LA NOTION DE VIE PRIVÉE
Le droit à la vie privée est un droit humain fondamental, auquel est
associée une importante tradition au Canada et sur la scène internationale. Il est
reconnu dans la
Charte canadienne des droits et liberté et dans plusieurs
instruments internationaux relatifs aux droits de la personne, comme la
Déclaration universelle des droits de l'homme et le
Pacte international relatif
aux droits civils et politiques. Le «droit d'être laissé en paix» - c'est ainsi que
l'on entend couramment le droit à la vie privée - revêt une multitude de
dimensions dans un monde envahi par la haute technologie. Certains experts le
définissent comme le droit de disposer d'un espace à soi, d'effectuer des
communications privées, de ne pas être surveillé et d'être respecté dans
l'intégrité de son corps. Pour le citoyen ordinaire, c'est une question de pouvoir,
le pouvoir que chacun exerce sur les renseignements personnels qui le
concernent; c'est aussi le droit de demeurer anonyme.
La vie privée est une
valeur fondamentale qui se trouve au coeur même de la dignité et de
l'autonomie de l'être humain. Elle est précieuse, car une fois perdue, que ce
soit intentionnellement ou par une inadvertance, elle ne peut jamais être
récupérée.
NOS PREMIÈRES CONCLUSIONS
En tant que membres du Comité permanent des droits de la personne
et de la condition des personnes handicapées, nous adoptons résolument l'angle
d'approche des droits de la personne pour mesurer les effets positifs et négatifs
des nouvelles technologies sur notre droit à la vie privée. Au printemps de 1996,
nous avons tenu une série de tables rondes sur ces conséquences. À plusieurs
reprises, les témoins experts nous ont mis en garde contre l'effet d'érosion des
technologies modernes. Le Commissaire à la protection de la vie privée du
Canada, M. Bruce Phillips, a fort bien résumé la situation :
Le problème de la vie privée déborde largement le
simple trafic d'information entre ordinateurs. Il
concerne toutes sortes de domaines, comme les
applications biomédicales en milieu de travail, ou
encore les systèmes de surveillance. De nos jours, il ne
reste pratiquement aucun aspect de l'existence
humaine où la technologie n'ait pas d'incidence sur la
vie privée. Nous risquons de perdre complètement
notre sentiment d'autonomie et, par le fait même, de
sacrifier un droit humain fondamental. Je n'irais pas
jusqu'à dire que la vie privée n'existe plus, mais elle est
certainement très gravement menacée.
Préoccupés par les mauvais traitements et la négligence dont souffre
actuellement le droit à la vie privée, nous avons voulu, au cours de nos audiences
de l'automne, étudier la portée de ce droit et mesurer la place qu'il occupe face
aux bienfaits, aux réalisations et aux apports pratiques des nouvelles
technologies. Nous avons été étonnés et très inquiets de constater à quel point la
surveillance de nos vies privées est aujourd'hui omniprésente. Une simple
transaction par carte de crédit, un baiser secret (capté par une caméra de
surveillance cachée) ou encore un test génétique à des fins médicales- petits
événements isolés et privés croirait-on - peuvent facilement entrer dans le
domaine public grâce aux progrès récents de la technologie moderne. De fait, la
saisie et l'utilisation commerciales des renseignements personnels dans notre
monde informatisé est devenue une grosse entreprise. Les opérations de police
et d'espionnage à l'ancienne font maintenant partie du folklore. Dorénavant, les
simples citoyens, les employeurs, et des entreprises, comme les banques et les
compagnies d'assurance ont régulièrement recours aux technologies nouvelles
pour surveiller, enregistrer et dépister de nombreux aspects de nos vies
quotidiennes.
LA PROTECTION DE LA VIE
Il n'existe aucun cadre général pour protéger la vie privée face à ces
nouvelles applications technologiques. Alors que les avancées techniques
provoquent une évolution rapide des relations entre les êtres humains, les
Canadiens sont obligés de se débattre dans un système compliqué et de plus en
plus inefficace pour protéger leurs vies personnelles. Il leur faut recourir au droit
international, aux lois constitutionnelles, aux législations fédérale et
provinciale, aux arrêtés des cours de justice, aux codes des professions et des
industries, à diverses lignes directrices et à la déontologie personnelle. Non
seulement ces moyens de protéger la vie privée sont complexes et divers (on dit
souvent qu'ils forment un «patchwork»), mais d'une façon générale ils ne
permettent pas de faire face aux nouvelles technologies. Par exemple, la plupart
des lois fédérales et provinciales ne portent que sur les renseignements ou les
données personnelles. De plus, exception faite du Québec, où le secteur privé est
également visé par la loi, les lois fédérales et provinciales de protection des
données ne s'appliquent qu'aux administrations publiques et aux organismes
gouvernementaux. Néanmoins - nous le soulignons avec plaisir - les
ministres de la Justice et de l'Industrie s'attachent actuellement en collaboration
avec les provinces, à élaborer des lois qui protégeront les renseignements
personnels dans le secteur privé, d'un océan à l'autre.
VOTRE POINT DE VUE
En tant que comité, nous souhaitons connaître l'opinion des
Canadiens sur ces questions. Nous voulons savoir quels sont leurs systèmes de
valeurs et leurs paramètres éthiques et moraux en ce qui concerne la vie privée.
Nous voulons aussi qu'ils nous disent comment tout cela doit s'inscrire dans la
société technologique d'aujourd'hui. Selon certains, la plupart des Canadiens
ignorent même les mesures les plus fondamentales qu'ils peuvent prendre pour
protéger leur vie privée aujourd'hui. Est-ce vrai? Et, si oui, dans quelle mesure
les gens souhaitent-ils protéger leurs droits? Les Canadiens sont-ils
véritablement conscients des menaces qui pèsent sur leur vie privée?
Sommes-nous tous devenus indulgents à l'égard de la technologie et, par
conséquent, inconscients de l'érosion de nos droits? La vie privée est-elle
considérée non pas comme un droit humain inaliénable, mais comme quelque
chose de superflu que l'on peut, et même que l'on doit, accepter de céder contre
d'autres avantages sociaux ou économiques?
NOTRE APPROCHE
Le droit à la vie privée a une portée très large, et il est assiégé de tous
côtés. Aussi, le Comité a-t-il décidé de concentrer son enquête sur trois types
d'intrusions en s'appuyant sur trois études de cas portant sur des technologies
particulières :
1) le contrôle matériel - caméras vidéo,
2) la surveillance biologique - tests génétiques,
3) les pratiques entourant l'identification des personnes -
cartes à puce.
Nous voulons ainsi sensibiliser les esprits aux risques et aux avantages des
nouvelles technologies, pour stimuler le débat concernant la nécessité d'une
meilleure protection de la vie privée à l'époque actuelle et pour chercher à
définir les limites (quand va-t-on trop loin?) de nos intérêts face aux promesses
d'aujourd'hui et de demain que nous offrent les nouvelles technologies.
Toutefois, il n'est pas dans l'intention du Comité de résoudre de manière
définitive tous ces problèmes. Nous espérons plutôt que nos études de cas
serviront de véhicules pour mettre à l'épreuve nos valeurs fondamentales, pour
examiner les tendances sous-jacentes et les thèmes les plus fréquents et, au bout
du compte, pour élaborer des moyens réalistes de traiter avec des intérêts
divergents.
PRINCIPAUX SUJETS DE RÉFLEXION
Voici un certain nombre de questions fondamentales auxquelles le
Comité permanent aimerait que les Canadiens répondent :
1. À l'intérieur de votre échelle de valeurs personnelle, où placez-vous le
droit à la vie privée? Estimez-vous, par exemple, qu'il est aussi important
que la liberté de parole ou que le droit à un procès impartial?
2. Le système de protection de la vie privée qui est actuellement en place au
Canada fonctionne-t-il? Dans la négative, quelles sont ses lacunes?
3. D'après votre expérience personnelle, dans quelle mesure sacrifions-nous
notre droit à la vie privée pour obtenir les avantages promis par les
technologies naissantes? S'agit-il là d'un compromis inévitable à l'ère
technologique?
4. Quel est le meilleur moyen de protéger notre vie privée dans un monde de
haute technologie? Est-il nécessaire que les gouvernements prennent les
choses en main et mettent en place des lois sévères et à vaste portée, ou
faudrait-il plutôt agir sur plusieurs fronts, notamment par la mise en place
de codes dans le monde des affaires et dans l'industrie, par la création de
technologies qui accorderaient une meilleure place à la vie privée, par des
campagnes de sensibilisation du public et par l'adoption de lois sur la
protection des renseignements personnels?
