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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 16 avril 1996

.1536

[Traduction]

Le président: La séance du Comité des affaires étrangères et du commerce international est ouverte. Nous allons donner quelques instants aux représentants des médias pour quitter la salle et, ensuite, nous commencerons.

Nous accueillons cet après-midi l'honorable Lloyd Axworthy, ministre des Affaires étrangères.

Monsieur le ministre, je sais que les membres du comité souhaiteraient que je vous félicite de votre nomination, étant donné que c'est votre première comparution devant le comité. Je vous remercie beaucoup d'avoir accepté de comparaître cet après-midi pour nous parler des prévisions budgétaires et, de façon plus générale, pour faire un tour d'horizon des questions intéressant votre ministère.

Je me permets de signaler à mes collègues que le ministre a fait savoir qu'il était tout à fait disposé à rester jusqu'à 5 heures, et je sais qu'il est impatient de travailler avec les membres du comité.

Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue, ainsi qu'à M. Lavertu et à M. Judd, qui représentent le ministère.

[Français]

L'honorable Lloyd Axworthy (ministre des Affaires étrangères): Je voudrais d'abord vous remercier de m'avoir invité au comité. C'est un grand privilège pour moi d'être ici aujourd'hui.

J'ai examiné vos travaux des années passées et je suis encouragé par votre engagement et par vos réalisations à cet égard. Vos efforts auront renforcé la politique étrangère du Canada de plusieurs façons. Votre comité donne très bien l'exemple de l'appui que peut apporter le système parlementaire à l'élaboration des politiques gouvernementales.

Je veux aussi souligner mon engagement à travailler avec tous les partis et je note la bonne collaboration qui a existé au sein du comité pendant des dernières années. Je veux, par ce forum en particulier, continuer le dialogue avec le comité et avec les Canadiens et les Canadiennes durant cette période de restrictions budgétaires. Je souhaite que le comité contribue au réexamen des priorités de la politique étrangère du Canada.

En effet, je crois que notre politique étrangère est à la croisée des chemins.

[Traduction]

Nous sommes à un tournant, et je souhaite m'attacher aux développements critiques qui se produisent autour de nous et chez nous et qui font de l'élaboration d'une politique étrangère cohérente, intégrée et axée sur des objectifs l'un des défis les plus importants du Canada.

Premièrement, il est très important de comprendre que l'expression «affaires étrangères» est de plus en plus anachronique. De plus en plus les événements qui se produisent à l'extérieur du Canada ont un impact à l'intérieur, et les frontières qui les séparent ne veulent plus dire grand-chose.

Permettez-moi de vous citer quelques faits et chiffres importants. L'investissement étranger direct dans notre pays atteint maintenant au total 150 milliards de dollars par an. Trente-sept pour cent de notre PIB est attribuable au commerce international. Quelque 5 millions de Canadiens sont nés à l'étranger et continuent de se soucier de leurs pays d'origine respectifs et de s'y intéresser. En outre, 4 millions de Canadiens voyagent à l'extérieur de l'Amérique du Nord chaque année pour affaires, en touristes ou pour des raisons familiales. En outre, nous sommes sensibles au fait que le Canada est plongé dans un système mondial d'information continue et d'activité économique où les marchés ne ferment jamais.

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Nous n'invoquons pas des notions abstraites et lointaines quand nous parlons d'«affaires étrangères», mais plutôt la dimension internationale de questions nationales qui touchent et influencent tous les Canadiens presque quotidiennement. Plus que jamais qu'ils sont directement concernés par des événements qui se produisent en dehors de leurs frontières, de sorte que lorsqu'on entend s'élever à l'occasion des voix qui préconisent le retrait, l'isolationnisme ou le protectionnisme, on peut dire qu'elles sont issues d'une époque dépassée qui n'a plus rien à voir avec la réalité qui est la nôtre.

Deuxièmement, il est aussi vrai que, plus les nations du monde deviennent interdépendantes, plus les affaires internationales deviennent complexes. Le besoin croissant d'organes de coordination mondiale a produit un vaste assortiment d'organismes internationaux. Il y a un nombre incroyable d'intervenants qui évoluent maintenant sur la scène internationale. Il y a une prolifération d'entreprises multinationales, d'ONG, de personnes, d'associations et d'organisations.

Il y a aussi une formidable explosion de dossiers qui présentent maintenant un intérêt crucial pour les Canadiens à l'échelle internationale. On ne peut plus parler d'environnement, de santé ou de lutte contre le crime strictement dans un contexte national.

Il importe de noter que ce ne sont pas les armes nucléaires qui représentent pour le Canada l'un des plus graves problèmes de sécurité, mais la dégradation de notre environnement. Or, la pollution ne connaît pas de frontières. C'est un problème dont nous sommes tous responsables à bien des égards. À moins d'y trouver une solution internationale, nous-mêmes ou nos enfants ferons face à une crise d'une ampleur sans précédent.

Il y a également davantage de régimes et d'institutions internationales et, encore là, la croissance des dernières années a été pratiquement géométrique. Je songe notamment au Secrétariat à la biodiversité, à l'Organisation mondiale du commerce, au Forum régional de l'ASEAN, au Sommet économique du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, ainsi qu'à des manifestations récentes comme le sommet qui a lieu cette semaine à Moscou et qui réunit de nouveau les dirigeants du monde, ainsi qu'au sommet consacré à la lutte contre le terrorisme qui s'est tenu il y a quelques semaines à Sharm el Sheikh.

Pratiquement tous les jours ou toutes les semaines, des questions internationales attirent notre attention, et il incombe aux premiers ministres, aux présidents et aux autres leaders d'y répondre de façon efficace. Encore une fois, les frontières ne sont plus pertinentes.

On fait observer qu'au milieu des années 1980, il existait 365 organismes intergouvernementaux de toutes sortes, et non moins de 4 600 organisations non gouvernementales, soit plus de deux fois le nombre enregistré au début des années 1970. Et je suis sûr que ces chiffres ne tiennent pas compte du phénomène le plus profond des années 1990, le réseautage international virtuel des sites du World Wide Web, avec tout ce que cela implique pour le commerce, les droits de la personne, le développement des ressources et l'échange d'idées et d'informations.

Troisièmement, les demandes auxquelles doivent répondre les ressources du Canada à l'étranger augmentent considérablement. En voici quelques exemples au cours des derniers mois. En Haïti, le besoin d'aide à long terme pour créer «l'espace politique et civil» nécessaire à l'édification d'une société démocratique et prospère; dans l'ex-Yougoslavie, l'appel quasi unanime des ONG et des autorités politiques et civiles au maintien de la présence internationale pour la reconstruction du pays; et le combat que mène quotidiennement le Haut-commissariat des Nations-Unies pour les droits de la personne afin de répondre aux demandes d'une communauté internationale chaque jour plus sensible et active concernant les droits de l'homme et l'état de droit dans un grand nombre d'endroits du globe.

Sur cette toile de fond se superpose un quatrième développement. Nos organismes de politique étrangère - le ministère des Affaires étrangères et du commerce international, l'Agence canadienne de développement international et le Centre de recherches sur le développement international - font face à une réduction de leurs ressources afin de contribuer à la lutte contre le déficit. Pour vous donner une idée des choix difficiles qui s'imposent, permettez-moi de vous citer quelques chiffres éloquents.

Depuis 1988-1989, le ministère aura comprimé son budget à 10 reprises, le total des compressions s'élevant à 292 millions de dollars jusqu'en 1998-1999. Or, voici ce que représente 100 millions de dollars dans ce contexte: le salaire de 80 p. 100 de notre personnel à l'administration centrale, ou encore les dépenses totales actuelles au chapitre des affaires consulaires, des relations culturelles et des communications. Mais il y a plus grave encore, de 1988-1989 à 1998-1999, soit en l'espace de 10 ans, le pourcentage des dépenses touchant les programmes centraux, c'est-à-dire les dépenses discrétionnaires, tombera de 70 à 36 p. 100 des dépenses totales.

Pourquoi? La réponse est assez évidente. Les quotes-parts du Canada aux dépenses des organisations internationales comme l'UNESCO, l'OIT, les secrétariats de l'ALENA et autres organismes sont passées de 137 à 227 millions de dollars, soit une augmentation de 66 p. 100. En outre, les coûts des opérations de maintien de la paix sont passés de 7 à 134 millions de dollars, une hausse de 1 800 p. 100 au cours de cette période.

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Donc, il y a une plus grande complexité, des exigences accrues et davantage de pertinence. Nos vies sont constamment façonnées et refaçonnées par ce qui se passe dans le monde.

Il est clair que pour maintenir une politique étrangère digne de ce nom, nous devons entreprendre un sérieux travail de restructuration et de réoutillage pour ce qui est des mécanismes opérationnels. Sans compter qu'il faut réviser nos priorités. Nous ne pouvons plus nous permettre de tolérer des recoupements et des chevauchements. Dans l'administration fédérale, il faut rendre plus cohérente la multitude d'activités internationales que mènent quelque 10 ministères fédéraux, à part le MAECI.

Au niveau des organismes d'affaires étrangères, il faut revoir attentivement la nature et la modalité des prestations de l'aide au développement pour maximiser notre efficacité. Au sein du MAECI, il faut assurer une meilleure coordination et de meilleures corrélations et, surtout, plus de souplesse. Entre les différents niveaux de gouvernement, il faut aussi examiner la coordination et la corrélation et réviser les rôles et responsabilités en fonction d'une efficience maximum et d'une orientation vers un but commun.

À cette fin, je vais revoir avec les ministres du portefeuille les rôles et les responsabilités des Affaires étrangères, leur gestion, leur structure, leurs opérations et leurs représentations à l'étranger, y compris les immeubles. Cet examen devrait permettre de dégager bientôt des options pour la réduction des dépenses et la production de recettes et, surtout, la rationalisation des politiques et des ressources.

Je reviendrai avec plaisir communiquer nos réflexions au comité en temps utile, soit d'ici quelques mois. Entre temps, je puis annoncer aujourd'hui que les perspectives financières de mon ministère, qui présentent un aperçu détaillé des prévisions budgétaires, seront déposées au milieu de mai pour respecter le délai du comité.

Le gouvernement ne poursuivra pas seul ces initiatives. Ce serait évidemment impossible. Nous voulons que votre comité, et par votre entremise, les ONG, les intervenants et les Canadiens intéressés, nous aident à définir notre nouveau programme. Nous souhaitons que nos ressources et notre action soient axés sur les besoins les plus apparents.

