[Enregistrement électronique]
Le mardi 19 novembre 1996
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte. Nous recevons aujourd'hui le ministre des Affaires étrangères, M. Axworthy.
Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre. Je vous remercie de vous être déplacé. Je crois savoir que vous serez suivi par le ministre Boudria. Nous vous sommes reconnaissants de l'occasion qui nous est donnée de faire le point avec vous sur notre mission à Haïti.
Je vois que vous êtes accompagné par un certain nombre de vos collaborateurs. Je vous inviterais à nous les présenter. J'espère que, comme d'habitude, vous voudrez bien faire une déclaration, après quoi les membres du comité vous poseront des questions.
Sans plus attendre, soyez donc le bienvenu au comité et merci encore d'être venu.
L'hon. Lloyd Axworthy (ministre des Affaires étrangères): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je suis accompagné aujourd'hui d'un certain nombre de collaborateurs éminents. M. Michel Duval, directeur du maintien de la paix; le contre-amiral King, sous-ministre adjoint associé:M. Stephen Free, directeur, Direction des Antilles, ACDI; M. Denis Beaudoin, chef aux opérations, Haïti, ACDI; ainsi que M. Philippe Cousineau. Je vous invite à interroger ces spécialistes de façon fouillée; pour ma part, je me contenterai de les écouter.
[Français]
D'abord, monsieur le président, je vous parlerai aujourd'hui de ce que le Canada a accompli en Haïti. Il y a eu des succès importants. Ces succès sont le résultat de notre décision de prendre la tête de la mission du maintien de la paix des Nations unies en Haïti. J'aimerais discuter avec les membres du comité de l'avenir de notre présence en Haïti.
[Traduction]
Comme vous le savez, nous participons aux opérations de maintien de la paix à Haïti depuis dix-neuf mois. Depuis mars 1996, nous avons pris la direction de la mission, et c'est nous qui contribuons les plus forts contingents militaires et policiers.
Je peux déclarer que la présence de l'ONU a été couronnée de succès. La force a permis d'assurer la stabilité instaurée à l'occasion de l'intervention de septembre 1994. Il y a eu un certain nombre de grandes réalisations depuis que l'ONU a pris le relais de la force américaine.
Pour commencer, l'armée haïtienne, responsable d'une multitude de violations des droits de l'homme, a été dissoute. Elle a été remplacée par 5 000 agents de police qui ont été recrutés et ont reçu leur instruction de base. Ils forment aujourd'hui l'essentiel de la police nationale haïtienne, force policière civile.
Des élections démocratiques ont aussi été tenues à la présidence, au Parlement et dans les administrations locales. Tout récemment, Haïti a conclu une entente avec le FMI qui lui permettra de recevoir un prêt à l'ajustement structurel et qui représentera une injection importante de fonds à l'économie.
Pendant la même période, les violations systématiques des droits de l'homme ont pris fin, tout comme l'exode massif des réfugiés de la mer, dont certains sont parvenus jusqu'ici. Comme le savent les députés du Québec, un grand nombre d'entre eux se sont réfugiés à Montréal en particulier.
[Français]
Le Canada a joué un rôle fondamental pour développer une stratégie de consolidation de la paix en Haïti. C'est une stratégie à long terme qui est coordonnée par les Nations unies. Son objectif est d'aider Haïti à traverser la période de transition actuelle.
Le Canada a une influence majeure sur cette stratégie, grâce à sa présence militaire, à ses policiers et à son aide au développement.
La mission d'appui des Nations unies en Haïti est une opération de maintien de la paix d'un nouveau genre. Son objectif n'est pas de maintenir un cessez-le-feu, comme dans d'autres régions. Ce n'est pas non plus de surveiller un accord de paix comme en Amérique centrale ou au Cambodge. Au contraire, la mission en Haïti veut assurer la sécurité qui est nécessaire pour construire une société stable et démocratique dans ce pays. La mission veut créer les conditions de base pour le développement économique d'Haïti et le développement démocratique.
C'est un premier exemple pratique d'une mission de consolidation de la paix. C'est quelque chose que le Canada doit appuyer fortement.
[Traduction]
Au coeur du mandat de la mission de l'ONU se trouvent deux éléments destinés à assurer un climat économique et politique stable; le premier est la formation de la police haïtienne et la coordination des activités de consolidation de la paix de l'ONU.
La politique du Canada à Haïti repose sur la nécessité de consolider la paix. Notre participation à la mission de l'ONU est une contribution à la paix, mais cela nous le faisons de bien d'autres façons sur une base bilatérale.
Plus ces situations apparaîtront sur la scène internationale, plus la stratégie de consolidation de la paix deviendra un outil important de la politique étrangère canadienne et de celle des autres pays.
Si je faisais une analogie avec la médecine, je dirais que lorsqu'un accidenté est emmené à l'hôpital, la première chose à faire est de trier les blessés, de stabiliser leur état, leur tension artérielle et de s'assurer avant d'intervenir que le malade peut survivre. C'est à cela que sert la consolidation de la paix: assurer une intervention civile rapide comme nous savons le faire quand il s'agit d'une intervention militaire. C'est un rôle de plus en plus important et essentiel dans des situations comme celle de Haïti ou, aujourd'hui, au Zaïre.
Sur le plan bilatéral, par exemple, nous offrons une formation spécialisée à la police haïtienne en matière de gestion et de renseignements sur les activités criminelles. Nous collaborons à la réforme de l'appareil judiciaire et nous assurons la formation du corps de la magistrature. Nous collaborons également au processus électoral et nous aidons le Parlement haïtien à s'acquitter efficacement de ses fonctions législatives.
Nous collaborons de diverses façons avec la société civile haïtienne à l'éducation de la population. Mon collègue M. Boudria pourra vous donner des précisions sur ces initiatives.
Le Canada est présent dans les domaines où il possède des compétences particulières et tâchera notamment de jeter les bases d'une société démocratique stable.
En ce qui concerne la question pressante du prolongement du mandat de l'ONU, le président René Préval a prié le 12 novembre dernier le secrétaire général de l'ONU de prolonger la mission pendant une période de sept mois supplémentaires, c'est-à-dire jusqu'à la fin de juin 1997.
Haïti a demandé notre aide pour que nous collaborions avec des membres de l'ONU pour obtenir ce prolongement. Les premiers entretiens que nous avons eus avec des membres importants du Conseil de sécurité, comme la Russie et la Chine, ont été très encourageants. Il n'est pas encore sûr que la recommandation du secrétaire général sera acceptée par le Conseil de sécurité mais, si elle l'est, on s'attend à ce que le Canada maintienne son effectif actuel. Cela signifie environ 750 soldats et 100 policiers. Cela comprend également le poste de commandant militaire de l'opération de l'ONU dans ce pays.
Une partie de notre contingent militaire est en fait une contribution volontaire à la mission, équivalant à 200 soldats. Les États-Unis apportent eux aussi une contribution volontaire à la mission, équivalant au coût de 500 soldats.
D'autres pays ou organismes versent également une contribution importante à la mission. Par exemple, les États-Unis ont promis 300 millions de dollars sous forme d'aide et l'Union européenne 500 millions pour la période allant de 1995 à 1997. La Banque mondiale et la Banque inter-américaine de développement ont promis 450 millions et 900 millions de dollars respectivement pour des projets d'infrastructure d'ici à 1999.
Le pays est donc sur le point de recevoir de nouveaux investissements considérables destinés à instaurer un nouveau climat dans ce pays. Toutefois, la question principale reste la sécurité. Ces investissements et cet effort de reconstruction ne peuvent réussir si le pays retombe dans l'instabilité et la précarité. C'est pourquoi le renouvellement du mandat est essentiel.
Certains d'entre vous se demandent peut-être - et la question a été posée à la Chambre récemment - si nous pouvons continuer à contribuer des troupes à la mission haïtienne vu nos engagements au Zaïre. Comme le ministre de la Défense l'a déclaré à plusieurs reprises - et certains ne semblent pas l'avoir entendu - notre nouveau rôle au Zaïre ne nuira pas à notre participation aux opérations de maintien de la paix en Bosnie ou à Haïti.
À l'heure actuelle, nos militaires et nos policiers apportent une contribution très importante à la stabilité de notre région et à l'essor à long terme de Haïti. Le Canada est reconnu comme spécialiste du maintien de la paix et de la consolidation de la paix en raison du succès des opérations comme celle à Haïti et je suis convaincu que notre pays jouit de nombreux appuis.
Voilà, monsieur le président, l'essentiel de ma déclaration. Je serai très heureux de répondre aux questions des membres du comité.
Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre.
[Français]
M. Paré (Louis-Hébert): Je suis heureux, moi aussi, qu'on accueille le ministre des Affaires étrangères. Vous semblez dire qu'à la suite de la demande du président d'Haïti, M. Préval, la Chine et la Russie ont semblé donner leur accord. Or, au moins de juin, au moment où on a renouvelé pour cinq mois, la Chine semblait être le pays le plus réticent. Doit-on comprendre que l'attitude de la Chine a changé par rapport à Haïti?
M. Axworthy: Pendant les derniers mois, nous avons parlé à plusieurs reprises avec les représentants de la Chine, en particulier quand le ministre des Affaires étrangères de la Chine a visité Ottawa au mois de septembre. Nous avons parlé spécifiquement des mandats pour Haïti. Il est impossible de vous donner une assurance, mais ma perception est que les Chinois et les Russes sont prêts à continuer à jouer leur rôle à Haïti, à certaines conditions.
Il y aurait un plan d'action pour des ajustements, pour la reconstruction et la restauration de la stabilité économique et politique du pays. Mais il est important d'avoir un mandat du Parlement et du gouvernement du Canada pour aider les Haïtiens et le secrétaire général des Nations unies à promouvoir les mandats pendant les deux prochaines années.
M. Paré: Compte tenu que le président Préval demande une prolongation de sept mois seulement - le «seulement» est de moi - , indique-t-il cette courte période pour tenter de s'assurer qu'il y aura une prolongation ou s'il pense vraiment que des délais aussi courts peuvent permettre de régler des problèmes, alors qu'on se rappelle qu'il y a quelques jours, les États-Unis annonçaient leur présence en ex-Yougoslavie jusqu'en 1998?
Il m'apparaît que la situation en Haïti mériterait un engagement à plus long terme.
M. Axworthy: D'abord, la situation en Haïti et celle en Bosnie sont très différentes.
Vous connaissez les problèmes en Bosnie. D'abord, il y a plusieurs factions, plusieurs groupes fortement passionnés là-bas. Donc, il faut avoir une grande force pour assurer la stabilité.
J'ai dit dans mes remarques que le processus en Haïti en était un de consolidation de la paix, avec un environnement plus sécuritaire pour les forces de l'ONU.
Vous vous souviendrez que le représentant du secrétaire général, M. ter Horst, était ici au printemps dernier, je pense.
À l'époque, il a parlé d'une période d'environ deux ans de présence des forces militaires en Haïti. Par la suite, il y aurait une transition et la contribution militaire serait remplacée par une contribution plus économique, sociale, politique, etc.
Actuellement, je pense que le mandat de sept mois est correct et c'est certainement l'avis deM. ter Horst. Nous espérons qu'à ce moment-là, les forces policières de ce pays seront stables.
[Traduction]
J'espère donc, comme je l'ai dit dans ma déclaration - et certains de mes collaborateurs pourront peut-être vous en dire davantage, ou M. Boudria - que si nous continuons à apporter et peut-être même à enrichir la contribution que nous faisons au volet consolidation de la paix, ce qui permettra à la police nationale haïtienne et à l'appareil judiciaire de prendre racine, il ne sera plus nécessaire d'avoir une police militaire aussi imposante. En effet, les militaires sont une garantie au moment où les Haïtiens reprennent en main leurs propres affaires.