5. A-t-on parfois recours aux technologies modernes comme à un moyen
rapide de régler les problèmes sociaux ou économiques, au lieu de
s'attaquer à la racine du mal, par exemple lorsque l'on cherche à réduire la
criminalité en surveillant les rues par caméra vidéo?
6. Par quels moyens pourrions-nous tous nous renseigner davantage et nous
sensibiliser aux effets des technologies et des pratiques modernes sur la
protection de la vie privée?
RUE PRINCIPALE, BONNEVILLE
Bonneville est une ville moyenne d'un peu plus de 75 000 habitants.
Ces dernières années, les incidents criminels, particulièrement les actes de
vandalisme, les entrées par effraction et les bagarres à la fermeture des bars, sont
devenus de plus en plus fréquents au centre-ville. Pourtant, la ville s'est toujours
enorgueillie d'être une ville paisible, sans danger et axée sur la famille. De
nombreux citoyens étaient d'avis que la situation ne pouvait que se dégrader si
l'on ne prenait pas des mesures rapides et efficaces pour contrer cette hausse de
la criminalité. Après en avoir longuement débattu, le conseil municipal a décidé
d'installer un système de télévision en circuit fermé à la fine pointe de la
technologie pour surveiller le tronçon de la rue Principale qui traverse le
centre-ville. Jusque-là, seules les agences de sécurité utilisaient des caméras
vidéos pour surveiller les magasins et les bureaux gouvernementaux de
Bonneville.
La surveillance de la rue Principale ne suscite pas le même
enthousiasme chez tous les résidents. La plupart, particulièrement les femmes et
les aînés, se sentent maintenant mieux protégés lorsqu'ils vont au restaurant ou
au cinéma ou qu'ils font des emplettes après la tombée de la nuit. Mais ceux qui
ont découvert à leurs dépens à quel point les caméras vidéos ont l'oeil perçant
sont moins enthousiastes. Prenons, par exemple, Joan, Paul, Sonia et Daniel.
JOAN
Joan est une jeune de 16 ans doté d'une imagination des plus fertiles.
Le soir de l'Halloween, muni d'une bonbonne de peinture rouge en aérosol, elle
a décidée de «peindre la ville en rouge», ou tout au moins quelques façades de
magasins près de la rue Principale. Sachant que le système de télévision en
circuit fermé n'aurait pas manqué de la prendre sur le fait, Joan a décidé de ne
pas exercer ses talents sur la rue Principale. Ce qu'elle ne savait pas, c'est que les
caméras dernier cri installées sur la rue Principale pouvaient panoramiser
verticalement et horizontalement, zoomer et scruter dans la noirceur des rues
secondaires transversales aussi facilement qu'en plein jour, grâce à leur capacité
de vision nocturne. La blague de Joan a donc été enregistrée par un téléphoniste
du 911 qui surveillait la rue à distance, à partir d'une salle des commandes située
à plusieurs kilomètres de là. La police a été mandée sur les lieux, Joan s'est fait
prendre la main dans le sac et elle doit maintenant répondre à des accusations au
criminel.
PAUL
Paul vit sur une ferme aux abords de Bonneville. Il avait prévu
participer à une manifestation devant avoir lieu devant les locaux du ministère
de l'Agriculture, sur la rue Principale, jusqu'à ce qu'il entende parler du plan
municipal de recouvrement des coûts découlant de l'installation du système de
télévision en circuit fermé. En effet, pour recouvrer une partie des coûts de
l'installation de son système de surveillance vidéo, la ville a décidé de vendre les
bandes de son système de surveillance vidéo à quiconque est intéressé. Paul a
entendu à travers les branches que les bureaucrates du gouvernement et les
policiers avaient l'intention d'acheter les enregistrements de la manifestation.
Les images numérisées des manifestants pourraient être jumelées très
rapidement aux photographies numérisées des permis de conduire figurant dans
la base de données du ministère du Transport. Ainsi, la plupart des manifestants
pourraient être identifiés facilement et avec précision. Ce plan a mis Paul hors de
lui. Il le considère comme un outrage à sa liberté d'expression et à son droit de
participer à des réunions pacifiques. Mais comme il ne voulait pas figurer sur la
liste noire du gouvernement, il est resté chez lui.
SONIA
Sonia travaillait au ministère de l'Agriculture jusqu'au mois dernier,
lorsqu'elle a été congédiée. Son employeur avait une politique
d'environnement sans fumée. Par conséquent, les employés, dont Sonia,
sortaient devant l'entrée de l'édifice lorsqu'ils éprouvaient le besoin de fumer.
Le superviseur de Sonia l'a accusée de prendre jusqu'à 10 pauses cigarette par
jour, ce qu'elle a nié énergiquement, en mettant ses absences sur le compte de
déplacements vers la photocopieuse, la bibliothèque ou d'autres tâches liées au
travail dans l'édifice. Elle a juré ne prendre que trois pauses cigarette par jour,
jusqu'à ce que son superviseur lui présente la preuve du contraire. Il s'était
procuré des bandes vidéo auprès de l'entreprise privée chargée de la sécurité de
l'immeuble, qui avait une caméra vidéo braquée sur l'entrée, par mesure de
sécurité. Les bandes vidéo ont révélé que Sonia passait en moyenne une heure
par jour, sans inclure son heure de repas, à fumer devant l'entrée de l'immeuble.
Sonia a été congédiée parce qu'elle prenait trop de pauses et parce qu'elle a
menti pour tenter de dissimuler ses actes.
DANIEL
Daniel a été mis à pied lorsque l'usine où il travaillait a réduit ses
effectifs il y a quelques mois. Ayant appris que sa femme souffrait d'une maladie
en phase terminale, ne prévoyant pas retrouver de nouvel emploi et sachant que
ses prestations d'assurance-chômage tiraient à leur fin, il a sombré dans la
dépression. Un soir, après avoir bu beaucoup trop de bière dans une brasserie
locale, Daniel s'est rendu en titubant jusqu'à son véhicule stationné sur la rue
Principale et il s'est démené avec la serrure pour réussir à ouvrir la portière. Une
fois à l'intérieur, au lieu de mettre la clef dans le contact, il a pris le couteau de
poche qui pendait à son porte-clef et s'est ouvert les veines. Le téléphoniste du
911 qui surveillait la rue Principale ce soir-là avait observé Daniel titubant
jusqu'à son véhicule et l'avait vu tâtonner avec ses clefs. Avant même que
Daniel n'attente à ses jours, la police avait déjà été alertée au sujet d'un
conducteur probablement en état d'ébriété. Lorsqu'ils ont trouvé Daniel
évanoui sur son volant, les policiers l'ont emmené de toute urgence à l'hôpital.
Avec le recul, Daniel est reconnaissant qu'on lui ait sauvé la vie. Cependant,
lorsque la ville a vendu la bande vidéo de sa tentative de suicide à une émission
de télévision vérité diffusée à l'échelle nationale, Daniel s'est senti blessé, en
colère et humilié. Il songe à intenter des poursuites contre la ville.
QUESTIONS À DÉBATTRE
1. Les systèmes de télévision en circuit fermé (TVCF) sont-ils un moyen
efficace de réprimer l'activité criminelle ou ne font-ils que déplacer cette
activité vers des endroits qui ne sont pas encore sous surveillance et où il
n'y a peut-être pas les ressources financières ni le poids politique
nécessaires pour obtenir ce genre de systèmes de surveillance?
2. Dans quelle mesure la surveillance vidéo devrait-elle se faire en direct
plutôt que sur bande? Par exemple, devrait-on permettre que les caméras
vidéo puissent zoomer, panoramiquer et enregistrer des activités à tout
moment ou seulement lorsqu'un incident se produit? Qui devrait prendre la
décision d'enregistrer, et pour quels motifs?
3. Lorsqu'il y a enregistrement, qui est propriétaire de la bande et qui peut y
avoir accès? Devrait-on adopter des pratiques ou des politiques concernant
les périodes de conservation et l'effacement de bandes vidéo? Si oui, qui
devrait les établir, le propriétaire de la bande ou l'utilisateur?
4. Faut-il permettre les caméras vidéo dans les endroits publics parce qu'elles
ne sont essentiellement qu'un prolongement de l'oeil nu? Qu'en est-il des
caméras perfectionnées à infrarouge qui voient dans le noir, traversent les
murs et peuvent zoomer sur une personne à 300 mètres de distance?
