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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 16 avril 1996

.1535

[Traduction]

La présidente: Bienvenue. Cet après-midi, nous accueillons le Conseil canadien de la sécurité. Nous avons jusqu'à 17 heures.

Comme à l'habitude, nous écouterons votre exposé, pour ensuite passer à la période de questions. Plus votre exposé sera long, moins nous aurons de temps pour poser des questions. Je m'en remets à vous.

M. Emile-J. Therien (président, Conseil canadien de la sécurité): Merci, madame la présidente.

Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du Comité permanent de la justice et des questions juridiques, je vous remercie d'avoir invité le Conseil canadien de la sécurité à témoigner devant votre comité dans le cadre de votre examen exhaustif de la Loi sur les jeunes contrevenants, communément appelée la LJC.

Il y a actuellement peu de lois qui suscitent une réaction aussi forte que la Loi sur les jeunes contrevenants. Elle a été la source de pleurs et de colère chez les victimes, elle a donné lieu à des accusations de surmédiatisation et à de la crainte et de la confusion dans le grand public. Il ne fait aucun doute que l'on se préoccupe de plus en plus de la criminalité chez les adolescents au pays.

[Difficultés techniques - Le rédacteur]

.1540

M. Therien: Je poursuis.

Les adolescents, et non pas les adultes, reçoivent une attention disproportionnée lorsque des crimes sont signalés. Qu'ils soient accusés ou victimes, les jeunes Canadiens sont au centre des préoccupations des Canadiens en matière de crime. Pourtant, les résultats de l'enquête auprès des tribunaux de la jeunesse de 1992-1993 menée par le Centre canadien de la statistique juridique montrent que les meurtres représentaient 42 des cas entendus par les tribunaux de la jeunesse pendant cette période, les tentatives de meurtre, 74, et les voies de fait, 311. Il importe de noter que dans plus de 50 p. 100 des cas les accusés avaient 16 ou 17 ans. Ces chiffres sont négligeables en comparaison des 132 000 accidents dus à la conduite en état d'ébriété qui ont été signalés par la police en 1992 et qui représentent 61 p. 100 de toutes les violations des dispositions sur la conduite automobile contenues dans le Code criminel. Vous savez tous que la conduite en état d'ébriété est un des facteurs qui contribuent aux 1 800 décès et 60 000 blessures qui surviennent chaque année au pays dans des accidents de voiture.

Le rapport de Statistique Canada sur la criminalité au Canada en 1993 qui a été rendu public en août dernier indique que le nombre de crimes signalés cette année-là... Je signale que notre mémoire vous a été envoyé en novembre dernier et qu'il est donc un peu dépassé, mais notre point de vue est essentiellement le même.

.1545

Le nombre de crimes signalés l'an dernier était inférieur à 5 p. 100 par rapport à celui de 1993, et le nombre de crimes violents - à savoir les voies de fait, les voies de fait de nature sexuelle et les tentatives de meurtre - a diminué de 3 p. 100. Le crime chez les jeunes, qui ne cesse de baisser depuis 1991, a connu une réduction de 5 p. 100 cette année-là. En 1994, le taux de meurtre a chuté de 6 p. 100, pour atteindre son niveau le plus bas en 25 ans. Le nombre réel d'homicides, 596, représentait une baisse par rapport aux 630 de l'année précédente.

Il se commet donc moins de crimes au pays. Le taux de criminalité baisse dans la plupart des provinces et des grandes villes. Il n'est pas de plus en plus dangereux de vivre au Canada. C'est un mythe alimenté par l'opportunisme politique, l'émotivité et la publicité exagérée menée par les médias, qui laissent croire que la criminalité augmente.

Bien que les craintes croissantes ne correspondent pas aux faits, la peur, elle, est bien réelle. De fait, la peur du crime est plus susceptible que le crime lui-même de détruire nos collectivités. Les Canadiens qui ont peur de se promener dans la rue finiront par créer ce qu'ils craignent le plus: des quartiers et des rues abandonnés et dangereux. Nous devons faire l'impossible pour que cela ne devienne pas une caractéristique de nos collectivités. Il incombe au Conseil canadien de la sécurité et à d'autres organisations représentant des intérêts et un nombre important de gens de présenter et d'interpréter les faits comme il se doit et de dire haut et fort que les Canadiens vivent encore dans une société sûre et civilisée.

Les solutions au problème de la criminalité juvénile sont complexes et doivent comprendre à la fois l'amélioration des lois, et des mesures qui s'attaquent à la source même du crime, soit la pauvreté, le chômage, le racisme, l'absence d'estime de soi, etc. Il faut répondre aux besoins des enfants à risque avant même qu'ils n'aient des démêlés avec la justice.

Le Conseil canadien de la sécurité appuie les propositions contenues dans le projet de loi C-37, qui a été adopté par le Sénat en juin dernier. À notre avis, ces modifications traduisent le principe important selon lequel les jeunes contrevenants qui commettent des crimes graves doivent être traités différemment des jeunes qui commettent un délit mineur ou des délinquants primaires. Ces modifications mettent l'accent sur la détention comme dernier recours pour les contrevenants non violents et sur l'usage efficace de mesures communautaires visant à modifier les comportements criminels. La loi C-37 prévoit que tout tribunal pour la jeunesse qui condamne un jeune contrevenant à la détention doit expliquer pourquoi d'autres mesures, telles que les travaux communautaires ou le dédommagement ne sont pas indiquées. La loi établit aussi des liens entre la sécurité du public, la réinsertion sociale des jeunes contrevenants et la prévention du crime.

Malheureusement, lorsque le ministre de la Justice, l'honorable Allan Rock, a annoncé les changements qu'il proposait à la LJC en 1994, seules ses mesures les plus sévères ont fait les manchettes. On a en grande partie fait fi de ses propositions qui visaient à réduire de façon significative le nombre de jeunes contrevenants qui seraient envoyés en prison, soit le recours obligatoire aux mesures de rechange par les juges, les agents de probation et les travailleurs sociaux pour les crimes non violents, propositions qui pourraient diminuer de façon radicale le recours à la détention et rehausser la réinsertion sociale.

Chaque année, au Canada, plus de 35 000 jeunes contrevenants sont détenus dans des centres à un coût allant jusqu'à 300 $ par jour. Les experts estiment que ce nombre pourrait descendre à 15 000 si les contrevenants non violents n'étaient pas mis en détention. En outre, n'oublions pas que, dans le milieu carcéral, ces contrevenants sont en contact avec des criminels chevronnés, ce qui exacerbe le problème de la récidive.

