Passer au contenu
TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 19 septembre 1996

.0932

[Traduction]

Le président: Nous allons reprendre l'examen du projet de loi C-5, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi de l'impôt sur le revenu. J'aimerais souhaiter la bienvenue aujourd'hui aux représentants de la société Jean Fortin & Associés Syndics Inc.

Juste avant de commencer, il y a deux choses que je me promets de faire depuis longtemps. La première, c'est de présenter officiellement Margaret Smith, qui est l'attachée de recherche du comité sur cette question. Elle est spécialisée dans ce domaine et a aidé le comité à se préparer. Je tiens donc à la remercier d'être des nôtres et de nous prêter main forte.

Deuxièmement, j'aimerais présenter mes excuses aux témoins. Certains des membres réguliers du comité sont absents car ils ont dû assister à un colloque qui a lieu en ville sur une question dont s'occupe également le comité. Comme ils sont tous très intéressés par ce que vous avez à dire, nous ne manquerons de mettre vos mémoires à leur disposition.

Je tiens à signaler à mes collègues que ce matin les mémoires sont disponibles seulement en français et seront traduits par la suite. Ils sont donc à la disposition des membres du comité.

Maintenant nous pouvons commencer. Vous pouvez présenter les personnes qui vous accompagnent.

M. Pierre Fortin (Jean Fortin & Associés Syndics Inc.): Tout d'abord, nous sommes désolés du contretemps concernant la traduction du texte.

Le président: Ne vous en faites pas, ce n'est pas un problème.

M. P. Fortin: Je suis accompagné aujourd'hui de M. Réjean Boudreau, M. Claude Gingras et M. Jean Fortin. Chacun d'entre nous vous entretiendra d'un aspect en particulier.

Monsieur Boudreau.

[Français]

M. Réjean J. Boudreau (syndic, président, Le Groupe Boudreau, Richard Inc.): J'aimerais traiter du certificat d'évaluation qui doit être émis par un syndic en matière de faillite et des séances de consultation qui peuvent être faites par le syndic ou par d'autres personnes autorisées par le surintendant des faillites, tout cela au regard des dossiers de consommateur, comme on les appelle dans notre jargon, par opposition aux dossiers corporatifs.

Le but visé par les directives émises par le surintendant des faillites ainsi que les amendements proposés est d'arriver à une espèce d'uniformité dans le processus de la faillite.

.0935

Le mémoire que j'ai déposé a pour objet de délimiter la portée des modèles théoriques. Dans toute bonne société, il est normal que des professionnels d'un domaine quelconque aient un modèle théorique dont le but est de les aider et les guider dans l'exercice quotidien de leur profession.

Le certificat d'évaluation, quant à lui, sert à introduire le dossier. C'est la première étape. Le syndic, ou une personne responsable du bureau du syndic, doit rencontrer le consommateur - dans notre domaine, on l'appelle le débiteur - et évaluer si le débiteur est un failli potentiel ou s'il n'y aurait pas d'autres solutions possibles au regard de sa situation financière.

Le projet de loi et les directives du surintendant forcent le syndic à tenir cette première séance de consultation, laquelle a pour but d'émettre le certificat d'évaluation.

Nous croyons, et c'est notre position, que cette première étape d'évaluation du dossier et de la situation financière du consommateur est très importante. Il est tout à fait normal que quelqu'un ait à poser un jugement professionnel, à dire si, oui ou non, cette personne doit avoir recours à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

L'imposition du certificat d'évaluation tend à limiter ce geste à un syndic licencié. Je crois que, dans certains cas, c'est tout à fait normal que ce soit un syndic. On peut avoir des dossiers de consommateur dont la problématique financière est très compliquée et il faut alors plus de matière grise, plus de connaissances, plus d'expertise. Cependant, non pas dans la majorité des cas, mais dans un énorme pourcentage de dossiers de faillites de consommateurs, il est flagrant, à la face même de la présentation financière, que l'individu est carrément insolvable et ce, depuis déjà belle lurette.

Je crois qu'il est normal qu'on délimite le champ de nos activités. Toutefois, à l'intérieur du modèle théorique, nous voudrions qu'on nous laisse à nous, experts professionnels, la possibilité de faire la tâche nous-mêmes ou de la déléguer à quelqu'un d'autre de notre organisation, quelqu'un qui a les connaissances et l'expertises nécessaires pour appliquer le jugement professionnel qu'on nous demande d'inclure au certificat d'évaluation.

Nous sommes entièrement d'accord qu'il y ait imposition d'un modèle théorique. Cependant, nous demandons beaucoup plus de souplesse pour son application.

De toute façon, dans n'importe quel domaine, l'application doit être laissée au professionnel. On a toujours dit et reconnu qu'un professionnel devait se servir de

[Inaudible - Le rédacteur]. On appelle cela porter un jugement professionnel. Donc, si on veut vraiment nous laisser porter un jugement professionnel, il faut nous donner la latitude nécessaire pour décider si, oui ou non, on applique notre jugement, et dans quels cas.

Cette modification, je crois, va trop loin. Elle va à l'encontre des us et coutumes qui existent dans notre propre industrie de même que chez tous les professionnels.

Deuxièmement, j'aimerais traiter des séances de consultation. À cet égard, les modifications visent deux objets: qui doit donner cette séance de consultation et quel est le contenu de la consultation.

Expliquer de long en large toutes les causes possibles et imaginables d'une faillite, c'est un peu comme lorsqu'un médecin essaye d'expliquer de long en large toutes les possibilités de cure pour une maladie quelconque.

.0940

On laisse au médecin l'entière liberté de décider des mesures de détection qu'il devra employer et des recherches qu'il devra faire pour trouver la cure et, par la suite, vous l'indiquer. Il n'y a pas de rigidité dans l'application.

Dans notre cas, si on tient compte des deux séances de consultation, il est clair qu'à partir de la documentation, on doit donner au failli une kyrielle de raisons possibles pour lesquelles il a fait faillite. On ne nous laisse pas la possibilité de porter un jugement professionnel. C'est la première faiblesse de ces séances de consultation.

Deuxièmement, on demande au syndic de sortir carrément de son champ de compétence. On est des docteurs de dollars, peut-on dire, et on veut qu'on devienne des docteurs dans d'autres domaines.

Je vais vous donner deux exemples bien précis, bien pertinents. On rencontre des gens qui ont des problèmes de toxicomanie, d'alcool, de drogue, etc., mais je n'ai pas la formation et les connaissances nécessaires pour dire à la personne qui est devant moi que la cause de sa faillite est son problème de toxicomanie. De toute façon, il y aurait danger, en disant cela, d'entraver le travail du psychologue, du thérapeute, du psychiatre, du travailleur social, lesquels ont été formés par la société pour accomplir cette tâche-là.

Donc, il y a un danger bien réel d'outrepasser notre expertise.

Le deuxième volet des directives sur la consultation a trait à l'éducation.

On semble vouloir imposer au syndic de faire l'éducation du failli en lui apprenant à gérer ses finances, à ne plus faire faillite, etc. Il est très intéressant de viser un tel objectif, mais encore là, je vous rappelle que faire ou ne pas faire faillite, réussir ou ne pas réussir économiquement est le résultat de plusieurs comportements et d'un état d'âme. Nous ne sommes pas formés pour parler du cerveau. On ne nous l'a pas appris. On n'a pas le diplôme nécessaire.

Lorsqu'on veut apprendre à une personne à réussir économiquement, il faut s'allier d'autres professionnels qui, en même temps que nous, seront capables de modifier les comportements, les croyances, les us, etc., du failli qu'on a devant nous.

La directive et les modifications semblent aller beaucoup plus loin, et on ne nous demande même pas de nous associer aux autres experts de la société.

Nous croyons que cela est très dangereux. En plus de mettre le syndic dans une position de faiblesse face à d'autres professions, on ne peut atteindre l'objectif premier, soit d'éviter la répétition indue de la faillite, parce que le consommateur ne comprend pas la société, ne se comprend pas lui-même ou ne comprend pas comment cela fonctionne. Malheureusement, même avec tout mon bagage d'études, je ne peux dire que je peux aider un débiteur consommateur à régler ses problèmes de relations avec son épouse, ses enfants ou ses collègues de travail. Ce n'est pas mon domaine d'expertise.

La directive va donc beaucoup plus loin que mes capacités, mes connaissances et mon expertise. Il y a là un danger, je crois.

En terminant, il est important de se rappeler qu'on est d'accord qu'il y ait un modèle théorique, mais qu'on veut que ce modèle théorique soit doté de la plus grande souplesse d'application. C'est pour cela qu'on a été formés, qu'on passe des examens, qu'on nous donne un diplôme et qu'on a des responsabilités selon la loi.

Quant à la consultation, on croit sincèrement que l'objet visé dépasse largement nos connaissances et notre expertise.

.0945

Si on en arrive à la conclusion qu'il faut amoindrir le volet de la consultation, il faudra faire attention de ne pas tomber dans l'autre extrême et d'imposer une grande rigidité qui nous enlèvera toute souplesse intellectuelle dans l'application dudit modèle.

Je vous remercie beaucoup. Je vais céder la parole à M. Gingras.

