Introduction et résumé des recommandations
Le 7 mai 1996, le vérificateur général publiait un rapport dans lequel il faisait état de sérieux motifs d'inquiétude quant à l'administration de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il y soulevait d'importantes questions au sujet de la politique fiscale du Canada concernant les personnes qui s'installent au Canada ou qui quittent le pays pour établir leur résidence ailleurs.
Il est effectivement grand temps de faire le point. En effet, le Parlement n'a effectué aucune étude approfondie des règles fiscales s'appliquant aux contribuables qui migrent depuis leur adoption en 1971. Or, la mobilité des personnes et des capitaux s'est grandement accrue depuis 25 ans, et les régimes fiscaux d'autres pays font concurrence au nôtre. La publication du rapport du vérificateur général tombait à point nommé pour nous rappeler l'importance d'actualiser le régime fiscal si l'on désire qu'il soit une source efficiente et juste de revenus pour les pouvoirs publics.
Les remarques du vérificateur général sont axées spécifiquement sur deux décisions anticipées rendues en 1985 et en 1991 par Revenu Canada au sujet de l'émigration de contribuables et de la distribution des biens d'une fiducie canadienne à un bénéficiaire non résidant. Le vérificateur général a formulé deux réserves au sujet des décisions en question. Premièrement, il a dit craindre que les opérations visées aient «frustré l'intention du législateur en ce qui concerne l'imposition des gains en capital», et que ainsi Revenu Canada renonce ainsi «au droit de recouvrer à l'avenir plusieurs millions de dollars en impôts». Deuxièmement, il a conclu que Revenu Canada et le ministère des Finances n'avaient pas suffisamment analysé et documenté la prise de ces décisions, ni pensé à apprécier leurs répercussions fiscales éventuelles.
Dans le contexte de la réponse du gouvernement au rapport du vérificateur général, le ministre des Finances a demandé au Comité d'effectuer une étude de la politique canadienne relative à l'imposition des non-résidents, des immigrants et des émigrants. En particulier, le Ministre a demandé au Comité de se pencher sur les deux questions suivantes et de formuler ses recommandations:
- L'imposition des particuliers (fiducies comprises) et des sociétés qui deviennent des résidents du Canada ou cessent de l'être, et notamment
-
(i) les reports d'impôt non appropriés dont peuvent se
prévaloir les non-résidents et les anciens résidents;
(ii) les améliorations possibles du calcul de l'impôt exigible au départ du Canada et les moyens de percevoir cet impôt sans compromettre la mobilité des contribuables; et
(iii) les diverses possibilités en ce qui concerne le régime fiscal des fiducies non résidantes cr#es par des particuliers immigrants ou pour leur compte.
- Les rapports qui existent entre la politique fiscale du Canada relative aux sujets précités et aux sujets connexes et les politiques des partenaires commerciaux du Canada et les engagements du Canada aux termes des conventions fiscales bilatérales auxquelles il est partie.
L'étude que le Comité a décidé d'entreprendre ne lui avait pas été demandée seulement par le ministre des Finances. Le vérificateur général aussi lui en avait fait la suggestion. Dans une lettre adressée au président du Comité, le vérificateur général faisait remarquer que cette partie de son rapport portait sur des programmes gouvernementaux qui relevaient du Comité. Il a d'ailleurs offert au Comité son aide ainsi que celle de son personnel pour l'aider à mieux comprendre les questions soulevées dans son rapport, offre que le Comité a acceptée avec gratitude.
Le Comité a amorcé une série d'audiences sur la question le 28 mai 1996, durant lesquelles il a entendu le vérificateur général et des membres de son personnel, de même que des hauts fonctionnaires de Revenu Canada, du ministère des Finances et du ministère de la Justice. Il a en outre organisé une table ronde à laquelle il avait invité certains des meilleurs fiscalistes du Canada. Celle-ci a été particulièrement instructive dans la mesure où elle a permis de grandement clarifier les questions techniques complexes de cet aspect du droit fiscal.
