disposera pas des deux millions de dollars pour financer la chaire. Certes, le fait que l'impôt doive être payé par le bénéficiaire plutôt que le donateur atténuera probablement l'obstacle psychologique dont parlait Votre honneur tout à l'heure, mais je ne pense pas que les gens s'y tromperont pendant très longtemps.
Constatez que l'on ne cesse de revenir à notre opinion - et je ne veux certainement pas critiquer ici le gouvernement - que ces dons sont fournis à des fins publiques. La situation actuelle des institutions publiques telles que l'Université de Toronto est qu'elles reçoivent beaucoup moins des contribuables, chaque année, c'est-à-dire du gouvernement de la province. On constate à l'évidence une baisse de soutien public parce que le gouvernement s'efforce de redresser ses finances.
Le gouvernement conserve cet instrument. Le gouvernement du Canada continue de contrôler directement le levier de ses dépenses, tout comme le gouvernement provincial. S'il estime devoir réduire ses dépenses, il le fait, et il continuera de le faire, en tenant compte du contexte global.
La réalité est que la maîtrise du déficit résultera de la maîtrise des dépenses et non pas de l'imposition d'une taxe aux organismes de charité plutôt qu'à leurs donateurs. Je pense que le gouvernement maîtrisera son déficit de manière beaucoup plus directe, en décidant de temps à autres quelles activités il peut continuer de financer, tant au plan fédéral qu'au plan provincial. Cela ne nous plaît pas nécessairement mais c'est la réalité avec laquelle nous devons vivre, à cause de la démocratie. Au lieu de mettre sur pied un mécanisme compliqué de remboursement, il est préférable que le gouvernement fasse directement ce qu'il doit faire sur le plan financier et nous donne à nous les outils dont nous avons besoin pour pouvoir faire des dons privés. Pour ce qui est des règles spéciales que vous envisagez, comme le report d'un impôt, il vaut mieux réserver cela aux cas d'abus ou si l'on décide de réorienter en profondeur les politiques existantes, comme on l'a fait dans le cas des oeuvres d'art, où il y a déjà la disposition dont vous parlez pour tenir compte du changement de circonstances.
Le président: Madame Brushett.
Mme Brushett: Je vous remercie d'être venus cet après-midi. La discussion a été très intéressante. Il s'agit d'un domaine auquel je m'intéresse depuis plusieurs années, surtout pour comparer la situation américaine à la nôtre.
Cela dit, quand nous examinons la situation des États-Unis, nous constatons qu'il n'y a eu là-bas aucune atténuation des problèmes de bien-être social ni aucune amélioration de l'accès à l'éducation. Les problèmes américains dans le domaine de la santé sont bien connus, et rien ne montre que l'exonération dont bénéficient les dons de charité ait profité en quoi que ce soit à l'ensemble de la population.
Si nous décidions au Canada d'exonérer de l'impôt sur la plus-value les biens ayant pris de la valeur, je suppose qu'on arriverait à une exonération de plus de 52 p. 100, peut-être de l'ordre de 70 p. 100 à 91 p. 100. Cela dit, notre comité a eu l'occasion d'entendre pendant ses consultations prébudgétaires, année après année, des gens qui gagnent peut-être 10 000 $ par an et qui continuent de faire des dons à leur église, avec beaucoup de générosité. Je veux dire par là qu'il y a au bas de l'échelle des revenus des personnes qui sont extrêmement généreuses, malgré le régime actuel. Et nous voyons aujourd'hui des représentants du haut de l'échelle - d'un très petit pourcentage de Canadiens extrêmement fortunés - qui voudraient obtenir une exonération d'impôt de 91 p. 100. Comment pourrions-nous expliquer au public l'octroi d'une telle incitation à un pourcentage extrêmement minime de la population? Croyez-vous vraiment que nous pourrions faire accepter cela dans le contexte actuel?
M. Johnson: Je crois qu'il faut féliciter le gouvernement d'avoir pris cette initiative parce qu'elle est tout à fait conforme à ses politiques de réduction du déficit sans hausse de l'impôt. Il faut assainir les finances en réduisant les dépenses.