M. Claude B. Gingras (syndic, président, Ginsberg Gingras & Associés Inc.): J'aimerais vous parler de la médiation qui est projetée dans les amendements à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

En examinant les situations où un médiateur est nécessaire dans un cas de faillite, nous avons constaté que, dans les cas où un créancier est en désaccord avec un syndic, c'est parfois pour une raison mineure, mais le plus souvent pour une raison majeure. Dans certains cas, le syndic ou le créancier doit s'adresser au tribunal. Toutefois, cette tâche revient souvent au syndic, à la demande du créancier.

Nous constatons aussi qu'il n'y a aucun achalandage superflu en Cour de faillite ou en Cour supérieure siégeant en matière de faillite dans la province de Québec ou dans les autres provinces. Les délais sont raisonnables.

Le syndic lui-même, avec son expérience et son expertise, peut régler hors cour la plupart des problèmes. La Loi sur la faillite et l'insolvabilité est une loi de personnes d'affaires, une loi qui se veut pratique. Ajouter des fonctionnaires fédéraux aux discussions entre personnes d'affaires ne fait qu'encombrer le système et le rendre encore plus coûteux et moins efficace.

Pour ce qui est des coûts, le gouvernement fédéral devra fournir des locaux et du personnel pour entendre les parties hors des séances de médiation. Cela engendrera des frais sans que la population en général n'en bénéficie. De plus, la Fonction publique devra former les fonctionnaires qui oeuvreront dans un système de médiation.

Nous constatons que le fonctionnaire fédéral tente de s'approprier un domaine qui a toujours été celui des tribunaux, qui ont toujours répondu adéquatement à la situation. C'est ce que j'avais à dire sur la médiation.

M. P. Fortin: Hier, vous avez entendu la présentation du Conseil canadien des professionnels de l'insolvabilité. Ce mémoire est, en général, très, très bien. Il y a peut-être un sujet qui n'a pas été abordé par le Conseil et j'aimerais vous en entretenir. Il s'agit des modifications qui sont prévues à l'article 105 du projet de loi, qui visent à corriger ou à ajouter une dette qui est non libérable.

l'article 178 de la loi énumère des dettes qui, malgré une faillite, demeurent non libérables et survivent à la faillite. C'est d'une importance considérable lorsqu'on considère qu'une personne ne pourra jamais se libérer de cette dette. Je parle des prêts aux étudiants. Le projet de loi prévoit que, si un étudiant fait faillite dans la période de deux ans avant la fin de ses études, cette dette-là ne sera pas libérable, à moins qu'il puisse prouver au tribunal que des circonstances particulières s'appliquent à son cas et qu'elles devraient l'être.

Je crois que le principe voulant que toute personne insolvable et honnête ait le droit de faire faillite et d'être libérée de ses dettes est depuis longtemps admis. Il s'ensuit donc que toutes les exceptions qui seront énumérées à l'article 178 devront être limitées au maximum.

Lorsqu'on examine les exceptions qui sont prévues, on s'aperçoit qu'il s'agit de pensions alimentaires, et il s'agit donc souvent de personnes plus démunies que les autres, d'amendes ou d'autres peines de nature pénale, ou de dettes où le débiteur aurait fait des représentations frauduleuses. Ce sont tous des cas assez particuliers, et étant donné les valeurs que la société véhicule, on peut bien imaginer que ces dettes-là ne soient pas libérables. Il s'agit d'une catégorie spécifique de dettes.

À la lecture de ce qu'on veut ajouter au niveau des prêts étudiants, on se rend compte que cela ne convient pas, parce que ces dettes ne sont pas de la même nature que les autres dettes énumérées.

D'ailleurs, en 1992, lors des modifications, le Parlement avait décidé de retrancher l'une de ces exceptions, qui avait trait aux nécessités de la vie. Toute dette nécessaire à la vie était une dette non libérable. On s'est aperçu que cela avantageait les grosses compagnies comme La Baie et l'Hydro-Québec, et on a décidé de retrancher cela et de se limiter à une catégorie bien spécifique.

.0950

De plus, en 1992, les dettes de la Couronne, qui auparavant étaient privilégiées, sont devenues ordinaires. Le gouvernement et le Parlement ont dit: «Pourquoi sommes-nous dans une catégorie privilégiée? Nous nous mettons au même niveau que tous les autres créanciers qui perdent de l'argent.» Maintenant, on propose d'ajouter les dettes d'étude qui sont garanties par l'État. L'année prochaine ou lors des prochaines modifications, dans sept ans, sera-t-il question de toute dette de nature fiscale ou due à des organismes étatiques? Où cela prendra-t-il fin?

Bien que l'objectif de diminuer le déficit soit louable, on ne devrait pas compromettre le principe fondamental, qui est le droit à la faillite et à la libération des dettes. Imposer un délai d'attente automatique de deux ans est injustifié, car d'autres circonstances peuvent justifier le recours à la protection de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. L'expérience nous porte à croire qu'une personne insolvable qui demeure dans le système, qui conserve ses cartes de crédit et ses marges de crédit, a souvent tendance à avoir les comportements d'une personne qui n'a rien à perdre. Elle est insolvable. Pourquoi ne devrait-elle pas se servir du reste de la marge de crédit de ses cartes? Pourquoi n'augmenterait-elle pas sa marge de crédit?

Il faut également tenir compte du contexte dans lequel vivent les débiteurs de dettes d'études. Il ne faut pas oublier que les jeunes - comme on le voit dans les reportages, les cartes de crédit et les marges de crédit sont omniprésentes - sont sollicités. Même avec des revenus extrêmement minimes, ils réussissent à obtenir des cartes de crédit autant qu'ils en veulent. Ces habitudes qui sont créées s'ajoutent souvent aux prêts étudiants. Ce n'est pas parce qu'une personne a un prêt étudiant qu'elle n'a que cette dette-là.

Également, le marché du travail pose un problème. On ne peut se dire actuellement, en sortant de l'université, qu'on a dépensé x milliers de dollars, qu'on a maintenant un diplôme et qu'on va nécessairement avoir un travail. Bien souvent, ces gens-là se retrouvent sur le marché au salaire minimum ou même sans emploi.

Quant à la possibilité prévue dans le projet de loi de permettre à un débiteur de se faire exempter de cette exception-là en présentant une requête à la Cour, il y a un transfert du fardeau de preuve. Dans toutes les autres exceptions de l'article 178, c'est le créancier qui a le fardeau de présenter des requêtes, alors que là, on impose au débiteur de faire cette requête-là.

Le débiteur étudiant, qui sort de l'école et qui est sans travail, fait face à de possibles saisies de salaire. Il peut être poursuivi de part et d'autre, il est harcelé et il peut faire faillite. La dette du prêt étudiant ne sera pas libérable, mais il a la possibilité de présenter une requête à la cour pour se faire libérer. Cela peut faire peur à beaucoup de jeunes, qui n'ont pas toujours les ressources financières pour présenter des arguments valables.

Il est illusoire de croire qu'avec ce projet de loi, les débiteurs vont pouvoir valablement faire valoir leurs droits, surtout lorsqu'ils se battront contre le ministère de la Justice, qui représente le ministère de l'Éducation. Il est illusoire de croire qu'on va pouvoir dire au jeune qui vient de faire faillite et qui est très souvent très démuni: «Il n'y a pas de problème, tu peux présenter une requête et te faire libérer de ta dette, mais il faut que tu retiennes les services d'un avocat.»

Selon le système actuel, le ministère de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur du Québec a la possibilité de faire des oppositions à la faillite, et il le fait. Le système actuel prévoit une sélection faite par le ministère. C'est-à-dire que ce dernier étudie chaque dossier à son mérite. Il a en main les renseignements qui lui permettent de dire: «Dans tel cas, je m'oppose, et dans tel autre cas, je ne m'oppose pas, parce que le recours à la Loi sur la faillite n'était pas abusif».

Si le ministère décide de poursuivre l'opposition, la cour est également saisie de ces dossiers-là et peut dire, car elle est très bien placée d'ailleurs pour évaluer chaque cas à son mérite: «Ce n'est pas un recours abusif à la loi; cet individu-là n'avait pas de choix.»

.0955

Donc, le système actuel prévoit un mécanisme pour éviter les abus et nous croyons qu'il fonctionne adéquatement. Ce qu'on propose maintenant, c'est un délai qui est appliqué de façon générale, sans distinction quant aux circonstances particulières.

En terminant, j'aimerais simplement que vous gardiez à l'esprit que le principe fondamental de la faillite est de permettre à quelqu'un de se libérer de ses dettes pour réintégrer le marché économique. Toute exception à ce principe-là doit être examinée à la loupe.

Le président: Pardonnez-moi, monsieur Fortin, mais les témoins parlent depuis presque une demi-heure et les députés ont toujours beaucoup de questions à poser.

[Traduction]

M. P. Fortin: Je termine dans une minute. J'arrive à ma conclusion.

Le gouvernement pourrait peut-être se montrer plus sélectif lorsqu'il décide de donner de l'argent aux étudiants et éviter de laisser les étudiants faire des études dans des domaines qui n'offrent aucun débouché. C'est une proposition. J'estime toutefois que nous ne devrions pas empiéter sur le droit d'un débiteur à déclarer faillite et à se libérer de ses dettes.