Les objectifs de la politique étrangère canadienne ont été fermement établis par les membres du comité, à la suite de l'étude qu'ils ont effectuée en collaboration avec leurs homologues du Sénat. La prospérité, la sécurité ainsi que les valeurs et la culture canadiennes en sont les trois piliers, mais dans l'orbite de ces objectifs de base, il nous faut maintenant établir des priorités concrètes et précises.

J'invite le comité à examiner maintenant les priorités de politique étrangère du Canada. Il pourrait y consacrer quelques semaines au cours des mois à venir, appelant des témoins selon les besoins. Le comité pourra ensuite présenter au Parlement un rapport assorti de recommandations.

Monsieur le président, j'espère que le comité jugera bon d'en faire un processus annuel qui renforcerait le rôle du Parlement en démocratisant la politique étrangère et en faisant participer un plus grand nombre de Canadiens au dialogue sur le rôle qui nous revient en ces temps instables. Il ne faut pas graver dans la pierre des objectifs permanents mais plutôt se livrer à un exercice annuel d'examen de ce qui est important. J'invite aussi le comité à faire la même chose que le Comité des finances dans le contexte pré-budgétaire. En effet, ce comité joue un rôle de liaison fort valable en permettant, d'une part, aux Canadiens d'exprimer leurs opinions et, d'autre part, au Parlement de soumettre ses idées et ses propositions.

J'invite aussi le comité à me formuler en permanence des recommandations sur les nouvelles crises, les priorités qui émergent et les événements qui se produisent soudainement, mais qui exigent la participation des Canadiens, comme les récents développements à Cuba, en Haïti, en Chine, à Taïwan ou, comme on le voit maintenant, au Moyen-Orient. Le comité peut être une tribune de réactions rapides et ainsi donner aux Canadiens le sentiment qu'il y a un endroit où ils peuvent se faire entendre et exprimer leurs opinions.

Ainsi, la semaine prochaine, je participerai à des réunions sur la lutte internationale contre le terrorisme à l'occasion de la réunion des ministres des Affaires étrangères au Luxembourg. J'assisterai aussi à la réunion des ministres du Commonwealth à Londres, qui portera sur la restauration de la démocratie au Nigéria. Je pense que ces deux questions intéressent vivement les Canadiens. Si les membres du comité, collectivement ou individuellement, souhaitent me communiquer leurs opinions ou leurs idées, je les accueillerai volontiers. Cela serait tout à fait opportun.

Comme vous le savez, le Parlement joue un rôle de plus en plus actif en politique étrangère. Déjà, il a tenu plusieurs débats sur des questions comme la situation en Haïti et dans divers pays où nous participons à des missions de maintien de la paix. Cela va évidemment continuer.

Monsieur le président, à la suite de discussions avec vous, avec des députés de l'opposition et d'autres membres du comité, j'ai appris avec intérêt que le comité souhaite agir davantage comme organe permanent de surveillance. Au lieu de se borner à organiser une série de débats parlementaires ponctuels, le comité lui-même pourrait surveiller en permanence les engagements de maintien de la paix en cours et faire régulièrement rapport sur l'évolution de la situation. Nous pourrions recevoir des membres du comité des rapports et des recommandations. En effet, nous jugeons important d'avoir avec le comité des échanges constants.

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Je sais que vous avez aussi commencé à mettre sur pied des forums de consultation, comme celui qui doit avoir lieu sur l'aide au développement. Voilà une heureuse initiative que je vous encourage à renouveler et à développer.

Plus particulièrement, monsieur le président, je souhaiterais, si vous le pouviez... Je sais que le comité s'intéresse au Conseil de l'Arctique et qu'il prévoit aller dans le Nord. Je suis moi-même rentré la semaine dernière de Russie, où j'ai eu des discussions approfondies avec le ministre des Affaires étrangères et le premier ministre. Je peux vous dire que les membres du gouvernement russe souhaitent vivement élaborer avec le Canada un plan concret de relations bilatérales portant sur toutes les questions intéressant le Nord, soit le transport, le commerce, l'environnement, les droits des Autochtones et la sécurité. Les Russes souhaiteraient commencer à discuter de ces questions de façon directe et suivie. Par conséquent, le travail du comité arrive à point nommé.

J'ai dit au premier ministre de Russie que nous souhaiterions organiser à l'automne prochain une réunion du Comité intergouvernemental Canada-Russie pour établir un plan d'action non seulement dans une perspective multipolaire, mais aussi bilatérale. En marge de la mise en place imminente du Conseil de l'Arctique cet été, je souhaite que le comité nous aide à établir ce plan d'action avec les Russes pour que nous puissions enfin le mettre en oeuvre.

Monsieur le président, avant de passer aux questions, permettez-moi d'aborder certains points prioritaires que nous voudrons sans doute régler rapidement.

Premièrement, la responsabilité et la mission premières du gouvernement du Canada, par l'entremise du ministère des Affaires étrangères et du commerce international est d'assurer la protection des Canadiens et de leurs intérêts à l'étranger. Nous devrons examiner la nécessité de créer de nouveaux instruments internationaux d'ordre juridique et autres permettant d'aider les Canadiens en difficulté à l'étranger et de leur prêter assistance, ainsi qu'à leurs familles, au besoin. J'annoncerai sous peu la nomination d'un conseiller spécial des affaires consulaires qui sera chargé de représenter les Canadiens qui ont maille à partir avec des gouvernements étrangers. Ce conseiller pourra porter une attention directe à ces questions.

Avec votre autorisation, monsieur le président, je voudrais attirer l'attention du comité sur la nouvelle publication Bon Voyage, que je serai heureux de vous distribuer. Cette publication sera remise au million et demi de Canadiens qui se rendent dans nos bureaux de passeport tous les ans. Elle contient quantité d'informations à l'intention des gens qui se rendent à l'étranger.

Le plus intéressant, cependant, c'est qu'elle est financée par la publicité. Il s'agit d'un exercice de recouvrement des coûts qui permet aux entreprises qui bénéficient de la clientèle des Canadiens qui voyagent à l'étranger de contribuer à financer l'information dont ils ont besoin. C'est un exemple qui montre que nous pouvons travailler en collaboration avec le secteur privé pour fournir des renseignements de ce genre.

D'autres publications semblables sont en cours de préparation et aborderont les sujets suivants: les Canadiens arrêtés à l'étranger; les enlèvements internationaux d'enfants; les conseils aux Canadiens concernant les changements qui se produiront à Hong Kong l'an prochain; les voyages effectués par des femmes dans les pays étrangers et les lois qui s'y appliquent. Encore là, si le comité a quelques recommandations à faire au sujet d'autres renseignements qui pourraient être fournis aux Canadiens, j'en prendrai note volontiers.

Monsieur le président, je voudrais aussi aborder dans ma déclaration liminaire l'autre grand sujet de préoccupation du comité, soit la création d'emplois pour les Canadiens par une promotion plus intensive des échanges. Je sais que mon collègue, le ministre du Commerce international, doit comparaître devant le comité pour vous donner un aperçu des activités qu'il mène dans ce domaine. Par conséquent, pour ne pas prendre trop de votre temps, je me bornerai à dire que, pour y arriver, le plus important est d'avoir un engagement constructif avec d'autres pays.

Nous ne pouvons nous limiter aux échanges commerciaux. Il faut que nos rapports portent sur une multitude d'aspects. Ainsi, notre participation à des programmes de réfugiés nous aident à ouvrir une ligne de communication, une ligne d'accueil. Les efforts que nous déployons ensemble dans le dossier de l'environnement ou dans le dossier de la santé à l'échelle internationale nous donnent un accès, une réponse. L'une des choses dont nous sommes le plus fiers, c'est la façon dont nous sommes reçus en tant que Canadiens. Nous sommes les bienvenus pratiquement dans tous les pays étrangers que j'ai visités. Par conséquent, nous bénéficions d'entrée de jeu d'un climat, d'une atmosphère propice à des activités économiques plus directes.

Un troisième domaine revêt beaucoup d'importance à mes yeux, et c'est la protection et la promotion des intérêts nationaux du Canada. À cet égard, permettez-moi de signaler que nos relations avec notre plus important partenaire, les États-Unis, sont aussi nos relations les plus fructueuses. Nous avons réussi ce tour de force depuis de nombreuses années. Cela dit, il est manifeste que lorsqu'il s'agit de population et de force économique, nous ne traitons pas d'égal à égal. Il faut donc créer des mécanismes, par exemple entretenir des contacts bilatéraux plus réguliers, pour améliorer encore nos relations, les rendre plus étroits encore et plus avantageuses pour nous.

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J'ajouterai, du même souffle, qu'il ne faut pas hésiter à défendre nos intérêts au besoin. Durant mon récent voyage à Washington, j'ai fait valoir à mes homologues américains l'importance, pour les générations actuelles et futures, qu'il y a à respecter les objectifs de conservation fixés dans le Traité sur le saumon du Pacifique. Je leur ai fait remarquer que nous avions intérêt, de part et d'autre, à résoudre les points en litige. Il faut trouver une solution qui respecte à la fois nos objectifs à court terme pour la saison de pêche 1996 et nos objectifs à long terme, soit la conservation et le partage équitable de la ressource que constituent les stocks de saumon. J'ai proposé à cet effet que les États-Unis et le Canada s'entendent pour recourir à l'arbitrage obligatoire. Mes interlocuteurs envisagent en ce moment cette solution.

J'ai également signifié la grande préoccupation du Canada relativement à l'application extra-territoriale de la législation américaine, en l'occurrence de la loi Helms-Burton concernant l'établissement de liens commerciaux avec Cuba. Le secrétaire d'État, M. Christopher, en a pris acte et m'a dit qu'il tiendrait compte des intérêts et des inquiétudes du Canada à cet égard. L'administration américaine a accepté de nous consulter, ainsi que d'autres pays, sur l'application des dispositions de la loi et plus particulièrement de celles qui restreignent l'admission temporaire aux États-Unis.

Le quatrième domaine que je veux aborder, le domaine de la défense des droits de la personne, mérite l'attention spéciale des membres du comité. Comme vous le savez, je reviens de Genève, où j'ai pris la parole devant la Commission des droits de l'homme et je me suis entretenu avec le Haut-commissaire pour les droits de l'homme. J'ai exposé diverses mesures qu'à mon avis, nous pourrions prendre pour renforcer le rôle de l'ONU concernant la protection des droits fondamentaux: adopter des lois pour lutter contre le tourisme sexuel visant les enfants, encourager les entreprises et les autres intervenants non gouvernementaux à assumer une part de responsabilités afin d'éviter les abus, créer des organismes nationaux efficaces de surveillance des droits de l'homme et lutter contre la propagande haineuse, ce qui m'apparaît essentiel.

