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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 21 novembre 1996

.1108

[Traduction]

La présidente: La séance du Comité permanent des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées est ouverte.

Au cas où des téléspectateurs ne sauraient pas grand-chose de notre comité, je vous rappelle qu'une étude a été réalisée sur la condition des personnes handicapées. Par la suite, on a formé un groupe de travail dont les conclusions ont été présentées au gouvernement qui est en train de les étudier. Notre comité s'attend à une réponse positive du gouvernement.

Après cette étude, notre comité a décidé, il y a quelques mois déjà, d'explorer l'incidence des nouvelles technologies sur le droit à la vie privée. Nombre d'entre vous savent sans doute que ce droit à la vie privée est garanti par la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n'est pas décrit aussi précisément dans la Constitution canadienne, mais il est assimilable à la sécurité de la personne, une garantie prévue aux articles 7 et 8.

Notre comité a décidé de chercher à comprendre ce qu'impliquent les nouvelles technologies pour notre vie privée et pour nos droits et libertés individuels, étant donné tout ce qu'on peut lire sur elles. Sont-elles aussi envahissantes qu'on le croit? Sait-on tant de choses sur nous? Qui les a apprises, comment et où?

En un sens, nous avons une série de questions. Nous avons commencé à préparer le terrain le printemps dernier, en organisant trois tables rondes. La première s'est intéressée à l'effet des nouvelles technologies de l'information sur les droits de la personne et la deuxième, à l'effet des nouvelles technologies biomédicales. La troisième, à laquelle nous avions le privilège d'avoirM. Phillips comme participant, a examiné les politiques et les mesures législatives qui encadrent toutes ces nouvelles technologies afin de protéger les droits des gens.

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Notre comité a aussi bénéficié d'une réunion des commissaires à la vie privée du monde entier, qui a été organisée par M. Phillips. Ce fut vraiment très enrichissant et j'ajouterais même un peu apeurant pour nombre d'entre nous qui n'étaient pas convaincus qu'on savait tant de choses sur nous. Nous ignorons aussi ce que nous, les Canadiens, pouvons trouver acceptable et inacceptable compte tenu de notre propre échelle de valeurs.

Voilà donc où nous en sommes. Nous avons maintenant bien cerné la question. Comme c'est un domaine immense, nous allons nous concentrer sur trois principaux secteurs d'activité: la surveillance électronique, l'identification et la surveillance biologique. Nous allons commencer par M. Phillips, notre expert - il l'est vraiment - qui va nous faire faire un survol de la question. Ensuite, on nous donnera un aperçu de chacun des trois secteurs retenus en vue de nous préparer à rencontrer le grand public. Nous prévoyons faire le tour du pays et nous rendre dans cinq grandes villes pour aller y entendre ce que les gens ont à dire afin de nous assurer que ces droits à la vie privée nous permettent vraiment de préserver notre dignité.

M. Phillips a mis en lumière les technologies qui existent déjà et leur incidence sur la vie privée des Canadiens. Parmi les exemples qu'il a donnés, il y a les réseaux informatiques, les techniques de dépistage génétique, les caméras de surveillance vidéo et les cartes d'identité comportant des empreintes numérisées.

[Français]

Il a également signalé certaines pressions économiques et sociales qui menacent le degré de protection des renseignements personnels dont jouissent les Canadiens et Canadiennes et a suggéré quelques mesures pour consolider nos droits à la vie privée.

Aujourd'hui, il revient pour approfondir les questions de respect de la vie privée que le comité examine depuis quelques mois.

[Traduction]

Le Commissaire à la vie privée du Canada, comme plusieurs d'entre vous le savent déjà sans doute, est considéré comme le chien de garde fédéral, mais vous ne donnez pas du tout cette impression quand on vous connaît personnellement, monsieur Phillips. En réalité, c'est lui qui protège les droits des Canadiens à la vie privée. Les pouvoirs et attributions du commissaire découlent de la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels. Ce sont, notamment, enquêter sur des plaintes alléguant certaines atteintes à la vie privée, examiner l'application de la Loi par les institutions fédérales, faire rapport au Parlement et mener des études spéciales qui lui sont confiées par le ministre de la Justice.

La Loi est l'une des pièces de la mosaïque législative qui protège la vie privée des Canadiens. Il s'agit exclusivement d'une mesure de protection de données et, par conséquent, elle ne garantit pas les autres aspects de la vie privée - c'est une question que M. Phillips va approfondir pour nous. De plus, elle ne s'applique qu'aux institutions fédérales, et non pas au secteur privé sous compétence fédérale. Elle introduit un régime visant à protéger les renseignements personnels que détiennent certaines institutions fédérales au sujet des individus.

[Français]

Elle fournit également un mécanisme qui permet aux Canadiens et Canadiennes d'avoir accès aux renseignements personnels rassemblés à leur sujet et de faire annoter ou corriger les inexactitudes. Les renseignements personnels sur un individu identifiable consistent en des données enregistrées sous une forme ou sur un support quelconque, par exemple des renseignements relatifs à la race, à l'origine nationale ou ethnique, à la couleur, à la religion, à l'âge, à la situation familiale, à l'éducation, au dossier médical, au casier judiciaire, aux antécédents professionnels, à l'adresse, aux empreintes digitales et au groupe sanguin - that means your blood group - à tout numéro identificateur ainsi qu'à d'autres données.

[Traduction]

Je pense que ce sont des affaires très importantes qui nous préoccupent tous. La Loi sur la protection des renseignements personnels, adoptée en 1983, n'a presque pas été modifiée depuis. Le Comité permanent de la justice et du Solliciteur général l'a réexaminée en 1987 et a ensuite formulé un certain nombre de recommandations pour la renforcer. Ces recommandations se trouvent dans un rapport intitulé Une question à deux volets. L'un des membres de notre comité, l'honorable Warren Allmand, faisait partie de ce comité. Nous aurons donc le plaisir de profiter de sa mémoire institutionnelle qui nous permettra d'examiner ces questions, parce que nous voulons savoir - peut-être nous l'apprendrez vous, monsieur Phillips - si l'on a donné suite à ces recommandations.

.1115

Avant de céder la parole à M. Phillips, je voudrais que les membres du comité se présentent à tour de rôle.

[Français]

Je vais commencer par le député du Bloc québécois, M. Bernier.

M. Bernier (Mégantic - Compton - Stanstead): Je m'appelle Maurice Bernier et je représente la circonscription de Mégantic - Compton - Stanstead.

La présidente: Merci. Et de ce côté?

[Traduction]

M. Godfrey (Don Valley-Ouest): Je m'appelle John Godfrey et je suis le député de Don Valley-Ouest à Toronto.

M. Assadourian (Don Valley-Nord): Je m'appelle Sarkis Assadourian et je représente Don Valley-Nord à Toronto.

M. Allmand (Notre-Dame-de-Grâce): Je m'appelle Warren Allmand, député de Notre-Dame-de-Grâce à Montréal.

La présidente: Et moi, je suis Sheila Finestone, présidente du comité, et je représente la circonscription de Mont-Royal à Montréal, Québec, Canada.

Une voix: La belle province.

La présidente: Dans la belle province.

Monsieur Phillips, nous essayons maintenant de nous concentrer sur ces trois secteurs. La réunion d'aujourd'hui est la première des trois que nous allons avoir, maintenant que nous avons précisé ce qui nous importait le plus. Je suis ravie que vous ayez porté à notre attention cette citation du juge La Forest. À bien des égards, cette phrase fait ressortir exactement ce qui nous préoccupe. Selon le juge La Forest de la Cour suprême du Canada, si nous estimons que la délimitation de notre vie privée détermine en grande partie les bornes de notre liberté, alors nous ne devrions pas être obligés de partager nos confidences avec les autres, car c'est la marque même d'une société libre.

Alors, monsieur, quel est notre degré de liberté dans la société? Qui nous observent et que savent-ils sur notre compte?

M. Bruce Phillips (commissaire à la vie privée du Canada): Merci beaucoup. Vous m'avez posé des questions qui sont certes intéressantes.

Avant de commencer, madame la présidente, je dois humblement décliner l'honneur de faire partie de vos experts. Je ne suis pas un expert. Disons seulement que je suis soucieux comme vous. Le domaine étant extrêmement vaste, je ne peux absolument pas prétendre être un expert dans tous les secteurs qu'il recoupe.

J'ai lu les témoignages de certains de mes homologues qui ont comparu devant vous récemment, en particulier M. Flaherty de la Colombie-Britannique, M. Rotenberg des États-Unis et Simon Davies et Paul-André Comeau du Québec. À mon avis, ils ont très bien réussi à cerner la problématique de la protection de la vie privée.

Il a certainement été trop modeste pour vous le dire, mais sachez que M. Flaherty, en particulier, est l'auteur des expressions les plus éloquentes, à mon avis, qui aient jamais été trouvées pour décrire ce qui se passe dans notre monde. Il y a sept ans, il a écrit un livre intitulé Protecting Privacy in Surveillance Societies. Voici comment il y décrit le phénomène:

Vous voulez savoir qui nous observe. La réponse, c'est beaucoup de monde. D'après notre expérience, son observation sous-évalue sérieusement la réalité.

J'ai tenu compte du fait que vous cherchiez à vous concentrer sur deux ou trois aspects de la question, notamment la surveillance électronique. C'est pourquoi j'ai pensé vous mettre au fait de ce qui est arrivé depuis notre dernier entretien, l'été dernier. Je vais vous donner quelques exemples choisis dans la plus récente liste des développements intéressants dans le champ des applications technologiques conçues pour la surveillance. Certaines vont vous paraître inoffensives, d'autres, utiles, mais quelques-unes vont peut-être vous horrifier. Dans l'ensemble, ces quelques exemples vont vous permettre de saisir à quel point la surveillance électronique des êtres humains est maintenant universelle, étendue et répandue.

Par exemple, il y a à peine deux mois, le gouvernement de notre propre pays a présenté des modifications du Code criminel qui vont lui permettre de demander à un juge l'autorisation de placer des dispositifs électroniques sur quelqu'un afin de pouvoir suivre ses allées et venues. Ce dispositif pourra être utilisé lorsqu'on a des motifs raisonnables de craindre que cette personne va causer des sévices graves à autrui. Il ne sera pas nécessaire que la personne ainsi surveillée ait été accusée ou reconnue coupable d'une infraction.

.1120

Une compagnie américaine de marketing direct peut vous vendre la liste des adresses de80 millions de ménages américains, classés suivant le groupe ethnique. Parmi les 35 ethnies figurant ainsi dans la base de données qu'elle est prête à vous vendre, il y a notamment les Arméniens et les Juifs. Entre autres renseignements, on donne le nombre d'enfants et leur groupe d'âge. Imaginez la valeur de telles listes pour les mouvements terroristes et les organisations haineuses.

Un autre service offert sur Internet peut retracer 160 millions de personnes vivant aux États-Unis en vous indiquant l'adresse, le numéro de téléphone, les noms des membres du ménage, leur date de naissance et la liste d'au plus 10 voisins.

Je crois que David Flaherty vous a parlé du programme Pharmanet en Colombie-Britannique. C'est un exemple fort intéressant. Une seule base de données provinciale regroupe toutes les ordonnances d'un patient dans un seul dossier qui porte son nom. Les résidents de la province n'ont pas le choix. Ils doivent figurer dans cette banque de renseignements médicaux assez confidentiels.

Il est évident que ce programme a pour but d'éviter la délivrance d'ordonnances incompatibles, ce qui est une cause importante d'hospitalisation, mais il permet de partager les renseignements avec d'autres personnes, y compris les policiers, à des fins qui n'ont rien à voir avec la santé.

Vous êtes tous au courant déjà du problème tout à fait d'actualité mettant en cause Développement des ressources humaines Canada et Revenu Canada qui se proposent de comparer les déclarations de douane des voyageurs avec la liste des prestataires de l'assurance-chômage dans l'espoir de découvrir ceux qui touchent des prestations sans se conformer aux règlements qui les régissent. Les voyageurs n'ont jamais été avertis que ces formulaires pourraient servir à une fin sans aucun rapport avec les douanes, à savoir repérer les demandes frauduleuses d'assurance-chômage.

L'armée américaine a commencé à prélever des échantillons d'ADN sur ses deux millions de militaires, apparemment dans le but d'identifier ceux qui meurent au combat. Pourtant, ces échantillons d'ADN seront aussi mis à la disposition de la police pour ses enquêtes criminelles, fournissant ainsi en un tournemain ce que les policiers n'auraient jamais pu espérer autrement - une base des empreintes génétiques de deux millions d'individus qui sont à des lieues d'être soupçonnés d'avoir commis un crime.

