[Enregistrement électronique]
Le mardi 7 mai 1996
[Traduction]
Le vice-président (M. Valeri): Il est 15 h 31; je déclare la séance ouverte.
Nous reprenons l'étude de notre ordre de renvoi du jeudi 7 mars 1996 portant sur le Budget des dépenses principal pour l'exercice se terminant le 31 mars 1997. Nous reprenons l'étude du crédit 20, à la rubrique Industrie.
Nous recevons aujourd'hui le directeur des enquêtes et recherches du Bureau de la concurrence, M. George Addy.
Monsieur Addy, voulez-vous nous présenter les personnes qui vos accompagnent, s'il vous plaît?
M. George Addy (directeur des enquêtes et recherches, Bureau de la concurrence): Merci, monsieur le président.
Je suis accompagné de M. James Bocking, de la Direction générale des fusionnements; deM. Don Mercer, de la Direction générale des affaires criminelles; de ma collaboratrice,Mme Colette Downie; et de M. Donnelly, notre agent de soutien technique.
Le vice-président (M. Valeri): C'est parfait. Merci. Avez-vous un mémoire à présenter?
M. Bodnar (Saskatoon - Dundurn): Excusez-moi, monsieur le président. J'invoque le Règlement.
J'ai parlé avec MM. Solomon, Leblanc et Schmidt de l'ordre des questions posées aux invités après leur exposé. Nous sommes d'accord pour que le Bloc intervienne en premier pendant dix minutes, puis le Parti réformiste aura dix minutes, puis on accordera dix minutes à M. Solomon, de façon qu'il puisse partir ensuite. Il doit nous quitter très tôt aujourd'hui. Il pourra poser ses questions, puis partir.
Je ne sais pas si quelqu'un s'y oppose de l'autre côté, mais je pense que cette formule fait l'objet d'un consentement unanime.
Le vice-président (M. Valeri): Merci, monsieur Bodnar.
Êtes-vous d'accord?
Des voix: D'accord.
Le vice-président (M. Valeri): Merci.
Monsieur Addy.
M. Addy: Merci, monsieur le président.
J'ai eu l'occasion de lire la transcription de certaines de vos séances précédentes, en particulier celles où comparaissait le ministre. Je sais que certaines questions concernant la fixation du prix de l'essence et la propriété des médias intéressent particulièrement le comité.
Cependant, pour que tout le monde parte sur un pied d'égalité, je vous propose de commencer par un aperçu de la structure du bureau, de mon rôle, du rôle du ministre et de celui du Tribunal de la concurrence, afin que tout le monde comprenne bien la structure et la procédure de l'organisme. Si cela vous convient, monsieur le président, je vous propose de procéder ainsi.
Le vice-président (M. Valeri): Certainement. Nous vous écoutons.
M. Addy: Merci.
Tout d'abord, il est important de bien comprendre que la Loi sur la concurrence est pour nous la loi cadre essentielle. Il ne s'agit pas d'un régime de réglementation. C'est une loi cadre, un peu comme la Loi sur les corporations canadiennes, ou la législation sur la propriété intellectuelle. Elle s'applique à toutes les industries et toutes les entreprises, sauf celles qui relèvent d'un règlement spécifique. Dans la mesure où un gouvernement provincial ou le gouvernement fédéral exerce sa compétence pour réglementer d'une façon particulière un segment de l'industrie, cette compétence a préséance sur la loi cadre, en l'occurrence sur la Loi sur la concurrence.
En tant que loi cadre, la Loi sur la concurrence ne règle pas spécifiquement les prix, la production, la promotion ni les autres aspects de la concurrence. Elle identifie les comportements anticoncurrentiels et les transactions de fusion qui doivent faire l'objet d'un régime d'enquête et de détermination, soit en vertu d'une procédure pénale, soit en vertu d'un procès au civil devant le Tribunal de la concurrence.
[Français]
Il est aussi important de garder à l'esprit l'objectif de la loi. L'objectif est de préserver et de maintenir la concurrence au Canada, mais ce n'est pas le seul but. Il s'agit aussi de stimuler l'efficience et l'adaptabilité de l'économie canadienne, d'améliorer, pour le Canada, les chances de participation aux marchés mondiaux et de reconnaître le rôle de la concurrence étrangère au Canada.
La loi a aussi pour but d'assurer aux petites et moyennes entreprises une chance honnête de participer à l'économie canadienne et d'assurer aux consommateurs des prix concurrentiels et un choix de produits.
[Traduction]
En tant que directeur des enquêtes et recherches, je suis responsable de l'application de la loi. Je suis nommé par le Cabinet en tant qu'agent indépendant d'application de la loi, et je reviendrai sur mes fonctions de façon détaillée dans un instant avec d'autres diapositives.
J'exerce les pouvoirs confiés au directeur par le Parlement à titre indépendant; je suis assujetti à une surveillance ministérielle limitée. Je sais que cette question a déjà été soulevée, et j'y reviendrai en détail tout à l'heure.
Le rôle du directeur comporte trois volets. Il intervient en tant qu'enquêteur pour recueillir de l'information de nature pénale dans les cas d'infractions aux dispositions pénales de la loi.
J'agis donc en tant qu'enquêteur. Nous invoquons des pouvoirs officiels, notamment en matière de mandats de perquisition, etc., pour instruire un dossier. Nous nous adressons ensuite au procureur général avec une recommandation de poursuites. Dans une affaire de fixation de prix, nous recommanderons que des accusations soient portées contre A, B et C à cause d'un régime de fixation des prix de l'essence, par exemple.
Ensuite, le procureur général étudie le résumé de la preuve, vérifie s'il y a effectivement lieu d'intervenir, et, le cas échéant, porte des accusations. Nous intervenons alors dans le cadre de l'équipe de l'accusation. Avant le renvoi, tout le travail est fait au sein du bureau proprement dit.
Mon deuxième rôle est celui d'enquêteur et de requérant. Il s'agit ici des poursuites au civil prévues dans la loi, qui ne sont pas de nature pénale et qui aboutissent devant le Tribunal de la concurrence pour décision.
Il y est question, par exemple, de vérification des fusions ou de situations de dominance abusive. Dans les cas de ce genre, je peux invoquer divers pouvoirs pour instruire l'affaire, mais au lieu de la renvoyer au procureur général pour qu'il intente des poursuites, j'interviens moi-même en tant que requérant devant le Tribunal de la concurrence en lui demandant une ordonnance interdisant une fusion ou, dans une situation de dominance abusive, ordonnant à l'intimé dominant de changer de comportement de façon à cesser d'abuser du marché.
Mon troisième rôle est de faire la promotion de la concurrence. Je le fais de deux façons. Officiellement, j'interviens devant les commissions ou les tribunaux fédéraux, ou, avec leur permission, devant les commissions ou tribunaux provinciaux.
Il existe dans la loi une disposition qui précise que le directeur peut intervenir d'office devant les commissions et tribunaux fédéraux, ce que nous faisons fréquemment, comme devant le CRTC sur les questions de télécommunication, par exemple, et qu'il peut intervenir sur autorisation devant une commission ou un organisme provincial. Voilà la façon officielle dont j'interviens pour faire la promotion de la concurrence.
La façon non officielle, c'est de conseiller le gouvernement en matière de politiques sur la concurrence. La loi ne me confère pas de droit officiel dans ce domaine, mais le gouvernement et mes collègues reconnaissent la valeur de la contribution du bureau dans l'élaboration des politiques. C'est à ce titre que nous y participons.
Par exemple, lorsque le ministère des Transports envisage de modifier la Loi sur les transports nationaux et l'Office national des transports, ou qu'il s'apprête à déréglementer tel ou tel secteur d'activité, il peut nous consulter et demander au directeur, par exemple, quelles seraient les conséquences d'une politique ou d'une autre en matière de concurrence. C'est là notre rôle non officiel de promotion de la concurrence.
[Français]
Au point de vue de l'organisation, nous avons l'équivalent de 245 équivalents à temps plein et un budget de 17,69 millions de dollars. Tout notre personnel est situé à Hull.
Nous sommes répartis dans six directions: affaires criminelles, affaires civiles, fusionnements, pratiques commerciales, affaires économiques et internationales et, finalement, conformité et opérations. Plus récemment, nous avons ajouté une unité des modifications à la loi.
Toutes les directions sont responsables de la conformité et jouent un rôle dans la promotion et l'éducation du public, par voie de discours, d'efforts, de renseignements, de visites avec les parties intéressées, etc. Ce n'est pas limité à la direction de la conformité.
Nous travaillons très étroitement au jour le jour avec le ministère de la Justice.
[Traduction]
Voici un autre organigramme du bureau, monsieur le président. La question qui se pose, indépendamment de la composition de l'organisme, concerne les rôles du sous-ministre et du ministre, sur lesquels je reviendrai tout à l'heure. En ce qui concerne mes responsabilités d'application de la loi, j'agis à titre indépendant. Pour tout ce qui concerne le budget, le personnel et les activités du bureau, je relève du sous-ministre, et c'est lui qui décide en dernière instance; finalement, lui-même relève du ministre. On pourrait donc mettre une ligne en pointillé entre le bureau du directeur et celui du sous-ministre. Elle n'apparaît pas ici, à cause de la structure bifide.
Un des éléments essentiels de notre travail est la confidentialité. L'article 10 de la loi précise que toutes les enquêtes doivent être menées à titre confidentiel. L'importance de la confidentialité est donc non seulement consacrée dans la loi, mais elle a toujours été également reconnue dans les politiques visant les activités du bureau depuis que je suis arrivé dans cet organisme, c'est-à-dire depuis très longtemps. La capacité du bureau de recueillir de l'information confidentielle et de maintenir cette confidentialité est essentielle pour nos activités et pour la crédibilité du système canadien de législation antitrust ou de législation sur la concurrence, et nous nous conformons de nous-mêmes à cette exigence.
Le système canadien est beaucoup moins axé sur la confrontation que le système américain. Il en est sans doute ainsi grâce à la confiance du secteur privé en notre capacité de traiter l'information de façon confidentielle et d'en maintenir la confidentialité.
La diapositive suivante concerne la procédure d'application de la loi. J'ai jugé qu'il était utile de bien vous faire comprendre la façon dont nous travaillons.
L'information nous provient de diverses sources. Nous recevons des plaintes. On nous en apporte, on nous en envoie par courrier, on nous en envoie par téléphone, ou par l'intermédiaire d'un avocat. Nous suivons également les médias et les journaux d'affaires, les journaux commerciaux, etc., pour rester informés des questions d'actualité qui pourraient nous amener à intervenir aux termes de la loi.
Si une telle question nous est signalée, nous procédons à un examen préliminaire. Vous excuserez le jargon, monsieur le président, mais il est important de faire la distinction entre cet examen préliminaire et l'enquête. C'est ce que vous constaterez dans un instant.