Pour empêcher la violation des droits, parfois à très grande échelle, comme l'illustre le génocide au Rwanda ou la purification ethnique en Yougoslavie, il faut faire en sorte d'étouffer le flot de haine qui les précède.

L'Internet est une importante ressource de communication qui relie les gens au-delà des différences nationales, culturelles et linguistiques. Or, par sa nature même, il peut aussi devenir un canal pour la propagation sans retenue de la haine. Parce qu'il joue un rôle de premier plan dans la technologie de l'information, le Canada devrait se faire le promoteur d'une solution qui consisterait à relier le droit à la liberté d'expression et la responsabilité de défendre la dignité des personnes. À cet égard, l'Internet pourrait servir de véhicule privilégié pour assurer la liberté de la presse, préoccupation constante des ONG internationales.

Si vous me permettez une parenthèse, monsieur le président, j'aimerais dire quelques mots au sujet de ma visite récente en Bosnie. À cette occasion, nous avons examiné un certain nombre de problèmes liés à la mise en oeuvre du volet civil des activités. L'un des plus sérieux obstacles au bon déroulement du processus électoral est la difficulté d'assurer la liberté d'accès aux journalistes et aux médias, ainsi que l'expression de différents points de vue.

Je sais que ce n'est pas toujours le sujet favori des politiques, mais le fait est que, pour que ces élections soient un succès, il faut qu'il y ait une diffusion plus large de divers points de vue et perspectives médiatiques. Il faut faire échec au climat des dernières années, climat de méfiance intense, de haine et de discrimination. Il y a des personnes qui souhaitent le faire. Il y a des ONG sur place. Leur personnel collabore avec nos soldats, lesquels déploient énormément d'efforts pour favoriser la dissémination de l'information. C'est le travail du comité de Carl Bildt et du comité des observateurs d'élections sous l'égide de l'OSCE.

Tous les intervenants sont revenus en nous disant qu'il fallait instituer un système de soutien et investir des ressources pour assurer la liberté d'accès à l'information. Monsieur le président, j'espère qu'avec mes collègues, M. Pettigrew et M. Eggleton, et avec l'aide d'associations journalistiques ici au Canada, nous pourrons fournir une aide directe pour instaurer la liberté de la presse dans le contexte du processus électoral.

Il faut se rendre à l'évidence, monsieur le président, l'information est devenue une source de pouvoir énorme en soi. Par conséquent, c'est devenu un élément de notre politique étrangère. Jusqu'ici, nous n'y avons guère prêté attention, et je pense qu'il est temps de regarder de plus près ces nouvelles sources d'information très puissantes, et la façon d'en protéger l'accès.

J'espère que le Canada jouera dans diverses tribunes un rôle de chef de file pour permettre l'instauration d'un système beaucoup plus ouvert. Cela pourrait être l'une des meilleures contributions que nous pourrions faire à l'implantation de la démocratie dans le monde.

.1600

Je ne parlerai pas du développement international, monsieur le président, puisque le ministre du Commerce international comparaîtra bientôt devant le comité.

En dernier lieu, j'aimerais parler de la nécessité de renouveler l'ONU. Notre gouvernement demeure convaincu que l'ONU est la pierre angulaire du système multilatéral. Or, nous nous inquiétons beaucoup des répercussions de la crise financière qui menace d'éclater. Cette crise est provoquée par des pays, dont les États-Unis, qui ne paient pas leurs cotisations, et par une superstructure onusienne qui manque souvent d'efficience et d'efficacité opérationnelle. Il en résulte une crise de confiance dans la capacité de l'ONU à régler les problèmes de notre temps. Nous entendons déployer des efforts considérables de collaboration avec divers autres pays pour agir, et agir rapidement.

Il est un endroit où nous pouvons montrer au monde que l'ONU peut fonctionner, c'est Haïti. En s'attachant à créer une police haïtienne crédible et efficace, le Canada est bien placé pour aider les Haïtiens à instaurer la paix chez eux. D'ailleurs, je me rendrai en Haïti en mai prochain pour réévaluer la contribution du Canada. Encore une fois, toutes les observations que voudront faire les députés du comité à cet égard sont les bienvenus.

À mon avis, le Canada a contribué pour beaucoup à faire en sorte que le maintien de la paix s'adapte aux demandes qui résultent de nouvelles formes d'instabilité, tels les conflits internes qui débordent sur d'autres pays. Premièrement, nous allons poursuivre la mise en oeuvre des parties opérationnelles de l'étude sur une force d'intervention rapide amorcée par mon prédécesseur. Deuxièmement, nous allons définir des procédures permettant de déployer plus rapidement et plus facilement à l'étranger les instructeurs de police canadiens.

Et enfin, nous allons examiner tout le volet civil du maintien de la paix pour voir si nous pourrions mobiliser plus largement les compétences et l'expérience du Canada afin d'aider les pays déchirés par la guerre à reconstruire leur société civile, notamment en ex-Yougoslavie. Dans le cadre de cet effort, il faudra nous pencher sérieusement sur l'imposition de la paix, et non seulement sur le maintien de la paix, sur la participation croissante des troupes de l'ONU et d'autres organismes à des tâches civiles comme le surveillance d'élections, la reconstruction économique, l'observation des droits de l'homme et l'assistance sociale.

En dernier lieu, monsieur le président, je pense qu'il nous incombe à tous de faire un effort considérable pour intéresser la prochaine génération de leaders au Canada à ce qui se passe à l'étranger. Comme je l'ai souligné, les «affaires étrangères» sont de plus en plus intérieures. Il deviendra important que le plus grand nombre possible de jeunes comprennent cette réalité et commencent à participer à la définition de notre rôle dans le monde.

Nous allons utiliser notre mécanisme de consultation pour associer les jeunes aux affaires internationales. À cet égard, nous collaborons avec le ministre du Développement des ressources humaines pour ajouter au programme d'apprentissage un volet international permettant à des jeunes d'aller travailler à l'étranger.

Ces priorités que je viens de mentionner ne sont évidemment pas exhaustives, mais j'espère qu'elles pourront vous servir de point de départ. Je suis impatient de prendre connaissance de votre point de vue.

Merci à nouveau, monsieur le président, de m'avoir invité à comparaître. Je suis prêt à répondre aux questions.

Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre. Vous venez de nous soumettre un défi de taille. Je pense que pour réaliser les objectifs que vous nous soumettez aujourd'hui, il faudrait que nous commencions à siéger sans interruption.

M. Axworthy: Vous seriez ainsi à l'écart de toute mêlée à la Chambre, monsieur le président.

Le président: Je pense que les membres du comité n'auront aucune difficulté à relever votre défi, monsieur le ministre, dans la mesure où nous disposerons des ressources voulues.

Monsieur Bergeron.

[Français]

M. Bergeron (Verchères): Monsieur le ministre, c'est la première fois que nous avons l'occasion de vous accueillir parmi nous et c'est un plaisir de vous y accueillir. Nous osons espérer que ce ne sera pas la dernière et que nous pourrons établir une collaboration très étroite avec le ministère.

Cela dit, j'aimerais beaucoup pouvoir entreprendre un échange avec vous sur les perspectives que vous avez en tête pour les travaux de ce comité, mais là n'est pas l'objet principal de cette rencontre, qui doit porter sur le budget des dépenses du ministère.

Revenons-en aux questions sérieuses et parlons des dépenses du ministère. Nous constatons, dans les chiffres qui nous sont fournis, une certaine baisse dans le budget du ministère.

Soit dit en passant, je me permets de signaler que la baisse qu'on impose au budget de l'aide au développement est encore une fois plus élevée proportionnellement que celle qu'on impose à l'ensemble du ministère.

Cela me semble assez paradoxal compte tenu de l'engagement qui a été pris par le gouvernement visant à faire en sorte qu'on atteigne l'objectif de 0,7 p. 100. Je pense qu'on atteint 0,25 p. 100 avec ces baisses successives qui sont imposées au budget de l'aide au développement.

Cela dit, il y a bien sûr un certain nombre d'augmentations, notamment pour la participation du Canada aux opérations de maintien de la paix, mais dans l'ensemble, on a imposé un certain nombre de réductions budgétaires au gouvernement fédéral, plus particulièrement au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.

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J'aimerais savoir si ces réductions budgétaires n'affectent pas d'une certaine façon les opérations du ministère, particulièrement à l'étranger. Il y a quelques jours, à mon bureau, on a soulevé le cas d'un Canadien qui a fait parvenir une lettre à l'ambassade du Canada aux Philippines. On lui a renvoyé sa lettre parce qu'elle n'était rédigée qu'en français.

Les baisses de budget du ministère font-elles en sorte qu'on n'est plus en mesure de fournir le service adéquat dans les deux langues officielles au ministère des Affaires étrangères?

M. Axworthy: Au contraire, le ministère des Affaires étrangères est complètement bilingue. S'il existe un problème à l'ambassade de Manille, je voudrais qu'on me fournisse l'information et je ferai certainement enquête là-dessus.

M. Bergeron: Nous avons toutes les données pertinentes et je me ferai un plaisir de vous les communiquer immédiatement après la rencontre.

On a récemment procédé à la rénovation du Centre culturel canadien à Paris. Bien que ces rénovations aient été jugées nécessaires et donc tout à fait acceptables, il y a lieu de s'interroger sur leur pertinence - ce sont des rénovations de façade - , sachant qu'on a réduit les budgets reliés à la programmation pour les produits culturels québécois, qui sont le principal objet du Centre culturel canadien à Paris. Donc, comment évalue-t-on la pertinence d'une rénovation d'édifice alors qu'on réduit les budgets du programme pour lequel sert l'édifice?

M. Axworthy: Lors de ma visite à Paris, il y a deux semaines, je suis allé au Centre culturel canadien. D'abord, c'est un endroit très efficace pour exprimer le fait canadien. C'est près du Quai d'Orsay, etc. Ces changements sont importants; ils ne sont pas que cosmétiques. La structure inclut l'audiovisuel et un nouveau système informatique, soit une librairie électronique pour accéder aux archives, ainsi qu'un espace pour la présentation d'expositions et de spectacles, etc.