Malheureusement, nous constatons que cela pénalise gravement nos organisations philanthropiques cruciales. Beaucoup d'entre elles sont en situation de crise à cause des coupures budgétaires du gouvernement, au demeurant nécessaires, et nous avons décidé quant à nous de formuler cette proposition pour faire surgir une catégorie complètement nouvelle de donateurs, dans le but de compenser l'effet négatif des coupures gouvernementales.
Mme Brushett: Avez-vous une idée quelconque du nombre de donateurs dont vous parlez? Pour l'instant, vous n'en avez mentionné qu'un - le Dr Sherman, en Ontario. Combien pourrait-il y avoir dans notre pays de donateurs aussi fortunés?
M. Johnson: Je crois que cela aurait...
M. Pitblado: Cela dépendrait de la taille de l'institution. Il se trouve que nous représentons l'une des grandes institutions du pays, avec des budgets et des besoins énormes; de ce fait, les dons que nous recevons sont également très élevés.
Il y a cependant dans notre société des catégories très diverses d'institutions et de donateurs, de toutes tailles. La proposition que nous avons formulée n'a aucun effet discriminatoire. À mon sens, les donateurs de toutes les catégories de revenus et de toutes les tranches d'impôt seraient stimulés. Même si l'on parle de dons de moindre importance consentis à des institutions plus petites, notre proposition aurait le même effet relatif.
Mme Brushett: Aux États-Unis, comme vous dites, cette catégorie de donateurs représente moins de 5 p. 100 de la population. Quelle pourrait être la proportion correspondante au Canada? Le nombre absolu serait certainement minime.
M. Prichard: Pour ce qui est des dons les plus importants, je crois que le chiffre de 5 p. 100 est assez juste, mais il revient à mettre l'accent sur les donateurs eux-mêmes. Or, votre question était axée sur l'atténuation des difficultés que connaissent les bénéficiaires. Vous avez dit que le système américain n'a eu aucun effet positif à cet égard. Prenons cependant mon domaine, l'enseignement supérieur, comme exemple.
Il est vrai qu'il y a aux États-Unis des taux plus élevés de participation à l'enseignement supérieur, et des niveaux de qualité supérieurs à ceux que nous avons réussi à atteindre au Canada. Pour ce qui est des bénéficiaires - et votre collègue a fait cette remarque un peu plus tôt - cet investissement dans le capital humain et dans l'expansion du capital intellectuel, par l'innovation et le savoir, a eu pour effet d'élargir considérablement les opportunités économiques...
Mme Brushett: Permettez-moi d'intervenir. Je fais partie des conseils d'administration de certaines universités et je me suis laissé dire que le Canada est toujours très compétitif pour ce qui est du coût de l'éducation, par rapport aux États-Unis.
M. Prichard: Pour ce qui est du coût de l'éducation, c'est incontestable.
Mme Brushett: Cela ne profite pas vraiment aux étudiants.
M. Prichard: Je parlais quant à moi de la qualité de l'enseignement et des taux de participation. L'accès à l'enseignement supérieur est plus élevé aux États-Unis qu'au Canada; le pourcentage de jeunes qui font des études supérieures est plus élevé. La réalité à laquelle sont confrontées les universités, de Victoria à Memorial, est que nous sommes de moins en moins compétitifs et que nous subissons une accélération de l'exode des cerveaux, phénomène qui commence à ressembler à celui que nous avons connu il y a 35 ans. Or, j'estime que rien ne peut être plus néfaste à l'avenir des jeunes Canadiens que la perpétuation de cette situation.
Mme Brushett: Pour revenir à ce que je disais, quel pourrait être le pourcentage de Canadiens qui feraient des dons de ce niveau?
M. Pitblado: Je ne peux vous donner de chiffre précis. En revanche, je peux vous dire que l'Hôpital des enfants de Toronto envoie chaque année 150 000 reçus pour l'impôt.
Mme Brushett: Je veux bien, mais combien de ces donateurs seraient...
M. Pitblado: Ce sont des reçus que nous envoyons à des particuliers et à des entreprises. Je ne peux vous dire quel est le pourcentage des donateurs qui seraient prêts à faire don de biens ayant pris de la valeur si l'on adoptait notre proposition. Il est évident que le nombre serait relativement petit. Serait-ce 50? Cinq cents? Mille? Je n'en sais rien.
