[Enregistrement électronique]
Le jeudi 9 mai 1996
[Traduction]
Le président: La séance est ouverte.
M. Speaker (Lethbridge): Monsieur le président, je voudrais invoquer le Règlement. Je veux vous parler de la liste des témoins et de la façon dont elle est établie. Je remercie M. McWhinney d'être ici ce matin et je lui suis reconnaissant du temps qu'il veut bien nous consacrer - j'ai beaucoup de respect pour lui - et si je fais ce rappel au Règlement, c'est en sachant que j'ai été absent quelques jours la semaine dernière. Toutefois, les listes des témoins sont-elles préparées par un comité directeur représentant tous les partis et ce comité directeur a-t-il soumis au comité plénier sa recommandation quant aux témoins à entendre et à l'ordre dans lequel ceux-ci seront entendus?
Le président: Quelqu'un veut-il dire quelque chose à ce sujet, avant que je ne réponde?
Nous avons en effet discuté de la possibilité de recevoir un certain nombre de témoins et tous les députés ont été invités à soumettre leurs suggestions. Sachez que vous avez entre les mains la seule liste que j'ai reçue, liste qui m'a été communiquée par les membres de... Je crois que c'était la note de M. Frazer qui m'était adressée. C'est la seule liste que j'ai reçue.
M. Speaker: Monsieur le président, pourriez-vous ainsi me préciser pourquoi on a choisiM. McWhinney comme premier témoin? Avez-vous fait cela tout seul, monsieur le président, ou allons-nous pouvoir ensemble établir l'ordre dans lequel nous entendrons les témoins? Et tous les partis politiques sont-ils représentés au sein de ce comité directeur...
Le président: Non.
M. Speaker: ...par exemple un représentant du Bloc, c'est certain, un représentant du Parti réformiste et un représentant du Parti libéral, en plus de vous comme président, pour décider de l'ordre dans lequel seront entendus les témoins et pour soumettre une recommandation à l'ensemble du comité? Est-ce la façon dont...
Le président: Non, ce n'est pas la façon dont nous avons procédé. Cela aurait pu l'être, mais pour répondre à votre première question, tous les partis, le vôtre y compris, ont convenu queM. McWhinney serait invité à comparaître. Je ne sais plus exactement quand cela a été décidé, je peux le demander à la greffière, mais c'était il y a plusieurs semaines.
Jack, vous étiez à cette réunion et vous voudrez peut-être faire part de l'information àM. Speaker.
La comparution de M. McWhinney a été décidée par tous les partis. Cela avait été proposé au début par les députés du Bloc, si je ne m'abuse. En fait, je crois que c'est M. Ringma qui avait accepté. J'oublie qui exactement. C'est au moment où nous avions décidé des règles que je devrais suivre en tant que président.
L'autre chose sur laquelle nous nous étions mis d'accord, c'est d'entendre M. Maingot et c'est la raison pour laquelle il est ici pour le moment.
J'avais donc proposé à la dernière réunion que le prochain témoin, après M. Jacob, soitM. McWhinney, puis M. Maingot. C'est tout ce sur quoi nous étions parvenus à un consensus. Pour le reste, nous ne sommes toujours pas d'accord. Votre président est à votre disposition.
M. Speaker: Monsieur le président, pouvez-vous accepter que je propose que l'on constitue un comité directeur qui fera une recommandation sur les prochains témoins et sur l'ordre dans lequel ceux-ci devraient être entendus? Ce comité soumettra cette recommandation à l'ensemble du comité et nous pourrons ainsi dire que c'est tout le comité qui a approuvé cette liste. Si vous acceptez que je propose une telle motion, je suis prêt à le faire, monsieur le président.
Le président: Avez-vous quelque chose à dire sur le rappel au Règlement?
Je crois qu'il est toujours question de cela.
M. Milliken (Kingston et les Îles): Oui, monsieur le président.
D'après ce que je comprends, nous avons, comme vous l'avez indiqué, monsieur le président, accepté d'entendre deux autres témoins et c'est ce que nous devrions faire. Je suggère qu'après avoir entendu ces deux témoins et après les avoir interrogés, nous convoquions une réunion pour discuter de ce que nous ferons ensuite.
Le fait est que les députés du Bloc ont refusé de participer à une réunion du comité directeur - d'après ce que l'on m'a dit. Ils ne veulent pas que ces questions concernant les témoins soient décidées en comité directeur. C'est ce que l'on nous a dit lors d'une autre réunion. Peut-être que c'était un coup de tête de M. Bellehumeur à l'époque, mais je crois qu'il était sérieux lorsqu'il a dit cela.
Très franchement, je ne vois pas d'inconvénient à prendre ce genre de décision en comité plénier. Je serais tout à fait d'accord pour discuter en comité plénier des témoins que nous pourrions entendre ultérieurement et de ce qu'ils pourraient éventuellement nous apporter. Nous pourrions aussi avoir du même coup l'occasion de parler des témoignages que nous avons déjà entendus car, très franchement, je crois que nous nous sommes tous très bien comportés dans les questions que nous avons posées aux témoins. Personne n'a abusé de la situation pour faire de grands discours. Je crois que nous en sommes arrivés au point où il pourrait être utile de donner notre avis sur la question et de décider des témoins que nous voudrons éventuellement entendre après.
Si nous en finissons aujourd'hui avec ces deux témoins - je ne sais pas si c'est ce qui est prévu - nous pourrions passer à cela mardi prochain ou jeudi et discuter de la suite de nos travaux en comité publique.
J'espère donc que M. Speaker se gardera de présenter sa motion car je ne pense pas que nous pourrons compter sur la collaboration de tous dans un tel contexte. Franchement, je préférerais que cette discussion sur les témoins à entendre éventuellement se fasse ici en public. Nous aurons tous quelque chose à dire à ce sujet, pas seulement certains d'entre nous.
Le président: Je suis prêt à ordonner que nous entendions le professeur McWhinney puisM. Maingot, comme le propose M. Milliken, mais je préférerais que M. Speaker soit d'accord.
M. Speaker: Oui, je suis d'accord.
D'une part, je voulais que l'on me précise ce que l'on avait fait, et j'ai maintenant compris. J'accepte que nous entendions ces deux témoins dans cet ordre.
Deuxièmement, monsieur le président, après avoir entendu les commentaires qui ont été faits, je vous serais reconnaissant d'établir à la fin de cette réunion, si possible, et sinon, dès que possible, la méthode par laquelle nous déciderons des témoins que nous entendrons par la suite.
Le président: Monsieur Boudria, vouliez-vous ajouter quelque chose?
M. Boudria (Glengarry - Prescott - Russell): Oui. Étant donné que nous n'avions pas eu préavis de cela, j'ai déjà inscrit autre chose dans mon emploi du temps pour aujourd'hui. J'ai une obligation à 12 h 15 et certains de nos collègues en ont déjà à midi si bien qu'il ne serait pas possible de tenir aujourd'hui ce genre de réunion d'organisation.
Peut-être qu'à la fin de la prochaine réunion, lorsque nous aurons épuisé la liste de témoins déjà arrêtée, et je crois que c'est M. Maingot le dernier que nous devions entendre, nous pourrons prendre les décisions qui nous semblent nécessaires.
Le président: Je croyais que c'était ce que je venais de vous dire...
M. Boudria: Alors, procédons ainsi.
Le président: ...mardi, à savoir que nous entendrions M. McWhinney puis M. Maingot, siM. McWhinney était libre. Il a eu l'amabilité de déplacer certains rendez-vous et il est donc ici aujourd'hui. Je me suis assuré auprès de M. Maingot qu'il serait libre mardi. Si vous êtes donc tous d'accord, nous déciderons des témoins que nous voudrons éventuellement entendre par la suite après avoir entendu M. Maingot mardi.
Tout le monde est-il d'accord? Monsieur Speaker, votre parti est-il d'accord?
M. Speaker: Oui, monsieur.
Le président: D'accord.
À la fin de notre réunion mardi, M. Frazer a fait un rappel au Règlement sur le fait que le juge-avocat général avait mené une enquête sur le communiqué de M. Jacob et avait apparemment présenté un rapport. M. Frazer a demandé que le comité demande que ce rapport lui soit communiqué et j'ai dit alors que je prendrais l'affaire en délibéré.
Depuis, j'en ai parlé directement à M. Collenette, ministre de la Défense nationale. Comme les députés le savent certainement, le juge-avocat général est également le premier conseiller juridique du ministre. M. Collenette me dit que le rapport dont parle M. Frazer est en fait un avis juridique fourni au ministre et au gouvernement.
