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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 19 novembre 1996

.0905

[Traduction]

Le président: Je déclare ouverte cette séance du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Nous recevons ce matin M. Clifford Chadderton, qui est chef des Services administratifs des Amputés de guerre du Canada. Il est accompagné de Brian Forbes, conseiller juridique de l'association, ainsi que du commodore de l'air Birchall et de M. Roger Cyr, président national de l'Association canadienne des anciens combattants de Hong Kong.

Messieurs, merci beaucoup d'être venus rencontrer les membres du comité ce matin.

.0910

Je voudrais d'abord signaler que nous avons avec nous ce matin, en plus des membres du Comité des affaires étrangères et du commerce international, des membres du Comité de la défense. Même si le président du Comité de la défense est absent, nous considérons donc que cette séance est une réunion conjointe des deux comités.

Nous vous remercions d'être venus comparaître devant le comité. Nous avons lu les lettres échangées entre vous et le procureur général, Allan Rock. Nous avons également eu l'occasion de lire certains documents d'information. Je crois pouvoir dire, au nom de tous les membres du comité, que nous avons un immense respect à votre égard pour ce que vous avez réussi à accomplir pendant la guerre et pour les conditions dans lesquelles vous avez dû vivre pendant la guerre, et nous espérons pouvoir vous être utiles dans la campagne que vous menez actuellement. Merci d'être venus.

Monsieur Chadderton, si vous voulez bien commencer, car je crois comprendre que vous allez nous faire un exposé. Ensuite, les membres du comité pourront vous poser des questions, quand vous en aurez terminé. Vous avez la parole, monsieur.

M. Clifford Chadderton (chef des Services administratifs, Les Amputés de guerre du Canada): Merci, monsieur le président.

Premièrement, je ne me sens vraiment pas tenu de m'excuser pour la longueur de notre exposé. Nous avons fait parvenir un certain nombre de documents au comité, et je vais m'efforcer d'aller à l'essentiel et de vous mettre en contexte.

Pour ce qui est du contexte de notre demande, nous vous avons distribué un document que je vais passer rapidement en revue. Il est intitulé «Contexte».

Environ 2 100 Canadiens ont été détenus en captivité par les Japonais. De ce nombre,1 972 étaient des soldats de l'armée, que l'on appelle normalement les anciens combattants de Hong Kong, et les autres étaient dans l'aviation, plus un ou deux marins de la marine marchande et de la marine de guerre. Les anciens combattants de Hong Kong sont allés à Hong Kong à la fin de 1941, et, après environ trois mois, les Japonais les ont encerclés, et il y a eu reddition honorable le jour de Noël 1941.

Maintenant, je précise que 286 anciens combattants de Hong Kong ont été tués ou assassinés - je dis bien «assassinés», parce que certains d'entre eux ont été assassinés après avoir été faits prisonniers - et 269 sont morts dans les camps de prisonniers. Un tribunal militaire international a porté contre les Japonais des accusations de crimes de guerre, ce qui est bien connu, je crois.

Le gouvernement canadien a accordé une pension de 50 p. 100 aux anciens combattants de Hong Kong pour ce qu'on appelle une «invalidité indéterminée». Le comité devra peut-être d'ailleurs se pencher sur cette question.

Ces anciens prisonniers de guerre de l'Extrême-Orient touchent une rémunération qui prend la forme d'une pension ordinaire graduée selon la gravité de leur invalidité. De plus, ils ont reçu une prime pour mauvais traitements de 1,50 $ par jour. Cette prime leur a été accordée par la Commission des réclamations de guerre en 1948. L'argent provenait des actifs japonais détenus par le Canada et qui ont été vendus.

Toutefois, ce que nous cherchons à obtenir aujourd'hui, c'est un paiement pour les travaux forcés, ce qui n'a jamais été payé. Nous nous sommes d'abord adressés aux Nations Unies. Les Amputés de guerre ont le statut d'ONG, ou d'organisation non gouvernementale, et nous avons présenté cette demande à la Commission des droits de l'homme à Genève au milieu de l'année 1987, il y a donc de cela déjà neuf ans. La sous-commission de Genève a étudié notre demande. Elle a conclu qu'il y avait assurément eu de graves violations et qu'il n'y avait pas de prescription pour les crimes de guerre, mais elle a dû en arriver à la conclusion qu'elle n'était pas habilitée à se prononcer en matière de dédommagement.

Nous ne nous en sommes pas tenus là. L'étape suivante a consisté pour nous à examiner de plus près la Convention de Genève, après quoi nous sommes retournés voir le centre des droits de l'homme à Genève et avons présenté notre revendication à la Sous-commission des droits de l'homme en nous fondant sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Cette sous-commission a étudié l'affaire pendant un an et demi ou deux ans et en est arrivée à la conclusion qu'elle n'avait pas compétence pour se prononcer parce que nous n'avions pas encore épuisé tous les recours nationaux, ce qui est l'une des règles de base à Genève.

.0915

À la suite de cela, nous sommes revenus à la charge et avons saisi directement du dossier le premier ministre. Ce dernier l'a confié à M. Allan Rock, le ministre de la Justice. À ce moment-là, nous avons dit qu'il nous semblait que le problème en serait un d'interprétation juridique de la Convention de Genève, ou de ce que l'on appelle le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Nous avons demandé à M. Rock d'établir une tribune juridique quelconque, mais il a rétorqué que c'était impossible. Nous avons ensuite décidé de plonger dans l'arène politique et nous nous sommes adressés à l'honorable David Collenette, qui a renvoyé l'affaire à Mary Clancy, présidente du Comité permanent de la Défense nationale et des anciens combattants. Je crois que l'affaire a ensuite été transférée à l'interne de ce comité au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes. Je suis heureux de constater que, comme vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur le président, des membres du Comité des anciens combattants sont présents.

Voilà donc résumé, en quelques mots, le contexte de cette affaire. Je me reporterai au rapport du regretté Dr Gustave Gingras, qui était, je crois, l'autorité la plus éminente au Canada non seulement en matière de réadaptation, mais aussi pour toutes les questions entourant l'engagement de troupes à l'étranger, en particulier dans les pays tropicaux. Vous avez ce rapport sous les yeux.

Je vais maintenant aborder la question de ce que j'appelle la responsabilité politique. Nous estimons en effet que le dossier appartient maintenant à ce que j'appelle l'arène politique, et c'est pourquoi j'estimais devoir vous le présenter ce matin. Je dois signaler - je regrette de devoir faire une critique - que la plupart des refus que nous avons essuyés et des obstacles sur lesquels nous avons buté se sont présentés pendant le passage au pouvoir du gouvernement Mulroney.

Un nouveau livre vient tout juste d'être publié la semaine dernière, et j'y ferai allusion. Il est intitulé Hell on Earth, et l'on y expose tous les événements qui entourent cette revendication. C'est la conclusion de l'auteur, le regretté Dave McIntosh, et c'est également notre conclusion, que pendant cette période de 1987 à 1993:

L'émotion qui étreint les anciens combattants en cause dans cette affaire a atteint des proportions que je qualifierais d'épidémiques quand le gouvernement Mulroney a approuvé le versement d'une somme de 21 000 $ à chacun des Canadiens d'origine japonaise qui ont été déportés de la côte Ouest vers le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous y avons vu un parallèle saisissant. Nous estimions que si le gouvernement Mulroney pouvait payer 21 000 $ aux Canadiens japonais simplement parce qu'ils ont été expulsés - certains d'entre eux ont été internés - , alors le gouvernement canadien devait maintenant prendre au sérieux notre revendication, parce que c'est à peu près le même montant d'argent qui est en cause.

En mars 1990, le gouvernement canadien avait payé 357 millions de dollars aux Canadiens japonais. Nous ne voulons nullement critiquer cette initiative. Nous voulons seulement attirer votre attention sur ce parallèle et nous vous demandons de comprendre ce que pouvaient ressentir les anciens combattants de Hong Kong, puisque c'est ainsi que nous nous désignons, puisque le gouvernement Mulroney refusait même d'entendre nos revendications.

.0920

Il a refusé d'appuyer la moindre de nos démarches. Des représentants du gouvernement assistaient aux audiences du Comité des droits de l'homme et de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies à Genève, sans dire un mot. En fait, je les ai même vus à un moment donné se lever et sortir pendant notre exposé. Je n'essaie pas de jeter le blâme sur quiconque; je veux simplement présenter à votre comité les faits tels qu'ils sont.

Cela résume à peu près notre ordre du jour politique.

Nous allons déposer auprès de votre comité un document intitulé «Références tirées des Archives nationales». Ce sont des témoignages tirés des dossiers sur les prisonniers de guerre en Extrême-Orient. Nous nous excusons de vous présenter ce document uniquement en anglais. Nous avons essayé de voir ce que cela donne de traduire des déclarations de gens qui ont témoigné lors des procès des criminels de guerre, et nous n'avons pas eu de réponse à cela. Ce document contient donc, sous leur forme essentielle, les déclarations faites par des Canadiens, après la Seconde Guerre mondiale, devant les tribunaux, à Tokyo, chargés de juger les crimes de guerre. Ce document est pertinent, je pense, pour l'information que nous déposons auprès du comité.