Mme Brushett: Il est probable que toutes les personnes présentes dans cette salle donnent déjà généreusement aux hôpitaux, aux églises, aux clubs sociaux, etc. Maintenant, si l'on parle de donner des biens ayant pris de la valeur, on entre dans un domaine complètement différent et je me demande quel pourrait être le pourcentage de donateurs qui apparaîtraient grâce à cette proposition. Je crois que ce serait très...
M. Prichard: Ce que je peux vous dire au sujet des campagnes de financement, qu'elles soient menées par des hôpitaux, par des galeries d'art, par des théâtres ou par des universités - et notre collègue Charlotte Sutherland est l'experte en la matière - c'est que 10 p. 100 des donateurs, en règle générale, fournissent 90 p. 100 des fonds recueillis. Cela montre clairement que l'on ne peut atteindre l'objectif public visé, que ce soit dans l'enseignement supérieur ou dans un hôpital, sans une concentration extrême des efforts de la part des plus fortunés. Il est donc vrai de dire que la majeure partie des fonds vient de ceux qui sont le mieux placés pour donner, mais les bénéficiaires de ces fonds sont les Canadiens dans leur ensemble.
Mme Brushett: Vous venez finalement de parler de cette énorme source de richesse qui est inexploitée. Le fait est qu'elle représente une proportion minime de Canadiens par rapport aux millions qui font quotidiennement des dons de moindre importance en n'obtenant qu'une exonération d'impôt de 17 p. 100 à 29 p. 100.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, madame Brushett.
[Français]
Monsieur Laurin.
M. Laurin: Je trouve la séance d'information très enrichissante, mais il me semble qu'on est arrivé dans un cul-de-sac.
Les députés du Parlement et les membres de l'opposition ne cherchent pas à pénaliser les organismes qui sont actuellement bénéficiaires de ces dons d'entreprises ou de particuliers très riches. Nous voulons surtout nous assurer que tous les revenus qui sont gagnés par qui que ce soit soient imposés à leur juste valeur.
J'ai entendu M. Pitblado dire qu'il envoie 100 000 reçus par année pour des dons de charité et je suis sûr qu'il a besoin de cet argent. Mais si tous ceux qui ont donné avaient payé leur juste part d'impôt au gouvernement, peut-être que son hôpital ou un autre organisme comme l'université de M. Prichard n'auraient plus besoin de ces dons-là parce que le gouvernement aurait les revenus nécessaires pour financer ces universités et ces hôpitaux.
On est dans un système où vous êtes vous-mêmes obligés de défendre ceux qui ne paient pas leurs impôts ou qui ne les paient pas au complet, parce que vous en êtes bénéficiaires d'une certaine façon. Vous êtes bénéficiaires du système.
Si je gagne une voiture demain matin à une loterie quelconque, on va me donner la voiture mais on va m'obliger à payer la taxe de vente et la TPS en plus. On va m'obliger à payer les deux taxes. Donc, je vais recevoir un don qui n'est pas totalement gratuit. Si je gagne une voiture de 20 000 $, je vais devoir payer 15 p. 100 de taxes. J'aurai, en recevant les 20 000 $, à débourser de ma poche 3 000 $ que j'enverrai au gouvernement parce que j'aurai reçu un bien qui doit être taxé.
Pourquoi ne serait-ce pas la même chose lorsqu'un organisme de charité reçoit un don en biens ou en valeurs? Si je vous fais demain matin un don de 100 000 $ en actions qui m'ont coûté, il y a quelques années, 20 000 $, il est certain que je ne voudrai pas payer de l'impôt sur la différence de 80 000 $, mais ce n'est pas la même chose pour vous. Puisque c'est vous qui recevez ce don et que vous bénéficiez de la différence de 80 000 $, pourquoi ne serait-il pas acceptable que vous payiez la part d'impôt qui aurait dû être payée par le détenteur de ces actions?
Il me semble que ce serait juste et raisonnable. Autrement, ce serait permettre à un revenu de changer de lieu et de propriétaire sans qu'il soit imposé. De plus, il faut bien se dire que celui qui fait le don ne le fait pas par simple philanthropie, mais plutôt par intérêt financier, parce que ça lui coûte moins cher de vous faire le don que de payer ses impôts au gouvernement.