J'espère que lorsque le Centre ouvrira cet automne, on pourra mobiliser le secteur privé et le ministère du Patrimoine pour faire une présentation des faits canadiens à Paris avec des artistes pour les enfants comme le Cirque du Soleil et des expositions sur les autochtones au Canada.

Ce serait une belle occasion pour présenter en Europe, en français, les faits divers du Canada, et également pour exprimer notre aptitude dans la technologie et les communications et dans le secteur de la culture. Ce sera une bonne affaire à Paris.

M. Bergeron: Vous me permettrez de revenir un peu à la charge sur cette question-là. En quoi les rénovations de l'édifice peuvent-elles être aussi pertinentes si les programmes, qui rendent cet édifice tout à fait utile, ont été réduits de façon substantielle, à un point tel que les programmes de subvention et la programmation culturelle se retrouvent avec un budget plutôt anémique?

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Pourrait-on avoir les chiffres sur la rénovation du Centre culturel canadien à Paris et sur les réductions imposées à la programmation culturelle?

M. Axworthy: Nous avons maintenu les programmes culturels. Je pense que les dépenses sont de 4,5 millions de dollars. Peut-être que M. Lavertu veut ajouter quelque chose.

M. Gaëtan Lavertu (sous-ministre associé, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): À partir du moment où le gouvernement s'est donné comme troisième objectif principal en politique étrangère de projeter les valeurs et la culture canadiennes à l'étranger, le ministère, conformément à cet objectif, s'est donné l'obligation de protéger le plus possible les programmes culturels, malgré les réductions qui lui étaient imposées.

La plupart des réductions ont été faites dans les dépenses administratives et non dans les programmes, de telle sorte que les programmes culturels ont été largement protégés et qu'on s'est organisé pour effectuer ce travail d'une façon beaucoup plus efficace.

Par exemple, nous avons créé, au sein du ministère des Affaires étrangères, une Direction de la promotion des produits culturels, adoptant en cela une attitude un peu plus commerciale. C'est-à-dire qu'on ne se limite plus, désormais, à la présentation d'artistes à l'étranger ou à la promotion d'échanges universitaires. Il y a vraiment une promotion active de produits culturels spécifiques sur les marchés étrangers, dans les secteurs culturel et commercial du ministère.

M. Axworthy: Nous avons commencé un dialogue transatlantique avec les Européens, notamment les Français, pour examiner la possibilité d'un partenariat à l'égard du commerce, de la sécurité et de la culture.

Je pense que l'établissement du Centre culturel de Paris est une bonne réponse au dialogue transatlantique pour élaborer un système d'échanges entre la France et le Canada pour la culture, les communications, etc. Le commerce est rattaché à ce secteur.

M. Bergeron: Ce n'est pas là l'objet...

Le président: Je veux vous demander une question pour que les autres membres du comité puissent comprendre. Êtes-vous à la page 43 du budget des dépenses?

J'ai pu trouver des références à des chiffres globaux de dépenses sur la culture mais pas de chiffres spécifiques pour l'établissement à Paris. Est-ce qu'il y a dans le fameux document une indication, tant spécifique que générale, sur ce qu'on dépense à Paris?

M. Bergeron: Je n'ai pas sous les yeux les renseignements fournis dans le budget des dépenses et je demandais justement au ministre s'il était en mesure de fournir les chiffres exacts sur la programmation culturelle, à Paris plus particulièrement.

Je sais fort bien que ce n'est pas là l'objet de cette rencontre, mais permettez-moi d'exprimer le souhait que, dans ce projet d'établir des relations plus étroites avec les pays européens sur les questions de sécurité, commerciales, culturelles, de communication et d'éducation, le gouvernement fédéral saura s'associer aux provinces et travailler en étroite collaboration avec elles.

J'ai signalé tout à l'heure qu'il y avait une augmentation substantielle des frais de participation aux opérations de maintien de la paix de l'ONU. Je crois qu'il s'agit d'un montant additionnel de 63,2 millions de dollars. On sait que le Canada paie assidûment sa cotisation à l'ONU ainsi que sa cotisation pour les opérations de maintien de la paix.

.1615

Nous savons également que certains pays ne paient pas aussi assidûment leurs contributions tant à l'ONU qu'aux opérations de maintien de la paix et que l'ONU, pour assurer la poursuite de ses opérations, doit souvent piger dans le budget des opérations de maintien de la paix, de sorte qu'un pays comme le Canada, qui contribue largement en termes de troupes aux opérations du maintien de la paix, ne se fait pas rembourser les frais engagés.

Bien sûr, le cas d'Haïti est tout à fait différent pour les raisons que l'on connaît, mais est-ce que le Canada envisage de poursuivre sa participation déficitaire aux opérations de maintien de la paix? Si oui, de quelle façon et à quelle échelle?

[Traduction]

M. Axworthy: Monsieur le président, je m'inquiète évidemment, comme l'honorable député, du fait qu'un bon nombre de pays ne paient pas leurs quotes-parts. Nous l'avons déjà dit de façon très claire, et je l'ai souligné quand j'ai pris la parole aux Nations Unies il y a deux semaines. Il est déplorable qu'une institution ayant un budget à peu près semblable à celui de la ville de New York n'obtienne pas le soutien dont elle a besoin alors qu'elle remplit une mission aussi vitale à l'échelle mondiale. Nous ferons tout notre possible pour y remédier. Nous travaillons sans relâche aux Nations Unies. Nous faisons des représentations, et je me suis déjà adressé directement à différents ministres des Affaires étrangères au sujet de nos préoccupations. Nous coopérons étroitement également avec l'Union européenne relativement à des plans ou à des formules qui pourraient améliorer la situation.

D'ici là, nous ne pouvons pas abandonner le travail qui doit se faire à l'ONU. Nous devons continuer de faire notre part, qu'il s'agisse de surveiller le respect des droits de la personne au Guatemala pour s'assurer qu'on progresse vers la mise en place d'un système plus ouvert dans ce pays, ou qu'il s'agisse de maintenir des troupes dans l'ancienne Yougoslavie - l'IFOR a repris le rôle essentiel, mais comme vous le savez il subsiste un important contingent de l'ONU dans la partie est de la Slovénie, et il est absolument capital de maintenir la paix entre l'ancienne Serbie et la Croatie - si ces soldats partaient, si on les retirait, ou si on ne pouvait pas les payer, les risques de conflit augmenteraient. Voilà les engagements que nous avons pris.

Nous avons récupéré de l'argent. Je pense que l'année dernière nous avons reçu environ 50 millions de dollars en remboursement, ce qui est proportionnel. On nous doit toujours de l'argent, cela ne fait aucun doute, mais on essaie de nous rembourser ce qu'on peut. Entre temps, je pense qu'il vaut beaucoup mieux que nous demeurions à l'avant-garde, que nous assurions le leadership en essayant de maintenir le système de l'ONU, et d'amener les gens à acquitter ce qu'ils doivent, tout en cherchant à réduire le coût du système.

Je ne pense pas que cela ait beaucoup retenu l'attention, mais vous serez peut-être intéressé d'apprendre que l'année dernière le Canada a été l'un des premiers pays à presser l'ONU d'adopter un budget à croissance zéro, ce qui a été décidé quelques jours avant Noël. Nous disons donc à l'ONU qu'elle ne peut tout simplement pas continuer de multiplier les agences et les organisations et qu'elle doit mettre de l'ordre dans ses affaires. Nous bénéficions d'un certain effet de levier ou de certaines ressources du fait que nous sommes un pays qui acquitte ses factures, ce qui nous permet d'exercer, à ces tribunes, une véritable influence pour essayer d'enclencher les réformes que nous jugeons nécessaires.

Je le reconnais donc, cela ne me plaît pas, et j'espère que nous serons pleinement remboursés. En attendant, je pense que nous devons traverser cette crise et tenter de la résoudre, plutôt que d'agir comme d'autres pays et d'éviter toute participation active.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Mills.

M. Mills (Red Deer): Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre. J'ai trouvé particulièrement intéressantes certaines de vos observations, notamment sur le rôle de surveillance que joue le comité eu égard aux questions qui se posent actuellement dans le monde. Nous sommes tout à fait disposés à examiner des questions comme celles du Conseil arctique, du Nigéria et d'autres encore. Monsieur le ministre, vous avez présenté beaucoup de bonnes idées. Il est à souhaiter qu'elles soient acceptées et rendent le comité plus efficace.

J'ai tenté d'aborder directement le budget principal. J'ai dix questions à vous poser, et je vais donc vous demander de condenser autant que possible vos réponses. De mon côté, je vais essayer de poser des questions très concises. Je vous ferai parvenir celles que nous ne pourrons pas débattre et vous demanderai d'y répondre.

Le président: Pouvons-nous condenser le temps?

M. Mills: Non, ne le faisons pas.

D'abord, pour ce qui est des dépenses engagées par l'ONU pour le maintien de la paix, vous avez reconnu qu'elles ont terriblement augmenté. Je vois les prévisions concernant la FORPRONU, qui ont été nettement réduites parce que l'IFOR a essentiellement pris la relève. Nous passons de 36 millions à 86 millions pour les dépenses de l'année qui vient. C'est une augmentation de 238 p. 100 dans une force que l'on a réduite. J'aimerais savoir pourquoi. Je m'en inquiète, parce que l'année dernière, nous avons constaté que la mission en Somalie disposait d'un budget de 5 millions alors qu'elle n'existait plus depuis deux ans.

.1620

Est-ce donc une autre de ces mesures à retardement? En voulez-vous deux de suite, monsieur le ministre? Que préférez-vous?

M. Axworthy: C'est votre question. J'y répondrai. La réponse me semble assez simple. Les prévisions budgétaires, comme vous le savez, ont été établies en septembre dernier avant la création de la mission de l'IFOR. On procédera donc à un réaménagement, et les fonds qui ne sont pas dépensés seront rendus au Trésor.

M. Mills: Très bien. Pour ce qui est de l'ONU, nous reconnaissons qu'il existe un grand nombre de problèmes, notamment ses coûts élevés et tous les problèmes qui en découlent. Nous apprenons que le canton de Genève paie les comptes généraux de l'ONU, que la Cour internationale de la Haye est payée par les Pays-Bas et que, bien sûr, nous accomplissons notre mission à Haïti, dont nous assumons entièrement les frais. Il y a des quantités d'exemples montrant qu'il s'agit là d'une organisation assaillie de difficultés financières.

