[Enregistrement électronique]
Le jeudi 6 mars 1997
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Torsney): La séance est ouverte.
Nous sommes ici ce matin pour étudier le projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel en ce qui concerne la communication de dossiers dans les cas d'infractions d'ordre sexuel.
Ce matin, nous recevons des témoins de l'Association nationale de la femme et du droit (ANFD), Mmes Nicole Tellier et Diane Oleskiw, et du Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes (FAEJ), Mmes Jennifer Scott et Sheila MacIntyre.
Je vous souhaite la bienvenue. Sachez que nous avons vos mémoires. Chers collègues, vous les avez également, et chacun contient un résumé analytique.
Je pense que vous avez peut-être déjà comparu ici. Nous demanderons à chaque organisation de présenter son exposé, après quoi nous passerons à des séries de questions de dix minutes par parti, puis à des séries de cinq minutes. La réunion se terminera à 11 h 15.
Mme Sheila MacIntyre (Comité juridique national, Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes): Bonjour. Merci de nous avoir invitées.
Je m'appelle Sheila MacIntyre et je travaille au FAEJ. Je vous présente ma collègue, Jennifer Scott. Nous ferons le premier exposé.
En fait, nous procéderons à votre guise. Je pense que vous voulez entendre les deux exposés avant de passer à la période des questions.
La vice-présidente (Mme Torsney): En effet. À ce moment-là, les députés poseront des questions au groupe de leur choix. Ensuite, si l'autre groupe veut intervenir, qu'il le signale, et je veillerai à ce qu'il en ait l'occasion.
Mme MacIntyre: Je vous invite à prendre notre mémoire à la page deux, où figure la table des matières. Cela vous donne une idée assez précise de notre message. N'hésitez pas à parcourir le mémoire, mais la table des matières vous en donne un excellent aperçu. Je ne vais pas m'attarder là-dessus. Tout est résumé sur une page.
Dans notre mémoire, nous énonçons les principes constitutionnels obligeant le Parlement à rectifier les pratiques actuelles en matière de divulgation et justifiant la correction législative de la loi actuelle relative à la divulgation, surtout après l'affaire O'Connor et Carosella, et nous expliquons, après cinq années de travail dans ce domaine, la partie dont nous savons tous qu'elle est apparemment la plus difficile: ce que les juges, les avocats de la défense, les procureurs de la Couronne et les criminalistes persistent à ne pas comprendre ou refusent de comprendre. Ce qu'ils ne comprennent pas, c'est cette table des matières.
La violence sexuelle, la sous-déclaration des cas de violence sexuelle, la longue histoire du traitement juridique inéquitable des femmes et des enfants qui comptent sur le droit pénal pour redresser le tort dont ils ont été victimes, la genèse des pratiques actuelles en matière de divulgation, les raisons qui sous-tendent ces pratiques et les réactions des tribunaux face à ces pratiques découlent de l'inégalité sociale des femmes et des enfants dans une société inéquitable, inégalité que tous ces facteurs reflètent, perpétuent et aggravent.
Presque tout le monde comprend que la divulgation obligatoire du genre de dossiers que l'on recherche dans ces procédures est une violation de la vie privée. Ce n'est pas le plus grave. Tout le monde comprend que la vie privée est un droit garanti par la Constitution et la plupart des gens comprennent que les dommages découlant d'une telle violation sont particulièrement graves dans le cadre de procédures juridiques visant à réparer une autre violation beaucoup plus personnelle, psychique, affective et physique, comme celle découlant des infractions à caractère sexuel. En fait, il s'agit d'une double violation.
La plupart des gens comprennent aussi qu'il y a quelque chose qui cloche terriblement dans notre système judiciaire. Si le prix de l'accès à la justice correspond à votre accès au droit, la plupart des gens en déduisent qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans la Charte. Celle-ci était censée protéger les Canadiens en empêchant l'État d'empiéter sur leur autonomie, leur liberté, leur sécurité, leur dignité et leur égalité.
C'est la Charte que l'on cite dans une conception partiale d'un procès prétendument équitable, qui permet maintenant une violation pratiquement illimitée des droits constitutionnels à la vie privée de ceux qui rapportent la violence sexuelle, c'est-à- dire une minorité seulement des survivants. Il s'agit là d'une violation qui ne touche que les personnes qui déclarent avoir été victimes de violence sexuelle.
Nos mémoires contiennent deux annexes: l'annexe 1 dans le mémoire du FAEJ et l'annexe A dans celui de l'ANFD. Vous constaterez que le problème ne se pose de façon accablante que dans le cas des infractions à caractère sexuel. Apparemment, la question du droit à un procès équitable ne se pose dans aucune autre procédure judiciaire. On ne l'exige nulle part ailleurs, sauf dans le cas des infractions de nature sexuelle.
Les citoyens canadiens auraient raison de présumer que la jurisprudence actuelle est gravement défectueuse, mais ils auraient tort d'en imputer la responsabilité à la Charte. Le problème n'est pas dans la Charte; il est plutôt dans la persistance des tribunaux à ne pas reconnaître que les éléments d'un procès équitable au Canada ne devraient pas être déterminés dans le vide sans tenir compte de toutes les garanties prévues par la Charte et de tous les droits constitutionnels des parties au procès.
Le projet de loi C-46 n'empêchera aucun accusé d'avoir un procès équitable. Il le privera de l'avantage d'une interprétation sélective de la Charte, qui ignore de façon persistante certaines dispositions de la Charte et le droit de certains citoyens à une protection équitable du droit pénal et du droit constitutionnel. En particulier, le projet de loi C-46 corrigera la lacune constitutionnelle que vient de révéler, à une majorité simple, la Cour suprême du Canada dans l'affaire O'Connor et Carosella.
La violation flagrante du droit à la vie privée dans les procédures relatives aux infractions à caractère sexuel ne nécessite pas une mesure parlementaire, mais cette violation distincte du point de vue juridique est essentiellement un produit, un reflet et un outil de reproduction de l'inégalité. En fait, c'est une question d'égalité. L'absence de vie privée traduit l'inégalité des survivants dans la société, et c'est une circonstance aggravante de leur inégalité en vertu de la loi.
Les avocats de la défense et le FAEJ s'entendent sur une chose en ce qui concerne ce projet de loi: l'agression sexuelle est un crime pas comme les autres. Dans une société où il y a égalité entre les sexes, on n'aurait pas besoin: de dix pages pleines de textes législatifs, d'un préambule détaillé comportant plusieurs clauses, d'une énumération détaillée des critères d'accès aux dossiers, d'une procédure à deux niveaux comportant chacun huit facteurs, ou trois - pas un ou deux, mais trois - directives explicites invitant les juges à examiner chaque garantie dans la Charte. On n'aurait pas besoin de tout cela s'il y avait égalité dans la société et dans le système judiciaire.
Ce projet de loi est un correctif, car nous n'en avons pas. Il faut faire autant de travail pour empêcher le système judiciaire et tous ses intervenants d'imaginer que c'est différent, que les plaignants sont différents. Ils ont besoin de preuves supplémentaires, de violations supplémentaires et de preuves supplémentaires de crédibilité.
Nous devons nous soucier des thérapeutes qui constituent leur réseau d'appui. Nous devons nous soucier des organismes s'occupant des victimes de viol, dont les documents nous ont permis, depuis 20 ans, de connaître les mythes en matière de viol et le fait prouvé de façon empirique.
Par exemple, les viols ne sont pas commis par des étrangers. Près de 90 p. 100 des viols sont commis par des hommes connus des enfants ou des femmes qui en sont les victimes. Les documents ont été déplacés par les intervenants, et ils sont maintenant en danger.
