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CHAPITRE 1 : PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE : DROITS, VALEURS ET ATTITUDES



J'ai déjà dit que nous pouvons créer une société parfaite, un ordre parfait et un contrôle parfait si c'est ce que nous souhaitons, mais à condition de renoncer à tout ce qui fait de nous des êtres humains libres, autonomes et uniques. Nous devons nous demander sérieusement jusqu'où nous voulons aller...1
Bruce Phillips, Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

La protection de la vie privée comme droit humain et valeur sociale

Dignité et autonomie : deux valeurs considérées comme fondamentales par les Canadiens dont nous avons recueilli les témoignages partout au pays. Simon Davies, défenseur bien connu du droit à la vie privée, nous a fait voir le respect de la vie privée comme un élément central de ces deux qualités2. Bruce Phillips, le commissaire à la vie privée du Canada, a offert une autre perspective. Selon lui, ce qui anime une société correcte est :

l'observation du principe d'équité : le fait que nous nous traitons les uns les autres avec suffisamment de respect et que nous ne cherchons pas à obtenir subrepticement des renseignements pouvant être utilisés contre tel ou tel de nos concitoyens. Ce ne serait pas le genre de société ouverte, transparente et honnête que nous voulons bâtir3.
Les Canadiens que nous avons rencontrés ont vraiment à coeur de construire une telle société honnête et ouverte, et ils sont d'avis que la protection de la vie privée, en tant que droit humain fondamental, demeure essentielle au fonctionnement d'une démocratie saine et positive. Selon Darrell Evans :

Je pense que la vie privée doit être perçue comme un droit fondamental de la personne. À mes yeux, la vie privée est un élément essentiel de la liberté. En lisant les études de cas, qui m'ont semblé excellentes, je me suis posé la question suivante : quelle liberté existe dans une société où de pareils scénarios peuvent se réaliser4 ?
Beaucoup considèrent qu'il s'agit du droit le plus fondamental, parce que son existence nous encourage à mettre à profit nos autres droits. Un membre du Comité, John Godfrey, faisant rapport sur la discussion tenue à Montréal, a résumé de la façon suivante :

Le droit à la vie privée n'est pas un droit distinct, mais il est souvent associé à d'autres droits mieux établis, comme une sorte de condition préalable. Vous hésiterez peut-être à exercer votre droit à la liberté de réunion si l'on en sait trop long à votre sujet, par exemple grâce à la surveillance vidéo. Si vous savez que des caméras vont vous filmer personnellement, vous dépouiller de votre anonymat, vous aurez peut-être moins le goût de participer à une réunion, voire d'exercer votre droit de parole.5
Certes, de nombreux intervenants des assemblées publiques sont d'accord pour dire que tout débat au sujet de la vie privée met en évidence la dichotomie entre les protections individuelles et les protections sociales6. Toutefois, à un niveau plus fondamental, les Canadiens considèrent le respect de la vie privée non pas uniquement comme un droit individuel, mais comme partie intégrante de notre système de valeurs sociales ou collectives7. Au fur et à mesure que nous examinions l'impact des nouvelles technologies sur notre perception de la vie privée, nous nous sommes rendus compte que, finalement, nous étions en train de parler du genre de société que nous entendons édifier pour l'avenir8. Pour les Canadiens, la protection de la vie privée représente beaucoup plus que le droit d'être laissé en paix, ou que le contrôle de ceux qui détiennent des renseignements à notre sujet. Ils y voient un élément essentiel du consensus nous permettant de définir non seulement comment nous agissons dans notre propre espace, mais aussi comment nous agissons les uns envers les autres ' soit avec confiance, ouverture et un sentiment de liberté, soit au contraire avec méfiance, crainte et un sentiment d'insécurité. Le vice-président du Comité, Andy Scott, a exprimé ainsi le point de vue des participants :

En définitive, ce n'est pas une question technique. C'est plutôt une question de valeurs fondamentales. [...] En tant que législateurs, je crois que nous devons chercher à nous imprégner de la sagesse collective du pays et de ses habitants, et tâcher de découvrir ce que, à leur avis, leurs lois doivent refléter9.
Dans le monde moderne de la haute technologie, la notion de protection de la vie privée est beaucoup plus multidimensionnelle qu'auparavant. Pour certains, il s'agit du droit de jouir d'un espace à soi; pour d'autres, c'est le droit d'avoir des communications privées, de ne pas faire l'objet d'une surveillance ou de faire respecter du caractère sacré du corps humain. Quelle que soit la définition, pour la présidente du Comité, Sheila Finestone, la protection de la vie privée :

[...] est une valeur fondamentale qui est intimement liée à la préservation de l'autonomie et de la dignité humaines. C'est une ressource précieuse parce qu'une fois perdue, soit à dessein ou par insouciance, elle nous échappe à jamais10.
Au fur et à mesure de nos assemblées publiques, nous avons découvert ' sans surprise ' que le droit à la vie privée trouve son expression dans un éventail de valeurs, d'intérêts, de connaissances et d'expériences. Malgré tout, nous avons été frappés par la communauté de vues qui se dégageait à chacune de nos réunions. Les syndiqués sont tout aussi préoccupés que leurs gestionnaires; les travailleurs du secteur privé pourraient faire cause commune avec leurs collègues du secteur public; les chercheurs en génétique sont d'accord avec les défenseurs des droits ' tous sont d'avis que la protection de la vie privée importe au plus haut point.

La protection de la vie privée : un paradis perdu?