Nous reprochons aux États-Unis de ne pas payer leur quote-part. Quand nous demandons pourquoi on ne la paie pas, on nous répond que c'est en raison de la lourdeur bureaucratique, des dédoublements d'agences, de l'inefficacité, d'une mauvaise reddition des comptes et du refus de moderniser une organisation qui a maintenant 50 ans. Nous connaissons certains de ces exemples et nous en avons déjà discuté.

Les choses changent avec une lenteur désespérante. Pourquoi ne prendrions-nous pas les devants, à titre de membre en règle des Nations Unies et ne nous réunirions pas avec les ministres des Affaires étrangères d'autres pays pour envisager un remaniement en profondeur de l'ONU? On pourrait établir un échéancier de deux ou trois ans, par exemple, mais au moins on pourrait montrer qu'on fait quelque chose. Je pense que les États-Unis seraient disposés à verser leur quote-part s'ils constataient qu'il s'effectue effectivement un changement réel, mais au train où vont les choses, je ne pense pas qu'ils le feront.

M. Axworthy: Pour répondre rapidement, je dirai que vous avez en partie raison. L'ONU est devenue inefficace à bien des égards, mais nous avons pris des mesures, à titre de pays, pour y remédier. J'ai dit, dans ma réponse précédente, que nous participons activement à un exercice de budgétisation qui, pour la première fois dans les 50 ans d'histoire de l'ONU, a ramené son budget à un taux de croissance zéro. La tâche n'a pas été facile, mais nous y sommes parvenus.

Je pense que nous pouvons faire plus. Je pense qu'il faut examiner de plus près encore les agences à vocation économique et sociale et voir comment nous pouvons les coordonner et les gérer mieux qu'elles ne le sont maintenant. Il y a bien sûr de nombreux cas de dédoublement de programmes aux Nations Unies, et nous examinons la situation.

Un comité a été formé à l'ONU, et nos ambassadeurs y sont. Je vous le dit, monsieur Mills, je ne suis là que depuis huit semaines, mais j'ai déjà rencontré sept ou huit ministres des Affaires étrangères et, dans chaque cas, nous avons traité de la nécessité de réformer l'ONU. Nous avons pris à cet égard des engagements que nous considérons comme sérieux et nous y travaillons. J'espère qu'à mesure que s'approche l'assemblée générale annuelle de l'ONU, à l'automne, nous pourrons travailler davantage à cette proposition. Mais vous avez tout à fait raison. Je pense que cela serait d'un grand secours.

En revanche, toutefois, soyons francs. Il existe au sein du Congrès américain des forces qui, même si l'ONU était un modèle d'efficacité, s'y opposeraient toujours, simplement parce qu'elles ne croient pas en cette organisation. Malheureusement, elles occupent des postes d'influence non négligeables, et cela ne va pas changer. Mais vous visez juste, et je pense que plus on présentera des arguments convaincants en faveur de l'ONU, plus nous serons en mesure de les amener à acquitter leurs factures.

M. Mills: Je pense à un groupe de travail, dont nous ferions partie, ainsi que la Suède et certains des pays qui croient vraiment en l'ONU, et l'on doit vraiment l'appuyer, parce que si elle continue à patauger, la foi en cette organisation va disparaître...

M. Axworthy: Je le reconnais.

M. Mills: ... et vous n'aurez pas ce soutien de la base. Je pense que c'est ce qui est préoccupant.

Troisièmement, quand il se passe quelque chose comme ce qui arrive à Haïti et que l'on accorde 24 millions de dollars pour une prolongation de mission de quatre mois, la réponse au sujet des coûts est que cela vient de quelque part d'autre. J'aimerais que vous vous engagiez à dire que, pour chaque dollar supplémentaire que nous dépenserons, nous montrerons d'où viennent ces dollars, où on a opéré des compressions pour les trouver. Autrement dit, le budget total n'augmente pas. On ne fait que réarranger la masse budgétaire. C'est comme si l'on ne s'en rendait pas compte en raison du budget supplémentaire, où des choses peuvent changer, et parce que nous ne faisons presque jamais cet exercice de retraçage.

.1625

M. Axworthy: Pour ce qui est des dépenses relatives à la mission à Haïti, la Défense nationale a créé une enveloppe pour le maintien de la paix. Je pense qu'elle de l'ordre de 360 millions de dollars par an. Le ministre de la Défense estimait que le coût de toutes les responsabilités relatives à l'envoi de 700 personnes de plus à Haïti pouvait être payé par cette enveloppe. Il ne s'agissait pas de dépenses supplémentaires. C'était couvert par cette enveloppe.

Cela peut vouloir dire que nous ne pourrons pas participer à certains autres exercices, mais comme vous le savez, nous estimions que c'était une priorité. C'est dans notre hémisphère, c'est un pays qui a des liens étroits avec le Canada, et nous pensons que c'était aussi une chance de faire état d'un bon exemple et d'une bonne histoire de redéveloppement. Pour ces raisons, nous avons jugé que c'était une priorité.

Je peux vous donner l'assurance que le ministre des Finances n'a pas attribué davantage de fonds. Cela se trouvait déjà dans cette enveloppe.

M. Mills: Je pense que l'inquiétude a été soulevée le 30 juin quand nous avons réexaminé la situation et ce qui pouvait arriver.

M. Axworthy: Oui.

M. Mills: Combien de temps faut-il à long terme pour reconstruire un pays sans aucune infrastructure? Je pense que nous craignons tous une répétition de l'exemple de Chypre, de ce que cela pourrait coûter. C'est au fond ce que j'essaye de dire.

M. Axworthy: Quand le président Préval est venu, il a indiqué qu'il souhaitait très vivement qu'on puisse mettre fin le plus rapidement possible à la présence des forces internationales de l'ONU et des forces canadiennes. Il veut un régime raisonnablement indépendant, mais il reconnaît qu'il faudra du temps pour reconstituer sa propre force policière. C'est l'élément clé.

Comme vous le savez, compte tenu de l'anarchie qui a sévi à Haïti pendant des années... Il faut une force policière décente, un système judiciaire et un système carcéral qui permettent de maintenir l'ordre. La grande question sera donc de savoir à quel moment on estimera que le moment est venu?

Comme je l'ai dit au début, il est convenu que je me rendrai à Haïti en mai pour m'entretenir avec les autorités haïtiennes. Nous avons aussi des discussions avec ce qu'on appelle «les amis d'Haïti», un groupe au sein du système de l'ONU, afin de connaître leurs vues. Pour l'instant, il s'agit d'une force qui doit rester quatre mois. Nous ne prenons aucun autre engagement.

Je me ferai un plaisir de revenir au comité après cette visite pour vous faire part de mes impressions sur ce qui, à notre avis, pourrait se produire par après.

M. Mills: Pour ce qui est des organisations internationales, nous les examinons, et il en existe un très grand nombre. Dans les 30 dernières années, nous participions à tout. Je ne sais pas si on a procédé à une évaluation d'un bon nombre de ces organisations pour en mesurer l'intérêt réel. Je n'entrerai pas dans les détails. Je pense que vous savez ce que je veux dire.

Quand allons-nous examiner notre participation à toutes ces organisations, établir des priorités et dresser une liste de celles auxquelles nous pouvons ou ne pouvons pas appartenir?

M. Axworthy: Monsieur le président, comme l'a dit M. Mills... J'étais assez ébahi de voir à quel point nous étions toujours prêts à adhérer. Nous faisons partie de presque tout. Et je pense qu'une des raisons qui l'explique, c'est qu'en tant que membre du G-7, en tant que grande puissance, nous devons assurer notre présence. Peut-être s'attend-on à ce que nous assumions de lourdes responsabilités du simple fait que l'on nous a confié ces responsabilités en raison de notre participation au G-7 et à d'autres organisations.

Mais je suis d'accord avec vous. Je pense que cela doit être examiné. J'ai demandé au ministère de faire une évaluation dans le cadre de notre examen de programmes, de notre restructuration.

M. Mills: C'est peut-être quelque chose que le comité pourrait...

M. Axworthy: Nous pourrions vous en faire part. Pour que vous soyez au courant, je présume que cela signifiera que nous allons réduire nos obligations à l'égard de certaines organisations internationales. Je ne peux pas vous dire pour l'instant desquelles il s'agira. Je vais faire procéder à une évaluation. Nous ne pouvons pas être partout tout le temps.

M. Mills: Bien. Par exemple, je regarde la mission de vérification de l'ONU en Angola et je vois que l'année dernière nous avons dépensé un million de dollars et que cette année nous dépenserons 16,5 millions de dollars. Je ne sais pas de quoi il est précisément question, mais cela me semble une augmentation considérable.

M. Axworthy: C'est drôle, mais cela a aussi attiré mon attention.

M. Mills: C'est une forte hausse.

Monsieur le président, peut-être...

Le président: Ne voulez-vous pas aller en Angola, monsieur Mills?

M. Mills: Oui, j'irais bien.

M. Axworthy: Monsieur le président, peut-être pourrons-nous préparer une analyse ou une évaluation de cette question à l'intention de M. Mills.

M. Mills: Combien de temps me reste-t-il?

Le président: Vous avez terminé juste à temps. Je pense que nous allons donner la parole à M. Speller, mais je pense que vous aurez l'occasion de reprendre la parole avant la fin de la séance.

.1630

M. Speller (Haldimand - Norfolk): J'ai trois questions assez brèves, et je vais d'abord parler du Nigéria. Je suis heureux d'apprendre que vous irez à Londres pour rencontrer les ministres des Affaires étrangères du Commonwealth pour vous entretenir du Nigéria. Nous nous souvenons tous de l'expérience que nous avons connue dans le cas de l'Afrique du Sud et combien de temps cela a pris.

Je me demande quels progrès réels on a enregistrés depuis les réunions d'Auckland. Qui surveille effectivement la situation au Nigéria, et quelles autres mesures envisage-t-on de prendre contre ce pays?

M. Axworthy: Pour répondre à votre première question, on n'a pas enregistré de grands progrès. Je pense que les décisions prises à Auckland étaient très importantes et qu'elles ont apporté une certaine réponse, même si l'accueil n'a pas été favorable.

Depuis lors, le gouvernement du Nigéria ne s'est pas du tout montré disposé à tenir compte de la demande des ministres du Commonwealth au sujet de la visite d'une commission de surveillance au Nigéria. On a accepté que l'ONU ouvre une enquête spéciale, et vous êtes sans doute au courant de ce qui en est publiquement résulté. La déclaration qui a été faite était assez désolante en ce qui a trait à la coopération; elle disait simplement qu'on ne leur avait généralement pas ouvert les portes, et que, dans les autres cas, on l'avait fait de façon extrêmement négative.