Certaines de ces déclarations, faites par des prisonniers canadiens, et s'ajoutant aux témoignages déposés aux procès des crimes de guerre, contenaient de nombreuses preuves de ce qu'on appelle, en droit international, de graves infractions à la Convention de Genève.

Je voudrais faire référence ensuite aux sévices sur lesquels de nombreux témoignages ont été apportés à ces procès. Il y est question de sévices si graves que toute personne normale serait révoltée à la lecture de la description des tortures, des opérations faites sans anesthésie, de l'état d'inanition et de la privation de médicaments qui existaient, mais n'étaient pas mis à la disposition des médecins qui traitaient ces gens. Pour tous ces sévices on recevait une indemnité de 1,50 $ par jour. Nous ne disons pas que c'est suffisant, mais qu'il faut être prudent, car ce n'est pas ce que nous recherchons ici. Si on versait 1,50 $ par jour, nous devrions l'accepter.

Ce que nous voulons prouver - c'est la principale question dont est saisi le comité - c'est qu'il n'y a jamais eu d'indemnisation pour ce qu'on appelle, dans la Convention de Genève, des travaux forcés.

Il y a une ou deux autres questions, dans la déclaration d'ouverture, qui doivent être précisées. Si vous avez lu les documents, vous constaterez que dans une documentation antérieure déposée par le ministère des Anciens combattants, et dans la lettre précédemment mentionnée de M. Allan Rock, on fait référence au fait que les anciens combattants de Hong Kong reçoivent des pensions d'invalidité. Je voudrais citer, pour le compte rendu, ce qui est dit dans les règlements sur les réclamations de guerre, qui datent de 1952:

Il était donc précisé, en 1952, que si ces gens ont droit à une pension d'invalidité pour fait de guerre, au même titre que tout ancien combattant invalide, ce fait n'est pas pris en compte dans l'examen des cas de mauvais traitements, ni vice versa. Ce n'est pas parce que les anciens combattants de Hong Kong et les prisonniers de guerre d'Extrême-Orient ont reçu 1,50 $ par jour pour mauvais traitements que cela devrait modifier leur pension.

Mais ce que nous vous soumettons carrément aujourd'hui, c'est la question du paiement pour travaux forcés, car il nous semble que c'est exactement le même principe qui s'applique. Autrement dit, il ne suffit pas au gouvernement fédéral de dire que ces gens touchent déjà une pension d'invalidité et sont par conséquent suffisamment indemnisés.

Je voudrais vous donner un exemple personnel: j'ai survécu à la guerre, mais j'ai été amputé d'une jambe, et je touche une pension pour cela. Roger Cyr, qui est à mes côtés, s'en est tiré avec d'autres infirmités, pour lesquelles il touche une pension. Je n'étais pas à Hong Kong, et je ne suis donc pas de ceux qui ont fait des travaux forcés, mais c'est certainement le cas de Roger et du commodore de l'air Birchall.

.0925

Nous devons faire cette distinction, car il y a eu un grand nombre d'affirmations inexactes, à savoir que ces anciens combattants touchent tous des pensions, qu'ils ont été indemnisés pour les mauvais traitements subis. Ce que nous affirmons, monsieur le président, mesdames et messieurs, c'est que ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Ils n'ont jamais été indemnisés pour avoir été condamnés aux travaux forcés; leur pension ne compte pas pour cela, ni les mauvais traitements. Or, la Convention de Genève est claire sur ce point: les gens qui ont fait des travaux forcés doivent être indemnisés.

J'ai un document sur la Convention de Genève auquel je vais faire référence. La Convention de Genève, signée en 1929, était en application pendant la Seconde Guerre mondiale. La première fois que le gouvernement canadien, d'après nous, a refusé ou s'est abstenu d'appuyer les prisonniers d'Extrême-Orient remonte à 1941.

Voici ce qui s'est produit. L'Argentine était un pays neutre. Le gouvernement canadien, ainsi que les gouvernements américain et britannique, par le truchement de l'Argentine, ont pris contact avec les Japonais en leur demandant s'ils allaient respecter la Convention de Genève à l'égard de leurs prisonniers.

Là encore on peut se laisser induire en erreur. Le Japon avait souscrit à la Convention de Genève en 1929, mais il ne l'avait jamais ratifiée. C'est pourquoi, lorsque l'Argentine, au nom de notre gouvernement, a demandé au gouvernement japonais s'il allait respecter la Convention de Genève, celui-ci a répondu, et je cite ici un échange de notes entre diplomates britanniques:

Nous sommes d'avis, monsieur le président, que dès lors - à savoir en 1942, pendant la guerre - le gouvernement canadien aurait dû suivre cette affaire de près en disant au Japon: ce n'est pas une réponse satisfaisante. Si vous voulez être une puissance belligérante honorable, vous devez respecter le pacte le plus prestigieux gouvernant le droit international, à savoir la Convention de Genève, mais le gouvernement canadien, en 1942, n'a pas poussé les choses plus loin, et c'est là la raison principale pour laquelle notre cas est devenu un problème politique qui n'est toujours pas réglé.

En second lieu, lorsque le Canada, à San Francisco, a négocié le traité de paix avec le Japon...

Le président: Excusez-moi. En général je m'abstiens d'interrompre les témoins, mais nous devrions peut-être préciser cela avec M. Forbes. Votre association considère que les termes de la Convention de Genève, que vous invoquez, déterminent les conditions du droit international. Si tel est bien le cas, le fait que le Japon a ou non signé un traité de paix ne joue pas. Est-ce là la position que vous allez adopter en droit?

M. Brian N. Forbes (conseiller juridique, Les Amputés de guerre du Canada): C'est bien cela, monsieur le président.

Le président: Je vous remercie.

M. Chadderton: Le Canada a eu une deuxième occasion de poursuivre cette affaire avec le Japon, et c'est lorsqu'il y a eu négociation pour un traité de paix. Le Canada aurait dû dire alors au Japon: vous n'avez pas respecté la Convention de Genève. Comme le fait remarquer votre président, car il est professeur de droit, c'est là le droit international, mais la question n'a jamais été même posée. C'est la seconde raison pour laquelle ce problème est maintenant entré dans le domaine politique.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Japon avait des prisonniers australiens, néerlandais, britanniques, américains et néo-zélandais aussi bien que canadiens, mais plusieurs circonstances ont fait que les Canadiens occupaient une place à part de ces autres nations.

Tout d'abord, ceux qui ont été faits prisonniers à Hong Kong étaient les premiers Nord-Américains à tomber entre les mains des Japonais. En second lieu, ils sont restés leurs prisonniers plus longtemps que les autres groupes. En troisième lieu, à la différence des autres alliés, le Canada n'avait été ni attaqué ni menacé par les Japonais. Ce sont les Pays-Bas qui avaient été attaqués, ainsi que la Grande-Bretagne et les États-Unis. L'Australie avait été très gravement menacée. Le Canada se trouvait à une très grande distance, et à part un obus tiré par un sous-marin contre l'île de Vancouver, nous n'avons jamais été menacés.

.0930

Le Canada se trouvait donc dans une situation unique par rapport aux autres nations dont les Japonais détenaient des prisonniers.

La troisième raison - et peut-être la plus convaincante - c'est que tous les documents font ressortir un fait significatif, à savoir que les anciens combattants de Hong Kong ont été envoyés là-bas pour des raisons politiques plutôt que militaires. Je peux fournir au comité, sur ce point, d'amples témoignages, et j'en citerai un, entre autres, à savoir un extrait d'un livre de Carl Vincent intitulé No Reason Why, et dans lequel il est dit:

Les textes montrent que le premier ministre Churchill lui-même a dit que la garnison de Hong Kong ne pouvait pas être défendue. Si vous y envoyez des soldats, a-t-il dit, il n'y a que deux choses qui puissent arriver: ou bien ils seront tués, ou bien ils seront capturés. Néanmoins, le Canada a quand même envoyé des troupes à Hong Kong. Une commission royale d'enquête, la Commission Duff, qui a siégé en 1942, est arrivée à la même conclusion.

Je suis donc fondé à croire que notre comparution devant le Comité des affaires étrangères ne pose pas la question de savoir si le Japon a respecté les termes de la Convention de Genève. La question est de savoir ce que le Canada a fait. C'est pourquoi nous trouvons que cela relève dorénavant de la chose politique.

Nous n'avons pas commencé ici. Nous avons commencé à l'ONU en 1987, et c'est ce que je vais vous relater. Après avoir entendu toutes nos communications, le Centre international des droits de l'homme de Genève et le Comité des droits de l'homme ont déclaré qu'il fallait d'abord épuiser tous les recours internes et qu'il s'agissait d'une question politique qui relevait du Canada.