Les changements socio-économiques profonds qu'entraînent les nouvelles technologies mettent à mal un bon nombre des valeurs fondamentales des Canadiens ' y compris la protection de la vie privée. Pour plusieurs participants aux assemblées publiques, notre obsession de la certitude et de la réduction des risques est l'élément qui, de bien des façons, sépare le débat d'aujourd'hui de celui d'il y a 15 ans. Les bénéfices des nouvelles technologies se définissent souvent en fonction des avantages économiques qui en découlent. Réduire la délinquance urbaine, la fraude et les maladies profite certainement à la société, mais, trop souvent, le débat s'arrête là.

En voulant réduire les risques et créer une société plus prévisible, nous avons, selon les termes de David Lyon, «négligé les droits humains au sens le plus profond»11. Tout comme l'installation de la surveillance vidéo dans les centres d'achat est impuissante à réduire le crime, car elle ne fait que déplacer ailleurs le problème12, notre volonté de réduire à tout prix les risques nous amène à classer les gens dans des catégories qui peuvent ou non correspondre à ce qu'ils sont en réalité13. Par exemple, en essayant de contrôler les fonds publics, nous pourrions être amenés à considérer tous les bénéficiaires de l'aide sociale comme d'éventuels fraudeurs. Les possibilités de discrimination inhérente à ces catégories auront des répercussions profondes sur la société de l'avenir14. Selon la conclusion d'un membre du Comité, Jean Augustine, «nous avons estimé qu'il y avait là un risque de dérapage et qu'il fallait adopter des lignes directrices et des protocoles»15, pour veiller à ce que les membres les plus vulnérables de notre société ne deviennent pas les premières victimes des atteintes à la vie privée.

Pour de nombreux participants à nos réunions, il est inquiétant de constater qu'il règne sur une vaste échelle une sorte de défaitisme et de déterminisme technologique, en vertu desquels notre destinée collective serait déterminée par les technologies que nous sommes capables de produire16. Selon Sharon Hayes, membre du Comité, les participants sont d'avis que nous ne pourrons trouver l'équilibre approprié si nous «continuons à laisser la technologie nous dicter nos règles de conduite»17. Ils soutiennent qu'il est temps d'assumer la direction du processus et de déterminer non seulement ce que nous pouvons faire avec ces nouvelles technologies, mais ce que nous devrions faire18.

De bien des façons, le «coeur du problème», comme l'a indiqué Kate White, «semble être une question de confiance». À qui faisons-nous confiance pour ce qui est de posséder des renseignements sur notre personne et de tenir compte des préoccupations concernant la vie privée19? Personne n'est à l'aise avec l'idée de laisser cette problématique entre les mains du secteur privé, ce aussi bien du point de vue du consommateur que de celui de l'employé20. Par contre, nombreux sont ceux qui pensent que le gouvernement est le mieux placé pour défendre les intérêts de la société21. Mais cette confiance est loin d'être aveugle. Comme l'a indiqué Marnie McCall, c'est en 1973 que l'Association des consommateurs a fait pour la première fois une recommandation au gouvernement fédéral touchant la protection de la vie privée22. Ken Rubin, un résident d'Ottawa qui défend le droit à la vie privée, a présenté en 1982 à un comité parlementaire une communication sur ce sujet23. Et Evert Hoogers nous a dit que son syndicat réclamait depuis 15 ans l'interdiction de la surveillance des employés dans les lieux de travail24.

Même si les témoins font preuve d'un optimisme prudent et semblent penser qu'il n'est pas trop tard pour prendre les mesures qui s'imposent, on sent tout de même un net sentiment d'urgence25. Des gens de tout le pays pressent le gouvernement d'agir maintenant, à défaut de quoi il risque de perdre la confiance que les citoyens accordent depuis toujours à leurs législateurs pour ce qui est d'harmoniser le bien de la société avec les objectifs politiques et économiques.

A. La protection de la vie privée, le pouvoir et la collectivité

Cette notion d'harmonie revenait souvent dans les discussions. Les Canadiens ne perçoivent pas la protection de la vie privée comme un élément isolé ou comme un simple droit individuel. C'est une partie intégrante de l'ossature de notre société. Selon le résumé de David Lyon :

Nous vivons dans une démocratie participative où la confiance mutuelle est assurée du fait que nous nous confions mutuellement de l'information personnelle dans un climat de confiance réciproque [...] et c'est pourquoi cela est bien différent d'une question résiduaire ayant trait à la vie privée. C'est une question sociale26.
Dans le même ordre d'idées, un bon nombre des participants à nos assemblées publiques ont lié la protection de la vie privée à des préoccupations touchant le pouvoir et la collectivité.

Les gens craignent que les attitudes concernant la protection de la vie privée portent l'empreinte du fatalisme exprimé par George Orwell lorsqu'il décrit Big Brother dans son roman 1984. Nous nous sentons souvent impuissants devant de nouveaux problèmes touchant la protection de la vie privée, et nous avons l'impression que nous ne pouvons exercer aucun contrôle sur la situation en tant qu'individus27. Simon Davies évalue ainsi la situation :

La perception du public est que, ma foi, ils savent tout de toute façon; il n'y a aucun espoir; tout ce que je fais laisse des traces qui permettront de me retrouver. On dirait que les gens sont résignés ... [qu'ils] baissent les bras et acceptent simplement que le droit à la vie privée n'existe plus28.
D'après les sondages, ce sentiment d'impuissance est le plus marqué parmi les gens peu instruits et chez ceux qui croient que les renseignements les concernant ont été utilisés d'une manière qui porte atteinte à leur vie privée29. Les participants à nos assemblées publiques sont convaincus que les groupes les moins capables de résister aux intrusions dans la vie privée, comme les bénéficiaires de l'aide sociale30 ou les analphabètes31, sont les premiers touchés par l'application de nouvelles technologies effractives.