Je crois qu'il nous faut faire davantage et qu'il est important pour le Commonwealth de montrer la voie dans cette affaire. Il nous faudra envisager des mesures économiques parallèlement à certaines des sanctions politiques qui ont été prises jusqu'ici. Nous avons été en contact avec un certain nombre de membres du Commonwealth et nous avons également parlé de cela aux Européens et aux États-Unis.

J'espère qu'aux réunions à Londres, nous présenterons certaines propositions permettant de faire avancer l'initiative du Commonwealth. C'est là que cette organisation peut jouer un rôle très important et qu'elle pourra peut-être faire accepter aux autorités du Nigéria que leurs actions sont inacceptables et que la communauté internationale, entraînée par le Commonwealth, prendra les mesures voulues pour obtenir les changements nécessaires.

Je ne sais pas si le comité veut examiner la question mais nous envisageons dès maintenant un certain nombre de mesures. Il pourra en effet m'être utile avant d'aller là-bas de savoir ce que les Canadiens préféreraient ou seraient prêts à appuyer. J'engage donc le comité à me faire des suggestions ou des propositions.

Le président: Nous avions espéré avoir une réunion avec Shell avant que vous n'alliez à la réunion de Londres. Malheureusement, la société n'a pas pu répondre à notre invitation et ne viendra que le 18 juin. Il s'agit de poursuivre l'audience que nous avions commencée à la fin de l'année dernière. Nous examinerons donc certainement la question et présenterons un rapport au ministère.

M. Speller: Lloyd, j'aurais une autre question sur un autre pays du Commonwealth, Hong Kong. Je pourrais en reparler et cela touche ma propre circonscription; j'ai en effet des entreprises qui traitent actuellement avec Hong Kong. Je parle de l'industrie du tabac et du ginseng qui traite beaucoup avec Hong Kong. Elle s'inquiète de l'avenir après l'année prochaine.

Quelle assurance pouvez-vous donner à ces gens-là et aux Canadiens originaires de Hong Kong que la vie continuera après que la Chine aura pris le pouvoir? Avez-vous eu des rencontres avec la Chine? Quelles mesures prendrons-nous pour surveiller ce qui se passe à Hong Kong?

M. Axworthy: Tout d'abord, je suis heureux que votre circonscription continue à produire du ginseng. Depuis que j'ai assumé ce poste, je constate qu'il m'en faut des doubles doses pour entretenir mon énergie.

Lorsque le président Qiao était au Canada la semaine dernière, le premier ministre et moi-même avons soulevé la question de Hong Kong pour les mêmes raisons que vous. C'est très important pour le Canada. Nous avons un certain nombre de Canadiens qui ont la double citoyenneté. Nous avons un nombre énorme de relations, commerciales et autres.

On nous a assuré que la Chine respecterait ses engagements aux termes de la loi et de l'accord signé avec les Britanniques. Ils nous ont dit catégoriquement qu'ils satisferaient à toutes ces exigences.

Comme vous le savez, nous avons également entrepris des négociations avec les Chinois afin de nous assurer que les questions de passeport et de visa seront facilitées et que l'on acceptera la double citoyenneté pour que les gens puissent continuer à bénéficier de cet accès privilégié. Nous avons indiqué très clairement qu'il était absolument prioritaire pour nous de protéger les intérêts des Canadiens concernés et un grand nombre de transactions.

.1635

J'ai l'impression que les Chinois comprennent bien cela car ils disent que Hong Kong leur permet de montrer que l'on peut avoir un pays disposant de plusieurs systèmes différents. Il faudra évidemment qu'ils le prouvent.

M. Speller: Pour finir, monsieur le président, j'aurais une question sur les Balkans.

Vous êtes récemment rentré des Balkans. Notre pays a engagé 25 millions de dollars dans le rétablissement de cette région. Pourriez-vous nous dire où vous pensez que cet argent va aller et quels seront les besoins à long terme de la région? Je me pose également la question de l'IFOR et de son mandat d'un an. Il semble qu'on se demande beaucoup maintenant si un an sera suffisant pour mettre en oeuvre les accords de Dayton. Pensez-vous que ce soit assez? Avez-vous l'impression qu'on aura besoin de nos troupes plus longtemps dans cette région?

M. Axworthy: Monsieur le président, c'est une des principales questions que j'ai posées alors que j'étais là-bas. Je vais vous dire que la réponse a été pratiquement partout que c'est peu probable - que l'on s'adresse à des militaires, à des politiques ou aux ONG.

Je dois dire, toutefois, que l'on est parvenu à un niveau de stabilité militaire remarquable. Je me suis brièvement arrêté là-bas et c'est incroyable, le 18 de ce mois, toutes les armées de Bosnie, de Croatie et les Serbes seront dans ce qu'ils appellent leurs cantons. Ils démobiliseront environ 200 000 personnes. Tous les tanks et les armements lourds ont été assemblés et sont sous surveillance. La présence des troupes de l'IFOR, du moins comme je l'ai vu dans le secteur canadien, donne énormément confiance. Ayant parlé à un certain nombre d'ONG et de responsables de développement économique, je trouve que la situation est très rassurante. On sait qu'ils sont là.

Dans un sens, je dirais que l'objectif a presque été dépassé, qu'il a été atteint plus tôt que personne ne l'avait espéré. On se demande toutefois si les autres grandes initiatives comme la reconstruction économique, les élections et l'élaboration d'un genre de code civil pourront être conservées sans l'assurance du maintien d'une certaine forme de stabilité.

Actuellement, la décision est claire. L'IFOR telle qu'elle existe prendra fin. Faudra-t-il quelque chose pour la remplacer? C'est probable, mais qui sait ce que ce sera. C'est une discussion qu'il faudra poursuivre. Ce n'est peut-être pas nécessaire que ce soit une organisation d'une telle ampleur, mais il faudra maintenir une forme de présence internationale; je crois que les pays occidentaux devront accepter cette réalité.

D'un autre côté, je dirai qu'il y a une ou deux choses essentielles qui devront être accomplies. Il est crucial de réussir les élections, et c'est la raison pour laquelle il est nécessaire... Je pense que nous pourrions apporter notre contribution, en particulier en ce qui concerne les journalistes, pour donner libre accès aux médias et favoriser la dissémination des informations.

Autre chose intéressante, je crois que dans l'ancienne Yougoslavie, on peut envisager une participation très active du secteur privé. Le logement est un bon exemple. On m'a demandé dans diverses régions de Croatie, de Bosnie et d'ailleurs, d'aider à la reconstruction des logements. Certes, nous avons dans notre pays de bonnes technologies pour le logement modulaire et d'autres formules de ce genre.

Troisièmement, il va falloir poursuivre l'investissement dans ce que je qualifierais de travail de réconciliation et de réparation. J'ai parlé à un certain nombre de responsables de CARE Canada qui travaillaient avec de jeunes enfants. Ils ont connu des expériences incroyables. D'ailleurs, si vous voulez voir de vrais héros et héroïnes, parlez à ces jeunes Canadiens de CARE qui ont connu tous ces bombardements des deux ou trois dernières années. Ils ont vécu dans ces villes et se sont acquis le respect et la confiance de la population locale.

Un des programmes qu'ils entreprennent actuellement dans les écoles consiste à remédier au traumatisme dont souffrent ces jeunes enfants qui sortent de quatre ans de guerre. Indépendamment des blessures physiques, les blessures psychologiques internes sont énormes. Ce genre de programmes représente une contribution essentielle à cette transition.

Si nous ne nous occupons pas des questions de crimes de guerre et des élections, toutefois, je crains que la réconciliation ne soit pas possible. Il faut de nouveaux dirigeants, et il y a des tas de gens qui sont responsables des atrocités énormes qui ont été commises.

.1640

Je ne sais pas si certains d'entre vous ont eu l'occasion d'y aller, mais je ferai seulement une observation personnelle. Un après-midi, je me trouvais avec les troupes de l'IFOR aux environs de Prijedor, ville du Nord-Ouest. C'est tout près du charnier, et certains des dirigeants de là-bas auraient été impliqués.

Ce qui m'a absolument laissé interdit au cours de ces déplacements, ce fut de voir sur des milles et des milles, des logements qui avaient été totalement et complètement démantelés, dévastés, anéantis. La purification ethnique a pris un tout autre sens pour moi lorsque j'ai vu ce genre d'extermination calculée d'une communauté entière, que ces gens-là aient été déplacés ou mis dans des camps. Je n'ai jamais rien vu de pareil de ma vie. Comment peut-on rationaliser des actes aussi atroces et méchants? Je dois vous dire que c'est quelque chose que la télévision ou un reportage ne peut faire comprendre. Il faut le voir.

Le président: Merci, monsieur le ministre.

[Français]

Madame Debien, vous avez cinq minutes.

Mme Debien (Laval-Est): J'aimerais faire un peu d'humour, au départ, et répondre à la question de M. Speller concernant le ginseng. J'espère qu'on n'utilise pas du lait cru dans la fabrication du ginseng.

Ma question a trait au nombre de missions et d'ambassades, qui va passer de 117 à 129 cette année. Compte tenu des remontrances assez sévères que le vérificateur général avait faites concernant les dépenses extravagantes dans certaines ambassades, est-ce que vous avez émis des directives concernant ces dépenses?

On nous dit aussi qu'il y aura l'achat de six nouvelles chancelleries, la construction d'une nouvelle ambassade, des agrandissements, des réparations et l'achat de terrains à Séoul, pour une somme totale d'environ 140 millions de dollars. On nous dit que ces nouvelles dépenses seront financées à l'aide des ressources existantes et grâce à la rationalisation des opérations à l'étranger. J'aimerais avoir des précisions.

[Traduction]

M. Axworthy: Je vais commencer et M. Judd pourra peut-être compléter ma réponse.

La première chose qu'il faut comprendre est ce que fait une ambassade ou une chancellerie. Ce n'est pas un endroit pour des réceptions ou autres mondanités. On y trouve dix, et quelquefois davantage, ministères fédéraux: immigration, agriculture, santé, commerce extérieur, etc. plus les services consulaires qui protègent nos citoyens. C'est le centre de tout un éventail d'activités. Il faut que cela se situe quelque part.

