[Enregistrement électronique]
Le mardi 8 avril 1997
[Traduction]
Le vice-président (M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.)): Mesdames et messieurs, le comité reprend ses audiences.
Je rappelle à nos témoins que nous essayons de donner à tous le même temps et de nous en tenir à cinq minutes par exposé afin d'avoir suffisamment de temps pour les questions. Si vous voulez ajouter quelque chose, je suis sûr que vous pourrez le faire en répondant aux questions. Nous avons constaté en effet que plus nous obtenions d'information durant la période de questions, mieux c'était pour le comité.
Je commencerai par Lenczner Slaght Royce Smith Griffin. Monsieur Slaght, serez-vous le premier à prendre la parole?
M. Ronald Slaght (Lenczner Slaght Royce Smith Griffin): Oui.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, vous pouvez y aller.
M. Werner Schmidt (Okanagan-Centre, Réf.): Le groupe de M. Slaght a-t-il présenté quelque chose par écrit?
M. Slaght: Oui, monsieur.
M. Werner Schmidt: Cela a-t-il été distribué?
M. Slaght: Nous en avons laissé plusieurs exemplaires dans les deux langues; il y a trois documents. Nous avons un genre de résumé et deux autres textes un peu plus longs qui sont à la disposition des députés et autres intéressés.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): D'accord. Bien, nous allons commencer et nous essaierons de clarifier les choses au fur et à mesure. Je commence à vous chronométrer maintenant. Merci.
M. Slaght: Merci, monsieur le président.
Je m'appelle Ronald Slaght. Je suis accompagné de Timothy Gilbert. Nous appartenons à un cabinet d'avocats de Toronto et plaidons essentiellement des affaires commerciales. Nous sommes ici pour représenter l'Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques, mais pour que vous compreniez bien notre point de vue, je dois vous dire que j'ai également défendu au cours des années les multinationales.
Ce dont nous sommes venus vous parler et ce dont traitent les documents que nous vous avons remis, c'est la question frustrante des dommages-intérêts et en particulier la question de savoir si les dommages-intérêts extraordinaires qui sont prévus dans des circonstances où l'une des parties estime que ses droits ont été lésés doit demeurer ou si ces intérêts commerciaux particuliers devraient être traités de la même façon que tous les autres volets de la société canadienne, commerciaux et personnels. C'est là l'objet de notre document et des propos que je tiendrai dans les quelques minutes dont je dispose. Je répète que je suis parvenu à ces conclusions après avoir passé plusieurs années à examiner la chose des deux côtés.
De façon générale, les injonctions sont quelque chose que l'on rencontre très fréquemment dans les affaires commerciales. Vous considérez peut-être que c'est parce que je suis avocat plaidant que je dis cela mais je dois dire, avec l'expérience, que je ne crois pas qu'il y ait quoi que ce soit dans le système judiciaire qui soit plus équilibré ou plus au point que les critères auxquels il faut satisfaire pour obtenir une injonction. Sans entrer dans les détails - vous les trouverez dans nos documents - ce qui s'est produit au cours des siècles, c'est que les tribunaux, qui sont indépendants, ont mis au point un critère qui équilibre parfaitement les intérêts des deux parties en cause.
Ce qui est remarquable dans le cas présent, c'est que pour un groupe particulier, on met tout à coup de côté cette formule séculaire qui consiste à laisser un tiers indépendant faire l'équilibre entre les intérêts des deux parties lorsque l'une prétend qu'il y a eu contrefaçon. On instaure à la place un système dans lequel une partie n'a qu'à prétendre que l'on a contrefait son brevet pour obtenir ce qui revient en fait à une injonction.
Ayant examiné certains de ces cas, nous estimons qu'il n'est pas nécessaire que ce groupe jouisse de droits qui ne sont accordés à aucun autre groupe. Pourquoi accorder plus de poids aux droits de ce groupe particulier, qui peut maintenant simplement obtenir une injonction en alléguant contrefaçon de son brevet, qu'à ceux de tout autre groupe? Pour déterminer de façon provisoire s'il y a eu ou non contrefaçon, les critères définis par les tribunaux sont tout à fait suffisants - même plus que suffisants - pour traiter de toutes les questions qui se présentent entre les deux groupes concurrents dans ce cas particulier.
Contrairement à d'autres recherches que vous avez vues, la nôtre - vous trouverez l'analyse dans nos documents - indique que, dans l'ensemble, les choses s'équilibrent assez bien. En fait, les tribunaux ont traité de façon adéquate des questions d'injonction dans ces cas. Ils sont équipés pour en traiter et, en résumé, la meilleure protection et ce qu'il a de plus juste pour les deux parties dans ces cas est de laisser cela aux gens qui sont formés pour s'en occuper, à savoir les juges. Les juges appliqueront un critère qui détermine l'issue en fonction des circonstances du cas particulier et non pas d'une décision générale qui laissera à désirer. Chaque cas doit être décidé en fonction de son bien-fondé et c'est bien là la raison d'être de la justice.
Ce que nous disons donc, et ce que nous expliquons dans nos documents, c'est que les recours extraordinaires qui existent actuellement sont simplement inutiles et vont complètement à l'encontre de notre justice qui s'est dotée de moyens très perfectionnés et très équitables de statuer lorsqu'une partie allègue qu'il y a eu contrefaçon de son brevet et que l'autre s'en défend.
Sans entrer dans les détails, c'est essentiellement là ce que nous disons. Nous sommes tout à fait prêts à répondre à vos questions de façon, nous l'espérons, satisfaisante. Merci beaucoup.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup.
De Goodman Phillips & Vineberg, nous avons M. Johnson.
M. Jon R. Johnson (Goodman Phillips & Vineberg): Monsieur le président, nous avons remis notre document à la greffière. Nous y faisons allusion à certaines dispositions de l'Accord de libre-échange nord-américain, de l'accord ADPIC de l'OMC et de certains cas. J'en ai ici le texte qui pourrait peut-être vous être utile.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Vous pouvez remettre cela à la greffière.
M. Johnson: D'accord.
Je m'appelle Jon Johnson. Je suis associé au cabinet d'avocats Goodman Phillips & Vineberg. Je comparais ici après avoir préparé certaines opinions pour l'ACFPP, mais j'ai également une assez longue expérience du droit commercial.
Je ne me présente pas en expert de la propriété intellectuelle ni en tant qu'avocat plaidant, mais je connais bien l'Accord de libre-échange nord-américain et un peu moins les accords de l'OMC, en particulier l'accord ADPIC. Je me suis occupé de divers aspects des négociations de l'ALENA pour le compte du gouvernement canadien. J'ai écrit un ouvrage sur cet accord. J'ai donc beaucoup étudié ces diverses questions au fil des ans.
Je limiterai mes observations à deux séries de dispositions contenues dans le projet de loi C-91. La première est celle que l'on appelle les dispositions Bolar et la deuxième concerne les règlements touchant les avis de conformité dont parlait M. Slaght. J'aborderai ces questions dans le contexte des obligations du Canada aux termes de l'ALENA et de l'ADPIC.
Pour vous situer, les dispositions de l'ALENA et de l'ADPIC exigent essentiellement tout d'abord que l'on mette en oeuvre certaines conventions internationales - sur lesquelles je ne m'arrêterai pas parce que je ne pense pas que ce soit pertinent - et en particulier la convention de Paris. Toutefois, celles-ci contiennent aussi certaines conditions positives qui s'appliquent à un certain nombre de catégories de propriété intellectuelle et notamment aux brevets. Elles exigent que des recours efficaces soient prévus en cas de contrefaçon et elles prévoient certaines exceptions.
Les dispositions Bolar figurent essentiellement aux paragraphes 55.2(1) et (2) de la Loi sur les brevets. Essentiellement, celles-ci permettent à un fabricant éventuel de mener des activités en vue d'une approbation et de fabriquer un produit dans un délai très limité avant l'expiration d'un brevet sur un produit fabriqué par un titulaire de brevet.
L'ALENA et l'ADPIC stipulent tous les deux qu'un titulaire de brevet a le droit d'empêcher d'autres parties de fabriquer, d'utiliser, de vendre, etc., l'objet d'un brevet sans son consentement. Toutefois, les deux accords permettent également des exceptions limitées à condition que les intérêts légitimes des titulaires de brevet ne soient pas menacés tout en tenant compte des intérêts légitimes d'autrui.
Très brièvement, je dirais que ces dispositions sont essentiellement transitoires. Elles facilitent la transition du produit entre la situation de monopole conférée par le brevet et le moment où le produit tombe dans le domaine public. Cela ne couvre qu'une très courte période de la vie du brevet. Je dirais, pour les raisons énoncées dans mon texte, que ces dispositions sont visées par les dispositions liées aux exceptions limitées de l'ADTC et de l'ALENA.
Je m'arrêterai maintenant brièvement sur deux aspects des règlements relatifs aux avis de conformité. Tout d'abord, je me suis demandé il y a quelque temps si l'abrogation de ces dispositions serait possible dans le contexte de l'ALENA et l'ADPIC. Essentiellement, ces deux accords stipulent un code de procédure. L'un des objectifs des négociateurs était de prévoir une mise en application efficace des droits de propriété intellectuelle. En fait, ces deux accords prévoient une série de procédures civiles permettant un redressement par injonction et prévoyant des dommages-intérêts en cas de contrefaçon.
Les brevets ne sont pas énoncés comme tels. Ces règles s'appliquent à tous les droits de propriété intellectuelle. Je répète que les brevets ne sont pas considérés à part et qu'il n'y a certainement pas de règles spéciales qui s'appliquent aux produits pharmaceutiques.
La Loi sur les brevets prévoit des dommages-intérêts en cas de contrefaçon. Elle prévoit également un redressement par injonction. Les règles de procédure civile et le droit général de toutes nos provinces prévoient aussi un redressement par injonction interlocutoire. Il n'y a pas de raison particulière d'avoir une procédure spéciale pour les produits pharmaceutiques conformément à l'ALENA ou l'ADPIC. L'abrogation de ces dispositions n'irait pas à l'encontre de l'ALENA ni de l'ADPIC.
L'autre question est de savoir si les règlements relatifs aux avis de conformité eux-mêmes respectent l'ALENA et l'ADPIC. A mon avis, il y a un aspect important qui semble indiquer le contraire.
Je répète que les dispositions d'application civile de l'ALENA ou de l'ADPIC sont en fait des codes de procédure civile. Elles prévoient entre autres qu'au cas où une injonction interlocutoire serait obtenue et que la personne qui l'obtiendrait aurait finalement tort, les défendeurs auraient droit à des dommages-intérêts. J'ai cité les diverses dispositions dans mon mémoire, mais je vais simplement vous en lire une.
C'est tiré de l'ADPIC. Il s'agit de mesures provisoires. Une injonction interlocutoire serait considérée comme une mesure provisoire. Je vous lis donc l'article 50(7):
7. Dans les cas où les mesures provisoires seront abrogées ou cesseront d'être applicables en raison de toute action ou omission du requérant, ou dans les cas où il sera constaté ultérieurement qu'il n'y a pas eu atteinte ou menace d'atteinte à un droit de propriété intellectuelle, les autorités judiciaires seront habilitées à ordonner au requérant, à la demande du défendeur, d'accorder à ce dernier un dédommagement approprié en réparation de tout dommage causé par ces mesures.
J'ai fait allusion à deux cas qui portent sur l'article 8 des règlements relatifs aux avis de conformité qui, sans entrer dans les détails, n'atteignent pas cet objectif. Je vous lirai brièvement la décision du tribunal au sujet de l'affaire Bayer AG et al. c. ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et al.,:
- En se contentant d'entamer une poursuite, le plaignant obtient ce qui revient à une injonction
interlocutoire d'une durée maximale de 30 mois sans avoir satisfait aucun des critères qu'un
tribunal exigerait normalement avant d'ordonner l'émission d'un avis de non-conformité. En
particulier, aucune responsabilité en matière de dédommagement ne découle de la demande
contrairement à ce que demanderait n'importe quel tribunal avant d'ordonner une injonction
interlocutoire.
Je crois que cela décrit bien l'article 8. Et je dirais que de ce fait, celui-ci et les règlements relatifs aux avis de conformité ne satisfont pas à l'exigence voulant qu'un plaignant qui obtient une injonction pour laquelle on découvre par la suite qu'elle n'était pas fondée devrait être tenu de verser un dédommagement.
C'est tout ce que j'avais à dire. Merci.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup.
Nous entendrons maintenant M. Halewood, de la Law Union of Ontario.
M. Michael Halewood (représentant, Law Union of Ontario): Bonsoir. Je fais partie de la Law Union of Ontario. Le mémoire que je vous ai remis, comme l'indique son titre, porte sur le fait que notre groupe estime que le gouvernement pourrait adopter un projet de loi qui pourrait assurer un certain degré d'«exploitation locale» des brevets au Canada ainsi que la concession de licences obligatoires de brevet au Canada.
Je dirai tout d'abord que ce que j'ai distribué ne constitue que les deux tiers de notre document. Le tiers manquant porte sur des textes législatifs qui ne me semblent pas particulièrement pertinents.
Très brièvement, donc, pour ce qui est de l'exploitation obligatoire, la Law Union estime que ceux qui voudraient nous faire croire qu'il n'y a pas moyen d'imposer une exploitation obligatoire ou un système de licence obligatoire au Canada, se fondent - et peut-être que les experts qui sont ici ne seront pas d'accord avec moi, mais j'en doute - , sur l'article 27(1) de l'accord ADPIC et sur l'article 1709(7) de l'ALENA où il est stipulé que des brevets existent qu'ils fassent ou non l'objet d'importation dans le pays ayant octroyé le brevet.
Cela revient à dire que le brevet et l'objet peuvent être importés et donc que toutes les obligations d'un titulaire de brevet peuvent être satisfaites en important tout l'objet breveté dans le pays. Si tel était le cas, il est évident que nous ne pourrions adopter de loi qui exige l'exploitation obligatoire et que nous n'aurions pas beaucoup de raisons d'exiger ou d'octroyer des licences obligatoires comme recours en cas de non-exploitation.
J'estime, évidemment, que ce n'est pas le cas et que les articles 27(1) et 1709(7) ne créent pas en fait la possibilité pour un titulaire de brevet de satisfaire entièrement aux exigences en important à 100 p. 100.
Mon document entre dans les détails, mais dans le temps qui m'est imparti, j'aimerais seulement attirer votre attention sur l'annexe 1. Il s'agit de la Convention de Paris. Celle-ci fut d'abord adoptée en 1883. Il s'agit d'un document multilatéral qui a été révisé plusieurs fois jusqu'en 1967, date de la dernière révision à la Conférence de Stockholm.
L'article 5(1) de la Convention de 1883, stipule que l'importation ne peut en soi entraîner la déchéance d'un brevet. Ensuite. À l'article 5(2), il est dit toutefois qu'un titulaire de brevet reste dans l'obligation d'exploiter son brevet conformément aux lois du pays dans lequel il introduit les articles brevetés.
Dans un sens, dès 1883, nous avions une série de dispositions parallèles très semblables à ce que nous avons maintenant dans l'ADPIC et l'ALENA où on reconnaît qu'un titulaire de brevet peut importer certains éléments de l'objet du brevet. Je dirais toutefois que le Canada et d'autres pays signataires de l'ALENA et de l'ADPIC conservent la capacité d'adopter des mesures législatives qui exigent l'exploitation locale exactement de la même façon que le permettait la Convention de Paris de 1883 dans son article 5(1).
Et vous remarquerez que dans toutes les révisions jusqu'en 1967, la Convention de Paris n'a pas changé de structure, puisque l'article 5A(1) de l'accord de 1967 stipule que l'importation par un titulaire de brevet ne représente pas en soi un motif suffisant pour entraîner la déchéance du brevet, mais que chaque pays a le droit d'adopter des mesures législatives prévoyant l'octroi de licences obligatoires.
Qu'en est-il donc de ces dispositions?
J'attire votre attention sur la page 10 de mon document, où je mentionne G. Bodenhausen qui, en 1968, année où il a rédigé cette opinion, était directeur des Bureaux internationaux pour la protection de la propriété intellectuelle, ancêtre de l'actuelle OMPI. Il a déclaré que nous pourrions interpréter ces dispositions de la Convention de Paris en ce qui concerne la non-exploitation comme disant que l'exigence d'exploitation nécessite l'exploitation locale d'un brevet à l'intérieur du pays.
Donc, finalement, ce qu'établissent les articles 5(1) et 5(2), c'est un système par lequel l'importation d'objets brevetés n'attire pas en soi un recours tel que la suppression d'une licence obligatoire. Toutefois, cela ne signifie pas que les titulaires de brevets peuvent satisfaire à toutes leurs obligations en important 100 p. 100 de l'objet en question.
La raison pour laquelle je me suis arrêté ainsi sur la Convention de Paris est que l'ADPIC et l'ALENA incorporent explicitement les dispositions de la Convention de Paris et stipulent que ces deux conventions doivent être lues en corrélation et conjointement avec la Convention de Paris. Rien, ni dans l'ALENA ni dans l'ADPIC, n'est contraire à la jurisprudence qui a découlé de la Convention de Paris dont je viens de vous parler.
Je dirais donc que conformément à l'article 27(1) de l'ADPIC et à l'article 1709(7) de l'ALENA, nous sommes obligés d'autoriser les titulaires de brevet à importer certains des objets de leur brevet mais nous ne sommes absolument pas obligés de les autoriser à importer 100 p. 100 de l'objet de leur brevet. Cela n'est évidemment pas tout à fait pertinent étant donné la pratique actuelle au Canada mais ça le deviendra, soyez-en bien sûrs.
En effet, jusqu'ici, la situation au Canada ne nous a pas obligés d'exiger des dispositions d'exploitation. Toutefois, c'est important si nous voulons dire que l'octroi de licences obligatoires n'est pas possible parce que si nous acceptons la thèse que nous ne pouvons octroyer de licences obligatoires et que nos obligations internationales font que nous ne pouvons les octroyer, nous pouvons toujours faire adopter des lois qui exigent une exploitation obligatoire.
Je vois maintenant que le temps breveté est passé beaucoup plus vite que je ne le pensais. La deuxième partie de mon document, très brièvement, porte sur la raison pour laquelle...
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Il va falloir...
M. Halewood: Deux phrases, s'il vous plaît.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Deux phrases si elles vont droit au point. Aidez-moi à faire respecter l'horaire.
M. Halewood: Absolument.
L'octroi de licences obligatoires est possible aux termes des articles 30 et 31 de l'ADPIC et 1709(6) et 1709(10) de l'ALENA. Mon document explique pourquoi.
Les deux thèses - à savoir qu'on peut toujours avoir une exploitation obligatoire et l'octroi de licences obligatoires - vont ensemble. Elles se renforcent mutuellement de façon que si l'une ne marche pas, l'autre s'applique.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup. Je vous rappelle que les députés et nos attachés de recherche examinent de très près tous ces documents si bien que si vous n'avez pas le temps de tout dire, nous en prendrons connaissance par la suite.
Je passe maintenant à M. Peter Martin, de McCarthy Tétrault, avocats.
Bienvenue.
M. Peter Martin (associé, McCarthy Tétrault, avocats): Merci, monsieur le président. Je vous remercie de cette occasion de comparaître devant le comité. J'ai préparé un document qui, si je ne m'abuse, a été distribué aux députés. Je n'ai pas l'intention de tout le lire, même s'il n'est pas particulièrement long.
Dans la première partie de mes observations, je vous expliquerai la raison pour laquelle je me trouve ici et le genre d'assistance que je peux apporter à votre comité. Je ne suis pas avocat plaidant au civil et je ne prétends pas être un spécialiste des questions de commerce international. Mes responsabilités dans la région du Québec portent sur la biotechnologie et la pratique pharmaceutique. Je suis membre du conseil d'administration de quelques entreprises pharmaceutiques et je m'intéresse aux questions commerciales concernant ces industries.
De ce fait, j'ai fait examiner le texte que je vous présente par un certain nombre de mes collaborateurs afin de m'éviter de commettre des erreurs, mais cela n'en demeure pas moins qu'une opinion personnelle. Je voulais que cela soit bien clair.
J'ai donc essayé de commenter divers éléments des principaux amendements proposés par la Loi sur les brevets dans la loi C-91. Mes commentaires sont inspirés par l'expérience que j'ai en tant qu'administrateur d'entreprises pharmaceutiques qui traitent avec des entreprises de biotechnologie qui s'autofinancent et s'organisent pour se livrer à des activités de R-D.
Je n'ai pas grand-chose à suggérer au comité sinon qu'il est important dans l'étude majeure que vous avez entreprise de considérer non seulement quelles ont été les répercussions du projet de loi C-91 depuis son adoption il y a quatre ans, mais également des moyens de l'améliorer. J'ai donc essayé de suggérer certaines choses qui pourraient aider à cet égard.
La première chose avec laquelle je suis d'accord, c'est la restauration de la durée du brevet et ce, pour deux raisons. D'une part, je ne réussis pas à comprendre pourquoi les brevets pharmaceutiques touchant des médicaments destinés à la consommation humaine qui, du fait de la longueur du processus d'approbation, se retrouvent avec une protection effective d'une durée bien inférieure à20 ans ne pourraient pas bénéficier, dans certains cas particuliers, de la restauration de cette durée jusqu'à un maximum de cinq ans.
Vous savez que tous nos grands partenaires commerciaux prévoient cela. Ce n'est pas automatique. Il faut en faire la demande et c'est accordé au cas par cas.
La deuxième raison pour laquelle je préconise cette restauration de la durée du brevet - et cela vient directement de ce que j'ai appris à titre d'administrateur d'entreprises pharmaceutiques - c'est que c'est justement le genre de questions que l'on nous demande d'analyser pour déterminer les mérites relatifs d'un pays par rapport à un autre en vue d'investissements.
Cela est particulièrement vrai non seulement pour les installations de R-D - je pense, par exemple, à Astra, l'entreprise pharmaceutique suédoise qui vient d'ouvrir un laboratoire important à Montréal - mais également pour les entreprises de biotechnologie qui, systématiquement, procèdent à une analyse des divers avantages et inconvénients. Je peux vous dire que la question de la restauration de la durée des brevets est toujours examinée de près.
La deuxième recommandation que je vous ferais est que si les principes du système relatifs aux avis de conformité devaient être maintenus, et c'est la recommandation du comité, je ne comprends pas du tout pourquoi, d'un côté, nous avons les dispositions concernant l'exploitation hâtive du brevet dans la loi et, de l'autre, les principes relatifs aux avis de conformité dans les règlements. Il me semble qu'il serait beaucoup plus logique, dans l'éventualité d'un tel système, d'indiquer cela dans la loi elle-même.