L'examen préliminaire se compose généralement d'entrevues. Parfois, le requérant se présente avec une abondante documentation que nous devons analyser. Nous faisons des vérifications auprès des voisins ou des concurrents du même secteur industriel. Nous recevons des déclarations sous serment de témoins ou de requérants éventuels.
Ensuite intervient le processus officiel de déclenchement. La loi exige que pour déclencher une enquête officielle il faut que le directeur soit fondé de croire qu'une infraction criminelle a été commise ou que le tribunal pourrait émettre une ordonnance concernant une action particulière. Si le directeur n'est pas convaincu, il ne déclenche pas d'enquête officielle et peut clore l'affaire, ou poursuivre l'examen préliminaire, mais tant que le directeur n'est pas convaincu que les exigences de la loi sont réunies, il ne peut pas déclencher d'enquête officielle et n'a donc pas accès aux mandats de perquisition, aux injonctions de production de documents ou d'information ni aux assignations à comparaître. Les pouvoirs officiels d'intervention prévus dans la loi ne peuvent être invoqués que si les exigences concernant l'enquête officielle sont réunies.
Voilà pour les enquêtes que je peux déclencher moi-même. Il y a deux autres possibilités de déclenchement d'une enquête officielle, et elles ne comportent pas les mêmes exigences. La première est prévue à l'article 9 de la loi: six résidents canadiens peuvent déposer des documents auprès du bureau, et dans ce cas le directeur n'a aucun pouvoir discrétionnaire; il doit déclencher une enquête. Je n'ai pas de statistiques à ce sujet par-devers moi, mais le bureau déclenche chaque année entre une demi-douzaine et une douzaine d'enquêtes officielles de cette façon.
L'autre possibilité de déclencher une enquête officielle est la directive ministérielle. Lorsque nous avons sondé les archives du bureau, même les anciens comme M. Bocking n'ont pu se souvenir que d'un seul cas où un ministre ait officiellement déclenché une enquête, et c'était pendant l'étude du cartel de l'uranium, il y a quelques années.
Prenons donc le cas où une enquête officielle est déclenchée. Nous poursuivons nos recherches à un niveau officiel, puisque nous pouvons invoquer les pouvoirs dont j'ai parlé. Ensuite, nous résumons la cause.
S'il s'agit d'une affaire pénale, nous préparons un résumé des preuves avec des recommandations destinées au procureur général: voilà ce que nous avons constaté, voilà l'infraction qui, à notre avis, a été commise, voilà les personnes qui ont commis cette infraction, et nous recommandons des accusations pour les motifs suivants. Si le procureur général est d'accord avec nous, nous jouons ensuite un rôle de soutien.
S'il s'agit d'une action au civil, nous préparons une demande auprès du Tribunal de la concurrence et nous sollicitons un règlement de sa part. Vous avez sans doute entendu parler des interventions récentes devant ce tribunal. Juste après Noël, nous avons déposé le dossier Interac concernant l'utilisation du réseau électronique. Nous avons déposé une contestation de fusion contre une société de Vancouver appelée Seaspan. Voilà comment nous procédons dans ce genre d'affaire.
Par ailleurs, même à l'étape finale de l'enquête officielle, celle-ci peut se terminer faute de preuves. Nous avons pu recueillir suffisamment d'éléments au départ pour répondre aux exigences de déclenchement de l'enquête officielle, mais, en cours d'instruction, nous constatons que les plaintes n'étaient pas fondées ou qu'il n'y a pas eu infraction à la loi. Dans de telles circonstances, on met un terme à l'enquête, comme le prévoit la loi.
Voilà un autre domaine où le ministre a un rôle à jouer. Je lui signale que je mets un terme à une enquête, et il a la possibilité de me demander de la poursuivre. C'est un rôle limité, mais c'est une autre possibilité d'intervention du ministre.
Voilà en résumé la façon dont nous menons nos activités.
[Français]
La prochaine acétate explique le type de règlements. Prenons, par exemple, la partie ayant trait au civil. On revoit la conduite en question. À la suite d'une plainte d'abus de position dominante, on détermine si oui ou non le test juridique a été franchi, c'est-à-dire s'il y a eu diminution sensible de la concurrence. On considère aussi les défenses acceptables dans ce genre de conduite en vertu de la loi, tel le rendement économique supérieur. Sinon, nous demandons au Tribunal de la concurrence d'émettre une ordonnance corrective.
[Traduction]
Voilà des exemples d'affaires en cours actuellement: Télé-Direct, une affaire dans laquelle nous avons terminé les audiences il y a environ trois semaines, comportait l'imposition de services artistiques en contrepartie de l'accès à des espaces d'annonces dans les Pages jaunes. Voilà le genre d'affaires qu'on soumet au tribunal. Du côté pénal, on trouve, par exemple, les cas de conspiration et de fixation des prix.
[Français]
Ce test a pour objet de déterminer s'il y a eu diminution indue de la concurrence. Il existe beaucoup de jurisprudence qui nous explique ce que veut dire ce test. La loi prescrit aussi certaines défenses, des types d'accords plus proconcurrentiels, l'échange de statistiques, etc. S'il y a une poursuite au criminel, elle se fait sous la direction du procureur général.
[Traduction]
Voilà donc un bref aperçu des responsabilités de chacun.
[Français]
La direction des fusionnements est responsable de tout ce qui a trait aux fusionnements: la révision des transactions et les préavis, les affaires civiles, l'abus de position dominante, les interventions auprès des tribunaux fédéraux ou provinciaux, nos interventions auprès du CRTC.
Il y a également la direction des affaires criminelles.
Quant à la direction des pratiques commerciales, elle se spécialise plutôt dans les pratiques de publicité trompeuse et les pratiques commerciales déloyales.
La direction de la conformité et des opérations s'occupe de la mise en application de la loi, des programmes de conformité des recherches juridiques, de tout notre programme d'éducation du public et de la publication de tous nos dépliants et directives.
La direction de l'économie et des affaires internationales a essentiellement deux composantes. Elle a un volet économie qui a un rôle de soutien à la mise en application des dossiers. Le deuxième volet a trait à toutes nos relations internationales. De plus en plus, les relations internationales comptent pour beaucoup dans nos activités au jour le jour, cela en vertu de la mondialisation des marchés et de la nécessité de coopérer avec nos homologues à l'étranger afin de contrer les pratiques anticoncurrentielles qui visent le marché canadien.
L'unité des modifications a été créée il y a environ 18 mois pour gérer l'actuel processus de modification de la loi.
[Traduction]
Comment est-ce que nous analysons les fusionnements? Tout d'abord, le critère juridique est celui d'un affaiblissement sensible de la concurrence. Nous avons trois ans pour intervenir; nous pouvons contester une transaction à tout moment au cours des trois ans qui suivent la conclusion de la transaction.
Contrairement aux infractions pénales, il n'y a pas de présomption d'intention délictueuse dans le cas des fusionnements. On ne considère qu'ils portent atteinte à la concurrence que dans des cas exceptionnels. Ils sont reconnus comme des modalités concurrentielles de rajustement structurel sur le marché.
Les fusionnements comportent également une exigence de préavis. C'est là un élément nouveau; la procédure de fusionnement date de 1986. En cas de transaction importante, nous devons recevoir un préavis avant que la transaction ne soit conclue. Si les parties à la transaction répondent à certains critères ou si les ventes ou l'actif dépassent 400 millions de dollars alors que la transaction est évaluée à 35 millions de dollars, nous devons en être avertis. Aux termes de la loi, les parties doivent observer une période d'attente obligatoire avant de pouvoir conclure la transaction.
[Français]
Les affaires civiles sont encore dominantes. Les tribunaux ont été saisis de plusieurs dossiers de refus de vente, de vente par voie de consignation et de l'exclusivité des ventes liées, dont ceux de Laidlaw et A.C. Neilsen.
Il y a aussi les ordonnances contestées par consentement. On peut procéder ainsi, car on n'est pas obligés de contester devant le tribunal. On procède fréquemment ainsi avec le consentement des parties impliquées.
[Traduction]
Au pénal, dans les cas de complots, par exemple... nous avons récemment entendu le cas de Canada Pipe en septembre dernier, qui a donné lieu à l'imposition de 2,5 millions de dollars d'amendes. Il y a deux semaines, nous avions une affaire de déchets en Mauricie, où les parties ont plaidé coupable et se sont vu imposer une amende de 1,95 million de dollars.
Nous intervenons dans des affaires de soumissions truquées dans des appels d'offres et nous avons remporté certains succès dans ce domaine. Nous nous occupons de la fixation discriminatoire des prix, des pratiques de prix abusifs et des régimes de prix imposés. Il y a eu récemment un cas de régime de prix imposés avec Mr. Gas, dont le jugement a été prononcé en janvier dernier.
Le vice-président (M. Valeri): Monsieur Addy, je dois vous demander, faute de temps, d'en venir à la conclusion de votre exposé. Je sais qu'il va y avoir de l'information qui...
M. Addy: Excusez-moi, monsieur le président.
Le vice-président (M. Valeri): Les membres du comité auront toute latitude pour poser des questions. Vous aurez alors l'occasion, dans vos réponses, de reprendre les éléments de votre exposé qui n'auront pas été présentés. Donc, si vous voulez bien prendre quelques minutes pour...
M. Addy: À ce propos, monsieur le président, mes collaborateurs et moi-même restons à votre disposition; nous pouvons revenir n'importe quand ou rencontrer des membres du comité à titre individuel. Nous serons ravis de le faire.
Je vais essayer de conclure en cinq minutes, si cela vous convient, monsieur le président.
Le vice-président (M. Valeri): Ou moins, si vous le pouvez.
M. Addy: Je voudrais vous indiquer ce à quoi nous nous consacrons actuellement, vous dire quelles sont les priorités du bureau. Récemment, c'était des problèmes concernant ce que j'appelle les industries en transition: les marchés financiers, les télécommunications, la télédiffusion, les transports et l'électricité. Nous nous intéressons également aux technologies nouvelles utilisées en affaires, au télémarketing, aux conséquences de l'inforoute, etc., de même qu'à la coopération internationale et à l'intégration de nos préoccupations dans les accords bilatéraux avec nos partenaires étrangers.
Je vais en rester là, monsieur le président. J'ai des diapositives sur la fixation des prix de l'essence, si nous abordons ce sujet. J'ai ici quelques données auxquelles je pourrais faire référence.
Le vice-président (M. Valeri): C'est parfait. Nous pourrons peut-être les utiliser comme documentation, car il devrait y avoir des questions concernant la fixation du prix de l'essence.
Monsieur Leblanc.
[Français]
M. Leblanc (Longueuil): Oui, pourquoi pas. Je vais peut-être poser une question à ce sujet.
Comme on le sait, l'essence a augmenté d'au moins 25 p. 100 au cours des derniers mois, et on sait aussi qu'aux États-Unis, elle a augmenté d'environ 30 p. 100. Aux États-Unis, on reconnaît qu'il y a possibilité de collusion entre les entreprises pétrolières et on a décidé de mener une enquête.