Ce sont nos commentaires. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

[Français]

Le président: Monsieur Lebel, voulez-vous commencer?

M. Lebel (Chambly): Je vous remercie de comparaître devant nous et je veux féliciter M. Fortin fils pour la compassion qu'il témoigne à l'endroit des étudiants. Il est le premier à le faire depuis le début des audiences. Cela témoigne d'un professionnalisme presque enviable, parce que très peu des professionnels de la faillite sont venus ici nous faire la mise en garde que vous avez faite en ce qui a trait à la libération des étudiants. Donc, je vous en félicite. Continuez comme cela et vous irez loin, monsieur Fortin, dans ce domaine-là. Je suis fier de constater qu'il y a au moins un professionnel de la faillite qui le constate.

J'aurais une question bête à vous poser. Elle s'adresse peut-être plus à M. Gingras qu'à M. Fortin. Selon vous, les situations de faillite sont-elles traitées équitablement et également partout au Canada? Le traitement de la faillite est-il uniforme à travers le Canada?

M. Gingras: Il s'agit d'une loi fédérale, et on voudrait que le traitement soit équitable et appliqué de façon standard dans toutes les régions du Canada. Mais ce ne l'est pas à cause du refus du Bureau du surintendant des faillites de permettre aux syndics de se former en corporation professionnelle. On est donc à la merci de chaque séquestre officiel dans chaque région. Par exemple, au Québec, la loi n'est pas appliquée de la même façon dans toutes les régions. Les documents ainsi que ce qu'on doit faire en tant que syndics sont différents d'une région à l'autre. Dans certaines régions, il y a des différences mineures et dans d'autres, des différences majeures. Chaque directeur régional développe ses coutumes et ses habitudes et les impose au système et à l'application de la loi. Êtes-vous d'accord?

Une voix: Oui.

M. Boudreau: J'aimerais ajouter quelque chose. Il y a deux choses qui font qu'il est très difficile d'appliquer uniformément la loi à travers le Canada. La première a trait au surintendant lui-même, qui est le personnage responsable de l'application de la loi dans un grand pays qui compte beaucoup de bureaux. Comme M. Gingras le soulignait, il existe des disparités d'application face aux syndics, mais aussi face au public. La deuxième chose cause aussi des problèmes d'ordre constitutionnel, parce que la Loi sur la faillite et l'insolvabilité est muette là-dessus, et on retombe alors dans le droit provincial. Chaque province étant quelque peu différente, il y a des difficultés d'application uniforme.

.1000

Mais je pense que le problème fondamental vient du surintendant, lorsqu'il décide d'émettre une directive au syndic et au séquestre officiel, lequel est un personnage qui suit de près l'activité du syndic. Même au niveau du séquestre officiel, cette directive-là n'est pas appliquée à l'ensemble du pays. Cela entraîne des disparités, parfois mineures, mais aussi parfois majeures, comme le disait M. Gingras. Nos deux associations - on en a une au niveau provincial et une autre au niveau fédéral - n'arrivent pas à obtenir du surintendant une application uniforme. Donc, les bureaux régionaux jouissent d'une certaine latitude.

Au Québec, l'application de la Loi sur la faillite soulève certains problèmes qu'on ne trouve pas ailleurs.

M. Lebel: Par exemple, j'ai ouï dire que dans certaines provinces - je ne sais pas si c'est vrai et vous m'éclairerez là-dessus - , un syndic qui a un actif immobilier et le remet à un créancier hypothécaire aurait le droit de percevoir 5 p. 100 de la valeur de l'immeuble. C'est une directive imposée, semble-t-il, par le surintendant. Est-ce vrai?

M. Boudreau: Vous faites allusion à ce qui est prévu dans la loi et qui s'appelle un prélèvement de 5 p. 100, qui sert à défrayer l'ensemble des frais du surintendant. On appelle cela payer un dividende à un créancier. Les institutions financières canadiennes, qui sont bien entourées par des professionnels, ne veulent pas s'engager à verser ce 5 p. 100 et utilisent une voie détournée qu'on appelle un rachat de garantie.

La position du surintendant est mitigée. En tout cas, dans la région de Montréal, qui est très forte, on a commencé il y a environ un an à dire aux syndics: «Vous auriez dû récupérer 5 p. 100 de l'argent que vous avez remis au banquier, qui a une sûreté en bonne et due forme, et l'envoyer au surintendant.»

Cela nous cause deux problèmes majeurs. Le premier est que cette directive-là est appliquée au Québec, mais pas ailleurs. Deuxièmement, elle survient après coup.

M. Lebel: Donc, c'est vrai, ce que je vous ai raconté.

M. Boudreau: Oui.

M. Lebel: Ce n'est pas appliqué...

M. Boudreau: C'est surtout Montréal qui est visé.

M. Lebel: C'était ce à quoi M. Gingras faisait allusion quand il disait qu'il y avait des distinctions mineures, mais aussi des distinctions majeures. C'en serait une.

M. Gingras: C'en est une. Il y a des distinctions mineures entre les provinces. Par exemple, au Québec, les biens mobiliers sont exempts jusqu'à concurrence de 6 000 $ alors qu'en Ontario, c'est 2 000 $. Il y a donc là une disparité.

M. Lebel: Je ne vous ai pas entendu parce que le président m'a interrompu. Pouvez-vous répéter, monsieur Gingras?

M. Gingras: Les différences mineures ont plutôt trait aux biens mobiliers saisissables dans les provinces. Par exemple, au Québec, l'exemption est de 6 000 $ alors qu'elle est de 2 000 $ en Ontario.

Si une personne qui veut faire faillite et possède des meubles demeure à Ottawa, elle devrait peut-être déménager à Hull pour deux mois, faire faillite là et ensuite redéménager à Ottawa.

C'est un inconvénient pour les Canadiens.

[Traduction]

M. Mayfield (Cariboo - Chilcotin): J'ai trouvé intéressants vos commentaires à propos des faillites dans le cas de prêts étudiants. Vous présentez un point de vue intéressant. D'autres témoins ont indiqué qu'il faudrait peut-être allonger le délai et le porter à trois ans ou plus.

J'aimerais toutefois aller au-delà de la situation idéale où l'emprunteur est une personne honnête. Il me semble que certains étudiants considèrent qu'il n'est pas vraiment nécessaire de rembourser l'argent, qu'il suffit de déclarer faillite surtout si on est sans ressource.

Vous proposez de confier aux tribunaux le soin de décider lorsqu'il convient ou non de déclarer faillite. Or, il est très compliqué et coûteux de faire appel aux tribunaux lorsque ces cas sont très nombreux - et je crois comprendre que le problème des prêts étudiants est loin d'être insignifiant.

.1005

Si nous ne voulons pas faire d'exception en ce qui concerne les prêts étudiants, comment devrions-nous alors régler ce problème qui a pris beaucoup d'ampleur? Je suppose qu'en examinant ce projet de loi, le ministère de l'Industrie a opté pour cette méthode à cause de la gravité du problème. Je me demande quelles sont vos propositions.

M. P. Fortin: Il y aura toujours des gens qui abuseront d'un système quel qu'il soit. Certains essayent de frauder le système lorsqu'ils font leur déclaration d'impôt.

Il est faux de dire que la majorité des débiteurs sont malhonnêtes. Je crois que la majorité d'entre eux sont honnêtes et que la majorité des débiteurs qui déclarent faillite ne le font pas uniquement pour se débarrasser de lourdes dettes. C'est parce qu'ils sont dans une situation financière très grave. À mon avis, on a tort de vouloir imposer une politique à tout le monde pour éviter qu'une minorité abuse du système.

Les cas d'abus dont les tribunaux peuvent être saisis ne sont pas très nombreux. Les gens qui abusent du système sont beaucoup plus rares que les gens honnêtes. Par conséquent, si vous examinez l'ensemble des répercussions que cette mesure aura sur la majorité qui est honnête et qui est aux prises avec des problèmes...

Nous en voyons des exemples chaque jour. Ces gens n'ont pas d'emploi et n'en auront probablement pas l'année suivante, ni les deux années d'après. Ils reçoivent des lettres de créanciers qui exigent un paiement immédiat sans quoi ils prendront les mesures qui leur sont autorisées par la loi.

Je comprends votre point de vue et il y a effectivement eu une augmentation du nombre des faillites. Mais je ne crois pas que le problème soit tant la faillite même que tout ce qui l'entoure. Je ne crois pas que parce qu'une minorité de gens abusent du système, nous devrions imposer un délai automatique qui ne tient aucun compte des circonstances particulières.

M. Gingras: Vous partez du principe qu'à l'heure actuelle les tribunaux sont surchargés de causes concernant la libération des faillites. Or, c'est inexact. Il existe à l'heure actuelle un système permettant aux créanciers de faire opposition aux libérations, et dont les prêts étudiants font partie, et les tribunaux ne sont pas surchargés de travail. Un juge entend les deux parties et rend une décision et les décisions rendues sont justes et correctes. Par conséquent, pourquoi pénaliser la majorité, c'est-à-dire les honnêtes gens, en imposant un délai de deux ou trois ans?