5. Si nous acceptons au moins une certaine surveillance dans les endroits
publics, où traçons-nous la ligne de démarcation entre le domaine public et
le domaine privé? Quel degré d'intimité pouvons-nous raisonnablement
nous attendre à préserver dans les endroits privés (p. ex. les toilettes des
centres commerciaux équipés de caméras vidéo cachées pour détecter le
vol à l'étalage?
6. Est-ce que toute la question de la protection de la vie privée tient au lieu de
l'intrusion, à l'auteur de l'intrusion ou au motif de l'intrusion ou encore à
une combinaison de ces facteurs?
7. Comment faire pour concilier le droit à la vie privée et les avantages des
nouvelles technologies dans le domaine de la surveillance vidéo? Une
réglementation générale s'impose-t-elle dans ce domaine? Si oui,
comment pourrait-on procéder (c.-à-d. système de permis, organisme de
surveillance, code de pratique)?
8. Comment devrait-on se préparer aux prochaines percées technologiques
dans le domaine de la surveillance vidéo? De plus, que pouvons-nous faire
devant l'utilisation commerciale de plus en plus grande qui est faite des
renseignements personnels obtenus par ces méthodes de surveillance?
LA SITUATION
Frank, un chauffeur de camion de trente-cinq ans à l'emploi de la
compagnie Inter-city Moving, est tombé et s'est blessé au bras gauche en allant
livrer un chargement de meubles. Les membres de l'équipe qui l'accompagnait
ont appelé une ambulance pour le faire transporter à l'hôpital général local, un
important établissement d'enseignement affilié à l'université de l'endroit. Ils
ont également avisé le patron de Frank, en l'occurrence le propriétaire de
l'entreprise de camionnage.
Lors de son admission à l'hôpital, Frank a signé certains formulaires
pour autoriser le personnel à lui faire subir des examens et à le traiter. À ce
moment, il était convaincu que la signature de ces formulaires faisait partie des
formalités courantes, même si le préposé à l'admission lui a mentionné qu'en
raison de l'affiliation de l'hôpital à l'université, les formulaires en question
renfermaient une disposition visant à autoriser l'établissement à utiliser les
renseignements médicaux recueillis aux fins de ses travaux de recherche
permanents. Frank n'y a guère prêté attention, parce qu'il savait qu'il était là
pour être traité pour une blessure et non pour une maladie.
Comme Frank avait perdu considérablement de sang, le médecin de
garde à l'hôpital a demandé une transfusion et, à cette fin, on lui a prélevé du
sang pour l'envoyer au laboratoire afin de déterminer son groupe sanguin. Pour
les fins de ses recherches sur les maladies d'origine génétique, le médecin a
également demandé que l'on procède à un test d'empreintes génétiques - tri
génétique du sang de Frank - comme l'y autorisait le formulaire qu'avait signé
Frank au moment de son admission. Les prélèvements sanguins étaient
identifiés au nom de Frank et portaient aussi son numéro d'assurance-maladie
provinciale, que le médecin avait inscrit sur le formulaire de demande.
Frank a téléphoné à son patron pour lui dire qu'il allait être absent du
travail pendant six semaines. Entre-temps, le patron avait communiqué avec la
compagnie d'assurance d'Inter-city Moving pour s'informer de ses obligations.
La compagnie d'assurance lui avait demandé de veiller à ce que des copies de
tous les documents relatifs à l'accident lui soient envoyées. Lorsque Frank a
téléphoné pour donner de ses nouvelles, son patron lui a demandé de faire
envoyer une copie de son dossier à la compagnie d'assurance.
Remis sur pied, Frank a reçu son congé le lendemain. Parce qu'il
habitait à 300 milles de là, à Phillipstown, un village d'environ 2 000 habitants,
l'hôpital a accepté que le suivi du traitement soit effectué par son propre
médecin et par les services de soins à domicile de là-bas. Au moment de quitter
l'hôpital, Frank a demandé au préposé qui s'occupait des formalités de congé de
mettre une note dans le fichier informatique pour que son dossier soit envoyé à la
compagnie d'assurance.
Les résultats du tri génétique sont arrivés quelque temps après que
Frank eut quitté l'hôpital pour rentrer chez lui. Ils indiquaient que celui-ci avait
plusieurs gènes qui, mis ensemble, pouvaient accroître sensiblement sa
prédisposition à développer prématurément une maladie cardiaque.
LE SYSTÈME MÉDICAL
L'hôpital n'ayant aucun système spécial pour mettre à part les
résultats des dépistages génétiques, ceux-ci ont été automatiquement consignés
au dossier de Frank dans la banque de données informatisée de l'hôpital avec les
résultats des autres tests et du traitement reçu par Frank pour son bras blessé. En
plus des prélèvements sanguins que l'hôpital conserve à des fins de recherche
futures, les généticiens ont aussi accès à la banque de données de l'hôpital pour
se procurer les données dont ils ont besoin pour mener à bien leurs recherches.
Le préposé aux dossiers de l'hôpital a utilisé son mot de passe, appellé
le fichier sur son ordinateur et distribué les résultats du test conformément aux
consignes données dans le dossier lui-même. Il a imprimé plusieurs copies du
dossier et a envoyé une autre copie au médecin de l'hôpital par courrier
électronique. Sans prendre connaissance du dossier encore une fois, le médecin
a mis l'information en mémoire dans sa banque de données de recherche.
Conformément à la pratique établie, le rapport médical a été envoyé par la poste
au médecin de famille de Frank, qui devait y trouver, au besoin, les
renseignements relatifs au suivi du traitement, de même qu'à la coordonnatrice
des soins à domicile de Phillipstown, qui avait confié à une infirmière auxiliaire
le soin de rendre visite à Frank chez lui pour lui changer ses pansements.
Contrairement au médecin de famille de Frank, qui n'a guère porté
attention au rapport sinon pour s'enquérir de la façon dont la blessure de Frank
avait été traitée, l'infirmière des soins à domicile, elle, a lu attentivement le
rapport et a sciemment proposé à son superviseur - qui se trouve être la
meilleure amie de l'épouse de Frank, Elaine - d'y jeter un coup d'oeil dès
qu'elle en aurait l'occasion.
LA BANQUE
Deux semaines plus tard, Frank et Elaine se sont rendus à leur banque
signer des papiers pour une demande de prêt hypothécaire de 75 000 $ en vue de
l'achat d'une maison. Ils savaient que ce prix était à la limite de leurs moyens
financiers, mais la maison leur semblait être une bonne affaire et elle était assez
grande pour eux et la famille qu'ils prévoyaient fonder. Frank a décidé de
souscrire une assurance-vie sur l'hypothèque afin qu'Elaine soit libre de toute
dette si jamais quelque chose devait lui arriver. À la demande de la banque,
Frank a signé un formulaire type pour attester que rien dans son état de santé
antérieur n'était de nature à le rendre inadmissible à l'assurance. Comme le
préposé aux prêts savait que Frank était au repos en raison de sa blessure, il a
demandé à obtenir l'assurance que Frank retournerait au travail bientôt et avait
un emploi permanent et un revenu stable. Pour donner satisfaction au préposé
aux prêts, Frank a spontanément offert de communiquer avec la secrétaire de
son médecin de famille pour lui demander de faire parvenir une copie de son
dossier médical à la banque.
Quelques jours plus tard, Frank a reçu une lettre de sa banque dans
laquelle le préposé aux prêts expliquait que la banque avait reçu son dossier et
qu'il n'était pas admissible à l'assurance hypothécaire à primes modiques
offerte par la banque en raison de son affection cardiaque préexistante. La
banque l'a informé aussi qu'elle rejetait sa demande de prêt hypothécaire parce
qu'il avait signé une fausse déclaration.
L'EMPLOI ET L'ASSURANCE
Plus tard la même semaine, Frank a été convoqué chez son patron
pour apprendre qu'il devait se chercher un autre emploi. «Je n'ai pas assez de
travail pour te tenir occupé», lui a expliqué son employeur. En réalité, la
compagnie d'assurance qui avait analysé le dossier médical de Frank avait
communiqué avec le propriétaire de l'entreprise de camionnage pour lui faire
savoir qu'étant donné les problèmes cardiaques que Frank risquait de
développer dans l'avenir, elle avait décidé que celui-ci présentait un trop grand
risque pour qu'elle puisse l'assurer. Le patron a décidé de cacher à Frank la vraie
raison de sa mise à pied, parce qu'il ne voulait pas que celui-ci essaie de réclamer
des prestations d'assurance-invalidité et le prive peut-être ainsi du rabais
consenti à Inter-city Moving par la compagnie d'assurance, à titre de petite
entreprise n'ayant fait aucune réclamation au cours des cinq dernières années.
