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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 9 mai 1996

.0909

[Traduction]

Le président: La séance est ouverte.

Dans le cadre de notre étude continue de l'Arctique, je souhaite la bienvenue àM. Donald McRae, professeur à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, et ancien doyen de la faculté de droit. Il est aussi, si j'ose dire, un ancien collègue. Nous souhaitons également la bienvenue àM. David Cox, professeur de sciences politiques à l'Université Queen's, également un ancien collègue, en quelque sorte.

Nous discuterons ce matin de sécurité et de souveraineté. Monsieur McRae, voulez-vous commencer?

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M. Donald M. McRae, (professeur, Faculté de droit, Université d'Ottawa): Merci beaucoup, monsieur Graham.

J'ai pensé qu'en guise d'introduction je vous parlerais des aspects juridiques de la souveraineté et que je me demanderais s'il est toujours pertinent de parler aujourd'hui de souveraineté. Comme je suis avocat, j'aborderai sans doute la question sous un angle différent de celui que choisira M. Cox. Quoi qu'il en soit, j'aimerais décrire la question d'un point de vue juridique, faire le point sur la situation actuelle et sur ce qu'elle pourrait être demain.

D'abord, lorsque l'on se pose aujourd'hui la question de la souveraineté, c'est pour se demander si le Canada peut invoquer la pleine autorité - c'est-à-dire la souveraineté - sur les eaux de l'archipel Arctique canadien. En principe, un État ne peut revendiquer la pleine souveraineté que sur les eaux qui se trouvent en deçà des eaux territoriales. Cela limite donc normalement la revendication aux baies ou aux plans d'eau entourés de terre, comme le détroit de Georgia, sur la côte Ouest, et peut-être certains autres endroits plus controversés de la côte est, tels que la baie de Fundy, au sujet de laquelle la position des États-Unis est un peu plus équivoque.

Les eaux territoriales permettent évidemment le droit de passage inoffensif, et le Canada n'admet aucun droit de passage dans les eaux du passage du Nord-Ouest. Il ne suffit donc pas de parler du passage du Nord-Ouest comme d'eaux territoriales, car cela signifierait qu'il est possible d'y revendiquer le droit de passage. Le Canada ne considère pas non plus le passage du Nord-Ouest comme un détroit international en regard duquel on pourrait invoquer le droit de passage inoffensif ou le droit de transiter.

Le Canada a voulu de plusieurs façons invoquer sa souveraineté sur les eaux de l'archipel Arctique. Il l'a d'abord fait en vertu de la théorie des secteurs, puis en vertu de la revendication des eaux historiques. La Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques est considérée comme un exemple de la méthode fonctionnelle, en vertu de laquelle le Canada revendique une compétence territoriale de plus en plus grande sur la région.

Une autre théorie veut également que le Canada ait le droit de tracer des lignes de base droites entre le continent et les îles de l'archipel Arctique. Normalement, les lignes de base suivent la laisse de basse mer, mais on considère que les lignes de base droites de cap à cap ou de cap à île se justifient lorsque la côte est très dentelée ou lorsque les îles sont au large. La côte norvégienne en est un exemple classique: on a tracé une ligne de base droite pour déterminer les eaux territoriales plutôt que de suivre la laisse de basse mer autour de la côte.

C'est la méthode de la ligne de base droite qui fournit la meilleure justification juridique de la revendication du Canada, même si ce n'est qu'en 1985 que le Canada a tracé ces lignes de base droites qui ont concrétisé sa revendication, à la suite du voyage en 1985 du «Polar Sea».

La justification juridique de cette méthode vient de la particularité géographique de la région arctique: même sur une échelle aussi gigantesque, les liens extrêmement étroits qui existent entre le continent, les îles - si nombreuses soient-elles au large - la mer et la glace justifient que l'on parle de liens uniques et justifient le tracé de lignes de base droites.

De plus, on peut également affirmer que ces zones ne peuvent constituer un détroit international, car il n'y a pas suffisamment de navires qui y ont transité. Donc, d'un point de vue juridique, on ne peut affirmer que ces eaux ont été utilisées comme détroit international. À peine11 ou 12 navires ont transité par le passage du Nord-Ouest, presque tous avec le consentement du gouvernement du Canada. Voilà pourquoi il est possible d'affirmer que ces eaux ne constituent pas un détroit international.

En traçant des lignes de base droites, le Canada a donc indiqué quelle était la position de son gouvernement. Il faut toujours se demander quelle est la réaction des autres États, puisque toute revendication de souveraineté dépend de son acceptation ou de son rejet par les autres États. Dans le cas qui nous occupe, la position des États-Unis est quelque peu troublante, puisqu'ils n'ont jamais accepté la revendication du Canada. Au contraire, ils ont toujours maintenu que le passage du Nord-Ouest constitue un détroit international.

Mais ce qui est plus important encore, c'est de se demander si, au fil du temps, la revendication est contestée activement par qui que ce soit. Voilà pourquoi l'accord de 1988 sur les brise-glace a toute son importance. L'accord garantit aux navires du gouvernement américain qu'ils pourront transiter par le passage du Nord-Ouest, mais seulement avec le consentement du Canada. Les détracteurs de l'accord invoquent quant à eux le fait qu'aucun des deux gouvernements n'a renoncé à sa revendication. Donc, en principe, les États-Unis ne renoncent aucunement à leur prétention. Mais je ne crois pas que cela soit si important que cela. On ne pourrait tout de même pas s'attendre à ce que les États-Unis abandonnent du jour au lendemain leur prétention.

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L'important, dans l'accord, c'est qu'il désamorce la façon la plus manifeste pour un pays de contester la revendication du Canada sur ce qu'il prétend être ses eaux intérieures. En effet, la façon la plus pratique de mettre à l'essai cette revendication, c'est d'envoyer des navires dans les eaux de l'Arctique, et l'accord sur les brise-glace stipule que les États-Unis ne peuvent y envoyer leurs navires, leurs brise-glace, qu'avec le consentement du Canada.

Vous comprenez donc qu'en soi l'accord a coupé toutes les ailes à quiconque voudrait trouver une façon pratique de contester la revendication de souveraineté du Canada.

Je crois qu'à bien des égards le Canada a fait tout ce qu'il fallait pour assurer sa souveraineté sur les eaux de l'archipel Arctique. Mais pour manifester sa souveraineté, il faut toutefois démontrer que vous contrôlez réellement la région.

Or, il y a un ou deux éléments qui sont problématiques. D'abord, il y a la présence dans les eaux du passage du Nord-Ouest de navires canadiens. Ensuite, il faut savoir qui d'autre aussi s'y trouve.

Je crois que le problème ne survient que dans les cas possibles de transits de sous-marins dans les eaux de l'archipel. Si des sous-marins transitent en effet dans la région sans que le Canada le sache ou l'approuve, il est possible qu'avec le temps cette circulation de sous-marins en nombre suffisant transforme les eaux en détroit international.

Cette menace ne vient pas uniquement des États-Unis; elle pourrait venir de la Russie ou de tout autre pays qui pourrait envoyer des sous-marins circuler sous la surface des eaux de l'Arctique.

Autrement dit, il faut que le Canada sache s'il y a des sous-marins ou non qui circulent dans l'Arctique, pour qu'il puisse les identifier et s'assurer que les États qui envoient leurs navires dans les eaux de l'Arctique le font avec le consentement du Canada.

Comment le Canada peut-il se protéger contre cette éventualité? Le programme du brise-glace Polar 8, qui a été annulé, aurait pu assurer une présence à l'année du Canada dans les eaux de l'Arctique et aurait peut-être pu régler le problème de la détection, mais il est probable que l'installation d'un système de détection sous-marine aux goulots d'étranglement sur les routes de navigation puisse faire en sorte que le Canada soit au moins averti de la présence de navires ou de sous-marins dans l'Arctique. Si le Canada n'a même pas les moyens d'être averti de la présence d'un navire, comment peut-il savoir si un autre pays a l'intention ou non de contester sa revendication sur ces eaux en y envoyant des sous-marins?

Autre incertitude: l'incidence qu'aura la Convention du droit de la mer lorsque le Canada la ratifiera. Aux termes de l'article 234 de la convention, un État peut prendre des mesures appropriées pour protéger l'environnement des régions glacées dans la zone exclusivement économique. Cette disposition permet aux États côtiers de prendre les mesures voulues pour contrôler la pollution maritime dans les régions glacées, alors qu'ils n'auraient pas le droit de le faire normalement dans la zone exclusivement économique. Toutefois, l'article implique que des navires peuvent circuler dans les eaux couvertes de glace.

Donc, l'article 234 de la Convention du droit de la mer, que le Canada voulait absolument faire inclure, ne va pas jusqu'à reconnaître sa pleine souveraineté sur les eaux. Ainsi, une fois que le Canada aura ratifié la convention, il est possible que certains États soutiennent que le Canada invoque l'article 234 pour affirmer sa compétence sur les eaux de l'Arctique. Autrement dit, ces États accepteront peut-être que le Canada considère la région comme une zone économique exclusive au regard de laquelle l'article 234 lui accorde certains pouvoirs exceptionnels, mais ces États ne reconnaîtront toutefois pas la revendication de souveraineté du Canada sur ces eaux.

Mais nous ne savons pas si c'est là ce qui se produira. Il se peut qu'au moment où le Canada ratifiera la Convention du droit de la mer cela passe inaperçu. Mais il est également possible qu'à ce moment-là certains États en profiteront pour protester contre les lignes de base droites du Canada en invoquant qu'elles sont incompatibles avec la convention. D'aucuns soutiendront en effet que les lignes de base droites dans l'Arctique sont incompatibles avec le droit international, puisqu'elles vont chercher des étendues de l'océan Arctique beaucoup trop vastes.

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Le président: Je sais qu'il ne faut pas sombrer dans le technique, mais comment feraient ces pays? Est-ce qu'il leur faudrait émettre une réserve au moment de la signature du traité ou faire une déclaration plus tard?

M. McRae: Je crois qu'il leur faudrait élever une objection officielle, une fois que le Canada aura ratifié la Convention du droit de la mer. Les parties contestataires devraient formuler leur objection soit par une note diplomatique envoyée au Canada dans laquelle ils réserveraient leur position, soit en envoyant au secrétaire des Nations Unies leur propre interprétation de l'incompatibilité des lignes de base droites du Canada avec la Convention du droit de la mer. Cela reviendrait, en quelque sorte, à une déclaration interprétative du droit canadien.

Que je sache, aucun État n'a l'intention de faire cela. S'ils en avaient l'intention, ce serait logiquement le meilleur moment pour le faire...

Le président: Je sais que je ne devrais pas vous interrompre, mais, étant donné que le projet de loi sur la ratification sera renvoyé à notre comité, ne devrions-nous pas prévoir certaines dispositions dans le projet de loi pour empêcher cette éventualité?

M. McRae: Le Canada ne peut pas faire grand-chose pour empêcher cela, outre ce qu'il a déjà fait. Il lui faut simplement attendre pour voir si d'autres États agiront... Le Canada a fait ce qu'il fallait en traçant des lignes de base droites et en étayant sa décision par des arguments juridiques.Il s'agit maintenant de voir comment réagiront les autres États.

