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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 21 novembre 1996

.1006

[Traduction]

Le président: Conformément aux dispositions du paragraphe 108(2) du Règlement, le comité reprend son examen des sciences et de la technologie ainsi que du «déficit d'innovation» au Canada.

Je souhaite la bienvenue aux témoins.

Je précise à l'intention des membres du comité que nous allons avoir ce matin un dispositif tout à fait inhabituel. J'ai hâte de l'essayer. Nous allons nous servir nous-mêmes de la technologie et ne pas simplement en parler. Nous aurons des témoins de la Colombie-Britannique qui vont participer à nos délibérations par l'intermédiaire d'une téléconférence. Ils se joindront à nous vers 11 heures. Lorsqu'on me dira que tout est prêt sur le plan technique, nous ferons une courte pause pour laisser les techniciens faire leur travail et ne pas avoir à attendre, les bras croisés, qu'ils aient fini. Nous reprendrons nos travaux tout de suite après.

Nous allons accueillir ici aujourd'hui en personne deux témoins qui vont entamer les discussions de notre table ronde. Voilà un mois maintenant que nous organisons des tables rondes. Nous demandons en général aux témoins de commencer par un exposé de 10 minutes. C'est un chiffre approximatif. Les membres du comité peuvent ensuite intervenir.

Nous avons pu constater que les membres du comité prenaient un grand intérêt à discuter de ces questions. Si vous avez oublié d'aborder une question dans votre exposé, n'hésitez pas à le faire par la suite car les membres du comité sont prêts à écouter tout ce que vous avez à dire.

Nous avons retenu la salle pendant trois heures. Nos séances durent généralement entre deux et trois heures selon le nombre de témoins que nous entendons et en fonction d'autres facteurs encore. C'est donc variable. Nous donnerons à chacun la possibilité de poser des questions.

Merci d'avoir pris le temps, malgré vos occupations professionnelles, de venir autour de cette table pour nous faire part de votre expérience et nous communiquer votre intérêt en la matière. Nous sommes tous des amateurs de ce côté-ci et nous sommes donc heureux de pouvoir bénéficier de votre apport professionnel, qui nous aidera tout au long de cette étude.

Je vais demander à Claudine Simson, vice-présidente adjointe, recherche externe et propriété intellectuelle chez Nortel, d'entamer la discussion.

Madame Simson, je vous souhaite la bienvenue. Pourriez-vous nous dire quelques mots de la place que vous occupez et de vos fonctions au sein de votre entreprise avant de commencer votre exposé?

Claudine Simson (vice-présidente adjointe, Recherche externe et propriété intellectuelle, Nortel): Laissez-moi d'abord me présenter en quelques mots. Je travaille chez Nortel. Voilà 17 ans que je suis chez Nortel.

J'exerce des fonctions très intéressantes chez Nortel. Je m'occupe de tous les programmes de recherche externes de cette entreprise, notamment en ce qui a trait aux universités et aux laboratoires du gouvernement ainsi qu'en collaboration avec des partenaires au sein d'alliances stratégiques et de coentreprises.

Je m'occupe aussi des éléments d'actif de l'entreprise qui sont liés à la propriété intellectuelle en m'efforçant de faire progresser ces éléments d'actif pour les besoins de l'innovation et afin que l'entreprise en retire des avantages sur les marchés et sur un plan stratégique. Là encore, c'est une fonction exercée à l'échelle mondiale, mais mon siège se trouve à Ottawa, au Canada. J'ai du personnel dans le monde entier, mais la grande majorité de mes employés sont postés ici, à Ottawa.

Je vais commencer par vous donner un aperçu de ce qu'est Nortel. Je dois aussi préciser avant de me lancer dans mon exposé que je parle aussi français.

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[Français]

Bonjour, mesdames et messieurs. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions en français ou en anglais, comme vous le voudrez.

[Traduction]

Nous sommes une grosse entreprise, vous le savez probablement, qui emploie 65 000 personnes dans le monde. Notre chiffre d'affaires, l'année dernière - je ne suis pas encore autorisée à faire des prédictions au sujet du chiffre d'affaires de cette année - s'est élevé à près de 11 milliards de dollars US et il faut bien voir que précisément 61 p. 100 de ce chiffre d'affaires a été réalisé en Amérique du Nord, le reste l'étant sur les marchés internationaux.

Nous avons 26 filiales principales dans le monde entier. Nous avons plus de 30 installations de R-D et aussi plus de 30 usines de fabrication. Nous sommes représentés dans quelque 100 pays.

Je vais vous donner une idée de ce que nous faisons au Canada, notre principal secteur d'intérêt. Nous avons de larges effectifs au Canada, soit 22 000 employés au total. Nous affectons une grande partie de notre budget de recherche et de développement ici même au Canada. Nortel dépense au total dans notre pays 1,2 milliard de dollars de R-D, ce qui représente 20 p. 100 de l'ensemble de la R-D faite par l'industrie dans notre pays et 80 p. 100 de la R-D qui est faite dans le secteur des télécommunications au Canada.

Nous travaillons aussi avec un grand nombre de fournisseurs et d'entrepreneurs dans notre pays et nous fournissons des emplois. Nous versons jusqu'à 1,5 milliard de dollars chaque année à ces entrepreneurs canadiens, ce qui est une autre facette de la contribution de Nortel à l'économie de notre pays.

Comme vous le savez, le siège de la R-D de Nortel se trouve ici même dans la vallée de l'Outaouais. Nombre de nos anciens employés ont créé de multiples entreprises de haute technologie qui sont aujourd'hui en activité. Plus de 55 entreprises de haute technologie ont en fait été créées par des gens sortis de Nortel ou de Bell Northern Research, la branche qui s'occupait auparavant de notre R-D.

Nortel engage plus de 20 p. 100 de tous les diplômés en génie électrique et en sciences informatiques de notre pays. C'est un très gros débouché pour les universités.

J'aimerais vous donner une idée de la contribution de Nortel à l'emploi et à l'économie du Canada. Je vous renvoie au tableau de droite. Vous y voyez la répartition des rentrées d'argent. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, 61 p. 100 se situe en Amérique du Nord, 11 p. 100 de notre chiffre d'affaires se faisant au Canada, 50 p. 100 aux États-Unis et 39 p. 100 dans les autres pays du monde. Cela vous fait voir que le chiffre d'affaires et les recettes ne s'élèvent qu'à 11 p. 100 pour le Canada, soulignant ainsi la part que jouent les marchés internationaux dans le succès de notre entreprise.

À gauche, vous pouvez voir dans le tableau de répartition que même si nous ne faisons que 11 p. 100 de notre chiffre d'affaires au Canada, 52 p. 100 de nos emplois en R-D se trouvent au Canada. Cela signifie que la majorité de la R-D se fait ici au Canada. Pour ce qui est de nos emplois en R-D, 33 p. 100 se trouvent aux États- Unis et 15 p. 100 dans les autres pays du monde. Nous employons en grande partie au Canada non seulement notre personnel de R-D mais aussi notre personnel de fabrication, de soutien administratif, de gestion et d'autres secteurs professionnels. Nous employons environ 29 p. 100 de notre personnel au Canada, 35 p. 100 aux États-Unis et 36 p. 100 dans le reste du monde.

Cela vous donne une idée de l'importance que nous accordons au Canada pour l'embauche de notre personnel de R-D et du nombre d'emplois que nous créons effectivement au Canada, tout particulièrement dans le secteur de la R-D, ce qui nous permet d'offrir des perspectives nouvelles et un nouveau potentiel d'innovation au Canada.

À la ligne suivante, je vais vous parler de ce que fait notre entreprise pour garder sa position de leader et pour faciliter l'innovation. Cela vous donnera une idée des stratégies et des mécanismes que nous avons mis en place pour aborder toute cette question de l'innovation.

Nous avons à gauche les services, les produits, les mécanismes et la technologie et chacune des colonnes verticales vous permet de voir quelles sont nos stratégies actuelles.

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En commençant par la droite, nous avons une stratégie sur les droits d'auteur, qui tient compte des besoins à long terme de l'entreprise. Lorsque je parle de long terme, je veux dire plus de quatre ans - entre cinq et dix ans. Nous parlons ici de nouvelles technologies. Vous pouvez voir au bas du tableau la façon dont se déroule tout ce mécanisme d'innovation. Nous développons des stratégies relatives aux droits d'auteur qui nous permettent d'instituer un cadre favorisant l'entrée dans l'entreprise des nouvelles notions et des inventions.

Les colonnes du milieu vous donnent une idée des stratégies de réseau pour le moyen terme, soit entre deux et quatre ans. Nous cherchons ici à aborder de nouvelles perspectives d'entreprise. Il s'agit là de la véritable innovation, et cette innovation consiste en fait à mettre en application une invention pour en faire un produit ou un service. C'est ce que nous faisons et nous avons des stratégies en conséquence pour les besoins des services et des produits de l'entreprise.

La dernière colonne de gauche se rapporte à la stratégie de produit à court terme - entre un et trois ans. Nous abordons ici en fait la mise en marché des nouveaux produits. C'est la réussite de la commercialisation des innovations que nous avons su incorporer à nos produits et à nos services.

Le tableau suivant vous donnera une idée de la façon dont on gère la technologie de façon à pouvoir être en pointe et innover. C'est l'ensemble du cycle de participation de l'entreprise. Je vous le répète, cette recherche et ce développement se font en grande partie au Canada.

Les différents stades de développement des produits que nous avons mis en place impliquent à la fois la recherche et le développement et comportent une recherche fondamentale, qui est en fait la recherche sur les techniques de base qui devraient nous permettre d'être à la pointe à l'avenir.

La recherche appliquée implique que l'on ait de solides centres de compétences dans les techniques qui nous paraissent devoir être appliquées aux produits et aux services. Nous entreprenons alors de mettre en place ce que nous appelons des projets pilotes. Cela nous amène à mettre en place un programme pluridisciplinaire devant nous permettre de valider les choix technologiques que nous avons faits ainsi que l'intérêt de notre produit. Nous passons alors à des applications pilotes, qui nous permettent d'appliquer pour la première fois les produits de notre technologie et de passer alors au stade du développement et de l'évolution du produit.

Au stade de la recherche, nous investissons énormément dans les programmes universitaires. Vous pourrez voir nos différents programmes dans le tableau qui suit et, là encore, la grande majorité d'entre eux sont au Canada.

Voilà 12 ans que nous participons à des programmes universitaires et à des programmes d'enseignement. Nous avons divers programmes, mais nous possédons un service très bien armé pour prendre en charge ce foisonnement de programmes au sein du cycle de recherche et de développement pour le compte de notre entreprise. Ceux que j'appelle mes partenaires sont donc les universités, les instituts, les laboratoires des gouvernements, les consortiums de recherche, les réseaux de centres d'excellence, un programme d'une grande importance dans lequel nous avons une très grosse participation, et les forums de l'industrie. Nous travaillons avec tous ces partenaires, les plus gros investissements se faisant d'abord au sein des universités puis, bien entendu, dans le réseau des centres d'excellences, dont vous avez probablement entendu parler, un programme qui revêt une grande ampleur dans notre pays et que je considère extrêmement précieux, qui relie toutes les universités avec des partenaires de l'industrie.

Nous avons institué des programmes très divers pour répondre à nos besoins et à ceux de nos partenaires de recherche. La recherche effectuée sous contrat est un outil très sûr qui est en fait complémentaire de nos propres programmes de R-D. Nous accordons aussi des subventions à la recherche, généralement en association avec d'autres entreprises de l'industrie ou en partenariat avec le gouvernement, avec le CRSNG en particulier.

Nous sommes très présents dans le domaine suivant, qui est celui de la création de nouvelles facultés au sein des universités dans des disciplines qui nous paraissent nécessaires pour que l'on développe les technologies dont nous avons besoin. Nous avons aussi créé un grand nombre de chaires, la grande majorité au sein du CRSNG.

Le développement des programmes est aussi important. Nous accordons des années sabbatiques ou des séjours prolongés dans nos laboratoires aux professeurs et au personnel enseignant des facultés. Nous avons de nombreuses places pour les étudiants des programmes de coopérative. Nous accueillons au Canada, chaque année, plus de 750 étudiants des programmes de coopérative. Nous offrons des places d'internat dans nos laboratoires à des étudiants de troisième cycle qui font une maîtrise ou un doctorat, ces étudiants étant étroitement supervisés par des professeurs d'université et par des membres de notre personnel.

Le dernier projet porte sur le travail de consultation dans le réseau scolaire. Pour améliorer notre système scolaire, il faut aller voir ce qui se passe dans les écoles. Bien évidemment, nous donnons aussi du matériel pour permettre aux étudiants de travailler sur les modèles les plus récents et de valider leur recherche.

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Nous sommes présents dans la grande majorité des pays. Nous faisons plus de 50 p. 100 de notre recherche au Canada.

Après vous avoir donné cet aperçu des activités de Nortel, je vais vous faire maintenant un certain nombre de propositions et attirer votre attention sur certains points à considérer pour remédier au déficit d'innovation au Canada. J'ai consigné six points dans mon tableau.

Le premier consiste à promouvoir et à encourager les partenariats avec l'université et l'industrie. Il y a deux volets. Le premier revient à constituer les partenariats nécessaires pour développer les techniques dont on a besoin dans notre pays afin que l'on réussisse à innover et que ces partenariats débouchent sur la création d'entreprises ayant du succès.

Le deuxième volet, d'une grande importance, revient à chercher à aider les universités à se doter de programmes offrant les qualifications dont a besoin notre pays pour disposer d'une main- d'oeuvre industrielle fortement qualifiée que l'on puisse mettre à profit. Pour cela, il est absolument fondamental que les universités et l'industrie travaillent main dans la main.

Le deuxième point consiste à faire en sorte que les entreprises de haute technologie bénéficient de mesures incitatives du gouvernement qui soient axées sur la performance. Je me réfère plus particulièrement aux crédits d'impôt à la R-D. Les grosses entreprises consacrent beaucoup d'argent à la R-D et créent des emplois. Nous aimerions que le gouvernement continue à les appuyer à l'aide de ces crédits d'impôt à la R-D, toujours en fonction de la performance de ces entreprises en matière de R-D. Il ne s'agit pas ici de demander des subventions.

J'ai déjà évoqué le troisième point. Je pense qu'il nous faut accorder une grande importance à nos réussites à l'exportation sur les marchés internationaux, afin de réduire notre déficit à l'exportation. C'est très important, bien entendu, pour des entreprises comme Nortel. Une grande part de nos ventes se font à l'exportation. Nous aimerions que le gouvernement poursuive des initiatives comme celle d'Équipe Canada. Elle a eu beaucoup de succès et revêt une grande importance. Elle a ouvert notre pays sur le monde et a intensifié la collaboration entre le secteur privé, le secteur public et la communauté internationale. Elle a fait du Canada un chef de file dans cette nouvelle ère industrielle.

Le quatrième point a trait à la recherche fondamentale. Par «recherche fondamentale», nous entendons l'infrastructure de recherche fondamentale de notre pays et pas nécessairement une augmentation des crédits consacrés à la recherche fondamentale. Je parle d'encourager la recherche fondamentale dans des secteurs et des disciplines qui seront les moteurs de la croissance de notre pays à l'avenir. Choisissez les disciplines et les secteurs de la technologie, telles que techniques de l'information ou sciences de la vie, qui vont vous rapporter un meilleur rendement sur votre investissement que d'autres secteurs, par exemple. Choisissez ces disciplines et faites porter la recherche fondamentale sur ces questions. Dotez-vous d'une très forte infrastructure dans notre pays pour ces grandes disciplines.

Le cinquième point consiste à faire preuve de souplesse pour ce qui est des droits relatifs à la propriété intellectuelle. C'est important lorsqu'on fait de la recherche et lorsque l'on veut avoir une infrastructure de recherche fondamentale dans un pays. Les entreprises industrielles veulent pouvoir bénéficier des droits relatifs à la propriété intellectuelle lorsqu'elles intègrent l'ensemble de cette recherche dans leurs produits et il faut donc que le gouvernement fasse preuve de souplesse au sujet de la propriété intellectuelle lorsqu'il traite, par exemple, des droits d'exclusivité, qui peuvent être exigés par certaines entreprises pour qu'elles puissent commercialiser leurs produits.