La troisième chose que je préconiserais, dans la mesure où les règlements relatifs aux avis de conformité sont maintenus, permettrait de remédier à certaines des difficultés qui se sont présentées lorsque l'on a essayé de savoir comment améliorer certaines dispositions exigeant un gros investissement en temps et en argent et concernant des parties en conflit.
Il me semblerait ainsi normal que le comité recommande, si les règlements ne doivent pas être en général modifiés, qu'on prévoie la divulgation complète et l'examen par les deux parties des questions afin que les choses soient plus claires. Je ne veux pas prendre parti pour l'un ou pour l'autre à ce sujet.
Deuxièmement, je pense que l'on pourrait suggérer une protection automatique du caractère confidentiel des renseignements fournis. Là encore, je pense que cela devrait s'appliquer à tous les éléments fournis.
J'aimerais dire pour finir que ma lecture des comptes rendus d'audiences - encore une fois, je ne suis pas un avocat-plaideur, mais j'ai pris la peine de lire nombre de ces comptes rendus - m'a montré que les parties en présence n'hésitent pas à utiliser toutes les ficelles pour faire tourner la procédure des règlements relatifs aux avis de conformité à leur avantage.
J'aimerais aussi ajouter qu'à mon avis, il importe de s'assurer que les règlements et leur présentation offrent aux tribunaux la possibilité de contrôler leur procédure et de sauvegarder les droits des parties en présence.
Je le dis en toute objectivité. Je ne représente pas plus les intérêts de l'industrie générique que ceux de l'industrie novatrice.
Monsieur le président, c'est la somme des principaux commentaires que je tenais à faire. J'aimerais en faire un dernier, si vous me le permettez. Les articles, les reportages, les commentaires entourant les délibérations de votre comité ne parlent pratiquement que de l'industrie pharmaceutique. Avec votre permission, j'aimerais dire un mot ou deux sur l'industrie biotechnologique à laquelle je consacre une grande partie de mes activités professionnelles.
Pour être tout à fait franc, certains des commentaires du groupe de témoins précédent sur le manque, si vous voulez, de succès de l'industrie biotechnologique, n'ont pas laissé de m'étonner. Permettez-moi de vous dire qu'au contraire, et je parle d'expérience, ce secteur connaît une explosion d'activités et que les perspectives d'emplois, de R-D et de rentabilisation des investissements sont immenses.
Cette explosion d'activités, d'ailleurs, ne touche pas seulement le Canada. Notre cabinet est consulté par des compagnies de biotechnologie étrangères et pas seulement des compagnies nord-américaines. Je me permets donc de m'élever contre ces commentaires car ils sont en totale contradiction avec mon expérience et mes activités.
Sur ce, monsieur le président, je vous remercie infiniment.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup. C'est l'avantage d'avoir de nombreux témoins. Les points de vue sont nombreux, mais ils nous permettent d'alimenter et de mieux formuler notre rapport.
Oui, monsieur Volpe.
M. Joseph Volpe (Eglinton - Lawrence, Lib.): Si cela ne vous dérange pas, monsieur le président, j'aimerais avoir une petite précision. M. Martin a fait preuve de beaucoup d'objectivité, mais serait-il disposé à nous dire pour quelles compagnies...
M. Martin: Dans l'industrie pharmaceutique, je suis administrateur de SmithKline Beecham, qu'on peut, je crois, qualifier de multinationale novatrice.
Je suis également administrateur d'une compagnie du nom d'ICN Canada qui, en vertu des tendances manichéennes des rapports publics, serait probablement considérée comme une compagnie générique, bien qu'en fait, à ma connaissance, elle ne soit membre ni de l'un ni de l'autre groupe principal de compagnies pharmaceutiques canadiennes.
M. Joseph Volpe: Merci.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci. Nous passons aux questions et nous commençons par M. Brien.
[Français]
M. Pierre Brien (Témiscamingue, BQ): Je vais commencer par poser une question àM. Martin concernant le règlement de liaison. Beaucoup de débats portent sur l'utilité réelle du règlement. Quel est votre point de vue sur l'efficacité du mécanisme habituel d'injonction interlocutoire ou de versement de dommages et intérêts lorsqu'il y a contrefaçon de brevet?
Je vous donne un exemple. Aux États-Unis, les dommages qui sont versés peuvent correspondre au triple de la valeur de ceux qui ont été faits en réalité. Donc, on est fortement découragé de faire de la contrefaçon puisqu'on doit verser des dommages qui correspondent au triple de ceux qu'on a causés. Si on adoptait un règlement semblable, est-ce que cela ne serait pas suffisant? Est-ce que cela ne rendrait pas inutile tout le processus du règlement de liaison?
M. Martin: Je dois vous dire tout de suite que je vais limiter mes commentaires sur la question en vous disant que je ne pratique pas en matière litigieuse.
Cela dit, à titre d'administrateur d'une compagnie pharmaceutique, je peux vous dire qu'on a présentement tendance à regarder plutôt les résultats des causes. L'impression claire et nette qui existe dans cette industrie est que le remède n'est pas efficace. Mais je tiens à vous dire que c'est beaucoup plus au niveau du résultat qu'à celui de l'équité de la règle qui est appliquée par les tribunaux.
Le fait d'ajouter un recours permettant d'obtenir des dommages triples en cas de contrefaçon ne changerait pas de façon fondamentale l'opportunité des règlements. Si c'est une chose que le comité recommande, je dois vous dire honnêtement, en tant qu'avocat, que je présume que, quand les personnes adoptent une façon de procéder particulière, ils regardent très attentivement et très sérieusement de manière à voir s'il y aura contrefaçon ou pas. Bien sûr, si vous avez une disposition qui porte sur les triples dommages, les enjeux seront plus élevés, mais je ne pense pas que cela change de façon fondamentale la réflexion de la compagnie en question sur ses agissements.
Je ne sais pas si cela répond à votre question.
M. Pierre Brien: Oui.
M. Martin: C'est comme cela que je regarderais le problème.
M. Pierre Brien: J'aimerais entendre M. Slaght là-dessus. Vous avez dit au début que vous souhaitiez voir disparaître le règlement de liaison. Est-ce que pour vous, une loi qui dirait que les dommages versés doivent correspondre au triple de ceux qui ont été en réalité causés, comme c'est le cas aux États-Unis, serait quelque chose de plus satisfaisant?
[Traduction]
M. Slaght: J'ai un point de vue particulier sur cette question qui est plus canadien qu'américain. Pas seulement dans ces circonstances, mais dans la majorité des circonstances, je suis contre cette règle des dommages triples. Cela ajoute une dimension irréaliste aux litiges qui les encourage au lieu de les décourager.
Je ne suis donc pas favorable à un nouveau remède incorporant une règle de dommages triples ou une sorte de dédommagement spécial pour remplacer le règlement de liaison.
Ma théorie... M. Martin nous parle d'une modification du règlement qui contiendrait un code et qui éviterait sa dimension litigieuse... ma position est simple, ce n'est pas nécessaire, car cela existe déjà.
Tous les tribunaux d'instance civile provinciaux ont déjà les outils nécessaires pour régler tous les différends, y compris ceux sur lesquels nous nous penchons avec tant d'insistance. À mon avis, leur particularité n'est pas suffisante pour justifier une série unique de règlements ou une disposition de dommages triples. Les outils existent déjà. Que les intéressés se servent de ces outils comme tout le monde et soient assujettis aux règles de droit générales.
[Français]
M. Pierre Brien: On entend souvent des gens parler de la spécificité du secteur pharmaceutique. D'après vous, permet-on la production hâtive dans les autres secteurs? Il y a une spécificité au secteur pharmaceutique qui fait qu'on permet aux gens d'entreposer un produit avant l'expiration du brevet. Donc, il y a là un traitement spécial réservé aux compagnies pharmaceutiques. C'est pour cela qu'il y a d'autres règlements plus sévères pour s'assurer qu'il n'y ait pas contrefaçon. Le produit est là. Il est entreposé et il est fait. Donc, il est peut-être un peu normal qu'il y ait un traitement particulier.
[Traduction]
M. Slaght: Oui, et la distinction que je ferai en réponse à cela c'est que ces règlements, au plan civil, visent les violations de brevet. Il ne s'agit pas d'entreposage, de reproduction hâtive ou de délai de mise en marché. Il s'agit de savoir s'il y a eu ou non violation de brevet et, à mon avis, c'est une question tout à fait différente.
Ce qui nous intéresse, ce sont les suites à donner, ce sont les suites à donner à une plainte de violation de brevet. À notre avis, ces suites devraient être comme dans tous les autres cas: les tribunaux. Les tribunaux sont là pour ça. Il ne doit y avoir ni dépôt d'avis de motion, ni examen indépendant de la plainte.
Notre intérêt est donc un petit peu différent de ce que peut laisser entendre ce genre de question.
[Français]
M. Pierre Brien: Est-ce que le mécanisme utilisé pour établir les dommages peut être défini à l'avance?
[Traduction]
M. Slaght: Oui, et celui que vous proposez semble évident. Il stipulerait des dommages triples.
À mon avis, ce n'est pas efficace et de plus, nous ne devrions pas l'encourager au Canada, mais il faudrait faire la part des choses avec ce qui existe actuellement, à savoir que les compagnies génériques n'ont droit à aucun dédommagement des conséquences de l'injonction interlocutoire dont peut bénéficier le détenteur de brevet en déposant un simple avis de motion.
Il doit y avoir une voie moyenne. J'y reviens toujours, mais la solution c'est de laisser à la jurisprudence qui s'est accumulée pendant des centaines d'années, le soin de gérer aussi ces circonstances. Ce n'est pas un cas plus particulier qu'un autre dans le monde du commerce.
[Français]
M. Pierre Brien: J'ai une question pour M. Martin. Vous n'avez pas parlé des licences obligatoires. D'autres témoins, entre autres M. Halewood, parlent de la possibilité de revenir à un système de licences obligatoires. Des groupes nous ont dit de revenir au système de licences obligatoires, etc. Avez-vous examiné cet aspect? Selon vous, peut-on faire cela dans le contexte actuel de l'Accord de libre-échange nord-américain et de l'Organisation mondiale du commerce?
M. Martin: J'hésite un peu à m'exprimer là-dessus, mais j'ai examiné ce problème et consulté certains de mes collègues au bureau. Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il serait difficile de concilier un système comme celui que nous avions avant le projet de loi C-91 avec nos obligations internationales. C'est notre point de vue.
M. Pierre Brien: Le secteur générique demande l'autorisation d'exporter ses produits là où il n'y a pas de brevet. Par exemple, les pays qui ne sont pas membres...
M. Martin: On fait l'exportation du Canada vers le pays où le brevet est expiré?
M. Pierre Brien: C'est exact. Si le brevet est expiré aux États-Unis, on peut exporter le produit là ou encore en Afrique, qui n'est signataire d'aucun des accords auxquels nous sommes partie. Est-ce que cela serait conforme à nos engagements internationaux? Pourrait-on permettre à ces entreprises de produire ici et de vendre sur ces marchés?
M. Martin: Il serait peut-être bon que M. Johnson réponde à cette question. J'ai un point de vue là-dessus, mais je vais le laisser répondre.
[Traduction]
M. Johnson: Je m'excuse, mais je n'ai pas suffisamment étudié la question pour vous donner une réponse. Toutes mes excuses.
[Français]
M. Martin: Je dirais deux choses, si vous me le permettez, monsieur Brien.
Dans un premier temps, il est clair que si vous inscriviez un tel droit dans la loi, cela constituerait une autre sorte d'exception aux contrefaçons. Pour exporter, vous devez quand même fabriquer ici, au Canada, un produit qui est présentement sous brevet au Canada même si le brevet est expiré dans le pays d'exportation. Donc, il faudrait clairement une modification à la loi.
En ce qui concerne la possibilité d'instituer un tel droit, je ne vois personnellement pas de raison pour laquelle vous ne pourriez pas mettre une telle disposition dans la loi, mais d'un point de vue logique, je me pose tout de suite une question. Est-ce que le pays d'exportation, par exemple les États-Unis, ne répliquerait pas tout de suite en exportant de la même façon au Canada?
Je choisis peut-être mal le pays. Prenons l'Afrique du Sud. Je pense que les autorités de ce pays, en voyant une telle tendance à l'exportation vers leur pays, penseraient immédiatement à instaurer un système réciproque vers le Canada. Je ne suis pas sûr que c'est ce qu'on veut. Les effets n'ont pas été mesurés, à ma connaissance.
[Traduction]
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, monsieur Brien.
Je vais maintenant demander à M. Schmidt...
M. Werner Schmidt: Quelqu'un d'autre veut encore faire un commentaire, monsieur le président.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je m'excuse, monsieur Johnson. Allez-y.
M. Johnson: À propos de cette question, j'aimerais simplement dire la chose suivante: quelles sont les sources pertinentes? Par exemple, l'article 1709(5) de l'ALENA est la disposition clé pour les contrefaçons. Elle stipule:
5. Chacune des parties prévoira
- a) Dans les cas où l'objet d'un brevet est un produit, que le brevet conférera au titulaire le droit
d'empêcher d'autres personnes agissant sans son consentement de fabriquer, d'utiliser...
- Donc, les exportations vous exposent à ce genre de problème.
Maintenant, il y a une question à laquelle je n'ai pas réfléchi et à laquelle je ne peux répondre et c'est celle de savoir si cette proposition tomberait ou non sous le coup de ces exceptions. Les dispositions de l'ADPIC sont pratiquement identiques. La disposition concernant les contrefaçons se trouve à l'article 28 qui est pratiquement identique à l'article 1709(5) et la disposition concernant les exceptions limitées à l'article 30.
C'est donc là que se trouve la réponse.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Schmidt.
M. Werner Schmidt: Merci, monsieur le président.
J'aimerais approfondir votre présentation, monsieur Slaght, en vous demandant si les médicaments devraient être protégés par plus d'un brevet. Certains médicaments, actuellement, sont protégés par plusieurs brevets ou par des brevets multiples. Serait-il préférable de n'autoriser qu'un seul brevet par médicament?
M. Slaght: Voulez-vous dire au cas où le régime actuel serait prorogé ou d'une manière générale?
M. Werner Schmidt: Permettez-moi de reposer ma question. Vous êtes plaideur. Est-ce que cela vous faciliterait la tâche?
M. Slaght: Il est certain que cela me faciliterait la tâche bien qu'à mon avis il n'est pas certain que cela puisse tellement aider l'industrie car il y a des raisons légitimes de brevets multiples. Je dirais qu'il ne faut pas sous-estimer la capacité du système à trouver lui-même des solutions, même aux brevets multiples.
M. Werner Schmidt: Ces brevets multiples, dans ce cas, devraient-ils être enregistrés en même temps ou serait-il possible de les enregistrer à des périodes différentes permettant à un produit d'être protégé par une succession de brevets? Ou bien ces brevets devraient-ils tous être enregistrés en même temps?
M. Slaght: Non. Je crois qu'ils pourraient être enregistrés indépendamment car le problème est de savoir lequel est l'objet d'une contrefaçon sans que cela concerne la coexistence avec les autres.
M. Werner Schmidt: Très bien. Ma question suivante est corollaire. Quelle est la procédure suivie par la plainte? À l'heure actuelle, la compagnie générique dépose un avis de conformité indiquant qu'il n'y a pas contrefaçon. Le plaignant répond aussi et maintient sa plainte. Je crois qu'actuellement, en d'autres domaines, c'est au titulaire du brevet de se plaindre d'une contrefaçon. Ce n'est pas au copieur, si vous voulez, de le faire. Cette façon de procéder qui est l'inverse de ce qui se passe à l'heure actuelle pour les produits pharmaceutiques modifierait-elle la procédure?
M. Slaght: Mon collègue, M. Gilbert, s'est penché sur cette question. Il pourrait peut-être vous répondre.
M. Tim Gilbert (Lenczner Slaght Royce Smith Griffin): Oui, cela modifierait la procédure de la réglementation actuelle. On se retrouverait dans le domaine de la procédure civile habituelle où c'est au plaignant de faire la démonstration de son grief. En l'occurrence, ce serait au titulaire de brevet de démontrer la contrefaçon. Encore une fois, c'est la règle commune au Canada pour tous les différends. L'anomalie dans ce cas, c'est la raison de l'anomalie de cette règle spéciale qui impose cette responsabilité au défendeur? Je ne la comprends pas.
M. Werner Schmidt: Je ne la comprends pas non plus et j'aimerais savoir ce que vous recommandez.
M. Gilbert: Notre recommandation est toute simple. Cette réglementation spéciale est inutile, un point c'est tout.
M. Werner Schmidt: Merci.
Monsieur le président, j'ai une autre série de questions concernant cette affaire d'injonctions interlocutoires. À l'heure actuelle, la règle des 30 mois est en réalité, dans les faits, une injonction interlocutoire. Elle a son impact pratique. Ce n'est pas un rappel, il n'y a pas de procédure judiciaire, elle existe simplement. Il suffit de faire une demande pour obtenir une protection de 30 mois sur le marché.
Il n'y a pas de limite. Elle peut être prolongée et je suis certain que vous avez tous entendu parler de cette affaire. Le 25 mars 1997, la Cour fédérale a prononcé un non-lieu à propos de la lovastatine, le produit Mevacor de Merck Frosst, déclarant que le produit générique d'Apotex ne violait pas le brevet de fabrication détenu par Merck. Il y a eu appel et cela fait maintenant 45 mois; en réalité l'injonction interlocutoire a fait passer la période de protection de 30 mois à 45 mois. C'est une protection de brevet, si vous voulez, prolongée pratiquement indéfiniment. Que pensez-vous de cette disposition particulière de la loi?
M. Gilbert: Encore une fois, cette injonction présomptive automatique est une des injustices flagrantes de cette loi. S'il n'y avait pas de règlements, le plaignant devrait se précipiter toutes affaires cessantes au tribunal et démontrer que tant que ce différend n'est pas réglé - les 45 mois qui peuvent être nécessaires pour parvenir à une décision - il faut qu'il soit protégé. S'il arrive à convaincre le tribunal qu'il subira des dommages qui ne pourront être compensés s'il s'avère qu'il a raison, il obtient cette injonction de la même manière que dans le règlement actuel et s'il a tort, comme dans l'affaire Apotex, il doit verser des dommages à Apotex. Le tribunal conclut qu'il avait tort, il n'aurait pas dû bénéficier de cette protection, et il lui faut indemniser la compagnie qui n'a pu mettre son produit sur le marché.
Actuellement, rien ne l'oblige à indemniser Apotex. Dans ce cas, pour quelle raison tous les titulaires de brevet ne déposeraient-ils pas tous les avis possibles et imaginables leur permettant d'aller jusqu'au bout de la terre, d'engorger nos tribunaux et d'interdire de marché leurs concurrents, aux dépens aussi des consommateurs? C'est l'autre aspect. Il n'est pas prévu dans les règlements d'indemniser les consommateurs alors que la santé dans notre pays traverse une crise financière... C'est la société qui paie de sa poche et pourtant personne n'a la responsabilité d'indemniser le trésor public. Tout le monde paie de sa poche, mais à cause de cette décision, personne n'est indemnisé.
M. Werner Schmidt: Il y a deux éléments, monsieur le président. Il me semble que cette période d'injonction interlocutoire entraîne d'énormes coûts juridiques - des coûts pour le produit - et il me semble qu'en fin de compte c'est le consommateur qui paie la facture. Les compagnies pharmaceutiques ne sont pas des organisations humanitaires, elles sont là pour faire des bénéfices et pour en faire elles doivent couvrir leurs frais. Pour y arriver, leur seul moyen, c'est de vendre leurs produits et de continuer à les vendre.
Peut-on dire qu'en plus d'une injustice inhérente pour les parties en litige, ce régime est responsable d'une augmentation astronomique des coûts de santé sans améliorer en quoi que ce soit celle des usagers? Monsieur le président, c'est une grave condamnation.
M. Slaght: Une des conséquences extraordinaires de cette réglementation est qu'elle pervertit complètement le principe des injonctions. L'injonction doit répondre à une urgence. Les tribunaux ont fini par trouver une solution pour traiter les affaires urgences - les injonctions concernent les affaires urgences - en accélérant la procédure. Les parties se précipitent devant les tribunaux parce qu'il importe qu'une décision soit prise dans les plus brefs délais. Il est toujours surprenant de voir ce que les avocats peuvent faire quand ils y sont obligés.
Ce qui arrive dans la majorité des cas...
M. Werner Schmidt: Cela faisait un certain temps que je m'en doutais à moitié.
M. Slaght: ... c'est que ces décisions sont prises rapidement. Dans tous les autres domaines du monde du commerce, des injonctions sont rendues tous les jours dans un délai de dix jours. Dans ce cas-ci, il n'y a jamais de fin. On n'arrive même pas à fixer une date parce que les tribunaux sont surchargés. Il y a d'abord les 30 mois, ensuite la date à laquelle tout le monde fait appel et alors que ces injonctions doivent permettre d'accélérer la procédure c'est tout le contraire, il n'y a jamais de décision de prise.
M. Martin: Je crois que certains commentaires sont nécessaires à propos de l'effet voulu de ces règlements - tout au moins selon l'interprétation que j'en fais. Je ne prétends pas que ces règlements soient parfaits, mais je crois qu'une lecture objective des règlements relatifs aux avis de conformité montre que les problèmes de contrefaçon de brevet dont nous parlons peuvent être normalement réglés pendant la période d'homologation réglementaire du médicament générique et pendant la période de protection par brevet du produit nouveau. L'intention, c'est du moins ce que je crois comprendre, est de suspendre la délivrance d'un avis de conformité pour le produit générique tant que le brevet du produit nouveau n'est pas arrivé à expiration. Le tribunal décide du statut du brevet ou les 30 mois viennent à expiration, soit l'un soit l'autre.
D'après moi, si les règlements étaient interprétés comme ils le devraient, ces questions seraient réglées sans trop de mal et en toute justice. Je crois que le problème est dû au fait, comme je le dis dans mon exposé, que pour commencer les sommes engagées par les parties opposées sont considérables et que, deuxièmement, elles emploient des juristes chevronnés pour exploiter au maximum les règlements et la procédure, et c'est une des raisons pour lesquelles j'ai recommandé d'attirer l'attention des tribunaux sur ce problème.
J'aimerais, deuxièmement, vous dire un mot sur le, disons, contexte. J'ai appelé la Cour fédérale de Montréal et j'ai demandé combien elle traitait de dossiers par an. En extrapolant, je ne crois pas me tromper en disant qu'il y a environ 110 dossiers de nature conséquente concernant les règlements d'avis de conformité qui ont été ouverts et que sur une période de quatre ans, à moins que je ne m'abuse, cela fait environ 5 000 dossiers. Il serait bon de garder un certain sens des proportions.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Terminé, monsieur Schmidt.