Notre demande de redressement est très simple. Nous ne demandons pas au comité de se prononcer sur les violations flagrantes des droits de l'homme. Nous vous demandons de statuer sur la validité de notre demande de réparation pour travaux forcés.

Ce que je propose - et j'en ai déjà parlé avec votre greffier, monsieur le président - c'est de visionner un court extrait d'un film que nous avons tourné, au nom de Roger Cyr, intitulé Les anciens combattants du Canada à Hong Kong: La question de l'indemnisation. Dans cet extrait, vous entendrez M. Cyr parler des privations qu'il a subies et des conditions dans lesquelles les anciens combattants de Hong Kong ont été contraints de travailler pour l'effort de guerre japonais. Si cela vous convient, nous pouvons commencer le visionnement.

[Français]

Le président: Monsieur Paré, on me prévient que les interprètes ont un exemplaire. Ils pourront donc interpréter sans trop de difficultés. Nous allons voir.

[Traduction]

M. Chadderton: Monsieur le président, j'ai oublié de vous dire que l'extrait est en français.

[Français]

Le président: Ah, c'est l'inverse: c'est en français.

[Traduction]

M. Chadderton: Vous trouverez dans le cahier la retranscription des interviews, si vous voulez suivre.

Le film a été tourné il y a environ deux ans, et il est toujours d'actualité.

[Présentation d'un vidéo]

.0951

M. Chadderton: Monsieur le président, je voudrais maintenant demander à M. Roger Cyr, président de l'Association des anciens combattants de Hong Kong, de faire une courte déclaration après le film.

Merci.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Cyr.

[Français]

M. Roger N. Cyr (président national, Association des anciens combattants de Hong Kong, Les Amputés de guerre du Canada): Monsieur le président, madame, messieurs, en effet, le film que vous venez de voir a selon moi assez bien expliqué les conditions dans lesquelles je me trouvais à l'époque. Je ne m'attarderai pas ce matin à revoir et repasser les effets physiques de mon emprisonnement. Je voudrais plutôt m'attarder sur le côté du travail totalement involontaire que nous faisaient exécuter les Japonais.

Premièrement, il faut se placer dans le contexte. Ce contexte en était un où nous, les prisonniers, étions non seulement captifs et prisonniers, mais avions aussi perdu tous nos droits humains. Notre dignité humaine était traînée dans la boue et en plus on nous faisait travailler au bout du fusil et de la baïonnette. Il fallait se lever à l'aube et travailler jusqu'au crépuscule, sans aucun contrôle ou quoi que ce soit sur ce qu'on nous demandait de faire.

Personnellement, comme je l'ai mentionné dans le film que vous venez de visionner, j'ai travaillé à la construction de la piste d'atterrissage de Kai Tak à Hong Kong, piste qui existe toujours de nos jours. Après un certain temps, on m'a amené au Japon et fait travailler comme riveur dans les chantiers maritimes pour une compagnie japonaise très bien connue aujourd'hui dans le monde. J'ai finalement abouti dans les camps, dans une mine de charbon dans le nord-est de l'île centrale du Japon. J'étais sur place lorsque la guerre s'est terminée.

Puisque les Japonais m'ont fait travailler involontairement, contre mon gré, et ce pour leur effort de guerre, au bout de la baïonnette, avec tout ce que cela entraîne, je crois qu'ils me doivent une compensation quelconque. Monsieur le président, madame et messieurs, voici la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui. C'est justement pour faire état de cette situation. Je vous remercie beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Cyr.

.0955

[Traduction]

M. Chadderton: Monsieur le président, j'aimerais maintenant demander au commodore de l'air (retraité) Leonard Birchall de prendre la parole. Vous avez une copie de ses états de service, je crois. Il était le pilote de l'Aviation royale canadienne connu sous le nom de «Sauveur de Ceylan», ce qui a fait de lui l'un des plus grands aviateurs du Canada pendant la guerre.

Un ouvrage récent, Hell on Earth, parle abondamment du commodore de l'air Birchall. Le comité pourra, s'il le désire, en prendre connaissance ou en discuter davantage.

J'aimerais maintenant que le commodore de l'air Birchall s'adresse à vous.

Le commodore de l'air (retraité) Leonard Birchall (prisonnier de guerre de l'Extrême-Orient): Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, c'est un honneur et un privilège pour moi de témoigner devant vous au nom de mes camarades prisonniers de guerre des camps de travail japonais, qui ont vécu l'enfer et qui vivent encore avec les séquelles des années passées sous le joug des Japonais.

Je vous prie d'excuser ma voix; c'est une des séquelles du temps passé comme prisonnier.

On vous a présenté une abondante preuve des conditions horribles dans lesquelles nous avons dû vivre et du taux de décès anormalement élevé pendant et après notre incarcération. Mais ce n'est pas la principale raison pour laquelle nous témoignons. Nous essayons de faire porter le blâme de ces travaux forcés là où il doit être et d'obtenir réparation de ceux qui doivent assumer cette responsabilité.

Comme nous l'indiquons dans le mémoire, les Amputés de guerre ont déjà présenté leur cas aux instances internationales. Toutefois, le gouvernement du Canada ne leur a donné aucun appui et a même contrarié leur effort, si bien qu'ils ont échoué.

Il est quasi impossible pour une instance internationale de faire droit à une demande quand l'État du plaignant se dissocie de sa demande et ne la voit pas d'un oeil favorable. Les tribunaux internationaux nous ont informés toutefois que nous pouvons demander d'être indemnisés par notre pays, et c'est ce que nous faisons aujourd'hui.

Essentiellement, les Amputés de guerre disent qu'en signant le traité de paix, le Canada a enlevé, sans en avoir le droit, aux personnes contraintes au travail le droit de demander réparation au Japon. Par suite de cet acte illégal, le gouvernement du Canada peut être légalement tenu responsable des actes du Japon et de ce dont les prisonniers de guerre ont été privés, à savoir une indemnisation par les Japonais du travail qu'ils ont accompli sous la contrainte.

Je ne suis pas un juriste et je ne peux donc pas discuter des arguments juridiques de l'affaire. J'ai toutefois survécu à trois ans de travail dans des camps de prisonniers au Japon, où, comme officier supérieur allié, j'avais la charge de mes hommes. J'ai été témoin de ces travaux forcés et j'ai moi-même été contraint au travail dans des conditions barbares et j'ai connu la torture et des conditions de vie abominables. Je suis donc entièrement convaincu que leur demande d'indemnisation est on ne peut plus justifiée.

Comme le gouvernement du Canada a jugé bon de les dépouiller de leur droit de demander un redressement devant les tribunaux internationaux, celui-ci est aujourd'hui moralement responsable, dans toutes les acceptions du terme, de cette réparation. C'est un honneur immense pour moi de demander d'être indemnisé pour le travail forcé et les terribles séquelles dont souffrent mes camarades, avec qui j'ai tant partagé et avec qui je partage encore.

Monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, au nom de tous les survivants et de leurs veuves, je vous remercie très sincèrement de m'avoir permis de vous apporter ce témoignage, que je soumets à votre examen attentif et bienveillant.

Merci beaucoup.

Le président: Merci beaucoup, commodore.

M. Chadderton: Monsieur le président, je vais maintenant résumer brièvement nos prétentions. Vous en avez le texte.

Comme mon camarade le commodore de l'air Birchall l'a dit, nous demandons au gouvernement canadien de nous verser cette indemnisation. Environ 850 personnes, c'est-à-dire 400 anciens combattants et 450 veuves, seraient touchées en tout. Nous demandons 18 $ par jour.

.1000

Le chiffre n'a pas été inventé. La Convention de Genève stipule que le travail forcé pour les industries de guerre d'une puissance détentrice doit être rémunéré - on parle de soldats parce que tout le Japon était mobilisé - au tarif que le Japon versait à ses travailleurs. Si l'on tient compte du temps passé, du taux de change, de l'augmentation du coût de la vie et d'autres facteurs, on estime à Genève et nous estimons ici que le tarif est d'environ 18 $ par jour pendant 1 330 jours.

Il ne fait aucun doute, même si le comité voudra peut-être étudier davantage la question, que la Convention de Genève dit bien que les prisonniers de guerre contraints au travail pour l'industrie de guerre de la puissance détentrice doivent être rémunérés.

De plus, plusieurs autres dispositions de la Convention de Genève ont été enfreintes, comme celles relatives aux conditions de travail. Il est précisé ici qu'en cas de travail forcés, les conditions de travail doivent être satisfaisantes, et il est bien évident que cela n'a pas été le cas.

La prétention des Amputés de guerre, c'est que le Canada est aujourd'hui responsable de cette indemnisation, même s'il y a une façon pour le Canada de se décharger de cette obligation. J'en parlerai dans un instant. Le Canada est responsable d'abord du fait qu'il a signé le traité de paix de 1952 sans avoir prévu l'indemnisation du travail forcé. Le Canada est aussi responsable en vertu de ce que l'on appelle le protocole facultatif.