Votre bureau a-t-il l'intention de mener une enquête pour savoir s'il y a collusion entre les entreprises? On sait très bien que la collusion vient fort probablement des États-Unis, puisqu'il s'agit principalement de compagnies américaines, mais la loi vous permet de mener une enquête quand il s'agit d'entreprises américaines qui opèrent ici au Canada. Où en êtes-vous rendus dans cette question?
M. Addy: Cela fait des années que nous suivons de près le marché de l'essence, et nous le suivons d'ailleurs toujours. J'en ai discuté hier avec mon homologue américain lors de nos pourparlers semestriels. Nous avons développé des mesures dans le but de rendre le Bureau de la concurrence plus facile d'accès aux personnes qui auraient des preuves à nous fournir. Avant de pouvoir initier une enquête formelle, je dois, en vertu de la loi, être convaincu qu'il y a eu infraction criminelle.
Donc, nous invitons tous ceux qui pensent avoir de l'information à venir nous voir. Un numéro de téléphone 1-800 est d'ailleurs mis à la disposition de ceux qui voudraient nous contacter. Nous publions aussi des dépliants que nous mettons à la disposition du grand public. Nous pourrons vous en laisser quelques-uns aujourd'hui.
Nous voulons aussi encourager les individus qui ont de l'information à venir nous voir. Entre autres, un des éléments du projet de modification est d'accroître la confidentialité de l'information qui nous est transmise de façon volontaire.
Menons-nous actuellement une enquête formelle sur l'aspect collusion? La réponse est non. Mais nous examinons cette question de façon constante et, si nous avons des motifs de croire qu'il pourrait y avoir collusion, nous n'hésiterons pas à initier une enquête formelle et à entamer des procédures formelles.
M. Leblanc: Mais n'avez-vous pas suffisamment d'indices du fait que les Américains, eux, ont décidé de tenir une enquête?
M. Addy: Il n'y a pas de preuve qu'il y a eu collusion. Nous ne faisons que constater que, dans le marché, les prix ont augmenté. Il ne faut pas oublier qu'un marché comme celui du pétrole a beaucoup de caractéristiques uniques. Le consommateur a le choix entre les différents concurrents. Quand il se promène à 60 km à l'heure, il peut voir les différents prix. Ils sont tous affichés. Je ne peux penser à une autre commodité où l'on peut faire ce genre de choix de cette façon-là.
Cela veut aussi dire qu'instantanément, les concurrents savent ce que leurs compétiteurs font. Donc, c'est un marché très volatile. Et cette volatilité agit au bénéfice d'un consommateur.
M. Leblanc: Je comprends. Vous voulez dire que le compétiteur peut ajuster rapidement ses prix.
M. Addy: C'est cela.
M. Leblanc: Il n'y a pas eu d'entente préalable?
M. Addy: Ce n'est pas une infraction que de suivre son concurrent ou de lui répondre de façon concurrentielle.
M. Leblanc: Je vais m'arrêter sur cette question-là et parler plutôt de l'autoroute électronique. On sait que l'autoroute électronique, qui est probablement l'équivalent de la câblodistribution et de la radiodiffusion, s'est développée assez rapidement. On sait que le marché canadien est passablement restreint comparativement au marché américain.
Pour éviter qu'il se développe des autoroutes parallèles offrant les mêmes services, avez-vous commencé à examiner les possibilités pour les entreprises américaines, qui ont un marché nettement plus grand, de monopoliser d'une certaine façon le marché canadien?
M. Addy: Il est important de rappeler que lorsque nous traitons de fusionnements, par exemple, la loi prescrit clairement que le fait qu'il s'agisse d'une grande entreprise américaine ne peut jouer contre la transaction. Donc, le fait que c'est un gros qui achète un petit n'est pas suffisant pour rendre le gros anticoncurrentiel en vertu de la loi.
En ce qui a trait à l'acquisition, la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiodiffusion imposent certaines limites sur la propriété étrangère. Au point de vue du principe de la concurrence pure, de la libre concurrence dans le marché, c'est une bonne chose, non seulement pour ce qui est des prix, mais pour ce qui est du capital et du capital-actions. Ce sont des politiques de concurrence et j'admets qu'il y a d'autres considérations très légitimes dans ce genre de décisions.
En ce qui a trait à la nationalité de l'entreprise qui s'implante au Canada, la Loi sur la concurrence est complètement neutre à ce sujet. C'est plutôt le marché que nous examinons.
M. Leblanc: Plus tôt, vous avez dit que vous aviez pour mandat de faire de la prévention et de suggérer des modifications à la loi qui pourraient, dans certains cas, améliorer ou protéger notre situation vis-à-vis des marchés étrangers, à moins qu'il n'y ait déjà une loi à cet effet, mais vous avez aussi comme mandat de prévoir.
M. Addy: Oui.
M. Leblanc: Dans ce nouveau marché de l'autoroute électronique, on a des voisins immédiats, les Américains, qui sont nettement plus forts que nous. Avez-vous prévu des changements à la loi en ce qui a trait à la câblodistribution, à la radiodiffusion, aux satellites, etc?
M. Addy: C'est un domaine qui évolue très rapidement. Nous avons établi un groupe de travail, un task force sur la télécommunication. J'ai fait maintes soumissions au CRTC en ce qui a trait à certains dossiers, entre autres celui de la convergence, lors des audiences qui ont ont été tenues l'année dernière et j'ai aussi fait valoir l'élément de concurrence. Il ne faut pas penser seulement à la nationalité de l'entreprise qui fournit des services, mais aussi aux entreprises canadiennes qui achètent ces services-là. Pour s'assurer que ces entreprises soient concurrentielles, il est important qu'il y ait de la concurrence parmi celles qui leur fournissent le service.
Donc, c'est ce genre d'équilibre que j'essaie d'apporter à la table dans toutes les circonstances, que ce soit pour les limites sur la propriété étrangère, pour l'universalité... Le CRTC et le gouvernement sont actuellement saisis de plusieurs de ces dossiers.
[Traduction]
Le vice-président (M. Valeri): Merci, monsieur Leblanc.
Monsieur Schmidt.
M. Schmidt (Okanagan-Centre): Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, monsieur Addy, de comparaître devant le comité en compagnie de vos collaborateurs.
Je m'intéresse beaucoup à la procédure que vous avez montrée à l'écran. J'ai trouvé cela très intéressant. Je voudrais vous interroger sur une action au civil; qu'est-ce qui détermine la décision d'intenter ou non des poursuites et de présenter une demande au tribunal? Lorsque vous étudiez les éléments de preuve ou l'information qui vous a été remise, quels critères appliquez-vous pour déterminer la qualité ou la quantité d'informations qui justifie que vous saisissiez le tribunal?
M. Addy: Cela varie d'un cas à l'autre. S'il s'agit d'une affaire de fusionnement, nous avons des lignes directrices concernant les fusionnements qui indiquent en détail la façon dont nous devons analyser une transaction de fusionnement et les éléments dont nous devons nous préoccuper aux termes de la loi. S'il s'agit d'une affaire d'abus, les critères sont différents, car la loi prévoit une autre forme de critère.
Donc, cela varie d'un cas à l'autre, et pour déterminer si nous devons ou non saisir le tribunal, nous nous fondons sur la jurisprudence qui s'est développée dans le domaine en question et sur les fondements économiques sous-jacents de la pratique commerciale à l'étude.
M. Schmidt: Si le ministre décide qu'il faut intenter des poursuites alors que vous avez décidé de ne pas en intenter, que se passe-t-il?
M. Addy: Il ne peut pas faire cela. Ce qu'il peut faire, c'est demander au directeur d'entreprendre une enquête officielle. Il ne peut pas en décider l'issue. Il peut donc intervenir en demandant le déclenchement d'une enquête officielle contre M. Untel, mais il ne peut pas présumer de l'issue de cette enquête. Il peut modifier les exigences concernant le déclenchement de l'enquête, mais, à notre connaissance, il ne l'a fait qu'une fois.
Prenons le cas de la fixation du prix de l'essence. C'est un sujet qui préoccupait déjà mes prédécesseurs. Moi et mes collaborateurs qui m'accompagnent aujourd'hui avons passé une bonne partie des cinq dernières années devant la Commission des pratiques restrictives du commerce, qui faisait enquête sur l'état de la concurrence dans l'industrie pétrolière. C'est un sujet qui nous est cher. J'en discute régulièrement avec le ministre, et il me demande ce qui se passe dans l'industrie de l'essence. Si une question l'inquiète, il m'en fait part, et je l'étudie.
Le ministre n'est soumis à aucune exigence officielle en ce qui concerne le déclenchement de ce genre d'enquête.
M. Schmidt: Je vous ai posé cette question parce que vous avez dit que lorsque vous décidez de mettre un terme à une enquête, le ministre peut vous ordonner de la poursuivre.
M. Addy: Oui, il peut me demander de continuer à étudier la question.
M. Schmidt: Il peut donc faire cela, mais il ne peut pas ordonner lui-même le déclenchement de l'enquête.
M. Addy: Non, ce n'est pas cela. Il peut ordonner le déclenchement de l'enquête. Il peut me demander de la poursuivre, mais il ne peut pas en décider l'issue.
M. Schmidt: Oui, d'accord.
Peut-il vous empêcher de saisir le tribunal?
M. Addy: Non.
Le seul autre rôle du ministre qui ne figure pas sur ce tableau est le dépôt du rapport annuel.
M. Schmidt: On trouve dans la loi une définition des ventes liées. En pratique, dans quelles circonstances considérez-vous qu'un usage commercial constitue une vente liée?
Je vais vous donner un exemple, et vous me direz s'il correspond ou non à la définition.
Il s'agit d'une institution financière qui pratique le crédit. Une autre institution financière fournit des conseils aux épargnants et s'occupe des placements de REER. La première institution financière dit à son client: «Pour obtenir un emprunt, vous devrez transférer votre REER de l'institution où il se trouve actuellement dans la nôtre, par l'intermédiaire de laquelle nous allons vous prêter de l'argent.» De quel genre d'opération s'agit-il?
M. Addy: C'est un problème très intéressant.
M. Schmidt: Je sais, et c'est un problème réel.
M. Addy: Oui, je sais.
Nous avons déjà traité de ce genre de situation. Comme vous le savez, nous allons participer à l'étude financière que devrait entreprendre prochainement le ministère des Finances. C'est là une question clé. Nous avons rencontré différentes personnes et différents groupes qui ont formulé des plaintes, et nous considérons avec intérêt tous les éléments de preuve pertinents à cette plainte.
Malheureusement, jusqu'à maintenant nous avons constaté qu'il y a à ce sujet beaucoup de discours et peu d'éléments concrets. Personne ne m'a jamais dit: «Voici un formulaire d'emprunt, et le directeur de ma banque m'a dit: «Signez ceci et vous obtiendrez une assurance-vie - ou quelque chose d'autre - avec l'emprunt».