Au Royaume-Uni en ce moment, quelque 200 000 caméras de surveillance vidéo sont déjà utilisées. Dans au moins une ville, elles ont été installées dans des quartiers résidentiels et elles peuvent être dirigées vers des résidences privées. Nombre de ces caméras sont munies de zooms puissants. Je pense que M. Davies vous a décrit ces caméras de surveillance dans son témoignage.

La technologie permet maintenant de fabriquer et de mémoriser une image numérisée du visage de quelqu'un. Ensuite, on peut brancher le système informatique à une caméra pour retrouver le visage de cette personne dans une foule, par exemple, à une manifestation politique. Les fabricants d'un tel système d'imagerie soutiennent qu'en 1997, leur produit sera capable de balayer une base de données de 50 millions de visages en moins de une minute.

Il existe d'autres dispositifs qui nous sont plus familiers. Je pense par exemple à ceux qui peuvent dépister électroniquement les marchandises de contrebande dans nos bagages, scanner sous nos vêtements à une distance de 12 pieds ou plus, voir au travers des murs pour y déceler du mouvement, ou à d'autres encore qui sont programmés pour reconnaître une voix et repérer dans l'air les conversations téléphoniques de cette voix. Beaucoup de ces technologies - presque toutes, en fait - sont déjà utilisées sans qu'on le sache.

Prenons par exemple la caméra de surveillance. On peut difficilement soutenir qu'une seule caméra de surveillance vidéo installée dans un garage ou au-dessus de la caisse d'un dépanneur constitue une menace grave pour la vie privée. Le rôle des caméras à ces endroits-là est tout à fait évident et on aurait du mal à démontrer qu'elles sont dépourvues d'avantages.

Cependant, quand on en arrive au point où une foule de caméras sont braquées sur nous et contrôlées par des gens que nous ne connaissons pas, qu'elles enregistrent sur nous des renseignements qui servent à des fins dont nous ne sommes pas informés, alors je crois que nous avons outrepassé les limites de l'activité humaine normale.

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M. Davies, qui a comparu devant vous il y a quelque temps par téléconférence - une autre technologie intéressante - a comparé l'usage fort répandu de caméras de surveillance à la délivrance d'un mandat de perquisition général qui viserait toute la population. Je trouve que c'est une description qui convient tout à fait.

Si nous vivons vraiment dans une société qui se targue de restreindre le pouvoir qu'a l'État de s'immiscer dans nos vies, je crois que nous devons tenir compte de ces développements alarmants, quand je dis «alarmant», je n'exagère pas. Nous avons l'air tout à fait prêts et dénués de sens critique devant les applications technologiques proposées qui circonscrivent nos vies de toutes sortes de manières. Chacune a sa propre justification, mais cumulativement, elles ont pour effet de transformer la façon dont on vit.

Il y a des villes et des localités au Canada où l'on a placé des caméras dans les rues, probablement pour éviter la perpétration de crimes, mais ont-elles vraiment cet effet? Ne font-elles pas seulement déplacer les crimes qui sont plutôt commis là où il n'y a pas de surveillance? S'il y a de la surveillance partout, sommes-nous en train de nous bâtir une sorte de goulag?

Je vous ai déjà dit qu'il est possible d'arriver à la sécurité absolue, à l'ordre absolu et au contrôle intégral si on le veut vraiment, mais pour y arriver, il faut abandonner tout vestige de ses droits comme être humain libre, autonome et unique. Il faut s'interroger sérieusement pour savoir jusqu'où on veut aller.

Que penser de ces dispositifs dont j'ai parlé qui peuvent fouiller les gens ou jeter un regard inquisiteur dans leurs maisons sans qu'ils s'en rendent compte? La technologie qui permet de le faire est déjà disponible. Je pense que nous pouvons admettre sa nécessité si elle vise un terroriste, mais est-elle acceptable pour tout le monde? L'État n'a pas besoin de mandat pour perquisitionner ou fouiller avec ces dispositifs, pourtant un policier a certainement besoin d'un mandat pour fouiller quelqu'un ou perquisitionner sa demeure.

Comme vous pouvez le constater, les technologies déjà disponibles peuvent servir à contourner les systèmes qui, depuis des années, protègent les droits des citoyens contre les pouvoirs de l'État. Il suffit maintenant d'utiliser tout bonnement la nouvelle technologie de visualisation pour éluder toutes ces mesures de protection.

Je voudrais vous citer un autre extrait d'une décision du juge La Forest dans un arrêt récent. Il a fait remarquer que le principe de l'inviolabilité de notre vie privée est tel que le souverain lui-même ne peut pas passer outre «sans avoir préalablement obtenu un mandat judiciaire. Ce principe a toujours constitué depuis un rempart assurant la protection du particulier contre l'État. Il procure à l'individu une certaine mesure de vie privée et de tranquillité vis-à-vis du pouvoir atterrant de l'État». Comment va réagir notre Cour suprême maintenant à ces technologies qui permettent à l'État de voir au travers des murs de la maison même qui a si longtemps été protégée contre les intrusions arbitraires?

La technologie derrière la société de surveillance d'aujourd'hui est en train de transformer la nature de nos relations. À mon avis, c'est réellement un net danger pour un droit fondamental chèrement gagné. Nous avons fait beaucoup de chemin depuis l'époque où l'on était maître chez soi et où l'intégrité corporelle était primordiale. On semble se diriger dans une tout autre direction maintenant.

Je ne pense pas que ce soit une discussion purement théorique, intéressant uniquement les professeurs d'université et les étudiants et personne d'autre. Lors de mon dernier entretien avec le comité, j'ai discuté de certains de ces points qui ont des conséquences bien concrètes sur la vraie vie. Le juge La Forest lui-même dit que la vie privée définit les limites de notre liberté.

Un autre point important, c'est que cette ressource n'est pas renouvelable. Si l'on est prêt à accepter passivement que nos vies soient dominées par la technologie, ou même si, en péchant par omission, nous n'en prenons pas conscience, nous allons tous découvrir que c'est bien plus difficile qu'on pense de récupérer ce que l'on a déjà cru acquis.

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Prenons comme exemple le roman-feuilleton de l'heure: l'affaire de Charles et Diana. Que donneraient-ils aujourd'hui pour retrouver l'intimité qu'ils ont perdue à cause de leurs appels téléphoniques interceptés, entre autres? Pourtant, ce qui leur est arrivé pourrait arriver à n'importe laquelle des personnes qui se trouvent dans cette salle. Il suffit d'avoir un simple dispositif de balayage des ondes pour pouvoir écouter les conversations sur téléphones cellulaires. Oui, il existe une loi contre ça, mais la technologie existe et le scanning se poursuit.

Est-ce qu'une personne déclarée séropositive arrivera jamais à reprendre le contrôle d'une affaire aussi personnelle et aussi confidentielle une fois que le renseignement devient propriété de la collectivité?

Quelqu'un dont les renseignements personnels ont été interceptés sur l'autoroute de l'information, sur Internet par exemple, pourra-t-il jamais espérer en reprendre le contrôle? Vous avez pu voir il y a quelque temps comme c'était facile, quoique c'était alors à des fins bien légitimes. La police patrouille régulièrement l'Internet maintenant et a réussi de cette manière à empêcher la perpétration de graves crimes - mais toute médaille a un revers.

Depuis peu, le concept de la vie privée a fait des progrès, du moins en ce qui concerne la reconnaissance par les gens et par les législateurs jusqu'en haut de l'échelle, si l'on peut dire, des problèmes actuels que ça pose au public. Mai il y a encore du chemin à faire.

L'un des problèmes pour la protection de la vie privée, c'est que les gens ont tendance à la considérer, surtout dans le milieu de la technologie, comme un facteur parmi tous ceux dont il faut tenir compte. Ça signifie qu'on fait un compromis entre la protection de la vie privée et l'avantage économique. Selon moi, c'est une façon tout à fait erronée de considérer la question. La vie privée doit être le fondement de nos droits fondamentaux et servir de référence à l'appréciation de toute mesure proposée. Si l'on...

La présidente: Excusez-moi, monsieur Phillips. Je sais que vous êtes en train de faire un exposé magistral, mais je veux être certaine de vous avoir bien compris. Votre déclaration qui appuie sans équivoque les droits individuels par rapport aux droits collectifs, signifie-t-elle qu'un projet de loi universel permettrait de mieux les protéger? Est-ce que vous privilégiez plutôt des mesures adaptées à chaque cas, selon le secteur technologique et le degré d'indiscrétion? Vous allez peut-être répondre à cette question plus tard. Excusez-moi.

M. Phillips: Eh! bien, je suis certain que nous allons en discuter tout à l'heure. Il y a plusieurs méthodes pour régler ces problèmes. Il y en a une que je privilégie et je serai bien content de vous en parler, mais jamais je n'oserais prétendre que c'est parole d'évangile.

L'important, c'est que votre comité comprenne que la protection de la vie privée n'est pas une simple considération parmi d'autres. C'est un droit individuel fondamental qui mérite une réflexion très sérieuse. Il ne faudrait jamais permettre qu'on y porte atteinte à moins d'une preuve irréfutable de l'absolue nécessité de le faire. Je crains que, dans l'ensemble, on ne soit trop porté à se dire que ce n'est pas trop grave d'aller fouiner dans les dossiers de millions de Canadiens qui ont donné des renseignements au gouvernement fédéral en toute confiance, parce que ça permettra peut-être de pincer quelques fraudeurs de l'assurance-chômage. À mon avis, c'est une erreur d'aborder la question sous cet angle.

Ce qui compte le plus, se sont les droits des personnes concernées, pas ce qui est commode pour les fonctionnaires qui, dans l'espoir de combler des lacunes administratives, affirment maintenant qu'il faut absolument fouler au pied la relation de confiance qu'ils ont avec les Canadiens pour parvenir à un résultat et ainsi réduire les dépenses.

Il ne faut pas que des considérations monétaires déterminent s'il y a lieu ou non de protéger le droit à la vie privée. Pourtant, à mon avis, c'est le concept qui est sous-entendu dans cette affaire des douanes et de l'assurance-chômage, par exemple.

.1135

Lors de ma dernière comparution, je crois vous avoir dit que, selon moi, les régimes législatifs destinés à protéger la vie privée au Canada n'étaient pas à la hauteur. Je n'ai nul besoin de tout vous expliquer en détail, mais je crois que ça vaut la peine de vous présenter un bref résumé.

Exception faite du Québec, aucune loi au pays, sauf quelques-unes concernant la responsabilité délictuelle dans certaines provinces, ne traite expressément de la question de la protection des renseignements personnels dans le monde du commerce. C'est une gigantesque lacune.

De nos jours, ce n'est pas le gouvernement qui reçoit la plus grande quantité de renseignements, mais bien le secteur privé, et de loin. Chaque jour, les entreprises trouvent de nouveaux moyens d'exploiter les renseignements personnels que leur fournit leur clientèle. Par exemple, vous avez sûrement tous appris que l'une de nos grandes banques à charte a décidé sans tambour ni trompette, il y a quelque temps, de rassembler en une seule base de données tous les renseignements qu'elle obtient sur ses clients qui utilisent une carte de crédit afin de pouvoir commercialiser leur profil. Si j'ai bien compris, elle n'a jamais vraiment fait part de son dessein à sa clientèle et elle n'a pas obtenu le consentement réellement éclairé de ses clients.

Voilà un petit exemple des choses qui se passent.

La présidente: Alors, les entreprises ont le droit de faire ce qu'elles veulent avec les renseignements dont elles disposent.

M. Phillips: Essentiellement, oui.

La présidente: Vous nous avez expliqué que, sans qu'on le sache - ou sans qu'on le remarque la plupart du temps - il y a au bas de notre carte de crédit, que ce soit Visa, Banque de Montréal ou une autre, une petite ligne indiquant que les renseignements peuvent être utilisés à d'autres fins. Cette phrase n'apparaît-elle pas aussi sur les formulaires à remplir pour ouvrir un compte en banque?

M. Phillips: Non.

La présidente: Autrement dit, c'est sans notre consentement.

M. Phillips: Les formulaires que les clients remplissent pour ouvrir un compte bancaire sont un peu plus précis. Ça vaudrait la peine que le comité s'en procure des exemplaires.