M. Werner Schmidt: Très bien. Prochain tour.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Volpe.
M. Joseph Volpe: Vous avez dit que ces compagnies employaient des juristes chevronnés. Y en a-t-il un parmi vous qui a offert son opinion au gouvernement fédéral par l'intermédiaire du ministère de la Justice ou de l'Industrie, ou la Justice ou l'Industrie ont-elles sollicité de vos cabinets une opinion éclairée?
M. Slaght: Nous n'avons pas été directement...
M. Joseph Volpe: Sur cette question, à propos. Je m'excuse.
M. Slaght: Nous n'avons ni fait d'offres ni été sollicités.
M. Joseph Volpe: Encore une fois, je peux voir un ou deux conseillers de la Reine devant moi.
M. Slaght: Il y en a un parmi nous.
M. Martin: Je ne crois pas que la Justice ait jamais sollicité l'avis de mon cabinet sur cette question.
M. Slaght: Nous ne verrions pas d'inconvénient à ce que tous ces documents lui soient expédiés.
M. Joseph Volpe: Je vous ai posé la question pour une raison très précise mais il est évident, puisque nous les avons déjà, qu'ils sont désormais du domaine public.
J'aimerais revenir pendant un instant à la question de nos obligations internationales déjà abordées par un de mes collègues d'en face. En partant de la prémisse que le projet de loi C-91 a été adopté pour respecter nos obligations internationales, je pourrais peut-être commencer par vous demander à vous, monsieur Johnson - j'espère que vous serez patient avec moi et que vous me donnerez une réponse vraiment brève si c'est possible - si, à votre avis, le projet de loi C-91 respectait par anticipation nos obligations conformément à l'ALENA et aux règles de l'OMC? Dans l'affirmative, que pensez-vous de ces affaires - je crois qu'il y en avait 36 - qui impliquaient des avis de conformité et qui ont été rétroactivement fermées par l'adoption du projet de loi C-91?
M. Johnson: Pour ce qui est de savoir si le projet de loi C-91 respecte l'ALENA et les règlements de l'APDIC, à propos d'un des sujets dont j'ai parlé plus particulièrement, les règlements d'avis de conformité, pour commencer, cette méthode de réglementation n'a rien à voir avec les obligations de l'ALENA ou de l'APDIC. J'ai également dit à propos des règlements d'avis de conformité qu'ils ne prévoyaient pas d'indemnisation ou ne contenaient pas de dispositions suffisantes d'indemnisation. Je crois qu'on peut dire qu'ils ne prévoient aucune indemnisation pour ces injonctions. Ils contreviennent directement aux dispositions de l'APDIC et de l'ALENA. Je les cite dans mon document et je vous en ai donné des exemplaires.
Pour ce qui est des licences obligatoires, je n'ai pas étudié la question en détail. Cependant, je pourrais vous signaler que l'article 31 de l'APDIC énonce le régime auquel est soumise l'utilisation sans autorisation du détenteur de droit. De manière analogue, l'article 1709(10) de l'ALENA va dans le même sens. En effet, ils autorisent les licences obligatoires d'une manière très limitée avec, entre autres choses... Par exemple, à l'alinéa 1709(10)h):
- le détenteur du droit recevra une rémunération adéquate selon le cas d'espèce, compte tenu de la
valeur économique de l'autorisation;
M. Joseph Volpe: J'aimerais pousser un petit peu plus loin. Mon collègue, M. Brien, nous a quittés pour un instant, mais je crois qu'il voulait que vous lui disiez si, d'après vous, un certain équilibre était respecté.
Si ma mémoire est exacte, il vous a demandé si, en cas de suppression des règlements, il serait alors juste de supprimer les droits de préparation et d'entreposage pour les produits génériques? J'ai conclu de votre réponse que les deux n'étaient pas nécessairement liés.
M. Johnson: Je serai encore plus brutal. Les deux ne sont pas liés, un point c'est tout. Leur seul point commun est qu'ils sont associés à la période de transition, mais, à mon avis, ils ne sont pas liés.
En ce qui concerne l'ALENA et l'APDIC, pour les dispositions Bolar, la question est de savoir si elles relèvent ou non des exceptions limitées? D'après moi, oui, car comme je l'ai déjà dit, elles ne font que faciliter la transition de la position de monopole d'un brevet au domaine public. En conséquence, quand on considère ces dispositions d'exceptions limitées, ces dispositions en relèvent.
Pour ce qui est des règlements, les règlements concernent la réglementation, et la question est totalement différente. Il s'agit d'une série de dispositions totalement différentes de l'ALENA et de l'APDIC: des dispositions relatives au droit civil ou tout au moins aux recours civils. J'estime que ces règlements ne sont pas nécessaires pour appliquer ces dispositions de l'APDIC et de l'ALENA, parce que notre loi le fait déjà. Nous avons des recours sous forme de dédommagement pour contrefaçon dans la loi et aussi dans la loi et dans la loi générale, le recours des injonctions.
Il n'y a donc aucun lien.
M. Joseph Volpe: Est-ce aussi votre avis, monsieur Halewood?
M. Halewood: Je ne suis pas qualifié pour répondre à la deuxième partie de votre question, mais pour ce qui est de la première, le projet de loi C-91 excède certainement nos obligations internationales en matière de licences obligatoires.
M. Joseph Volpe: Il y a une autre question qui a été posée tout à l'heure et sur laquelle j'aimerais avoir quelques précisions. Vous n'avez pas vraiment répondu. Il s'agissait des dispositions ou des exceptions concernant les exportations. M. Martin a exprimé un avis, il a dit que ce n'était qu'une opinion. Vous avez défini la possibilité, mais vous n'avez pas donné d'opinion.
M. Johnson: J'avoue ne pas avoir franchement répondu.
M. Joseph Volpe: J'avoue être un peu embarrassé. Malgré tout le respect que j'ai pour tous les gens autour de cette table, celui qui a offert une opinion, a exprimé au début un intérêt, et encore une fois, j'espère ne pas le citer incorrectement, mais je crois que M. Martin a dit que cette loi lui avait posé quelques problèmes. Il va falloir créer une autre exception.
Autoriser quelqu'un à fabriquer un produit pour l'exporter nous créerait probablement certaines difficultés au niveau de nos obligations internationales et il a cité l'exemple des États-Unis. Mais si le marché d'exportation se trouvait ailleurs - dans un des pays en voie de développement qui n'est pas membre de l'OMC - quelles seraient les implications pour nous, du point de vue juridique, du point de vue de nos obligations internationales?
M. Martin: Si c'est à moi que vous posez la question, je vous dirai franchement que je n'en connais pas la réponse. Je vous dirai simplement, pour me répéter, qu'il est clair que si vous souhaitez créer une exception à l'exportation, c'est son nom, afin d'exporter le produit vers un pays où il n'y a pas protection par brevet, il faut commencer par fabriquer le produit au Canada et fabriquer au Canada implique forcément une activité sur laquelle un titulaire de brevet a des droits exclusifs.
Par conséquent, avant d'accorder une exception pour l'exportation, il faut commencer par concéder par voie d'exception un autre droit qui, normalement, n'appartient qu'au titulaire du brevet.
M. Joseph Volpe: Mais on permet bien aux compagnies de produits génériques de constituer des stocks.
M. Martin: Oui, mais seulement au cours des six mois qui précèdent l'expiration du brevet détenu par la compagnie innovatrice, conformément à l'article 55.2 de la loi.
Il s'agit de respecter l'équilibre, et je voudrais faire ici une remarque d'ordre personnel sur les positions respectives des compagnies innovatrices et des compagnies de produits génériques. À bien considérer les dispositions sur la reproduction hâtive, on voit qu'elles accordent un avantage important aux compagnies de produits génériques en ce qui concerne le rendement qu'elles obtiennent sur leurs investissements. Évidemment, une compagnie qui réussit à fabriquer et à préparer un produit afin de le faire d'abord approuver, puis de le stocker au cours des six mois qui précèdent l'expiration du brevet a toutes les chances de pouvoir commercialiser son produit le jour même de cette expiration.
En un sens, ce sont précisément là les coûts d'opportunité et d'incertitude que subissent les compagnies innovatrices qui ne peuvent pas véritablement bénéficier d'une protection par brevet couvrant intégralement une période de 20 ans. Sur l'ensemble des produits protégés par des brevets, seuls les médicaments destinés à la consommation humaine sont assujettis à ce long processus d'approbation réglementaire qui atténue l'efficacité de la protection par brevet. Que ce soit de huit ou de 12 ans, il est indiscutable que la période de protection s'en trouve sensiblement écourtée.
M. Joseph Volpe: J'en conviens, mais c'est également...
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Volpe, je dois vous obliger à conclure.
M. Joseph Volpe: Très brièvement...
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Non, je vous ai déjà concédé quelques minutes supplémentaires. Je dois donner la parole à M. Patry pour deux courtes questions, à M. Schmidt pour une courte question, puis nous devrons passer à la suite.
M. Bernard Patry (Pierrefonds - Dollard, Lib.): Merci, monsieur le président.
Ma première question est très brève. De nombreux témoins nous ont parlé des quatre ans d'exclusivité commerciale sur les médicaments. Ma question est la suivante: abstraction faite des exceptions, est-ce que nos obligations internationales autorisent une période d'exclusivité commerciale ne dépassant pas quatre ans?
M. Martin: S'agit-il d'une question d'ordre juridique?
M. Bernard Patry: Oui.
M. Martin: Je ne pense pas. L'obligation internationale concerne l'application du brevet pendant 20 ans. Comme je l'ai dit tout à l'heure, tous les autres pays imposent une période de 20 ans. Personnellement, j'ai bien du mal à comprendre en quoi il serait équitable de n'accorder qu'une période de protection par brevet beaucoup plus courte à cette catégorie particulière de produits. C'est pourquoi je préconise une formule de reconduction du brevet.
J'irais même jusqu'à dire qu'il s'agit là d'un domaine dans lequel on peut sauver des vies. En tant que consommateur, c'est dans ce domaine de l'innovation protégée par brevet que j'aimerais qu'on accorde le maximum de mesures incitatives à l'innovation. Ce n'est certainement pas dans le domaine de la production industrielle.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Halewood.
M. Halewood: Il existe des circonstances dans lesquelles l'octroi de licences obligatoires se justifie, et c'est notamment le cas de l'exemption locale d'un brevet; c'est ce que je souhaite vous voir reconnaître. Dans le cas où aucun titulaire de brevet ne fabrique un produit au Canada, nous devrions avoir le droit d'octroyer des licences.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Johnson.
M. Johnson: Voici l'article 33 de l'accord ADPIC:
- La durée de la protection offerte ne prendra pas fin avant l'expiration d'une période de 20 ans à
compter de la date du dépôt.
- Et le paragraphe 1709(12) de l'ALENA:
- Chacune des parties prévoira une durée de protection des brevets d'au moins 20 années à
compter de la date de dépôt de la demande de brevet, ou de 17 années à compter de la date
d'octroi du brevet.
Pensez-vous qu'on puisse envisager d'en revenir au régime d'octroi des licences obligatoires avec dix d'exclusivité commerciale sans les exceptions de la reproduction hâtive et du stockage?
M. Martin: Tout d'abord, vous signalez qu'il y a eu une certaine évolution dans la législation sur les brevets grâce aux projets de loi C-22 et C-91. On peut se demander si cette évolution a été favorable ou non, selon le point de vue qu'on défend, mais il est manifeste que ce que vous proposez constituerait une volte-face.
Si je me place du point de vue d'un administrateur, je veux savoir, avant de décider d'un investissement, si la structure dans laquelle j'envisage d'investir pour un certain nombre d'années est une structure durable.
Si vous me permettez de donner un exemple, je connais dans ma province bon nombre d'investissement qui ont permis de créer de l'emploi et de financer des travaux de R-D et qui, à mon avis, n'auraient pas été réalisés si le régime de protection des brevets au Canada était modifié tous les trois ou quatre ans.
L'investissement international nécessaire à la R-D dans l'industrie pharmaceutique et biotechnologique est soumis à une très forte concurrence. Je le sais par expérience. Si l'on modifie constamment les règles du jeu, on ne peut que susciter de l'incertitude.
M. Halewood: J'aimerais répondre à cette question. Personnellement, je ne suis pas d'accord. On peut avancer toutes sortes d'arguments concernant la politique à mettre en oeuvre, mais en droit, on peut appliquer l'octroi de licences obligatoires pour différentes raisons: lorsque le régime ordinaire ne fonctionne pas, lorsqu'il y a des abus ou lorsque les résultats ne sont pas suffisants.
Quant à savoir si l'on peut recourir à l'octroi de licences obligatoires dans l'intérêt public - même lorsque le titulaire du brevet ne commet pas d'abus - c'est une question d'interprétation. C'est ce que nous disons dans notre document. Évidemment, je n'ai pas le temps d'en donner lecture, mais je vous demande d'en prendre connaissance. La question n'est pas tranchée en droit.
M. Werner Schmidt: Monsieur le président, je voudrais poser une question à M. Martin et M. Slaght, quitte à leur demander de spéculer un peu.
Monsieur Martin, vous dites que la Cour fédérale est actuellement saisie de 110 poursuites intentées en vertu de la législation actuelle. Je voudrais vous poser, à tous les deux, la question suivante: s'il n'y avait pas de règlements et qu'on appliquait normalement le droit des brevets, est-ce que cela diminuerait ou augmenterait le nombre des litiges?
M. Slaght: D'après notre expérience, ça les ferait diminuer, car actuellement, il suffit de déposer un document pour enclencher la procédure. Dans tous les autres domaines du droit, on ne peut enclencher une procédure que si l'on a des éléments de fond, un affidavit ou des preuves, c'est-à-dire quelque chose qui vous permette de vous présenter devant le juge, de le regarder droit dans les yeux et de lui dire: «Voici ce qu'on m'a fait». À partir de là, vous pouvez demander qu'on statue sur votre cause.
Dans le domaine des brevets, c'est tout à fait différent. Il n'est pas douteux que l'application du droit ordinaire des brevets ferait baisser le nombre des litiges et permettrait d'épargner du temps et de l'argent.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Volpe, pour une courte question.
M. Joseph Volpe: Je voulais simplement conclure le dialogue avec M. Martin, auquel je ne demande pas de réponse.
Si nous avons un régime réglementaire considéré comme contraignant d'après les normes internationales, c'est précisément parce que nous prenons au sérieux notre obligation de faire en sorte que tous les produits à prétention thérapeutique que l'on trouve dans le commerce soient sûrs et efficaces.
Je pense à la thalidomide. Si les compagnies pharmaceutiques qui veulent diffuser un nouveau produit étaient prêtes à se présenter devant le gouvernement canadien pour engager leur responsabilité devant les Canadiens en cas d'inefficacité ou de nocivité de leurs produits, je serais prêt à leur concéder, en contrepartie, un raccourcissement de la période réglementaire de contrôle avant la mise en vente d'un produit nouveau.
M. Martin: Loin de moi l'idée de demander un assouplissement des normes réglementaires concernant l'avis de conformité. Vous ne me ferez pas dire cela.
M. Joseph Volpe: Vous n'êtes donc pas d'accord.
M. Martin: Vous ne me ferez pas dire cela.
M. Joseph Volpe: C'est parfait.
M. Martin: Il reste que la protection réelle par brevet des médicaments destinés à la consommation humaine est très différente de la protection prévue dans la Loi sur les brevets. La situation des médicaments est tout à fait particulière. C'est pourquoi je prétends qu'il devrait être possible de demander la restauration de la durée du brevet.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup. Je dois maintenant mettre un terme à cette session avant de passer à la suivante.
Je tiens à remercier les témoins. Je vous remercie d'avoir exprimé très clairement votre point de vue dans vos exposés, et d'avoir participé activement à la période des questions et réponses. Tout cela a été très utile pour le comité. Merci beaucoup.
Nous allons maintenant faire une pause de 3 minutes pour permettre aux nouveaux témoins de s'installer puis nous reprendrons la séance.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Nous reprenons notre examen du projet de loi C-91. Conformément à l'article 108(2) du Règlement, examen de l'article 14 de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, chapitre 2, Lois du Canada de 1993.
Je voudrais souhaiter la bienvenue aux témoins et leur demander de présenter leur exposé. Nous avons accordé au moins cinq minutes à tous les témoins précédents, mais vos rapports sont peut-être plus volumineux. Je peux vous assurer que tous les membres du comité et du personnel de recherche vont prendre connaissance de chacun de vos rapports.
Je signale à toutes les personnes présentes que certains témoins prévus pour la prochaine session sont déjà arrivés. Nous sommes en retard, et je vous prie de nous en excuser, mais nous allons poursuivre. Je signale aux témoins qui sont maintenant installés, que l'un d'entre eux est le centième de cette séance.
Nous allons commencer par la Légion royale canadienne, représentée par James Rycroft. Soyez le bienvenu.
M. James Rycroft (secrétaire de la coordination, Comité des programmes pour aîné(e)s et des services aux anciens combattants, Légion royale canadienne): Merci, monsieur le président.
La Légion royale canadienne représente environ 500 000 Canadiens dont une proportion importante de personnes âgées, et qui sont toutes préoccupées par le prix des médicaments. Au nom du président de la Légion royale canadienne pour le Dominion, Joe Kobolak, je suis heureux de pouvoir intervenir devant le comité. Je m'appelle Jim Rycroft, je suis secrétaire de la coordination du Comité des programmes pour aîné(e)s et des services aux anciens combattants. Ce comité est présidé par Ralph Annis, qui n'a malheureusement pas pu assister à cette séance pour cause de maladie.
Comme nous avons remis notre rapport au comité, je n'ai pas l'intention de le présenter en détail, mais j'aimerais donner lecture du résumé, après quoi nous pourrons répondre à vos questions.
Nous sommes actuellement à un point décisif de l'histoire du pays, et les problèmes qui se posent ne concernent pas uniquement les médicaments. Ils concernent l'ensemble du secteur des soins de santé et la création d'emplois, qui constituent aujourd'hui des enjeux politiques de première importance. Dans ce contexte, la Légion royale canadienne demande au gouvernement du Canada:
- de diriger la conception et la mise en place d'un système informatisé de contrôle des ordonnances;
- de veiller à ce qu'on n'oblige pas les fabricants de médicaments génériques à adopter des formats, des formes et des couleurs différents de ceux des produits brevetés, de façon à ne pas susciter de confusion pour les patients;
- de réviser le règlement relatif aux avis de conformité des médicaments brevetés afin de le rendre conforme à l'esprit de la loi habilitante;
- d'assurer l'équilibre entre les intérêts des consommateurs et ceux des différents secteurs de l'industrie pharmaceutique;
- d'étendre le mandat du Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés de façon à y inclure les médicaments génériques et les médicaments dont le brevet est échu;
- et d'évaluer les restrictions des exportations et de prendre des mesures pour favoriser la création d'usines de fabrication au Canada.
Le système canadien des soins de santé a servi d'exemple à de nombreux pays. Le Canada est un pays modeste par sa population, mais il peut exercer une influence dans certains domaines, et en matière de système de santé il exercera cette influence s'il reste à l'avant-garde, et non pas s'il imite les autres.
Nous remercions le comité d'avoir écouté notre point de vue. Il est important que les citoyens puissent s'exprimer à l'occasion des exercices de révision de la législation. Je répondrai volontiers aux questions au nom de la légion lorsque vous jugerez le moment opportun.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup. Je donne maintenant la parole à Pierre Paquette, de la Confédération des syndicats nationaux.
[Français]
M. Pierre Paquette (secrétaire général de la Confédération des syndicats nationaux): Bonjour. Je vous présente Mme Andrée Lapierre, qui est conseillère syndicale et qui pourra aussi participer au débat.
Je remercie le Comité permanent de l'industrie pour son invitation au moment de la révision de la Loi sur les brevets pharmaceutiques.
La CSN représente 2 250 syndicats et plus de 230 000 membres dans tous les secteurs d'activités et toutes les régions du Québec. La moitié de nos membres sont dans le domaine de la santé, ce qui fait que nous nous sommes toujours beaucoup préoccupés de la politique de la santé et de tout ce qui touche à la santé. Nous représentons aussi quelques milliers de membres dans l'industrie pharmaceutique, aussi bien générique que brevetée.
Notre préoccupation a toujours été de concilier les considérations touchant la santé et l'emploi. C'est pour cela qu'en 1987, la CSN avait appuyé le projet de loi C-22, comme en 1993 nous avions appuyé aussi le projet C-91, mais à la condition qu'on mette sur pied le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés et qu'on ait une révision régulière de la Loi sur les brevets.
Avec les pressions actuelles sur notre système de santé, nos préoccupations s'élargissent à trois domaines principalement: premièrement, mieux contrôler les dépenses de médicaments; deuxièmement, démocratiser les processus de régulation du système de santé, ce qui, pour nous, inclut l'industrie pharmaceutique, et améliorer l'imputabilité des partenaires, en particulier les partenaires de l'industrie pharmaceutique; troisièmement, assurer la création d'emplois de qualité et maximiser les retombées socioéconomiques du développement de l'industrie pharmaceutique.
Sur le premier aspect, mieux contrôler les dépenses de médicaments, dans le contexte actuel de compressions budgétaires dans la santé et de réduction des transferts du fédéral, il est tout à fait inacceptable que les dépenses de médicaments, dans l'ensemble des dépenses de santé, augmentent comme elles l'ont fait au cours des dernières années. Je vous rappelle qu'actuellement, il y a plus de 10 milliards de dollars qui sont dépensés en médicaments. C'est autant que l'ensemble de l'enveloppe des honoraires des médecins. On a connu, de 1975 à 1996, une croissance de la part des médicaments dans l'ensemble des dépenses de santé de 8,7 p. 100 à 14,3 p. 100.
On a un certain nombre de suggestions touchant le contrôle des dépenses de médicaments. La première touche au fait que ce contrôle devrait s'exercer sur la vente de tous les médicaments prescrits, brevetés ou non, y compris ceux qui sont fournis dans les hôpitaux. Il faudrait élargir en ce sens le mandat du Conseil d'examen.
Voici notre deuxième proposition. La méthode de contrôle des prix du Conseil devrait faire appel à des comparaisons internationales pour juger des prix, pour ainsi mettre à profit les efforts de contrôle d'autres pays. À long terme, il nous semble important de comparer aussi les prix des médicaments par classe thérapeutique et non seulement produit par produit. Plus globalement, on constate que si les prix des médicaments augmentent relativement peu, la consommation augmente beaucoup. En tant que société, il faut absolument regarder du côté de l'évolution des ventes de médicaments.
Par exemple, de 1988 à 1995, la moyenne annuelle des ventes a augmenté de 9,1 p. 100 alors que les prix, pendant la même époque, augmentaient de 1,6 p. 100, ce qui fait que l'enveloppe globale du coût des médicaments a augmenté.