Notre société n'est pas inégale; par conséquent, toutes ces pages de droit sont autant de rappels et de garde-fous qui sont absolument essentiels en ce moment-ci. Ceux qui ont été agressés dans l'enfance, dans l'adolescence ou à l'âge adulte ont besoin de ce projet de loi maintenant. Ceux qui conseillent les survivants et les aident à déterminer s'ils doivent faire suffisamment confiance au système judiciaire pour déclarer en ont besoin maintenant.
Cependant, le FAEJ estime que ce projet de loi est un compromis. À la Cour suprême du Canada, nous avons soutenu, et nous croyons encore, que le seul moyen d'empêcher que l'inégalité ne s'infiltre à toutes les étapes de la procédure consiste à ne jamais divulguer les dossiers pour quelque raison que ce soit. Telle est encore notre position.
Nous sommes prêtes à appuyer ce projet de loi, qui contribue largement à réparer les torts causés dans l'affaire Carosella et O'Connor. Nous vous exhortons à y apporter des améliorations afin de nous protéger, dans la mesure du possible, contre les abus actuels.
Nous ne croyons pas qu'un projet de loi, peu importe sa longueur ou la qualité de son libellé, puisse empêcher l'inégalité de s'infiltrer dans la production même des dossiers. Ceux qui constituent les dossiers peuvent avoir inconsciemment des préjugés.
Quant à la transformation des notes des thérapeutes, qui sont des opinions personnelles et des ouï-dire, quant à ce qu'on appelle maintenant «les déclarations à vérifier», quant à toutes les raisons invoquées, et quant au mythe du mauvais thérapeute dont la mauvaise conduite professionnelle va jusqu'à l'implantation de souvenirs dans l'esprit des plaignants, prétendument malléables, crédules et induits en erreur, aucun projet de loi ne peut y mettre fin. C'est pourquoi nous nous opposons fermement à la divulgation des dossiers.
En ce qui concerne la liste des inégalités, personne dans une société systématiquement inégale ne peut y remédier - et c'est notre page titre - dans un document de dix pages, mais nous pensons que vous pouvez améliorer ce que vous avez énoncé: il s'agit de vérifier autant que la loi le permet.
Passons maintenant aux amendements que nous proposons.
Mme Jennifer Scott (directrice du contentieux, Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes): Comme l'a dit Sheila, le FAEJ appuie ce projet de loi. Nous proposons quelques modifications aux pages 30 à 37 de notre mémoire.
Je ne vais pas vous présenter toutes les modifications que nous proposons; je vais en aborder trois seulement. La plupart d'entre elles ne visent pas la substance même du projet de loi; nous apportons simplement des éclaircissements sur certaines de ces dispositions.
Il y a donc trois domaines dans lesquels nous aimerions apporter des modifications. Premièrement, le préambule. Deuxièmement, l'assignation émise dans le processus de production. Et troisièmement, le seuil de production.
En ce qui concerne le préambule, c'est une partie fondamentalement importante du projet de loi, car il énonce les problèmes sociaux et constitutionnels que le projet de loi est censé régler. C'est le cadre d'interprétation du projet de loi.
Le FAEJ recommande que le préambule soit intégré au Code criminel. Si on ne le met pas devant les juges lorsqu'ils étudient les demandes de divulgation des dossiers, ils n'en tiendront pas compte. Sans le préambule, les juges ne pourront pas interpréter judicieusement les facteurs d'ordre constitutionnel et politique énoncés dans le projet de loi aux première et deuxième étapes imposées par le législateur. Le FAEJ estime donc qu'afin d'assurer une interprétation correcte du projet de loi par tous les juges du pays, il faut leur présenter le préambule.
En ce qui concerne le projet de loi C-49, l'histoire démontre que, quand le préambule ne fait pas partie du texte de loi, une partie de la loi est perdue, et aucun juge du pays ne s'y référera jamais.
La deuxième modification que propose le FAEJ concerne l'émission d'une assignation pour amener le détenteur des dossiers et les dossiers mêmes devant le juge. Nous recommandons que l'assignation ne soit pas émise au moment de la demande, mais plutôt après que le juge aura décidé de ne pas recevoir les dossiers. Nous recommandons ce changement pour plusieurs raisons.
Premièrement, s'il n'y a pas d'ordonnance de production, il n'est pas nécessaire qu'un détenteur de dossiers comparaisse devant le tribunal.
Deuxièmement, le fait d'exiger qu'une tierce partie qui n'a rien à voir avec la procédure pénale s'assoie dans un tribunal avec d'éventuels documents dont on pourrait ordonner ou non la divulgation est très préjudiciable à bon nombre de détenteurs de dossiers qui n'en ont pas les moyens. Ils n'ont pas les ressources humaines nécessaires pour participer personnellement aux demandes de dossiers. De nombreux praticiens qui contestent ce genre de procédures soutiennent qu'elles peuvent durer plusieurs jours. Le FAEJ estime que, tant que l'ordonnance n'est pas émise, il n'est pas nécessaire de convoquer le détenteur des dossiers.
En outre, l'ordonnance indiquera les documents dont la divulgation sera ordonnée. Selon toute vraisemblance, c'est une exigence très difficile à respecter; l'ordonnance ne sera pas émise. Dans le cas contraire, elle sera limitée à certains documents, ou même à certaines parties des documents. Il est beaucoup plus efficace d'émettre d'abord l'ordonnance du tribunal et d'obtenir les documents en conséquence.
Enfin, nous exhortons le comité à reconnaître que les juges seront toujours prédisposés à autoriser la divulgation. Dès le départ, ils auront cette prédisposition. Le simple fait qu'un détenteur de dossiers se présente au tribunal avec une serviette ou une chemise contenant des documents qui, selon toute vraisemblance, ne seront pas pertinents sera beaucoup trop tentant pour que le juge penche pour la divulgation et émette une ordonnance dans ce sens.
La dernière modification que le FAEJ propose concerne le seuil de production. En analysant le projet de loi C-46, nous estimons que ce seuil est une norme très élevée. Afin de s'y conformer, un accusé doit d'abord suivre les exigences procédurales du projet de loi. Ensuite il doit énoncer les motifs de la demande, et les motifs doivent être admissibles - autrement dit, ils ne doivent pas être interdits par le projet de loi. Dès lors que les exigences procédurales sont respectées et les motifs admissibles, il faut établir que les documents sont probablement pertinents.
Une fois que l'accusé a satisfait à ces trois conditions, le juge commence à examiner l'importance relative des facteurs d'ordre constitutionnel et politique énoncés dans le projet de loi.
Je ne sais pas si vous avez le projet de loi devant vous, mais si vous regardez l'article 278.5, paragraphe (2)...
La vice-présidente (Mme Torsney): C'est à la page 6, pour ceux qui cherchent encore.
Mme Scott: Au paragraphe 278.5(2), à la page 6 du projet de loi... À partir du moment où l'accusé respecte les exigences procédurales, invoque des motifs admissibles et établit que le document est probablement pertinent par rapport à l'affaire ou à la confiance d'un témoin pour témoigner, le juge peut alors commencer à pondérer les facteurs constitutionnels et politiques.
En d'autres termes, si l'accusé n'a pas établi que le document est probablement pertinent, la pondération est inutile; la demande est rejetée. De même, si les exigences procédurales ne sont pas respectées ou si les motifs sont inadmissibles en vertu de la loi, il n'est pas nécessaire de recourir à la pondération des facteurs constitutionnels. Par conséquent, le FAEJ soutient que ce processus commence dès lors que l'on a déterminé que le document est probablement pertinent.
À notre avis, cette pondération des facteurs constitutionnels signifie qu'il faut examiner les effets nuisibles de la communication - et ils ne peuvent être que nuisibles. Il n'est pas avantageux pour un plaignant de voir sa vie privée étalée devant le tribunal.