Il faudrait remonter un peu plus loin, au moment où l'on obtient un prêt étudiant. Il faudrait confier l'octroi de ces prêts à des professionnels qui décident s'il y a lieu ou non de fournir ce prêt en fonction des études envisagées par l'étudiant. Car si vous consentez un prêt de 20 000 $ à un étudiant qui désire faire une maîtrise dans un domaine où il n'y a absolument aucun débouché, il faudrait au moins expliquer cela à l'étudiant en question. Il faudrait lui dire: «Ce genre d'études ne vous permettra pas de trouver un emploi. Pourquoi ne vous orientez-vous pas vers un domaine qui offre des débouchés et une fois que vous aurez obtenu un emploi, vous pourrez alors faire des études, pour le plaisir, dans le domaine qui vous intéresse mais qui ne représente pas un investissement productif ni pour moi, ni pour le pays, ni pour qui que ce soit sauf peut-être vous-même.»

Je n'ai aucune objection à ce que l'on fasse des études pour le plaisir mais pas avec mon argent. À l'heure actuelle, les personnes chargées d'octroyer les prêts ne prennent pas le temps d'expliquer cela aux étudiants.

Ce n'est pas à 20 ou à 30 ans que l'on commence à éviter la faillite. Cela commence à l'école. Nous nous sommes tous allés dans les écoles pour présenter aux finissants des exposés sur la façon d'éviter la faillite; nous l'avons fait gratuitement. L'école n'offre aucun cours sur la façon d'éviter une faillite, ni sur la façon de gérer son argent.

C'est là où il faudrait commencer, et non pas en pénalisant quelqu'un qui a fait des études, qui s'est comporté de façon honnête et qui pensait faire quelque chose de bien pour tout le monde contrairement au type qui a abusé du système. En ce qui concerne le type qui a abusé du système, laissons les responsables des prêts aux étudiants s'opposer à ce qu'il soit libéré de ses obligations et expliquer au juge qui a commis l'erreur dans ce cas-ci.

.1010

Le président: Monsieur Fortin, aimeriez-vous ajouter quelque chose?

[Français]

M. Jean Fortin (syndic, président, Jean Fortin & Associés syndics inc.): Je pense que le gouvernement, il y a une quarantaine d'années, avait pris connaissance des méfaits de l'insolvabilité.

À un moment donné, le gouvernement a décidé de faire adopter une loi pour empêcher que des gens insolvables demeurent dans un état trop néfaste, qui avait des conséquences négatives qui auraient pu porter la personne à se décourager et à commencer à consommer. On ne pouvait permettre qu'une personne insolvable demeure insolvable et on a donc adopté une loi pour lui permettre de se sortir de cet état-là.

En ce qui a trait aux prêts étudiants, cela ne nous touche pas, en tout cas pas moi, à mon âge. Cependant, nous craignons que, si on ouvre une porte, des groupes de prêteurs saisissent l'occasion pour dire au gouvernement d'empêcher tel autre groupe de faire cession de se biens ou d'imposer des délais. Par exemple, on sait qu'il y a beaucoup d'abus dans le cas des cartes de crédit, avec les prêts étudiants. Quand on prête à quelqu'un pour étudier, c'est comme prêter à quelqu'un pour acheter un véhicule. Si on sait qu'il n'a pas de job, on devrait savoir qu'il ne pourra pas rembourser son prêt. On devrait lui imposer de commencer à le rembourser cinq ans après la fin de ses études. Le système est ainsi fait qu'une fois que leurs études sont terminées, les étudiants doivent rembourser. Mais il n'y a pas de travail.

L'une de nos clientes, qui avait bénéficié d'un prêt de 50 000 $ du Québec, avait poursuivi ses études en médecine au Mexique. Cependant, le diplôme mexicain n'est pas reconnu au Québec. Elle vit actuellement de l'aide sociale. Elle ne sait que faire et elle est harcelée. Comment trouver une solution à son problème? On pourrait lui dire: «Travaille au noir pendant deux ans, tu ne peux faire faillite». À partir du moment où on admet que la personne ne peut rester dans un état d'insolvabilité ou doit pouvoir s'en sortir, Industrie Canada a le devoir de dire: «Tu as le droit d'invoquer la loi.»

Si le créancier pense que la personne a abusé, il peut avoir recours aux tribunaux. Le mécanisme fonctionne très, très bien. Le problème n'est pas le nombre de faillites mais l'insolvabilité, et c'est ce qu'on doit avoir à l'esprit. S'il y a beaucoup de faillites, c'est parce qu'il y a beaucoup d'insolvabilité, et l'insolvabilité est toujours créée par un prêteur pas assez vigilant, trop gourmand de profits ou qui a trop de liquidités en circulation. À ce moment-là, nécessairement, les faillites vont suivre.

Pour nous, il s'agit de libérer une personne qui est aux prises avec des difficultés et de lui permettre de s'en sortir, d'essayer de la responsabiliser pour qu'elle puisse redevenir productive. On veut la rendre responsable dans la société en la rendant solvable. C'est le but de la loi. Depuis quelques années, on a multiplié les règlements et alourdi les choses. Il faudrait peut-être se concentrer sur l'information.

Au Canada, les consultations ont coûté aux créanciers près de 30 millions de dollars depuis l'entrée en vigueur des derniers amendements à la loi et ont touché une minorité de personnes, peut-être 3 p. 100, qui ont déclaré faillite à nouveau pour causes volontaires ou budgétaires. Cela représente environ 4 000 $ ou 5 000 $ par individu. Je crois que c'est de l'argent mal utilisé. Ces sommes-là pourraient être récupérées de la masses des créanciers et être utilisées dans des programmes de formation afin d'aider les gens à se trouver des emplois et de les prévenir contre les effets néfastes de l'insolvabilité.

Quatre-vingt-dix pour cent des gens qui font faillite ne font pas faillite une seconde fois. Ils n'ont pas besoin de leçon, car ils ont compris les effets négatifs de l'insolvabilité et ne veulent pas récidiver. Ils ne récidivent pas. C'est une très faible minorité qui récidive. Parmi cette faible minorité de gens qui font une deuxième faillite, on retrouve ceux qui sont sous le seuil de pauvreté.

Si aujourd'hui je n'ai pas assez de revenus pour vivre, que je fais faillite et que d'autres compagnies comme Zellers, La Baie ou les banques m'envoient des cartes de crédit, je vais utiliser ces cartes de crédit pour combler le manque à gagner et je vais redevenir insolvable et faire une deuxième faillite. Les consultations et les cours de formation qu'on veut donner à ces gens-là sont sans effet, car c'est un problème de revenus, d'emploi, d'éducation. Quand je parle d'éducation, il s'agit de l'instruction nécessaire pour avoir un job. Ces personnes ne savent pas gérer un budget. Elles n'ont pas assez de revenus et n'ont pas les pouvoirs de taxation des gouvernements. Comme elles n'ont plus le pouvoir d'emprunter, elles font faillite. Si le Québec, demain matin, n'avait plus le pouvoir d'emprunter et ne pouvait plus percevoir d'impôts, il ferait faillite. L'individu n'a pas ce pouvoir-là.

Donc, il ne faut jamais oublier, dans les modifications à la loi, que c'est de l'insolvabilité qu'on veut traiter et qu'on n'est pas là pour empêcher des gens d'emprunter. Nous voulons tout simplement traiter de l'insolvabilité. Nous voulons que les prêteurs soient plus vigilants. Le système est là pour fonctionner. Les tribunaux sont là. On peut s'opposer à une libération s'il y a des abus. Ce sont ces mécanismes qu'on doit continuer d'utiliser.

.1015

[Traduction]

Le président: Monsieur Mayfield, voulez-vous poursuivre là-dessus?

M. Mayfield: Vous avez soulevé un point... J'ai demandé comment on peut régler ce problème et vous nous avez peut-être mis sur la piste en laissant entendre que le prêteur a lui aussi une certaine responsabilité à cet égard. J'estime que vous venez de soulever un point important. Je me demande comment, dans le cadre du projet de loi - je ne veux pas me lancer dans la question des prêts étudiants - on peut obliger le prêteur à offrir le counselling, à faire l'évaluation appropriée. À l'heure actuelle, en ce qui concerne les prêts garantis par le gouvernement, rien n'incite vraiment à faire autre chose qu'à transmettre l'argent. Comment peut-on changer la situation?

M. Gingras: Comme j'ai déjà été prêteur, je sais qu'avant d'accorder du crédit, un bon prêteur, s'il fait preuve de professionnalisme, doit faire certaines choses. Il doit entre autres vérifier si la personne peut rembourser ou si elle pourra rembourser plus tard. C'est facile à faire. Vous analysez la stabilité. Vous analysez si cette personne a les moyens de payer un loyer, de payer une hypothèque, les moyens de se payer ceci et cela, si elle a remboursé une partie des emprunts qu'elle a déjà faits, etc. Il existe un système de points. Auparavant, on accordait des points pour la stabilité de l'emploi, le fait d'être marié ou non et ainsi de suite. Or, notre société a changé et le système de points aussi.