On doit reconnaître, dans la Loi sur les jeunes contrevenants, le besoin de sécurité du public et le principe important selon lequel les contrevenants qui commettent des crimes graves doivent être traités différemment des jeunes qui commettent une infraction mineure ou des délinquants primaires. À cette fin, tout programme qui met l'accent sur les mesures de rechange, telles que les travaux communautaires, et qui permet au jeune contrevenant d'assumer la responsabilité de ses actes et d'accroître sa confiance en lui mérite un examen attentif comme mesure de rechange à la détention qui est très coûteuse et qui mène à un taux élevé de récidive. Il ne fait aucun doute que ces programmes rehausseront la sécurité dans nos collectivités et réduiront la criminalité juvénile. On ne doit pas permettre à la bureaucratie ou aux groupes de pression de faire dérailler cette loi.

Le Conseil canadien de la sécurité parraine des campagnes communautaires et nationales de prévention du crime. Je crois que vous avez tous reçu un exemplaire de notre manuel pour notre campagne de 1995, qui s'est tenue en novembre dernier. On a surtout mis l'accent sur la prévention du crime par le développement social qui s'appuie sur des programmes ciblés et à long terme visant à réduire les effets combinés des problèmes économiques et sociaux qui augmentent le risque de comportement criminel.

.1550

La prévention du crime par le développement social s'attaque à toute une gamme de facteurs de risque liés au crime par le biais des différents programmes, politiques et services de développement social qui existent déjà, tels que le logement social, l'éducation, la santé, la sécurité du revenu et les services sociaux.

Quelles que soient les mesures qui sont prises, elles doivent viser certains jeunes particulièrement à risque et être prises en coordination avec d'autres initiatives si on veut s'attaquer aux problèmes multiples que connaissent les jeunes à risque.

Il n'est pas rare que la vie des jeunes à risque soit caractérisée par le chômage, la pauvreté, la violence familiale, des problèmes d'apprentissage et la toxicomanie et l'alcoolisme.

Si les Canadiens n'adhèrent pas aux programmes de prévention du crime axés sur le développement social, la prochaine génération de Canadiens pourrait bien voir ses citoyens bien nantis vivre dans des quartiers fermés et clôturés, à haute sécurité, quartiers qui sont de plus en plus populaires aux États-Unis.

La prévention du crime par le développement social se fait déjà au Canada à bien des niveaux et dans de nombreuses localités. Dans certains cas, les groupes ou organisations reconnaissent qu'il s'agit de prévention du crime. Dans bien d'autres cas, toutefois, la prévention du crime n'est pas reconnue officiellement comme étant l'un des objectifs ou résultats du programme ou projet.

Il y a bien des façons pour les collectivités de prévenir l'apparition des facteurs associés au risque de comportement criminel. La Loi sur les jeunes contrevenants est une loi à caractère social des plus importantes. L'examen actuel doit être fondé sur la reconnaissance du fait que l'instruction et l'emploi, bien plus que toutes les prisons du pays, permettent de prévenir et de réduire les crimes.

Vous trouverez en annexe de notre mémoire un document qui a été rédigé par le Conseil des Églises pour la justice et la criminologie et qui s'intitule «Ten Things We'd Rather Not Know About Young Offenders», ou «Ce que nous préférons ne pas savoir au sujet des jeunes contrevenants». C'est un document qui m'apparaît très révélateur, et j'espère que vous le lirez tous.

Merci beaucoup.

La présidente: Merci. Chaque parti dispose de 10 minutes pour poser des questions. Nous commençons par le Bloc québécois.

[Français]

M. Asselin (Charlevoix): Madame la présidente, lors du premier tour, je n'utiliserai certainement pas les dix minutes qui me sont accordées.

J'ai une question concernant l'harmonisation. Le nouveau ministre de la Justice du Québec s'apprête à moderniser le système carcéral en ce qui a trait à la délinquance. Cela amènera-t-il des modifications?

On sait que le gouvernement fédéral gère l'ensemble des établissements pénitentiaires pour les peines de longue durée. La nouvelle loi que le gouvernement du Québec s'apprête à adopter causera-t-elle des problèmes dans l'harmonisation des systèmes de justice fédéral et provincial?

[Traduction]

M. Therien: En réponse à la question, je dirais que les réalisations du Québec sont admirables, et j'espère que la loi fédérale les reflétera. Ce serait un cas parfait pour l'harmonisation. À mon avis, le modèle québécois en matière de jeunes contrevenants est probablement le modèle pour le Canada et toute l'Amérique du Nord.

[Français]

M. Asselin: Avez-vous l'intention de convaincre le gouvernement canadien de suivre l'exemple du gouvernement du Québec et d'étendre aux autres provinces du Canada le modèle québécois?

[Traduction]

M. Therien: Je ne saurais vous dire. J'ignore quelles sont les intentions du gouvernement fédéral.

[Français]

M. Asselin: Nous en avons pris bonne note.

M. Therien: Merci.

M. Asselin: Merci, madame la présidente.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Ramsay, vous avez dix minutes.

M. Ramsay (Crowfoot): Merci, madame la présidente.

Je vous remercie de votre témoignage. Avez-vous dit que ce mémoire est celui que vous nous avez déjà envoyé?

M. Therien: Oui, Jack. Je crois que nous vous l'avons fait parvenir en novembre dernier, car nous devions témoigner avant Noël. Puis Miriam nous a indiqué que nous comparaîtrions aujourd'hui. Je suis désolé; j'aurais peut-être dû l'actualiser un peu.

.1555

M. Ramsay: À la première page de votre mémoire, vous dites que le nombre de crimes signalés l'an dernier a diminué de 5 p. 100 et que le nombre de crimes violents a baissé de 3 p. 100; il s'agit bien sûr d'infractions commises par des jeunes contrevenants.

M. Therien: Non, il s'agit de tous les crimes.

M. Ramsay: Tous les crimes? Voulez-vous dire par là que le nombre de crimes a baissé ou qu'on a signalé moins d'infractions?

M. Therien: Nous nous fondons sur les rapports de Statistique Canada, qui, je crois, obtient ses données de... Je ne me souviens plus s'il s'agit... Je dirais qu'il s'agit du nombre réel des crimes.

M. Ramsay: Est-ce que cela inclut les infractions commises par les jeunes contrevenants?

M. Therien: Je ne suis pas certain, mais nous signalons dans notre mémoire que les infractions commises par les jeunes contrevenants ont baissé de 3 p. 100, si ma mémoire est bonne.

M. Ramsay: Voilà précisément où je veux en venir. J'ai lu dans certains documents que de 80 à 90 p. 100 de tous les crimes commis par les jeunes contrevenants ne sont jamais signalés. Êtes-vous d'accord?