[Français]
Le président: Madame Debien.
Mme Debien (Laval-Est): Bonjour, monsieur le ministre.
On sait que la MINUHA, qui a précédé la MANUH qui est là actuellement, avait été sévèrement critiquée pour son incapacité à désarmer les anciens militaires putschistes.
La MANUH actuelle a-t-elle le même mandat que la MINUHA et qu'en est-il de cette problématique de désarmement des forces putschistes?
J'aimerais que vous fassiez le point là-dessus.
M. Axworthy: M. Duval pourra répondre à cela.
M. Michel Duval (directeur, Sécurité régionale et Division du maintien de la paix, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Le mandat de la force des Nations unies n'a jamais comporté le désarmement des anciens militaires. C'était vrai pour la MINUHA et c'est toujours vrai pour la MANUH.
Cependant, le rôle de la force est d'appuyer la police haïtienne dans cette tâche. Je dois dire qu'au cours du dernier mandat, celui de la MANUH, la force des Nations unies a aidé à former la police haïtienne et lui a prêté main forte. La police haïtienne a été beaucoup plus active dans le désarmement des ex-militaires.
[Traduction]
Le président: Monsieur Assadourian.
M. Assadourian (Don Valley-Nord): Merci beaucoup.
J'ai une courte question à poser, monsieur le ministre. Où en sont nos obligations financières vis-à-vis d'Haïti? Sommes-nous en situation déficitaire ou excédentaire? Le savez-vous?
M. Axworthy: Monsieur Assadourian, nous sommes l'un des rares pays à payer ses factures à temps à l'ONU. Comme je l'ai dit à l'assemblée générale, j'aimerais que les autres en fassent autant. Cela éviterait bien des difficultés à l'organisation.
Nous versons une contribution au fonds de maintien de la paix de l'ONU, ce qui aide au financement du volet ONU des opérations. Dans le budget du ministère de la Défense nationale, il est aussi prévu une contribution de 200 militaires, qui n'est pas financée par l'ONU. C'est un coût que nous assumons.
Le président: Si je me souviens bien, lorsque vous avez comparu lors de la discussion sur la mission initiale, des questions très précises vous ont été posées sur ce que devrait être le coût. Par la suite, vous avez fait parvenir des lettres aux membres du comité laissant entendre que les États-Unis allaient assumer une plus grande partie du fardeau financier qu'il avait été prévu à l'origine. J'imagine que ce serait le cas aussi dans l'éventualité d'un prolongement.
M. Axworthy: C'est ce que nous imaginons, monsieur le président.
Le président: En fait, le coût net pour le Canada pourrait...
M. Axworthy: Oui, des chiffres passablement exagérés ont été donnés lors du dernier prolongement du mandat. Grâce à des négociations habiles du premier ministre, lorsqu'il a rencontré Bill Clinton au sommet du G-7 le printemps dernier, nous avons réussi à obtenir ce que j'appellerais un partage beaucoup plus équitable des tâches et des dépenses.
Le président: J'en conclus que vous n'avez pas eu à négocier avec le sénateur Helms.
Des voix: Oh, oh!
M. Axworthy: Je vais vous laisser le soin de le faire, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup. Nous avons suffisamment d'ennuis au comité sans cela.
[Français]
Monsieur Bergeron.
M. Bergeron (Verchères): J'ai trois questions et, si vous me le permettez, monsieur le ministre, je vais les poser toutes ensemble. Elles sont un petit peu disparates ou hétéroclites, mais elles sont assez courtes.
D'abord, nous avons eu vent ces dernières semaines - peut-être est-ce simplement une désinformation, mais j'aimerais vous entendre sur cette question - , et ce n'était pas le cas lorsque je suis allé en Haïti au mois de mai dernier, que les militaires canadiens auraient été victimes ces dernières semaines ou ces derniers mois d'une certaine hostilité de la part des Haïtiens sur place. Peut-être est-ce simplement fomenté par les anciens putschistes qui cherchent à déstabiliser le gouvernement haïtien en cette période un peu plus précaire du régime démocratique. Donc, j'aimerais avoir des renseignements sur cette soi-disant hostilité dont seraient victimes nos militaires depuis un certain nombre de semaines.
Par ailleurs, il y a toujours le problème lancinant, latent des policiers canadiens d'origine haïtienne qui ont été formés à Regina et qui n'ont pas encore été tous et toutes intégrés dans les forces de police ou, à tout le moins, dans les forces de sécurité haïtiennes. Donc, il y a un problème qui demeure à ce niveau-là. Nous avons continuellement, à nos bureaux, des policiers canadiens d'origine haïtienne qui se demandent pourquoi ils ont été formés aux frais des contribuables canadiens si on ne les utilise pas.
J'aurais une dernière question, monsieur le ministre. On sait qu'une partie des coûts de l'opération était jusqu'à tout récemment assumée par le Canada lui-même. Vous sembliez dire plus tôt que, contrairement à ce qui était le cas dans les situations précédentes, la Chine semblait vouloir se montrer beaucoup plus ouverte. Est-ce dire qu'il est question que les Nations unies assument la totalité des coûts de l'opération?
Voilà mes trois questions, monsieur le ministre.
M. Axworthy: Monsieur le président, peut-être que l'amiral King pourrait répondre à la première question.
Contre-amiral James A. King (sous-ministre adjoint associé, Politiques et communications, ministère de la Défense nationale): Je n'ai pas connaissance de problèmes d'hostilité contre les Canadiens. Il s'agit peut-être d'une hostilité à l'endroit des agents de police formés par des Canadiens ou des soldats. Parlez-vous des membres des Forces armées ou des agents de police?
M. Bergeron: Je dois vous dire que les renseignements qu'on a obtenus étaient très fragmentaires et très peu précis.
C'est pour cela que je vous demandais s'il s'agissait de désinformation ou si, véritablement, les soldats ou les policiers canadiens ou encore les policiers formés par les Canadiens sont victimes d'une certaine hostilité.
Cam King: Je n'ai pas entendu parler d'un seul cas.
M. Axworthy: Je demanderais à M. Duval de répondre en ce qui a trait aux deux autres questions.
M. Duval: Les policiers qui ont été formés à Regina travaillent actuellement dans les services de sécurité en Haïti. Ils n'ont pas été intégrés à la force de police en raison d'une difficulté particulière, à savoir que la Loi sur la police interdit à des citoyens étrangers de travailler pour la police, mais tous ont des fonctions de consultant.
Donc, le problème a été réglé temporairement de cette façon-là. Il reste à changer la Loi sur la police, mais il s'agit d'une question à long terme pour le gouvernement haïtien.
M. Bergeron: Comment se présente cette question-là?
M. Duval: Elle se présente de façon très lente et très progressive. C'est-à-dire que le gouvernement haïtien a tenté de les placer dans des fonctions de police, à titre de consultants, afin de résoudre le problème humain, des revenus et du travail.
Mais la question législative est plus difficile. Vous connaissez le rythme de travail du Parlement haïtien. On l'a observé lors des débats sur les lois sur la modernisation des entreprises de la fonction publique. Donc, de ce côté-là, il faudra sans doute attendre encore plusieurs mois.
Pour ce qui est de l'attitude la Chine, on ne doit pas s'attendre à ce que les Nations unies paient plus que ce qu'elles payent actuellement, c'est-à-dire le coût de 600 militaires. Donc, la charge financière du Canada et des États-Unis resterait à peu près la même. Cela représente 11 millions de dollars pour les États-Unis. L'amiral King pourrait nous dire combien cela représente pour les Canadiens.
Cam King: Je crois qu'actuellement, les coûts pour le Canada s'élèvent à environ huit millions de dollars, ce qui représente à peu près 15 p. 100 du coût total de la mission.
M. Bergeron: D'accord. J'aimerais revenir, si possible, à la question des policiers canadiens d'origine haïtienne, parce que vous sembliez dire que tous et toutes avaient été intégrés aux forces de police à titre de consultants ou d'autres termes aussi imprécis que ceux-là.
Cependant, le fait est qu'il semble qu'ils n'ont pas été tous et toutes intégrés puisque qu'il y en a encore à Montréal qui se demandent un peu ce qu'ils vont devenir dans la vie. Je ne sais pas si vos renseignements sont exactement les mêmes que les miens, mais ils ne semblent pas concorder d'aucune façon.
M. Duval: Tout à fait. Vous avez bien raison.
Tous ceux qui sont restés en Haïti et qui ont accepté les postes que le ministère haïtien leur a offerts ont eu des postes en Haïti. Mais vous avez tout à fait raison de dire qu'un certain nombre d'entre eux sont rentrés au Canada. Ceux-là sont maintenant au Canada. C'est une décision stratégique qu'ils ont prise sur leur avenir.
M. Bergeron: Quel genre de pressions ou quel genre de démarches le gouvernement du Canada fait-il auprès des autorités haïtiennes, sinon pour faire accélérer le processus législatif, à tout le moins pour essayer de trouver la solution la moins déplaisante possible dans les circonstances, étant donné que le Canada a investi des ressources financières et humaines pour former ces policiers qui, dans la plupart des cas, ne sont pas très satisfaits de la solution qui a été trouvée?
Je pense qu'on est un peu perdants. On a voulu donner un coup de main à Haïti en lui fournissant une main-d'oeuvre qualifiée au niveau policier et cette main-d'oeuvre n'est pas utilisée comme elle devrait l'être. Donc, y a-t-il des démarches qui sont entreprises ou laisse-t-on les choses aller, comme on dit chez nous, à la va-comme-je-te-pousse?
M. Axworthy: Chaque fois qu'un ministre canadien, moi-même, M. Pettigrew ou M. Boudria, a une réunion avec ses homologues haïtiens, il pose des questions en ce qui a trait aux problèmes des officiers canadiens. Je pense que les réponses du gouvernement d'Haïti sont très positives, très intéressantes. Cependant, comme l'a dit M. Duval, il y a des problèmes législatifs.
J'aurais une suggestion. Peut-être que les membres de ce comité iront un jour en Haïti, échangeront avec leurs homologues parlementaires et leurs poseront des questions. Il y aurait peut-être lieu que ce comité écrive au comité haïtien pour lui faire part de ces problèmes et lui poser des questions.
Le président: Un tel échange devrait avoir lieu au mois de février à Ottawa, monsieur le ministre. Pensons à notre climat si accueillant.
M. Bergeron: Si la suggestion du ministre est sérieuse, il faudrait d'abord commencer par voir comment, du point de vue des ressources financières, on pourrait assurer la réalisation d'une telle suggestion. Vous savez à quel point il est difficile pour ce comité d'obtenir les crédits nécessaires en dépit du fait que c'est un comité qui s'occupe des affaires étrangères. Vous savez à quel point il est difficile de trouver les crédits nécessaires au niveau du Parlement pour permettre à ce comité d'exercer ses prérogatives en matière d'affaires étrangères.
M. Axworthy: Nous sommes très intéressés à poursuivre les autres mesures pour faire avancer la reconstruction en Haïti, y compris un meilleur fonctionnement du Parlement d'Haïti. Selon mon expérience, on pourrait bénéficier grandement d'un échange entre les députés canadiens et les députés des autres pays. C'est une question que je soulèverai peut-être auprès de mes collègues.
[Traduction]
Le président: Mais je crois comprendre, monsieur le ministre, que vous trouveriez tout aussi approprié d'accueillir ici des députés haïtiens pour qu'ils puissent observer le fonctionnement du Parlement.