On nous a relaté de nombreux événements illustrant les conséquences possibles de cette vulnérabilité. Par exemple, l'ordre des chiffres sur la carte d'assurance sociale indique l'endroit où la carte a été obtenue et le fait que le détenteur était ou non un immigrant. Il s'agit là de renseignements qui ouvrent la porte à de la discrimination de la part du gouvernement et du secteur privé32. À Fredericton, on nous a parlé de deux femmes enceintes qui risquaient de mettre au monde des enfants handicapés. Devant leur refus de se soumettre à des tests génétiques du foetus, il a été fortement recommandé qu'elles subissent un examen psychiatrique33. À Calgary, nous avons discuté des perspectives effrayantes de l'eugénisme et de l'élimination de catégories entières de gens au moyen de l'avortement sélectif34. Et à Fredericton, on a fait valoir que, compte tenu des décisions du secteur privé dictées par des impératifs économiques, la discrimination contre les personnes handicapées augmenterait en même temps que l'accès accru à l'information génétique35 . Afin de ne pas laisser libre cours à ce genre de discrimination, les participants demandent au gouvernement d'accorder dès maintenant des protections spéciales aux groupes vulnérables.

Il ne faut pas non plus que notre esprit de civisme et de communauté se refroidisse parce que nous avons la fausse impression qu'une technologie anonyme prend les choses en main. Par exemple, les témoins d'un accident pourraient considérer qu'ils n'ont aucune obligation de signaler ce qu'ils ont vu étant donné qu'une caméra vidéo a déjà enregistré les détails pertinents. Ils s'en remettraient plutôt à l'inconnu chargé d'examiner l'enregistrement en question pour faire le travail incombant normalement à un citoyen responsable36.

Les outils utilisés pour protéger la vie privée doivent être élaborés dans un contexte social qui protège en même temps notre sens communautaire. Encore une fois, la problématique de la protection de la vie privée appelle une évaluation de nos objectifs en tant que société et nous oblige à prendre nos responsabilités face aux conséquences des nouvelles technologies.

B. La vie privée considérée sous l'angle de sa valeur commerciale

Comme l'a souligné Randy Dickinson, la technologie ne touche pas seulement les personnes; elle a des conséquences sur les activités commerciales de la collectivité dans son ensemble37. Beaucoup des participants à nos consultations craignent que la vie privée ne soit devenue une sorte de monnaie d'échange que les gens sont prêts à céder pour obtenir un meilleur service ou un meilleur produit, ou encore pour éviter d'être pénalisés38. Paul-André Comeau, président de la commission responsable de la vie privée au Québec, a mis le Comité en garde contre un débat qui serait axé uniquement sur la valeur commerciale de l'information. C'est là, a-t-il dit, «la pente glissante sur laquelle nous entraînent les nouvelles technologies qui veulent mettre un chiffre en dollars autour de chaque renseignement39».

Ce problème provient en grande partie de ce que nous avons déjà appelé l'«obsession» de la gestion des risques chez ceux qui administrent des programmes relatifs à des droits ou des avantages. Toutefois, certains impératifs commerciaux rendent la question de plus en plus problématique40. M. Comeau a également déclaré :

Il est dangereux et il serait en tout cas très nocif pour les Canadiens de voir la discussion déboucher uniquement sur la valeur commerciale des renseignements qui concernent leur vie privée. Bien sûr, ces renseignements ont une valeur commerciale, mais c'est avant tout une question de droits fondamentaux41.
Beaucoup des participants à nos assemblées publiques craignent que ceux qui souhaitent la violer pour leur propre profit n'exercent une trop grande influence sur la nature des règlements connexes42. Nous risquons, pensent-ils, de ne jamais pouvoir établir l'équilibre entre le droit à la vie privée et l'efficacité, si le processus de réglementation continue de reposer uniquement sur des motifs économiques et administratifs. Ils craignent que, si on la laisse faire, lorsqu'elle sera mise devant des décisions qui risquent d'avoir des effets sur la vie privée des gens, l'industrie ne tienne compte que de ses propres intérêts, au détriment du bien public43. De fait, on a l'impression que la menace la plus grave provient du secteur privé44, d'autant plus que le gouvernement lui confie une part croissante de ses fonctions habituelles45.

Les participants rattachent la question de la valeur commerciale de la vie privée à celle de la propriété. Voici ce qu'a rapporté Jean Augustine :

À de multiples reprises, on m'a fait comprendre que les gens espéraient recevoir une indication ferme, une ligne directrice, une orientation de fond, bref un moyen par lequel il soit possible de savoir qui est propriétaire de tel ou tel renseignement et affirmer le droit de propriété de chacun sur certaines données46.
Certains participants font valoir que le Canada n'a pas de principes et de lignes directrices clairs sur l'identité de ceux qui sont propriétaires de l'information et de ceux qui peuvent l'utiliser à des fins économiques ou commerciales. Si chacun est propriétaire des renseignements qui le concernent, cela signifie que, pour qu'il puisse rester maître de sa propre vie privée, il doit être habilité à consentir à la communication de ces renseignements, entre autres conditions fondamentales.