Certains membres de l'industrie refuseront de donner de l'information à des concurrents sur la stabilité ou la capacité d'un créancier. C'est un comportement insensé. En mettant en commun l'information dont ils disposent, ils seraient en mesure d'évaluer chaque demande en fonction de ses mérites. Si vous avez affaire à un prêt étudiant, vous appliquez le même principe sauf que vous accordez un peu plus d'importance au type d'études que fait l'étudiant en question.

Prenons par exemple le prêt de 50 000 $ accordé par la province de Québec pour des études de médecine au Mexique. Le type qui a consenti ce prêt doit être complètement fou car chacun sait qu'à son retour, cet étudiant ne pourra pas travailler, c'est évident. Les prêteurs ont donc la responsabilité d'échanger de l'information et de prendre des décisions en s'appuyant sur des faits.

Le président: Monsieur Bodnar.

M. Bodnar (Saskatoon - Dundurn): Merci beaucoup, monsieur le président.

Selon le programme canadien de prêts aux étudiants, au cours des six premiers mois de la période de deux ans suivant la fin de ses études, l'étudiant bénéficie d'une période de grâce pendant laquelle il ne fait l'objet d'aucune pression financière. Puis, si l'étudiant satisfait aux critères de la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants, il peut obtenir une prolongation de 18 mois. Cela veut donc dire que pendant deux ans l'étudiant n'a pas vraiment de difficulté financière. Pourtant, 70 p. 100 des étudiants qui déclarent faillite le font au cours de ces deux premières années. Autrement dit, des étudiants qui ne subissent aucune pression financière déclarent faillite au cours des deux premières années et vous préconisez d'éliminer cette période de deux ans.

M. Gingras: Il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes. Le problème ne concerne pas le programme canadien de prêts aux étudiants. Le problème concerne le programme provincial de prêts aux étudiants qui exerce des pressions sur les débiteurs... et qui réclame le remboursement immédiat de son argent. Je suis licencié au Québec et en Ontario et je constate la différence. Si vous considérez uniquement le programme canadien de prêts aux étudiants, vous constaterez que le pourcentage est très faible; mais si considérez les programmes provinciaux de prêts aux étudiants, ce pourcentage est très élevé.

M. Bodnar: Ce sont donc les programmes provinciaux de prêts aux étudiants qui posent problème.

M. P. Fortin: Oui, mais il existe d'autres créanciers. Vous partez du principe que ces débiteurs sortent de l'université ou du cégep sans avoir contracté d'autres types d'emprunts et de dettes. Or, le système actuel permet à un travailleur à temps partiel d'avoir jusqu'à cinq, six ou sept cartes de crédit. Dès que vous obtenez une carte de crédit, vous pouvez obtenir toutes les autres. Vous pouvez obtenir des marges de crédit.

.1020

Le problème ne se situe pas uniquement au niveau des prêts étudiants mais aussi au niveau des autres créanciers. Il est très rare que des débiteurs déclarent faillite uniquement parce qu'ils sont incapables de rembourser un prêt étudiant. Il existe bien d'autres types de problèmes.

M. Bodnar: J'aimerais simplement vous faire part de quelques réflexions.

Lorsqu'un étudiant termine ses études universitaires ou va à l'université, il possède un bien auquel les créanciers ne peuvent pas toucher puisqu'il s'agit du diplôme qu'il détient. L'étudiant déclare faillite et se débarrasse de sa dette mais il conserve ce bien, que normalement les créanciers pourraient saisir, ce qu'ils ne peuvent pas faire puisqu'il s'agit d'un diplôme. Cela m'apparaît comme un problème.

Si je considère cela comme un problème, c'est parce que je crois que les étudiants devraient payer eux-mêmes leurs études universitaires. Je paie les études de mes propres enfants. Je ne veux tout simplement pas être obligé de payer les études d'autres enfants à même mes taxes parce qu'ils n'ont pas remboursé leur prêt étudiant.

On devrait peut-être se montrer plus souple lorsque vient le temps de recouvrer les prêts étudiants. Prenons l'exemple du programme canadien de prêts aux étudiants, celui que je connais le mieux.

Le programme n'offre aucune souplesse en cas de non-paiement. Autrement dit, lorsque les avocats recouvrent un prêt étudiant dans le cadre de ce programme, si le prêt est de 5 000 $ plus les intérêts, ils veulent les 5 000 $ plus les intérêts. Aucun arrangement n'est possible. Or, très souvent, les parents, un oncle et une tante ou les grands-parents d'un étudiant vont se présenter avec un montant global de 3 000 $ pour régler la dette. Ils ne l'acceptent pas. L'étudiant fait faillite et le gouvernement perd tout. Il devrait peut-être y avoir plus de souplesse.

Croyez-vous que le système, qui relève non pas de la Loi sur la faillite, mais de DRH, devrait être plus souple?

M. P. Fortin: C'est un aspect qu'il faudrait envisager, mais en rendant ce programme plus souple, on enlève toute souplesse au régime de la faillite.

Nous partons du principe que le diplôme qu'ils ont en main peut être transformé en emplois et en argent, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Ce n'est pas parce que vous avez un diplôme que vous trouverez un emploi qui vous permettra de gagner suffisamment d'argent pour rembourser votre prêt.

M. Boudreau: En ce qui me concerne, ce sont les facilités de crédit qui sont à l'origine des faillites. Les prêts étudiants, les cartes de crédit, les prêts autos, les prêts voyages - ce sont toutes des facilités de crédit. Tous ceux qui sont venus me voir à mon bureau pour déclarer faillite considéraient cette procédure comme leur dernier recours, leur dernière option. Tout le monde veut rembourser ses dettes. Le problème, c'est que les gens se retrouvent dans un tunnel. Ils voient une lumière. Une fois qu'ils arrivent au bout du tunnel, la lumière disparaît. Tous les étudiants qui trouvent un emploi à la fin de leurs études collégiales ou universitaires remboursent leur prêt. Il en va de même pour tous ceux qui passent par mon bureau. S'ils ont un emploi, ils remboursent leurs dettes. Le problème, c'est que s'ils perdent leur emploi ou leur entreprise ou qu'ils vivent une expérience difficile, comme un divorce, c'est à ce moment-là qu'ils s'adressent à nous.

M. Bodnar: Je ne suis pas d'accord avec vous quand vous dites que les établissements de prêt devraient se montrer plus vigilants, surtout avec les étudiants, parce que, autrement, nous n'aurions pas de diplômés spécialisés dans les beaux-arts, les sciences politiques ou les sciences sociales. Aucune institution de prêt n'accepterait d'accorder des prêts étudiants dans des disciplines que je considère comme étant importantes et essentielles au développement social du pays. Autrement, seuls les étudiants en sciences physiques pourraient obtenir des prêts en raison du nombre d'emplois qui existent dans le domaine de la haute technologie.

[Français]

M. Lebel: Ce sera ma dernière question. Monsieur Fortin, une chose me préoccupe depuis le début des audiences. Je voudrais savoir si vous vous êtes penché sur les paragraphes 14.06(2) et suivants, qui ont trait à la décontamination et qui font que les coûts de dépollution d'un immeuble quelconque ont préséance sur le créancier hypothécaire. C'est du jamais vu à mon sens.

.1025

La question va plus loin; elle est plus théorique que cela. Un spécialiste de la faillite nous disait, il y a quelques jours, que cette disposition obligeait le syndic à payer son effort de dépollution en se servant de ce terrain-là, alors que moi, j'y vois simplement une garantie. Mais le syndic pourrait, par exemple, récupérer ou payer les sommes de dépollution à même les autres actifs de la faillite. Qu'en pensez-vous?

M. Gingras: Je le vois comme étant une garantie que le gouvernement se garde pour payer les frais de la dépollution, mais sur ce bien-là seulement, pas sur l'utilisation des autres biens.

Je crois que les gens qui prêtent devraient avoir la chance de discuter de cette situation-là, parce que cela va créer un problème, par exemple pour les propriétaires de stations-services et de fermes qui tenteront d'obtenir une hypothèque parce qu'ils n'auront pas le droit d'obtenir une hypothèque de plus que 50 p. 100 de la valeur de leurs biens et parce qu'ils sauront que, s'il survient un accident ou une faillite, le gouvernement va s'emparer de 15 ou 20 p. 100 du bien pour dépolluer le terrain.

Cela va créer un problème pour les prêteurs plus que pour le syndic de faillite.

M. Lebel: Donc, cet article risque de freiner considérablement les prêts destinés à la création d'emplois ou au lancement d'entreprises, surtout si on touche des produits chimiques quelconques.

M. Gingras: Oui.

[Traduction]

Le président: Monsieur Shepherd, une question très brève.

M. Shepherd (Durham): Pour revenir à la question des prêts étudiants, monsieur Fortin, on ne fait que survoler le véritable problème en ce sens que les prêts à la consommation ont beaucoup augmenter. Si l'on jette un coup d'oeil sur le nombre de faillites de consommateurs enregistrées au cours de la dernière décennie, et aussi sur les sommes en cause, on constate que ce chiffre diminue. Autrement dit, l'accessibilité du crédit amènerait certains à conclure qu'une partie du problème tient à la facilité avec laquelle on peut déclarer faillite.

On semble se retrouver dans un cercle vicieux avec les établissements de prêt. Les prêteurs aujourd'hui affirment qu'ils doivent maintenir les taux d'intérêt sur les cartes de crédit à un niveau élevé en raison du nombre croissant de faillites.