C'est difficile à croire, mais nous avons présenté 19 communications distinctes à Genève depuis 1987. Ce que cela signifie, monsieur le président et mesdames et messieurs, c'est que nous avons fait ce qu'il fallait. Nous avons manifesté notre confiance dans l'ONU et la Convention de Genève. Nous nous sommes adressés à l'instance qui nous semblait la bonne, non pas notre instance politique ici, et nous l'avons fait 19 fois.

La première fois, devant la Commission des droits de l'homme, tous les membres ont jugé que notre demande était fondée, mais qu'ils ne pouvaient pas s'occuper de l'indemnisation. Nous nous sommes ensuite adressés à un sous-groupe appelé le Comité des droits de l'homme, où nous avons demandé si, en vertu du protocole facultatif, le Canada, comme pays signataire, nous avait traités comme il se devait.

Nous n'avons pas perdu à Genève. Nous n'avons pas perdu devant le Comité des droits de l'homme. Une décision a été rendue. On y dit au début que tous les recours internes disponibles doivent être épuisés avant que le plaignant puisse s'adresser à une instance internationale. Autrement dit, Genève nous a dit de nous tourner vers le Canada. Nous n'avions pas épuisé tous nos recours internes.

Le dernier document que vous voudrez peut-être consulter - j'en ai déjà parlé, et il se trouve à l'annexe F - est une lettre de M. Allan Rock qu'il m'a adressée le 25 mars 1996. Je vais reformuler ce qu'il y dit. Il déclare d'abord que le Canada a rempli toutes ses obligations internes et internationales. Deuxièmement, le versement par le Japon de la somme de 1,50 $ par jour constituait le règlement définitif de la demande de réparation du Canada contre le gouvernement du Japon. Nous contestons cela. Troisièmement, le Canada n'a pas manqué aux dispositions des pactes internationaux.

Il nous est impossible de souscrire à ces avis, monsieur le président et mesdames et messieurs. Si vous vous reportez à l'alinéa 2(3)a) du pacte international, il y est dit que le Canada, comme signataire, est tenu de «garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d'un recours utile...» Nous estimons ne pas avoir disposé de ce recours utile.

Je vais maintenant citer l'article 26: «Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi». Nous ne voyons pas en quoi nous avons bénéficié de la protection de la loi en l'espèce.

.1005

Comme le dit M. Rock dans sa lettre sur d'autres questions, la position du Canada est que les anciens combattants de Hong Kong ont déjà reçu des prestations exceptionnelles.

Comme nous l'avons soutenu plus tôt, monsieur le président et mesdames et messieurs, les prestations dont M. Rock parle sont les pensions d'invalidité de guerre, versables à tous les anciens combattants qui ont perdu une jambe, par exemple. Qu'il s'agisse de prestations exceptionnelles ou non n'a rien à voir dans le cas d'une demande d'indemnisation pour travaux forcés. C'est quelque chose qui leur est dû en vertu de la Convention de Genève.

M. Rock dit plus loin dans sa lettre que les prestations ne constituent pas une réparation pour violation d'obligations internes ou internationales. Je suis heureux que M. Rock l'ait dit, parce que c'est précisément ce que nous soutenons. Nous disons depuis le début que les pensions qui sont versées à ces anciens combattants ne sont pas - et je le répète - une indemnisation pour violation d'obligations internationales.

Il semble aussi que la position du gouvernement canadien, d'après la lettre de M. Rock, veut que les anciens combattants de Hong Kong ne peuvent prétendre à un droit indépendant à un dédommagement, puisque le Canada n'a pas violé de droit fondamental protégé par le pacte.

On peut bien sûr présenter toutes sortes d'arguments juridiques, mais nous estimons qu'en vertu de ce protocole ou pacte international, tout Canadien peut certainement prétendre à un droit indépendant à une compensation. Nous contestons donc cette lettre et nous répliquons simplement qu'en examinant tous les faits qui ont précédé cette demande on voit qu'elle est fondée. Il y a des motifs substantiels de fournir à ces anciens combattants ce que M. Rock appelle un droit indépendant à un dédommagement.

Nous voulons signaler autre chose au comité: dans notre échange de correspondance avecM. Rock, nous faisons allusion à ce que nous appelons des demandes semblables. Dans sa lettre,M. Rock laisse entendre que les anciens combattants de Hong Kong ne font pas partie du même groupe, qu'ils n'ont pas le droit de demander au gouvernement quelque dédommagement que ce soit. Nous estimons que la Convention de Genève leur donne ce droit et nous citerons trois exemples semblables: d'abord, les réclamations faites par les Canadiens d'origine japonaise, dont nous avons parlé; deuxièmement, les compensations versées par le Canada aux victimes canadiennes de la thalidomide, une cause pour laquelle j'ai personnellement travaillé et qui a fait l'objet d'un règlement de la part du gouvernement canadien 25 ans après qu'il eut autorisé la vente de la thalidomide au pays; et troisièmement, les récentes réclamations des Inuit de l'île de Baffin.

Nous estimons donc qu'il y a des réclamations semblables, et nous estimons que M. Rock se trompe en disant que nous n'avons pas droit à un dédommagement.

Je vais simplement vous donner une évaluation des sommes demandées. Tout d'abord, en vertu de la Loi sur les pensions, les anciens combattants de l'Extrême-Orient ont automatiquement une pension de 50 p. 100. C'est 829 $ par mois. Ensuite, tout dépend de leur invalidité, évaluée en fonction d'une grille de la Commission canadienne des pensions. En moyenne, ils reçoivent40 p. 100. Autrement dit, ils ne sont même pas au maximum. Ils ont 50 p. 100 parce qu'ils sont d'anciens prisonniers de guerre et un autre 40 p. 100, en moyenne, en raison de leur invalidité. S'ils peuvent recevoir d'autres allocations en vertu de certaines dispositions de la loi, comme une allocation pour soins parce qu'ils ont besoin d'une aide à domicile, ou une allocation d'incapacité exceptionnelle, parce que leur cas est exceptionnel, ils ont droit à des sommes supplémentaires. La moyenne que reçoivent donc les anciens combattants de Hong Kong, en vertu de la Loi sur les pensions, est de 2 000 $ par mois, en tenant compte de toutes les dispositions applicables de la loi.

Je sais que nous avons peu de temps, monsieur le président, et je vais donc m'écarter du mémoire, sauf pour quelques petites choses qui vous intéresseront particulièrement, je crois.

Disons d'abord que nous avons fait 14 interventions à Genève, à la Commission des droits de l'homme. Certaines étaient écrites, d'autres orales, mais à 14 reprises nous sommes retournés là-bas parce qu'on se demandait s'il y avait un moratoire. Nous prétendions que non, ce qu'on a reconnu. Il n'y a pas de moratoire sur les droits de la personne ni rien de ce genre.

Finalement, comme je le disais plus tôt, la Commission des droits de l'homme, la commission importante à Genève, s'est excusée en disant qu'elle ne pouvait approuver cette demande parce qu'elle n'avait pas compétence en matière d'indemnisation. Nous nous sommes donc adressés à six reprises au Comité des droits de l'homme, un comité de travail inférieur à Genève.

.1010

Je ne sais pas si quelqu'un d'entre vous a déjà comparu à Genève devant le Comité des droits de l'homme. Ce comité est très bureaucratique, très rigoureux; vous devez avoir raison. Si vous présentez un mémoire dans lequel il manque quelque chose, on vous dira de revenir avec un mémoire complet. C'est vraiment le sommet de la bureaucratie, si vous voulez. Mais nous avons fait six interventions devant ce comité, qui a fini par nous dire qu'il fallait trouver des solutions nationales, chez nous, à notre problème. Voilà pourquoi nous sommes ici.

En passant, puisque nous parlons de nos multiples démarches, je signale que j'ai présenté au comité la chronologie des 73 échanges de correspondance que nous avons eus, que ce soit avec le premier ministre ou l'un des divers ministres du Cabinet. Nous avons donc échangé des lettres 73 fois et nous devons finalement dire qu'on ne peut rien faire de plus en vertu du protocole international ou en vertu du centre des droits de l'homme. Je le répète, c'est maintenant une question d'ordre politique.

En terminant, monsieur le président, je me reporte à notre mémoire. Je signale à l'attention du comité, monsieur le président, que si le gouvernement canadien voulait régler cette demande, l'argent versé ne serait pas nécessairement celui des contribuables. Il y a un système que vous connaissez sans doute. Il s'agit d'un transfert de réclamations; le Canada paie, mais demande remboursement au Japon. Nous estimons que c'est essentiel, d'abord parce que le Canada a rejeté cette demande pendant si longtemps et deuxièmement parce que les anciens combattants de Hong Kong ou leurs veuves avancent en âge. Nous ne pouvons plus attendre que le Canada fasse une demande au Japon; cela prendrait trop de temps.