Le dernier point vise à faire en sorte que les innovateurs bénéficient d'une certaine reconnaissance. Il faut appuyer et promouvoir la science et la technologie. Il faut que les représentants du gouvernement et du Parlement soient conscients de l'importance de la science et de la technologie ainsi que de l'innovation, et encourage, appuie les initiatives visant à en faire la promotion dans notre pays, au sein de notre réseau d'enseignement, chez les jeunes, en décernant des prix s'adressant aux gens ou aux entreprises qui font preuve d'un grand esprit d'innovation, sur le modèle des prix que décerne le gouvernement dans le domaine des lettres et des arts, par exemple. Il serait très bon que l'on fasse la même chose pour les innovations industrielles. Cela encouragerait la création dans notre pays et inciterait tout particulièrement les jeunes à faire preuve d'un esprit d'entreprise, à se lancer dans l'innovation et à s'intéresser aux sciences et aux techniques.

Le président: Je vous remercie.

Nous allons maintenant donner la parole à Peter avant de passer aux questions. Les six points que vous avez recensés à la fin aideront énormément le comité à choisir ses questions.

Je passe maintenant la parole à Peter Eddison, qui représente Fulcrum Technologies Inc. Monsieur Eddison.

M. Peter Eddison (vice-président, Stratégie et développement du commerce, Fulcrum Technologies Inc.): Merci.

Je vais vous présenter rapidement Fulcrum dans cet exposé, mais j'aimerais préciser dès le départ que notre entreprise a presque exactement un pour cent de la taille de Nortel. Dans nos rêves les plus fous, si nous pouvions avoir la même réussite que Nortel, ce serait formidable. Il vous suffit donc de prendre les tableaux et les chiffres que vous a présentés Mme Simson et de les diviser par 100 pour avoir une idée de Fulcrum.

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Notre entreprise a été fondée ici même à Ottawa en 1983. J'ai été l'un des fondateurs de cette entreprise. Je suis actuellement responsable de la stratégie et du développement des entreprises et j'ai donc des rôles très divers. Comme vous pouvez l'imaginer, dans une entreprise de la taille de la nôtre, il y a bien des responsables qui font bien des choses différentes.

Je vous remercie de m'avoir invité et de m'avoir donné l'occasion de comparaître ici aujourd'hui.

Je vais commencer par une diapositive. Il y a évidemment une chose que je tiens à préciser. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que l'avenir de notre industrie à l'ère de l'information est de toute évidence axé sur la technologie et l'innovation. Je répète, pour aller dans le même sens qu'un exposé précédent, que notre marché intérieur est très réduit et qu'à certains égards il ne suffit pas que le Canada soit aussi bon que tous les autres; nous devons avoir plus que notre part d'entreprises novatrices pour avoir du succès. Il n'est pas suffisant d'avoir une part proportionnelle à la taille de notre marché.

Cela s'explique par le fait - et je prendrai l'exemple de Fulcrum dans le prochain tableau, mais c'est la même chose que pour Nortel - que notre industrie va être mondiale et doit l'être.

Nous cherchons à faire en sorte que l'innovation ait son siège au Canada. Ce sont les fonctions clés exercées au siège social comme la R-D, la commercialisation centralisée ainsi que la stratégie et le développement des entreprises, qui déterminent l'avenir de l'innovation. Nous devons prendre conscience de la nécessité d'exercer ces fonctions au Canada. Nous ne pouvons pas espérer réaliser l'ensemble du chiffre d'affaires de nos entreprises ici même au Canada.

Très rapidement, le tableau suivant nous donne l'exemple de Fulcrum. Je pense que les tableaux sont très proches ou pratiquement les mêmes que ceux de Nortel, en divisant les chiffres par 100.

J'ai appris ma leçon: j'oublie de mentionner l'échelle lorsque je dois concurrencer des entreprises comme Nortel.

Des voix: Oh, oh!

M. Eddison: Prenez notre chiffre d'affaires, par exemple, il s'élève à environ 70 millions de dollars. Nous avons des bureaux dans neuf pays différents. Nous vendons dans 40 pays différents par l'intermédiaire de nos associés. Moins de 10 p. 100 de notre chiffre d'affaires est réalisé au Canada. Toutefois, au niveau de l'emploi, plus des deux tiers de nos emplois sont situés au Canada, et près de la totalité de nos postes techniques le sont aussi. Il s'agit de la R-D et des services à la clientèle à l'échelle mondiale. Presque tous nos employés canadiens occupent en fait des postes techniques étant donné que nos administrateurs et nos vendeurs sont généralement des ressortissants étrangers embauchés à l'extérieur du pays.

Là encore, le tableau a la même forme que celui de Nortel. Sa taille est tout simplement bien plus réduite. Toutefois, cela montre à quel point l'innovation joue un rôle déterminant au Canada. Quel que soit le montant des approvisionnements qu'engage le gouvernement fédéral, ce petit tableau ne changera pas beaucoup. Il faut accepter cette réalité. En fait, si nous réussissons à maintenir l'innovation ici, nous pourrons vendre avec succès dans le monde entier.

Il est intéressant de constater que j'ai probablement les six mêmes points à évoquer queMme Simson, mais ils figurent dans des tableaux différents. Je vais commencer par insister sur une chose que nous connaissons tous mais qu'il me paraît utile de répéter. Il est indéniable que des entreprises comme la nôtre en sont à un stade où une chose nous paraît très évidente: la haute technologie est en soi très risquée. Si nous abordons le problème en nous demandant quels sont les programmes de soutien que nous pouvons mettre en place tout en nous efforçant de mesurer leur rendement avec les méthodes qui peuvent être employées pour d'autres entreprises, nous serons déçus. La plupart des entreprises vont échouer. Cela tient à la nature de la haute technologie. Lorsqu'on gagne, on peut gagner gros.

L'autre problème, c'est que la haute technologie est risquée d'un bout à l'autre de la chaîne. J'imagine qu'elle reste risquée pour Nortel, mais je peux vous affirmer qu'elle a été risquée pour Fulcrum à chacune des étapes de notre croissance. Elle est risquée au tout début, lorsque l'entreprise se demande si telle ou telle invention est fiable et si l'on peut la mettre en pratique. Elle est risquée au stade intermédiaire de la croissance, lorsqu'on se demande si l'innovation est commercialisable ou «vendeur» si vous préférez. Est-ce que l'on peut en faire un produit que les gens vont acheter? Elle est aussi risquée au stade de la croissance, qui est celui dans lequel se trouve Fulcrum à l'heure actuelle. Est-ce «mondialisable»? Peut-on vendre ce produit à l'échelle mondiale? Il faut y parvenir pour avoir du succès.

La haute technologie est risquée à différents égards à chacune de ces étapes et, je vous le répète, je suis sûr que passée l'étape où en est Fulcrum, elle continue à être risquée d'une façon que je peux difficilement imaginer. Ainsi, les droits liés à la propriété intellectuelle ne posent pas généralement de gros problèmes aux entreprises de notre taille, alors qu'elles en posent aux plus grosses entreprises.

Les différentes étapes que je viens d'évoquer sont les mêmes pour toutes les petites entreprises. Quiconque bâtit une chaîne de pizzerias ou de concessionnaires automobiles a les mêmes problèmes, mais la haute technologie entraîne des risques accrus qui tiennent à la vitesse du changement. Nous avons toujours peur que ce que nous sommes en train de faire soit rendu dépassé par ce que fait quelqu'un d'autre, notamment quelqu'un qui est implanté ailleurs dans le monde.

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Le risque inhérent à la haute technologie n'est donc pas seulement celui qui s'attache aux activités de toutes les autres entreprises, car la rapidité du changement entraîne d'énormes risques parce que même si tout est fait à la perfection, quelqu'un d'autre pourra toujours avoir fait un peu mieux un peu plus tôt.

Bien entendu, je vous fais part ici de mon jugement personnel. Je ne connais pas toutes les réponses et je n'aimerais certainement pas être à votre place lorsqu'il s'agit de savoir ce que peut faire le gouvernement pour aider la R-D.

J'ai examiné les trois étapes par lesquelles est passée Fulcrum en soulignant les choses qui nous ont été utiles et les éléments qui continuent à être utiles à d'autres.

Au tout début, il faut bien entendu mettre l'accent sur la R-D. Lorsqu'on se demande «Est-ce qu'il est possible d'inventer cela?», la clé du succès est la R-D. Je suis d'accord pour dire que l'élément crucial est l'appui à la R-D, même si les programmes de soutien comme le PARI ont été particulièrement utiles à des entreprises comme la nôtre aux premiers stades de leur développement et continuent à l'être. Nous avons largement utilisé le PARI et avec un grand succès.

Pour ce qui est des incitations fiscales à la R-D, les montants en chiffres absolus sont plus faibles pour nous, mais l'échelle est la même. Le soutien apporté à la R-D par des mesures fiscales est extrêmement important en ce qui nous concerne et nous aide à faire davantage de R-D que nous ne pourrions le faire autrement. Lorsqu'on investit 15 p. 100 de son chiffre d'affaires dans la R-D, il faut que l'on obtienne un rendement d'au moins 10 contre 1 de la R-D que l'on effectue si l'on veut pouvoir s'en sortir. L'appui accordé à la R-D est fondamental.

Pour les petites entreprises, les consortiums de R-D peuvent être utiles. Nous sommes membres, par exemple, du Consortium stratégique canadien en matière de logiciels qui, je le répète, nous a bien servi. Il permet à un petit groupe d'entreprises canadiennes - six, je crois - de se regrouper et de se démultiplier et de devenir six fois plus fortes pour prendre en charge des programmes de R-D qu'aucun d'entre nous ne pourrait entreprendre individuellement.

Pour finir, je vais vous parler de l'enseignement postsecondaire. Je comprends bien que les responsabilités du gouvernement fédéral dans ce domaine sont souvent floues, mais il nous paraît inquiétant que l'on puisse penser retirer notre soutien au secteur de l'enseignement, notamment au niveau postsecondaire, notamment dans le secteur technique, et notamment lorsqu'on parle d'excellence. Nous concurrençons au plus haut niveau les autres pays du monde et il est absolument indispensable que nous continuions à encourager nos enfants à rester à l'école, à rester à l'université et à exceller.

Oublions maintenant les premiers stades du développement en matière de R-D. Certes, la R-D est importante à tous les stades, mais nous pensons que les gouvernements peuvent jouer un rôle dans le domaine des approvisionnements pour une entreprise de taille moyenne comme la nôtre. J'hésite à parler ainsi puisque j'ai déclaré en présentant ma première diapositive que quels que soient les approvisionnements faits par les gouvernements au Canada, notre chiffre d'affaires ne va pas beaucoup changer. Toutefois, et c'est surtout vrai au stade intermédiaire, le gouvernement a un rôle à jouer pour favoriser une adoption rapide des produits par l'intermédiaire d'une politique d'approvisionnement que je qualifierais de créatrice.

Pensez-y. Il y a des projets, par exemple au gouvernement fédéral, qui peuvent être équipés grâce à des techniques mises au point par des entreprises canadiennes du secteur de la technologie et qui, une fois commercialisées, peuvent être vendues à une bien plus grande échelle à d'autres organisations. Nous en avons eu des exemples ici même avec des projets pilotes comme celui de la Bibliothèque du Canada. Nous avons désormais un très gros contrat avec la Bibliothèque nationale de Paris, par exemple.

Par conséquent, le recours créatif à des projets pilotes, les bancs d'essais... Souvenez-vous que les entreprises canadiennes du secteur de la technologie sont très petites. Nous avons 300 employés. Tous nos clients sont bien plus gros que nous. Comment faisons-nous pour tester les applications de nos produits dans la vie réelle? Nous les faisons tester dès le début par nos clients situés sur place.

Notre tout premier client a été Revenu Canada - Impôt, il y a 13 ans. Voilà le genre d'approvisionnement que l'on peut décider de faire dès le départ pour pouvoir ensuite se lancer au niveau mondial. Il sert aussi de référence. Nous avons pu nous rendre compte par ailleurs que lorsque nous cherchons à vendre à d'autres gouvernements dans le monde, nos interlocuteurs sont très surpris si nous ne pouvons pas nous servir de la référence du gouvernement canadien en le présentant comme l'un de nos clients.

Au niveau intermédiaire, du moins, le gouvernement peut consacrer de l'argent à la technologie canadienne d'une manière qui facilite son adoption au départ. La semaine dernière, alors que j'évoquais toutes ces questions lors d'une conférence gouvernementale sur Internet, un administrateur est venu me dire: «Écoute Peter, je suis un gestionnaire au sein du gouvernement et je ne suis absolument pas récompensé si je prends des risques. Si je choisis ton logiciel de préférence à celui d'un grand fabricant connu et si mon projet est retardé d'une semaine, je vais me faire taper sur les doigts. Comment faire pour que je puisse être récompensé si je prends des risques en te choisissant?» Voilà le défi à relever.

Passons maintenant au stade de la croissance, qui est celui de Fulcrum, dirais-je. Notre entreprise vaut 70 millions de dollars et progresse de 50, 60 ou 75 p. 100 par an. Nous avons ici un problème de culture d'entreprise que je vais évoquer à cette table. Il faut que nous laissions nos gagnants continuer à gagner. Pensez à la croissance de Nortel; chaque année, il est probable que Nortel ajoute à son entreprise l'équivalent de la totalité du secteur canadien des logiciels. Fulcrum elle-même va ajouter l'année prochaine entre 30 et 40 millions de dollars à son chiffre d'affaires. C'est l'équivalent de 10 entreprises à 5 millions de dollars.

Nous devons donc bien voir que lorsqu'une entreprise réussit bien, nous devons l'encourager à continuer à bien faire et à le faire au Canada sans avoir à se réinstaller ailleurs dès que les bénéfices deviennent substantiels.

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Il nous faut faciliter ce que j'appellerais l'afflux de capitaux à risque en provenance des grands réservoirs de capitaux. Nous devons constituer de grands réservoirs de capitaux au Canada, par l'intermédiaire des banques, des sociétés d'assurance et autres, qui soient davantage axés sur les investissements à risque dans des entreprises comme la nôtre. Je n'ai aucune idée de la façon dont on pourrait y parvenir. Tout simplement, il m'apparaît évident que nos besoins en capitaux sont plus grands à l'heure actuelle. Comme bien d'autres, nous avons inscrit notre entreprise à la cote boursière NASDAQ. L'apport de capitaux reste un problème pour des entreprises de notre taille, il n'y a pas que celles qui démarrent qui éprouvent des difficultés.

Il nous faut en second lieu favoriser les pépinières d'entreprises. L'exemple de Nortel est intéressant. Bien entendu, je sais aussi tout ce qu'a fait Newbridge ici même à Ottawa pour essaimer de nouvelles petites entreprises. Newbridge est devenue un grand créateur de nouveaux projets mis en oeuvre par ses nouveaux rejetons. Des entreprises comme Newbridge ou Nortel ont des connaissances remarquables pour ce qui est d'investir dans ces projets et il nous faut les encourager. Je ne sais pas comment - éventuellement en accordant un traitement favorable à ce genre d'investissement. Il est évident cependant qu'à Ottawa des gens comme Mike Cowpland ou Terry Matthews ont démontré qu'ils savaient passer la vitesse supérieure en matière de technologie. Nous devons les encourager à poursuivre dans cette voie.

Enfin, j'aimerais que l'on revoie la question du traitement accordé aux gains en capital. Ce sont des sujets délicats, mais d'un point de vue très personnel, celui de Fulcrum, je dirais que les employés de Fulcrum ont toujours accepté bien volontiers de payer de l'impôt sur les salaires qu'ils touchent. Nous nous estimons très heureux. Toutefois, je préciserai que lorsqu'on a des programmes d'option d'achat d'actions pour les employés, des plans d'achat d'actions devant inciter nos employés à en faire un peu plus, je trouve injuste que lorsqu'on tient compte de tous les risques, lorsqu'on a franchi toutes les étapes du début et que l'on a enfin une société cotée en bourse qui peut finalement récompenser ses employés par des actions dont le prix a augmenté, il faille redonner la moitié de cet argent lorsqu'on le touche. Comme je vous l'ai dit, la question est délicate, mais pour ce qui est surtout des entrepreneurs du secteur de la haute technologie, qui sont des personnes très mobiles, s'il fallait par exemple que l'on découvre soudainement que les États-Unis, ou encore la Californie, s'apprêtent à accorder un traitement bien plus favorable aux gains en capitaux réalisés sur les actions des sociétés que possèdent les employés de ces dernières, notre fuite des cerveaux s'accélérerait énormément.