Comme je l'ai dit à la fin de la dernière réunion, Beauchesne indique très clairement au paragraphe 446.(2) que «Les avis juridiques fournis pour l'usage du gouvernement» sont soustraits à la règle de production. Aussi, en tant que président, je dois vous dire que le comité ne peut demander ou ordonner la production du document et qu'une motion à cet effet serait irrecevable.
M. Frazer: Je voudrais vous poser une question. Je crois que la règle stipule que le document ne peut être exigé, mais elle ne dit pas qu'il ne peut être remis au comité, par exemple, avec l'approbation du ministre. Dois-je comprendre de ce que vous avez dit que le ministre a refusé de mettre ce document à notre disposition?
Le président: Je ne parlerais pas de refus. Je dis simplement qu'il se conforme à l'une des règles de Beauchesne voulant que les avis juridiques... Je ne vais pas répéter. J'ai demandé le rapport du juge-avocat général et l'on m'a dit qu'il s'agissait d'un avis juridique qui ne pouvait nous être communiqué, puisqu'il s'agit justement d'un avis juridique.
M. Frazer: Merci, monsieur le président.
Le président: Merci.
Comme vous le savez, notre témoin ce matin est M. McWhinney. Bienvenue, monsieur McWhinney. Chacun sait que M. McWhinney est un éminent universitaire. C'est un expert de grande réputation en matière de constitution qui a été professeur et professeur invité dans plusieurs grands centres et universités. Il a été conseiller et expert-conseil auprès des gouvernements du Canada, de l'Ontario, du Québec et de la Colombie-Britannique et auprès des nations cries, ainsi qu'auprès du Secrétaire général des Nations Unies et d'un certain nombre de gouvernements étrangers. Il était membre de la Cour permanente d'arbitrage à La Haye entre 1985 et 1991. Il est l'auteur de 25 ouvrages et coauteur de 13 autres.
Monsieur McWhinney, certains d'entre nous se demandent peut-être ce que vous faites au Parlement aujourd'hui, mais je tiens à vous souhaiter la bienvenue ce matin. Je crois que vous avez une courte déclaration liminaire à nous faire.
M. Ted McWhinney, député (Vancouver Quadra): Merci, monsieur le président, je suis content de retrouver certains de mes collègues. J'ai eu le plaisir de servir au sein de ce comité lorsque le président éponyme était notre ami d'en face. Je suis heureux d'être de retour.
J'ai préparé une déclaration assez courte en anglais et en français. Celle-ci a été remise à la greffière. Malheureusement, nous avons négligé de la faire photocopier mais j'ai demandé à ma secrétaire de corriger cette erreur. Je suppose donc qu'avant que nous ayons terminé ce matin, nous aurons d'autres copies en français et en anglais.
Je comparais - du moins je l'espère - en qualité de spécialiste plutôt qu'à titre de député. C'est la raison pour laquelle j'ai relu les opinions que j'ai données à d'autres périodes de ma vie quand je n'étais pas député. J'ai été notamment conseiller auprès du Comité sénatorial des États-Unis sur les activités de campagne, sur le Comité Ervin.
Comme vous le savez, les États-Unis ont emprunté pour l'inclure dans leur constitution la pratique constitutionnelle anglaise de l'impeachment qui remonte au XVIIe siècle. Cela a été mis dans la Constitution américaine à la fin du XVIIIe siècle. C'est une procédure très complexe et ils sont peut-être plus au courant que quiconque de l'évolution de ces règles anglaises s'ils doivent les appliquer dans un contexte moderne.
Également à titre d'expert, j'ai toutefois conseillé des assemblées législatives qui examinaient la question de l'expulsion de leurs membres pour inconduite présumée ou en cas de condamnation pour actes criminels. Une opinion récente que j'ai donnée à ce sujet a été publiée dans la Revue parlementaire canadienne.
J'ai ici cette déclaration qui est essentiellement un résumé des positions que j'ai présentées il y a une vingtaine et une dizaine d'années et j'espère que cela pourra vous aider. Étant donné que je crois que vous avez maintenant reçu ce document, je ne vous ferai pas honte en vous le relisant. Nous lisons beaucoup. Je me contenterai de vous résumer tout cela.
On dit souvent du Parlement - et c'est notre Parlement - qu'il est une haute cour du Parlement. C'était à l'origine le Parlement britannique. À l'origine, il fusionnait des pouvoirs du gouvernement, la Curia Regis - ses racines remontent en fait avant la conquête normande, aux Witans anglo-saxons... Les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire étaient tous assumés par le Parlement et le celui-ci exerçait donc des pouvoirs judiciaires. Mais depuis les grandes batailles constitutionnelles du XVIIe siècle en Grande-Bretagne, au sujet de ces pouvoirs judiciaires du Parlement, ces pouvoirs ont en fait été atrophiés, avec le consentement et l'accord du Parlement lui-même, au point que les pouvoirs du Parlement en matière de droit criminel, droit criminel défini au sens le plus large, ont été essentiellement abandonnés depuis le début du XIXe siècle. La tendance, ici, soutenue par un autre principe, l'égalité devant la loi, est que le Parlement britannique et les parlements modelés sur lui considèrent que les questions concernant la conduite de leurs membres, la façon dont ils se conforment aux lois du pays, doivent être laissées aux tribunaux ordinaires et ne pas être traitées par le Parlement lui-même.
C'est essentiellement ce que j'ai déclaré au Congrès des États-Unis à propos de l'interprétation de ses propres pouvoirs - et rappelez-vous que ses pouvoirs ont survécu - , à savoir qu'il devait faire une distinction entre les actions politiques d'un Parlement contre ses membres et des actions relevant du droit criminel. Au XVIIe siècle, en Angleterre, il ne fait aucun doute que les ministres étaient jugés par le Parlement pour toute infraction politique, tout jugement politique, et qu'ils pouvaient être condamnés par le Parlement. J'estime que c'était une tendance malheureuse même au XVIIe siècle, mais c'était constitutionnellement nécessaire. J'ai dit qu'essentiellement, au Parlement britannique et aux parlements qui ont été façonnés sur ce modèle, les pouvoirs relevant du droit criminel sont tombés en désuétude et ont été confiés aux tribunaux ordinaires du pays, où règne le principe de l'égalité devant la loi.
D'ailleurs, le professeur Dicey, en se fondant sur un exemple erroné de l'étude qu'il avait faite des institutions françaises au Conseil d'État il y a un siècle, s'est élevé contre le concept d'un régime spécial de privilèges pour les parlementaires, régime qui ne s'appliquerait pas aux citoyens ordinaires.
Voilà pour la première chose. Deuxième chose essentielle, compte tenu de l'évolution même du Parlement, de l'évolution du système des partis, qui remonte au XVIIIe siècle en Grande-Bretagne, du concept de gouvernement et d'opposition loyale et du concept de retenue des majorités gouvernementales, dans de tels cas, on a eu tendance à sortir les questions de jugement politique du Parlement lui-même pour les confier aux tribunaux ordinaires.
Dans le cas précis dont vous êtes saisis, j'ajouterais encore une chose: que les faits se situent en dehors du rayon du Parlement lui-même, en dehors des Chambres, en dehors des limites du Parlement. Raison de plus de dire que les pouvoirs du Parlement en matière criminelle ne devraient pas s'appliquer dans ce cas.
J'ai eu l'occasion de donner des avis à ce Parlement. Lorsque je parle d'avis, il s'agit d'avis confidentiels. Il se trouve que certains étaient intéressants, un notamment qui concernait un sénateur à qui l'on avait signifié - ou tenté de signifier - un acte judiciaire à la Chambre, notamment tenté de signifier cet acte par télécopieur. Je vous dirai simplement que j'ai donné pour avis qu'il s'agissait là d'un outrage au Parlement qui ne devait pas être accepté et que les autorités civiles, si des juges étaient en cause, devraient être avisées de la chose car une telle conduite était inacceptable de la part d'un juge. Nous sommes donc protégés contre toute notification d'acte judiciaire à la Chambre. Cela doit se faire en dehors des limites du Parlement.
Deuxièmement - et encore une fois je me réfère simplement à l'affaire qui nous concerne - j'ai échangé de la correspondance avec le Président de la Chambre à titre privé à propos d'une accusation d'agression dans l'enceinte de la Chambre. Je lui ai dit qu'à mon avis, si les faits étaient suffisamment graves pour justifier des poursuites, la Chambre devrait renoncer à sa juridiction et transférer l'affaire aux tribunaux.
À propos, j'ai dit qu'à mon avis les faits n'étaient pas suffisamment graves pour justifier des poursuites ni à la Chambre ni ailleurs.
Il y a d'autres questions. Je me contenterai de faire un ou deux commentaires.
