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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 10 avril 1997

.1037

[Traduction]

Le vice-président (M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.)): Mesdames et messieurs, la séance est ouverte.

Il s'agit de l'examen, conformément à l'article 108(2) du Règlement, de l'article 14 de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets, Chapitre 2, Lois du Canada 1993.

Aujourd'hui, mesdames et messieurs, nous nous réunissions dans le cadre d'une table ronde, sous la férule de l'animateur qui m'a été adjoint, M. David Vaver, professeur à la Faculté de droit Osgoode Hall. Nous accueillons également Me Emma Grell, du cabinet Gowling, Strathy et Henderson, ainsi que Me Edward Hore, du cabinet Hazzard et Hore.

Voici comment nous allons procéder. M. Vaver présentera le sujet et nous en exposera certains aspects. Puis, nos deux autres experts auront la possibilité de présenter leurs observations. Dans les deux cas, l'intervention sera limitée à 10 minutes. Si cela nous paraît nécessaire, monsieur l'animateur, nous solliciterons des éclaircissements sur tel ou tel point.

Une fois que les divers avis auront été exprimés, nous passerons aux questions. Chaque parti posera une question à tour de rôle, et nous tenterons, dans le cadre de cette table ronde, d'examiner autant d'aspects de la question que nous le pourrons. Il s'agit bien d'une table ronde et nous sommes essentiellement ici pour débattre, poser des questions, obtenir des réponses et émettre des opinions.

Monsieur, je vais maintenant vous demander de commencer.

M. David Vaver (professeur, Osgoode Hall Law School, Toronto): Merci, monsieur.

Puis-je vous demander de passer à la page 2 du document intitulé «Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), 10 avril 1997». Je me propose d'exposer rapidement cette première partie afin de présenter le règlement en question.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Est-ce que tout le monde a ce document, afin que nous soyons au diapason?

Me Edward Hore (avocat, Hazzard and Hore): Peut-être devrais-je dès maintenant préciser quelle est ma position.

Je m'appelle Edward Hore. Dans le cadre de cette table ronde, je représente en fait l'industrie du médicament générique. Depuis que ce document a été diffusé sous sa forme préliminaire - et je précise que ce n'est qu'hier que nous avons eu connaissance du document sous sa forme finale, ayant eu communication d'une version antérieure lundi à 17 h - nous n'avons cessé de soutenir que ce document est superflu et, à maints égards, trompeur. D'après nous, il ne permet guère de faire avancer le débat.

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Nous comprenons les besoins du comité, à qui il faut bien un point de départ, mais, dans ce document, beaucoup de points sont présentés comme des faits alors que, d'après nous, rien n'est moins certain. Ce document risque de donner la fausse impression que certaines des affirmations qu'il contient ne sont pas contestées alors qu'elles le sont, au contraire.

Nous émettons donc à l'égard de ces documents, bon nombre de réserves. Nous sommes également très préoccupés par les mesures qu'il semble proposer, car il donne l'impression qu'il y aurait simplement lieu de faire un peu de bricolage et de n'apporter au Règlement que de légers changements et...

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Maître Hore, je comprends fort bien ce que vous venez de nous dire. N'oubliez pas, cependant, qu'il s'agit ici d'une table ronde et que le but d'une table ronde est, justement, de débattre d'une question. Si, donc, il y a des points qui, selon vous, appellent des commentaires, vous aurez l'occasion de les faire.

Me Hore: Monsieur le président, je tenais simplement à faire clairement savoir que nous récusons ce document. D'après nous, il n'expose peut-être pas de manière entièrement objective les diverses questions qui se posent en l'occurrence - pas du tout même.

Ce document semble avoir été rédigé à la va-vite. Il ne nous a été communiqué qu'hier, en milieu d'après-midi. D'après nous, il s'agit tout simplement d'un exposé écrit transmis par je ne sais qui au comité. Nous ne savons effectivement pas qui l'a rédigé.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Bon.

Poursuivons. Nous sommes, je crois, d'accord pour participer à une table ronde et le but de cette table ronde est de débattre des diverses questions qui se posent. Je demande donc à M. Vaver de reprendre.

M. Vaver: Je voudrais commenter les pages 2, 3 et 4 et expliquer pourquoi ce règlement a été adopté et où se situe le débat. Peut-être devrais-je commencer par une rapide lecture des pages 2, 3 et 4. Je passerai ensuite la parole à Mes Grell et Hore.

Lorsqu'il est question, à la page 2, des exceptions à la contrefaçon de brevet en matière d'approbation réglementaire et d'emmagasinage, il s'agit essentiellement d'une sorte d'historique du règlement. Personne n'ignore qu'un brevet c'est le droit, conféré par le gouvernement, d'empêcher les autres de fabriquer, d'utiliser ou de vendre une invention.

Le projet de loi C-91 prévoit deux exceptions à la contrefaçon des brevets, ce qui permet à un fabricant de médicaments génériques d'utiliser un produit en vue d'obtenir l'approbation réglementaire, et de fabriquer le produit afin d'en constituer des stocks six mois avant l'expiration du brevet. Ces dispositions ont eu pour effet d'éliminer certains des droits des titulaires de brevet en matière d'action en contrefaçon.

Je reconnais que certains n'accepteront pas les arguments avancés pour justifier ce règlement, mais entendons-nous pour dire qu'il s'agit d'un document public qui tente d'expliquer l'objet du règlement.

Selon le résumé de l'étude d'impact de la réglementation:

Le règlement a donc été adopté afin d'empêcher les contrefaçons de brevet, en liant l'émission d'un avis de conformité pour un produit générique au brevet correspondant au médicament.

Les pages 3 et 4 sont essentiellement un résumé du règlement. Je pense qu'il convient de tenir compte de cela, car les parties diront si, d'après elles, c'est l'ensemble du processus réglementaire qui est vicié et qui devrait, pour cela, être entièrement supprimé, ou si c'est simplement qu'il comprend certaines dispositions mal adaptées ou dont la jurisprudence a fait ressortir des aspects problématiques susceptibles d'être corrigés. Permettez-moi de vous donner lecture du schéma exposé aux pages 3 et 4 pour expliquer la manière dont fonctionne le règlement de liaison touchant l'avis de conformité.

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Le règlement prévoit le processus suivant:

a) Le titulaire d'un brevet qui demande un avis de conformité pour un produit peut présenter une liste de brevets, énumérant tous les brevets s'appliquant au produit et leur date d'expiration.

b) Lorsque le fabricant de médicaments génériques demande un avis de conformité pour une copie du produit breveté, il doit indiquer s'il accepte ou non la liste des brevets.

c) S'il accepte la liste des brevets, l'avis de conformité ne sera émis qu'après l'expiration du dernier brevet énuméré, et la demande d'avis de conformité demeurera confidentielle.

Si, donc, le fabricant de médicaments génériques n'accepte pas la liste des brevets et soutient qu'un ou plusieurs brevets ne sont pas pertinents, il doit signifier au titulaire des brevets un avis d'allégation, et porter à sa connaissance la demande d'avis de conformité. Le titulaire du brevet dispose d'un délai de 45 jours pour intenter une action en justice, normalement en Cour fédérale, afin d'empêcher le ministre de la Santé de délivrer l'avis de conformité au fabricant du médicament générique avant l'expiration des brevets énumérés.

Une fois entamée l'action en justice, le ministre de la Santé doit attendre 30 mois avant d'émettre l'avis de conformité au fabricant de génériques, à moins que les parties ne parviennent à une entente, que le tribunal ne rende une décision ou que le brevet vienne à expiration. Le tribunal peut écourter ou prolonger le délai de 30 mois si l'une des parties n'a pas fait diligence relativement à la demande. Cela veut dire qu'une des parties devra se pourvoir en justice, y affirmer que l'autre partie n'a pas fait diligence et demander à la cour de prolonger les délais afin de compenser les retards. La cour devra alors voir si l'argument est justifié et décider soit de prolonger les délais, soit de les raccourcir. Cela s'est produit plusieurs fois.

Enfin, dans certains cas, le règlement autorise le tribunal à imposer au titulaire du brevet le paiement de dommages-intérêts pour dédommager le fabricant de génériques. Précisons que les circonstances de ce genre de cas sont strictement délimitées. Aucune demande en dommages-intérêts n'a été présentée en application de cette disposition, de sorte qu'il n'existe pas de jurisprudence sur les circonstances où cette mesure serait applicable.

On trouve à la page 5 un tableau indiquant le nombre d'affaires portées en justice depuis l'adoption du règlement, le nombre de désistements, le nombre d'affaires qui ont effectivement été plaidées, et le nombre de fois où c'est le titulaire du brevet qui a obtenu gain de cause, ainsi d'ailleurs que le nombre de fois où c'est au fabricant de génériques que la cour a donné raison. Il ne me semble pas nécessaire actuellement de nous attarder sur tout cela. Qu'il soit simplement dit qu'au cours des quelques dernières années on a vu la cour saisie d'un nombre considérable de litiges. Le nombre d'affaires semble toutefois avoir baissé, mais on ne sait pas exactement pourquoi. Peut-être est-ce simplement que bon nombre de dossiers étaient déjà en préparation à l'époque où le règlement a été adopté, ou que de nombreux dossiers étaient déjà en instance et que le nombre s'est naturellement amenuisé. Je ne sais pas vraiment comment expliquer cela.

Voilà donc, en quelques mots, la genèse du règlement et la manière dont il fonctionne.

Pourrais-je maintenant me livrer à un commentaire très bref avant de demander aux deux avocats de présenter leurs positions sur la question. Je crois savoir que deux positions seront avancées. Selon la première, le règlement fonctionne raisonnablement bien mais la jurisprudence a relevé un certain nombre de lacunes. Peut- être est-ce que ces lacunes ne sont pas apparues lors de la rédaction, mais, ainsi que sont portés à le faire les tribunaux, ceux-ci ont effectivement relevé un certain nombre de lacunes que personne n'avait remarquées au départ et qui pourraient maintenant être corrigées.

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On va donc, je pense, faire valoir que le règlement n'est, certes, pas parfait, mais qu'il peut être remanié et par là même corrigé. Certaines des réformes envisagées dépassent peut-être la simple retouche et exigent un remaniement plus profond, mais il s'agirait, selon une des thèses en présence, de conserver le règlement, tout en le modifiant. Voilà donc une des thèses en présence, avec diverses sous-positions possibles.

Les questions porteront alors sur le genre de retouches qu'il conviendrait d'apporter. Quelles sont les insuffisances du règlement? Jusqu'où doit-on aller au niveau des modifications afin de rendre le texte conforme au but qui lui a été fixé?

L'autre position est la suivante. On vous dira sans doute que le règlement était vicié dès le départ, que ses défauts ont simplement été mis en relief par les tribunaux et que la meilleure solution consisterait à le supprimer entièrement et à laisser aux seuls tribunaux le soin de se prononcer sur les cas de contrefaçon de brevet.

Il y aurait, bien sûr, diverses manières de mettre en oeuvre une telle solution. Eh bien, vous pourrez estimer que l'abrogation du règlement n'aboutira pas nécessairement à une situation idéale; il faudra peut-être compléter la législation ou la réglementation afin de combler les lacunes qu'entraînera l'abrogation du règlement. Il s'agit donc d'abroger tout simplement le règlement, ou de l'abroger en prenant des mesures complémentaires; à ce niveau-là, plusieurs mesures complémentaires peuvent être envisagées.

J'estime que, pour les besoins de cette table ronde, le cadre que je viens d'exposer est raisonnable. Il a le mérite - du moins selon moi car vous pouvez ne pas être d'accord - de schématiser les deux thèses en présence. Celles-ci se prêtent à des variations, mais il y a essentiellement deux thèses en présence.

Si vous me le permettez, j'aimerais maintenant passer la parole à Me Grell. Nous avons joué à pile ou face pour savoir qui interviendrait en premier - voilà le fondement scientifique de notre décision - et, comme elle avait choisi face, je lui ai demandé de commencer.

Me Emma Grell (associée, Gowling, Strathy et Henderson): Monsieur le président, je tiens d'abord à vous remercier, vous et votre comité, de l'occasion qui m'est donnée d'intervenir ici. Nous sommes heureux d'avoir cette occasion de participer avec vous à une table ronde. Nous sommes conscients du fait qu'il s'agit effectivement d'une table ronde et nous n'avons pas oublié que, sur les diverses questions qui se posent en ce domaine, vous avez déjà en main nos mémoires. Je vais donc faire en sorte pour qu'il s'agisse effectivement d'une déclaration préliminaire, sans oublier qu'il s'agit surtout de répondre à vos questions concernant le règlement de liaison, la manière dont il fonctionne ou dont il devrait fonctionner.

Pour en revenir au contexte essentiel évoqué dans son introduction par l'animateur de notre débat, je tiens à rappeler que nous n'avons reçu que très tard l'ordre du jour et le schéma de la discussion. Ce n'est qu'hier à midi que nous avons reçu la version définitive des documents. Cela dit, nous tâcherons de nous en accommoder. Il ne s'agit nullement, pour nous, de documents que nous aurions à admettre. Il s'agit, selon nous, de documents qu'il s'agit de commenter, de débattre, de réfuter.

Le point de départ de tout cela c'est la nature du brevet, le droit exclusif que le gouvernement confère au titulaire du brevet. L'exclusivité se situe au coeur même de la notion de brevet. Selon l'article 42 de la Loi sur les brevets, pendant la durée d'un brevet, le titulaire a le droit exclusif de fabriquer, d'utiliser et de vendre l'invention.

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Ajoutons, autre aspect essentiel de la question, que le brevet accordé à l'issue d'une demande déposée au Bureau des brevets - et cela est précisé à l'article 43 de la Loi sur les brevets - est présumé être valide pendant toute la durée du brevet, sauf preuve du contraire.

Il y a donc cette exclusivité essentielle du titulaire qui, par ses efforts, a inventé quelque chose. En contrepartie de l'invention dont il révèle publiquement la nature, on lui confère une exclusivité pour une certaine période de temps. Précisons tout de suite que le droit conféré, dans le cadre d'un brevet, au titulaire de celui-ci c'est, justement, l'exclusivité. Le brevet ne confère à personne d'autre le droit d'utiliser l'invention pendant la durée du brevet. Le brevet confère au titulaire le droit de décider qui pourra utiliser son invention.

Un autre aspect essentiel de la question est que le droit découlant de ce brevet doit être un droit effectif. Il ne s'agit pas simplement d'un droit formel. Mais ce droit ne vaut que par la manière dont on le fait respecter. Cela est reconnu non seulement par la Loi sur les brevets, mais également par les accords internationaux que nous vous avons souscrits, l'OMC - l'ancien GATT - l'accord concernant la propriété intellectuelle et l'ALENA. Ces accords précisent de manière succincte les aspects essentiels de la question. Ils exigent que l'exclusivité soit reconnue au titulaire, normalement pour une période de 20 ans à partir du dépôt du brevet, mais ces accords reconnaissent également que les droits découlant d'un brevet n'ont aucun sens si on ne parvient pas à les faire respecter de manière efficace. Pour assurer la protection des droits découlant d'un brevet, il faut donc trouver des moyens efficaces et adaptés de les faire respecter, comme le prévoit le préambule de l'accord concernant la propriété intellectuelle; des recours efficaces pour éviter les contrefaçons, selon un autre article de ce même accord et, selon l'article 50, des mesures provisoires rapides et efficaces pour prévenir les contrefaçons, car les accords reconnaissent, en effet, qu'un titulaire de brevet perdra l'essentiel de son exclusivité si, pendant des années, et peut-être même avant qu'un procès ne soit intenté, il est obligé, contre sa volonté, de partager cette exclusivité avec quelqu'un qui semble contrefaire son brevet.

L'ALENA énonce, parmi ses objectifs, et en des termes analogues, le besoin de mettre en place des moyens de protection adaptés et efficaces et de prévoir des recours rapides et efficaces pour prévenir, non seulement pour l'avenir mais également dans l'immédiat, toute contrefaçon de brevet.

L'équité fondamentale de notre système de brevets protège l'ingéniosité de l'inventeur, mais exige également que celui-ci révèle au monde tous les détails permettant de mettre en oeuvre son invention. D'autres peuvent donc avoir accès à tous les détails techniques permettant d'améliorer l'invention, de faire avancer l'état des connaissances en ce domaine, ou de parvenir à d'autres inventions.

En attendant, l'essentiel est d'instaurer un régime de protection de la propriété intellectuelle qui se révèle efficace, non seulement en théorie, mais également en réalité. Si quelqu'un d'autre, par exemple un fabricant de médicaments génériques, est autorisé à prendre place sur le marché, et à partager celui-ci avec le titulaire, pendant la durée même du brevet, on ne peut plus vraiment parler d'exclusivité. Nous avons abandonné un système qui, jusqu'en 1993, obligeait le titulaire du brevet à partager son exclusivité dans le cadre d'une licence obligatoire. Ce système n'est plus en vigueur au Canada. Notre pays a, en effet, aboli le système de licence obligatoire pour les produits pharmaceutiques. Nous avons conservé des dispositions générales concernant l'octroi d'une licence obligatoire, mais cela ne s'applique plus en propre aux produits pharmaceutiques.