Comment résumer la chose, en somme? En disant que le problème est difficile à résoudre et que nous n'avons certainement pas toutes les réponses, mais que pour une entreprise de taille moyenne comme la nôtre, la haute technologie est intrinsèquement très risquée et que c'est incontournable. Si nous ne sommes pas prêts à remédier aux problèmes qui risquent de nous handicaper dès le départ, nous ne réussirons pas.

Je résumerai en trois points. Il faut juger souhaitable et possible d'avoir des entreprises implantées au Canada. Par «implantées au Canada», j'entends des entreprises comme Nortel. Sa R-D se fait ici. Ses planificateurs stratégiques sont ici. Ses gourous du marketing sont ici. Ce sont les gens dont les compétences sont nécessaires pour que d'autres puissent progresser. Ce n'est pas la force de vente qui compte, c'est la R-D et le marketing qui sont faits à la base.

Il faut être implanté ici, mais il faut dans toute la mesure du possible que l'on puisse vendre dans le monde entier. Les politiques d'achat exclusivement canadiennes ne nous intéressent pas. Nous sommes bien contents lorsque les pays dans lesquels nous vendons n'ont pas de politiques privilégiant fortement les achats chez elles, parce que nous vendons neuf fois plus à l'étranger qu'au Canada. Nous sommes évidemment des partisans du libre- échange. Nous sommes partisans de la politique ciels ouverts. Nous voulons pouvoir nous transformer du jour au lendemain en une entreprise d'envergure mondiale.

Enfin, il faut nous efforcer d'encourager les gagnants et non pas chercher à les découvrir. Si j'en crois ma propre expérience, et c'est le cas de nombre d'entre nous, nous ne savions pas au départ ce qui allait fonctionner et ce qui allait échouer. Fulcrum est ma cinquième entreprise. Les quatre qui l'ont précédée n'ont pas eu beaucoup de succès. Je ne vois pas non plus comment une institution comme le gouvernement, qui voit les choses de l'extérieur, puisse espérer trouver les gagnants. Ce que nous pouvons faire, à mon avis, lorsque nous nous retrouvons devant un gagnant à quelque niveau que ce soit, c'est de l'inciter à continuer à gagner et à le faire ici. On fait de nombreux paris et certains donnent des résultats. Le tout c'est de ne pas abandonner les gagnants trop rapidement.

Le président: Merci, monsieur Eddison. Vous avez soulevé un certain nombre d'arguments que nous avons entendus auparavant, en les adaptant toutefois à votre situation. Face à vos deux entreprises, les membres du comité auront la possibilité de poser à la fois des questions sur les petites et les grosses entreprises.

Je vais maintenant passer la parole à M. Schmidt. Je vous rappelle que deux autres intervenants nous rejoindront par téléconférence dans la prochaine demi-heure. Il se peut que nous devions vous interrompre, vous, monsieur Schmidt, ou encore un autre membre du comité, en plein milieu d'une question.

M. Schmidt (Okanagan-Centre): Merci, monsieur le président.

Merci de comparaître devant notre comité. Je pense que nous avons la chance insigne de pouvoir entendre des professionnels qui sont à la pointe de la commercialisation et de l'innovation.

J'aimerais demander à Mme Simson de nous donner un peu plus de détails sur la façon dont on peut reconnaître l'apport des novateurs, qu'elle a évoquée dans ses perspectives pour l'avenir.

Que ferait-elle exactement pour reconnaître l'apport des novateurs? Que peut-on faire? Je pense que cela nous ramène plus ou moins à l'idée qui vient d'être évoquée au sujet de la nécessité d'inciter les gagnants à continuer. Pourriez-vous revenir un peu sur ce sujet et nous dire ce que nous pourrions faire pour créer un climat favorable indiquant aux novateurs que leur apport va être reconnu et qu'ils vont être récompensés pour leurs innovations?

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Mme Simson: Je pense que cela peut se faire à deux niveaux. Il y a celui du soutien accordé au sein de l'entreprise, qui est propre à l'entreprise, et il y a l'action des pouvoirs publics.

Je parlerai tout d'abord des pouvoirs publics. Je considère que les responsables du gouvernement et du Parlement peuvent exercer une grande influence en faisant la promotion de la science et de la technologie pour amener les étudiants et les jeunes à entreprendre des études dans ces domaines en sachant que ce sont des secteurs d'avenir qui offrent d'énormes possibilités d'emploi. Il faudrait donc que le gouvernement en fasse sa politique au sein du réseau d'enseignement et l'appuie fermement.

J'ai aussi évoqué dans mon exposé la possibilité de récompenser personnellement les novateurs et de leur décerner bien entendu des prix lorsqu'ils ont réussi à commercialiser avec succès une innovation, et par ailleurs de décerner un prix à l'échelle du Canada qui soit publiquement reconnu, sur le modèle, par exemple, des prix du gouverneur général dans le domaine des arts. Il faudrait que le gouvernement ait quelque chose de cette nature qui s'adresse aux novateurs, quelque chose qui soit publiquement reconnue. Il faudrait aussi que cela soit proclamé haut et fort.

C'est une chose qui est à mon avis extrêmement importante. Le gouvernement devrait aussi reconnaître l'apport des gens qui, au sein de la fonction publique, font un gros effort d'innovation, les gens qui travaillent dans les laboratoires du gouvernement, par exemple. Il faut collaborer avec ces gens et leur faire bénéficier de mesures incitatives, financières et autres.

Je m'alignerai sur la politique qui a cours dans le secteur privé. On s'efforce d'aider les gens pour qu'ils retirent certains avantages financiers en contrepartie de leurs efforts et des risques qu'ils prennent. Essayez de faire en sorte que le gouvernement favorise ce genre de choses.

M. Schmidt: Très bien. Je vous comprends parfaitement.

Je voudrais que l'on se penche un peu plus sur cette politique d'encouragement des jeunes et des scientifiques en puissance qui se trouvent actuellement à l'université. Il me semble que l'un des témoins qui vous ont précédé nous a dit qu'il fallait commencer dès la maternelle. Cela ne revient-il donc pas en quelque sorte à changer notre culture et la mentalité des gens vis-à-vis de la science, de la technologie et de l'innovation?

Dans ce cas, que proposez-vous? Quel changement doit-on apporter pour modifier en fait nos valeurs et adopter une nouvelle attitude vis-à-vis de la science? À l'heure actuelle, tout le monde semble considérer que la science et l'innovation sont des choses difficiles. Tout le monde pense que ce sont des domaines très risqués, qu'il est préférable de ne pas y toucher parce qu'en fin de compte les réussites sont très rares et que ce n'est pas la place de tout le monde.

Mme Simson: Je pense qu'entre la maternelle et la 12e année, on voit d'excellents projets, dont je pourrais vous parler. Si nous pouvions poursuivre dans cette voie, ce serait magnifique.

J'ai été personnellement impliquée dans un projet qui a cours, je crois, dans la région d'Ottawa-Carleton. Je veux parler d'un programme de stage pour les enseignants. Pour exercer une influence sur les jeunes, il faut bien entendu intervenir au niveau des maîtres parce que lorsqu'on s'adresse à un enseignant, on s'adresse en fait à des centaines d'enfants.

Il faut essayer de mieux faire comprendre ce que peut faire la science et la technique pour les enseignants. Demandez-leur d'aller dans les entreprises et d'y faire des stages. Nous sommes prêts à les accueillir. Faites en sorte que les conseils scolaires insèrent ces stages dans leur formation et demandez même aux directeurs d'école de faire des stages en entreprise pendant quelques semaines ou quelques mois pour mieux comprendre les particularités de la science et de la technologie. Évaluez aussi la qualification des enseignants. Certains enseignants ne savent même pas utiliser un ordinateur. Il nous faut intégrer tout cela au réseau scolaire.

Nous avons dans la région d'Ottawa un programme de partenariat qui s'intitule PARTNERS. C'est un partenariat entre les écoles et les entreprises qui nous permet de faire deux choses. Là encore, nous assurons une formation aux enseignants. Il est préférable de faire en sorte que les élèves qui entrent en neuvième année puissent faire un stage de coopérative de deux semaines en entreprise afin qu'ils puissent avoir une idée de ce qu'est la science et la haute technologie, quels sont les débouchés qu'offrent ces disciplines et à quel point il est important de savoir les maîtriser dès le départ. Voilà donc le type de système que nous mettons en oeuvre.

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Nous devons aussi intervenir au niveau de ce que j'appelle les directeurs d'éducation des commissions scolaires pour les familiariser avec la science et la technologie. Nous devons nous occuper des responsables des bureaux d'orientation dans les écoles, notamment dans le cas des élèves qui en sont à leurs deux dernières années. Il faut qu'ils puissent voir des responsables des entreprises. C'est une chose que je fais constamment. De nombreux responsables de Nortel font la même chose - aller faire des exposés et parler aux élèves qui ont des choix à faire. Vont-ils aller à l'université? Doivent-ils aller en médecine ou dans le domaine des arts? Il faut leur parler des sciences et de la technologie. Il faut que des gens du gouvernement, des représentants du CNRC, par exemple, en fassent la promotion. Il faudrait que ce soit un projet dans lequel s'implique l'ensemble du gouvernement.

M. Schmidt: C'est bien beau de parler, à mon avis, mais il est préférable d'agir. C'est une chose qui m'inquiète particulièrement, parce que ce n'est pas en général en écoutant les gens parler que l'on change de comportement. On peut toujours parler, ce n'est pas ce qui fera changer les comportements.

J'aimerais en fait que l'on se penche davantage sur les programmes. C'est une chose qui à mon avis vous intéresse tous les deux. Nous entendons des témoins qui nous disent deux choses contradictoires. D'un côté, nous n'avons pas suffisamment de gens qualifiés; il y a tout simplement une pénurie. Nous manquons d'employés potentiels. Nous l'avons entendu dire par Newbridge. Je ne sais pas si Nortel ou si vous-même avez le même problème. D'un autre côté, on nous dit que nous n'avons jamais autant formé d'ingénieurs diplômés.

Que se passe-t-il donc? Nous avons d'un côté un surplus de diplômés qui n'arrivent pas à trouver un emploi et, d'un autre côté, vous nous dites qu'il y a une pénurie. Il y a un manque de concordance. On n'arrive pas à adapter l'offre à la demande. Je vous pose la question à tous les deux parce que vous avez à mon avis tous les deux votre mot à dire.

Mme Simson: Je peux vous parler de notre situation à Nortel. Je ne sais pas ce qu'ont pu vous dire les autres entreprises. Nous avons de la difficulté à trouver des ingénieurs qualifiés dans notre pays. Il y a deux types de difficultés. Il y a tout d'abord une question de nombre - il n'y en a tout simplement pas assez.

M. Schmidt: Pas assez de quoi?

Mme Simson: D'ingénieurs en électricité et en informatique. Ils ne sont pas suffisamment nombreux dans ces disciplines. Nous devons absolument pousser davantage de gens à entrer dans ces disciplines. Malheureusement, elles sont perçues comme étant les plus difficiles. C'est pourquoi il y a peu de candidats. Nous devons faire quelque chose pour changer ce genre de mentalité.

En second lieu, il y a le fait que les études en électricité et en informatique que l'on fait actuellement dans les universités ne reflètent pas toujours exactement les besoins des entreprises et du secteur de la haute technologie. Nous avons besoin de faire évoluer les programmes pour qu'ils s'adaptent davantage...

M. Schmidt: Comment y parvenir?

Mme Simson: Grâce à des partenariats entre l'université et l'industrie. Comme je vous l'ai dit dans mon exposé, il y a de nombreux programmes de collaboration avec les universités qui permettent de travailler avec les professeurs. En premier lieu, et c'est d'ailleurs le plus important, il faut faire en sorte que les professeurs puissent travailler sur des projets de recherche en collaboration avec l'industrie pour qu'ils puissent comprendre quels sont les domaines de recherche importants et sur quoi l'industrie travaille de manière à pouvoir adapter leurs programmes en conséquence. Nous pouvons donc travailler sur le contenu des programmes.

Le deuxième point très important, qui doit permettre d'attirer et de conserver les étudiants dans ces filières, c'est la façon dont est donné le cours. Nous faisons un gros travail auprès des universités pour changer la façon dont les professeurs donnent leurs cours, non seulement au niveau des moyens eux-mêmes - nous les aidons effectivement à ne plus utiliser des supports dépassés comme le tableau noir mais à recourir à des moyens vidéo et à s'efforcer d'utiliser bien davantage les ordinateurs personnels, le courrier électronique et les possibilités offertes par l'Internet de façon à être tenus au courant des dernières découvertes en la matière - mais aussi la façon même dont ils enseignent, l'«image» qu'ils donnent au projet. S'ils ont des liens étroits avec l'industrie, ils pourront parler dans leurs cours de ce que fait Nortel sur telle ou telle chose ou de ce que sont en train de réaliser Newbridge ou Mitel sur telle autre.

Ils pourront aussi faire venir des gens de l'industrie pour faire des causeries ou même donner des conférences - ce genre d'incitatif revêt là aussi une grande importance. Des responsables de l'industrie viennent faire une ou deux conférences pour que les étudiants puisse savoir ce qui existe. C'est très intéressant pour les étudiants. Cela les aide à rester dans ces facultés parce qu'ils comprennent mieux ce que fait l'industrie et parce qu'ils s'y intéressent davantage.

Le président: Merci. Si vous le voulez bien, nous allons entendre une ou deux autres personnes avant la pause.

Monsieur Murray, aviez-vous des questions à poser?

M. Murray (Lanark - Carleton): Oui. Merci, monsieur le président.

Je tiens à vous remercier tous les deux de votre présence ici. La séance a été très intéressante.

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J'aimerais revenir un peu sur ce que M. Eddison a dit du problème des capitaux détenus par les gros bailleurs de fonds. Plusieurs témoins nous ont dit qu'il y a, au Canada, une abondance de capitaux - les fonds d'investissement, le capital-risque, enfin, largement assez d'argent. J'aimerais donc savoir pourquoi vous y voyez un problème pour votre compagnie.

M. Eddison: Je ne dirais pas que j'y vois le problème principal. J'en ai parlé comme étant un des problèmes. Avant de venir, j'ai rencontré notre principal responsable financier et je lui ai demandé quel serait l'argument qu'il ferait valoir s'il devait n'en faire valoir qu'un seul. Il a répondu que ce serait celui-là. Il y attache donc davantage d'importance que moi.

Nous avons, d'une manière générale, toujours eu l'impression que les gains qui viennent récompenser ceux qui prennent le risque d'investir dans la haute technologie, ne semblent guère avoir d'attrait pour la plupart des grosses sociétés canadiennes de haute technologie, à l'exception, bien sûr, de compagnies telles que Newbridge qui investissent dans des domaines qu'elles connaissent bien.

Je ne sais pas quel serait le moyen de rendre ce genre d'investissement plus attirant pour les personnes qui auraient des capitaux à risquer dans le secteur de la technologie, mais nous avons constaté qu'elles n'ont pas l'air portées à le faire. Oui, il existe effectivement une masse énorme de capitaux, mais il semble qu'il faille payer cher pour y avoir accès.

Il est clair qu'un peu plus tôt, alors que nous étions en train de décider de ce que nous devrions faire - émettre des actions, faire ceci, faire cela - nous ne sommes pas parvenus à obtenir au Canada la moindre injection de capital-risque. Aux États-Unis, par contre, nous avons trouvé plusieurs occasions. Nous avons demandé à être coté à une bourse américaine plutôt qu'au Canada. Cela était plus simple, plus facile. Nous avons pu obtenir un meilleur prix. Donc, il est vrai qu'il existe ici beaucoup d'argent, mais il est également vrai que ce capital ne semble pas comprendre, pour une raison que j'ignore, ce qu'exige un investissement dans une entreprise comme la nôtre.

Autrement dit, je n'ai pas la réponse à votre question.