Notre troisième recommandation est donc de convenir de dispositions pour minimiser les risques de prescription et de consommation inappropriés et le gaspillage en matière de médicaments. Il faut que l'industrie pharmaceutique collabore à cela. Jusqu'à présent, on a senti que l'industrie ne se sentait pas préoccupée par la surconsommation et le gaspillage de médicaments, ce qui est très coûteux pour les individus en termes de santé et très coûteux pour la société.
On assiste à une véritable guerre de chiffres entre les associations de fabricants de médicaments génériques et de médicaments brevetés. Nous n'avons pas l'intention d'embarquer dans ce domaine. Par contre, il nous semble important de faire deux recommandations à cet égard.
En matière de brevets, on doit viser la parité de protection avec la moyenne des pays du G-7 sans nuire au développement des industries génériques en sol canadien. Plus globalement, il nous semble important de mettre fin à cette guerre inutile entre les deux industries, qui est très coûteuse et pour les consommateurs et pour le contribuable, parce qu'il y a une surenchère de dépenses de divers types qui sont souvent considérés comme des dépenses fiscales dans le cadre de notre fiscalité.
Notre cinquième recommandation, toujours dans ce cadre, est de clarifier le statut du médicament comme traitement afin de le distinguer du simple produit de consommation disponible en vente libre sans prescription. Il faut arrêter de voir les médicaments comme des produits de consommation. Ce sont des éléments dans le cadre d'un système de santé et ils doivent être ainsi traités.
Sur le deuxième aspect, l'imputabilité et la démocratie, il y a un problème de qualité d'information, et il nous semble que les travaux du comité l'ont montré. Il nous semble nécessaire qu'il y ait une information plus cohérente et détaillée sur les produits et les pratiques pharmaceutiques disponibles à l'ensemble de la population pour faciliter des débats comme ceux que nous vivons présentement. Le Forum national sur la santé avait proposé un système d'information intégré sur lequel on est d'accord, mais on ne voudrait pas que ce soit simplement le profil des prescriptions et de la consommation des individus qui soit étudié, mais aussi des données qui touchent les coûts, les profits et la répartition des coûts des entreprises pharmaceutiques.
Toujours sur la question de l'imputabilité, il nous semble important qu'il y ait des modifications à la Loi sur les brevets et à sa réglementation pour préparer le terrain d'une réforme nécessaire au niveau pharmaceutique, arrimée à l'évolution du système public canadien de santé, avec une véritable participation de la population. Dans ce cadre-là, on voudrait que l'argent soustrait dans le cadre de pénalités perçues par le Conseil d'examen puisse être utilisé pour favoriser la participation du public aux débats entourant l'évolution de l'industrie pharmaceutique et de l'utilisation des produits pharmaceutiques.
Pour ce qui est des questions d'emploi, il nous semble qu'on doit garder un secteur témoin au niveau de la recherche et du développement contrôlé par le public, par l'État canadien et, dans le cas du Québec, par l'État québécois. On propose donc la création d'un fonds public de contrôle des investissements de recherche et de développement afin qu'ils soient mieux arrimé aux besoins véritables de santé de la population, ce qui permettrait au secteur public de concurrencer dans l'évolution de la recherche et du développement.
Enfin, nous recommandons qu'on étudie et qu'on diffuse des options de contrôle des profits et de la publicité des industries pharmaceutiques, comme cela s'est fait en Grande-Bretagne. Globalement, il faut en arriver à un pacte avec les deux composantes de l'industrie pharmaceutique pour favoriser le développement de la santé des Canadiens et des Canadiennes, en protégeant et en développant des emplois de qualité dans les deux secteurs pharmaceutiques.
Je vous remercie.
[Traduction]
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup.
Nous allons maintenant entendre M. David Orchard, du groupe Citizens Concerned About Free Trade.
M. David Orchard (président, Citizens Concerned About Free Trade): Merci, monsieur le président.
Je suis président d'un organisme national non partisan appelé Citizens Concerned About Free Trade. Je suis également l'auteur d'un ouvrage sur l'Accord de libre-échange canado-américain et l'ALENA. Notre organisme a dénoncé M. Mulroney dans l'ensemble du pays avant l'adoption de l'Accord de libre-échange de 1988, et nous dénonçons encore aujourd'hui les nouveaux Mulroneyistes qui l'ont remplacé au bureau du premier ministre.
Les partisans de la loi C-91 prétendent qu'elle nous fait entrer dans un monde nouveau de privatisation et de commerce international. En fait, elle nous fait plutôt reculer. Dans les années 60 les grosses compagnies bénéficiaient d'une protection semblable par brevet, ce qui nous a valu les prix de médicaments les plus élevés du monde. Le Canada a mené cinq enquêtes officielles, dont la dernière, confiée à la Commission sur les pratiques restrictives du commerce, en 1963, s'est soldée par un rapport de 500 pages où la commission recommandait l'abolition pure et simple des brevets sur les médicaments au Canada.
En 1969, un gouvernement libéral courageux - j'ajouterais que cette vertu fait défaut au Parti libéral actuel - a modifié la Loi sur les brevets pour permettre l'octroi obligatoire de licences sur des médicaments brevetés.
En 1985, la Commission d'enquête Eastman a constaté que le régime d'octroi obligatoire de licences avait fait chuter les prix des médicaments au Canada, qu'il avait occasionné une croissance de la production de l'industrie, de la recherche et du développement, d'environ 400 p. 100, de même que de l'investissement et de l'emploi, alors que l'ensemble de l'industrie n'avait subi aucun préjudice quant à ses profits.
Les multinationales pharmaceutiques réalisaient même près de trois fois plus de profits que la moyenne industrielle nationale. Au milieu des années 80, la compagnie Eli Lilly, l'une des plus grosses compagnies pharmaceutiques d'origine américaine, était la société la plus rentable au Canada, avec un taux de rendement de 100 p. 100 sur les actions ordinaires.
La Commission Eastman a fortement recommandé le maintien du régime d'octroi obligatoire de licences. D'où sort donc cette loi C-91? M. Mulroney a concédé le projet de loi C-22 aux grosses compagnies pharmaceutiques américaines à l'occasion de l'Accord de libre-échange canado-américain, puis le projet de loi C-91 en 1992. Il a porté la période de protection par brevet à 20 ans et l'a garantie à l'article 1709(12) de l'ALENA.
Prenant la parole ici même à Ottawa, l'année dernière, Ralph Nader a évoqué le contexte de l'affaire en ces termes:
Pour en revenir à votre loi C-91, les compagnies pharmaceutiques américaines ont amorcé, avec l'aide de votre gouvernement, une véritable mainmise sur le marché canadien du médicament... avant l'adoption du projet de loi C-91, le Canada bénéficiait des prix des médicaments les plus bas du monde occidental! [...] Les compagnies pharmaceutiques réalisaient toujours des profits considérables, mais elles en feraient encore beaucoup plus si leurs brevets d'exclusivité sur les nouveaux médicaments s'appliquaient désormais pendant 20 ans.
Certaines multinationales pharmaceutiques se sont adressées au premier ministre Mulroney avec l'appui de la Maison-Blanche pour lui faire savoir que s'il voulait de l'ALENA il devait éliminer le régime d'octroi obligatoire de licences, qui faisait l'envie du monde entier. Et c'est ce qu'il a fait...
Comment a réagi le Parti libéral? Votre parti, monsieur le président, a condamné formellement ce projet de loi en disant que Mulroney bradait le système canadien sur le dos des malades et des personnes âgées, alors que ce système avait été financé, par l'intermédiaire de l'assurance-maladie, par l'ensemble des contribuables canadiens. Nous voyons maintenant des ministres de la Couronne, le ministre de la Santé et le ministre de l'Industrie, qui viennent nous dire que les libéraux ne peuvent plus modifier le monopole de 20 ans offert en cadeau à Eli Lilly et aux autres à cause de l'ALENA et de l'OMC.
Votre parti, le Parti libéral, s'est opposé à l'Accord de libre-échange. Nous avons mené le combat au coude à coude. À la Chambre des communes, M. John Turner a dit que Brian Mulroney livrait notre pays aux Américains sans qu'ils aient eu à faire le coup de feu. Votre parti qualifiait - à juste titre - l'Accord de libre-échange de «Loi sur la vente du Canada», et vous aviez promis de le mettre à la poubelle.
En 1988, la majorité des Canadiens ont voté avec vous contre Mulroney et son accord de libre-échange. Mulroney n'a accédé au pouvoir que parce que les voix se sont réparties entre les deux partis opposés au libre-échange, mais M. Mulroney a perdu son référendum sur l'Accord de libre-échange canado-américain. Il n'a pu être élu que grâce à notre système électoral vétuste, le scrutin majoritaire uninominal à un tour.
En 1993, les Canadiens ont eu une autre occasion de se prononcer et ont exprimé leur opinion sans ambiguïté. Ils se sont débarrassés de Mulroney à l'occasion du renversement de gouvernement le plus radical qu'ait connu une démocratie occidentale.
Le point de vue des libéraux était clair. Vous avez voté contre l'ALENA et contre le projet de loi C-91. Dans son autobiographie à fort tirage, M. Chrétien a déclaré que le libre-échange risquait de mettre le Canada en pièces. Il disait que les partisans du libre-échange avaient renoncé à l'idée d'un Canada original et indépendant, ou qu'ils n'avaient pas réfléchi aux conséquences du libre-échange.
Dans le Livre rouge, vous avez promis de renégocier ou d'abroger l'ALE et l'ALENA.M. Chrétien a donné à notre organisme l'assurance que s'il n'y avait pas moyen de les renégocier, il les abrogerait.
Et que s'est-il passé? Le Parti libéral a ratifié l'ALENA sans y changer un iota.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Puis-je vous demander de revenir à ce que vous avez précisément à dire concernant la loi C-91?
M. Orchard: Tout cela concerne la loi C-91, monsieur. Ce sont les libéraux, c'est-à-dire votre parti, qui ont ratifié l'ALENA. Et lorsque vous venez nous dire, avec des trémolos dans la voix, que vous ne pouvez pas modifier cette protection monopolistique à cause de l'ALENA, je vous réponds que c'est de la pure hypocrisie de votre part. L'ALENA comporte une disposition précisant qu'il peut être mis à tout moment un terme à l'accord, et c'est ce que votre parti a promis de faire en 1988.
C'est donc votre parti qui a ratifié l'ALENA. Ce n'est pas Kim Campbell ni Preston Manning, encore qu'ils auraient sans doute été heureux de le faire. Mais c'est le Parti libéral qui l'a ratifié. Donc, si l'ALENA, cette Loi sur la vente du Canada, comme vous l'appeliez, vous empêche de tenir vos promesses, abrogez donc cet accord. C'était votre principale promesse en 1988. Vous aviez promis de le renégocier en 1993.
Il vous suffit de donner un préavis de six mois. Comme l'a dit M. Mulroney dans une intervention mémorable au cours du débat avec le chef libéral en 1988, il s'agit d'une transaction commerciale qu'on peut annuler moyennant un préavis de six mois. Évidemment, ce document fait du Canada un pays satellite des États-Unis, et il faut l'annuler.
Les médicaments sont le principal facteur de l'augmentation actuelle du coût des soins de santé au Canada. Ce gouvernement se préoccupe du sort des contribuables, et lors de la campagne électorale de 1993 il s'est solennellement engagé à préserver l'assurance-maladie. Les médicaments coûtent actuellement 9 milliards de dollars par an à l'assurance-maladie, et la facture ne fait qu'augmenter, grâce à cette loi. C'est le seul secteur du système de soins de santé où les coûts ne soient pas encore maîtrisés.
La contribution fédérale au financement du système n'est plus que de 9 milliards, et elle est donc accaparée par le coût des médicaments. L'engagement pris par votre parti pour protéger l'assurance-maladie demeurera une imposture tant que nous resterons pris avec la loi C-91, l'ALE et l'ALENA.
Je voudrais encore une fois citer Ralph Nader, qui déclarait, à l'occasion des audiences parlementaires sur le C-91 tenues en 1991 et 1992:
- La destruction du régime d'octroi obligatoire de licences au Canada est le premier coup de
hache porté à l'universalité des soins de santé telle qu'on la connaît ici au Canada.
- Avec l'ALENA, que vont devenir les soins de santé désormais proposés aux Canadiens? La
réponse est dure, mais bien simple: c'est que l'assurance-maladie va être remplacée par un
régime à but lucratif de type américain...
- Il a dit également:
- Il n'y a qu'une alternative: annuler l'accord, ou bien l'accepter et devenir Américains.
Votre parti n'a pas été élu pour poursuivre la politique de braderie du pays amorcée parM. Mulroney. Vous avez promis de mettre un terme aux relations paternalistes des États-Unis avec le Canada, comme vous le disiez dans le Livre rouge. En réalité, vous les avez renforcées, comme le prouve cette loi C-91. Vous avez promis de vous retirer de l'Accord de libre-échange canado-américain, alors que vous l'avez étendu à l'ensemble de l'Amérique du Nord.
Nous allons surveiller le Parti libéral - ou ce qu'il en reste - pour voir s'il peut faire autre chose que servir les intérêts de Brian Mulroney et des Américains.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup.
Nous passons maintenant à Kathleen Connors, de la Fédération nationale des syndicats d'infirmières et d'infirmiers. Soyez la bienvenue.
Mme Kathleen Connors (présidente, Fédération nationale des syndicats d'infirmières et d'infirmiers): Merci, monsieur le président. Notre fédération représente actuellement environ 47 000 infirmiers et infirmières membres de six syndicats infirmiers au Canada. Nos adhérents sont des infirmiers et des infirmières canadiens syndiqués qui travaillent sur la ligne de front dans le domaine des soins de santé, notamment dans les services de soins intensifs et de soins de longue durée, dans les foyers pour personnes handicapées et pour personnes âgées, auprès de la communauté en tant qu'infirmiers de santé publique et pour fournir des soins à domicile. Nos membres soignent des Autochtones, des membres des forces armées, des anciens combattants et des détenus.
De par la nature même de notre contact direct avec les consommateurs de soins de santé, nous sommes particulièrement en mesure de parler des soins dont les Canadiens devraient bénéficier actuellement et dans l'avenir, notamment grâce aux médicaments. Nous représentons plus de50 p. 100 du personnel soignant, et nous prodiguons directement des soins. Nous sommes toujours en première ligne pour fournir des soins de santé 365 jours par an.
Nous donnons des soins, mais notre propre santé et celle de nos proches dépendent de la stabilité de notre emploi, de nos salaires et avantages sociaux et d'un système de soins de santé de qualité, universel et à financement unique lorsque nous en avons nous-mêmes besoin. Ce système doit comporter l'accès à des médicaments efficaces vendus à un prix abordable.
La révision de la loi C-91 et la question du prix des médicaments font partie des problèmes les plus sérieux que doit affronter le système canadien des soins de santé, car le prix des médicaments concerne toutes les familles canadiennes.
Je voudrais rappeler aux membres du comité que c'est notamment grâce aux économies résultant de la loi canadienne de 1969 sur les brevets que le Canada a réussi à mettre en place son système d'assurance-maladie. Cette loi a aussi permis à plusieurs gouvernements provinciaux de proposer des régimes de subventionnement des médicaments au profit des personnes âgées, des personnes handicapées et des personnes à faible revenu.
Une vaste proportion du marché des médicaments est occupée par les provinces qui achètent des médicaments pour les fournir gratuitement à leurs citoyens. Parallèlement à cela, les provinces continuent à surveiller les changements apportés aux ententes fédérales-provinciales par l'intermédiaire des versements de transfert pour la santé et les services sociaux, qui ont déjà eu des répercussions sur la prestation des services de santé. Nous considérons que si le budget de la santé est consacré à des médicaments plus coûteux, il restera moins d'argent pour les autres services de santé.
En ce qui concerne la stratégie nationale, lorsque le gouvernement fédéral s'adresse aux provinces, il doit s'efforcer de respecter l'équilibre entre l'intérêt public et l'intérêt des sociétés privées. L'une des premières choses que l'on apprend au personnel infirmier, c'est de prendre en charge les intérêts des personnes que nous soignons. C'est pour cela que nous sommes ici aujourd'hui. Nous vous demandons de considérer avec attention les dix recommandations présentées en annexe au début de notre mémoire.
J'aimerais passer en revue avec vous, très brièvement, quatre de ces recommandations. J'ai eu l'occasion d'entendre un bon nombre des exposés qui ont été faits devant le comité sur cette loi, car cette mesure législative est très, très importante aux yeux de nos membres. Les grands points qui sous-tendent la loi C-91 font l'objet d'un examen, mais il s'agit en fait d'un examen plus général qui porte sur l'ensemble des questions qui touchent le secteur pharmaceutique; je crois donc qu'il nous faut étudier certains aspects qui n'ont pas été nécessairement abordés dans cette mesure législative.
Nous proposons dans la recommandation 4 que le gouvernement fédéral affecte des ressources publiques suffisantes pour assurer le contrôle de la sécurité et de l'efficacité des travaux de recherche dans le secteur privé. Un fonds de recherche administré par le gouvernement devrait être mis sur pied; il pourrait être financé à même des cotisations obligatoires prélevées auprès de toutes les compagnies pharmaceutiques qui font des affaires au Canada, en fonction d'un pourcentage de leurs ventes canadiennes.
Nous proposons à la recommandation 5 que le gouvernement fédéral exige des responsables du processus d'autorisation des médicaments qu'ils rendent publiquement compte de leurs actions accordent à la Direction générale de la protection de la santé les ressources nécessaires pour lui permettre de s'acquitter de son mandat et élaborent des normes plus strictes à l'égard des conflits d'intérêts.
Nous proposons à la recommandation 7 que le Comité permanent de la santé entreprenne un examen des activités promotionnelles des compagnies pharmaceutiques afin de garantir que les objectifs commerciaux n'aillent pas à l'encontre des objectifs scientifiques et éthiques de la promotion et affaiblissent ainsi la mise en application des codes d'autoréglementation dans l'industrie.
Le comité devrait également se pencher sur la création d'un organisme indépendant ayant compétence législative qui serait chargé de la surveillance de la publicité et de la promotion dans le secteur pharmaceutique et de l'amélioration du système de prescription.
Nous proposons à la recommandation 8 que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux collaborent afin de renforcer les systèmes et les programmes d'éducation afin qu'ils se penchent entre autres choses sur la pharmacologie et certains produits pharmaceutiques. Les renseignements diffusés sur les produits pharmaceutiques devraient provenir de professionnels indépendants du secteur pharmaceutique et médical, et non pas de l'industrie. De plus, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux devraient collaborer à l'élaboration de programmes de sensibilisation portant sur les médicaments.
Ces deux dernières recommandations sont très importantes à nos yeux. Le gouvernement devrait toujours avoir en place des règlements qui limitent les activités promotionnelles concernant les médicaments d'ordonnance et visant les consommateurs. C'est une situation qu'il nous faut éviter à tout prix.
Le gouvernement fédéral devrait adopter des règlements à l'égard de la fabrication de médicaments génériques d'une taille, d'une forme et d'une couleur semblables aux médicaments de marque.
Nous sommes maintenant disposés à répondre à vos questions.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, madame Connors. Nous vous remercions de cet exposé succinct.
Nous entendrons maintenant le représentant du Congrès du travail du Canada, M. Bob White.
M. Bob White (Congrès du travail du Canada): Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés. Je vous remercie de votre attention, même s'il est assez tard.
Je suis accompagné aujourd'hui de Mike McBane, de la Coalition canadienne de la santé, et de Cindy Wiggins, qui est une des employés du congrès. Nous faisons partie de la Coalition canadienne de la santé, un groupe qui a déjà comparu devant votre comité. Nous vous avons distribué un mémoire. J'aimerais vous faire part des points saillants de ce document.
La loi C-91 est une mesure qui inquiète les travailleurs, et ce, pour plusieurs raisons. La grande majorité des travailleurs canadiens accordent une importance très grande au système de soins de santé au Canada. Le régime d'assurance-maladie est ébranlé par des réductions massives des budgets et est exposé à des pressions toujours plus grandes. Le financement accordé par les gouvernements fédéral et provinciaux a été réduit, des emplois de qualité ont disparu, les services ont diminué, et la privatisation est une option qui est mentionnée de plus en plus souvent.
Les coûts toujours accrus des médicaments d'ordonnance en tant que pourcentage des dépenses totales dans le secteur des soins de santé est un aspect important du problème. Si cette tendance se poursuit, les décisionnaires devront choisir entre la disponibilité des médicaments nécessaires et d'autres services de santé, et la tendance à la hausse des prix des médicaments pourrait entraîner la disparition d'emplois et de services.
Les Canadiens, et j'inclus évidemment les travailleurs, sont prêts à payer les impôts qui sont utilisés pour financer le régime d'assurance-maladie; cependant, si les coûts des médicaments brevetés représentent un fardeau accru pour un système qui a déjà de la difficulté à survivre, le problème est clair. S'il est possible de fournir des médicaments à un coût moins élevé, il incombe au gouvernement d'assurer que ces médicaments sont disponibles.
Lors de sa dernière réunion le Forum national sur la santé a recommandé la création d'un programme national d'assurance-médicaments. Au nom du Congrès du travail du Canada et de ses nombreux membres dans toutes les régions du pays, nous désirons signaler que nous appuyons cet accès universel aux médicaments; cependant nous croyons que ce régime ne pourra survivre que s'il existe un mécanisme visant à assurer que les médicaments sont disponibles, et ce, au prix le plus bas possible.
Ce mécanisme a existé au Canada pendant 22 ans grâce au système de concession de licences obligatoires; ce mécanisme a disparu avec l'adoption du projet de loi C-91. Tout cela nous amène à discuter maintenant de nos obligations commerciales internationales.
Je désire signaler d'entrée de jeu que nous n'avons pas changé d'avis. Nous nous sommes opposés au projet de loi C-91, et nous n'avons pas changé notre fusil d'épaule.
Le comité sait que des exceptions sont prévues à la protection des brevets telle que définie dans l'ALENA et dans l'ADPIC de l'OMC. La Coalition canadienne de la santé soutient que les opinions juridiques sur les exceptions prévues au règlement sur les brevets présentées au comité permettent au gouvernement d'adopter un régime national d'assurance-médicaments. Les médicaments seraient considérés comme un produit non commercial utilisé à des fins publiques. Cela nous permettrait de revenir à un système de licences obligatoires pour l'achat public de médicaments dans le cadre de ce régime; nous croyons que votre comité doit se pencher très sérieusement sur la question et ne pas se contenter simplement d'accepter l'opinion de M. Manley, qui dit que le retour à un système de licences obligatoires n'est pas possible en raison de nos obligations commerciales internationales.