J'ai toujours revendiqué pour le ministre de la Justice et les procureurs, le plein exercice de leur pouvoir discrétionnaire. Ayant été moi-même procureur, je n'ignore pas le pouvoir qui nous est donné d'intervenir ou de ne pas intervenir. Mais il me semble que cette question n'a rien à voir avec celle dont vous m'avez demandé de venir vous parler et bien entendu, vous pouvez demander leur avis à d'autres procureurs de la Couronne.
Monsieur le président, je n'en dirai pas plus pour le moment.
Le président: Merci, monsieur McWhinney.
J'invite maintenant notre collègue M. Bellehumeur à commencer.
Chers collègues, j'ai fait preuve jusqu'à présent d'un certain laxisme - et j'utilise ce terme de la manière la plus large possible - au niveau du temps de parole, mais j'aimerais revenir aux dix minutes plus traditionnelles pour le premier tour.
Une voix: Cinq minutes.
Le président: Cinq minutes, si vous voulez. Peu m'importe; je veux simplement que tous les membres du comité aient la possibilité...
Je préférerais 10 minutes - dix minutes pour le Parti réformiste, dix minutes pour le Bloc et dix minutes pour les libéraux - ensuite nous passerons à des tours de cinq minutes.
[Français]
M. Bellehumeur (Berthier - Montcalm): Je vous remercie d'être venu témoigner et de tenter de nous éclairer sur cette affaire, monsieur McWhinney. Si j'ai bien compris tout le processus qui nous a amenés ici, c'est que le député Jim Hart a soulevé une question de privilège qui, au cas où elle serait acceptée par le Président, serait suivie par le dépôt d'une motion.
Mais pour que cette question de privilège soit acceptée par le Président, il faudrait qu'une accusation précise soit portée, et on peut voir qu'elle a été portée, puisque le 12 mars, il demande clairement à M. Hart si le député de Charlesbourg est coupable de sédition.
Je pense que c'est suffisamment grave pour répondre à ce critère-là.
Le président lui a aussi demandé de faire la preuve prima facie de ce qu'il avançait. Et c'est là, d'après moi, que se pose un petit problème. J'aimerais donc vous entendre à ce sujet.
Le 12 mars, M. Hart a dit aussi au Président que le communiqué du député de Charlesbourg ne s'adressait qu'aux membres francophones des Forces canadiennes. Lorsqu'il est venu témoigner, il a dit qu'il s'excusait et que c'était une erreur de sa part.
Un autre élément qu'il a mis dans sa preuve prima facie pour convaincre le Président est que le communiqué du député de Charlesbourg était une invitation à quitter l'Armée canadienne. Il a dit également que le communiqué du député de Charlesbourg constituait un appel aux armes.
Et, comme si ce n'était pas suffisant, pour faire la preuve prima facie que le Président devait recevoir sur sa question de privilège pour qu'il puisse par la suite déposer sa motion de fond, il a dit que le communiqué du député de Charlesbourg demandait aux Forces armées, aux femmes et aux hommes qui ont prêté allégeance à ce pays, de déserter les Forces armées canadiennes avec leurs armes.
M. Hart est donc venu témoigner ici, monsieur McWhinney, et en plus de s'excuser pour certaines choses qu'il a dites et pour lesquelles il était dans l'erreur, il n'a pas été capable de fournir une seule preuve de toutes les affirmations qu'il a faites le 12 mars pour faire la preuve prima facie de sa question de privilège. Il s'est montré incapable de citer une seule des phrases qui se trouvent dans le communiqué présentement à l'étude pour justifier sa question de privilège et il n'a pu déposer aucun document justifiant l'interprétation qu'il a faite de ce communiqué.
Je voudrais donc vous demander, monsieur McWhinney, si dans ces circonstances, vous pensez que les affirmations graves - et jusqu'à maintenant, on peut même les qualifier de gratuites - deM. Hart ont influencé le Président sur son acceptation de recevoir la question de privilège.
M. McWhinney: Je ne peux faire de commentaires sur le raisonnement du Président de la Chambre. J'ai vu seulement une fois soulever une question de privilège basée sur une prétendue infraction au droit criminel comme la sédition. Je pense que cela dépasse la compétence actuelle du Parlement et de la Chambre. Cela devrait être référé à une cour civile.
M. Bellehumeur: Donc, si M. Hart avait été sérieux dans ses accusations, il aurait dû, non pas déposer une question de privilège, mais porter lui-même une plainte devant les tribunaux civils ou criminels pour accuser formellement M. Jacob de sédition.
M. McWhinney: Je ne voudrais pas critiquer l'action de M. Hart. Il n'est pas avocat et il n'a pas de formation juridique, mais il aurait dû, à mon avis, soumettre la question directement à une cour civile. Mais je comprends bien que, puisqu'il n'avait pas de formation en science juridique, il était normal qu'il suive la procédure bien connue du privilège devant la Chambre.
M. Bellehumeur: Il y a des avocats qui gagnent leur vie à conseiller des députés, et M. Hart aurait pu consulter un avocat avant de porter ces accusations devant la Chambre.
Cela étant dit, à la fin de la session, si le comité en arrive à la conclusion qu'aucune preuve formelle ne justifie les accusations de M. Hart du 12 mars dernier et que ce ne sont que des interprétations de sa part, qu'allons-nous faire de ce député, monsieur McWhinney?
M. McWhinney: Cela dépasse ma compétence de témoin invité en qualité d'expert. Je dis seulement qu'une fois qu'une question de privilège est soulevée devant le Président de la Chambre, si elle touche des questions d'infractions graves relevant du droit criminel, ces questions doivent être immédiatement transférées à la cour civile.
En tout cas, cela dépasse la compétence actuelle de la Chambre. Je sais, de par mon expérience de conseiller-expert à l'Assemblée législative de Colombie-Britannique, que l'on se base sur certains principes pour décider de l'expulsion de membres de la Chambre qui sont jugés en cour civile. Si l'on constate une infraction grave, on expulse automatiquement le membre de la Chambre en question.
Dans la situation présente, il me semble que le droit constitutionnel contemporain exige que ces questions soient référées immédiatement à la cour civile ou qu'elles soient abandonnées.
M. Bellehumeur: Monsieur McWhinney, je sais qu'un député a des droits et des privilèges. Vous allez nous dire, monsieur McWhinney, car vous avez suffisamment d'expérience, où commencent les droits et les privilèges d'un parlementaire et où ils se terminent par rapport à ses collègues, par rapport aux autres députés qui ont, eux aussi, des droits et des privilèges.
Où est-ce que ça commence et où est-ce que ça finit? Autrement dit, monsieur McWhinney, est-ce que moi, en tant que parlementaire, je peux aller à la Chambre des communes, me lever, invoquer une question de privilège, accuser Pierre, Jean, Jacques de tous les maux de la terre, sachant que je suis couvert par l'immunité parlementaire? Est-ce que je peux accuser mes collègues de tous les maux et me rasseoir sans que cela pose problème? Sachant que je ne risque rien, puis-je laisser l'autre se débrouiller avec les accusations que j'ai portées contre lui?
Je voudrais que vous nous disiez où commencent nos droits de parlementaire et où ils finissent.
M. McWhinney: C'est une autre question dont on pourra traiter ultérieurement. Chaque député a le droit de porter devant la Chambre la question d'une prétendue infraction aux privilèges des membres, mais c'est à la Chambre et à son Président de prendre une décision concernant cette question.
Une fois que la décision est prise, si on découvre que la question de privilège est basée sur une infraction prétendue relevant du droit criminel, c'est alors une question qui doit être portée devant une cour civile, parce que cela dépasse la compétence de la Chambre.
Ce n'est pas la règle aux États-Unis, mais c'est la règle au Canada et dans les pays du Commonwealth qui suivent le système britannique.
M. Bellehumeur: Vous ne répondez pas tout à fait à ma question, et je vais vous la poser à nouveau, différemment.
Lorsque M. Jacob est venu témoigner, il a dit très clairement - et je pense qu'il en a fait la preuve également - que les accusations de sédition, de trahison et tout le reste qui avaient été portées contre lui l'ont obligé, à la suite de pressions, à céder son poste de vice-président du Comité permanent de la défense. Il a aussi apporté la preuve, et tout le monde est certainement d'accord, que son nom, le nom de Jean-Marc Jacob, avait été associé à la possibilité d'un séjour en prison, à cause de ces accusations. Je suis sûr que vous avez lu cela dans les journaux.
Tout cela a eu des conséquences graves pour lui, aussi bien dans son emploi en tant que député qu'au niveau de sa crédibilité dans sa propre circonscription et au niveau de différentes choses.
D'après votre expérience et votre expertise, pensez-vous que ces accusations ont porté atteinte aux privilèges du parlementaire qui s'appelle Jean-Marc Jacob?