C'est une situation qui nous préoccupe. Nous l'étudions, mais jusqu'à présent nous n'avons pas eu de cas concret de cette nature.
M. Schmidt: Ce n'était pas vraiment le sens de ma question. Si un tel cas était prouvé, est-ce que vous y verriez un exemple de vente liée?
M. Jim Bocking (chef, Division B, Direction des fusionnements, Bureau de la concurrence): Il faudrait se poser deux questions. Tout d'abord, la première question est de savoir si les deux opérations sont liées. Si elles le sont, le deuxième critère important est de voir si l'opération a un effet d'exclusion sur le marché. Dans l'exemple de votre question, l'effet d'exclusion se manifesterait sur les ventes de fonds mutuels.
M. Schmidt: Exactement.
M. Bocking: Le critère serait de voir si l'opération affaiblit substantiellement la concurrence sur le marché. Est-ce qu'une banque ou une institution financière qui pratiquerait la vente liée affaiblirait la concurrence dans le cas où toutes les autres institutions financières seraient en concurrence avec elle? Voilà ce qui serait déterminant dans un cas semblable.
Le cas que vous présentez ne constitue pas une infraction en soi. C'est un usage que l'on peut étudier. Il faudrait voir les faits pour déterminer qui fait cela, car une telle pratique doit venir d'un fournisseur important, et voir quels en sont les effets sur le marché, voir s'il y a une atténuation importante de la concurrence. Je ne peux donc pas me prononcer sans connaître les parties en cause.
M. Schmidt: C'est bien.
M. Bocking: Voilà le genre d'éléments que nous prenons en considération.
M. Schmidt: C'est bien. Mon autre question concerne les activités du tribunal proprement dit lorsqu'il étudie toute l'information qui a été recueillie par votre équipe d'enquêteurs et lorsqu'il doit en venir à une conclusion. De quels pouvoirs dispose le tribunal pour faire exécuter son jugement?
M. Addy: Il a des pouvoirs étendus. C'est un tribunal quasi judiciaire, formé de juges de la Cour fédérale et de membres n'appartenant pas à la magistrature. Toute infraction à l'une de ses ordonnances constitue un outrage au tribunal. Ses ordonnances sont des ordonnances judiciaires, susceptibles d'appel devant la Division d'appel de la Cour fédérale, etc. Il a donc des pouvoirs judiciaires étendus.
Le tribunal applique une procédure très formelle. Nous nous présentons devant lui en tant que requérant et nous plaidons notre cause. Les intimés sont également présents, et nous pouvons les contre-interroger. Il s'agit essentiellement d'une procédure judiciaire.
M. Schmidt: Il peut donc y avoir appel...
M. Addy: Oui.
M. Schmidt: ...de la décision du tribunal.
M. Addy: Oui, devant la Division d'appel de la Cour fédérale, et ensuite devant la Cour suprême du Canada.
Le vice-président (M. Valeri): Pour les membres du comité qui n'étaient pas là au début de la séance, il a été proposé d'accorder à M. Solomon dix minutes de questions dès maintenant, de façon qu'il puisse faire face à d'autres engagements. S'il y a consentement unanime, je voudrais maintenant donner la parole à M. Solomon pour dix minutes.
M. Solomon (Regina - Lumsden): Monsieur le président, je vous remercie beaucoup. Je tiens également à remercier MM. Bodnar, LeBlanc, Schmidt et les autres membres du comité de me permettre de poser mes questions avant eux parce que j'ai un avion à prendre.
Le vice-président (M. Valeri): C'est tout à fait normal. Nous faisons équipe.
M. Solomon: C'est vrai que la collaboration est bonne au sein du comité.
Monsieur Addy, j'ai plusieurs questions à vous poser. Je ne sais pas trop par quel bout commencer, mais peut-être devrais-je vous poser quelques questions auxquelles vous pouvez répondre brièvement. Comment définissez-vous la concurrence?
M. Addy: Comment définir la dissuasion? Je ne peux pas vous donner de définition absolue. Ainsi, la concurrence suppose-t-elle des prix identiques, ou suppose-t-elle le contraire?
La concurrence suppose plutôt un marché où il y a rivalité entre les vendeurs et un marché caractérisé par l'innovation et où l'offre et la demande sont fonction l'une de l'autre. Voilà comment on peut définir un marché concurrentiel.
M. Solomon: Dans ce cas, peut-on dire qu'il y a concurrence sur le marché pour ce qui est des prix de l'essence?
M. Addy: Il n'y a vraiment aucune raison de croire le contraire. Ce qui se passe...
M. Solomon: Vous ne répondez pas à ma question. Compte tenu de la définition que vous venez de nous donner, peut-on dire qu'il y a concurrence sur le marché pour ce qui est des prix de l'essence?
M. Addy: En tant que directeur du Bureau de la concurrence et en tant que consommateur, je suis convaincu qu'il n'y a pas de raison de croire que le prix que je paie mon essence n'est pas le résultat de la concurrence que se livrent les fournisseurs d'essence. La réponse à votre question est donc oui dans ce contexte.
M. Solomon: Revenons à l'exemple qu'a donné mon collègue du Québec. Au cours des 30 ou 40 derniers jours, le prix de l'essence a augmenté de 5 à 7c. le litre aux États-Unis contre 8 à 10c. le litre au Canada lorsqu'on tient compte de la différence dans le taux de change et la taille de l'industrie. Les prix varient d'une province à l'autre en raison du fait que les taxes sur l'essence ne sont pas les mêmes, mais dans toutes les provinces le prix de l'essence a augmenté considérablement. Au Canada, cette hausse représente sur une période très courte une augmentation de 42 p. 100 des revenus bruts des raffineries et des sociétés pétrolières. Or, les raisons données à l'appui de cette hausse des prix de l'essence ne tiennent tout simplement pas.
Je m'interroge au sujet de cette situation. Le président américain, Bill Clinton, a demandé au ministère de la Justice de faire enquête dans cette affaire et a enjoint au ministère de l'Énergie de prendre une décision au sujet des réserves. Douze millions de barils de pétrole ont été vendus au Japon. Comment explique-t-on le fait qu'aux États-Unis les prix de l'essence augmentent beaucoup moins qu'au Canada et que le président peut ordonner qu'il y ait enquête au sujet de cette hausse des prix? Faut-il attribuer cela à des mécanismes, des lois ou des scénarios qui n'existent pas au Canada?
M. Addy: Je ne comprends pas votre question, monsieur. C'est vrai que la loi américaine sur la concurrence est différente de la loi canadienne. Si vous me demandez si le résultat est différent, je dirai non. Nous suivons continuellement le marché. Si quelqu'un peut prouver qu'il y a collusion entre les fournisseurs d'essence, nous intenterons des poursuites comme nous l'avons fait par le passé. Au Canada, les sociétés pétrolières et les fournisseurs d'essence ont fait l'objet de nombreuses poursuites.
Pour agir, il nous faut des preuves. Nous devons nous conformer aux dispositions de la loi. Nous ne pouvons pas simplement poursuivre les sociétés pétrolières parce que le prix de l'essence a augmenté. Il faut qu'on puisse prouver qu'il y a eu infraction à la loi.
Plusieurs raisons ont été invoquées pour expliquer l'augmentation: un hiver beaucoup plus long, dont nous avons tous pâti; une diminution des inventaires; l'incapacité des raffineries de faire face à la situation en raison de cet hiver particulièrement long; l'incertitude au sujet de la rentrée éventuelle de l'Irak sur le marché du pétrole brut. Cette augmentation peut être attribuable à divers facteurs à l'échelle internationale. Nous ressentons par exemple les effets des augmentations de prix du pétrole brut sur les marchés internationaux.
Au niveau de la vente au détail, le prix de l'essence est tributaire de tout un ensemble de facteurs qui varient d'une administration à l'autre et d'un marché à l'autre. Y a-t-il , par exemple, beaucoup de fournisseurs de produits génériques sur le marché? Vit-on près de la frontière, où on a accès à des produits importés? Il y a toute une série de facteurs qui influent sur l'offre et la demande à l'échelle locale dont on doit tenir compte.
M. Solomon: Vous dites donc qu'on ne se pose pas de questions à ce sujet au Canada. Le Bureau de la concurrence est donc satisfait de l'information qui lui a été fournie?
M. Addy: Je dis qu'il n'y a pas de raison de croire qu'on a enfreint la Loi canadienne sur la concurrence. Nous suivons cependant de près la situation.
M. Solomon: Vous vous engagez donc à suivre la situation de près. Qu'entendez-vous par là?
M. Addy: Nous avons pris plusieurs mesures qui s'ajoutent à l'initiative que nous avons prise de recueillir de l'information. Nous nous employons par exemple à bien informer le public. Nous avons préparé diverses brochures à l'intention des consommateurs et nous avons mis à leur disposition une ligne 1-800. Depuis l'été dernier, c'est-à-dire depuis la création du centre de traitement des plaintes, nous faisons aussi un suivi des plaintes.
Si ma mémoire est bonne, nous avons reçu un peu plus de 200 plaintes au sujet du prix de l'essence. Nous voyons d'abord si ces plaintes sont sérieuses et s'il y a lieu de pousser plus avant notre enquête. Je ne peux pas intervenir simplement parce que les gens me disent ne pas aimer le prix de l'essence qu'on leur demande. Par contre, si quelqu'un me dit avoir entendu des fournisseurs d'essence dire qu'ils allaient tous hausser leur prix le lendemain, cela pourrait beaucoup m'intéresser.
M. Solomon: Il ne vous suffit donc pas, pour intervenir, de voir que toutes les sociétés pétrolières d'une région augmentent leur prix à quelques heures d'intervalle. Cela ne constitue pas une preuve suffisante pour vous?
M. Addy: Le fait que les prix augmentent tous en même temps peut signifier que la concurrence est parfaite. Cela ne signifie pas nécessairement qu'il y a collusion.
Aujourd'hui, les prix de l'essence sont affichés dans la rue. On peut les changer de façon électronique; on n'a plus, comme autrefois, à monter dans une échelle pour faire le changement. Quand on voit son concurrent augmenter son prix, on n'a qu'à téléphoner à son répartiteur ou à son équivalent dans le domaine pétrolier, et si celui-ci décide d'offrir le même prix, on peut changer le prix affiché en cinq secondes. On voit donc que le marché peut réagir très rapidement à une hausse de prix. Évidemment, il peut toujours y avoir collusion, et, lorsque nous avons des raisons de le croire, nous intentons des poursuites. Nous avons d'ailleurs intenté des poursuites contre Mr. Gas en janvier.
M. Solomon: Lorsque les prix augmentent, ils augmentent tous en même temps. Ils ne diminuent cependant pas tous au même rythme.
M. Addy: Il s'agit de savoir si les fluctuations des prix reflètent le libre jeu du marché. Lorsque c'est le cas, on n'y peut rien.