Le coût des médicaments est une question importante lors des négociations collectives. Quelque 60 p. 100 des employés participent à un régime de soins médicaux d'employeurs dans le cadre duquel une partie des coûts des médicaments d'ordonnance est remboursée. Comme nous l'indiquons dans notre mémoire, les employeurs s'inquiètent sérieusement de la hausse des coûts des médicaments. Selon une étude effectuée par le Conference Board du Canada, 401 entreprises ont indiqué qu'entre 1990 et 1994 les coûts des médicaments ont augmenté de 26 p. 100. La majorité des employeurs ont indiqué que le principal élément à l'origine de l'augmentation des coûts des régimes était le coût toujours plus élevé des médicaments, tout particulièrement celui des nouveaux médicaments brevetés. J'aimerais signaler que le coût des médicaments a un impact absolument incroyable sur des centaines de milliers de retraités.
Pour la majorité des travailleurs, ces coûts toujours plus élevés ont un impact à la table des négociations parce qu'on cherche ainsi à réduire les coûts des employeurs; ainsi, il y aura une moins grande protection et des coûts accrus pour ces travailleurs. Nombre des groupes de syndiqués ont signalé qu'ils avaient noté cette tendance lors des négociations.
Je crois qu'il importe de signaler que de plus les employeurs ont de plus en plus souvent recours aux équivalents génériques pour endiguer la hausse des coûts; mais les avantages ainsi réalisés seront à court terme, car le plein impact de la loi C-91 se fera sentir lorsque de nouveaux médicaments brevetés pour lesquels il n'existe aucun équivalent générique deviendront disponibles au cours des quelques prochaines années.
Le gouvernement a admis lorsqu'il a déposé le projet de loi C-91 qu'il aurait pour résultat, entre autres, une augmentation des coûts des médicaments d'ordonnance; il a cependant signalé que cette augmentation serait compensée par des investissements dans le domaine de la recherche et du développement, la création d'emplois très spécialisés, des emplois à rémunération élevée, ainsi que par le développement de l'exclusivité internationale pour des produits canadiens.
Même si les investissements dans le domaine de la recherche et du développement ont augmenté depuis l'adoption du projet de loi C-91, il demeure évident que le type de recherche-développement effectuée par les fabricants de médicaments de marque se limite à des modifications des médicaments actuels, ce qui entraîne peu ou pas d'améliorations de la valeur thérapeutique du médicament; en fait, bien souvent ces travaux de recherche doivent être effectués de toute façon pour que le médicament soit approuvé.
Dans un éditorial publié récemment dans le The Toronto Star, on a présenté des chiffres qui ont placé dans son contexte approprié la R-D effectuée par les fabricants de médicaments de marque au Canada. On indiquait qu'en échange de cette exclusivité mondiale les multinationales consacrent six centièmes de un pour cent des ventes internationales à la recherche fondamentale. De tels investissements ne justifient pas que l'on adopte des politiques qui mettront en péril le système canadien de soins de santé.
Notre balance commerciale dans le domaine pharmaceutique empire tous les jours. D'après la Commission commerciale américaine, la loi C-91, qui a entraîné la disparition des concessions de licences obligatoires, est la principale explication du phénomène.
Les emplois ne se sont pas matérialisés non plus. En fait, les fermetures et les fusions d'usines ont entraîné une diminution du nombre d'emplois dans le secteur des médicaments de marque; ce chiffre a chuté de 19 491 emplois à environ 17 400.
Dans notre mémoire nous avons abordé d'autres questions importantes, comme les restrictions qui empêchent l'exportation de médicaments génériques dans des pays où les brevets de ces médicaments ont expiré alors que ce n'est pas le cas au Canada. Il n'est tout de même pas logique de forcer les compagnies fabricant des médicaments génériques à exporter des emplois plutôt que des médicaments.
De plus, les règlements régissant les avis de conformité prolongeraient la durée de protection d'un brevet jusqu'à 30 mois et assureraient des profits extraordinaires aux fabricants de médicaments de marque, ce qui nuirait gravement au secteur des médicaments génériques.
Nous mentionnons dans notre mémoire le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés. Nous croyons que la crédibilité de ce conseil est en jeu. Nous exhortons le comité à demander au vérificateur général de procéder à une vérification du CEPMB et de recommander l'adoption d'un nouveau mandat pour ce conseil qui permettrait d'assurer une réglementation appropriée des prix des médicaments et qui assurerait la transparence et la responsabilisation du conseil.
Qu'est-ce qui importe le plus: que les Canadiens aient accès à des médicaments à des prix abordables ou que les compagnies pharmaceutiques multinationales aient accès à des profits toujours plus importants? Est-il plus important que la politique pharmaceutique canadienne assure la durabilité et le développement d'un secteur de fabrication des médicaments basé au Canada et appartenant à des Canadiens ou que les compagnies multinationales étrangères aient accès à des profits plus importants? Qu'est-ce qui importe le plus, que la politique pharmaceutique assure que les emplois demeurent au Canada ou qu'ils soient plutôt exportés, de sorte que les multinationales aient accès à des profits toujours plus importants?
Nous avons fait ressortir - il n'est pas nécessaire de vous les lire - dix grands points de notre mémoire; il s'agit de recommandations qui devraient être retenues par le gouvernement fédéral en ce qui a trait à la loi C-91.
Encore une fois, je désire rappeler que nous croyons que la question est très importante. Nous croyons que la loi a des lacunes, des lacunes qu'il faut combler. Nous croyons que ceux qui se sont joints à nous pour s'opposer d'abord au projet de loi devraient s'unir à nouveau à nous.
Évidemment, nous sommes disposés à répondre à vos questions. Merci beaucoup.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, monsieur White.
Le premier intervenant sera M. Brien.
[Français]
M. Pierre Brien: Merci à tous nos témoins. Je vais commencer par des questions à M. White.
Est-ce que votre position serait différente si le secteur générique était détenu lui aussi par des intérêts étrangers? Vous demandez s'il faut favoriser, au niveau économique, un secteur contrôlé par des multinationales qui viennent de l'extérieur ou un secteur basé au Canada, le secteur générique. Est-ce que votre position serait différente si le secteur générique, au fil des ans, devenait de plus en plus la propriété d'entreprises multinationales qui vendent sur le marché canadien?
[Traduction]
M. White: Non, si cela devait entraîner un marché exclusif et des prix plus élevés pour les médicaments.
[Français]
M. Pierre Brien: Dans votre recommandation 8, vous demandez une vérification indépendante du Conseil du prix d'examen des médicaments brevetés. J'aimerais que vous expliquiez la raison d'une telle vérification. J'imagine que cela implique que vous n'avez pas confiance en ce qui sort actuellement du CEPMB.
[Traduction]
M. White: Oui, je laisserai M. McBane répondre.
M. Michael McBane (coordonnateur, Coalition canadienne de la santé): La raison pour laquelle nous proposons une vérification indépendante du conseil, c'est que nous croyons que le public n'a pas du tout confiance dans les chiffres et dans les rapports présentés par le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés, tout particulièrement dans le rapport déposé auprès de ce comité dans lequel il prétend qu'il fait économiser des milliards de dollars.
Rien n'a été prouvé. Les méthodes employées n'ont pas été justifiées. Il existe de graves lacunes dans son système de comparaison des prix internationaux et dans son indice des prix des médicaments. Lorsqu'on pose des questions aux membres du conseil ils disent simplement qu'il s'agit d'une question de confidentialité. À mon avis, il est absolument inacceptable qu'un responsable de la réglementation refuse de divulguer les méthodes employées et soutient que tout ce qu'il fait doit demeurer secret.
En raison du manque de confiance démontré par le public à l'égard de cet organisme gouvernemental important, nous croyons que la seule façon de régler le problème, c'est de demander au vérificateur général de procéder à une vérification. On ne pourra pas régler le problème ou rétablir la crédibilité du conseil simplement en s'adressant à un expert-conseil privé. Nous devons faire appel au vérificateur général, qui devra étudier la validité de la méthode utilisée.
[Français]
M. Pierre Brien: Dans l'optique où on règle un problème de crédibilité, je ne partage pas une partie de votre affirmation, à savoir quand vous dites que l'opinion publique en général n'a pas confiance. Il ne faut pas exagérer. Il y a des gens qui font confiance au Conseil. Il y a des gens qui ne lui font peut-être pas confiance, mais il y a des gens qui lui font confiance. Il me semble exagéré de dire que toute l'opinion publique est contre lui.
Si le mandat du Conseil était resserré et redéfini et si la vérification que vous demandez était faite, est-ce qu'il serait possible d'étendre son mandat afin qu'il puisse vérifier les niveaux de recherche et développement des entreprises génériques? Les entreprises génériques nous donnent des chiffres, mais personne ne vérifie leurs investissements en recherche et développement.
[Traduction]
M. McBane: C'est un commentaire fort judicieux.
Le CEPMB n'étudie pas les chiffres que lui fournissent les compagnies pharmaceutiques. Il n'étudie même pas les chiffres que lui fournit l'Association canadienne de l'industrie du médicament dans le domaine de la recherche. La compagnie pharmaceutique se contente d'envoyer son rapport. Personne ne vérifie si les travaux de recherche qu'elle dit faire sont en fait effectués ou ne se penche sur le type de recherche effectuée par cette compagnie. Évidemment, si nous élargissons le mandat du conseil, il devrait être chargé également d'étudier la recherche faite dans le domaine de la fabrication de médicaments génériques.
[Français]
M. Pierre Brien: J'aimerais poser une question à M. Paquette de la CSN. Dans votre recommandation 9, vous parlez d'un fonds public de contrôle des investissements en recherche et développement. Avez-vous quelque chose de plus précis derrière la tête? À l'heure actuelle, les entreprises doivent verser de l'argent au Conseil de recherches médicales du Canada. Il y a un engagement. Est-ce que vous souhaitez qu'il soit prolongé dans le temps? Est-ce que vous souhaitez un fonds géré différemment par d'autres personnes? J'aimerais que vous m'expliquiez cela.
M. Paquette: Je demanderais à Mme Lapierre de répondre.
Mme Andrée Lapierre (conseillère syndicale, service de la recherche, Confédération des syndicats nationaux): On souhaite effectivement davantage. En fait, l'industrie en général a investi dans des fonds de recherche et développement. Le problème, c'est ce qu'on ne connaît pas exactement l'encadrement ou la gestion de cette chose.
Au Québec, il y a eu un rapport sur la recherche, qui s'appelle le rapport Deschamps, qui a bien établi à quel point les coûts étaient mal ventilés. Il y a une très grande imprécision là-dedans. Il y a énormément de problème de conflits d'intérêts entre les médecins, les chercheurs, les consultants, l'industrie, etc.
Il faut absolument encadrer davantage la recherche, d'autant plus que l'investissement gouvernemental en recherche et développement a beaucoup diminué. C'est donc l'industrie qui guide la recherche biopharmaceutique. On a besoin d'un organisme indépendant qui saura vraiment ce qui se fait en recherche et développement. Actuellement, on se fie complètement aux données de l'industrie et ce n'est pas vérifié ultérieurement.
Le projet de recherche conjointe avec le Conseil de recherches médicales est un pas dans la bonne direction, mais on propose d'aller un peu plus loin, dans le sens du rapport du Forum national sur la santé.
M. Pierre Brien: Plusieurs nous ont parlé des niveaux de recherche et développement en recherche fondamentale et en recherche appliquée, en précisant qu'il y avait eu décroissance dans la recherche fondamentale. Est-ce que vous souhaitez que cet argent soit consacré davantage à la recherche fondamentale et moins contrôlé par l'industrie?
Mme Lapierre: Cette question est très liée. On entend souvent dire que la recherche et le développement que l'industrie affiche maintenant avec tant de fierté est de la recherche qu'elle doit faire de toute façon afin d'obtenir l'autorisation de fabriquer des produits. La recherche dont le Canada a besoin pour faire des gains d'innovation est ce type de recherche fondamentale.
À ce stade-ci, il est intéressant de voir que nous sommes au dernier rang des pays du G-7 en termes de notre contribution à la recherche et au développement, point final. Si on laisse l'industrie prendre toute la place dans le domaine de la recherche et du développement, on ne sera pas très sûr des résultats.
M. Pierre Brien: Est-ce que vous parlez aussi d'une contribution financière accrue du gouvernement?
Mme Lapierre: Il faut absolument que le rapport du comité mettre l'accent sur la responsabilité du Canada, parce qu'en même temps qu'il claironne un discours d'innovation, lui-même décroît son investissement.
M. Pierre Brien: Vous parlez aussi dans votre mémoire, madame Connors, d'un fonds public en recherche et développement. J'ai vu que vous écoutiez attentivement la dernière partie de la discussion. Partagez-vous cette analyse?
[Traduction]
Mme Connors: La réponse la plus simple est de dire oui. Les préoccupations que nous, les infirmières, avons à cet égard... Je crois que d'autres intervenants ont dit au comité qu'il s'agissait là d'alliances douteuses qui existent entre l'industrie et sa capacité d'influencer le type de travaux de recherche qui sont effectués dans le domaine pharmaceutique, et le désir de la part du public de voir de tels travaux se dérouler pour qu'ils répondent aux besoins légitimes des Canadiens, et non pas à ceux de l'industrie qui veut lancer un succédané sur le marché simplement pour modifier la posologie, peut-être, qu'il s'agisse d'une pilule ou d'un médicament liquide, au lieu de se concentrer sur la recherche et le développement dans le domaine des besoins en matière de soins de santé. Ainsi au lieu de faire de la recherche et du développement pour un produit pharmaceutique, les travaux de recherche devraient peut-être se concentrer sur la médecine douce, ou peut-être sur la rentabilité de la prestation de services par une infirmière, des services comme les soins, le réconfort et le soutien, ce qui serait une solution de rechange aux médicaments.
À moins qu'elle ne soit soustraite au contrôle des sociétés pharmaceutiques, il est fort peu probable que ce type de recherche soit effectuée, compte tenu des circonstances actuelles.
[Français]
M. Pierre Brien: Ma dernière question s'adresse au représentant de la Légion royale canadienne. J'aimerais que vous m'expliquiez votre recommandation 2. Quel est votre objectif quand vous proposez cela? Avez-vous peur qu'il y ait confusion entre les différents types de produits?
[Traduction]
M. Rycroft: Oui. Les personnes âgées tout particulièrement sont habituées à faire les choses par routine. Nous avons constaté que par exemple si une personne reçoit un médicament générique à l'hôpital, puis une fois revenue à la maison se sert d'un autre médicament générique ou d'un autre médicament qui prête à confusion, cela peut entraîner des problèmes de surconsommation de médicaments ou de polypharmacie.
Par exemple, ceux qui sont habitués à prendre une petite pilule rose continueront peut-être à prendre cette petite pilule rose en plus de la pilule verte, qui a en fait le même effet. C'est ce genre de confusion que nous voulons faire disparaître.
[Français]
M. Pierre Brien: Merci.
[Traduction]
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Schmidt.
M. Werner Schmidt: Merci, monsieur le président.
Je désire remercier tous nos témoins d'être venus ici. Les échanges sont très intéressants, car nous entendons des représentants de tous les secteurs.
Monsieur White, j'aimerais vous poser quelques questions sur votre mémoire. Vous y parlez, entre autres choses, de la création d'un régime national universel d'assurance-médicaments. Croyez-vous que la création d'un tel régime entraînerait une réduction des coûts des soins de santé au Canada?
M. White: Pour qu'un tel régime soit efficace, il devrait s'accompagner de modifications apportées à la loi C-91, pour que les coûts des médicaments ne continuent pas à augmenter. Je crois que dans l'ensemble cela entraînerait une réduction des coûts des soins de santé au Canada.
M. Werner Schmidt: Vous proposez à la recommandation quatre d'abroger le paragraphe 55.2(4) de la loi C-91, qui porte sur les avis de conformité. Pourquoi proposez-vous cela?
M. White: Je ne peux pas vraiment répondre à votre question, mais je suis convaincu que quelqu'un d'autre peut le faire.
Cindy.
Mme Cindy Wiggins (recherchiste principale, Congrès du travail du Canada): Comme on vous l'a déjà dit, les règlements garantissent pratiquement aux fabricants de médicaments de marque une prolongation automatique de 30 mois de leurs brevets, et parfois plus dans certains cas. Il s'agit là, tout compte fait, d'une façon de miner la viabilité du secteur des médicaments génériques au Canada.
C'est pourquoi il me semble logique d'assurer un meilleur équilibre entre les deux secteurs, le secteur des médicaments de marque et le secteur des médicaments génériques, en ayant un mécanisme différent qui ne permettrait pas aux fabricants de médicaments de marque de profiter de la situation comme cela a été le cas par le passé. Nombre des accusations qui ont été portées contre le secteur des médicaments génériques ne tiennent pas debout. On a pu démontrer qu'elles n'étaient pas du tout fondées.
Nous croyons qu'il faut absolument modifier ces règlements.
M. Werner Schmidt: Modifieriez-vous également le système de plaintes en ce qui a trait aux contrefaçons de brevets? Actuellement, c'est celui qui fait la contrefaçon qui doit démontrer qu'il n'empiète aucunement sur les droits du détenteur de brevet et qu'il appartient au détenteur de brevet de démontrer qu'il y a eu contrefaçon de brevet et d'avoir recours aux tribunaux pour régler le problème.
Êtes-vous d'accord avec cette façon de procéder?
Mme Wiggins: Oui.
M. Werner Schmidt: Très bien.
En ce qui a trait à la recommandation six, qui porte sur la pérennisation des brevets, je ne sais pas si je comprends très bien ce que vous proposez. Je crois que je sais ce qu'on entend par «pérennisation», mais j'aimerais vraiment savoir ce à quoi vous voulez en venir dans cette proposition.
Mme Wiggins: Il s'agit en fait de la modification d'un médicament de marque, d'une légère modification, soit au niveau de la fabrication, de la taille ou de la forme du médicament ou de sa posologie. De cette façon, chaque fois qu'une petite modification est apportée, même à la façon dont les composantes sont réunies, on peut délivrer un nouveau brevet. Ainsi on se retrouve avec le médicament X, auquel est associé un brevet de 20 ans, et un peu plus tard on fabrique le médicament X-1. A ce moment-là le brevet devient un brevet de 25 ans, ou peut-être même de 30 ans, etc.
M. Werner Schmidt: Merci. Je pensais que c'était ce que vous vouliez dire, mais je voulais vérifier.
J'aimerais maintenant passer au CEPMB. La question s'adresse à tous les témoins. Je sais que vous avez parlé du besoin de transparence au sein du conseil, mais j'aimerais pousser les choses un peu plus loin. Je sais que le Congrès du travail du Canada recommande que le conseil adopte une politique de détermination du prix moyen des nouveaux médicaments en fonction d'un groupe de référence comprenant les pays membres de l'OCDE.
J'ai noté deux choses. Tout d'abord, je note que vous parlez du prix moyen plutôt que de la moyenne des prix. Pouvez-vous m'expliquer pourquoi?
De plus, comment pourrait-on établir ce prix? Devrait-on le faire exclusivement en fonction d'une moyenne, ou devrait-on tenir compte de la ventilation vérifiable des coûts? Devrait-il y avoir des preuves empiriques visant à démontrer combien coûtera la recherche fondamentale, jusqu'à la mise sur le marché du produit?
M. McBane: Vous faites de bons commentaires. Un des problèmes qui caractérisent l'industrie, c'est le manque de reddition de comptes, chose qui est vraiment essentielle aux yeux du gouvernement. Nous ne savons pas vraiment quels sont les coûts de la création du médicament. Nous pouvons supposer qu'ils sont gonflés, d'après les chercheurs médicaux les plus indépendants, comme Joel Lexchin, qui a fait ressortir très clairement certaines des lacunes que l'on retrouve dans les études parrainées par l'industrie, dans lesquelles on essaie de justifier les coûts associés à la recherche.
Il est difficile d'obtenir les coûts réels.
M. Werner Schmidt: Seriez-vous prêts à appuyer une forme d'ingérence, si je puis m'exprimer ainsi, à savoir que l'on exigerait des sociétés pharmaceutiques et des fabricants qu'ils rendent ces chiffres publics?
M. White: Encore une fois, toute cette discussion me semble un peu loufoque. Nous vivons dans un monde où le libre marché est censé tout déterminer. Lorsque vous parlez d'ingérence, il s'agit d'une ingérence pour des entreprises qui jouissent d'une protection absolument incroyable; il ne s'agit donc pas d'une ingérence. Si vous leur accordez plusieurs années de protection pendant lesquelles elles peuvent réaliser des profits, il n'est pas exagéré de leur demander de nous dire comment elles déterminent les prix des médicaments.
Ces gens ne fonctionnent pas dans un libre marché. Lorsque vous étudiez la question, vous vous rendez compte que tout ce que l'on fait va clairement à l'encontre des principes du libre marché. Nous soutenons évidemment qu'il devrait y avoir moins de protection accordée par les brevets et qu'on devrait ouvrir le système, tout en conservant une certaine réglementation.
Je soutiens personnellement que vous avez parfaitement le droit de faire cette ingérence, tout particulièrement lorsqu'il s'agit de coûts que l'on demande au public de payer.
M. Werner Schmidt: Comment pouvez-vous concilier cela avec le fait que vous proposez dans vos recommandations que l'on utilise un prix moyen fondé sur les prix que l'on retrouve dans les pays de l'OCDE? Comment concilier ces deux choses?
Mme Wiggins: Il est très difficile d'obtenir les renseignements pertinents et exacts. Par exemple nous savons que des compagnies pharmaceutiques accordent des rabais dans certains pays pour les régimes d'assurance-médicaments, comme aux États-Unis par exemple.
Il faudrait créer des mécanismes qui nous permettent de recueillir des données en fonction desquelles on pourrait établir le prix initial dès l'entrée du médicament sur le marché. Cependant, si vous calculez le prix dans tous les pays membres de l'OCDE, les pays occidentaux industrialisés, et calculez la moyenne...
M. Werner Schmidt: [Inaudible]
Mme Wiggins: Non, la moyenne vous donnerait un prix plus faible.
M. Werner Schmidt: Peut-être; je n'en suis pas convaincu. Il s'agit de la moyenne des prix.
Mme Wiggins: Oui.
M. Werner Schmidt: Le prix moyen, c'est une autre chose. C'est simplement un prix moyen.
Mme Wiggins: C'est exact.
M. Werner Schmidt: Peu importe. C'était simplement un détail, mais à mes yeux un détail important.
Une voix: Pourrais-je ajouter quelque chose?
Le vice-président (M. Walt Lastewka): M. Paquette voulait faire un commentaire.
[Français]
M. Paquette: Je crois pour ma part que la moyenne ou la médiane de sept pays donnera probablement un résultat qui tournera autour de la même durée de temps. Il faut rappeler qu'actuellement, la durée des brevets est un enjeu, mais n'est pas l'enjeu primordial pour nous. Nous parlions des coûts tout à l'heure, mais les pratiques de l'industrie sont aussi un enjeu très important et le Conseil devrait s'y pencher.