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Si, pendant la durée d'un brevet, on autorise la vente d'un produit générique, le titulaire du brevet n'a plus de recours suffisant pour protéger son exclusivité en attendant que la question soit tranchée par les tribunaux. En attendant que la justice se prononce, on en revient en fait au système de licence obligatoire qui permettait à quelqu'un de commercialiser le produit en question, parallèlement au titulaire, en attendant que la question soit réglée par les tribunaux.

Avant 1993, date à laquelle a été adopté le règlement de liaison, tout le monde reconnaissait que le système en vigueur au Canada, le système des injonctions interlocutoires permettant aux tribunaux, avant même que ne soit engagé un procès, de prononcer des mesures conservatoires, ne permettait pas en fait de protéger suffisamment et efficacement les droits moraux des titulaires de brevets. On peut, en théorie, obtenir d'un tribunal une injonction interlocutoire. Mais, en pratique, s'agissant de brevets et notamment de brevets pharmaceutiques, cela était à toutes fins pratiques impossible. On l'a reconnu et c'est pour cela qu'on a adopté le système incarné dans le règlement de liaison.

Une autre raison, parmi d'autres, justifiant le règlement de liaison était le fait qu'avaient été adoptées en même temps, dans l'intérêt même des fabricants de médicaments génériques, des dispositions touchant les travaux préliminaires. Comme vous le savez, il s'agit d'une disposition à double volet qui permet aux fabricants de médicaments génériques d'effectuer les travaux préliminaires en vue d'une demande d'approbation réglementaire. Cela accorde également aux fabricants de médicaments génériques le privilège absolument exceptionnel de pouvoir fabriquer le produit breveté au cours des six derniers mois de validité du brevet afin que ce produit puisse être mis en vente dès l'expiration du brevet.

Nous avons donc adopté un règlement de liaison après avoir constaté que les brevets ne bénéficiaient pas d'une protection suffisante. D'après nous, le règlement de liaison a été efficace. Il pourrait, certes, être amélioré. Il conviendrait de corriger certaines échappatoires, mais le règlement lui-même s'est révélé efficace. Il s'est également révélé équitable et il y a lieu de le conserver.

Pourquoi? Non seulement parce qu'il permet d'accorder au brevet une protection adaptée et efficace, mais également parce que, ce faisant, il crée le moins de difficultés possibles aux fabricants de médicaments génériques et gêne le moins possible le fonctionnement normal des marchés. S'il en est ainsi, c'est parce qu'il a été conçu, justement, pour s'appliquer pendant la période au cours de laquelle le fabricant de médicaments génériques n'est de toute manière pas en mesure de commercialiser le produit étant donné qu'il attend l'approbation réglementaire du ministère de la Santé.

Cela soulève un point d'une très grande importance. Souvent, et même dans le cadre de cette documentation, vous trouverez l'expression «injonction automatique», injonction qui serait le fruit du règlement de liaison. En réalité, lorsque le titulaire d'un brevet se pourvoit en justice sur le fondement du règlement de liaison, cela n'empêche nullement le fabricant de médicaments génériques d'entamer immédiatement la commercialisation du produit en question. Cela n'a pas du tout l'effet d'une injonction automatique.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Pourriez-vous résumer un peu la question, car nous ne voulons pas trop nous écarter de l'horaire que nous nous sommes imposé.

Me Grell: Très volontiers. Je vais être très brève.

À ce stade-là, le médicament générique ne peut de toute manière pas être commercialisé. Il faut attendre pour cela l'approbation réglementaire. En moyenne, celle-ci intervient 32 mois après le dépôt d'une demande. S'il n'est donc pas exact de dire que le règlement de liaison a l'effet d'une injonction automatique empêchant la commercialisation du médicament générique, c'est parce qu'un facteur d'une grande importance s'oppose, de toute manière, à la commercialisation du produit générique: ce produit ne peut en effet pas être commercialisé avant que le fabricant n'obtienne une approbation réglementaire. Ce n'est donc que dans un cas précis, lorsque l'approbation réglementaire est prête à être donnée mais que la procédure de liaison n'a pas encore abouti, que l'on peut dire que le système de liaison empêche la commercialisation d'un médicament générique.

L'autre raison permettant de dire que le règlement de liaison est essentiellement équitable est qu'il s'applique...

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Vous dépassez le temps qui vous était imparti. Cela dit, vous aurez la possibilité de compléter votre exposé lors des questions.

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Me Grell: Puis-je très rapidement résumer le système de liaison et dire pourquoi nous estimons qu'il y a lieu de le conserver?

Nous avons déposé auprès du comité un certain nombre de propositions d'amélioration que nous aborderons ultérieurement. Il s'agissait essentiellement de vous initier au système de liaison. On a même vu franchement contester sa validité. Nous avons eu l'occasion de voir comment ce règlement fonctionne. Nous sommes persuadés qu'il y a lieu de le remanier. Nous avons, à cet égard, plusieurs solutions à vous proposer.

Monsieur le président, nous serons heureux de répondre aux questions qu'on voudra nous poser.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je vous remercie.

Maître Hore.

Me Hore: Mesdames et messieurs, je tiens à vous remercier de votre attention.

J'ai réuni une documentation qui vous a, je crois, été remise. Vous trouverez au début de ce cahier, un document succinct. Il s'agit d'un document de deux pages et demie qui récapitule nos arguments. Il s'agit d'un résumé très succinct de notre thèse.

Dans cette documentation, vous trouverez également d'autres documents concernant le règlement, y compris une partie intitulée «Le Règlement 55.2 pour les néophytes». Il s'agit d'un document qui reconnaît la complexité du règlement en question, et qui tente d'initier les personnes qui ne connaîtraient peut-être pas très bien le domaine, afin de leur expliquer le règlement et le domaine plus général des actions en contrefaçon de brevet. Le cahier comprend également d'autres documents auxquels j'aurai l'occasion de me référer au cours de la journée.

En gros, notre position est la suivante - et là il faut que je m'écarte un peu du résumé qu'en a fait M. Vaver. Nous soutenons essentiellement que le règlement doit être abrogé. Il doit être entièrement abrogé. Nous laissons au comité la question de savoir quelles autres décisions il conviendrait de prendre dans le cadre du projet de loi C-91. J'entends par cela les dispositions touchant l'emmagasinage et les travaux préliminaires. Nous estimons qu'il s'agit là de questions tout à fait distinctes. Le comité se prononcera sur cela comme il estime devoir le faire. Mais l'essentiel est que le règlement soit abrogé.

Si nous disons cela, c'est parce que les tribunaux sont parfaitement capables d'assurer la protection des brevets, sans que l'on s'immisce dans leurs activités et sans qu'on ait à leur dire quoi faire. Le système des brevets existe au Canada depuis à peu près 150 ans. Il existe de nombreuses industries où les brevets revêtent aussi une grande importance. On pourrait citer, à cet égard, l'industrie de l'électronique, l'industrie du logiciel, l'industrie de l'automobile; il y en a, bien sûr, d'autres encore où la protection des brevets revêt une grande importance.

Or, que se passe-t-il dans ces autres secteurs industriels lorsque le titulaire d'un brevet, estimant que son invention a été contrefaite, se pourvoit en justice. Il invoque la contrefaçon de son brevet et la cour décide s'il a tort ou s'il a raison. Si la cour lui donne gain de cause, et qu'il y a effectivement eu contrefaçon de brevet, le titulaire aura droit à des dommages- intérêts.

Ces dommages-intérêts peuvent être très élevés. Ils peuvent correspondre à l'ensemble des bénéfices que le titulaire du brevet aurait faits, ce qui, s'agissant d'un produit pharmaceutique, sera beaucoup plus élevé que le bénéfice effectivement fait par le fabricant de médicaments génériques. C'est dire que les fabricants de médicaments génériques n'ont absolument aucun intérêt à contrefaire un brevet.

Les fabricants de médicaments génériques essaient donc d'éviter toute contrefaçon. Ils mettent au point des produits qui ne contrefont pas le ou les brevets applicables au produit en question. C'est cela qu'ils font. Ils emploient des chimistes dont c'est la spécialité. Cette activité est dans l'intérêt même des Canadiens puisque le produit ainsi élaboré, sans contrefaçon de brevet, sera moins cher et permettra d'abaisser les coûts de notre système de santé.

Le règlement en question tente donc de résoudre les différends en matière de brevets. Une partie prétend qu'il y a contrefaçon, et l'autre partie affirme le contraire.

Les tribunaux ont comparé la revendication de brevet à la clôture entourant un jardin. L'activité du titulaire du brevet se limite à l'espace circonscrit par la clôture, mais les autres demeurent entièrement libres de leurs mouvements tant qu'ils ne franchissent pas la clôture. C'est la clôture qui trace la limite entre ce qui est autorisé et ce qui est interdit. Les gens restent donc entièrement libres tant qu'ils ne franchissent pas la clôture. La question est donc de savoir si l'on se trouve à l'intérieur du périmètre ou non. En matière de brevet pharmaceutique, la question peut parfois être difficile à trancher.

Mais nous avons un système judiciaire dont c'est justement la mission. Les tribunaux peuvent également décider s'il convient ou non d'accorder une injonction interlocutoire. On entend par injonction interlocutoire une ordonnance interdisant, dès le début d'un litige, au défendeur de commercialiser tel ou tel produit en attendant l'issue du litige.

En matière de mesures conservatoires, la jurisprudence canadienne élaborée au cours des dernières décennies est parvenue à un juste équilibre. Elle comprend des arrêts de la Cour suprême du Canada et de la Cour d'appel fédérale. Elle correspond en gros à la jurisprudence américaine et britannique. Il s'agit d'une jurisprudence équilibrée, bien comprise des civilistes. On s'en inspire non seulement dans le cadre de litiges portant sur des brevets dans d'autres domaines, mais également dans le cadre d'autres types de litiges au civil. Tous les civilistes comprennent donc bien de quoi il s'agit.

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En un mot, le règlement en question se situe en dehors de la common law. En fait, ce règlement laisse entendre que les titulaires de brevets pharmaceutiques ne peuvent pas, pour une raison ou pour une autre, obtenir justice auprès des tribunaux canadiens; c'est pour cela qu'il nous faut lier les mains des juges, et leur dire ce qu'ils doivent faire.

Mesdames et messieurs, l'essentiel de notre idée est qu'il n'y a pas lieu de dire aux tribunaux ce qu'ils doivent faire. Les juges canadiens sont compétents. Ils ne sont pas corrompus. Il s'agit de gens consciencieux et censés. Ils savent parfaitement bien comment régler ce genre de litiges, et cela d'une manière équitable pour les deux parties. Il n'est nullement besoin d'un règlement qui les gêne dans l'accomplissement de cette mission importante.

Si vous adoptez un règlement qui permet à l'une des parties d'obtenir plus facilement une injonction interlocutoire, vous créez par là même un système inéquitable puisque vous retirez au juge la possibilité d'entendre les parties, de recueillir leurs arguments et de parvenir à une décision juste et équitable. C'est confier au loup la garde des agneaux. C'est instaurer un système qui permet au titulaire d'un brevet pharmaceutique d'obtenir des injonctions interlocutoires à volonté, simplement en remplissant un formulaire judiciaire. C'est injuste. C'est instaurer un système qui permet d'exclure automatiquement certains produits du marché.

Nous évoquerons un peu plus tard les dispositions touchant les dommages-intérêts, dispositions parfaitement inadaptées, mais il surgit de nombreuses difficultés qui sont d'après moi liées à un même problème. Ce problème provient du fait que le Parlement s'immisce dans le règlement de litiges civils et fait par conséquent obstacle à un règlement équitable en avantageant l'une des parties. Cela a clairement pour effet de défavoriser l'autre partie, en l'espèce, les fabricants de médicaments génériques.

Les fabricants de médicaments génériques font tout pour mettre au point des produits qui ne contrefont aucun brevet. Cela est d'ailleurs conforme aux intérêts des consommateurs canadiens.

Dans chacune des 119 affaires intentées sur le fondement de ce règlement, la question était la suivante: Y a-t-il ou non contrefaçon de brevet? Selon nous, c'est aux tribunaux qu'il appartient de trancher. Laissons-les se prononcer dans le cadre des procédures ordinaires telles qu'elles se sont développées au cours des 150 dernières années et qui continuent à s'appliquer à tous les autres secteurs industriels. Ne leur liez pas les mains. Ne les obligez pas à faire quelque chose qu'ils ne feraient normalement pas, car en cela vous n'avantagez personne. Disons plutôt que vous n'avantagez que le titulaire du brevet pharmaceutique, mais que vous désavantagez tous les autres en créant une situation permettant d'exclure du marché des produits qui ne contrefont pourtant aucun brevet.

À l'heure actuelle, de nombreux produits sont bloqués par des procédures qui durent depuis de nombreux mois. Dans le cadre de ces procédures, la question en litige - celle de savoir s'il y a eu ou non contrefaçon de brevet, et, dans certaines affaires, celle de savoir si le brevet est effectivement valide - n'est pas tranchée au regard du règlement. Il est absurde de prévoir une procédure de règlement de différends civils qui ne permet effectivement pas de trancher la question en litige, et qui en est même incapable.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup.

M. Vaver: J'imagine que cela va susciter des questions des deux bords. Je vais faire une remarque d'ordre général et voir quelle est la réaction des deux bords.

J'aurais cru que les conditions de délivrance d'un brevet seraient de la seule compétence du Parlement. Je veux dire par cela que, sous réserve des obligations contractées dans le cadre d'accords internationaux, le législateur et les organismes de réglementation peuvent soumettre la délivrance d'un brevet aux conditions qui leur paraissent utiles ou nécessaires. Ils peuvent imposer les conditions qu'ils veulent.

.1115

Ce que les deux avocats nous ont dit pose donc la question de savoir pourquoi les brevets pharmaceutiques sont soumis à des conditions différentes de celles s'appliquant à d'autres types d'invention? La question me paraît en effet importante. Les observations faites sur ce point nous aideront peut-être à mieux cerner les problèmes en ce domaine. Pourquoi les brevets pharmaceutiques sont-ils les seuls à être soumis à ces dispositions?

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je demande à M. Brien, à qui revient la première question, de garder cela à l'esprit.

[Français]

M. Pierre Brien (Témiscamingue, BQ): Ma question s'adresse aux deux témoins, mais je demanderais à M. Hore d'y répondre en premier.

Vous dites que le règlement de liaison ne devrait pas exister puisqu'il est unique au secteur pharmaceutique. Mais, en contrepartie, il y a d'autres choses qui sont aussi uniques au secteur pharmaceutique. Si j'ai tort, vous me corrigerez.

Il y a trois choses qui vous sont uniques, me semble-t-il. Vous pouvez avoir accès à l'information pour copier un produit, vous pouvez passer au travers du processus d'approbation de Santé Canada durant la période de protection du brevet et vous pouvez même stocker le produit. Je peux me tromper, mais cela me semble spécifique à votre secteur.

Si on voulait vous mettre sur le même pied que les autres secteurs d'activité économique, la logique ne voudrait-elle pas qu'on modifie les trois aspects que je viens de modifier si on abolit le règlement de liaison?

[Traduction]

Me Hore: En ce qui concerne ces divers aspects de la question, il faut toujours chercher à savoir s'il existe des raisons d'intérêt public. Si vous vouliez instaurer un système dans lequel tout médicament générique doit systématiquement faire l'objet de nouveaux tests cliniques - et cela, bien sûr, s'appliquerait à la plupart des dossiers déposés auprès du ministère de la Santé - les fonctionnaires du ministère de la Santé seraient débordés par des documents inutiles qui ne feraient que reproduire des documents déjà déposés. À mon avis, cela serait absurde. Lorsque vous vous penchez sur les divers aspects d'un problème, il faut bien voir un peu où se situe l'intérêt public. Il ne s'agit nullement d'assurer un parallélisme intégral. C'est dire qu'on ne saurait supprimer les dispositions en question uniquement pour des motifs d'intérêt public.

La disposition autorisant la constitution de stocks semble utile puisqu'elle permet d'assurer la transition vers l'expiration du monopole instauré par le brevet et que cela facilite également le travail des administrations provinciales. Mais, encore une fois, là n'est pas la question. Cette disposition est bénéfique ou néfaste et c'est au comité qu'il appartient de trancher.

Mais le point de savoir s'il y a lieu de conserver un système que tout le monde juge impraticable - tout le monde semble être d'accord pour s'y opposer, et tout le monde voudrait qu'il soit modifié - me paraît constituer une question distincte. J'estime que le comité va devoir se demander s'il entend conclure que les tribunaux canadiens ne savent pas ce qu'ils font et qu'il appartient pour cela au législateur de leur dire quoi faire.

[Français]

M. Pierre Brien: Les trois points que je vous ai mentionnés sont aussi spécifiques au secteur pharmaceutique. L'accès à l'information, le processus d'approbation pendant la période de brevet et le stockage de produits sont des choses particulières au secteur pharmaceutique.

[Traduction]

Me Hore: De nombreuses dispositions sont particulières à divers secteurs industriels. Dans beaucoup de secteurs, l'utilisation de brevets varie considérablement. Certains secteurs de l'industrie automobile sont à distinguer de l'industrie pharmaceutique. Je suis appelé à plaider pour le compte de plusieurs industries et c'est vrai que chaque secteur est différent. Je conviens donc que l'industrie pharmaceutique se distingue, à maints égards, des autres industries, mais, cela dit, je ne pense pas qu'elle soit fondamentalement différente. Je ne pense pas que la différence soit telle que les tribunaux canadiens ne soient pas en mesure de connaître de ce type de litiges. Les tribunaux canadiens sont d'une grande compétence et nos juges sont tout autant capables de connaître de litiges portant sur des brevets pharmaceutiques que sur des brevets d'autres types.