M. Therien: Il ne s'agit certainement pas de crimes graves; c'est peut-être le cas des infractions mineures. Et je ne suis même pas certain que ce soit véritablement le cas.

M. Ramsay: J'ai été très étonné de lire cela. Même si pour être modéré je prends le chiffre le plus bas, 80 p. 100, c'est énorme. Alors, est-ce qu'on peut véritablement se fier aux statistiques lorsqu'on parle de criminalité juvénile?

M. Therien: Nous devons établir une base de données fiable et, pour ce faire, nous devons compter sur les statistiques qui sont disponibles. Je suis certain que Statistique Canada obtient ces données de la police. Nous nous servons de cette base de données.

M. Ramsay: C'est là la question. Cette base de données est-elle fiable s'il est vrai qu'au moins 80 p. 100 de tous les crimes ne sont pas signalés?

M. Therien: Il incombe peut-être à votre comité de répondre à cette question. Nous, nous comptons sur les statistiques publiées par le gouvernement. Nous devons nous fier à ces statistiques. Pour ce qui est de savoir s'il est vrai que 80 p. 100 des infractions ne sont pas signalées, j'ignore d'où vient cette information.

M. Ramsay: À la page 2, vous dites que la loi C-37 contient des propositions qui réduiront considérablement le nombre des jeunes contrevenants qui sont envoyés en prison et qu'on aura davantage recours aux mesures de rechange pour ceux qui commettent des crimes non violents. Pourriez-vous m'indiquer quelles dispositions de la LJC ou de la loi C-37 stipulent que les mesures de rechange ne s'appliqueront qu'aux contrevenants non violents?

M. Therien: Je n'ai pas la loi sous les yeux et je ne peux donc vous répondre précisément, mais je sais qu'on y fait allusion et que c'est à la discrétion du juge.

M. Ramsay: Vos mesures de rechange sont-elles réservées aux contrevenants non violents? Les contrevenants violents sont-ils exclus du recours aux mesures de rechange?

M. Therien: La loi a toujours permis, à la discrétion du juge, le renvoi des jeunes contrevenants violents devant un tribunal pour adultes; c'est ainsi que j'interprète la loi actuelle. Je ne crois pas qu'il y ait de changements importants...

M. Ramsay: Ce n'est pas la question que j'ai posée. Je veux savoir si vous interprétez la LJC et la loi C-37, qui l'a modifiée, comme excluant les contrevenants violents du recours aux mesures de rechange.

M. Therien: Je n'en suis pas certain; je ne puis vous répondre comme ça.

La présidente: Je peux peut-être vous aider. L'article 4 de la Loi sur les jeunes contrevenants traite des mesures de rechange et établit les conditions dans lesquelles on peut prendre des mesures de rechange aux termes du paragraphe 4(1). Cela pourrait vous aider.

M. Ramsay: On trouve la même disposition dans le projet de loi C-41, mais on n'exclut pas les contrevenants violents du recours aux mesures de rechange. Seriez-vous prêt à recommander à notre comité que l'on exclue du recours aux mesures de rechange les contrevenants violents?

M. Therien: Je peux vous donner un bon exemple d'un contrevenant violent. Un jeune homme de Windsor, en Ontario - puis-je le nommer? - Kevin Hollinsky, a d'abord été accusé de conduite en état d'ébriété et d'autres infractions qui ont par la suite été remplacées par des accusations moins graves portées en vertu du code de la route de l'Ontario. Il était à l'époque un jeune contrevenant, et le juge a usé de son pouvoir discrétionnaire pour lui imposer des mesures de rechange plutôt qu'une peine de détention. Si vous vous souvenez, il avait pris le volant en état d'ébriété et avait eu un accident où deux de ses amis de longue date avaient trouvé la mort.

.1600

Lorsqu'on s'attarde sur les résultats de ces mesures de rechange... Je crois que notre pays devrait applaudir cette initiative, parce qu'elle est d'une grande importance. En l'occurrence, le jeune contrevenant avait apporté une contribution précieuse à la société en s'adressant à plus de 300 groupes de jeunes dans les écoles secondaires. En six mois, il a parlé à plus de 9 000 élèves des conséquences de la conduite en état d'ébriété. À quoi cela aurait-il servi de l'envoyer plutôt en prison?

M. Ramsay: D'accord, mais s'agissant de conduite en état d'ébriété, il faut se demander si ce qui en résulte est la mort ou un simple accident.

M. Therien: C'est néanmoins une infraction au Code criminel.

M. Ramsay: Oui, mais l'intention n'est absolument pas la même que pour celui qui, délibérément, agresse et viole ou assassine quelqu'un. L'intention est différente. Lorsque quelqu'un prend le volant après avoir pris un verre de trop, il n'a pas l'intention de blesser ou de tuer qui que ce soit, du moins en général.

M. Therien: Pas dans tous les cas.

M. Ramsay: Si on a pu prouver que l'intention était... Peut-être pourriez-vous nous en dire plus sur le cas que vous citez. A-t-on prouvé l'intention de tuer?

M. Therien: En l'occurrence, je ne crois pas que le jeune ait eu l'intention de tuer.

M. Ramsay: C'est donc un cas différent de celui qui planifie et commet délibérément un crime violent contre une autre personne ou sa propriété.

Pour en revenir à ma question, recommanderiez-vous à notre comité que l'on exclue du recours aux mesures de rechange les contrevenants ayant commis un crime violent?

M. Therien: J'estime qu'on devrait s'en remettre à la discrétion du juge.

M. Ramsay: Vous jugez donc que les mesures de rechange pourraient s'appliquer aux contrevenants violents?

M. Therien: Oui, dans certains cas.

M. Ramsay: Cela signifie qu'un jeune ayant commis des voies de fait, un viol ou une agression sexuelle pourrait ne pas avoir à se présenter dans une salle d'audience?

M. Therien: Oui, c'est tout à fait possible.

M. Ramsay: Et vous êtes d'accord avec cela?

M. Therien: Non, pas nécessairement, mais cela pourrait se justifier dans certaines circonstances.

M. Ramsay: Vous recommanderiez à notre comité d'adopter une loi demandant aux tribunaux d'appliquer ces mesures de rechange?

M. Therien: Oui, à la discrétion des juges et des tribunaux.

M. Ramsay: Je vois.

À la fin de votre mémoire, vous dites que la LJC est une loi à caractère social des plus importantes. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous à ce sujet. J'estime que la LJC ne relève pas de la politique sociale, mais plutôt de la politique judiciaire. L'objectif de toute loi d'ordre judiciaire est de protéger le public, de prévoir des mesures dissuasives ou des peines justes et équitables, ainsi que la réinsertion sociale lorsque c'est possible. Êtes-vous d'accord avec moi?