Un consentement effectif

Pour la plupart des gens, le consentement est un outil primordial de protection contre les intrusions de la technologie. Certains participants ont fait une distinction entre le «consentement de pure forme» et le «consentement effectif». Ils craignent que le consentement «éclairé» ne devienne une notion vide de sens si les gens sont forcés de donner leur consentement pour obtenir quelque chose47 ou s'ils ne savent pas comment les renseignements qui les concernent sont recueillis48.

Ces craintes sont justifiées dans de nombreux cas. Bien des gens acceptent de graves intrusions dans leur vie privée pour obtenir ou garder un emploi, se sentant impuissants à refuser. S'il lui est impossible d'obtenir l'emploi postulé sans subir un test génétique ou un dépistage de drogue, le candidat n'est pas libre. La même chose est vraie pour un demandeur de police d'assurance. Comme l'a fait remarquer Margaret Somerville, il y a une différence entre le dépistage «de rigueur» et le dépistage «obligatoire». Le dépistage obligatoire suppose une obligation ferme de se soumettre à un dépistage, par exemple pour pouvoir garder un emploi. Le dépistage de rigueur, quant à lui, donne l'impression d'être volontaire parce que la personne doit consentir à subir le test. Toutefois, le refus de consentir signifie un non-accès aux services ou aux avantages, le dépistage est en fait quasi obligatoire49.

Nos interlocuteurs ont répété de multiples fois qu'ils attachaient une importance primordiale à ce problème du consentement effectif. Ici encore, il a été question d'équilibre. Par instinct ou de propos délibérés, les gens établissent une hiérarchie dans les renseignements qui les concernent. Ils estiment avoir droit à ce que leur vie privée soit protégée, mais ils savent aussi que, pour participer à la société, comme citoyens ou comme consommateurs, ils doivent laisser d'autres personnes accéder à certains renseignements personnels. Ils sont conscients que les échanges de données sont indispensables et que la technologie facilite souvent les rapports personnels et sociaux, à l'avantage de tous. Dans le même temps, toutefois, la plupart souhaitent que la technologie soit utilisée dans des conditions contrôlées, qui tiennent largement compte des droits de la personne50. En d'autres termes, les gens exigent de plus en plus l'«autodétermination informationnelle»51.

Nous sommes habitués à ce qu'on nous demande certains renseignements sur notre personne, et nous les fournissons. Normalement, donner notre nom ou notre âge ne nous dérange pas trop. Mais nous sommes de plus en plus prudents lorsqu'on nous demande certaines précisions : numéro de téléphone à la maison, habitudes d'achat, et surtout, détails sur notre situation financière ou notre état de santé52.

Beaucoup sont en faveur des technologies de pointe, surtout lorsqu'elles apportent des avantages à la collectivité, dans la lutte contre la criminalité, par exemple. Dans certaines circonstances, on a l'impression que les gens deviennent implicitement partie à un contrat volontaire, en acceptant une réduction partielle de leur droit à la vie privée, pour obtenir un avantage. Le problème survient lorsque le collecteur, qui a la mainmise sur les données, étende le contrat à d'autres domaines que la plupart des gens considèrent comme absolument privés53. D'après Margaret Somerville, «Nous devons franchir la barre de l'impératif technologique. L'impératif technologique dit que, si nous avons la technologie, nous devons l'utiliser». La question que la plupart de nos interlocuteurs se posent est : «Comment devons-nous décider quelle technologie nous allons utiliser et à quel moment?»54.

Selon quelques experts, soit, au pire, la vie privée n'est même pas prise en compte, soit, au mieux, on ne lui accorde pas un poids suffisant lorsqu'on met en balance la vie privée et la sécurité ou encore la vie privée et les intérêts économiques. Comme l'a souligné Marc Rotenberg, on invoque «un ou deux exemples où la technologie a aidé à assurer la sécurité publique [...], pour dire que l'on peut difficilement limiter ou ralentir le déploiement de la technologie»55, mais ces quelques cas n'annulent pas la nécessité de protéger la vie privée et le droit de propriété des personnes sur les renseignements qui les concernent. Nous devons exercer un contrôle sur l'utilisation des renseignements personnels en appliquant le principe du consentement réel et effectif, donné librement par une personne ayant le pouvoir de dire non sans subir pour autant des conséquences néfastes56.

Les utilisations primaire et secondaire des renseignements personnels

L'utilisation primaire de la technologie désigne ce pourquoi elle a été mise au point ou installée. Par exemple, l'utilisation première des caméras vidéo installées dans une rue principale consiste à protéger le public contre des activités criminelles. L'utilisation secondaire désigne ce qui se produit lorsque l'information recueillie sert à d'autres fins que celles envisagées par les concepteurs. L'exemple utilisé dans les études de cas portait sur l'enregistrement, par une caméra installée dans une rue principale, d'un homme faisant une tentative de suicide dans son automobile. Grâce à cette information, la police a pu appeler à temp 911 et sauver la vie de l'homme en question, ce qui cadrait avec l'utilisation primaire prévue pour la sécurité du public. Toutefois, on a par la suite vendu aux médias l'enregistrement vidéo, une utilisation secondaire qui cette fois n'avait rien à voir avec la sécurité du public et qui correspondait nullement à sa raison d'être.

La question de la restriction ou du contrôle de l'utilisation des renseignements personnels est un autre des thèmes qui sont revenus souvent dans nos consultations. Selon les participants, il est capital de tenir compte des motifs pour lesquels les renseignements sont recueillis au moment de déterminer quelles utilisations sont acceptables. Pour beaucoup, trop de renseignements sont rassemblés sans but précis, une pratique qui ne devrait pas être tolérée. Ils considèrent en outre essentiel de mettre à l'épreuve nos hypothèses concernant l'utilité des technologies utilisées pour la collecte des renseignements. Par exemple, le fait de remplacer les gardiens dans les prisons ontariennes par des caméras vidéo a peut-être réduit les dépenses, mais cela a entraîné de multiples autres problèmes que les économies réalisées sont loin de justifier57.