[Traduction]
Le président: Monsieur Pagtakhan.
M. Pagtakhan (Winnipeg-Nord): J'invoque le Règlement. La présidence pourrait-elle déterminer si une telle question peut être posée à ce témoin en particulier.
Le président: Pourquoi pas? Pourriez-vous me dire pourquoi...?
M. Pagtakhan: Si j'ai bien compris notre témoin, il nous a dit qu'il fallait avant tout déterminer s'il s'agissait d'un acte relevant du Code criminel car dans un tel cas, ce n'est plus à la Chambre de trancher mais aux tribunaux. Bien entendu, cette détermination ne pouvait être faite tant que le Président de la Chambre n'avait pas pris sa décision. Le Président de la Chambre a pris sa décision et en a saisi notre comité. Toute question relative à cette décision ne fait que relancer le débat qui a déjà eu lieu à la Chambre. À mon avis, ce genre de question ne devrait être posée qu'à M. Maingot.
Le président: Très bien.
[Français]
M. Bellehumeur: Monsieur le président, je pense que le député n'a pas compris. Il est vrai qu'il a manqué quelques séances, au début. Premièrement, nous avons le mandat d'étudier également les conséquences occasionnées à M. Hart et deuxièmement, le témoin est ici à titre d'expert et, d'après son curriculum vitae, il a la formation requise pour répondre à cette question.
[Traduction]
Le président: Je ne m'opposerai pas à ce que soit posée cette question, je suis d'accord avec mon collègue, elle mérite réponse.
[Français]
M. McWhinney: Il me semble qu'il y a deux questions. La première question concerne le privilège de M. Hart, en tant que député, de porter plainte auprès de la Chambre sur une infraction prétendue aux privilèges des députés de la Chambre. Et il y a peut-être une deuxième question qui va suivre le résultat de la décision prise sur cette première question. Est-ce qu'il y a eu infraction aux privilèges de M. Jacob, en tant que député? C'est la deuxième question. Y a-t-il eu une intention maligne de la part de M. Hart dans cette plainte concernant une infraction aux privilèges? Il me semble que c'est de la compétence de ce comité de se prononcer sur cette question.
M. Bellehumeur: Je n'ai pas d'autres questions, monsieur le président.
[Traduction]
Le président: Monsieur Strahl.
M. Strahl (Fraser Valley-Est): Je vous remercie et je remercie M. McWhinney de son témoignage.
J'aimerais remettre les choses en perspective, si vous le voulez bien. Je commence à en avoir assez qu'on profite systématiquement de la présence d'un témoin pour faire à chaque fois le procès de M. Hart. Je ne comprends pas. Enfin je comprends très bien. Dans un but de diversion, le Bloc ne cesse d'attaquer M. Hart pour qu'on oublie le fond du problème. C'est ce qui est arrivé lorsqueM. Hart est venu témoigner et c'est ce qui continue à se passer maintenant. J'espère que nous pourrons nous attaquer au fond du problème.
D'après les notes de la Chambre concernant l'opinion juridique sur le privilège parlementaire et l'outrage, cette dernière jouit d'une vaste marge de manoeuvre pour préserver son autorité et sa dignité. Il n'est pas ici question de droit criminel; il ne s'agit pas d'une affaire dont les tribunaux seront saisis. Il s'agit du droit du Parlement et du droit de cette Chambre à déterminer si un acte tendant à la déshonorer, l'humilier ou la ridiculiser porte atteinte à sa dignité.
M. Speaker: Ou à ses droits...
M. Strahl: Dans un tel cas, nous avons tout à fait besoin d'étudier cette question, n'est-ce pas?
Il ne s'agit pas de droit criminel. Comme vous l'avez dit, le droit criminel est une chose, mais nous sommes certainement habilités à dire que cet acte a déshonoré la Chambre des communes et je tiens à régler cette question. N'avons-nous pas le droit de le faire?
M. McWhinney: Si la plainte initiale de violation de privilège avait été formulée dans ces termes et dans ces termes seulement, oui. En l'occurrence, la formulation étant ambiguë, la possibilité d'une décision affirmative est moindre. Si j'ai bien compris, la plainte initiale a été formulée dans des termes très précis alléguant une violation du droit criminel, de la Loi sur la sédition. En conséquence, parler d'atteinte au privilège...
M. Frazer: J'invoque le Règlement, monsieur le président.
Le président: Monsieur Frazer.
M. Frazer: La plainte originale ne parlait pas de violation du droit criminel. Il n'était pas question de «sédition» mais simplement de possibilité d'acte séditieux. Je crois que c'est tout à fait différent, monsieur McWhinney.
M. McWhinney: Non, c'est une question de coloration. À partir du moment où la formulation invoque l'ancien concept de sédition du droit coutumier, l'ancien crime de droit coutumier qui se trouve maintenant dans notre code criminel, il me semble que tout tourne alors autour de ce concept. J'ai donc immédiatement dit - comme je l'ai dit lors d'affaires précédentes qui ont été portées à mon attention, avant mon arrivée au Parlement, et à propos de celle d'aujourd'hui - qu'au XVIIe siècle le Parlement aurait lui-même décidé mais qu'au XXe siècle le concept d'égalité devant la loi, l'autre principe que j'ai mentionné, réclame un renvoi devant les tribunaux civils.
Je crois d'ailleurs que les tribunaux civils ont été saisis de cette question et qu'ils ont rendu leur verdict. Si ces tribunaux civils rendaient un verdict de culpabilité, automatiquement, en vertu de la Loi du Parlement, cela constituerait un motif d'expulsion. C'est un des rares motifs pour lesquels le Parlement peut aujourd'hui expulser un député. D'ailleurs, ce privilège devrait être considéré avec beaucoup de prudence car bien entendu c'est un des moyens de se débarrasser des membres de l'opposition et je parle dans mon essai des excès pathologiques de la République de Weimar dans les années 30.
Mais à partir du moment où vous formulez votre plainte de violation de privilège en vous référant à la Loi sur la sédition - j'entends «colorable» uniquement au sens légal - elle ne peut être jugée que sur cette base. J'estime donc que le Parlement serait tout à fait en droit de croire que nous ne sommes pas le Congrès des États-Unis qui a suivi une évolution différente depuis le XVIIe siècle. Le Parlement devrait en tout état de cause décider que cela ne relève pas de sa juridiction.
M. Strahl: Mais, monsieur McWhinney, en vertu du mandat du comité, si je l'ai bien compris, si je considère les trois choses que nous examinons, il ne s'agit pas de droit criminel, nous n'envisageons pas d'expulser un parlementaire, et nous ne voulons pas museler l'opposition officielle ou chasser un de ses membres bien que certains ne seraient peut-être pas vraiment contre.
Il s'agit ici de savoir si l'acte de M. Jacob a porté atteinte aux privilèges de la Chambre et s'il constitue un outrage à la Chambre. Il ne s'agit pas du tout de questions criminelles. Ce comité et la Chambre ont donc assurément le droit de déterminer s'il y a eu atteinte ou non, outrage ou non.
N'introduisez pas cette notion de sédition. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Il s'agit de savoir si oui ou non cet acte a porté atteinte aux privilèges de la Chambre. La sédition n'a rien à voir avec notre propos.
Avons-nous le droit d'examiner, de déterminer si oui ou non les commentaires de M. Jacob ont porté atteinte aux privilèges de la Chambre et l'ont déshonorée, humiliée et constituent un manque de respect? N'est-ce pas notre privilège avant de penser aux tribunaux?
M. McWhinney: Si dès le départ la question avait été posée en ces termes très généraux, et soit dit en passant, moins les choses sont précisées, moins il y a de motifs pour la violation des privilèges... Mais à partir du moment où l'on introduit la sédition, toute l'affaire est envisagée sous cet angle. La chose devient incontournable et pour s'en sortir, il faut retirer la plainte initiale pour lui en substituer une autre. D'après les avis juridiques, M. Hart aurait dû procéder autrement.
M. Strahl: Et pourtant la Chambre a pris une décision et elle a adopté l'ordre de renvoi. Des amendements, pour et contre, ont été avancés à la Chambre, mais cette dernière a décrété que nous ne devions pas déterminer s'il y avait eu sédition. Il s'agit plutôt d'un outrage au Parlement. C'est la Chambre - et pas seulement le Parti réformiste - qui a décidé qu'il y avait matière à outrage au Parlement.