M. Therien: Plus ou moins. Cela devrait être le but de toute loi.

M. Ramsay: Dites-nous pourquoi vous considérez que la LJC relève de la politique sociale plutôt que judiciaire.

M. Therien: Elle relève probablement des deux. D'ailleurs, j'ignore s'il existe véritablement une différence entre une loi à caractère social et une loi à caractère judiciaire. Je ne peux vous répondre; je ne suis pas avocat. Elles doivent certainement se recouper.

M. Ramsay: Mais vous considérez la LJC comme relevant de la politique sociale?

M. Therien: Oui, car elle touche nos enfants.

M. Ramsay: Plutôt que relevant du domaine de la justice?

M. Therien: C'est un peu les deux.

M. Ramsay: D'accord; j'ai d'autres questions pour vous plus tard.

M. Kirkby (Prince-Albert - Churchill River): On a soulevé un chiffre. On a dit que 80 p. 100 des crimes ne sont pas signalés. Je dirais que lorsqu'il s'agit de crimes graves, tels que le meurtre, l'homicide ou l'agression sexuelle, ces crimes sont signalés. Qu'en pensez-vous?

M. Therien: C'est ce que je tentais de dire à Jack tout à l'heure. Je crois que les crimes graves sont signalés.

Une voix: C'est tout?

M. Kirkby: Oui, c'est votre tour.

La présidente: C'est à moi d'en juger. Allez-y, monsieur Knutson.

.1605

M. Knutson (Elgin - Norfolk): La loi ontarienne sur la protection de l'enfance comporte-t-elle des lacunes?

M. Therien: Je ne suis pas un expert en la matière. J'ai une connaissance superficielle de la loi.

M. Knutson: Je voudrais vous poser une question au sujet de l'âge. Lorsqu'un jeune de 11 ans commet un crime dans ma ville, le responsable de la Société d'aide à l'enfance affirme que, à moins que ce jeune n'ait besoin de protection parce qu'il est battu ou gravement négligé, la Société d'aide à l'enfance ne peut intervenir.

Pour leur part, les policiers affirment que la loi sur la protection de l'enfance de l'Ontario les empêche d'intervenir. Les policiers n'ont alors d'autre choix que de ramener le jeune chez lui.

Étant donné qu'il arrive que des jeunes de 11 ans commettent des crimes assez graves, que recommanderiez-vous concernant l'âge minimal?

M. Therien: Je ne modifierais pas l'âge minimal. Très peu de crimes graves... Dans notre mémoire, nous indiquons que plus de 50 p. 100 des infractions sont commises par des jeunes de 16 ou 17 ans. On pourrait aller jusqu'à dire que 80 p. 100 des crimes graves sont commis par des jeunes de 16 ou 17 ans. Onze ans, cela me semble très jeune.

M. Knutson: Ne croyez-vous pas que les organismes sociaux devraient intervenir plus tôt et que, souvent, on peut déterminer que des jeunes de 7, 8 ou 9 ans sont en voie de devenir des criminels? Dans l'affirmative, quelles méthodes devrait-on employer si nous n'abaissons pas l'âge pour l'application de la Loi sur les jeunes contrevenants?

M. Therien: On pourrait mettre en place des programmes dans les écoles. Les enseignants pourraient identifier les enfants qui font montre d'un comportement déviant. Ce serait une méthode.

M. Knutson: Les enseignants peuvent les identifier.

M. Therien: Oui, c'est ce que je dis. Est-ce que cela se fait déjà?

M. Knutson: C'est ce qu'on nous a dit avant Noël.

M. Therien: Je n'en étais pas certain.

M. Knutson: Des représentants d'une organisation dont j'ai oublié le nom nous ont affirmé que ces enfants peuvent être identifiés très tôt.

M. Therien: J'allais vous poser la question.

M. Knutson: Du moins, c'est ce que j'en conclus d'après certains des témoignages que nous avons entendus.

Aux fins de la discussion, disons que ces enfants peuvent être identifiés. Il faudrait prévoir une loi qui vous permette d'intervenir. J'en conclus que vous estimez que ce n'est pas la Loi sur les jeunes contrevenants qui devrait nous permettre d'intervenir, mais plutôt une mesure législative provinciale.

M. Therien: Oui, car il s'agit d'enfants qui sont trop jeunes pour être assujettis à la Loi sur les jeunes contrevenants.

M. Knutson: Vous vous tourneriez alors vers les provinces...

M. Therien: En fait, vous parlez des lois sur la protection de l'enfance, qui sont de compétence provinciale.

M. Knutson: Oui, mais les lois qui existent actuellement en Ontario ne permettent aux autorités d'intervenir que si l'enfant a besoin de protection.

M. Therien: Oui, si l'enfant a besoin de protection.

M. Knutson: Cette définition ne s'applique pas à la délinquance juvénile. En Ontario, à tout le moins, on ne peut intervenir auprès des enfants de moins de 12 ans.

M. Therien: La loi ne s'applique qu'aux enfants de 12 ans et plus.

M. Knutson: Oui. Je me demandais si vous y voyez des objections.

M. Therien: Je m'opposerais à ce qu'on abaisse l'âge pour l'application de la LJC; des enfants sont assujettis à la LJC.

M. Knutson: Vous dites?

M. Therien: L'âge minimal a été fixé il y a longtemps, et je trouverais inacceptable du point de vue social qu'on porte des accusations contre des enfants de 9, 10 ou 11 ans.

M. Knutson: Même si la fin justifie les moyens, que cela nous permette d'intervenir?

M. Therien: Les programmes d'intervention précoce restent nécessaires.

M. Knutson: Mais pas par le biais de la LJC? Ce n'est pas un outil d'intervention précoce acceptable?

M. Therien: Non.

M. Discepola (Vaudreuil): J'essaie de m'éloigner de l'application de la LJC et de ses modifications, mais, malheureusement, j'en ai un bon exemple chez moi, puisque l'un des jeunes impliqués dans l'affaire Toope habite dans ma rue.

M. Therien: À Montréal?

M. Discepola: Oui.

M. Therien: Je connais l'affaire dont vous parlez.

M. Discepola: Dans ma collectivité, lorsqu'on discute des jeunes contrevenants, on se demande toujours pourquoi l'âge de 18 ans est si magique, comment il se fait que, du jour au lendemain, on puisse se retrouver devant le tribunal pour adultes.