En raison de la structure du projet de loi, le critère de la communication risque de ne pas être pertinent. Ce critère implique la nécessité de la défense pleine et entière. Autrement dit, on ne peut que violer les droits constitutionnels des plaignants - en l'occurrence, les droits à la vie privée et à l'égalité seront violés - si ces documents sont nécessaires pour une défense pleine et entière.
Le FAEJ soutient que la structure du projet de loi est loin d'être claire. Le critère est implicite à cause de la manière dont le projet de loi est structuré, mais malheureusement le projet de loi lui-même n'est pas clair. Il est question de pertinence probable à quatre ou cinq reprises, et on ne parle de défense pleine et entière qu'à une occasion.
Le projet de loi doit être clair. On ne commence la pondération qu'après avoir établi la pertinence probable. Autrement, il serait inutile et de nul effet de décider que les droits constitutionnels des plaignants, ou le droit de l'accusé à une défense pleine et entière sont tels que la violation des droits du plaignant est justifiée.
Le FAEJ convient que, s'il est établi et prouvé que le document est nécessaire pour une défense pleine et entière, une violation des droits constitutionnels du plaignant pourrait bien être justifiée.
Voilà donc ce que nous pensons des amendements proposés.
Mme MacIntyre: Je tiens à dire que, tout comme l'ANFD, le FAEJ s'occupait déjà de la question trois ans avant l'affaire O'Connor, et a continué par la suite. Chacune d'entre nous a participé à au moins deux consultations du ministère de la Justice. Personnellement, j'ai assisté à six consultations. Nous avons suivi ce projet de loi d'ébauche en ébauche, de table ronde en table ronde, des exercices extrêmement exigeants sur le plan juridique, où tous les arguments qui pouvaient être invoqués ont été invoqués.
Je tiens à vous dire qu'à mon avis, pendant toute l'élaboration de ce projet de loi, au cours de deux années et demie, le ministre a fait un travail de rédaction extraordinaire à l'issue d'un processus extrêmement exigeant. Je tiens à citer en particulier Catherine Kane, qui a également suivi ce projet d'une ébauche à l'autre, qui a écouté ce qu'on lui disait, cherché des références, lu tous les précédents, et qui est ensuite revenue nous poser d'autres questions, avant de chercher d'autres références, de lire d'autres précédents.
Après cinq ans de ce régime, et également après le projet de loi C-49, un exercice auquel nous avons toutes participé d'une façon ou d'une autre, mes attentes... À propos de ce projet de loi, les grands titres disaient: «Les avocats contre les femmes». Ce ne sont pas les avocats contre les femmes. Personnellement, je considère que le ministère de la Justice et les avocates, qui se sont donné la peine de lire toute la Constitution, ont été les gagnants.
Nous avons sous les yeux une excellente analyse juridique. Ce n'est pas de la politique, et il faut en donner le crédit au ministère de la Justice et au ministre, qui ont fourni les ressources nécessaires pour que chaque mot puisse être examiné.
Ne vous y méprenez donc pas, ne pensez pas que c'est «politique contre droit». Le droit a bel et bien été examiné sous toutes les coutures.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci. Vous avez mentionné plusieurs amendements, et il y en a beaucoup d'autres dans le mémoire, et nous en tiendrons compte également.
Madame Tellier.
Mme Nicole Tellier (coprésidente, Groupe de travail sur la justice pénale, Association nationale de la femme et du droit): Je tiens à vous remercier d'avoir invité l'ANFD à comparaître. Comme vous le savez probablement, voilà maintenant près de 23 ans que nous participons à ce processus. À notre avis, la violence sexuelle masculine contre les femmes et les enfants constitue la manifestation la plus criante, la plus profonde et la plus fondamentale de notre inégalité sexuelle, et c'est la raison pour laquelle l'action de l'ANFD est axée dans une large mesure sur la réforme du droit pénal.
Nous sommes très heureuses d'être ici, de pouvoir manifester notre soutien pour ce projet de loi, mais nous tenons à dire tout de suite que, tout comme notre organisation soeur, nous considérons que la seule position constitutionnellement justifiée est de ne jamais communiquer les dossiers.
Cela étant dit, nous sommes tout de même en faveur du projet de loi, car il constitue une nette amélioration; il minimise la discrimination dont souffrent les femmes à la fois à cause des agressions sexuelles dont elles sont victimes et également à cause de la façon dont ces agressions sexuelles sont traitées par notre système de justice.
Il est absolument nécessaire d'adopter ce projet de loi pour pallier l'échec de la Cour suprême du Canada, qui n'a pas réussi à adopter une démarche constitutionnellement justifiée. En effet, jusqu'à présent, l'égalité des femmes existe dans la Charte, mais non pas dans la réalité. Il est absolument essentiel d'adopter ce projet de loi, car faute de cela les femmes victimes d'une agression sexuelle ne participeront même pas au système de justice pénale.
Nous avons des amendements. Si vous lisez notre projet, vous aurez peut-être l'impression que c'est impressionnant, car, en effet, c'est un résumé de notre position qui est loin d'être court. Cela dit, j'aimerais vous expliquer comment ce mémoire est organisé et attirer votre attention sur les points principaux. Un résumé se trouve au début du mémoire, et vous y trouverez l'énoncé de nos recommandations.
Le texte du mémoire contient non seulement un commentaire sur ces recommandations et des justificatifs, mais nous avons également modifié le projet de loi pour que ses objectifs deviennent véritablement réalisables.
Ce matin, j'aimerais vous persuader de deux choses: d'une part que ces amendements sont nécessaires et d'autre part qu'ils sont en réalité mineurs, et tout à fait possibles.
La dernière partie du projet de loi comprend une annexe; c'est un résumé très important d'environ 140 cas de communication de dossiers qui se sont produits dans notre système de justice au cours des dernières années. Ce qui est renversant au sujet de ces cas, c'est que ce genre de demandes d'information n'existent que pour les causes d'agression sexuelle.
À notre avis, pour atteindre son objectif, le projet de loi doit comprendre sept éléments essentiels. Vous trouverez ces suggestions à la page 11 du mémoire. Pour l'instant, je relèverai quatre d'entre elles: la définition de «dossiers»; le préambule; les motifs non acceptables; et, enfin, la question du financement.
La définition de «dossiers» qui existe actuellement n'est pas une liste exhaustive, simplement à titre d'interprétation de la loi. Toutefois, si vous vous référez à l'annexe I dont j'ai parlé plus tôt, vous verrez que toutes sortes de dossiers sont mentionnés. Il ne s'agit pas seulement de dossiers où l'on pourrait raisonnablement s'attendre à une certaine confidentialité. En fait, beaucoup de femmes savent qu'on constitue à leur sujet des dossiers qui pourraient être utilisés contre elles. Elles ne s'attendent pas à ce qu'on respecte leur vie privée. C'est autant une question d'égalité que de respect de la vie privée.
Nous avons allongé cette liste, encore une fois, pour aider les juges et leur faire comprendre que cela va plus loin qu'une simple question de dossiers thérapeutiques. Ce dont il s'agit, c'est de réunir tous les détails concevables au sujet de la vie d'une femme qui est impliquée dans un cas d'infraction d'ordre sexuel.
Mme Scott a déjà parlé avec beaucoup d'éloquence de mon second sujet. Il s'agit du préambule, un élément fondamental de la loi. Dans ce préambule, on explique les raisons qui justifient l'adoption de cette loi.