Les participants réclament également des contrôles sur la manière dont les renseignements sont utilisés, une fois recueillis58. Entre autres, les participants des assemblées publiques sont unanimes à juger inacceptable qu'une bande vidéo où l'on voit une personne faire une tentative de suicide dans un endroit public soit vendue aux médias pour diffusion. Non seulement, estime-t-on, cette utilisation secondaire de la bande vidéo est de mauvais goût, mais elle contrevient au contrat implicite selon lequel la surveillance des rues ne doit servir qu'à promouvoir la sécurité publique.

De même, au Nouveau-Brunswick, un travailleur de la santé a remis en question l'utilisation de caméras vidéo et l'imposition de cartes d'accès aux employés d'un hôpital de cette ville. Selon l'administration, il s'agit par là de protéger les employés. Toutefois, les caméras sont dirigées non pas sur le public, c'est-à-dire les visiteurs qui entrent à l'hôpital, mais sur les travailleurs, et les cartes d'accès servent à inscrire les heures d'arrivée et de départ des employés, alors que la convention collective interdit l'utilisation d'une horloge pointeuse59.

Pour éviter ces problèmes, il faudrait que les utilisations primaire et secondaire des renseignements recueillis au moyen des technologies nouvelles - et existantes - correspondent plus ou moins aux attentes raisonnables des personnes que ces renseignements concernent. De plus, la personne ou l'organisme désireux d'utiliser une technologie qui fait intrusion dans la vie privée devrait être tenu d'établir la nature précise du bien commun, qui rend l'intrusion nécessaire60.

Encore une fois, les gens souhaitent qu'il y ait un équilibre. John Godfrey a résumé comme suit le défi qu'il faudra relever :

La première chose à faire, c'est de trouver le point d'équilibre entre les droits et les besoins de la société, ou encore entre la commodité et la sécurité, au regard des droits de la personne, naturellement moins attrayants, toujours rebutants et toujours difficiles, mais qui restent simplement fondamentaux61.

L'avenir, c'est maintenant

Pour relever ce défi, nous devons chercher à réduire l'écart grandissant entre une technologie qui change rapidement et des droits de la personne qui évoluent lentement62. La vaste majorité des participants ne veulent pas que l'on fasse marche arrière, mais plutôt, selon l'expression de Sarkis Assadourian, membre du Comité, «que l'on rattrape la technologie»63, de manière à pouvoir exercer des contrôles et une gestion qui nous permettent de protéger notre droit à la vie privée. Randy Dickinson a déclaré à ce sujet :

Nous ne sommes pas contre la technologie. Simplement, nous souhaitons très fortement qu'elle soit utilisée pour le bien de la collectivité et la protection des citoyens, et qu'on ne laisse pas des personnes qui n'adhèrent pas aux mêmes normes d'éthique que les personnes ici présentes [à l'assemblée publique de Fredericton] s'en servir à tort et à travers64.
À bien des égards, nos études de cas ont mis en relief le fait que les nouvelles technologies n'ont pas nécessairement créé un imbroglio en matière de protection de la vie privée. Les gens ont toujours utilisé les renseignements personnels pour prendre des décisions concernant l'accès à certains biens et services, ou pour veiller à l'application de normes publiques de comportement. Toutefois, le fait que la collecte d'information a maintenant atteint un tel degré d'efficacité donne aux problèmes d'intrusion dans la vie privée une dimension entièrement nouvelle.

En ce qui concerne les technologies dont il était question dans nos études de cas, elles ont suscité beaucoup de discussions. On s'est demandé dans quelle mesure les risques doivent être bien compris pour que l'on puisse trouver le point d'équilibre.

A. Les tests génétiques

La question de la vie privée au regard des tests génétiques a soulevé beaucoup de questions parmi les personnes qui ont assisté à nos rencontres. Comme l'a souligné Margaret Somerville :

La génétique exige que nous repensions et même réimaginions nos hypothèses, nos attitudes, nos valeurs et nos convictions. [...] Nous touchons les valeurs les plus fondamentales, les plus générales sur lesquelles notre société est fondée. Nous touchons également les questions les plus individuelles, intimes, personnelles, morales, et c'est ce qui rend cela si inhabituel, car ce n'est pas souvent que ces questions sont reliées d'aussi près65.
On s'entend généralement pour dire que la génétique apporte de très réels avantages aux personnes, sur les plans du diagnostic et des soins médicaux. Toutefois, aussi bien les défenseurs de la vie privée que les généticiens soutiennent que la valeur commerciale croissante des renseignements intéressera les employeurs et les assureurs qui, de fait, peuvent déjà obtenir des données génétiques lorsqu'ils ont accès aux dossiers médicaux. Les possibilités d'abus dans l'utilisation de ces renseignements personnels hautement sensibles sont par conséquent très réelles et commencent déjà à soulever des problèmes66. Beaucoup des mises en garde et des avertissements qu'on nous a donnés reposaient sur la crainte que des résultats de tests génétiques ne soient utilisés à des fins n'ayant rien à voir avec l'état de santé des personnes en question67. C'est plutôt l'État et le secteur privé, assoiffés de renseignements personnels, qui provoqueront la multiplication des usages, estime-t-on.