M. Solomon: Si je pose cette question, monsieur le président, c'est que les sociétés pétrolières peuvent invoquer toutes sortes de raisons pour justifier la hausse des prix. Je ne critique pas le Bureau de la concurrence, mais je le signale simplement. Dernièrement, un porte-parole d'Imperial Oil a dit à Calgary que le prix du pétrole brut était plus élevé maintenant qu'il ne l'était pendant la guerre du Golfe. Chacun sait que pendant la guerre du Golfe le prix du pétrole brut a grimpé à 40$ US le baril. La semaine dernière, le baril de pétrole se vendait 25$, et aujourd'hui 21$.
Les consommateurs se posent des questions au sujet de certaines raisons qu'on leur donne pour justifier la hausse des prix. Pendant la guerre du Golfe, les prix mettaient 90 jours à réagir à des changements dans les stocks; maintenant, ils ne mettent plus que 90 heures. On se demande pourquoi tout cela a changé. On se demande pourquoi toutes les sociétés pétrolières rajustent leurs prix en même temps. Voilà, à mon avis, ce qui amène les consommateurs à se poser des questions.
Je vous félicite pour le fait que vous avez mis à la disposition des consommateurs une ligne d'information 1-800. Je vous incite à poursuivre dans cette voie.
J'aimerais vous poser une dernière question d'ordre plus général. Elle porte sur les changements qui ont eu lieu en 1986 auxquels on a fait allusion. Quels sont les pouvoirs que vous avez maintenant et que vous n'aviez pas en 1986?
M. Bocking: George a fait allusion plus tôt à notre participation au sein de l'industrie pétrolière. En vertu de l'ancien article 47 de la loi, nous avons intenté des poursuites contre l'industrie pétrolière pendant trois ans. L'article 47 portait sur les enquêtes publiques présentées à l'ancienne Commission sur les pratiques restrictives du commerce, le prédécesseur du Tribunal de la concurrence du Canada. En vertu de cet article, il était possible de faire enquête sur les pratiques monopolistiques dans une industrie donnée. George était conseiller auprès du directeur, et moi j'ai participé à ces enquêtes au cours de ces trois années dont je vous parle. Nous étudiions les pratiques monopolistiques de l'industrie pétrolière. Cette disposition de la loi a été supprimée en 1986 parce qu'il s'agissait d'une analyse de type recherche et enquête par opposition au type d'analyse que nous effectuons actuellement.
M. Solomon: Je vous remercie. J'ai une question concernant...
M. Addy: Monsieur Solomon, permettez-moi d'ajouter que, si j'ai bonne mémoire, c'est sans doute à des changements dans les dispositions fiscales s'appliquant au coût des stocks qu'on doit attribuer le fait que les prix mettaient plus de temps à refléter des changements dans les stocks. Cela a quelque chose à voir avec la méthode comptable qu'on utilisait. Je ne suis pas comptable, et je ne souhaite pas l'être, mais je crois que c'est ce qui explique le fait que les primes mettaient un certain temps à refléter les changements dans les stocks.
M. Solomon: J'ai une brève question à poser au sujet de Hollinger Inc., monsieur le président.
Le vice-président (M. Valeri): Une dernière question.
M. Solomon: Ces derniers mois, nous avons assisté au Canada à une concentration de la propriété dans le secteur des journaux. En Saskatchewan, à l'Île-du-Prince-Édouard et à Terre-Neuve, tous les quotidiens appartiennent maintenant à la société Hollinger. Après avoir étudié rapidement la situation en Saskatchewan, la Direction des fusionnements a conclu qu'il n'y avait pas de problème.
Ma question comporte deux volets, monsieur le président, l'un portant sur la situation en Saskatchewan et les nouveaux achats. Va-t-on étudier ces nouveaux achats, et cela aura-t-il une incidence sur ce qui s'est produit en Saskatchewan?
Le deuxième volet de ma première question porte sur les prix abusifs. Le Yorkton Enterprise - qui, soit dit en passant, appartient à Hollinger - compromet la survie des hebdomadaires de la région rurale de Yorkton, en Saskatchewan. Que se passe-t-il à ce sujet?
Enfin, la dernière étude portant sur la concentration de la propriété dans le secteur des journaux remonte à 1981. Pensez-vous qu'il y a eu réduction du nombre de propriétaires de journaux? Ne pensez-vous pas que le temps est venu de mener une autre étude sur la concentration dans le secteur des médias?
M. Addy: Je crois que c'est au comité de prendre une décision au sujet de cette question. Pour ce qui est de la transaction...
M. Solomon: Nous aimerions connaître votre opinion.
M. Addy: Ce que je peux vous dire, c'est que je ne pense pas que la Loi sur la concurrence soit l'outil indiqué pour étudier des questions de nature socio-politique comme la concentration des éditoriaux. Nos examens des fusions portent sur... Je ne sais pas si vous savez que la société Hollinger a annoncé ce matin qu'elle avait acquis d'autres journaux.
Une voix: Je ne le savais pas.
M. Addy: Moi non plus, jusqu'à ce que je reçoive un appel d'un journaliste.
Une voix: Quels journaux ont été achetés?
M. Addy: Des journaux à Sarnia, en Ontario, et dans d'autres localités...
M. Bocking: Sept journaux.
M. Addy: Une rumeur à ce sujet circulait hier. Il semblerait que l'annonce ait été faite ce matin.
Pour revenir à votre question, je ne pense pas que la Loi sur la concurrence soit l'outil indiqué pour étudier cette question. C'est d'ailleurs ce qu'a aussi conclu la Commission Kent. Cela n'a pas beaucoup à voir avec la concurrence sur le marché. Il s'agit plutôt d'une question socio-politique. Lorsque nous étudions cette transaction, nous étudions le fait qu'Hollinger achète un journal et entre sur un marché où la société n'était pas jusque-là présente. La place de ce journal sur le marché n'a rien à voir avec la concurrence sur le marché.
Vous savez peut-être que nous avons déjà contesté l'acquisition de certains journaux. Nous avons contesté l'acquisition de journaux par Southam, Thomson et Irving. L'affaire mettant en cause Southam est maintenant devant la Cour suprême du Canada. Elle porte sur l'état de la concurrence sur le marché.
Permettez-moi de vous expliquer comment nous procédons à l'analyse des cas. Le cas le plus récent sur lequel nous nous sommes penchés est celui de Southam, qui était propriétaire de deux quotidiens dans la vallée inférieure du Fraser, en Colombie-Britannique,et dans la région de Vancouver et qui s'est ensuite porté acquéreur de tous les hebdos de cette région. Nous sommes intervenus parce que nous avons vu qu'une seule société contrôlait maintenant tout le secteur des annonces publicitaires dans les journaux. Cette concentration des journaux dans les mains d'une seule société allait réduire de beaucoup le marché publicitaire pour les commerces et les entreprises de la région. Voilà comment nous avons abordé la question.
Le vice-président (M. Valeri): Monsieur Lastewka.
M. Lastewka (St. Catharines): Au cours des derniers mois, nous avons longuement discuté de la question de l'entrée des banques sur le marché de l'assurance et de la location de voitures. Quand on étudie de près les choses, on peut être amené à conclure comme les banques que les concessionnaires de voitures et les constructeurs ont exclues du marché tous ceux qui auraient voulu s'adonner à la location de voitures, créant ainsi un monopole sur le marché. Qu'en pensez-vous?
M. Addy: Prenons de nouveau un peu de recul. Plus il y a d'intervenants sur le marché de la location de voitures, mieux cela vaut évidemment pour les consommateurs.
Ce qui nous préoccupe, c'est s'il y a accord entre tous ceux qui louent des voitures pour fixer les prix ou si un groupe domine le marché et peut ainsi conclure des accords d'exclusivité. Voilà comment nous envisageons le problème.
Il ne s'agit pas pour nous de savoir si les banques devraient pouvoir se lancer sur ce marché ou s'il doit être réservé aux fabricants de voitures. Il s'agit plutôt de savoir quelles sont les conséquences pour le marché de tel ou tel scénario. Du strict point de vue de la politique de la concurrence, plus il y a d'intervenants sur un marché, mieux cela vaut,pourvu que cela ne donne pas lieu à des abus.
M. Lastewka: Vous nous avez dit plus tôt que vous alliez nous montrer des diapositives sur le prix de l'essence. N'allez-vous pas le faire?
M. Addy: Je peux le faire si vous le souhaitez, monsieur le président. Il s'agit de tableaux comparant les prix de vente au détail de l'essence pratiqués dans l'ensemble du Canada, au Canada et aux États-Unis, et au Canada et dans d'autres pays. C'est un instantané de la situation à la fin de mars. Ces prix ne refléteront pas les hausses des dernières semaines.
Le vice-président (M. Valeri): Pouvons-nous avoir ce document?
M. Addy: Oui.
Le vice-président (M. Valeri): Je vous remercie.
Il nous reste quelques minutes. J'accorde maintenant la parole à M. Bonin.
M. Bonin (Nickel Belt): Monsieur Addy, je tire mes questions d'observations que vous avez faites devant le Comité permanent des ressources naturelles le 5 juin 1995. Voici ce que vous avez alors dit:
- Je suis convaincu que la loi actuelle est adéquate, mais l'efficacité d'une loi dépend des preuves
qu'on peut rassembler lorsque quelqu'un y contrevient vraiment.
- Je fais allusion aux preuves que peuvent posséder des informateurs et des témoins quant à la
façon dont les fournisseurs s'y prennent pour exercer une influence illégale sur les prix au
détail: communications, menaces et autres méthodes.
- Au cours des mois qui viennent, nous allons prendre des initiatives en vue d'améliorer
l'efficacité de la loi.
J'ai présenté un projet de loi d'initiative parlementaire proposant une protection pour les dénonciateurs. Est-ce l'outil qui vous manque pour recueillir ces preuves? Je ne vois pas comment vous pouvez recueillir les preuves voulues si quelqu'un craint de perdre son emploi en vous communiquant volontairement de l'information ou en répondant à vos questions.
M. Addy: Permettez-moi de répondre à votre question. D'après ce que nous avons pu constater, la protection offerte aux dénonciateurs aux États-Unis n'a pas donné de très bons résultats.
Voilà pourquoi nous avons essayé de nous y prendre d'une autre façon en prévoyant une ligne 1-800 et en renforçant également les dispositions sur la confidentialité des renseignements qui figurent dans la loi. Dans les amendements que nous proposons à la loi, nous visons également les ordonnances d'interdiction. Par ces ordonnances, nous voulons permettre aux tribunaux d'ordonner à une société de mettre sur pied un programme de conformité à la loi.
Nous avons publié une ébauche de ces programmes et avons demandé au public son avis sur ceux-ci. Nous pensons qu'un bon programme de conformité à la loi doit permettre aux gens de faire état de ce qu'ils considèrent être des dérogations au programme.
Voilà donc comment nous essayons de nous y prendre. Je suis assez optimiste quant aux résultats que nous pouvons obtenir. Qu'une loi protégeant les dénonciateurs existe ou non, ce qui compte, en bout de ligne, comme vous le faites remarquer, c'est de disposer de preuves solides. Et même si l'on n'a pas ces preuves, quelqu'un doit comparaître à la barre.