Je signale toutefois qu'il y a un précédent. Je suis persuadé que vous avez pour la plupart entendu parler dans les médias des femmes contraintes à la prostitution par les soldats japonais. Dans ce cas-là, il y a eu un transfert de réclamations par le gouvernement de la Corée. Le gouvernement coréen a déjà perçu des fonds japonais. Là où les sommes versées étaient insuffisantes, on a fait à ces femmes des paiements pour lesquels on demande remboursement au Japon par l'intermédiaire de la Cour internationale de justice de La Haye. Ce n'est rien de nouveau.

Enfin, nous estimons que le gouvernement canadien a au moins une obligation envers ces anciens combattants, dans l'intérim. Je me répète, mais tout d'abord, on n'a pas bien protégé les droits des prisonniers de guerre de l'Extrême-Orient, et, deuxièmement, ces anciens combattants vieillissent. Il y a toutes sortes de justifications.

Le gouvernement canadien avait la responsabilité de l'envoi de ces troupes. Des hommes aussi éminents que sir Winston Churchill ont déclaré qu'on ne pourrait renforcer cette garnison et que ces soldats seraient soit tués, soit capturés.

Deuxièmement, le gouvernement canadien n'a pas complètement fait fi de leurs droits dans le traité de paix.

Troisièmement, le gouvernement canadien n'a pas assumé sa responsabilité en vertu du pacte international qu'il avait signé. Quand on lit ce document, il est clair que ce qu'on y dit vraiment, c'est que tout Canadien qui peut faire une réclamation auprès du Japon a droit à la protection de son propre gouvernement pour ses droits, ce qui n'a jamais été accordé.

Je dirai maintenant une ou deux choses au sujet des annexes que j'ai présentées, puisque vous risquez d'y revenir. Je dois vous dire, monsieur le président, mesdames et messieurs, que pas plus tard qu'hier j'ai parlé au sous-ministre des Anciens combattants, M. David Nicholson. Il m'a laissé entendre qu'il était favorable à la demande en grande partie. Si le comité le souhaite, il aimerait comparaître devant le comité pour expliquer la position du ministère, qui est tout à fait dans le sens de nos efforts. M. Nicholson m'a donné la permission de vous faire cette déclaration aujourd'hui.

.1015

Revenons maintenant à la question de l'indemnisation pour invalidité. Je suis désolé d'en reparler, mais si vous revenez à notre correspondance, vous verrez que bien des fonctionnaires des Anciens combattants ont affirmé, comme on le voyait récemment dans la lettre de l'honorableM. Rock, que ces anciens combattants reçoivent déjà une pension d'invalidité. Nous affirmons que cette allocation d'invalidité n'a rien à voir avec notre réclamation pour travaux forcés.

Nous citons dans notre document la Commission des réclamations de guerre de 1952, qui disait précisément, comme je l'ai mentionné plus tôt, que si des fonds sont versés à ces anciens combattants pour mauvais traitements, ce qui comprendrait à mon avis une indemnisation pour travaux forcés, cela ne doit en rien affecter leur droit à une pension en tant que soldats canadiens.

La deuxième annexe porte sur la Convention de Genève elle-même, parce que de ce côté-là aussi on a, comment dire? Des questions au sujet des conventions. Les premières datent de 1907, on le sait, et ont été suivies d'autres. En gros, ce qu'on en comprend, c'est que, d'abord, aucun prisonnier ne peut être employé pour du travail qui ne lui convient pas physiquement; cela n'a jamais été nié à Genève. Pourtant, on a pris des gens qui étaient presque morts - et ceux qui étaient de notre délégation là-bas peuvent vous en parler - et on les a forcés à travailler: certains sont morts au travail.

Deuxièmement, le travail ne doit pas avoir de lien avec les opérations militaires. Bien entendu, c'était tout le contraire. Ils travaillaient pour Mitsubishi. Ils travaillaient dans les chantiers navals. Ils travaillaient dans les mines de charbon.

Troisièmement, il est interdit d'employer des prisonniers de guerre à des travaux malsains ou dangereux de nature. Les anciens combattants peuvent certainement vous dire qu'ils faisaient beaucoup de travaux dangereux.

Quatrièmement, s'ils sont forcés d'effectuer ce travail, ils ont droit à une indemnité de travail fixée par une entente conclue entre les belligérants. Il n'était pas possible d'arriver à une entente entre les belligérants. Le Japon était d'un côté, et nous de l'autre, et l'Argentine n'arrivait même pas à faire reconnaître au Japon qu'il devait se conformer à la Convention de Genève. Qu'est-il arrivé? Une disposition de la loi prévoit que si les belligérants ne peuvent s'entendre, les autorités détentrices doivent adopter une loi prévoyant le versement de cette indemnité à la fin des hostilités.

Qu'est-il arrivé? Nous savons ce qui est arrivé dans les années 50. Le Japon n'avait plus un cent. Il était en reconstruction. Lorsque nous sommes allés à Genève en 1987, le Japon était l'un des plus riches pays du monde, et nous estimions qu'il devait examiner cette revendication. Il ne l'a pas fait. Il s'y est opposé, de même que le gouvernement canadien.

Nous avons vécu neuf ans de... je ne dirai pas de frustration. Tout cela a été très intéressant, mais nous en sommes là après neuf ans. Le Japon ne fera rien, c'est certain. Les tribunaux internationaux nous ont tous dit à peu près la même chose. Le premier nous a dit qu'il ne pouvait s'occuper de questions d'indemnisation et le second s'est excusé et nous a dit de trouver des solutions dans notre pays.

Alors voici où nous en sommes, monsieur le président, mesdames et messieurs. Nous signalons cette question à l'attention d'un comité parlementaire, et je tiens à remercier le président, les membres du comité directeur et tous ceux qui ont décidé de nous recevoir aujourd'hui.

Au début, j'ai dit que je ne m'excuserais pas du temps que prendrait mon exposé. Je rappelle, monsieur le président, que c'est la première fois que nous comparaissons devant un organisme canadien officiel. Comme c'est une occasion unique, nous vous avons tout présenté. Si quelqu'un veut se reporter à nos documents, je pense que le dossier est complet.

Merci beaucoup, monsieur. Merci, mesdames et messieurs.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Chadderton. Avant de céder la parole aux membres du comité, dont plusieurs veulent poser des questions, j'aimerais résumer les choses pour m'assurer que nous comprenons bien vos arguments.

Je les expliquerais ainsi. Le premier principe, c'est que les revendications pour travaux forcés que vous faites sont fondées sur la Convention de Genève et sont donc valides aux yeux de nos lois nationales et du droit international. Ces revendications sont distinctes de toute autre allocation demandée par les anciens combattants en raison de la guerre. Je pense que tous les membres du comité comprennent bien ce principe de base.

.1020

Le deuxième principe, qui peut être à mon avis plus controversé - et le conseiller juridique voudra peut-être s'en mêler plus tard - c'est la question soulevée dans la lettre de M. Rock: le traité signé en 1952 avec le Japon constitue-t-il une décharge pour le Japon, pour toute réclamation que le Canada pourrait avoir, ce qui aurait un effet sur vos revendications?

Troisièmement, je crois comprendre que vous estimez que le Canada lui-même n'a pas pris les mesures nécessaires pour protéger les anciens combattants, que ce soit par l'intermédiaire de l'Argentine, en faisant respecter la convention pendant la guerre, ou par la suite, de sorte qu'une réclamation a été faite en vertu du protocole facultatif auprès du comité des Nations Unies contre le Canada lui-même, à cause de sa négligence à protéger ses propres citoyens. Cette dernière réclamation ne peut être faite en vertu de la convention que parce que nous avons signé le protocole facultatif, si j'ai bien compris l'argument juridique.

Quatrièmement, si le Canada versait une indemnité, même si le traité de 1952 constitue une décharge, il pourrait en demander remboursement au Japon, comme l'a fait la Corée et parce qu'il s'agit là de crimes de guerre qui ne sont pas assujettis aux types normaux de décharges pour indemnisation au sens du droit international ou national. Je veux dire par là qu'ils sont au-delà de ces décharges. On a déjà parlé de crimes de guerre auparavant, et je pense que les membres du comité comprennent bien ce principe.

Cinquièmement, vous laissez entendre au comité que même si ces démarches juridiques échouent, le Canada a l'obligation politique de verser un paiement à titre gracieux, comme il l'a fait pour les Canadiens d'origine japonaise déplacés pendant la guerre et pour les victimes de la thalidomide dont vous parlez dans vos documents.

M. Chadderton: Monsieur le président, voilà un excellent résumé de la position que nous présentons au comité. Je crois que M. Forbes pourrait vous dire si la signature du traité de paix représente une décharge complète. D'après ce que j'ai entendu à Genève, je dirais que ce n'est certainement pas le cas.

Je vais demander à M. Forbes de vous en parler.