Frank n'était cependant pas trop abattu, parce qu'il avait déjà reçu une
offre d'emploi de la part d'une autre entreprise de camionnage. En fait, le salaire
offert était meilleur et, comme il l'a dit à Elaine lorsqu'il l'a appelé au travail
pour lui annoncer la nouvelle, il n'aimait pas beaucoup son ancien patron de
toute façon. Pour obtenir l'emploi, il n'avait qu'à fournir un certificat médical et
à autoriser l'entreprise à consulter son dossier médical.
LA FAMILLE
Elaine est ensuite rentrée à la maison dans tous ses états. Elle a
expliqué qu'elle avait mangé avec sa copine superviseur des soins à domicile.
Lorsqu'Elaine lui avait fait part des problèmes d'emploi de Frank, l'amie avait
compati avec elle et lui avait dit qu'elle était en mesure de lui en expliquer la
raison parce qu'elle avait enfin pris connaissance du dossier de Frank. Elle avait
expliqué à Elaine que son mari souffrait d'une affection cardiaque congénitale
et que n'importe lequel de leurs enfants pouvait avoir le même problème. En
plus, il pouvait mourir avant l'âge de 50 ans et la laisser seule avec de jeunes
enfants à élever. Pourquoi, se demandait Elaine, son mari ne l'avait-il pas mise
au courant? N'avait-elle pas le droit de savoir?
LA SUITE DES ÉVÉNEMENTS
Complètement abasourdi, Frank lui a dit que c'était la première
nouvelle qu'il en avait et a essayé de rejoindre son médecin de famille.
Lorsqu'il est enfin parvenu à mettre les pièces du casse-tête ensemble,
Frank était en furie. Comment des étrangers pouvaient-ils en savoir plus sur sa
vie privée que lui-même? Comment avaient-ils pu obtenir ces renseignements
sans qu'il n'en soit informé et n'ait donné son consentement? Pourquoi ne lui
avait-on pas laissé la possibilité de communiquer lui-même ces renseignements
personnels à son patron, à sa banque et à sa conjointe? Frank avait l'impression
de n'avoir aucune emprise sur les renseignements contenus dans le dossier de la
compagnie d'assurance, dans celui de la banque et dans les dossiers médicaux
généraux (sur lequel figurait son numéro d'assurance-maladie).
QUESTIONS À DÉBATTRE
1. Compte tenu de la nature extrêmement personnelle des empreintes
génétiques d'une personne, la réglementation des renseignements
génétiques ne devrait-elle pas être traitée différemment de celle des autres
renseignements médicaux personnels? Le gouvernement devrait-il avoir le
droit et le devoir de recueillir des renseignements génétiques pour faire en
sorte que la société soit en meilleure santé?
2. - Qui devrait être habilité à faire du dépistage génétique?
- À quelles fins la collecte de données génétiques devrait-elle être
autorisée?
- Qui devrait être habilité à conserver les échantillons d'ADN, à
quelles fins et dans quelles circonstances?
- Lorsque des renseignements génétiques sont utilisés à des fins de
recherche, quelle devrait être l'obligation du chercheur?
3. Compte tenu de ce qui est arrivé à Frank, faudrait-il régler les questions
relatives à la protection de la vie privée soulevées par l'utilisation de la
technologie génétique en permettant à Frank d'intenter une action en
justice, après le fait, contre l'hôpital, le médecin hospitalier, son patron et
sa banque? Aurait-il été préférable de protéger sa vie privée de façon
proactive en interdisant purement et simplement la collecte et la diffusion
de renseignements génétiques? Y a-t-il une solution de compromis? Que
peut faire le Parlement?
4. Qui devrait être habilité à divulguer des renseignements génétique et à qui?
L'employeur de Frank et l'assureur devraient-il avoir accès au profil
génétique de Frank? Qu'en est-il de sa conjointe? De Frank lui-même?
5. Dans quelle mesure chaque situation influe-t-elle sur la façon dont les
renseignements génétiques sont divulgués? Par exemple, la situation
aurait-elle été différente si Frank avait été parfaitement «normal» plutôt
que de présenter des risques accrus de maladie cardiaque éventuelle?
Auriez-vous été du même avis, si Frank avait eu un gène le prédisposant de
façon certaine à développer une maladie mortelle (p. ex., la maladie de
Huntington)? Faudrait-il soumettre les enfants de Frank à un dépistage
génétique pour vérifier leur prédisposition même s'ils sont mineurs? À
partir de quel âge le dépistage génétique devrait-il être autorisé chez les
enfants?
6. Le consentement donné par Frank lors de son admission à l'hôpital
devrait-il être suffisant pour permettre la collecte de renseignements
génétiques? Qu'est-ce qui constitue, selon vous, un «consentement
éclairé»?
NOUVELLE-OCÉANIE, 2004
Marie est une femme travailleuse, citoyenne modèle de la
Nouvelle-Océanie, qui n'avait certainement jamais imaginé vivre de l'aide
gouvernementale. Au printemps 2004, toutefois, elle s'est retrouvée prestataire
de l'assurance-chômage quand son employeur a soudainement réduit son
effectif. Marie remplit ses déclarations et touche des prestations en utilisant une
carte à puce qui fonctionne également comme carte d'identité et carte de
paiement électronique. C'est le ministère du Travail qui a instauré la carte
d'assurance-chômage afin de réduire la fraude et d'épargner les coûts élevés que
représente l'administration de l'ancien système utilisant du papier.
LECTURE DE L'EMPREINTE DIGITALE
Au lieu de remplir des formulaires et de les poster afin de toucher des
prestations, ce qui était la façon de faire au tournant du siècle, Marie remplit sa
demande de prestations de façon électronique, toutes les deux semaines, à un
kiosque local des services gouvernementaux. L'ordinateur du kiosque lit son
index et traduit ses empreintes en un numéro unique appelé «empreinte
numérique». En même temps, Marie insère sa carte d'assurance-chômage dans
le guichet pour permettre à l'ordinateur de comparer le numéro que vient de
produire la lecture de son doigt aux empreintes numériques stockées dans la
carte. La comparaison permet d'établir que Marie, la personne à qui la carte a été
émise quand elle a été admise à toucher de l'assurance-chômage, et la personne
qui remplit sa demande de prestations au kiosque sont bel et bien la même
personne. L'empreinte digitale de Marie, qui constitue un numéro unique, est
également utilisée pour faire le lien avec des dossiers de sa carte à puce et son
dossier complet d'assurance-chômage conservé dans l'ordinateur central du
ministère du Travail.
Au début, le fait de faire lire son doigt rendait Marie mal à l'aise parce
qu'elle avait l'impression d'être une criminelle. Mais elle s'habitue de plus en
plus et comprend que cela est essentiel pour établir son identité et réduire la
fraude.
Cette technique d'identification, qui détermine l'identité d'une
personne à l'aide de l'empreinte digitale (une caractéristique physique unique à
chaque personne), s'appelle une identification «biométrique». En instaurant sa
carte d'assurance-chômage biométrique, le gouvernement a constaté que les
renseignements utilisés aux fins d'identification biométrique sont très
personnels et, par conséquent, ne doivent pas être facilement accessibles à des
personnes non autorisées ou peu scrupuleuses. Comme Marie garde toujours sa
carte en sa possession, elle peut contrôler l'accès aux renseignements
biométriques qu'elle contient. Quant à la lecture de son empreinte digitale
contenue dans l'ordinateur central, le gouvernement protège ces
renseignements contre une utilisation non autorisée en les conservant dans une
base de données distincte, à accès limité.
RETRAIT DES PRESTATIONS
En plus d'être une carte d'identité, la carte d'assurance-chômage de
Marie lui sert de carte d'accès à la banque, qui fonctionne comme les cartes à
bande magnétique qu'émettaient autrefois les banques. La carte lui donne accès,
à partir de tout guichet automatique, au compte d'assurance-chômage du
gouvernement et lui permet de retirer, en argent comptant, jusqu'au montant
total des prestations d'assurance-chômage qui lui sont dues. Elle n'est pas
obligée de retirer toutes les prestations auxquelles elle a droit dès qu'elles sont
disponibles parce que l'ordinateur central du ministère et sa carte conservent un
relevé courant du solde qui lui est dû. De cette façon, Marie et le gouvernement
savent en tout temps le total des prestations payables.