On peut prévoir toutes les mesures de protection qu'on veut, mais on a constaté que l'industrie manifeste toujours une certaine réticence à donner l'information voulue. Le témoin doit être prêt à comparaître, quelles que soient les assurances qu'on peut lui donner, et nous avons à l'occasion songé à avoir recours à un programme de protection des témoins. Il faut pouvoir compter sur la collaboration des témoins.
M. Bonin: Rien ne va inciter un témoin à comparaître s'il craint les représailles de son employeur. Le projet de loi prévoit des peines d'emprisonnement et des amendes à l'égard des employeurs qui prendraient des mesures de représailles à l'encontre d'employés qui dénonceraient des infractions à la loi.
Pourquoi ne pas aussi prévoir des mesures de protection pour les employés qui refuseraient d'avoir quelque chose à voir avec la fixation des prix et qui accepteraient de fournir de l'information volontairement? S'il n'y a pas collusion ni fixation des prix, il n'y a pas de problème.
M. Addy: Nous faisons face au problème tous les jours, monsieur, et je le comprends.
Tous les jours, des gens nous fournissent de l'information confidentielle en nous demandant de veiller à ce que personne ne sache qu'ils nous l'ont donnée. Évidemment, si une seule personne peut avoir accès à cette information, il faudra bien qu'un jour elle soit prête à comparaître en public.
Plus souvent qu'autrement, grâce à cette information, nous pouvons nous y prendre par d'autres moyens pour amasser suffisamment de preuves pour nous permettre de procéder à une enquête officielle. Nos employés vont faire des fouilles sur les lieux et trouvent, par exemple, la note du restaurant ou l'agenda où une personne a pris note du rendez-vous qu'elle avait avec un concurrent pour discuter des prix. Voilà le type de renseignements que nous cherchons... de cette façon, nous n'avons pas à demander au dénonciateur de comparaître devant le tribunal.
M. Bonin: Mais cette personne doit être en mesure de vous fournir une photocopie de la note de restaurant sans craindre des représailles de la part de son employeur.
M. Addy: Comme vous le savez, cela soulève tout un autre ensemble de questions. Le fait de retirer des documents dans les dossiers d'une société soulève toutes sortes d'autres questions.
M. Bonin: Oui, nous devons respecter toutes les autres lois mais les lois sur la dénonciation permettent qu'un employé refuse de participer, parce que cela est fait à l'insu ou non des employés.
M. Addy: Je comprends le problème. Je reviens à mon premier argument. On a pu constater que cela n'avait pas été un succès renversant aux États-Unis.
M. Bonin: Les provinces ont leurs propres lois; pourquoi pas nous?
M. Addy: Je ne connais pas bien les lois provinciales. Je sais qu'on en a parlé; mais je ne sais pas ce qui a été effectivement voté.
Le vice-président (M. Valeri): Merci, monsieur Bonin.
Le premier tour de dix minutes est terminé. Nous passons à des tours de cinq minutes.
Monsieur Leblanc, c'est à vous.
[Français]
M. Leblanc: Attendez-vous toujours de recevoir une plainte avant d'agir?
M. Addy: Non.
M. Leblanc: Vous pouvez agir de vous-mêmes?
M. Addy: C'est cela.
.1635
M. Leblanc: On a parlé un peu plus tôt des journaux. Au Québec, nous avons deux grandes sociétés, Power Corporation et Conrad Black, qui contrôlent une grande partie des journaux et certains postes de télévision également.
Je ne sais pas s'il existe des possibilités de collusion en ce qui a trait aux prix de la publicité - peut-être que non - , mais je pense qu'au Québec on commence à avoir des problèmes pour ce qui est du contrôle de la nouvelle, et c'est passablement inquiétant. Je me demande si vous regardez aussi cet aspect-là, parce qu'on sait très bien que lorsqu'on veut contrôler la nouvelle ou les informations, on peut manipuler un petit peu la nouvelle. Dans ce sens-là, cela devient un peu inquiétant au Québec.
M. Addy: C'est ce que j'essayais de cibler un peu plus tôt, mais je n'ai peut-être pas été assez précis. Le contenu des éditoriaux et des nouvelles est quelque chose qui ne se traite pas au niveau de la concurrence, mais plutôt au niveau des politiques sociales.
D'ailleurs, la Commission Kent a reconnu que cela devait être fait par le biais d'une loi spéciale. Le Royaume-Uni a adopté une loi spéciale qui traite de l'acquisition des intérêts dans les journaux, etc. Quant à moi, en vertu de la loi, ma responsabilité a trait aux éléments concernant la concurrence. Je ne suis pas autorisé à aller au-delà de ces paramètres.
M. Leblanc: C'est le commerce seulement, la concurrence monétaire.
M. Addy: C'est cela.
M. Leblanc: Dans le fond, vous me dites qu'il n'y a pas de loi qui nous protège contre le monopole de la nouvelle ou de l'information au Canada.
M. Addy: Non. À deux reprises, nous avons contesté l'acquisition de journaux, dans les cas d'Irving et de Thomson, je crois. Nous avons soulevé cette question-là, mais avons été déboutés par la cour. C'était dans le contexte d'une loi un peu plus générale. Le seuil était l'intérêt public. Maintenant, le seuil est la diminution de la concurrence. Je reconnais que c'était le fardeau criminel, mais même avec ce seuil, la cour a dit que cela n'avait rien à voir avec nos efforts.
[Traduction]
M. Bocking: Il y a un autre organisme qui ne dépend pas de nous. Le CRTC, quand il se penche sur des cas de propriété multimédia, radio et télévision, tient compte d'un facteur dans l'octroi des licences, à savoir la propriété dans le secteur de la presse écrite. Je ne sais pas quel poids il accorde à ce facteur, mais je crois qu'il le fait intervenir.
[Français]
M. Leblanc: C'est cela. On dit que nos éditorialistes, nos journalistes sont indépendants des propriétaire de journaux, mais on sait très bien qu'ils sont souvent menacés de perdre leur emploi et qu'ils savent très bien qu'ils le perdront s'ils font une déposition qui va à l'encontre du propriétaire du journal ou du poste de télévision en question.
Je sais que ce n'est pas facile à juger et à trancher, mais s'il n'y a pas de monopole et qu'il y a une bonne compétition entre les journaux et les postes de télévision, généralement il n'y aura pas de problème. Mais il commence à y avoir passablement de concentration, en tout cas au Québec.
M. Addy: Monsieur Leblanc, je suis certain que si Hollinger était ici aujourd'hui, on vous dirait que vous n'avez pas à vous inquiéter parce qu'il y a d'autres sources de contenu éditorial et que vous pouvez toujours aller aux hebdos ou ailleurs. Ce serait leur réplique.
M. Leblanc: On sait très bien ce qui se passe aujourd'hui en ce qui a trait à la radio particulièrement. Ils n'ont plus tellement les moyens de garder des journalistes. Donc, les éditorialistes rapportent.
Si les éditorialistes de tous les postes de radio au Québec et des quatre ou cinq principaux journaux de la province rapportaient, on sait quel genre d'influence cela pourrait avoir. Le contrôle de l'information par les éditorialistes au Québec est inquiétant.
M. Addy: Un autre élément entre en ligne de compte. Je crois comprendre qu'en vertu des règlements sur la fiscalité, pour qu'un journal puisse avoir droit à la déduction pour ses dépenses de publicité, il doit appartenir à un Canadien à 75 p. 100.
[Traduction]
Le vice-président (M. Valeri): Monsieur Schmidt.
M. Schmidt: Je voudrais revenir brièvement sur les ventes liées. Je comprends très bien le deuxième niveau, les conséquences pour la concurrence, qui risque d'être réduite. À mon avis il y a un autre principe qui intervient au-delà de la concurrence qui existe par exemple entre les institutions financières. Il ne faut pas oublier, pour reprendre l'exemple que je donnais tout à l'heure, que le consommateur perd en fait sa liberté de choisir. Autrement dit, ce consommateur ne peut absolument pas compter sur une forme quelconque de concurrence.
On peut très bien dans un premier temps faire valoir que si une institution s'adonne à ces pratiques dans le cas de deux ou trois personnes, c'est insignifiant, car la concurrence n'a pas été touchée. Toutefois, ce pourrait être assez substantiel pour ces trois personnes - ou encore une société - qui auraient un régime de retraite collectif. Certes, le marché dans son ensemble n'a pas été modifié, et la concurrence demeure, mais, par ailleurs, la liberté de prendre des décisions a disparu.
Comment cela?
M. Addy: Je vais vous répondre en deux temps. Il y a d'abord l'intention de la loi, qui vise à protéger la dynamique de la concurrence sur le marché, et non pas nécessairement à protéger tel ou tel concurrent. C'est la dynamique de la concurrence que l'on veut protéger.
Il faut également voir si dans ce cas-là le consommateur se trouve dans l'impossibilité d'acheter des fonds mutuels auprès d'un autre établissement. Il faut aussi se demander si les fonds mutuels constituent un marché distinct ou si l'on peut leur substituer d'autres instruments. Voilà le genre d'analyse que nous ferions. Dans l'exemple que vous avez donné, il se peut que le consommateur, celui qui décide, n'ait pas cherché ailleurs d'autres solutions. Je suppose, même si je ne pense pas que vous l'ayez dit... Existe-t-il seulement deux banques dans le monde et un seul fonds mutuel?
M. Schmidt: Non. Il y a peut-être des détails qui ont été oubliés. J'ai essayé de donner l'exemple suivant: d'une part, une institution financière qui prête et, d'autre part, une autre institution financière qui offre des REER. Cette dernière peut être un fonds mutuel ou une autre banque. Dans un cas comme dans l'autre ce pourrait être une banque. Je ne restreins pas mon exemple aux banques,mais je songeais à quelqu'un qui demanderait un prêt à une institution financière pour cotiser à son régime enregistré d'épargne-retraite qui se trouve ailleurs. Il se pourrait qu'on lui dise «Si vous voulez que nous vous prêtions de l'argent, vous devez transférer votre régime chez nous.» À partir de ce moment-là il n'y a plus de choix possible. Il faut soit s'adresser à la même banque et y transférer le REER... Quel que soit l'angle sous lequel on envisage les choses, le consommateur n'a pas le choix. L'octroi du prêt est assorti d'une condition, à savoir le transfert du REER.
M. Addy: Je suppose que c'est le deuxième critère qui s'applique. Il faut d'abord déterminer s'il n'y a qu'un seul endroit où le consommateur peut obtenir un prêt.
M. Schmidt: Je vous le concède, c'est une très bonne hypothèse, que je retiens.
Laissons ce sujet de côté, et nous le reprendrons lors d'une autre séance.