En règle générale, il y a sur certains formulaires une case qu'on peut cocher si l'on refuse de recevoir des renseignements sur les services de commercialisation, les produits, etc.. En fait, la plupart des formulaires ont cette petite case, mais les institutions financières ne donnent pas beaucoup de détails sur la façon dont elles gèrent et synthétisent les renseignements sur leurs clients.

Ça ne veut pas dire que les banques n'ont pas un code de protection des renseignements personnels; elles en ont effectivement un. Le problème, toutefois, c'est qu'il manque à leurs codes et à tous les autres qui existent dans le secteur privé aujourd'hui, un élément essentiel à leur efficacité et à leur crédibilité aux yeux du public: une procédure supervisée par des tiers pour étudier les plaintes. Ça fait défaut.

Pour vous mettre au fait des derniers événements - et je suis certain que quelques-uns d'entre vous sont déjà au courant - le gouvernement a pris d'importantes mesures préliminaires. M. Manley et M. Rock ont annoncé il y a un an qu'ils avaient l'intention de poursuivre la conception d'une loi-cadre qui viserait tant le secteur privé que le secteur public. En septembre, à la conférence de presse à laquelle Mme Finestone a fait allusion dans ses remarques préliminaires, M. Rock a réitéré son engagement et donné plus de détails sur la vision qu'a le gouvernement de la protection de la vie privée. J'avoue que ses propos m'ont encouragé.

Il a dit que la croissance de la société de l'information a atteint un stade où il n'est plus possible de dissocier le flot des renseignements circulant dans le secteur privé de celui du secteur public; que toutes ces informations empruntent les mêmes réseaux de transmission; qu'il y a beaucoup trop d'échanges; et que le temps était venu d'avoir une législation bien plus globale de la protection de la vie privée. Le ministre espère pouvoir présenter un projet de loi au Parlement avant l'an 2000.

Je comprends que la question est complexe, mais je trouve qu'il se ménage vraiment beaucoup de temps, si je peux dire.

M. Godfrey: Il prévoit être député longtemps.

Des voix: Oh, oh!

M. Phillips: Je n'ai aucun commentaire à faire à ce sujet, monsieur Godfrey. Je suis au service de tous.

.1140

En guise de péroraison, si vous permettez, j'ajouterais que nous devons nous convaincre de ne pas nous laisser séduire par le faux raisonnement voulant qu'une surveillance accrue signifie une société meilleure et plus sûre, sans compter que ça coûterait cher à tous points de vue. L'enjeu véritable, c'est la qualité de vie.

Nous devons nous rappeler l'histoire de notre siècle et nous remémorer ce qui arrive aux sociétés dont les membres, en échange des vertus présumées d'une vie plus ordonnée et plus prévisible - et, bien entendu, le nom d'un État nous vient tout de suite à l'esprit - abandonne de leur plein gré toutes les mesures de protection qu'ils ont mis tant d'acharnement pendant si longtemps, pendant des siècles, à acquérir chèrement. Donc, logiquement, si l'on incite les gens à devenir autoritaristes, ils le deviendront fort probablement.

Il faut toujours en dire juste assez - jamais plus. Ne transformons pas notre société en gigantesque trou de serrure où nous nous trouverions tous du même côté de la porte, les serviteurs de l'État et ceux du profit à tout prix se trouvant de l'autre, en train de nous observer.

Le siècle tire à sa fin; le millénaire aussi. J'espère que des efforts comme le vôtre et d'autres initiatives prometteuses quoique encore bien timides feront naître une appréciation toute nouvelle de la vie privée et que nous ne serons pas témoins au XXIe siècle de l'extinction du droit que nous avions la responsabilité de préserver au XXe siècle.

Je vous remercie.

La présidente: Eh! bien, monsieur Phillips, si jamais l'un de nous doutait encore du bien-fondé de notre étude... Je crois que vous avez dépeint une situation assez alarmante. J'espère que notre comité n'arrive pas trop tard et que nous pourrons trouver la meilleure voie à suivre grâce aux renseignements de base que vous nous avez donnés.

Je vais maintenant demander à

[Français]

M. Bernier du Bloc québécois de commencer. Nous allons tous participer, mais nous allons d'abord donner la parole à M. Bernier et ensuite aux autres députés, M. Allmand, M. Assadourian,M. Godfrey. M. Godfrey se sent malade parce qu'il a un enfant malade chez lui, malheureusement. J'espère que tout va bien maintenant.

[Traduction]

J'ose espérer que nous sommes tous assez à l'aise pour que si un député aborde un sujet et que l'un d'entre vous souhaite faire une intervention avant d'arriver à son tour d'interroger M. Phillips, il n'a qu'à le faire savoir. Je crois que la discussion sera plus intéressante ainsi.

J'espère que cela vous convient, monsieur Phillips.

M. Phillips: C'est à vous de décider et ça me convient parfaitement.

La présidente: Très bien.

[Français]

Monsieur Bernier, s'il vous plaît.

M. Bernier: Tout d'abord, j'ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à M. Phillips à notre comité, une fois de plus. C'est toujours un plaisir de l'entendre. En même temps, ses propos soulèvent énormément de questions en rapport avec le sujet qui nous concerne.

Vous avez dit, d'entrée de jeu, qu'il y avait plusieurs façons de considérer le respect de la vie privée et surtout l'intrusion dans notre vie privée. On peut considérer cela comme anodin ou on peut voir presque un film d'horreur quand on regarde tout ce qui se passe autour de nous. Vous avez raison, parce que plus on s'informe sur le sujet, plus, en tout cas pour ma part, on devient circonspect par rapport à la protection de la vie privée et plus on se demande comment on va réussir à cerner la question.

.1145

À ce comité, nous avons reçu des experts. Vous ne voulez peut-être pas qu'on vous considère comme un expert, mais vous en êtes un à votre façon. Tout en restant branchés sur la réalité des citoyens ordinaires, nous avons entendu toutes sortes d'experts. Le comité en est maintenant rendu à l'étape où il doit agir, c'est-à-dire essayer de cerner la problématique afin de faire des suggestions au gouvernement quant à sa façon d'agir.

Bien sûr, je ne veux pas revenir tout de suite sur le sujet. Je ne vois pas la nécessité d'insister sur le fait qu'on devrait encadrer le privé. Il me semble que c'est l'évidence même. Le gouvernement devrait agir dans ce domaine.

Mais pour l'avancement de nos travaux, nous avons l'intention d'aller rencontrer des gens un peu partout au Canada, de simples citoyens et d'autres personnes ayant une certaine expertise. Nous voulons vérifier quelles sont, au fond, les valeurs que les Canadiens de tout le pays partagent en ce qui a trait à la vie privée, autrement dit ce qui les préoccupe et quels éléments de leur vie privée ils croient devoir être protégés par le gouvernement.

Vous avez énuméré quelques-unes de ces valeurs, mais j'aimerais que vous précisiez lesquelles sont les vôtres, quelles sont les valeurs personnelles de Bruce Phillips concernant le respect de la vie privée. Vous en avez donné une définition. En tout cas, j'ai saisi une définition de ce qu'est la vie privée pour vous. Vous avez dit ce matin, si j'ai bien compris, qu'il s'agit là d'un droit fondamental. J'aimerais que vous nous précisiez si vous souhaitez que ce droit fondamental se retrouve dans la Constitution, par exemple.

Je voudrais entendre votre opinion là-dessus et sur les valeurs que vous privilégiez quant au respect de la vie privée.

[Traduction]

M. Phillips: Monsieur Bernier, je suis content que vous ne m'ayez pas demandé de parler au nom de tous les Canadiens, parce que mis à part ce que j'apprends par-ci par-là, cela me serait vraiment impossible, quoiqu'il existe des enquêtes intéressantes qui nous donnent un assez bon aperçu de l'attitude générale du public.

La présidente: Il me semble d'ailleurs que vous nous avez fait part de l'enquête d'Ekos que nous allons trouver fort utile.

M. Phillips: En effet. Et il y en a d'autres, madame la présidente, que nous allons également vous faire parvenir. Il en ressort toujours la même chose: les gens sont très grandement préoccupés par la perte de contrôle.

La protection des renseignements personnels comporte deux éléments: le premier, c'est le contrôle et le deuxième, la transparence. Ce sont les deux éléments indispensables de tout régime de protection de la vie privée qui se respecte. Les gens doivent savoir ce qui se passe et, en conséquence, être en mesure d'exercer un certain contrôle.

Vous m'avez demandé quelle était ma vision de la vie privée. Je pense qu'elle ressemble à celle de tout un chacun. Je veux avoir le droit de fermer ma porte le soir sans avoir peur que des gens m'épient au travers des murs. Je veux pouvoir décider moi-même ce que le monde va apprendre sur moi, sous réserve des valeurs qui ont été établies comme normes sociales. Par exemple, je ne m'attends pas à pouvoir me lancer dans des activités que mes concitoyens trouvent illégales sans avoir à dévoiler mon identité pour répondre de mes gestes.

Je veux pouvoir marcher dans la rue sans me demander si quelqu'un me regarde. Je veux pouvoir entrer dans un magasin sans être traité comme un suspect et sans qu'on me demande de raconter toute ma vie. Je veux pouvoir entretenir des relations avec les gens avec qui je fais des affaires - ma banque, par exemple - en étant certain que les renseignements que je considère personnels et confidentiels vont le demeurer et que les données embarrassantes sur mes modestes moyens financiers ne seront connues de personne d'autre que moi.

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Ce sont les aspects pratiques et ordinaires de la vie privée qui sont si précieux pour nous. Si on vous les enlève tous... J'ai horreur d'utiliser le mot éculé de «paranoïa», mais je pense que les gens ont des excuses s'ils commencent à devenir paranoïaques parce qu'ils ne peuvent plus avoir le plaisir d'exercer une certaine maîtrise sur leur propre vie quotidienne.

Vous m'interrogez sur la Constitution. J'ai déjà dit au comité, lors de ma dernière comparution me semble-t-il, que j'avais comparu devant le comité Beaudoin-Dobbie, le comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes qui a étudié les modifications à apporter à la Constitution au début des années 90. J'avais alors demandé que le droit à la vie privée soit expressément garanti par la Charte des droits et libertés. Ma suggestion a été accueillie avec une certaine sympathie et le comité en a fait l'objet d'une mention favorable dans son rapport, mais pas d'une recommandation proprement dite. Je continue d'espérer que mon souhait se réalisera un jour.

Il n'y a pourtant rien de neuf dans ce concept, monsieur Bernier. Le droit à la vie privée est déjà incorporé dans bien des pactes internationaux, notamment la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Convention européenne des droits de l'homme, la Charte des droits du Québec, mais pas dans la Charte canadienne, malheureusement. Je peux toutefois vous raconter une partie de la petite histoire à ce sujet, qui vous intéressera peut-être.

Aux étapes préliminaires de la conception de la Charte canadienne, le droit à la vie privée figurait dans les ébauches. Il faut rappeler que le ministre de la Justice de l'époque était un certain Jean Chrétien.

En cours de route, étant donné tout le marchandage qu'il y a eu entre les provinces et le fédéral, le droit à la vie privée a été abandonné. Je le regrette vivement et je voudrais qu'il soit incorporé dans la Charte.

Ce qui s'impose vraiment, c'est non seulement une loi meilleure - et il semble que nous nous dirigions lentement et péniblement dans cette direction - mais aussi une bien plus grande sensibilisation de la population. Nos libertés dans la société actuelle où les gens sont généralement pleins de bonnes intentions - et jamais je n'accuserais qui que ce soit d'utiliser délibérément toute cette technologie dans le dessein de saper nos libertés individuelles - ont tendance à nous échapper tout doucement, très graduellement. En fait, c'est souvent de cette façon que l'on perd ses droits et libertés. D'ailleurs, l'histoire moderne le prouve.

Il nous faut donc maintenant agir sur plusieurs fronts. Nous devons mieux concerter nos efforts pour que les gens soient informés et mobilisés. Je suis très heureux que votre comité ait décidé de faire le tour du pays, ce qui ne saurait avoir qu'un effet bénéfique en aidant les gens à mieux comprendre les enjeux. Des bureaux comme le mien ont besoin de dialoguer beaucoup plus activement avec la population et de lui servir de centres d'information et de ressources. C'est ce que nous essayons de faire déjà, mais comme cette tâche ne fait pas partie du mandat que la loi nous a confié, nous n'avons pas de ressources. Il faut donc faire bien plus dans ce domaine.