Dans la plupart des cas, les ambassades doivent être renforcées pour des raisons de sécurité. Il y a des régions du monde où il devient dangereux pour les Canadiens de travailler, et nous devons donc fortifier ou reconstruire ces ambassades pour en améliorer la sécurité.

D'autre part, nous constatons que, dans bien des cas, il est meilleur marché et plus rentable de construire plutôt que de louer parce que, dans certains pays, en particulier dans certains des pays en développement, les loyers sont exorbitants et qu'il est préférable pour nous d'amortir nos propres immeubles sur une certaine période afin de réaliser quelques économies. Cela signifie, d'autre part, que nous pouvons ensuite libérer les propriétés que nous avons actuellement. Plutôt que de nous éparpiller dans plusieurs immeubles, nous pouvons regrouper nos activités dans le même. C'est donc une économie.

Je crois que nous avons économisé cette année environ 30 millions de dollars en vendant des propriétés après avoir regroupé nos services. On réinvestit cet argent dans les nouvelles installations.

D'autre part, comme je le disais dans mes observations liminaires, nous essayons de nous doter des réseaux d'informations les plus modernes pour pouvoir disposer de bien meilleurs services. Nous pouvons ainsi faire circuler les informations dans le monde entier beaucoup plus facilement et beaucoup plus rapidement, ce qui nous permet d'offrir un bien meilleur service aux Canadiens qui en ont besoin.

.1645

Dans d'autres cas, il nous faut simplement construire une nouvelle chancellerie. Un bon exemple est celui de l'Allemagne, où l'on déplace la capitale de Bonn à Berlin. C'est une décision du gouvernement allemand suite à l'unification de l'Allemagne. Nous devons être présents, et il nous faut donc une nouvelle ambassade. Nous pouvons soit en louer une soit en construire une. Nous n'avons pas encore pris de décision à ce sujet mais nous devons avoir une ambassade à Berlin. L'Allemagne est un partenaire important pour nous.

Chacun de ces cas est différent. Je répète que nous examinerons de très près les budgets de nos installations et nous essaierons d'en optimiser l'utilisation.

Peut-être devrais-je expliquer pourquoi il peut arriver que les chiffres augmentent. Mon prédécesseur a entrepris ce qui me semble être des innovations intéressantes. Lorsque nous parlons d'une nouvelle ambassade, quelquefois c'est simplement deux personnes qui constituent un satellite, et cela représente un service très restreint.

Un bon exemple est le genre de chose que j'ai inauguré à Sarajevo la semaine dernière. Il s'agit d'un service très minime avec une ou deux personnes et quelques personnes engagées localement mais c'est essentiel pour la présence canadienne. Nous venons de parler de la nécessité de faire un effort majeur de reconstruction et de protection du processus électoral et des droits civils. Il nous fallait une ambassade là-bas mais c'est quelque chose de très minime. Ce n'est pas ce que l'on voit à Washington, à Paris, à Londres ou à Bonn.

[Français]

Mme Debien: Je ne remets pas en cause l'implantation de nouvelles ambassades ou l'acquisition de chancelleries. Ma question porte sur les dépenses extravagantes des ambassades à la suite des observations du vérificateur général: a-t-on émis des directives aux ambassades concernant la diminution des dépenses dites extravagantes?

[Traduction]

M. Axworthy: Monsieur le président, j'ai demandé à mes collaborateurs et ils ne savent pas trop à quel rapport du vérificateur général la députée fait allusion. Si elle pouvait nous le préciser, nous pourrions répondre.

[Français]

M. Lavertu: Le vérificateur général a examiné les directives actuelles du Service extérieur et a conclu, dans un rapport assez élaboré, que ces directives correspondaient aux objectifs recherchés, c'est-à-dire assurer un niveau de comparaison entre les exigences de la vie à l'étranger et les conditions au Canada. Il a également conclu que les directives du Service extérieur canadien étaient à peu près dans la moyenne de ce que les compagnies étrangères ou les autres services diplomatiques offraient comme conditions à leur personnel à l'étranger.

Il y a peut-être eu des excès dans le passé à un endroit ou à un autre. À mesure que nous nous en rendons compte, nous les corrigeons cas par cas.

En ce qui a trait au système en place en ce moment, je crois qu'il n'y a pas d'exagération. Au contraire, le vérificateur général s'est dit satisfait du bon usage de l'argent mis à la disposition du personnel à l'étranger.

Le président: Merci.

[Traduction]

Monsieur English.

M. English (Kitchener): Je tiens à vous féliciter, monsieur le ministre, de votre nomination et des initiatives que vous avez déjà prises.

Il y a une chose dont vous n'avez pas parlé aujourd'hui, c'est l'élargissement de l'OTAN. Je crois que le premier ministre est en route pour Moscou et qu'il arrive en pleine campagne présidentielle. Il est certain que la question de l'élargissement de l'OTAN est très troublante depuis la fin de l'Union soviétique. Je me demandais ce que vous pensiez de la possibilité de cet élargissement avant cette élection ou après l'élection, et quelle serait l'attitude du Canada à ce sujet.

M. Axworthy: Vous avez certainement raison de dire que c'est une forte préoccupation. La décision a été prise et je crois que la meilleure explication est que j'ai lu que le président Havel de la République tchèque, a déclaré que tous les pays devraient avoir le droit d'appartenir aux organisations de leur choix, surtout lorsqu'il est question de sécurité. Il est donc évident que la question de l'élargissement reste très actuelle.

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D'autre part, dans les discussions que j'ai eues avec le ministre des Affaires étrangères Primakov lorsque j'étais à Moscou, nous avons beaucoup parlé de ça. Ce qu'ils souhaitent, c'est que l'on n'ait pas l'impression que cela puisse déstabiliser ce qu'ils considèrent être leurs intérêts en matière de sécurité.

Ce qu'il faut savoir donc, c'est comment envisager cet élargissement en s'assurant de protéger les intérêts russes en matière de sécurité. Je ne pense pas que cela puisse poser un problème énorme parce que je crois que dans le processus de réforme de l'OTAN, lorsque nous examinerons l'infrastructure nécessaire, etc., nous pourrons maintenir un très haut niveau de sécurité sans nécessairement avoir une infrastructure horriblement lourde qui corresponde aux problèmes géopolitiques des 200 ou 300 dernières années.

Deuxièmement, l'initiative IFOR fonctionne en étroite relation avec les Russes. C'est un modèle à considérer. Nous avançons là dans des eaux inconnues et je crois qu'il nous faut faire preuve d'un peu d'innovation et ne pas nécessairement se laisser piéger dans toutes les anciennes solutions qui remontent à la Guerre froide. Dans le contexte de la sécurité en Europe de l'Est, je crois que l'OTAN peut être élargie sans que cela déstabilise les intérêts russes.

Dans les discussions que le premier ministre et moi aurons, nous répéterons que les Canadiens feront tout ce qu'ils peuvent pour s'assurer que l'on parvient à un juste équilibre dans la formule d'élargissement de façon à ne pas provoquer des réactions massives. Il en sera question aux réunions de Berlin en juin avec les ministres de l'OTAN.

M. English: Hier, dans l'Ottawa Citizen, il y avait un article de Evan Potter, co-rédacteur en chef distingué de la «Politique étrangère canadienne». Le titre de l'article était «Canada must become expert in niche diplomacy». Je ne sais pas si vous avez vu cet article.

L'auteur disait que la politique étrangère du Canada a été dominée par le commerce extérieur mais que, vu de l'étranger, le rôle international du Canada reste très apprécié en matière diplomatique et dans la promotion de la justice internationale, de l'équité et de la règle du droit.

Il parle également de l'excellence du ministère des Affaires étrangères et de ses fonctionnaires. Toutefois, il estime que nous ne pouvons pas continuer comme cela; que nous n'avons pas la capacité gouvernementale de nous disperser autant. Ce que vous avez décrit, c'est une diplomatie qui semble toujours opérer dans un théâtre très vaste.

Il dit ensuite: «Nos visages internationaux seront de moins en moins ceux de diplomates, de soldats et de membres de services d'aide. Nous serons de plus en plus représentés par le personnel d'ONG canadiennes, d'universités, d'organismes philanthropiques et d'entreprises». Il conclut en disant: «Le financement nécessaire pour soutenir cette présence canadienne non officielle devra à court terme venir du trésor public et disparaîtra au fur et à mesure».

Est-ce une bonne description du visage que le Canada pourra avoir à l'étranger?

M. Axworthy: C'est en partie déjà le cas. Je crois qu'il est tout à fait vrai de dire que le nouveau monde des affaires internationales n'est pas dominé par les diplomates, les soldats ni les services d'aide.

Permettez-moi simplement de vous donner un exemple. Dans mon portefeuille précédent, les Nations Unies parrainaient ces grandes conférences sur la sécurité individuelle. Il y a eu la conférence des femmes et la conférence sur le développement social. J'ai vu des organisations du monde entier s'organiser et se mobiliser grâce aux systèmes de communication et réussir de ce fait à exercer des pressions énormes. Ce qu'elles ont réussi à faire et la façon dont elles sont parvenues à communiquer les résultats de ces réunions, c'est extraordinaire. C'était un spectacle incroyable.

Vous constatez la même chose, non seulement au niveau des entreprises, mais dans les associations d'entreprises et les organisations syndicales. Par exemple, prenez la question que nous avons déclarée comme prioritaire dans le discours du Trône, celle des droits des enfants. Le pouvoir énorme de M. Kielburger et de ses organisations de défense des enfants au Canada a représenté une influence indéniable.

Nous pouvons faciliter cela. C'est certainement tout autant qu'une diplomatie de niche, une diplomatie de facilitation. Cela permettra à beaucoup plus de ses acteurs de poursuivre leur action en rencontrant beaucoup moins d'obstacles et en disposant de certaines ressources pour ce faire. Parallèlement, comme je le disais en réponse à une autre question, si l'on n'a pas de structures à l'étranger, si l'on a pas les éléments essentiels d'une ambassade dotée de systèmes d'information et de gens très compétents qui savent comment fonctionne le système et si l'on n'entretient pas un complexe de gouvernement, cette évolution et cet élargissement ne seront pas possibles.

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Je ne crois donc pas qu'il s'agisse de faire un choix entre deux formules. Il s'agit au contraire de comprendre que ça va être extrêmement différent et que les défis seront encore plus grands. Et même au sein de notre propre gouvernement, nous avons autant d'agents du commerce extérieur du ministère de l'Agriculture que du ministère du Commerce extérieur dans ce domaine particulier de compétence. C'est bon à certains égards parce que cela multiplie notre présence à l'étranger.