M. Forbes: Monsieur le président, je vais parler de la question du traité de paix, et je signale au comité que nous en donnons une explication plus détaillée aux pages 22 à 27 de notre mémoire. En résumé, nous estimons que les violations de la Convention de Genève dont ont été victimes ces hommes correspondent à de graves infractions comme on en prévoit à l'article 130 de la convention. L'élément clé de la question de la décharge est expliqué à l'article 131, que voici:

Je vais formuler un autre commentaire, monsieur le président, au sujet d'une question que les membres du comité connaissent bien. Le principe international du droit contraignant est un principe de droit international selon lequel, en résumé, certaines lois - comme la Convention de Genève - priment sur toutes les autres lois nationales et sur les décharges, renonciations ou autres dispositions semblables lorsque la Convention de Genève n'est pas respectée. Nous en parlons en détail aux pages 26 et 27 de notre mémoire.

En terminant, monsieur le président, nous disons essentiellement dans notre mémoire, au sujet du traité de paix, que le gouvernement canadien a négligé de protéger les intérêts des prisonniers de guerre et a renoncé à défendre leurs intérêts alors qu'il n'avait pas le droit de s'en décharger.

Merci.

Le président: Merci beaucoup.

J'ai sur ma liste M. Bergeron, M. Penson, M. Jackson et M. Assadourian.

[Français]

M. Bergeron (Verchères): Quiconque est le moindrement informé de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale connaît les actions qui ont été commises contre les soldats canadiens et britanniques qui étaient en garnison à Hong Kong. Le Musée canadien de la guerre a d'ailleurs un stand qui porte particulièrement sur les prisonniers de guerre de Hong Kong.

.1025

Je dois vous dire que votre présentation et le court vidéo que nous avons vu nous permettent de voir d'une façon encore plus tangible et plus concrète toutes ces impressions ou toutes ces connaissances que nous avions concernant ce qui s'est passé. Nous sommes pour le moins bouleversés de ce que nous entendons. Je comprends bien la requête que vous nous adressez et j'y suis non seulement très sensible, mais très sympathique.

J'ai cependant une question d'ordre plutôt technique. Vous avez adressé votre requête dans un premier temps aux instances des Nations unies qui, elles, vous ont dirigés au gouvernement canadien, et vous vous êtes alors adressés à ce dernier.

Au terme de cette démarche auprès du gouvernement canadien, vous avez écrit le 7 mai dernier une lettre signée par M. Chadderton et adressée à l'honorable David Collenette dans laquelle vous disiez et je cite:

Si vous convenez d'emblée qu'il n'appartient pas au gouvernement du Canada de pousser l'affaire plus loin, quelles sont vos attentes précises à l'égard de ce comité? Vous savez que ce comité n'a pas compétence comme telle en matière d'affaires étrangères. Nous n'avons qu'un pouvoir jusqu'à un certain point de recommandation et de contrôle des activités du gouvernement. En conséquence, je vous demande quelles sont vos attentes précises à la suite de votre comparution devant ce comité.

Souhaitez-vous que nous fassions des pressions auprès du gouvernement pour que celui-ci, en dépit de ce que vous avez écrit dans votre lettre à M. Collenette, pousse plus loin l'affaire? Voilà ma première question.

Ma deuxième question est plus simple et plus brève. Qu'adviendrait-il si le Canada versait les compensations que vous demandez et qu'il présentait une réclamation au Japon ultérieurement? On peut s'attendre, comme le soulignait M. le président, à une bataille juridique pour savoir si les termes du traité de 1952 sont les termes finals de l'entente entre le Canada et le Japon ou si les accusations de crimes de guerre vont au-delà de l'entente conclue entre le Canada et le Japon en 1952. Toute cette question demeure.

Si le Canada versait des compensations et les réclamait par la suite au Japon, y aurait-il des précédents, concernant le Japon ou d'autres pays, sur lesquels il pourrait s'appuyer pour présenter une telle réclamation au gouvernement japonais?

[Traduction]

M. Chadderton: Merci, monsieur le président.

J'en conviens volontiers, ma correspondance avec l'honorable David Collenette peut être mal interprétée. Ce que je voulais dire au ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants à l'époque, c'est qu'il était inutile pour nous de continuer à écrire au premier ministre, à son cabinet, ou à tout autre ministre, même à l'honorable secrétaire d'État responsable des anciens combattants. Nous avions épuisé tous ces recours.

C'est pourquoi j'ai déposé avec mon mémoire un dossier de correspondance assez volumineux. Ce que je disais, c'est qu'il est inutile pour nous d'écrire de nouveau au premier ministre ou àM. Rock ou à qui que ce soit d'autre. Le seul forum qui pourrait à notre avis se pencher sur la question, ce serait un comité permanent de la Chambre des communes. Nous nous attendons d'ailleurs à ce qu'un comité permanent de la Chambre des communes examine toute cette question.

N'oubliez pas qu'initialement nous avions demandé à M. Rock d'organiser une sorte de forum juridique, car c'est en partie une question juridique. Il faut comprendre la Convention de Genève, le traité de paix, et le protocole facultatif. Lorsque M. Rock a refusé le forum juridique, nous nous sommes dit qu'il fallait alors absolument mettre cette question à l'ordre du jour politique.

.1030

Laissez-moi souligner, monsieur, que c'est la première fois. Nous aurions pu mettre cette question à l'ordre du jour politique il y a des années. Les médias font des pressions pour que nous le fassions. Nous avons dit non. Nous avons dit que nous devions d'abord nous adresser à l'ONU.

Lorsque la question a été renvoyée au gouvernement canadien, alors nous avons dû traiter avec le premier ministre. La question est allée du premier ministre au ministre de la Justice, mais à l'époque nous avions épuisé toutes les possibilités de correspondance avec les fonctionnaires du gouvernement canadien et nous avons donc décidé de nous adresser à un comité parlementaire.

Je regrette qu'il y ait eu un malentendu à cet égard, mais c'est ce qui s'est passé.

Quelles sont nos attentes? Monsieur le président, en 50 ans, j'ai comparu devant de nombreux comités parlementaires, près de 50, en fait. J'ai parfois été étonné de constater le pouvoir qu'a réellement un comité parlementaire s'il est saisi d'une question, l'étudie, l'examine, et, après avoir fait des recherches, en arrive à la conclusion que ces gens avaient raison et qu'il faut faire quelque chose à ce sujet.

Nous nous attendons donc à ce que votre comité parlementaire produise un rapport, et nous vous demandons de le faire.

La deuxième question portait sur les précédents. J'en ai mentionné un. Nous sommes au courant. Nous surveillons de très près la revendication des «comfort women» asiatiques. Comme vous le savez, ces femmes étaient des prostituées qui provenaient de certains pays asiatiques, surtout de la Corée. Elles ont reçu un règlement forfaitaire du Japon. Le gouvernement coréen n'était pas satisfait de ce règlement. Il a donc entrepris ce qu'on appelle une action récursoire devant la Cour internationale de Justice et se prépare à poursuivre le Japon pour dommages-intérêts au nom des «comfort women» de la Corée.

C'est le seul précédent que nous connaissions, mais je suis certain qu'il y en a d'autres.

Merci.

M. Bergeron: Merci.

Le président: Monsieur Penson.

M. Penson (Peace River): Merci, monsieur le président.

Je souhaite la bienvenue à votre groupe aujourd'hui et je vous remercie d'avoir porté cette question à l'attention du comité permanent. Je sympathise certainement avec votre cause, particulièrement après avoir regardé la liste des documents que vous avez déposés. Vous dites que vous travaillez à cette cause depuis environ 11 ans avec le gouvernement.

Je peux comprendre que cela doit être extrêmement frustrant, particulièrement étant donné que bon nombre de vos membres vieillissent. Les anciens combattants et les veuves vieillissent, et leur nombre ne peut que diminuer.

Il me semble que nous avons ici une série de circonstances extraordinaires. Il ne s'agit pas d'une situation de guerre habituelle, et il me semble que le gouvernement canadien a la responsabilité morale de s'occuper de votre groupe, que nous puissions récupérer cet argent ou non.

J'ai essayé de calculer à combien le montant total de la revendication pourrait s'élever. Avez-vous calculé ce que cela pourrait coûter au gouvernement canadien? Je suis désolé, mais comme je suis arrivé en retard pour votre exposé, vous l'avez peut-être déjà mentionné.

M. Forbes: Monsieur le président, si vous regardez à la page 44, les revendications sont expliquées en détail.

Brièvement, on est parti du principe que ces hommes ont été incarcérés pendant 44 mois, ou 1 330 jours. D'après une étude d'actuariat, qui a été acceptée à Genève, comme M. Chadderton l'a dit, l'indemnité journalière pour cette période a été établie à 18 $. Le montant total reflète donc un versement de 23 940 $ par prisonnier de guerre ou par veuve, et le montant total s'élève à 20 millions 349 000 $.

M. Penson: Je suppose que j'étais déjà arrivé à la même conclusion, mais je ne m'étais pas rendu compte que c'était dans votre...

Le président: Vous avez apporté votre calculatrice et vous avez en fait le calcul.