M. Murray: Vous parlez bien de choses récentes et non d'événements s'étant produits il y a cinq ou six ans?

M. Eddison: C'est relativement récent, puisque cela s'est passé au cours des deux dernières années.

Je crois que la situation s'améliore. Nous avons vu prendre un certain nombre d'initiatives et certaines entreprises ont pu être lancées avec du capital-risque, mais je conserve l'impression que, en général, les Canadiens n'aiment pas le risque. Nous avons parlé de cela pour d'autres raisons, et je crois que ça demeure effectivement le cas.

Je suis d'accord avec vous qu'il est extrêmement difficile de modifier une culture, mais je crois pouvoir dire qu'en général nous n'honorons pas les gagnants autant qu'on le fait ailleurs. Cela se manifeste d'ailleurs sous de nombreux aspects, y compris le fait que les banques renâclent à financer les étapes de notre développement, sans exiger qu'on leur donne nos maisons en échange.

M. Murray: Voilà qui est intéressant. Hier soir, The National, l'émission d'actualités du réseau anglais de Radio-Canada, s'est penché sur les secteurs où il y a des emplois. Il est encourageant de voir ce genre de sujets évoqués aux actualités car cela souligne l'importance que revêtent l'éducation et la volonté d'adaptation. Je crois que cela constitue une part importante d'un nécessaire changement culturel.

Monsieur Simson, vous nous parliez tout à l'heure de l'aide à la recherche fondamentale. Je crois que nous sommes tous d'accord pour dire qu'il n'appartient pas au gouvernement de sélectionner les gagnants et les perdants et que nous devrions accorder notre appui aux gagnants. J'aimerais donc savoir comment il faudrait s'y prendre pour choisir les domaines sur lesquels faire porter nos efforts et comment, aussi, il conviendrait de s'y prendre pour les aider.

M. Simson: Si j'ai évoqué la question de la recherche fondamentale, c'est parce que nous devrions, en tant que pays s'entend, nous pencher sur la recherche fondamentale dans les domaines susceptibles de contribuer le plus à l'économie du pays. Je peux citer, à titre d'exemple, la technologie de l'information, secteur à fort potentiel de croissance, susceptible d'entraîner la création d'emplois. Mais j'ajoute que ce secteur-là permet également à d'autres secteurs d'innover davantage et de mieux affronter la concurrence internationale, en leur fournissant les outils dont ils ont besoin pour prendre place sur les marchés mondiaux. En appuyant de tels secteurs, vous favorisez en même temps la création d'emplois et la richesse dans plusieurs autres secteurs de l'économie nationale.

M. Murray: Il n'y aurait ainsi, d'après vous, qu'à ouvrir les yeux et à se rendre compte de ce qui est en train de se produire. Cela serait donc sans mystère. Il suffirait de miser sur les industries qui ont déjà fait leurs preuves et d'essayer de les faire progresser encore davantage plutôt que de...

M. Simson: Les aider - surtout celles qui devraient avoir un effet d'entraînement. Nous avons dit que dans le domaine de la technologie de l'information, des télécommunications, Nortel a suscité le lancement de plus de 55 compagnies. Il y a donc essaimage de compagnies et cela continue. Newbridge et Corel poursuivent sur cette lancée. Cela a des effets bénéfiques sur les autres secteurs, ainsi que je l'ai dit tout à l'heure.

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La recherche fondamentale a en fait à voir avec le financement que le gouvernement procure à des groupes tels que le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) et avec le fait de continuer à lui accorder des subventions et à aider les réseaux de centres d'excellence. Dans tout le Canada, de telles aides sont accordées aux universités, dans certains domaines précis et pour des travaux également précis. Encore une fois, en ce qui concerne les réseaux de centres d'excellence, il faut nous assurer que nous identifions les gagnants et que nous continuons à leur apporter une aide, à eux et non aux autres. Affectez tous les crédits disponibles à ce qui va contribuer à l'essor industriel et économique du Canada.

M. Murray: Pourriez-vous nous dire quelque chose au sujet des laboratoires publics? Vous avez parlé de l'importance du CRSNG, qui distribue des crédits aux universités et aux chercheurs. Qu'en est- il des recherches effectuées dans les laboratoires publics? Cela est-il dans l'intérêt du pays, ou devrait-on peut-être s'y prendre différemment? Je ne sais pas si la question vous est familière mais, si vous le voulez bien, j'aimerais que vous nous parliez un peu de cela.

M. Simson: Volontiers. Je fais partie du conseil du CNR et je participe donc pleinement à l'activité de cet organisme.

J'estime que les laboratoires publics peuvent énormément contribuer à notre pays, cela étant particulièrement vrai compte tenu du présent mode de fonctionnement du CNR. Il favorise beaucoup, par exemple, l'innovation et l'esprit d'entreprise - comme il convient de le faire.

En ce qui concerne les laboratoires publics, il y a en fait deux approches possibles. La première consiste à se consacrer à la recherche fondamentale, encore une fois de concert avec le secteur privé. Ne pas se lancer, donc, dans des recherches obscures dont on ne peut pas prévoir les applications. Créez un partenariat avec l'industrie et sachez où la recherche fondamentale que vous avez entreprise pourrait mener au niveau de la création de nouveaux produits ou de retombées commerciales ultérieures. Consacrez-vous à ces domaines-là. La seconde manière dont les laboratoires publics peuvent contribuer utilement à l'effort des entreprises est en aidant celles-ci lors de l'étape intermédiaire - c'est-à-dire la validation des concepts technologiques - car les entreprises n'ont peut-être pas les moyens et les ressources nécessaires pour faire cela d'elles-mêmes. Mon confrère vous a parlé des essais, des essais pratiques et de l'incubation. Les laboratoires publics sont bien placés pour servir d'incubateurs, en permettant la mise à l'essai de concepts technologiques qui vont mener à quelque chose, là encore, de concert avec l'industrie.

Il y a donc ces deux voies possibles. D'abord, je ne pense pas qu'il soit bon que les laboratoires publics se lancent dans la dernière phase, c'est-à-dire la mise en oeuvre et la commercialisation des produits, à moins, bien sûr, qu'ils ne veuillent lancer eux-mêmes une nouvelle compagnie, comme le CNR est en train de le faire. Ces deux aspects me paraissent revêtir une importance cruciale. Nous devrions vraiment porter le CNR à modifier ses structures en ce sens - et à accorder les récompenses nécessaires pour cela. Le système de récompenses pose actuellement des problèmes car le gel des salaires et les contraintes budgétaires ont fait qu'il est très difficile de motiver les gens. Il faut donc modifier le système des récompenses. Une culture de partenariat avec l'industrie devrait constituer un élément clé de l'action des laboratoires publics et faire l'objet de récompenses pécuniaires.

M. Murray: Je suis heureux de vous l'entendre dire, car j'allais vous interroger sur le problème de l'incitation dans les laboratoires publics.

M. Simson: C'est effectivement un problème important.

M. Eddison: J'aimerais simplement ajouter que, d'après ce qu'il m'a été donné de voir, la plupart des entreprises de technologie de moyenne envergure ne font pas en fait de recherche fondamentale. Ce type de recherche est le fait d'entreprises de la taille de Nortel, mais les entreprises qui ont notre taille, ou même une taille un peu plus importante, ne font guère de recherche fondamentale. Pour des entreprises comme la nôtre, ce genre de recherche est trop risquée et trop onéreuse. Même pour ceux qui ne reculent pas devant le risque, cela paraît trop aléatoire.

C'est pour cela que je dis que les laboratoires publics effectuent un genre de recherche que des compagnies comme la nôtre ne sont pas du tout en mesure d'effectuer elles-mêmes. J'ai eu l'occasion de participer à un modeste projet qui a permis, à partir de travaux effectués dans un laboratoire de recherche, de parvenir à un produit tout à fait utile.

Les entreprises de haute technologie de moyenne envergure ne sont pas à même de faire de la recherche fondamentale. Et d'après nous, si de tels travaux ne sont pas effectués par des organismes tels que le CNR, ils ne seront pas effectués du tout. De très grandes entreprises peuvent mener de tels travaux, mais nous, nous ne le pouvons pas. C'est dire que nous soutenons fortement le rôle joué en ce domaine par le CNR, car... Notre point fort est la commercialisation, mais nous ne sommes pas à proprement parler des inventeurs. Nous n'avons ni l'argent, ni le temps, ni la patience nécessaires pour mener des projets d'une telle durée. Nous agissons sous la contrainte des bilans trimestriels et cela ne laisse guère de place pour des travaux de recherche fondamentale. C'est pour cela que nous voyons d'un très bon oeil le rôle important que peut jouer le CNR par rapport à des compagnies comme la nôtre.

Le président: Je vous remercie.

Je vais maintenant demander à monsieur Shepherd d'amorcer les questions, puis nous ferons une pause avant de reprendre la séance avec les témoins de Vancouver. Monsieur Shepherd, êtes-vous prêt?

M. Shepherd (Durham): Oui, merci.

L'idée me trotte dans la tête car je viens tout juste de revenir de Taïwan. J'aimerais vous poser quelques questions au sujet de certaines des choses que j'ai pu y observer.

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Ils ont créé, sur un même site, un parc scientifique qui contient deux universités, un ensemble de laboratoires et tout un groupe d'entreprises commerciales. Alors que je m'entretenais avec certains membres de notre représentation commerciale - vous avez évoqué Newbridge Networks et d'autres entreprises qui s'y sont installées - il m«a semblé que, dans notre système fédéral, il est difficile de mettre en oeuvre ce genre de faisceaux de technologie. La raison en est que, au fur et à mesure que nous tentons de faire avancer tel ou tel domaine, le gouvernement vient s'immiscer. Autrement dit, si le gouvernement annonce qu'il entend participer à la recherche biomédicale, mais que le projet va être lancé à Toronto, quelqu'un de Vancouver va s'en offusquer. Notre mode de gouvernement constitue-t-il un obstacle à la création de ce genre de synergies technologiques?

M. Eddison: Permettez-moi de répondre rapidement avant de céder la parole.

Votre remarque me paraît perspicace. C'est une question de masse critique: certaines personnes vivant à Ottawa parlent d'un Silicon Valley North. Il me semble que cette appellation n'est utilisée que par les gens qui ne connaissent pas du tout Silicon Valley. C'est une question d'échelle, et il ne fait aucun doute que la masse critique et les avantages ou les synergies qui en proviennent revêtent une importance essentielle.

Il est vrai que lorsque vous tentez de bâtir une industrie de la haute technologie, lorsque vous avez, en matière de ventes mondiales, un problème d'incubation qui est en porte-à-faux par rapport à une politique de régionalisation, je ne sais pas quel élément il faut privilégier. Je dirais, par exemple, qu'Ottawa commence à atteindre, en matière de technologie, la masse critique, mais tout juste. En essayant de répéter ce genre d'exploit dans plusieurs endroits, je crois qu'on s'empêche d'atteindre la masse critique nécessaire aux synergies. La plupart des personnes que je connais à Silicon Valley - nous y avons beaucoup de partenaires et beaucoup d'amis - ont, au cours de leur carrière dans le secteur des hautes technologies, travaillé dans de nombreuses firmes. Ils passent d'une compagnie à l'autre, apprenant à chaque fois quelque chose de nouveau. Cela n'est possible que si un nombre suffisant de firmes sont regroupées dans un même lieu.

J'estime qu'il y a donc une contradiction entre les efforts en vue d'établir des entreprises dans des lieux différents et la volonté d'atteindre une masse critique.

M. Shepherd: Vous avez dit que votre compagnie est cotée au NASDAQ.

M. Eddison: Elle est également cotée à la bourse de Toronto, mais c'est vrai qu'elle ne l'était pas au départ.

M. Shepherd: Je vois.

Pour revenir à la question qu'a posée M. Murray au sujet de l'accès aux capitaux, j'ai entendu dire - je crois que c'était chez Jetform - mais je n'étais pas vraiment certain de quoi il s'agissait au juste. On semblait dire que les méthodes comptables utilisées aux fins de l'inscription au NASDAQ facilitent beaucoup les choses par rapport à ce qui se passe à la bourse de Toronto. Autrement dit, au NASDAQ, les états financiers sont présentés sous un jour plus favorable qu'à la bourse de Toronto. Pouvez-vous nous dire quelque chose sur cela?

M. Eddison: Je ne connais pas cet aspect du problème. Je pourrais interroger des gens de chez Fulcrum qui pourraient vous fournir une réponse.

Je ne suis pas au courant des différences éventuelles entre les méthodes comptables utilisées. Je sais que, par exemple, aux États-Unis les analystes dans le domaine des hautes technologies sont beaucoup plus nombreux et suivent un nombre beaucoup plus important de compagnies. Il y est, par conséquent, beaucoup plus facile qu'au Canada d'obtenir qu'ils se prononcent en connaissance de cause sur les compagnies qui viennent de démarrer, lorsqu'il s'agit de faire coter une compagnie en bourse. C'est simplement qu'il y a un éventail beaucoup plus large de personnes susceptibles d'émettre un avis favorable et c'est cela que recherchent les gros investisseurs. Cela dit, je ne suis pas au courant des différences qui peuvent exister au niveau des méthodes comptables.

M. Shepherd: La bourse de Toronto semble, par exemple, avoir écarté une certaine manière de capitaliser la propriété intellectuelle.

Pour en revenir au problème de la formation, que peuvent faire les gouvernements? Depuis longtemps, au Canada, les compagnies n'obtiennent pas de très bons résultats en matière de formation interne. D'après moi, une partie de ce problème provient du fait qu'il s'agit de sociétés multinationales dont le siège est ailleurs. Mais nous avons parlé de partenariat - de partenariat entre les universités et les entreprises, par exemple. Que pourraient faire les gouvernements, en matière de politique fiscale, par exemple, pour inciter davantage les entreprises à faire de la formation interne?

M. Simson: Vous voulez dire, uniquement au niveau de la politique fiscale?

M. Shepherd: Nous accordons des crédits d'impôt à l'investissement dans les domaines de la science et de la technologie, voyez-vous, mais nous n'accordons aucun crédit d'impôt au titre de la formation. Conviendrait-il de l'envisager? Cela suffirait-il à faire pencher la balance et à créer cette synergie entre les entreprises et le système éducatif afin de faire converger les efforts?

M. Simson: Faire converger les efforts en matière de formation interne et créer des partenariats avec les universités ou avec les laboratoires publics et accorder des crédits d'impôt correspondants, si cela existe. Cela fait partie des mesures d'incitation que j'évoquais avec M. Schmidt.

Il faut trouver les moyens d'inciter les gens à travailler de concert afin d'améliorer le système éducatif. Il faut accorder aux compagnies, dans le domaine de la formation et du développement, des crédits d'impôt équivalents afin de les porter à agir de concert avec les universités afin de modifier les programmes d'étude. Étant donné que nous accordons déjà des crédits de recherche et développement, il serait formidable de les inciter à faire des dons aux universités, soit en équipement soit en argent.

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Il existe également des mesures d'incitation que l'on pourrait mettre en oeuvre au sein même des universités ou autres établissements d'enseignement: modifier, par exemple, l'échelle des salaires ou le système des primes; récompenser les enseignants qui collaborent avec l'industrie. Pour l'instant, cela ne se fait pas. On les note en fonction des travaux de recherche qu'ils publient ou de choses dans ce genre-là. Lorsque vous créez un partenariat avec les entreprises, vous n'avancez guère votre carrière pédagogique. Le professeur qui est excellent, qui utilise les dernières technologies, qui invite des représentants de l'industrie à donner des cours, n'est pas davantage prisé que le professeur qui s'en tient à des méthodes plus traditionnelles d'enseignement.

M. Schmidt: Qu'est-ce, dans notre culture d'entreprise...? Les autres pays semblent plus avancés que nous dans ce domaine. Nous avons entendu des représentants d'entreprises nous dire qu'ils ne parviennent pas à recruter les gens dont ils ont besoin. Pourquoi, si cela pose un problème, n'ont-ils pas essayé d'y répondre en assurant eux-mêmes la formation nécessaire? Pourquoi les gens disent-ils qu'ils ne vont pouvoir engager que 500 personnes au Canada parce que nous manquons ici de personnes qualifiées, et qu'ils vont devoir aller en chercher aux États-Unis ou en Chine? Pourquoi les entreprises n'assument-elles pas cette tâche elles- mêmes?