Comme elle l'a expliqué, l'expérience acquise avec le projet de loi C-49 prouve que si cela ne figure pas dans la loi, les juges ou les avocats ne s'y réfèrent pas et n'en tiennent pas compte. D'ailleurs, à l'époque du projet de loi C-49, nous avions demandé que le préambule soit inclus dans le projet de loi.
Dans notre mémoire, nous citons un article intéressant d'un juge de la Cour de l'Ontario, Donna Hackett; elle parle de quelque 18 000 causes qu'elle a été appelée à juger. L'article comprend également des conversations avec ses confrères et consoeurs juges. Elle tire une conclusion assez incroyable, disant que l'article 15, qui porte sur l'égalité, est très rarement invoqué, en fait jamais, dans ce genre de causes. On ne demande pas au juge de faire une analyse de l'égalité, parce qu'une fois la loi adoptée le préambule devient invisible.
C'est un amendement très simple qui a pour objet d'en faire une déclaration de principes. Il y a un précédent dans la Loi sur les jeunes contrevenants. De cette façon, cela deviendra partie intégrante du projet de loi et donnera aux avocats qui défendent les femmes et aux juges un outil d'interprétation important. Nous vous prions instamment d'étudier cette possibilité.
Notre troisième observation porte sur les motifs non acceptables. C'est un élément tout à fait crucial du projet de loi. Il faut expliquer clairement que n'importe lequel de ces motifs, lorsqu'il est invoqué par un avocat de la défense, fera échouer la demande. Pour que cela soit bien clair, nous recommandons de remplacer le terme «insuffisant» par le terme «non acceptable».
Il y a actuellement un problème dans l'énoncé du projet de loi. Ayant participé aux consultations, je sais qu'on n'a jamais eu l'intention de faire en sorte qu'une demande accompagnée de deux motifs soit automatiquement acceptée, alors qu'un motif n'est pas suffisant. Or, c'est l'effet de l'énoncé actuel, et on pourrait interpréter cela comme voulant dire que deux motifs non acceptables deviennent acceptables.
Autrement dit, ce n'est pas parce qu'on a tort deux fois qu'on a raison. Nous avons réglé ce problème en apportant une simple modification à l'énoncé au début du projet de loi. Vous trouverez cela dans le mémoire à la page 23.
Enfin, nous pensons que la liste des motifs non acceptables devrait être plus longue. Vous trouverez une liste allongée à la page 26 de notre mémoire. Il y a des motifs en particulier que j'aimerais mentionner, car ils sont tellement vagues, tellement excessifs, que pratiquement tous les dossiers devraient être communiqués. Il s'agit des dossiers cris à un moment très proche du moment où l'infraction a été commise, ou encore du moment où l'accusation a été faite.
Avec ce genre d'énoncé, tous les dossiers thérapeutiques d'une femme qui a demandé de l'aide, soit au moment du viol, soit au moment où elle a entamé des poursuites, deviennent acceptables. C'est une disposition qui est invoquée aujourd'hui avec succès pour obtenir n'importe quel dossier, et cela devrait figurer dans la liste des motifs non acceptables. C'est une nécessité absolue.
Il y a un autre argument éhonté selon lequel un dossier peut révéler des informations qui jettent une meilleure lumière sur les faits qui entourent l'infraction présumée. Il est important de savoir que les dossiers ne doivent pas être utilisés, comme la juge L'Heureux-Dubé l'a signalé, comme un outil d'enquête pour la défense.
C'est une mauvaise interprétation de l'utilité des dossiers. Le fait de prétendre que le dossier pourrait révéler plus d'informations, et que par conséquent cela pourrait conduire à certains éléments d'enquête, est une distorsion de la nature du processus de communication dans les procès criminels. De toute évidence, les procès pour agression sexuelle sont toujours différents.
Enfin, et c'est un élément qui me paraît crucial, pour que ce projet de loi soit utile aux femmes dont les droits constitutionnels sont en cause, il faut prévoir des fonds pour leur permettre de retenir les services d'un avocat. À l'heure actuelle, les programmes d'aide juridique permettent de financer les accusés dans la mesure de leur impécuniosité. Le fait qu'on offre des ressources financières aux accusés pour défendre leurs droits constitutionnels, mais qu'on n'offre pas la même aide aux plaignants, est un exemple de discrimination sexuelle.
Nous ne vous demandons pas - en fait, nous voudrions bien vous le demander - de débloquer des fonds dans ce but, mais nous pensons qu'il devrait être possible de modifier la loi pour parvenir au même résultat sans puiser dans les fonds fédéraux. Aux termes de la loi actuelle, un accusé impécunieux peut présenter une pétition à un juge pour qu'un avocat nommé par la cour prescrive un tarif. C'est ce qui se fait. Nous pensons qu'il faut absolument offrir les mêmes conditions aux femmes si on veut vraiment garantir leurs droits constitutionnels.
Tout ce que nous vous demandons, c'est d'ajouter une disposition qui donne au tribunal la possibilité de faire cela pour qu'un plaignant et tous ceux qui sont visés par ce projet de loi puissent présenter une pétition au juge. C'est nécessaire, car à l'heure actuelle l'aide juridique ne fait absolument rien pour eux. On ne considère même pas qu'ils sont parties aux poursuites, bien que leurs droits soient reconnus par les tribunaux. C'est un amendement mineur qui aura l'effet voulu.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci.
Madame Oleskiw.
Mme Diane Oleskiw (membre, Groupe de travail sur le droit pénal, Association nationale de la femme et du droit): Merci. Je me présente en qualité de praticienne; je défends les intérêts des plaignants et des institutions lorsque quelqu'un demande la communication de leurs dossiers à l'occasion de poursuites criminelles. C'est un travail que je fais depuis près de quatre ans.
Mon but aujourd'hui est de discuter des aspects plus fonctionnels de nos recommandations au sujet du projet de loi. Dans notre mémoire, nous discutons à la fois des aspects constitutionnels et des aspects fonctionnels. Aujourd'hui, j'aimerais dégager plus particulièrement quatre de ces aspects fonctionnels.
Pour commencer, l'ANFD s'associe au FAEJ et pense également que les assignations à comparaître devraient être éliminées. J'ajouterai simplement aux observations de Mme Scott que l'élimination des assignations est tout à fait conforme aux principes énoncés dans le projet de loi et selon lesquels les détenteurs de dossiers et les plaignants ne sont pas contraignables, du moins pas dans le cadre de ces poursuites. C'est donc tout à fait dans la lignée des objectifs du projet de loi. D'autre part, et c'est très important, l'assignation est inutile, et c'est également un gaspillage de ressources considérables.
Je peux vous dire qu'à l'heure actuelle il est très fréquent de voir des demandes comme celles de l'affaire O'Connor faire dérailler des procès criminels. Cela se prolonge pendant plusieurs jours, et c'est un processus extrêmement lourd.
Comme l'annexe A de notre mémoire le démontre, il est fréquent que des détenteurs multiples de dossiers soient assignés à comparaître. Ils sont forcés d'assister aux audiences pendant de longues périodes. Ils ont tendance à poser des questions au juge, comme: «Est-ce que je peux déposer mes dossiers dans une enveloppe scellée et m'en aller?»
Cela pose plusieurs problèmes sur le plan pratique, et, pour commencer, du fait qu'il n'y a pas eu d'ordonnance de communication des dossiers. Deuxièmement, le gardien des dossiers ne sera plus dans la salle plus tard lorsqu'on pourrait vouloir lui demander de donner des précisions sur ces dossiers. Autrement dit, c'est comme si un médecin se présentait au tribunal et remettait le dossier de son patient: une fois qu'il est parti, il n'y a plus personne pour limiter les éléments du dossier présenté au tribunal à ce qui intéresse vraiment le tribunal. Sur le plan pratique, c'est donc un problème.