Croyez-vous que l'âge devrait être établi de façon immuable, ou est-ce qu'on ne devrait pas prévoir plus de souplesse, de façon à permettre aux juges de prolonger, au besoin, la garde d'un enfant?

.1610

Je ne préconise pas le renvoi devant un tribunal pour adultes de tous les jeunes contrevenants. Le modèle québécois est considéré comme l'un des meilleurs, et, au Québec, il n'y a jamais eu de renvoi d'un jeune contrevenant devant le tribunal pour adultes. Des demandes ont été faites en ce sens, mais cela n'a jamais été permis au Québec.

Dans cette affaire, où il y a eu deux meurtres, l'un des accusés a subi des tests psychologiques, et on a conclu que sa réinsertion sociale serait pratiquement impossible à l'heure actuelle. Il avait 13 ans, de sorte que lorsqu'il aura 16 ans il sera en liberté. Le système ne pourrait-il pas être plus souple? Vous opposeriez-vous à ce qu'on donne un plus grand pouvoir discrétionnaire au juge? Le juge pourrait ainsi, après que le jeune a purgé sa peine, étudier son cas pour déterminer s'il peut réintégrer la société.

M. Therien: Je connais bien cette affaire, car je suis abonné à la Montreal Gazette, qui en a fait grand état. Vous parlez ici d'enfants très jeunes, qui, toutefois, n'ont pas été renvoyés devant un tribunal pour adultes, n'est-ce pas?

M. Discepola: Il ne s'agit pas de très jeunes enfants. L'un d'entre eux était joueur de football. Ils sont peut-être jeunes, mais ils sont costauds.

M. Therien: Je vous comprends, mais je n'ai pas de réponse à vous donner.

M. Discepola: Je vous demande si on ne pourrait pas prévoir plus de souplesse en ce qui concerne l'âge. Les juges ne devraient-ils pas jouir d'un plus grand pouvoir discrétionnaire pour déterminer quels jeunes contrevenants seront jugés par un tribunal pour adultes? Ce n'est pas parce qu'un jeune n'a pas tout à fait 18 ans qu'il est moins coupable.

M. Therien: Je ne saurais vous répondre.

M. Discepola: Vous n'avez pas d'opinion?

M. Therien: Non.

M. Discepola: Merci.

La présidente: Monsieur Discepola, je vous remercie.

Monsieur Maloney.

M. Maloney (Erie): Toujours au sujet de l'âge et de la souplesse préconisée par M. Discepola, que pensez-vous de la disposition qui prévoit que les enfants de moins de 11 ans ne sont pas assujettis à la LJC? Que fait-on d'un enfant qui s'adonne au vol à l'étalage de façon chronique, qui se rend coupable également de méfaits publics, qui lance des pierres dans des fenêtres, et autres choses de ce genre, mais qui est trop jeune pour tomber sous le coup de la Loi sur les jeunes contrevenants? Ne croyez-vous pas qu'on pourrait, dans certains cas exceptionnels, demander à un juge d'étendre la portée de la LJC pour qu'elle s'applique à ces enfants de moins de 11 ans?

Prenez par exemple ces enfants en Grande-Bretagne. Ils avaient 10 ans, et ils ont assassiné un enfant de deux ans. Certes, il s'agit là de situations extrêmes, mais il pourrait s'agir de méfaits publics ou de larcins.

M. Therien: Je ne sais pas si les enfants de huit, neuf ou dix ans sont nombreux à chaparder tous les jours. Je ne sais pas combien d'enfants, trop jeunes pour être visés par les dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants, ont véritablement un comportement anormal. Je ne pourrais pas vous donner de chiffres. Toutefois, ce sont, pour la majorité, des jeunes de 16 ou 17 ans qui commettent des crimes graves. Autrement dit, j'en conclus que l'âge est un facteur qui va de pair avec la gravité des crimes commis par ces jeunes contrevenants.

M. Maloney: Certes, il ne s'agit pas toujours de crimes graves, mais ce n'en sont pas moins des infractions criminelles.

M. Therien: Oui, mais moins graves.

M. Maloney: Tôt ou tard, un crime mineur mène à un crime grave. N'est-ce pas?

M. Therien: Oui, c'est tout à fait vrai. J'en conviens avec vous.

M. Maloney: Ne vaudrait-il pas mieux intervenir quand le crime est mineur, avant qu'il devienne grave?

M. Therien: Vous voulez dire tuer la tendance dans l'oeuf?

M. Maloney: C'est cela.

M. Therien: Je pense qu'on vous a demandé tout à l'heure s'il est souhaitable que ces crimes soient visés par la Loi sur les jeunes contrevenants ou relèvent encore des autorités provinciales. Selon moi, ils devraient continuer de relever des autorités provinciales.

M. Maloney: Dans la région d'où je viens, une des préoccupations concernant les mesures de rechange...

M. Therien: D'où venez-vous?

M. Maloney: De la péninsule du Niagara. On croit là-bas que les peines imposées par les tribunaux pour adolescents ne riment à rien. Les directeurs d'écoles secondaires, les enfants eux-mêmes, les agents de police, tous le disent. Dans bien des cas, il s'agit de mesures de rechange. Quelle est votre réaction?

M. Therien: Je pense que c'est une question d'opinion quant à ce qu'une peine... Je conviens avec vous que dans le cas de certains crimes retentissants commis dans cette ville-ci par des jeunes contrevenants, une peine de trois ans a porté des gens à dire que cela ne rimait à rien.

.1615

Cette loi en vigueur depuis le début du siècle a assez bien servi la société canadienne, mais a évolué. Dans les dispositions législatives actuelles, on prévoit un examen de la loi qui a succédé à la loi originale.

M. Maloney: Vous parlez de la Loi sur les jeunes délinquants, n'est-ce pas?

M. Therien: Cette loi s'est avérée très utile.

M. Maloney: Merci, madame la présidente.

La présidente: Merci.

Les tours seront maintenant de cinq minutes. Monsieur Asselin.

[Français]

M. Asselin: Je suis un peu surpris de constater qu'en 1996, le taux de criminalité chez les jeunes est à la baisse. On sait que le taux de criminalité chez les jeunes est principalement attribuable à des problèmes familiaux.

De nos jours, il y a de plus en plus de divorces et cela va en s'accentuant. Le chômage crée aussi des problèmes dans les familles, ce qui fait que le jeune décide de poser certains gestes qui le mènent sur le chemin de la criminalité. Le jeune qui vit des problèmes familiaux a des problèmes de scolarité, ce qui l'amène à poser des gestes de violence gratuits. Il fait partie de gangs.