Il est toujours possible, je suppose, que vous fassiez au moment voulu une déclaration au sujet de l'article 234, dans les commentaires que fera le comité au sujet du projet de loi qui lui sera renvoyé, mais je crois que ce serait malvenu du point de vue stratégique, car ce serait inviter les aux autres États à réagir plutôt que laisser les choses se dérouler telles qu'elles le devraient.

Maintenant que j'ai établi le cadre juridique et les problèmes possibles que la position du Canada pourrait poser, je vous pose la question suivante: pourquoi est-il important de revendiquer sa souveraineté? Par le passé, le Canada a déployé son énergie surtout pour défendre ses eaux dans l'Arctique contre toute menace qu'il percevait à sa prétention à la souveraineté. Je crois qu'il vaut peut-être la peine de se demander pourquoi il est nécessaire de revendiquer sa souveraineté.

Ce pourrait l'être pour quatre raisons, et peut-être plus encore, mais il y en a quatre qui me semblent sous-tendre la revendication du Canada.

La première justification est essentiellement une idée du XIXe siècle, à savoir que plus l'État couvre de territoire, plus il est important. Autrement dit, plus vous êtes gros comme État, mieux vous vous portez, et plus vous avez de ressources, plus riche vous êtes.

La deuxième justification en est une de défense: l'Arctique peut servir de zone tampon, particulièrement à des fins de détection de toute attaque potentielle de la part de la Russie.

La troisième justification touche à l'environnement et à la sécurité dans cette région. Autrement dit, le contrôle de la nation, par le truchement de la souveraineté, est nécessaire pour protéger l'environnement naturel. Cette idée était évidemment l'une de celles qui ont mené à l'adoption de la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques, qui visait à empêcher toute pollution maritime dans cette région, à la suite du voyage du Manhattan.

Quatrième raison pour revendiquer la souveraineté: la nécessité d'assurer le bien-être des peuples de l'Arctique, particulièrement celui des peuples autochtones. En revendiquant l'autorité exclusive sur ces eaux, l'État a la possibilité de préserver ce qu'il considère comme un habitat important pour les peuples autochtones de l'Arctique.

Si ce sont là les quatre raisons qui ont incité le Canada à revendiquer sa souveraineté, on peut toutefois se demander si, à la fin du XXe siècle, la revendication de la souveraineté est la meilleure façon d'atteindre ces objectifs.

Prenons le premier objectif, celui selon lequel la taille de votre territoire fait votre richesse.À l'ère de la mondialisation, c'est-à-dire à une époque où le bien-être économique ne se mesure pas tant en ressources naturelles qu'en fonction de ce que vous faites avec vos capitaux et votre main-d'oeuvre et en fonction de l'accès que vous avez à votre marché intérieur et aux marchés étrangers, l'idée d'occuper plus de territoire, et particulièrement du territoire maritime, ne semble plus avoir autant d'importance qu'elle en avait peut-être il y a 50 ou 100 ans.

J'aborderai en deuxième lieu le domaine du professeur Cox: en cette période de l'après-guerre froide, on peut se demander s'il n'est pas nécessaire de repenser nos idées en matière de défense. À une époque où l'on parle de sécurité collective, on peut se demander si la sécurité d'un pays dépend de sa souveraineté ou de son contrôle exclusif sur certaines régions et si, de toute façon, la sécurité du Canada dans cette région n'est pas liée inextricablement à celle des États-Unis. L'ironie, dans tout cela, c'est que les États-Unis sont nos concurrents principaux pour ce qui est de notre revendication de la souveraineté sur les eaux de l'Arctique.

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Passons en troisième lieu à la question de l'environnement. Il est manifeste que la plupart des problèmes environnementaux de l'Arctique sont fondamentalement des problèmes transfrontaliers, qu'il s'agisse de circulation de navires-citernes, de pollution aérienne ou de pollution terrestre. Ces problèmes sont essentiellement de nature transfrontalière, et, par conséquent, leur résolution ultime doit se trouver à l'échelle bilatérale, régionale ou mondiale.

Maintenant, en ce qui concerne le bien-être des peuples autochtones, on pourrait faire remarquer qu'à l'heure actuelle, le mouvement international visant la reconnaissance des droits des peuples autochtones leur reconnaît fondamentalement le droit de prendre leurs propres décisions. Or, la revendication de la souveraineté au nom du Canada ne leur permet pas nécessairement mieux qu'avant de prendre leurs propres décisions.

Je ne prétends pas pour autant qu'une revendication de souveraineté sur les eaux de l'Arctique est un projet dépassé ou qu'il devrait être relégué aux oubliettes. Ce que je dis plutôt, c'est que croire qu'il faut réclamer la souveraineté pour atteindre ces objectifs est une notion du XIXe siècle plutôt qu'une notion du XXIe siècle. Les objectifs qui ont incité le Canada à revendiquer vigoureusement sa souveraineté dans l'Arctique peuvent fort bien se traduire aujourd'hui par des instruments bilatéraux, régionaux et multilatéraux.

Enfin, s'il est exact que l'approche régionale ou multilatérale est la voie de l'avenir, cette approche est-elle incompatible avec la revendication de la souveraineté? Même si les choses ont changé quand même un peu, je crois que ce qui inquiétait par le passé le Canada devant l'éventualité d'une concertation régionale ou multilatérale dans l'Arctique, c'était que cette démarche pourrait être préjudiciable à sa revendication de souveraineté. Or, je ne crois pas que cela devrait inquiéter désormais le Canada autant qu'autrefois.

Comme je l'ai dit, depuis que le Canada a tracé ses lignes de base droites et qu'il a signé en 1988 l'accord sur les brise-glace, à part la détection de la circulation des sous-marins, le Canada ne peut guère faire beaucoup plus pour renforcer sa revendication de souveraineté sur les eaux de l'Arctique. Ce qui est plus important, c'est de voir si, avec le temps, les autres États accepteront cette revendication.

À cet égard, dans la mesure où le Canada est capable de répondre à toute contestation qui serait faite à l'égard de la position qu'il revendique dans l'Arctique, que ce soit au moment de la ratification de la Convention du droit de la mer ou que ce soit parce que certains États sont intervenus dans l'Arctique, il me semble que le Canada a fait tout ce qu'il fallait faire.

En mettant l'accent sur la collaboration avec les autres États pour tout ce qui concerne l'Arctique plutôt qu'en insistant sur sa souveraineté, je n'ai pas l'impression que le Canada affaiblisse sa position. Cette souplesse accrue pourrait même être interprétée comme une affirmation de souveraineté de la part du Canada dans la région, puisque le Canada cesserait d'être perçu comme celui qui se défend continuellement contre de soi-disant atteintes à sa souveraineté.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur McRae.

M. Cox pourrait-il nous parler maintenant des questions de sécurité?

M. David Cox (professeur, Faculté des études politiques, Université Queen's): Merci, monsieur le président.

Le président: Vous pourriez peut-être commencer par nous dire où se trouvent ces sous-marins.

M. Cox: Comme M. McRae a soulevé cette importante question, j'y viendrai, car il s'agit surtout de se demander combien nous sommes prêts à payer pour découvrir à quel point il y a peu de sous-marins qui circulent dans le passage du Nord-Ouest. Je vais même répéter la question, car elle me semble la plus importante: combien sommes-nous disposés à payer pour découvrir jusqu'à quel point le passage du Nord-Ouest est peu ou prou utilisé par les sous-marins? Mais j'y reviendrai.

D'emblée, je précise que je suis un spécialiste de la défense, de la sécurité et du contrôle des armements. C'est à cause de cela que je me suis intéressé, il y a de cela de nombreuses années, à l'Arctique. Mais je ne suis pas un spécialiste de l'Arctique en tant que région.

Il y a quelques années, j'ai travaillé pour le Bureau de l'histoire de l'aviation des États-Unis (United States Office of Air Force History) dans le but d'étudier la façon dont les États-Unis ont collaboré avec le Canada à l'élaboration des défenses stratégiques aériennes. J'ai été très impressionné à l'époque par la montagne de documents que l'on trouvait au seul Bureau de l'histoire de l'aviation des États-Unis, documents qui relataient la participation des États-Unis au développement militaire dans l'Arctique canadien.

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D'abord, une observation générale. L'indice le plus flagrant peut-être de la présence précoce des États-Unis dans l'Arctique canadien, c'est la construction du réseau d'alerte avancé DEW, entre 1955 et 1957. La construction du réseau DEW était à l'époque tout un exploit d'ingénierie, de la part surtout des États-Unis, mais avec l'aide du Canada; toutefois, en rétrospective, la construction du réseau illustre à mes yeux les diverses facettes de la sécurité dans l'Arctique.

Première facette: le réseau DEW a été construit en réalité pour répondre à des préoccupations stratégiques, surtout celles des États-Unis, puisque entre le milieu des années 1950 et le milieu des années 1960, l'Union soviétique pourrait attaquer directement les États-Unis en passant par l'Arctique. Non seulement les États-Unis voulaient être avertis le plus vite possible d'une attaque de ce genre, mais ils voulaient également être en mesure de réagir à l'attaque le plus loin possible au Nord, c'est-à-dire en principe dans le territoire canadien de l'Arctique. Donc, dès le milieu des années 1950, l'Arctique canadien est devenu le champ de bataille théorique de tout affrontement stratégique entre les États-Unis et l'Union soviétique.

La construction du réseau DEW par les États-Unis et le Canada - puisque nous étions des partenaires de fond dans la construction - mettait en lumière en même temps la question de la souveraineté. Une fois le réseau DEW construit, certaines bases de l'Arctique canadien ne pouvaient être visitées par des représentants du Canada qu'avec la permission du commandant de la base des États-Unis. La question de la souveraineté du Canada dans l'Arctique s'est donc posée immédiatement, question qui continue toujours de se poser à bien des égards, comme l'a bien expliqué M. McRae.

Troisièmement - et la question reste toujours d'actualité - ce réseau DEW a été construit sans que l'on tienne compte des modes d'habitation, des coutumes et des traditions des peuples qui vivaient à proximité des bases du réseau DEW. La construction du réseau DEW a donc modifié par inadvertance - je crois que ce n'était pas intentionnel - le mode de communication et le style de vie de tous ces peuples qui vivaient dans le Grand Nord, et pas toujours pour le mieux.

Cet exemple me permet de mettre en lumière ce qui est pour moi le paradoxe de l'Arctique canadien et de l'Arctique en général, d'un point de vue stratégique. D'une part, l'Arctique constitue une zone stratégique d'affrontement. D'autre part, c'est également une région qui a ses propres problèmes et qui présente ses propres caractéristiques. Or, ces deux aspects n'ont jamais jusqu'à maintenant été pris en considération dans l'élaboration d'une solution constructive et unifiée pour l'Arctique.

Grâce particulièrement à la création du Conseil de l'Arctique, nous assistons actuellement à une évolution: on considère de moins en moins l'Arctique comme une zone stratégique d'affrontement et de plus en plus comme une région. Toute cela est pour le mieux, d'après moi, mais cette évolution va néanmoins susciter des tensions, puisque l'Arctique continue tout de même à représenter un enjeu stratégique.