Il faut donc que la différence et le manque à gagner du gouvernement soient payés par quelqu'un d'autre, par les petites gens qui, eux, paient leurs impôts à partir d'un TP4 ou d'un T4. Ce sont ces gens-là qui paient la différence.
Il nous semble, dans l'Opposition, que les citoyens, qu'ils soient des contribuables particuliers ou des citoyens corporatifs, devraient tous être taxés de la même façon. Il faut que chacun paie sa juste part d'impôt.
Je ne vois pas comment vous pourriez être pénalisés si le système était ainsi. Je serais d'accord, cependant, pour supprimer la concurrence. Si le système d'impôt permet à l'homme d'affaires ou à l'entreprise de déduire seulement 50 p. 100 de ses dépenses pour un dîner alors qu'il accorde 75 p. 100 d'allégement fiscal pour un don, vous allez être avantagés.
En effet, au lieu de payer des billets de base-ball ou des billets de hockey et des dîners d'affaires, il va faire des dons aux oeuvres de charité, aux hôpitaux et aux universités. Mais à partir du moment où l'impôt mettra tout sur le même pied et donnera le même allégement fiscal pour tous les motifs de dépenses, je pense que l'entreprise préférera donner 100 000 $ à une fondation parce que ce don sera visible et profitera directement à l'entreprise.
Il me semble donc qu'il serait tout à fait possible de trouver un moyen qui, sans vous pénaliser, permettrait au gouvernement d'obtenir sa part d'impôt.
Le président: Qui aimerait répondre à M. Laurin?
[Traduction]
M. Johnson: Je ne vais peut-être pas vous répondre directement mais je vais quand même essayer.
Premièrement, je comprends l'inquiétude du ministère des Finances au sujet de son éventuel manque-à-gagner fiscal, c'est son rôle.
Deuxièmement, pour revenir à ce que disait Barry Sherman tout à l'heure, les gens peuvent donner de l'argent ou des biens. Personne ne conteste que les gens font des dons en espèces au maximum de leur capacité et de leur intérêt. Chacun donne autant qu'il peut et qu'il veut. Donc, modifier le traitement fiscal des dons en espèces ne ferait rien pour accroître sensiblement le montant global des dons, alors que cela coûterait une fortune au gouvernement en manque-à-gagner fiscal. De manière générale, c'est donc une idée qui n'a aucune chance d'être retenue.
Quelles sont donc nos options? La première est le statu quo, c'est-à-dire ne rien faire. Dans ce cas, que deviendront nos universités, nos hôpitaux, nos organismes artistiques et nos agences de service social? Que leur arrivera-t-il suite aux coupures gouvernementales? Ils vont dépérir.
Le statu quo n'est pas une option acceptable. Que pouvons-nous donc faire pour accroître de manière substantielle le montant des dons tout en tenant compte des préoccupations exprimées au sujet d'un éventuel manque-à-gagner fiscal? On peut décider d'exonérer les dons de l'impôt sur la plus-value. Cela entraînera une augmentation des dons de biens, et le gouvernement en sera félicité. En effet, tous les citoyens en profiteront. Des millions de gens en profiteront: les étudiants des universités, les malades des hôpitaux, les artistes, etc.
Le président: C'est M. Grubel qui aura le dernier mot.
M. Grubel: Je voudrais connaître votre avis sur une idée que je viens d'avoir et qui, je pense, intègre l'essence de votre proposition. Supposons que les organismes de charité aient répondu à certains besoins dans le domaine de l'enseignement supérieur et des services sociaux, par exemple, et que le gouvernement vienne compléter leur action de manière à produire le bien-être optimal que pourrait attendre une société idéale.
Supposez maintenant que votre proposition ait été adoptée. Le gouvernement perd des recettes fiscales mais, en même temps, les organismes de charité privés répondent à certains besoins dont le gouvernement n'a plus à s'occuper. Autrement dit, il y aurait un transfert de responsabilité en matière d'enseignement supérieur, par exemple, puisque les particuliers l'assumeraient directement, par le truchement de leurs dons, ce qui permettrait au gouvernement de s'en retirer en parallèle. Certes, le gouvernement aurait perdu des recettes, mais il aurait perdu aussi l'obligation de payer.