La carte d'assurance-chômage peut également servir à faire des
achats par paiement direct à tout magasin de détail qui accepte les cartes
électroniques de paiement bancaire. L'ordinateur central du ministère
enregistre immédiatement tout paiement direct effectué à l'aide de la carte et le
débite de son solde courant.
Marie a constaté que sa carte d'assurance-chômage était très
commode et conviviale. Elle lui permettait de présenter une demande de
prestations directement et instantanément sans avoir à recourir à la poste pour
envoyer et recevoir ses formulaires de déclaration d'assurance-chômage; et
quand elle a eu droit à des prestations d'assurance-chômage, elle a pu se rendre à
n'importe quel guichet automatique, en tout temps, et retirer l'argent dont elle
avait besoin. Elle n'avait pas à attendre que son chèque arrive par la poste et à
aller l'encaisser. Elle n'avait pas besoin non plus de transporter beaucoup
d'argent comptant parce qu'elle pouvait se servir de sa carte
d'assurance-chômage pour payer directement ce qu'elle achetait. Toutefois, des
événements récents ont gâté l'opinion favorable qu'elle avait naguère de la
carte.
RÉPRESSION DES FRAUDES
En tout premier lieu, après un voyage à l'étranger pour chercher de
l'emploi, elle a éprouvé des difficultés à remplir sa déclaration électronique au
kiosque de l'assurance-chômage. À l'insu de Marie, ses empreintes digitales,
conservées dans la base de données discrète de l'assurance-chômage, avaient
automatiquement été comparées aux mêmes empreintes digitales lues à
l'aéroport quand elle passée à la douane en utilisant sa carte électronique pour
franchir la frontière. Par la même occasion, le système de l'assurance-chômage
a été averti qu'elle s'était absentée du pays pendant cinq jours. Cet échange
d'informations s'est effectué conformément à une entente intervenue entre le
ministère de l'Impôt (douane) et le ministère du Travail.
Quand Marie a essayé de remplir sa déclaration habituelle, qui
exigeait entre autres choses qu'elle confirme qu'elle avait été disponible pour
travailler chaque jour au cours des deux semaines visées par la déclaration,
l'ordinateur du kiosque l'a informée qu'elle était «réputée» ne pas avoir été
disponible pour travailler pendant les cinq jours qu'elle avait passés à l'étranger.
Il l'a aussi informée qu'elle devait se présenter à un représentant officiel de
l'assurance-chômage dans les 10 jours pour prouver qu'elle n'avait pas essayé
de remplir une fausse déclaration, ce qui constitue une infraction punissable. Si
elle pouvait convaincre le fonctionnaire qu'elle avait activement cherché de
l'emploi au cours de son absence, sa demande de prestations pour cette période
serait traitée immédiatement.
PROFIL DU CONSOMMATEUR
Quelques semaines plus tard, Marie a reçu une lettre de la société
XYZ, entreprise privée ayant conclu un contrat avec le ministère du Travail pour
fournir de la formation spécialisée aux prestataires. La lettre l'invitait à
participer à un atelier intitulé «Vivre avec un revenu limité». Curieuse de savoir
pourquoi on l'avait retenue comme candidate possible à cette séance de
formation, Marie a téléphoné à la compagnie et a parlé à un représentant qui a
vérifié son dossier informatisé et lui a dit qu'on avait probablement
communiqué avec elle en raison de son «profil de consommateur». Il lui a
expliqué qu'avec son dossier concernant ses paiements directs, obtenu de la
base de données de l'assurance-chômage, on avait établi un profil de dépenses
personnelles qui révélait certaines dépenses inutiles, par exemple, des achats de
tabac et d'alcool.
Le profil de consommation tiré des transactions effectuées par la carte
d'assurance-chômage de Marie ne reflétait pas avec exactitude ses habitudes de
consommation personnelles. En fait, Marie avait acheté des cigarettes et du vin
pour sa grand-mère pour laquelle elle faisait souvent des courses. Ne souhaitant
pas révéler d'autres détails de ses habitudes de magasinage à cet étranger, Marie
n'a pas essayé de tirer les choses au clair. Toutefois, elle lui a demandé s'il était
possible que l'entreprise ait vendu son profil de consommation à des
publicitaires qui font du publipostage. (Récemment, elle avait reçu plusieurs
annonces qui lui étaient personnellement adressées d'entreprises vendant des
produits et des services ayant un rapport avec les articles qu'elle avait achetés
pour sa grand-mère, et sa conversation avec ce représentant lui faisait
maintenant douter qu'il s'agisse d'une coïncidence.) Ce dernier a confirmé que
c'était la façon de faire de l'entreprise et que si elle ne voulait pas que ses
renseignements personnels soient vendus ou échangés, elle devait lui envoyer
une demande à cet effet, par écrit.
ENQUÊTE SUR UN MEURTRE
Pour Marie, le plus gros choc est cependant venu le jour où un policier
s'est présenté chez elle pour enquêter au sujet d'un meurtre commis récemment
dans un parc du voisinage. L'arme du crime avait été bien essuyée et jetée dans
un poubelle à quelques coins de rue de là. La police a lu les empreinte digitales
trouvées sur le couvercle de la boîte et les a comparées à un certain nombre de
bases de données du gouvernement, notamment celle de l'assurance-chômage.
Les empreintes de Marie ont ainsi été repérées et on lui a demandé de rendre
compte de ses allées et venues au moment du meurtre. Heureusement, elle avait
passé la soirée en question avec sa grand-mère; ainsi, elle avait un alibi.
LA NOUVELLE SUPERCARTE
ujourd'hui, Marie a lu un article de journal concernant l'Internet qui faisait état de l'intention du gouvernement de la Nouvelle-Océanie d'étendre les fonctions de la carte d'assurance-chômage et de transformer cette dernière en une carte d'identité universelle et polyvalente pour les services gouvernementaux, appelée la «carte universelle» ou l'«UNIcarte». Tous les travailleurs, employés ou en chômage, la recevraient. Ceux qui sont admissibles aux prestations d'assurance-chômage continueraient d'utiliser la carte pour présenter leur déclaration par voie électronique et encaisser leurs prestations. Dans le cas des employeurs et des employés, elle instituerait une série de nouvelles applications. Par exemple, le gouvernement a proposé de permettre aux employeurs d'avoir accès à la carte afin d'enregistrer les renseignements concernant la rémunération et l'expérience professionnelle de l'employé parce que ces données simplifieraient et accéléreraient le traitement de la demande des employés qui demandent des prestations d'assurance-chômage. La carte servirait également à prouver la citoyenneté d'une personne, à toucher des prestations de pension, à présenter une déclaration de revenus et à obtenir un remboursement d'impôt. L'UNIcarte, à l'instar de la carte d'assurance-chômage, serait une carte d'identité biométrique, et pourrait fournir une preuve solide de l'identité de son détenteur. Avant de passer à l'article suivant, Marie s'est mis à songer aux possibilités illimitées des cartes à puce biométriques et à se demander si un jour elle n'aurait besoin que d'une seule carte pour effectuer toutes ses transactions personnelles avec tous les ordres de gouvernement et toutes les entreprises privées.
QUESTIONS À DÉBATTRE
1. Si le fait d'avoir à faire lire son empreinte digitale mettait Marie mal à
l'aise, elle devait cependant se plier à la procédure si elle voulait toucher
des prestations d'assurance-chômage. L'utilisation de la carte
d'assurance-chômage a été rendue obligatoire afin que le gouvernement
réalise toutes les économies possibles.
- Que pensez-vous de l'intrusion physique liée à l'identification
biométrique À cela vous gêne-t-il ou êtes-vous plus préoccupé par
la manière dont les renseignements biométriques sont
emmagasinés et utilisés que par la manière dont ils sont
recueillis?
- Étant donné la confidentialité de l'information biométrique,
croyez-vous que nous avons besoin de règles plus claires quant à
savoir qui peut demander cette information, comment on peut
l'utiliser et comment cette information doit être protégée? Par
exemple, les ministères, la police, les employeurs, les banques et
les compagnies d'assurance devraient-ils être tous également
autorisés à exiger ce type d'information? Aimeriez-vous que l'on
impose des sanctions, comme des amendes ou des peines
d'emprisonnement aux personnes qui en font un mauvais usage?