[Français]
M. Axworthy: C'est une bonne idée.
[Traduction]
Le président: Ces échanges peuvent se faire dans les deux sens.
M. Axworthy: Les membres du comité pourraient peut-être voir entre eux quelles sont les possibilités. Je serai heureux d'en prendre connaissance. Vous pourriez soit me faire parvenir une lettre ou m'en parler directement.
Le président: Oui, je suis certain que le comité directeur voudra fouiller la question. Il n'est pas nécessaire que tout le comité y aille, quelques membres seulement suffiraient.
M. Axworthy: Une visite ici pourrait être énormément utile, mais je ne suis pas convaincu que le mois de février serait le moment idéal.
Le président: Non, en effet. En février, les échanges se font en sens inverse.
Monsieur Morrison, vous figurez sur ma liste, mais comme je dois partir dans quelques instants, me laisseriez-vous poser quelques questions avant de vous céder la parole?
Auparavant, je voudrais régler une question de procédure. Monsieur le ministre, le mandat se termine le 28 novembre. La dernière fois, vous avez consulté le comité et nous avons voté une résolution avant que le gouvernement ne prenne des mesures concrètes. Vous attendez-vous à ce que le comité adopte une résolution avant le 28 novembre, pas nécessairement comme préalable, mais au moins dans le cadre du processus de prise de décision?
M. Axworthy: Il est très utile, monsieur le président, de disposer d'une résolution d'appui venant des membres du comité. Cela vient renforcer notre engagement et nous aide dans nos négociations à l'ONU.
Le président: Deuxièmement, s'agissant de la situation à Haïti, j'aimerais savoir si vous pourriez nous en dire un peu plus sur la situation politique. Certains ont laissé entendre queM. Aristide lui-même a peut-être un effet déstabilisateur, vu ses ambitions politiques, et que la position de M. Préval n'est peut-être pas aussi ferme qu'on le souhaiterait dans ce climat politique. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Personnellement, il me semble plutôt étrange de dire que nous allons conserver ces 750 soldats en place pendant encore sept mois, en supposant que, tout à coup, à l'expiration de cette période de sept mois, ils vont tous partir en même temps. Il me semble que ce n'est pas conforme à la nature humaine. Il me semble que l'on en réduirait graduellement le nombre, plutôt que de les retirer tous d'un seul coup.
Je me demande donc si vous pourriez nous dire pourquoi on n'envisage pas, peut-être au cours de la prochaine étape du mandat, de réduire le nombre de nos militaires sur place, ou nous dire quand nous pouvons nous attendre à une réduction de leur nombre.
M. Axworthy: Il incombe surtout au ministre de la Défense et aux militaires de planifier l'arrivée et le départ des troupes à l'intérieur du mandat. La dernière fois que j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec le général qui commande l'opération, on a admis qu'il pourrait y avoir une période de transition. Pour l'instant, je me préoccupe essentiellement d'obtenir le renouvellement du mandat, afin que nous puissions continuer. Sans cela, je crois que nous pourrions voir la situation se dégrader très rapidement, car c'est un élément tout à fait essentiel pour maintenir la paix dans ce pays.
Personne ne peut dire avec certitude comment la situation va évoluer exactement dans des pays comme celui-là. Personne ne s'aventurerait à prédire les progrès qui seront réalisés au jour le jour. On fait parfois des progrès énormes qui sont suivis d'un recul. Ces choses-là arrivent. Nous savons par contre que depuis que nous sommes là, nous avons constaté des indices indéniables de progrès, en particulier sur le plan politique.
Le gouvernement du président Préval a réalisé à notre avis d'importants progrès. Le gouvernement est maintenant très stable. Bien sûr, il y a des opposants. Il y a toujours des partisans de l'ancien régime qui réapparaissent. Ils ne sont pas tout à fait rentrés dans le rang, et c'est d'ailleurs en partie pourquoi il faut maintenir une force là-bas, pour s'assurer de garder la paix.
Il y a aussi un débat politique très animé. Franchement, en nous fondant sur notre propre expérience, je ne crois pas que nous devrions nous étonner qu'il y ait des divergences politiques en Haïti quant à la meilleure façon de mener les affaires. Nous avons notre part de divergences chez nous. À mes yeux, c'est signe qu'une saine démocratie commence à apparaître. Évidemment, elle est encore chancelante, mais n'allons pas supposer qu'il faut que tout soit monolithique. Encourageons plutôt ce genre de diversité.
Le président: Monsieur Morrison.
M. Morrison (Swift Current - Maple Creek - Assiniboia): Merci, monsieur le président.
Je voudrais poursuivre sur la lancée de la question du président. Ce que vous nous dites, en fait, c'est que nous allons maintenir le statu quo pendant encore sept mois. Puisqu'il n'est pas question pour l'instant d'une réduction graduelle des forces, peut-on supposer légitimement que nous serons de retour ici même dans sept mois pour reconduire encore le mandat? Autrement dit, on continuera d'improviser de la même manière au fur et à mesure?
M. Axworthy: Pour commencer, j'ai dit très clairement dans mon allocution que nous ne sommes pas intéressés à maintenir le statu quo. Nous voulons profiter de la période de présence des Nations unies pour aider le peuple haïtien et son gouvernement à donner des assises solides à leur société sur le plan gouvernemental et économique, afin qu'ils puissent à un moment donné assumer l'entière responsabilité, se gouverner eux-mêmes, sans avoir besoin d'une présence de l'ONU.
Les sept prochains mois seront justement une période de consolidation, pendant laquelle nous continuerons de les aider. Je le répète, nous avons établi il y a trois semaines une stratégie de consolidation de la paix, et je me ferai un plaisir de vous en faire parvenir copie, monsieur Morrison. Je sais que vous liriez ce document avec grand intérêt. Nous avons établi des façons d'aider ces pays au sortir d'une grave crise à cheminer dans la période qui suit le conflit, à entreprendre de réparer les dégâts et à commencer à édifier de nouvelles institutions.
C'est pourquoi je pense que les sept prochains mois sont une période cruciale. Nous avons actuellement 5 000 personnes dans cette force policière. Une certaine formation a été donnée. Elle assume de plus en plus de responsabilités pour ce qui est de faire appliquer la loi sur le terrain, mais elle a encore besoin d'agents de police expérimentés du Canada comme renforts. Elle a aussi besoin de la force militaire de l'ONU qui constitue une soupape de sûreté et qui assure provisoirement une présence.
Toute notre philosophie, notre orientation sont fondées sur l'évolution graduelle, et nous essayons de travailler le plus efficacement possible pour guider la société haïtienne vers l'autonomie et l'indépendance pleines et entières. Pouvons-nous garantir cela en sept mois? Bien sûr que je ne peux pas le garantir. Quiconque s'y risquerait ne jouerait pas franc jeu avec le comité. Est-ce que j'espère que ce sera le cas? Oui, je l'espère. Je crois pouvoir me fonder à cet égard sur les recommandations du président Préval et des Nations unies. Nous répondons simplement à leurs besoins, mais nous savons que des progrès considérables ont été accomplis, et je crois qu'au cours des sept prochains mois, nous pourrons progresser encore davantage.
M. Morrison: Ma deuxième question est un peu plus précise. J'ai essayé d'obtenir des détails sur le coût de la mission et peut-être le ministre pourrait-il m'en donner.
Les États-Unis financent 500 de nos soldats dans ce pays. Maintenant, cela veut-il dire qu'ils payent le coût entier de 500 militaires canadiens, ou bien cela veut-il plutôt dire qu'ils assument le coût supplémentaire que représente leur présence en Haïti? Autrement dit, continuons-nous de payer le coût de ces 500 militaires comme s'ils se trouvaient à Petawawa, par exemple, tandis que les États-Unis défraient le coût supplémentaire que représente leur présence à l'étranger, ou bien les Américains paient-ils intégralement le coût que représentent 500 militaires des Forces canadiennes?
M. Axworthy: Monsieur le président, je vais essayer de répondre à M. Morrison. Premièrement, pour ce qui est de la contribution des États-Unis, ce ne sont pas les Américains qui paient les troupes canadiennes. Ce sont les Nations unies qui assument le coût de 500 de nos militaires.
M. Morrison: Les États-Unis fournissent-ils l'argent?
M. Axworthy: Non, je m'excuse. Nous versons tous de l'argent au fonds du maintien de la paix des Nations unies. En fait, les États-Unis ont un retard considérable dans le paiement de leur contribution au maintien de la paix. Les Nations unies établissent les cotisations de tous les pays pour financer les missions de maintien de la paix qu'elles parrainent dans différentes parties du monde.
Je pense que 550 soldats pakistanais font également partie de la force des Nations unies, et les États-Unis versent une contribution directe pour défrayer le coût des Pakistanais qui sont présents là-bas. Ils ne financent pas les Canadiens. C'est nous qui assumons le coût supplémentaire des quelque 200 autres militaires canadiens.
Amiral King, vous avez dit, je crois, que le coût est d'environ 11 millions de dollars.
Cam King: C'est environ 8 millions de dollars.
M. Axworthy: C'est 8 millions de dollars.
M. Morrison: Peu importe d'où vient l'argent, monsieur le ministre, vous n'avez toujours pas répondu à ma question. Les Nations unies financent-elles pleinement les 500 militaires, ou paient-elles seulement le coût supplémentaire entraîné par leur présence à Haïti?
Cam King: C'est le coût supplémentaire, monsieur Morrison, que nous facturons.
M. Morrison: Bon, merci. Il m'a fallu plusieurs mois pour obtenir ce renseignement.
Le président: Vous l'avez obtenu ici en cinq minutes du ministre. En êtes-vous content?
M. Morrison: Oui.
Le président: Monsieur Bergeron.
[Français]
M. Bergeron: Vous savez comme moi, monsieur le ministre, qu'il ne faut pas simplement avoir sur place des militaires qui vont assurer qu'il n'y ait pas d'émeutes dans le pays. Il faut aussi aider le gouvernement haïtien à prendre en charge la stabilité du pays, et c'est un peu le but de la force policière qui est là pour aider à la formation d'une police nationale haïtienne.
L'un des problèmes majeurs que nous avons pu constater, au moment où j'étais en Haïti, était la difficulté pour le gouvernement haïtien de percevoir les taxes et les impôts qui lui permettraient d'exercer un certain contrôle sur le pays. Il n'était pas en mesure d'assurer son efficacité et sa stabilité.
Prévoit-on fournir au gouvernement haïtien les services d'experts du gouvernement canadien en matière de perception de taxes et d'impôts? Dieu sait que le gouvernement canadien a une très grande expertise au niveau de la perception des taxes et des impôts. Est-il question d'une éventuelle collaboration ou d'une aide qui pourrait être apportée au gouvernement haïtien à ce chapitre?
M. Axworthy: Je vais demander à M. Free de répondre à cette question spécifique sur le genre d'aide qu'on pourrait fournir, mais j'aimerais d'abord dire que le gouvernement de M. Préval a fait de grands progrès quant à une réforme de la taxation et au développement d'un système de revenu.
La meilleure preuve de ce développement est l'approbation des institutions mondiales des finances, du FMI. Ils ont un mis sur pied programme pour l'institution d'un système d'impôts à Haïti. C'est signe qu'il y a des progrès à faire.
M. Free pourrait peut-être commenter sur les questions ayant trait à la taxation.
M. Stephen D. Free (directeur régional, Programme des Caraïbes, Direction des Amériques, Agence canadienne de développement international): Il est vrai que nous donnons, avec les autres bailleurs de fonds, une aide technique au gouvernement d'Haïti dans le domaine de la réforme fiscale. Vous avez raison de dire que c'est un défi majeur pour le gouvernement d'Haïti que d'améliorer la base de ses revenus afin qu'il puisse appuyer ses propres investissements dans les secteurs-clé comme la santé et l'éducation.