J'aimerais maintenant parler de l'élaboration de la politique américaine et canadienne dans l'Arctique, comme zone stratégique.

Il est évident que les États-Unis étaient surtout préoccupés par leur sécurité. Ils avaient fait de l'Arctique une zone en soi nucléarisée, à la fois parce qu'ils s'en servaient comme d'une voie directe pour attaquer l'Union soviétique et parce qu'ils pouvaient en retour être attaqués par les Soviétiques via l'Arctique. Les bombardiers stratégiques américains traversaient le Canada et l'Arctique canadien en transportant des armes nucléaires, et, on peut le supposer, les bombardiers soviétiques se sont approchés du territoire canadien via l'Arctique en transportant eux aussi des armes nucléaires; ce chassé-croisé suscitait donc en permanence une inquiétude devant l'éventualité d'un accident qui entraînerait des dommages environnementaux considérables dans l'Arctique.

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Malgré cela, tout au long de la guerre froide et, dans une certaine mesure, jusqu'à aujourd'hui encore... les États-Unis ont continué à percevoir l'Arctique en termes stratégiques, et non pas en tant que région. Il faut dire également que tout au long de la guerre froide le Canada lui aussi considérait l'Arctique non pas comme une région, avec ses propres problèmes, mais surtout comme un ensemble d'activités en matière de sécurité qui faisaient partie de la problématique Est-Ouest; l'Arctique tenait donc une place importante dans les négociations entre l'Est et l'Ouest, c'est-à-dire dans les pourparlers sur le désarmement nucléaire entre les États-Unis et l'Union soviétique et dans les discussions entre l'OTAN et les pays du Pacte de Varsovie.

Les défenseurs de l'Arctique en tant que région, et non pas en tant que pièce du conflit entre l'Est et l'Ouest, durant la guerre froide, et même vers la fin de la guerre froide, devaient constamment se battre pour faire entendre leurs voix.

En 1989, lorsque j'étais rédacteur principal d'une étude menée par ce qui était à l'époque le Centre canadien pour le contrôle des armements et le désarmement, nous avons étudié la question du contrôle des armes dans l'Arctique et consulté nombre de spécialistes au Canada, aux États-Unis et dans les pays européens de l'Arctique. Nous avons formulé toute une série de propositions, dont la plupart ne se sont jamais concrétisées.

Toutefois, deux l'ont été. D'abord, nous avions proposé que le Canada crée le poste d'ambassadeur aux affaires circumpolaires, et c'est maintenant chose faite depuis deux ans. Ensuite, nous avions suggéré que le Canada propose la création d'un conseil de l'Arctique, dont la formation va bon train.

Pourquoi cesser de considérer l'Arctique comme une zone de sécurité pour le considérer plutôt comme une région?

En rétrospective, je crois que l'on peut aujourd'hui démontrer à quel point un affrontement bipolaire, et surtout nucléaire, aurait pu causer des dommages énormes, sur-le-champ et à retardement, dans l'Arctique. Laissez-moi vous citer des exemples qui permettent clairement de faire le lien entre les questions de sécurité et les questions d'environnement.

Ainsi, en novembre 1992, des scientifiques russes ont demandé l'aide financière et technique des États-Unis pour faire face aux conséquences de divers accidents nucléaires et de problèmes de radiation dans l'Arctique. En 1989, le sous-marin Komsomolets sombrait à 5 000 pieds de profondeur dans la mer de Norvège, et, à la fin de 1992, les Russes affirmaient que son réacteur et ses torpilles équipées d'ogives nucléaires risquaient de ne plus être étanches et de libérer du plutonium dans l'eau.

En même temps, en 1992, les Russes ont admis avoir fait toutes sortes de déversements nucléaires dans l'Arctique, révélation qui, une fois de plus, était scandaleuse à l'époque. Par exemple, ils ont informé les États-Unis qu'ils avaient jeté à la mer des réacteurs nucléaires du brise-glace Lenin et jeté dans les eaux arctiques des réacteurs nucléaires hors d'usage provenant de sous-marins.

Officieusement, des scientifiques russes ont également informé leurs homologues américains qu'entre 1961 et 1990, de 11 000 à 17 000 contenants de déchets nucléaires ont été déversés à Novaya Zemlya et 165 000 mètres cubes de déchets liquides radioactifs ont été déversés dans la mer de Barents. Ensuite, en mars 1993, au summum de la franchise, si l'on peut dire, le président Eltsine a diffusé un rapport scientifique russe dans lequel on admettait que l'Union soviétique avait violé les normes internationales dans sa façon d'éliminer les déchets nucléaires, mais on notait que les Russes continuaient de déverser en mer des déchets liquides dangereux par manque d'installations sur terre.

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Je vais citer un autre cas pour vous donner une meilleure idée de la situation. En 1986, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a entrepris un assainissement des lieux du réseau DEW, qu'on avait mis hors d'usage. Par la suite, en 1989, il y a eu le Plan vert, qui prévoyait 30 millions de dollars pour assainir ces lieux; mais, en avril 1993, nos responsables de la défense ont estimé que le coût réel, qu'ils espéraient partager avec les États-Unis, se situerait entre 100 millions et 250 millions de dollars.

L'assainissement consistait à éliminer des contaminants tels que le plomb, le zinc et les BPC pour les empêcher de s'infiltrer dans la chaîne alimentaire, et l'on a dit que l'exercice durerait jusqu'à dix ans.

J'ai cité ces exemples pour vous montrer comment on pourrait envisager les répercussions des questions stratégiques sur la région de l'Arctique et sur ses habitants, mais je puis vous assurer que la liste n'est pas exhaustive.

Plus récemment, en 1993, lors d'une réunion tenue ici même à Ottawa, des scientifiques soviétiques ont pour la première fois révélé des informations sur la gravité des fuites provenant du centre d'essai nucléaire de Novaya Zemlya. Ils ont admis pour la première fois que leurs procédures de confinement comportaient de graves lacunes et que la dispersion des contaminants provenant des essais nucléaires dépendait entièrement de la direction du vent au moment de l'essai.

Je vais vous donner un autre exemple, car il est fort probable qu'on le mentionne dans vos autres audiences. Les Soviétiques et les Russes ne sont pas les seuls qui soient négligents dans ce domaine. Au milieu des années 1960, les États-Unis ont connu le pire accident relatif aux armes nucléaires dans l'Arctique, dans leur base de Thulé. Un B-52 faisant des exercices de décollage et d'atterrissage s'est écrasé, ce qui a entraîné la destruction - mais pas l'explosion - de ses ogives nucléaires. Dans le cadre de l'assainissement consécutif à l'accident de Thulé, on a poussé des matières radioactives dans le détroit de Davis.

Ainsi donc, il existe de nombreuses indications des liens entre les questions de sécurité et les questions environnementales et autres dans l'Arctique, et je pense qu'il convient de dire qu'au Canada nous n'avons pas nous-mêmes entièrement appuyé les efforts visant à empêcher et prévenir ce genre de choses.

Venons-en maintenant à la situation actuelle. De toute évidence, la position du Canada a changé en ce qui concerne l'Arctique. Nous sommes beaucoup plus disposés à considérer l'Arctique comme une région et à mettre l'accent sur des questions autres que la sécurité pour promouvoir la coopération. Tel est certainement l'objet du Conseil de l'Arctique.

Cependant, il est peut-être utile d'insister un peu sur la démarche des États-Unis. Même si ce pays est, si je puis dire, un partisan tiède du Conseil de l'Arctique dans la mesure où son mandat porte sur des questions autres que la sécurité, dès le tout début les États-Unis ont indiqué clairement qu'ils n'accepteraient pas que les questions de sécurité soient inscrites au programme du conseil, et ce, pour des raisons assez évidentes. En effet, les États-Unis pensent qu'ils doivent conserver entièrement leur liberté d'agir de façon unilatérale pour assurer leur propre sécurité. Cela signifie qu'en ce moment ils ne sont pas disposés à débattre de questions relatives à l'Arctique, surtout en ce qui concerne l'armement nucléaire.

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Par conséquent, le mandat du Conseil de l'Arctique a été conçu jusqu'ici de façon à éviter les questions de sécurité. Toutefois, dans l'ébauche des statuts ou du manifeste du conseil, il y a une disposition importante selon laquelle l'objet du conseil est de promouvoir la paix dans la région. Ainsi donc, je pense que nous en avons assez, ne serait-ce qu'au tout début du conseil, pour entrevoir à long terme - et j'insiste sur le long terme - la possibilité d'utiliser le conseil pour discuter de questions relatives à la sécurité.

Quelles sont donc les questions de sécurité que nous devons sérieusement considérer comme des objectifs à long terme dans l'Arctique? Je vais essayer d'énoncer un programme plus ambitieux et, par conséquent, moins réaliste que d'autres seraient disposés à proposer en ce moment.

À mon avis, nous devrions énoncer comme objectif à long terme que notre but ultime est de démilitariser l'Arctique. Par exemple, en ce qui concerne les polluants les plus mortels, c'est-à-dire les matières nucléaires, les États circumpolaires pourraient adopter comme objectif à long terme un régime nucléaire pour réglementer tous les aspects de l'activité nucléaire. Plus précisément, dans le contexte militaire, nous pourrions maintenant remettre sur la table les anciennes propositions visant la création d'une zone dénucléarisée dans l'Arctique.

Autrefois, cette proposition a fait l'objet de nombreuses objections qui demeurent très sérieuses. Il y en a deux en particulier. La première concerne la base russe de Mourmansk, qui est l'une des principales bases nucléaires de la Russie, qui est située dans le cercle arctique et qui, par conséquent, serait visée par l'établissement d'une zone dénucléarisée dans l'Arctique. La deuxième, évidemment, concerne l'importance stratégique de l'Arctique pour la marine et l'armée de l'air américaines. Le défi consiste à envisager un processus, et j'insiste sur le mot processus, qui nous amènerait pas à pas vers la démilitarisation de l'Arctique sans pour autant nier les questions très sérieuses qui préoccupent plus particulièrement les États-Unis et la Russie.

Il est par conséquent avantageux, à mon avis, d'adopter un titre différent. Celui qu'on utilise, et que je soumets à votre considération, est le suivant: «une zone arctique de paix et de coopération». Cela pourrait amener tous les États arctiques à participer à diverses mesures de coopération, dans le but ultime de créer cette zone dénucléarisée.

Je vais vous donner un exemple à titre intermédiaire. Nous avons maintenant remplacé le réseau d'alerte avancé, c'est-à-dire le réseau DEW, par le système d'alerte du Nord. On pourrait maintenant s'interroger sur l'importance du système d'alerte du Nord, car peu de bombardiers russes - s'il y en a - s'approchent même de notre côté de l'Arctique. C'est peut-être le moment de revoir quelques mesures d'instauration de la confiance, notamment l'utilisation du NORAD comme élément d'un plus grand réseau de surveillance circumpolaire qui partagerait essentiellement ses informations avec tous les États de l'Arctique.