Vous faites allusion à un problème très réel auquel ce pays est confronté, soit la facilité avec laquelle on peut obtenir du crédit. La question qu'il faut se poser est la suivante: quel genre de solutions pouvons-nous, en tant que gouvernement, imposer aux institutions financières et autres. Je pense aux profits que les cartes de crédit elles-mêmes permettent de générer. Autrement dit, si vous pouvez maintenir vos taux d'intérêt à 18 p. cent, nous pouvons composer avec un taux de faillite de 3 p. 100. Si le gouvernement déclarait que vous ne pouvez augmenter vos taux d'intérêt au-delà de 14 p. 100, on remarquerait peut-être un changement d'attitude à l'égard des prêts.

Êtes-vous du même avis?

[Français]

M. J. Fortin: Votre question est extrêmement intéressante, mais elle soulève un problème de fond. C'est la même chose, d'ailleurs, pour les prêts aux étudiants. Veut-on contrôler l'économie, veut-on un État qui intervient, ou veut-on avoir une économie libre?»

Lorsque les banques feront moins de profits, elles vont nécessairement être plus sélectives dans leurs prêts. Le crédit va devenir moins facile et il y aura moins de faillites, parce qu'il y aura moins de cas d'insolvabilité.

Depuis cinq ans, et on le dit dans le dernier numéro de la revue de la Banque du Canada, les profits des banques augmentent, les provisions pour pertes diminuent et les pertes diminuent. Donc, l'économie se porte très bien et l'insolvabilité ne touche pas les banquiers. Ils font beaucoup d'argent. Cela va très bien pour eux.

Quant à nous, nous nous préoccupons des effets néfastes de l'insolvabilité. Si, demain matin, tous les Canadiens insolvables savaient qu'ils peuvent se libérer de leurs dettes, il y aurait dix fois plus de faillites et, nécessairement, les banquiers deviendraient plus vigilants. Ils ne pourraient continuer à fonctionner à 17 et 20 p. 100 ou à 30 p. 100 et à exploiter l'individu qui n'est pas prémuni contre cette pression à la consommation et le garder dans un état d'insolvabilité, dans un état très précaire qui amène souvent des divorces dans le foyer, etc.

.1030

Tout est notion de profit. Je mettrais au moins 10 millions des 25 millions de dollars qu'on a dépensés à consulter les gens à les sensibiliser aux effets néfastes de l'insolvabilité et à leur dire qu'ils ne sont pas tenus de demeurer insolvables, qu'ils ne sont pas tenu de rendre un téléviseur sur lequel il y a un lien et de commettre une infraction pour payer un créancier qui exerce trop de pressions. Qu'ils cèdent leurs biens selon la loi, qu'ils recommencent à neuf et qu'ils deviennent des gens responsables. Qu'ils recommencent à bâtir leur vie et leur sécurité. À ce moment-là, les banquiers, ceux qui émettent des cartes de crédit... On a des clients qui ne sont pas encore libérés de leurs dettes et qui reçoivent une deuxième carte de crédit. C'est payant, le crédit. C'est très payant. Il est là, le problème.

Notre rôle se limite à éteindre le feu parce que l'individu est insolvable. Je ne m'inquiète pas du nombre de faillites, mais des gens qui deviennent insolvables, du prêt qui est trop facile. Aujourd'hui, on assiste à une ère de déréglementation, de libre-échange. Commencer à réglementer à ce niveau-là, c'est une question de philosophie. Évidemment, comme syndics, cela ne nous regarde pas. C'est au gouvernement de le faire.

Nous pouvons simplement dire que, même dans le domaine de la faillite, il y a beaucoup trop de règlements dans la gestion de cette loi en termes de directives, d'autoréglementation. On devrait faire davantage confiance à la corporation des syndics et lui transférer plus de responsabilités afin de diminuer les coûts et de réduire le déficit du gouvernement.

Depuis quelques années, on crée des emplois au Bureau du surintendant. On multiplie les contrôles et il y a des coûts de rattachés à cela. On en paie les frais avec nos impôts. Il faudra peut-être simplifier cela et laisser la libre économie fonctionner en informant les gens, par des cours ou des publications que le gouvernement ou le surintendant des faillites devrait publier, de la façon de se prémunir contre l'insolvabilité et d'éviter les attrapes des prêteurs qui disent: «Achetez maintenant, payez plus tard; vous payez 3 p. 100 d'intérêt pour un véhicule; vous allez recevoir 1 000 $ de prime si vous achetez un véhicule tout de suite, au mois de novembre.» On a vu des gens faire cela. On leur demande pourquoi ils ont fait cela, puisqu'ils n'en ont pas les moyens. Ils répondent qu'ils ont reçu 1 000 $ à donner en cadeau à leurs enfants et qu'ils commencent à payer seulement dans six mois. Une telle personne devient une victime du système. Ce monsieur-là n'est pas coupable. Quand nous lui faisons faire faillite, nous le libérons de sa dette et plus jamais il ne va se faire prendre. Lui, il a compris. Ce sont tous les autres qui n'ont pas compris qu'il faut protéger.

Examinez les statistiques actuelles. On les reçoit régulièrement à notre bureau et on fait des études sur les comportements des débiteurs. Les profits augmentent et les pertes diminuent.

Le président: Comme vous pouvez le constater, les députés ont très confiance en votre expertise,

[Traduction]

et j'aimerais vous remercier d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer. Il ne nous reste plus qu'une heure à consacrer aux autres témoins, mais je vous sais gré de vos commentaires. Vous avez soulevé plusieurs points concernant ce projet de loi qui doivent être analysés. Je vous remercie d'être venu à Ottawa.

M. Boudreau: Puis-je faire un dernier commentaire? Le régime de faillite est la porte de sortie du système économique. Tant que vous ne touchez pas à la portée d'entrée, nous allons être occupés.

Merci beaucoup.

Le président: Merci.

Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Kershman.

M. Stanley J. Kershman (Association des directeurs de crédit du Canada): Bonjour.

Le président: Bonjour. Je suis heureux de vous accueillir. Vous connaissez la procédure, à savoir qu'il faut donner aux membres du comité l'occasion de poser des questions. Nous avons une heure. Nous aimerions finir à temps, soit à 11 h 30 si possible.

M. Kershman: C'est parfait. Mon exposé ne sera pas long.

Le président: Très bien.

M. Kershman: Tout le monde a réagi quand j'ai dit cela. C'est un très bon signe.

Le président: C'est exact. Les gens sont plus attentifs dès qu'ils entendent le mot «bref».

M. Kershman: C'est ce qu'on m'a dit: d'être bref.

.1035

Le président: Monsieur Kershman, vous pourriez peut-être nous parler un peu de vous avant de présenter votre exposé.

M. Kershman: Je travaille comme avocat auprès du cabinet Kershman & Warren à Ottawa. Je pratique le droit depuis 18 ans, surtout dans le domaine des droits des débiteurs et des créanciers. Je suis reconnu par le Barreau du Haut-Canada comme étant spécialisé dans la loi sur la faillite et l'insolvabilité. J'agis en qualité de juge suppléant auprès de la cour pour petites créances. Bon nombre de mes articles ont été publiés dans diverses revues, comme le Commercial Insolvency Reporter, de Butterworth. Je fais aussi beaucoup de médiation.

Je suis ici aujourd'hui pour présenter au comité, au nom de l'Association des directeurs de crédit du Canada, un exposé sur les modifications proposées à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

Monsieur le président, monsieur le vice-président et mesdames et messieurs les membres du comité, au nom de l'Association des directeurs de crédit du Canada, nous aimerions remercier le Comité permanent de l'industrie de nous donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui.

L'Association des directeurs de crédit du Canada est une association nationale qui représente les fournisseurs de crédit du Canada. Elle regroupe des fournisseurs de crédit issus de tous les secteurs de l'économie, y compris des grossistes, des détaillants et des institutions financières.

Notre industrie doit relever de grands défis en raison de l'état actuel de l'économie et des lourdes dettes contractées par les consommateurs. Le coût des mauvaises créances est refilé aux Canadiens sous forme de hausse des taux d'intérêt et du coût des produits.

L'Association des directeurs de crédit du Canada est heureuse de voir que, quatre ans après la dernière refonte, la Loi sur la faillite et l'insolvabilité fait l'objet d'un nouvel examen et de modifications.

Le comité consultatif sur la faillite et l'insolvabilité de même que d'autres organismes ont travaillé très fort en vue de trouver des moyens constructifs de simplifier le régime de la faillite et de le rendre plus efficace.

L'Association des directeurs de crédit du Canada appuie la majorité des modifications contenues dans le projet de loi C-5. Elle aimerait vous faire part de ses vues sur les réclamations pour aliments prouvables et sur la priorité absolue accordée à ces réclamations aux termes des nouvelles dispositions. Il est question ici de l'alinéa 136(1)d.1) du projet de loi.

Selon la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, aucune réclamation pour aliments d'un conjoint ou d'un enfant ne constitue une réclamation prouvable dans le cadre d'une faillite, de sorte que les titulaires de ces réclamations ne peuvent participer aux dividendes de l'actif. De plus, à l'heure actuelle, les réclamations pour aliments ne peuvent être suspendues par la faillite et ne sont pas éteintes par la libération du failli. Bref, elles ne sont tout simplement pas visées par le régime de la faillite.