Le présent rapport reflète le mandat du Comité et porte donc essentiellement sur l'orientation future souhaitable de la politique canadienne d'imposition du revenu des non-résidents et des migrants. Cependant, pour bien saisir toute la portée de celle-ci, il faut connaître la loi actuelle. Ainsi, le rapport contient un résumé des règles actuelles relatives à la migration des contribuables et une analyse de leurs fondements.
Le gros du rapport ne constitue pas une réponse aux critiques formulées par le vérificateur général au sujet des décisions anticipées rendues par Revenu Canada en 1985 et en 1991. La discussion à ce sujet figure dans une annexe dans laquelle on traite en détail de chacun des points soulevés dans le rapport du vérificateur général. Nous avons procédé ainsi pour deux raisons. Premièrement, le Comité pense que ce qui intéresse la plupart des lecteurs, et la majorité des députés, ce sont les importantes questions fondamentales qu'on lui a demandé d'examiner. Deuxièmement, le Comité a des réserves au sujet de la manière dont le vérificateur général a choisi d'exposer ses inquiétudes, réserves que nous expliquons ci-dessous.
Le Parlement et la population canadienne s'attendent du vérificateur général qu'il fasse enquête sur tous les aspects de l'activité gouvernementale et qu'il fasse état de ses conclusions. La tâche est exigeante, et le vérificateur général actuel, comme ses prédécesseurs, témoigne dans son travail d'une excellence qui ne se dément pas. Il ne faut pas s'attendre cependant que le vérificateur général examine aussi le travail quotidien des nombreux professionnels de la fonction publique : ce serait demander l'impossible. Des scientifiques, des avocats, des ingénieurs et d'autres professionnels travaillent dans des domaines très spécialisés qui exigent des connaissances considérables. Le vérificateur général et son équipe ne peuvent avoir, et d'ailleurs n'ont pas, la prétention de contester le travail spécialisé de ces fonctionnaires. Le Comité estime que le vérificateur général n'a pas non plus pour rôle de dissiper les ambiguïtés ou les incertitudes à caractère technique dans un domaine donné. Autrement dit, on ne peut pas demander au vérificateur général de se substituer aux fonctionnaires dans l'exercice raisonnable de leur jugement professionnel.
Les décisions de Revenu Canada dont il est question sont le produit d'un tel jugement professionnel. Comme le vérificateur général l'a dit devant le Comité, ces décisions ne sont ni frivoles, ni déraisonnables, ni manifestement erronées. Il n'existe par ailleurs aucun signe de faute, ni d'ingérence dans la prise de décisions.
Les fonctionnaires du Bureau du vérificateur général ont néanmoins décidé de contester les décisions. Ils ont conclu que les experts de Revenu Canada avaient peut-être mal interprété et mal appliqué la loi, dont ils reconnaissent cependant l'ambiguïté, et que les décisions avaient entraîné des pertes considérables de recettes fiscales potentielles.
En l'occurrence, leurs craintes étaient sans fondement. La plupart des fiscalistes du secteur privé et du secteur public qui ont comparu devant le Comité ont affirmé que les décisions reflétaient correctement la loi actuelle. On n'a pas produit non plus d'indications convaincantes des pertes de recettes censées résulter des décisions.
Même si on en était arrivé à la conclusion inverse, et que les décisions avaient effectivement été erronées, le Comité n'est pas sûr qu'il aurait été opportun pour les fonctionnaires du Bureau du vérificateur général de tenter de substituer leur propre opinion à celle de Revenu Canada. On ne peut pas exiger des fonctionnaires, ni d'ailleurs d'aucun autre travailleur, qu'ils atteignent la perfection. Dans la mesure où ils font un travail raisonnable, avec compétence et de bonne foi, les fonctionnaires doivent pouvoir travailler l'esprit libre, sans craindre d'être mis au pilori des années plus tard.
Quoi qu'il en soit, ce ne fut pas le cas. D'après les informations réunies par le Comité, les décisions rendues étaient fondées. Forcé de rendre une décision difficile sur des dispositions complexes et ambiguës de la Loi de l'impôt sur le revenu, Revenu Canada a agi avec prudence et professionnalisme. Le Ministère a consulté son conseiller juridique au ministère de la Justice et les responsables de la politique fiscale au ministère des Finances avant de rendre sa décision. Le Comité imagine mal comment on pourrait imposer aux fonctionnaires des normes de conduites plus élevées.