M. Eddison: Je peux vous répondre dans l'optique d'une petite entreprise, car votre question est parfaitement pertinente et les compagnies qui ont à peu près la taille de la nôtre doivent reconnaître qu'elles sont elles-mêmes en grande partie responsable de cet état de choses.

Nous ne consacrons pas assez de temps à la formation générale, et je crois que c'est en partie dû au fait que nous n'avons pas suffisamment de temps pour le faire, ou du moins que nous ne pensons pas avoir assez de temps. Voilà, si je puis dire, une non- réponse. Je suis d'accord que nous ne consacrons pas assez d'argent à la formation. Je ne suis pas certain qu'il s'agisse essentiellement d'un problème fiscal. Le problème est plutôt dû aux délais de mise en marché. Je voudrais voir davantage de fécondation croisée, ce qui nous permettrait de choisir dans d'autres compagnies des gens qui ont été formés sur le tas et qui pourraient venir travailler chez nous. Cela suppose que nous admettions que les gens de chez nous, qui ont été formés sur le tas, puissent à leur tour aller travailler chez quelqu'un d'autre.

Nous ne consacrons pas assez d'argent à la formation parce que nous ne permettons pas aux gens de quitter leurs travaux assez longtemps pour subir une formation. Ça, c'est la réalité. Dans ces conditions-là, je ne vois pas comment régler le problème. Je dirais que, là encore, c'est de notre faute.

Le président: Monsieur Simson, vouliez-vous ajouter quelque chose avant la pause?

M. Simson: Oui. Ce qui vient d'être dit s'applique à la formation. Je vais prendre contact avec des firmes telles que Nortel, des firmes d'une certaine taille. Nous consacrons un temps énorme et des sommes très importantes à la formation de nos employés, afin de les adapter aux nouveaux besoins. Nous sommes tout à fait acquis à cela et nous y consacrons beaucoup d'argent.

Lorsque vous parlez d'engager de nouveaux employés, il s'agit essentiellement de s'adapter aux nouvelles occasions qui se présentent et à la croissance. Comme mon collègue le disait, les délais de mise en marché revêtent une importance fondamentale et il faut donc disposer d'employés ayant les aptitudes voulues. Tout nouvel employé, même celui qui a les aptitudes nécessaires ou le diplôme universitaire voulu, doit être formé aux méthodes de l'entreprise. Mais encore faut-il avoir suffisamment de personnes possédant les qualités nécessaires, si l'on veut pouvoir les former à gérer sans délai les projets dont on veut les charger.

C'est ce problème-là qui est important à nos yeux. Nous voulons pouvoir accueillir en nombre suffisant des personnes capables d'être formées très vite au sein de l'entreprise. Nous ne voulons pas avoir à attendre des mois et des mois avant qu'elles soient à même de prendre en charge un projet, ou de faire face aux problèmes de mise en marché ou de compétitivité auxquels nous sommes confrontés quotidiennement.

Le président: Faisons une pause et laissons aux techniciens le soin d'installer les témoins suivants. Lorsque nous reprendrons, la parole sera à M. Lastewka. Il entamera après cela les questions.

La séance est suspendue pendant dix minutes. Nous reprendrons à 11 h 20.

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Le président: Le comité reprend son examen du dossier des sciences et de la technologie.

Nous accueillons maintenant deux personnes de Vancouver: M. David Levi, président et directeur général du Working Opportunity Fund; et Mme Julia Levy de la QLT Photo Therapeutics Incorporated.

Nous vous souhaitons à tous les deux la bienvenue.

M. David Levi (président et directeur général, Working Opportunity Fund): Merci.

Le président: Nous demandons normalement à nos intervenants de prendre la parole pendant dix minutes.

En plus des députés dont vous aurez l'occasion de faire la connaissance, nous accueillons également ici Mme Claudine Simson de Nortel et M. Peter Eddison de Fulcrum. Ils ont déjà tous les deux pris la parole; la séance dure déjà depuis environ une heure.

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Je vais d'abord passer la parole à David, et nous aimerions que chacun de vous nous exprime, en dix minutes environ, certaines de vos idées dans ce domaine. Après cela, nous passerons la parole aux membres du comité qui auront des questions à vous poser.

Je vous demande à tous les quatre de vous sentir parfaitement libres de me faire savoir si vous voulez répondre à une question posée à quelqu'un d'autre.

David, vous avez la parole.

M. Levi: J'ai pris un certain nombre de notes et c'est par cela que j'aimerais commencer.

Lorsqu'il s'agit de repérer les industries qui revêtent pour l'avenir du Canada une importance critique, nous, en tant que fonds de capital-risque, nous essayons d'identifier les industries qui sont, et cela surtout en Colombie-Britannique, appelées à la plus forte croissance. Le plus difficile est effectivement de repérer ces compagnies-là, de les sortir du contexte universitaire, de prendre les petites découvertes qu'elles ont effectuées en milieu universitaire et de développer, en dehors de l'université, les technologies qu'elles ont pu découvrir.

De notre point de vue, le domaine qui, dans cette province, est appelé à croître le plus rapidement - je pense que cela et vrai de l'ensemble du pays, et c'est également ce que nous constatons en examinant le marché américain - c'est le domaine des communications. On constate, par exemple, que les systèmes de vidéo conférence ont pris une place extrêmement importante dans notre vie quotidienne.

Lorsqu'on se penche sur les possibilités de croissance, sur le marché mondial, des industries de la technologie, on s'aperçoit de l'importance cruciale, pour nous, du fait de pouvoir fabriquer un produit susceptible d'être vendu dans le cadre d'une coentreprise avec certaines des principales firmes telles que Northern Telecom ou certaines firmes américaines telles qu'Ameritech.

Dans notre portefeuille, les principales industries se situent dans le secteur de la technologie. Nous avons notamment un certain nombre d'entreprises de logiciel où les rendements sont très élevés. Nous avons beaucoup d'occasions d'investir de très grosses sommes et d'obtenir de très forts rendements.

Cela dit, j'aimerais revenir un peu sur le problème du choix de ces compagnies. Je considère que le marché des technologies nouvelles et émergentes à quelque chose du champ de mines. Il existe un nombre énorme d'occasions, mais il est extrêmement difficile de les repérer.

Certaines universités ont commencé à nous aider en cela, en créant, par exemple, des départements de transfert de technologies mais, une fois que nous avons repéré les occasions, nous éprouvons encore le problème de les faire passer du contexte universitaire au contexte commercial. C'est pourquoi nous recherchons surtout des technologies susceptibles d'être commercialisées.

Je précise qu'en Colombie-Britannique nos points forts sont les biotechnologies, dont Julia vous parlera certainement dans quelques instants. Cela dit, nous avons également choisi un certain nombre de compagnies en Colombie-Britannique qui forment un noyau de technologies émergentes, de toutes nouvelles technologies en matière de logiciels électroniques et de télécommunications.

Il y a dix ans, en Colombie-Britannique, l'industrie de la haute technologie en était à ses débuts. Beaucoup de compagnies n'avaient que huit ou dix employés. Aujourd'hui, le nombre de compagnies est beaucoup plus important puisque nous avons eu dix ans pour nous développer. Si vous étudiez le cas de QLT et d'autres entreprises de Colombie-Britannique qui ont très vite percé, vous vous apercevrez qu'aujourd'hui un beaucoup plus grand nombre de compagnies ont 30, 40 ou 50 employés et sont donc susceptibles d'attirer l'attention de sociétés de capital-risque.

Mais en prenant de l'ampleur, ces entreprises ont également accumulé bon nombre de difficultés. Beaucoup d'entreprises éprouvent des problèmes au niveau des ressources humaines, problèmes qu'elles se révèlent incapables de comprendre lorsqu'il s'agit de dépasser le stade de la toute petite firme d'innovation technologique. Elles ont également beaucoup de mal à attirer les capitaux à long terme qui leur sont nécessaires pour atteindre le niveau des 20 ou 30 millions de dollars de chiffre d'affaires annuel. C'est à peu près la dimension qu'il faut atteindre avant de pouvoir émettre des actions.

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En examinant les obstacles que ces compagnies rencontrent au cours de leur développement, on relève souvent, de manière sous- jacente, l'existence de très gros problèmes en matière de ressources humaines, problèmes que ces entreprises ne peuvent pas régler seules. Il y a, bien sûr, également les problèmes de brevetabilité. Troisièmement, je crois que le plus gros problème se situe généralement au niveau de la distribution: comment distribuer un produit et comment le vendre sur un marché plus large?

Toutes les compagnies auxquelles nous avons à faire visent les marchés internationaux. La Colombie-Britannique - ou même le Canada - ne constitue pas un marché suffisamment important pour leur permettre de réussir. Un des principaux pans de l'action gouvernementale, et également de notre action à nous du secteur privé, consiste à donner accès à un réseau de distribution international. C'est là que la Société pour l'expansion des exportations nous a fourni une aide extrêmement importante. Si nous voulons que les entreprises canadiennes puissent réussir à l'étranger et aux États-Unis, il faudra consentir davantage d'efforts dans ce domaine.

Un autre domaine est, comme je le disais tout à l'heure, celui de la propriété intellectuelle. Il faut dépenser beaucoup d'argent pour assurer qu'un produit est effectivement brevetable et qu'il s'agit donc d'un produit qui pourra être commercialisé.

Un autre domaine où les compagnies éprouvent beaucoup de difficultés est le domaine tout à fait pratique de la législation internationale à laquelle sont soumis bon nombre de produits. Il y a des compagnies qui, aux États-Unis, se voient très fréquemment et très rapidement intenter des procès au niveau de leurs brevets ou des procédés qu'elles ont élaborés. Ces compagnies ne reçoivent guère d'aide dans ce genre de situation qui, pourtant, peut complètement bloquer leurs ventes et même, puisque cela se passe à une étape précoce de leur développement, détruire la compagnie.

Voilà, je pense, deux domaines extrêmement importants où le gouvernement pourrait fournir son aide.

Un autre aspect de la concurrence dont il faut être conscient - et je sais que ce n'est probablement pas quelque chose qui fera plaisir aux membres du comité - c'est le fait qu'aux États-Unis il existe tout un système d'aides aux technologies nouvelles, aides que nous n'avons pas ici au Canada. Le gouvernement américain dépense en moyenne beaucoup plus d'argent pour la recherche et développement et les compagnies américaines peuvent obtenir des subventions beaucoup plus importantes qu'ici.

Il est certain que les crédits du ministère de la Défense aident énormément les compagnies américaines qui débutent. Il est très difficile pour de petites compagnies canadiennes d'avoir accès à l'administration américaine de la défense où, souvent, ce sont des commandes accordées dès le départ qui permettent à une compagnie de décoller. Je crois qu'au niveau du libre-échange et de ce genre de problèmes, le gouvernement pourrait sans doute aider un certain nombre de petites compagnies canadiennes.

Je jette un coup d'oeil aux autres questions et je m'aperçois que je voulais aussi parler de quelque chose qu'on commence à apercevoir en Colombie-Britannique. Il s'agit de cours de formation aux technologies de l'avenir. Plusieurs de nos entreprises ont entamé une collaboration très étroite avec l'institut de technologie de la Colombie-Britannique afin de former les techniciens adaptés à ce secteur.

Un de nos problèmes, ici en Colombie-Britannique, est que, souvent, nous n'arrêtons pas de tourner en rond. Le problème est que si l'une de nos entreprises doit engager 20 ou 30 ingénieurs en logiciel ou en électronique, il lui faut presque toujours les débaucher dans une autre entreprise.

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En Colombie-Britannique, nous manquons gravement de personnes qualifiées capables de développer des logiciels ou de nouvelles technologies en matière de télécommunications. Je souligne la gravité du problème, car certaines compagnies nous ont déjà fait savoir qu'elles ne pourront pas trouver, en Colombie-Britannique, le personnel nécessaire à leur croissance. Elles envisagent de s'implanter ailleurs - dans certains cas, aux États-Unis - où elles pourront trouver le personnel qualifié dont elles ont besoin, car ici elles passent tout leur temps à débaucher le personnel des autres entreprises.

S'il y a, en matière d'éducation, un domaine sur lequel il faudrait faire porter nos efforts, c'est bien le domaine des sciences et de la technologie que l'on semble négliger dès le départ, c'est-à-dire à l'école élémentaire et au secondaire. C'est pour cela, bien sûr, que les étudiants ne s'intéressent pas à ces domaines lorsqu'ils arrivent à l'université.

Quelqu'un a fort bien expliqué le phénomène en disant que personne ne s'inscrit à des cours de génie - c'est bon pour les enragés de la technique - sauf si on leur explique que ce sont ces mêmes ingénieurs qui créent tous ces jeux vidéo que les gens regardent à la télévision. C'est dire l'importance fondamentale des ressources humaines.

Permettez-moi de m'en tenir à cela. Je passe maintenant la parole à Julia.

Mme Julia Levy (chef de la direction, QLT Photo Therapeutics): Sur certains points, je ne ferai sans doute que répéter ce qui a déjà été dit au comité par David ainsi que par d'autres. Je tiens surtout à rappeler une évidence. La nouvelle économie dépendra des gens qui travaillent dans le secteur des hautes technologies: l'information, les télécommunications et certaines biotechnologies.

Je suis chef de la direction de QLT Photo Therapeutics, société de biotechnologie et de biopharmaceutique qui met au point des médicaments destinés au traitement du cancer et d'autres maladies. Nous sommes assez avancés dans ce domaine. Cela fait 12 ans que nous construisons cette entreprise de haute technologie de la côte ouest. Je porte encore les cicatrices de ce combat.

Quant à savoir ce que le gouvernement pourrait faire pour favoriser l'essor des nouvelles technologies, je m'en tiendrai à ce que j'ai pu moi-même constater. J'estime que le plus gros obstacle, le plus gros problème si vous voulez, auquel doivent faire face les entreprises de biotechnologie canadiennes, c'est la réglementation fédérale. Le système en vigueur ici ne résiste pas très bien à une comparaison avec d'autres organismes réglementaires tels que la FDA américaine. Les résultats, à cet égard, ne sont guère probants. Cela est extrêmement décourageant pour les sociétés biopharmaceutiques canadiennes.

Il est plus facile pour nous d'effectuer des essais cliniques ou de mettre à l'essai de nouveaux produits aux États-Unis qu'ici, car la FDA fonctionne de manière à la fois efficace et rapide. J'ai maintes fois entendu d'autres sociétés de biotechnologie me dire combien il était difficile de franchir les obstacles dressés par la Direction générale de la protection de la santé. La réglementation et les lenteurs de la Direction générale de la protection de la santé nous imposent souvent des retards de quatre à six mois par rapport aux entreprises américaines, avant de pouvoir procéder aux essais cliniques. Je ne cherche pas à faire des reproches; je crois qu'ils sont tout simplement surchargés de travail. Mais il faut trouver le moyen de lever cet obstacle afin que nous puissions, au Canada, effectuer des essais cliniques dans de bonnes conditions.

D'ailleurs, c'est aussi décourageant pour les entreprises américaines qui voudraient procéder à des essais cliniques au Canada, où ce genre de choses coûte en fait un peu moins cher étant donné la manière dont sont organisés ici les soins médicaux. En simplifiant la réglementation à laquelle sont soumis les essais cliniques au Canada, on procurerait à nos hôpitaux des revenus supplémentaires.

Il y aurait donc un double avantage. J'estime qu'il s'agit là d'un problème extrêmement important. Je constate, en parcourant les autres questions que j'avais notées, que ce thème revient constamment. Les obstacles réglementaires au développement de nouvelles technologies ne touchent pas seulement l'industrie pharmaceutique. J'estime qu'il nous faudra devenir beaucoup plus efficaces à cet égard si nous voulons pouvoir affronter la concurrence mondiale. En raison de notre réglementation, il est trop difficile d'obtenir l'homologation de nouveaux produits.