Par exemple, on voit maintenant des compagnies pharmaceutiques acheter des entreprises pour prodiguer des soins à domicile et établir des réseaux pour influencer la consommation de médicaments; de telles actions influent sur l'enveloppe globale du coût des médicaments, et le prix peut être très stable. Si on augmente la demande par des pratiques et des moyens de promotion particuliers, on se retrouvera avec le même problème, peu importe qu'on soit capable de stabiliser le coût du médicament, soit par un contrôle, soit par la concurrence. Nous croyons donc que l'on doit élargir le débat aux pratiques de l'industrie pharmaceutique et ne pas le limiter aux questions de prix.
L'autre élément qu'il est important de rappeler, c'est qu'il n'y a que 28 p. 100 des médicaments qui sont actuellement couverts par la loi et le contrôle du Conseil d'examen. Notre proposition ferait en sorte que l'on passerait à 70 p. 100 des médicaments. Là encore, il y a un enjeu de société qu'ont soulevé plusieurs intervenants.
Alors, le débat sur les brevets est important, mais l'information sur les pratiques de l'industrie pharmaceutique et la transparence du débat public sur ces questions sont fondamentales aussi.
[Traduction]
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, monsieur Schmidt. Vous n'avez plus de temps.
Vouliez-vous faire un bref commentaire, monsieur Orchard?
M. Orchard: Oui. Je suis convaincu que vous avez suivi les discussions qu'il y a eu récemment dans les médias, où on accusait le conseil d'être un chien de garde absolument impuissant, qui se contente d'accepter les prix que lui donnent les compagnies pharmaceutiques. Nous sommes d'avis que le conseil doit disposer de renseignements objectifs sur les prix, et non pas se contenter d'accepter tout ce qu'on lui dit. Ça, c'est la première étape. Il devrait donc y avoir une intervention, ou une ingérence, comme vous l'avez appelée.
En outre, pour ce qui est du régime national, dont vous avez parlé dans votre première question, la Colombie-Britannique...
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je dois vous interrompre, parce qu'il ne dispose vraiment plus de temps. Je dois passer au suivant...
M. Orchard: J'aimerais terminer ma phrase.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Très bien.
M. Orchard: Joy MacPhail, la ministre de la Santé de la Colombie-Britannique, a dit récemment que tant que la loi C-91 sera en vigueur nous ne pourrons jamais avoir de régime national d'assurance-médicaments au Canada. J'aimerais vous rappeler ce qu'a conclu la Commission Eastman, qui s'est vraiment penchée sur la question. Ce qu'elle a conclu alors est encore très pertinent aujourd'hui, mais on n'en tient simplement pas compte.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Patry.
[Français]
M. Bernard Patry: Puisque le temps passe et que nous devons entendre un autre groupe de témoins, je serai assez bref.
Monsieur Paquette, je vous félicite pour votre mémoire. Il est excellent et fait le tour du sujet. Je l'ai bien apprécié. Pour reprendre ce que vous venez de dire, je vais revenir à la première conclusion. Vous parlez du contrôle des prix qui doit s'exercer sur les ventes de tous les médicaments prescrits ou non prescrits, y compris dans les hôpitaux, et dites qu'il faudrait élargir le mandat du CEPMB.
Vous n'êtes pas sans savoir que les prix des médicaments non brevetés sont du ressort provincial. Comme vous l'avez énoncé dans votre première recommandation, dans le cadre d'une conclusion de ce comité, est-ce que votre organisme serait prêt à promouvoir auprès du gouvernement provincial du Québec, puisque la CSN est au Québec, le fait que tous les médicaments devraient être soumis à la loi du CEPMB?
M. Paquette: Évidemment, il y a toujours...
M. Bernard Patry: Ne parlons pas de duplication et de juridiction. On parle du projet de loi C-91.
M. Paquette: Justement, on a parlé plus tôt d'un système d'assurance-médicaments universel. Le Québec s'est maintenant doté d'un tel système. Il n'est pas parfait, mais on en a un. Une des choses qu'on a critiquées, c'est justement le fait que si on ne contrôle pas le prix des médicaments d'une façon ou d'une autre, même avec un régime universel, on risque d'avoir une explosion au niveau de l'évolution des dépenses. Un contrôle des produits brevetés et génériques nous semble donc important.
Quant à la façon d'administrer cela, s'il y a une expertise qui se développe, il faut en profiter. Je suis conscient de la question de juridiction; on peut déléguer des pouvoirs, mais l'idée pour nous est de contrôler l'évolution du prix des médicaments, brevetés ou non, en particulier au niveau des hôpitaux, où ce sont habituellement les contribuables qui paient. Cela nous semble important.
[Traduction]
M. Bernard Patry: Madame Connors, qu'en pensez-vous?
Mme Connors: Il est clair que plusieurs intervenants sont du même avis. À notre avis, il importe d'abord et avant tout de déterminer les coûts réels de la recherche et du développement. C'est nécessaire. Le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés doit connaître ces coûts pour que nous ayons des données sur lesquelles nous fonder. Certains de ceux qui ont comparu devant votre comité ont sans aucun doute fait des commentaires qui ont poussé les députés à se demander quels sont les coûts réels de la recherche et du développement.
Il faut également procéder à une comparaison des prix non pas chez sept pays membres de l'OCDE, mais chez tous ses membres - et je ne parle pas ici du prix qui est proposé et au sujet duquel les États-Unis négocient ensuite pour obtenir un prix plus faible pour les anciens combattants, etc. Je parle du coût réel qui n'est pas gonflé.
M. Bernard Patry: Madame Connors, pensez-vous que le CEPMB devrait également s'occuper des médicaments génériques?
Mme Connors: Certainement. Tous les médicaments.
J'ai déjà signalé que nous appuyons la création d'un programme pharmaceutique national, mais nous ne voulons pas que cela représente une forme d'aide sociale pour les compagnies pharmaceutiques. Notre organisation n'appuiera certainement pas une décision en ce sens. Il doit exister une certaine justice au sein du système public. Le régime d'assurance-maladie a démontré qu'il est rentable parce qu'il n'y a qu'une seule personne qui paie. C'est pourquoi nous appuyons cette proposition. Il faudrait tout simplement éliminer tous les régimes privés.
[Français]
M. Bernard Patry: Ma deuxième question, à l'intention de M. Paquette, ira dans le même sens et Mme Connors aimera peut-être aussi y répondre.
Dans votre recommandation 7, vous parlez d'une nécessaire réforme pharmaceutique arrimée à l'évolution du système public canadien de santé. Vous savez que le Forum national sur la santé a fait ressortir la dimension internationale de la politique relative aux médicaments.
Dans le dernier budget du ministre des Finances, le gouvernement a annoncé l'injection de150 millions de dollars sur trois ans pour aider les provinces à lancer des projets-pilotes. Puisque le Québec est à l'avant-garde et vient d'instaurer son régime d'assurance-médicaments, pourriez-vous nous dire de quelle façon la CSN pourrait voir autre chose qu'un régime national d'assurance-médicaments? Vous voyez l'évolution de notre système de santé et proposez une réforme pharmaceutique. De quelle façon en voyez-vous l'arrimage ou l'imbrication?
M. Paquette: Mme Lapierre pourrait peut-être vous répondre. Une des choses qui me semblent essentielles, c'est que ça demeure de juridiction provinciale. Pour nous, c'est évident. Par contre, au chapitre des responsabilités du gouvernement fédéral, en particulier au niveau des transferts - et on l'a souligné d'ailleurs lors de la préparation du budget du ministre Martin - , on aurait aimé que les transferts aux provinces soient gelés au niveau de 1995-1996. Donc, la première responsabilité du gouvernement fédéral à cet égard est d'assurer des transferts adéquats aux provinces.
Pour ce qui est de l'arrimage, je ne sais pas si Andrée voudrait intervenir.
Mme Lapierre: Comme on l'expliquait, pour ce qui est de l'arrimage, on veut, d'une part, que la recherche et le développement soient mieux arrimés aux besoins du système de santé; ce serait une première chose.
On parle aussi de la publicité et on parle maintenant des systèmes d'information. On a dit dans notre mémoire à quel point l'état de l'information actuelle ne nous permettait pas de mener strictement les discussions que nous menons, parce qu'on n'a pas vraiment pas d'idée du coût réel de l'adoption du projet de loi C-91. Nous n'avons pas d'idée du coût des différentes propositions qui sont devant nous, par exemple de modifier la réglementation sur les avis de conformité ou la prolongation de brevet. On n'a même pas ces renseignements. Par contre, on est prêts à appuyer des propositions importantes dont on a besoin pour améliorer l'utilisation de médicaments et les systèmes d'information.
Nous disons bien que nous voulons des systèmes d'information plus développés, mais il faut que l'industrie aussi soit plus imputable. Nous pensons que les maîtres d'oeuvre de ces systèmes d'information doivent être les systèmes de santé afin qu'on puisse bâtir une nomenclature adéquate des différentes catégories de médicaments.
Si on adopte l'esprit de la réforme pharmaceutique que le Forum national sur la santé prône, il faut arrêter de traiter le médicament sous deux aspects: tantôt un produit commercial et tantôt un traitement. Il faut absolument encadrer tout médicament prescrit, ce qui laisse les médicaments en vente libre, soit à peu près 30 p. 100 des médicaments. C'est ce que veut dire l'arrimage pour nous.
[Traduction]
M. Bernard Patry: C'est tout, monsieur le président.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci, monsieur Patry.
Monsieur White, vouliez-vous ajouter quelque chose?
M. White: Je voulais simplement signaler brièvement, car je sais que le temps file, qu'il est évident que votre comité ne s'attaquera pas à l'ensemble du système de soins de santé; je sais que vous devez concentrer vos efforts sur des questions particulières. Je sais qu'elles ont été clairement identifiées par les témoins.
Si j'ai bien compris, la vaste majorité des témoins ont proposé que des modifications importantes soient apportées au régime de protection accordé par les brevets et au régime de concession de licences obligatoires; le comité doit se prononcer. Nous l'exhortons à recommander des modifications importantes aux régimes. D'autres questions qui touchent le secteur des soins de santé méritent d'être étudiées plus à fond; quant aux questions dont est saisi le comité, toutes sortes de preuves ont été présentées, et tout semble indiquer que la grande majorité des témoins recommandent des modifications.
Comme M. Orchard l'a signalé, nous suivons cette affaire depuis ses débuts, et un bon nombre de libéraux, y compris le premier ministre, étaient députés à l'époque. Les choses n'ont pas vraiment changé depuis. Les preuves présentées démontrent simplement que nos craintes se sont réalisées.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup.
Je tiens à remercier nos témoins. Nous devons mettre fin à cet échange, parce que le groupe de témoins suivant attend avec beaucoup de patience.
Je tiens à vous remercier de votre patience et de votre compréhension; je tiens également à vous remercier de vos exposés. Je suis convaincu que tous les députés en ont appris beaucoup.
Nous allons prendre une pause de deux minutes, après quoi nous entendrons les témoins suivants.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Nous reprenons notre révision de la loi C-91.
J'aimerais d'abord remercier nos témoins de leur patience. Comme je l'ai dit un peu plus tôt, le comité a déjà entendu plus de 100 témoins, et il compte en entendre le plus possible.
Je vous rappelle d'aller droit au but, car nous attachons beaucoup d'importance à l'échange de vues qui suit les exposés des témoins.
J'accorde maintenant la parole au dr Lorne Tyrrell, de l'Université de l'Alberta à Edmonton.
Dr Lorne J. Tyrrell (Faculté de médecine et des sciences de la santé dentaire, Université de l'Alberta): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. Je suis heureux de comparaître devant le Comité permanent de l'industrie dans le cadre de sa révision de la loi C-91.
J'aimerais dire d'entrée de jeu que je suis un chaud partisan du système national de soins de santé ainsi que de la loi C-91. On a allégué ce soir que les dépenses en médicaments s'élèvent à9 milliards de dollars, mais j'aimerais à cet égard souligner que selon le Forum national sur la santé ces dépenses se ventilent comme suit: 2,5 milliards de dollars pour les médicaments brevetés,3,7 milliards de dollars pour les médicaments non brevetés et 2,3 milliards de dollars pour les médicaments en vente libre.
Je veux donc dissiper la fausse impression selon laquelle que les dépenses en médicaments brevetés s'élèvent à elles seules à 9 milliards de dollars.
Je me préoccupe vivement de la place qu'occupera le Canada dans le monde à mesure que nous progresserons vers une économie fondée sur le savoir. C'est dans le domaine de l'éducation et de la recherche que nous devrions consentir nos plus gros investissements en vue du nouveau millénaire. La protection des brevets s'impose dans une société fondée sur le savoir. Mon propos aujourd'hui est essentiellement de vous exposer les conséquences des lois C-22 et C-91 pour l'Université de l'Alberta et pour notre province.
M. Lougheed a vu loin en 1979 lorsqu'il a créé l'Alberta Heritage Foundation for Medical Research. Depuis ce temps, tant l'Université de Calgary que l'Université de l'Alberta n'ont eu aucun mal à recruter d'excellents scientifiques. Une bonne part des activités de recherche menées par ces scientifiques aboutissent maintenant à des applications biotechnologiques.
La fondation n'attribue pas de fonds d'exploitation, mais seulement des subventions pour la création d'organismes de recherche et des prix au mérite. Les fonds d'exploitation des organismes nationaux comme le Conseil de recherches médicales et le CRSNG continuent de diminuer.
Les lois C-22 et C-91 ont eu des effets positifs considérables au cours des dernières années. On a ainsi constaté une augmentation phénoménale de la contribution financière de l'industrie depuis 1988. Cette contribution a augmenté de 500 p. 100. De façon générale, l'industrie a considérablement augmenté ses dépenses dans notre province.
On peut aussi attribuer à la loi C-91 une augmentation marquée du nombre de sociétés dérivées créées par notre université. Au total, 18 sociétés semblables ont été créées au cours des cinq dernières années. Elles emploient plus de 1 000 personnes dans la région d'Edmonton dans des secteurs non universitaires.
En vue de faire face à la crise de l'endettement qui touche le Canada depuis 1991, les principaux organismes subventionnaires ont réduit les fonds qu'ils accordaient à la recherche fondamentale. Le Canada a en fait continuellement réduit les fonds accordés à la recherche fondamentale pendant que les autres pays du G-7 faisaient l'inverse. Il faut renverser la tendance au plus vite si l'on veut éviter que le Canada ne continue de prendre du retard dans le domaine de la recherche fondamentale.
On reproche à l'industrie pharmaceutique de ne pas avoir appuyé de façon plus active la recherche fondamentale au Canada. Or, l'industrie pharmaceutique, en partenariat avec le Conseil de recherches médicales, a augmenté les fonds alloués à la recherche biomédicale, au grand soulagement des scientifiques, qui avaient désespérément besoin de son aide en cette période de restrictions budgétaires. La situation n'est évidemment pas parfaite, et il est peu probable qu'on considère jamais que les fonds accordés par l'industrie à la recherche biomédicale fondamentale remplacent les fonds accordés par le gouvernement à la recherche fondamentale. Dans un éditorial récent paru dans la revue Science, le dr Aguayo et le dr Murphy, de l'Université McGill, ont présenté le problème de façon très succincte:
- Il faut reconnaître que le financement des recherches scientifiques universitaires constitue à la
fois une responsabilité du gouvernement et un investissement à long terme. Si les universités ne
peuvent pas compter sur l'appui soutenu du gouvernement, leur infrastructure scientifique se
dégradera, de même que la compétitivité de notre pays dans un monde où l'économie mondiale
est de plus en plus fondée sur le savoir.
L'étape de la mise au point des médicaments, l'étape de la recherche à laquelle participe l'industrie, est souvent trop coûteuse pour ces organismes. Il importe donc de comprendre les rôles respectifs du gouvernement et de l'industrie dans ce cycle de recherche qui va de la découverte à la mise en marché, en passant par la mise au point du médicament.
Le Canada peut compter sur d'excellents scientifiques, des cliniciens-chercheurs expérimentés et des essais cliniques de grande qualité. Voilà ce qui explique, à mon avis, le fait que l'industrie pharmaceutique ait consacré près de 12 ou 13 p. 100 de ses ventes brutes à la recherche au Canada au lieu d'y consacrer les 10 p. 100 requis.
Je préconise avec vigueur une protection intégrale des brevets pour les nouvelles découvertes de l'industrie pharmaceutique et de l'industrie biotechnologique canadiennes.
J'appuie aussi sans réserve une application rigoureuse des mesures de protection des brevets, que ce soit par l'entremise du règlement sur les avis de conformité ou de règlements semblables.
Voici d'autres mesures que je préconise: enregistrer les brevets pour les médicaments mis au point au Canada et établir un lien entre cette mesure et les fonds consacrés à la recherche par les sociétés visées; continuer d'exiger que les sociétés pharmaceutiques consacrent au moins 10 p. 100 de leurs ventes à la recherche au Canada; mieux répartir dans tout le pays les fonds extra-muros pour la recherche; encourager les sociétés à continuer de mettre l'accent sur le financement extra-muros plutôt que sur le financement intra-muros, ce qui permettrait, à mon avis, de renforcer le partenariat entre l'industrie et les universités; maintenir le partenariat entre le CRM et l'ACIM; maintenir le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés et élargir son mandat pour qu'il ait droit de regard sur les dépenses relatives tant aux médicaments brevetés qu'aux médicaments génériques; et encourager l'industrie à collaborer avec les universités de toutes les régions du pays pour tirer vraiment parti de l'incidence positive que les activités de la Fondation canadienne pour l'innovation peuvent avoir dans le domaine de la recherche biomédicale. À cet égard, il faudrait modifier le régime fiscal de manière à ce que les infrastructures soient admissibles à des crédits d'impôt pour les recherches scientifiques et le développement expérimental.
En terminant, j'aimerais souligner le fait que j'ai personnellement pu me rendre compte des effets bénéfiques des lois C-22 et C-91. En 1986, j'ai commencé à travailler à la mise au point d'une thérapie antivirale de lutte contre l'hépatite B, une maladie dont sont affectés environ 350 millions de gens dans le monde. Toutes les 24 heures, entre 1500 et 3000 personnes meurent des suites du cancer du foie, le cancer le plus répandu dans le monde, qui découle de l'hépatite B. Toutes les 24 heures, entre 3000 et 5000 personnes meurent de la cirrhose du foie, une autre complication de l'hépatite B.
L'apport des scientifiques canadiens à la lutte contre l'hépatite B a été considérable, comme vous pourrez le constater au cours des deux ou trois prochaines années. Glaxo Wellcome Inc., Biochem Pharma Inc. et l'Université de l'Alberta ont joint leurs efforts pour mettre au point un traitement contre cette maladie. Je suis convaincu que cela n'aurait pas pu être possible sans l'appui du gouvernement et sans l'adoption des projets de loi C-22 et C-91. Je suis sûr qu'il existe aussi beaucoup d'autres exemples de ce genre. Je sais d'ailleurs que la collaboration entre les scientifiques, les universités et l'industrie est fructueuse dans bien d'autres domaines. Voilà donc pourquoi je suis un ardent partisan de ce projet de loi.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je vous remercie beaucoup.
J'ai eu le plaisir de visiter votre université l'automne dernier. Je suis sûr que vous avez bien accueilli le programme d'infrastructure.
Dr Tyrell: Oui, très bien. Nous serons très heureux si ce programme permet d'accroître la recherche fondamentale.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): J'allais faire une observation au sujet du financement provincial, mais je ne la ferai pas pour l'instant.
J'accorde maintenant la parole à M. Malcolm Anderson, associé principal, Service de recherche sur les politiques en matière de santé de l'Université Queen's.
M. Malcolm Anderson (associé principal, Service de recherche sur les politiques en matière de santé, Université Queen's): Je vous remercie beaucoup.
J'aimerais d'abord vous dire quelques mots au sujet du Service de recherche sur les politiques en matière de santé de l'Université Queen's avant de vous entretenir de la loi C-91.
Notre service mène une vaste gamme d'activités de recherche dans le domaine de l'élaboration des politiques en matière de santé. Le service compte un personnel de base qui fait équipe avec d'autres universitaires selon le projet de recherche qui est mené.
Voici des exemples de projets que nous avons récemment menés: évaluer le plan de financement de rechange pour la faculté de médecine de Queen's; examiner la nature et la portée des transferts de recherche vers les organismes de services sociaux communautaires; revoir les systèmes d'orientation téléphonique; et mettre au point un cadre d'évaluation des systèmes de prestation intégrés.
Nous avons mené des recherches pour le compte du ministère de la Santé de l'Ontario, d'Industrie Canada, du Forum national sur la santé, d'associations représentant l'industrie et d'organismes locaux qui dispensent des soins de santé. Certains d'entre nous participent aussi malheureusement au programme de restructuration des hôpitaux actuellement en cours en Ontario.
L'été dernier, l'Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques nous a demandé si nous étudierions l'impact économique de la loi C-91 sur le coût des produits pharmaceutiques au Canada. L'association nous a donc accordé une subvention pour mener cette recherche, qui a été achevée à la fin de décembre. Les résultats de cette recherche ont été présentés lors d'une conférence tenue en janvier.
Nous avons accepté de mener cette recherche parce que le régime des soins de santé au Canada traverse une crise, étant donné les contraintes budgétaires actuelles et la restructuration rapide et importante dont il fait actuellement l'objet. Comme nous le savons, les médicaments jouent un rôle essentiel dans le domaine des soins de santé, et nous avons estimé que cette étude nous permettrait de mieux comprendre comment la loi C-91 aurait des répercussions sur le coût des soins de santé au Canada.
Après en avoir discuté avec les représentants de l'Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques, nous avons décidé d'adopter pour notre étude à peu près la même approche que celle qu'avait adoptée le dr Stephen Schondelmeyer, qui a étudié l'impact économique de la loi C-91 en 1993.
Nous nous sommes fondés sur trois modèles pour évaluer quelle serait l'incidence de la loi C-91 sur le coût des médicaments au Canada, et nous avons établi des projections sur une période de 20 ans se terminant en l'an 2016. Nous avons eu recours pour cette étude à des données SGI et à un programme d'analyse économétrique long de 200 lignes. L'équipe de chercheurs de base de Queen's et les deux économétriciens participant au projet ont consacré beaucoup de temps et d'efforts à constituer la base de données.
On a comparé la loi C-91 à un scénario où les médicaments jouiraient d'une exclusivité commerciale pendant sept ans et à un scénario où ils jouiraient de la même exclusivité pendant dix ans et où il pourrait y avoir prolongement pendant cinq ans de la durée actuelle du brevet pour tous les médicaments brevetés.
Nous avons fondé notre étude sur un certain nombre d'hypothèses. Nous nous sommes fondés sur les données du FMI pour les années 90 pour ce qui est de la croissance des ventes de médicaments. Il nous a aussi fallu établir le taux de pénétration du marché des produits génériques, et nous nous sommes fondés à cet égard sur des études précédentes ainsi que sur une analyse récente faite par l'Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques. Nous nous sommes fondés sur les mêmes études pour établir les rabais de prix consentis pour les produits génériques.