Je suppose que la grande priorité en ce moment, ce serait de faire adopter au fédéral une législation beaucoup plus globale pour protéger la vie privée. Il y aurait, pour commencer, une loi visant le segment du monde du commerce sur lequel le Parlement fédéral a autorité; ensuite, on améliorerait la Loi actuelle sur la protection de la vie privée et on formerait un groupe de travail sérieux avec les provinces afin de faire tout notre possible pour harmoniser les lois fédérales et provinciales. Certains travaux préliminaires ont d'ailleurs déjà été réalisés dans ce secteur, mais ce n'est qu'un début.

La présidente: Merci beaucoup.

Monsieur Phillips, si nous n'examinons pas ce secteur en particulier aujourd'hui, nous voudrons sans doute recevoir des informations par écrit en vue de notre rapport final. Je veux parler des mesures législatives qui seront recommandées à M. Rock afin de l'aider à rédiger le document pour l'an 2000 dont vous avez parlé tout à l'heure.

Nous voudrons peut-être aussi être informés lorsque le comité fédéral-provincial-territorial de la justice commencera à se pencher sur la question. Vous et moi savons - comme tous les députés qui sont autour de cette table - que ces négociations prennent énormément de temps à aboutir et qu'elles exigent une mûre réflexion.

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M. Allmand, s'il vous plaît, suivi de M. Assadourian, de M. Bernier et de M. Godfrey.

M. Allmand: Merci, madame la présidente.

Monsieur Phillips, dans les années 60, le Parlement a décidé d'agir, en constatant l'utilisation croissante de dispositifs électroniques - une technologie toute nouvelle à l'époque - que ce soit des micros clandestins placés dans les maisons ou des tables d'écoute sur les lignes téléphoniques. Le législateur fédéral a donc adopté des lois pour interdire l'écoute électronique arbitraire dont faisait usage non seulement la police, mais aussi des journalistes et des détectives privés. Bien entendu, les policiers ont toujours soutenu que ces dispositifs étaient indispensables à la sécurité publique, pour empêcher la perpétration de crimes et enquêter sur des crimes commis. Les journalistes, eux, prétendaient qu'ils en avaient besoin pour informer le public, que le public avait le droit de savoir ce qui se passait. Quant aux détectives privés, évidemment, ils s'en servaient pour toutes sortes de raisons.

À l'époque, si je ne m'abuse, le Parlement a conclu que ces dispositifs avaient effectivement des usages légitimes, mais il a néanmoins décidé d'interdire leur utilisation - qui est d'ailleurs devenu un acte criminel - sauf pour certaines raisons très précises et sérieuses, comme vous l'avez mentionné. Il fallait alors obtenir une autorisation d'un juge ou du Solliciteur général.

Comme vous l'avez aussi souligné, la technologie a fait des progrès fulgurants depuis les années 60 et le début des années 70, c'est-à-dire depuis que cette loi a été adoptée. Aujourd'hui, les dispositifs sont bien plus perfectionnés, que ce soit pour écouter, pour observer, pour prélever des échantillons de sang, etc..

Étant donné qu'il a été décidé en principe de restreindre l'usage de la technologie telle qu'elle était à l'époque, ne peut-on pas dire que l'on devrait simplement pousser plus loin ces mêmes principes de base appliqués aux dispositifs d'écoute électronique en adoptant une loi qui les appliquerait cette fois à une gamme plus large de technologies et de dispositifs? Ce serait les mêmes principes démocratiques et toujours dans le but de protéger la vie privée. Il existe un précédent qu'il faudrait suivre en faisant les mises à jour appréciables qui s'imposent.

M. Phillips: En un mot, monsieur Allmand: bravo!

La présidente: Je tiens à vous informer qu'ils comparaîtront dans deux semaines. Ils seront certainement entendus avant que le comité n'entreprenne ses voyages.

Alors si vous voulez vous réunir tous les deux pour dresser une liste de ce que nous devrions demander, ce serait génial.

M. Phillips: Je dirai seulement que c'est précisément le principe qui sous-tend plusieurs des recommandations que nous avons présentées dans quelques-uns de ces secteurs. Par exemple, l'utilisation de l'ADN en preuve: voilà un renseignement personnel extrêmement confidentiel et particulièrement indiscret qui devrait être à la disposition de l'État seulement dans des circonstances rigoureusement contrôlées et des cas vraiment très précis de nécessité policière. De plus, la police peut fort bien être autorisée à prélever un échantillon d'ADN dans le but d'établir une identité, mais pas dans celui de verser dans un dossier tous les résultats de l'analyse de l'échantillon complet au cas où ça pourrait être utile un jour.

Je suis content de dire que le ministère de la justice a présenté par la suite des modifications que le Parlement a approuvées et qui respectent en gros le principe que vous venez d'énoncer, monsieur Allmand. Quand on dispose d'une technologie dotée d'une capacité de surveillance colossale pouvant être exploitée à bon ou à mauvais escient, c'est comme n'importe quoi d'autre. Prenons par exemple l'énergie atomique. On pourrait s'en servir pour faire sauter le monde si on le voulait, mais les gens ont décidé que, de manière générale, ce n'était pas le meilleur usage possible de cette forme d'énergie. Il vaut mieux tenter de circonscrire son utilisation afin d'en tirer le maximum d'avantages pour améliorer la condition humaine et de contrôler rigoureusement les risques d'usage à des fins susceptibles de faire du tort aux êtres humains.

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Selon moi, c'est la question fondamentale que pose toute la technologie, pas seulement la surveillance électronique. Mais dans le cas de la technologie de surveillance, l'usage de ces dispositifs se généralise tellement que les gens...

Vous savez, je n'apprécie pas du tout l'idée que quelqu'un installe des caméras dans les rues et me traite comme si j'étais un criminel en puissance. Je n'aime pas du tout cette idée, qui a été proposée il y a deux ou trois ans en Grande-Bretagne par un comité des Communes du modèle des parlements, que tous les garçons nés au Royaume-Uni soient obligés de fournir un échantillon d'ADN à leur naissance dans l'éventualité où, à un moment donné de leur vie, la police aurait des raisons de s'en servir. Cela revient à présumer que tout le monde naît criminel en puissance. C'est introduire dans notre société un élément que je n'apprécie pas du tout.

Alors, chaque fois qu'il est question de technologie, que ce soit de la surveillance électronique ou toute autre forme de technologie, nous devons nous assurer d'en exploiter les avantages tout en circonscrivant rigoureusement les risques d'abus.

M. Allmand: Monsieur Phillips, comme l'a signalé madame la présidente, il y a 10 ans, j'étais membre du comité de la justice qui a fait un examen très approfondi de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Au chapitre 7 du rapport, nous avions examiné les questions d'actualité. En fait, la plupart des événements que nous avions prévus se sont produits. Nous avons fait quelques recommandations. Je voudrais savoir si celles-ci sont toujours valables, en ce qui vous concerne et en ce qui concerne votre loi.

Nous avions recommandé que la définition de «renseignements personnels» qui figure à l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels soit élargie à tout genre de surveillance électronique qui comprend entre autres choses les enregistrements vidéo, les échantillons d'urine, les photographies et les enregistrements sonores. Cette recommandation est-elle toujours valable?

M. Phillips: La définition de «renseignements personnels» qui se trouve dans la loi, devrait être effectivement mise à jour, monsieur Allmand. Elle a été dépassée par les progrès technologiques. Deux ou trois jugements de la Cour suprême en la matière ont été utiles. Par exemple, il a été question de surveillance vidéo dans un jugement qui décrétait que c'était une forme de collecte de renseignements personnels. Il serait évidemment préférable que ce soit précisé dans une mise à jour de la loi. Vous avez parfaitement raison.

M. Godfrey: Je voudrais une précision à propos de la loi. L'alinéa 3c) dit ceci: «tout numéro ou symbole, ou toute autre indication identificatrice, qui lui est propre». L'alinéa 3d) ajoute ceci: «son adresse, ses empreintes digitales ou son groupe sanguin». J'aurais cru que «toute indication identificatrice» aurait suffi et aurait prévu à peu près tous les cas. J'estime que ces termes se seraient appliqués à pratiquement n'importe quelle donnée, à notre époque du moins.

M. Phillips: Monsieur Godfrey, la seule réponse que je puisse vous donner est que nos conseillers juridiques nous ont dit que c'était légèrement ambigu et qu'il fallait préciser.

M. Allmand: C'est un des problèmes que le comité avait découverts à cette époque. Il avait également recommandé que l'on ajoute le polygraphe et l'analyse d'urine aux méthodes de collecte de renseignements. Cela n'est toujours pas précisé.

M. Phillips: Oui.

M. Allmand: Le comité avait également recommandé que la loi s'applique en outre aux entreprises privées sous réglementation fédérale. Par exemple, la loi renferme des dispositions concernant la protection des données et les droits à la vie privée qui s'appliquent aux organismes fédéraux, mais elles ne s'appliquent pas aux entreprises privées sous réglementation fédérale comme les banques, les compagnies ferroviaires et les compagnies aériennes. Il me semble que c'est également une grosse lacune. Estimez-vous toujours que la loi devrait s'appliquer à ce genre d'entreprises?

M. Phillips: J'en suis absolument convaincu.

J'ajouterais, monsieur Allmand, que dans une autre partie de ce document, votre comité avait recommandé que la loi s'applique également aux sociétés d'État. En fait, cela a été à deux doigts d'être le cas mais pour des raisons que j'ignore - c'est arrivé avant que je ne sois là - le gouvernement a renoncé à appliquer cette recommandation. Je crois que Petro-Canada et Radio-Canada sont parvenues à convaincre le gouvernement d'y renoncer. Radio-Canada constitue un cas spécial, parce que son travail comporte un aspect journalistique. Il reste que je suis convaincu que c'est nécessaire. J'estime que l'on peut tenir compte de la situation particulière dans laquelle se trouvent certaines sociétés comme Petro-Canada et Radio-Canada, mais il est certain que la loi devrait s'appliquer à elles également.

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M. Allmand: Merci.

La présidente: Monsieur Assadourian.

M. Assadourian: Merci, madame la présidente. J'ai deux petites questions à poser puis j'aurai un problème à vous soumettre.

Il faut, à mon avis, réaliser un certain équilibre entre la sécurité et la protection de la vie privée. Certaines personnes estiment que leur sécurité sera plus grande si l'on accroît la surveillance des citoyens. D'après ce que nous avons pu lire dans la presse, vous avez signalé également que vous n'approuvez pas le fait que le gouvernement vérifie si les Canadiens qui vont en vacances aux États-Unis trichent pour continuer à toucher leurs prestations de chômage, sous prétexte que la formule ne porte aucune indication à cet effet. Que se passerait-il si l'on posait la question suivante aux prestataires: «Accepteriez-vous que les renseignements recueillis auprès des citoyens par le gouvernement puissent servir par la suite à d'autres fins que celles prévues?» C'est ma première question.

Ma deuxième question est la suivante: comment expliquez-vous que le père ou la mère ou la parenté d'une victime... Vous avez signalé qu'aux États-Unis, on a demandé à deux millions de militaires de subir des tests d'ADN, d'accepter que leur fiche génétique soit versée aux dossiers du gouvernement. En cas de meurtre, pourriez-vous refuser à la famille de la victime que l'on utilise ces données pour appréhender le criminel? Comment pourriez-vous lui dire que les fiches génétiques ne peuvent pas être utilisées pour mettre le grappin sur les meurtriers? Les parents de la victime auraient certainement un argument de poids à invoquer.

En outre, dans les grandes villes, ceux qui vivent dans des immeubles résidentiels paient un loyer qui comprend également des frais supplémentaires pour assurer la protection des occupants ou pour un système de surveillance ou de sécurité. Les occupants paient volontiers les frais d'installation d'une caméra et le salaire d'un gardien, par exemple. Celui-ci sait qui entre et sort. Les gens paient un supplément pour ce service. En vertu de quels arguments peut-on critiquer de telles pratiques?

Voici le problème que je voulais vous exposer: il y a quelques années, lorsque l'URSS était encore un empire maléfique florissant, les autorités avaient l'habitude de discréditer les citoyens qui lui déplaisaient. Si un juif russe voulait émigrer au Canada par exemple, il était considéré comme un espion ou comme un élément subversif entre autres choses. Les autorités utilisaient certains renseignements pour discréditer cette personne. Quand elle venait ici, elle n'avait en fin de compte absolument pas le droit de demander au gouvernement pourquoi on lui refusait l'entrée ou on la faisait attendre. Quand on sait ce qui se passe, on peut remédier à la situation. Par contre, c'est impossible quand le gouvernement ne vous explique pas la situation, quand vous l'ignorez.