J'en arrive enfin à une question qui est peut-être purement canadienne. Je peux revenir ici, monsieur le président, à votre première question, pour commenter certaines observations du professeur McRae. Le Canada doit-il créer et déployer un système de surveillance sous-marine dans l'Arctique? Cette proposition a été faite pour la première fois en 1987 dans le Livre blanc sur la défense; d'une manière générale, cela consisterait à installer des sonars passifs sur le fond marin du détroit de Robeson, du détroit de Jones, au large de l'île d'Ellesmere, et du détroit de Barrows, près de Resolute Bay. Ces endroits sont en fait des goulots d'étranglement par lesquels les sous-marins doivent passer lorsqu'ils empruntent le passage du Nord-Ouest.

.0950

Le système comprendrait des capteurs et des câbles installés au fond de la mer, du matériel télé-électronique pour préparer les données des télécommunications, et une ligne terrestre ou une station relais de micro-ondes pour transmettre les données à une station terrienne de satellite.

Le coût total du système, estimé par le ministère de la Défense nationale dans des budgets antérieurs, se situe entre 50 millions et 60 millions de dollars. Le coût d'immobilisation du système n'a pas été approuvé, et dans les budgets de 1993 et 1994 de la Défense on n'a alloué qu'un montant relativement faible, environ trois millions de dollars, au développement du système.

La question est donc la suivante - et je pense que M. McRae vous l'a posée dans son témoignage: devrions-nous aller de l'avant et développer ce système? Cela nous amène à nous demander ce que ce système détecterait.

Évidemment, ici au Canada, nous ne savons pas grand-chose parce que les États-Unis ne veulent pas partager avec nous les informations sur la circulation de sous-marins nucléaires dans le passage du Nord-Ouest. Si je devais faire un pronostic, je serais très étonné si les sous-marins américains passaient plus de trois fois par an dans le passage du Nord-Ouest. Je ne serais pas surpris d'apprendre que certaines années il n'y a pas de circulation du tout. Par conséquent, si vous investissez les 60 millions de dollars dans ce réseau de capteurs, vous devez vous interroger sur la rentabilité de cet investissement.

D'autre part, M. McRae a déclaré qu'il s'agissait d'un défi à la souveraineté canadienne. J'aimerais tout simplement vous signaler que, au cours de discussions informelles entre universitaires et autres, les Américains ont dit qu'en cas de contestation judiciaire les États-Unis produiraient les livres de bord des sous-marins américains pour démontrer qu'ils ont emprunté de façon régulière et traditionnelle les eaux du passage du Nord-Ouest sans objection de la part du Canada. Bien entendu, c'est parce que nous ne savions pas qu'ils le faisaient.

J'ai une dernière observation à faire à cet égard; nous ne devrions pas nécessairement considérer le passage du Nord-Ouest comme un cas isolé. Il existe d'autres cas où les sous-marins des États-Unis ont circulé dans les eaux canadiennes, et l'on devrait peut-être situer cette question dans un contexte plus large.

Cela dit, monsieur le président, ainsi se termine mon exposé liminaire. Je suis maintenant disposé à répondre à vos questions et observations. Merci.

Le président: Merci, professeur Cox. De toute évidence, vous n'avez pas vu le film «The Hunt for Red October», sinon vous sauriez ce qui se passe là-bas.

Nous passons maintenant à la période de questions.

[Français]

M. Paré (Louis-Hébert): Il faut être un peu prétentieux pour commencer par des questions aussi pointues. J'aurais cependant trois questions.

Est-ce qu'une vision futuriste du développement que pourrait connaître la région de l'Arctique dans les 25 prochaines années pourrait entre autres laisser entrevoir la nécessité de ne pas abandonner la question de la souveraineté du Canada dans cette région?

Comment la charte du futur Conseil de l'Arctique aborde-t-elle la question de la souveraineté des États signataires?

.0955

Est-ce que les problèmes écologiques qui ont été décrits et que nous connaissons ne viennent pas démontrer que les solutions ne peuvent pas être enfermées dans une notion de souveraineté?

[Traduction]

Le président: Ce sont des questions compliquées.

M. Cox: J'espère que le professeur McRae répondra à la deuxième question. Je répondrai à la première.

Je pense qu'il serait utile pour vous d'examiner le fait que non seulement notre souveraineté dans l'Arctique est contestée par les États-Unis, mais est aussi vue d'un mauvais oeil par les pays européens de l'Arctique, parce qu'ils s'interrogent sur la souveraineté de la Russie sur le côté européen de l'Arctique.

À mesure que nous avançons - et j'espère que nous avançons - vers une démarche plus coopérative en ce qui concerne l'Arctique, et dans laquelle nous allons collaborer de plus en plus avec d'autres pays arctiques, surtout les petits pays européens qui sont nos alliés naturels, nous serons peut-être obligés de repenser notre souveraineté en la matière, si je puis dire, et envisager la possibilité de mettre en commun et de partager notre souveraineté dans cette région.

M. McRae: En ce qui concerne la revendication de la souveraineté comme moyen de régler les problèmes écologiques, je pense qu'il est vrai que les problèmes écologiques de l'Arctique doivent être réglés de concert avec d'autres pays. L'avantage de la revendication de la souveraineté réside dans le fait qu'elle constitue un point de départ. Il faut bien que quelqu'un négocie en tant que défenseur des intérêts de l'Arctique. Autrement, si tout le monde revendique la région, personne ne la défendra.

J'ai dit tout à l'heure que la souveraineté ne sera pas un mécanisme de règlement des problèmes environnementaux, car ces problèmes ne peuvent être réglés par un seul pays. Si l'on sait clairement qui est propriétaire de quoi, au moins on a un point de départ pour négocier autour d'une table des modalités de règlement du problème.

Cela permet certainement de déterminer clairement l'interlocuteur qui parle au nom de la région. Cependant, le problème n'est pas territorial, et, par conséquent, la souveraineté territoriale en tant que telle ne constitue pas un mécanisme de résolution du problème.

[Français]

M. Paré: Est-ce que la charte du futur Conseil de l'Arctique aborde des questions de souveraineté?

[Traduction]

M. McRae: Je n'ai pas examiné la charte. Je ne pense pas. J'en doute.

Le président: Puis-je intervenir dans le même sens que M. Paré? Il me semble que nous disons et que vous nous dites, en ce qui concerne les peuples autochtones, par exemple, qu'ils craignent la conception traditionnelle de la souveraineté qui prévalait au XIXe siècle parce qu'elle est préjudiciable à la formation d'une véritable entité arctique.

Je pense que telle est la question de M. Paré. Comment surmonter cet obstacle du XIXe siècle pour accéder au XXIe siècle en ce qui concerne l'Arctique?

Est-ce que j'ai bien reformulé votre question, monsieur Paré?

[Français]

Si je comprends bien votre question, les notions traditionnelles de souveraineté ne seraient pas applicables à l'Arctique en raison des développements actuels. C'est à nous de trouver de nouvelles solutions. Les peuples autochtones qui ont comparu devant nous ont déjà dit qu'ils cherchaient d'autres solutions, davantage basées sur la coopération internationale que sur les notions de souveraineté.

M. Paré: Tout au contraire, dans ma première question, je demandais si dans une vision optimiste de son développement, qu'il est difficile de prévoir, au cours des 25 ou 100 prochaines années, il se pourrait que la région de l'Arctique se développe à un point tel qu'on dise regretter d'avoir abandonné sa souveraineté?

Présentement, on ne voit peut-être pas les choses de cet oeil, mais serait-il possible que nous le regrettions dans 50 ans?

.1000

Le président: On a perdu...

M. Paré: C'est ma première question. J'en doute beaucoup, remarquez bien.

[Traduction]

Le président: Je n'ai fait qu'embrouiller davantage les eaux de l'Arctique. J'en suis désolé.

M. Cox: J'allais répondre à la question concernant la charte, si j'ai bien compris, du Conseil de l'Arctique. L'ébauche de charte, ou plutôt les versions que j'ai vues, ne conteste pas directement la souveraineté de quelque État que ce soit, et elle est fondée sur les huit États circumpolaires.

Cependant, le conseil innove peut-être en accordant un statut à des gouvernements qui ne représentent pas des États. Il existe une catégorie de membres participants; par exemple, la Conférence circumpolaire inuit. Si l'on envisage la question de la souveraineté, la présence permanente de ces instances non gouvernementales pourrait être très importante à long terme.

M. McRae: Je pense que l'idée de la souveraineté dans l'Arctique est beaucoup plus chargée que les questions connexes. Pour le Canada, la souveraineté dans l'Arctique n'est pas une question territoriale; il s'agit simplement de déterminer si les eaux de l'archipel Arctique font partie des eaux intérieures canadiennes. Cela se résume à la question juridique assez subtile de savoir s'il existe un droit de passage ou de circulation libre dans ces eaux. En réalité, ainsi se résume la question de la souveraineté dans l'Arctique. Toutes les autres questions intéressant le Conseil de l'Arctique concernent... Les questions relatives à ces eaux ne représentent qu'une partie d'un tableau beaucoup plus vaste.

Pour les États-Unis, il ne s'agit pas de revendiquer une souveraineté étendue ailleurs; ce pays veut simplement que ses navires circulent dans des eaux qui pourraient être également revendiquées par d'autres États dans le monde.

De temps en temps, bien entendu, on se demande si la mer Arctique peut être entourée par tous les États riverains. Ce n'est pas une question très sérieuse en ce moment.

Je pense donc que la seule question de souveraineté est de savoir qui va contrôler le passage dans ces eaux, et l'on craint évidemment, comme le professeur Cox l'a dit, que cela n'encourage les Russes à revendiquer de plus vastes étendues d'eau.

Les véritables questions de souveraineté sont relativement étroites et limitées, et si l'on parle de renonciation à la souveraineté et d'abandon des revendications, cela implique, à mon avis, une conception beaucoup plus large selon laquelle les États de l'Arctique seraient en quelque sorte moins souverains dans les régions où leur souveraineté est reconnue.

Actuellement, en ce qui concerne le Canada, la question de la souveraineté dans l'Arctique est de savoir qui contrôle le passage des navires dans ces eaux. En fait, c'est une question très étroite.

Le président: Monsieur Morrison.

M. Morrison (Swift Current - Maple Creek - Assiniboia): Monsieur McRae, excusez mon retard. Vous avez peut-être déjà abordé ma question. Avez-vous mentionné le passage du Manhattan dans le passage du Nord-Ouest?

M. McRae: Je ne l'ai pas mentionné, mais j'ai indiqué brièvement que c'était la raison pour laquelle il fallait régler la question du point de vue environnemental au lieu de chercher à établir une souveraineté intégrale.

M. Morrison: J'ai donc une question. L'accord de 1988 stipule que les États-Unis doivent nous informer de leur passage, mais le passage du Manhattan n'a-t-il pas vraiment établi un précédent très solide faisant du passage du Nord-Ouest une voie internationale? N'essayons-nous pas ici de nous rattraper en faisant une revendication sectorielle sur toute la région?