Nous avons maintenant un projet, qui est en quelque sorte une ligne de crédit, qui a pour objet de fournir de l'aide technique canadienne. Nous sommes en train de discuter avec divers ministères du gouvernement d'Haïti du type d'aide technique dont ils ont besoin. Ce pourrait être, entre autres, dans le domaine de la réforme fiscale.
On doit consulter davantage les autres bailleurs de fonds, parce que, comme vous le savez, le FMI et la Banque mondiale sont aussi impliqués dans ce processus de renforcement des institutions du gouvernement de Haïti.
Le président: Monsieur Paré.
M. Paré: Depuis un certain temps, la notion de casques blancs a fait son apparition, un peu à l'initiative de l'Argentine. Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes plutôt ouvert à cette possibilité, car vous avez créé un fonds de 10 millions de dollars, je pense, pour explorer cette avenue-là.
Dans une période de consolidation de la paix, comme celle qui prévaut actuellement en Haïti, ce pays pourrait-il être un milieu favorable pour expérimenter sur une échelle un peu plus vaste cette notion des casques blancs?
M. Axworthy: Comme vous l'avez dit, mon collègue, M. Boudria, et moi-même avons énoncé une stratégie coopérative pour la consolidation de la paix. C'est en vue d'élaborer une réponse rapide et efficace par des forces civiles et, spécialement, pour utiliser l'expertise et les compétences de beaucoup de Canadiens qui peuvent jouer le rôle d'architectes des fondations essentielles de la paix.
Mon collègue, M. Boudria, ira en Haïti demain, je pense, et examinera peut-être votre proposition avec les autorités haïtiennes et leurs fonctionnaires.
Lors de mes discussions avec plusieurs ministères d'autres pays, il est apparu que les casques blancs étaient efficaces dans certaines circonstances. Cependant, le Canada joue toujours un rôle actif. Par exemple, la Gendarmerie royale du Canada est très très efficace pour établir les fondations d'une gendarmerie dans d'autres pays. Le rôle des avocats et des juges est très efficace, de même que celui du personnel s'occupant des droits de la personne. Comme je l'ai déjà annoncé, il y aura une liste de personnes compétentes au Canada dans ces domaines.
M. Boudria et moi-même trouvons très intéressantes toutes les idées sur la façon d'augmenter le développement pour assurer la stabilité en Haïti. Après sa visite, M. Boudria discutera avec moi des possibilités de faire une contribution additionnelle. Nous étudierons certainement les recommandations que vous avez faites.
Le vice-président (M. Bergeron): Y a-t-il d'autres interventions? Monsieur Assadourian.
[Traduction]
M. Assadourian: Personne n'a mentionné les ONG. Quels genres d'activités les ONG ont-elles en Haïti?
M. Free: Il y a un grand nombre d'ONG qui font du travail à Haïti. Les ONG canadiennes ont une longue tradition d'appui et de participation à Haïti, y compris pendant la période de l'embargo. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec des ONG canadiennes comme MEDA, le CECI, CARE,
[Français]
le Conseil canadien pour la coopération internationale, OXFAM-Québec, Développement international Desjardins, la Société de coopération pour le développement international et CARE.
[Traduction]
Ce sont toutes des organisations non gouvernementales canadiennes dont nous appuyons actuellement les efforts en Haïti.
M. Axworthy: Je voudrais ajouter une remarque personnelle. On n'accorde pas beaucoup d'attention au travail précis que les ONG canadiennes effectuent avec l'aide de l'ACDI. Quand je suis allé en Haïti l'an dernier - je crois d'ailleurs, monsieur Bergeron, que vous faisiez partie de notre groupe - on m'a emmené en hélicoptère au-dessus de la région du Cap-Haïtien, où quelques ONG canadiennes travaillaient dans l'une des régions rurales les plus isolées qu'on puisse imaginer. J'ignorais où l'on pourrait bien atterrir; j'avais peur que l'on s'écrase. Je ne savais pas trop pourquoi nous allions dans cet endroit.
Une fois arrivé sur place, j'ai constaté que l'événement le plus important qui ait jamais eu lieu dans ce village, de mémoire d'homme, c'était que les ONG canadiennes les avaient aidés à construire, premièrement, une route pour acheminer leurs récoltes jusqu'au marché, et deuxièmement, une citerne pour entreposer de l'eau potable. L'accueil était tellement chaleureux qu'on avait l'impression d'avoir gagné la loterie de l'Ontario.
C'est difficile de décrire la réaction qu'une telle intervention suscite. J'ignore si nous avons le chiffre exact, mais c'était un très petit investissement, parce que ces gens-là avaient construit la route avec des outils rudimentaires, avec des pelles et des pioches. C'était incroyable, la transformation que cela provoquait d'avoir enfin de l'eau potable et de pouvoir, pour la première fois, aller vendre les récoltes au marché. Avant cela, ils avaient toujours été isolés dans les collines.
C'est le genre de travail qui se fait jour après jour. Des Canadiens et des Canadiennes très courageux, jeunes et moins jeunes, font du travail de ce genre. Je crois que nous, parlementaires, devrions leur témoigner une immense reconnaissance.
[Français]
Le vice-président (M. Bergeron): Y a-t-il d'autres interventions?
Monsieur le ministre, à moins que vous ayez une déclaration finale à faire avant que nous ajournions jusqu'à la visite du ministre de la Coopération internationale, je vous remercie de votre présence au comité. Assurément, le comité aura à se pencher sur le renouvellement de mandat d'ici quelques jours et formulera éventuellement des avis ou des recommandations à votre intention.
M. Axworthy: Merci beaucoup.
Le vice-président (M. Bergeron): La séance est levée pour quelques minutes.
Le vice-président (M. Bergeron): À l'ordre, s'il vous plaît.
Nous allons maintenant reprendre les travaux du comité. Nous avons le plaisir d'avoir parmi nous M. Don Boudria, ministre de la Coopération internationale, qui est accompagné deMme Huguette Labelle, présidente de l'ACDI, et des témoins qui accompagnaientM. Lloyd Axworthy.
Monsieur le ministre, c'est la première fois que vous êtes présent parmi nous et j'espère que c'est le début de nombreuses rencontres fructueuses entre vous et les membres de ce comité.Mme Labelle n'est pas une nouvelle venue à notre comité où elle vient depuis fort longtemps, et je lui souhaite la bienvenue.
Monsieur le ministre, je crois comprendre que vous désirez faire une déclaration d'ouverture après laquelle nous pourrons procéder à des échanges.
L'honorable Don Boudria (ministre de la Coopération internationale et ministre responsable de la Francophonie): Tout d'abord, je voudrais, si cela peut être utile au comité, présenter ceux et celles qui sont ici avec moi. Je vous présente l'amiral King, M. Free de l'ACDI, le Dr Labelle, présidente de l'ACDI, M. Duval des Affaires étrangères, ainsi que M. Cousineau.
Je voudrais dire tout d'abord que, bien que je fasse une carrière publique depuis 20 ans, c'est la première fois que je comparais devant un comité parlementaire à titre de ministre. Je suis heureux d'avoir l'occasion de prononcer ces quelques mots devant ce comité et devant mes collègues.
J'aimerais, bien sûr, vous parler du programme de coopération canadienne en Haïti, de ses objectifs et de ses défis. J'aimerais rappeler en quelques mots les grandes souffrances de ce pays depuis près de 200 ans. Il n'a connu, en effet, qu'une succession malheureuse de dictatures, de coups d'État et de dirigeants prédateurs. Ces dirigeants appartenaient à l'Armée ou étaient appuyés très fortement par l'Armée haïtienne.
[Traduction]
Il en résulte qu'Haïti est le pays le plus pauvre des Amériques. Le revenu annuel moyen est de 250$ et le salaire minimum est de 1,50$ par jour. Ce n'est pas le salaire horaire, messieurs, dames, mais bien par jour. Le taux de mortalité infantile est inacceptable et l'espérance de vie est parmi les plus basses au monde. Le taux d'analphabétisme d'Haïti est d'environ 70 p. 100 et la pauvreté est généralisée. La grande majorité des Haïtiens n'ont pas accès à des services de santé ni à l'instruction primaire. Ils n'ont pas d'eau potable ni d'eau courante, d'électricité, ou de téléphone.
La fonction publique d'Haïti est inefficace, très mal encadrée et peu formée. Elle n'a pas les outils et les installations voulues pour mettre en oeuvre les décisions du gouvernement et pour offrir les services de base essentiels à la population.
[Français]
Un changement très important est survenu en 1990, par un processus électoral que je qualifierais de crédible. Ce pays s'est donné, pour la première fois de son histoire, un président et un Parlement représentatif des populations pauvres. C'était le premier pas dans la bonne direction. Malheureusement, cette démocratie si fragile a fait peur aux militaires, qui ont renversé le président Aristide et son gouvernement quelques mois plus tard, soit en octobre 1991.
Durant les trois années suivantes, des milliers de personnes ont été assassinées et les libertés fondamentales ont été suspendues. Le peuple haïtien n'a pas accepté cette situation et a lutté, avec l'appui de la communauté internationale, pour le retour de la démocratie en Haïti. Il faut souligner ici le rôle déterminant du Canada dans le retour du président Aristide et de son gouvernement en Haïti, appuyé en cela par toute la communauté haïtienne du Canada.
Outre notre action politique pour faciliter ce retour, nous avons aussi, bien avant le retour du président, préparé avec son gouvernement en exil toute une série de projets pour aider le peuple haïtien à reprendre ses efforts de développement. En octobre 1994, sous l'égide des Nations unies, le gouvernement constitutionnel était réinstauré en Haïti.
[Traduction]
Au printemps 1995, à la demande expresse du gouvernement d'Haïti, l'envoi d'une force militaire et policière des Nations unies était approuvé par le Conseil de sécurité qui a renouvelé son autorisation à deux reprises depuis. Pourquoi? Une des raisons principales était la dissolution de l'armée par le président d'une part et l'annonce de la formation d'une police nationale haïtienne qui sauvegarderait les droits des citoyens et préserverait la stabilité dès qu'elle aurait acquis l'expérience nécessaire.
En février 1996, nous avons assisté à un événement historique. Pour la première fois de son histoire, Haïti a élu un président qui a succédé à un autre président qui, lui aussi, avait été élu. Cela a été possible grâce au climat de sécurité instauré avec l'aide des Nations unies.
Qu'avons-nous fait depuis le retour du gouvernement constitutionnel à Haïti? Premièrement, comme on l'a dit, nous avons très rapidement mis en place des projets pour réduire la pauvreté en travaillant de concert avec des organisations non gouvernementales canadiennes ainsi qu'avec le secteur privé canadien dans le domaine de l'énergie. Ces projets comprennent: aide alimentaire, rénovation d'écoles et de cliniques de santé par des travaux à haute intensité de main-d'oeuvre, distribution d'outils, organisation et tenue d'élections parlementaires et présidentielles, appui à des organisations de défense des droits, renforcement du mouvement coopératif, augmentation des capacités en électricité de Port-au-Prince et beaucoup d'autres initiatives mises en oeuvre par de très nombreuses ONG locales et canadiennes.
Puis, dans un second temps, au début de 1995, nous avons été invités à participer à la formation du nouveau corps de police, la Police nationale d'Haïti, de concert avec les Américains, les Français et les Nations unies. La GRC et de nombreux corps policiers canadiens se sont directement impliqués dans cet appui institutionnel, et cette formation continue toujours. En ce moment même, une centaine d'agents de différents corps policiers canadiens donnent un appui sur le terrain à la formation des policiers haïtiens et offrent, à l'École nationale de police, des cours qui complètent la formation initiale reçue en 1995.
