[Enregistrement électronique]
Le mardi 11 mars 1997
[Traduction]
Le président (Bill Graham, Rosedale, Lib.): La séance est ouverte.
Nous sommes réunis ce matin pour discuter de la question de l'indemnisation des anciens combattants canadiens qui ont fait leur service sur le théâtre de Hong Kong et ont été faits prisonniers de guerre par le Japon. C'est la deuxième audience que nous consacrons à la question. Les membres du comité se souviendront que les membres du comité de la défense avaient aussi participé à cette audience. Ils sont d'ailleurs les bienvenus s'ils veulent se joindre à nous.
Je crois qu'il serait bon de rappeler aux membres du comité et aux téléspectateurs que nous avons déjà entendu les anciens combattants eux-mêmes et que nous avons visionné une vidéo très émouvante sur leur sort.
J'aimerais d'abord résumer brièvement la position des anciens combattants. Ils estiment avoir droit à une indemnité en sus de l'indemnisation normalement accordée aux anciens combattants du fait qu'ils ont dû exécuter du travail forcé pour le Japon pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ils ont mis une énergie extraordinaire à la formulation de cette revendication. Ils se sont adressés à l'ONU plus d'une vingtaine de fois. Ils se sont présentés devant la Commission des droits de l'homme de l'ONU et le comité chargé d'appliquer le protocole facultatif. Ils nous ont dit combien ils avaient été déçus de l'absence d'appui du Canada. Cela s'est passé à la fin des années 80 et au début des années 90, donc avant l'installation du présent gouvernement, mais leur déception n'en est pas moins grande.
Ils allèguent essentiellement que la Convention de Genève leur donne droit à une indemnisation. Ils contestent la position du ministre de la Justice, pour qui le traité de 1952 avec le Japon dégage entièrement ce pays de toutes obligations. Ils estiment en outre que le Canada n'a pas su prendre les mesures nécessaires pour les protéger pendant la Deuxième Guerre mondiale, soit par l'intermédiaire de l'Argentine, soit par la suite en invoquant le protocole facultatif devant l'ONU.
Ils sont fermement convaincus qu'il faut tenir compte du fait que le Japon reconnaît aujourd'hui qu'il doit une indemnité - qu'il a d'ailleurs versée - aux Coréennes qui ont été contraintes à la prostitution pendant la guerre et que le Canada devrait faire des pressions en ce sens au gouvernement japonais.
Enfin, il y aurait peut-être lieu pour le gouvernement du Canada de leur verser un paiement à titre gracieux - quitte à se faire rembourser ensuite par le gouvernement du Japon - semblable à ce qui était versé aux Canadiens d'origine japonaise internés pendant la guerre.
Voilà où nous en étions la dernière fois.
[Français]
Donc, nous recommençons aujourd'hui avec des témoins du gouvernement canadien. Nous recevons, du ministère des Anciens combattants, M. Dennis Wallace, sous-ministre adjoint; du ministère de la Justice du Canada, M. Bruce Mann, qui conseille le ministre; du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, M. Gilbert Laurin, directeur adjoint de la Direction des opérations juridiques; et M. Raymond Roy, qui est aussi du ministère des Anciens combattants.
Je crois que tous les témoins présenteront un bref aperçu de leur perspective du problème, et nous passerons ensuite à la période des questions.
Monsieur Wallace, s'il vous plaît.
M. Dennis Wallace (sous-ministre adjoint, Services aux anciens combattants, ministère des Anciens combattants): Merci, monsieur le président.
[Traduction]
C'est un plaisir pour moi d'être ici ce matin au nom du ministère des Affaires des anciens combattants. Je suis heureux de l'occasion qui m'est donnée de compléter l'information sur les programmes destinés aux anciens combattants qui figure dans les procès-verbaux de votre audience du 19 novembre 1996.
J'aimerais d'abord vous présenter un exposé rapide du traitement accordé par le passé et aujourd'hui aux anciens combattants de Hong Kong en vertu de la législation sur les anciens combattants. Je répondrai également aux questions que vous voudrez bien me poser. J'ai apporté des chiffres, que j'ai remis à la greffière, que le comité voudra peut-être consulter.
Le ministère des Affaires des anciens combattants est sensible à la situation des anciens combattants de Hong Kong puisqu'il s'agit de nos clients. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir, comme fonctionnaires, pour veiller à ce que ces anciens combattants d'une trempe toute particulière reçoivent toute l'attention possible en vertu de notre législation.
Je me réjouis de pouvoir dire que nos efforts sont reconnus. Roger Cyr, qui vous a parlé avec tant d'éloquence le 19 novembre dernier, a aimablement reconnu nos efforts dans une note en décembre dernier. Cliff Chadderton, qui a pris la parole devant le comité, nous a adressé des compliments qui nous ont beaucoup réjouis lors de son interview à l'antenne de CJOB à Winnipeg en novembre dernier. Nous faisons de notre mieux pour tous les anciens combattants et nous éprouvons du réconfort lorsque nos efforts sont reconnus par de tels défenseurs de leurs intérêts.
Cela dit, monsieur le président, il faut, en toute justice, admettre que cela n'a pas toujours été le cas. Même si à leur libération ils ont eu droit à l'ensemble des prestations offertes aux autres anciens combattants, ceux de Hong Kong ont dû attendre 26 ans avant que la Loi sur les pensions ne soit modifiée pour leur accorder l'attention toute particulière qu'ils méritaient.
Le 19 novembre dernier, les membres du comité ont reçu un mémoire, visionné une vidéo et entendu des témoignages qui ont illustré le traitement cruel et les graves privations subis par eux pendant leur captivité. Aujourd'hui, les lignes directrices du ministère en matière de santé consacrent six pages aux conditions de leur captivité et à leurs séquelles à long terme pour ce qui est des invalidités ouvrant droit à pension.
Le dur traitement infligé par le Japon aux prisonniers de guerre fut révélé aux pays alliés peu après la fin du conflit. Toutefois, les Canadiens qui avaient été faits prisonniers par le Japon ont dû lutter pendant 26 ans pour obtenir la reconnaissance médicale et financière du cas d'exception qu'ils constituaient.
En 1963, le Comité permanent des affaires des anciens combattants a recommandé que soit réalisée une étude spéciale des difficultés et des invalidités des anciens combattants de Hong Kong. En 1965, l'étude a été achevée par le Dr H.J. Richardson, conseiller médical de la Commission canadienne des pensions qui, entre autres choses, avait comparé l'état de santé des anciens prisonniers de guerre et celle de leurs frères qui avaient fait leur service pendant la guerre mais qui n'avaient pas été faits prisonniers.
En 1968, après avoir pris connaissance des faits, le comité Woods a recommandé que tous les anciens prisonniers de la force de Hong Kong qui avaient été internés comme prisonniers de guerre par les Japonais aient droit, sur demande, à une pension de base et minimum de 50 p. 100, pourvu que l'ancien soldat manifeste un degré évaluable d'invalidité.
Enfin, en 1971, la Loi sur les pensions a été modifiée pour que soit accordée au minimum une pension d'invalidité de 50 p. 100 à tous les anciens prisonniers du Japon manifestant une invalidité évaluée et emprisonnés pendant plus d'un an. Les anciens combattants de Hong Kong avaient été emprisonnés pendant près de quatre ans. La nouvelle politique a profité à ceux qui touchaient une pension d'invalidité de moins de 50 p. 100.
En 1976, cette pension minimum de 50 p. 100 a été remplacée par un paiement équivalent en vertu de la nouvelle Loi d'indemnisation des anciens prisonniers de guerre. Ce texte créait une nouvelle prestation, unique en son genre parmi les puissances alliées. Les anciens prisonniers de guerre qui répondent aux critères ont droit à une indemnité mensuelle, qu'ils présentent ou non une invalidité ouvrant droit à pension par suite de leur service militaire en tant de guerre. Les critères et l'importance de la mensualité dépendent de la puissance ennemie en cause et de la durée de la captivité ou de la période passée en fuite.
En 1976, parce qu'ils avaient été prisonniers du Japon pendant plus d'un an - presque quatre ans en fait - , les anciens combattants de Hong Kong eurent droit au maximum de l'indemnité de prisonnier de guerre, c'est-à-dire l'équivalent de 50 p. 100 de la pension d'invalidité de guerre. L'indemnité maximum de prisonnier de guerre pour les prisonniers de puissances autres que le Japon équivalait à 20 p. 100 de la pension d'invalidité de guerre. L'écart se justifiait par le traitement particulièrement cruel subi par les anciens combattants de Hong Kong.
Les anciens combattants qui avaient droit à l'indemnité de prisonniers de guerre en 1976 ont aussi continué de toucher les pensions d'invalidité pour invalidité évaluée. Toutefois, la Loi sur les anciens combattants plaçait dans l'impasse les anciens combattants souffrant de l'invalidité la plus grave. Les anciens combattants de Hong Kong étaient les plus pénalisés.
En effet, en vertu de la loi, le montant total qu'un ancien combattant pouvait recevoir en pension d'invalidité et en indemnité de prisonnier de guerre était plafonné à l'équivalent de 100 p. 100 de la pension d'invalidité. Comme tous les anciens combattants de Hong Kong touchaient une indemnité de prisonnier de guerre équivalent à 50 p. 100 de la pension d'invalidité, cela signifiait que les anciens combattants de Hong Kong dont les invalidités de guerre avaient été évaluées à plus de50 p. 100 - 75 ou 100 p. 100 - ne touchaient que l'équivalent de 100 p. 100 de la pension d'invalidité, donc pas davantage que les autres anciens combattants de Hong Kong, dont l'invalidité avait été évaluée à 50 p. 100.
Il a fallu attendre 10 ans encore, soit 36 ans après la fin de leur captivité, avant que le plafond de 100 p. 100 ne soit supprimé, permettant ainsi aux anciens combattants de Hong Kong dont l'invalidité était évaluée à plus de 50 p. 100 de toucher la totalité de la pension d'invalidité à laquelle ils avaient droit. Depuis 1986, les anciens combattants de Hong Kong souffrant de l'invalidité la plus grave - évaluée à 100 p. 100 - ont droit à la fois à l'indemnité de prisonnier de guerre et à la pension d'invalidité, ce qui revient à une pension d'invalidité de 150 p. 100. Selon le barème de 1997, cela correspond à environ 30 316 $ pour l'ancien combattant célibataire et environ 37 895 $ pour l'ancien combattant marié sans personne à charge.