Les tests génétiques reposent sur des raisons légitimes. Par exemple, l'armée américaine analyse l'ADN de ses militaires. Il est ainsi possible d'identifier les restes des tués. Des problèmes surgissent toutefois lorsque les autorités utilisent les renseignements à d'autres fins, par exemple, s'ils sont remis à la police. Essentiellement, cela permet à la police de procéder à une recherche qui, autrement, devrait faire l'objet d'une autorisation légale directe.

De plus, l'information génétique ne permet pas seulement de l'information concernant une personne mais également sur sa famille comme le soulignait le vice-président du Comité Maurice Bernier :

Lorsqu'une personne subit un test génétique, elle n'est pas la seule personne concernée par les résultats. Autrement dit, on a non seulement de l'information sur cette personne, mais également sur sa famille au complet. Des personnes qui n'ont jamais donné aucun consentement pourront être affectées par des décisions dont elles ne connaissent même pas l'origine. C'est un problème sérieux qui a été souligné et dont ilfaudra tenir compte68.
De l'avis de tous, experts ou non, étant donné les répercussions extraordinaires que ces choix auront pour l'ensemble de la société, les renseignements génétiques «comportent une différence de nature, et non pas seulement de degré69». Les Canadiens que nous avons rencontrés souhaitent à l'unanimité que des mesures spéciales soient prises pour faire en sorte que les données génétiques soient utilisées dans le respect de nos valeurs fondamentales70.

B. Les cartes à puce et le codage biométrique

Nos discussions au sujet des cartes à puce traduisent, encore une fois, la nécessité d'établir un équilibre entre la commodité et l'efficacité, d'une part, et la liberté personnelle, d'autre part. Les cartes à puce, par opposition aux cartes magnétiques plus courantes lues par les guichets automatiques, par exemple, contiennent une puce électronique dont la mémoire peut renfermer une grande quantité de renseignements. Le type de renseignements dépend de l'usage de la carte. Les participants à nos assemblées reconnaissent que les cartes à puce ont des avantages : elles nous simplifient la vie et permettent d'économiser des frais d'administration dans les secteurs public et privé71. Dans le même temps, toutefois, les gens souhaitent que des mesures soient prises pour empêcher les utilisations secondaires inappropriées72 et pour faire en sorte que la technologie ne soit utilisée que lorsque les gens donnent un consentement effectif73.

Les préoccupations les plus graves concernent les utilisations secondaires des cartes à puce qui contiennent des renseignements sur la santé. Par exemple, la carte de santé instaurée à titre expérimental par la Régie de l'assurance-maladie du Québec dans la ville de Rimouski contient des renseignements médicaux extrêmement délicats, y compris les antécédents personnels et familiaux, les résultats de certains tests et des diagnostics médicaux. Comme l'a déclaré Paul-André Comeau :

Évidemment, cette technologie soulève des problèmes majeurs : vous vous imaginez qui peut avoir accès à ces renseignements? Est-ce que, par hasard, des yeux indiscrets pourraient voir ces renseignements, avec évidemment des conséquences très lourdes? Par exemple, que se produirait-il si l'on inscrivait sur cette puce les cas d'interruption de grossesse volontaire, les cas d'avortement et que ces questions étaient connues ailleurs? On peut, sans faire preuve de beaucoup d'imagination, voir facilement des problèmes du genre74.
Le couplage de la biométrie et des cartes à puce soulève d'autres questions à propos de la relation entre la personne et la collectivité. La technologie biométrique repose sur la collecte de données liées aux caractéristiques personnelles, comme les empreintes digitales et les empreintes manuelles. Elle permet la numérisation des données, puis leur encodage sur une carte ou dans une base de données. Les institutions comme les banques ou les autorités de l'immigration peuvent alors identifier un individu en prenant ses empreintes digitales ou manuelles, puis en comparant le résultat avec l'image numérisée qui se trouve sur la carte ou dans la base de données.

On utilise déjà des cartes contenant des empreintes manuelles numérisées, par exemple dans le cadre du programme CANPASS, un système de contrôle entièrement automatisé des passeports et de l'immigration dont le Canada est le pionnier en collaboration avec les États-Unis. Les participants acceptent qu'on prenne leurs empreintes manuelles, lesquelles sont ensuite encodées sur une carte à mémoire CANPASS. Les fonctionnaires de l'immigration et des douanes peuvent ensuite utiliser la carte pour vérifier l'identité du détenteur au moment de son entrée dans le pays. Il est prévu de remplacer un nombre important de passeports par des cartes intelligentes au cours des 10 prochaines années.

Comme l'a souligné Simon Davies, le recours à cette technologie «soulève des questions énormes d'identité humaine auxquelles il faut réfléchir dès maintenant75». La technologie peut servir soit à empiéter sur la vie privée, soit à la protéger. Il importe de se souvenir que l'information contenue dans les cartes intelligentes peut être encryptée de telle sorte que le détenteur en contrôle entièrement l'accès. Au moyen de l'encryptage, on peut obtenir les avantages d'une identification non sabotable sans nécessairement atteindre à la vie privée76.

C. Surveillance vidéo

Les techniques de surveillance ne sont plus limitées aux organismes chargés du maintien de l'ordre et de la sécurité nationale. Elles sont utilisées aussi bien par des banques que par des magasins de quartier. La technologie elle-même est peu dispendieuse et facile à utiliser, et l'industrie de la sécurité qui y a recours n'est généralement pas réglementée77. Par conséquent, il y a de plus en plus de caméras pour surveiller nos mouvements - de la banque au bureau, en passant par le magasin de quartier.