[Français]
Nous avons aussi été invités à participer, avec les États-Unis et la France, à la réforme judiciaire, à la formation des juges et de magistrats, et à donner un appui au ministère de la Justice d'Haïti pour renforcer son efficacité par la construction et l'équipement de 14 tribunaux dans les capitales régionales, ainsi que la formation du personnel de ces tribunaux.
Ce sont là quelques-unes de nos interventions en cours. Entre-temps, nous avons aussi participé aux discussions du gouvernement haïtien avec les institutions multilatérales, comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et la Banque interaméricaine de développement.
Ces discussions ont abouti à l'élaboration d'un programme de réforme économique qui permettrait enfin à Haïti de s'orienter vers un développement plus durable et vers une croissance économique.
Le Parlement d'Haïti a analysé très attentivement toutes ces réformes et, après de nombreuses modifications, a donné son accord à leur mise en vigueur.
Le programme voté par le Parlement haïtien a été approuvé par le Fonds monétaire en octobre dernier et devrait permettre l'établissement d'un cadre économique susceptible de contribuer à une certaine croissance, si modeste soit-elle, pour les premières années.
Nous participerons à ces réformes économiques par l'envoi de farine de blé en Haïti, qui sera vendue sur les marchés publics. Puis, avec le profit des ventes en monnaie locale, en gourdes, nous appuierons le budget de l'État haïtien, de concert avec les autres bailleurs bilatéraux et multilatéraux afin qu'Haïti puisse satisfaire aux engagements pris en matière de budget et de développement.
Entre-temps, le gouvernement haïtien a imposé une discipline fiscale qui a accru ses propres revenus. Il a exercé un meilleur contrôle de ses dépenses et a rattrapé une bonne partie des arriérés de salaire qui n'étaient pas payés depuis plusieurs mois.
De plus, les économistes nous confirment qu'environ 20 000 emplois ont été créés dans des entreprises de transformation à Port-au-Prince au cours des deux dernières années.
On se souviendra, bien sûr, que les emplois avaient presque tous disparu à la suite de l'embargo mondial.
[Traduction]
Comment voyons-nous l'avenir d'Haïti? Sur ce sujet, je vous avoue être du même avis que le président René Préval que je rencontrerai jeudi de cette semaine. Il affirme qu'il est absolument essentiel que les Nations unies maintiennent la mission d'appui des Nations unies en Haïti encore pendant plusieurs mois afin de renforcer la formation de la Police nationale d'Haïti qui n'est pas encore prête à assumer seule ce rôle vital pour la stabilité en Haïti.
Beaucoup de chemin a été parcouru depuis mars 1995, quand les premiers cadets ont été admis à l'école de police. Beaucoup reste à faire. Le Canada et les autres partenaires internationaux ont indiqué qu'ils continueraient d'appuyer les efforts du gouvernement d'Haïti pour donner une formation professionnelle à son jeune corps de police.
La police nationale d'Haïti sera-t-elle capable, d'ici six à huit mois, de remplir son rôle? Je l'espère, mais il reste beaucoup à faire. Ce n'est pas tout de donner une formation initiale de quatre mois à 5 000 ou 6 000 agents fraîchement recrutés. Il faut former des gestionnaires, des inspecteurs, des commissaires de police, des équipes d'intervention rapide, des cadres à tous les niveaux.
Il faut aussi compléter la dotation en matériel et en moyens de communication, tout en réhabilitant les postes de police dans les municipalités. C'est un effort important, associant la France, les États-Unis et les organisations de l'ONU.
En plus des réformes économiques qui débutent, Haïti doit se doter d'un appareil judiciaire qui respecte les droits de la personne et redonne confiance à la population dans ses institutions. Là encore, nous travaillons étroitement avec d'autres donateurs, et nous croyons être sur la bonne voie en appuyant les initiatives prises par Haïti depuis plus d'un an. Il s'agit notamment d'un programme de formation pour tout l'appareil judiciaire, d'une relecture des codes et des lois et d'initiatives pour restaurer et rendre opérationnels les tribunaux de paix.
[Français]
Et, bien sûr, nous continuerons de donner notre appui aux efforts d'Haïti pour réduire la pauvreté et consolider l'État.
En janvier 1995, à Paris, à l'invitation d'Haïti et des organisations multilatérales, nous avons établi un plan et l'avons suivi. Nous espérons qu'une seconde réunion se tiendra en Haïti d'ici quelques mois, où nous pourrons annoncer une nouvelle orientation de la coopération internationale en Haïti en confirmant les acquis et en planifiant, à moyen et long termes cette fois-ci.
Le Canada continuera à donner une priorité à la réduction de la pauvreté en s'attachant plus particulièrement à la satisfaction des besoins humains fondamentaux, à la croissance économique et enfin au maintien et au renforcement de la démocratie et d'une meilleure gouvernance.
Pour atteindre ces objectifs, nous continuerons de recourir aux partenaires canadiens, organisations non gouvernementales ou sociétés privées, pour réaliser des activités qui bénéficieront directement à la population haïtienne. Comme vous le savez, les Canadiens ont toujours démontré une solidarité remarquable envers le peuple haïtien, et cette solidarité est agissante à travers les nombreuses ONG et institutions et congrégations religieuses qui oeuvrent en Haïti. Nous en sommes fiers.
Demain matin, monsieur le président, en compagnie de notre collègue, M. Paré, je me rends en visite officielle en Haïti afin de rencontrer les principaux acteurs du gouvernement haïtien et de la MANUH. Le grand objectif de cette mission est de réitérer l'appui du Canada aux efforts déployés par Haïti pour réduire la pauvreté et l'assurer de notre concours, à la mesure de nos moyens et de nos capacités.
[Traduction]
En Haïti, aujourd'hui, pour la très grande majorité des Haïtiens, le quotidien économique n'a toujours pas changé; il représente encore une lutte pour la survie. Et cette lutte durera encore des décennies. La coopération internationale, quelle qu'importante et bien ciblée qu'elle soit, ne peut, à elle seule, changer les mentalités, attitudes et pratiques inculquées par des décennies de dictature.
Et il y a tant à faire en Haïti. Le peuple haïtien, si on lui en donne le temps, devra et pourra changer cet état de choses. Mais ce changement si espéré ne pourra se faire que dans un cadre sécuritaire qui respecte les droits fondamentaux de tous les Haïtiens. La communauté internationale peut servir de catalyseur, c'est-à-dire faciliter par des moyens financiers et humains ce changement. Mais cette entreprise colossale, cette appropriation d'un destin meilleur revient exclusivement aux Haïtiens.
[Français]
Il est également vrai que, depuis deux ans, malgré les hésitations et les tâtonnements, le gouvernement haïtien a fait preuve d'une réelle volonté de lancer le pays sur la voie du développement.
Il a ainsi pu accomplir des progrès qui, sans être spectaculaires, sont autant de pas dans la bonne direction.
Haïti demeurera imprévisible. Malgré toutes les difficultés et les déchirements que connaît le pays, le développement durable y est possible et, par conséquent, l'aide internationale et la solidarité internationale y sont essentielles.
En terminant, parce qu'Haïti appartient à la Francophonie et qu'il est le pays le plus pauvre de notre hémisphère, qu'il s'est doté d'un gouvernement représentatif de sa population, qu'il a entrepris des changements fondamentaux dans la matière de gouverner, nous croyons que ce pays mérite notre appui, que ce soit sur le plan militaire via les Nations unies ou sur le plan de développement, comme je viens de le décrire.
Je demeure à votre disposition, monsieur le président, pour répondre le mieux possible à toutes vos questions. Je suis accompagné, comme vous l'avez dit, des fonctionnaires de l'Agence canadienne de développement international ainsi que d'autres personnes. Il me fera plaisir de répondre à vos questions.
[Traduction]
J'ajoute que j'ai invité des représentants des deux partis d'opposition. Apparemment, aucun député réformiste n'était disponible, mais même à cette heure tardive, on me dit qu'il reste encore une place dans l'avion. Nous sommes tout à fait disposés à amener un autre collègue si quelqu'un manifeste son intérêt d'ici la fin de la journée. Apparemment, cela peut encore se faire.
[Français]
Le vice-président (M. Bergeron): Merci, monsieur Boudria.
Monsieur Paré.
M. Paré: J'ai eu l'avantage en septembre dernier d'accompagner M. Pettigrew à une émission qui a été réalisée en Haïti. Au moment où on a rencontré des députés et des sénateurs, ils ont fait état de la lourdeur de la dette par rapport au redémarrage de l'économie, une dette qui n'est que de un milliard de dollars, mais qui est importante dans une économie où le PIB est de un milliard et demi de dollars.
Dans les programmes que l'ACDI ou les institutions financières ont mis en place ou se préparent à mettre en place, la question de la dette sera-t-elle prise en considération?
Le vice-président (M. Bergeron): Madame Labelle.
Mme Huguette Labelle (présidente, Agence canadienne de développement international): Le ministre mentionnait que l'ajustement structurel de la Banque mondiale devenait un instrument très important. De notre côté, nous étions inquiets, parce que les négociations prenaient beaucoup de temps, aussi bien à l'intérieur d'Haïti avec le Parlement, parce que ça demandait une résolution parlementaire, qu'entre le gouvernement d'Haïti et la Banque mondiale. On a maintenant cette résolution, et je pense que ceci va aider grandement la situation.
De plus, nous, pays donateurs, avons un certain nombre de programmes qui nous permettent d'acheminer de l'aide et de contribuer du côté de l'ajustement structurel, par exemple en donnant de l'aide alimentaire et en la monétisant sur place pour qu'ensuite elle puisse être appliquée à la balance des paiements.
Donc, on a un certain nombre d'instruments comme celui-là. Vous avez raison, monsieur Paré, de dire que c'est un problème très important, parce qu'ils peuvent finir par payer leur dette avec l'argent qu'ils ont. Demain, il sera intéressant de voir ce que le président Préval et le ministre des Finances pourront vous dire à ce sujet-là.
M. Boudria: On nous disait il y a quelque temps qu'avant l'embargo, il y avait à peu près 70 000 emplois en Haïti. À un moment donné, il y en avait zéro ou à peu près. Aujourd'hui, il y en a 20 000. On n'est pas encore rendu au point où on était avant l'embargo, mais on a quand même fait un bout de chemin, et il est évident que la capacité d'un État à rembourser ses dettes ou à financer ses programmes dépend premièrement de la masse ouvrière, la masse de ceux qui paient les taxes et, deuxièmement, de la capacité de le faire par la suite.
Au niveau des institutions, j'ai dit tantôt que le gouvernement était actuellement mieux structuré pour percevoir les taxes, là où taxes il y a. Il faut qu'il y ait un revenu sur lequel on puisse faire une imposition. Ça, c'est la deuxième composante: il faut augmenter le nombre de personnes qui sont en mesure de payer de l'impôt ou n'importe quoi d'autre qui existe dans une économie soi-disant officielle. Bien sûr, il y a l'économie formelle dans tout ça.
M. Paré: Je poursuivrai sur un autre sujet. Tout à l'heure, nous avons posé à M. Axworthy une question sur le désarmement de l'ancienne armée. À juste titre, M. Axworthy nous a rappelé que ce n'était pas le rôle des forces de l'ONU que de désarmer, mais en terminant sa réponse, il a ajouté que la police haïtienne qui aurait ce mandat recevait du soutien des militaires. J'aimerais en savoir un petit peu plus, parce qu'au mois de septembre, ça semblait être un problème extrêmement important. Les 6 000 policiers, qui sont jeunes, mal formés, sous-équipés, semblent craindre énormément la présence des anciens militaires qui sont toujours armés. Est-ce qu'il y a eu du progrès de réalisé?