La mesure la plus récente en vue de l'amélioration des prestations destinées aux anciens combattants de Hong Kong a été la création, en 1991, d'une évaluation minimum d'invalidité à50 p. 100 pour l'avitaminose. Depuis cette date, chaque ancien combattant de Hong Kong touche au minimum l'indemnité de prisonnier de guerre et la pension pour l'invalidité équivalant à la pension d'invalidité de 100 p. 100. Selon le barème de 1997, cette pension minimum s'élève à 20 210 $ par année pour l'ancien combattant célibataire et à 25 263 $ par année pour l'ancien combattant marié sans personne à charge. La plupart de nos anciens combattants de Hong Kong touchent davantage que ces montants minimums.
Pour donner une image équilibrée du traitement dont bénéficient aujourd'hui les anciens combattants de Hong Kong au ministère, nous avons compilé des chiffres, qui vous ont été remis. Ils montrent qu'au 31 décembre 1996, le ministère versait des prestations à 448 vétérans de Hong Kong survivants et à 299 veuves d'anciens combattants de Hong Kong. Beaucoup d'entre eux ont droit à des prestations supplémentaires, comme l'indemnité pour incapacité exceptionnelle ou pour les soins d'un auxiliaire.
Le ministère prend également en charge les soins de santé ainsi que les services du programme pour l'autonomie des anciens combattants, dont ont besoin les invalides.
Les chiffres que je vais maintenant vous donner englobent tous les paiements directs du ministère à l'ancien combattant et comprennent également les paiements pour les produits et services offerts à l'ancien combattant. Le coût des soins en établissement, que certains anciens combattants de Hong Kong reçoivent, est exclu.
Quinze de nos 448 anciens combattants de Hong Kong reçoivent des prestations nettes qui varient entre 23 988 $ par année et le minimum de 20 210 $; 213 d'entre eux, soit près de la moitié des 448, reçoivent entre 24 000 $ et 35 999 $ par année; 141, soit environ le tiers des 448, reçoivent entre 36 000 $ et 47 999 $ par année; 63, soit environ le dixième des 448, reçoivent entre 48 000 $ et 59 999 $ par année. Enfin, 16 anciens combattants de Hong Kong reçoivent plus de 60 000 $ par année.
Je précise également, au cas où vous l'ignoreriez, que les prestations pour anciens combattants ne sont pas assujetties à l'impôt.
Comme je l'ai déjà dit, je serais heureux de vous laisser une copie de ces chiffres. Libre à vous de les commenter, si vous le souhaitez.
J'aimerais terminer sur une observation. Même si les paiements que les anciens combattants de Hong Kong reçoivent du ministère ne sont pas négligeables, vous aurez constaté que je n'ai pas dit qu'ils étaient généreux. Aucune somme d'argent ne pourra dédommager les anciens combattants de Hong Kong des années qu'ils ont perdues, de leurs souffrances aux mains de leurs geôliers et des séquelles permanentes dont ils souffrent pour avoir servi leur patrie. Les anciens combattants de Hong Kong méritent une attention exceptionnelle et ont mené un dur combat pour obtenir les indemnités qu'ils touchent aujourd'hui. Nous, du ministère des Affaires des anciens combattants, sommes honorés de nous voir confier la mission d'administrer cette indemnisation.
Les anciens combattants de Hong Kong n'ont pas conquis l'attention particulière qu'ils reçoivent aujourd'hui du jour au lendemain ni sans avoir combattu. Leur combat ne s'est pas achevé au moment de la chute de Hong Kong, ni même à leur libération. Il a fallu attendre longtemps pour que leurs concitoyens reconnaissent à quel prix ils ont mérité l'honneur qui leur revient.
Le ministère éprouve un profond respect pour les anciens combattants de Hong Kong, pour leurs réalisations sur le terrain devant la plus grande adversité, pour leur courage comme prisonniers et pour leur ténacité dans leurs efforts pour obtenir des prestations adéquates. Le signe de cette ténacité, c'est qu'aujourd'hui, 55 ans après les premiers coups de feu, les anciens combattants de Hong Kong continuent de faire campagne pour obtenir ce qu'ils estiment être leur dû, qu'il s'agisse d'une rémunération supplémentaire en vertu de la législation sur les affaires des anciens combattants ou de la revendication qu'ils ont formulée devant votre comité, qui échappe tout à fait à la compétence du ministère.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Wallace.
J'indique aux membres du comité que les chiffres dont a parlés M. Wallace sont en train d'être photocopiés et qu'ils vous seront remis dès que nous les aurons, avant la fin de la séance.
Monsieur Mann.
M. Bruce Mann (avocat, ministère de la Justice du Canada): Merci, monsieur le président. Comme vous l'avez dit, je suis le représentant du ministère de la Justice. Je suis conseiller juridique principal pour le ministère des Anciens combattants, mais ce n'est pas moi qui parle au nom du ministère. C'est M. Wallace.
La position du Canada dans les communications présentées à la Commission des droits de l'homme dont vous avez tous entendu parler à propos des questions soulevées devant le comité concernant la légalité du traité de paix conclu avec le Japon en 1951 relève du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ainsi que du ministère de la Justice.
J'aimerais pendant quelques instants discuter de quelques points de droit interne relatifs à la lettre du ministre Rock, en date du 16 mars 1996, en réponse à M. Chadderton des Amputés de guerre du Canada. La lettre a été déposée devant le comité dans le mémoire présenté par l'Association lors de l'audience du 19 novembre dernier.
Il est nécessaire de discuter du droit national parce qu'il serait injuste de donner l'impression que l'indemnisation des anciens prisonniers de guerre ne découlait que de leur invalidité, évaluable ou non.
J'aimerais faire la genèse des lois sur l'indemnisation des prisonniers de guerre. En 1971, le Parlement a pour la première fois adopté des dispositions relatives aux prisonniers de guerre du Japon, dans lesquelles il est question d'une pension d'un montant égal à la pension payée pour une invalidité évaluée à 50 p. 100. Mais il s'agissait en fait ici d'une pension majorée pour invalidité. Cela portait une pension de moins de 50 p. 100 d'invalidité au niveau de 50 p. 100.
En 1976, l'indemnisation des prisonniers de guerre a fait l'objet d'une loi autonome, la Loi sur l'indemnisation des anciens prisonniers de guerre, dont le libellé montrait bien qu'il ne s'agissait pas d'une pension d'invalidité mais bien d'une indemnité de prisonnier de guerre d'un montant fixé en fonction de la période d'incarcération de l'ancien combattant. Toutefois, cette indemnisation était encore reliée à l'indemnité d'invalidité en raison d'une règle qui stipulait que le montant total de l'indemnité de prisonnier de guerre et de la pension d'invalidité ne pouvait pas dépasser le taux de pension pour invalidité à 100 p. 100.
Enfin, en 1988, ce lien a été rompu tout à fait, le Parlement ayant voté la loi qui existe aujourd'hui. L'indemnité de prisonnier de guerre dépend uniquement de la puissance incarcérante et de la durée de l'incarcération. L'ampleur de l'invalidité ouvrant droit à pension est une autre question, qui n'influe pas sur le droit à l'indemnité de prisonnier de guerre ou sur le montant.
Le concept de l'indemnité pour invalidité cachée a été consacré par les lignes directrices de santé en vertu de l'article 35 de la Loi sur les pensions en 1991. Ces lignes directrices recommandent que soit évaluée à 50 p. 100 l'invalidité de tous les anciens prisonniers de guerre du Japon en raison de l'avitaminose. Cette règle s'applique aujourd'hui au ministère des Anciens combattants. À l'origine, elle s'appliquait à la Commission sur les pensions du Canada.
Ce qui importe, c'est que malgré l'origine injuste de l'indemnisation des prisonniers de guerre en 1971, il ne s'agit pas d'une indemnisation pour invalidité. C'est la raison pour laquelle M. Rock a fait observer dans sa lettre du 26 mars 1996 que depuis 20 ans les prisonniers de guerre touchent des prestations supplémentaires qui, en droit, sont attribuables uniquement et sans autre forme de procès, au fait qu'ils ont été prisonniers de guerre. M. Rock a également précisé que ces prestations ne constituent pas une indemnisation pour violation d'obligations nationale ou internationale - c'est-à-dire que le Canada n'enfreint pas, ni aujourd'hui ni par le passé, ces obligations.
Je vais maintenant laisser M. Laurin traiter de la question du traité de paix de 1951 avec le Japon et le respect du droit international par le Canada. Si je peux vous être de quelque utilité en ce qui concerne le droit interne, n'hésitez pas à vous adresser à moi.
Le président: Merci beaucoup, monsieur.
[Français]
Monsieur Laurin.
M. Gilbert Laurin (directeur adjoint, Direction des opérations juridiques, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international): Monsieur le président, membres du comité, je tiens à vous remercier d'avoir fourni au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international l'occasion de clarifier la question de l'indemnisation des soldats canadiens internés par les Japonais à Hong-Kong durant la Deuxième Guerre mondiale.
Permettez-moi de préfacer mes remarques en disant qu'il ne fait aucun doute que les anciens combattants de Hong-Kong se sont battus courageusement pour le Canada lors de la prise de Hong-Kong. Il est tout aussi indubitable que ces soldats ont été capturés et amenés dans des camps de prisonniers de guerre où ils ont dû vivre dans des conditions répugnantes. Ce sont de vrais héros militaires canadiens.
Le comité et les anciens combattants doivent comprendre que, lorsque nous essayons d'expliquer la position juridique du gouvernement du Canada vis-à-vis du gouvernement du Japon en ce qui a trait à la question de réclamations additionnelles, nous ne cherchons ni à amoindrir le rôle important que ces soldats ont joué ni à minimiser les souffrances qu'ils ont vécues.