.1120

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Schmidt.

M. Werner Schmidt (Okanagan-Centre, Réf.): Merci, monsieur le président.

Dans un même ordre d'idée, la difficulté que soulève le règlement était liée aux dispositions concernant la constitution de stocks, l'accès au brevet et aux détails techniques de celui-ci en vue de déposer une demande devant la Direction générale de la protection de la santé? Il me semble, en effet, que le règlement porte en même temps sur ces trois aspects de la question.

Me Hore: Non, cela n'est pas...

M. Werner Schmidt: Bon, pouvez-vous me dire ce qu'il en est?

Me Hore: Oui. Je suis heureux que vous ayez posé la question, monsieur Schmidt, car elle me paraît importante. En fait, selon une idée fausse assez largement répandue, ces trois choses seraient liées. Or, elles ne le sont pas. Le seul lien serait en fait de nature politique. Il n'existe aucun lien logique ou juridique entre ces trois choses-là.

M. Werner Schmidt: Voilà ce que je voulais vous entendre préciser. Il n'y a donc pas de lien juridique.

Me Hore: C'est bien cela.

M. Werner Schmidt: La contrefaçon est une chose et la constitution de stocks est une question tout à fait différente.

Me Hore: Permettez-moi de vous expliquer pourquoi il s'agit de deux choses différentes. La constitution de stocks intervient hors de toute contrefaçon de brevet. Il s'agit simplement d'une disposition transitoire qui entre en jeu six mois avant l'expiration du brevet. Il en va de même en ce qui concerne l'approbation réglementaire. Personne n'invoque la contrefaçon de brevet. Il s'agit simplement d'une facilité d'intérêt général qui permet d'assurer dans de meilleures conditions la transition entre la validité du brevet et son expiration.

Ce que l'on appelle le règlement de liaison a trait à une situation très différente. Il s'agit, en effet, de deux choses tout à fait distinctes. Ce règlement s'applique au cas où quelqu'un invoque la contrefaçon d'un ou de plusieurs brevets. Autrement dit, il y a un différend civil qui oppose les parties. Une des parties affirme une chose, et l'autre son contraire. Nous, nous tenons à ce que les parties puissent aller devant un tribunal et lui demander de dire si les fabricants de médicaments génériques ont tort ou non. Si la cour conclut effectivement à la contrefaçon, elle accordera, bien sûr, des dommages-intérêts très importants.

Les parties présentent leurs arguments. Les fabricants de médicaments génériques estiment que leur produit ne contrefait aucun brevet et ils veulent pouvoir exposer leurs arguments. Ils revendiquent le droit que vous auriez si votre voisin vous actionnait au sujet de la clôture que vous avez élevée dans votre jardin. Il s'agit simplement du droit d'aller en justice et de présenter ses arguments. Les deux parties seront accompagnées de leurs avocats, qui, l'industrie pharmaceutique étant ce qu'elle est, sont probablement plutôt compétents. C'est alors le tribunal qui tranchera.

Me Grell: Puis-je exprimer ici un désaccord essentiel avec Me Hore sur ce point. La disposition touchant les travaux préliminaires accorde aux fabricants de médicaments génériques une exemption dans des cas qui seraient normalement constitutifs d'une contrefaçon de brevet. Cela est également vrai de la disposition touchant la constitution de stocks. Si le législateur n'avait pas prévu ces deux exemptions, il y aurait, dans les deux cas, contrefaçon de brevet.

Il en résulte que le fabricant de médicaments génériques prend une avance qui peut atteindre cinq ans dans la mise en marché de son produit, sans pour cela contrefaire de brevet. Je dis bien cinq ans jusqu'à l'obtention de l'approbation réglementaire. Sans cela, ce fabricant devrait attendre l'expiration du brevet avant d'entreprendre les études nécessaires. Il lui faudrait d'abord importer les composés, puis les transformer, les mettre à l'épreuve, puis, deux ans plus tard, déposer sa demande d'approbation réglementaire, et attendre peut-être trois ans avant de l'obtenir.

Dans un même ordre d'idées, si l'exemption pour constitution de stock n'existait pas, le fabricant aurait à attendre l'expiration du brevet avant de pouvoir constituer un stock en vue de la mise en marché du produit en question.

C'est dire que les fabricants de médicaments génériques disposent là de deux gros avantages. Ces deux choses-là sont liées au règlement, car en leur donnant le droit d'entreprendre la fabrication du produit avant l'expiration du brevet, et de préparer la demande d'approbation réglementaire, vous leur permettez d'obtenir cette approbation avant même que le brevet ne vienne à expiration. C'est pourquoi il faut prévoir en même temps un système qui permette d'assurer que les fabricants qui ont reçu une approbation réglementaire avant l'expiration du brevet n'en profitent pas pour contrefaire le brevet en commercialisant leur produit avant l'expiration du brevet.

C'est aux tribunaux qu'il appartient de dire si c'est à bon droit que le fabricant d'un médicament générique affirme qu'il ne contrefait aucun brevet ou que celui-ci n'est pas valide. Voilà la question sur laquelle se prononcent nos tribunaux après avoir recueilli les arguments des deux parties.

.1125

L'avantage de tout cela est que cette procédure intervient alors que le produit générique ne peut de toute manière pas encore être mis en marché. Le législateur est parfaitement libre de remédier à une situation par un texte de loi, qu'il s'agisse d'une situation dont sont saisis les tribunaux ou d'un autre aspect de notre vie nationale qu'il convient de corriger. C'est à bon droit que le législateur intervient comme il le fait depuis des centaines d'années. C'est ce qui s'est passé avec les lacunes constatées au niveau des injonctions interlocutoires, lacunes auxquelles venait s'ajouter l'avantage conféré aux fabricants de médicaments génériques leur permettant de mettre en marché un produit alors que le brevet n'était pas encore venu à expiration.

M. Werner Schmidt: À cet égard, puis-je poser une toute petite question?

Me Hore: Puis-je intervenir sur ce point? Je viens d'entendre plusieurs choses qui me paraissent contestables.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): M. Schmidt avait d'abord une question à poser. Vous pourrez intervenir tout de suite après, avant que nous passions à la question suivante.

M. Werner Schmidt: Ma question a trait à ce que Me Grell a dit au sujet de la procédure d'approbation. Ai-je raison de penser qu'un des aspects de l'avantage indû conféré à la société pharmaceutique ou au titulaire du brevet repose sur l'approbation réglementaire accordée par la Direction générale de la protection de la santé? Ainsi, le fabricant de médicaments génériques peut, dès l'expiration du brevet, commercialiser ses produits. S'ils n'avaient pas obtenu au préalable l'approbation de la Direction générale de la santé, il lui faudrait entamer la procédure à l'expiration du brevet. Il lui serait ainsi impossible de commercialiser son produit tant qu'il n'aurait pas obtenu l'approbation de la Direction générale de la protection de la santé. Est-ce de cela que vous parliez?

Me Grell: Moi?

M. Werner Schmidt: Oui.

Me Grell: Oui, en effet. C'est comme cela que devrait procéder le fabricant de médicaments génériques qui veut éviter la contrefaçon.

M. Werner Schmidt: Il n'y a pas lieu de revenir sur cela. Je voulais simplement m'assurer que c'est bien de cela que vous parliez.

Me Grell: Puis-je ajouter une précision? En pouvant prendre connaissance des détails de l'invention dont dispose la DGPS, et en n'ayant pas à recommencer les études sur l'efficacité et l'innocuité du médicament générique, le fabricant de ce médicament générique tire également profit d'un autre droit appartenant à l'inventeur. L'inventeur a, en effet, passé des années et dépensé des millions de dollars à développer ses données. Le fait de pouvoir y avoir accès, constitue effectivement un avantage. Nous verrons plus tard comment on pourrait améliorer la situation sur ce point. Cela épargne aux fabricants de médicaments génériques...

M. Werner Schmidt: Monsieur le président, nous abordons là un autre sujet.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Me Hore.

Me Hore: Je suis d'accord avec M. Schmidt. Il s'agit d'une question tout à fait différente. C'est pour des raisons ayant trait à l'intérêt public que l'on ne veut pas obliger les inspecteurs et vérificateurs du ministère de la Santé à passer des années à revoir des documents qui ont déjà été examinés. Ce serait une perte de temps pour tout le monde. Cela retarderait énormément la mise en marché des produits en question. Pourquoi multiplier à outrance les procédures réglementaires? Cette question-là devrait être tranchée en fonction des considérations qui lui sont propres. La question de savoir si nous voulons maintenir ce système de brevets qui permet automatiquement de suspendre la commercialisation de certains produits me semble relever de considérations tout à fait différentes.

D'ailleurs, je tiens à préciser que l'exception prévue par l'article 55.2 en matière d'approbation réglementaire ne s'applique pas simplement à l'industrie pharmaceutique, mais bien à toute autre industrie. Là aussi, une idée fausse semble assez répandue. Il s'agit d'une disposition applicable dans le cas d'un insecticide, d'un sac à air, d'une poussette pour enfant. Cette disposition existe depuis longtemps et l'on pourrait même dire qu'il s'agit d'un droit que la jurisprudence reconnaît depuis le début des années 70. Il n'y a en cela rien de nouveau.

Excusez-moi. Je crois que quelqu'un avait une question à poser.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je voulais simplement être sûr que vous aviez terminé.

Me Hore: Oui, monsieur le président.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Qui veut commencer? Madame Brown.

Mme Bonnie Brown (Oakville - Milton, Lib.): Merci, monsieur le président.

Avant d'interroger les deux avocats, j'aimerais, si vous le voulez bien, poser une ou deux questions à notre animateur qui a donné lecture de certains documents qui sont, j'imagine, censés faire le point sur la question qui nous retient aujourd'hui.

Monsieur Vaver, dois-je considérer que vous êtes d'accord avec tout ce qui est écrit aux trois premières pages? Où est-ce simplement que vous nous en avez donné lecture pour nous être utile?

Je vois, par exemple, à la page 2, le titre «approbation réglementaire et emmagasinage». Selon la dernière phrase, ces dispositions ont eu pour effet d'éliminer certains droits dont jouissaient les titulaires de brevet pour intenter des actions en contrefaçon. Êtes-vous d'accord avec cela?

M. Vaver: Oui.

Mme Bonnie Brown: Bon, je vous remercie.

Puis, je me penche sur le tableau reproduit à la page 5. Le lecteur moyen aura tendance à interpréter ce tableau d'une certaine manière. L'on voit, pour l'année 1993, un total de 24 affaires. Les titulaires du brevet en ont remporté 16 et les fabricants de génériques 8.

.1130

Étant donné qu'il s'agit toujours de contrefaçon de brevet, je serais portée à supposer que cela veut dire que le titulaire du brevet a eu gain de cause dans 16 affaires parce qu'il a été démontré que le fabricant de génériques avait effectivement commis une contrefaçon. Le fabricant de médicaments génériques a eu gain de cause huit fois car il a pu démontrer qu'il n'avait commis aucune contrefaçon. Or, on nous dit maintenant que, dans ce type d'affaires, on invoque rarement, voire jamais, la contrefaçon des brevets, mais qu'on fait plutôt valoir des questions d'ordre technique et administratif.

C'est vous le spécialiste. Qu'en est-il? Invoque-t-on, dans ce genre d'affaires, des questions d'ordre technique et administratif ou invoque-t-on la contrefaçon?

M. Vaver: C'est une excellente question. En un mot, la réponse est que ces procédures administratives ne permettent effectivement pas de se prononcer sur la validité ou la contrefaçon d'un brevet. Ces procédures ne vont pas jusque-là. Le résultat précis...

Mme Bonnie Brown: Est-ce à dire qu'après tout le temps consacré à ces procédures judiciaires, on n'obtient pas de réponse? Après tout l'argent consacré à ce genre d'action, on ne sait toujours pas s'il y a, oui ou non, eu contrefaçon du brevet. Est-ce exact?

M. Vaver: C'est exact. Vous n'êtes pas en mesure de le savoir.

Mme Bonnie Brown: C'est dire que le tableau de la page 5 ne nous renseigne guère, sinon qu'il m'apprend que les tribunaux seront saisis de nombreuses actions qui n'ont guère d'importance aux yeux des Canadiens qui s'inquiètent du prix des médicaments.

M. Vaver: S'il s'agit effectivement de savoir si a) un brevet est valide et b) s'il a été contrefait, il est exact que la procédure administrative prévue ne permet pas d'obtenir la réponse.

Mme Bonnie Brown: Ce tableau ne nous est donc pas d'une grande utilité étant donné qu'il rend surtout compte de questions d'ordre technique et administratif.

M. Vaver: Oui. On pourrait utilement y ajouter une autre colonne, mais nous ne l'avons pas fait. Cette colonne indiquerait le nombre d'affaires faisant ultérieurement l'objet d'un procès et indiquerait aussi la manière dont la cour aurait tranché la question de la contrefaçon. Nous n'avons pas ajouté de colonne contenant ces informations. Beaucoup d'affaires ne vont pas plus loin. Il se peut donc qu'une colonne supplémentaire n'ait pas été d'une grande utilité, mais...

Me Hore: Puis-je ajouter quelque chose à cet égard?

Mme Bonnie Brown: Non. Je voulais simplement recueillir l'avis de M. Vaver. Je ne veux pas utiliser le temps de parole de mon collègue.

Me Hore: Bon. Monsieur le président, j'avais simplement une ou deux précisions rapides à apporter.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Nous nous penchons sur la question et je suis donc certain que vous voudrez tous les deux ajouter quelque chose.

Maître Hore.

Me Hore: D'abord, je me demande un peu d'où proviennent ces chiffres car ils s'écartent des nôtres.

J'ai ici un résumé de ces diverses affaires, car j'en ai constitué un recueil. Selon nos calculs, et en s'arrêtant vendredi dernier, les grandes marques ont «gagné», théoriquement, 15 fois et les fabricants de médicaments génériques ont «gagné» 14 fois. Je mets le mot «gagné» entre guillemets car il ne s'agit pas, à proprement parler, de cela. Ça, c'est d'après mes propres calculs en prenant vendredi dernier comme date limite.

Au cas où cela intéresse quelqu'un, j'ai ici un résumé de ces divers dossiers.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Puis-je vous demander de déposer cela auprès du greffier. Pouvez-vous faire cela?

Me Hore: Nous le pouvons, en effet, puisque nous en avons fait plusieurs copies. Cela, cependant, n'est guère concluant, puisque, dans ces affaires, la cour ne fournit aucune réponse définitive.

En ce qui concerne la question de savoir s'il y aura ultérieurement une action en contrefaçon de brevet, il suffit de préciser que cela n'aurait guère d'intérêt étant donné qu'une ordonnance vous interdit de mettre vos produits en marché. Il vous faudrait, dans ces conditions-là, engager de gros frais pour une deuxième action en justice alors que vous ne pourriez toujours pas commercialiser vos produits. Ajoutons que les décisions prises en vertu de cette réglementation ne permettent pas de réclamer des dommages-intérêts.

Ce règlement a donc pour effet d'instaurer un système dans le cadre duquel il est pratiquement impossible de faire trancher la question de savoir si oui ou non il y a contrefaçon de brevet ou si le brevet en question est valide.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Maître Grell, vous pouvez, si vous le voulez, intervenir sur ce point et après cela je repasserai la parole à Mme Brown.

Mme Bonnie Brown: Je voulais simplement recueillir l'avis de l'animateur sur les documents dont il nous avait donné lecture. Nous avons déjà recueilli les autres opinions lors des exposés présentés. À quoi sert-il de les répéter?

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Par souci d'équité, j'ai accordé à Me Grell quelques instants. Après cela je vous rends la parole.

Me Grell: Le comité constatera qu'il ne s'agit pas de répéter quelque chose qui a déjà été dit. J'ai ici des tableaux que j'entends déposer auprès du comité à titre d'information, tableaux qui, je l'espère, répondront à la question posée par l'honorable député.

J'ajoute que nous avons aujourd'hui à nouveau déposé auprès du comité un recueil de jurisprudence. Nous y avons réuni, avec un bref résumé, les affaires portant sur le règlement de liaison. Ce document avait auparavant été déposé dans le cadre de l'exposé de l'ACIM. Ces données rendent compte des affaires enregistrées jusqu'en janvier 1997 et les chiffres coïncident avec ceux que vous avez devant vous, à une petite différence près. Cinquante-huit affaires ont été tranchées,55 sont en instance et 21...

.1135

M. Joe Volpe (Eglinton - Lawrence, Lib.): Monsieur le président, permettez-moi d'invoquer le règlement.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Puis-je vous demander de déposer cela auprès du greffier.

Me Grell: Le document a déjà été déposé auprès du greffier.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Volpe, à l'égard de quoi invoquez-vous le Règlement?

M. Joe Volpe: On nous a distribué des documents, mais ce qui me gêne un peu c'est que certains d'entre eux ne contiennent aucune indication de source. Je ne sais pas d'où ils proviennent. Il s'agit du document qui nous a été distribué et qui contient peut- être des éléments de réponse à cette question. Pour être juste, aussi bien envers les témoins qu'envers les membres du comité, pourrions-nous nous entendre sur deux choses. D'abord, si l'on distribue des documents, nous aimerions connaître leur provenance afin de savoir un peu qui en sont les auteurs.