J'aimerais maintenant vous parler un peu d'un problème évoqué par David au sujet du manque de personnel hautement qualifié. Dans ce domaine, nous éprouvons de gros problèmes en partie parce que le Canada n'a guère d'industrie pharmaceutique. Nous avons ici des filiales de sociétés multinationales et les compagnies de biotechnologie qui se montent au Canada ont, en fait, à se débrouiller toutes seules, sans vraiment avoir des gens qui comprennent comment faire fonctionner ce genre d'entreprises.

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En raison de notre régime fiscal, nous parvenons difficilement à attirer du personnel américain. Il est très difficile de leur expliquer que notre régime de santé constitue un très gros avantage, car les gens ne songent qu'au montant de leur salaire.

Je ne dis pas que le gouvernement devrait modifier notre fiscalité - cela n'est pas possible - mais on pourrait peut-être trouver de nouveaux moyens d'accorder des dégrèvements fiscaux aux personnes hautement qualifiées venant de l'étranger, même si ce dégrèvement était limité à deux ou trois ans. Une fois passé ce délai, les gens ont tendance à oublier combien ils paient d'impôts. Ils sont déjà canadianisés.

Peut-être peut-on trouver de nouveaux moyens qui ne coûteraient pas grand-chose au gouvernement mais qui faciliteraient la tâche aux entreprises de haute technologie qui veulent attirer un personnel très qualifié car, c'est un fait, nous en manquons et cela ne vaut pas uniquement pour la côte ouest. Je crois que nous en manquons dans l'ensemble du pays.

J'estime qu'en gros les établissements d'enseignement technique assurent une très bonne formation. Les universités, par contre, devraient... Les personnes ayant, par exemple, un baccalauréat en sciences, n'arrivent généralement pas à se trouver d'emploi dans les secteurs tels que celui des biotechnologies car, en fait, elles ne sont qu'à moitié éduquées. La plupart d'entre elles finissent par faire encore deux ans dans des instituts de technologie avant de pouvoir être utilement employées dans l'industrie.

Ce n'est probablement pas la manière la plus efficace de dépenser l'argent du contribuable. Il devrait y avoir, entre les instituts de technologie et les universités, une passerelle qui n'existe pas encore. Le gouvernement devrait davantage se pencher sur les problèmes de formation, afin de voir ce dont la société a effectivement besoin, au lieu de permettre aux établissements d'enseignement de continuer à faire ce qu'ils font depuis des décennies.

Puis... Je crois que quelqu'un a demandé quelles mesures il faudrait prendre pour créer un climat qui encourage à la fois la science et l'esprit d'entreprise. Vous avez, à Ottawa, des institutions qui sont en fait excellentes et j'aimerais en profiter pour saluer le CRSNG. Son programme de coopération entre les universités et les entreprises est d'une qualité exceptionnelle. Il fonctionne effectivement très bien et il faut donc l'encourager et maintenir les crédits dont il bénéficie actuellement. Les gens qui travaillent au CRSNG sont tout à fait acquis à ce genre de collaboration entre les établissements d'enseignement et les entreprises.

Voilà, en gros, ce que j'avais à dire au sujet des orientations qui me semblent s'imposer.

Le président: Bon. Je vous remercie. Vous verrez que les membres du comité se sont vivement intéressés à ce que vous venez de nous dire et que leurs nombreuses questions vous fourniront l'occasion de développer les idées que vous nous avez exposées.

Je vais maintenant passer la parole à Walt Lastewka, vice- président du comité, qui va ainsi entamer la série de questions. Les membres du comité pourront adresser leurs questions aussi bien aux témoins précédents qu'à ceux que nous venons d'entendre. Monsieur Lastewka.

M. Lastewka (St. Catharines): Ma principale question porte sur la réglementation en vigueur au Canada et sur ce que vous en avez dit. J'aimerais comprendre tout cela un petit peu mieux. S'agit-il des étapes réglementaires prévues au Canada - sont-elles différentes de ce que l'on trouve dans d'autres pays? Où est-ce, comme vous l'avez dit, que le personnel ne suffit pas aux tâches qui lui sont imposées?

Je cherche à savoir si le problème provient de la lourdeur de notre réglementation ou de l'insuffisance des moyens mis en oeuvre.

Le président: Madame Levy, voulez-vous commencer?

Mme Levy: Il n'y a pas tellement de différence au niveau des règles et des règlements en vigueur entre, disons, la FDA, et la Direction générale de la protection de la santé; en fait, on constate beaucoup de similitudes à cet égard. Ce sont les délais qui sont très différents.

Permettez-moi de vous citer un exemple. Au niveau du dépôt, auprès de la FDA, d'une demande en vue d'essais cliniques, on ne voit guère de différence par rapport à ce qui se fait au Canada. La règle en vigueur, à la FDA, est que si l'on ne vous répond pas dans les 30 jours, cela veut dire que vous pouvez entamer les essais cliniques.

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Normalement, au cours de cette période de 30 jours ou de quatre semaines, vous recevrez trois ou quatre coups de téléphone de la personne chargée d'examiner votre demande. Peut-être aura-t- elle des questions à vous poser et, dans ce cas-là, vous lui fournissez des réponses. Un dialogue s'instaure et une relation se crée avec la personne en question.

D'après ce que nous avons pu constater, cette personne est là pour vous aider à procéder dans les meilleurs délais aux essais cliniques nécessaires et pour s'assurer de la sécurité du processus. Comme au Canada, le principal c'est la sécurité.

Mais, en ce qui concerne la Direction générale de la protection de la santé, notre expérience est la suivante: et nous ne sommes pas, en cela, uniques; interrogez les gens de n'importe quelle entreprise de biotechnologie au Canada et on vous répondra que c'est également ce qu'ils ont pu constater.

Au Canada, vous avez une période d'attente de 60 jours, et il arrive invariablement que, le 59e jour, quelqu'un de la DGPS vous téléphone pour vous poser des questions auxquelles il vous est parfaitement impossible de répondre dans les 24 heures étant donné qu'il faut répondre par écrit. Cela veut dire que l'on recommence à zéro et qu'il faut attendre encore 60 jours avant de pouvoir procéder aux essais cliniques.

Cela peut arriver deux ou trois fois. En ce qui nous concerne, chaque fois que nous avons déposé une demande d'essais cliniques auprès de la Direction générale de la protection de la santé, nous avons attendu 120 jours avant de pouvoir commencer. C'est très décourageant car cela nous impose, en tant que petite entreprise de biotechnologie, un retard de quatre mois avant de pouvoir réunir toutes les données cliniques nous permettant d'évaluer nos résultats.

D'autres entreprises nous ont dit avoir subi des retards de six à huit mois en raison des délais imposés par la DGPS. Cela n'arrive jamais avec la FDA. Il y a un délai de 30 jours et même si un problème surgit, son personnel continue à collaborer avec vous. Au pire, même s'il survient un problème grave qui exige une nouvelle correspondance, on ne vous impose pas une nouvelle attente de 60 jours, puis encore une autre.

Cela pourrait être modifié.

M. Levi: M'autoriserez-vous une remarque?

Le président: Je vous en prie.

M. Levi: Le comité doit être conscient de la gravité d'un délai de quatre mois pour une petite entreprise de biotechnologie. La plupart des entreprises du genre sont financées au fur et à mesure de leur croissance. Très peu d'entre elles peuvent compter sur un financement correspondant à plus d'une année à la fois. Et comme elles ne réalisent pas de recettes, elles ont constamment besoin d'argent, sans compter que ceux qui les financent hésitent à investir l'équivalent de trois ou quatre ans de frais d'exploitation dans les entreprises de biotechnologie, ce qui oblige celles-ci à naviguer à vue.

En général, elles obtiennent un financement sur six mois à un an. Pendant ou à la fin des essais cliniques, les investisseurs injectent plus d'argent, d'après les premiers résultats. Donc, un retard de quatre mois peut en fait plonger l'entreprise dans une crise grave, parce qu'elle aura déjà consommé le tiers de son financement et qu'elle n'aura pas encore de résultats à montrer à ses investisseurs qui seront appelés à replonger la main dans la poche.

Le président: Merci. Excellente remarque!

Je donne la parole à M. Lastewka.

M. Lastewka: M. Simson nous a parlé de haute technologie et de l'opportunité de la mise en marché, et M. Eddison nous a entretenus de l'importance de ce que nous faisons, notamment en matière de réglementation. Eh bien, je vais maintenant aborder un aspect dont vous ne vouliez probablement pas parler au comité. Vous venez nous dire que les entreprises veulent des subventions, alors qu'au cours des cinq ou six dernières années, le milieu des affaires a déclamé qu'il n'était plus intéressé par le système de subventions. Je ne comprends pas. Qu'est-ce qui est différent maintenant?

M. Levi: Vous devez considérer que vous avez affaire à des entreprises différentes: d'un côté à des entreprises à caractère général et, de l'autre, à des entreprises naissantes, de haute technologie. Il est souvent très difficile de comprendre comment se passe la commercialisation des idées.

Le financement des premiers pas d'une entreprise est très risqué. Voyez ce qu'a fait l'Université de la Colombie-Britannique, par exemple. Elle a, tous les ans, produit quelque 150 à 200 technologies dont une ou deux ont peut être donné lieu à la vente d'un produit. La commercialisation peut alors avoir pris la forme de royautés, ou avoir été réalisée par le truchement d'une nouvelle entreprise.

Le problème, pour les financiers, consiste à savoir comment effectuer une sélection à partir de tels nombres. En général, on permet l'exercice d'un libre choix qui prend la forme d'un octroi de subventions, après un examen par des pairs, par le Conseil national de recherches du Canada ou d'autres organismes subventionnaires; ces subventions permettent d'amener la technologie au stade de la mise en marché.

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Il y a donc une phase, avant l'étape de la commercialisation, qui est fortement subventionnée aux États-Unis et qui l'est relativement au Canada.

Notre problème consiste donc à faire passer les idées de la première étape à la phase de la commercialisation. Je conviens avec vous qu'à cette dernière étape, il se trouve des gens comme nous et d'autres qui sont prêts à investir dans ces entreprises, mais la distance à franchir pour en arriver là est énorme: il faut faire progresser le concept du stade préliminaire à celui de la commercialisation du produit, à la fin du processus, au point où les investisseurs que nous sommes se disent que s'ils continuent d'investir pendant quatre ou cinq ans, ils auront un produit commercialisé.

Le président: Parfait, merci.

Monsieur Lastewka, une autre question.

M. Lastewka: Je veux savoir ce qu'il en est du PARI dans votre secteur.

Mme Levy: Nous le connaissons bien. Le PARI et les subventions université-industrie versées par l'intermédiaire du CRSNG répondent à un besoin très important. Le PARI, surtout pour les entreprises naissantes, est un excellent programme.

M. Levi: Je suis d'accord avec elle.

M. Lastewka: Dois-je en déduire que vous voudriez, en fait, que le PARI consacre plus d'argent au titre de l'aide aux entreprises naissantes? C'est ce que vous vouliez dire?

M. Levi: Oui. Ce que je veux dire en fait, c'est qu'il y a un fossé à combler et qu'on pourrait se servir du PARI pour injecter plus de fonds, parce que les entreprises naissantes auxquelles on a affaire ont effectivement besoin de ce genre de financement pour survivre.

Mme Levy: Vous parlez du petit fossé à combler entre le stade ou la compagnie est créée et celui où elle peut bénéficier de capital de risque, car ceux qui investissent dans le risque exigent un peu plus qu'une bonne idée sortie des laboratoires.

M. Levi: C'est vrai.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Lastewka.

Nous allons donner la parole à M. Schmidt, qui a les larmes aux yeux d'entendre ses compatriotes de la Colombie-Britannique.

M. Schmidt: Je suis très heureux de vous entendre et de vous voir.

Je suis particulièrement impressionné par le fait que vous- même, et les autres participants de la Colombie-Britannique, oeuvrez dans le domaine de la technologie de pointe. Je crois que c'est la première fois, avec ce groupe, où nous parlons de développement technologique.

J'ai été surtout intrigué par une remarque de Mme Levy. Je crois me rappeler vous avoir entendu parler de «connexion homogène» entre les universités et les instituts de technologie. J'aimerais explorer cette question un peu plus à fond, parce que j'ai presque eu l'impression que vous nous suggériez de faire basculer une partie de l'argent des universités aux instituts technologiques.

J'aimerais que vous nous donniez une idée de la façon dont nous pourrions mettre une telle connexion homogène en place, pour éliminer la guerre de territoire qui règne à l'heure actuelle.

Mme Levy: Eh bien, je pense qu'une des façons serait d'agréer les instituts de technologie ainsi que les universités ou les collèges préuniversitaires. Cette formule n'est pas appliquée pour l'instant en Colombie-Britannique, bien qu'il y a deux ans le gouvernement provincial ait tenu un sommet sur la formation axée sur les compétences, sommet au cours duquel on a discuté en profondeur de cette idée à laquelle la plupart des participants ont adhéré.

Ce concept d'éducation homogène est lié à toute la notion d'éducation permanente que les jeunes devront mettre en pratique dans l'avenir, dans un monde en pleine mouvance. Il n'est pas normal de penser qu'un diplôme ne donne rien, et c'est en fait un gaspillage de l'argent des contribuables investi dans le secteur de l'éducation.

Mais alors, comme vous le disiez, comment parvenir à une connexion homogène entre les différentes institutions qui se battent toutes pour une même cagnotte? De toute évidence, leur intérêt est de retirer le plus d'argent possible pour elles-mêmes, mais ce sont malheureusement les étudiants qui sont les victimes de cette bataille.

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Nous devons mieux faire qu'à l'heure actuelle. Je constate que les institutions de haut savoir estiment que plus elles parviennent à asseoir d'êtres vivants dans leurs salles de cours, et plus leur part de gâteau est grande. On se fiche pas mal de ce qu'on leur enseigne et l'on se fiche aussi que cela puisse ou non leur être utile au bout de quatre ans, à condition qu'on obtienne une plus grosse part de gâteau. Ce n'est pas très gentil de présenter la chose ainsi, mais je voulais illustrer le pire qui peut arriver.

Je ne sais pas comment vous pouvez vous y prendre pour contraindre les présidents et les administrations d'universités à réfléchir véritablement au sort qu'ils imposent aux jeunes diplômés qui se retrouvent dans la société au bout de quatre ans. Il est certain que les diplômés du BCIT sont beaucoup plus en demande dans l'industrie que les bacheliers en science.

Une des façons d'y parvenir consisterait à se faire une bonne idée des compétences qui seront en demande dans la nouvelle économie, après quoi on pourrait essayer de déterminer quels établissements sont les mieux en mesure de fournir ces compétences. Encore une fois, j'estime que le CRSNG a produit une excellente étude, qu'on peut d'ailleurs se procurer, sur l'orientation des emplois au tournant du siècle. On enseigne, au niveau universitaire, certains cours que les étudiants ne devraient pas être aussi nombreux à suivre. Je me limite ici au domaine des sciences et de la technologie, et je ne parle pas des sciences humaines, qui sont autre chose, car nous ne sommes pas ici pour cela. Nombre d'étudiants en technologie ne se rendent pas compte qu'il n'y a pas de débouchés pour eux avant d'avoir décrocher leur baccalauréat.

M. Schmidt: Je crois que vous venez de mettre le doigt sur un point essentiel, madame Levy. Tout cela a à voir avec le financement. C'est à croire que les universités sont essentiellement préoccupées à augmenter leur nombre d'inscriptions. C'est peut-être sur ce plan que se pose le problème de la nature de la formule de financement. Ne devrions-nous pas modifier les règles de financement des universités pour qu'elles soient incitées à former les jeunes d'une façon qui leur permette de trouver des emplois sur le marché?

Je pense que les étudiants eux-mêmes ont un rôle à jouer sur ce plan. En fin de compte, c'est eux qui devront «se vendre» sur un marché compétitif. Ne devrait-on pas introduire un élément de concurrence entre universités? On pourrait, par exemple, décider que le financement n'est pas automatiquement rattaché aux inscriptions. Laissons plutôt le soin aux étudiants de décider de ce qu'ils vont faire, et puis affectons les fonds aux étudiants, plutôt qu'aux établissements.

Mme Levy: C'est une idée intéressante, mais je ne sais pas comment vous pourriez la mettre en pratique.

M. Schmidt: Différents pays dans le monde utilisent des programmes correspondant à ce qu'on pourrait appeler un système de bons d'études. Il s'agit en fait d'un certificat négociable au niveau universitaire, mais plutôt que le professeur ou le président de l'université c'est l'étudiant qui fait le choix.