M. McRae: Je ne pense pas que nous soyons revenus en arrière. À mon avis, cela a indiqué les problèmes possibles dans l'avenir. Le Manhattan a fait un voyage qui, en fait, n'a été possible qu'avec l'aide d'un brise-glace canadien. Par conséquent, ce n'est pas comme si c'était un navire étranger capable de s'en sortir tout seul sans aide de la part du gouvernement canadien.

.1005

Le droit relatif au passage dans les détroits internationaux a été établi dans une affaire concernant le détroit de Corfou. En effet, afin de démontrer que ce détroit était utilisé pour la navigation internationale, on a prouvé que près de 3 000 voyages avaient été effectués dans ces eaux. Nous parlons de 11 ou 12 voyages environ sur une longue période.

Je ne pense donc pas qu'un voyage change quoi que ce soit à la revendication. Je pense que c'était une indication des possibilités. À l'époque du Manhattan, il y avait toutes sortes de plans de transport du pétrole du versant nord de l'Alaska à travers l'Arctique. Si cela s'était produit, c'est qu'on voyait des passages réguliers plusieurs fois l'an, ce qui donnerait à penser qu'il s'agissait d'un passage utilisé pour la navigation internationale. Toutefois, je ne pense pas que le cas du Manhattan établisse vraiment autre chose qu'une possibilité. Cela ne change pas la position juridique.

M. Morrison: Mes deux questions suivantes s'adressent à M. Cox.

Le président: Monsieur Morrison, puis-je vous interrompre un instant? Vous avez dit dans votre question que nous invoquons la revendication sectorielle. Est-ce bien ce que vous pensez? À ma connaissance, le Canada ne défend plus la position de l'ancien sénateur Poirier, selon qui notre souveraineté s'étend jusqu'au pôle. Le professeur McRae pourrait peut-être nous apporter des éclaircissements là-dessus, mais je pense que tel n'est plus la position officielle du gouvernement canadien.

M. McRae: Je ne crois pas que le Canada ait jamais abandonné officiellement la revendication sectorielle comme recours possible si la question était portée devant un tribunal, mais je ne l'ai jamais considérée comme une première défense sérieuse de la position canadienne dans l'Arctique. Juridiquement, il est très difficile de défendre cette revendication.

M. Morrison: Si nous n'invoquons pas la revendication sectorielle, quelle est notre solution de rechange? Si nous ne l'invoquons pas, sur quoi fondons-nous alors notre aspiration au contrôle du passage du Nord-Ouest, par exemple?

Une voix: Sur les lignes de base droites.

M. McRae: En effet; sur les lignes de base droites.

Une revendication sectorielle signifierait que nous revendiquons toutes les eaux à partir d'une ligne qui s'étend de notre frontière occidentale jusqu'au pôle. En fait, tout ce que nous revendiquons, ce sont les eaux situées derrière les lignes de base entourant les îles de l'archipel Arctique, ce qui est beaucoup moins grand. Ainsi donc, le passage du Nord-Ouest s'inscrit dans notre revendication fondée sur les lignes de base droites, et non pas dans le cadre d'un secteur.

M. Morrison: Merci.

Je reviens donc à ma deuxième question. Monsieur Cox, vous avez mentionné la possibilité d'installer un système de détection des sous-marins. Je pense que c'est un peu comme le chien qui chasse les voitures: que ferait-il s'il en attrapait une? À quoi bon? Pouvez-vous nous expliquer cela? De toute évidence, nous n'allons pas détruire les sous-marins dans l'eau. Quel est donc l'objectif ici?

M. Cox: Je pense que l'objectif serait de savoir exactement quelle est la circulation dans le secteur, et plus précisément, à chaque passage, d'envoyer une note diplomatique à Washington pour protester. Ce serait une façon de contester juridiquement toute allégation des États-Unis selon laquelle ils ont emprunté fréquemment le passage du Nord-Ouest sans que le Canada s'y oppose.

M. Morrison: Voici ma dernière question, monsieur Cox. Avez-vous bien indiqué que le déversement de déchets nucléaires liquides se poursuit? Je pensais que c'était fini.

M. Cox: D'après les dernières informations que j'ai reçues, ils se poursuivent.

M. Morrison: Mon Dieu!

C'est tout. Je vous remercie.

Le président: Monsieur Dupuy.

M. Dupuy (Laval-Ouest): J'ai quelques questions à poser sur les lignes de base. Ai-je bien compris que l'intérêt canadien dans l'Arctique du point de vue de la souveraineté serait entièrement protégé si l'on reconnaissait les lignes de base? Comment se fait-il que d'autres pays soient réticents à reconnaître les lignes de base dans l'Arctique comme moyen judicieux de déterminer les eaux territoriales, alors que la théorie des lignes de base est bien acceptée en droit international? Le concept des lignes de base est-il applicable à l'Arctique, ou est-ce la règle relative aux lignes de cap à cap qui est en jeu ici?

M. McRae: Pour répondre à la première partie de votre question, oui, si la méthode des lignes de base droites était reconnue pour l'archipel arctique par tous les États, le Canada réaliserait son objectif de contrôler intégralement les eaux de la région. Les objections concernent essentiellement la longueur des lignes de base.

.1010

Il y a d'autres domaines où les lignes de base droites ont été appliquées à une échelle beaucoup plus petite, et elles ne sont pas contestées dans le monde entier. La longueur des lignes de base est beaucoup plus petite parce que, d'une manière générale, en traçant des lignes de base droites, on ne devrait pas s'éloigner sensiblement de l'orientation générale de la côte.

Lorsqu'on a une ligne de base dont la longueur est de 90 ou 100 milles, d'aucuns estiment qu'on s'éloigne sensiblement de l'orientation générale de la côte. Pour inclure l'archipel Arctique, il faut que les lignes de base droites soient assez longues, et qu'elles passent par l'entrée du détroit de Lancaster. Je crois que la Birmanie détient le record de la ligne de base droite la plus longue du monde; elle mesure 200 milles environ. Les lignes de base canadiennes sont plus courtes.

L'objection au traçage des lignes de base droites dans l'Arctique n'est pas différente de l'objection au traçage de la ligne de base droite entre l'île de Vancouver et les îles de la Reine-Charlotte, qui mesure près de 90 milles, et qui inclurait le détroit d'Hécate dans les eaux intérieures du Canada.

S'il a fallu attendre 1985 pour tracer ces lignes de base droites, c'est parce que dans toutes ces régions le Canada hésite beaucoup à provoquer une réaction de la part des autres pays, qui nous reprocheraient d'avoir tracé une ligne de base beaucoup trop longue. La raison de l'objection est que cela donnerait la possibilité à d'autres pays dans le monde de tracer des lignes de base tout aussi longues et de fermer des zones maritimes qui seraient normalement ouvertes à la circulation.

M. Dupuy: Il ne s'agit donc pas d'invoquer la doctrine pour l'Arctique; il s'agit plutôt de la technique de traçage de la ligne de base.

M. McRae: En effet. Le Canada soutient qu'il est justifié de tracer des lignes de base plus longues en raison de la nature particulière de la région, de l'interdépendance entre les îles et le continent et du fait qu'une partie de ce territoire est essentiellement gelée pendant la plus grande partie de l'année. Il ne s'agit pas vraiment de la mer dans le sens traditionnel. Voilà les arguments qui sont avancés pour justifier ce que l'on pourrait considérer dans certaines régions comme un décalage par rapport à l'orientation générale de la côte.

M. Dupuy: Si cela était négociable, pourrait-on encore préserver l'essentiel de nos intérêts dans l'Arctique?

M. McRae: Tout dépend de la forme des négociations. Si vous voulez une reconnaissance de tous les États, il faudrait négocier essentiellement dans un grand forum multilatéral, et il est peu probable que cette question revienne sur le tapis dans le cadre d'une négociation sur le droit de la mer.

Si vous négociez avec les différents États concernés, c'est-à-dire avec les États-Unis et avec certains pays européens, comme l'a dit le professeur Cox, vous pouvez conclure avec eux une entente pour qu'ils ne s'y opposent pas. On n'obtient pas nécessairement une reconnaissance universelle. En termes pratiques, en effet, on obtient la reconnaissance.

C'est pour cela que j'ai dit tout à l'heure que l'entente relative aux brise-glace est une façon beaucoup plus pratique de mettre fin aux contestations ou d'annuler l'effet d'un voyage que d'essayer de conclure une entente sur le principe. À mon avis, les États-Unis ne contestent pas tellement la position canadienne; ils contestent le précédent qui serait établi pour d'autres pays dans le monde où les États-Unis ont des intérêts stratégiques dans la navigation.

M. Dupuy: En fait, je pensais à votre régime spécial pour l'Arctique, car je partage votre avis sur le fait que les précédents établis ailleurs dans le monde seraient très importants et la négociation d'un accord mondial serait très complexe.

Votre dernière observation me rappelle l'autre question que j'allais poser, et qui concerne le droit de passage inoffensif. Au fond, à mon avis, si le Canada était souverain dans la région et s'il traçait la ligne de base, cela n'empêcherait pas la circulation inoffensive dans le passage du Nord-Ouest.

M. McRae: Oui, parce que la mer territoriale dans laquelle existe le droit de passage inoffensif s'arrête à la ligne de base droite et s'étend en direction de la haute mer. La mer territoriale du Canada encercle le rebord extérieur de l'archipel de l'Arctique. À l'intérieur se trouvent les eaux intérieures, et il n'existe pas de passage inoffensif dans ces eaux. Elles relèvent entièrement de la souveraineté de l'État côtier.

M. Dupuy: Serait-il possible pour le Canada d'accorder le droit de passage inoffensif dans ces eaux territoriales? Il est évident que lorsqu'un cargo transite dans le Saint-Laurent, il n'a pas à obtenir une autorisation spéciale. Il s'agit d'un passage inoffensif dans une mer territoriale clairement établie. Pourquoi le même principe ne s'appliquerait-il pas aux eaux de l'Arctique?

.1015

M. McRae: Tout d'abord, pour le gouvernement du Canada, dès qu'un navire pénètre dans le golfe du Saint-Laurent, il ne se trouve plus dans la mer territoriale du Canada, mais bien dans ses eaux intérieures. Dans la mer territoriale, il y a effectivement un droit de passage inoffensif; en revanche, dans les eaux intérieures, les navires peuvent y naviguer, mais uniquement parce que l'État côtier les y autorise.

La différence, c'est que pour les eaux intérieures, comme dans le golfe du Saint-Laurent, le gouvernement du Canada pourrait interdire toute navigation. Voilà la distinction entre le passage inoffensif et la mer territoriale. Le gouvernement du Canada ne peut pas interdire le passage dans la mer territoriale. Il peut limiter et réglementer les passages dans la mer territoriale, et peut-être y créer des voies maritimes, mais il ne peut pas en interdire l'accès aux navires étrangers. Par contre, il peut le faire dans le cas des eaux intérieures.