Je dois dire également que j'ai vu des affaires où des dossiers se perdaient dans le système judiciaire, du moins temporairement. Ce n'est pas une procédure acceptable.
Personne n'a le temps d'attendre des journées entières dans une salle de tribunal, en particulier les travailleurs de première ligne qui travaillent dans la communauté. J'ai vu dans une affaire d'agression sexuelle tous les employés d'un centre d'intervention de crise passer une journée entière au tribunal. Ils avaient tous été assignés à comparaître. Nous avons discuté toute la journée. De toute évidence, le centre n'avait pas les fonds nécessaires pour perdre toute une journée, sans compter toutes les femmes qui avaient désespérément besoin des services de ce centre et qui en ont été privées toute la journée.
Deuxièmement, j'aimerais dire aux membres du comité que nous voyons un problème sur le plan des services. Nous sommes tout à fait prêtes à reconnaître que le plaignant, les détenteurs de dossiers, et même l'auteur des dossiers, pourraient être prévenus qu'une affaire est en cour, et que c'est à l'accusé de les prévenir. Toutefois, nous pensons que c'est la Couronne qui devrait être chargée de rendre le service au plaignant. C'est une réforme très simple, mais absolument nécessaire, car beaucoup de plaignants se cachent de leurs agresseurs. Autre considération d'ordre pratique, la Couronne ne devrait pas révéler l'adresse des plaignants.
Troisièmement, le comité doit savoir que l'ANFD est d'accord avec le projet de loi sur la nécessité de tenir certaines audiences à huis clos. Il est important que les audiences du juge de première instance se tiennent à huis clos pour limiter le plus possible les violations constitutionnelles.
Une de nos suggestions pour rendre le projet de loi plus clair, c'est que le Parlement détermine qui est autorisé à participer à la seconde étape des poursuites. Ce que je veux dire, c'est qu'à la seconde étape l'accusé n'est pas autorisé à participer. En étudiant le projet de loi, vous verrez qu'à la seconde étape le juge étudie les dossiers à huis clos. Ce sont justement les dossiers qui sont réclamés par l'accusé.
Un avocat fait valoir depuis longtemps que l'avocat de la défense devrait pouvoir consulter ces dossiers pour pouvoir aider le juge de première instance à déterminer quels dossiers doivent être communiqués à l'accusé. De toute évidence, c'est une distorsion du processus. Mais je peux vous dire que dans un de ces cas il a réussi. À mon avis, cela ne devrait pas être autorisé. Le projet de loi devrait préciser que ni l'accusé ni son avocat ne devrait pouvoir consulter les dossiers à la deuxième étape des poursuites.
Enfin, si je dois vous laisser une idée aujourd'hui, j'aimerais que ce soit une idée de l'épreuve que subit une plaignante lorsqu'elle sait qu'un juge a regardé ses dossiers. Sur un plan purement humain, c'est précisément la raison pour laquelle nous avons besoin d'une norme de nécessité à la première étape du processus. Nous devons voir les choses en face dès le départ, et, tout comme ce projet de loi, nous devons reconnaître qu'à partir du moment où les dossiers sont déposés entre les mains du juge de première instance il y a violation constitutionnelle.
Imaginez un instant ce scénario; supposons qu'une femme de 32 ans soit violée par son employeur pendant un voyage d'affaires. Elle ne va pas à la police, car elle ne veut pas que sa vie entière se désagrège. En particulier, elle ne veut pas perdre son emploi. Toutefois, à cause de ce viol, elle commence à avoir des crises de panique. Cela provoque toutes sortes de manifestations qui se répercutent sur sa vie entière.
Elle va voir un conseiller. La première chose qu'elle dit, c'est: «Je me suis fait violer, il m'arrive toutes ces horreurs». En fait, ce qu'elle essaie de dire, c'est tout ce qui lui est arrivé quand elle était enfant. Très jeune, son grand-père l'a molestée, l'ennuyait et lui faisait des tas de choses désagréables. Ce qu'elle veut, c'est parler des répercussions. C'est de cela qu'elle parle à son conseiller. Elle lui dit qu'elle se sent complètement pourrie.
Dans l'affaire O'Connor, ce dossier peut être soumis au juge de première instance. Ceci parce que la plaignante a parlé de l'infraction. Imaginez cette personne au tribunal qui sait que le juge qui doit la juger connaît tout cela à son sujet. En plus, il connaît cela par l'intermédiaire de quelqu'un d'autre qui a pu évaluer la chose, donner son avis ou une impression. Elle est là, sachant tout cela.
Cela, à mon avis, devrait vous convaincre qu'il y a violation. C'est une violation quand le juge voit cela.
La majorité des juges de la Cour suprême du Canada dans l'affaire O'Connor ne l'a pas reconnu, et nous estimons que le Parlement devrait absolument se pencher sur la question.
La vice-présidente (Mme Torsney): Pouvez-vous me préciser quelque chose? Dans le cas que vous venez de citer, les accusations dont avait été saisie la cour concernaient l'employeur.
Mme Oleskiw: C'est un cas hypothétique, mais, en effet, ce serait contre l'employeur.
La vice-présidente (Mme Torsney): D'accord, je voulais simplement préciser cela.
Mme Tellier: Et dans l'hypothèse citée, des éléments de preuve qui seraient autrement interdits aux termes de l'article 276 du Code criminel, qui concerne les antécédents sexuels, sont présentés. Cela devrait être ajouté à votre liste de choses inacceptables.
[Français]
La vice-présidente (Mme Torsney): D'accord. Nous allons maintenant passer aux questions.
M. Landry (Lotbinière): Donnez d'abord la parole aux autres. Je reviendrai vers la fin.
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Ramsay.
[Traduction]
M. Ramsay (Crowfoot): Je tiens à vous remercier de votre exposé.
Il y a là conflit entre deux intérêts. L'intérêt qui consiste à s'assurer qu'un accusé est jugé de façon juste et qu'on ne refuse pas des éléments de preuve qui pourraient l'innocenter vise à protéger des membres de la société contre des risques de fausses accusations et d'emprisonnement à tort. Une des pires choses que puisse faire notre justice, c'est d'incarcérer un innocent, comme cela se produit aujourd'hui.
Vos deux groupes ont indiqué que vous aimeriez qu'aucun dossier ne soit présenté. Mais qu'arrive-t-il si ces dossiers contiennent des éléments de preuve qui pourraient innocenter un accusé? Continueriez-vous à dire qu'ils ne devraient pas être présentés?
Mme MacIntyre: Je répondrais deux choses. Vous supposez qu'il y a quelque chose là-dedans qui pourrait innocenter l'accusé.
M. Ramsay: Oui, en effet.
Mme MacIntyre: C'est cela.
Il y a des erreurs judiciaires dans certains dossiers: Donald Marshall et Guy Paul Morin. Ce n'est pas le résultat de l'absence de dossiers, ni de plaintes d'agression sexuelle, ni de fausses déclarations ou d'erreurs de mémoire. C'était effectivement des injustices dues au système, et non pas aux femmes.
Depuis trois ans que je travaille à cela, jamais personne n'a pu me donner un exemple de fabulation qui aurait mené à condamner quelqu'un ou de dossiers qui auraient pu révéler que c'était faux et convaincre tout le monde. Cela ne s'est jamais produit.
M. Ramsay: Mais là n'est pas la question.
Mme MacIntyre: Il faut comprendre ce dont on parle. On présente souvent des hypothèses, et je veux que vous compreniez que nous avons passé trois ans à en chercher une qui pourrait réellement convaincre.
Ce qui n'est pas acceptable, c'est d'acquitter quelqu'un en invoquant une logique, des dossiers ou des préjugés discriminatoires. Cela ne correspond pas à ce qu'exige le Code criminel.