Le président: David, voulez-vous répondre?

M. Levi: Je ne puis vous parler précisément du système de bons d'études, mais je voudrais que nous revenions un cran en arrière, pour parler de quelque chose de tout aussi important: on pourra toujours trouver différentes façons de raccorder le financement aux étudiants, mais je crois qu'un des plus gros problèmes auxquels nous sommes confrontés, c'est qu'il n'y a pas assez d'étudiants en science et en technologie. Ce phénomène prend racine à l'élémentaire et au secondaire où l'on ne parvient pas à intéresser les jeunes à ce domaine d'emploi. L'autre jour, j'ai appris que moins de 0,1 p. 100 des professeurs de science du primaire ont effectivement étudié les sciences pour obtenir leur diplôme. Moins de 0,1 p. 100 d'entre eux ont un baccalauréat en science.

Ce sont véritablement les enseignants du niveau élémentaire qui sont en mesure d'éveiller l'intérêt des jeunes pour la science et la technologie mais, eux, n'ont pas de formation dans ces domaines. Ainsi, on se retrouve avec des places disponibles dans les premières années d'université, parce qu'il n'y a simplement pas assez d'étudiants qui s'y inscrivent. Cela revient à dire que nous devons, à l'échelle nationale et à l'échelle des provinces, faire un effort pour intéresser les jeunes aux sciences et à la technologie, dès leurs premières années d'école.

Mme Levy: Il est certain qu'on devrait se pencher de très près sur la formation des enseignants. Sont-ils ou non formés pour répondre aux besoins de la nouvelle économie? Je dirais que non, si vous regardez ce qui se passe dans les facultés d'éducation. D'ailleurs, je suis certaine qu'ils ne reçoivent pas cette formation dans certaines institutions, parce que je connais des responsables de facultés qui sont très frustrés par le fait qu'ils ne peuvent modifier les programmes de formation des futurs enseignants qui enseigneront de la maternelle à la 12e année.

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M. Schmidt: Je me demande si nous ne pourrions pas passer à un aspect totalement différent, celui du marché mondial qui s'offre aux produits que vous êtes en train de mettre au point et aux services que vous proposez.

Plus tôt ce matin, nos autres témoins nous ont dit que nous devons disposer, chez nous, d'une capacité d'innovation, d'un personnel compétent, d'un développement technologique, d'idées et d'innovations, mais que nous devrons les commercialiser dans le reste du monde, parce que c'est hors de nos frontières que se trouve le plus gros marché. Afin de parvenir à financer correctement l'innovation, nous devons pouvoir compter sur un marché important. D'où la question que je vous pose: comment, selon vous, peut-on parvenir à percer sur les marchés internationaux? Comment pourrait-on aider des industries comme la vôtre, des entreprises comme la vôtre, à réussir sur les marchés internationaux.

Mme Levy: Pour ce qui est de l'industrie biopharmaceutique, vous avez tout à fait raison. Le coût de mise au point d'un seul produit pharmaceutique est tellement exorbitant qu'il faut pouvoir l'écouler sur les marchés mondiaux. Sinon, on ne peut espérer aboutir. La norme veut que, pour parvenir à mettre au point un seul produit pharmaceutique, il faut environ dix ans et un investissement de 100 à 200 millions de dollars. Je ne l'ai jamais cru jusqu'au jour où je l'ai constaté moi-même, mais telle est la réalité. Si je ne m'abuse, notre premier produit nous a coûté moins de 100 millions de dollars, mais il nous a fallu dix ans de mise au point et un investissement d'environ 75 millions de dollars. C'est ce qu'il en coûte. On ne peut s'attendre à ce que le gouvernement participe au financement de ce genre de recherche. L'argent doit venir du secteur privé.

Une petite entreprise comme la nôtre, qui compte environ 115 employés, n'est pas en moyens de commercialiser ses produits à l'échelle internationale. Alors, nous constituons des alliances stratégiques avec des multinationales. Ce sont elles qui commercialisent nos produits un peu partout dans le monde. Ainsi, nous avons des partenaires commerciaux pour les États-Unis, pour le Japon et pour le Canada. Nous ne sommes pas une entreprise de mise en marché et nous devons donc conclure des alliances avec des entreprises ayant la capacité et les compétences voulues pour écouler notre produit dans certains pays. C'est, actuellement, la seule formule qui s'offre à l'industrie canadienne de la biotechnologie. Prenez, par exemple, BioChem Pharma, qui a également des produits à vendre et qui le fait par l'intermédiaire de compagnies pharmaceutiques plus importantes.

Il est donc possible d'y parvenir, et il n'y a pas véritablement de gros obstacles à franchir. Si vous avez un bon produit à offrir, les autres entreprises y sauteront dessus et vous n'aurez aucune difficulté à vous trouver des partenaires commerciaux.

Le président: Merci.

Allez-y pour une brève remarque, David.

M. Levi: Très brièvement. J'estime que cela est vrai pour toutes les entreprises technologiques. Qu'elles travaillent dans le domaine électronique ou dans celui des télécommunications, elles cherchent toutes à conclure des alliances avec des compagnies comme Northern Telecom. J'estime que le gouvernement pourrait jouer un rôle en les aidant à réaliser ce genre de partenariat, parce que ce genre de démarche nécessite beaucoup de temps, d'efforts et de dépenses de la part des PME qui veulent écouler leurs produits sur les grands réseaux de distribution.

Le président: Merci beaucoup, David ainsi qu'à vous-même, monsieur Schmidt.

Avant de donner la parole à M. Leblanc, je vais demander à mes collègues de me permettre de poser une question à M. Simson.

La compagnie Nortel a-t-elle entrepris une vaste campagne de relations publiques pour encourager les étudiants à entamer des études en science? Est-ce que vous y avez déjà songé, étant donné que tout le monde parle de la nécessité d'orienter les jeunes vers la science d'une façon plus positive? Y avez-vous déjà songé?

M. Simson: Cela a fait l'objet d'une vaste campagne à l'échelle du Canada. Nous avons entrepris certains projets, surtout dans la région d'Ottawa-Carleton, où l'essentiel de notre travail consiste à intervenir auprès des enfants. Comme je le disais, nous accueillons des enseignants dans nos programmes d'internat, ainsi que des étudiants. Nous essayons d'enseigner aux professeurs comment bien enseigner en science et en technologie. En collaboration avec le Fields Institute de Toronto, nous offrons également des séminaires, des ateliers et des forums aux enseignants de la région de Toronto, mais pas à ceux du reste du pays.

Le président: Très bien, je vous remercie.

M. Simson: Nous avons aussi le National Learning Institute, qui est un centre de formation des enseignants à l'échelle nationale, mais qui n'a pas encore fait l'objet d'une campagne d'information publique.

.1200

Le président: Merci.

[Français]

Monsieur Leblanc, voulez-vous poser des questions?

M. Leblanc (Longueuil): Oui. Pour continuer dans la même veine que le député du Parti réformiste, en ce qui concerne la mise en marché de nouveaux produits, vous avez dit plus tôt que la Société pour l'expansion des exportations fournissait une aide, mais sans doute insuffisante. Est-ce que vous avez des éléments de solution? Est-ce que le gouvernement devrait se mêler davantage de l'exportation de nouveaux produits à l'étranger? C'est ma première question.

Deuxièmement, d'autres témoins nous ont déjà dit qu'obtenir des brevets était passablement dispendieux et très long. Est-ce que vous avez aussi des éléments de solution à cette question?

[Traduction]

M. Levi: Je vais commencer par répondre à la deuxième partie de votre question, qui a trait au brevet. Malheureusement, au cours des quatre ou cinq dernières années, j'ai dû me spécialiser dans les brevets, pour les entreprises avec lesquelles nous traitons.

Je crois que le plus important, ici, c'est que même si vous avez un brevet, vous n'avez aucune garantie; vous devez obtenir un avis juridique d'un grand cabinet d'avocats, généralement aux États-Unis. C'est, en général, là où se trouvera votre plus gros marché, quel que soit le produit que vous vendiez.

C'est là un processus incroyablement long et coûteux. Nombre de petites entreprises n'ont pas les moyens d'assumer les coûts que représente le dépôt d'un brevet et elles ont d'autant plus de difficultés à approcher des financiers.

Quand une entreprise s'adresse à nous et nous annonce qu'elle a une idée formidable, nous lui demandons d'abord si elle l'a fait breveter. Huit fois sur dix, quand nous avons affaire à de jeunes entreprises, la réponse est négative et l'on nous dit que le processus de recherche vient juste de débuter. Nous savons, d'expérience, qu'avant de pouvoir investir un seul dollar dans ce genre d'entreprise, le produit doit être brevetable, autrement dit il doit déjà faire l'objet d'une demande de brevet. À partir de là, il nous faut deux à six mois de travail en collaboration avec différents cabinets d'avocats, avec qui nous entretenons des liens aux États-Unis, et nous devons dépenser 10 000 à 20 000 $ simplement pour savoir si le produit peut être breveté. Pour ce qui est de l'obtention du brevet à proprement parler, d'autres coûts viennent s'ajouter.

Il s'agit donc là d'un processus assez long et, si l'entreprise n'a pas conclu des liens avec une société à capital de risque ou si vous ne disposez pas de ce genre d'arrangement, je crois qu'il peut être extrêmement difficile d'amener un produit à l'étape de la commercialisation, à cause du manque d'information et de contacts aux États-Unis.

Si le gouvernement se demande comment il pourrait aider ces petites entreprises, eh bien, il pourrait songer à faciliter la prestation de services juridiques ou d'examens précoces des brevets, étant donné que les PME qui n'ont pas fait breveter leurs produits ont de la difficulté à attirer les investisseurs.

Pour ce qui est des exportations, on pourrait certainement s'intéresser à deux choses. D'abord, la Société d'expansion des exportations est en fait structurée pour favoriser les ventes importantes sur les marchés internationaux. Sa structure tarifaire est fondée sur le genre de comptes-clients importants que l'on retrouve en Asie ou aux États-Unis. Souvent, ce type de programme est trop coûteux ou trop complexe pour une petite entreprise de 10 à 30 employés qui veut s'attaquer aux marchés internationaux.

Je suis certain que le comité comprendra que, lorsqu'on vend en Asie, en Chine, en Thaïlande ou dans un de ces pays, même quand les comptes-clients sont solides - le produit étant vendu à un organisme gouvernemental ou à une société de service - on peut devoir attendre 60, 90 jours et même 120 jours avant d'être payé. Le système en place fonctionne bien pour les contrats d'envergure, mais pas pour les petits contrats.

.1205

Par ailleurs, je crois que le gouvernement pourrait chercher à faciliter les choses, comme je le disais plus tôt, entre les petites entreprises et certains gros partenaires stratégiques à l'échelle internationale. L'industrie de la biotechnologie ne compte pas beaucoup de multinationales. On sait donc à qui s'adresser. Il est relativement facile d'accéder au réseau. Si vous avez un produit, vous trouverez preneur. Mais si ce que vous avez à proposer touche au domaine des communications, à celui de l'électronique ou des logiciels - où l'on trouve pourtant des partenaires d'envergure - , vous risquez d'éprouver des difficultés, si le produit en question ne correspond pas exactement à leur niche. Il peut être utile de participer à des foires commerciales ou d'entretenir des liens commerciaux avec de petites entreprises ou des acheteurs stratégiques ou encore avec des réseaux de distribution d'envergure internationale.

Le président: Autres choses à ajouter, madame Levy.

Mme Levy: Non, je crois que David a tout dit.

Le président: Très bien.

[Français]

Monsieur Leblanc.

M. Leblanc: Je voulais simplement informer Mme Julia Levy que nous avons aussi des entreprises au Canada qui ne sont pas de simples filiales américaines. Nous avons, à Montréal entre autres, l'Institut Armand-Frappier qui est très avancé dans le domaine de la biotechnologie. Peut-être pourrait-on dire à Mme Levy qu'avec les moyens de communication dont nous disposons à l'heure actuelle, elle pourrait communiquer facilement avec l'Institut Armand-Frappier, qui est un peu à l'est d'Ottawa.

Le Québec est encore dans le Canada. Si vous avez besoin d'information, nous existons. Ensuite il y a plusieurs compagnies dans la région de Montréal qui ne sont pas des filiales américaines. C'est tout simplement une information, monsieur le président, que je voulais donner à Mme Levy.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Bodnar.

Mme Levy: Je tiens à intervenir à ce sujet, parce que je connais très bien l'Institut Armand Frappier. J'y ai quelques bons camarades. D'ailleurs, j'ai déjà parlé de BioChem Pharma, qui est la branche biotechnologique de l'Institut Armand Frappier, et notre compagnie soeur, je crois.

Je disais que nous avions de la difficulté à attirer du personnel. Mon entreprise et BioChem Pharma sont les deux plus vieilles sociétés de biotechnologie au Canada. Nous formons les gens, puis ils vont travailler ailleurs, comme le disait David. Cela ne me dérange pas.

Je suis certaine que l'Institut Armand Frappier connaît la même situation que nous, parce qu'il y a beaucoup de petites entreprises de biotechnologie dans la région de Montréal que nous connaissons d'ailleurs bien. Personnellement, je suis très heureuse que le Québec fasse encore partie du Canada.

Le président: Monsieur Bodnar.

M. Bodnar (Saskatoon - Dundurn): Merci, monsieur le président.

J'ai ici un rapport de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante dans lequel on parle de la question du manque de personnel dans l'industrie:

Je me demande dès lors si les entreprises au Canada n'adoptent pas la mauvaise approche en faisant de telles déclarations, parce que cela veut dire qu'elles ont effectivement des emplois à offrir. Peut-être que l'entreprise canadienne n'assume pas sa responsabilité, qui est d'injecter un peu plus d'argent et de ressources dans la formation des gens afin de combler les postes vacants. Je me demande si, dans ce domaine, le Canada n'est pas en retard par rapport aux autres pays et si l'on fait quoi que ce soit pour que le secteur privé offre lui-même plus de formation.

Le président: Je vais demander à M. Simson de vous répondre en premier, après quoi nous passerons à nos autres témoins.

M. Simson: Votre question, je pense, touche à deux niveaux. Il y a, d'une part, la formation du personnel déjà engagé par les entreprises et, d'autre part, la formation des gens que nous engageons. Je crois que cela dépend des entreprises et du pays.

.1210

Pour ce qui est de la formation des gens à l'interne, les entreprises comme Nortel, comme je le disais plus tôt, dépensent beaucoup d'argent et d'effort pour former et perfectionner leur personnel et pour se montrer proactives en matière de perfectionnement des compétences, afin de ne pas se retrouver avec une main-d'oeuvre obsolète. Voilà pour l'autre fait.

D'autres entreprises, plus petites, n'ont peut être pas la chance d'avoir assez d'argent pour former leur personnel. En fait, c'est ce que nous a déclaré Peter. Le gouvernement peut avoir une influence à exercer sur ce plan et il pourrait adopter certaines mesures d'encouragement, comme l'a dit M. Schmidt, je crois, afin d'inciter les gens à investir dans la formation et le perfectionnement. Ainsi, les petites industries seraient encouragées à perfectionner leur main-d'oeuvre et les plus grandes en bénéficieraient aussi. Donc, vous pourriez agir sur ce plan.

Parlons à présent de l'embauche des nouveaux employés dans le cas d'une entreprise en pleine croissante, qui a besoin de personnel tout de suite parce que, comme je le disais plus tôt, les délais de mise en marché sont d'une importance capitale. Il faut se dépêcher de sortir des produits et c'est pour cela qu'on a besoin de gens possédant des compétences recherchées.

On n'a pas le temps de les former pour combler les besoins. On veut disposer de ressources déjà formées pour qu'en deux semaines seulement, les gens soient accoutumés à l'entreprise et à la façon de faire les choses, qu'ils soient capables de travailler en équipe et qu'ils soient productifs! C'est ce qu'il faut dans le secteur de la haute technologie parce que, maintenant, le cycle de développement de la plupart des produits, notamment des grands produits de Nortel, est d'un an à 18 mois. On n'a pas le loisir de former les gens pendant six mois et l'on a donc besoin d'un personnel possédant tout de suite les compétences voulues.