Deuxièmement, j'estime que la question que ma collègue vient de poser a déjà reçu une réponse. Sans viser Me Grell, je tiens à préciser qu'elle nous a déjà distribué ce résumé il y a 15 jours. Peut-être pourrait-elle poursuivre son intervention en tenant compte de cela. C'est à vous de décider. Qu'elle poursuive, mais que l'on sache d'abord qui a distribué ce document.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je voulais être juste envers les deux avocats et je crois effectivement l'avoir été. Ils ont déposé les documents qu'ils ont bien voulu déposer. Je regrette que ces documents ne comportent aucune indication de date ou de provenance, mais le greffier pourra rectifier cela.

Me Grell: Monsieur le président, il s'agissait d'un document qui avait déjà été déposé. Cela dit, il ne contient pas les renseignements évoqués dans le cadre de la dernière question. J'ai pourtant un nouveau document qui porte précisément sur la question et que j'aimerais déposer auprès de vous.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Non, maître Grell, là il faut que je vous arrête. Je veux maintenant rendre la parole à Mme Brown. Je crois avoir perdu le fil et donc...

Mme Bonnie Brown: Monsieur le président, permettez-moi de reprendre ce que j'ai dit...

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Puis-je vous demander de reformuler votre question...

Mme Bonnie Brown: ... Je n'ai pas besoin de réponse. M. Vaver m'a fourni la réponse que je cherchais. C'est à lui que ma question s'adressait et il y a effectivement répondu.

Voici l'essentiel. Le tableau évoque les succès et les échecs remportés dans des actions portant sur des questions d'ordre technique et administratif et non pas sur des questions de contrefaçon ou de validité de brevet, c'est-à-dire sur ce qui nous intéresse ici. Ce tableau nous est donc inutile. C'est cela que je voulais préciser. Il s'est dit d'accord sur ce point. Je ne voulais pas entendre parler des succès et des échecs puisque nous avons maintenant admis que cette répartition des succès et des échecs n'a pas grand-chose à voir avec les questions qui retiennent ici notre attention.

Me Grell: Monsieur le président, c'est justement sur ce point que je voulais intervenir. À mon avis, c'est le contraire qui est vrai. Sur ce point, je ne suis pas d'accord avec l'animateur.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Volpe, avez- vous une question à poser.

M. Joe Volpe: Peut-être allons-nous pouvoir repartir d'un bon pied.

Dans votre exposé liminaire, maître Grell, vous avez dit combien il était important de protéger la propriété intellectuelle. Ne pensez-vous pas que les tribunaux puissent garantir la protection des droits que vous accorde la loi?

Me Grell: J'avais évoqué pour vous ce que nous avons pu constater dans le passé à l'égard des injonctions interlocutoires, procédures très...

M. Joe Volpe: En avez-vous sollicité? Avez-vous déjà eu l'occasion de déposer une demande en ce sens?

Me Grell: J'allais vous parler de cela.

Le document déposé contient un tableau qui schématise cela. Permettez-moi de résumer. Jusqu'en 1993...

Me Hore: Pourrais-je obtenir un exemplaire du document en question. On ne m'en a pas remis.

Me Grell: En voici un, mais il y en a également un qui est joint au document de Gowling, Strathy et Henderson, un document qui porte sur les injonctions interlocutoires. Tout à fait à la fin du document, vous trouverez un tableau qui montre le nombre de demandes d'injonction interlocutoire déposées entre 1970 et 1973.

.1140

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Tout le monde en a un exemplaire? Maître Grell.

Me Grell: Ce tableau montre qu'au cours de cette période - c'est-à-dire avant l'adoption du règlement de liaison - à dix reprises, une demande d'injonction interlocutoire a été déposée dans le cadre d'une affaire mettant en cause des sociétés pharmaceutiques. Comme vous pouvez le voir à la rubrique 6, une injonction interlocutoire n'a été rendue que dans un seul cas.

Précisons tout de suite qu'il s'agissait de l'affaire dans laquelle la Cour a confirmé que les travaux préliminaires effectués en vue d'obtenir une approbation réglementaire constituaient une contrefaçon de brevet au Canada. C'est la seule affaire où une injonction interlocutoire ait été prononcée. Il s'agissait d'ailleurs d'une injonction interlocutoire à portée limitée puisqu'elle devait prendre fin lorsque le fabricant de médicaments génériques en cause obtiendrait une licence obligatoire ou se fournirait auprès d'une source d'approvisionnement titulaire d'une licence obligatoire.

Regardez ce qui s'est passé dans d'autres affaires. Une affaire particulièrement intéressante mettait en cause Eli Lilly, le médicament Prozac, et Apotex, Interpharm, ainsi que certaines sociétés de vente par correspondance. Une injonction interlocutoire a été demandée sur le fondement d'une contrefaçon de brevet et de publicité trompeuse. La cour a délivré l'injonction, interdisant à la société en cause d'utiliser le nom ou la marque Prozac. La décision de la cour ne s'appliquait qu'à la question de la marque de commerce, la cour refusant de rendre une injonction interlocutoire pour ce qui était du brevet. Voilà le genre d'affaires qui a, aux États-Unis, valu aux responsables une condamnation pénale. Un des fabricants canadiens de médicaments génériques reste sous le coup d'une ordonnance de probation rendue par les tribunaux américains.

M. Joseph Volpe: Faites-vous confiance aux tribunaux?

Me Grell: Il ne s'agit pas de savoir si l'on fait confiance ou non aux tribunaux; c'est un fait que les tribunaux ont élaboré un certain nombre de critères en fonction desquels ils décident ou non d'accorder une injonction interlocutoire. Ces critères sont tellement sévères, surtout si vous tenez compte des circonstances spéciales propres à...

M. Joseph Volpe: Nous avons obtenu gain de cause dans ces affaires-là.

Me Grell: Pardon?

M. Joseph Volpe: Nous avons obtenu gain de cause dans ces affaires-là. Ma question reste la même. Ma question initiale était la suivante: Faites-vous confiance aux tribunaux lorsqu'il s'agit de faire respecter la loi adoptée par le législateur? D'après les deux exemples que vous m'avez cités, vous répondriez que oui.

Si votre réponse est autre, dites-le-moi. Vous pourriez peut- être vous expliquer sur cela lors de notre prochaine séance. Est-ce exact de dire que, d'après vous, notre système judiciaire fonctionne correctement.

Me Grell: Je crois ne pas avoir très bien compris votre question, monsieur. Nous faisons confiance aux tribunaux pour appliquer la loi adoptée par le législateur.

M. Joseph Volpe: Bon. Je vous remercie.

Me Grell: À chaque fois qu'un texte de loi est voté, il existe une zone soumise à interprétation, interprétation dont les contours devront au moins être précisés. C'est une question d'apprentissage et d'adaptation, et parfois... Tout cela est parfaitement normal.

M. Joseph Volpe: Mais puisque vous insistez pour ajouter quelque chose à votre réponse, je vais devoir insister pour ajouter quelque chose à ma question. Vous venez de me dire que notre système judiciaire fonctionne correctement, abstraction faite de cette période d'adaptation ou d'apprentissage. Vous m'avez dit faire confiance à la cour. Puis-je me contenter de cette réponse?

Me Grell: Oui. Nous faisons effectivement confiance à la cour.

M. Joseph Volpe: Bon. Je vous remercie.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Voilà qui met un terme à la question. Nous passons maintenant la parole à M. Brien. Chacun disposera de cinq minutes, et puis, monsieur l'animateur, nous passerons au sujet suivant.

[Français]

M. Pierre Brien: Monsieur Hore, vous disiez que le règlement de liaison pouvait retarder l'entrée de vos produits sur le marché. Encore là, je veux être sûr de bien comprendre, parce qu'on a deux versions contradictoires. Pendant le délai de 30 mois, le processus d'approbation par Santé Canada pour obtenir l'homologation suit parallèlement son cours. Donc, vous n'iriez pas sur le marché immédiatement. S'il faut par exemple 20 mois pour obtenir l'approbation de Santé Canada et qu'il faut attendre 30 mois avant d'aller en cour, vous perdez 10 mois si vous gagnez au bout de la ligne. Si les délais concordent, il n'y a aucun retard de mise en marché. Est-ce vrai?

.1145

[Traduction]

Me Hore: Cela va bien sûr dépendre des circonstances propres à chaque affaire. Il est clair que plusieurs de ces affaires se sont poursuivies au-delà de la date à laquelle l'avis de conformité aurait été accordé. L'ACFP suit tout cela d'assez près.

Il semble que la commercialisation d'un nombre considérable de produits soit actuellement retardée. Cela s'explique par le fait que la DGPS, ou le ministère de la Santé, puisque c'est maintenant comme cela qu'on l'appelle, fait actuellement de gros efforts pour accélérer ses procédures d'homologation, et les délais sont moins longs qu'avant. Le ministère s'est fixé des objectifs très stricts, qu'il semble respecter, et maintenant, je crois savoir qu'un médicament générique pourra être homologué dans un délai de sept mois. C'est du moins l'objectif.

Cela dit, le délai de 30 mois peut être dépassé. Dans certains cas, la lovastatine, par exemple, il a fallu attendre 44 ou 45 mois sans obtenir d'audience. Sur la question de savoir si, en pratique, ce règlement fait effectivement obstacle à la commercialisation de médicaments génériques, la réponse est clairement oui.

[Français]

M. Pierre Brien: Si on faisait des corrections pour s'assurer que les délais correspondent, le processus d'approbation des médicaments aurait la même durée que celui des tribunaux. À ce moment-là, vous n'auriez pas de problèmes parce que votre mise en marché ne serait pas retardée.

[Traduction]

Me Hore: Non, nous éprouverions tout de même un problème. La raison en est que l'audience ne permet pas de savoir s'il y a effectivement eu contrefaçon de brevet. Une audience d'une journée peut vous empêcher de commercialiser un produit alors que la question de la contrefaçon prendrait peut-être une semaine à résoudre. Il s'agit d'un examen très rapide, d'un examen d'un jour, la question étant souvent réglée en fonction d'un point de procédure ou en fonction du fardeau de la preuve. Sur cette question-là, il est clair qu'on ne peut pas procéder ainsi.

La seule manière d'assurer la commercialisation de tel ou tel produit est d'assurer aussi que le problème sera résolu et de séparer la procédure d'homologation et les questions de contrefaçon de brevet, en admettant qu'il s'agit de deux choses tout à fait différentes qui devraient être soumises à deux procédures elles aussi différentes. Il s'agit, d'une part, de se prononcer sur l'efficacité et l'innocuité d'un médicament et, d'autre part, de dire s'il y a eu contrefaçon de brevet, à supposer qu'une des parties invoque la contrefaçon. Ces deux choses ne vont pas très bien ensemble, comme la Cour fédérale a eu l'occasion de le dire. La Cour d'appel fédérale a dit que ces deux choses ne faisaient pas bon ménage au sein du règlement étant donné qu'il s'agit essentiellement de deux procédures n'ayant rien en commun.

[Français]

M. Pierre Brien: J'ai une question pour Mme Grell. Si vous ne pouviez pas obtenir d'injonction, ou si on n'avait pas de règlement de liaison mais que vous pouviez obtenir une injonction comme vous le souhaiteriez, en bout de ligne, vous pourriez aller devant les tribunaux pour faire déclarer qu'il y a eu violation de brevet et, à ce moment-là, vous obtiendriez des dommages-intérêts. Pourquoi cela ne serait-il pas suffisant? Pensez-vous que l'établissement des dommages n'est pas adéquat, que les délais sont trop longs? Pourquoi cette formule ne vous paraît-elle pas acceptable, puisque vous pouvez avoir gain de cause et obtenir des dommages en bout de ligne?

[Traduction]

Me Grell: Puis-je préciser que je ne suis d'accord avec rien de ce que Me Hore vient de vous dire dans le cadre de sa dernière réponse.

M. Pierre Brien: Entendu.

Me Grell: Mais permettez-moi de répondre à votre question. Il convient de noter qu'à l'issue du procès, dans ce genre d'affaires, il y aurait normalement d'autres audiences afin de calculer le montant des dommages-intérêts. Vous avez parlé de délais de trois, cinq ou sept ans et même, par exemple, dans l'affaire du diltiazène, engagée en 1987, de dix ans avant qu'un paiement intervienne. Cela crée, entre-temps, une situation pour laquelle le titulaire du brevet ne sera jamais suffisamment indemnisé malgré ce qu'il pourra toucher ultérieurement. Il s'agit là d'une perte de parts de marché qui pourrait se révéler catastrophique et que rien ne pourra peut-être compenser. La valeur commerciale du produit en question peut-être limitée dans le temps, le produit étant dépassé par de nouvelles techniques. Il y a aussi le tarissement de la source de revenus, ce qui fait obstacle à de nouveaux investissements ou à la recherche et développement ou qui empêche d'introduire de nouveaux produits. Cela représente des pertes pour les sociétés en question. Il peut s'agir du principal produit de la société.

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Aujourd'hui, il s'agit de jeunes entreprises canadiennes de biotechnologie qui lancent un produit à la fois. Au départ, une telle entreprise dépend de la vente d'un seul produit. Ce genre d'affaire peut avoir pour une telle entreprise des effets catastrophiques. Même si l'entreprise finit par toucher des dommages-intérêts, elle a déjà subi un préjudice, ses employés ont été licenciés, des occasions ont été perdues, elle ne pourra peut-être pas reprendre pied sur le marché.

Et cela n'épuise pas les facteurs susceptibles de jouer. Ils sont en effet nombreux. L'argent que vous allez pouvoir toucher, à titre de dommages-intérêts, dans cinq ou dix ans, ne vous permettra guère de retrouver la situation qui aurait été la vôtre si vous aviez conservé pendant toute cette époque l'exclusivité de votre brevet.

Me Hore: Permettez-moi de répondre sur ce point. L'affaire dont les tribunaux ont été le plus récemment saisis dans le cadre de la procédure normalement applicable en matière de brevet, c'est l'affaire énalapril, un médicament pour le coeur. La cause a été entendue dans les sept mois. Ce sont surtout les fabricants de médicaments génériques qui ont obtenu gain de cause. Sur certains aspects du produit en question, le jugement était partagé, mais les fabricants de médicaments génériques ont eu essentiellement gain de cause.

En tant qu'avocate avisée, Me Grell aurait soulevé, dans le cadre d'une demande d'injonction interlocutoire, tous les arguments qu'elle nous a exposés ici. Elle aurait ainsi fait valoir que le préjudice subi ne pouvait guère être réparé par des dommages-intérêts. Elle aurait affirmé que son client ne pouvait pas attendre l'issue du procès et que même s'il obtenait gain de cause, pour telle ou telle raison, il ne pourrait pas être intégralement indemnisé. Si la cour se rendait à ses raisons, elle accorderait l'injonction interlocutoire. Ça, c'est l'état du droit.

Mais, parfois, ce type d'arguments est développé sans être admis par la cour. D'autre fois, le tribunal accueille la demande. Parfois, comme vous pouvez le constater d'après le résumé de Me Grell ainsi que d'après les documents que nous avons distribués, la cour accorde plusieurs injonctions dans des affaires de brevet.

On voit cela dans l'avis du cabinet Lenczner, Slaght, qui indique les injonctions accordées par les tribunaux au cours des quelques dernières années dans des affaires de brevet. Il ne fait aucun doute que la cour accorde parfois une injonction et que parfois elle la refuse. Parfois une injonction est justifiée, et parfois elle ne l'est pas. La question doit être tranchée en fonction des circonstances propres à chaque affaire. Mais qui, mieux qu'un juge, est à même de trancher puisqu'il peut entendre les arguments des deux parties? Nous estimons que le législateur ne devrait pas décider de son propre chef que le titulaire du brevet a toujours raison et que les fabricants de médicaments génériques ont toujours tort. Il s'agit là d'une généralisation abusive. Le moyen est grossier et mal adapté. Il aboutit à un résultat injuste et permet d'exclure du marché un certain nombre de produits. Ce n'est pas comme cela qu'il convient de procéder.

Me Grell: Puis-je répondre, très rapidement?

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je vais maintenant passer la parole à M. Schmidt, car nous vous avons déjà accordé une partie du temps prévu pour les libéraux.

M. Werner Schmidt: Merci, monsieur le président.

Tout tourne autour de la question de savoir s'il y a effectivement eu contrefaçon. Voilà la question essentielle. Nous avons entendu les arguments des deux bords. Nous avons pourtant conclu qu'il n'a été nullement démontré qu'il y a eu contrefaçon de brevet. Si notre système judiciaire ne permet pas de trancher la question qui est au coeur du litige, que se passe-t-il?

Me Hore: Ce qui s'est passé c'est que sous le gouvernement précédent les sociétés pharmaceutiques ont lancé une grande campagne de lobbying, affirmant que les titulaires de brevets pharmaceutiques avaient raison et que la Cour suprême du Canada avait tort; faites-nous confiance à nous et non pas à la Cour suprême; on nous traite de manière injuste. C'est ainsi qu'on a abouti à ce règlement.

M. Werner Schmidt: Je connais l'argument avancé. Ce que je voudrais savoir c'est où, exactement, se situe le problème? Comment se fait-il que des dispositions législatives empêchent en fait les tribunaux de trancher la question en litige?