Je représente une circonscription où 55 p. 100 des électeurs sont des immigrants. C'est le genre de question qui les préoccupe. Certains d'entre eux viennent de pays du tiers monde. Ils ont un problème: ils n'arrivent pas à obtenir des renseignements du gouvernement. Même s'ils vont devant les tribunaux, le juge ne leur donne pas les renseignements nécessaires pour faire rectifier le dossier qui a été transmis à nos services par le gouvernement étranger.

À partir de quel moment la sécurité l'emporte-t-elle sur les autres considérations?

M. Phillips: Je vais essayer de répondre à ces exemples précis. Je commencerai par le dernier.

D'après la Loi canadienne sur la protection des renseignements personnels, vous avez le droit de faire rectifier vos dossiers. Vous avez également le droit d'accès. Monsieur Assadourian, vous pouvez vous présenter dans n'importe quel ministère à Ottawa et demander de voir tous les renseignements qu'il possède à votre sujet. Si vous les estimez inexacts, vous avez le droit de demander une correction. Et même si le gouvernement n'accepte pas votre correction, il est tenu, en vertu de cette loi, d'inclure dans votre dossier une note indiquant votre objection et la correction que vous avez demandée. Voilà les droits que vous confère la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels.

La présidente: Cela comprend-il les cotes de solvabilité?

M. Phillips: Non. Ces cotes...

La présidente: Je ne tiens pas à créer des complications.

M. Phillips: C'est ce qui arriverait dans ce cas-là, madame Finestone. Si le dossier du gouvernement fédéral contenait une note concernant votre cote de solvabilité, qui aurait été communiquée par quelqu'un d'autre que vous, et que celle-ci était inexacte, vous auriez le droit de la contester. Absolument.

La présidente: Bien.

M. Phillips: Vous avez le droit de contester l'exactitude de tous les renseignements qui se trouvent dans un dossier du gouvernement vous concernant.

M. Assadourian: Peut-on le faire en s'adressant au Commissaire à la protection de la vie privée?

M. Phillips: Non. Il faut d'abord communiquer avec le ministère concerné. Si vous voulez consulter votre dossier de pension, par exemple, il faut s'adresser au ministère du Développement des ressources humaines. S'il s'agit de renseignements d'ordre fiscal, il faut s'adresser à Revenu Canada.

Si l'on refuse de vous communiquer les renseignements demandés et que vous jugez ce refus injuste, vous déposez alors une plainte auprès du Commissaire à la protection de la vie privée. J'examinerai alors la question avec mes collaborateurs, et nous déciderons si le gouvernement avait raison ou tort de refuser. Si nous estimons que c'est vous qui avez raison, nous recommanderons au gouvernement de vous communiquer les renseignements. Si malgré cela, le gouvernement refuse de suivre notre conseil, nous ferons alors appel devant la Cour fédérale. Voilà comment cela se passe en gros.

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M. Assadourian: C'est donc ainsi que cela fonctionne.

M. Phillips: Il existe un gros document public intitulé InfoSource, qui donne la liste de toutes les banques de données du gouvernement fédéral. Elles sont classées par ministère. D'une façon générale, on peut y trouver une assez bonne description des renseignements que contiennent les banques de données. Si vous avez toujours des problèmes, vous pouvez appeler le ministère ou mon bureau et nous pouvons vous aider. C'est ainsi que cela fonctionne.

Vous avez cité le cas des immeubles résidentiels. Les gens veulent effectivement se sentir en sécurité dans leur appartement et n'ont rien, par conséquent, contre la présence d'une caméra. Comment réagirait par contre un ou une locataire - et je ne plaisante pas... À supposer qu'un ou une célibataire rentre accompagné dans son appartement un beau soir et constate que la photo prise par la caméra de sécurité a été reproduite dans une revue à sensation ou l'autre. Suivez mon raisonnement. On a affaire à une caméra capable d'enregistrer absolument tout ce qu'elle voit.

La présidente: Dans bien des immeubles, on peut également voir tout sur son écran de télévision.

M. Phillips: Effectivement.

L'écran de télévision se trouve-t-il dans un lieu privé où personne, sauf le gardien de service, ne peut le voir? L'agence de sécurité s'est-elle engagée par contrat à ne pas divulguer les renseignements recueillis dans le cadre de ses activités? Toutes ces questions sont importantes.

Si j'ai cité cet exemple, c'est pour faire comprendre que si d'une part, notre sécurité est accrue grâce à la surveillance des couloirs de l'immeuble, il convient par ailleurs de bien s'assurer que les renseignements restent secrets et que les personnes qui les recueillent sont tenues, en vertu de leur contrat, de ne pas les divulguer.

Toute application technologique présente des avantages et des inconvénients. Chaque fois que quelqu'un me demande des renseignements, je lui demande ce qu'il va en faire et comment il va les tenir secrets. Il est absolument nécessaire de prendre ces précautions.

Dans le cas des militaires et des échantillons d'ADN, c'est le principe fondamental sur lequel reposent les pratiques équitables de traitement de l'information qui intervient. Pour m'exprimer d'une autre façon, monsieur Assadourian, je dirais que c'est une question de respect mutuel. Toute cette question revient en réalité à cela. Si vous me fournissez des renseignements dans un but précis, je ne les utiliserai pas à d'autres fins totalement différentes sans vous prévenir d'avance et sans obtenir d'abord votre consentement. C'est une simple question d'équité. C'est un des fondements des pratiques équitables en matière d'information.

À supposer que je m'engage dans l'armée américaine et qu'elle prenne un échantillon d'ADN sous prétexte qu'elle en a absolument besoin pour pouvoir prévenir ma famille au cas où je me ferais tuer en défendant mon pays et que, grâce à cela, la police découvre que j'ai omis de payer six contraventions, je ne serais pas très heureux. Je ne pense pas que ce soit juste.

À mon avis, l'observation du principe de l'équité est une chose élémentaire dans les sociétés dignes de ce nom: il faut se vouer un certain respect mutuel et éviter de se tirer dans le dos grâce aux petits renseignements que l'on peut utiliser contre autrui. Ce n'est pas ainsi que l'on arrivera à édifier une société transparente et franche.

Ce n'est pas bien. On ne devrait pas agir ainsi. C'est d'ailleurs prévu dans la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels. En vertu de cette loi, le gouvernement du Canada n'est pas autorisé à utiliser à des fins totalement différentes, sans votre consentement, des renseignements que vous lui avez fournis en remplissant votre déclaration d'impôt, par exemple. C'est ce que dit la loi.

Elle prévoit, il est vrai, certaines exceptions. Le gouvernement peut révéler certains renseignements à d'autres personnes sans votre consentement dans certains cas bien précis, mais ils sont peu nombreux.

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Le principe fondamental rattaché aux pratiques équitables de traitement de l'information est que puisque vous m'avez fourni des renseignements, et que vous m'avez fait confiance et pensé que je traiterais cette information avec respect, je ne dois pas abuser de cette confiance.

C'est précisément le problème qui se pose à propos de la communication de renseignements par les services douaniers. On a fourni à Revenu Canada toutes sortes de renseignements importants, délicats et personnels, concernant les déplacements de certaines personnes. J'ai indiqué que je suis sorti du pays à telle date et j'y suis rentré à telle autre date. Il s'agit de renseignements personnels et je vous les ai donnés parce que vous en avez besoin pour mettre la Loi sur les douanes en application. Je vous ai dit que je sortais du pays, que j'emportais des marchandises pour une valeur de 150$, pour m'acquitter de mon devoir envers mon pays. Ce n'est pas pour découvrir par la suite qu'on utilise ces renseignements à des fins qui n'ont aucun rapport avec cela.

Des millions et des millions de Canadiens qui fournissent ce genre de renseignements sont concernés et dorénavant, des fonctionnaires vont examiner tous ces dossiers parce que c'est pratique et parce que, pour des raisons d'ordre administratif, ils n'arrivaient pas à faire respecter convenablement certaines dispositions de la Loi sur l'assurance-chômage. Ces fonctionnaires vont se mettre à abuser de votre confiance pour se simplifier la tâche. Ce n'est pas juste, à mon avis.

Ce qui serait juste, c'est que l'on modifie la formule de douane pour indiquer que ces renseignements peuvent être utilisés pour faire appliquer la Loi sur l'assurance-chômage. À partir de ce moment-là, vous êtes au courant. On joue franc-jeu et vous avez été prévenu.

Par contre, le fait de remonter en arrière, comme on se propose de le faire, et de fouiller dans les dossiers, revient à mon humble avis - et, bien que ce soit l'avis d'un profane, cela mérite tout de même réflexion - à faire une perquisition et saisie sans mandat. On fouillerait ainsi dans les dossiers des prestataires sans viser particulièrement une personne soupçonnée d'avoir enfreint la loi, uniquement pour voir s'il n'y a pas moyen d'en pincer quelques-uns. Voulons-nous que le gouvernement s'abaisse à utiliser ce genre de méthodes? Je ne le crois pas.

La présidente: Avant de passer au témoin suivant, je me demande si vous pourriez répondre à quelques questions. Il y a des choses que nous avons besoin de savoir pour des raisons d'ordre technique et parce que M. Assadourian a posé la question. Existe-t-il des règlements concernant la revente ou l'utilisation frauduleuse d'enregistrements vidéo faits par une caméra de surveillance? Vous avez cité l'exemple de l'appartement. Quand elle n'a rien d'autre à faire et qu'elle ne trouve rien d'intéressant à la télévision, ma mère reste souvent assise à observer ce qui se passe à travers la vitre de la porte d'entrée. Elle m'a aperçue alors que j'allais visiter mon nouvel appartement, sans passer lui dire bonjour. J'ai eu des problèmes.

Quand on emménage dans un immeuble résidentiel qui est doté d'un système de surveillance, est-ce qu'on signe des documents à ce sujet? Est-on mis au courant du fait que la caméra de télévision enregistre ce qui se passe à l'intérieur? Est-ce que nous devons le savoir? Quels sont les règlements ou plutôt, existe-t-il des règlements à ce sujet? Est-ce une question qui relève de la législation provinciale ou bien de la législation fédérale?

M. Phillips: Dans le cas d'un bien locatif, cela relève de la législation provinciale, à moins que le gouvernement fédéral ne soit directement concerné.

La présidente: Pourtant, cela relève du domaine des télécommunications.

M. Phillips: Je ne suis au courant d'aucun régime juridique concernant ce genre d'activités. Je ne crois pas qu'il existe de règlements à ce sujet, à moins que ce soit prévu dans le contrat personnel entre le locataire et le propriétaire. Je demanderai à mes collaborateurs, mais je crois que c'est juste.

M. Assadourian: Même à la Chambre des communes, on trouve des caméras partout, monsieur Phillips. Il y a des caméras de surveillance à absolument tous les étages, dans tous les couloirs sans exception. Je vous signale que l'on est surveillé par des caméras quand on veut sortir, dans le hall d'entrée.

M. Phillips: Oui, je le sais. En fait, les caméras sont là depuis longtemps, monsieur Assadourian. J'étais là quand une bombe a explosé dans les toilettes, à proximité de la Chambre des communes, dans les années 60. C'est une cible naturelle qui attire les citoyens qui ont des sujets de récrimination, qui ont une cause ou l'autre à défendre; il s'est effectivement produit de nombreux incidents sur la Colline du Parlement. Il est certain qu'une surveillance et qu'un système de sécurité raisonnables se justifient ici. Par contre, je ne crois pas que le même raisonnement puisse s'appliquer à toutes les circonstances. Les députés et le Parlement constituent un cas spécial. Nous devons veiller sur vous.

La présidente: Merci.

M. Phillips: Je ne pense pas que ce fait soit fortement contesté par qui que ce soit.

La présidente: John.

[Français]

Votre tour vient avant le sien. C'est votre tour de vous laisser parler d'amour.

.1220

[Traduction]

M. Godfrey: J'ai une question à poser sur le dernier cas que vous avez cité. J'ai examiné la loi. Ma question porte sur la comparaison des renseignements recueillis par Revenu Canada par le biais des formules de douane et des renseignements de la CEIC.

La présidente: C'est rétroactif, cela concerne les trois dernières années.