2. Les empreintes digitales de Marie, inscrites dans l'ordinateur central de
l'assurance-chômage, étaient conservées dans une base de données
distincte, à accès limité. Ces données pourraient avoir été mieux protégées
grâce à une technologie d'encodage, mais les planificateurs du système ont
décidé de ne pas recourir à ce moyen. Ils étaient convaincus que le fait
d'emmagasiner les renseignements biométriques dans une banque de
données distincte les protégerait suffisamment. L'encodage est un procédé
technologique grâce auquel des données lisibles, comme une empreinte
digitale, sont converties en une forme qui est indéchiffrable. Seules les
personnes autorisées, qui ont accès à un programme d'encodage particulier
utilisé pour camoufler les données pourraient les convertir à un nouveau en
une forme lisible. Les technologies, comme l'encodage, que l'on peut
utiliser pour mieux protéger les renseignements personnels, s'appellent
technologies améliorant la confidentialité ou TAC.
- Quel rôle les TAC devraient-elles jouer dans la protection des
renseignements personnels? Par exemple, dans le caste des
systèmes d'information qui traitent des renseignements
personnels confidentiels, comme des identificateurs
biométriques tels les empreintes digitales, l'utilisation de TAC
devrait-elle être obligatoire?
- En adoptant une nouvelle TAC, appelée «encodage
biométrique», on pourrait utiliser vos empreintes digitales
comme une serrure à haute sécurité pour protéger vos fichiers de
données personnelles plutôt que de les utiliser de la manière
habituelle, non encodée, comme un passe-partout qui peut
donner accès à plusieurs de vos fichiers de données et établir des
liens entre eux Ä préféreriez-vous que vos empreintes digitales
soient utilisées comme serrure ou comme passe-partout?
3. Quand Marie a été «réputée» ne pas avoir été disponible pour travailler
parce que le ministère du Travail avait été automatiquement avisé qu'elle
s'était rendue à l'étranger, on semblait avoir présumé qu'elle avait essayé
de tromper le système. Certains pourraient prétendre que ce genre de
couplage de données revient à exécuter un mandat de perquisition contre
toute personne au sujet de laquelle on possède
des renseignements
personnels conservées dans les bases de données comparées.
- À votre avis, devrait-on permettre le couplage de données de façon
aléatoire, simplement au cas où certains éléments de preuve de fraude
pourraient être découverts? Dans un société démocratique, est-il juste
et raisonnable de chercher de cette façon des éléments de preuve de
méfaits?
4. Les achats que Marie a acquitté par paiement direct au moyen de sa carte
d'assurance-chômage ont laissé des données que la compagnie XYZ a
utilisées pour établir un profil de consommateur. La compagnie a créé le
profil en se servant de renseignements bruts que le ministère du Travail a
accepté de lui communiquer. Elle a ensuite profité de la valeur inhérente de
cette information en la réorganisant et en la vendant à des publicitaires
utilisant le publipostage.
- Dans notre société de l'information, devrait-on prendre davantage de
mesures pour empêcher la communication et la commercialisation de
renseignements personnels? Par exemple, devrait-on assurer
l'anonymat des fichiers de données personnelles ou imposer des
restrictions plus sévères à la communication de renseignements?
5. Le phénomène que les défenseurs de la protection de la vie privée appellent
«la multiplication des fonctions» se produit quand une carte d'identité sert
à des fonctions autres que celles prévues par les concepteurs de systèmes
d'identification. Par exemple, de nombreux Canadiens ont vécu ce
phénomène en ce qui concerne leur numéro d'assurance sociale.
Détaillants, propriétaires et autres demandent régulièrement aux gens leur
NAS pour vérifier leur solvabilité auprès de bureaux de crédit qui utilisent
le NAS pour établir un lien entre les personnes et des renseignements
concernant leur crédit.
- Devrait-on prendre des mesures pour éviter la multiplication des
fonctions dans le cas des cartes d'identité à puce? Dans l'affirmative,
quelles limites ou quelles règles devraient s'appliquer à ces cartes?
LA SURVEILLANCE PHYSIQUE EN GÉNÉRALE
La surveillance physique, ou surveillance de l'activité humaine, n'est
pas un phénomène nouveau dans notre société. Toutefois, avec l'arrivée de
nouvelles technologies qui se perfectionnent rapidement, la surveillance
moderne a pris un tout nouveau visage. Elle ne se borne plus à la sécurité
nationale et à l'observation de la loi et s'adresse désormais également aux
employeurs, aux commerces et aux fournisseurs de services. Elle n'exige plus
d'importantes ressources humaines ni une lourde machine et ne coûte pas cher.
La surveillance physique peut maintenant épier des conditions physiques
cachées, s'exercer dans l'obscurité et à très grande distance. De plus, il est facile
de regrouper l'information obtenue grâce à ce type de surveillance avec d'autres
sources d'information et de la manipuler.
SYSTÈMES DE TÉLÉVISION EN CIRCUIT FERMÉ
Il existe de nombreux types de surveillance physique, mais la plus
répandue est sans conteste les systèmes de télévision en circuit fermé.
L'évolution technologique a accru les capacités et abaissé le coût des caméras
vidéo, qui font désormais presque partie du paysage dans de nombreuses rues,
sur les routes très fréquentées, dans les magasins de détail, les banques, les
hôpitaux et les résidences privées. Il y a eu, en particulier, une explosion du
nombre de systèmes de télévison en circuit fermé. Ces caméras sont à la fine
pointe de la technologie. Elles peuvent tourner dans toutes les directions, se
rapprocher en un instant d'objets à 300 mètres de distance et éclairer les images
comme en plein jour même dans l'obscurité la plus complète. Il existe en
Grande-Bretagne de vastes systèmes centralisés de télévision en circuit fermé
qui surveillent les gens dans des douzaines de villes. Aux États-Unis, la police
de Baltimore a installé dans un quartier de 16 rues au centre-ville assez de
caméras vidéo pour pouvoir surveiller et enregistrer l'activité dans toutes les
rues, sur tous les trottoirs et dans toutes les ruelles, 24 heures sur 24.
Au Canada, la valeur de l'industrie de la surveillance par télévision en
circuit fermé se chiffrerait entre 65 et 90 millions de dollars par année, et elle ne
cesse de croître. Certaines municipalités et certains employeurs utilisent
ouvertement les caméras vidéo dans les lieux publics. Mais ce n'est pas tout. Des
particuliers, des commerçants et des employeurs profitent des progrès d'une
technologie peu coûteuse pour effectuer de la surveillance clandestine. Il est
ironique de constater que, même si le Code criminel interdit de capter des
conversations privées (par exemple par écoute électronique ou par micro
caché), il n'est pas interdit de photographier ou d'enregistrer sur vidéo en secret
s'il n'y a pas d'enregistrement sonore. De plus, seuls les policiers doivent
obtenir un mandat pour enregistrer sur vidéo des activités privées humaines. Les
citoyens ordinaires, comme les gardiens de sécurité, ne sont pas tenus d'obtenir
une autorisation préalable.
LES PERSPECTIVES DE LA TECHNOLOGIE
DE LA SURVEILLANCE VIDÉO
Les perspectives de la technologie de la surveillance vidéo semblent
illimitées. Des systèmes informatisés de reconnaissance des visages ont été mis
au point pour convertir l'image d'un visage enregistrée par une caméra de
surveillance en une séquence numérique informatisée qui peut être jumelée aux
images de visages se trouvant déjà dans les bases de données. Une entreprise de
la Floride, par exemple, a mis au point des technologies informatiques
puissantes qui peuvent balayer une foule à un rythme de 20 visages à la seconde,
convertir les images des visages en un code électronique et les jumeler aux
visages déjà emmagasinés dans une base de données. Au Massachusetts, cette
technologie a permis de mettre au point une base de données à l'échelle de l'État
qui contient les photographies numérisées de 4,2 millions de conducteurs. On
peut imaginer les conséquences si ce genre de technologie était liée à un système
de télévision en circuit fermé.
D'autres exemples de technologies futures comprennent les appareils
mobiles (des radars infrarouges) qui peuvent épier à travers les murs les activités
à l'intérieur de bâtiments avec l'exactitude et la clarté d'une caméra vidéo. Il
existe déjà des détecteurs d'ondes passifs, une espèce de radar, qui aident les
policiers et les agents des douanes à détecter des objets cachés, à travers les
vêtements et même les parties du corps humain, comme l'estomac.