Me Hore: Voilà, monsieur Schmidt, une excellente question. La raison réside dans la formulation du règlement. Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire. Je ne veux pas m'étendre sur des considérations d'ordre procédural, mais il s'agit d'une procédure judiciaire d'ordre administratif qui n'a rien du procès - je dis cela en songeant au procès d'O.J. Simpson, où des témoins sont entendus par le juge. La procédure de contrôle judiciaire est une procédure beaucoup plus brève où tout se fait sur affidavit. Voilà ce qui est prévu dans le règlement.

Je ne sais pas pourquoi il en est ainsi. Les fabricants de médicaments génériques n'ont jamais été consultés au sujet de la formulation du règlement et je ne sais vraiment pas pourquoi il a été conçu ainsi.

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Je crois que, essentiellement, il s'agit de ceci. J'ai eu l'occasion de rencontrer de nombreux représentants du ministère de l'industrie et j'ai pour eux beaucoup d'égards. Mais il est difficile de réinventer la roue. Il est très difficile de se débarrasser d'une procédure judiciaire qui s'est développée petit à petit par tâtonnements au cours d'une période de 150 ans...

M. Werner Schmidt: Nous voulons simplement...

Me Hore: Permettez-moi une dernière phrase - et de mettre en place un nouveau système. Il est clair qu'il y aura des erreurs. Il y a des imprévus et le système ne fonctionne pas très bien simplement parce qu'on ne peut pas procéder ainsi. Voilà ce qui est gênant dans les genres de modifications qu'on envisagera plus tard au cours de cette séance. On ne peut effectivement pas créer un système de toutes pièces et penser que tout ira très bien. Il y aura assurément des problèmes puisque vous retirez aux juges le pouvoir d'entendre la cause et de trancher en fonction de ce qui leurs paraît juste.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Schmidt, Me Grell voudrait, elle aussi, intervenir sur ce point.

Me Grell: Permettez-moi de répondre à cela. Je crains que la jurisprudence aille à l'encontre de ce que Me Hore affirme quant à la manière dont sont réglées ce genre d'affaires. Les tribunaux se prononcent quand même sur la validité des arguments avancés par les fabricants de médicaments génériques pour expliquer pourquoi il n'y a pas, à leurs yeux, contrefaçon de brevet. La cour se prononce sur cela après avoir examiné la preuve produite par le titulaire du brevet et par le fabricant de médicaments génériques. Toutes les causes ne sont pas réglées en un seul jour. Certaines prennent trois ou quatre jours. J'ai examiné la décision...

Me Hore: Un instant, je vous prie...

Me Grell: Non, un instant.

Me Hore: ... ma confrère a droit à son opinion, mais ce droit ne comprend pas celui de dire des choses qui ne sont pas exactes. Il n'en est pas du tout ainsi.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Permettez-moi de donner à Me Grell l'occasion de répondre.

Me Grell: Vous avez fait valoir votre argument et maintenant je voudrais y répondre.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je vais vous demander d'être brève, car vous prenez plus de temps.

Me Grell: Je tenterai d'être brève.

Regardez, par exemple, les affaires qui ont été tranchées et examinez les motifs exposés. Prenez, par exemple, l'affaire no 17 sur la liste que nous vous avons fournie. Eli Lilly avait assigné la société Nu-Pharm en contrefaçon du médicament Prozac. Nu-Pharm a prétendu devant la cour qu'elle n'avait nullement contrefait le brevet d'Eli Lilly puisque son procédé de fabrication comportait un certain nombre de différences. La cour a examiné le brevet, a examiné le procédé utilisé par Nu-Pharm, a écouté les témoignages d'un certain nombre d'experts, a évalué l'ensemble de la preuve et a conclu que Nu-Pharm avait effectivement contrefait le brevet.

Il y a également l'affaire Bayer et Apotex au sujet du médicament Cipro. La décision est...

Le vice-président (M. Walt Lastewka): J'aimerais que vous résumiez votre argument plutôt que de continuer à citer la jurisprudence. Sans cela, je m'exposerai plus tard aux reproches de mes collègues.

Me Grell: Entendu. Dans 17 des 22 affaires où la cour a rendu une ordonnance de prohibition, la cour s'est prononcée sur la question de savoir si c'est à bon droit que le fabricant de médicaments génériques faisait valoir l'absence de contrefaçon. La cour a évalué la preuve. Dans les sept autres affaires, la décision a été fondée sur la nature même du brevet.

Monsieur le président, je ne veux pas m'étendre, mais il faut bien vous exposer les faits. Je regrette mais parfois il faut plus de temps pour présenter les faits qu'il n'en faut pour formuler des allégations sommaires sur l'état d'une question. Or, lorsque vous vous penchez sur les faits, vous constatez que la situation n'est pas telle qu'on la prétend être.

Ainsi, les tribunaux se prononcent dans ce genre d'affaire. Parfois, ils décident que certains brevets ne relèvent effectivement pas du règlement. Jusqu'ici, les tribunaux n'ont jamais eu à se prononcer - et personne ne peut affirmer le contraire - sur la question de savoir si un brevet était effectivement invalide, comme l'affirmait le fabricant de médicaments génériques. Cela se produira sans doute un jour. Voilà donc le type de décisions qui est rendu. Il ne s'agit aucunement d'une décision purement «administrative». Les tribunaux se prononcent sur des points qui sont effectivement en litige.

Permettez-moi, très rapidement, d'avancer un deuxième argument.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Non, maître Grell. J'ai été très patient jusqu'ici, et je vous ai accordé à de nombreuses reprises un complément de temps. Je passe maintenant la parole à maître Hore pour qu'il réponde à cela, et puis...

Me Hore: Je serai moi-même très bref.

Excusez-moi, aviez-vous une question à poser? Je ne voulais pas vous interrompre.

Permettez-moi, une seule phrase. Cher collègue, je dois vous dire en toute déférence que cela n'est pas exact. La Cour d'appel fédéral a déclaré de manière on ne peut plus claire que la question de la contrefaçon ne saurait être tranchée dans le cadre de ces procédures. Si vous le voulez, je peux citer la jurisprudence. Pourquoi cela? Parce qu'il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire et que cela ne permet pas de fournir à la cour toutes les informations nécessaires.

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Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup.

Nous allons maintenant passer aux questions. Je crois savoir que vous entendez vous partager les cinq minutes. Qui veut commencer? Monsieur Murray.

M. Ian Murray (Lanark - Carleton, Lib.): Merci, monsieur le président.

Maître Hore, j'aimerais revenir sur la difficulté d'obtenir des injonctions interlocutoires. D'abord, êtes-vous d'accord que cela est aussi difficile qu'on nous l'a dit. Êtes-vous de cet avis?

Me Hore: Votre question est intéressante. J'ai eu l'occasion de plaider dans le cadre de demandes d'injonction présentées en matière de brevet. J'ai même plaidé dans une des affaires figurant sur la liste de Me Grell. Il est sans doute difficile d'obtenir une injonction interlocutoire mais, en matière de brevet, cela n'est pas du tout impossible. Cela arrive, et dans la documentation que nous avons réunie, vous trouverez quatre ou cinq affaires citées dans le document préparé par le cabinet Lenczner, Slaght, où la cour a rendu une injonction interlocutoire.

Mais, ce qui me paraît important c'est la question de savoir pourquoi il en est ainsi. Ce n'est pas simplement parce qu'un juge se lève un jour et décide qu'il va se montrer méchant envers les titulaires de brevet ou parce qu'il éprouve un certain parti pris à l'encontre de l'industrie pharmaceutique. C'est parce qu'il s'agit d'un recours extraordinaire puisque, en effet, une des parties va en fait être exclue du marché avant même qu'il soit démontré qu'elle a commis une contrefaçon. Depuis la Chambre des lords et l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire RJR, la jurisprudence est constante sur le point de savoir que les cours doivent faire preuve d'une grande retenue puisque, en l'hypothèse, on ne peut pas dire qui a raison.

Je ne suis pas certain que le moment soit bien choisi. J'ai cru comprendre que nous nous pencherons plus tard sur les critères en vertu desquels une injonction interlocutoire peut être prononcée, et j'aimerais beaucoup parlé de tout cela.

J'ai d'ailleurs, parmi mes documents, certains des arrêts qui ont fixé la jurisprudence en ce domaine et, sans m'étendre sur la question, je tiens simplement à dire qu'il s'agit de critères très affinés. Ils tiennent compte du fait qu'il y a bien deux parties et que celles-ci sont en désaccord. Y a-t-il lieu d'exclure du marché l'une de ces deux parties, à savoir la défenderesse, en attendant le procès? Le juge décide en fonction de ce qui lui paraît équitable, compte tenu des circonstances de l'affaire, et il pèse soigneusement le pour et le contre, dans le cadre d'une démarche intellectuelle très poussée et très bien comprise des avocats.

M. Ian Murray: Je ne veux pas vous interrompre, mais je crois que nous avons déjà pris pas mal de temps. Étant donné que je partage le temps qui m'était imparti, je vais rendre la parole à mon collègue et nous pourrons revenir ultérieurement sur cette question.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Volpe, vous avez trois minutes.

M. Joseph Volpe: J'espère que je n'aurai pas besoin de trois minutes. Je voudrais revenir au sujet fondamental. Si je ne me trompe, nous devions nous pencher sur certaines des options figurant dans ce document.

Certes, je sais que tout le monde défend ses propres intérêts mais je voudrais quand même tirer parti de l'expertise de M. Vaver. J'espère qu'il n'a pas de préjugés sur la question qui nous intéresse. Je veux donc lui demander s'il est d'accord avec ce qu'a déclaré un juge lors d'un récent procès concernant les parties représentées ici. Je vais paraphraser. Il a dit que, même si cela peut paraître incroyable, les textes réglementaires priment sur les arrêts de la Cour d'appel fédérale, voire de la Cour suprême.

M. Vaver: Il est très difficile de répondre à cette question.

M. Joseph Volve: Mais elle est très importante pour la suite de nos délibérations. Il y a deux positions sur cette question: la première est que l'on fait confiance au système judiciaire, la deuxième, que l'on se fie aux tribunaux. Or, certaines des options qui nous sont présentées concernent des textes réglementaires et il convient de savoir comment elles s'intègrent au système de justice et de poursuites. Si les règlements priment sur les arrêts judiciaires, je comprends mieux pourquoi on privilégie la réforme réglementaire.

M. Vaver: Je pense que ma réponse doit être un peu plus nuancée. Je ne veux pas éviter de répondre à votre question car je n'y ai aucun intérêt. Nous pouvons faire confiance à l'appareil judiciaire, même si nous pouvons contester les résultats de certaines de ses décisions.

M. Joseph Volpe: C'est pourquoi on s'adresse aux tribunaux.

M. Vaver: Exactement. Dans certains cas, il se peut que les tribunaux prennent des décisions qui s'écartent de l'intention du législateur mais vous avez alors le pouvoir constitutionnel de les ramener dans le droit chemin.

Certains des arguments qui ont été présentés vont exactement dans ce sens. Ainsi, d'aucuns affirment que les tribunaux se sont fourvoyés lorsqu'ils ont accordé des injonctions interlocutoires dans certaines circonstances. Si tel est le cas, il peut être légitime d'adopter un règlement pour faire certaines choses que les tribunaux ne font pas très bien. Voilà une manière de voir les choses.

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Pour répondre à votre question d'un point de vue purement théorique, je dirais que l'on peut fort bien faire confiance aux tribunaux tout en reconnaissant qu'ils peuvent parfois se fourvoyer. Dans ce cas, le législateur peut fort bien leur dire qu'ils font erreur et les ramener dans le droit chemin.

M. Joe Volpe: Du point de vue théorique et, par conséquent, de la législation... Les règlements qui découlent des lois sont appliqués et interprétés par les gens des ministères qui n'ont pas nécessairement la formation et l'expertise que possèdent les juges.

Je comprends bien qu'il nous appartient de donner à la magistrature les paramètres nécessaires pour interpréter les lois. Ce que je vous ai demandé, cependant, et je sais bien que vous n'essayez pas d'éviter la question, c'est si les textes réglementaires découlant des textes de loi devraient primer sur l'interprétation de ces derniers par les magistrats.

M. Vaver: Je ne pense pas que ce soit le cas. Il appartient toujours aux tribunaux d'interpréter les textes réglementaires, même si vous pouvez penser qu'ils se trompent. En adoptant un règlement, le ministère pense peut-être faire X mais les tribunaux peuvent conclure qu'il ne faisait pas X mais plutôt Y, même s'il pensait faire X.

L'aspect intéressant des règlements est qu'ils peuvent être modifiés plus facilement que les lois - tout au moins en théorie. C'est un processus administratif moins bureaucratique que le processus législatif.

Sur le plan constitutionnel, je ne pense pas que les règlements puissent primer sur les arrêts judiciaires. Les tribunaux ont le devoir d'interpréter les règlements. Ils essaient de les appliquer correctement. Lorsqu'un texte réglementaire est conforme aux pouvoirs que le législateur a confiés à la bureaucratie, le tribunal essaie de prendre ses décisions en respectant les objectifs du règlement. Il ne lui appartient pas de faire fi des règlements qui ne lui plaisent pas. Il ne peut pas aller à l'encontre d'un règlement valide.

M. Joe Volpe: Merci.

Le vice-président (M. Walt Lastewska): Merci beaucoup. Cela met un terme à cette séance. Nous cessons nos travaux jusqu'à 12 h 15, après quoi nous aborderons la question suivante.

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Le vice-président (M. Walt Lastewska): Nous reprenons nos travaux. Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous reprenons l'examen de l'article 14 de la Loi de 1992 modifiant la Loi sur les brevets (chapitre 2, Lois du Canada, 1993).

Nous allons passer au deuxième sujet. Je vous rappelle que vous avez dix minutes chacun pour présenter vos arguments. J'essaierai de vous prévenir quand il ne vous restera plus qu'une minute. Ensuite, nous aborderons la période des questions en donnant à chaque député dix minutes au premier tour puis, si possible, cinq minutes au deuxième.

Monsieur Vaver, vous avez la parole.

M. Vaver: Merci, monsieur le président. Le deuxième sujet est mentionné à la page 5 des documents que je lisais plus tôt. Il s'agit d'un document intitulé «Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité) 10 avril 1997».

Le deuxième sujet que l'on y mentionne est l'injonction interlocutoire. La question qui se pose est la suivante: si l'on renonce aux dispositifs réglementaires dont nous venons de parler, comment le détenteur de brevet pourra-t-il intervenir pour faire cesser une contrefaçon?

On a déjà fait allusion à cette question. Le détenteur de brevet qui estime détenir un brevet valide, parce qu'il a été accordé par le Bureau des brevets, et qui pense que quelqu'un commet une contrefaçon ou est sur le point d'en commettre une peut s'adresser à un tribunal pour demander une injonction interlocutoire. Autrement dit, il peut demander au tribunal d'ordonner l'arrêt de la fabrication en contrefaçon. À cette étape, il n'est pas tenu de prouver qu'il y a effectivement contrefaçon. Tout ce qu'il demande au tribunal, c'est de se pencher sur le dossier car il estime avoir un brevet valide. Le détenteur de brevet affirme que l'accusé lui causera un préjudice irréparable s'il continue à fabriquer en contrefaçon, et il affirme aussi que la balance des inconvénients, c'est-à-dire la comparaison de la situation des deux parties, favorise le détenteur de brevet, c'est-à-dire que le tort qui lui serait causé serait plus grave que le tort causé à l'accusé par l'injonction.

Si le tribunal estime que l'affaire est sérieuse, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'une poursuite frivole, parce qu'il y a un brevet valide et parce qu'on peut légitimement penser qu'il y a contrefaçon, et s'il estime que le plaignant subira un tort irréparable et que la balance des inconvénients le favorise, il accordera une injonction interlocutoire, ce qui veut dire que l'accusé devra cesser de faire ce qu'il fait ou ce qu'il se propose de faire, qui est apparemment de la contrefaçon. On restera dans ce mode jusqu'à ce qu'il y ait un procès en bonne et due forme. Il arrive souvent qu'il n'y en ait pas. Ce que l'on vous demande, c'est de voir si ce recours est juste et adéquat pour les détenteurs de brevets, au cas où l'on renoncerait au dispositif réglementaire, et s'il est juste et adéquat pour les parties accusées de contrefaçon.

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J'en reste là car je pense que les avocats ont des points de vue à exprimer là-dessus.

Le vice-président (M. Walt Lastewska): Maître Grell.

Me Grell: Merci.

La véritable question concernant les injonctions interlocutoires dans l'industrie pharmaceutique, et dans les affaires de brevets en général, n'est pas qu'elles ne sont pas théoriquement disponibles au Canada. La vraie question concerne plutôt la réalité et la pratique, surtout pour ce qui est de l'industrie pharmaceutique.

Vous avez entendu parler du critère à trois volets, de la gravité de l'affaire, ce qui veut dire que le tribunal ne rend aucun jugement préliminaire sur le fond. Ce n'est pas un problème dans ce contexte car nous avons un fabricant en contrefaçon - surtout s'il s'agit d'une société générique - qui, dans la demande adressée à la Direction générale de la protection de la santé, affirme clairement ce qu'il fait: je veux vendre exactement ce que vous, détenteur de brevet, vendez, avec le même ingrédient actif, dans le même but, avec le même dosage, etc. C'est le premier volet du critère.