M. Boudria: Monsieur le président, avec votre permission, je demanderai au contre-admiral King de répondre.
Cam King: Il y a certainement des problèmes de désarmement en Haïti, mais pas de graves problèmes. Il n'y a pas de caches d'armes que pourraient utiliser des membres de l'EX-FADH, par exemple. Il n'y a pas d'armée en Haïti maintenant. Tous les membres de l'armée d'Haïti ont été congédiés par le président Aristide.
Maintenant, les problèmes des agents de police sont simplement des problèmes normaux, c'est-à-dire les actes criminels, la circulation, etc. Il y aura certainement un problème de sécurité posé par l'existence de membres de l'EX-FADH, par exemple, mais je pense que cela reste normal dans le cadre des activités d'une force policière.
Le vice-président (M. Bergeron): Madame Debien.
Mme Debien: Bonjour, monsieur le ministre. Vous allez voir comme on s'entend bien au Bloc québécois au niveau des questions, parce que les miennes s'insèrent dans celles de M. Paré. C'est au sujet des programmes d'ajustement structurel. Madame Labelle, vous connaissez bien notre réticence à nous. Quand on parle de programmes d'ajustement structurel, on pense à l'Afrique et à leurs conséquences désastreuses. Évidemment, dans ce cas-ci, en Haïti, on ne peut pas leur enlever ce qu'ils n'ont pas.
Vous avez parlé de l'envoi de farine de blé en Haïti qui serait monétarisée et revendue sur place. C'est une mesure de réforme économique, un des exemples d'ajustement structurel possible. Est-ce qu'il y a d'autres exemples qu'on a mis en place dans le cadre des différents programmes de l'ACDI ou dans le cadre des ententes qui ont été conclues avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire? Dans le fond, un programme d'ajustement structurel, dans le cas d'Haïti, doit améliorer le quotidien économique des Haïtiens et non pas les pénaliser, comme certains programmes d'ajustement structurel l'ont fait en Afrique, par exemple.
M. Boudria: Avec votre permission, je demanderai à M. Beaudoin de répondre. Ce serait peut-être un bon moment pour donner une petite liste de ce qu'on fait des fonds canadiens. Le programme en Haïti est le plus vaste de l'ACDI. Jadis c'était le Bangladesh qui était notre principal récipiendaire de fonds. Maintenant, le Bangladesh est en deuxième place et Haïti, en première.
Notre appui financier se chiffre à environ 50 millions de dollars par année, pour l'année courante, et se divise à peu près comme suit: 17,5 millions de dollars pour notre programme bilatéral, 15 millions de dollars d'aide alimentaire, principalement pour la farine de blé, 12 millions de dollars pour la police et 5 millions de dollars pour les autres programmes de l'ACDI, le partenariat, la coopération industrielle, l'aide humanitaire, etc.
En ce qui concerne les questions plus spécifiques, je vais laisser la parole à M. Beaudoin.
M. Denis Beaudoin (chef des opérations, Programme Haïti, Direction des Antilles, Direction générale des Amériques, Agence canadienne de développement international): Volontiers.
En ce qui concerne l'ajustement structurel en Haïti, différentes mesures ont été prises pour forcer le gouvernement à faire une meilleure gestion de ses fonds. Par exemple, l'Assemblée nationale a adopté récemment des lois sur la modernisation des entreprises, ce qui veut dire une quasi-privatisation ou une meilleure gestion des entreprises. L'Assemblée nationale d'Haïti a également voté des lois pour une réforme de la fonction publique, pour la rendre plus efficace et pour que les gens aient un endroit pour travailler.
Actuellement, l'ACDI est engagée avec quatre ministères, avec quatre directions, au niveau de l'ajustement structurel, ce qui, dans le cas qui nous occupe, veut dire une bien meilleure gestion des ministères. Je mentionnerai d'abord le ministère de la Justice, où nous avons fait une analyse institutionnelle pour le ministre de la Justice. Nous avons demandé au ministre quelles améliorations il voulait apporter dans son ministère et, de concert avec le ministère de la Justice du Canada, nous lui avons adressé un rapport, il y a quelques mois, qui lui donnait les moyens de réorganiser son ministère afin de le rendre plus efficace. On se propose de faire la même chose avec la police nationale d'Haïti. Nous avons entrepris des discussions en vue de l'établissement d'un organigramme fonctionnel qui permettrait au ministre de gérer sa police à un moindre coût.
En ce qui concerne le ministère de l'Environnement, le ministre de l'Environnement,M. Wainright, a demandé au Canada de lui donner des idées pour structurer son ministère afin qu'il y ait une certaine décentralisation et qu'il soit plus efficace.
Et enfin, nous venons d'accepter de faire la même chose avec le ministère de la Condition féminine et des Droits de la femme, pour que ce ministère, en Haïti, soit plus efficace.
L'ACDI n'est pas très impliquée dans les grands ensembles macroéconomiques. On a choisi, jusqu'à ce jour, des ministères que nous pensons importants pour Haïti, et on essaie, à la demande d'Haïti, de les rendre beaucoup plus performants. Nous faisons cela, bien sûr, de concert avec les Américains et les Français, tandis que l'Union européenne s'occupe des autres ministères.
Mme Debien: Merci.
M. Boudria: Mme Labelle pourrait intervenir, si vous le permettez, monsieur le président.
Mme Labelle: Je vais le faire très vite.
En Haïti, nous avons fait en sorte que les quelques bailleurs de fonds les plus importants soient très présents pendant les négociations entre la Banque mondiale et le gouvernement d'Haïti pour essayer de prévenir une érosion sociale ou une érosion des besoins humains fondamentaux de la population et pour nous assurer que le cheminement ait lieu sur une période suffisamment longue pour ne pas créer un choc encore plus grand que celui que le pays avait déjà subi.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bergeron): Monsieur Morrison.
M. Morrison: Merci, monsieur le président. J'ai deux brèves questions et un commentaire.
Je m'interroge au sujet de ces soldats haïtiens démobilisés. C'est une perspective effrayante. Fait-on quelque chose pour leur donner de l'emploi, pour les inciter d'une manière ou d'une autre à ne pas s'écarter du droit chemin? C'est une situation épouvantablement déstabilisante et dangereuse.
M. Boudria: Peut-être pourriez-vous répondre à cela au départ, amiral.
Je pourrais vous donner les détails de notre programme d'aide, mais je répète ce que j'ai dit il y a un instant, qu'au moins 20 000 d'entre eux qui n'avaient pas d'emploi auparavant en ont un maintenant. Je sais que ce n'est pas beaucoup.
M. Morrison: Ce qui m'intéresse spécifiquement, ce sont les gens potentiellement dangereux.
M. Boudria: C'est l'amiral qui pourrait peut-être vous parler des anciens soldats, etM. Cousineau également.
Cam King: Je vous remercie, monsieur le président et monsieur le ministre.
Comme je le disais tout à l'heure, la menace que constituent d'anciens militaires s'apparente fort à toute autre menace d'activités criminelles. Le fait d'avoir été militaire ne signifie pas qu'on aspire à renverser le gouvernement.
M. Morrison: Ce n'était pas là ce que...
Cam King: Je m'en rends bien compte. Il est vrai toutefois que certains anciens militaires constituent une menace, mais nous avons des services de renseignements qui en tiennent dûment compte. Mais l'impression générale, c'est que la plus grande menace à laquelle doit fait face la police nationale haïtienne, c'est la criminalité qui sévit sous toutes ses formes, comme je le disais, depuis le vol jusqu'au trafic de drogues, en passant par les accidents de la circulation. C'est ce genre d'activités, contre lequel il faut lutter jour après jour, pour lequel cette police doit acquérir plus d'expérience.
M. Morrison: À votre avis, donc, ces soldats dits démobilisés ne sont pas plus dangereux que le reste de la population.
Cam King: D'après ce que nous croyons savoir, la plupart des soldats démobilisés ont le même problème que la majorité des Haïtiens, à savoir le chômage. Ce qu'il leur faut, autrement dit, c'est tout simplement un emploi.
M. Morrison: C'est bien dans cet esprit que je vous demandais si des efforts conscients avaient été faits pour essayer d'occuper ces gens...
M. Philippe Cousineau (agent de module, Bureau des relations avec les Caraïbes et l'Amérique centrale, Haïti et la République dominicaine, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Peut-être pourrais-je répondre à cette question, monsieur Morrison.
Dès le début de l'intervention des Nations unies on a constaté l'existence de ce problème. Un programme a été mis en place avec une organisation appelée International Office for Migrations, qui visait à assurer aux militaires haïtiens démobilisés une formation d'électriciens, de mécaniciens, etc.
Un grand nombre de ces anciens militaires ont reçu cette formation, mais le grave problème, c'est qu'il y a très peu d'emplois à Haïti, de sorte qu'un petit pourcentage seulement d'entre eux a trouvé à se placer. Mais un programme à leur intention existe certainement.
M. Morrison: Ma seconde question concerne un point d'importance secondaire que j'ai relevé dans le discours du ministre et qui porte sur la vente de farine de blé sur les marchés publics. J'ai souvent pu constater qu'on vendait, dans les marchés publics, des aliments envoyés au titre de l'aide alimentaire, mais c'est la première fois que j'ai entendu qu'il en a été décidé ainsi délibérément. Comment est-ce que cela va fonctionner au juste?
M. Boudria: Ce n'est pas uniquement à Haïti. Nous le faisons également ailleurs. La première fois que je l'ai vu personnellement, c'est lorsque j'ai visité un de nos projets au Mali, projet qui était d'ailleurs administré par M. Beaudoin, de sorte que c'est peut-être lui qui est le mieux à même de vous expliquer comment cela fonctionne.
M. Beaudoin: Voilà des années, monsieur Morrison, que l'ACDI utilise l'aide alimentaire du Canada qu'il aurait fallu importer de toute façon, comme la farine à Haïti. Cet État importe en effet 100 000 tonnes de blé par an, parce qu'on n'y cultive pas de blé. Nous envisageons donc, cette année, d'importer environ 30 000 tonnes de farine de blé qui est destinée à une organisation appelée PL480.
C'est une organisation locale qui procède à des ventes aux enchères, publiées dans les journaux, et les boulangeries et autres personnes intéressées peuvent venir l'acheter. Cette farine est vendue en sacs marqués «Canada, ACDI, farine à vendre» afin qu'il n'y ait pas confusion avec l'aide alimentaire. L'argent est utilisé pour des projets de développement, à l'heure actuelle avec CARE et le CECI, ou bien nous l'utilisons pour aider le gouvernement à équilibrer son budget.
M. Morrison: Le prix de vente aux marchands haïtiens est-il considérablement subventionné par rapport aux cours mondiaux?
M. Beaudoin: Non, monsieur. La farine canadienne sera vendue pour la première fois à la mi-janvier. Le prix de vente à Haïti - transport par bateau compris - sera de 85 p. 100 de ce que la farine coûte au Canada. Pourquoi 85 p. 100? C'est une question technique: notre farine diffère considérablement de la farine américaine. Or, à l'heure actuelle, Haïti achète la farine des Américains, car il y a une différence; il semble que la nôtre soit de meilleure qualité, et nous n'avons pas de farine de qualité inférieure.
La farine sera vendue sur le marché libre. Nous pensons que chaque fois que l'ACDI y consacrera un dollar, 85c. seront versés à des projets de développement.