M. Godfrey: Je constate que les articles 7 et 8 de la Loi disent ceci:

À défaut du consentement de l'individu concerné, les renseignements personnels relevant d'une institution fédérale ne peuvent servir à celle-ci:

L'article 8 dit également que les renseignements ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l'individu qu'ils concernent, que conformément aux diverses autres dispositions de l'article. Si on lit toutes les autres dispositions de l'article en question, on constate par exemple que leur communication est permise «aux fins qui sont conformes avec les lois fédérales ou ceux de leurs règlements qui autorisent cette communication».

Autrement dit, le gouvernement donne-t-il quelque chose d'une main pour le reprendre de l'autre? Est-ce que c'est ainsi qu'il faut comprendre ces dispositions?

M. Phillips: C'est précisément l'article de la loi que l'on me cite pour justifier ce projet qui consiste à comparer les renseignements douaniers aux renseignements de l'assurance-chômage.

Cet article est très long mais à mon avis, il ne confère nullement à un sous-ministre ou à un ministre le droit de chambarder complètement le régime établi en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Monsieur Godfrey, tant qu'à l'interpréter de cette façon, autant détruire cette loi, parce qu'elle ne signifierait plus rien.

Il existe une politique en matière de comparaison des données, comme dans le cas qui est cité, et cette politique oblige les ministères qui proposent de comparer des fichiers de renseignements à nous consulter, pour que nous puissions examiner la question et faire les observations que nous jugeons pertinentes. C'est ce que nous avons fait dans ce cas-là.

Les ministères étaient parfaitement au courant de nos réticences quant à l'aspect rétroactif de ce projet. Ils n'ont fait aucune objection quand nous avons dit que s'ils voulaient faire ce genre de comparaisons, il fallait le faire ouvertement et avec transparence, en l'indiquant clairement sur les formules de douane. C'est la rétroactivité que nous n'aimons pas, c'est l'idée que l'on aille fouiller dans les dossiers de toute une série de personnes qui nous déplaît. Nous l'avons fait savoir à ces ministères. Ils sont parfaitement au courant.

Je ne dirais pas que cet article de la loi permet - et c'est ce que nous a dit notre conseiller juridique - à un sous-ministre ou à un ministre de faire ce que bon lui semble avec les renseignements personnels. Il doit toujours respecter l'esprit de la loi.

La présidente: Les ministères n'ont pas tenu compte de votre avis et ils ont décidé d'agir rétroactivement.

Je ne sais pas si on nous avait jamais donné cette réponse, monsieur Godfrey.

M. Godfrey: On dirait que c'est ce qui se trame. Est-ce ce que...

La présidente: Je ne sais pas.

M. Phillips: Je crois qu'il est juste de dire que nous sommes toujours en train d'en discuter avec le ministère. Il n'a toutefois pas encore abandonné l'idée d'examiner les dossiers à titre rétroactif.

La présidente: Nous voulions que l'on règle la question de la comparaison et de la recherche active de renseignements au sein de la fonction publique fédérale et nous nous demandions si les consultations sont une obligation formelle, une question de principe ou une question de simple courtoisie.

Je crois que c'est ce que nous essayons de savoir. Si c'est une obligation, à quelle conclusion en est-on arrivé? Je ne sais pas si M. Phillips a entendu la question.

M. Godfrey: Voyons de quoi M. Phillips a discuté.

M. Phillips: Mon directeur général, M. Delisle, me rappelle à juste titre que je dois peser soigneusement mes mots parce que je devrai peut-être porter un jugement sur des plaintes portant là-dessus et il ne faut pas que l'on pense que je préjuge.

.1225

La présidente: Je vois.

M. Phillips: Tout ce que je peux vous dire, c'est que le gouvernement fédéral n'a pas encore abandonné l'idée de faire une enquête rétroactive à ce que je sache.

M. Godfrey: J'ai également remarqué qu'une autre exemption est prévue, à l'article 8(2)l), lorsqu'il s'agit de joindre un débiteur en vue de recouvrer une créance. On pourrait arguer dans un certain sens que les représentants de la CEIC pourraient devoir de l'argent au gouvernement s'ils en perçoivent de façon injuste. Ne s'agit-il pas d'une sorte de dette? En tout cas, c'est le genre de raisonnement que l'on peut tenir un jeudi matin, quand on a l'esprit en éveil.

Je voudrais vous poser une question plus générale. Vos fonctions sont délimitées de façon assez précise par cette loi mais il existe un autre article, l'article 60, si je ne me trompe, qui dit que vous pouvez effectuer les études spéciales que vous confie le ministre de la Justice. Ce que je voudrais savoir, c'est quelle est la ligne de démarcation entre vos responsabilités officielles et vos responsabilités officieuses. D'après ce que vous avez dit aujourd'hui et à des occasions antérieures, vous vous considérez comme une sorte de centre de recherche sur tout ce qui touche à la protection de la vie privée, que ce soit officiellement prévu dans la loi ou non, que cela fasse ou non partie de votre mandat. Je voudrais savoir si c'est bien vrai.

L'autre question, qui est plus précise, est la suivante: quand les ministres Manley et Rock ont envisagé de nouvelles mesures, était-il automatique qu'ils vous consultent? Est-ce une obligation de vous consulter ou n'est-ce qu'une question de courtoisie?

M. Phillips: La réponse à la dernière question est qu'ils ne sont pas obligés du tout de me consulter.

Vous avez abordé un sujet qui m'intéresse et qui intéresse mes services. Vous avez parfaitement raison, la mission de mon commissariat est de faire enquête sur les plaintes qui sont déposées et de faire certaines constatations, de faire le travail de vérification que nous pouvons faire avec les ressources dont nous disposons, et de présenter chaque année un rapport concernant ces activités au Parlement. Par contre, si le commissariat ne devait s'en tenir qu'à ces activités, nous n'aurions rien à voir dans la présente discussion.

Depuis quelques années en particulier, en raison de la véritable révolution qui se produit dans le monde de l'information et grâce aux progrès technologiques, il arrive constamment que des députés, dont nous sommes les serviteurs, comme vous le savez - on considère que mon commissariat relève du Parlement, puisque je ne rends des comptes à personne d'autre - nous demandent des renseignements à ce sujet. Nous recevons chaque année des milliers de demandes de renseignements faites par des citoyens et la plupart d'entre elles portent là-dessus. À mon avis, nous ne serions pas très utiles à qui que ce soit si nous ne faisions pas des efforts sérieux pour essayer de nous adapter aux mutations qui se produisent dans notre domaine.

En fait, le ministère de la Justice ne nous a jamais commandé d'étude spéciale, mais nous en avons fait plusieurs pour notre propre compte. Nous avons engagé des consultants ou fait diverses études internes que vous avez jugées utiles et très intéressantes, notamment des études portant sur les aspects de la biotechnologie qui touchent à la vie privée. Certaines de ces études sont considérées comme des oeuvres pionnières et sont utilisées dans les milieux universitaires ainsi que dans les commissariats à la protection de la vie privée du monde entier.

Le champ d'activité de mon commissariat s'est forcément élargi: nous faisons des recherches officieuses et nous faisons l'éducation des citoyens par le biais de conférences publiques. Sans cela, nous n'aurions probablement pas pu survivre ni nous rendre utiles au Parlement.

M. Allmand: Je signale que le rapport publié en 1987 recommandait que l'on modifie l'article 60 pour vous autoriser officiellement à entreprendre des études spéciales. Cette modification n'a jamais été apportée, mais vous le faites de toute façon.

M. Phillips: Nous faisons notre possible.

La présidente: Nous voudrions notamment savoir dans quelle mesure l'étude «Une question à deux volets» que vous avez faite touchait et améliorait la Loi sur la protection des renseignements personnels, compte tenu des besoins et du rôle de plus en plus important que joue la protection de la vie privée dans notre vie quotidienne. Par ailleurs, si votre mandat actuel est trop limité, quels changements peut-on éventuellement recommander au ministre de la Justice? Voilà les questions pour lesquelles nous voudrions obtenir une réponse plus précise, pour chaque article en particulier, comme vous l'a demandé M. Godfrey et comme l'ont signalé M. Allmand ainsi que d'autres collègues. C'est une question que nous serions assurément disposés à examiner dans un livre blanc préparatoire à des consultations, dans notre rapport final.

.1230

M. Phillips: Monsieur Godfrey, je vais vous citer un exemple qui explique comment les fonctions de mon commissariat ont évolué. Vous examinez actuellement un projet d'établissement de liste électorale permanente. Il y a deux ans, lorsque le Directeur général des élections a commencé à étudier la question, il a reconnu que les activités liées à la collecte des renseignements nécessaires pour établir une telle liste pourraient très bien avoir des répercussions du point de vue de la protection des renseignements personnels. Il est venu me trouver et il m'a expliqué son projet en ajoutant qu'il apprécierait beaucoup que nous lui donnions des conseils à ce sujet. À la suite de cette démarche, nous sommes en contact avec lui en permanence depuis deux ans.

Le résultat final concorde dans une large mesure avec les suggestions que nous lui avons faites. Par conséquent, certains éléments susceptibles de provoquer des objections après coup de la part d'une personne comme moi ont déjà été pris en considération. Un nombre croissant de ministères nous demandent de donner officieusement notre avis sur tel ou tel projet. C'est évidemment pour cela que la politique de comparaison des renseignements a été instaurée.

Étant donné que le gouvernement s'implique de plus en plus dans les applications technologiques, les demandes de consultations augmentent. Nous les acceptons bien volontiers. Je crois qu'un organisme comme le nôtre joue un rôle important au sein de la fonction publique.

M. Godfrey: Il est donc tout à fait pertinent d'avoir ce genre de discussion avec vous, non seulement pour notre édification personnelle, mais pour la suite de nos travaux. Étant donné que vous êtes l'organisme fédéral qui s'y connaît probablement mieux que n'importe quel autre organisme public dans ce domaine - c'est du moins ce qu'on espère - nous pouvons vous consulter et consulter vos collaborateurs officieusement dans le cadre de nos études, en sachant que vous ne devez pas adopter une position de principe officielle mais que vous pouvez nous guider si nous vous demandons simplement des conseils par l'intermédiaire des agents de recherche.

Est-ce que cela vous conviendrait parfaitement ou bien la possibilité pour nous de vous consulter est-elle assujettie à certaines restrictions?

M. Phillips: J'essaie d'adopter le point de vue le plus pratique possible sur ces questions-là, en respectant bien entendu comme il se doit les formalités. La seule contrainte que j'aie, c'est que, étant donné que mon rôle consiste à faire enquête sur les plaintes, je ne dois pas me placer dans une situation qui reviendrait à préjuger. À part cela, nous sommes disposés à faire absolument tout notre possible pour vous être utiles. Je ne crois pas que notre façon d'agir soit le moindrement répréhensible.

M. Godfrey: Dieu merci!

[Français]

Merci.

[Traduction]

La présidente: Avez-vous terminé? Bien.

[Français]

Monsieur Bernier, s'il vous plaît.

M. Bernier: Monsieur Phillips, même si ce n'est pas la première de nos préoccupations dans nos travaux à venir concernant le respect de la vie privée, je veux faire allusion au lien nécessaire entre ce qui se passe au niveau fédéral et au niveau provincial. Vous avez parlé plus tôt de mettre sur pied un groupe de travail pour harmoniser ce qui se fait au niveau fédéral et au niveau provincial comme si c'était une chose sinon prioritaire, du moins nécessaire.

Vous avez parlé de cela dans votre intervention. J'aimerais que vous élaboriez un peu sur ce point. Quand vous parliez d'harmoniser ce qui se fait au niveau provincial et au niveau fédéral, vous avez mentionné les groupes de travail comme le vôtre. À quel niveau devraient travailler les commissions comme la vôtre qui existent au niveau provincial et quel serait leur mandat?

Autrement dit, quel mandat devrait-on confier à ce groupe de travail pour arriver à des suggestions très précises?

.1235

[Traduction]

M. Phillips: Les commissaires à la protection de la vie privée se consultent déjà assez souvent de manière officieuse. Les solutions à ces problèmes ne peuvent toutefois être apportées que par les gouvernements, du point de vue législatif du moins.

Je crois que vous êtes au courant de l'existence d'une institution qui s'appelle la Conférence sur l'uniformisation des lois du Canada, qui est composée de divers organismes intéressés, y compris les gouvernements. Elle est actuellement en train d'examiner le problème des renseignements et la législation canadienne en matière de protection des renseignements personnels, mais c'est un organisme consultatif et il lui faut toujours énormément de temps pour aboutir.