[Traduction]
Monsieur le président, l'état de guerre entre les puissances alliées et le Japon a pris fin en vertu du traité de paix de 1952. Le Canada l'a ratifié le 17 avril 1952. C'est le même traité qu'ont ratifié le Royaume-Uni, les États-Unis, la France, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les autres puissances alliées. La position du gouvernement du Canada est que le traité a réglé en entier toutes les revendications des puissances alliées, y compris celles du Canada et de ses ressortissants par suite de toute mesure prise par le Japon et ses ressortissants pendant la guerre. C'est précisément ce qu'énonce le paragraphe 14(b) du traité.
Le préambule du traité dit la même chose lorsque l'on lit que les puissances alliées et le Japon souhaitent conclure un traité de paix qui réglera les questions toujours en suspens par suite de l'existence de l'état de guerre entre eux.
C'est ce traité qui régit les rapports juridiques entre le Canada et le Japon concernant les événements issus de la Deuxième Guerre mondiale.
Monsieur le président, il importe de noter qu'à l'article 16 du traité, il est expressément fait mention de l'indemnisation des membres des forces armées des puissances alliées qui ont subi des mauvais traitements excessifs lorsqu'ils étaient prisonniers de guerre du Japon. En conformité de cet article, le Canada a été autorisé à liquider tous les avoirs japonais au Canada à la fin de la guerre au profit des anciens prisonniers de guerre et de leurs familles. Il n'y a pas eu de renonciation au droit des anciens combattants de Hong Kong dans le traité. De fait, l'article 16, expressément consacré à ces droits, prévoit des réparations, quoique limitées, et règle ainsi les revendications de cet ordre contre le Japon.
La position du gouvernement du Canada est que le traité de paix de 1952 règle complètement et définitivement toutes les revendications contre le Japon découlant de la Deuxième Guerre mondiale.
Monsieur le président, si vous-mêmes ou l'un des membres du comité souhaitez que je discute des autres points soulevés lors des témoignages que vous avez entendus le 19 novembre, je me ferai un plaisir de le faire. Merci.
Le président: Avant de passer aux questions, monsieur Laurin, j'aimerais aborder un ou deux points de droit soulevés par M. Forbes lors de la dernière audience.
Permettez-moi de dire que je comprends la position du ministère des Affaires des anciens combattants. Vous nous dites que cela a pris beaucoup de temps mais qu'enfin en droit canadien tout a été fait pour indemniser les anciens combattants des atrocités qu'ils ont subies pendant la guerre.
D'après les témoignages, toutefois, il s'agit ici d'une demande d'indemnisation pour travaux forcés, tout à fait étrangère aux demandes d'indemnisation normales. Comme nous l'avons entendu haut et fort lors de la dernière audience, il est allégué que la Convention de Genève a été violée par les Japonais. Monsieur Laurin, pour employer la terminologie juridique, je dirai qu'il s'agit ici de jus cogens.
Ceci servirait donc de fondement à une demande d'indemnisation pour travaux forcés tout à fait étrangère à la filière normale. L'article 131 du traité, dont M. Forbes a parlé, précise bien que ni le Canada ni le Japon
- n'est autorisé à s'absoudre ou à absoudre tout autre haute partie contractante de quelque
responsabilité que ce soit assumée par elle-même ou par une autre haute partie contractante
relativement aux infractions mentionnées à l'article précédent.
Avant de passer aux autres questions, je vous prierais de répondre à celle-ci en particulier.M. Forbes nous dit que votre affirmation, à savoir qu'il s'agit d'un règlement final, est battue en brèche pour ainsi dire par l'article 131.
Il serait aussi bon, si vous pouviez, du point de vue du ministère des Affaires étrangères, de nous dire - parce que nous n'avons pas pu obtenir un témoin qui nous aurait exposé la position du Japon - où ce dossier se situe par rapport à d'autres revendications formulées contre le Japon. Très précisément, nous pensons à la demande d'indemnisation de la Corée qui, elle aussi, se situe à l'extérieur des voies normales de droit. Il s'agit d'une revendication spéciale en droit pour violation grave des articles de guerre ou des Conventions de Genève.
M. Laurin: Si vous le permettez, j'établirai d'abord une distinction ou une précision sur les textes invoqués, qui me semble importante. En ce qui concerne le témoignage de MM. Chadderton et Forbes au sujet de la Convention de Genève de 1929 concernant le travail forcé, il faut bien noter que les articles 130 et 131, dont il a également été fait mention, ne renvoient pas à la même Convention de Genève mais bien à la version de 1949.
Si vous me le permettez, je vais d'abord parler de cette question. La Convention de Genève de 1949 - et il est inutile de préciser qu'elle n'était pas en vigueur au moment de la Deuxième Guerre mondiale - empêche les gouvernements de conclure tout accord qui, et ce sont des mots importants, exonère de toute responsabilité un gouvernement pour toute infraction grave à la Convention de Genève.
Je précise qu'il n'y a pas de disposition équivalente dans la version de 1929. Néanmoins, même dans l'hypothèse où le droit international coutumier renfermait une disposition semblable à celle qui se trouve dans la version de 1949, le fait est que le traité de paix de 1952 n'a pas exonéré le Japon de ses responsabilités. Au contraire, le traité de paix de 1952 reconnaît expressément la responsabilité du Japon pour les mauvais traitements infligés aux prisonniers de guerre des puissances alliées.
Je vous ai cité une partie de l'article 16, qui prévoit le versement d'une indemnité forfaitaire issue de la liquidation des avoirs japonais. Ce n'est pas une question d'exonération des responsabilités, mais d'examiner précisément cette responsabilité et le fait qu'elle a été reconnue dans le traité de paix de 1952.
J'aimerais maintenant parler de la Convention de 1929, à laquelle vous venez de faire allusion. Ce qu'il faut dire d'abord, c'est que le Japon n'avait pas ratifié cette convention. Il ne peut donc pas être tenue responsable en vertu de ce texte. Toutefois, la question de savoir si la convention représentait les normes du droit international coutumier est une autre affaire.
La première chose que je dirais, c'est que la convention ne porte pas sur le travail forcé. Au contraire, elle renferme des règles très détaillées régissant les conditions applicables à l'utilisation légitime des prisonniers de guerre comme travailleurs.
Sans aboutir à quelque conclusion que ce soit sur la question de savoir si les particularités de la Convention de 1929 représentaient les normes du droit international coutumier à l'époque, il faut bien se rendre compte qu'en 1952, à la signature du traité de paix, toutes les parties au traité étaient au fait de l'existence de la Convention de Genève de 1929. Et dans le traité de 1952, elles se sont penchées sur la question des mauvais traitements infligés par les Japonais. Je vous ai renvoyé à l'article 16, qui porte sur la question.
Selon la position du gouvernement, le traité de paix de 1952 faisait droit, au profit des puissances alliées et de leurs ressortissants, à toutes les réclamations auxquelles avaient donné lieu les actes belligérants du Japon et de ses ressortissants pendant la guerre. Toujours selon le gouvernement, la convention de 1929 ne peut pas être invoquée pour réclamer quoi que ce soit au Japon.
Le président: Merci pour cette réponse utile.
M. Laurin: Voulez-vous que je parle de la question que vous avez soulevée concernant les Coréennes contraintes à la prostitution?
Le président: Oui. Il semble qu'elle ait été soulevée par la suite. C'est un autre motif de revendications au sujet duquel d'autres membres du comité voudront sans doute poser des questions. Il y a cette question-là mais il y en a une autre, de forme, dont nous pourrions aussi parler.
M. Chadderton, dans son témoignage, a dit que si le comité des droits de la personne à Genève avait débouté les anciens combattants, c'était parce qu'ils n'avaient pas épuisé tous les recours internes.
Si vous avez des arguments juridiques à nous exposer, il serait utile que vous les présentiez maintenant car j'aimerais bien tirer cette question au clair. Les membres du comité voudront sans doute vous poser eux aussi des questions là-dessus.
M. Laurin: Je vais d'abord vous parler de la question de la Corée et des femmes contraintes à la prostitution.
Il faut que je vous dise tout de suite que je ne prétends pas pouvoir vous expliquer quels sont les rapports entre la Corée et le Japon sur le plan juridique. Je voudrais tout simplement vous signaler quelques faits nouveaux.
Comme beaucoup d'autres États qui ont été occupés par le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale, la Corée n'a pas signé de traité de paix en 1952. En fait, ce n'est qu'en 1965 que la Corée a normalisé ses rapports avec le Japon.
Il faut savoir que ce traité-là n'était pas ce que l'on appelle un traité de paix car il a été désigné comme l'«Accord sur le règlement des problèmes concernant les biens et les réclamations et sur la coopération économique entre le Japon et la République de Corée». Je vais vous citer une phrase de son préambule:
- Le Japon et la République de Corée, désireux de régler les litiges concernant les biens des deux
pays et de leurs ressortissants et les réclamations des deux pays et de leurs ressortissants; et
désireux de promouvoir la coopération économique entre leur pays; ont convenu que...
Il ne s'agit pas de la même clause, du même article que l'article 14 du traité de 1952. Ce libellé est beaucoup plus général.
Il est possible que la Corée puisse sur le plan juridique présenter une réclamation au Japon concernant les femmes contraintes à la prostitution. Je ne suis pas en mesure de me prononcer sur la nature de leurs rapports sur le plan juridique et du reste il ne conviendrait pas que je le fasse.
Il est clair toutefois que sur le plan juridique, les rapports entre la Corée et le Japon n'ont rien de commun avec le traité qui a mis fin aux hostilités entre le Canada et le Japon. En effet, la Corée a mis fin à la guerre avec le Japon suivant des modalités différentes et elle l'a fait 13 ans après le Canada. Je ne pense pas que l'on puisse établir de parallèles entre ce que le gouvernement coréen a estimé qu'il lui était loisible de faire et des mesures éventuelles que le gouvernement du Canada pourrait prendre.
Ce qui est clair, c'est que le traité de paix de 1952 empêche le Canada de présenter des réclamations au Japon au nom de son gouvernement comme au nom de ses ressortissants.
Monsieur le président, j'en viens à votre dernier point qui porte sur le comité des droits de l'homme. Vous vous souviendrez que M. Chadderton dans son témoignage a expliqué que les anciens combattants de Hong Kong s'étaient adressés aux Nations Unies à deux reprises, une fois en 1988 quand ils ont saisi la Sous-commission sur la prévention de la discrimination et la protection des minorités, et encore une fois en 1993, si je ne m'abuse.