La question qui se pose dès lors est de savoir s'il y a eu outrage au Parlement. Monsieur McWhinney, si j'ai bien compris, vous dites qu'à moins que nous nous adressions au tribunal, que la preuve soit faite tout d'abord au tribunal, ce n'est pas la peine de soulever la question à la Chambre. Je pense que c'est absurde. Le Parlement établit ses propres règles et nous avons certainement le droit de dire que ce communiqué est un outrage à la Chambre, qu'il la ridiculise et qu'il porte atteinte à son intégrité. Nous n'allons pas tolérer cela, la Chambre va intervenir. De ce fait, nous n'en faisons pas une affaire criminelle, nous disons que nous n'allons pas tolérer cela. Nous allons établir des règles de sorte que si jamais la chose se reproduit - et elle ne peut pas manquer de se reproduire - nous n'aurons pas à faire face à la même situation lors du prochain référendum car on peut s'attendre à ce que le prochain communiqué soit alors encore pire. Il s'agit pour nous d'établir les règles de base afin que toute activité de ce genre soit désormais interdite car elle ne sera pas tolérée. C'est aller trop loin. N'est-ce pas là notre devoir? N'est-ce pas là notre privilège?
M. McWhinney: Si l'intéressé s'y était pris différemment, vous pourriez bien sûr procéder ainsi. Je dois vous faire remarquer cependant qu'il s'agirait quand même d'un cas exceptionnel, étant donné l'état du dossier car les tribunaux à mon avis auraient de bonnes raisons de s'écarter de la règle habituelle de non-ingérence dans les décisions de la Chambre. Il s'agirait manifestement non seulement d'une simple violation des privilèges d'un autre député que d'intervenir dans un dossier de ce genre, car il y a des éléments du droit criminel qui s'appliquent, mais à mon avis, s'il y avait des poursuites, nous serions en présence d'un des rares exemples où une mesure prise par le Parlement a fait l'objet d'un examen judiciaire. Voilà le dilemme où nous nous trouvons.
À la question: Le Parlement peut-il définir ce qu'est un privilège, je réponds: bien entendu. Sans donner de précision, j'ai fait allusion à une allégation d'inconduite à la Chambre lors de la session en cours pour illustrer un cas où le Président de la Chambre a été saisi d'une plainte. Si je ne m'abuse, il s'est entretenu avec les parties et l'affaire a été classée car on s'est entendu pour que les choses en restent là.
Le Parlement a certainement le loisir d'intervenir. Je vous mets toutefois en garde: le pouvoir de la majorité doit être interprété de façon très étroite dans la situation actuelle. Autrefois, les Parlements étaient formés d'élus dont le mandat était illimité. Ces mandats pouvaient durer 13 ans. Puisque les élections se déroulent désormais à intervalles réguliers, ces questions ont tendance à être soumises au bon jugement de l'électorat.
Le Parlement lui-même doit veiller à l'application régulière de ses propres lois internes. Voilà pourquoi j'ai fait allusion à la question plus vaste que cette affaire soulève. Selon moi, monsieur Strahl, dès le départ, l'objectif très précis que vous visez par votre question comporte un défaut.
M. Strahl: Étant donné notre ordre de renvoi, ne s'agit-il pas d'une violation de privilège? Il n'est pas question de droit criminel ici, ni de sédition, mais bien de l'ordre de renvoi que la Chambre a confié au comité. Tout à l'heure, vous avez parlé d'opposition loyale, et c'est un qualificatif que l'on ne peut certainement pas donner à l'Opposition officielle actuelle. N'y a-t-il pas outrage au Parlement quand quelqu'un promet qu'au lendemain d'une victoire référendaire, on offrira un emploi à tous les Québécois qui servent dans les Forces armées canadiennes, et ce sur papier à en-tête officiel en contradiction avec le serment d'allégeance qui dit
- Je jure d'être fidèle et de porter sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, à ses
héritiers et à ses successeurs en conformité de la loi. Ainsi Dieu me soit en aide.
M. McWhinney: Étant donné les faits que vous citez et compte tenu de ceux qui ont été exposés lors de la discussion à la Chambre, nous nous trouvons en présence d'une affaire prima facie qui devrait être jugée par des tribunaux ordinaires avec l'intervention d'un procureur de la Couronne et ainsi de suite. Il me semble que le Parlement ne peut pas se soustraire à sa responsabilité et qu'il doit procéder de cette façon. Autrement dit, il n'y a pas de loi spéciale pour le Parlement, pas de privilèges spéciaux que n'auraient pas les citoyens ordinaires et s'il s'agit bien d'une allégation de sédition, il faudrait que l'affaire soit entendue par des tribunaux ordinaires. Si un jugement s'en suivait, je puis vous assurer qu'il s'agirait d'un des rares actes qui seraient automatiquement sanctionnés par une expulsion. Ce serait dans le cas où un jugement serait rendu par les tribunaux.
Auparavant, il y aurait deux étapes à franchir: le ministère devrait décider d'intenter des poursuites et il faudrait s'en tenir à la décision des tribunaux. Je crois comprendre que ces deux étapes ont déjà été franchies, mais je dois vous avouer que j'ignore ce que disent les documents là-dessus.
M. Boudria: Avant de poser ma question à M. McWhinney, je le préviens que je ne suis pas expert en matière de procédure. Disons que je suis un amateur enthousiaste de procédure.
Je voudrais exposer le scénario suivant à notre témoin.
Qu'on me reprenne si je me trompe car je veux m'assurer que j'ai bien saisi la question: une accusation précise a été portée à la Chambre. Ensuite, une motion a été déposée. Il y a donc deux choses: l'accusation et la motion. Ce sont deux choses indépendantes l'une de l'autre même si l'une est la cause de l'autre.
La Chambre a alors jugé bon de modifier non pas l'accusation mais la motion. Si je ne m'abuse, l'accusation demeure la même. Est-ce ainsi que le témoin voit les choses?
M. McWhinney: Oui.
M. Boudria: À l'avant-dernière séance, je suis sorti un peu bouleversé par le témoignage que je venais d'entendre. Un membre du comité, le colonel Frazer, a dit:
- Monsieur Jacob, je ne veux pas laisser entendre un seul instant que vous préconisiez le recours à
la force pour réaliser la souveraineté... Pas du tout.
- Il ne s'agit pas ici de droit criminel, ni de sédition.
Je ne comprends pas très bien sur quoi on me demande d'enquêter actuellement.
M. McWhinney: Manifestement, l'accusation initiale en est une de sédition et il y a motif à en saisir les procureurs de la Couronne afin qu'ils étudient la question. Si je ne m'abuse, cela a été fait.
J'ai cherché des précédents et je n'en ai trouvé qu'un. Un ministre australien, dans les années d'après-guerre, s'est avancé en terrain dangereux quand il a déclaré que si des agresseurs venaient poursuivre dans son pays des gens qui avaient enfreint le droit international, il exhorterait ses concitoyens à les appuyer. Il s'agissait d'une déclaration assez habile et après l'avoir examinée, les procureurs ont décidé qu'ils n'avaient pas assez d'éléments pour intenter des poursuites.
J'ai été moi-même procureur et je pourrais vous dire comment j'agirais dans de tels cas, mais ce n'est pas ce que vous voulez entendre et ce n'est pas là-dessus que vous m'avez convoqué comme expert.
Selon moi, dès le départ cette affaire est une affaire de sédition. Elle ne peut pas, si l'on veut respecter les droits des députés - en l'occurrence M. Jacob - être considérée en excluant cet élément.
Par conséquent, sauf le respect que je dois à la Chambre, et il faut dire qu'elle ne pouvait compter sur de nombreux précédents, il me semble que vous avez commis une erreur en choisissant de saisir le comité de la question. Il aurait mieux valu la renvoyer aux autorités civiles.
M. Boudria: Selon vous, est-ce à cause de l'accusation que le comité a été saisi de la question?
M. McWhinney: Cela me rappelle les propos du juge en chef Bryan: "Même le démon ne peut pas pénétrer les pensées de l'homme".
Je ne connais pas vos motifs. Je ne parle pas de vous personnellement, je parle du comité dans son ensemble.
M. Boudria: Je vais vous poser la question autrement. Aujourd'hui, pensez-vous que ce sont les accusations initiales qui ont amené le Président à déterminer que la question de privilège était fondée à première vue, ce sur quoi on s'est appuyé pour présenter la motion par la suite?
M. McWhinney: Vous ne pouvez pas manquer de tirer cette conclusion. Un tribunal, à qui l'on demanderait de se prononcer là-dessus, par exemple, serait forcé de tirer cette conclusion.
M. Boudria: Étant donné les déclarations et les questions de M. Strahl ce matin, êtes-vous d'avis que l'accusation portée aujourd'hui est identique à ce qu'elle était à la Chambre?
M. McWhinney: Je vous répondrai que je préférerais ne pas me prononcer sur le raisonnement de M. Strahl. Par ailleurs, je répondrais oui à votre question.