À mon avis, ce qui serait efficace - et en disant cela, je déroge un peu à mon mandat parce que je n'ai pas à dire aux gouvernements ce qu'ils doivent faire, même si le je fais souvent - ce serait un comité de sous-ministres ou de sous-ministres adjoints qui serait chargé de faire une série de recommandations aux divers gouvernements. C'est la pratique courante. M. Allmand est mieux placé que moi pour en parler, étant donné sa longue expérience au Conseil privé.

C'est ce que je voudrais que l'on fasse. Le gouvernement est en train de préparer certaines propositions législatives qu'il compte présenter au Parlement. Il me semble par ailleurs que ce ne serait pas une mauvaise idée d'instaurer un groupe de travail fédéral-provincial composé de hauts cadres ministériels, qui serait chargé de faire une série de recommandations en la matière dont on tienne compte à la fois dans les lois provinciales et fédérale sur la protection des renseignements personnels.

Je ne crois pas pouvoir en dire beaucoup plus que cela, monsieur Bernier. Ai-je bien répondu à votre question?

[Français]

M. Bernier: Oui, très bien.

[Traduction]

La présidente: John.

M. Godfrey: Je voudrais revenir à un vieux sujet en quelque sorte, celui du numéro d'assurance sociale et de tous les abus dont il a fait l'objet. Maintenant, les technologies se sont évidemment améliorées. On a non seulement un numéro mais aussi toutes sortes de renseignements codés. Dans diverses provinces, notamment dans la mienne, c'est-à-dire en Ontario, on émet de nouvelles cartes d'identité pour les services de santé.

Avez-vous de petits conseils à nous donner à ce sujet? Avez-vous également des mises en garde à faire ou pouvez-vous nous dire comment le gouvernement fédéral peut essayer de regagner du terrain en toute légalité. Il avait effectivement perdu du terrain quand on a instauré le numéro d'assurance sociale, si je ne me trompe.

M. Phillips: Le secteur privé ainsi que les gouvernements provinciaux se sont approprié le numéro d'assurance sociale qu'ils considèrent comme un système de comptabilité payé d'avance, un système qui est gratuit pour les citoyens et pour le gouvernement du Canada.

Lorsqu'on a instauré le numéro d'assurance sociale - je crois que M. Allmand était là à cette époque et j'y étais aussi, mais j'occupais d'autres fonctions - on s'est demandé si cela ne donnerait pas lieu à des abus et le gouvernement était pas mal convaincu que ces craintes n'étaient pas justifiées. Ses attentes se sont avérées fausses.

Avec le recul, monsieur Godfrey, je dirais que c'est un problème facile à résoudre. Vous avez dit que le gouvernement aurait dû stipuler dans la loi que l'on ne pouvait pas priver de services les personnes qui refusent de donner leur numéro d'assurance sociale à d'autres fins que celles approuvées par le gouvernement. Il ne l'a jamais fait.

En ce qui le concerne personnellement, le gouvernement du Canada a toutefois mis de l'ordre dans ses affaires. Le numéro d'assurance sociale était utilisé par pratiquement tous les ministères et organismes gouvernementaux comme numéro d'identité. Depuis quelques années, l'utilisation de ce numéro par le gouvernement du Canada est toutefois devenue beaucoup moins fréquente.

Le bon exemple qu'a donné le gouvernement fédéral n'a malheureusement pas été suivi ailleurs. On continue à demander ce numéro dans toutes sortes de cas. Aucune loi ne l'interdit, comme vous le savez. Le seul recours dont dispose le citoyen ordinaire est de refuser de le donner s'il juge que c'est important.

.1240

Si l'on instaurait un nouveau système, un système où les citoyens continuent à avoir une carte de ce genre attestant leur admissibilité à divers services gouvernementaux, je crois qu'il faudrait spécifier que ces cartes ne peuvent être montrées qu'à des fins bien précises et que leur utilisation à toute autre fin est interdite. Je ne vois aucune autre solution à ce problème.

Il faut agir de toute urgence parce que, comme vous le savez, on envisage déjà d'émettre des cartes et que cela reviendrait en quelque sorte à instaurer un système de carte d'identité nationale unique. J'espère que nous n'en arriverons pas là. Il existe toutefois des cartes-santé et il va toujours falloir porter sur soi des documents d'identité. Il faut absolument indiquer sur la carte qui a le droit de l'exiger et faire respecter cette règle.

M. Godfrey: Pourquoi ne peut-on pas adopter des dispositions législatives rétroactives accordant aux citoyens le droit de refuser de fournir leur numéro d'assurance sociale à toute autre fin qu'un usage correct par le gouvernement? Est-ce parce que ce n'est plus un secret maintenant, parce qu'il est trop tard? Ne serait-ce pas un bon début?

M. Phillips: Je suis d'accord avec vous, mais je ne peux pas vous donner une opinion juridique autorisée sur les mérites de cette proposition. Un des arguments que le gouvernement avait invoqués à l'époque est, je m'en souviens, qu'il était impossible d'empêcher les gens d'utiliser un numéro. J'avais de la difficulté à l'admettre. Le numéro est sur la carte, après tout.

La présidente: Et les plaques minéralogiques, avec tous les nouveaux trucs que l'on installera sur les routes? J'apprécierais que vous y pensiez en répondant à M. Godfrey, parce que c'est le moment opportun.

M. Phillips: Oui, bien qu'il s'agisse à mon avis d'un problème de nature différente. Ce n'est pas la même chose.

La plaque minéralogique ne sert pas uniquement à faire respecter la loi. Elle atteste que l'automobile a été enregistrée et qu'elle est en bon état de fonctionnement, par exemple. Elle peut effectivement servir à suivre les déplacements d'une personne. Par exemple, quand on passe par un poste de péage électronique, celui-ci peut prendre une photo de la voiture et on pourrait recevoir une facture pour les droits de péage. Dans tous les cas, il s'agit d'un usage de renseignements qui sont connus quand on achète une voiture. Les tribunaux ont décrété que conduire une voiture constitue un privilège. Il faut remplir certaines conditions pour obtenir un permis de conduire. Il faut payer sa taxe pour pouvoir utiliser les routes. Cette plaque indique donc que la taxe a été payée et que le véhicule peut rouler. Tout véhicule qui ne porte pas de plaque peut être confisqué.

Je ne pense pas que ce soit tout à fait le même problème.

M. Godfrey: Passons à la question du tri génétique, pour changer complètement de sujet. Cette question a suscité bien des réactions. Premièrement, je me demande quelle est actuellement l'étendue du problème au Canada, dans le secteur commercial, dans le secteur privé ou dans le secteur fédéral ou provincial. Que savez-vous à ce sujet?

Deuxièmement, je voudrais savoir quelles sont nos garanties, surtout dans le secteur fédéral, si on procède à un tel tri. Si quelqu'un y a recours pour des fonctionnaires fédéraux, est-ce que c'est à vous qu'il faut s'adresser ou bien à la Commission des droits de la personne ou encore à la Commission de la fonction publique?

Ce sont les deux questions que je voulais poser: je voudrais savoir dans quelle mesure on a recours au tri génétique dans le secteur commercial et dans le secteur public, et quel degré de protection existe à cet égard.

M. Phillips: Pour autant que je sache, le gouvernement du Canada et le secteur fédéral n'ont pas recours aux tests d'ADN en ce qui concerne leurs employés. En fait, on n'y a pratiquement jamais recours de cette façon au Canada, pas à ma connaissance du moins. Il est possible que l'on y ait parfois recours dans le domaine des assurances. Je ne le sais pas trop. Il est un fait connu que les compagnies d'assurances s'intéressent beaucoup aux renseignements génétiques.

.1245

Si on voulait y avoir recours pour le recrutement, le futur ou l'actuel employé pourrait déposer une plainte à mon commissariat sous prétexte de collecte illégale de renseignements, et je devrais étudier le cas proprement dit et vérifier si cette collecte ne constitue pas une infraction à la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je crois toutefois que nous n'en sommes pas encore arrivés à ce stade, monsieur Godfrey.

Les seules lois que je connaisse au sujet du prélèvement d'échantillons d'ADN relèvent du droit pénal. Il existe dans ce domaine un projet de loi qui précise les conditions auxquelles le gouvernement peut prélever des échantillons d'ADN dans le but d'appliquer la loi. J'ajouterais que nous avons été également consultés à ce sujet. Nous avons fourni une liste d'infractions pour lesquelles nous estimons que le prélèvement d'échantillons d'ADN constitue un outil légitime d'exécution de la loi. Nous avons également dû faire quelques recommandations au sujet des restrictions qui s'appliquent à l'utilisation de ces renseignements et à leur conservation. C'est le seul domaine où le gouvernement du Canada procède à des prélèvements d'échantillons d'ADN et on n'en fait à ma connaissance aucun autre usage au Canada.

M. Godfrey: Merci.

M. Phillips: Je vous signale que la situation est légèrement différente en ce qui concerne le dépistage de la consommation de drogues. On y a eu largement recours dans les forces armées, mais ce programme a été suspendu.

La présidente: Monsieur Phillips, la dernière fois que vous êtes venu témoigner, vous nous avez dit que vous souhaiteriez que l'on fasse, pour chaque projet de loi, une analyse d'incidence sur le plan de la protection des renseignements personnels. Vous avez également parlé de la nécessité d'établir ce que vous qualifieriez de code de déontologie, je suppose.

Ayant largement participé à l'élaboration d'un plan fédéral concernant l'égalité des sexes, qui a nécessité une analyse de l'incidence de toutes les mesures législatives et la collecte de données désagrégées pour examiner notre société et voir ce qu'il en était à cet égard, je serais curieuse de savoir comment vous feriez une telle analyse. Je voudrais surtout savoir ce que vous entendiez par là quand vous avez dit que vous vouliez que l'on établisse un code d'éthique. S'agirait-il d'un document analogue à la Charte des droits et libertés - c'est-à-dire d'un cadre législatif qui indique les valeurs auxquelles nous adhérons? S'agirait-il d'une annexe à une charte? De quoi s'agirait-il et comment évalueriez-vous la situation?

M. Phillips: Il s'agirait d'une mise à jour du code de comportement. Par exemple, lorsque vous étiez petite fille et non adulte...

La présidente: Je ne me souviens pas...

M. Phillips: Je dirais que lorsque nous étions enfants - c'est une façon plus politiquement correcte et acceptable de s'exprimer - nos parents nous disaient pour la plupart que c'est bien ou que c'est mal d'agir de telle ou telle façon. Par exemple, on nous disait que c'était mal de regarder à travers la fenêtre de nos voisins par pure curiosité. Je crois qu'il suffit de mettre notre code de comportement à jour pour tenir compte du fait que notre mode de vie a évolué à cause de la technologie.

Par exemple, si ce n'était pas bien de regarder à travers la fenêtre du voisin, ce n'est pas bien non plus d'aller dans un magasin Radio Shack ou dans un autre magasin où l'on vend des appareils électroniques pour acheter un dispositif qui permet d'écouter les conversations téléphoniques de son voisin. Je crois que le principe est d'utiliser ces technologies - qui vont faire de plus en plus partie de la vie quotidienne de nos enfants - d'une façon qui respecte la vie privée de nos concitoyens. C'est ce que je voulais dire.

M. Godfrey: Remarquez que ces règles ne se sont jamais appliquées aux lignes partagées. Au Canada, n'importe quel enfant avait librement accès à toutes les conversations. J'ignore comment les principes ont évolué en fait.

La présidente: N'était-ce pas amusant?

M. Phillips: En fait, monsieur Godfrey, lorsque j'étais enfant, nous partagions une ligne téléphonique avec d'autres personnes et nous nous sommes réjouis le jour où nous avons eu notre ligne personnelle.

La présidente: Je remarque que vous avez une question à poser, monsieur Assadourian. Monsieur Allmand, avez-vous une question? Monsieur Bernier, pas de question? Allez-y.

M. Assadourian: J'ai l'occasion de poser une dernière question. Je voulais en poser une qui se greffe à celle que mon collègue, M. Godfrey, a posée au sujet de la génétique. À supposer qu'un citoyen possédant une assurance-vie meure d'un cancer et qu'une dizaine ou une quinzaine d'années plus tard, la science prouve que le cancer est une maladie héréditaire.