Il faut dire ici qu'en rendant sa décision, le comité des droits de l'homme a précisé trois choses. Tout d'abord - et je cite la décision du comité - , le comité affirme que «le seul fait que le Canada n'aurait pas protégé le droit des anciens combattants de Hong Kong à une indemnisation de la part du Japon ne peut en lui-même constituer le fondement d'une revendication.»
Le comité a déterminé qu'il fallait tout d'abord qu'il y ait violation d'un droit fondamental énoncé dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Canada adhère. Autrement dit, il aurait fallu qu'on puisse alléguer que le Canada avait violé le droit des anciens combattants à la liberté d'expression, à la liberté de religion, ou à un autre droit fondamental, et que le Canada ne leur avait pas donné de moyens de redresser la violation de ce droit.
Donc, en premier lieu, il faut qu'il y ait violation d'un droit fondamental.
Deuxièmement, le comité a déclaré qu'il ne pouvait pas inscrire la plainte parce que la violation alléguée s'était produite avant l'entrée en vigueur du pacte.
Enfin, et je pense que c'est à cela que vous faisiez allusion quand vous avez dit que les trois anciens combattants de Hong Kong qui étaient venus témoigner n'avaient pas épuisé tous les recours internes, il existe un principe fondamental, à savoir que l'on ne peut s'adresser à un tribunal international tant que l'on n'a pas épuisé tous les recours dans son propre pays.
Cependant, le comité n'affirme cela que concernant un seul aspect de la plainte des anciens combattants de Hong Kong, et non pas concernant les deux arguments que j'ai cités. Le comité fait valoir ce point uniquement en ce qui concerne les allégations de discrimination dont les prisonniers de guerre se disent victimes car leur pension de prisonnier de guerre n'était pas comptée comme une pension pour invalidité et ne leur permettait pas de toucher une allocation supplémentaire dont seuls peuvent bénéficier les pensionnés touchant une pension pour invalidité de 100 p. 100. Et c'est seulement concernant cet aspect-là que le comité a déclaré: «Vous n'avez pas épuisé tous les recours internes et, avant de pouvoir invoquer cet argument devant nous, vous devez le faire.»
J'espère que cela est plus clair maintenant.
Le président: En effet. D'après le témoignage des représentants du ministère des Anciens combattants, cette question est désormais réglée car on verse maintenant une indemnité totale, n'est-ce pas?
M. Wallace: C'est cela, monsieur le président. L'indemnité de prisonnier de guerre, telle qu'elle est maintenant définie dans la Loi sur les pensions - et je vais simplifier ce libellé à dessein - , constitue une «indemnité versée en vertu des dispositions de la présente loi du fait qu'un ancien prisonnier de guerre a passé du temps en captivité, ou qu'il a tenté d'éviter la capture ou de s'enfuir».
Le président: Très bien. Merci beaucoup.
[Français]
Monsieur Bergeron.
M. Stéphane Bergeron (Verchères, B.Q.): Dans un premier temps, j'aimerais remercier les témoins. Je dois dire que les présentations ont été très éclairantes, du moins pour moi. Nous avons eu l'occasion d'entendre le point de vue des anciens combattants et nous avons ce matin l'occasion d'entendre le point de vue du gouvernement canadien. Chacune de ces présentations nous a apporté un éclairage différent, nouveau, pertinent sur le problème qui est soulevé.
Nous avions exprimé le souhait d'avoir également le point de vue du gouvernement japonais sur la même question. Je crois comprendre qu'à la recommandation du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, le comité n'a pas entrepris de démarches auprès des autorités japonaises.
Je m'interroge ce matin sur la pertinence de cette recommandation venant du ministères des Affaires étrangères et du Commerce international. Peut-être s'agit-il d'une suggestion venant d'une partie intéressée, qui est à la fois juge et partie. À défaut d'entendre des officiels du gouvernement japonais, j'aurais aimé qu'un spécialiste vienne nous exprimer le point de vue des autorités japonaises. Cependant, je constate avec déception que ce spécialiste ou cette spécialiste n'a pas été déniché, ce qui fait que nous n'avons pas ce point de vue.
M. Le président vous a adressé une question. Je connais toutes les limites que cette question comporte pour vous, parce que, comme je le signalais, vous êtes probablement juge et partie dans cette question. Toutefois, vous est-il possible de nous décrire ce qui vous apparaît être la position du gouvernement japonais sur ce même problème?
M. Laurin: Il m'est impossible, pour des raisons pratiques mais aussi pour des raisons de principe, d'essayer de vous présenter la position du gouvernement japonais sur cette question. C'est tout à fait en dehors de mon mandat, et je vous demanderais de bien vouloir m'excuser de ne pas pouvoir répondre à votre question de manière à vous apporter un certain éclairage.
M. Stéphane Bergeron: Je soumets, monsieur le président, qu'il serait vraisemblablement très important que nous puissions avoir une telle position ou un tel point de vue pour que nous puissions avoir sous les yeux l'ensemble des éléments afin de faire une recommandation adéquate au gouvernement canadien.
Le président: Je veux bien le demander à M. Lee. On a fait beaucoup d'efforts pour trouver un expert, mais on n'a pu en dénicher un. M. Lee m'a informé ce matin des nombreux efforts qu'on a faits pour en trouver un. Donc, ce n'est pas à cause d'un manque d'efforts.
M. Stéphane Bergeron: Peut-être le comité devra-t-il alors prendre l'initiative de passer outre à la recommandation du ministère des Affaires étrangères et de prendre contact avec l'ambassade du Japon.
Le président: On pourra penser à cela à la fin du débat.
M. Stéphane Bergeron: J'aimerais maintenant passer à une autre question. MM. Wallace et Mann ont fait porter l'essentiel de leur présentation sur l'évolution des indemnités auxquelles ont maintenant droit les prisonniers de guerre canadiens qui étaient combattants à Hong-Kong.
M. Wallace a bien pris la peine de préciser qu'il ne considérait pas ces indemnités comme étant généreuses ou trop généreuses, mais il demeure que le fait d'avoir fait porter l'essentiel des présentations sur ces indemnités peut laisser entendre que le gouvernement considère avoir fait - pardonnez-moi l'expression - son gros possible en ce qui a trait aux indemnités auxquelles ont droit ces anciens combattants.
Je reviens maintenant à la présentation de M. Laurin, à mon sens très intéressante et très pertinente, mais qui me laisse un peu perplexe.
Il a invoqué l'article 16 du traité de paix de 1952 signé entre les Alliés et le Japon pour signifier que la réclamation des prisonniers de guerre de Hong-Kong était somme toute non avenue, compte tenu de la disposition de l'article 16 qui prévoyait que ce traité réglait toute réclamation relative aux mauvais traitements subis par les prisonniers.
Mais, comme le soulignait à juste titre le président, il s'agit d'un problème qui va bien au-delà des mauvais traitements subis par les prisonniers. Bien sûr, il y a eu mauvais traitements et, dans ce sens, je pense que l'article 16 trouve toute sa portée.
Mais cela va bien plus loin. On parle de travail non rémunéré; on a utilisé une main-d'oeuvre gratuitement. M. le président a utilisé carrément le mot «esclavage». On a utilisé les soldats canadiens prisonniers comme des esclaves. Conséquemment, selon la disposition de la Convention de Genève, il devrait y avoir réclamation.
On a beaucoup parlé plus tôt des indemnités auxquelles ont droit les ex-prisonniers de guerre canadiens à Hong-Kong. Je pense que ce que cherchent à faire reconnaître ces gens d'abord et avant tout, c'est le principe que le gouvernement canadien n'a pas défendu leur droit à cette indemnité venant du gouvernement japonais lors de la signature du traité de paix. C'est ce qu'ils demandent aujourd'hui, invoquant un article de la convention qui interdit au gouvernement canadien d'absoudre le Japon pour ce traitement injuste qui leur a été imposé, mais surtout pour cet esclavage auquel ils ont été réduits.
Peut-on balayer du revers de la main la revendication des anciens combattants sous prétexte que l'article 16 règle la réclamation?
M. Laurin: Je vais commencer en disant que ce n'est pas simplement l'article 16 qui règle la question, mais aussi l'article 14, que j'ai lu. Le traité de paix signé en 1952 avait pour but de mettre fin à la guerre entre le Japon et le Canada et de mettre fin à toute réclamation par le Canada et par ses citoyens contre le Japon et contre ses citoyens.
Je ne peux que vous dire quelle est la position du gouvernement, que tel a été le but du traité et que tel a été le résultat du traité.
M. Stéphane Bergeron: Les anciens combattants invoquent un article de la Convention de Genève qui, semble-t-il, interdirait au gouvernement canadien de se résoudre à régler toute réclamation de cette nature avec le Japon via le traité de 1952. Selon vous, cet argument invoqué par les anciens combattants est-il juridiquement valable ou est-ce un argument tout à fait non avenu?
M. Laurin: Permettez-moi de vous rappeler qu'on parle de la convention de 1949, c'est-à-dire de l'article qui interdit au gouvernement de signer un accord qui ignorerait la question de la responsabilité du Japon. Comme je l'ai dit il y a un moment, cette convention de 1949 était en vigueur en 1952, quand on a signé le traité de paix.
Le gouvernement du Canada n'a pas ignoré la responsabilité. Il n'a pas dit au Japon que ce dernier n'était pas responsable de ce qui s'était passé durant la Deuxième Guerre mondiale, mais tout à fait le contraire. On le voit à plusieurs reprises dans le traité de 1952, où le Japon reconnaît sa responsabilité pour les événements de la Deuxième Guerre mondiale.
Il n'y a, de la part du gouvernement, aucun manquement au respect de la convention de 1949. Je ne parle pas de la question de savoir si, oui ou non, la convention prenait effet sur ce qui s'était passé durant la Deuxième Guerre mondiale.
M. Stéphane Bergeron: C'est d'une importance capitale, vous en conviendrez. La convention a été signée en 1949, quelques années avant la signature du traité de paix lui-même. C'était donc une reconnaissance, par le Japon, des principes juridiques sur lesquels se fondait cette convention. Selon vous, en droit international, les dispositions de la convention avaient-elles effet au moment de la signature du traité de paix en 1952, oui ou non?