Je crois qu'il serait préférable que votre organisme et chaque gouvernement essaient de trouver pourquoi les jeunes posent des gestes reconnus comme étant criminels par un juge ou un avocat du Tribunal de la jeunesse.

Pour moi, envoyer un jeune pour cinq ans dans une prison ou un pénitencier, c'est lui apprendre pourquoi les autres sont là. Il apprendra quelles erreurs ils ont commises et développera des liens avec des groupes à l'intérieur de la prison ou du pénitencier. Lorsqu'il en ressortira au bout de cinq ans, il sera reconnu comme un criminel et rejeté par la société.

Leurs amis sont à l'intérieur et répéteront les même gestes que les criminels avec qui ils ont partagé leurs expériences. Ils savent pourquoi ils sont là, ils savent quelles erreurs ils ont commises, pourquoi ils ont été pris et ils tenteront de refaire les mêmes gestes tout en essayant de ne pas commettre les mêmes erreurs.

Les gouvernements provinciaux et fédéral devraient instaurer à l'intérieur des murs d'un pénitencier un système semblable à celui des libérations conditionnelles. Des personnes pourraient se préoccuper de la suite des études des jeunes afin que ces derniers obtiennent une éducation spécialisée et adaptée à leur milieu. On doit aussi voir à ce que les jeunes, tout en poursuivant ses études, s'intéressent aux milieux culturel, sportif et communautaire. Pour cela, il faut que certains organismes s'occupent de ces jeunes.

Il serait également intéressant que, dans les polyvalentes et les cégeps, il y ait des services de thérapie où les jeunes pourraient obtenir des soins de psychologues et de travailleurs sociaux. Souvent, ces jeunes sont abandonnés et mis à l'écart par les professeurs parce qu'ils connaissent des difficultés d'apprentissage à cause de problèmes psychologiques ou familiaux ou tout simplement parce qu'ils consomment des boissons ou de la drogue.

Ils peuvent poser un geste, comme le conducteur auquel vous avez fait allusion plus tôt qui avait consommé trois bières. Il a été prouvé que quelqu'un, après avoir consommé trois bières, a un taux d'alcoolémie supérieur à 0,08 p. 100 et peut être reconnu coupable d'avoir causé la mort de quelqu'un et, par la suite, être reconnu comme criminel.

Quelqu'un qui aurait consommé de la drogue sous l'influence de ses copains pourrait poser un geste comme celui-là. Il faudrait se pencher sur les raisons qui ont amené ce jeune à commettre une telle erreur, voir dans quel cadre ce geste a été posé et tenter de voir si ce jeune est un criminel qui aura tendance à récidiver.

.1620

Parce que la société l'a pris en main et s'en est occupée, on pourra l'amener à regretter son erreur et à comprendre pourquoi il l'a commise. Cela sauverait beaucoup d'argent au gouvernement.

Cependant, on est porté, et la société est comme cela, à fouler du pied et à blâmer un jeune qui a commis une erreur. Très souvent, il s'agit d'une erreur qu'il a commise sans y avoir vraiment réfléchi. Merci, madame.

[Traduction]

La présidente: Voulez-vous répondre?

M. Therien: Je dois dire que je suis d'accord avec lui. Les jeunes qui ont un comportement criminel viennent de familles violentes, ont des difficultés d'apprentissage à l'école, etc. Le député dit que ce n'est pas au moment où un enfant a des difficultés dans la vie qu'il faut se débarrasser du bébé avec l'eau du bain. La réinsertion sociale est tout à fait possible, et j'en conviens. Il y a d'autres solutions qu'une peine d'emprisonnement.

La présidente: Monsieur Gallaway.

M. Gallaway (Sarnia - Lambton): Il est intéressant que vous veniez témoigner aujourd'hui, car ce matin même nous avons entendu des représentants du groupe Victimes de violence, qui, vous le savez, est un groupe d'entraide pour les survivants des crimes les plus sordides. Ce que vous nous avez dit est beaucoup moins poignant. Vous parlez de prévention de la criminalité grâce au développement social, et je pense que nous reconnaissons tous que la prévention de la criminalité est essentielle.

Ce matin, nous avons entendu des personnes dont les enfants et les petits-enfants...

M. Therien: [Inaudible - Le rédacteur]

M. Gallaway: Tout à fait, c'était horrible.

Notre comité doit étudier la Loi sur les jeunes contrevenants, et la politique sociale n'est pas de notre ressort, car pour l'essentiel elle relève des gouvernements provinciaux. Sans vouloir être mauvaise tête, j'aimerais savoir comment votre groupe traiterait les crimes d'une extrême violence et quelles seraient vos recommandations. Comment traiteriez-vous les jeunes contrevenants coupables de ce genre de crimes?

M. Therien: J'ai entendu à la radio, à Radio-Canada, les propos d'une mère qui a comparu devant vous ce matin, et j'ai trouvé cela bouleversant. J'ai beaucoup de sympathie pour elle, qui est une victime. C'est bien de ce cas-là que vous parliez, le jeune Leduc, n'est-ce pas?

M. Gallaway: Oui.

M. Therien: On ne peut qu'être ému par ces gens, mais le fait est que ce sont de jeunes contrevenants qui ont commis ce crime. Je crois bien que ce sont des jeunes dans l'affaire Leduc. Les choses sont très délicates de part et d'autre.

M. Gallaway: Peut-être que je mesure mal le pouls de l'opinion publique, mais il y a des gens au Canada qui pensent que toute la question de la criminalité des jeunes contrevenants n'est pas du tout un phénomène social, qu'elle relève tout simplement de la justice pénale. Je trouve intéressant que dans les dix arguments que vous avez présentés vous signalez que les jeunes n'ont pas le droit de vote, n'ont pas le droit de consommer de l'alcool, etc. Vous dressez la liste. En Ontario, ils ne peuvent pas conduire avant presque 17 ans.

M. Therien: Ce ne sont pas nos arguments.

M. Gallaway: Je sais bien.

Pourtant, on voudrait les traiter comme s'ils étaient des adultes. Étant donné que certains commettent des crimes qui sont...

M. Therien: Ils sont assez abominables.

M. Gallaway: En effet. Inimaginables. Avez-vous des recommandations quant à ce que l'on pourrait faire? Et je ne pense pas nécessairement à des mesures judiciaires, à les enfermer pendant une période indéterminée. Nous, comme législateurs, vers quoi pourrions-nous nous tourner, car nous sommes en présence d'une loi qui traite de questions pénales, n'est-ce pas?