Comme vous représentez le gouvernement, vous pourriez inciter l'industrie à aider le système éducatif afin de l'amener à modifier le contenu et la prestation de ses programmes, pour donner aux étudiants les compétences recherchées. À leur sortie des écoles, ils posséderaient les compétences recherchées, ils auraient un bagage en informatique, ils sauraient comment se servir d'ordinateurs, ils seraient au fait des derniers progrès réalisés en génie électrique et seraient à la pointe de l'électronique. On ne devrait pas les faire étudier sur des équipements désuets.

Il est évident que l'industrie devrait participer à cet effort. Elle devrait énoncer ses exigences et aider les universités à se transformer, en un certain sens. Quant au gouvernement, il pourrait, en ayant recours à un financement et à des mesures d'incitation accordées aux universités - par exemple, par le truchement du CRSNG, ou des RCE - les aider sur ce point.

Le président: Merci.

Y a-t-il d'autres commentaires des gens de Vancouver à ce sujet?

M. Levi: Oui, j'aimerais remettre le tout en contexte; c'est important.

L'entreprise de Julia, qui compte 100 employés, est l'une des plus importantes entreprises canadiennes de biotechnologie. La plupart des compagnies de notre industrie ont moins de 20 employés et rares sont celles qui font de l'argent. La plupart n'ont aucun revenu ou, quand elles vendent, leur chiffre d'affaires n'est pas suffisant pour qu'elles réalisent des bénéfices à ce stade. Bien qu'elles n'en soient pas à leurs balbutiements, elles en sont encore à l'âge de l'adolescence et elles dépendent de leurs parents, les financiers, pour parvenir au point où elles pourront voler de leurs propres ailes.

En fait, la formation est très coûteuse et quand on perd de l'argent ou qu'on n'a aucun revenu, on investit tout dans le développement ou dans la vente du produit. Les entreprises de ce secteur n'ont tout simplement pas les ressources nécessaires pour se lancer dans la formation du personnel.

Les compagnies plus importantes font beaucoup de formation dans les domaines de la technologie et de la science. Elles se rendent compte que c'est ainsi qu'elles peuvent retenir leurs employés, parce que ce genre d'employés est très en demande et qu'ils cherchent eux-mêmes à se perfectionner. Les entreprises doivent leur offrir cette formation pour les retenir. En deuxième lieu, elles ont bien sûr besoin de compétences sans cesse renouvelées.

Mais les compagnies plus petites, qui forment la vaste majorité de notre secteur des sciences et de la technologie au Canada, n'ont tout simplement pas les ressources voulues pour assurer ce genre de formation.

Mme Levy: J'ajouterai quelques mots au sujet des mesures incitatives du gouvernement de la Colombie-Britannique. Je ne sais pas si ce programme sera renouvelé l'année prochaine, mais je l'espère. Le gouvernement devrait peut-être participer à ce stade, même si cela signifie qu'il doit dépenser de l'argent des contribuables.

Le gouvernement a adopté une mesure d'encouragement en vertu de laquelle il assume la moitié du salaire de jeunes diplômés dans le domaine de la technologie, embauchés pour la première fois par les entreprises, que ce soit en chimie ou autre.

Je considère qu'il s'agit là d'une approche tout à fait éclairée. On se trouve à inciter les entreprises à assurer elles- mêmes la formation, puisqu'on leur verse la moitié du salaire des nouveaux employés. Le temps qu'elles passent pour le faire devient rentable, parce qu'effectivement il faut du temps pour former les gens.

Il pourrait être intéressant d'envisager cela à l'échelon fédéral.

Le président: Merci beaucoup.

Monsieur Bodnar, pour une dernière question.

M. Bodnar: Je vais aborder un sujet différent, beaucoup plus à titre d'intérêt personnel qu'autre chose.

.1215

J'ai deux filles qui vont au secondaire et dont nous sommes très fiers parce qu'elles sont excellentes en sciences. Eh bien, j'ai l'impression qu'on encourage peu les femmes à entreprendre une carrière dans ce domaine, en génie ou en science, en général.

Qu'est-ce que le gouvernement pourrait faire pour encourager les femmes à se lancer en génie et en science, pour qu'elles puissent à l'avenir remplir un rôle qu'elles n'ont pas assuré dans le passé?

Le président: Peut-on d'abord entendre la réaction de M. Simson?

M. Simson: Le gouvernement pourrait faire bien des choses; il pourrait commencer par capitaliser sur ce qu'il a récemment entrepris par l'intermédiaire du CRSNG. Vous avez peut-être entendu dire que le CRSNG vient juste de créer cinq chaires pour les femmes en génie au Canada, à partir du travail que Nortel et le CRSNG ont financé, ainsi que la chaire des femmes en génie, qui a été confiée à Mme Monique Frize.

Une partie de la réponse est d'origine culturelle et il faut voir ce que font maintenant les écoles et les universités pour inciter les femmes à se lancer en science et en technologie. Il faudrait le faire à plus grande échelle; nous pourrions étendre ce genre d'initiatives et injecter plus d'argent dans les chaires qui viennent d'être créées. Le financement n'est pas suffisant pour espérer parvenir tout de suite à des répercussions importantes, même au plan régional. On pourrait élargir cette formule et associer un plus grand nombre de personnes au travail effectué par ces chaires.

Ces chaires ont pour objet de nous permettre de comprendre deux choses. D'abord, quels obstacles culturels, dans notre société, empêchent les femmes de se lancer dans ces domaines? Deuxièmement, quelles solutions pourrait-on appliquer dans le milieu auquel on a maintenant affaire. Comment pourrait-on travailler de façon proactive pour influencer le cours des choses et comment pourrait-on collaborer avec la base pour changer la façon dont les femmes sont perçues ou la façon dont elles-mêmes perçoivent les difficultés?

D'autres programmes... On pourrait aussi appuyer les universités après l'étape de l'intégration des étudiantes; on pourrait aider ces jeunes filles à surmonter les difficultés qu'elles éprouvent en mathématiques, en science et en technologie, parce qu'on ne les a pas poussées dans ces domaines assez tôt à l'école - si vous préférez, on doit intervenir après coup. Il faut aider financièrement les universités à entreprendre de tels projets et à parrainer des programmes du genre, qui ont absolument besoin de financement.

Encore une fois, il faut aider les femmes, il faut leur apporter le soutien nécessaire et leur offrir des cours supplémentaires, mettre à leur disposition plus de professeurs et les aider à atteindre un bon niveau en mathématiques et en science, qu'elles n'ont pas acquis dans le cadre du système scolaire. Il faut donc s'attaquer au problème sur deux fronts.

Le président: Merci beaucoup.

Nous avons deux autres députés qui aimeraient poser des questions. Je vais leur demander d'être brefs après quoi nous pourrons peut-être poursuivre pendant une dizaine de minutes. Cela convient-il à tout le monde?

Monsieur Shepherd, vous avez une question à poser?

M. Shepherd: Oui. Une brève question.

Vous parliez de la mondialisation de la technologie. Le Canada a des missions commerciales et des ambassades partout dans le monde. Vous semblez savoir, d'expérience, que cela ne fonctionne pas très bien. Pourquoi n'y a-t-il pas de synergie entre les technologies, les entreprises naissantes, et la fonction commercialisation et marketing assurée par nos missions commerciales?

M. Levi: Pour l'instant, il semble exister un fossé entre les agents de commerce en poste à l'étranger et les entreprises qui sont ici, au Canada. Quand celles-ci explorent la possibilité de conclure des contrats à l'étranger, le gouvernement canadien les invite essentiellement à communiquer avec les agents de commerce et c'est alors, si je puis dire, qu'elles se rendent compte de toute la distance qui les sépare de ces gens-là.

Il semble donc exister un fossé, de nature structurelle, qui barre la route à nos entreprises canadiennes qui envisagent d'écouler leurs produits à l'étranger, parce qu'on ne semble pas pouvoir établir les connexions ici et qu'on ne fait pas revenir plus souvent ces agents de commerce en poste à l'étranger pour rencontrer ceux et celles qui, au Canada, envisagent de faire affaire «chez eux».

Pour nos entreprises, les résultats sont mitigés, selon la compétence des agents avec qui elles traitent. Certaines ont bénéficié d'excellents services de la part des agents de commerce, dans certaines villes étrangères. Mais toutes semblent avoir éprouvé des difficultés à déterminer comment il fallait s'y prendre pour pénétrer le système du côté canadien - pour décider où elles allaient se retrouver sur les marchés internationaux.

Comme nos agents de commerce sont évidemment à l'étranger, il faut passer ailleurs au Canada pour pouvoir les atteindre. À en croire certains rapports, quelques-unes de nos entreprises se sont réjouies du service reçu alors que d'autres ont estimé qu'elles avaient perdu leur temps. Donc, tout dépend de la personne avec qui l'on traite à l'autre bout, du temps qu'elle a passé en poste, du niveau de ses contacts et des liaisons qu'elle entretient.

.1220

Le président: Merci. Monsieur Lastewka.

M. Lastewka: Ma question découle d'une intervention de M. Bodnar. Je vais vous la poser à vous trois.

Avez-vous tenu des rencontres ou eu des entretiens avec les ministres provinciaux de l'Éducation à propos du manque d'ingénieurs, que ce soit en électricité, en électronique, en informatique ou en génie? Et si oui, étaient-ils conscients du problème et ont-ils adopté un plan pour y remédier? Ou tout cela est-il encore en suspens?

J'aimerais entendre la réaction de nos témoins à ce sujet.

M. Simson: Officiellement, Nortel n'a jamais eu de rencontres avec les ministres de l'Éducation. Nous avons eu beaucoup d'échanges avec toutes les universités de l'Ontario et d'autres partout au pays - avec les présidents et les vice-présidents d'université. Nous avons eu des discussions poussées au sujet des programmes. En outre, nous siégeons aux conseils consultatifs qui étudient les orientations et le reste.

Le président: Merci.

Et du côté de Vancouver? Avez-vous eu des réunions avec le ministre ou avec le secteur de l'enseignement post-secondaire?

Mme Levy: Oui. En fait, je suis également présidente du Conseil consultatif du premier ministre provincial sur la science et la technologie. Nous avons eu pas mal de contacts, pas uniquement avec le ministre de l'Éducation, mais aussi avec ses collègues du cabinet. Et c'est sans doute un des points délicats que nous avons soulevé et rappelé aux membres du cabinet pour qu'ils comprennent bien l'importance qu'il y a de réaliser ce genre de progrès en milieu scolaire. D'ailleurs, je crois que notre démarche a donné quelque chose et qu'il va y avoir des changements en Colombie-Britannique.

M. Levi: En fait, il est question de changer une culture qui existe depuis longtemps. L'université des dernières années est le reflet de l'ère industrielle qu'on vient de traverser. De nos jours, les universités se mettent lentement sur les rails de l'ère de l'information.

C'est un processus difficile. Il subsiste certains intérêts qui remontent dans le passé. La situation est différente pour les instituts de technologie et je pense que c'est une des raisons pour lesquelles ils ont tellement bien réussi. Ils n'ont pas été aux prises avec de vieilles questions et ils sont donc en mesure de réaliser des progrès considérables par rapport aux universités. Pour amener les universités à adopter cette nouvelle culture, les gouvernements, fédéral et provinciaux, ainsi que l'industrie devront déployer des efforts.

M. Lastewka: Plus tôt, il a été question de communication homogène et de méthodes de travail entre les collèges et les universités. Je crois savoir que tout cela relève encore des ministres provinciaux de l'Éducation. Si, du point de vue de l'industrie, en ce qui concerne une technologie en particulier, on se préoccupe du temps passé pour mettre un produit en marché, pourquoi le facteur temps n'intervient-il pas de façon aussi aiguë pour mettre sur le marché des gens possédant les compétences voulues?

Monsieur le président, je comprends mal pourquoi les universités ne voient pas les choses ainsi.

Le président: Je ne pense pas que je vais mettre les témoins sur la sellette pour répondre de nouveau à cette question.

J'invite à présent nos témoins à nous faire part de leurs commentaires de conclusion, s'ils en ont.

M. Simson: Eh bien, pour conclure, je dirai que les députés peuvent se rendre utile de deux façons. D'abord, en communiquant au reste du pays, à la population, au grand public, l'intérêt qu'ils portent à la science et à la technologie. La simple existence de ce Comité permanent sur l'industrie montre que vous êtes désireux de combler le fossé de l'innovation. Sensibilisez davantage le public et communiquez avec l'industrie. Ce genre de communication est vital.

Le deuxième aspect touche à la composition future de la députation. Nous allons voir si nous pouvons intéresser des gens ayant un bagage scientifique ou technologique à entreprendre une carrière politique.

Le président: N'allons pas trop loin. Vous savez, nous aimons bien les avocats. Walt a un bagage en génie...

M. Lastewka: Je suis d'accord avec M. Simson à ce sujet. Je pense que c'est une excellente...

Le président: A-t-on des commentaires de conclusion de Vancouver, ou voulez-vous ajouter quelque chose que nous aurions oublié et que vous aimeriez faire consigner au procès-verbal? Avez- vous traité de la plupart des points qui vous intéressaient?

.1225

M. Levi: J'aimerais simplement ajouter une chose sur laquelle je sais que le gouvernement travaille déjà, mais je pense qu'il faut le rappeler: nous avons aussi des problèmes d'infrastructure.

Comme les télécommunications sont essentiellement de compétence fédérale, le gouvernement fédéral peut continuer à mettre la pression sur nos entreprises de communication - que ce soit l'industrie du câble ou celle du téléphone - pour qu'elles continuent à développer l'autoroute de l'information et à faire en sorte qu'on puisse y circuler plus rapidement. C'est là un de nos principaux avantages au Canada, parce que nous avons un des meilleurs réseaux de télécommunication du monde. Grâce à cela, les entreprises, l'industrie en général et tous ceux et celles qui pratiquent la vidéoconférence aujourd'hui ont accès à toutes les technologies de cette nouvelle ère de l'information. On s'en rend compte quand on va à l'étranger, où les systèmes ne sont pas aussi développés qu'ici. Mais il y a encore beaucoup à faire pour étayer cette infrastructure à l'échelle du Canada.

Mme Levy: Je pourrais peut-être rajouter quelque chose à ce sujet.

Je pense en fait que David vient de mettre le doigt sur le défi le plus important du système éducatif, je veux parler de l'autoroute de l'information. Nous en avons discuté avec le ministre de l'Éducation et d'autres ministres du gouvernement de la Colombie-Britannique, à cause des coûts énormes qui se rattachent à cela. On peut toujours employer des mots dans le vent, mais il n'est pas facile de déterminer comment relier entre elles toutes les écoles de la Colombie-Britannique. Ça va bien dans les grandes villes et dans les grandes collectivités, mais pour le reste, je crois que c'est une des tâches énormes qui attend nos gouvernements, à tous les paliers, pour la décennie à venir parce qu'ils devront essayer de donner à tous nos jeunes la possibilité d'accéder à l'autoroute de l'information.

Le président: Merci.

Au nom de tous les députés ici présents, je tiens à vous remercier pour le temps que vous nous avez consacré. J'ai trouvé ce panel très intéressant. Je pense que nous avons bénéficié du fait que nous étions en petit nombre. Nous avons pu avoir de longues conversations avec chacun d'entre vous et nous avons pu entendre certaines des solutions que vous avez à proposer.

Je sais, par exemple, que M. Simson appartient à un organisme où les gens sont très occupés. Nous apprécions beaucoup que vous nous ayez donné autant de temps.

Comme M. Schmidt l'a déclaré plus tôt, le fait que nos amis vancouvérois se soient joints à nous de cette façon correspond à une véritable percée technologique. Et croyez bien, David, que cela me fait chaud au coeur de voir un Vancouvérois en cravate à 7 h 30.

M. Levi: Vous auriez encore plus chaud au coeur si vous saviez quelle quantité de neige nous avons dans les rues de Vancouver.

Le président: Nous apprécions beaucoup que vous vous soyez astreints à respecter notre horaire. Vous êtes conscients, j'espère, que vous faites partie intégrante de ce dialogue national. Encore une fois, merci de votre contribution.

La séance est levée. Nous reprendrons mardi.

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