M. Laurin: Je préférerais répondre à votre question en vous disant que la convention de 1949, pour ce qui est des points qui ont été mentionnés, a été respectée par le traité de 1952.
M. Stéphane Bergeron: Expliquez-moi en quoi la convention aurait été respectée. Vous avez commencé votre plaidoyer en invoquant le fait que la convention sur laquelle s'appuyait la réclamation des anciens combattants était la convention de 1949, alors qu'on devrait plutôt parler de celle de 1929, et là vous nous dites que la convention de 1949 a été respectée dans le traité signé en 1952. Dites-moi en quoi le traité de 1952 respectait la convention de 1949 en ce qui a trait à l'esclavage des prisonniers canadiens qui ont été utilisés sans rémunération par le gouvernement japonais durant la Deuxième Guerre mondiale.
M. Laurin: La convention de 1949 ne parle pas d'esclavage. Les parties pertinentes, qui nous ont été citées, parlent de l'obligation d'un pays de ne pas conclure un accord avec un autre pays de façon à à ne pas obliger l'autre pays à reconnaître sa responsabilité. En effet, le traité fait cela. Comme je vous le dis, le traité de 1952 oblige à plusieurs reprises le Japon à reconnaître sa responsabilité. Je ne sais comment je pourrais répondre à votre question autrement.
[Traduction]
Le président: Monsieur Mills.
M. Bob Mills (Red Deer, Réf.): J'ai trois questions. Premièrement, vous dites qu'il y a eu liquidation des avoirs japonais après la conclusion de ce traité et je voudrais savoir si l'on a réparti le produit de cette liquidation entre les anciens combattants. Est-ce que c'est comme cela qu'on a procédé? Ou a-t-on plutôt constitué une provision afin de pouvoir verser les pensions? Pouvez-vous nous expliquer cela?
M. Laurin: Je ne connais pas bien tous les détails du mécanisme de répartition des fonds tirés de la vente des avoirs japonais. Je sais qu'on a procédé à cela dans les années 50. Si je ne m'abuse, on a constitué alors une commission des réclamations de guerre qui s'est occupée de cela. Je ne sais pas si MM. Mann et Wallace peuvent vous donner plus de précisions. À l'époque, c'était une question interne.
M. Wallace: En me préparant pour la réunion de ce matin, monsieur Mills, je n'ai pas pu trouver de preuves que le ministère des Anciens combattants avait versé ce genre de paiement. Je ne peux pas affirmer qu'il n'y en a pas eu mais je n'ai rien trouvé, dans nos documents, qui permette de l'affirmer.
M. Bob Mills: Combien de réclamations, à part celle-ci, ont été faites? S'agit-il d'une réclamation inusitée? Y en a-t-il d'autres, issues d'autres guerres, d'autres conflits, que l'on présente actuellement.
M. Wallace: Vous voulez dire en ce moment? À ma connaissance, la réclamation des anciens combattants de Hong Kong est la seule que l'on ait présentée au gouvernement du Canada.
M. Bob Mills: Il me semble que c'est plus une question de principe qu'une question d'argent. Il y a peut-être deux raisons qui pourraient motiver légitimement de verser cet argent aux anciens combattants. Si le gouvernement canadien pressentait le gouvernement japonais pour obtenir des sommes supplémentaires, et que ce dernier y consente, il reconnaîtrait ainsi avoir été responsable de traitements particulièrement cruels, et ce serait là une certaine consolation pour les anciens combattants toujours vivants. Ce pourrait être une bonne raison.
L'autre chose, ce serait ceci. Vous avez beau déclarer que le traité de 1952 a été signé par plusieurs autres pays, peut-être n'aurions-nous pas dû aller si vite en besogne vu la conduite particulière du Japon et peut-être aurait-il été indiqué de demander des réparations particulières pour le travail forcé.
Pour moi, en accordant ce versement, vous régleriez ces deux problèmes pour les anciens combattants qui restent et leurs proches. D'abord, ce serait une façon de dire au Japon que cela ne doit plus jamais se reproduire, ensuite, que le gouvernement du Canada est peut-être allé un peu vite en affaire sans trop s'embarrasser de précautions.
Qu'en pensez-vous?
M. Laurin: La question de savoir quelles mesures le gouvernement du Canada souhaite prendre face aux revendications et aux instances de M. Chadderton au nom des anciens combattants de Hong Kong est une question politique à laquelle je n'ai pas autorité pour répondre. Tout ce que je peux dire à propos d'une action contre le Japon, comme je l'ai dit, c'est qu'en raison de la nature du traité de 1952, le Canada n'est pas en mesure en droit international de faire une revendication contre le Japon. Le Japon aurait une réponse à cette revendication.
M. Bob Mills: Mais il peut y avoir d'autres raisons pour lesquelles le Japon accepterait, politiques peut-être. Pour d'autres considérations que des considérations juridiques. Il me semble que l'on tombe dans le légalisme, mais là n'est pas la question. C'est une question humanitaire, qui touche les gens au plus profond d'eux. Ce qui compte, ce n'est pas la lettre de la loi. Je pense qu'il y a des arguments très probants qui pourraient convaincre le Japon d'accorder un redressement, même s'il n'y en a pas sur un plan juridique.
M. Laurin: Je crois, monsieur Mills, qu'il s'agit d'une question politique qui relève du gouvernement. C'est à lui de décider s'il veut communiquer avec le gouvernement du Japon. Pour ma part, je ne suis pas en mesure de me prononcer.
Le président: Monsieur Morrison.
M. Lee Morrison (Swift Current - Maple Creek - Assiniboia, Réf.): Merci, monsieur le président.
Je voudrais poursuivre dans la même veine que mon collègue M. Mills. Il me semble que ce que veulent les anciens combattants par-dessus tout, c'est un aveu de culpabilité. Les sommes en cause ici sont dérisoires par rapport aux souffrances que ces hommes ont subies.
Dans le traité de 1952, que je ne connais malheureusement pas, avons-nous renoncé non seulement au droit à l'indemnisation des anciens combattants mais aussi à nos droits, comme pays, d'intenter des poursuites contre les criminels de guerre? Si l'on trouvait certains de ces gardes, pourrions-nous toujours les poursuivre? Ou avons-nous renoncé à cela aussi? Je n'ai jamais entendu parler de criminels de guerre japonais traduits devant les tribunaux à l'époque moderne, alors que c'est régulièrement le cas pour les criminels de guerre européens.
M. Laurin: Malheureusement, j'ignore si le traité porte sur cette question précise. Je ne m'en souviens pas. En revanche, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a eu des procès de guerre à Tokyo, où les criminels de guerre japonais ont été jugés, comme cela s'est fait à Nuremberg en Allemagne.
M. Lee Morrison: Encore une fois, je ne veux pas donner l'impression de vous attaquer vous, monsieur Laurin, mais n'y a-t-il aucun autre pays, aucun autre groupe d'anciens combattants, qui cherchent à obtenir un dédommagement extraordinaire des Japonais? N'y a-t-il que le Canada?
Il est certain que la brutalité des Japonais ne s'est pas exercée uniquement sur les anciens combattants de Hong Kong. Je connais beaucoup de gens qui sont tombés entre leurs mains, mais il ne s'agit pas d'anciens combattants de Hong Kong. Par exemple, on a parlé des femmes contraintes à la prostitution. Mes renseignements ne sont peut-être pas bons, mais je croyais que ces offres de dédommagement, même si c'était peu de chose, ne s'adressaient pas seulement aux Coréennes, mais aux autres femmes enlevées par l'armée japonaise. Je me trompe?
M. Laurin: Je n'en suis pas sûr, mais je pense que vous avez raison.
M. Lee Morrison: Et le reste de ma question? À votre connaissance, y a-t-il d'autres ressortissants, d'autres groupes d'anciens militaires, ou qui que soient d'autres internés par les Japonais, qui demandent un dédommagement ou des aveux de culpabilité, ou les deux, ou est-ce que nous sommes les seuls?
M. Laurin: Je ne le sais pas. Toutefois, je crois que dans son témoignage devant le comité,M. Chadderton a fait allusion à d'autres groupes d'anciens combattants. J'ajouterai qu'au moment de la demande de 1988 au Comité des droits de l'homme de l'ONU, les anciens combattants de six pays différents s'y sont joints. J'ignore s'ils maintiennent un contact entre eux ou s'ils ont décidé d'aller plus loin.
M. Lee Morrison: Merci.
Le président: Monsieur Morrison, à la page 52:17 du compte rendu du témoignage deM. Chadderton, on voit une liste des pays en cause. On précise également que certains anciens combattants ont décidé de s'adresser eux-mêmes devant les tribunaux japonais. Les Canadiens...
M. Lee Morrison: À titre personnel?
Le président: Non, sans doute en groupes, et j'imagine qu'ils poursuivent les entreprises qui les exploitaient comme esclaves, au lieu de poursuivre le gouvernement lui-même. Leurs avocats leur avaient dit que ce serait coûteux et en vain. Ils ne sont donc pas allés plus loin.
[Français]
M. Stéphane Bergeron: J'ai une question là-dessus, monsieur le président. Y a-t-il des femmes de pays autres que la Corée, notamment des femmes de pays signataires du traité de 1952, qui seraient habilitées à présenter des réclamations?
Le président: Il n'y en a aucune. Dans la preuve de M. Chadderton, il n'y a aucune allusion à cela. M. Laurin le saurait peut-être.
M. Laurin: Pas à ma connaissance, mais je ne connais vraiment pas l'étendue des réclamations qui ont été faites contre le Japon dans ce contexte.
M. Stéphane Bergeron: On a dit, en réponse à M. Morrison, que le Japon s'était montré disposé à indemniser des femmes qui auraient été amenées à la prostitution par l'armée impériale japonaise, y compris éventuellement des femmes de pays signataires du traité de 1952.
M. Laurin: Pardon, je n'ai pas dit que c'étaient des femmes de pays signataires du traité de 1952.
M. Stéphane Bergeron: Non, mais ce pourrait être le cas.
M. Laurin: Ce pourrait être le cas, mais c'est tout simplement pour moi une question de me rappeler que ce sont plutôt des pays comme la Corée qui ont signé des traités de paix très longtemps après. Je crois, si je ne me trompe pas, que les Philippines étaient un des pays où certaines femmes ont reçu... Le Japon était prêt à le reconnaître. Je ne saurais vous dire si, oui ou non, certains pays qui étaient signataires au traité de 1952 ont fait l'objet de cette reconnaissance de la part du gouvernement japonais.