On passe ensuite au deuxième volet, et c'est là que la théorie et la réalité se séparent. Bien que le critère à trois volets soit le même, sur le papier, que dans certains autres pays de common law, c'est un critère de jurisprudence qui remonte à la Chambre des lords, à la Cour suprême du Canada, etc. Les tribunaux ont produit une série de règles sur la manière dont on prouve qu'il y a un préjudice irréparable, et ce qu'il faut prouver. De ce fait, il est tout simplement pratiquement impossible de respecter ce critère.

Je ne saurais mieux faire à ce sujet que citer de brefs extraits d'arrêts récents concernant l'établissement de la preuve d'un préjudice irréparable. Les tribunaux ont dit ceci:

Vous demandez donc au tribunal d'empêcher quelque chose mais, en réalité, on vous demande de prouver - avec des preuves qui ne doivent pas être hypothétiques, selon l'exigence du tribunal, même s'il s'agit de quelque chose qui se produira dans le futur - exactement ce que vous voulez empêcher. La Cour vous demande de montrer non seulement que ce que vous essayez de prévenir est susceptible de vous causer un préjudice irréparable mais que cela produira effectivement un préjudice irréparable. C'est un critère qu'il est absolument impossible de satisfaire et qui va d'ailleurs à l'encontre des dispositions parfaitement claires de l'ALENA concernant les mesures provisoires. En effet, dans cet accord, on a utilisé exactement l'expression dite «vague» qui est condamnée dans le rapport. On y dit en effet qu'il doit s'agir de quelque chose qui est susceptible de causer un tort irréparable.

Le deuxième facteur qui rend l'injonction interlocutoire quasiment impossible à obtenir dans l'industrie pharmaceutique est relié à la nature même de l'industrie. Il s'agit de faire accepter par les tribunaux que, dans le contexte de la substitution automatique du produit générique au niveau du marché, ce qui arrive au détenteur de brevet est irréparable et que l'octroi de dommages et intérêts cinq ou sept ans plus tard pourra compenser le préjudice.

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Même dans les documents que Me Hore dit avoir été présentés au nom de l'ACIM, on reconnaît qu'il n'y a pratiquement jamais d'injonctions interlocutoires qui sont accordées dans l'industrie pharmaceutique. On mentionne dans ce document une affaire de 1994 présentée comme exemple de l'octroi d'une injonction. Cependant, le même détenteur de brevet est retourné devant le tribunal en 1996 contre une autre société et l'injonction interlocutoire lui a été refusée.

J'ai déjà dit quelle était la situation de l'industrie pharmaceutique avant les règlements de liaison. Sur dix demandes d'injonction interlocutoire, une seule a été accordée. Depuis 1993, les règlements de liaison existent et ils sont efficaces. Voilà pourquoi il n'y a pas eu d'autres demandes d'injonction interlocutoire dans l'industrie pharmaceutique alors qu'il y en a eu dans d'autres affaires de brevets. L'examen de ces affaires montre qu'il y a eu trois demandes en 1996 mais qu'aucune n'a été accordée. En 1995, il y avait également eu trois demandes d'injonction interlocutoire dans des affaires de brevets mais aucune n'avait été accordée. En 1994, il y avait eu trois demandes et deux avaient été accordées. Le critère est donc extrêmement difficile à respecter, pour les raisons que je viens d'indiquer.

Un autre problème concerne la manière dont le critère est appliqué dans les affaires de brevets au Canada. Ce critère rigoureux du préjudice irréparable est appliqué dans un contexte où les tribunaux continuent d'affirmer que les injonctions interlocutoires constituent un recours exceptionnel et sont - je cite - «rarement accordées dans les affaires de contrefaçon de brevets». Cela a été répété dans une affaire très récente. L'injonction interlocutoire est «un recours exceptionnel. Il faut des circonstances exceptionnelles pour qu'elle puisse être accordée. C'est particulièrement vrai dans les affaires de brevets.» Cette remarque se trouve dans l'arrêt Cutter c. Baxter de la Cour d'appel fédérale.

Il s'agit donc ici d'une sorte de loi jurisprudentielle qui comporte un critère qui a été interprété de manière à ne plus avoir aucun effet concret. De ce fait, lorsqu'on a remplacé en 1993 le système dans lequel un fabricant générique pouvait automatiquement entrer sur le marché grâce à une licence obligatoire par un système dans lequel il n'y a plus de licences obligatoires, on s'est retrouvé en fait dans un système dans lequel les détenteurs de brevets ne disposent plus d'aucun recours réel devant les tribunaux pour faire protéger leur droit d'exclusivité tant qu'un procès ne s'est pas tenu, plusieurs années plus tard.

L'un des arguments avancés dans le passé, à la fois à l'époque des licences obligatoires et depuis - par exemple, dans l'affaire Merck & Co. C. Apotex Inc. concernant l'énalapril - est que, si l'on n'empêche pas le contrevenant de commercialiser son produit jusqu'au procès, cela revient à lui accorder le droit de vous faire concurrence jusqu'au procès. Dans les autres causes, avant 1993, les tribunaux disaient que c'était acceptable car les licences obligatoires étaient légales au Canada et que, tôt ou tard, quelqu'un allait obtenir une licence obligatoire concernant tel ou tel brevet. Depuis 1993, il n'y a plus de licences obligatoires et la seule méthode qui permet au détecteur de brevet de se protéger est celle des injonctions interlocutoires - que préfèrent les sociétés génériques parce qu'elles savent qu'elles sont virtuellement protégées, considérant la manière dont le critère est appliqué - qui ne sont pas accordées. Au fond, cela revient à accorder au contrevenant le droit de commercialiser son produit jusqu'au procès.

En ce qui concerne les dommages et intérêts, qui constitueraient une sorte de recours adéquat, prenons l'exemple de l'énalapril de Merck, mentionné plus tôt par Me Hore. Certes, le procès s'est tenu sept mois après que le tribunal ait refusé d'accorder une injonction interlocutoire. Il s'est tenu en avril 1994. Cependant, la décision n'a pas été rendue par la Division de première instance avant décembre 1994, un peu avant Noël. L'affaire est allée en Cour d'appel en avril 1995 et la Cour a dit que certaines actions d'Apotex constituaient de la contrefaçon et que d'autres n'en constituaient pas. Aujourd'hui, en avril 1997, le processus judiciaire visant à déterminer combien Apotex devrait payer en dommages et intérêts n'est pas encore achevé. Il faudra peut-être encore un an pour que l'on arrive à une décision. Voici donc un cas de société générique qui est entrée sur le marché fin septembre 1993 et pour lequel il faudra peut-être attendre 1998 pour savoir combien cette société devrait payer pour avoir contrefait un brevet, chose qui a pourtant été décidée fin 1994 et fin 1995.

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Merci.

Le vice-président (M. Walt Lastewska): Maître Hore.

Me Hore: Comme je l'ai dit plus tôt, mesdames et messieurs, le critère de l'injonction interlocutoire est quelque chose qui est clairement établi depuis longtemps. Je ne vais pas en parler très longtemps mais je vous demande de passer à l'onglet 7 de notre documentation. Il s'agit de l'affaire RJR devant la Cour suprême du Canada. C'est l'affaire la plus récente et donc probablement la plus pertinente en ce qui concerne le critère d'octroi d'une injonction interlocutoire. Pour votre information, le critère est défini à la page 334 et aux pages qui suivent. On y traite du préjudice irréparable, de la balance des inconvénients et de ce genre de questions.

Vous trouverez à l'onglet 8 un autre arrêt concernant Turbo Ressources. On y trouve les six célèbres facteurs évoqués à la page 473, lesquels réitèrent dans une certaine mesure le critère.

Quand je faisais mes études de droit, je me souviens d'avoir lu en première année l'arrêt American Cyanamide, que tous les étudiants en droit doivent lire car il est fondamental. On y fait allusion dans l'arrêt Turbo Ressources.

Sans entrer dans les détails, la situation est simple. Le tribunal ne sait pas, à cette étape de la procédure, qui a tort et qui a raison. Une partie affirme qu'elle subira un tort considérable si l'autre n'est pas expulsée du marché, et cette dernière dit qu'elle a le droit de rester sur le marché. Voilà le dilemme qui se pose au tribunal. Pour faire leur travail, les tribunaux du monde entier ont élaboré ce qui constitue au fond un critère de bon sens pour permettre aux juges de décider.

Tout d'abord, le juge se demande s'il y a ou non un litige évident, ce qu'on appelle parfois une question sérieuse à trancher. Autrement dit, y a-t-il vraiment un problème à régler? C'est une question à laquelle il n'est pas difficile de répondre.

Le juge aborde ensuite la question du préjudice irréparable. Autrement dit, si l'accusé gagne le procès, pourra-t-il toucher des dommages et intérêts? S'il semble que oui, le tribunal n'accordera probablement pas d'injonction car cela paraîtrait injuste pour l'autre partie. Si l'accusé doit gagner, il obtiendra son argent et il ne faut pas désavantager l'autre partie. Si le tribunal pense que ce n'est pas le cas, il n'accorde pas l'injonction.

Il y a aussi la question de l'engagement concernant les dommages et intérêts. Autrement dit, dans ce genre d'affaire, le plaignant doit dire qu'il va prendre un engagement envers le tribunal. Il s'agit d'un engagement solennel qui se trouve généralement dans l'affidavit. C'est une déclaration sous serment en vertu de laquelle le plaignant s'engage à payer les dommages que l'accusé pourrait subir s'il s'avère qu'il n'aurait pas dû y avoir d'injonction. Autrement dit, si c'est finalement l'accusé qui gagne le procès, le plaignant doit s'être engagé à réparer les dommages subis par l'accusé. Dans ce contexte, le tribunal essaie d'équilibrer attentivement les intérêts respectifs des parties.

Les arguments que vient d'avancer ma collègue sont des arguments qui peuvent être présentés au tribunal pour lui permettre de prendre sa décision. La raison pour laquelle les tribunaux n'accordent pas souvent d'injonction interlocutoire dans les affaires de brevets - ils en accordent, mais pas souvent - est que, selon eux, les brevets constituent dans l'ensemble des droits quantifiables. Autrement dit, on peut calculer les profits qui en découlent. Comme on parle de grandes entreprises qui tiennent de bons dossiers, on peut calculer les sommes en jeu à la fin du processus.

L'affaire de l'énalapril dont parle Me Grell est un exemple classique des raisons pour lesquelles il ne devrait pas y avoir de règlement. Dans cette affaire, la société générique a gagné son procès sur la plupart des questions en jeu. S'il y avait eu un règlement, son produit n'aurait pas pu être commercialisé. Il s'agissait d'un produit très important et cela veut dire que le système de santé du Canada aurait dû payer beaucoup plus pour acheter les produits brevetés à des prix excessifs.

.1240

Les paramètres du critère sont connus depuis longtemps. Le problème est qu'on ne peut pas toujours gagner. C'est comme ça.

Quand on s'adresse à un tribunal, on ne gagne pas à tout coup. Il n'y a aucune raison d'imposer automatiquement une injonction contre un accusé simplement parce qu'il est accusé, ce serait manifestement inique.

Par exemple, l'une des causes figurant sur sa liste fait partie de celles que j'ai plaidées. Il s'agit de l'industrie du jouet. L'injonction a été refusée. Dans cette affaire, il aurait été complètement et manifestement injuste d'accorder une injonction, pour diverses raisons avec lesquelles je ne vais pas vous ennuyer. Il s'agit d'une affaire que je connais très bien et il est clair que l'injonction aurait été complètement injustifiée. L'affaire a été jugée par le juge en chef associé Jerome, de la Cour fédérale, ex-président de la Chambre des communes et personne très compétente. Il a écouté les deux parties. L'autre partie était représentée par Ron Dimock, l'un des avocats les plus réputés et les plus compétents dans les affaires de brevets. Après les plaidoiries, le juge Jerome a décidé de ne pas accorder d'injonction.

J'ai peine à croire que Me Grell ou l'ACIM soient plus compétentes en la matière que des générations de juges - puisque c'est de cela qu'il s'agit en fin de compte - et que votre comité devrait imposer une règle générale qui s'appliquerait dans tous les cas, de manière automatique, parce que les clients de Me Grell ne sont pas toujours d'accord avec le genre de décisions prises au sujet des injonctions interlocutoires. J'aimerais bien aussi que les Maple Leafs gagnent tous leurs matchs mais, malheureusement, ce n'est pas le cas.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup.

Je donne maintenant la parole à M. Brien, pour dix minutes.

[Français]

M. Pierre Brien: Je ne pense pas qu'on puisse réussir à dégager un consensus entre les parties impliquées sur ce point, mais je vais quand même poser quelques questions. Je ne suis pas avocat. Donc, vous allez m'expliquer le meilleur et le pire. Pour le cas où on devrait composer avec le processus d'injonction interlocutoire et de poursuite devant les tribunaux pour établir s'il y a eu contrefaçon ou non, existe-il une façon de s'assurer que ce processus soit assez rapide dans le temps?

Je peux comprendre la crainte des gens qui investissent dans le secteur pharmaceutique. Il se pourrait que durant la phase de recherche et durant la phase où il pourrait y avoir contrefaçon, il n'entre pas d'argent. Donc, ce sont des investissements très risqués. Tout le monde est sensible à cela. Y aurait-il moyen que la partie qui doit se jouer devant les tribunaux pour établir s'il y a eu contrefaçon ou non puisse se dérouler très rapidement?

[Traduction]

Me Hore: C'est une excellente question. On peut en effet obtenir un procès accéléré devant la Cour fédérale, laquelle est généralement beaucoup mieux organisée à cette fin. On fait beaucoup d'efforts à ce sujet. Comme je l'ai dit, l'affaire de l'énalapril, qui était très compliquée, a été jugée au bout de sept mois, si je ne me trompe, bien que Me Grell ait dit que c'était après l'audience relative à l'injonction, ce en quoi elle a peut-être raison. Quoi qu'il en soit, c'est une affaire qui n'a pas traîné.

L'un des obstacles qui se posent pour avoir un procès rapide, puisque c'est généralement ce que l'on demande, vient du fait que la Cour fédérale, qui juge la plupart de ces causes, fait face à un arriéré considérable et que le nombre de juges est limité. À mon avis, le temps, l'énergie et l'argent que l'on consacre à ces affaires seraient beaucoup mieux utilisés si l'on faisait exactement ce dont vous parlez, c'est-à-dire des procès accélérés.

La Cour fédérale essaie d'accélérer les choses et je suppose qu'elle y parviendrait beaucoup plus facilement - même si je ne puis évidemment m'exprimer au nom de ces bureaucrates - si elle n'avait pas 118 causes à juger, en plus de toutes les autres. Toutes ces causes repassent constamment devant la Cour d'appel fédérale. Il y a de nombreuses comparutions à ce sujet. La semaine dernière, j'ai comparu au sujet de l'interprétation du règlement. C'est une affaire qui est arrivée devant la Cour d'appel. La semaine précédente, nous étions en première instance.

Si le règlement est maintenu, je n'ai aucune hésitation à dire que Me Grell et moi-même deviendrons très riches, puisque nous sommes avocats spécialisés dans ces domaines, ce qui sera très bien pour nous mais le sera beaucoup moins pour n'importe qui d'autre.

.1245

À mon avis, ce qui serait bien pour tout le monde, ce serait que les tribunaux fassent exactement ce que vous dites, c'est-à-dire qu'ils puissent juger sur le fond et régler les problèmes.

Me Grell: Mais c'est précisément ce qu'ils font. Vous connaissez les statistiques concernant le nombre de causes qui ont été réglées devant les tribunaux. Cinquante-huit l'ont été, d'une manière ou d'une autre, dans bien des cas parce que les deux parties ont fini par s'entendre. Vingt et une causes ont été réglées en décidant que la société générique commettait de la contrefaçon. Autrement dit, l'argument de la société générique n'était tout simplement pas valable.

Si l'on abolissait le règlement de liaison, Me Hore s'en réjouirait car chacune des causes dont sont actuellement saisis les tribunaux sur les règlements de liaison deviendrait immédiatement un procès en contrefaçon dans lequel on devrait juger des questions en jeu au moment où la société générique a pu obtenir son avis de conformité - puisque c'est à ce moment-là qu'on l'apprend - et où cela pourrait perturber considérablement le marché. C'est peut-être la raison pour laquelle les sociétés génériques sont tellement attachées aux injonctions interlocutoires. Considérant la manière dont le critère a évolué devant les tribunaux et dont il a été appliqué, elles savent qu'elles ont des chances énormes - 99 p. 100 - de ne pas faire l'objet d'une injonction interlocutoire.

En revanche, le règlement de liaison permet d'avancer la date du procès, puisque procès il y aura inévitablement. Cela permet de tenir le procès sans causer d'injustice à la société générique, sans perturber le marché et sans pénaliser les consommateurs, puisque tout est décidé au moment où le produit de la société générique ne peut pas encore être commercialisé. Celle-ci doit attendre l'approbation de l'organisme de réglementation. Il n'y a donc pas de meilleur moment pour régler ces questions.

Me Hore: Puis-je répondre à cela?

[Français]

M. Pierre Brien: Je comprends. Soit dit en passant, je ne m'inquiète pas pour votre avenir personnel. Je pense que vous deux, vous n'avez pas à vous soucier de votre avenir.