Toutefois, dans la pratique, le gouvernement du Canada a clairement déclaré qu'il n'entend pas empêcher le passage dans les eaux de l'Arctique, c'est-à-dire par le passage du Nord-Ouest. Il tient par contre à établir les modalités de ce passage. Elles seront créées par le Canada et ne seront pas le résultat d'une entente internationale. Elles seront définies unilatéralement par le Canada, et c'est ce que signifie le fait de les désigner «eaux intérieures» plutôt que «eaux territoriales». Les désigner «eaux territoriales» crée effectivement un droit de passage inoffensif pour les autres pays.

M. Dupuy: Ne s'agit-il pas là d'une question qui pourrait faire l'objet de négociations?

M. McRae: Oui. Le Canada pourrait établir avec les États-Unis les modalités de passage des navires américains dans le passage du Nord-Ouest. Le problème pour les États-Unis, c'est que ce serait reconnaître par là que le Canada est souverain dans ce secteur.

Le président: Merci.

Monsieur Sauvageau.

[Français]

M. Sauvageau (Terrebonne): Bonjour, messieurs. J'ai deux questions. La première portera principalement sur le Conseil de l'Arctique.

Des témoins nous ont parlé de l'intérêt mitigé des États-Unis face au Conseil de l'Arctique. D'abord, ils se sont fait un peu tirer l'oreille avant de démontrer un intérêt quelque peu marqué à participer au Conseil de l'Arctique. On a beaucoup parlé du rôle de leadership du Canada dans ce Conseil de l'Arctique.

Si on fait abstraction des États-Unis et du Canada, qui a manifesté beaucoup d'intérêt, comment peut-on qualifier l'intérêt des six autres pays membres du Conseil de l'Arctique?

Les premiers témoins nous ont aussi parlé du financement. Je crois que le gouvernement canadien assure le financement dans un premier temps. Dans un deuxième temps, ça va fonctionner par rotation d'une façon qu'on ne connaît pas encore. On connaît cependant les difficultés de financement des organismes internationaux. Comment pourra-t-on assurer la pérennité d'un organisme comme celui-là? Est-ce qu'on va devoir établir un protocole d'entente fixe au niveau du financement? C'est mon premier point d'intérêt.

Mon deuxième point d'intérêt est un parallèle entre l'Arctique et l'Antarctique. Il y a huit pays membres au niveau de l'Arctique. Au niveau de l'Antarctique, 16 ou 18 pays ont participé à des relations et à des ententes multilatérales.

Serait-il utile pour le comité, qui étudie une politique de l'Arctique, de faire des comparaisons avec les politiques qui ont été adoptées dans l'Antarctique ou si c'est complètement différent?

[Traduction]

M. Cox: Je vais répondre à la première question. Je suis le dossier du Conseil de l'Arctique depuis environ un an et j'ai le sentiment que l'intérêt des six autres pays a fluctué. Parfois l'intérêt a été relativement faible, alors qu'à d'autres moments il a été plus vif. Il s'agit donc essentiellement d'une politique canadienne.

Pour ce qui est du financement, qui sera fourni à tour de rôle par les pays membres, à commencer par le Canada, qui financera le secrétariat pendant deux ans, j'ai le sentiment que cette formule est la meilleure dans les circonstances et a permis de vaincre les objections des États-Unis, en particulier.

.1020

En effet, les États-Unis s'opposent en principe à la prolifération des organisations internationales et, je crois, s'opposent tout particulièrement au Conseil de l'Arctique, et notamment aux efforts de promotion du Canada en sa faveur. Pour les Américains, la politique du Canada est un effort pour internationaliser les problèmes intérieurs du Canada dans l'Arctique, ce qui est une démarche assez typique du Canada.

Les Américains ne veulent pas internationaliser le dossier de l'Arctique et se font tirer l'oreille.

J'ai le sentiment que les autres pays de la région arctique partagent dans une certaine mesure les inquiétudes des Américains.

Par exemple, la Norvège ne tient pas du tout à donner à sa population autochtone un rôle de premier plan au conseil parce qu'elle n'est pas d'avis qu'elle a besoin d'être représentée de façon distincte au conseil.

La formule de financement n'est pas satisfaisante - c'est assez évident - mais c'est la meilleure qui ait pu être trouvée.

M. McRae: En réponse à la deuxième question, il y a à l'évidence des parallèles importants avec le régime de l'Antarctique, et vu ce qui se fait pour le Conseil de l'Arctique il est très important d'examiner ce qui se fait dans l'Antarctique.

Cela n'a pas pu être fait en partie parce que le régime de l'Antarctique s'est constitué de façon bien différente.

Tout d'abord, malgré toutes les prétentions à la souveraineté dans l'Antarctique, il n'y en a aucune qui soit vraiment très sérieuse.

Deuxièmement, les États-Unis ne revendiquent pas de souveraineté dans l'Arctique. Les États-Unis ont une longueur d'avance dans ce dossier. Les autres pays ne veulent pas revendiquer de souveraineté dans l'Antarctique parce que les États-Unis ont dit qu'ils ne reconnaîtront aucune de ces prétentions. Si vous voulez coopérer, ils écartent ces prétentions et acceptent de coopérer.

Troisièmement, le régime de l'Antarctique a vu le jour sous des auspices très heureux en raison de l'Année géophysique internationale de 1957 ou 1958, qui a permis de consacrer la région à la recherche scientifique. Ce régime, établi en vertu du Traité de l'Antarctique de 1959, a servi de base à la collaboration dans la région.

Les problèmes de la souveraineté ont donc été mis de côté. On y retrouve des États intéressés par la recherche scientifique dans l'Arctique.

Le Canada participe aujourd'hui, je crois, au régime de l'Antarctique et a collaboré de façon très fructueuse à des dossiers scientifiques environnementaux... non sans quelques cas controversés, parce que des efforts ont été faits à l'ONU pour, de l'avis de certains États, démocratiser le régime de l'Arctique en vue de l'ouvrir à tous les États, et non pas uniquement à ceux qui s'intéressent à l'activité scientifique.

Oui, c'est un régime qui peut être examiné de très près.

[Français]

M. Sauvageau: Y a-t-il en Antarctique un organisme semblable au Conseil de l'Arctique?

[Traduction]

M. McRae: D'après mon souvenir, c'est un mécanisme consultatif dans le cas de l'Antarctique, et il y a des rencontres régulières entre les États membres, mais sans conseil en bonne et due forme.

[Français]

M. Sauvageau: Je vous remercie.

Le président: Merci, monsieur Sauvageau.

[Traduction]

Monsieur Flis.

M. Flis (Parkdale - High Park): La plupart des questions que je voulais poser l'ont déjà été. Je ne vais donc pas les répéter.

J'ai été intrigué par l'idée de M. Cox qui disait que l'on pourrait utiliser le système de sécurité du NORAD pour l'Arctique, et non pas seulement pour l'Amérique du Nord, et aussi par l'idée de démilitariser l'Arctique.

Est-ce que ces idées sont acceptables pour la Russie? Si l'on adopte le NORAD, il faudra divulguer des secrets aux deux super-puissances, etc. Et puis, le NORAD a fait très peu de cas de l'environnement, comme l'illustrent les cas que vous avez cités aujourd'hui. Finalement, lorsque nous avons reconduit l'accord sur le NORAD, nous y avons intégré des dispositions de protection de l'environnement.

.1025

Je me demande si la Russie et d'autres pays sont vraiment ouverts à l'idée de démilitariser l'Arctique et d'utiliser le NORAD comme système de surveillance de sécurité. Je pense que c'est une idée magnifique, mais est-ce faisable?

M. Cox: Ce n'est pas un objectif qui puisse être atteint immédiatement. C'est évident.

Je vais d'abord répondre à la question à propos de NORAD. L'idée de mettre en commun les données relatives à l'Arctique remonte en fait à il y a longtemps. Jusqu'à la fin des années 1950. Il s'agissait dans tous les cas de mesures destinées à renforcer la confiance. Il y a eu quelques problèmes importants, dont vous avez parlé, deux en particulier.

D'abord, si l'on examine la façon dont les systèmes de surveillance militaire ont vu le jour, on s'aperçoit que le nôtre est beaucoup plus proche de la région à protéger que le système soviétique l'était. On a donc toujours soutenu que tout échange de données serait beaucoup plus avantageux pour les Russes. Pour ma part, je pense que l'idée fait son chemin actuellement aux États-Unis et que sur la question précise d'un système de surveillance commun il serait possible de régler les problèmes de sécurité. Les données ne seraient pas toutes divulguées, mais créer un réseau de surveillance radar est peut-être une possibilité qui pourrait être envisagée d'un oeil favorable par les États-Unis.

Quant à savoir ce qu'en penseraient les autres pays, je dirais que les Russes seraient en faveur parce que, à première vue, c'est à leur avantage. Tout ce qui les rapproche des États-Unis dans le domaine militaire devrait les intéresser. Les autres pays européens, eux, sont très intéressés. Un système de surveillance commun, quel qu'il soit, améliorerait les installations dont disposent actuellement les pays européens plus petits de l'Arctique.

Est-ce réaliste? Je vais vous donner des exemples dont je parle brièvement dans mon document. Il y a huit ans, l'idée d'un Conseil de l'Arctique ne paraissait pas très réaliste. Pourtant, nous nous en rapprochons. Le conseil est sur le point de voir le jour. Si l'idée est bonne, elle met du temps à se concrétiser.

Sans tomber à l'excès dans les appels en faveur d'une zone démilitarisée, je dirais que le comité pourrait examiner et encourager l'idée de tenir des discussions parallèles - idéalement peut-être au sein d'un groupe non gouvernemental - pour examiner les mesures à prendre en ce sens. Je ne dis pas que cela pourrait faire partie du programme d'activités du Conseil de l'Arctique, parce qu'il est certain que cela susciterait les objections des États-Unis. Cette idée d'un groupe parallèle pourrait n'être qu'une recommandation. Cela s'apparenterait alors à d'autres propositions qui ont mis entre cinq et dix ans pour aboutir.

M. Flis: Vu que les États-Unis a été le dernier pays à accepter la création du Conseil de l'Arctique, que le Canada accueillera la rencontre qui le créera et qu'il sera son premier président, quelles priorités le Canada devrait-il mettre à l'ordre du jour? Comme les États-Unis ont été le dernier pays à accepter et sachant que la souveraineté et la sécurité sont des questions brûlantes pour ce pays, celles-ci devraient-elles être prioritaires lors de la première série de rencontres?

.1030

M. Cox: Selon moi, on a bien fait d'insister sur les questions environnementales. Dans un premier temps, je ne voudrais pas que l'on insiste sur la question de la sécurité.

M. Flis: La souveraineté?

M. Cox: La souveraineté non plus.

Le président: Monsieur Mills.

M. Mills (Red Deer): Il me semble que ce qui devrait faire l'unanimité des huit pays, c'est l'idée de la sécurité environnementale. Je pense aux risques de catastrophes nucléaires. Nous en parlons, et vous-même, monsieur Cox, vous nous citez des chiffres qui nous renversent, mais personne ne semble pouvoir mesurer la gravité du problème. Deuxièmement, personne ne semble capable non plus de nous dire ce que nous allons faire. Le problème est-il aussi grave qu'il y paraît, et qu'allons-nous faire pour le corriger?