Le Comité s'interroge sur l'hésitation du vérificateur général à remettre en question l'opinion de ses fonctionnaires sur le jugement professionnel de Revenu Canada, quand tant d'indications lui ont permis de douter de la valeur de cette opinion.
Le Comité craint aussi que le rapport du vérificateur général n'ait compromis la confiance des contribuables dans la confidentialité des renseignements qu'ils fournissent à Revenu Canada. En effet, le rapport du 7 mai 1996 contient beaucoup plus d'informations sur certains contribuables qu'il n'était nécessaire pour expliquer les inquiétudes du vérificateur général. Or, ce rapport n'a pas été déposé à huis clos mais a été largement diffusé, sur papier et sur le site Internet du vérificateur général. Les spéculations n'ont pas tardé sur l'identité des contribuables concernés. La plupart des membres du Comité, et sans doute de nombreuses autres personnes, ont lu ou entendu dire que, compte tenu des informations divulguées, il ne pouvait s'agir que de certaines personnes, et d'aucune autre.
Le vérificateur général a déclaré au Comité avoir obtenu un avis juridique affirmant que le contenu de son rapport ne constituait pas une infraction aux règles de confidentialité de la Loi de l'impôt sur le revenu. Sauf son respect, le Comité se serait attendu du vérificateur général qu'il se rende compte que l'essentiel n'était pas la légalité de ses révélations, mais leur effet. En divulguant plus qu'il n'était nécessaire, le vérificateur général a vraisemblablement semé le doute dans l'esprit des contribuables qui sollicitent des décisions anticipées quant aux assurances que leur donne Revenu Canada en matière de confidentialité. Ces incertitudes ne peuvent que compromettre le mécanisme des décisions anticipées - dont le vérificateur général a lui-même dit qu'il était un précieux service rendu aux contribuables.
Pour toutes ces raisons, le Comité a décidé de placer son examen détaillé des inquiétudes formulées par le vérificateur général dans une annexe spéciale, l'annexe B. Dans cette annexe, nous examinons en détail chacun des points soulevés par le vérificateur général et nous formulons certaines recommandations à caractère administratif à l'intention du ministre du Revenu national.
Les principales recommandations contenues dans le rapport portent sur les principes sur lesquels repose l'imposition des particuliers qui deviennent résidents du Canada ou qui cessent de l'être. Comme il est l'un des trois pays seulement qui ont un régime complet d'imposition des migrants, le Canada applique déjà un des régimes les plus stricts du monde. Le Comité conclut que le régime est sain dans l'ensemble, mais qu'il est possible d'y apporter d'importantes améliorations.
A. Conclusions et modifications législatives recommandées
Voici les principales conclusions du Comité au sujet de la politique actuelle et de la politique éventuelle du Canada relativement à l'imposition des gains des migrants :
-
Dans le cas des non-résidents et des anciens résidents, ne sont imposables
au Canada, comme il se doit, que les gains de source canadienne.
- La notion de bien canadien imposable (BCI) permet de définir les types de
biens à l'égard desquels les gains des non-résidents sont considérés comme étant
de source canadienne. Cette notion s'applique surtout aux non-résidents, mais la
politique canadienne d'imposition des revenus des émigrants exige qu'on
l'applique aussi aux résidents du Canada.
- La politique canadienne consistant à négocier des conventions fiscales bilatérales généralement conformes au modèle de l'OCDE force le Canada à renoncer à imposer certains gains en échange du droit d'en imposer d'autres. Cette pratique est courante dans les pays de l'OCDE.
Sur la base de ces conclusions, le Comité formule les recommandations suivantes.
Recommandation 1 - Classement des biens
Le Comité recommande que le ministre des Finances envisage de modifier la Loi de l'impôt sur le revenu de manière à empêcher toute manipulation impropre ayant pour objet de faire passer un bien de la catégorie des «biens canadiens imposables» - le genre de bien dont les gains en capital auquel il donne lieu sont imposables pour les non-résidents - à d'autres catégories de biens, ou vice-versa.