M. Penson: Il me semble tout simplement, monsieur le président, que nous avons une responsabilité ici, et j'aimerais que nous examinions cette affaire de plus près.

Un certain nombre de questions qui ont déjà été posées ont permis d'éclaircir certains points qui m'intéressaient également. Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Penson.

Monsieur Jackson.

M. Jackson (Bruce - Grey): Merci beaucoup, monsieur le président. Je remercie M. Chadderton et sa délégation d'être ici aujourd'hui.

J'aurais deux ou trois questions à poser. Tout d'abord, les Américains ont-ils été indemnisés, et comment ont-ils fait face à cette situation?

Je vais vous poser également ma deuxième question. Je pense que M. Bergeron y a fait allusion, et vous y avez répondu dans une certaine mesure lorsque vous avez parlé des «comfort women». Je voudrais savoir s'il y a d'autres précédents où des prisonniers d'une des grandes guerres ont été indemnisés pour des travaux forcés, que ce soit au cours de la Première Guerre mondiale, de la Seconde Guerre mondiale, de la guerre de Corée ou autres.

.1035

M. Chadderton: Tout d'abord, je dois parler de l'Allemagne. Des actifs allemands ont été saisis au Canada et ont été utilisés pour payer des dédommagements pour mauvais traitements. En outre, le gouvernement de l'Allemagne de l'Ouest s'est engagé à verser environ 52 milliards de dollars en indemnisations, et après l'unification le gouvernement de l'Allemagne de l'Est a pris le même engagement. Ces paiements se font régulièrement par l'intermédiaire de la Croix-Rouge internationale à Genève. Donc, le premier pays qui ait vraiment payé des dédommagements et qui continue à payer, c'est l'Allemagne.

Pour ce qui est d'autres revendications pour mauvais traitements ou travaux forcés - restons-en aux travaux forcés, si vous me le permettez - les organisations d'anciens combattants américains se sont jointes à nous pour présenter cette revendication à Genève. Il s'agit d'un cas assez intéressant. Lors d'une des interventions à Genève, le Sous-comité des droits de l'homme nous a dit que nous irions beaucoup plus loin si nous présentions une revendication de nature générale. Donc, je suppose que par accident je suis devenu président de l'association internationale qui représentait les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Ces pays se sont joints à nous pour présenter cette revendication.

S'étant joints à nous, naturellement, ils ont dû accepter également les conséquences. Les conséquences étaient que le Comité des droits de l'homme a dit qu'il y avait de nombreux arguments en faveur de notre cause, mais qu'il ne pouvait pas verser d'indemnisation. L'affaire s'est arrêtée là.

Au Canada, nous sommes signataires d'un pacte international. Les États-Unis ne pouvaient pas faire cela, parce que ce pays n'est pas signataire du pacte international. La revendication des anciens combattants américains a donc fait long feu. Leur revendication a été rejetée à Genève, et les Américains n'ont pas d'autre recours.

Pour ce qui est des Pays-Bas, de la Grande-Bretagne, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, ces pays tentent de poursuivre le Japon en justice devant les tribunaux japonais. Nous avons choisi de ne pas nous joindre à leur poursuite, car lorsque nous avons consulté les avocats internationaux il nous ont dit que c'était tout simplement une perte de temps.

J'aimerais demander à Brian Forbes d'ajouter quelques commentaires.

M. Forbes: Monsieur le président, je suis certain que votre comité ne sera pas surpris d'apprendre que les décisions des tribunaux japonais depuis de nombreuses années révèlent que ces derniers ne sont pas prêts à reconnaître les violations graves à la Convention de Genève et tous les méfaits et atrocités qui ont été commis au cours de la Seconde Guerre mondiale. Notre groupe a donc conseillé aux prisonniers de guerre de ne pas présenter de poursuite devant les tribunaux japonais. Si nous pensons que notre système judiciaire au Canada est lent et laborieux, le système judiciaire japonais est trois ou quatre fois pire. Les obstacles politiques et juridiques là-bas sont trop nombreux pour qu'il vaille la peine d'intenter des poursuites.

Le président: De façon générale, est-ce que les tribunaux ont rejeté le droit de prétention de ces revendications, ou est-ce qu'ils les acceptent, mais laissent tout simplement traîner l'affaire pendant des années?

M. Forbes: Ces revendications semblent être perdues dans le système, monsieur le président, bien qu'il y ait une question de droit de prétention, naturellement, et une question de restriction. C'est un exercice tout à fait ahurissant.

Le président: Monsieur Assadourian.

M. Assadourian (Don Valley-Nord): Merci beaucoup. C'est un exposé très émouvant. On voit que vous avez l'habitude de faire des exposés. Vous avez fait un excellent travail, et nous avons de nombreuses questions à vous poser.

J'ai deux questions à poser. La deuxième a déjà été posée par mon collègue, M. Jackson.

L'autre question s'adresse à M. Roger Cyr. Vous avez mentionné, monsieur, que vous avez travaillé dans un chantier naval au Japon.

M. Cyr: C'est exact.

M. Assadourian: Vous avez également mentionné que l'entreprise était toujours en affaires.

M. Cyr: À ma connaissance, oui.

M. Assadourian: Avez-vous vous-même présenté une demande de dédommagement contre cette entreprise, une demande séparée?

M. Cyr: Non.

M. Assadourian: Pourquoi?

M. Cyr: Je pense que l'explication se trouve dans notre exposé. J'aimerais demander àM. Forbes de répondre à cette question.

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M. Forbes: C'est une question intéressante, mais elle est liée à la même analyse, c'est-à-dire qu'il faudrait intenter des poursuites devant un tribunal au Japon contre une entreprise privée qui existait pendant la Seconde Guerre mondiale. Les chances de succès, franchement, sont si minimes que nous avons jugé qu'il n'était pas dans l'intérêt de notre groupe de le faire. C'est une question intéressante cependant.

M. Assadourian: Ce que je voulais dire, monsieur le président, c'est que si cette entreprise a une succursale au Canada, vous pouvez certainement poursuivre cette entreprise au Canada en vertu des lois canadiennes. J'ai poursuivi un hôtel du Canadien Pacifique pour trois heures de paye, à raison de 1,25 $ de l'heure, en 1971-1972. Après six mois, j'ai gagné ma cause. J'ai reçu 7,30 $, avec mon transport, ma paye de vacances et tout le reste.

Je suis certain que les tribunaux canadiens s'occuperont de votre cause, car s'il s'agissait de travaux forcés pour le gouvernement, ce gouvernement fait... L'entreprise est établie ici; c'est une société japonaise. Vous pourriez peut-être obtenir un privilège sur cette entreprise. Je ne sais pas ce que les autorités peuvent faire. Personnellement, je pense qu'il vaut la peine de poursuivre votre cause indépendamment de la réclamation générale, avec laquelle je suis totalement d'accord.

Vous verrez ce qui arrivera. Ce pays a une ambassade ici. Nous avons le système. Si l'entreprise est établie au Canada, pourquoi ne pas le faire?

M. Cyr: Je pense, monsieur, que ce que vous dites ici est intéressant. De tous les Canadiens qui ont été envoyés au Japon pour travailler - ils ont été envoyés dans différents camps - en fait peu d'entre nous ont travaillé pour une entreprise japonaise donnée. Il se trouve que j'ai travaillé pour deux entreprises japonaises, mais des centaines de mes camarades ont travaillé pour d'autres entreprises. Il serait extrêmement difficile de retrouver toutes ces entreprises. Il y en a peut-être 150 ou plus. Ce n'était tout simplement pas une option pour ce qui est de...

M. Assadourian: Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de toutes les retrouver. Vous pouvez agir seul. Vous, Roger Cyr, pouvez poursuivre cette entreprise devant les tribunaux pour vous faire rembourser. Il n'y a rien de mal à cela.

Le président: Ce n'est pas tout le monde qui est prêt à se battre pendant quatre ans pour aller chercher 7 $, monsieur Assadourian. Votre ténacité est admirable, mais je dois dire que sur le plan économique cet exercice n'a pas beaucoup de sens.

M. Assadourian: C'est une question de principe, monsieur le président.

Le président: M. Cyr, par exemple, devrait dépenser environ un million de dollars pour aller en chercher 1 000. Je peux comprendre qu'il hésite à le faire.

M. Assadourian: Il doit être payé. L'esclavage n'est pas permis au Canada. Nous ne permettons pas que les citoyens canadiens soient victimes d'esclavage au Japon. Voilà ce que je voulais dire. Peu importe qu'on parle d'un dollar ou d'un million de dollars. C'est une question de principe.

M. Chadderton: J'aimerais répondre à cette question. C'est une option que nous avons étudiée dès 1980, lorsque nous nous sommes rendu compte que ces compagnies japonaises exportaient leurs produits au Canada. Nous savions quelle était leur situation financière.