C'est là la question. C'est la loi. Lorsqu'il n'y a pas eu consentement volontaire à l'acte sexuel à une occasion particulière, avec un homme particulier, il y a violation du Code criminel. La question est de savoir si la femme a volontairement accepté à ce moment-là de se livrer à ces actes avec l'homme en question. Ce n'est pas de savoir si elle l'a déjà fait. Il ne s'agit pas non plus de savoir si son père l'a violée. Il ne s'agit pas non plus de savoir si elle respectait bien la loi lorsqu'elle a commis un vol à l'étalage.
M. Ramsay: Oui, je comprends.
Mme MacIntyre: Donc, la question pour moi est de savoir quelle hypothèse on peut imaginer dans laquelle les dossiers pourraient prouver ou même faire penser que l'on pourrait libérer quelqu'un parce que l'individu n'aurait pas agressé la femme en question à cette occasion.
M. Ramsay: Si l'on peut supposer d'après ce que vous dites qu'il n'y a jamais eu de cas où les dossiers aient contenu des éléments de preuve qui pouvaient contredire en quoi que ce soit la plaignante, inutile de s'inquiéter.
Mme MacIntyre: Non, non. Il y aura des incohérences. Si vous me posez la question demain, vous la formulerez différemment. Et si je faisais mon exposé demain, j'insisterais sur des choses différentes. Il peut toujours y avoir des incohérences. Mais il ne faut pas aller chercher dans ces incohérences des exemples de fabulation dans d'autres sphères.
Il y aura toujours des incohérences. Cela ne rend toutefois pas pour autant l'individu innocent. C'est la façon dont nous communiquons.
M. Ramsay: Ma foi, votre réponse ne me satisfait pas, et c'est dommage, car je suis favorable à l'intention du projet de loi. Mais je m'inquiète aussi des dossiers que j'ai à mon bureau où il s'agit d'hommes qui sont emprisonnés pour avoir été accusés d'actes qu'ils nient avoir commis.
Les demandes faites aux termes de l'article 690 du Code criminel reposent sur des éléments de preuve nouveaux. Ce que vous dites, c'est que ces nouveaux éléments de preuve qui se trouvent dans un dossier ne devraient pas être mis à la disposition de l'accusé. Est-ce que je comprends bien ce que vous avez dit ce matin au comité?
Mme Tellier: Nous disons que ce ne sont pas des éléments pertinents, que ce sont des éléments qui ne sont pas admissibles et qu'ils représentent une violation de la Constitution. Il ne s'agit pas simplement du droit à un procès juste pour l'accusé. La plaignante doit aussi avoir droit à une procédure judiciaire qui correspond à ses besoins.
Ce que vous ne semblez pas comprendre, c'est que la raison d'être de ce projet de loi est qu'il faut parvenir à un équilibre. Pourquoi se fait-il que constamment, comme l'a dit la juge L'Heureux-Dubé, les droits des femmes sont inconsciemment sacrifiés tellement on accorde d'importance aux droits de l'accusé? Notre Constitution exige un certain équilibre, et vous dites que parce qu'il pourrait y avoir une chose susceptible d'innocenter, il nous faut immédiatement aller dans l'autre sens. Nous déclarons que ce n'est pas admissible aux termes de la Constitution et que ce n'est pas là l'objet du projet de loi.
M. Ramsay: Ma foi, d'accord, mais nous ne pouvons pas non plus négliger les droits constitutionnels de l'accusé. Vous l'avez dit. Vous avez déclaré que les droits constitutionnels des victimes sont violés lorsque leurs dossiers sont mis à la disposition de la cour. Sur quoi vous fondez-vous pour dire cela? Cela a-t-il été jugé ainsi par les tribunaux? Est-ce une décision d'une cour?
Mme Tellier: Bien sûr. La décision dans l'affaire O'Connor reconnaît que leur droit à la protection de la vie privée a été violé, et une majorité de quatre juges a déclaré que leur sécurité en tant que personnes et leurs droits à l'égalité avaient aussi été violés.
M. Ramsay: Cette décision est insuffisante pour assurer la protection que vous demandez?
Mme Tellier: Tout à fait. En fait, la décision est un désastre.
M. Ramsay: Il ne me reste que quelques minutes. Voyons la chose un peu différemment.
Où faites-vous la distinction pour un dossier? Lorsque l'on dépose une plainte, on le fait à la police, et il s'ensuit une enquête confidentielle, ou censément confidentielle. Est-ce que certains éléments de ce dossier entrent dans la catégorie dont vous parlez? Voilà pour la première question. Deuxième question: un agent de police qui enquête sur une plainte se verrait-il refuser l'accès à toute déclaration que l'accusé pourrait avoir faite à un conseiller ou à quelqu'un qui pourrait entrer dans la catégorie de ceux qui gardent des dossiers dont il est question dans le projet de loi?
Mme MacIntyre: Le projet de loi n'empêche pas la police de poursuivre ces dossiers. Nous espérons que lorsqu'elle lira votre préambule et votre texte elle ne le fera pas.
Ce que la Couronne et la police font à l'étape de l'enquête reste, aux termes de ce projet de loi, dévoilable; cela ne change pas. Et je soulignerais à votre intention que nous avons de part et d'autre dit que si ces éléments sont nécessaires pour le procès et la défense, ils doivent être présentés, même si cela peut violer le droit à la protection de la vie privée. Si c'est fondé sur la discrimination, ce n'est pas nécessaire. Mais si en fait cela dissuade de porter plainte, nous jugeons que la nécessité d'un procès juste l'emporte. Nous ne disons pas que «qui peut aider la défense peut être utile» va dans le sens de ce que la Cour suprême a déclaré par ailleurs: à savoir qu'il faut concilier des droits constitutionnels, et que la question d'un procès équitable doit être considérée en fonction des autres considérations constitutionnelles.
Nous n'avons pas encore établi une violation du droit à un procès équitable. Nous essayons en fait de voir s'il y a effectivement une question de procès équitable. Si cela n'est pas pertinent, la question du procès équitable disparaît. C'est tout.
Mme Oleskiw: Vous avez fait allusion à des enquêtes confidentielles de la police. Mais le projet de loi stipule que lorsque le dossier est constitué au cours d'une enquête il n'est pas touché. Ce n'est pas de ces dossiers dont il est question.
M. Ramsay: Donc, les policiers faisant enquête pourraient avoir accès à ces dossiers?
Mme Oleskiw: Ce n'est pas la même chose.
M. Ramsay: C'est ma question. Est-ce que vous dites que la Couronne, par l'intermédiaire des services de police, ne devrait pas avoir accès non plus à ces dossiers?
Mme Tellier: Ce n'est pas ce que nous disons, mais nous parlons du problème des dossiers qui sont arrivés à la Couronne illégalement ou sans le consentement voulu. Il y a des tas de cas dans lesquels cela s'appliquera. Il arrivait très souvent que des femmes fournissaient ces dossiers à la Couronne sans savoir quelle utilisation on en ferait. Si elles l'avaient en fait su, elles n'auraient jamais communiqué ces dossiers. Donc, puisque la règle Stinchcombe s'applique, et que dès que c'est entre les mains de la Couronne cela doit être fourni à la défense, nous espérons que le problème sera réglé lorsque le projet de loi aura été adopté.
M. Ramsay: Vous dites donc que parce que la défense pourrait avoir accès à ces dossiers si la police y avait accès, ils ne devraient pas non plus être accessibles aux policiers menant l'enquête. C'est bien ce que vous dites?
Mme MacIntyre: Il leur faut obtenir le consentement des intéressés aux termes de ce projet de loi.