Les participants sont d'avis que cette surveillance constante des individus dans les endroits publics et privés n'est pas le fait d'une société libre. Pour beaucoup, il importe que ce que nous accomplissons en privé demeure privé, non parce que nous avons des choses à cacher, mais parce qu'une surveillance constante nous dépouille de notre sentiment d'autonomie. Le problème s'est d'ailleurs accentué avec les progrès récents des techniques en question. Notre façon de concevoir les lieux publics et privés ne suit pas le rythme des avancées technologiques qui permettent d'écouter des conversations se déroulant dans des voitures en marche ou encore d'épier les gens à l'intérieur d'un immeuble situé à plus d'un kilomètre de distance. On s'entend pour dire que la portée des techniques de surveillance devrait s'accorder avec nos attentes raisonnables en matière de vie privée, et qu'une pondération devrait s'appliquer selon la valeur que nous accordons à la liberté personnelle.

On éprouve également un malaise devant l'utilisation incontrôlée des techniques de surveillance par le secteur privé. Nos lois ont évolué pour nous protéger contre la surveillance effractive de l'État, mais on juge inacceptable le fait que d'autres organismes ont les coudées franches. La plupart des participants sont prêts à accepter un certain degré de surveillance pour protéger les individus et la propriété contre les activités criminelles. Toutefois, ils réclament un contrôle strict sur les utilisations secondaires des bandes de surveillance, ainsi que des normes professionnelles pour l'industrie de la sécurité.

Les gens étaient également consternés d'apprendre que le droit criminel interdit l'interception des communications audio privées, mais laisse le champ libre aux enregistrements vidéo clandestins. La nature improvisée de nombreuses lois visant la protection de la vie privée renforce le sentiment général que nous avons besoin d'une vaste législation cadre afin de veiller à ce que les avantages des nouvelles techniques n'écartent pas notre droit à la vie privée sans raison valable.

Le pouvoir passe par le savoir

Les Canadiens que nous avons rencontrés conviennent qu'une communication et un dialogue ouverts représentent la seule façon de parvenir à l'équilibre nécessaire entre les droits de l'individu et ceux de la société78. Toutefois, pour enclencher ce dialogue, nous devons sensibiliser davantage le public à la façon dont la technologie modifie nos relations sociales. Comme l'a indiqué Darrell Evans :

Je pense que la confusion dans le débat sur la protection de la vie privée tient en partie au fait que cela n'a pas été considéré comme un droit fondamental. Ce n'est pas profondément ancré dans l'inconscient collectif. Il nous faut aussi une définition, une idée plus claire dans l'esprit du public, de ce qu'est vraiment la vie privée, de ce que nous voulons dire par là79.
Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada a apporté d'autres preuves de la nécessité d'informer davantage le public lorsqu'il nous a parlé de l'augmentation du nombre de demandes de renseignements à traiter par la Commission par suite de la véritable explosion de l'information et de l'avancement technologique80. Encore une fois, l'échantillonnage scientifique par sondage vient renforcer nos observations. En 1992, 61 % des personnes ayant répondu à un sondage ont indiqué qu'elles ne savaient pas vraiment à qui s'adresser en cas d'atteinte à leur vie privée. Seulement une personne sur cinq avait une connaissance des mesures législatives pertinentes, des organismes provinciaux ou fédéraux responsables ou des moyens privés d'obtenir réparation. Deux pour cent seulement des personnes interrogées étaient au courant des mesures législatives touchant les droits de la personne, et moins de 0,5 % connaissaient les services d'évaluation du crédit81.

Au cours de nos assemblées publiques, nous avons également observé que le niveau du débat et des discussions était fonction de la nature des protections en place. C'est dans les provinces où les protections sont les plus faibles qu'on s'inquiète le plus de ces questions et où l'on connaît le moins les mécanismes de recours. Dans les provinces où existent des mesures législatives de protection, tant les experts que les simples citoyens sont mieux préparés à définir les enjeux et à les situer par rapport aux exigences de l'avenir. C'est particulièrement le cas au Québec, qui a les meilleures mesures de protection de la vie privée en Amérique du Nord82. De bien des façons, l'attitude des gens en ce qui concerne la vie privée traduit la mesure dans laquelle ils s'estiment capables d'influer sur le cours de leur existence.

Nous sommes convaincus que les gouvernements et le secteur privé du Canada doivent informer davantage le public sur la manière dont les nouvelles technologies modifient les relations entre les gens, et enclencher un dialogue permanent entre les Canadiens au sujet des valeurs qui sous-tendent le respect de la vie privée. Notre tâche consiste à examiner franchement ces valeurs fondamentales et à dégager un consensus sur le genre de société que nous voulons édifier. La technologie ne pourra remplir ses promesses que dans la mesure où, en tant que société, nous saurons tenir un débat éclairé sur la dimension éthique et les principes de la protection de la vie privée comme droit humain et valeur sociale83. De l'avis de Maurice Bernier :

Et, je conclus là-dessus, ce qui retient davantage l'attention de tout le monde, c'est l'absolue nécessité de sensibiliser la population concernant l'arrivée des nouvelles technologies, les effets, les conséquences, etc., de bien informer continuellement cette même population. Donc, sensibilisation et information, c'est comme la clé du succès pour l'introduction de n'importe quelle technologie84.
Tout au long du processus de consultation, on a fait valoir au Comité l'importance du dialogue et de l'établissement d'un consensus. Même si les points de vue des intervenants étaient fort différents, il n'y avait aucun doute qu'on s'entendait sur l'importance primordiale du respect de la vie privée et sur la nécessité d'adopter des mesures solides de protection contre les percées technologiques. Comme l'a conclu Sheila Finestone :

Dernier point mais non le moindre, on estime de façon générale qu'il faut s'entendre sur un principe philosophique inspiré par des valeurs, et que les mesures législatives en découlant doivent être efficaces et ne pas être à la merci des changements technologiques85.