Je voudrais passer à autre chose. Dans l'industrie des télécommunications, il y a convergence. Pour limiter l'accès à un secteur en particulier, les licences de services téléphoniques personnalisés et de services mobiles terrestres sont accordées à des particuliers ou à des sociétés par un autre organisme - qui n'a rien à voir avec vous. Certes il existe des concurrents dans le secteur, mais le nombre des licences est restreint. Ce n'est toutefois pas par manque d'espace.
Prenons par exemple les services téléphoniques personnalisés pour lesquels trois bandes de16 MHz et trois de 8 MHz étaient disponibles. Pourtant, dans chaque cas, une est demeurée inutilisée. La concurrence est immédiatement restreinte du fait qu'il y a deux participants plutôt que trois, ce que je n'arrive pas à m'expliquer. Quelle qu'en soit la raison, c'est ainsi que les choses se sont passées, et j'estime que c'est restreindre la concurrence à un niveau. Cela peut sembler assez théorique, mais c'est tout à fait réel pour celui à qui on a refusé une licence.
M. Addy: Je comprends très bien cette question. Je l'ai déjà dit, les questions de télécommunications sont notre pain quotidien.
Demandons-nous d'abord quelle est la configuration de la concurrence sur ce marché. Selon moi, les détenteurs de licences de services téléphoniques personnalisés sont en concurrence avec les compagnies de téléphone locales, Bell par exemple. Il se peut qu'ils soient en concurrence aussi avec les fournisseurs de services téléphoniques Internet, qu'on commence à offrir.
Sur le plan de la concurrence, même si actuellement il n'y a que deux licences, l'incidence peut ne pas être négative à cause du fait qu'il ne s'agit pas d'une technologie unique, et c'est l'aspect emballant des conversions. En effet, désormais, dans la transmission d'un même signal, il existe des technologies qui se font concurrence, et non plus uniquement des entités.
Le vice-président (M. Valeri): Merci, monsieur Schmidt.
M. Schmidt: Cela fait déjà cinq minutes?
Le vice-président (M. Valeri): Oui, malheureusement.
Monsieur Shepherd, vous avez la parole.
M. Shepherd (Durham): J'ai raté la première partie; vous m'excuserez donc si je répète certaines choses qui ont été dites. Comment calculez-vous et imposez-vous les amendes? Je ne vois pas de barème des amendes. Comment vous y prenez-vous?
M. Addy: C'est un gros travail. Au Canada, il n'existe pas de lignes directrices sur l'imposition de la peine alors qu'aux États-Unis la loi prévoit une formule.
Au bureau, nous avons élaboré des principes internes dont nous nous servons pour imposer des amendes, mais, ultimement, ce sont les tribunaux qui ont le dernier mot. Nous faisons intervenir toute une gamme d'éléments dont M. Mercer pourrait vous parler beaucoup plus éloquemment que moi. Nous nous demandons depuis combien de temps il y a infraction, dans quelle mesure le commerce a été touché par l'infraction, et nous essayons de déterminer un chiffre approximatif.
Je ne vous cacherai pas que quand je suis entré en fonction, une de mes priorités a été de relever le niveau des amendes, car j'estimais qu'elles n'étaient pas assez sévères pour dissuader les contrevenants. Nous nous en occupons.
M. Mercer va vous en dire davantage sur les principes que nous appliquons.
M. Don Mercer (sous-directeur intérimaire des enquêtes et recherches, Direction des affaires criminelles, Bureau de la concurrence): Il faut savoir tout d'abord que les amendes au Canada sont fondées sur la jurisprudence, mais nous essayons de dire aux tribunaux qu'il est important que les amendes imposées aient un effet de dissuasion. Le complot - c'est-à-dire ce que les gens connaissent généralement comme la fixation des prix - est une infraction criminelle très grave. Depuis deux ans, nous avons des principes en matière de peine et nous essayons de les faire intervenir dans les affaires qui sont entendues par les tribunaux.
Dans le cas dont on a parlé tout à l'heure, Canada Pipe, un cas très récent, puisque c'était le27 septembre 1995, on a obtenu une amende de 2,5 millions de dollars, l'amende la plus importante jamais imposée aux termes des dispositions sur le complot. Comme ils avaient plaidé coupable, il n'y a pas eu de procès contesté. Mais pour parvenir à ce résultat, un résultat auquel nous tenons beaucoup, il nous a fallu la coopération des parties. C'est donc un facteur.
M. Shepherd: Considérez-vous cela comme une négociation de plaidoyer?
M. Mercer: Pas exactement, mais cela comporte certains éléments de coopération. Si quelqu'un de la même compagnie vient nous dire que d'autres personnes commettent un délit, c'est une marque de coopération, et cela nous évite de consacrer des fonds publics considérables à une enquête.
M. Shepherd: J'ai sous les yeux un rapport où l'on voit que depuis 1994 le total des amendes s'élève à 2 724 150$, dont 1 778 900$ n'ont toujours pas été réglés. Il semble donc y avoir des arriérés considérables. Autrement dit, vous avez beaucoup de mal à percevoir ces amendes. Est-ce que c'est vrai?
M. Addy: Je vais répondre à cette question. Il faut se souvenir que les poursuites sont entreprises par le procureur général, si bien que le bureau n'est pas responsable de la perception. C'est la tâche du procureur général. Je ne sais pas comment il procède.
Cette année-là, les amendes se sont élevées à deux millions de dollars, et l'année suivante, à 3,6 millions de dollars, et l'année se terminant en mars dernier, à 5,6 millions de dollars, une nette augmentation, ce dont je suis très fier.
M. Shepherd: Mais quelle proportion de ces sommes a été perçue?
M. Addy: Je n'ai pas ces données sous les yeux.
M. Mercer: Pratiquement la totalité a été perçue.
Les tribunaux ont une autre possibilité, et cela s'est fait à deux ou trois reprises récemment: ils ordonnent que le paiement soit échelonné sur une certaine période. Dans un de ces cas, la moitié de l'amende, environ un million de dollars, a été payée au cours d'une année financière, et l'autre moitié a été versée tout récemment. Cela pose donc un problème sur le plan de la comptabilité.
M. Addy: On a vu des cas également où les contrevenants étaient tenus de se présenter devant le tribunal avec un chèque de deux millions de dollars, ou d'une somme quelconque.
M. Shepherd: Cela dépend de la façon dont on voit la situation. Dans le cas d'une négociation de plaidoyer, j'imagine que si les contrevenants acceptent un certain type de règlement, les amendes sont réduites dans une certaine mesure, mais, sur ces entrefaites, ils ne paient pas. Il semble que vous n'ayez pas tellement de pouvoir.
M. Addy: Eh bien, non. Don me fait observer que j'ai oublié de mentionner notre taux de perception. Le taux de paiement s'est beaucoup amélioré au cours des deux ou trois dernières années parce que nous insistons pour que les contrevenants se présentent devant le tribunal avec un chèque.
M. Shepherd: Peut-être pourriez-vous nous faire parvenir les statistiques relatives à vos arriérés.
M. Addy: Certainement.
M. Mercer: Je disais seulement que dans le cas de Canada Pipe l'amende devait être versée dans un délai de 15 jours. Elle a été versée un jour ou deux après la comparution devant le tribunal.
Le vice-président (M. Valeri): Merci, monsieur Shepherd.
Il me reste deux noms sur ma liste: Mme Bonnie Brown et M. Leblanc.
Madame Brown, je vous en prie.
Mme Brown (Oakville - Milton): Monsieur Addy, au début vous nous avez donné la définition de «concurrence», et cet après-midi on vous a posé des questions au sujet de plusieurs cas particuliers. Vous avez répété à plusieurs reprises: «Nous n'avons pas trouvé de preuves qu'il y ait eu infraction à la Loi sur la concurrence.»
Cette Loi sur la concurrence, qui a été modifiée en 1986, vous donne-t-elle les pouvoirs dont vous avez besoin pour vous assurer que tous les intéressés au Canada se conforment bien à votre définition de «concurrence», cette situation idéale dont vous avez parlé au début? Ou bien, est-ce qu'au contraire, en modifiant la loi, nous nous serions contentés d'une situation plus imparfaite en ce qui concerne la concurrence? Est-ce que vous, l'administrateur de cette loi, voudriez voir cette loi modifiée pour pouvoir agir plus efficacement et rendre notre marché vraiment concurrentiel?
M. Addy: Je vais commencer par la première question. À mon avis, le modèle imposé par la loi est un bon modèle. Cette loi est structurée autour d'un bureau qui sert de poste frontière, au lieu de contrôler et de réglementer quotidiennement les prix et les services, les entités, les compagnies, etc. Le principe d'un poste frontière est à mon avis bien choisi.
Quant à la nécessité d'apporter des amendements, c'est une question que le ministre nous a posée et à laquelle nous avons réfléchi. Nous avons commencé cet exercice l'été dernier, et je pense que certains éléments de la loi pourraient effectivement être mis à jour.
La possibilité de coopérer avec des organismes étrangers est un élément qui m'intéresse particulièrement et qui est actuellement à l'étude. Au fur et à mesure que les marchés se mondialisent, les comportements anti-concurrentiels se mondialisent également. Je dois respecter les limites de mon domaine de compétence, mais ce n'est pas le cas des conseils d'administration. Les parties qui souhaitent se livrer à des pratiques anti-concurrentielles peuvent le faire librement. Elles profitent du manque de coordination, de coopération, etc., entre les divers organismes chargés d'appliquer les lois.
Le télémarketing en est un exemple classique. On s'installe dans un territoire, et on fait les transactions par téléphone avec un autre territoire, sachant parfaitement que de cette façon-là on ne sera pas pris.
Nous disposons déjà de certains outils. Nous avons un traité mutuel d'aide juridique qui existe depuis 1990 et qui porte sur les affaires criminelles. C'est un des éléments de notre législation.
J'aimerais que cette même possibilité existe dans les éléments civils de la loi, ce qui nous permettrait de faire face à des cas de dominance abusive, de fusion, et à toutes ces pratiques civiles, et de discuter librement et de coopérer avec des organismes étrangers.
Du côté criminel, la coopération a donné des résultats extraordinaires. Nous en avons trois exemples parfaits.
Il y a eu une affaire de papier à télécopie, une affaire qui n'est pas terminée, mais certaines parties ont déjà annoncé comment elles avaient l'intention de plaider. Au départ, un plaignant de Toronto est venu nous dire: «Je n'arrive pas à trouver du papier thermo pour télécopies à un prix décent, et j'ai l'impression qu'il y a collusion au niveau des prix.»
Grâce à ce traité, nous avons pu aller voir les Américains et leur dire: «Il y a quelque chose qui se passe chez vous; s'il vous plaît faites une enquête.» Ils ont réuni les éléments de preuve nécessaires dans le cadre de leur processus officiel, et ils se sont rendu compte que leur propre marché était visé. Ayant coopéré à l'enquête et aux poursuites, ils ont déjà obtenu des amendes de six millions de dollars aux États-Unis.