À l'heure actuelle, les créanciers non garantis reçoivent leurs dividendes à même l'actif et la dette du failli est éteinte lors de la libération. Le bénéficiaire d'une pension alimentaire demeure créancier du failli malgré la libération.

Une fois que ces dettes ont été éteintes, le failli devrait avoir d'autres ressources pour se conformer à ses obligations alimentaires et payer les montants en souffrance à cet égard, sous réserve des autres réclamations qui ne sont pas éteintes lors de sa libération.

Selon les modifications proposées à la Loi, les réclamations pour aliments payables à titre de sommes forfaitaires et nées avant la faillite, de même que les sommes échues au titre d'une réclamation pour aliments dans l'année qui précèdent cette date deviendraient des réclamations prouvables dans la faillite. Ces réclamations bénéficieraient d'une priorité et leurs titulaires recevraient des dividendes à même l'actif de préférence à tous les autres créanciers garantis après le paiement des créances garanties ainsi que des frais administratifs et juridiques, du prélèvement du surintendant et des arrérages de salaire. De plus, contrairement aux autres créances non garanties, la réclamation pour aliments ne serait pas éteinte par la libération du failli et le créancier pourrait continuer à utiliser toutes les autres mesures d'exécution disponibles contre le failli, sauf à l'encontre des biens qui ont été dévolus au syndic.

En d'autres termes, non seulement le titulaire d'une réclamation pour aliments bénéficie-t-il d'une priorité quant au paiement des dividendes aux termes de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, mais il peut continuer à utiliser les procédures d'exécution relativement aux arrérages prouvables, aux arrérages non prouvables - par exemple, les montants échus dans l'année précédant la faillite - et aux obligations alimentaires en cours.

L'Association des directeurs de crédit du Canada s'oppose vivement aux modifications susmentionnées. Dans bien des cas, les institutions de prêt accordent du crédit lorsque les couples sont encore mariés en se fondant sur le revenu familial. La séparation du couple crée en soi un préjudice au fournisseur de crédit. Ce préjudice s'aggrave lorsqu'une des parties fait faillite et que le fournisseur doit s'en remettre à l'autre partie pour se faire rembourser, laquelle partie est, dans bien des cas, la personne dont le revenu est moins élevé et qui, par surcroît, reçoit une pension alimentaire.

.1040

Lorsque le syndic de faillite recueille les biens de l'actif après paiement des créanciers garantis, des honoraires du syndic et des frais d'administration, l'excédent est réparti parmi les créanciers non garantis qui ont prouvé leur réclamation. Si une priorité est accordée aux réclamations pour aliments par rapport aux autres créances non garanties, le dividende disponible pour les autres créanciers non garantis sera dilué. Donc, en vertu du nouveau projet de loi, la part de tous les autres créanciers non garantis sera réduite.

Les créanciers non garantis se trouvent donc doublement lésés. D'abord, en plus de voir disparaître leur recours d'exécution en raison de la faillite, ils ne peuvent récupérer la dette. Deuxièmement, ils recevront un dividende dilué de l'actif en raison de cette nouvelle priorité absolue qui est accordée aux réclamations pour aliments d'un conjoint. Les fournisseurs de crédit vont donc subir des pertes plus élevées, ce qui va entraîner une hausse du coût des produits. Je ne crois pas que ce soit là l'objectif visé par le projet de loi. Mais c'est le genre de situation qu'il peut créer.

Donc, les modifications auront pour effet de faire pencher la balance en faveur du titulaire de la réclamation pour aliments au détriment des autres créanciers non garantis, ce qui soulève un doute quant à l'équité du régime de la faillite. Par conséquent, l'Association des directeurs de crédit du Canada recommande que les réclamations pour aliments ne soient pas considérées comme des réclamations prouvables dans la faillite et que le titulaire de ce type de créance ne bénéficie pas d'une priorité absolue dans la faillite par rapport aux autres créanciers non garantis. Elle recommande enfin le maintien du statu quo.

Au nom de l'Association des directeurs de crédit, je tiens à remercier le comité de nous avoir donné l'occasion de comparaître devant lui. J'ai essayé d'être bref, et je crois que j'y suis parvenu.

Le président: Monsieur Kershman, votre exposé était très concis et je vous en remercie. Vous avez abordé des points fort importants.

Je vais céder la parole à M. Lebel.

[Français]

Avez-vous d'autres questions à poser?

M. Lebel: Non.

[Traduction]

Le président: Monsieur Mayfield, avez-vous des questions?

M. Mayfield: Oui, mais je ne les ai pas encore formulées.

Le président: Eh bien, nous venons d'entendre plusieurs témoins et il ne nous reste pas beaucoup de temps.

Est-ce qu'un des membres du parti ministériel souhaite poser des questions? Monsieur Bodnar.

M. Bodnar: Je me demandais tout simplement si M. Shepherd avait des questions à poser à ce moment-ci. En ce qui me concerne, j'en ai de prêtes.

J'aimerais commencer par ma question favorite, puisque vous êtes avocat.

M. Kershman: Je ne sais pas encore quelle question vous allez me poser.

M. Bodnar: Et bien, je vous la pose tout de suite. M. Shepherd ne l'apprécie pas, mais ça ne fait rien.

Jusqu'à présent, il semble que le surintendant des faillites n'ait octroyé de licence qu'aux comptables ou professionnels de ce genre, et non aux avocats en exercice qui ne peuvent pas être syndics de faillite. Pensez-vous qu'un changement de politique permettant aux avocats en exercice d'être syndics de faillite poserait un problème?

M. Kershman: Je ne peux pas vraiment vous dire si les avocats pourraient éventuellement être syndics; en effet, je ne savais pas que ce point était à l'ordre du jour. Par contre, ce que je sais, c'est que certains avocats sont syndics de faillite, puisqu'ils ont fait les démarches nécessaires exigées par le surintendant pour obtenir la licence de syndic.

M. Bodnar: Ce ne sont toutefois pas des avocats en exercice?

M. Kershman: Ce ne sont pas des avocats en exercice, ce sont des syndics en exercice.

M. Bodnar: C'est exact.

M. Kershman: Je connais au moins deux cas, sinon deux.

M. Bodnar: Entendu.

Le président: Monsieur Shepherd.

[Français]

M. Lebel: M. Fortin, le jeune avocat qui était assis là plus tôt, est un avocat du syndic de faillite.

[Traduction]

M. Bodnar: Je ne suis pas avocat en exercice.

Le président: Monsieur Mayfield, êtes-vous prêt maintenant?

M. Mayfield: Je dois faire attention à ce que je dis, car ce n'est pas un domaine que je comprends bien. Je ne suis ni comptable ni avocat et je n'ai jamais non plus fait faillite.

.1045

Je me demande pourquoi, selon vous, la personne qui reçoit une pension alimentaire ne devrait pas bénéficier d'une priorité en matière de réclamation. À mon avis, c'est une priorité. Vous avez soulevé la question de l'augmentation des coûts du crédit, mais j'aimerais connaître votre raisonnement.

M. Kershman: Le voici. À l'heure actuelle, les réclamations pour arrérages en matière de pension alimentaire présentées par les conjoints et les enfants ne tombent pas sous le coup du régime de faillite, ce qui signifie que les arrérages et les versements au titre de la pension alimentaire sont perçus en dehors du régime de faillite; il s'ensuit qu'ils ne deviennent pas créanciers de l'actif. C'est un premier point.

Deuxièmement, l'Ontario a instauré un plan d'exécution des ordonnances alimentaires et de garde d'enfants qui permet de percevoir ces arrérages au nom du conjoint et des enfants et de les leur verser, qu'il s'agisse de pension alimentaire en cours ou d'arrérages. Autant que je sache, ce système fonctionne relativement bien. Pourquoi essayer de changer les choses lorsque ce n'est pas nécessaire?

En outre, ces personnes reçoivent l'argent qui leur est dû... en Ontario, au moins, puisque cet argent est prélevé directement du salaire et versé au régime de pension alimentaire. Cet argent est alors versé aux personnes qui sont admissibles à la pension alimentaire. Nous ne voyons pas pourquoi il faudrait maintenant intégrer ceux qui reçoivent leur pension alimentaire dans le régime de faillite, leur permettant ainsi de recevoir un pourcentage de cet argent grâce au processus de faillite, peut-être en partie peut-être en totalité, alors qu'ils peuvent recevoir tout le montant en dehors de ce régime.

Je pense aussi que le régime s'en trouverait alourdi, puisque vous y intégreriez toute une nouvelle catégorie de créanciers et toute une nouvelle série de priorités. Au lieu de rationaliser le régime, vous le grossissez et risquez de l'alourdir.

M. Mayfield: Il me semble qu'il existe un principe relatif aux droits de douaire reconnaissant les obligations d'une personne envers les autres membres de sa famille. Je sens une certaine répugnance. Les témoins qui vous ont précédé ont demandé, à tout le moins, de rendre le fournisseur de crédit quelque peu responsable du processus économique qui parfois mène à la faillite; je dois dire que votre argumentation n'est pas tout à fait convaincante. Selon moi, le fournisseur de crédit qui examine la demande de crédit et passe en revue les ressources et la capacité de remboursement, devrait peut-être préciser dans la demande les responsabilités dont devra s'acquitter le demandeur même en cas de faillite.