[Traduction]
Le président: Monsieur English.
M. John English (Kitchener, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de vos exposés. Ils étaient d'excellente qualité et très utiles, même si je reste perplexe, mais sur un autre point. Les questions ont aussi mis en évidence les difficultés que présente cette affaire.
Nous avons parlé du traité de 1952 et nous avons aussi entendu parler de l'enquête menée par le Dr Woods sur l'état de santé des anciens combattants. En 1952, savait-on quel effet l'incarcération avait eu sur les prisonniers de guerre de Hong Kong? Le savait-on à l'époque? Les anciens combattants de Hong Kong s'étaient-ils mobilisés à la fin des années 40 ou au début des années 50 pour présenter leurs cas?
M. Laurin: Pas à ma connaissance.
M. Wallace: Le ministère des Anciens combattants n'a pas eu le temps de faire des recherches jusque là. Les journaux et des rapports des militaires avaient fait état des grandes privations subies par les anciens combattants canadiens de Hong Kong. Pour ce qui est des documents eux-mêmes, nous ne les avons pas sous la main.
M. John English: Mais le fait que cette étude ait été menée dans les années 60 montre qu'à ce moment-là, on connaissait mal les effets que cette longue incarcération avait eus sur les prisonniers canadiens, n'est-ce pas?
M. Wallace: Dès 1963, nous disposions d'études ou de travaux qui montraient l'ampleur des séquelles des prisonniers ou des anciens combattants de Hong Kong. Ce n'est d'ailleurs qu'à cette époque que l'avitaminose a été constatée. La comparaison entre les soldats qui avaient été fait prisonniers et les autres a révélé qu'il existait d'importantes différences dans leur état de santé. C'était dans les années 60.
M. John English: Il me semble donc clair qu'en 1952 nous ne savions rien de l'effet à long terme de cette période d'incarcération. Cela est pertinent dans le cadre de la discussion actuelle. Je constate qu'aux États-Unis, le président Clinton vient de prolonger le délai prévu pour examiner le syndrome de la guerre du Golfe. Quelle est l'attitude du gouvernement du Canada dans les cas de ce genre? Un certain nombre de Canadiens ont participé à la guerre du Golfe, mais pas d'aussi près que les Américains.
Si l'on découvre après coup qu'une forme particulière d'incarcération ou qu'une activité quelconque en période de guerre conduit à une invalidité à long terme, y a-t-il prescription? Le gouvernement acceptera-t-il d'examiner ces questions?
Je vais aller un peu plus loin. Quel effet cela a-t-il sur le traité de 1952, signé sans que l'on connaisse l'état de santé de nos propres anciens combattants?
M. Wallace: Il y a deux dimensions à votre question, monsieur English. Il y a d'abord la question de savoir si les anciens combattants ou des membres des forces régulières, qui ont été blessés, peuvent présenter une revendication plus tard. C'est possible. Il n'y a pas de prescription en la matière.
L'autre aspect de votre question porte sur le traité de 1952. Ici, cela n'a aucun effet sur les prestations que le ministère verse aux anciens combattants.
M. John English: Je vais poursuivre un peu dans la même veine que M. Morrison. Il y avait d'autres ressortissants à Hong Kong, des Australiens, des Britanniques, etc. Avons-nous consulté leurs gouvernements dans ce dossier ou faisons-nous cavalier seul?
M. Laurin: J'ignore quelles démarches ont été faites par les autres gouvernements, il y a vingt ou trente ans, à propos de leurs soldats à Hong Kong.
M. John English: Je vais citer un autre cas qui est dans l'actualité. Celui des banques suisses et des victimes de l'holocauste. Cette affaire éclate cinquante ans après coup. Des gouvernements ont fait savoir à la Suisse qu'elle devrait dédommager ces personnes. Le gouvernement du Canada n'a-t-il pas discuté du cas du Japon avec d'autres pays?
M. Laurin: Désolé, je n'ai pas compris votre question.
M. John English: Dans le cas des banques suisses et des avoirs des victimes - quelle que soit leur provenance - des pays ont dit à la Suisse qu'elle devrait créer un fonds pour dédommager les victimes de l'holocauste, parce que les banques suisses n'ont pas assuré la garde de ces avoirs comme il se devait et n'ont pas accueilli comme il le fallait les demandes qui leur ont été adressées après la guerre.
Dans le cas du Japon, le Canada a-t-il communiqué avec d'autres pays pour que le Japon indemnise les victimes de l'agression japonaise entre 1931 et 1945?
M. Laurin: Désolé, je ne connais pas l'historique des rapports entre le Canada et les autres pays sur la question de savoir s'ils ont adopté une démarche commune vis-à-vis du Japon. Si c'est le cas, comme je l'ai déjà dit, cela n'a pas pu être en raison de l'existence d'une quelconque responsabilité juridique. À notre avis, le traité de 1952 règle la question de la responsabilité juridique. Il aurait donc fallu que ce soit pour d'autres motifs.
M. John English: J'aimerais creuser la question un peu plus. M. Morrison mentionnait que des criminels de guerre allemands ou d'autres pays d'Europe de l'Est sont actuellement recherchés et font l'objet de poursuites devant les tribunaux canadiens. Dans le cas du Japon, cela est arrivé beaucoup moins souvent en ce qui concerne la Chine et la Corée, jusqu'à tout récemment. Le gouvernement du Canada ne voit-il pas qu'il est beaucoup plus énergique quand vient le temps de poursuivre les criminels de guerre européens? A-t-on songé à en faire autant avec le Japon et à exhorter le gouvernement de ce pays à assumer les responsabilités des actes commis par ses soldats sur le théâtre du Pacifique pendant la guerre?
M. Laurin: Je crois que le traité lui-même représente une reconnaissance par le Japon de son rôle pendant la Deuxième Guerre mondiale. Toutefois, si vous me demandez si le gouvernement du Canada a une position sur d'éventuels criminels de guerre japonais, je ne pense pas être en mesure de répondre. C'est une question qu'il vaudrait mieux poser au ministre de la Justice ou au solliciteur général qui s'occupe des poursuites au Canada.
M. Mann: Il n'y a pas de poursuites contre des criminels de guerre japonais à l'heure actuelle, à ma connaissance, monsieur English, mais je pourrais me tromper.
M. John English: Merci beaucoup.
[Français]
Le président: Monsieur Paré.
M. Philippe Paré (Louis-Hébert, BQ): Ma question va s'adresser aussi à M. Laurin et elle va graviter, bien sûr, autour du fameux traité parapluie de 1952, qui semble avoir réglé tous les problèmes que le Japon aurait pu avoir avec des anciens combattants, de quelque pays qu'ils fussent.
Lorsque M. Laurin a fait sa présentation, il nous a dit que le traité de paix de 1952 réglait toute réclamation et il a ajouté que c'était le paragraphe 14b) qui stipulait cela. Je ne nie pas que le traité ait été signé et qu'il soit valable.
Cependant, nous sommes en droit de nous demander si c'était un bon traité. La preuve que ce n'était pas un bon traité et qu'il ne réglait pas toutes les réclamations, c'est que le gouvernement canadien est intervenu à trois reprises par des lois, en 1971, en 1976 et en 1988, pour pallier à des injustices que les anciens combattants canadiens avaient vécues au Japon. Donc, ce n'est pas vrai que le traité de 1952 règle toutes les réclamations.
Il faut conclure que, parce que ce traité était un mauvais traité, ce sont les contribuables canadiens qui ont dû assumer le coût des indemnisations qu'on a décidé, en 1971, 1976 et 1988, de verser aux victimes du Japon au cours de la dernière guerre.
M. Laurin a beaucoup insisté. Il nous dit toujours que c'est un traité de paix, mais un traité de paix qui portait sur des réclamations.
Il nous a dit, en parlant des femmes de Corée, que la même situation ne pouvait s'appliquer parce que le traité entre le Japon et la Corée n'était pas un traité de paix, alors que celui entre le Japon et la Canada en était un. En quoi était-il si différent puisque, de toute façon, ils portaient tous les deux sur des réclamations?
Ma dernière question a trait à la convention de 1929. M. Laurin a répondu à la question deM. Graham en disant que la convention de 1929 ne portait pas sur les travaux forcés, mais sur le travail des prisonniers de guerre. Dire les choses de cette façon n'est-il pas un peu offensant? N'est-ce pas jouer sur les mots?
Le président: Pour comprendre et expliciter les mots, on pourrait peut-être jouer...
Monsieur Laurin.
M. Laurin: Je voudrais apporter une précision. Le traité de paix de 1952 n'a pas réglé toutes les réclamations; il a réglé la question des réclamations contre le Japon. C'est un point important. Le gouvernement du Canada a donc voulu adopter, comme nous l'a expliqué M. Wallace, une loi là-dessus. Le traité a mis fin à nos réclamations contre le Japon.
Pour ce qui est du traité entre la Corée et le Japon, je ne voudrais pas devoir vous l'expliquer. Je vous ai tout simplement lu le libellé de ce traité pour que vous puissiez voir que le traité avait un aspect plutôt économique et était moins un traité de paix global, comme l'avait été celui de 1952.
M. Philippe Paré: Quelle est la différence entre travaux forcés et travail de prisonniers?
M. Laurin: C'est peut-être une question de définition. Quand on parle d'esclavage, il s'agit certainement de travaux forcés, mais ce n'est pas... Je voulais tout simplement préciser que le traité lui-même ne traitait pas de la question de l'esclavage, car il aurait été un peu choquant que le Canada signe un traité réglementant la question de l'esclavage. C'est le seul point sur lequel je m'appuyais.
M. Philippe Paré: S'il me reste un petit peu de temps, je le céderai à mon collègue,M. Sauvageau.
M. Benoît Sauvageau (Terrebonne, BQ): Monsieur Laurin, vous avez répondu très rapidement à une intervention de M. Bergeron concernant les pays signataires du traité de paix de 1952 qui pourraient se faire rembourser de façon symbolique des sommes d'argent, parce que des femmes de ces pays auraient pu être forcées d'être femmes de compagnie ou de se prostituer. Serait-il possible que des pays signataires du traité de paix réclament des montants d'argent en raison du fait qu'on a utilisé des femmes comme prostituées au sein de ces pays?