M. Boudria: Êtes-vous d'avis que l'accusation telle que formulée aujourd'hui parM. Strahl - il ne s'agit pas de droit criminel, ni de sédition - est identique à l'accusation portée par M. Hart à la Chambre des communes le 12 mars 1996 quand il a affirmé qu'il y avait acte de sédition?
M. McWhinney: Le dossier demeure ce qu'il est d'un bout à l'autre. Je tiens à dire que je ne mets pas en cause la bonne foi de M. Strahl car je me borne à donner une opinion technique et juridique. Mais je dirais que oui.
M. Boudria: Il s'agit de la même accusation, n'est-ce pas?
M. McWhinney: Il s'agit de la même accusation.
M. Boudria: Malgré la déclaration faite ce matin, pensez-vous que l'accusation demeure ce qu'elle était à l'origine?
M. McWhinney: C'est inévitable. Si la chose devait être portée devant les tribunaux, les rares fois où les tribunaux ont soumis des décisions du Parlement à un examen judiciaire... Dans une affaire qui pourrait aboutir à l'expulsion d'un député, je préconiserais qu'on fasse intervenir le tribunal. Oui, je pense que le tribunal aboutirait à cette conclusion.
On ne peut pas dissocier les choses. Il s'agit ici des privilèges d'un député, n'est-ce pas?M. Jacob a des privilèges et il a droit à une procédure régulière au sein du Parlement lui-même. Je pense que c'est la loi du Parlement britannique qui a la plus vaste portée.
Je cite ici le cas des députés irlandais. Il n'y a pas une loi pour ceux que vous aimez et une autre pour ceux que vous n'aimez pas. La règle de droit exige une application égale.
M. Boudria: Je vais vous demander une opinion, mais je ne sais pas si vous accepterez de me répondre. L'accusation, si elle était formulée comme M. Strahl l'a formulée ce matin, plutôt que comme...
M. Strahl: Au départ.
M. Boudria: Non, non. Il s'agit de l'accusation et non de la motion. Une accusation précède la motion et il s'agit de deux choses différentes.
L'accusation dont on parle ce matin, d'après l'interprétation de M. Strahl, n'est pas une accusation de sédition ou de violation du droit criminel.
M. Frazer l'a bien dit à l'avant-dernière réunion: «je ne veux pas laisser entendre un seul instant que vous préconisiez le recours à la force», etc. À votre avis, les deux formulations de l'accusation sont-elles à ce point différentes qu'on pourrait penser que le Président aurait rendu une décision différente et en aurait conclu que la question de privilège n'était pas fondée à première vue?
M. McWhinney: Je ne peux pas deviner ce que le Président aurait fait mais s'il m'avait demandé mon avis, je lui aurais dit, de prime abord, allez-y. S'il m'avait demandé encore mon avis, quant aux chances de réussite, je lui aurais dit, non.
M. Boudria: Selon vous, cette dernière accusation est-elle plus grave ou moins grave que l'accusation initiale?
M. McWhinney: En réponse à une question de M. Strahl, la formulation est si générale que je ne pense pas que cela puisse aboutir à des poursuites en justice.
M. Boudria: Elle n'est donc pas aussi grave du point de vue de la justice, n'est-ce pas?
M. McWhinney: C'est cela.
M. Boudria: Merci.
Le président: Merci, monsieur Boudria. Monsieur Pagtakhan, allez-y.
M. Pagtakhan: Ce n'est pas la peine, la plupart des questions que je voulais poser l'ont été.
Le président: Monsieur Speaker.
M. Speaker: Monsieur le président, merci beaucoup. Monsieur McWhinney, je vous souhaite la bienvenue.
Je me reporte au communiqué lui-même. Il y a là deux déclarations qui à mon avis relèvent du privilège parlementaire et qui font outrage au Parlement, car sont en cause la sécurité du pays, l'intégrité des lois de notre pays et la protection de nos citoyens. On dit: «Au lendemain d'un OUI».
Au cours d'une autre discussion, on s'est dit qu'il y avait peut-être une erreur qui s'était glissé dans la traduction du français à l'anglais. M. Jacob dit:
- «Le Québec devra créer immédiatement un ministère de la Défense, un embryon d'état-major
et offrir à tous les militaires québécois servant dans les Forces canadiennes la possibilité
d'intégrer les Forces québécoises «en conservant leur grade, ancienneté, solde et fonds de
retraite de façon à assurer une meilleure transition,»»
- «Toute cette expertise ne disparaîtra pas avec l'accession du Québec à la souveraineté et
personnellement, je pense que les militaires québécois respecteront la décision de la population
et transféreront leur loyauté au nouveau pays dont ils assureront la sécurité»
Il est question de transfert de loyauté pour assurer la sécurité d'un nouveau pays, le Québec. On demande donc à des gens qui sont loyaux envers le Canada de faire cela. C'est comme si on les encourageait à déserter et à cesser d'assurer la protection qui est de leur devoir d'assurer.
Monsieur McWhinney, pourquoi le Parlement ne peut-il pas traiter de cette question?
[Français]
M. Bellehumeur: Je fais un rappel au Règlement.
[Traduction]
Le président: Un rappel au Règlement.
M. Speaker: Vous dites que l'affaire devrait être renvoyée devant un tribunal. Pourquoi le Parlement ne peut-il pas s'occuper de cette question?
[Français]
M. Bellehumeur: Là, monsieur le président, on a un problème. J'aimerais connaître la logique du Parti réformiste.
Tout d'abord, il disait que ce n'était pas un appel à la désertion, un appel à quitter l'armée ou un appel à prendre les armes, puis il insinue, devant le témoin, que le communiqué constitue un appel aux armes et à la désertion.
J'aimerais donc que le Parti réformiste soit logique au moins une fois à ce comité et qu'il nous dise quelle est sa position. Est-ce que c'est un cas de sédition, d'appel aux armes et à la désertion, ou si ça n'en est pas un? On pourra ensuite travailler correctement.
[Traduction]
Le président: Très bien. Excusez-moi, monsieur Bellehumeur. Je ne pense pas que ce soit un rappel au Règlement. Vous vous opposez à la tournure que prend l'interrogation?
[Français]
M. Bellehumeur: Ils induisent le témoin en erreur, monsieur le président. Il n'y a pas de preuves. Ils induisent délibérément le témoin en erreur.
[Traduction]
Le président: D'accord. Je ne pense pas que l'on puisse induire le témoin en erreur ni même influencer sa pensée. Nous ne sommes pas constitués en tribunal. Le témoin donne son témoignage. Je vais lui permettre de répondre à la question de M. Speaker.
M. McWhinney: Monsieur Speaker, vous tirez des conclusions des faits que vous énoncez. Mais je ne veux pas me hasarder à me prononcer sur la justesse de vos conclusions. Si la question avait été soulevée à l'origine en invoquant cet argument, et si le Président avait saisi la Chambre de la question, celle-ci pourrait prendre une décision et déterminer s'il y a violence au privilège ou non.
La Chambre a toute liberté pour décider si quelqu'un qui est par la suite devenu premier ministre et qui s'est présenté à la Chambre pieds nus dans des sandales ouvertes a ainsi porté atteinte au privilège de la Chambre. Je crois d'ailleurs savoir que le Président l'a rappelé à l'ordre. Quand il s'est présenté ensuite en polo, il a de nouveau été rappelé à l'ordre. Le Parlement peut donc définir ses privilèges.
Il me semble qu'il y a des conclusions que vous pourriez tirer à partir des faits en votre qualité de député - même si d'autres pourraient arriver à des conclusions différentes - , mais je ne devrais pas m'engager dans cette voie. Il faut toutefois tenir compte de la façon dont la question a été soulevée à l'origine. C'est essentiellement ce que je dis depuis le début. Il me semble que, dès le départ, la question a été soulevée dans le contexte de prétendues infractions au droit criminel.
S'il s'avère que ces infractions ont effectivement été commises, il s'agit des délits criminels les plus graves qui soient, à l'égard desquels les tribunaux civils ont, bien entendu, entière compétence. S'il y avait un verdict de culpabilité, ce serait là un des rares cas où le Parlement aurait le droit de recourir à l'expulsion. Sur le plan politique, le Parlement n'aurait à toutes fins utiles pas d'autre choix. Il s'agit toutefois là de quelque chose qui relève des tribunaux civils.
M. Speaker: Monsieur le président, je veux simplement demander un éclaircissement. Je crois que M. McWhinney a déjà répondu à cette question.