Recommandation 2 - Portée de la définition de BCI
Le Comité recommande que l'on modifie la Loi de manière à indiquer clairement qu'un bien peut être considéré comme un bien canadien imposable pour n'importe quel contribuable, que le contribuable soit un résident du Canada ou un non-résident.
Recommandation 3 - Distribution des biens d'une fiducie
Le Comité recommande que l'on effectue les modifications nécessaires, au besoin, pour veiller à ce que les gains accumulés sur les biens d'une fiducie distribués à un bénéficiaire non résidant soient imposés au nom de la fiducie ou au nom du bénéficiaire.
Recommandation 4 - Gains accumulés des émigrants
Le Comité recommande que le ministre des Finances envisage de modifier la Loi pour faire en sorte que l'on calcule l'impôt exigible d'une personne qui émigre sur tous les gains accumulés jusqu'à la date de départ, abstraction faite des gains qui n'échapperont jamais à l'impôt canadien en raison d'une convention fiscale, le paiement de l'impôt n'étant dû qu'au moment de la réalisation (à la condition que l'émigrant ait fourni une sûreté suffisante).
Recommandation 5 - Déclaration
Le Comité recommande que tous les particuliers qui émigrent du Canada soient tenus de déclarer la totalité de leurs biens à Revenu Canada au moment où ils émigrent.
B. Conclusions et recommandations relatives aux inquiétudes exprimées par
le vérificateur général
Les principales conclusions du Comité au sujet des problèmes de fond et de procédure décrits dans le rapport du vérificateur général sont résumées ci-dessous.
-
Les décisions anticipées rendues par Revenu Canada en 1985 et en 1991
dont fait état le vérificateur général dans son rapport du 7 mai 1996 étaient
conformes à la loi.
- Aux termes des directives en vigueur, Revenu Canada n'avait aucune
raison de refuser de rendre les décisions, lesquelles clarifiaient une ambiguïté
admise.
- Il n'est pas possible de conclure que les décisions ont entraîné ou
entraîneront vraisemblablement des pertes de recettes importantes pour le fisc
canadien.
- Rien ne permet de croire qu'il y aurait eu ingérence politique ou autre
dans les décisions, ni qu'un fonctionnaire aurait mal agi.
- Revenu Canada et le ministère des Finances auraient pu documenter
davantage le déroulement du processus qui a abouti aux décisions en question.
- Le Comité est heureux de constater que la ministre du Revenu, Mme Stewart, a annoncé dès la publication du rapport du vérificateur général qu'elle avait enjoint au Ministère de prendre immédiatement les mesures voulues pour améliorer la façon dont sont documentées les interprétations de la politique fiscale.
Sur la base de ces conclusions, le Comité formule les recommandations suivantes:
-
Le Comité recommande que Revenu Canada examine les
changements apportés pour assurer la cohérence des décisions anticipées et
des opinions en matière d'impôt et mette en oeuvre les autres changements
éventuellement nécessaires pour atteindre cet objectif.
- Le Comité recommande que Revenu Canada mette en oeuvre le plus tôt possible la publication prévue des décisions anticipées.
Le Comité tient à remercier tous les témoins qui ont comparu devant lui. Le témoignage des experts lui a été essentiel pour qu'il soit en mesure de bien comprendre les complexes questions fondamentales et techniques qu'il avait à examiner. Par ailleurs, en dépit des réserves qu'il éprouve quant à la façon dont le vérificateur général a choisi de présenter la question, le Comité considère que celui-ci mérite des remerciements pour avoir attiré l'attention du Parlement sur ces dispositions fiscales et sur les procédures relatives aux décisions.
C'est grâce à cette initiative que le Comité formule ici des recommandations de changement. Le Comité espère par ailleurs que, dans l'avenir, les résultats des vérifications du vérificateur général seront présentés d'une manière qui préserve l'anonymat des contribuables concernés, encourage le recours au processus des décisions anticipées et respecte la compétence professionnelle des fonctionnaires du Canada.
Pour résumer, le Comité considère que le vérificateur général a eu raison de signaler que les décisions faisaient ressortir la nécessité de revoir les mesures législatives et procédures en cause, mais qu'il a eu tort de contester les décisions elles-mêmes et de jeter ainsi le discrédit sur la compétence des personnes qui les ont rendues.