M. Laurin: Je ne suis pas vraiment en mesure de vous dire ce que pourrait être la situation de tous les pays qui ont été signataires du traité de paix de 1952. Je peux simplement vous faire part de la position du gouvernement du Canada vis-à-vis de sa capacité de faire des réclamations contre le Japon. Je vous ai expliqué que cette position était que nous ne le pouvions pas. Je ne suis pas en mesure de vous parler de la situation de tous les pays signataires du traité de paix de 1952.
M. Benoît Sauvageau: Si vous prenez comme prémisse qu'en raison du traité de paix de 1952, le Canada n'a plus aucun droit à l'égard du Japon, puis-je vous demander si vous avez fait de la recherche en vue de faire des réclamations en vertu du traité de paix de 1952 ou si vous vous êtes tout simplement retranchés derrière ce traité de paix pour dire que vous ne pouviez faire quoi que ce soit? Qu'ont fait les services du contentieux du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, du ministère des Anciens combattants ou d'autres ministères? Vous n'arrêtez pas de dire aux libéraux, aux réformistes et à nous-mêmes que vous ne pouvez rien faire. À quoi peut-on s'attendre de vous?
M. Laurin: Je regrette, mais je n'ai pas compris votre question.
Le président: Si j'ai bien compris la question, avez-vous fait de la recherche juridique pour appuyer l'opinion que vous nous avez donnée ce matin et la lettre que le ministre de la Justice a écrite aux anciens combattants à ce sujet? Je suppose que le ministère a fait de la recherche juridique avant d'émettre une opinion juridique.
M. Laurin: Oui, monsieur le président, absolument. L'opinion que j'ai donnée ce matin en est une que les gouvernements successifs du Canada émettent depuis très longtemps sur la base de recherches juridiques sur l'interprétation et les effets du traité de 1952.
Le président: Merci.
Monsieur Dupuy.
M. Michel Dupuy (Laval-Ouest, Lib.): Il y a un sujet important qui a été soulevé parM. Mills, et c'est la liquidation des avoirs japonais. Ma question s'adresse à M. Laurin. Le traité de 1952 prévoyait-il que la liquidation des avoirs japonais au Canada constituait la totalité des réparations que le Japon devait payer au Canada pour régler ses dettes de guerre?
M. Laurin: C'est la totalité du traité qui sert à mettre fin aux réclamations que le gouvernement du Canada et les nationaux canadiens pouvaient faire contre le Japon. Je ne saurais vous dire si seul cet article prétendait mettre fin à toute réclamation, mais la totalité du traité avait cet effet.
M. Michel Dupuy: Les dispositions concernant la liquidation des avoirs japonais se trouvent-elles dans ce traité de 1952?
M. Laurin: Oui. Cela se trouve, si je ne me trompe pas, à l'article 16 du traité, où on dit que le Japon est d'accord que les Alliés aient accès aux biens japonais dans leur pays et qu'ils peuvent servir à indemniser les anciens combattants qui ont été prisonniers du Japon.
M. Michel Dupuy: M. Paré disait que des indemnisations avaient été payées par le contribuable canadien. Ce n'est pas tout à fait exact, étant donné que ces indemnisations ont pu être financées à partir de la liquidation des avoirs japonais.
M. Laurin: Oui, cela a été le premier pas dans cette direction.
M. Michel Dupuy: Il me semble qu'il nous manque un élément important dans notre puzzle: comment cette liquidation s'est-elle faite, quel était son volume et comment la distribution de cette liquidation s'est-elle faite? A-t-elle été tout simplement versée au Trésor canadien ou si elle a été répartie entre les ayants droit?
Visiblement, nos témoins d'aujourd'hui ne peuvent répondre à ces questions, mais je crois que, pour avoir une vue d'ensemble, il est important de savoir comment on a disposé de ces sommes et si elles équivalaient aux besoins des ayants droit.
Le président: Personnellement, je n'en ai aucune idée. Personne ici ne peut répondre à cette question?
Y aurait-il quelqu'un du ministère des Affaires extérieures qui...
M. Laurin: Je ne sais pas quel ministère aurait été responsable de cela après le traité de 1952. Cela aurait été une question intérieure, je crois, et non une question de relations internationales.
M. Stéphane Bergeron: Pourrait-on avoir ces renseignements?
Le président: Je sais que vous répondez toujours à nos questions en tant qu'avocat. Évidemment, vous êtes juriste et vous pouvez donc répondre à des questions juridiques. Cependant, nous avons ici une question qui est aussi bien morale que juridique. Je crois que l'intervention deM. Dupuy portait sur la question de savoir si les avoirs japonais au Canada représentaient à l'époque une fortune folle qu'on n'a pas distribuée aux gens qui auraient dû la recevoir. Cela aura un impact sur nous dans le domaine politique. Je ne vous demande pas des réponses à des questions politiques.
Vous êtes là en tant que juriste, mais si quelqu'un pouvait nous dire au moins quelle était la situation à l'époque, cela nous aiderait à en arriver à notre conclusion politique, mais non juridique, si je comprends bien la portée de votre question, monsieur Dupuy.
M. Michel Dupuy: Très justement. Vous m'avez bien compris.
[Traduction]
Le président: Peut-être le ministère des Anciens combattants pourrait-il...
M. Wallace: Il y a deux aspects à vos questions, je crois. Il y a d'abord le traité et puis l'indemnisation au Canada. Il est important de signaler que le Canada est la seule puissance parmi les alliés à avoir adopté une législation concernant l'indemnisation des anciens prisonniers de guerre. Et je le répète, la Loi sur les pensions de 1971 a été modifiée pour que soit accordée une pension d'invalidité minimum de 50 p. 100 à chaque ancien prisonnier du Japon souffrant d'une invalidité évaluée. En 1976, cette pension minimum de 50 p. 100 a été remplacée par un paiement équivalent en vertu de la Loi d'indemnisation des anciens prisonniers de guerre. C'est ce qui a été fait ici, et c'est unique en son genre, parce que le Canada estimait qu'il était très important d'indemniser les anciens combattants qui avaient souffert de privations. Il y a deux questions ici, je crois, mais le Canada, lui, a fait quelque chose d'unique parmi les puissances alliées.
[Français]
Le président: Monsieur Bergeron.
M. Stéphane Bergeron: Je pense que la question qui vient d'être posée par M. Dupuy est tout à fait fondamentale. Il faut absolument que le gouvernement canadien trouve le moyen de nous fournir ces réponses parce que, comme le soulignait M. le président, bien au-delà des questions juridiques, nous avons affaire à une foule de questions morales et politiques auxquelles on doit porter autant d'attention qu'à la question juridique.
Au point de vue juridique, je n'ai qu'une seule question. Je vais suivre en cela la ligne qui a été tracée par mon collègue John English. Est-ce dire que le traité de 1952 absout le Japon pour tous les crimes contre l'humanité qui auraient pu avoir été commis par ses citoyens ou par ses soldats durant la Deuxième Guerre mondiale à l'encontre des pays alliés signataires du traité de 1952?
M. Laurin: Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question, je regrette.
M. Stéphane Bergeron: Si on considère que les exactions dont ont été victimes les prisonniers canadiens à Hong-Kong constituent des crimes contre l'humanité, alors là l'argument est valable. Si vous n'êtes pas en mesure de dire que le traité de 1952 a réglé la question, on peut présumer, si on considère qu'il s'agit là de crimes contre l'humanité, qu'on peut présenter une réclamation au gouvernement japonais.
M. Laurin: Je ne suis pas en mesure de vous donner un avis juridique sur la capacité d'un pays ou des citoyens d'un pays de présenter une réclamation contre un tiers pays en se basant sur des allégations de crimes contre l'humanité. Je n'ai aucune position. Je suis ici pour présenter la position du gouvernement du Canada et je ne connais aucunement la position du Canada sur ce point, si position il y a.
[Traduction]
Le président: Monsieur Morrison.
M. Lee Morrison: J'ai encore des interrogations à propos de ces actifs éphémères et de quoi ils étaient constitués. Le traité ne mentionnait-il que les biens du gouvernement japonais ou aussi ceux des ressortissants de ce pays. Si cela incluait les biens des ressortissants japonais, tout cela a été confisqué en 1942, dix ans avant le traité, et il ne devait plus rester grand-chose. Sur quoi donc, diable, s'est-on entendu?
Le président: J'aimerais ajouter quelque chose à la question de M. Morrison.
Vous vous souviendrez qu'en vertu de la loi... je ne me souviens plus du titre. Ce n'est pas la Loi sur les mesures de guerre; mon allusion est mal choisie. Quoi qu'il en soit, il y avait une loi à l'époque qui a permis la confiscation des biens des ressortissants de pays ennemis. À notre connaissance, tous les biens japonais au Canada ont été confisqués, même chose pour les biens allemands. L'affaire Barcelona Traction était reliée à la même question.
Ce que l'on essaye de déterminer ici, c'est le volume des biens japonais confisqués en vertu de cette loi et ce que l'on en a fait, ce qui rejoint la question de M. Dupuy.
M. Lee Morrison: De quoi s'agissait-il? De quels biens parle-t-on?
Le président: Si quelqu'un connaît la réponse, dites-le nous. Dans le cas contraire, dites-le nous également, pour que nous décidions si nous voulons approfondir ou non la question.
Peut-être faudra-t-il communiquer avec un historien ou un archiviste. Le ministère pourrait-il nous renseigner là-dessus? Le savez-vous, monsieur Laurin? Est-ce une question raisonnable de notre part?
M. Laurin: Monsieur le président, ce que je pourrais essayer de faire, d'abord, c'est de voir de quel ministère cette question relève. Comme je l'ai dit, j'imagine que c'est une question de nature nationale, la vente des biens et la répartition de son produit aux anciens combattants du Canada. J'essayerai de voir de qui cela relève et de communiquer le fruit de mes recherches au comité.
Le président: Merci.
[Français]
M. Stéphane Bergeron: Est-il possible de demander également à nos témoins de nous faire parvenir un avis juridique sur la question que j'ai posée en ce qui a trait aux crimes contre l'humanité?