De notre côté, je crois que nous avons eu environ deux millions de dollars.
M. Mercer: Environ deux millions de dollars.
M. Addy: L'affaire n'est pas terminée. Cela a été une excellente affaire, un exemple de coopération.
Nous avons eu l'affaire de Canada Pipe en septembre dernier. C'est une compagnie québécoise. I don't remember where in Quebec. Deux compagnies américaines menaçaient de couper les approvisionnements de ce type au Québec. Elles lui disaient: vous pouvez garder le marché canadien. Nous ne vous fournirons plus de matériel. Quelques coups de coude et quelques clins d'oeil plus tard, c'est une conspiration; les approvisionnements sont coupés.
Les responsables se trouvent en dehors de notre champ de compétence. Grâce au processus multilatéral, nous avons recueilli les éléments de preuve, intenté des poursuites et obtenu des amendes. C'était magnifique. J'aimerais beaucoup pouvoir faire la même chose du côté civil.
Mme Brown: Vous m'avez donné deux exemples excellents de choses que les gens peuvent toucher du doigt quand ils les achètent.
Tout comme M. Schmidt, je m'inquiète beaucoup plus de cette accumulation de pouvoir à laquelle on assiste dans le secteur des communications. Je m'inquiète de la dominance d'une entité médiatique qui défend des idées, une idéologie ou une politique bien déterminées, mais il pourrait s'agir également de religion ou d'un autre ordre d'idées.
Avez-vous un bon exemple dans ce domaine? Le public sait que vous avez quelque200 employés équivalents temps plein. Quand survient une affaire comme celle de Conrad Black et de Hollinger, le public a l'impression que votre bureau est impuissant parce que rien ne se fait.
C'est très bien d'avoir fait cela, mais l'homme de la rue ne se soucie pas tant à télécopie; en revanche il craint la concentration du pouvoir, en particulier dans les médias.
M. Addy: Je comprends le problème, mais, en toute justice, le consommateur devrait avoir à coeur la question du papier thermo-sensible, parce qu'il l'achète pour ses machines. L'affaire Interac devrait le préoccuper, parce que tous nous utilisons les guichets bancaires.
Mais quand on en arrive à des questions comme le contenu des articles de fond et le contrôle sur l'opinion, si c'est bien là la question, il ne s'agit plus de concurrence. Ce n'est pas nous qui pouvons en juger. C'est là le dilemme devant lequel nous nous trouvons.
Mme Brown: À qui faut-il alors s'adresser pour en parler?
M. Addy: Je n'en sais rien.
Mme Brown: Qu'en est-il de ces achats et de ces fusions de journaux, de ces licenciements ou de ces fermetures? N'est-ce pas non plus de votre ressort?
M. Addy: La loi vise à l'efficacité. Il y a des circonstances dans lesquelles les gens sont congédiés; cela fait partie de la restructuration. Cette entreprise, du fait que ses coûts sont moins élevés, sera mieux en mesure de faire concurrence au Canada ou sur les marchés étrangers. C'est là l'élément que nous devons faire entrer dans notre équation.
Mme Brown: Je comprends. En ce cas, nous avons peut-être besoin d'un bureau de la coopération ou de la cohésion sociale, doté d'autant de pouvoir que le Bureau de la concurrence. En effet, si ce genre de comportement est approuvé, si telle est l'idéologie du jour, peut-être que tout cela n'est pas pour le bien du peuple canadien, même si cela fait baisser le prix du papier à télécopie.
Le vice-président (M. Valeri): Je vous remercie, madame Brown. Monsieur Leblanc.
[Français]
M. Leblanc: Pour qu'une entreprise canadienne puisse concurrencer avec une entreprise américaine, elle doit, dans certains cas, faire partie du monopole. Je suppose que vous avez comparé votre bureau avec les tribunaux de la concurrence de différents pays industrialisés. Votre bureau nuirait-il à la concurrence internationale, compte tenu de l'ouverture de nouveaux marchés dans les années à venir?
M. Addy: Je dis sans hésitation qu'au contraire, beaucoup d'agences extérieures considèrent notre loi comme un modèle. Il est très important de comprendre - d'ailleurs, j'avais une acétate là-dessus - que lorsque nous étudions une transaction, nous l'étudions dans le contexte d'un marché.
M. Leblanc: Mondial?
M. Addy: Cela dépend de l'industrie. Au point de vue de l'analyse, notre marché n'est pas un marché politique; c'est-à-dire qu'on n'est pas limités aux frontières du Canada, d'une province, d'une ville, etc. Nous étudions l'activité et ses effets sur le marché concurrentiel de ce secteur-là.
Il y a eu des fusionnements qui ont fait qu'il ne restait plus qu'une unité au Canada. Vous pourriez dire que c'est un monopole, mais ce n'en est pas un parce que le marché est mondial. Nous n'avons aucune difficulté avec cela. La loi permet la fusion si l'entité peut démontrer que le fusionnement permettrait des gains d'efficience plus importants que l'impact négatif qu'il pourrait avoir sur la concurrence.
M. Leblanc: Ce n'est pas ce que je veux dire. Il pourrait y avoir des fusions qui entraîneraient une espèce de monopole au Canada, mais qui permettraient cependant une meilleure concurrence avec les États-Unis dans le même secteur.
M. Addy: C'est cela.
M. Leblanc: Comment réagiriez-vous à ce moment-là?
M. Addy: Je dirais que ce n'est pas un monopole parce que le monopole implique que le marché était le Canada. Je dirais que le marché commercial n'était pas limité au Canada. Il était peut-être nord-américain.
M. Leblanc: Cela pourrait avoir un effet de monopole ici, à l'intérieur du Canada.
M. Addy: Non. Je prends l'exemple de la manufacture de pneus Michelin. On a fait l'étude du marché et on a découvert que le marché de la fabrication et de la fourniture de pneus était au moins nord-américain, et probablement mondial.
Comment avons-nous pu constater cela? Nous avons fait une étude de ce marché. Nous sommes allés voir comment cela fonctionnait. Des compagnies comme Canadian Tire, Sears, etc., font des appels d'offres à travers le monde pour la fabrication de pneus. Une année, ce pourrait être Yokohama, l'année suivante, ce pourrait être Michelin et l'année d'ensuite, ce pourrait être quelqu'un aux États-Unis.
La flexibilité de la loi canadienne a permis un fusionnement, puisqu'on reconnaît que ce marché dépassait les limites de la province ou du Canada; il était mondial.
M. Leblanc: Autrement dit, vous vous sentez à l'aise avec la loi pour concurrencer les autres au niveau international.
M. Addy: Oui. La loi est suffisamment souple et elle reconnaît cette concurrence.
[Traduction]
Le vice-président (M. Valeri): Je vous remercie, monsieur Leblanc.
Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter?
M. Bocking: Je vais attendre jusqu'à la fin, mais j'aurais aimé répondre à Mme Brown sur la question des journaux et faire quelques autres observations, si vous le permettez.
Le vice-président (M. Valeri): Certainement.
Monsieur Schmidt, vous avez la parole.
M. Schmidt: Vous avez là un travail passionnant: vous vous occupez des ressources naturelles, du prix de l'essence, des télécommunications, de la concurrence entre technologies, de la mondialisation et des monopoles, au Canada et dans le monde entier. Voilà des questions qui me paraissent passionnantes.
Mais j'aimerais savoir ce que vous pensez des restrictions visant l'appartenance étrangère des sociétés de télécommunication.
M. Addy: J'ai déclaré officiellement que du point de vue de la politique de concurrence aucune restriction à l'appartenance étrangère n'est compatible avec cette politique, avec le libre accès aux capitaux, avec le libre accès au capital intellectuel. Je m'empresse d'ajouter que je ne parle pas que du point de vue de la politique de concurrence et qu'il y a toutes sortes d'autres questions que le gouvernement - et vous, mesdames et messieurs - a à prendre en compte en formulant ces directives en matière de politiques.
M. Schmidt: Je ne pensais pas que vous diriez cela, mais je suis heureux de vous l'entendre dire, car c'est là un sujet de grande importance. Vous venez de dire clairement qu'il n'est plus question de monopole au Canada.
M. Addy: Chaque fois que j'ai témoigné devant le CRTC, j'ai recommandé de lever, dans toute la mesure du possible, les barrières à l'entrée, afin que nous ayons plus de concurrence sur le marché et que nous puissions alléger les règlements.
M. Schmidt: Monsieur le président, c'est exactement ce que je voulais entendre dire, et je vous remercie.
Le vice-président (M. Valeri): Merci, monsieur Schmidt.
Monsieur Bocking, vous vouliez tirer quelques conclusions?
M. Bocking: Oui, j'aimerais faire un dernier commentaire qui sera tout à fait de circonstance quand vous rentrerez ce soir et écouterez les nouvelles. Il y aura aussi certainement beaucoup de messages téléphoniques pour moi à mon retour.
Je suis un peu triste d'entendre dire que la loi est inefficace et n'est pas assez musclée quand il s'agit des journaux. On ferait bien de se demander si la Loi sur la concurrence est l'outil approprié pour traiter de pareilles questions.
Dans ma perspective, la loi actuelle sur la concurrence vise avant tout à rendre l'économie plus efficace, et la concurrence est l'outil pour parvenir à cette fin. C'est de cela qu'il s'agit dans notre loi: c'est un moyen de parvenir à une fin. À vouloir prendre des questions aussi cruciales que l'indépendance, la diversité et le contrôle des éditoriaux, et les faire entrer de force dans une analyse de concurrence préparée par un économiste ou un avocat, on se prépare des difficultés inextricables.
Lorsque George m'a demandé de venir aujourd'hui je pensais qu'il s'agissait des fusions, mais également de ces questions. Je suis alors retourné consulter le rapport de la Commission Kent. Nous nous sommes occupés de cette question dans les années quatre-vingt et, bien que je paraisse encore jeune, nous avons également eu des démêlés avec Irving, dans les années soixante-dix, à propos d'un monopole.
M. Kent a fait cette observation: «C'est toutefois l'opinion mûrement pesée de la commission que les lois sur la concurrence, si renforcées soient-elle» - et cela faisait partie des amendements de 1986 - ne sont pas le moyen approprié pour réglementer les monopoles dans le secteur des journaux.»
Et il a ajouté:
- Le fait, simple et inéluctable, c'est que les journaux ne ressemblent pas aux autres entreprises
commerciales. Il est impossible de quantifier, en dollars et en cents, l'intérêt pour le public
d'assister à une vigoureuse concurrence entre les journaux. Cela est lié au nombre et à la qualité
des voix indépendantes qui trouvent à s'exprimer, voix intrépides que ne font pas reculer des
préoccupations pécuniaires.
Le vice-président (M. Valeri): Je vous remercie, monsieur Addy, de même que vos collègues, d'avoir bien voulu comparaître devant nous. Merci de votre exposé, et de vous être mis à notre disposition au cas où le comité, par la suite, devrait encore faire appel à vous.
La séance est levée.