.1250

Le fils ou la fille de cette personne veut acheter une assurance-vie à telle ou telle compagnie. Cette dernière sait que son père ou sa mère est décédé d'un cancer il y a une dizaine ou une quinzaine d'années; or, on a maintenant la preuve que c'est une maladie héréditaire. La personne qui veut acheter une assurance n'a pas donné à la compagnie d'assurances le droit de vérifier son bagage génétique. Comment protégeriez-vous la vie privée de cette personne dans les circonstances actuelles? Me suis-je bien fait comprendre?

La présidente: Je crois que les personnes de petite taille posent la même question parce que le nanisme est facilement identifiable dans les chromosomes. Vous pourriez peut-être donner des précisions à ce sujet, parce que nous avons pas mal entendu parler du 20e anniversaire que l'on célébrait.

M. Phillips: Voyons si je comprends votre question correctement, monsieur Assadourian. Voulez-vous dire que l'assureur a le droit d'exiger ce genre de renseignements quand il prépare une police? Est-ce cela que vous voulez dire?

M. Assadourian: Non, ce que je veux dire... Prenons un cas personnel. À supposer que je possède une assurance-vie. Je paie une prime tous les mois, comme tous les autres clients, et je meurs des suites d'un cancer. Dix ou 15 ans plus tard, mes fils et mes filles décident d'acheter une assurance à la même compagnie. Celle-ci constate que leur père est décédé du cancer et, sous prétexte que l'on sait actuellement que le cancer est une maladie héréditaire, elle dit qu'elle ne peut pas leur vendre une assurance et que personne ne peut rien faire. Elle leur dit qu'elle refuse de les assurer parce que leur père est mort d'un cancer il y a 20 ans. La personne qui achète une police d'assurance n'a pourtant pas donné à la compagnie le droit de vérifier son bagage génétique. Comment expliqueriez-vous cela? Comment justifieriez-vous le refus de vendre une police d'assurance pour des motifs liés à l'hérédité?

M. Phillips: Je ne nie pas que ce soit une question troublante et complexe. J'ai entendu un exposé très intéressant de Mme Knoppers que je vous conseille d'inviter à venir témoigner. Elle est professeure de droit à l'Université de Montréal.

On prétend que les compagnies d'assurances recueillent de toute façon depuis longtemps des renseignements d'ordre génétique en posant des questions sur les antécédents médicaux de la famille, par exemple. Du point de vue des compagnies d'assurances, cette méthode-ci n'est qu'un moyen plus précis d'arriver au même résultat.

M. Assadourian: Mais cela concerne la personne elle-même.

M. Phillips: Oui. Si les compagnies d'assurances décident qu'elles n'émettent une police qu'à la condition d'avoir à leur disposition des renseignements d'ordre génétique recueillis par voie d'analyse, je crains qu'un grand nombre de personnes qui sont actuellement en mesure d'obtenir une assurance-vie, n'y arrivent plus. Il faut faire face à ce problème. Il me semble inévitable que les compagnies d'assurances diront... Lorsque la génétique sera devenue une science suffisamment exacte pour que l'on puisse prédire avec une certitude absolue qu'un gène donné entraînera infailliblement telle ou telle maladie, il sera très difficile de résister aux pressions qui seront faites pour que l'on fournisse ce genre de renseignements si l'on veut être assuré. Dans ces conditions, il est très possible qu'un grand nombre de personnes aient énormément de difficulté à se faire assurer.

C'est un sujet qui mérite d'être débattu. Je n'ai vraiment pas de réponse à cette question, monsieur Assadourian. Nous y avons beaucoup réfléchi. Si une industrie comme celle des assurances, qui occupe une place très importante dans le tissu de notre système de sécurité personnelle, modifie complètement ses méthodes de calcul des risques, au point de bouleverser ses normes traditionnelles, il va falloir y réfléchir. Dans ce cas, le gouvernement devrait-il jouer un rôle plus actif dans ce secteur? Je ne le sais pas.

.1255

Je n'arrive vraiment pas à admettre qu'il soit juste de prendre des décisions sur l'assurabilité en se basant sur certains aspects des renseignements d'ordre génétique qui indiquent, sans prouver hors de tout doute, une prédisposition éventuelle à contracter tel ou tel type de maladie. Certains éléments de la science génétique actuelle sont très précis. On sait maintenant que l'on peut associer tel ou tel gène à un certain type de maladie comme la drépanocytose, la chorée de Huntington et deux ou trois autres maladies, si je ne me trompe. Je suppose qu'à mesure que le projet «Génome humain» progresse, un nombre croissant de rapports de ce genre seront établis.

La science génétique indique effectivement qu'une personne porteuse de tel ou tel gène est susceptible de contracter telle ou telle maladie ou de présenter telle ou telle caractéristique. Ces caractères subissent cependant toute une série d'autres influences liées au milieu, à l'éducation et au régime alimentaire, par exemple. Il me semble qu'il serait terriblement injuste que l'on se base sur ce genre de renseignements pour décider si une personne est assurable.

Il s'agit d'un sujet très complexe. Même les investigations les plus poussées de certains juristes éminents n'ont pas permis de trouver une réponse catégorique à cette question et par conséquent, je ne compte pas en donner une personnellement. Vous avez soulevé une question légitime et vous feriez peut-être bien de convoquer deux ou trois experts en la matière.

La présidente: Hier, j'ai entendu parler aux actualités de la décision que les États-Unis ont prise au sujet des greffes du foie. Si, on se base sur certaines conditions préétablies pour décider qui a droit à une greffe du foie et que votre enfant, devenu adulte, fait une demande, alors que votre père ou votre mère a eu une telle greffe, cela influencera-t-il la décision? Les compagnies d'assurances et vos dossiers médicaux en tiendront compte. Est-ce que cela portera préjudice? Est-ce inévitable?

En tout cas, cela nous touche au plus profond de nous-mêmes, cela nous concerne directement en tant qu'êtres humains.

Je crois que vous aviez

[Français]

une autre petite question, monsieur Bernier, parce que j'aimerais terminer bientôt.

M. Bernier: Je ne sais pas si ce sera une petite question, mais on a peu parlé de l'Association canadienne de normalisation et de son rôle dans la protection de la vie privée. Vous vous êtes prononcé à plusieurs occasions sur le rôle de cette association. Vous êtes naturellement un promoteur de l'importance ou de la nécessité pour le gouvernement de légiférer dans le domaine de la vie privée et d'assujettir le secteur privé.

Quelles sont vos relations, comme commissaire, comme institution, avec le secteur privé? Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de l'état d'esprit du secteur privé par rapport au fait que le gouvernement doive ou ne doive pas légiférer dans ce domaine-là?

[Traduction]

M. Phillips: J'ai constamment des discussions avec des représentants d'institutions privées. De nombreux organismes nous ont demandé quelle est notre position officieuse sur les codes de protection des renseignements personnels qu'ils établissent. Par exemple, nous avons considérablement aidé l'Association des banquiers canadiens à établir son code modèle. Nous avions un représentant au sein du comité qui a aidé l'Association canadienne de normalisation à établir son code. Nous avons collaboré également avec l'Association canadienne du marketing direct. De nombreuses entreprises nous ont consultés. Nous essayons toujours de discuter avec elles du rapport qui existe entre leurs pratiques commerciales et certains problèmes de protection des renseignements personnels, et nous les conseillons. Je suis heureux que les entreprises nous consultent.

Remarquez que ces entreprises et ces organismes ne sont pas obligés de suivre nos conseils. Je pense toutefois qu'à notre époque, c'est une preuve d'intelligence de leur part de tenir compte de l'intérêt croissant que la population porte à ce problème et de solliciter des conseils.

Quel est l'état d'esprit du secteur privé par rapport à une solution législative? Je ne peux vous répondre qu'en partie à cette question, monsieur Bernier.

.1300

L'Association canadienne du marketing direct qui représente environ 75 p. 100 des entreprises canadiennes qui pratiquent la vente directe, comme la vente par correspondance et certaines formes de télémarketing, est nettement en faveur de l'adoption de dispositions législatives s'appliquant au secteur privé. C'est un exemple intéressant.

Les agents de vente directe sont évidemment les gens dont les consommateurs peuvent suivre le travail quotidiennement, parce que nous avons tous une boîte aux lettres. Par conséquent, nous connaissons peut-être beaucoup mieux le marketing direct que d'autres pratiques commerciales faisant intervenir des renseignements personnels, qui peuvent avoir des conséquences beaucoup plus graves.

Conscientes des préoccupations croissantes de la population au sujet de la quantité de publicité non sollicitée qu'on lui impose, les entreprises de marketing direct ont établi leur propre code en matière de protection des renseignements personnels. Elles ont toutefois constaté qu'il n'est pas aussi facile de respecter ce code qu'elles ne l'imaginaient, parce que certains de leurs concurrents qui ne se font pas autant de scrupules ont l'avantage sur elles. Par conséquent, elles estiment qu'il devrait exister une loi générale sur la protection des renseignements personnels qui s'applique à tous. Je crois toutefois qu'il s'agit plutôt d'une exception que d'une attitude générale.

Je crois que la plupart des entreprises préféreraient pouvoir continuer à agir comme elles le font sans devoir se soucier d'une loi supplémentaire à respecter. Je présume que c'est dans le secteur financier que l'on peut trouver les adversaires les plus acharnés d'une telle loi. Je vous laisse le soin de tirer personnellement des conclusions quant à leurs motifs.

Je dois dire par ailleurs qu'à mon avis, un nombre croissant d'entreprises privées estiment que cela se prépare. Les entreprises étant ce qu'elles sont et du fait qu'elles sont dirigées par des hommes et des femmes à l'esprit pratique, elles respecteront ce qu'elles considèrent tout simplement comme une loi supplémentaire et elles se débrouilleront.

Je pense qu'elles ont été également légèrement encouragées par l'expérience québécoise. Je ne tiens pas à répéter ce que je vous ai déjà dit au mois de juin, mais un lobby important s'est formé lorsque le comité législatif du Québec a étudié un projet de loi portant sur cette question. Ce lobby a prédit que le monde des affaires allait s'effondrer si les entreprises devaient se soumettre à une loi provinciale supplémentaire. Je crois que si vous leur posiez la question aujourd'hui, ces gens-là vous diraient tous que leurs craintes étaient nettement exagérées, voire totalement injustifiées.

Je crois que la résistance des gens d'affaires n'est, en partie du moins - mais seulement en partie - qu'un réflexe normal de la part de personnes qui estiment que «trop, c'est trop». Par contre, il existe à mon avis d'autres motifs moins avouables. Je pense que certaines entreprises ne demanderaient pas mieux que le grand public ignore de ce que l'on fait des renseignements personnels. Je ne peux pas en dire plus à ce sujet.

La présidente: Je crois que dans ce cas-ci, les entreprises estiment que «trop, c'est trop» et qu'il faut les laisser tranquilles. Par contre, je suppose que vous avez fait allusion au commentaire original de Louis Brandeis, à propos du «droit à la tranquillité», si je ne me trompe?

M. Phillips: C'est exact.

La présidente: Monsieur Phillips, je crois que vous avez fait le travail de nos attachés de recherche dont je tiens à signaler la présence: Susan Alter, Bill Young, Nancy Holmes et notre greffier, Wayne Cole.

J'espère que les renseignements extrêmement intéressants que vous nous avez donnés vont nous aider à rédiger un rapport et à en arriver à un certain consensus. J'ai dit au début que l'on dépassait parfois certaines bornes dans une société aussi formidable que la nôtre. Je suis heureuse de savoir que vous nous fournirez d'autres documents d'étude.

Nous vous interrogeons parce que vous avez toujours été un excellent communicateur et que vous l'êtes toujours. Je voudrais qu'il existe suffisamment de bons guides pour faire notre éducation, comme ceux qui nous apprennent à regarder les pièces d'un musée et à imaginer le monde tel qu'il était, les moeurs d'une certaine époque et les valeurs qui avaient cours. Nous pourrions envoyer ces messagers dans tout le pays pour aider les gens à comprendre que nous vivons dans un milieu formidable, qui mérite d'être protégé.

.1305

Je vous remercie infiniment de nous avoir communiqué tous ces renseignements. J'espère que les autres témoins qui viendront avant que nous ne nous mettions en route nous fourniront des renseignements supplémentaires, et que nous pourrons produire une oeuvre dont vous serez fier, parce que vous en êtes la première source d'inspiration.

Mesdames et messieurs, la séance est levée.

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