M. McRae: J'ignore si je peux répondre à la première question sur la gravité du problème. C'est M. Cox qui a donné les chiffres.

Ce qu'on peut faire? Je ne veux pas paraître trop désabusé, mais je ne crois pas que le dossier de l'environnement dans l'Arctique soit différent de ce qu'il est ailleurs dans le monde. Si vous me demandez ce que les pays ont réussi à faire grâce à des ententes multilatérales, je vous dirai assez peu et très lentement. Il n'y a pas selon moi de dynamique particulière qui s'applique à l'Arctique qui ferait qu'il est plus facile de régler ces questions là-bas, pas plus que ce n'est le cas lorsqu'il est question de la couche d'ozone ou des pluies acides. Très lentement les États se sont rendu compte qu'ils doivent prendre des mesures pour régler les problèmes environnementaux. Je m'attends donc à ce que les mêmes difficultés surgissent dans la région de l'Arctique lorsque nous essaierons d'y faire face.

M. Mills: Le coût semble être un facteur important. Si une centaine de sous-marins sont en train de rouiller et de fuir, cela semble être un problème immense, et la solution doit coûter les yeux de la tête.

M. McRae: Sur la scène internationale, on dirait qu'il y a un cycle. L'intérêt pour les questions environnementales monte, puis l'économie mondiale a des ratés, ce qui met le dossier de l'environnement sous le boisseau. Par exemple, après la conférence de Stockholm en 1972, il y a eu la crise du pétrole, et la question de l'environnement s'est trouvée au bas de la liste des préoccupations internationales. Aujourd'hui elle fait peut-être une remontée par suite de la conférence de Rio et de la sensibilisation aux questions du développement durable. Il n'est pas clair toutefois qu'il y ait un consensus international sur l'importance de ces sujets de négociation.

Le président: Peut-être pourriez-vous nous dire si le Canada, dans ses accords internationaux, a accepté les contrôles internationaux sur la pollution en provenance du Canada. Cela montre combien il est difficile d'obtenir ces accords. J'ai le sentiment que nous ne sommes pas meilleurs que les autres, et vous pourriez peut-être nous le confirmer publiquement, monsieur McRae.

M. McRae: Je m'attendais à ce que vous me posiez cette question. Je serais étonné que les ministères des Affaires étrangères et de l'Environnement l'avouent, parce que sur ce point le Canada estime être au premier rang. Par exemple, pour la couche d'ozone, le Protocole de Montréal est sans doute l'un des accords internationaux sur l'environnement le plus réussis.

Le président: C'est juste.

Désolé, je n'aurais pas dû vous interrompre.

Monsieur Cullen.

.1035

M. Cullen (Etobicoke-Nord): Merci, monsieur le président.

Bonjour, messieurs.

Je vais revenir sur ce qui a été dit tout à l'heure à propos de la discussion des questions environnementales relatives à l'Arctique dans un cadre multilatéral. Mon sentiment se résume ainsi: «Loin des yeux, loin du coeur.» Autrement dit, de cette façon il faudra encore plus de temps pour prendre des mesures concrètes. Mais ce n'est qu'une observation inoffensive de ma part.

Mais laissez-moi aborder ce dont je veux vraiment parler, et ma question va s'adresser àM. McRae.

Vous avez dit que les questions juridiques sont assez bien circonscrites, si je vous ai bien compris, puisqu'il s'agit en fait de navigation transpolaire et de droit de passage dans les eaux de l'Arctique. Peut-on donc conclure que, en droit, si le Canada n'affirme pas sa souveraineté, toute prétention future sur le pétrole, le gaz ou le minerai dans ces eaux de l'Arctique...?

Je vais revenir brièvement sur ce dont a parlé tout à l'heure M. Paré. Si nous n'affirmons pas notre souveraineté, quelles sont les conséquences pour d'autres dossiers? Je pense tout particulièrement aux droits futurs sur le pétrole, le gaz et le minerai dans ces eaux.

M. McRae: Je ne crois pas qu'il y ait de difficulté ici, parce que si ces eaux ne sont pas intérieures, elles font assurément partie de la zone économique exclusive du Canada, et le Canada a des droits sur les ressources de la zone économique exclusive. Je ne pense donc pas que nous risquons de perdre des droits ou des richesses naturelles.

Le seul problème est de savoir qui fixe les règles pour les navires et les sous-marins qui empruntent le passage du Nord-Ouest. C'est vraiment la seule difficulté ici.

M. Cullen: Merci.

Le président: La mer de Beaufort est une pomme de discorde entre nous et les États-Unis précisément pour cette raison, n'est-ce pas? Je parle de la délimitation.

M. McRae: Pour ce qui est de la délimitation, oui, cela est contesté. Mais la zone dont nous parlons se trouve clairement à l'intérieur de la zone économique exclusive du Canada ou de la zone économique exclusive des États-Unis.

Le président: Ah, il n'y a donc pas de problème. C'est l'un ou l'autre pays qui établira la réglementation.

M. McRae: Oui.

Le président: Merci, monsieur Cullen.

Monsieur Assadourian.

M. Assadourian (Don Valley-Nord): Combien y a-t-il d'Autochtones dans les huit pays de la région de l'Arctique, et combien sont au Canada?

M. Cox: Je l'ignore.

M. Assadourian: Y a-t-il un organisme qui réunit ces personnes et leur permet de présenter leur point de vue à leurs pays respectifs, ou se débrouillent-ils tout seuls? Nous devons le savoir. Nous parlons de la région où vivent ces personnes. Nous ne vivons pas là.

Les Autochtones sauraient quoi faire et comment s'y prendre mieux que je ne le saurais, et probablement mieux que la plupart des personnes ici dans la salle, même si je ne connais pas tout le monde. Sont-ils chapeautés par un comité ou une association qui leur permet de présenter un point de vue uniforme à leurs pays respectifs, ou est-ce nous qui décidons tout pour eux?

M. Cox: Je pense que la pratique varie d'un pays à l'autre.

Il existe certains groupes qui transcendent les frontières des États. Comme je l'ai dit tout à l'heure, la Norvège, pour sa part, n'est guère encline à considérer les peuples autochtones comme distincts des Norvégiens. Dans le cas des Russes, il existe une foule d'organisations. Quant à savoir comment s'établissent leurs rapports avec le gouvernement russe, c'est une très bonne question, car ce n'est que depuis quelques années qu'on leur reconnaît un statut quelconque.

Il est donc difficile pour moi de répondre clairement à votre question. Tout ce que je peux vous dire, c'est que les pratiques varient dans les divers pays circumpolaires.

M. Assadourian: Lorsqu'on parle de l'Arctique, parlons-nous de la région au nord du70e parallèle?

M. Cox: Au nord du 66e.

M. Assadourian: Et on ne peut pas savoir quelle est la population de cette région?

M. Cox: Oh, oui, on peut certainement trouver quelle population indigène se trouve au nord du 66e parallèle; c'est tout simplement que je l'ignore.

M. Assadourian: D'accord. Merci.

.1040

Le président: Monsieur Paré.

[Français]

M. Paré: Monsieur McRae, vous établissiez un parallèle entre la ligne des basses eaux et l'article 234 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer comme étant deux théories ou deux éléments qui pouvaient s'opposer relativement à la souveraineté.

J'aimerais que vous reveniez sur ce sujet puisque je ne suis pas sûr d'avoir compris la nature de l'article 234 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.

[Traduction]

M. McRae: L'article 234 confère aux États le droit de prendre des mesures spéciales dans leur zone économique exclusive pour faire face aux conséquences que les conditions extrêmes de l'Arctique peuvent avoir pour la nature de la navigation. L'article 234 s'applique uniquement à la zone économique exclusive d'un État.

Les États qui soutiennent que l'archipel de l'Arctique canadien fait partie de la zone économique exclusive du Canada, et non pas de ses eaux intérieures, diraient qu'une fois que le Canada aura signé la Convention sur le droit de la mer son droit de réglementer le passage à travers l'archipel, par le passage du Nord-Ouest, découlera de l'article 234 de la convention.

La position du Canada, à tout le moins depuis que l'on a tracé des lignes de base droites, et probablement avant, c'est que l'article 234 s'appliquerait aux régions situées au-delà des lignes de base, l'intérieur des lignes de base comprenant les eaux intérieures du Canada. Par conséquent, le Canada a toute compétence pour les réglementer, et l'article 234 ne s'applique pas à cette région.En fait, tout dépend si l'on accepte ou non les lignes de base droites. Si l'on n'accepte pas ces lignes de base droites, alors les eaux en question relèvent de la zone économique exclusive du Canada. Par contre, si on les accepte, il s'agit alors d'eaux intérieures du Canada.

Selon la théorie du Canada, fondée sur les lignes de base droites, nous sommes en présence d'eaux intérieures, et le Canada a le droit d'y réglementer le passage. Si la théorie des lignes de base droites ne s'appliquait pas, l'article 234 de la convention s'appliquerait, et on serait alors en présence d'une zone économique exclusive, et, en conformité avec l'article 234, le Canada serait habilité à prendre certaines mesures spéciales pour tenir compte de ces conditions uniques.

Le président: Monsieur English.

M. English (Kitchener): Monsieur Cox, vous avez écrit davantage sur les questions de sécurité que sur l'Arctique tout simplement. Je voudrais revenir sur un point que vous avez abordé presque en passant.

Vous avez dit que le fait que les Russes aient communiqué ces informations en 1993 marquait une époque de grande sincérité. Vous avez évidemment raison, mais depuis lors, nous avons constaté une tendance au nationalisme, qui pourrait sous peu se transformer en nationalisme extrême, la possibilité qu'accède au pouvoir un président qui exalte la tradition de Staline, en dépit de ce que nous savons aujourd'hui de Staline, qui parle de restaurer l'Union soviétique. Vous savez évidemment ce qu'il en était auparavant.

Quelle incidence cela pourrait avoir sur le Conseil de l'Arctique, sur la coopération, et en fait sur la perspective de pourparlers éventuels au sujet de la sécurité dans l'Arctique?

Vos commentaires d'aujourd'hui en matière de sécurité ont toujours porté sur les États-Unis, mais, chose certaine, l'autre camp représente une source potentielle d'inquiétudes plus grande à cet égard.

M. Cox: Évidemment, on ne peut que formuler des hypothèses à ce sujet. Il n'est pas impossible que dans des délais relativement courts nous nous retrouvions dans une situation où il y aurait, encore une fois, des enjeux nucléaires stratégiques sérieux entre les États-Unis et la Russie. Il se pourrait, par exemple, que ralentissent et ensuite s'arrêtent les progrès de mise en oeuvre du traité sur la réduction des armes nucléaires. Si ces progrès cessent, on constatera que les tensions commenceront à monter et que les États-Unis et la Russie commenceront à prendre des mesures pour renforcer leurs prétendues défenses l'un contre l'autre. Je pense qu'on constatera également que si la situation se détériore en Russie, en ce sens qu'elle devient plus nationaliste, les Russes seront moins disposés à participer à des discussions collectives, etc.