En tant que membres du Parlement, nous pouvons donc nous prononcer sur la question de savoir si ce qu'a fait M. Jacob en envoyant le communiqué - nous devons porter un jugement sur ce communiqué - était acceptable ou inacceptable et si un député devrait être autorisé à se comporter de cette façon. Le Parlement a quand même le droit de porter un jugement là-dessus et de prendre une mesure quelconque à cet égard. Pouvons-nous faire cela?
M. McWhinney: La Chambre peut certainement faire cela.
Je tiens toutefois à vous faire une mise en garde sur un autre point. Le pouvoir de décision du Parlement quant à ses privilèges se limite à ce qui se passe au Parlement, c'est-à-dire à ce qui s'inscrit dans le «rayon du Parlement». Étant donné que les gestes qui ont été posés l'ont été exclusivement à l'extérieur du Parlement, vous auriez peut-être des difficultés relativement à l'affaire qui nous occupe. Pour ce qui est toutefois des faits du genre de ceux que vous soulevez, et étant donné les différentes interprétations qui pourraient en être faites, cela relèverait certainement de la compétence du Parlement.
M. Speaker: Autrement dit, conformément à la définition de «rayon», et s'il a été envoyé depuis le bureau du chef de l'Opposition officielle, le communiqué serait donc du ressort du Parlement.
M. McWhinney: C'est ce que l'on pourrait soutenir. À l'inverse, on soutient aussi que certains gestes posés au Parlement comme tel ne relèvent plus de la compétence du Parlement. Ainsi, si un meurtre était commis à la Chambre, il ne fait aucun doute que la Chambre renoncerait à sa compétence en faveur des tribunaux civils ordinaires - même si elle a exercé sa compétence au XVIIe siècle.
Certains pourraient dire que c'est un peu comme le saumon de Brian Tobin qui était resté pris dans les filets par les poils de sa barbe, mais en raison de l'en-tête, on pourrait dire qu'il s'agit d'un geste posé dans l'enceinte du Parlement. C'est un argument qui pourrait être invoqué, monsieur Speaker.
M. Speaker: Merci.
Le président: Avant de céder la parole à M. Langlois, je voudrais obtenir un éclaircissement. Dois-je comprendre d'après ce que vous dites, monsieur McWhinney, que les travaux internes de la Chambre des communes pourraient faire l'objet d'un examen judiciaire?
M. McWhinney: Je recommanderais... Nous nous avançons là sur un terrain fascinant, où le professeur Maingot et Gérald Beaudoin et d'autres... les terres inconnues du nouveau droit.
Le droit d'être représenté au Parlement tel qu'il est consacré par la Charte des droits est tellement clair que l'expulsion d'un député équivaudrait à priver ses électeurs de leurs droits, et je soutiens que, dans le contexte actuel, pareille décision pourrait faire l'objet d'un examen judiciaire. Elle devrait pouvoir être soumise à un examen judiciaire, et je serais prêt à plaider gratuitement une cause qui pourrait faire jurisprudence en la matière.
Le président: Merci.
Monsieur Langlois, s'il vous plaît.
[Français]
M. Langlois (Bellechasse): Merci, monsieur le président, pour votre patience à mon égard.
Docteur McWhinney, étant donné que dans le cas présent, trois juges, l'un de Montréal, l'un de Toronto et l'autre de Mississauga, ont refusé très récemment d'émettre une sommation à l'égard du Dr Jacob pour les motifs prévus aux articles 59 à 62 du Code criminel, qui touchent la sédition, est-ce que sur ce seul point et pour ce seul motif, vous êtes d'avis que ce comité devrait tout simplement prendre acte que le pouvoir judiciaire a refusé d'émettre des sommations et clore le dossier?
M. McWhinney: Il me semble que l'affaire est terminée et que le dossier est fermé.
M. Langlois: Merci, docteur McWhinney.
Maintenant je vais me permettre de faire quelques commentaires. Je comprends qu'au-delà des options politiques que nous défendons tous dans cette Chambre, de façon différente et aussi avec un succès différent, il faut considérer le critère de la liberté d'expression. Et nous en avons un exemple avec le Livre rouge.
M. Chrétien, depuis quelques semaines, cite abondamment les pages 20 et 22 du Livre rouge relativement à la...
[Traduction]
Le président: Excusez-moi. Chers collègues, j'essaie de faire en sorte que nous nous en tenions au sujet sur lequel nous avons invité nos témoins à venir répondre à nos questions. Nous nous sommes tous entendus pour que la présente séance porte sur des questions directement liées au communiqué, et j'invite fortement les membres du comité à interroger le témoin sur ce sujet. D'autres membres ont indiqué qu'ils avaient des questions à poser. Merci.
[Français]
M. Langlois: Vous allez voir, monsieur le président, que mon commentaire est relié au communiqué dont nous parlons. M. Chrétien cite les pages 20 et 22 comme étant l'engagement du Parti libéral et déclare qu'il a satisfait à son engagement. Mais d'autres députés disent que ce n'est pas vrai et que l'engagement était différent. Est-ce que vous verriez du même oeil critique le fait que M. Chrétien soit cité devant le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre pour qu'on examine le Livre rouge et qu'on lui demande s'il dit ceci ou s'il dit cela?
M. Jacob a été élu avec un programme politique précis. Est-ce qu'il n'appartient pas aux électeurs de déterminer s'il accomplit bien son mandat? En ce qui concerne le gouvernement, est-ce que ce n'est pas aux électeurs canadiens, d'un océan à l'autre, de déterminer si la promesse libérale a été remplie, auquel cas ce ne serait plus l'affaire du Comité de la procédure et des affaires de la Chambre?
M. McWhinney: Pour répondre à cette question, je peux citer un avis donné au gouvernement de la Colombie-Britannique. Étant donné qu'il y a une loi qui exige que la législature se présente à l'électorat au moins tous les cinq ans, il y a donc des questions sur lesquelles les électeurs doivent prendre des décisions. Dans une situation comme celle-ci, évidemment, c'est à l'électorat de décider. Ce n'est que dans des cas, très rares aujourd'hui, d'infractions graves relevant du droit criminel que la législature doit réagir directement et immédiatement à la décision de la cour criminelle, une fois que cette dernière a statué.
M. Langlois: Docteur McWhinney, je voudrais, en terminant, vous dire que vous avez été très clair dans votre réponse. M. Strahl a dit tout à l'heure que le communiqué de M. Jacob avait ridiculisé la Chambre. Est-ce qu'à votre avis, les déclarations de M. Jacob ont plus ridiculisé la Chambre que les déclarations de MM. Ringma, Chatters, Hill et Thompson relativement au projet de loi C-33?
M. McWhinney: Chaque député a le droit de soulever une question devant le Président de la Chambre et devant ce comité.
[Traduction]
Des voix: Oh, oh!
M. Strahl: C'est de la foutaise, monsieur le président. Vous venez de l'interrompre il y a une minute parce qu'il avait commencé à parler du Livre rouge; vous ne voulez pas le laisser parler du Livre rouge, mais vous le laissez maintenant tenir ces propos tout à fait farfelus. Que se passe... Quand même!
Le président: Je suis disposé à accepter un rappel au Règlement, mais...
M. Strahl: J'invoque donc le Règlement, monsieur le président. Si vous ne voulez pas lui permettre de parler du Livre rouge et de la multitude de promesses qui n'ont pas été tenues...
Le président: Je l'ai laissé en parler.
M. Strahl: Vous lui avez quand même coupé la parole. Vous avez dit...
Le président: Je lui ai demandé de s'assurer que ce qu'il allait dire avait un lien direct avec le sujet à l'étude.
M. Strahl: En effet. Croyez-vous que ces propos-là aient un lien direct avec le sujet, monsieur le président?
Le président: Écoutez, chers collègues... Si vous voulez faire un rappel au Règlement, je serai heureux de l'entendre.
M. Strahl: J'invoque le Règlement. À mon avis, ce qu'il dit là est de la foutaise, et je vous demande de déclarer ses propos inacceptables. Merci.
[Français]
M. Bellehumeur: Monsieur le président, je pense que ce sont les députés du Parti réformiste qui veulent faire porter au témoin un jugement de valeur sur la déclaration d'un député. Si on veut apprécier le jugement de valeur du député, il faut le mettre en situation. La situation que mon collègue a choisie est très bonne et très actuelle. Les déclarations du Parti réformiste, celles deMM. Ringma, Chatters, Hill et Thompson, sur le projet de loi C-33, qui est un sujet extrêmement sérieux, ont-elles ridiculisé la Chambre plus ou moins que la déclaration de M. Jacob? On est dans le sujet. Ce sont les députés réformistes qui portent ce jugement de valeur.
[Traduction]
Le président: À l'ordre!
Je dois reconnaître que, dans ce contexte, la question n'est pas liée au sujet.