POINTS SAILLANTS
Ainsi, la surveillance vidéo pose davantage que la simple question de
savoir si notre sécurité personnelle et celle du public sont assurées par
l'installation de caméras vidéo qui enregistrent ce qui se passe dans les endroits
publics. Ce que l'on craint, c'est que, une fois la technologie mise en place, la
porte soit ouverte à des risques plus grands au chapitre de la protection de la vie
privée que ceux prévus au départ. La plupart d'entre nous admettraient
volontiers qu'il y a des avantages certains à tirer de certaines formes de
surveillance physique,
- mais la question est de savoir où marquer la limite.
Même s'il est difficile d'y arriver, cela est néanmoins essentiel étant donné
qu'avec l'invasion actuelle des réalisations technologiques, la capacité d'épier
les autres ne peut que devenir plus efficace, moins coûteuse et plus répandue.
POUR PLUS D'INFORMATION :
- Chambre des communes, comité permanent des droits de la personne et de
la condition des personnes handicapées, Témoignages, 2e session, 35e
législature, le 3 décembre 1996. (sujet de discussion: la surveillance vidéo)
- Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, Loi sur la
protection des renseignements personnels - une codification
administrative et index, Ottawa, 1995.
- Parties VI et XV du Code criminel.
L'information génétique, qui est un sous-ensemble de l'information
sanitaire, présente un intérêt croissant pour les gestionnaires des soins de santé
publics, l'industrie de l'assurance et les employeurs. Outre leur utilisation
comme preuves judiciaires dans les enquêtes criminelles, les technologies
génétiques peuvent être mises à plusieurs usages :
1. dépistage génétique, au sein d'un large éventail de la population, d'un gène
ou d'une combinaison de gènes afin de découvrir la présence de ceux qui
sont nécessaires à l'apparition d'une affection d'origine génétique (par
exemple fibrose kystique, cancer du sein, cardiopathie);
2. tests génétiques (quand tout indique la présence probable d'un gène) pour
voir s'il est vraisemblable qu'un individu contracte une maladie d'origine
génétique (par exemple la maladie de Huntingdon);
3. surveillance génétique pour s'assurer que les personnes qui exercent des
métiers à risque élevé (par exemple qui travaillent avec des produits
chimiques) ne subissent pas de conséquences néfastes en raison de leur
milieu de travail.
Étant donné qu'il est de moins en moins coûteux de recueillir des
données génétiques, les pressions exercées pour qu'on en généralise la collecte
vont augmenter. Autrefois, le coût élevé de l'analyse de l'ADN venait, entre
autres facteurs, limiter le recours à cette technologie. Toutefois, certains
observateurs font remarquer que, comme cette analyse devient moins chère, la
recherche appliquée en génétique va rapporter - ou faire économiser
-beaucoup d'argent à certaines entreprises ou à certains établissements. Les
compagnies d'assurances, les employeurs du secteur privé, les gouvernements
et les établissements d'enseignement ont ou pourraient avoir tous intérêt à
favoriser le dépistage génétique à grande échelle pour repérer les individus
porteurs de gènes associés à des maladies. Les pressions économiques pour faire
passer des tests génétiques à de larges segments de la population risquent
d'augmenter quand les entreprises de biotechnologie mettront au point et
vendront des produits et services de dépistage génétique.
Comme la situation évolue rapidement dans ce secteur, il est temps
d'envisager les conséquences - la discrimination, par exemple - que
pourraient engendrer les écarts réels ou perçus du matériel génétique de certains
individus par rapport à la « normale ». Ces conséquences pourraient se
manifester en milieu de travail, dans l'accès aux services sociaux, la
souscription d'assurances et la prestation de soins de santé. D'après certaines
études réalisées aux États-Unis, il est arrivé que des personnes cataloguées
comme atteintes d'une pathologie d'origine génétique ne puissent contracter de
nouvelles polices d'assurance, renouveler la leur ou en contracter une meilleure
même si rien n'indiquait - ni ne prouvait - qu'ils contracteraient une
maladie associée à cette anomalie génétique. Les personnes démunies et peu
instruites ou bien celles qui craignent pour leur sécurité d'emploi ne seront
peut-être ni désireuses ni capables d'affronter les complications des actuels
systèmes juridiques et réglementaires pour affirmer leurs droits. D'autres,
actuellement en bonne santé, peuvent refuser un test génétique parce qu'elles en
redoutent consciemment ou inconsciemment les répercussions et risquent de
subir les conséquences néfastes de leur refus.
La protection des données et la vie privée représentent de graves
préoccupations en ce qui regarde la collecte et l'utilisation de l'information
génétique. Ces préoccupations trouvent leur origine dans les différences entre
les données génétiques et d'autres renseignements personnels.
- Connaître la composition génétique d'un individu donne aussi des
renseignements sur ses parents.
- La totalité de l'empreinte génétique se retrouve dans presque toutes les
cellules du corps.
- L'information génétique nous renseigne non seulement sur les identifiants
personnels (taille, corpulence, couleur de la peau, intelligence) mais aussi
sur les comportements possibles.
- L'information génétique personnelle ne peut être modifiée.
- L'information génétique peut donner des indications (sûres ou
hypothétiques) sur l'état de santé futur.
Quand le Comité permanent des droits de la personne et de la
condition des personnes handicapées a organisé des tables rondes sur les
technologies génétiques, plusieurs questions d'ordre technique et pratique se
sont posées :
- Qu'est-ce que la génétique peut prédire et qu'est-ce qu'elle ne peut pas
prédire ? Quel est notre degré de compréhension de la variabilité de
nombreuses pathologies d'origine génétique ? (Il y a des individus
porteurs d'une anomalie génétique qui ne contracteront peut-être jamais de
maladie et d'autres qui ne la contracteront que sous la forme la plus
bénigne.)
- La valeur de prédiction de la génétique diffère-t-elle selon qu'il s'agit
d'une maladie déterminée par un seul gène ou d'une maladie déterminée
par des gènes multiples, et si oui, en quoi ?
- Combien de maladies déterminées par un seul gène y a-t-il par rapport aux
maladies déterminées par des gènes multiples ?
S'il y a des centaines de maladies, comme la chorée de Huntington et
l'hémophilie, causées par un seul gène défectueux, chacune de ces maladies est
très rare. Même si l'on éliminait ces gènes, l'effet sur le « fardeau de la
morbidité » de la planète n'atteindrait pas les deux pour cent, si l'on en croit
certaines évaluations.
Dans la plupart des maladies, le rôle des gènes défectueux est moins
clair. Ainsi, un gène pourrait en être une cause nécessaire mais non une cause
suffisante. Dans certains cas, il faut peut-être un facteur environnemental pour
déclencher la maladie. Dans d'autres, il peut falloir plus d'un gène défectueux
pour que la maladie apparaisse. Certaines formes d'une maladie pourraient
même être d'origine génétique tandis que d'autres formes de la même maladie
ne le seraient pas (par exemple le cancer du sein).
Des spécialistes ont fait remarquer que l'existence même d'une
technologie génétique risque de « monter la barre » pour ceux qui pourraient
avoir à passer le test. Ils peuvent en effet se sentir contraints à subir ce test par la
pression sociale ou celle de leurs pairs.
Dans son rapport annuel 1995-1996, Bruce Phillips, commissaire à la
protection de la vie privée, a déclaré qu'à son avis, il fallait veiller à ce qu'une
base de données sur l'ADN ne devienne pas la proie de ce qu'il a appelé la
« montée lente des besoins ». Il entendait par là qu'il fallait résister aux
pressions exercées pour qu'on allonge sans cesse la liste des délits à l'égard
desquels les tests sont permis. On en a dit autant pour le tri et le dépistage
génétiques. « Des pressions pour agir en ce sens s'exercent effectivement dans
notre société ; elles sont le fruit de l'existence même de la technologie et de la
conviction que cette technologie peut venir à bout de tous nos maux, si
seulement nous voulons bien la laisser faire. » En outre, M. Phillips a proposé
qu'on jette les échantillons d'ADN pour empêcher qu'on en fasse un usage
secondaire intempestif, par exemple qu'on l'emploie à la recherche de liens
génétiques avec les actes criminels. On peut aussi s'inquiéter de ce que
l'information génétique pénètre dans les banques de données à grande échelle
maintenant utilisées pour stocker les renseignements personnels sur la santé. On
peut se procurer en privé le profil médical des particuliers, qui mentionne
parfois leur pathologie d'origine génétique, et y accéder comme on le ferait pour
vérifier la solvabilité.