M. Kershman: Le fournisseur de crédit... Imaginons le cas d'un couple marié. Le couple est donc marié et la demande de crédit est fondée sur le revenu combiné des deux conjoints; puis, le couple se sépare; tout d'abord, avoir deux foyers au lieu d'un seul coûte plus cher si bien qu'éventuellement l'un ou l'autre des deux conjoints va connaître des difficultés financières. Cela veut dire que le crédit fourni par le fournisseur de crédit risque de ne pas être remboursé, puisque les personnes visées risquent de ne pas pouvoir s'acquitter de leur dette. Si les choses vont très loin et que l'un des conjoints, ou même les deux, doive faire faillite, c'est le fournisseur de crédit qui est perdant, et non le débiteur.

.1050

Qu'il s'agisse d'une carte de crédit ou de produits, le consommateur a déjà reçu ces produits et en a déjà profité. Qu'il s'agisse d'un repas payé par carte de crédit, de l'achat de meubles à crédit et que ce soit non garanti, qu'il s'agisse de vacances - le consommateur a déjà profité de ces biens et services. Le fournisseur de crédit est celui qui court le risque.

Courir un risque ne me pose pas de problème, mais, à titre d'exemple, si vous courez un tel risque et que vous ne vous trouvez plus au quatrième rang, mais au cinquième ou au sixième rang des bénéficiaires de dividendes, cela, à mon avis, crée un préjudice aux créanciers.

En outre, l'article 178 de la loi actuelle stipule précisément qu'une ordonnance de libération ne libère pas le failli de toute dette ou obligation pour pension alimentaire ou de toute dette ou obligation selon une ordonnance alimentaire ou une ordonnance d'attribution de paternité. Il est donc déjà codifié dans cet article que si vous faites faillite, vous devez continuer à remplir vos obligations en matière de pension alimentaire. Vous devez le faire, que vous soyez en faillite ou non, et vous n'allez pas vous y soustraire uniquement parce que vous êtes en faillite. C'est beaucoup plus clair et permet beaucoup plus au conjoint qui n'est pas en faillite de percevoir tout arrérage ou toute somme forfaitaire au titre de la pension alimentaire.

Le président: Voulez-vous que l'on poursuive? Nous devrions avoir le temps de revenir sur ce point.

M. Mayfield: Nous pouvons laisser la question de côté pour l'instant. Merci.

Le président: Bien. Monsieur Shepherd.

M. Shepherd: Peut-être pourriez-vous me donner une explication juridique au sujet des réclamations liées à l'environnement, de la priorité de l'enregistrement des hypothèques et du concept de biens contigus. La définition du mot «contigu» dans la loi me laisse quelque peu perplexe. Peut-être pourriez-vous m'expliquer le processus.

Supposons que je sois propriétaire d'une société forestière et que j'ai une hypothèque de 500 000 $ de la Banque royale; j'ai un bien garanti. Vingt ans plus tard, une société achète un bien à côté du mien et, autant que je sache, reçoit un financement d'une autre institution. Elle découvre par la suite que le bien est pollué. L'hypothèque de mon bien, qui ne pose aucun problème environnemental, est subordonnée à la réclamation pour les frais de la décontamination environnementale d'un bien contigu.

Est-ce ainsi que les choses se passeraient?

M. Kershman: Je vais éluder la question, car je n'ai pas vraiment étudier les aspects environnementaux et je préfère vous le dire plutôt que de mal vous renseigner dans le but uniquement de répondre à votre question.

M. Shepherd: Entendu.

M. Kershman: Désolé, monsieur Shepherd.

Mme Brown (Oakville - Milton): Monsieur Kershman, il y a un seul point parmi ceux que vous avez soulevés qui ait suscité mon intérêt. Vous avez expliqué que le régime de pension alimentaire est en dehors des règles de la faillite et que ce projet de loi l'y intégrerait, compliquant ainsi tout le processus de faillite.

M. Kershman: C'est ce que je crois, étant donné qu'en Ontario, à tout le moins, si vous devez des arrérages, on va essayer de percevoir cet argent. Vous pourrez alors soutenir qu'il se peut fort bien que vous devez ces arrérages, mais qu'il se trouve X dollars dans votre actif de faillite auquel votre conjoint, votre partenaire ou encore votre enfant qui a droit à une pension alimentaire va avoir accès, tant et si bien qu'il est impossible de vous demander cet argent.

Éventuellement, cela va entraîner davantage de demandes de nature judiciaire pour déterminer si le montant d'argent déduit est exact.

En ce qui concerne le montant d'argent versé au syndic, quand cela va-t-il se faire? Tous les mois afin que le syndic puisse payer les arrérages de la pension alimentaire? Non. Cela va se faire sous forme de somme forfaitaire. Et quand cela va-t-il se faire? Je dirais de six à treize ou quinze mois plus tard. À ce moment-là, la personne qui a besoin de cette pension alimentaire pour elle-même ou pour son enfant va se trouver en difficulté financière. Il lui faudra éventuellement faire faillite, avoir des créanciers sur le dos; par contre, en vertu du régime actuel, la Direction de l'exécution des ordonnances alimentaires et de garde d'enfants verse cet argent chaque mois, si je ne me trompe.

.1055

Mme Brown: Je serais d'accord avec vous, à savoir qu'il ne faut pas compliquer le régime de faillite si j'étais convaincue, ainsi que vous l'avez dit plus tôt, que le régime fonctionne bien en Ontario. Savez-vous que 70 p. 100 des ordonnances de séparation et de divorce en Ontario qui prévoient le versement d'une pension alimentaire sont en arrérage à l'heure actuelle? Savez-vous que la plupart de ceux qui attendent ces versements connaissent actuellement des difficultés financières?

Si vous croyez que le système fonctionne bien, je peux comprendre votre point de vue. Mais la réalité est tout autre, le système ne marche pas bien. En Ontario, même si le système ne fonctionne pas bien actuellement et qu'il n'est pas doté du personnel suffisant ni des moyens financiers nécessaires... Il y a deux semaines à peine, le gouvernement a annoncé qu'il diminuait les effectifs et réduisait les fonds nécessaires de manière draconienne. La Direction de l'exécution des ordonnances alimentaires et de garde d'enfants n'est donc qu'une plaisanterie pour ceux qui demandent son appui. Les choses ne se passent pas de cette façon-là.

Au bout de plusieurs années d'attente et de recherche, ce serait un miracle pour certaines de ces personnes qui ne reçoivent rien, et ce depuis des années, dont la demande auprès de la Direction de l'exécution des ordonnances alimentaires et de garde d'enfants reste lettre morte, de recevoir une somme forfaitaire par suite de faillite. La réalité, c'est que le système ne fonctionne pas bien; on essaye en quelque sorte ici de s'assurer que toute personne qui ne s'acquitte pas de ses responsabilités en matière de pension alimentaire va voir certains de ses biens transférés pour la forcer à remplir sa première obligation soit, à mon avis, son obligation envers sa famille.

Je suis donc totalement en désaccord avec vous sur ce point et je crois qu'il s'agit d'un pas dans la bonne direction, puisque l'on essaie de faire comprendre aux Canadiens qu'en tant que parents, qu'ils soient en faillite ou non, ils doivent subvenir aux besoins de leurs enfants. Aujourd'hui, si vous présentiez une demande à la Direction de l'exécution des ordonnances alimentaires et de garde d'enfants pour percevoir ces arrérages, on vous dirait que votre dossier ne sera pas examiné avant 18 mois. Ce n'est pas ce que j'appelle un système bien rodé.

M. Kershman: Votre remarque est pertinente.

Je continue toutefois à croire que cette modification causera éventuellement plus de problèmes qu'elle n'est censée en résoudre. En outre, si les retenues sont faites à la source par l'employeur, j'ai du mal à comprendre pourquoi beaucoup de gens ne payent pas. À mon avis, s'ils ne payent pas, c'est parce qu'ils sont indépendants et non employés.

Mme Brown: C'est possible, mais aussi le fait est que le dossier de saisie du revenu de certains n'a jamais été examiné par la Direction de l'exécution des ordonnances alimentaires et de garde d'enfants. Le travail n'est tout simplement pas fait.

M. Kershman: Je n'ai rien à dire à ce sujet.

Le président: Monsieur Kershman, merci beaucoup. Vous m'avez dit dans le passé que vous vous intéressiez à ce projet de loi et vous nous avez certainement fait profiter de votre expérience. Le comité vous en remercie. Vous connaissez sans doute les personnes derrière vous. Il s'agit de fonctionnaires qui écoutent ces recommandations très attentivement et nous allons essayer de tout faire pour que ce projet de loi soit la meilleure mesure législative possible.

Merci beaucoup de nous avoir consacré de votre temps. Les membres du comité vous remercient de votre participation.

M. Kershman: Merci, monsieur le président et membres du comité.

Le président: Nous reprendrons la séance le mardi 24 septembre.

Retourner à la page principale du Comité

;