[Français]
M. Bellehumeur: C'est très relié.
[Traduction]
Le président: Elle n'est pas directement liée au sujet à l'étude et je la juge donc irrecevable.
Chers collègues, nous avons un dernier intervenant sur la liste. Monsieur Frazer.
Monsieur Pagtakhan, vous aviez une question?
M. Pagtakhan: Oui, je veux poser une question.
Le président: Monsieur Frazer, vous avez la parole, puis nous terminerons avec M. Pagtakhan.
M. Frazer: Monsieur McWhinney, je n'ai nullement l'intention de mettre en doute votre compétence, mais je conteste toutefois le lien que vous faites avec l'accusation initiale. La question dont nous sommes saisis, nous a été renvoyée pour que nous l'examinions et que nous disions ensuite au Parlement si le geste posé par M. Jacob était acceptable de la part d'un parlementaire. Il ne s'agit pas d'une infraction au Code criminel. Il s'agit simplement de répondre à la question suivante: le geste est-il compatible avec le comportement que doit avoir un parlementaire?
Une voix: Exactement.
M. Frazer: Je me reporte à l'intervention de M. Boudria, quand il a dit que j'avais dit àM. Jacob - et je n'hésite pas du tout à le reconnaître - que je n'avais jamais considéré qu'il préconisait l'usage de la force afin de séparer le Québec du Canada.
Je soutiens toutefois, et j'espère que vous serez d'accord avec moi, que le militaire qui changerait d'allégeance, pourrait faire bien des choses. Il dispose d'un bagage d'information important, dont une bonne partie est confidentielle, et qui pourrait être utile à l'État qu'il servirait et qui pourrait avoir des effets délétères sur l'État qu'il quitterait. Pareil transfert d'allégeance pourrait être préjudiciable au Canada à bien des égards et profitable au Québec, au détriment du Canada. Voulez-vous nous dire ce que vous pensez de cela? J'aurai ensuite une dernière question à vous poser.
M. McWhinney: Colonel, je crois que vous et moi avons tous deux été nommés officiers, vous par la Reine et moi par le Roi.
M. Frazer: C'est juste.
M. McWhinney: Et je suppose que nous avons donc un intérêt particulier pour les cas dont celui dont nous sommes saisis.
Pour ma part, j'ai toutefois consacré toute ma vie aux questions juridiques, et je crois qu'il faut appliquer le principe de la primauté du droit de façon impartiale et générale à tous les cas qui se présentent. Je dois, par conséquent, vous dire, étant donné mes connaissances juridiques, que je ne pourrais vraiment pas recommander que nous allions de l'avant dans cette affaire en raison des conditions dans lesquelles elle a été soulevée à l'origine. Il me semble que l'affaire est teintée de par cette origine. Je ne veux pas pour autant mettre en doute la bonne foi ni l'intégrité de M. Hart, ni mettre en doute non plus l'intégrité des intervenants de votre parti. Il me semble toutefois que l'affaire était viciée dès le départ. Et, par respect pour les droits de M. Jacob, nous devons traiter l'affaire à partir des principes que j'ai évoqués. Je recommande cette façon de faire par respect pour le principe de la primauté du droit.
Je n'ai fait aucune insinuation dans mes réponses à M. Speaker ou à M. Strahl quant aux motifs qui ont fait que la question a été soulevée. Je respecte les attitudes de tous les membres du parti. Je pense que c'est le droit de chaque député de soulever une question. Il ne s'agit pas de ridiculiser les députés pour avoir soulevé une question et de demander une décision au Président et au comité.
D'après moi, cette affaire a été colorée par ses origines.
M. Frazer: Monsieur McWhinney, les privilèges d'un parlementaire vont un peu au-delà de ceux des autres personnes à la Chambre. Je dirais même que ses responsabilités vont au-delà de celles d'autres Canadiens à certains égards. Par exemple, à la Chambre nous ne pouvons pas utiliser de langage qui serait tout à fait acceptable et qui ne créerait aucun problème en dehors de la Chambre.
Un communiqué portant l'en-tête du bureau du chef de l'Opposition officielle et intitulé «Un Québec souverain aura besoin de tous les militaires québécois actuellement au sein des Forces armées canadiennes»... Ne croyez-vous pas qu'on puisse poser des questions sur un tel communiqué émis avec l'en-tête officiel par un député fédéral et adressé à un groupe de personnes qui ont prêté allégeance à un autre pays?
M. McWhinney: J'ai cité le cas de l'honorable Edward Ward, le cas australien.
Je crois qu'il s'agit ici d'un cas où, dans le feu de la campagne référendaire, un député est allé au-delà de ce que je considérerais comme prudent. J'ai examiné la situation à nouveau, et je dirais que dans un cas pareil, il vaut mieux s'en remettre aux tribunaux ordinaires du pays. Ce n'est pas correct que des parlementaires aient droit à des privilèges spéciaux qui vont excédent ceux des autres citoyens. S'il y a sédition dans cette affaire, saisissons-en les tribunaux.
Ne permettez pas cette défense du privilège parlementaire qui, au fait, était autrefois invoquée avec succès. On disait qu'on faisait telle ou telle chose en tant que parlementaire et qu'on était à l'abri de toute poursuite.
Saisissez-en un tribunal, et si le tribunal estime que l'accusation est justifiée, il y aura verdict de culpabilité. Les coupables en prison. Ils ne peuvent pas invoquer l'immunité parlementaire ou les privilèges de parlementaires. Si les tribunaux civils se chargent de cette affaire, elle s'arrête là.
Je crois comprendre que trois tribunaux se sont penchés sur la question. Je présume que trois procureurs de la Couronne l'ont examinée. Le respect que nous avons tous les deux de la loi devrait faire en sorte que dans un cas comme celui-ci, nous acceptons la décision des autorités civiles au sein du Parlement et pour ce qui est des questions qui se limitent au Parlement lui-même. Mais si ce qu'on laissait entendre ici - d'après les origines de l'affaire, je pense que c'était effectivement le cas - c'était de renverser le gouvernement ou de convertir les jeunes...
Le président: Merci. Le temps est épuisé.
J'avais bien dit que nous essaierions de finir à midi. J'ai promis à M. McWhinney qu'il pourrait sortir d'ici au plus tard à 12 h 15, et il est déjà plus tard que cela.
Monsieur Pagtakhan, vous avez une très brève dernière question.
M. Pagtakhan: Monsieur McWhinney, avez-vous trouvé que le communiqué portait atteinte au privilège, ou qu'il s'agissait d'un outrage à la Chambre ou d'un geste déplacé?
M. McWhinney: Non. J'ai trouvé qu'il y avait matière prima facie pour une cause que je renverrais aux autorités civiles afin qu'elles prennent la décision de poursuivre ou non. S'il y avait poursuite, il faudrait respecter la décision des tribunaux. Ce processus a été entamé, suivi et est clos. Comme je l'ai dit en réponse à M. Langlois, à mon avis, cette affaire est close pour le Parlement à cause de la décision des tribunaux civils.
M. Pagtakhan: Merci.
Le président: Merci, monsieur Pagtakhan.
Chers collègues, en votre nom, je tiens à remercier M. McWhinney de nous avoir donné son point de vue et d'avoir partagé son expertise avec nous.
Nous vous en sommes reconnaissants, monsieur.
Comme vous le savez, nous nous étions entendus pour entendre Joe Maingot mardi à 11 heures. À la fin de cette séance, nous réglerons les autres questions soulevées par notre collègue M. Speaker quant aux témoins futurs. Est-ce bien la volonté générale du comité?
Des voix: D'accord.
Le président: D'accord.
Oui, monsieur Langlois?
[Français]
M. Langlois: Il y a une question que j'ai laissée de côté trois fois de suite.
[Traduction]
Le président: Oui. Il y a une motion de la dernière...
[Français]
M. Boudria: Peut-on la déposer et la prendre en considération à une autre réunion?
M. Langlois: Monsieur Boudria, pourrait-on le faire au plus tard mardi, parce que le délai se termine le 31 mai?
Il restera très peu de temps pour en disposer. La motion parlant particulièrement de créer un sous-comité pour les oppositions des députés, il faudra peut-être siéger pendant la semaine de relâche. Personnellement, je n'y verrais pas d'objections.
[Traduction]
Le président: Est-on d'accord pour remettre à mardi prochain?
[Français]
M. Langlois: Il faut se rappeler que c'est sur la table pour la troisième fois.
[Traduction]
Le président: Oui, je sais que c'est sur la table pour la troisième fois.
Sommes-nous d'accord?
M. Boudria: D'accord.
[Français]
M. Langlois: Merci.
[Traduction]
Le président: La séance est levée jusqu'à mardi matin.