POUR PLUS DE RENSEIGNEMENTS :
- Chambre des communes, Comité permanent des droits de la personne et de
la condition des personnes handicapées, Témoignages, 2e session, 35e
législature, 4 juin 1996. (Sujet de discussion : Les droits de la personne et
les technologies bio-médicales)
- Chambre des communes, Comité permanent des droits de la personne et de
la condition des personnes handicapées, Témoignages, 2e session, 35e
législature. (Sujet de discussion : Le dépistage génétique et la vie privée)
- Commissariat à la protection de la vie privée, Le dépistage génétique et la
vie privée, Ottawa, 1992.
- Commissariat à la protection de la vie privée, Loi sur la protection des
renseignements personnels - Codification administrative et index,
Ottawa, 1995.
L'IDENTIFICATION PERSONNELLE : UNE NÉCESSITÉ
L'obligation qu'ont les personnes de prouver leur identité aux autres
est aussi ancienne que la civilisation. Au fil des siècles, à mesure que ce besoin
s'est accru, les méthodes d'identification sont devenues de plus en plus
perfectionnées. L'anonymat des grandes villes d'aujourd'hui et la complexité
de nos échanges quotidiens ont fait des systèmes d'identification personnelle
une nécessité de la vie moderne. La capacité d'identifier les gens de façon
précise et fiable est particulièrement essentielle pour les gouvernements, les
entreprises et les autres fournisseurs de services afin qu'ils puissent fonctionner
efficacement, contrôler la fraude et fournir des services de meilleure qualité.
Simon Davies, qui a beaucoup écrit sur le sujet de l'identification
personnelle, fait remarquer qu'on utilise aujourd'hui trois méthodes
fondamentales d'identification : 1) identification à l'aide d'un objet comme une
carte ou des documents; 2) identification à l'aide de quelque chose que vous
connaissez comme un numéro d'identification personnelle (NIP) ou un mot de
passe; et 3) identification par quelque chose qui fait partie de votre physique
comme une image photographique, vos empreintes digitales, le timbre de votre
voix ou la configuration de vos yeux. La dernière forme d'identification, qui
repose sur une analyse d'une caractéristique physique d'une personne, s'appelle
identification biométrique. On croit qu'il s'agit du plus fiable des trois types
d'identification. Au moins deux de ces méthodes d'identification - et parfois
toutes ces méthodes - sont mises à contribution dans les différentes cartes
d'identification perfectionnées mises au point et à l'essai aujourd'hui.
CARTES À PUCE
Les cartes à puce représentent un exemple de la nouvelle technologie
des cartes de haute technologie perfectionnées. On les utilise et on les met à
l'essai en vue de diverses applications en Amérique du Nord et elles semblent,
jusqu'à ce jour, être en mesure d'être adoptées à grande échelle à des fins
d'identification personnelle. Une carte à puce, c'est une carte qui contient un
microprocesseur et un espace de stockage de la mémoire; ainsi, il s'agit
essentiellement d'un ordinateur personnel portatif de la taille d'une carte de
crédit. Elle peut calculer, encoder et enregistrer des données. Elle peut servir de
système d'information autonome ou d'interface avec des réseaux informatisés
et des banques de données centralisées.
Les cartes à puce ont un certain nombre d'applications : elles peuvent
servir de carte ou de clé d'accès à des immeubles ou à de l'équipement, ou de
monnaie électronique, et on peut y entreposer des données personnelles qui
peuvent servir de dossiers portatifs, par exemple une carte à puce indiquant
l'état de santé d'un patient. Une carte à puce peut permettre une ou l'ensemble
de ces applications.
Contrairement à une idée fausse fort répandue, la carte à puce n'est
pas identique à la carte à piste magnétique. Cette dernière, dont la forme la plus
connue est la carte de crédit, ne peut contenir qu'une somme de renseignements
limitée, comme le numéro de compte et le nom du titulaire ainsi que la date
d'expiration, tandis qu'une carte à puce peut contenir l'équivalent de deux à
vingt pages de copies dactylographiées ou cinquante fois ce volume si on se sert
de techniques de compression de données.
CE QUI FAIT QU'UNE PERSONNE EST UNIQUE
Les renseignements signalétiques personnels sont nécessaires pour
établir ou authentifier l'identité d'une personne; il s'agit d'un élément essentiel
de toutes les cartes d'identification. Les renseignements signalétiques
personnels constituent ce qui fait qu'une personne est unique et distincte. Cela
peut comprendre, par exemple, la date de naissance, l'âge, le sexe, la taille, le
poids, la couleur des yeux, l'adresse, le code génétique, les empreintes digitales,
le type sanguin, la religion ou l'origine ethnique d'une personne. Le risque que
quelqu'un, sans autorisation, puisse avoir accès à de tels renseignements
confidentiels, les divulguer ou les utiliser, est la plus grande préoccupation
relativement à la protection des renseignements personnels liée aux cartes
d'identité perfectionnées. En fin de compte, la réussite ou l'échec des
expériences liées à la technologie de pointe des cartes peut dépendre de la
possibilité de convaincre le public que ces cartes peuvent correctement protéger
les renseignements hautement personnels qu'elles contiennent. Par exemple,
dans le cas des cartes à puces indiquant l'état de santé, la plupart des titulaires de
cartes voudraient probablement être certains que les dossiers confidentiels
concernant leur santé qu'elles contiennent ne seront accessibles qu'aux
fournisseurs de soins de santé compétents à des fins médicales et qu'ils ne seront
pas divulgués à des étrangers, comme des compagnies d'assurances ou des
employeurs. S'ils ne reçoivent pas de garanties suffisantes, les gens pourraient
s'opposer à l'adoption volontaire de la technologie.
LES RENSEIGNEMENTS CONFIDENTIELS
La conviction de la société selon laquelle les renseignements
personnels confidentiels méritent une protection spéciale se reflète dans les
diverses lois sur la protection des données du monde. Des dispositions
législatives fortes et exécutoires visant la protection de données peuvent offrir
un fort degré de sécurité, mais elles peuvent ne pas suffire à prévenir les abus liés
à la collecte, à la production ou à la diffusion de renseignements signalétiques
personnels à l'aide d'une technologie avancée en matière de cartes. D'autres
mesures pourraient offrir une protection supplémentaire, comme le fait
d'informer le public au sujet des droits et de la protection des renseignements
personnels, d'encourager le développement de technologies améliorant la
protection des renseignements personnels, d'intégrer des considérations
relatives à la protection des renseignements personnels dans la conception et la
mise en oeuvre de ce genre de technologie ou d'effectuer des vérifications
officielles et indépendantes concernant l'impact sur la protection des
renseignements personnels des nouvelles technologies de pointe en matière de
cartes.
Les systèmes d'identification très perfectionnés et de haute qualité
pourront peut-être réduire la fraude et favoriser une plus grande efficience
administrative - buts qui sont dans l'intérêt de tous. Par ailleurs, les systèmes
d'identification qui peuvent le mieux permettre d'atteindre ces buts ont
tendance à être envahissants sur le plan physique et à dépendre de la collecte de
renseignements très personnels. La plupart des gens seraient probablement
d'accord pour dire que ce type d'information mérite une très grande protection.
Par conséquent, le défi consiste à rendre les cartes d'identification à haute
technologie plus précises et plus efficaces tout en sauvegardant et en préservant
la confidentialité des renseignements personnels qu'elles utilisent. La question
est de savoir quelle est la meilleure façon de relever ce défi.
POUR OBTENIR PLUS D'INFORMATION :
- Chambre des communes, Comité permanent sur les droits de la personne et
condition des personnes handicapées, Témoignages, 2e session, 35e
législature, le 10 décembre 1996 (Sujet de discussion : les cartes
d'identification perfectionneés).
- Rita Reynolds, Protection des renseignements personnels et technologie,
exposé - Les voies technologiques de l'avenir : Bell et le gouvernement
branchent les Canadiens, le 17 octobre 1996.
- Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, Cadre de
référence pour les programmes usant de cartes à puce - Document de
travail, Ottawa, juillet 1996.
- Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, La Loi sur la
protection des renseignements personnels - Une codification
administrative et index, Ottawa, 1995.
- Ken McQueen, "After SIN: National Identity Numbers?" The Gazette,
Montréal, 2 février 1997, p. A1 et A5.
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