.1045

De façon générale, si l'on considère les accords de contrôle des armements dans le passé, et en fait tous les efforts en vue d'atténuer les tensions liées à la sécurité entre les superpuissances en particulier, mais aussi entre tous les autres États, tous ces arrangements sont au sens large du terme des mesures d'instauration de la confiance. Ce sont des mécanismes qui favorisent le dialogue, qui font en sorte que les parties continuent de se parler, car on croit que la poursuite des discussions sera utile au moment où la tension sera vive.

Depuis cinq ans environ depuis l'après-guerre froide, les tensions dans l'Arctique ont été très faibles. De façon générale, tous les gouvernements intéressés et la plupart des particuliers qui s'intéressent à ces questions en sont venus à la conclusion que, par conséquent, il n'est pas nécessaire de discuter de questions de sécurité. En fait, il aurait fallu tirer la conclusion inverse et se dire que c'est lorsque les tensions sont faibles que le moment est bien choisi pour créer des institutions et des mécanismes qui feront échec aux difficultés lorsque la tension monte.

Si tel est le cas, et si cela semble sensé, pourquoi les gouvernements n'agissent-ils pas ainsi? Manifestement, c'est parce que les gouvernements sont tellement obnubilés par leurs programmes à court terme que tout ce qui n'a que peu de retentissement immédiat est complètement évacué. Voilà pourquoi je conclus que la seule façon d'avancer, c'est de créer des groupes et des mécanismes non gouvernementaux, ce que l'on appelle maintenant la diplomatie de la deuxième voie, ce qui permet de continuer de discuter de ces questions et, dans des délais relativement courts, de fournir des plans aux gouvernements.

Je suis plutôt d'accord avec la prémisse de votre question. Je pense que les choses peuvent se détériorer énormément, et, dans le dossier de la sécurité, nous avons raté des occasions de contenir les parties dans des processus et des institutions.

Le président: Si vous me le permettez, monsieur Cox, je pense que c'est précisément pour cette raison que les membres du comité ont décidé collectivement d'entreprendre cette étude de l'Arctique, pour s'assurer que cette question est à l'ordre du jour. Il y a des gens qui réfléchissent à ces questions.

Monsieur English.

M. English: Comme vous le savez, le gouvernement du Canada a toujours une vision à long terme.

Vous avez fort bien répondu, mais, dans ce contexte, quelles sont les organisations non gouvernementales que nous pourrions...? Les scandinaves viennent immédiatement à l'esprit, mais quelles sont celles qui existent en Russie? Vous connaissez bien, et moi aussi, dans une certaine mesure, celles qui existaient en Union soviétique, mais qui sont les intervenants aujourd'hui? Y a-t-il en Russie des organisations non gouvernementales qui s'intéressent aux questions du Nord? L'Institute on Canada and the United States est-il encore un intervenant? Qu'est-ce qui reste?

M. Cox: Je serais tenté de vous dire qu'à cet égard le Canada et la Russie ont quelque chose en commun. Nous avons tous deux détruit notre capacité de réfléchir à ces questions à l'extérieur du gouvernement. À ma connaissance, il est maintenant très difficile de trouver en Russie des organisations qui sont bien financées, ou à tout le moins financés convenablement, et bien organisées. À mon avis, il faut chercher des partenaires.

Il ne faut pas oublier qu'à l'extérieur du gouvernement et des universités nous sommes très peu en mesure de réfléchir à cette question de façon organisée et disciplinée. Au Canada, les gouvernements successifs ont démantelé les organismes indépendants d'analyse et de réflexion parce qu'ils dépendent énormément du financement gouvernemental. À mon avis, il est très important - et j'espère que le comité reviendra sur cette question - d'envisager des façons d'assurer cette réflexion, surtout en ce qui a trait à l'Arctique.

Je signale que c'est une fondation privée, et non le gouvernement, qui a assuré pendant de nombreuses années la promotion du Conseil de l'Arctique au Canada. Le gouvernement a manifesté énormément de réticence à fournir quelque appui que ce soit.

.1050

Le président: S'agit-il de la Fondation Gordon?

M. Cox: Oui.

M. English: Merci.

Le président: Monsieur McRae.

M. McRae: Pour revenir aux questions que vous avez posées tout à l'heure, l'un des étudiants de l'Université d'Ottawa a effectué des recherches pour le comité. Mme Joëlle Martin vient de me remettre une note. Ses recherches indiquent qu'il y a environ 300 000 autochtones dans les pays de la région arctique.

Évidemment, en ce qui a trait aux Inuit, la Conférence circumpolaire inuit est un outil de collaboration avec les Inuit des autres pays. Comme le professeur Cox l'a dit, chaque pays a sa façon de traiter avec la population autochtone, par exemple l'autonomie gouvernementale au Groenland et le Conseil nordique lapon en Norvège.

M. Assadourian: Sur ces 300 000 Autochtones, combien vivent en territoire canadien?

Mme Joelle Martin (étudiante, Faculté de droit, Université d'Ottawa): Il y en a plus que 300 000. Au Canada seulement, on en compte environ 80 000. C'est ce qui ressort de mes dernières lectures.

M. Assadourian: Merci.

Mme Martin: Cela est fondé sur une interprétation rigoureuse de qui vit et ne vit pas dans la région.

Le président: Quelqu'un nous a dit l'autre jour qu'il y avait un million d'Autochtones en Russie.

M. Assadourian: Cette population compte donc 300 000 personnes, dont 80 000 vivent en territoire canadien?

Mme Martin: Oui. Comme on vient de le dire, la situation en Russie n'a pas été aussi bien documentée ou, en tout cas, les renseignements ne sont pas aussi facilement accessibles qu'ils le sont dans d'autres pays. Il se peut fort bien qu'il y ait un million d'Autochtones. C'est simplement qu'on a reconnu uniquement certains groupes, à qui l'on a conféré un certain statut dans l'Union soviétique. D'autres groupes se sont manifestés depuis, et je pense qu'on est encore en train de faire des recherches à ce sujet.

Le président: Étant donné que vous êtes là, peut-être que vous-même ou M. McRae voudrez répondre à ma question.

Vous avez dit, monsieur McRae, qu'étant donné la nature de l'évolution de la notion de droits des peuples autochtones aux Nations Unies et ailleurs il se peut qu'il n'y ait pas convergence absolue de vues entre les autorités canadiennes et les peuples autochtones. Vous vous souviendrez qu'on nous a déjà dit cela lors d'une séance précédente. Le président de Inuit Tapirisat du Canada a pris quelque peu ses distances par rapport à certaines autres suggestions qui ont été faites.

Dans ce dossier, serons-nous appelés à nous inspirer du travail effectué aux Nations Unies, parallèlement à l'apport des Autochtones de l'Arctique?

M. McRae: Je peux vous donner un début de réponse, et ensuite Mme Martin prendra le relais. Aux Nations Unies, on s'attache dans une certaine mesure à énoncer ce qui constitue, aux yeux des États, les droits des peuples autochtones en tant que minorités et leur rapport avec le droit à l'autodétermination. Il s'agit donc d'énoncer des droits fondamentaux et de savoir comment ces droits peuvent s'articuler. Je pense qu'il faut s'adresser aux premiers intéressés pour voir quel genre de droits ils expriment.

Il y a toujours eu une absence de convergence entre les revendications des peuples autochtones de l'Arctique et la revendication canadienne de souveraineté dans l'Arctique. Pendant très longtemps, le gouvernement du Canada n'a jamais vraiment fait référence à l'usage historique des terres et des eaux par les peuples autochtones de l'Arctique pour étayer sa revendication de souveraineté sur ces eaux, étant donné qu'il aurait ainsi reconnu le bien-fondé de leurs revendications intérieures à certains droits.

Ce n'est vraiment qu'après la formulation de la politique en 1985 que le gouvernement du Canada a commencé à intégrer les pratiques des populations autochtones parmi les arguments en faveur de la position selon laquelle le Canada exerce depuis longtemps son autorité sur cette région. Cela a amené les peuples autochtones à dire que maintenant que le gouvernement leur reconnaît leurs droits il devrait avoir l'obligeance de les mettre en oeuvre.

Mme Martin: Je voudrais revenir sur ce qu'a dit le professeur McRae. Le Groupe de travail de l'ONU sur les populations autochtones formule certains principes fondamentaux, je dirais presque universels, qui peuvent s'appliquer à différents groupes autochtones dans le monde. Cependant, c'est à l'étape de la mise en oeuvre que surviennent les problèmes.

.1055

Comme on l'a déjà mentionné, le Groenland a adopté l'autonomie gouvernementale.La population est majoritairement autochtone au Groenland et a décidé que cette forme d'autonomie gouvernementale lui convenait. Il s'agit presque d'un contrôle administratif de fait sur le territoire.

Cependant, dans d'autres cas, comme ceux de la Norvège et du Danemark, on a créé des organisations comme les parlements lapons. Ces derniers servent de conseils consultatifs auprès du gouvernement. Dans ces pays, les Lapons représentent une minorité. Compte tenu du contexte historique d'assimilation et de la perspective antérieure de ces gouvernements, c'est cette formule qui leur convient.

Il faut examiner le contexte sociologique et historique de chaque pays pour déterminer de quelle manière les principes énoncés par le groupe de travail de l'ONU, par exemple, pourraient s'y appliquer de façon réaliste.

Le président: Merci. Nous devons maintenant quitter la salle. Madame Martin, étant donné que vous êtes à la table, je voudrais attirer l'attention des membres du comité sur votre présence et leur rappeler que vous avez rédigé le document sur les questions juridiques que nous avons pris en compte dans nos recherches.

Mme Martin fait une maîtrise en droit sous la direction de M. McRae. Nous lui sommes reconnaissants du travail qu'elle a fait pour le comité.

Merci beaucoup de votre aide.

M. McRae, qui est rattaché à l'Université d'Ottawa, nous a offert de poursuivre cette expérience à l'automne et d'affecter d'autres étudiants aux travaux du comité.

Monsieur McRae, nous vous remercions de nous aider de cette façon. Cela est très utile.

Merci beaucoup d'être venus, monsieur Cox, monsieur McRae. Nous avons beaucoup apprécié votre témoignage.

J'attire l'attention des membres du comité sur le fait que le Comité permanent de l'environnement et du développement durable organise les 13 et 14 mai prochains un colloque sur l'emploi, l'environnement et le développement durable. Nous pouvons certainement obtenir davantage d'informations à ce sujet. Il s'agit là d'une initiative très importante de ce comité.

Avant de suspendre la séance, je rappelle aux députés que nous allons maintenant déménager à la salle 306. Il faut aller à la salle 306. Nous devons conserver le quorum. Il nous faut décider si nous allons ou non nous rendre dans l'Arctique le 27 mai. Je vous demande donc d'exercer votre droit de passage inoffensif pour vous rendre à la salle 306. Ne vous laissez pas détourner de votre route, car nous devons absolument régler cette question, sinon nous n'allons jamais partir d'ici. Je promets que cela ne durera qu'une demi-heure.

Merci beaucoup. La séance est suspendue et reprendra dans cinq minutes.

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