M. Ramsay: De la victime.
Mme MacIntyre: Oui.
Mme Tellier: Oui.
Mme MacIntyre: La question est aussi de savoir pourquoi ils les voudraient. Vous dites que ce sont des éléments de preuve. Ce n'est pas cela.
M. Ramsay: Ce sont des renseignements.
Mme MacIntyre: En effet. L'autre question constitutionnelle est de savoir qui les a produits et ce qu'ils valent?
L'affaire O'Connor, c'était l'histoire des dossiers des pensionnats d'un système conçu, comme le reconnaît maintenant le gouvernement, pour éliminer une culture. Ces dossiers existent. Pourquoi y avoir recours? Pourquoi y a-t-on eu recours? Et pourquoi ont-ils été présentés? On les promenait dans les écoles. Mais pourquoi aller les chercher? Pourquoi supposer que l'on en a besoin alors qu'on ne s'en sert pas dans d'autres cas? C'est la première question. Ce projet de loi n'empêche pas la police d'essayer d'y avoir accès. Il exige simplement un consentement informé. Mais pourquoi aller rechercher cela uniquement dans ces cas? C'est la question de l'égalité.
M. Ramsay: Je ne suis pas d'accord.
En tout cas, mon temps est écoulé. Merci. Nous y reviendrons peut-être.
La vice-présidente (Mme Torsney): Madame Cohen.
Mme Cohen (Windsor - Sainte-Claire): Madame la présidente, je voudrais dire à mon collègue, M. Ramsay...
M. Ramsay: Pourquoi vous adressez-vous à moi?
Mme Cohen: Je ne m'adresse pas à vous.
M. Ramsay: Adressez-vous aux témoins.
Mme Cohen: Madame la présidente, je voudrais simplement dire aux hommes qui sont là, et qui ne semblent pas réussir à comprendre, qu'ils devraient se demander si l'on va chercher les dossiers médicaux d'un employé de banque après un vol dans une banque ou si l'on va vérifier les dossiers d'un barman ou d'un videur dans une boîte de strip-tease après une accusation d'agression.
M. Ramsay: Si c'est pertinent?
Mme Cohen: Peut-être pourriez-vous vous demander pourquoi on se croit toujours obligé d'aller fouiller dans les dossiers d'une femme victime d'agression sexuelle.
M. Ramsay: Seulement si l'information est pertinente.
Mme Cohen: Vous pourriez peut-être vous demander pourquoi lorsqu'il s'agit d'hommes qui prétendent ne pas être coupables d'une infraction on les croit automatiquement, alors que lorsque c'est une femme qui vient accuser quelqu'un d'agression sexuelle on demande tellement de preuves.
M. Ramsay: Je ne pense pas que l'on croie quoi que ce soit automatiquement.
Mme Cohen: En tout cas, je veux tout d'abord dire que je tiens à remercier les deux groupes de leur contribution. Et je dirais aussi à l'Association nationale de la femme et du droit qu'elle choisit très bien la famille des gens qu'elle embauche.
Pourriez-vous m'aider, madame Oleskiw? Lorsque vous parliez de vos expériences de procès, je me suis dit que certaines des choses dont vous nous parliez concernent la façon dont la Couronne traite l'affaire. Il me semble que le fait d'avoir toute une série de témoins dans une salle d'audience pour venir parler d'un centre de secours en cas d'agression sexuelle, ce n'est pas le meilleur système. Je dirais que c'est le genre de choses que l'on évite régulièrement dans ma région lorsque l'on prévoit l'audience des témoins. Je suis simplement surprise d'entendre que ces problèmes existent.
Mme Oleskiw: D'après moi, c'est vraiment la défense qui crée ces problèmes. Si la défense convoque les témoins - c'est exactement ce qui se produit ici - elle peut dire qu'ils doivent rester là. Ils ont été convoqués. C'est une ordonnance de la cour qui les oblige à se trouver en cour. Donc, même si vous aviez un avocat de la Couronne très sensible à toutes ces questions, ce qui très franchement n'est pas toujours le cas...
Mme Cohen: En effet.
Mme Oleskiw: ... mais on peut toujours l'espérer, cela ne garantit pas que l'on puisse éviter ce genre de problèmes.
Mme Cohen: Non, et je comprends ce que vous voulez dire, et cela m'amène à ma question suivante. Pour ce qui est de la pratique, y a-t-il eu à votre avis un problème de système, plutôt que...? Si l'on considère le système - les différents joueurs - indépendamment du projet de loi, y a-t-il un problème de police? Y a-t-il un problème de procureurs? Pourriez-vous nous parler de cela?
Mme Oleskiw: Je crois vraiment que c'est la citation à comparaître qui cause le problème. C'est la défense qui est à l'origine du problème, car le système, très franchement, étant donné que c'est une tactique assez nouvelle et très répandue des avocats de la défense, n'est pas tout à fait prêt à parer aux conséquences. En ce sens, je dirais que le système pose un problème.
Je ne crois pas qu'il soit très important que le projet de loi s'applique à la Couronne, dans la mesure où la décision de la Cour suprême du Canada dans les affaires O'Connor et L.L.A. c. Beharriell est la première où l'on précise que les plaignants ont au moins des droits constitutionnels à la protection de leur vie privée et de leur sécurité dans ces dossiers. Nous avons au moins cela. Étant donné que cela a été reconnu, il est probable que les agents de police ne l'avaient pas compris avant. Il est donc probable qu'il y a des dossiers entre les mains de la police actuellement qui poseraient des problèmes, pour lesquels il faudrait envisager une dispense constitutionnelle.
Le gros problème, ici, vient de la défense.
Mme Cohen: Pour les cas qui sont actuellement en cours, je crois que c'est Mme Tellier qui a dit qu'il nous faudrait essayer de traiter avec les avocats des victimes.
Je suis ici depuis 1993 et, ayant pendant une grande partie de ma carrière fait de l'aide juridique, je sais que cela a beaucoup changé. J'ai peut-être une dizaine de fois au cours des années représenté des victimes aidées par le programme d'aide juridique en Ontario. Est-ce que celui-ci est toujours financé?
Mme Tellier: Absolument pas. Bien que la Cour suprême du Canada ait maintenant reconnu que les victimes devraient avoir droit à une aide, la politique de financement n'a pas changé. En cas d'affaire criminelle, seul l'accusé a droit à une aide. Les victimes d'agressions sexuelles ne reçoivent aucune aide non plus pour participer aux poursuites. Dans la procédure criminelle, en Ontario, la pratique n'est pas de leur donner des certificats leur permettant de participer aux poursuites civiles.
Notre disposition permettrait au juge de remédier à cette situation lorsqu'une femme n'a pas d'autres ressources, évidemment, et de demander qu'un avocat soit nommé au tarif prescrit par l'aide juridique. Le bureau du procureur général de la province en serait responsable. Ce serait étudié cas par cas, la demande étant directement présentée au juge.
En l'absence d'une telle disposition, je ne sais pas comment les femmes vont pouvoir faire respecter leurs droits. Diane est une des rares juristes de la province et peut-être du pays, qui se consacrent entièrement à ce genre de demandes. Il est très difficile de trouver des avocats compétents et abordables pour le faire.
Mme Cohen: Il y a plusieurs avocats à Windsor qui sont compétents, et je puis vous assurer qu'ils le font régulièrement. Cela dit, il arrive souvent qu'ils ne soient pas payés par l'intéressé ni, apparemment, par le programme d'aide juridique.
Vous parlez donc d'un article comme celui qui est contenu dans la Loi sur les jeunes contrevenants, qui permet à un juge d'ordonner effectivement que le programme d'aide juridique paye?