Lorsque nous nous sommes rendus au Japon en 1984 - et je faisais partie de cette délégation, comme je l'ai précisé dans notre témoignage - avant de partir, donc, nous avons demandé à l'ambassadeur du Canada à Tokyo s'il pouvait prendre des dispositions pour que nous puissions rencontrer les autorités responsables du gouvernement japonais. C'était l'une des questions dont nous voulions discuter. Nous le rappelons dans notre mémoire, c'est certain.

L'ambassadeur du Canada, M. Barry Steers, nous a dit en aparté qu'il lui était impossible de nous ménager une rencontre avec des autorités japonaises ou des civils. N'essayez pas, parce que vous allez nuire aux relations commerciales avec le Japon.

Nous sommes donc revenus et nous avons décidé qu'au lieu d'intenter des poursuites contre chacune des compagnies - 62 si ma mémoire est bonne - nous allions revoir la situation juridique. Et nous nous sommes dit que la Commission des droits de l'homme était la voie tout indiquée. C'est pourquoi nous nous sommes intéressés à elle. Nous avons peut-être eu tort, mais je vous rappelle à nouveau que la Commission des droits de l'homme n'a pas rejeté notre demande, elle a simplement dit qu'elle ne s'occupait pas d'indemnisation.

Nous nous sommes donc adressés à une instance inférieure, le Comité de droits de l'homme, qui nous a dit qu'il fallait trouver un recours interne. C'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui. Nous avons donc étudié la possibilité de faire une réclamation auprès des entreprises au Japon ou de leurs succursales au Canada. Nous avons cru que le droit international est beaucoup plus fort que celui sur l'équité. Nous nous sommes fondés sur la Convention de Genève, monsieur le député, et voilà où nous en sommes aujourd'hui. Merci.

M. Forbes veut ajouter quelques chose, je crois.

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M. Forbes: Monsieur le président, c'est une question intéressante. Vous appréciez j'en suis sûr les subtilités juridiques de l'affaire. Monsieur Assadourian, nous avons choisi d'intenter ce que j'appellerais une poursuite collective puisqu'il est très difficile pour des particuliers de poursuivre un grand nombre de sociétés sur une longue période. Votre argument est valable, cependant.

Je rappellerais aussi, comme M. Chadderton l'a fait, que lorsque nous avons saisi de l'affaire la Commission des droits de l'homme en 1987, mon humble avis c'est que nous aurions eu gain de cause si le gouvernement avait soutenu notre demande en 1987.

La Commission des droits de l'homme est vulnérable vis-à-vis de ses clients. Elle voulait donner une suite à notre demande. Les pressions politiques qui ont été exercées, aussi bien par les Japonais que par d'autres, ont en fait sabordé notre demande. Je vous dirais honnêtement que comme Canadien, cela a été l'un des moments les plus humiliants pour moi: me présenter devant cette instance privé de l'appui de mon gouvernement. Je vous laisse y réfléchir.

Le président: Monsieur Loney.

M. Loney (Edmonton-Nord): Monsieur le président, j'aimerais avoir un renseignement qui n'est pas directement relié à la question de l'indemnisation. En 1945, lorsque les prisonniers de Hongkong ont été libérés, combien y en a-t-il dont on ignore le sort? Si j'en crois les rumeurs que j'entends depuis 1946, il y en a peut-être encore? Avez-vous un chiffre?

M. Chadderton: Il n'y en a aucun, je crois, dont on ignore le sort. Environ 235 d'entre eux ont été fait prisonniers, ont été inscrits à la Croix-Rouge et sont morts dans les camps de prisonniers ou les camps de travail. Mais on connaît leur sort à tous.

Environ 250 autres sont morts au combat et certains autres sont peut-être disparus au combat, mais les archives de la Commission ses sépultures de guerre du Commonwealth sont pas mal précises. Elle a exhumé - excusez ces précisions pénibles - ce qui restait des dépouilles incinérées et je crois qu'elle a pu les identifier toutes. Dans tous les cas.

M. Loney: Merci.

Le président: J'aimerais poser une question d'ordre juridique à M. Forbes pour que nous comprenions bien ce qui est arrivé à Genève. Si j'ai bien compris, vous aviez déposé deux réclamations à Genève: l'une suivant la filière normale contre le Japon et l'autre contre le Canada en vertu du protocole facultatif. Les avez-vous défendues en même temps ou l'une après l'autre? Il me semble que vous avez procédé en deux temps. Quoi qu'il en soit, si j'ai bien compris, le problème à Genève c'est que le comité n'avait pas le pouvoir d'accorder une indemnisation. Il peut statuer qu'il y a eu violation des droits de l'homme, mais ne peut pas imposer des dommages-intérêts.

Dans ce cas, si le gouvernement du Canada ne vous a pas appuyé en 1987, est-ce qu'au bout du compte cela change quoi que ce soit? Même si vous aviez réussi là-bas, on ne vous aurait pas accordé des dommages-intérêts. Vous n'auriez obtenu que le réconfort moral d'une déclaration par la commission de Genève confirmant que vos droits avaient été violés, si j'ai bien compris.

M. Forbes: J'aimerais répondre à cette question, monsieur le président, parce qu'en vertu de la procédure définie par la résolution 1503, que nous avons suivie en 1987, nous ne nous attendions pas forcément à ce que la Commission des droits de l'homme puisse nous accorder une indemnisation. Mais après avoir consulté d'autres ONG ainsi que des juristes internationaux éminents, commeM. John Humphrey, il est apparu que si nous pouvions obtenir une déclaration de la Commission des droits de l'homme affirmant que le Japon avait effectivement commis des violations systématiques des droits de l'homme, ce qui... Il existe à Genève un principe que l'on appelle l'organisation de la honte. Une fois qu'un pays a été dénoncé sous l'empire de cette résolution, il arrive souvent qu'une résolution soit adoptée et qu'une indemnisation soit versée.

Ce que nous cherchions à obtenir là-bas était très subtil. Essentiellement, nous voulions alerter l'opinion mondiale et obtenir l'appui d'autres gouvernements, d'autres gouvernements alliés, d'autres ONG, et nous y avons très bien réussi, j'ajouterai.

Le fait que j'ai rappelé plus tôt, à savoir que le gouvernement du Canada s'est abstenu de soutenir notre demande, est extrêmement important, parce que l'environnement politique de la Commission des droits de l'homme à Genève nous a bien fait comprendre que si le Canada ne l'appuyait pas, pourquoi ces prisonniers de guerre sont-ils devant cette instance internationale?

Pour répondre à votre première question, nous avons effectivement déposé une demande en 1987 en vertu de la résolution 1503 contre le Japon. Une décision était rendue en 1991, et la question de la compétence faisait problème. Nous avons donc invoqué le protocole facultatif du pacte international en 1993 contre le Canada, alléguant que celui-ci n'avait pas protégé les intérêts des prisonniers de guerre.

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Le président: Merci beaucoup.

Il y a sûrement de quoi occuper les avocats, n'est-ce pas, monsieur Chadderton? Étant moi-même avocat, je dois vous remercier de nous soumettre autant de précédents internationaux intéressants, et je suis désolé que ce soit vous qui ayez à en pâtir.

Personne d'autre ne semble vouloir poser des questions. Je voudrais donc au nom des membres du comité vous remercier à nouveau d'être venus. Je vous remercie de l'étendu de votre documentation et de vos explications. Je crois que nous comprenons la nature du problème.

D'après ce que vous avez dit à M. Bergeron, je crois comprendre que vous souhaitez une recommandation du comité. Je vais en saisir le sous-comité de la procédure, auquel siège M. Bergeron et M. Mills, qui n'est pas ici, ainsi que certains autres membres - pour déterminer qui nous voudrions peut-être encore entendre. Vous avez parlé du sous-ministre. Il y a aussi M. Rock lui-même. Il y a aussi d'autres personnes que les membres du comité voudront peut-être entendre pour obtenir des précisions supplémentaires, du point de vue du gouvernement.

Vu le reste de notre travail - notre emploi du temps est très chargé à l'heure actuelle - , il ne nous sera peut-être pas possible de le faire avant Noël. Mais je crois que le comité voudra donner suite à cette question le plus tôt possible, si j'ai bien perçu le sentiment des membres. Si vous nous laissez cette affaire entre les mains, nous allons nous en occuper, et nous allons communiquer avec vous. Si nous avons besoin d'autres précisions, nous n'hésiterons pas à vous consulter. Je suis certain que vous voudrez revenir si nécessaire, mais je ne crois pas que ce sera le cas.

Je tiens à vous remercier, commodore Birchall, M. Cyr et M. Chadderton. Merci beaucoup.

M. Chadderton: Merci, monsieur le président.

J'aimerais dire une dernière chose. Il a été dit plusieurs fois que nous nous sommes rendus à Genève. Nous avons exploré diverses options. Nous sommes fiers du fait que nous avons respecté toutes les règles. La dernière règle contre laquelle nous nous sommes heurtés est de nature politique et c'est pourquoi nous nous sommes adressés à un comité de la Chambre. Merci, monsieur le président.

Le président: La séance est levée jusqu'à 15 h 15 cet après-midi. Merci beaucoup.

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