Nous nous sommes servis de deux scénarios distincts pour la pénétration du marché et les rabais de prix afin de tenir compte des tendances passées et actuelles dans ce domaine. Nous avons aussi présumé que de nouveaux médicaments seraient commercialisés au cours des 20 prochaines années.
Les analyses effectuées ont abouti à différents résultats. Dans tous les cas, on a constaté que les différents scénarios étudiés entraînaient des coûts considérablement plus élevés que la loi C-91. On les a établis entre 3,7 milliards de dollars et 9,4 milliards de dollars au cours des 20 prochaines années, selon le modèle et le scénario envisagés. Ces résultats cadrent avec ceux obtenus par le dr Schondelmeyer en 1993. Lorsqu'on compare nos modèles à la loi C-91, on constate qu'ils sont beaucoup plus coûteux pour le consommateur.
Enfin, nous avons été un peu surpris et déçus de voir qu'on n'avait pas mené d'autres études pour évaluer le coût éventuel de la loi C-91. Compte tenu de l'importance de cette mesure législative, nous nous attendions à ce que les gouvernements fédéral et provinciaux ainsi que d'autres organismes de recherche mènent ces études, mais il semblerait que si l'on fait abstraction de deux études de portée plutôt limitée actuellement en cours à Santé Canada et à Industrie Canada, aucune autre étude d'envergure n'ait été effectuée.
Voilà qui met fin à mon exposé. Merci.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je vous remercie beaucoup.
J'accorde maintenant la parole à M. James Heller, de JGH Consulting.
Monsieur Heller.
M. James G. Heller (JGH Consulting Inc.): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Permettez-moi d'abord de me présenter. Je suis un économiste indépendant du domaine de la santé qui travaille à Toronto. Je travaille depuis cinq ans et demi comme expert-conseil. Je fais du travail en amont, où j'évalue les risques d'investissement pour l'industrie biotechnique, et en aval, où j'étudie les retombées économiques des investissements pour l'industrie pharmaceutique et biopharmaceutique.
Je vais maintenant faire une déclaration préliminaire dont j'espère que vous avez reçu copie. Elle se fonde sur un document d'information préparé en décembre grâce à des fonds de l'Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques. Ce document d'information se fonde, à son tour, sur une étude de plus de 300 pages que j'ai préparée pour le compte d'Industrie Canada et d'Environnement Canada il y a environ un an et demi. Cette étude s'intitule Background Economic Study of the Canadian Biotechnology Industry.
J'ai remis à la greffière du comité des exemplaires du document d'information, ainsi que de l'étude susmentionnée, dans les deux langues officielles. Vous pourrez donc les consulter si vous le souhaitez.
En guise de déclaration préliminaire, j'aimerais maintenant vous communiquer certains renseignements de nature commerciale touchant les brevets. J'aimerais d'abord vous entretenir de l'importance des brevets des médicaments. Un brevet confère un monopole au propriétaire d'une invention relativement à son exploitation, en contrepartie de la divulgation pleine et entière de toutes les données se rapportant à l'invention dans les 18 mois suivant le dépôt du brevet. Il y a donc une concession réciproque d'entrée de jeu. La divulgation des renseignements se rapportant à l'invention permet aux compétiteurs d'inventer un médicament qui se rapproche du médicament breveté, et c'est ce qui explique que l'entrée sur le marché d'un médicament qui constitue une nouvelle découverte est presque toujours suivie de près par la commercialisation d'un succédané.
Certaines études concluent même qu'il importe davantage pour une société pharmaceutique qui veut maximiser ses profits d'être la première à commercialiser un produit plutôt que d'obtenir la protection d'un brevet. Voilà le premier fait sur lequel je voulais attirer votre attention.
Le deuxième a trait aux intérêts d'affaires des entreprises pharmaceutiques multinationales, intérêts qui se distinguent des intérêts des sociétés canadiennes. Dans la mesure où les entreprises pharmaceutiques multinationales ont des intérêts nationaux, ces intérêts sont ceux de leur pays d'origine.
À titre d'exemple, voici la condition qui a été fixée par un pays étranger pour l'approbation d'une fusion récente entre deux sociétés pharmaceutiques multinationales basées dans ce pays. La condition était que la fabrication d'un produit biopharmaceutique mis au point au Canada se ferait dans ce pays, et non pas au Canada. Il en est résulté une perte d'emplois importants et d'activités biopharmaceutiques au Canada.
Voilà un exemple. Je n'ai pas nommé la société en question, mais les gens du milieu savent bien qui elle est. Cet exemple illustre le fait que les intérêts des entreprises pharmaceutiques multinationales ne sont pas les mêmes que les intérêts des entreprises canadiennes.
À la page suivante, j'essaie de décrire quelle est la situation en ce qui touche les brevets dans notre pays.
Je commence par poser la question suivante: comment les recommandations du comité permanent peuvent-elles favoriser le développement d'un secteur biopharmaceutique canadien? Je suis d'avis que le statu quo avantage les grandes sociétés, soit les entreprises multinationales étrangères.
Quatre conséquences économiques découlent du statu quo: un déficit commercial croissant, une diminution du bien-être des consommateurs, moins de produits à valeur ajoutée dans l'économie canadienne, et des entraves à la participation d'intérêts canadiens au secteur pharmaceutique canadien.
Cette tendance serait renversée si le Canada décidait de favoriser le développement d'une industrie biopharmaceutique canadienne. Cette décision se traduirait par une diminution du déficit commercial, une augmentation du bien-être des consommateurs et l'accroissement au Canada des activités économiques à valeur ajoutée. Par la même occasion, on favoriserait la participation d'intérêts canadiens au secteur pharmaceutique.
Mon document d'information contient des recommandations sous forme télégraphique qui permettront, je crois, d'atteindre cet objectif. La première, c'est d'abolir le règlement sur les avis de conformité prévu à l'article 55.2, lequel a donné lieu à 122 contestations sans fondement au motif de non-concurrence jusqu'à la fin de 1996, ce qui est contraire à l'intention visée par la loi C-91. Voilà ma première recommandation.
Deuxièmement, l'Office de la propriété intellectuelle du Canada devrait revoir ses pratiques afin de contrer l'effet anticoncurrentiel de ce qu'on appelle dans le métier des brevets de blocage. À cette fin, il faudrait d'abord revoir les pratiques de l'office en ce qui touche ces brevets, réduire la période de renvoi pour les demandes de brevets et publier les politiques de l'office quant à la portée des demandes de brevets pour les inventions biotechnologiques. Voilà ma deuxième recommandation.
Ma troisième, c'est de créer un processus de contestation abordable comme celui qui existe en Europe.
Il importe aussi de s'assurer que les conditions s'appliquant aux brevets selon la loi actuelle s'appliquent aussi aux demandes de brevets en instance devant l'OPIC afin que tous les intervenants soient traités de la même façon. Voilà ma quatrième recommandation.
À la page suivante, je recommande de rétablir l'article 39.1 se rapportant aux pratiques de l'OPIC, de manière à avantager les sociétés biopharmaceutiques canadiennes. Mon document d'information donne plus de détails sur cette recommandation, sur laquelle je m'étends longuement dans le rapport préparé pour Industrie Canada. L'amendement à l'article 39.1, qu'on appelle parfois l'amendement Cangene, découle de la loi C-22.
Je recommande également de créer une loi canadienne sur les médicaments orphelins s'inspirant de la loi américaine afin de favoriser le développement de l'industrie biopharmaceutique canadienne. En outre, une telle loi présenterait des avantages additionnels dans des secteurs biochimiques agroalimentaires pointus comme les produits chimiques de nutrition, et je désire attirer votre attention là-dessus ce soir.
Ma recommandation suivante est de créer un organisme qui conseillera le ministre de l'Industrie sur l'impact de mesures protectionnistes étrangères sur l'industrie biopharmaceutique canadienne.
Je recommande aussi de permettre de fabriquer des produits pharmaceutiques encore couverts par un brevet au Canada pour les exporter vers des pays où ces brevets ont expiré ou ne sont pas en vigueur.
Enfin, je recommande que l'Office de la propriété intellectuelle du Canada série les demandes de brevets canadiens et que la DGPS fasse de même pour ce qui est des demandes de licences.
Parlons maintenant de la R-D. Bien que la R-D ne soit pas une question directement liée aux brevets, elle est au coeur des discussions pour de nombreuses raisons, et notamment parce que l'ACIM a pris des engagements officieux à cet égard.
J'estime que l'accord officiel conclu par le gouvernement en ce qui touche les investissements en R-D des entreprises multinationales étrangères a de graves répercussions dans l'ensemble du pays. La première de ces conséquences, c'est que l'indépendance des universitaires est compromise en raison du fait que l'industrie parraine la recherche dans les universités canadiennes. Voilà d'ailleurs un problème sérieux qui s'aggrave.
Le fait que les découvertes résultant de la recherche parrainée par l'industrie soient commercialisées à l'extérieur du pays constitue une perte pour l'économie canadienne.
Il faut aussi prendre en compte le fait que les régimes d'assurance-médicaments provinciaux sont empêchés de faire des économies lorsque les investissements de R-D servent à favoriser la promotion d'un produit commercialisé par une entreprise multinationale.
On utilise mal les investissements de R-D pour les essais cliniques dont l'objectif principal est d'amener les médecins canadiens à adopter un produit commercialisé par une entreprise multinationale.
À la dernière page de mon document d'information, je propose des solutions de rechange.
Je recommande aussi de créer un organisme fédéral quasi public financé à partir d'une très petite taxe imposée au secteur pharmaceutique, organisme qui serait dirigé par les meilleurs penseurs du domaine de la biotechnologie au Canada et dont le rôle serait de prendre des décisions indépendantes quant aux investissements de R-D présentant le plus grand potentiel commercial pour le Canada.
Je recommande de s'assurer que les crédits d'impôt de R-D accordés aux entreprises biopharmaceutiques canadiennes favorisent bien l'exploitation commerciale au Canada de produits biopharmaceutiques, et de veiller à ce qu'une part raisonnable de la propriété intellectuelle cédée à des entreprises étrangères profite aux contribuables canadiens.
Enfin, je recommande d'adopter la formule américaine, qui permet d'évaluer en fonction du revenu la valeur des transactions portant sur des biens incorporels, comme la propriété intellectuelle.
Voilà qui met fin à ma déclaration préliminaire, monsieur le président.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je vous remercie, monsieur Heller. Monsieur Brien.
[Français]
M. Pierre Brien: Merci de vos présentations. Je voudrais poser une question à M. Anderson au sujet des brevets perpétuels. Lorsqu'un produit ne présente pas une amélioration significative, normalement, le commissaire aux brevets ne doit pas octroyer de brevet. Est-ce que vous croyez qu'il y a des brevets qui sont octroyés et qui ne devraient pas l'être?
[Traduction]
M. Anderson: Pourriez-vous répéter la question?
[Français]
M. Pierre Brien: On parle de la reconduction perpétuelle du cycle de vie des brevets. Plusieurs personnes, comme vous, disent que des améliorations mineures peuvent être faites. Lorsqu'on obtient un nouveau brevet de cette façon, on prolonge un peu artificiellement la protection des brevets.
Cependant, le commissaire aux brevets doit s'assurer que le produit représente une amélioration significative avant d'accorder un brevet. Est-ce que vous pensez qu'il y a des brevets qui sont accordés et qui ne devraient pas l'être?
[Traduction]
M. Anderson: Je sais maintenant de quoi il s'agit.
Dans le cadre de l'étude que j'ai effectuée en collaboration avec l'Association canadienne des fabricants de produits pharmaceutiques, j'ai étudié la pratique qui consiste à demander un nouveau brevet au moment de l'expiration du brevet d'un médicament donné. Je crois que c'est la pratique à laquelle vous faites allusion.
Différents organismes ont étudié cette question. Il en a été question dans le Financial Times of Canada. D'autres gens ont fait un peu de recherche sur cette question. Le sujet a été traité dans certaines publications de nature commerciale, comme le SCRIP.
Notre étude sur la pérennisation des brevets était vraiment de nature exploratoire. Il s'agissait de comprendre la pratique. Nous nous sommes demandé quelle devrait être la durée d'un brevet et comment on pouvait recourir à des brevets multiples pour prolonger le cycle du produit.
Cette pratique est parfaitement légale si le brevet est accordé. Il n'y a eu aucun doute là-dessus. Mais dans certains cas, il semble qu'il soit possible de prolonger le cycle de vie des produits. Cette pratique permet d'accroître la période pendant laquelle un médicament breveté est protégé et diminue la capacité des fabricants de médicaments génériques de commercialiser ce produit.
[Français]
M. Pierre Brien: L'industrie générique a quand même l'option de copier le premier produit breveté. Par exemple, lorsque le produit A est remplacé par le produit B, qui présente une amélioration peu significative, l'industrie générique pourra copier le produit A lorsque son brevet arrivera à expiration au bout de 20 ans. Le consommateur va donc se retrouver en face d'une version générique d'un produit, qui est peut-être moins sophistiquée, mais qui a des effets bénéfiques. Si ce n'est pas le cas, ce sera parce que l'autre produit a des vertus thérapeutiques sensiblement différentes.
Donc, l'industrie générique peut toujours copier le premier brevet, mais peut-être pas le deuxième, dont les dosages sont différents, etc. Donc, il y a quand même possibilité de copier le premier produit aussitôt que le brevet vient à échéance.
[Traduction]
M. Anderson: C'est vrai, mais je ne dirais pas qu'ils sont moins complexes. Il faut qu'ils correspondent aux exigences en matière de sécurité et d'efficacité tant au niveau fédéral qu'au niveau provincial.
[Français]
M. Pierre Brien: J'aimerais bien comprendre en quoi consiste votre autre étude sur les répercussions économiques. Vous dites qu'elle s'intitule «Les répercussions économiques du projet de loi C-91 sur le coût des produits pharmaceutiques au Canada». Il ne s'agit pas de l'impact sur les coûts du système de santé.
[Traduction]
M. Anderson: C'est le coût des produits pharmaceutiques. On présume que cela a un impact sur le régime des soins de santé.
[Français]
M. Pierre Brien: Dans le cadre de votre étude, avez-vous songé à analyser l'impact du fait qu'un médicament peut venir remplacer un traitement alternatif? Par exemple, je peux rester à la maison avec un traitement sous médicament, alors que par le passé, j'aurais été hospitalisé pour être soigné pour la même maladie. On réalise donc des économies. On peut même économiser de l'argent grâce à de nouveaux médicaments. Avez-vous évalué cet aspect-là?
[Traduction]
M. Anderson: Nous n'avons pas tenu compte de ce facteur dans notre analyse, mais je crois que personne ne contestera le fait que les médicaments réduisent les dépenses de santé dans la mesure où les gens n'ont pas à être hospitalisés. C'est un fait bien connu, qui dépasse cependant le cadre de cette étude.
[Français]
M. Pierre Brien: Monsieur Tyrrell, de l'Université de l'Alberta, vous avez énuméré neuf recommandations. Vous dites qu'on devrait continuer de demander aux compagnies pharmaceutiques de s'engager à investir 10 p. 100 de leurs ventes en recherche et développement. Dans la mesure où on donnerait une protection qui s'aligne davantage sur les standards internationaux, donc une protection effective plus longue, est-ce qu'on serait en mesure de s'attendre à ce que la proportion des ventes qui est investie en recherche et développement soit comparable à ce qui se fait ailleurs, c'est-à-dire plus de 10 p. 100?
Est-ce qu'on pourrait demander de nouveaux engagements plus élevés si la protection effective accordée était plus près des standards internationaux?
[Traduction]
Dr Tyrrell: Je crois comprendre que la protection qui est accordée au Canada se compare à celle qui est accordée à l'échelle internationale, mais je ne suis pas sûr... Je sais que les personnes avec lesquelles j'ai discuté de la question dans d'autres pays se sont dites impressionnées du fait que le Canada a pu obtenir qu'une certaine partie des ventes de l'industrie pharmaceutique soit consacrée à la recherche. Je crois donc que nous nous en sommes bien tirés à cet égard, du moins pour ce qui est du pourcentage établi.
Certains voudraient évidemment qu'on consacre davantage à la recherche fondamentale, et je les appuie, pourvu qu'on puisse trouver les moyens de le faire.
[Français]
M. Pierre Brien: Est-ce que vous souhaitez qu'on soit plus spécifique dans les engagements par rapport à la recherche fondamentale?
[Traduction]
Dr Tyrrell: Je pense que nous pourrions être plus précis. Je crois que le Conseil de recherches médicales du Canada est un excellent exemple d'un organisme qui mène des activités scientifiques de haut calibre au pays. Une part des fonds accordés par l'industrie sont réinvestis par l'intermédiaire du CRM et de l'ACIM, et on a vu dernièrement que des fonds ont aussi été alloués à la formation de jeunes scientifiques. J'aimerais que ce genre de soutien augmente.
Bon nombre des gens qui sont formés à l'université aboutissent dans l'industrie, et j'aimerais que par l'intermédiaire du CRM on appuie davantage les scientifiques, les chercheurs et les étudiants.
[Français]
M. Pierre Brien: Monsieur Heller, vous dites qu'on devrait permettre aux compagnies génériques d'exporter leurs produits là où les brevets sont expirés ou dans des marchés où les brevets ne s'appliquent pas. Certaines gens croient qu'une telle pratique commerciale nous exposerait à une certaine forme de représailles. En agissant de cette façon, risquons-nous de subir des représailles dans d'autres secteurs?
[Traduction]
M. Heller: Il est possible qu'il y ait des répercussions et des menaces dans d'autres secteurs. On ne peut pas le prédire. Cela pourrait avoir une dimension politique. Ainsi, dans le cadre de l'ALENA, on pourrait être menacé de représailles par les États-Unis dans le secteur agricole si nous adoptions cette disposition, mais est-ce bien une raison pour ne pas le faire? La recommandation que je formule n'est-elle pas juste en soi? L'ALENA ne prévoit-il pas d'ailleurs des recours si on nous menaçait de représailles dans d'autres secteurs?
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Schmidt.
M. Werner Schmidt: Merci, monsieur le président. J'aimerais faire un lien entre les deux domaines.
Tout d'abord, monsieur Heller, vous dites dans votre mémoire que l'accord informel du gouvernement canadien en matière de R-D a pour effet de compromettre l'indépendance des professeurs d'université, car nous comptons sur l'aide des entreprises. D'ailleurs, le dr Tyrrell indique que le partenariat CRM-ACIM continue.
Je constate que nous avons ici un groupe de chercheurs universitaires, et vous nous dites que cela signifie que l'université ne peut pas faire de recherche indépendante, que son indépendance est menacée. Les deux témoins peuvent-ils nous dire ce qu'ils pensent de cette observation?
Dr Tyrrell: Avec plaisir. N'allez pas penser que j'ai voulu dire qu'il s'agisse d'un substitut à la recherche fondamentale et à la liberté de penser qui doivent caractériser les universités, mais ce type de recherche doit être essentiellement financé par le gouvernement.
Bon nombre de découvertes faites dans les universités peuvent avoir des retombées dans le secteur de la biotechnologie et y être développées, et l'on ne peut pas le faire par le truchement des organismes nationaux de financement. Cela nécessite beaucoup d'investissements et de fonds de développement susceptibles de provenir de ce partenariat avec l'ACIM.
À mon avis, il est extrêmement important de développer une industrie canadienne dans ce domaine. Lorsque nous avons fait notre découverte initiale, je me suis efforcé de trouver une société canadienne qui serait notre partenaire, mais en vain. En 1986, nous n'avons pas pu trouver de partenaire au Canada. J'ai contacté la société Connaught, mais elle était engagée dans une vente importante.
J'aurai pu aller en Suède et choisir quatre compagnies pharmaceutiques importantes dans un pays de 7 millions d'habitants, un pays socialisant qui s'occupe autant que possible du bien-être de sa population mais où la protection des brevets existe depuis toutes ces années et a permis à ces entreprises de se développer. J'aurai pu aller en Suisse et voir six sociétés. Nous avons fini par nous associer à une multinationale.
Mais telle était la réalité en 1986. Aujourd'hui, je pourrais trouver au Canada plusieurs sociétés biotechnologiques qui affronteraient cette industrie et accepteraient un projet comme celui-ci. Le Canada a beaucoup progressé dans le domaine de la biotechnologie, ce qui nous donne maintenant cette possibilité.
Je pense qu'il est très important que les universités et l'industrie collaborent, mais j'insiste également sur le fait qu'il doit y avoir un certain contrôle. Les universités doivent demeurer indépendantes en matière de recherche fondamentale. Je suis tout à fait d'accord là-dessus. Nous craignons qu'à cause de la réduction des fonds consacrés à la recherche fondamentale, les gens soient obligés d'établir des partenariats avec l'industrie. Je ne le souhaite pas. Je voudrais que les universités et l'industrie forment des partenariats mutuellement avantageux.
M. Heller: Je suis entièrement d'accord. L'ACIM finance les universités par l'entremise du CRM, et à cet égard, le financement est indépendant par rapport à l'industrie. Par conséquent, on respecte l'intégrité et l'indépendance des universités.
La proposition que je vous ai faite est une solution de rechange. Je ne suggère pas que l'on mette fin au rôle du CRM. Je pense qu'il faudrait le maintenir et même le développer, mais je crois qu'il existe une solution de rechange qui pourrait aussi accélérer la commercialisation d'une recherche fondamentale prometteuse dans toutes les régions du pays. J'en parle abondamment dans mon long rapport à Industrie Canada. Il s'agit d'une idée qui a d'abord été proposée dans un article théorique de Paul Romer, l'un des économistes canadiens les mieux connus sur la scène internationale.
Je ne pense donc pas qu'il existe un désaccord fondamental entre nous sur cette question.
M. Werner Schmidt: Je vous remercie pour les éclaircissements.
Le rapport entre le Conseil de recherche médicale et l'ACIM est un partenariat raisonnable. Mais que dire du partenariat ou du partenariat qui pourrait éventuellement exister entre les fabricants de médicaments canadiens pour produire des génériques? Cela fonctionnerait-il aussi?
Dr Tyrrell: Je crois que ce serait possible. En 1992, lorsque je comparaissais devant le comité au sujet du projet de loi C-91, on craignait sérieusement que les génériques ne disparaissent. En fait, les fabricants de médicaments génériques se sont hissés au deuxième ou au troisième rang parmi les grandes sociétés canadiennes. Ils n'ont aucune obligation de réinvestir dans la recherche. Nous pourrions en dire autant de certains autres secteurs, notamment ceux des hanches et des valvules artificielles. Il y a beaucoup de secteurs auxquels on pourrait demander de réinvestir un pourcentage de leurs bénéfices dans la recherche... et non pas seulement les compagnies membres de l'ACIM.