M. Morrison: Si ce n'était pas vendu en quelque sorte au rabais, on ne pourrait guère appeler cela une aide.
Ma dernière question s'adresse à Mme Labelle. Elle n'est pas commode, car elle porte sur un fait historique.
La dernière fois que je suis allé à Haïti, il y avait un projet de l'ACDI en cours dans la péninsule méridionale. C'était vers 1981, et les gens y...
Mme Labelle: Je n'étais même pas née à l'époque.
M. Morrison: Je sais que vous n'étiez qu'une petite fille, mais je pensais que vous en aviez entendu parler, car le bruit s'en était répandu.
Les gens de l'ACDI se prélassaient au bord des piscines de Port-au-Prince et leurs homologues faisaient main basse sur tout ce qu'ils trouvaient.
Je me demande si cette communauté modèle a jamais été construite. Est-ce que vous vous souvenez, ou est-ce que vous êtes au courant?
M. Free: J'étais né à l'époque. Dans les années soixante-dix et au début des années quatre-vingt on avait essayé de mettre en place en Haïti un programme de développement rural intégré, à visée multiple: développement au niveau communautaire, réfection des routes, construction de dispensaires, amélioration de l'enseignement - le tout dans une région.
Il est exact qu'à un moment donné l'ACDI a annulé ce projet, en raison de difficultés de rendre compte de la façon dont les fonds avaient été dépensés.
Nous pourrions exhumer ces dossiers, mais ce n'est pas le modèle que nous utilisons pour nos activités actuelles.
M. Morrison: C'est la question que j'allais poser.
M. Free: Nous essayons de tirer des leçons de notre histoire.
M. Morrison: Je vous remercie.
Le vice-président (M. Bergeron): Monsieur Assadourian.
M. Assadourian: Bienvenue au comité, monsieur le ministre.
J'ai des questions relatives au document qui a été diffusé par le ministre, dans lequel il dit qu'en 1994 la croissance du PIB était négative, s'établissant à -10,6 p. 100. En est-il de même actuellement?
M. Cousineau: Non, c'était pendant l'embargo. Haïti connaît maintenant une reprise; nous n'avons pas encore les chiffres exacts pour 1995, mais il y a eu une légère croissance, et la perspective s'annonce meilleure pour 1996.
M. Assadourian: Est-elle négative ou positive maintenant?
M. Cousineau: Elle est positive.
M. Assadourian: Haïti nous achète pour 29 millions de dollars de marchandises. Comment celles-ci sont-elles payées? Ce paiement fait-il partie du projet de l'ACDI?
M. Cousineau: Ce sont des importations commerciales ordinaires.
M. Assadourian: Dans le document que vous avez distribué, il est dit qu'en 1994-1995 38,86 millions de dollars... et ici, pour l'aide bilatérale, il est question de 42,2 millions. Quel est le chiffre correct?
M. Duval: De quel autre document parlez-vous?
M. Assadourian: Du document d'aide bilatérale canadienne
M. Cousineau: Ce n'est pas le même.
M. Assadourian: Il porte sur les mêmes dix années.
M. Boudria: Le seul renseignement que je peux vous donner, c'est l'aide d'Haïti, pour l'année en cours. Je pourrais vous lire les chiffres.
Les projets d'aide bilatérale sont de l'ordre de 17 millions de dollars, provenant de l'ACDI. Mon ministère dépense en tout pour Haïti la somme de 50 millions de dollars.
M. Assadourian: Cela ne figure pas ici. J'ai pris note ici de 50 millions de dollars, mais vous disiez que c'était 38 millions de dollars.
M. Boudria: Cette somme était pour 1994-1995, et je vous indique le chiffre pour 1996-1997. J'ai l'impression que ces 42 millions de dollars, c'est la somme totale que le Canada consacre à l'aide, mais c'est une simple conjecture, et le mot «bilatéral» ne devrait probablement pas figurer là. Cette aide a sans doute passé de 42 millions de dollars à 50 millions de dollars. Logiquement, l'aide bilatérale n'aurait pu s'établir à 42 millions de dollars, car cela signifierait que nous l'aurions réduite des deux tiers, ce qui n'est certainement pas ce que nous avons fait. Supprimez donc le mot «bilatéral» du document que vous avez sous les yeux.
M. Assadourian: Très bien.
Excusez-moi si je m'embrouille dans l'histoire, mais ce pays n'avait-il pas un président appelé Papa Doc? Papa Doc avec une famille, maman Doc et Bébé Doc, etc.
À l'époque, je me souviens avoir vu aux informations télévisées l'avion américain qui venait les chercher, lui et sa famille. Sa femme possédait 26 manteaux de fourrure, et ce, dans un pays où le mercure ne descend jamais à moins 30 degrés Celsius, ni en hiver ni en été. Il avait quitté Haïti pour se rendre à Paris, en France.
Est-il encore en contact avec Haïti? Existe-t-il une chance, même mince, qu'il y retourne ou en est-il encore complètement banni? Voilà pour ma première question.
Deuxièmement, évaluons-nous les projets de l'ACDI, une fois qu'ils sont achevés?
M. Boudria: Oh oui, il est certain que les projets de l'ACDI sont évalués. En fait, le vérificateur général en parlera très bientôt. Je ne peux révéler le contenu de son rapport, mais vous verrez que ces évaluations sont très bien faites, à mon humble avis. L'ACDI a aussi son propre processus d'évaluation interne.
Pour ce qui est des spéculations quant au retour de Baby Doc, j'espère qu'elles ne sont pas fondées. Il a quitté Haïti il y a 10 ou 11 ans. M. Cousineau pourrait peut-être nous en dire davantage, s'il sait où se terre maintenant l'ancien président. Je crois qu'aux dernières nouvelles, il était dans le sud de la France.
M. Cousineau: Vous voulez savoir où est Baby Doc?
M. Assadourian: Oui, je veux savoir où est rendu l'argent.
M. Cousineau: Il a quitté Haïti en février 1986. Puis, il a subi un divorce très onéreux. Il vit quelque part en France, semble-t-il, et ses finances sont au plus bas. Il est totalement discrédité en Haïti. Même l'ancien régime militaire ne l'appuie plus. Il ne compte plus, sur le plan politique.
M. Assadourian: Merci.
[Français]
Le vice-président (M. Bergeron): Nous sommes heureux de revoir M. Regan aujourd'hui.
M. Regan (Halifax-Ouest): Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis également heureux d'être parmi vous aujourd'hui pour me joindre à cette intéressante discussion.
J'ai eu le plaisir, monsieur le ministre, de visiter Haïti deux fois: une fois comme observateur électoral en juin de l'année dernière et une autre fois comme membre d'un groupe de l'association des parlementaires de langue française. Mme Debien était également à Hinche, en Haïti, comme observateur des élections. Nous avons d'ailleurs fait un voyage très intéressant de Port-au-Prince à Hinche, qui se trouve dans le département du Centre.
[Traduction]
Monsieur le ministre, quels changements le gouvernement d'Haïti a-t-il apportés à ses politiques économiques et sociales et dans quelle mesure ces changements résultent-ils des voeux exprimés par la Banque mondiale en matière d'ajustement structurel? Ce que je veux savoir, c'est dans quelle mesure Haïti souscrit aux objectifs énoncés dans le Livre blanc, après examen de la politique étrangère du Canada, en matière de développement humain durable?
M. Boudria: Comme je l'ai dit très brièvement dans mes remarques, nous félicitons le gouvernement haïtien de certaines des mesures qu'il a prises - par exemple, le fait qu'il réussisse à corriger certains problèmes comme, entre autres, celui des salaires en retard. C'est une amélioration certaine par rapport à la situation antérieure. Nous félicitons également le gouvernement de sa collaboration et de son aide dans les efforts que nous déployons en Haïti, que ce soit pour former les services policiers ou dans d'autres entreprises... De toute façon, sans la collaboration du gouvernement du pays, il n'y a pas grand-chose que l'on puisse faire en matière de développement. Cela ne peut pas fonctionner, ou très peu, sans la collaboration du gouvernement du pays où l'aide est offerte, surtout si cette aide vise entre autres à réformer certaines des structures du gouvernement lui-même.
Comme vous le savez, nous avons contribué à améliorer le système judiciaire à Haïti, de même que les services policiers, comme je l'ai mentionné, en plus d'avoir participé à certaines initiatives d'ordre économique et à des projets de création d'emplois.
Mme Labelle pourrait peut-être vous en dire davantage à ce sujet.
Il faut se rappeler également qu'en Haïti, le régime élu a été remplacé par un autre régime élu. En soi, le fait est déjà éloquent. Remplacer une démocratie par une autre démocratie, c'est...
Nous, les Canadiens, tenons tout cela pour acquis, mais c'est remarquable si l'on considère qu'il s'agit d'un État indépendant depuis 200 ans dans lequel jamais n'a régné la démocratie, telle que nous la concevons. Pendant 200 ans, Haïti a vécu en régime totalitaire.
[Français]
Mme Labelle: Monsieur le président, monsieur le ministre,
[Traduction]
le président Aristide, puis le président Préval, son successeur, ont vraiment accordé la priorité à l'établissement d'un système de justice efficace. Ils estimaient que le développement socio-économique dépendait de l'établissement d'un tel système de justice et du maintien de la démocratie. C'est pourquoi les élections étaient alors aussi importantes. Notre Parlement a participé à cet effort. Par exemple, il y a eu des échanges de parlementaires entre Haïti et le Canada. Ensuite, le gouvernement haïtien a mis l'accent sur l'infrastructure essentielle, tant au niveau social qu'économique.
À Port-au-Prince, il y a trois ans encore, on avait de l'électricité quelques heures par jour, et rien du tout le reste du temps. Comment pouvez-vous attirer des touristes, comment les compagnies peuvent-elles travailler, comment est-il possible d'encourager l'industrie, comment garder de la nourriture? Autrement dit, on se concentre sur l'énergie, l'éducation de base, la santé.
On a essayé de favoriser les conditions nécessaires au développement, et de le faire d'une façon assez équilibrée. C'est probablement une des premières fois dans l'histoire que la communauté des donateurs s'est arrangée avec le gouvernement pour coordonner les choses. Et lorsque le président Aristide est arrivé au pouvoir, nous étions là le lendemain, et nous avons pu lui offrir coopération et aide, ce qui est tout à fait unique.
M. Regan: En novembre dernier, nous avons rencontré les représentants de l'Association des parlementaires de langue française, nous avons rencontré des parlementaires haïtiens, des sénateurs et des députés. Nous avons discuté du fonctionnement idéal d'un Parlement, ou du moins nous avons expliqué comment le nôtre fonctionne, et ils nous ont dit que le mot «opposition» leur posait beaucoup de problèmes. Ils hésitaient très fort à utiliser le mot «opposition», à envisager une opposition officielle, ou quoi que ce soit de ce genre, parce que dans leur culture, dans leur langage, cela ferait d'eux des partisans de Duvalier, ou du moins des opposants au régime. Autrement dit, cela avait une connotation très péjorative.
Cela a beaucoup inquiété notre groupe de parlementaires. Évidemment, nous avons essayé de leur faire comprendre l'importance d'une opposition. Le passage d'un gouvernement démocratique au gouvernement démocratique suivant est extrêmement positif, mais en réalité, c'est le même parti. À long terme, de toute évidence, il va falloir s'attaquer à cette question d'opposition.
Est-ce que vous avez pu constater des problèmes sur ce plan-là, qu'est-ce que vous avez vu?