À la croisée des chemins

Nous sommes à la croisée des chemins en ce qui touche la définition de nos valeurs et principes fondamentaux. S'il n'y a pas bientôt des mesures protectrices axées sur l'avenir, ou à tout le moins une conscientisation du public, nous devrons peut-être «dire adieu à toute notion de protection de la vie privée au cours du prochain siècle»86. Comme l'a exprimé Darrell Evans :

Je pense que la disparition de la vie privée serait la victoire du matérialisme sur l'esprit humain. Je trouve très difficile d'imaginer quelle place serait faite à la créativité par les êtres humains dans un tel monde. Dans un monde comme celui-là, je sens les barreaux virtuels se refermer de plus en plus vite sur nous. On nous dit constamment que nous vivons dans un monde plus sûr, bien sûr, un monde plus efficace, un monde qui attrape beaucoup mieux les fraudeurs, mais à mes yeux c'est la victoire de la bureaucratie sur la créativité humaine. Un vieux dicton me revient à l'esprit : nous savons le prix de tout, mais la valeur de rien...
Quel est notre objectif dans tout cela? Que cherchons-nous à obtenir pour les gens? Nous voulons mettre les gens dans une situation de causalité, afin d'éviter qu'ils ne soient le simple effet des techniques et ne subissent une érosion graduelle de leur vie privée. Si nous voulons maintenir la liberté de l'être humain, je crois que c'est ce que nous devons faire87.
Voilà l'objet du présent rapport. Toutefois, avant de définir les paramètres d'un système complet de protection de la vie privée, nous devons commencer par examiner les structures de protection en place.


1
Comité permanent des droits de la personne et de la condition des personnes handicapées, Témoignages, séance 24, p. 5 [pour les citations suivantes : Témoignages, 24:5]

2
Témoignages, 22:14

3
24:17

4
Témoignages, 34:16

5
38:21

6
37:26

7
38:26-27, 30-31, 52

8
33:27-28, 40

9
Témoignages, 38:55

10
33:3

11
33:20

12
Témoignages, 27:21

13
33:27

14
33:32

15
37:12

16
34:30; 37:4, 20, 38; 33:15

17
34:17, 20

18
33:26

19
33:13, 23

20
37:23

21
Témoignages, 33:43

22
33:45

23
33:45

24
33:42

25
33:15, 17, 24, 28, 45; 37:22

26
33:40

27
Témoignages, 37:11. Par exemple, David Townsend soutient qu'il est peu probable que des particuliers pourront négocier leur propre protection en matière de vie privée dans un monde technologique.

28
Témoignages, 22:24; 22-12

29
La vie privée exposée, p. 6. D'après cette étude, 60 % des Canadiens estiment que leur vie privée est moins bien protégée qu'il y a dix ans, et 40 % sont tout à fait d'accord pour dire qu'il y a eu érosion de la vie privée.

30
Témoignages, 33:15

31
37:21

32
39:15-16

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37:18

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35:27

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Témoignages, 37:34

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Témoignages, 33:27

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37:16, 23

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Témoignages, 33:28

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33:25; 34:16; 36:20; 37:16, 21

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21:23

51
21:4

52
Le sondage de 1992 indique que le fait de devoir donner son âge suscite une préoccupation extrême chez 8,5 p.100 des répondants. Fournir son numéro de téléphone et son nom provoquent de l'inquiétude chez 24 p. 100 , tandis que 30 p.100 n'aiment pas préciser leurs habitudes d'achat, et 44,6 p.100 sont extrêmement préoccupés si on leur demande des renseignements financiers. Témoignages, 30:4

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Témoignages, 36:12

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33:25; 37:16, 21

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Témoignages, 33:16

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Témoignages, 33:18

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Témoignages, 28:18

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Témoignages, 34:12

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Témoignages, 21:11-12

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37:35-36

78
Témoignages, 37:26

79
34:17

80
24:6

81
La vie privée exposée, p. 30. Voici quelles étaient les dix réponses les plus fréquentes concernant les mesures législatives ou les organismes qui aident les Canadiens à résoudre les problèmes d'atteinte à la vie privée : 1. Législation sur les droits de la personne; 2. Loi sur l'accès à l'information; 3. Loi sur la liberté d'accès à l'information; 4. Loi sur la protection des renseignements personnels; 5. Charte des droits et libertés; 6. Gouvernement; 7. Ombudsman; 8. Loi sur la protection du consommateur; 9. Commissaire à la protection de la vie privée; 10. Services d'évaluation du crédit.

82
Cela ressort également des constatations de La vie privée exposée, p. 30, où l'on signale qu'au Québec, il y a deux fois plus de chances que dans les autres provinces que les citoyens se disent renseignés sur la législation et les organismes dans le domaine du respect de la vie privée (33 % par rapport à moins de 15 % dans les autres provinces). Voir le chapitre trois pour une discussion de la législation québécoise.

83
Témoignages, 33:27-28

84
38:9

85
36:18

86
Témoignages, 21:25

87
34:18


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