.1625

M. Therien: Si on envoie ces jeunes dans des prisons pour adultes, on les condamne à une carrière de criminel, car tôt ou tard ils sortiront de prison. Si vous pensiez qu'ils étaient des criminels par le passé, eh bien, laissez-moi vous dire qu'ils le seront à leur sortie de prison. Voilà donc un véritable dilemme.

Je comprends l'indignation du public. On pense que les peines ne sont pas assez lourdes et que le système judiciaire ne rime à rien. On pense que ces jeunes peuvent tout se permettre et s'en tirer impunément. Nous sommes conscients de cela. Toutefois, il faut bien se dire qu'il s'agit d'enfants. Il s'agit de nos enfants. Tous, autant que nous sommes, nous en sommes responsables. Si nous choisissons de les abandonner à un régime plutôt cruel...

Est-ce qu'une forme de punition en justifie une autre? Je n'en suis pas sûr.

M. Gallaway: Je sais que des représentants de votre association ont comparu devant le comité il y a environ quatorze mois. Sans prétendre que l'obligation ou le devoir nous incombe exclusivement à cet égard, je voudrais que vous me disiez comment nous pourrions convaincre les Canadiens d'accepter un développement social axé sur des programmes de prévention du crime. Comment faire passer ce message?

M. Therien: Il y a environ un an, aux États-Unis, l'idée de matchs de basket-ball à minuit faisait sourire. Vous le savez tous. Garder les enfants occupés: cette notion a suscité beaucoup de railleries. Aux États-Unis, pour beaucoup de législateurs, ce n'était pas sérieux. Quand on y a regardé de plus près, quand on a songé que ces enfants qui n'avaient pas beaucoup de moyens de se débrouiller dans la vie... Ils n'avaient pas d'instruction. Au moins, ces matchs les tiennent occupés. Voilà que bien des gens aux États-Unis se rendent compte que cette notion a du bon.

Ces enfants n'ont pas de parents. Ceux qui participent aux matchs de basket-ball à minuit viennent pour la plupart, avec un peu de chance, de familles monoparentales. Les matchs les tenaient occupés assurément. Une chose aussi banale est désormais reconnue comme un facteur majeur de prévention, car ces enfants, sans cela, traîneraient dans les rues, formeraient des gangs et s'adonneraient à des activités criminelles.

Bien des petites initiatives de ce genre pourraient être prises. Maintenant, quant à faire accepter cela par le public, c'est à vous de jouer, c'est au gouvernement provincial de le faire.

La présidente: Monsieur Ramsay.

M. Ramsay: Madame la présidente, je ne recueille pas beaucoup de suggestions ici. Une fois que nous aurons terminé notre tournée, on s'attend à ce que nous fassions des recommandations sur d'éventuelles modifications à la loi. J'aurais donc quelques questions à poser.

M. Therien: J'ai moi-même une question à vous poser. Des modifications s'imposent-elles? Cette loi n'a-t-elle pas eu son utilité depuis 1901?

M. Ramsay: Cette loi a été modifiée en 1984.

M. Therien: Je le sais bien. Peut-on dire qu'elle ne nous a pas été utile en 12 ans?

M. Ramsay: Adressez-vous aux victimes qui sont venues témoigner ce matin.

Voici la question que je veux vous poser. Avant qu'elle ne soit modifiée en 1984, la Loi sur les jeunes délinquants rendait coupable toute personne qui incitait à la délinquance juvénile. Pensez-vous que l'on devrait réactiver cette notion dans la Loi sur les jeunes contrevenants, de sorte que le fait d'inciter un jeune à la délinquance constituerait une infraction?

M. Therien: Il faudrait que vous me donniez une définition.

M. Ramsay: La même définition que celle qui se trouvait dans l'ancienne Loi sur les jeunes délinquants.

M. Therien: Quelle est-elle?

M. Ramsay: À cette époque-là, j'étais policier. Lorsque j'appliquais la loi, si un adulte était trouvé avec une jeune fille de 15 ou 16 ans dans un véhicule et qu'on y trouvait aussi de l'alcool, les tribunaux considéraient qu'il s'agissait d'une incitation à la délinquance. Qu'en pensez-vous?

M. Therien: Dans le cas de la prostitution et d'un entremetteur... Je ne connais pas bien les lois qui visent la prostitution, mais je sais que les entremetteurs peuvent être accusés. Est-ce que je me trompe?

M. Ramsay: Votre recommandation au comité...

M. Therien: En effet, c'est probablement ce que je recommanderais.

M. Ramsay: ...serait donc, en ce qui concerne l'incitation, qu'il y ait incrimination, de sorte que, dans une certaine mesure, on responsabilise les gens qui poussent les jeunes à commettre des crimes, à la délinquance, n'est-ce pas?

M. Therien: Je crois qu'il faudrait des paramètres très clairs pour définir une infraction de ce genre.

.1630

M. Ramsay: Vous recommanderiez toutefois que nous envisagions cela, n'est-ce pas?

M. Therien: Je suppose que dans votre esprit cela pourrait aller jusqu'à incriminer les parents, les accusant d'avoir été de mauvais parents, d'être responsables de l'inconduite de leur enfant. Est-ce à cela que vous voulez en venir?

M. Ramsay: Au moment où la Loi sur les jeunes délinquants était en vigueur, il y a des parents qui ont été accusés de pousser leurs enfants à la délinquance, en effet, surtout dans le cas d'enfants négligés...

M. Therien: Je comprends, en cas de négligence, oui.

M. Ramsay: ...et dans d'autres cas semblables. En fait, le Code criminel est extrêmement strict. Il contient des dispositions on ne peut plus strictes visant quiconque, dans sa propre maison, s'adonne à certains actes en présence de ses enfants.

M. Therien: Mes enfants ne sont plus des adolescents. Ils sont dans la vingtaine. Si toutefois j'avais encore un enfant de 17 ans et que je l'encourageais à s'adonner à des actes criminels, je m'attendrais à ce qu'on me demande des comptes tôt ou tard. Est-ce à cela que votre question veut en venir...

M. Ramsay: Et la divulgation? Nous en avons parlé ce matin. Je ne suis pas très à l'aise avec un système judiciaire qui est fondé sur la rétention d'informations. Cela m'inquiète d'autant plus dans le cas des récidivistes violents. Que pensez-vous d'une divulgation totale de l'identité des contrevenants violents récidivistes, après une première ou une deuxième infraction? Devrait-on autoriser la divulgation?