M. Boudria: C'est certainement une des choses dont j'aimerais discuter au cours des deux prochains jours. Vous avez parfaitement raison quand vous dites que dans une démocratie nouvelle, il est facile d'associer l'opposition au pouvoir à une opposition à la démocratie elle-même. Autrement dit, on considère que les élus sont en faveur de la démocratie, et que quiconque s'oppose à eux est contre la démocratie.
Il y a une chose qui n'est pas du tout évidente, en particulier dans une démocratie nouvelle, c'est que les gens qui sont dans l'opposition s'opposent aux politiques, mais cela, dans le cadre constitutionnel propre à leurs pays. C'est une distinction qui est facile à faire dans ce pays, facile également dans la plupart des pays occidentaux et dans les démocraties les plus développées. Cela dit, c'est un point très intéressant.
Vous me permettrez de changer un instant de casquette, et en ma qualité de ministre responsable de la francophonie, j'aimerais parler d'un certain nombre de rencontres que nous avons eues avec les Haïtiens. Comme vous le savez, ils font partie de
[Français]
la région des Amériques de l'AIPLF.
[Traduction]
Nous les invitons à participer à nos activités. C'est un exercice éducatif, non seulement pour la société en général, mais également pour les parlementaires. Nous leur rendons visite et eux de leur côté, ils peuvent venir ici. M. Paré, moi-même, et d'autres peuvent se rendre là-bas s'ils le veulent. Ils voient que les membres des différents partis peuvent voyager dans le même avion gouvernemental... Une personne qui s'est prononcée contre le ministre peut très bien voyager avec lui en avion. Dans une démocratie, cela se fait. Cela ne signifie pas qu'on est d'accord avec tout ce que le gouvernement fait, mais cela suppose qu'on peut vivre dans le même pays et que ceux qui sont appelés à remplacer un régime donné, seront aussi démocrates que ceux qui les ont précédés.
D'un autre côté, il faut un programme administré par
[Français]
l'Agence de coopération culturelle et technique, l'ACCT,
[Traduction]
pour constituer des bibliothèques et permettre la communication entre les bibliothèques de divers parlements.
[Français]
Le PARDOC est un programme qui veut relier des bibliothèques parlementaires pour que les parlementaires d'un pays puissent apprendre à connaître le fonctionnement des autres pays. Cela nous semble tellement élémentaire et tellement évident, mais ce n'est pas nécessairement vrai dans une société qui n'a jamais connu ce genre de choses, et je sais qu'Haïti avait fait une demande à l'ACCT pour se doter de ce programme. Je ne peux pas vous dire à l'heure actuelle si cela a été fait et mis en place. M. Beaudoin pourra peut-être nous le dire.
M. Beaudoin: On est en train de l'installer. L'équipe canadienne qui a été désignée pour mettre ça en place était en Haïti il y a un mois. Vous pourrez peut-être vous renseigner pendant votre visite, monsieur le ministre. On parle aussi de la mise en place d'Internet. Cela avait été approuvé au Sommet de la francophonie, je pense.
Le vice-président (M. Bergeron): Monsieur le ministre, vous deviez être avec nous jusqu'à 17 h. Il est maintenant 17h20 et on m'indique que vous devez nous quitter. Cependant, j'ai trois députés qui ont déjà posé des questions et qui souhaiteraient peut-être être à nouveau inscrits sur la liste des intervenants.
Madame Debien.
Mme Debien: J'aimerais continuer à discuter de toute la question des réformes économiques.
On sait qu'en Haïti, la situation politique n'est pas stable actuellement. On parlait même d'opposition tantôt.
On sait que même dans la majorité, il y a une certaine opposition aux réformes économiques entreprises par le président Préval. On dit que cette opposition viendrait, entre autres, du président Aristide qui serait un élément déstabilisateur de la situation politique.
Mais, indépendamment du «crêpage de chignon» qui peut exister entre les parlementaires d'un même parti, j'aimerais savoir quelle est l'opinion ou la réaction des gens ordinaires, s'il y en a une, par rapport à cette situation antagoniste à l'intérieur de la majorité face à la problématique des réformes économiques. Je vous suggérerais, monsieur le ministre, de poser la question pendant votre séjour.
M. Boudria: Merci pour la suggestion. M. Duval va ajouter quelque chose. Il faut d'abord se souvenir qu'on vit dans un pays qui manque, en grande partie, d'électricité, et où le chômage touche 99 p. 100 de la population, sans compter tout le reste. Même là où il y a un journal, il y a à peu près70 p. 100 d'analphabètes. Le plus souvent, il n'y a pas de téléphone. Ce n'est donc pas un endroit où Gallup pourrait faire un sondage par téléphone dans les 15 minutes qui suivraient des informations de CNN pour prendre le pouls de la population.
Mme Debien: Monsieur Boudria, l'instinct politique, ça existe, et vous le savez.
M. Boudria: Mais il faut être prudent et je sais qu'on va l'être. Il faut bien se garder de commenter les actions d'un chef politique, en particulier par rapport à un autre ou à celui d'un autre pays.
Je vous laisse la parole, monsieur Duval.
M. Duval: Je voudrais simplement ajouter deux renseignements pour compléter ce que vient de dire le ministre.
Au cours des 19 derniers mois, la formation politique Lavalas a beaucoup évolué. On ne peut pas parler d'une scission au sein du mouvement Lavalas, mais il y a certainement deux constellations Lavalas qui se sont formées: l'une qui appuie de façon très puissante et très efficace le président Préval, qui est beaucoup plus pragmatique et qui s'est attaquée aux questions économiques que vous avez évoquées de façon très concrète; l'autre, qui est plus proche du président Aristide et qui représente une partie plus populiste et beaucoup plus nationaliste du mouvement Lavalas. Il n'y a pas eu de scission formelle entre les deux groupes, mais on sait qu'il y a un débat très intense au sein de «la Famille Lavalas».
Finalement, dans cette confrontation autour des questions économiques, c'est la tendance politique la plus pragmatique qui l'a emporté. Le président Préval a très bien réussi à convaincre les Haïtiens et il n'y a pas eu de barrage de pneus en flammes sur la voie qu'a empruntée le président Préval.
Au sein du Parlement, un débat très long, très prolongé et très difficile a eu lieu entre les deux factions, mais finalement, les lois ont été votées par le Parlement et par le Sénat après de longs mois d'absence et plusieurs visites.
Je vous dirai brièvement que l'opinion écrite appartient à des journaux politiques très orientés, comme on en avait au XIXe siècle. Vous pouvez ouvrir Le Nouvelliste et découvrir que les troupes canadiennes sont des troupes d'occupation, mais ça ne représente qu'une fraction de l'opinion. Ce qui commande la rue en Haïti, c'est la rumeur, qui est cet instinct politique dont vous avez parlé, mais jusqu'à présent, le président Préval a très bien réussi à la contrôler.
Mme Debien: Merci.
Le vice-président (M. Bergeron): Monsieur Morrison, vous avez une question?
[Traduction]
M. Morrison: Merci, monsieur le président. Je n'ai pas de question à poser, plutôt une proposition indiscrète.
Comme vous le savez probablement, Haïti est une des nations les plus déboisées au monde. En fait, la frontière entre la République dominicaine et Haïti est clairement visible, c'est vert d'un côté et brun de l'autre côté. Puisque ce gouvernement ne peut pas s'empêcher de construire des forêts modèles, je pense que l'ACDI devrait envisager, en collaboration avec Ressources naturelles, bien sûr, de planter une forêt modèle en Haïti. C'est le genre d'aide à long terme qui pourrait véritablement faire une différence.
M. Boudria: C'est une excellente proposition. Apparemment, il y a déjà un projet en collaboration avec Oxfam à ce sujet. Mais souvenez-vous que la cause de ce déboisement, c'est une pauvreté abjecte. Voilà ce qui se produit quand on n'a rien d'autre pour faire cuire les aliments qu'un morceau de bois. Même le bois qui normalement devrait pouvoir se décomposer et enrichir le sol pour permettre d'autres types de culture, même ce processus naturel devient impossible. Chaque brindille est utilisée parce que les gens peuvent tout juste subsister. Cela rend les choses plus difficiles.
Les gens qui ont travaillé dans la région me disent que la terre est devenue si stérile que les pluies provoquent une érosion de la couche supérieure du sol, et que celle-ci aboutit dans l'océan. L'océan est ainsi contaminé et les réserves de poisson diminuent à proximité des plages où les gens pourraient pêcher pour se nourrir s'il y avait encore du poisson. Voilà où on en est. C'est très triste, mais je reconnais comme le député que le reboisement et les considérations environnementales doivent avoir la priorité. Je ne suis pas certain d'être d'accord au sujet des forêts modèles, mais tout de même...
M. Morrison: En fait, la reforestation est possible dans pratiquement n'importe quelles conditions. Les Grecs ont acquis beaucoup d'expérience du reboisement dans des zones rocheuses stériles, des endroits où toute la couche supérieure du sol a disparu. Ils ont réussi à reboiser dans de telles conditions. D'autre part, bien sûr, si on décidait de planter une forêt modèle à Haïti, il faudrait la faire garder, c'est aussi simple que cela.
M. Boudria: Vous avez raison, je crois, quand vous dites qu'on peut reboiser n'importe quoi, qu'il suffit de quelques ingrédients dans le sol. Par exemple, les gens qui sont allés en Israël vous diront qu'à l'est de Jérusalem, vers la mer Morte, des terres qui comptaient parmi les plus stériles au monde ont maintenant été reboisées. Je l'ai vu de mes propres yeux. Il y a un endroit qui n'est pratiquement que du rocher, et juste à côté, une forêt qui a été plantée il y a quelques années. Grâce à des travaux d'irrigation, entre autres, ils ont réussi à faire passer une forêt. En matière de reboisement, à partir d'une certaine masse critique...
Dans ma circonscription, juste à l'est d'Ottawa, une grande forêt a été plantée à un endroit où il y avait des tempêtes de sable pendant les années trente et les années quarante. Il faut parvenir à une masse critique en plantant un endroit, en laissant le terrain voisin en jachère, puis en plantant le suivant. Cela met fin à l'érosion, et par la suite, on peut remplir les trous parce qu'on a la masse critique nécessaire pour arrêter l'érosion, qui est la principale cause de dommages.
[Français]
Le vice-président (M. Bergeron): Monsieur le ministre, nous vous avons gardé deux fois plus longtemps que prévu et je vous en remercie infiniment.
Je vous souhaite, ainsi qu'aux députés qui vous accompagneront, un bon voyage et un séjour fructueux en Haïti. Nous espérons vous revoir bientôt à ce comité.
M. Boudria: Si vous me le permettez, monsieur le président, je voudrais ajouter quelque chose.
Le vice-président (M. Bergeron): Je vous en prie.
M. Boudria: Si, lors de mon retour, le comité souhaite entendre un rapport sur notre voyage, je me rendras disponible pour le faire. Je sais que vous avez un horaire chargé, mais cela pourrait se faire si c'est le désir du comité et de son président.
Le vice-président (M. Bergeron): J'apprécie votre offre, monsieur le ministre, et je vais la transmettre au sous-comité du programme et de la procédure pour les travaux futurs.
Madame Debien, avez-vous un commentaire?
Mme Debien: J'apprécie et j'accepte la suggestion de M. le ministre. Étant donné que nous devrons nous rencontrer à nouveau, probablement pour discuter du renouvellement de la charte du maintien de la paix ou de la coopération canadienne en Haïti, je pense qu'il serait excellent d'avoir une description plus récente de la situation de ce pays.
Le vice-président (M. Bergeron): Nous avons déjà une voix en faveur, monsieur le ministre. Je vous souhaite une bonne fin de journée.
La séance est levée.