Si on modifiait les règles d'obtention d'une injonction interlocutoire de façon à les rendre plus souples - on pourrait discuter de différents scénarios - , votre position resterait-elle la même, madame Grell? Si l'obtention d'injonctions était plus facile, le processus de poursuite devant les tribunaux pour déterminer s'il y a eu contrefaçon ou pas vous plairait-il davantage?

J'aimerais également entendre M. Hore sur le même sujet.

[Traduction]

Me Grell: Nous avons maintenant un processus qui marche bien et qui a fait ses preuves. En théorie, on pourrait imposer par voie législative d'autres paramètres sur l'octroi des injonctions interlocutoires. La question serait de trouver un système efficace puis, évidemment, de voir comment il serait interprété par les tribunaux. La question serait aussi de savoir si, dans ces circonstances, les injonctions interlocutoires seraient accordées plus facilement, ou si leur octroi deviendrait la norme plutôt que l'exception.

Il y a d'autres choses qu'il faudrait améliorer, par exemple veiller à ce que l'affaire passe en justice au moment où le règlement de liaison entre en application, de façon à causer le moins de préjudice possible à la société générique. Même si l'on pouvait envisager cela en théorie, il faudrait aussi veiller à ce qu'un avis soit envoyé au détenteur de brevet pour que celui-ci puisse s'adresser au tribunal alors que la société générique attend encore le droit de commercialiser son produit. On pourrait donc avoir un système de menace.

.1250

Vous parlez maintenant d'imposer par voie législative un critère qui remplacerait celui qui s'applique aujourd'hui, et nous devrions attendre de voir si ce critère serait interprété de manière à ce que le processus soit efficace la plupart du temps ou jamais.

Le critère actuel a été adopté avec les meilleures intentions au monde. La Chambre des lords voulait en assouplir son application en ce qui concerne les injonctions interlocutoires. Cela dit, tout dépend des circonstances et de la manière dont on interprète la législation dans les diverses situations. Or, nous avons vu comment a évolué l'interprétation du «préjudice irréparable». Cela ne veut pas dire que l'on ne fait pas confiance aux tribunaux mais plutôt qu'il peut toujours y avoir des interprétations différentes qui peuvent être contestées par certaines parties, et que même les tribunaux d'appel peuvent ne pas être d'accord avec les tribunaux de première instance. C'est pour cette raison que nous avons deux paliers d'appel dans notre pays.

Me Hore: Je crois que votre question était de savoir si l'on peut modifier le système pour l'assouplir en ce qui concerne l'octroi des injonctions interlocutoires. Si je comprends bien, vous recommandez une réglementation. Évidemment, loin d'assouplir le système, cela aurait tout à fait l'effet contraire.

La beauté du système actuel est qu'il est souple. Le juge écoute les parties et il détient le pouvoir ultime de décider ce qui est juste. Si l'on adopte un règlement imposant un critère extrêmement rigoureux, cela aura pour seul effet de menotter le juge. On lui dira quoi faire, apparemment, je suppose, parce qu'on ne croit pas qu'il prendra la bonne décision.

Cela me semble tout à fait injustifié. En outre, cela mènera exactement au genre de situation que nous connaissons aujourd'hui où des centaines de causes sont portées devant les tribunaux parce que, si l'on peut obtenir automatiquement une injonction interlocutoire, c'est évidemment ce que l'on va essayer de faire.

C'est cela qui se passe actuellement. Comme le simple dépôt d'une demande devant les tribunaux a pour effet d'imposer une injonction interlocutoire pendant deux ans et demi, on le fait souvent. Tout le monde le fait. On profite de chaque occasion possible, et l'on ne peut le reprocher aux détenteurs de brevets. Ils profitent simplement du système juridique.

Il est clair que les parties essaieront de profiter de tout système qui leur permet d'agir de cette manière et il est clair aussi que cela aura des effets injustes car, par définition, on aura privé les juges du droit d'examiner la situation et de rendre une décision juste en fonction des faits.

Me Grell: Puis-je corriger ce qui vient d'être dit au sujet de «chaque occasion»?

[Français]

M. Pierre Brien: J'aimerais poursuivre là-dessus, monsieur Hore, mais actuellement, les injonctions sont obtenues plus facilement. Si on faisait des modifications, on obtiendrait une injonction plus facilement si le détenteur du brevet n'avait pas raison et vous obtiendriez des dommages. Donc, si l'injonction était plus facile à obtenir, ils ne l'utiliseraient pas de façon systématique, puisqu'ils auraient eux aussi des dommages à verser.

[Traduction]

Me Hore: Tout dépendrait évidemment de la manière dont ce serait rédigé. Je crois cependant que l'on risquerait de connaître le même problème qu'avec le règlement actuel. Celui-ci a peut-être été rédigé dans de bonnes intentions mais il a fini par aboutir à des situations injustes, et c'est pourquoi il y a actuellement devant les tribunaux tant de produits qui ne peuvent être commercialisés. Il ne semble y avoir aucune raison à cela. La population canadienne me semble certainement avoir le droit d'avoir accès à des produits meilleur marché si c'est possible.

En dernière analyse, il est vrai qu'il y a peut-être des dispositions prévoyant le paiement de dommages et intérêts à la société générique mais quel est l'avantage pour la population canadienne? Les gens finissent par payer plus cher pour le médicament alors que l'on risque fort bien de constater, des années après, que le médicament contesté ne constituait pas une contrefaçon. Je suppose que la société générique pourrait obtenir des dommages et intérêts mais cela ne changerait rien au fait que tous les organismes provinciaux auraient payé trop cher pendant longtemps. Personne ne va leur donner de l'argent à eux. En fin de compte, cela revient à faire assumer le risque par le grand public plutôt que par l'accusé comme cela devrait être le cas.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Quelqu'un a-t-il une remarque à faire à ce sujet?

Me Grell: Tout d'abord, il faut bien se garder de dire que l'on devrait accepter les contrefaçons parce que le public y trouve son compte, étant donné que les produits contrefaits sont toujours moins chers. Dans ce cas, on pourrait dire la même chose des contrefaçons des programmes informatiques ou de n'importe quoi d'autre. Oui, les contrefaçons coûtent moins cher, mais est-ce là le problème?

.1255

Il ne faut pas oublier qu'il s'agit aussi de protéger la propriété intellectuelle, c'est-à-dire les bienfaits de la recherche et de la commercialisation de nouveaux médicaments. On a déjà entendu parler de tout cela.

En outre, il n'est pas vrai que les détenteurs de brevets vont constamment devant les tribunaux en vertu du règlement de liaison. Les procédures qui ont jusqu'à présent échoué pour contester la validité de ces textes réglementaires ont révélé des choses intéressantes. Les données ne vont que jusqu'à 1994, ce qui veut dire qu'elles ne sont pas complètes, mais elles montrent néanmoins que l'industrie générique a reconnu que, même si elle n'avait à l'époque qu'un nombre limité de demandes devant la Cour en vertu du règlement de liaison 60, elle avait plus de 200 demandes d'avis de conformité devant le gouvernement. Tout n'aboutit pas automatiquement devant les tribunaux et il ne faut pas oublier que c'est la société générique qui choisit de mettre le processus en marche ou non en formulant une contestation.

En outre, les données cumulées jusqu'au mois d'octobre 1994 montrent qu'un sondage effectué auprès des membres de l'ACIM a révélé que, dans 23 cas, ceux-ci avaient reçu un avis d'allégation mais ne s'étaient pas adressés aux tribunaux. En outre, le chiffre réel était peut-être plus élevé parce qu'il ne s'agissait pas d'une enquête tout à fait complète. Je sais personnellement qu'il y a de nombreux cas où des avis d'allégation ont été adressés à des sociétés sans que des procédures soient intentées devant les tribunaux.

Vous avez reçu des recommandations, sur lesquelles nous reviendrons plus tard, concernant la divulgation de plus d'informations, tout en en protégeant la confidentialité, ce qui permettrait d'évaluer mieux et plus rapidement si la Cour est saisie d'une cause légitime.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci beaucoup.

Monsieur Schmidt.

M. Werner Schmidt: Merci, monsieur le président. Je voudrais aborder plusieurs questions. Je crois que notre animateur, M. Vaver, a dit que les facteurs primordiaux sont les suivants: est-ce juste, est-ce équitable, est-ce adéquat?

Sous sa forme actuelle, la législation est-elle juste, équitable et adéquate? Le règlement proposé et le règlement actuel sont-ils justes, équitables et adéquats?

Me Grell nous a dit tout à l'heure qu'elle fait confiance aux tribunaux et qu'elle les appuie. Si je me souviens bien, elle a dit cela dans le contexte des trois volets du critère utilisé pour accorder ou non une injonction interlocutoire. Plus tard, elle a dit qu'il serait peut-être préférable d'appliquer un critère formulé par voie législative.

J'aimerais comprendre. Ou l'on fait confiance aux tribunaux et aux juges, ou on ne leur fait pas confiance. Ou on impose un critère par voie législative ou on ne le fait pas. En fin de compte, qui décide que le système est juste, équitable et adéquat? Doit-on s'en remettre aux avocats des parties, au détenteur de brevet ou à la société générique?

Il me semble évident que les avocats des parties n'auront pas la même opinion sur la justice et l'équité. Pourtant, je pense qu'il devrait y avoir à ce sujet une sorte de jalon objectif, fondé sur une norme qui ne serait déterminée ni par les sociétés génériques ni par les sociétés pharmaceutiques.

Je voudrais donc demander à l'animateur et à chacun des avocats qu'est-ce qui serait juste, équitable et adéquat, non pas du point de vue des intérêts respectifs des entreprises qu'ils représentent mais plutôt en fonction des éléments plus abstraits et plus exhaustifs dont le législateur doit tenir compte.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Monsieur Vaver.

.1300

M. Vaver: Je me sens un peu dans la situation de Ponce Pilate: qu'est-ce que la justice, demanda-t-il en plaisantant, mais sans attendre la réponse.

La question que vous posez est très complexe. En dernière analyse, tout dépend des objectifs que l'on...

M. Werner Schmidt: Cela allait être ma deuxième question.

M. Vaver: Je vais essayer de présenter les choses sous un angle un peu différent. Il est évident que ces règlements ne sont parfaits pour personne. La question est de savoir si vous pensez qu'ils donnent des résultats satisfaisants ou qu'ils pourraient donner de meilleurs résultats. Si vous pensez que les résultats pourraient être meilleurs, la question est de savoir s'il vaudrait mieux modifier le règlement ou le supprimer complètement en laissant tout le pouvoir aux tribunaux. Quelle que soit la solution, vous n'aurez pas de réponse parfaite. La perfection n'existe pas dans ce monde.

Le problème est que, si l'on décide que le règlement est tellement inefficace qu'il faut le supprimer, par quoi va-t-on le remplacer? Quel est le mécanisme le plus juste qui pourra le remplacer?

Il est vrai que les tribunaux se fondent sur une norme en ce qui concerne les injonctions interlocutoires. Ce qui est intéressant, c'est qu'ils appliquent cette norme dans tous les cas. Qu'il s'agisse d'affaires constitutionnelles ou de brevets, d'affaires d'intrusion ou de propriété foncière, c'est toujours le même principe. Je suppose que l'argument qui est avancé est que les tribunaux ne tiennent pas suffisamment compte de ce qu'il y a de particulier dans les brevets et, comme les avocats pourraient le dire, dans les brevets pharmaceutiques en particulier.

Je crois que l'on a raison de dire que la loi est jurisprudentielle. Il est vrai aussi qu'elle a évolué et qu'on y trouve aujourd'hui des nuances favorisant certains types de décisions plutôt que d'autres.

Par exemple, vous pensez peut-être qu'il est devenu plus difficile - c'est maintenant une question de jugement - d'obtenir une injonction interlocutoire dans une affaire de brevet que cela ne devrait l'être. De même, vous pourriez dire: Écoutez, ces affaires sont extrêmement difficiles; il s'agit d'un brevet dont nous ne savons pas avec certitude s'il est valide. Il a été accordé mais nous ne savons pas s'il est vraiment valide et nous ne savons pas avec certitude si l'accusé fait de la contrefaçon; laissons le juge examiner les faits et rendre une décision car, après tout, c'est à cela qu'il sert. On ne peut pas régler chaque affaire par voie législative. Ce serait impossible. Pourtant, c'est que veulent les tribunaux.

L'une des options envisagées dans votre document consisterait à assouplir la norme d'octroi des injonctions interlocutoires en remplaçant le deuxième volet du critère, le préjudice irréparable, par quelque chose de moins rigoureux, comme un préjudice matériel substantiel par exemple, et en essayant de refocaliser les tribunaux sur la balance des inconvénients, c'est-à-dire sur les torts respectifs que pourraient subir les parties suite à l'octroi ou du refus d'une injonction. C'est une option que vous pourriez envisager mais seulement si vous pensez que le règlement ne donne pas de résultats satisfaisants et qu'il conviendrait l'abandonner. Dans ce cas, vous devriez vous demander également s'il faut s'en remettre totalement aux tribunaux ou si l'on devrait essayer de fixer des paramètres un peu plus précis pour leurs décisions. La question est de savoir s'ils ont fait un bon travail dans les affaires de brevets, notamment de brevets pharmaceutiques. C'est une question plus difficile.

Je regrette de ne pas pouvoir être plus précis que cela. J'essaie d'être aussi neutre que possible tout en essayant de vous donner une réponse utile.

Me Hore: Puis-je faire une remarque? Je sais que le temps passe vite.

.1305

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Vous pouvez faire une remarque en vous limitant à une minute ou une minute et demie. Me Grell pourra faire de même. Je suis sûr que M. Schmidt comprend que le temps passe vite.

M. Werner Schmidt: D'accord. C'est de l'usurpation de temps.

Me Hore: L'hypothèse est que les tribunaux ne peuvent pas être équitables envers les détenteurs de brevets pharmaceutiques. Voilà essentiellement le thème de notre débat. Cela dit, nous n'avons pas vraiment essayé d'utiliser les tribunaux simplement de la manière normale car, avant 1993, il y avait un système de licences obligatoires et, par conséquent, très peu de causes concernant des brevets. Il y en a eu quelques-unes mais pas beaucoup étant donné qu'il y avait les licences obligatoires. Depuis 1993, nous avons des textes réglementaires qui semblent être truffés de problèmes.

On pourrait abolir le règlement, ce qui ne serait pas très difficile, en essayant de laisser les tribunaux décider eux-mêmes.

Si M. Vaver ou certains de ses collègues, universitaires ou non, estiment que les tribunaux ne sont pas capables de traiter équitablement les détenteurs de brevets pharmaceutiques - je crois que ce serait très peu probable - on pourrait alors quelques années après le début de cette expérience essayer de mieux cerner le problème afin de le résoudre par voie réglementaire ou autrement. Il ne me paraîtrait pas très raisonnable de ne même pas essayer d'utiliser les tribunaux de cette manière, étant donné que cela reviendrait tout simplement à dire à priori qu'ils n'en sont pas capables.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Maître Grell.

Me Grell: On a déjà essayé de faire appel aux tribunaux au sujet d'injonctions interlocutoires. Même à l'époque des licences obligatoires, il y a eu dix demandes entre 1970 et 1993 dans lesquelles on a invoqué tous les motifs de préjudice irréparable mais sans jamais pouvoir satisfaire au critère.

La question n'est pas de savoir si l'on fait confiance aux juges ou non. Sinon, cela vaudrait pour n'importe quel texte de loi. On ne pourrait jamais rien changer. Ce qui compte, c'est de savoir si la situation actuelle, dans le contexte de l'industrie pharmaceutique, qui possède certaines caractéristiques spéciales, permet d'atteindre l'objectif de protection adéquate et efficace des brevets.

Laissez-moi vous indiquer brièvement quelques-uns des facteurs spéciaux de l'industrie pharmaceutique qui font qu'il est plus difficile d'assurer une protection adéquate et efficace en l'absence d'injonctions interlocutoires.

Il s'agit d'une industrie qui exige de longs processus de mise au point avec une brève période d'exclusivité commerciale car il peut arriver que la durée des brevets, qui est de dix ans, soit épuisée par le processus de mise au point et d'approbation.

M. Werner Schmidt: Monsieur le président.

Me Grell: Je serais très brève.

M. Werner Schmidt: Il me semble que nous avons déjà entendu tout cela.

Me Grell: J'essaie de replacer les choses dans leur contexte.

M. Werner Schmidt: Nous pouvons le faire nous-mêmes.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Répondez aux déclarations de l'animateur et deMe Hore, après quoi nous passerons aux questions suivantes.

Me Grell: Nous avons des produits qui sont très faciles à copier. En outre, il y a dans les provinces des lois de substitution obligatoire qui entraînent une perte automatique de marché même si, comme dans le cas de l'énalapril, le produit générique commence par se vendre à seulement10 p. 100 moins cher que le produit breveté avant de descendre ensuite à 20 p. 100.

Il est très facile de comparer cela à tous les autres produits industriels comme les caméras ou les téléphones. Si un contrevenant commercialise l'un de ces produits pendant la durée de vie d'un brevet, l'une des différences importantes est que personne n'obligera le client à acheter le produit du contrevenant. Le contrevenant devra commercialiser son produit en essayant de convaincre le public qu'il est meilleur.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Merci.

J'essaie de limiter chaque personne à dix minutes mais il est évident que l'on arrive à douze ou quatorze minutes à chaque fois.