M. Therien: Vous parlez des jeunes contrevenants, n'est-ce pas? J'y vois un inconvénient.

M. Ramsay: Lequel?

M. Therien: Il s'agit essentiellement d'enfants. Sur le plan juridique, nous les reconnaissons comme tels. Je pense que ce serait extrêmement injuste.

M. Ramsay: Il s'agit de jeunes de 16 ou 17 ans.

M. Therien: Je sais. Vous parlez d'enfants de 16 ou 17 ans.

M. Ramsay: J'estime que ce sont de jeunes adultes.

M. Therien: J'ai moi-même des enfants, et je considère que ce sont à la fois de jeunes adultes et des enfants. Même quand ils ont la vingtaine, ils se comportent parfois comme des enfants.

M. Ramsay: Ainsi, la loi devrait viser les jeunes dans la vingtaine?

M. Therien: Pas du tout.

M. Ramsay: Mais si vous les considérez comme des enfants, pourquoi pas?

M. Therien: S'il s'agit de contrevenants violents...

M. Ramsay: J'essaie de suivre votre logique. Si ce sont des enfants, pourquoi pas? Pourquoi ne recommanderiez-vous pas que la loi vise ceux qui sont encore des enfants à 20 ans?

M. Therien: Sur le plan juridique, à 20 ans, ce ne sont plus des enfants.

M. Ramsay: Mais nous sommes en train de songer à modifier la loi.

M. Therien: Je dis qu'à 20 ans...

M. Ramsay: Le recommanderiez-vous?

M. Therien: Je ne sais plus.

M. Ramsay: Si une personne de 20 ans est considérée comme un enfant, comme vous l'avez dit, recommanderiez-vous...

M. Therien: Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit que j'ai des enfants dans la vingtaine et que parfois on peut encore les considérer comme des enfants. C'était une réflexion malicieuse qui n'a rien à voir avec ce que dit la loi.

M. Ramsay: Très bien. Je n'ai pas d'autres questions à poser.

M. Therien: Y a-t-il quelqu'un ici qui a des enfants dans la vingtaine?

La présidente: Ma plus jeune a presque 30 ans...

M. Therien: Précisément, se comporte-t-elle comme une enfant parfois?

La présidente: ... et je n'arrive pas à la convaincre de revenir de Vancouver.

M. Therien: C'est à cela que je songeais.

La présidente: Y a-t-il d'autres questions?

[Français]

M. Asselin: Ma question a trait à certaines émissions télévisés que les jeunes sont portés à écouter parce qu'elles sont violentes. Je pense aussi aux jeux électroniques, entre autres le Nintendo, etc. Aujourd'hui, certaines disquettes spécialisées contiennent beaucoup de violence. Qu'en pensez-vous? A-t-on l'intention de faire des représentations afin de censurer certains programmes qui incitent les jeunes à la violence?

[Traduction]

M. Therien: Vous me demandez si la violence à la télévision ou d'autres jeux violents ont une incidence sur le comportement des adolescents. Je n'en sais rien, car aux États-Unis, et même au Canada, la question n'est pas tranchée. Je crois qu'il va falloir absolument déterminer si la violence montrée à la télévision et dans d'autres médias a effectivement une incidence sur le comportement des jeunes. Pour ma part, je n'en sais rien.

[Français]

M. Asselin: Je vous remercie.

[Traduction]

La présidente: Merci.

Avez-vous d'autres questions à poser? Allez-y.

M. Knutson: Vous dites que les statistiques ne sont pas aussi alarmantes que ce que certaines personnes croient. Le nombre de meurtres est à la baisse.

Certains disent que la démocratie actuelle au Canada est telle que par rapport aux autres groupes d'âge les jeunes sont peu nombreux. Cela étant, cela signifie que la criminalité chez les jeunes est un problème plus grave que ce que les statistiques brutes nous portent à croire. Les jeunes constituent un groupe réduit actuellement, et nous constatons une tendance qui, si elle se poursuit, débouchera sur un grave problème de criminalité chez les jeunes une fois que la progéniture des baby-boomers atteindra l'adolescence.

.1635

M. Therien: J'ai entendu parler de cette théorie. C'est une question de démographie sans doute. Je ne sais pas quelle proportion de la population est visée par les dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants... C'est sans doute de 10 à 12 p. 100. C'est ce que j'ai entendu dire. Cet argument a été invoqué aux États-Unis. En constatant une baisse de la criminalité, on s'est dit que c'était parce qu'il y avait de moins en moins de gens dans la vingtaine. Je peux concevoir cela, mais je pense qu'il faut considérer les statistiques pour ce qu'elles sont, des chiffres tout simplement.

M. Knutson: À propos de chiffres, si la population d'adolescents a diminué d'un tiers par rapport à ce qu'elle était il y a 20 ans, et si la criminalité connaît une baisse d'un sixième en ce moment, alors je parierais que le taux de criminalité grimpe, et non le contraire, n'est-ce pas? Vous n'avez qu'à regarder les chiffres.

M. Therien: Vous dites tout simplement que nous ne perdons rien pour attendre, n'est-ce pas?

M. Knutson: Je voudrais savoir ce que les statistiques prouvent de façon générale quand on tient compte des facteurs démographiques. Voulez-vous dire que vous n'en savez rien ou que vous ne comprenez pas?

M. Therien: Je n'en sais rien. Quand on tient compte des facteurs démographiques... Je ne sais pas. Je ne connais pas la réponse. Je pense qu'il faut voir du côté de la population carcérale pour trouver des réponses. Dans nos prisons, je pense que les détenus ont entre le début de la vingtaine et 35 ans, n'est-ce pas? Je pense qu'au fur et à mesure que nous vieillissons, nous...

M. Knutson: Commettons moins de crimes.

M. Therien: ...commettons moins de crimes, c'est cela.

M. Knutson: Tout à fait.

M. Therien: C'est indéniable.

M. Knutson: Les crimes sont pour la plupart commis par des jeunes gens, n'est-ce pas?

M. Therien: C'est sans doute le corollaire à votre question. C'est sans doute le pendant de votre inquiétude. Je ne peux rien affirmer.

M. Knutson: Je prétends que si le taux de criminalité grimpe quand on fait intervenir les facteurs démographiques, nous ne pourrons manquer de faire face à des problèmes plus graves dans cinq ou dix ans, quand les enfants des baby-boomers auront atteint l'âge de l'adolescence et constitueront une proportion plus grande de la population.

M. Therien: Je sais, je comprends.

M. Knutson: Très bien. C'est tout.

La présidente: Merci, chers collègues. Y a-t-il d'autres questions? Je constate que non.

Merci beaucoup de votre exposé.

M. Therien: Merci.

La présidente: La séance est levée.

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