Je crois comprendre, par l'hésitation de M. Laurin à répondre, qu'il pourrait y avoir des crimes commis par le Japon qui vont bien au-delà de ce que règle le traité de 1952. Il serait important d'avoir une réponse du ministère sur son interprétation juridique de la question que j'ai posée, de telle sorte qu'on puisse savoir comment s'orienter.
Le président: La question précise est: Si des crimes contre l'humanité ont été commis par les Japonais lorsqu'ils ont imposé des travaux forcés à nos combattants de guerre, cela ne donnerait-il pas une base pour fonder une action contre le Japon, à part des obligations du traité de 1952?
Ce n'est pas seulement toute la question des crimes contre l'humanité, parce que cela pourrait peut-être avoir une conséquence criminelle. Si c'est une question d'indemnisation, c'est plutôt du côté civil. Pourriez-vous nous fournir une opinion sur cela?
M. Stéphane Bergeron: Je pense que l'indemnisation est la conséquence. CommeM. Morrison l'a souligné également, ce que recherchent les anciens combattants, c'est la reconnaissance qu'un crime a été commis à leur endroit. Cette reconnaissance donnera droit éventuellement à des indemnisations. D'abord et avant tout, il faut qu'il y ait reconnaissance des mauvais traitements infligés, qui vont bien au-delà des tortures ou d'autres trucs semblables. On parle ici d'esclavage.
Le président: Vous avez bien compris la question, monsieur Laurin?
M. Laurin: Si j'ai bien compris votre question, vous demandez un avis juridique indiquant si oui ou non il y a eu des crimes commis contre l'humanité par le Japon et si cela dépasserait le traité de 1952 et permettrait d'intenter un procès, une action contre le Japon aujourd'hui.
Je vous demande un conseil, monsieur le président. On m'a expliqué les règles du jeu ce matin. On m'a dit qu'il ne nous était pas permis de donner un avis juridique au comité puisqu'il y aurait alors un conflit d'intérêts. Si je me trompe, je veux bien que vous m'expliquiez la situation. On m'avait expliqué que cet aspect des conflits d'intérêt empêchait le ministère ou m'empêchait, en tant que représentant du ministère, de préparer un avis juridique aux fins du comité.
Le président: Vous aimeriez consulter votre conseiller juridique pour savoir si vous avez le droit de répondre à une question juridique?
M. Laurin: Je l'apprécierais énormément, monsieur le président.
Le président: En tout cas, en tant que président, il m'est tout à fait possible d'écrire au ministre pour lui demander un avis juridique. Comme le ministre de la Justice a fourni un avis juridique aux anciens combattants, on pourrait peut-être se servir de ce moyen-là. En tout cas, on va essayer de trouver une solution à cela.
[Traduction]
Parce que nous sommes à court de temps, je pense qu'il faudrait discuter d'un point soulevé par M. Chadderton pendant que M. Wallace est ici. Lorsqu'il a comparu ici, M. Chadderton a déclaré que M. Nicholson, le sous-ministre, lui avait laissé l'impression qu'il appuyait entièrement beaucoup d'éléments de cette revendication et qu'il ne lui déplaisait pas que M. Chadderton le répète. Cela se trouve à la page 52:12 du compte rendu de l'autre audience. Pourriez-vous nous dire, du point de vue du ministère, à quoi M. Chadderton faisait allusion en ce qui concerne la position du ministère ou de M. Nicholson?
M. Wallace: Monsieur le président, vous déduirez de la teneur générale de mon témoignage qu'il a été très difficile pour les anciens combattants au cours des 50 dernières années d'obtenir les prestations qu'ils méritent tant. Toutefois, il ne nous est pas possible de nous prononcer sur les vues de M. Chadderton dans un sens ou dans l'autre. Nous comprenons la situation des anciens combattants et nous savons qu'ils luttent pour défendre des convictions qu'ils estiment fondées.
Le président: Merci.
M. Bob Speller (Haldimand - Norfolk, Lib.): J'ai une brève question. J'examine le graphique qui, j'imagine, nous a été remis ce matin. Quel pourcentage des indemnités touchées par les anciens combattants est attribuable au fait qu'ils ont été prisonniers de guerre? Touchent-ils davantage en raison du fait qu'ils ont été prisonniers de guerre à Hong Kong ou au Japon que ce ne serait le cas, mettons, pour un prisonnier de guerre en Allemagne?
M. Raymond Roy (chargé de projet principal, ministère des Anciens combattants): En vertu de la loi adoptée en 1976, quiconque a été prisonnier de guerre des Japonais reçoit d'office50 p. 100 parce qu'il a été prisonnier de guerre pendant plus d'un an. De fait, jusqu'à quatre ans. Les 50 p. 100 ont donc été accordés à tous ceux qui répondaient à ce critère.
M. Bob Speller: N'avons-nous pas reconnu du tout, dans ce cas... On ne les dédommage pas du fait qu'ils ont fait du travail forcé? Est-ce qu'ils reçoivent une indemnisation pour ça?
M. Wallace: Cela revient à ce que l'on disait tout à l'heure. La loi est de nature générale. Elle dit qu'une indemnité est versée en raison du temps passé comme prisonnier de guerre, soit en captivité, soit passé à essayer de s'échapper.
M. Bob Speller: N'avons-nous pas cette obligation morale ici? Moi, je pense que oui.
M. Wallace: C'est une question à laquelle je ne peux pas répondre.
Le président: Monsieur Wallace, s'agissant de moralité en politique, je crois pouvoir dire que votre réponse franche à ma question à propos de l'avis de M. Nicholson... Disons seulement que le ministère reconnaît que les anciens combattants de Hong Kong, à cause du travail forcé dont ils font état dans leurs revendications, distinctes des demandes pour blessures de guerre... parce que tous les soldats ont subi des blessures et l'État essaie de les dédommager comme il se doit. Ce n'est jamais suffisant, comme vous l'avez dit. Ce ne sera jamais suffisant. L'on essaie quand même de trouver une forme de dédommagement financier. Mais nous abordons ici une question de moralité politique, qui reconnaît que...
Vous avez vu les vidéos qui montraient qu'ils ont été exploités à des fins lucratives pendant la guerre. On peut dire, je crois, d'après votre réponse, que le ministère reconnaît cette dimension particulière de leurs revendications. Quant à ce que devrait être le dédommagement, je ne vais pas insister, mais la nature de la revendication, vous la reconnaissez, est-ce que je me trompe?
M. Wallace: Nous reconnaissons les privations qui sont les leurs. Nous avons traité en particulier des anciens combattants de Hong Kong, sachant bien les privations particulières dont ils ont souffert aux mains des Japonais. Comme je l'ai dit, il existe une loi pour les indemniser, mais elle est de nature générale. La nature de la discussion d'aujourd'hui déborde peut-être notre sphère et constitue une question distincte.
Le président: Je comprends. Nous comprenons.
Je tiens à remercier les témoins qui ont comparu ce matin. Vous avez été d'une grande utilité.
Chers collègues, nous nous retrouvons dans une situation où il serait difficile pour nous de traiter de cette question particulière ce matin, vu les questions qui restent sans réponse.
En particulier, je ne sais trop que penser de la question juridique soulevée avec tant de brio par M. Bergeron, qui montre qu'il a de plus en plus l'étoffe, si vous me passez l'expression, des gens de robe. Nous ne pouvons nous prononcer là-dessus, je crois, parce que nous ne sommes pas des juges. On semble nous demander de nous prononcer sur deux interprétations contradictoires du traité de 1952.
Monsieur Laurin, vous avez été très clair lorsque vous avez dit que les parties comprenaient ce qui s'était produit et qu'en signant le traité, le Canada disait qu'il voulait mettre fin à la guerre. Comme vous l'avez dit, c'est à cela que servent les traités, à mettre fin à certaines situations. Le Canada voulait mettre un point final à cette affaire et que le Japon réintègre la communauté internationale. Pour cela, le Canada a déclaré qu'il fallait tourner la page. Vous nous avez dit que le Canada a signé le traité en toute connaissance de cause et qu'il ne peut donc pas dire que ce problème n'était pas connu.
Toutefois, les questions de M. English et de M. Bergeron, ainsi que les témoignages entendus montrent bien qu'en droit international public, certains actes du Japon allaient au-delà de ce dont il aurait normalement dû être exonéré et que même si le gouvernement du Canada voulait l'en exonérer dans le traité de 1952, il n'en avait pas le droit d'après ce qu'affirme l'avocat des anciens combattants.
Nous sommes donc maintenant aux prises avec deux avis juridiques divergents. Nous ne sommes pas un tribunal. Il faudra décider ce que nous allons faire. Peut-être devrions-nous faire un renvoi à un tribunal. Je ne sais pas. Il faudra en discuter en comité.
Il y a aussi la question soulevée par M. Dupuy à propos des biens japonais confisqués aux termes de la loi concernant les biens des sujets ennemis.
Troisièmement, il y a la question morale soulevée par MM. Speller, Mills et Morrison.
Ce sont les trois grandes questions. Je ne pense pas que nous puissions adopter une motion tant que nous n'aurons pas entendu d'autres avis. Il faudra aussi régler la question de l'avis juridique soulevée par M. Bergeron.
Je comprends votre position, monsieur Laurin, mais je pense que le comité me donnera pour instruction de demander au ministre un avis du ministère. Si nous ne l'obtenons pas, il nous faudra nous adresser au conseiller juridique du Parlement pour faire le point sur notre situation parce qu'il nous semble que si le comité demande à des fonctionnaires de nous donner un avis juridique et qu'ils refusent de le faire, nous ne sommes plus en mesure de nous acquitter de nos fonctions de parlementaires. Nous devons obtenir cette opinion. Si nécessaire, nous retiendrons les services d'un avocat pour l'obtenir.
Avez-vous une autre question, monsieur Speller?
M. Bob Speller: Peut-on finir de discuter des autres questions lors de la prochaine séance?
Le président: Oui. Il le faudra, parce qu'il est maintenant 11 heures précises et qu'il faut quitter la salle.
Je vous remercie beaucoup d'être venus. Nous vous sommes reconnaissants de votre aide.
La séance est levée et nous allons nous rendre dans la salle voisine.