Me Hore: Je me demande si je pourrais répondre...

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Non, nous devons poursuivre.

Me Hore: Mais Me Grell vient de formuler une hypothèse générale au sujet de l'industrie.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Je suis sûr que les députés sauront faire la part des choses.

Me Hore: Nous avons également une opinion à ce sujet.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Mme Parrish va partager son temps avecMme Brown. Je vous donne environ sept minutes à chacune.

.1310

Mme Carolyn Parrish (Mississauga-Ouest, Lib.): Merci. Je n'aurai peut-être pas besoin de sept minutes.

Je suis une personne assez simple et j'aimerais avoir des réponses simples. Comme j'ai tendance à tirer les leçons de l'histoire, j'aimerais revenir sur cette question des injonctions interlocutoires du point de vue américain ou britannique, étant donné que ces pays appliquent ce système depuis beaucoup plus longtemps que nous. Si je comprends bien le projet de loi C-91, il a été adopté en vue de nous préparer à l'ALENA, c'est-à-dire pour que nos brevets soient conformes à ceux de nos principaux partenaires commerciaux. Dans ce contexte, cependant, nous avons adopté trois exceptions concernant la transformation, l'entreposage et la mise à l'essai réglementaire, afin de favoriser l'établissement d'une industrie générique prospère dans notre pays. Jusqu'à présent, l'histoire a montré que les sociétés génériques se portent fort bien.

Le projet de loi C-91 est donc unique dans la mesure où il comporte des éléments qui n'existent pas chez nos partenaires commerciaux. En revanche, ceux-ci ont une beaucoup plus longue expérience que nous de ce processus.

L'un d'entre vous pourrait-il nous donner des exemples britanniques ou américains nous montrant si le système marche mieux dans ces pays ou s'il est aussi compliqué que chez nous?

Me Grell: Si je peux commencer avec les États-Unis, qui ont établi en 1984 un système de liaison similaire au nôtre - et c'est cette partie de l'évolution historique qui vous intéresse - pour la même période de trente mois, l'une des différences pertinentes est que le procès en contrefaçon doit se tenir dans les trente mois. Les États-Unis disposent également de ce qui semble être le système le plus rigoureux d'octroi d'injonctions interlocutoires pendant cette période.

Il est également intéressant de constater que les tribunaux américains appliquent le même critère à trois volets. Cependant, lorsqu'il s'agit de déterminer un préjudice irréparable dans le contexte d'un brevet pharmaceutique, une fois que l'on a montré que celui-ci semble être valide, les tribunaux américains considèrent dès le départ que priver le détenteur de brevet de son exclusivité commerciale est irréparable en soi, puisque telle est la nature même des brevets. Ils tiennent compte de facteurs que nous laissons de côté au Canada, comme le détournement potentiel du marché ou le fait que la société générique ou contrevenante tire avantage d'informations issues des recherches effectuées par l'innovateur. Ils considèrent que la perte de part du marché est irréparable, tout comme la perte de réputation et l'effet des changements technologiques qui risquent de rendre votre produit désuet.

Il y a donc les deux systèmes aux États-Unis, avec un système assez rigoureux d'injonctions interlocutoires. Il y a également un système de protection des données non divulguées qui est beaucoup plus sévère que le nôtre étant donné que la société générique n'a pas le droit d'avoir accès aux données de l'innovateur puisqu'elle ne peut déposer de nouvelle demande abrégée pendant au moins cinq ans suivant l'équivalent de l'AC de l'innovateur.

Au Royaume-Uni, on ne semble pas accorder d'injonctions interlocutoires aussi facilement qu'aux États-Unis, bien qu'il y en ait quand même. L'examen de la jurisprudence montre qu'il y a très peu de litiges entre les sociétés pharmaceutiques et les sociétés génériques. Si l'on examine les autres affaires de brevets ayant donné lieu à l'octroi d'injonctions interlocutoires, le critère que semblent utiliser les tribunaux en ce qui concerne le préjudice irréparable est ce qu'ils appellent «l'effet de tremplin». Si on laisse le contrevenant entrer sur le marché avant l'expiration du brevet, il bénéficie d'un tremplin pour faire encore mieux concurrence à l'innovateur à l'expiration du brevet.

Comparez cette situation à celle du Canada. Nous avons aboli cela par voie législative. Nos tribunaux n'acceptent plus cette notion dans le cadre du préjudice irréparable étant donné que nous avons adopté dans la loi une exception autorisant la société générique à constituer des stocks six mois avant l'expiration du brevet. Au Royaume-Uni, parallèlement à un système dans lequel la société générique sait qu'il y a de bonnes chances qu'elle fasse l'objet d'une injonction interlocutoire, on a une règle de protection des données non divulguées pendant dix ans, pour les nouveaux produits, ce qui fait que la société générique ne peut présenter de demande d'approbation réglementaire en se fondant sur les données de l'innovateur tant que dix ans ne se sont pas écoulés. Il y a également dans les deux pays un système de rétablissement de la durée de vie du brevet.

.1315

Nous parlons donc tous des mêmes critères et des mêmes causes. Me Hore et moi-même traitons des mêmes causes. En dernière analyse, cependant, il s'agit de voir comment on applique le même critère théorique dans chaque pays et quels en sont les résultats.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Maître Hore.

Me Hore: Vous trouverez dans notre documentation une opinion de la firme Lenczner Slaght, dont vous avez rencontré les représentants mardi si je ne me trompe. Après avoir examiné le critère d'octroi des injonctions interlocutoires au Royaume-Uni, aux États-Unis et au Canada, elle est parvenue à la conclusion que c'est essentiellement le même. Elle évoque certaines causes et elle dit que les injonctions ne semblent pas être accordées très souvent au Royaume-Uni, bien qu'elles puissent l'être dans des cas appropriés. Elle tire essentiellement la même conclusion au sujet des États-Unis. Les injonctions sont parfois accordées mais pas toujours.

Évidemment, on peut dire la même chose du Canada. Nous n'avons pas eu beaucoup de causes étant donné qu'il y avait un système de licences obligatoires et, depuis son abandon, le règlement des avis de conformité. Notre expérience est donc relativement limitée.

Cela dit, il ne semble y avoir aucune raison de conclure que le critère appliqué aux injonctions interlocutoires soit différent chez nous. N'oublions pas d'ailleurs ce que disait M. Vaver, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un critère qui s'applique à tout le système des poursuites judiciaires. Et c'est essentiellement le même parce qu'il repose sur le bon sens. En fin de compte, c'est vraiment de cela qu'il s'agit.

Me Grell a parlé du système américain où existe un système de liaison depuis 1984, soit depuis 13 ans. Aucun autre pays n'a copié ce système parce qu'il est extrêmement complexe et que tout le monde, aux États-Unis, si j'ai bien compris, en est mécontent, pour des raisons variables. Le système a été mis en place en 1984 pendant le premier mandat de Ronald Reagan suite à l'un de ces compromis extrêmement complexes dont le Congrès est friand. La situation qui prévalait auparavant était très différente de celle dans laquelle nous sommes aujourd'hui ou dans laquelle nous étions en 1993.

Plusieurs des dispositions américaines, qui n'existent pas chez nous, étaient destinées à être favorables aux sociétés génériques. Par exemple, si l'on réussit à faire déclarer qu'un brevet est invalide, on obtient six mois d'exclusivité commerciale. La justification de cette mesure est qu'il existe un intérêt public dans ce qu'on appelle parfois le «cassage» de brevets, c'est-à-dire que tout le monde est bénéficiaire lorsqu'on fait invalider un brevet, puisque cela met fin à un monopole commercial. C'est un système qui est donc assez différent à plusieurs égards. Il s'applique à un contexte différent et les gens n'en semblent pas particulièrement satisfaits.

En ce qui concerne le Canada, nous devrions nous pencher attentivement sur ces questions afin de décider une fois pour toutes si le système est bon ou mauvais. C'est cela, plus que n'importe quoi d'autre, qui devrait fonder notre décision.

Mme Carolyn Parrish: Puis-je avoir une brève réponse de M. Vaver, monsieur le président? J'aimerais connaître son avis.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Oui. Il reste très peu de temps.

M. Vaver: Tout d'abord, je pense qu'il est exact de dire que le critère d'octroi des injonctions interlocutoires n'est pas très différent dans les trois pays. Certes, il y a quelques différences mineures dans la terminologie mais je crois qu'il serait très difficile d'affirmer qu'un pays accorde plus d'injonctions interlocutoires qu'un autre dans les affaires de contrefaçon. Il est cependant difficile d'obtenir des données précises à cet égard car beaucoup de causes ne sont pas signalées. C'était ma première remarque.

Ma deuxième est qu'il est difficile de comparer directement les divers systèmes étant donné qu'il y a au Royaume-Uni un mécanisme de protection des données non divulguées alors que, pour le système américain, dès que l'on a déposé une demande d'avis de conformité, c'est considéré comme un acte technique de contrefaçon et que le détenteur de brevet doit décider immédiatement s'il fait un procès ou non. On peut bien dire que le critère d'octroi des injonctions interlocutoires est le même mais il faut l'examiner dans le contexte réel dans lequel il est appliqué. Si l'on accepte cela, on constate que les trois situations sont très différentes et qu'il est très difficile de faire des comparaisons.

Mme Carolyn Parrish: J'ai cependant l'impression que nous avons le pire des mondes possibles.

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M. Vaver: Je ne porte aucun jugement à ce sujet. C'est à vous de le faire.

Mme Carolyn Parrish: Merci.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Madame Brown.

Mme Bonnie Brown: Merci, monsieur le président.

Je constate que presque tout le monde reconnaît que les juges n'accordent pas facilement d'injonctions interlocutoires dans les affaires de brevets mais j'ai le sentiment que les juges ont probablement de bonnes raisons d'hésiter, considérant toutes les années de jurisprudence dont ils bénéficient pour se former une opinion. Je ne vois donc pas là d'argument justifiant que l'on ait un système de réglementation spécial pour les produits pharmaceutiques.

Cela dit, maître Grell, vous affirmez que le critère du préjudice irréparable est difficile à respecter, ce dont je conviens. N'est-il cependant pas difficile à respecter dans toutes les industries où il y a des brevets?

Deuxièmement, vous dites qu'il est difficile d'obtenir des dommages et intérêts et que cela prend longtemps. Cela ne vaut-il pas également pour toutes les entreprises de toutes les industries où il y a des brevets?

Vous avez utilisé deux ou trois fois l'expression «surtout dans l'industrie pharmaceutique». Je n'ai cependant rien entendu qui me permette de penser que l'industrie pharmaceutique soit différente des autres sur le plan des brevets, ni rien qui explique pourquoi ces derniers sont plus importants pour cette industrie. L'une de vos raisons est qu'il y a dans les provinces des lois de substitution obligatoire. À mon avis, cela est parfaitement conforme à l'intérêt public et n'a strictement rien à voir avec les brevets pharmaceutiques.

Monsieur Vaver, vous pourriez peut-être intervenir à la fin pour répondre à ma dernière question. Si l'on abolit le règlement, avez-vous dit, par quoi allons-nous le remplacer? Cela sous-entend qu'il faudrait le remplacer par quelque chose. Toutefois, il n'y a rien de similaire dans les autres industries et aucune ne semble s'en plaindre. J'ai donc toujours cette grande question que je n'arrive pas à résoudre. Il y a beaucoup d'entreprises diversifiées dans ma circonscription, ce qui est très positif. Je me demande cependant pourquoi il faudrait adopter des règles spéciales pour une entreprise particulière, alors que toutes les autres doivent se battre avec ce que vous dites être un système inadéquat de recours judiciaire.

Merci, monsieur le président.

Me Grell: Il y a dans tout cela un aspect historique qui peut peut-être expliquer pourquoi cette industrie est dans une situation particulière. Il y a aujourd'hui parmi nous le représentant d'une industrie qui souhaite rétablir le système des licences obligatoires, et tout ce qui allait avec, et c'est l'industrie spéciale et très développée des produits pharmaceutiques génériques. Et cela n'existe que dans le secteur pharmaceutique. L'autre facteur qui est particulier à l'industrie pharmaceutique est que le secteur générique est né, s'est développé et est devenu ce qu'il est grâce à un régime spécial de licences obligatoires qui s'appliquait seulement à lui. C'est donc une industrie qui s'est développée sur la base d'une philosophie tout à fait particulière voulant qu'elle ait le droit de venir faire directement concurrence aux détenteurs de brevets pendant la durée de vie de ces brevets. Vous ne trouverez pas ce genre de philosophie générique dans les autres industries.

Il faut ajouter à cela la législation de substitution des provinces. Je ne conteste pas l'intérêt public mais l'effet de cette législation sur l'industrie pharmaceutique, si on compare celle-ci aux autres, est qu'elle subit une perte immédiate et considérable de part du marché parce que les clients sont obligés d'utiliser des produits génériques. Il y a donc peut-être beaucoup d'industries qui utilisent des brevets mais il n'y en a aucune qui se caractérise par cette culture ou cette philosophie sociale.

Par définition, les industries génériques sont des industries qui arrivent sur le marché après l'expiration des brevets. Nous voyons maintenant une tendance des tribunaux, et j'affirme que c'est lié à la manière dont on a interprété la notion de préjudice irréparable au Canada au cours des années, où il devient aussi difficile d'obtenir des injonctions interlocutoires pour d'autres types de brevets.

On constate une difficulté égale en matière de droits d'auteur et de marques commerciales. Depuis cette cause de 1994, et malgré Turbo Ressources et RJR, les tribunaux ne se penchent plus, par exemple, sur le fait que quelqu'un contrevient à une marque commerciale. Ils ne considèrent plus que la perte d'exclusivité liée à la marque commerciale constitue une forme de préjudice irréparable. Ils ne se penchent plus sur les cas flagrants d'infraction aux droits d'auteur pour décider d'accorder une injonction interlocutoire. Le critère est donc devenu beaucoup plus difficile à respecter depuis trois ans, notamment depuis l'affaire Center Ice c. Ligue nationale de hockey. Et les Sénateurs sont pratiquement dans les éliminatoires!

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Le vice-président (M. Walt Lastewka): Il vous reste quelques minutes, madame Brown.

Je veux prévenir tout le monde que c'est une sonnerie de 15 minutes. Nous nous réunirons cet après-midi dans l'autre salle, la pièce 237, ce qui vous oblige à emporter vos documents. Si les députés veulent bien rassembler tous leurs documents, on les transportera pour eux dans l'autre pièce qui sera fermée à clé jusqu'à la reprise de nos travaux, à 15 h 30.

Mme Bonnie Brown: M. Vaver n'a pas eu la possibilité de répondre.

M. Vaver: Il est vrai que c'est le même critère qui s'applique dans les cas de propriété intellectuelle, de marques commerciales, de droits d'auteur et de toutes les autres questions similaires. Il ne s'applique pas aux brevets. Il est très difficile d'obtenir une injonction interlocutoire.

Je crois que vous avez également mis le doigt sur quelque chose d'important en disant que les juges ont fini par décider, suite à l'expérience acquise, qu'il est juste qu'il soit difficile d'obtenir une injonction interlocutoire parce que cela revient à formuler un jugement sans avoir obtenu toutes les preuves, qui peuvent être présentées que lors d'un procès. Nous savons fort bien, même dans le cadre d'une séance de comité comme celle-ci, qu'il est facile de porter des jugements sans preuves suffisantes. Voilà ce dont les juges essaient de se garder.

La situation de l'industrie pharmaceutique est-elle spéciale? Historiquement, comme l'a ditMe Grell, c'est évident. On peut cependant se demander, de manière tout à fait légitime, si ce caractère historiquement spécial justifie aujourd'hui que cette industrie soit traitée différemment des autres. Cette industrie, avec ses brevets, est-elle aujourd'hui tellement différente de toutes les autres qu'elle mérite d'être traitée différemment? Il y a encore une différence importante, et c'est le fait que c'est une industrie extrêmement réglementée dans le sens où elle ne peut commercialiser de médicament sans une procédure spéciale. Cela est également vrai des produits génériques et c'est pourquoi les sociétés génériques peuvent avoir accès aux données et se mettre à commercialiser leurs produits en copiant les autres de cette manière. Il faut se demander si cette différence est suffisante pour justifier un traitement spécial.

Mme Bonnie Brown: Cela dit, les règlements qui s'appliquent, par exemple, en matière de sécurité peuvent être comparables à ceux qui s'appliquent à d'autres industries où il y a aussi des critères de sécurité. Cela ne suffit donc pas à rendre l'industrie pharmaceutique spéciale. En fait, si c'est la seule industrie qui est présente ici aujourd'hui, comme l'a dit Me Grell, c'est parce que c'est la seule qui est régie par sa propre loi, dont nous discutons, le projet de loi C-91. Nous ne discutons pas de la Loi sur les brevets. Si nous discutions de la Loi sur les brevets, monsieur le président, il y aurait beaucoup d'autres industries qui seraient représentées aujourd'hui. La raison pour laquelle il n'y a ici que des représentants de l'industrie pharmaceutique, c'est que ce projet de loi ne s'applique qu'à cette industrie.

Le vice-président (M. Walt Lastewka): Cela met un terme à notre séance. Je remercie les témoins. Je suis sûr que vous saurez profiter de la pause de deux heures avant la reprise de nos travaux.

Les députés ont environ quatre minutes pour se rendre à la Chambre s'ils veulent voter.

La séance est levée.

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