Voici ce que je préférerais: un pays fondé sur ce principe, comme vous le proposez, plutôt que celui que nous avons aujourd'hui.
Le président: Y a-t-il des témoins qui ne sont pas d'accord avec cela? Tout le monde est d'accord?
M. Campbell: Je voudrais simplement demander à M. Grubel s'il recommande que le gouvernement continue ses coupures budgétaires, proportionnellement à l'augmentation des dons? C'est cela son idée?
Le président: Sauf dans la santé.
M. Grubel: Ignorons pour le moment la crise budgétaire que nous traversons. Si nous faisions ce que je dis, le gouvernement perdrait des recettes mais il perdrait aussi l'obligation de répondre à certains des besoins des gens nécessiteux puisque cette obligation serait assumée par le secteur privé.
M. Prichard: Mais la réalité est que le monde dans lequel nous vivons est bien différent. Nous vivons actuellement dans un monde caractérisé par un recul substantiel des gouvernements, fédéral et provinciaux, devant leur responsabilité d'assurer un certain nombre de services publics terriblement importants. En ce qui me concerne, je suis payé pour faire mon travail. Par contre, les personnes qui m'accompagnent sont des bénévoles qui donnent de leur vie, de leur temps, de leur énergie, de leur argent pour améliorer le sort du Canada. Nous vous demandons simplement de libérer les autres Canadiens qui sont prêts à faire de même à une époque où il semble très difficile de préserver le Canada tel que nous le connaissons. Je crois que c'est une demande raisonnable de gens qui donnent de leur vie, de leur argent, de leurs efforts, de leur sang et de leurs larmes.
Le président: Monsieur Lévesque, madame Brickman, voulez-vous ajouter quelque chose avant la fin de la séance?
Mme Lucy Brickman (ministère des Finances): Non.
Le président: Veuillez m'excuser, nous allons devoir mettre fin à la séance.
Si je jette un coup d'oeil autour de la table, je vois des gens qui représentent l'enseignement, les arts, la santé. Je vois des philanthropes, des bénévoles. C'est probablement la seule corde qui reste à notre arc quand on voit le gouvernement se retirer de tellement de secteurs, par nécessité. Vous êtes venus nous adresser aujourd'hui une proposition très concrète, dont Don Johnson se fait le héraut depuis déjà très longtemps.
De fait, c'est votre deuxième comparution devant notre comité, monsieur Johnson. L'an dernier, nous nous sommes approchés du but mais nous ne l'avons pas atteint, et c'est pourquoi vous avez dû revenir. Vous avez fait d'autres études à notre intention et nous avons demandé au ministère des Finances de participer à la séance.
Je voudrais faire quelques remarques sur ce que nous avons entendu aujourd'hui. Je pense qu'il pourrait être utile d'essayer de collaborer pour analyser le système américain dans son ensemble afin de le comparer au système canadien. C'est peut-être impossible mais nous devrions au moins essayer.
J'ai été frappé par le fait que certaines personnes se demandent si ces stimulants fiscaux produiraient vraiment une hausse des dons. Écoutez, s'il n'y a pas de hausse des dons, cela ne nous aura strictement rien coûté sur le plan fiscal.
Pour ce qui est du statut des organismes de charité, cette proposition veut-elle dire qu'ils se rapprocheraient de la situation de ceux qui jouissent aujourd'hui du statut de société d'État, avec une contribution gouvernementale de 100 p. 100 pour les dons qui leur sont octroyés? Il y a évidemment une tout autre solution que l'on n'a pas abordée aujourd'hui et qui consisterait tout simplement à cloner des gens comme Votre honneur et Barry Sherman.
Barry, je viens de vous donner votre prochain projet de recherche.
M. Sherman: J'y travaille déjà.
Le président: Je crois qu'il y a probablement encore du travail à faire sur cette question. Je sais que le ministère des Finances acceptera volontiers de travailler avec quiconque vous voudrez désigner pour poursuivre l'étude de cette proposition, afin de voir si l'on peut trouver un terrain d'entente et un minimum de consensus.
En conclusion, je vous remercie tous et toutes non seulement d'avoir comparu devant notre comité mais aussi pour le rôle incroyablement important que chacun d'entre vous joue dans la société canadienne. Merci beaucoup.
La séance est levée.