M. Werner Schmidt: Monsieur le président, cela m'amène à mes deux dernières questions. Elles portent sur le développement de la biopharmacologie, nouveau domaine de la biotechnologie, qui n'intéresse pas vraiment l'ACIM et ainsi de suite. C'est donc un autre élément que vous avez présenté.
S'il faut rectifier le projet de loi C-91, il va falloir envisager un chevauchement à mesure que ce nouveau domaine va se développer. Comment rédiger la loi en tenant compte de ce domaine qui émerge? Comment éviter de compromettre les innovations et les nouvelles découvertes qui pourraient être plus économiques que celles d'aujourd'hui?
M. Heller: Je pense que le gouvernement fédéral doit faire preuve d'une vigilance accrue dans ce domaine. J'ai fait quelques recommandations en matière de stratégie. Je pense que l'on pourrait en faire plus. Je partage l'idée selon laquelle les fabricants de médicaments génériques doivent se conformer à des règles semblables à celles qui visent les sociétés membres de l'ACIM. En tout cas, ils s'orientent dans cette voie. Par exemple, la société Apotex consacre actuellement de 55 à 60 millions de dollars par an à la recherche et au développement dans notre pays. Elle se classe ainsi au 20e rang parmi les entreprises qui dépensent le plus en R-D au Canada, tous secteurs confondus. À cet égard, elle n'a rien à envier aux principales sociétés de l'ACIM.
Je suis allé à Winnipeg visiter Cangene, qui s'appelait auparavant Rh Pharmaceuticals Company, Apotex Fermentation, Novopharm et Biotex, qui sont tous des fabricants de produits biopharmaceutiques génériques et qui se tournent résolument vers l'innovation.
Je suis également membre du Bureau de l'initiative biotechnologique de Toronto, qui est un autre réseau de sociétés biotechnologiques torontoises. Je sais que les petites sociétés biotechnologiques canadiennes ont la possibilité de former des alliances stratégiques avec les grands producteurs de produits génériques.
Nous pourrions créer nos propres sociétés multinationales appartenant à des Canadiens avec une petite aide de la part du gouvernement fédéral. Les conditions sont propices. Le régime d'octroi obligatoire de licences que nous avons depuis 25 ans nous a mis sur la bonne voie, mais il faut l'améliorer davantage. Nous commettrions une erreur monumentale en abandonnant l'industrie canadienne des produits génériques et biotechnologiques à la concurrence mondiale sans la protéger et l'alimenter davantage.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup.
Merci, monsieur Schmidt. Monsieur Patry.
M. Bernard Patry: Merci. Je parlerai maintenant en anglais.
Dr Anderson, ma question porte sur votre étude. Je ne la comprends pas très bien et j'aimerais que vous nous fournissiez quelques éclaircissements.
Dans votre étude, vous dites que vos produits connaissent une croissance globale de 7 p. 100, et vous semblez ne pas prendre en considération le cycle de vie de vos produits. Vous tenez pour acquis que la vente d'un produit ne décline jamais. De plus, vos prévisions portent sur une période de 20 ans. Peuvent-elles être fiables quand vous voyez si loin? C'est ma première question.
M. Anderson: Les taux de croissance sont fondés sur les données de l'industrie pour les années 90. Voilà l'origine des chiffres.
Vous avez raison. Normalement, le cycle de vie d'un produit a une fin. Mais vous constaterez que dans l'industrie des médicaments, les produits durent éternellement.
Faire des prévisions sur 20 ans est l'une des choses les plus difficiles à faire. C'est peut-être pour cette raison que d'autres groupes n'ont pas fait une étude de ce genre. Plus la période de prévision est longue, plus il est difficile d'obtenir des estimations fiables et plus vous devez formuler d'hypothèses. Cependant, la difficulté ne devrait pas nous empêcher d'essayer au moins de faire quelque chose, surtout si la loi stipule que les brevets doivent être protégés pendant 20 ans. Compte tenu de ce délai, sur quelle base devrait-on calculer les coûts? C'est l'une des raisons pour lesquelles nos prévisions portent si loin.
En outre, l'élimination de l'homologation obligatoire signifie que le coût du projet de loi C-91 sera plus élevé à plus long terme qu'au cours des prochaines années, car il n'y aura pas autant de produits génériques sur le marché.
M. Bernard Patry: Très bien.
J'ai une deuxième question, monsieur le président.
Votre étude est fondée sur l'hypothèse selon laquelle tous les produits pharmaceutiques sur le marché finiront par avoir des versions génériques ou par être copiés. Même si cela est pratiquement vrai aux États-Unis, où les versions génériques apparaissent très rapidement, au Canada, moins de 10 p. 100 de tous les produits admissibles ont traditionnellement des versions génériques. Pourquoi présumez-vous dans votre étude que tous les produits seront copiés, alors que le taux de reproduction est inférieur à 10 p. 100 au Canada?
M. Anderson: Comme je l'ai dit, nous avons formulé un certain nombre d'hypothèses, et c'en est une. Les hypothèses ont des avantages et des inconvénients. Nous avons maintenu celle-là parce que le modèle devenait assez compliqué de toutes les façons.
Le facteur dont nous n'avons pas tenu compte est celui du vieillissement de la population. Nous n'avons pas non plus tenu compte de certains produits qui sont apparus sur le registre des brevets qui ne figuraient pas dans les données de l'IMS. Il y en avait 49, je pense. En outre, nous avons fait abstraction de certains produits faisant encore l'objet de brevets, et de procédés n'apparaissant pas au registre des brevets.
Par conséquent, c'était assez compliqué. D'une part, l'on pourrait dire que les chiffres semblent un peu exagérés, mais d'autre part, nous n'avons pas pris d'autres facteurs en considération non plus. C'était simplement pour éviter que la complexité devienne accablante.
M. Bernard Patry: Voici ma dernière question, monsieur le président.
Je ne sais pas si vous allez me donner la même réponse, mais dans votre étude, vous avez parlé des cinq années de prorogation des brevets. Vous semblez l'appliquer à tous les produits. Nous savons que la prorogation ne vise pas tous les produits. Elle vise uniquement quelques produits qui ont fait l'objet d'un examen réglementaire très long.
Pouvez-vous m'expliquer pourquoi? Allez-vous me donner la même réponse?
M. Anderson: Non; en fait, nous n'avons pas considéré cela comme le rétablissement de la protection du brevet. Je pense qu'il n'en est question nulle part dans notre mémoire. Nous n'avons parlé que d'une extension de cinq ans.
Nous avons examiné les deux côtés de la médaille, je suppose. D'une part, nous avons examiné la question dans l'éventualité où le projet de loi C-22 prévoyait l'enregistrement obligatoire de sept à 10 ans, et, d'autre part, l'éventualité d'une prorogation de la protection de 20 à 25 ans. Nous n'avons jamais dit qu'il s'agissait d'un rétablissement de la protection du brevet.
M. Bernard Patry: Je vous remercie, monsieur le président.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Volpe.
M. Joseph Volpe: Merci, monsieur le président.
Ma question s'adresse à tous les témoins, si je peux obtenir leur attention pendant toute la période que le président voudra bien m'allouer. Commençons par M. Heller.
Votre première observation me semble particulièrement intéressante; vous avez dit que, pour maximiser les bénéfices d'une société, il importe davantage d'être le premier sur le marché que d'obtenir une protection de la propriété intellectuelle. Depuis longtemps, nous parlons de la protection des brevets, et je pense que vous êtes le premier à affirmer que cela est plus important que la protection des brevets. En fait, c'est une position directement contraire à celle de M. Tyrrell, qui a parlé avant vous ce soir.
Mon intention n'est pas de vous critiquer, mais c'est vous qui êtes là ce soir.
Vous m'avez fait penser à l'étude du CEPMB selon laquelle 4,2 p. 100 seulement de tous les médicaments sur le marché sont brevetés, mais ils représentent à peu près 45 p. 100 de l'ensemble des coûts de médicaments au pays. À part l'étude que j'ai mentionnée, quelles autres études vous emmènent à cette conclusion?
M. Heller: Il y a des études sur l'importance de la protection des brevets dans divers secteurs axés sur les connaissances, y compris le secteur pharmaceutique, les technologies de l'information, l'industrie aéronautique et ainsi de suite, où l'on a effectivement envisagé diverses stratégies pour accroître la rentabilité. On a comparé la protection des brevets à des facteurs comme l'accès au marché en premier. L'une de ces études est mentionnée dans le document volumineux. Je le sais car j'en ai fait part aux fonctionnaires d'Industrie Canada.
M. Joseph Volpe: Les sociétés ont-elles décidé de commercialiser leurs produits la première fois sans brevet ou avec des brevets limités pour éviter l'examen du CEPMB, entre autres raisons?
M. Heller: Soyons précis. Les entreprises essaient d'accaparer la plus grande part de marché possible. Le premier qui offre un nouveau médicament ou un nouveau produit sur le marché, surtout dans le domaine de la santé, attire l'attention des médecins et les amène à utiliser ses produits. Quand le suivant arrive, même si ce n'est qu'un an et demi après, les médecins sont déjà habitués à utiliser le produit en question. Il est alors particulièrement difficile pour la seconde compagnie de les faire changer.
Ainsi donc, la protection des brevets est importante, mais le fait d'être le premier sur le marché est considéré comme étant encore plus important dans ces études.
Si vous êtes intéressés, je peux vous envoyer un exemplaire de l'étude qui en vient à cette conclusion.
M. Joseph Volpe: Étant donné que vous avez parlé des études au pluriel, je me suis dit qu'il y en avait plus qu'une, et évidemment, qu'elles n'étaient pas fallacieuses...
M. Heller: Non, elles ne le sont pas. Elles ont été publiées dans des revues faisant l'objet d'un examen par des pairs.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je voudrais faire une observation relative à votre dernière déclaration, monsieur Volpe.
M. Volpe: D'accord.
Dr Tyrrell: Permettez-moi d'intervenir là-dessus. Je ne suis pas d'accord sur le fait que l'accès au marché en premier est nécessairement le facteur le plus important. Je pense qu'il y a eu des cas où l'accès au marché en premier a entraîné le développement de nouveaux médicaments brevetés qui ont connu un succès beaucoup plus important. Le meilleur exemple est peut-être celui de Tagamet, qui a été le premier médicament sur le marché des inhibiteurs des récepteurs H2 bloquants, utilisés dans le traitement des ulcères. Il a été rapidement remplacé par le Zantac, puis par d'autres médicaments. Mais c'est le Zantac qui a eu les meilleurs résultats.
Ainsi donc, si l'on peut l'améliorer et en faire un médicament plus efficace et ayant moins d'effets secondaires... Et j'ajouterais que, à mesure que les patients s'informent de ce qui se passe, ils vont aux renseignements et recueillent beaucoup plus d'informations qu'auparavant. Je soigne des sidatiques qui sont au courant des plus récentes informations sur le sida et sur les médicaments connexes. Il n'est plus si important d'être le premier sur le marché; le plus important est d'avoir le meilleur médicament.
M. Joseph Volpe: Docteur, je pense que c'est Robyn Tamblyn, qui a déjà comparu devant ce comité et devant le Comité de la santé auparavant, qui a affirmé que l'ignorance des malades et des consommateurs, ainsi que la négligence dans la prescription - je pense que le dernier exemple nous en a été donné par les sociétés de l'ACIM, de l'ACFPP et ainsi de suite - sont à l'origine de bien des abus graves et de la mauvaise utilisation des médicaments, ce qui annule probablement certains des avantages que vous mentionnés. Je ne veux pas les minimiser, mais...
Dr Tyrrell: Je pense qu'il y a eu quelques abus. Le problème le plus grave que nous ayons eu est celui de la polypharmacie chez les personnes âgées, et c'est un domaine où il est évident que nous n'avons pas été prudents dans l'utilisation des médicaments. Je puis cependant vous citer de nombreux cas où les malades deviennent très informés et acquièrent des connaissances considérables qui leur permettent d'évaluer de façon beaucoup plus critique les médicaments qu'ils consomment.
M. Joseph Volpe: Je passe à ma deuxième question à l'intention de M. Heller. Vous aurez peut-être des observations à faire en cette matière aussi, car elle concerne précisément la politique canadienne et certaines conséquences que M. Heller mentionne dans les pages suivantes.
Il fait allusion à une société biopharmaceutique de Montréal. On commence par certaines entreprises qui prétendent avoir découvert le 3TC. J'utilise le verbe «prétendent» parce que, dans sa littérature, la société qui commercialise le produit prétend l'avoir découvert de concert avec beaucoup d'autres intervenants. Quoi qu'il en soit, ce sont ces derniers qui font le travail, ce qui fait perdre au Canada d'importants emplois et des entreprises de fabrication de produits biopharmaceutiques.
Je me demande si le maintien de la protection des brevets, car je soupçonne que M. Heller va dire quelque chose de différent, va encourager les gens qui profitent de l'infrastructure canadienne en matière de R-D - on prévoit dépenser dans ce domaine 800 millions de dollars d'ici l'an 2000 - en plus de tous les fonds investis par les gouvernements canadiens en matière de R-D dans les universités et... va entraîner des situations comme celle-ci où les gens qui réussissent à s'associer à un petit innovateur, vont chercher une entreprise de développement à l'étranger et transférer ainsi le savoir-faire canadien, innovation canadienne et même les emplois canadiens en R-D, en fabrication, en distribution et en exportation vers d'autres régions du monde.
Dr Tyrrell: Je signale simplement que depuis l'adoption du projet de loi C-91, les compagnies pharmaceutiques multinationales qui fabriquent des médicaments au Canada vendent beaucoup de leurs produits à l'étranger. Certaines de leurs activités de fabrication, d'emballage et de vente se produisent directement à partir du Canada; par conséquent, ça marche dans les deux sens.
M. Joseph Volpe: Je reconnais qu'une partie de ces activités...
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Volpe, pourriez-vous conclure?
M. Joseph Volpe: En examinant ces... [Difficulté technique]. C'est la première fois que le comité entend parler des avantages et des inconvénients du secteur biopharmaceutique. D'autres témoins, même lorsque M. White et son groupe ont comparu devant nous auparavant, ont affirmé que le déficit commercial augmente, malgré les aspects positifs que vous avez mentionnés. Le déficit commercial en matière pharmaceutique et biopharmaceutique va augmenter si nous maintenons le statu quo.
Vous avez défendu le statu quo. Franchement, je ne comprenais pas très bien au début, car je vous ai entendu dire que la R-D scientifique de base doit être effectuée par le CRM, ou surtout par l'entremise du CRM, avec l'appui du gouvernement, et vous avez déclaré catégoriquement que nous devons maintenir un partenariat avec l'ACIM, partenariat que certains de vos collègues jugent néfaste tandis que d'autres estiment qu'il empêche la recherche universitaire dans la mesure où il l'oriente. Cela enlève aux universitaires la liberté de faire ce qu'ils ont besoin de faire, même s'ils acceptent volontiers l'argent, et Dieu sait qu'ils en ont besoin.
Dr Tyrrell: Je signale que mon université reçoit trois subventions importantes de l'ACIM, et nous avons 150 chercheurs. Je ne pense donc pas que l'ACIM a contaminé ce groupe. Nous avons la possibilité de voir dans quel domaine nous pouvons promouvoir le développement et...
M. Joseph Volpe: J'ai parlé d'orientation et non pas de contamination.
Dr Tyrrell: D'accord. Les universités s'orientent vers le développement, et elles le font grâce à l'ACIM.
Quant au nombre de subventions provenant de l'ACIM, il n'en a pas beaucoup. Elles visent souvent des domaines précis. Bon nombre de scientifiques faisant de la recherche fondamentale n'ont pas la possibilité de demander l'aide de l'ACIM. Mais si l'occasion se présente, le Canada doit en profiter.
M. Joseph Volpe: Ne laissez jamais d'argent sur la table.
M. Heller: Il y a cependant un fait indéniable. La recherche fondamentale financée par l'industrie appartient à cette dernière. Par conséquent, s'il s'agit d'une multinationale étrangère, le droit de premier refus d'une propriété intellectuelle provenant de cette recherche appartient à cette société, et si cette propriété est commercialisée, il est fort probable qu'elle le soit dans le pays d'origine de la société, et non pas au Canada.
C'est pourquoi je propose de modifier la façon dont on traite la recherche et le développement et les crédits d'impôt connexes au Canada. Dans mon mémoire, je dis que la population canadienne sera trois fois lésée si ces modifications ne sont pas faites.
Les travaux de recherche et le développement qui mènent à la création de cette propriété intellectuelle sont financés grâce aux crédits d'impôt pour la R-D octroyés par le contribuable canadien. Cela entraîne un manque à gagner en recettes fiscales.
Si la société transfère cette propriété intellectuelle à son siège social, le contribuable canadien perd une deuxième fois si le prix de transfert est insignifiant.
Troisièmement, si la propriété intellectuelle devient un produit fini qui a beaucoup de valeur et qui est revendue au pays, nous devons le payer au prix fort. Par conséquent, nous perdons une troisième fois.
Dans mon mémoire, j'ai décrit entièrement ce processus, et je vous invite à le lire attentivement.
M. Joseph Volpe: Avez-vous distribué ce document?
M. Heller: Oui, il s'agit du mémoire de 20 pages intitulé Positioning Canada's Biopharmaceutical Sector for the Millennium: An Update on Intellectual Property and Competitiveness Issues.
Le vice-président (M. Walt Lastewka): Nous allons le faire distribuer. Merci, monsieur Volpe.
Je tiens à remercier tout le monde, les témoins, le personnel, les interprètes et tous ceux qui ont été très patients aujourd'hui et qui nous ont aidés à mener à bien nos délibérations.
Maintenant, je déclare la séance levée. Nous poursuivrons nos délibérations le mercredi 9 avril 1997, à 15 h 30, dans la salle 253-D.
CHAMBRE DES COMMUNES DU CANADA
35e LÉGISLATURE, 2e SESSION
TÉMOIGNAGES
Comité permanentde l'
INDUSTRIE
Vice-président: Walt Lastewka, Lib.
Séance no 60
Le mardi 8 avril 1997
ORDRE DU JOUR:
Examen de l'article 14 de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets (chapitre 2, Lois du Canada 1993)
TÉMOINS:
:
:
:
:
:
:
:
:
:
:
M. Ronald Slaght (Lenczner Slaght Royce Smith Griffin): Oui.
M. Jon R. Johnson (Goodman Phillips & Vineberg): Monsieur le président, nous avons remis notre document à la greffière. Nous y faisons allusion à certaines dispositions de l'Accord de libre-échange nord-américain, de l'accord ADPIC de l'OMC et de certains cas. J'en ai ici le texte qui pourrait peut-être vous être utile.
M. Michael Halewood (représentant, Law Union of Ontario): Bonsoir. Je fais partie de la Law Union of Ontario. Le mémoire que je vous ai remis, comme l'indique son titre, porte sur le fait que notre groupe estime que le gouvernement pourrait adopter un projet de loi qui pourrait assurer un certain degré d'«exploitation locale» des brevets au Canada ainsi que la concession de licences obligatoires de brevet au Canada.
M. Peter Martin (associé, McCarthy Tétrault, avocats): Merci, monsieur le président. Je vous remercie de cette occasion de comparaître devant le comité. J'ai préparé un document qui, si je ne m'abuse, a été distribué aux députés. Je n'ai pas l'intention de tout le lire, même s'il n'est pas particulièrement long.
M. Tim Gilbert (Lenczner Slaght Royce Smith Griffin): Oui, cela modifierait la procédure de la réglementation actuelle. On se retrouverait dans le domaine de la procédure civile habituelle où c'est au plaignant de faire la démonstration de son grief. En l'occurrence, ce serait au titulaire de brevet de démontrer la contrefaçon. Encore une fois, c'est la règle commune au Canada pour tous les différends. L'anomalie dans ce cas, c'est la raison de l'anomalie de cette règle spéciale qui impose cette responsabilité au défendeur? Je ne la comprends pas.
M. Bernard Patry (Pierrefonds - Dollard, Lib.): Merci, monsieur le président.
M. James Rycroft (secrétaire de la coordination, Comité des programmes pour aîné(e)s et des services aux anciens combattants, Légion royale canadienne): Merci, monsieur le président.
M. Pierre Paquette (secrétaire général de la Confédération des syndicats nationaux): Bonjour. Je vous présente Mme Andrée Lapierre, qui est conseillère syndicale et qui pourra aussi participer au débat.
M. David Orchard (président, Citizens Concerned About Free Trade): Merci, monsieur le président.
Mme Kathleen Connors (présidente, Fédération nationale des syndicats d'infirmières et d'infirmiers): Merci, monsieur le président. Notre fédération représente actuellement environ 47 000 infirmiers et infirmières membres de six syndicats infirmiers au Canada. Nos adhérents sont des infirmiers et des infirmières canadiens syndiqués qui travaillent sur la ligne de front dans le domaine des soins de santé, notamment dans les services de soins intensifs et de soins de longue durée, dans les foyers pour personnes handicapées et pour personnes âgées, auprès de la communauté en tant qu'infirmiers de santé publique et pour fournir des soins à domicile. Nos membres soignent des Autochtones, des membres des forces armées, des anciens combattants et des détenus.
M. Bob White (Congrès du travail du Canada): Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés. Je vous remercie de votre attention, même s'il est assez tard.
M. Michael McBane (coordonnateur, Coalition canadienne de la santé): La raison pour laquelle nous proposons une vérification indépendante du conseil, c'est que nous croyons que le public n'a pas du tout confiance dans les chiffres et dans les rapports présentés par le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés, tout particulièrement dans le rapport déposé auprès de ce comité dans lequel il prétend qu'il fait économiser des milliards de dollars.
Mme Andrée Lapierre (conseillère syndicale, service de la recherche, Confédération des syndicats nationaux): On souhaite effectivement davantage. En fait, l'industrie en général a investi dans des fonds de recherche et développement. Le problème, c'est ce qu'on ne connaît pas exactement l'encadrement ou la gestion de cette chose.
Mme Cindy Wiggins (recherchiste principale, Congrès du travail du Canada): Comme on vous l'a déjà dit, les règlements garantissent pratiquement aux fabricants de médicaments de marque une prolongation automatique de 30 mois de leurs brevets, et parfois plus dans certains cas. Il s'agit là, tout compte fait, d'une façon de miner la viabilité du secteur des médicaments génériques au Canada.
Dr Lorne J. Tyrrell (Faculté de médecine et des sciences de la santé dentaire, Université de l'Alberta): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. Je suis heureux de comparaître devant le Comité permanent de l'industrie dans le cadre de sa révision de la loi C-91.
M. Malcolm Anderson (associé principal, Service de recherche sur les politiques en matière de santé, Université Queen's): Je vous remercie beaucoup.
M. James G. Heller (JGH Consulting Inc.): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.