Je crois que la clé, monsieur English, est d'essayer de parvenir à une certaine cohérence dans ce que nous voulons faire et de fixer les priorités, parce que s'il y a une chose sur laquelle je suis bien d'accord avec M. Potter, c'est que nous ne pouvons simplement plus nous permettre de dissiper toutes nos énergies et nos ressources dans mille et une activités différentes et dans des lieux et pays différents. Il nous faut restreindre, cibler les secteurs dans lesquels nous pouvons très bien réussir, là où nous pouvons offrir un service réel et faire véritablement une différence. Dans certains cas, comme je l'ai dit, comme à Haïti, je crois que nous pourrions utiliser beaucoup de ressources pour que cela soit possible.

L'autre secteur dans lequel je pense que nous avons vraiment un potentiel énorme, c'est celui des systèmes d'information et de la liberté de l'information, en utilisant simplement notre technologie. Nous avons aussi pas mal de lois canadiennes sur les publications et la propagande haineuses. Nous pouvons changer considérablement les choses sur la scène internationale en utilisant cette énorme richesse d'idées et en déclarant qu'il faut faire quelque chose avant que la situation devienne incontrôlable. C'est le genre de choses sur lesquelles j'aimerais que nous agissions et j'espère que nous réussirons à mobiliser la population canadienne dans ce sens.

M. English: Merci.

Le président: Monsieur Mills.

M. Mills: Le gouvernement québécois a annoncé qu'il va fermer la plupart de ses missions. À l'époque, le ministre a déclaré que le Québec négocierait avec les Affaires étrangères pour pouvoir placer des représentants provinciaux dans les ambassades afin qu'ils puissent promouvoir leur concept de séparation. Je crois que Mme Copps a répondu en votre absence mais je me demandais si vous ne pourriez pas préciser sa réponse.

M. Axworthy: Je répète ce qu'a dit ma distinguée collègue au sujet de la situation actuelle.

Pendant longtemps, nous avions des ententes de coopération avec divers gouvernements provinciaux pour certains services tels que l'immigration, le commerce extérieur et le tourisme. Tant que c'est la fonction de ces services et tant qu'ils comprennent qu'ils sont responsables devant l'ambassadeur ou le haut-commissaire dans chacun de ces bureaux, nous sommes prêts à maintenir de tels arrangements. Mais si l'on avait l'intention d'utiliser quelqu'un d'un autre gouvernement pour faire la promotion du séparatisme, nous ne serions pas d'accord. C'est aussi simple que cela.

M. Mills: Merci.

Le consulat canadien à Manhattan est en train d'être rénové, reconstruit. Est-ce nécessaire à ce moment?

M. Axworthy: Monsieur Judd.

M. Jim Judd (sous-ministre associé, Services ministériels, ministère des Affaires étrangères et du commerce international): On est en train d'agrandir les bureaux du consul général à New York, essentiellement pour obtenir un bail à plus long terme qui nous permet de réaliser des économies à long terme mais également de permettre certains changements dans notre programme d'immigration à la mission de New York. Ce sont les deux raisons principales.

M. Mills: Des choses semblables sont parfois très difficiles à faire accepter en période de restriction. Essayer de faire comprendre que nos ambassadeurs ont besoin de plus... C'est assez difficile à faire accepter en cette période.

Vous avez parlé des criminels de guerre dans l'ancienne Yougoslavie. Je ne puis m'empêcher de penser à ce jeune enfant qui vient tirer la manche d'un de nos soldats canadiens en lui disant, regarde là-bas le type qui a tué mes parents, ou celui qui a violé ma soeur, ou autre chose encore. Cela nous touche tous. Mais ce soldat canadien doit dire, désolé, nous ne sommes pas ici pour faire appliquer les lois sur les crimes de guerre. Comment allons-nous traiter ce problème?

M. Axworthy: Monsieur Mills, je crois que la question est très pertinente. J'ai essayé de la poser directement lorsque j'étais là-bas.

Pour le moment, les troupes de l'IFOR ont un mandat de soutien et de protection pour les équipes d'enquête du tribunal sur les crimes de guerre. Deuxièmement, il y a ce qu'on appelle la force de police internationale dans les Balkans, qui fait partie des accords de paix de Dayton. Elle compte environ 700 enquêteurs ou membres de services de police civils.

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Le rôle des troupes de l'IFOR jusqu'à maintenant est de veiller à protéger ces gens-là dans l'exercice de leurs fonctions. Ils n'ont pas la capacité ni, dans certains cas, la formation voulues pour faire des enquêtes criminelles ou pour arrêter les gens. J'espère pouvoir parler au juge Arbour, qui est le procureur en chef.

D'ailleurs, le troisième élément est que le gouvernement de chacun de ces pays est également censé arrêter et transférer ceux qui ont été condamnés pour crimes de guerre. La responsabilité retombe réellement sur les divers gouvernements.

Lorsqu'il y a condamnation et que quelqu'un du bureau des crimes de guerre ou de la police internationale essaye de faire une arrestation, je crois que l'IFOR est priée d'assurer la sécurité nécessaire pour lui permettre de s'acquitter de ses fonctions.

Nous n'avons pas fait face à une situation exactement semblable encore, mais c'est le genre de protection qu'il faut assurer. Aux sites de crimes de guerre où je suis allé... Nos propres troupes de l'IFOR assuraient la protection complète de tout le personnel pendant une période de deux semaines pour permettre aux enquêtes du tribunal de se dérouler.

Je crois que dans ce secteur, le système peut marcher et, comme nous sommes l'un des participants, nous devons nous assurer que cela marche. Nous devons aussi nous assurer que du côté civil, le tribunal et le procureur international pour la Yougoslavie ont exactement ce dont ils ont besoin pour faire leur travail. Cela nous ramène à la question précédente: devra-t-on maintenir une présence nationale? L'achèvement de ce travail pourrait être une des responsabilités maintenues.

J'aimerais ajouter quelque chose, monsieur le président. Je sais que vous voulez clore la séance.

Le président: Monsieur le ministre, la France et la Grande-Bretagne ont récemment dit bien clairement que si les États-Unis partaient à la fin du mandat, comme ils l'ont indiqué, la France et la Grande-Bretagne partiraient aussi. Le Canada s'est-il prononcé officiellement?

M. Axworthy: Oui, nous l'avons dit et je pense qu'il est clair que l'IFOR aura terminé sa tâche à la fin de l'année. Il n'est pas certain qu'elle soit remplacée dans le cadre d'un partenariat différent. La chose n'est pas claire pour l'instant, mais l'IFOR aura fini son travail à la fin de l'année.

J'aimerais simplement dire que l'enquête sur les crimes de guerre est cruciale pour libérer cet endroit de ses fantômes. C'est la formule que quelqu'un a utilisé. Il serait très difficile d'éprouver du respect pour un nouveau régime gouvernemental si l'un des grands intervenants était toujours accusé de crimes de guerre. C'est ce que j'ai appris en parlant avec de simples citoyens là-bas.

M. Mills: Parlez aux Canadiens que la question intéresse, et ils vous diront la même chose...

M. Axworthy: Oui, la même chose.

M. Mills: ...c'est le fantôme, si l'on veut.

M. Axworthy: C'est un fantôme qui subsiste et il faut y voir, mais ce sera l'une des questions les plus difficiles à régler.

M. Mills: J'ai une dernière et très brève question. Pour ce qui est de l'argent dépensé pour Radio Canada International et la prolongation de ses activités, combien les Affaires étrangères ont-elles promis et est-ce que ces fonds viennent d'un autre poste budgétaire pour lesquels on n'avait pas engagé de dépenses?

M. Axworthy: Je pense que nous avons promis 1 million de dollars. Au cours du dernier exercice financier, nous avions alloué 8 millions de dollars. La responsabilité a été transférée au ministre du Patrimoine, qui a travaillé conjointement pour concevoir une entente provisoire. Notre ministère a fourni 1 million de dollars. L'ACDI a fourni des fonds. Le ministère de la Défense nationale a contribué, de même que la CBC.

Le but était simplement de nous donner une année pour procéder à un important réexamen, comme je l'ai dit au début, de tout le rôle de l'information et de sa présence internationale. Il ne s'agit pas simplement d'avoir des activités de radio à ondes courtes, mais de voir aussi ce qu'il en est de l'Internet, de la transmission par satellite, de voir ce que nous en tant que Canadiens aimerions faire pour établir notre présence sur la scène des communications internationales. Ce n'est pas simplement dans le but de communiquer avec les troupes; c'est aussi un moyen exceptionnel de transférer de l'information.

Voici un exemple. Comme vous le savez, monsieur Mills, le Centre de recherche et de développement international a une bonne réputation en matière de mise au point de nouvelles technologies innovatrices. Or on commence à travailler sur la façon dont on peut transférer de l'information sur ces technologies. Plutôt que d'envoyer un groupe d'experts-conseils à l'étranger, on place l'information sur Internet. Cela coûte beaucoup moins cher et c'est beaucoup plus efficace. Il existe un bon nombre d'organismes comme l'ACDI, le Centre des droits de la personne, le CRDI et notre propre ministère et, avec le travail que fait RCI, si nous pouvions combiner tout cela en système d'information plus intégré, je pense que nous aurions un outil très précieux au service de notre propre politique étrangère et que cela nous permettrait d'offrir un soutien à un bon nombre d'autres pays.

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Le président: Merci, monsieur le ministre.

M. Flis me fait remarquer qu'il n'est que 4 heures à l'horloge, et nous sommes donc heureux de vous compter parmi nous pendant une heure encore.

Des voix: Oh, oh!

M. Axworthy: Je ne veux pas vous interrompre, mais je dois absolument me rendre au caucus du Manitoba dans cinq minutes.

Le président: Monsieur le ministre, je sais que vous aurez l'occasion de revenir. Merci beaucoup à vous et aux autres membres du ministère qui ont comparu aujourd'hui.

M. Axworthy: Je vous en prie.

Le président: Vous nous avez lancé tout un défi. J'espère que nous aurons les ressources voulues pour exécuter le programme que vous nous proposez. Peut-être que quand vous reviendrez, nous pourrons en discuter avec vous pour voir de quelles ressources dispose votre ministère pour traiter des questions extrêmement complexes que vous avez soulevées aujourd'hui.

Je vous remercie beaucoup.

La séance est levée jusqu'à 8h45 jeudi matin.

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