Mme Tellier: Oui. Cela existe déjà en common law pour les accusés sans ressources. Étant donné qu'il n'y a pas de précédent pour un plaignant - en fait il y en a un en Ontario - nous pensons que ce devrait être effectivement codifié. Nous avons présenté une proposition de disposition.
Mme Cohen: D'accord, merci. C'est tout ce que je voulais demander.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci.
[Français]
Monsieur Landry, vous n'avez pas de questions? Monsieur Ramsay, cinq minutes.
[Traduction]
M. Ramsay: Merci. Je crois que tout le monde s'inquiète comme moi de l'équilibre entre les droits de l'accusé et les droits de la victime. C'est un de mes collègues qui a soulevé toute la question des droits de la victime, parce que cela nous préoccupe beaucoup. Je vous entends très bien lorsque, comme ce matin, vous expliquez la nécessité de protéger les victimes de ce genre de crime. Cela n'empêche qu'il nous faut faire très attention à assurer cet équilibre.
D'après ce que je vois dans le projet de loi, je dirais que l'équilibre est ainsi réalisé. Si ce que vous nous avez dit ce matin est exact, et je veux bien le croire, vous avez examiné tous ces cas et n'avez rien trouvé dans les dossiers dont il est question dans le projet de loi qui aurait permis d'innocenter l'accusé. Les tribunaux vont examiner le contenu du projet de loi afin de voir si les éléments de preuve sont pertinents. C'est au moins une première étape visant à assurer que les droits constitutionnels des victimes sont protégés au cours de ces audiences.
Toutefois, du même coup, considérons le scénario du pire, où après une fausse accusation d'agression sexuelle - et cela arrive - on pourrait trouver des éléments de preuve pertinents dans le dossier. Je m'inquiète un tout petit peu que vous déclariez que tous ces dossiers ne devraient jamais être accessibles, même si dans certains cas - et vous avez dit que vous n'en avez jamais rencontré - il semble qu'il n'y ait jamais de cas où des informations pertinentes qui pourraient révéler l'innocence de l'accusé pourraient être disponibles, mais inaccessibles.
Mme MacIntyre: Je tiens à vous remercier. C'est là l'essentiel du problème, l'essentiel du projet de loi, l'essentiel de la crise. C'est là la question, et il est donc bien d'y travailler.
J'espère que vous lirez les deux mémoires plus tard, parce que je pense qu'ils répondront très bien à beaucoup de vos questions. Je voudrais revenir sur les affaires que nous avons étudiées. Il y en a qui ont mené à des acquittements. C'est cela le problème.
M. Ramsay: À tort.
Mme MacIntyre: Le procès n'a pas été équitable. La procédure a déraillé, pour porter sur des questions sur lesquelles on ne s'arrête pas dans d'autres cas.
Personne n'a dit clairement que si on n'avait pas eu ces dossiers, on aurait pu acquitter les accusés. C'est un simulacre terrible... On a entendu parler du fait que beaucoup d'actes ne sont pas dénoncés, que beaucoup de plaintes sont jugées à tort non fondées, que la police sélectionne, que c'est suivi d'un abus de négociation entre le procureur et l'avocat de la défense, que trop souvent les poursuites sont suspendues, que très peu nombreux sont ceux qui sont condamnés. Il y a donc beaucoup de possibilités de se faire innocenter. Le procès n'est pas équitable, et les femmes le savent.
On en arrive au point où en tant qu'avocate je ne crois plus pouvoir conseiller honnêtement à une femme d'avoir recours au système. Si je ne le dis pas très fort, c'est parce que j'ai en fait peur que cela ne donne à ceux qui profitent de ces inégalités encore plus de matière. Ils le savent. Ils savent qu'il n'y a même pas 6 p. 100 de chances que l'on porte plainte. C'est terrifiant, mais, dans la situation actuelle, je ne connais personne à qui je conseillerais d'utiliser le système, parce que je ne peux le garantir, et les femmes le savent bien.
On parle d'abus de justice. Si vous lisez Carosella, le fait que l'on n'exige jamais même un semblant de pertinence pour des dossiers qui ne sont pas cités, mais que l'on s'en serve abondamment... Nous sommes en fait détruites avant d'être citées en justice. Le secours qu'une femme choisissait pour l'aider dans une procédure pénible a été détruit. Son système de soutien a été détruit, et plutôt que de se faire détruire, ils ont détruit les dossiers.
Aucune ordonnance n'a demandé ces dossiers. Je ne sais pas ce qui arrivera s'il y en a, mais il n'y en a pas eu. Personne ne sait ce qu'ils contenaient. Les procédures ont été arrêtées. Considérez les choix qui se présentaient. Ne préparez pas de dossiers. Dites à la femme qui vient demander de l'aide: je dois vous avertir avant que vous ne disiez un mot que je ne prendrai aucune note et que je risque de vous confondre avec les 300 autres femmes dont je me suis occupée cette année; ou j'oublierai où nous étions la dernière fois, et vous aurez l'impression que je vous ai perdue; ou alors je prendrai certaines notes très rapides, dans l'espoir que personne ne les regardera jamais; si je ne les détruis pas avant. Voilà les choix à ma disposition.
Ou dites à la femme: arrêtez car quelque chose que cinq juges ont considéré comme «pertinent» dans le résumé pourrait mener à un acquittement au procès. Pire, ils pourraient vous obliger à retirer vos accusations. Dans certains de ces cas, il n'y aura jamais de procès. Ce n'est pas une question de procès équitable.
M. Ramsay: C'est un cas récent.
Mme MacIntyre: C'est beaucoup de cas récents.
M. Ramsay: J'aimerais faire une observation à ce sujet. Quand j'ai lu cela, parce que la pertinence n'a jamais été établie, je ne comprenais pas la décision. Comment ont-ils pu prendre cette décision quand la pertinence...
Mme MacIntyre: Ils l'ont imaginée. Il faut comprendre que cela a été imaginé.
Mme Tellier: Ils l'ont imaginée, et ils font ce que les juges font tous les jours de la semaine quand ils rendent ces ordonnances. C'est pourquoi les choses inacceptables sont tellement cruciales, parce qu'ils imaginent qu'il doit y avoir quelque chose là-dedans et que la boîte est là et qu'ils ordonnent que son contenu soit dévoilé, «au cas o;.
M. Ramsay: Vous dites que s'ils peuvent le faire sans voir les éléments de preuve, ils peuvent le faire aussi même avec ces éléments. C'est cela?
Mme MacIntyre: Oui. Songez plutôt que vous êtes un bon citoyen, prêt à courir des risques. Disons que vous craignez, comme de nombreux plaignants, de rapporter ce qui s'est passé. Comme les autres, vous craignez pour votre sécurité, celle de vos enfants, votre emploi, vous craignez d'être calomnié. Toutefois, supposons qu'on vous fasse des menaces de mort, et que, comme bon citoyen, vu la gravité de la situation, vous en faites rapport.
Tout d'abord, la loi prévoit que nous fassions enquête sur votre crédibilité en général, parce que ceux qui font rapport de ce genre de choses, des gens comme vous, ne sont pas comme les autres. Il faut donc vérifier votre crédibilité. Oubliez que l'on empiète sur votre vie privée. On présume avant même que vous n'ouvriez la bouche que quelqu'un comme vous n'est pas digne d'être cru, ne peut servir le système, que vous devez devenir propriété publique afin de démontrer que vous êtes un bon citoyen. Oubliez la calomnie - soyez un bon citoyen. Avant que vous ne parliez, nous pensons déjà...
Vous avez des relevés de comptes, des factures de téléphone, vous avez un médecin. Vous avez changé de médecin. Votre médecin vous a insulté, puisqu'il prétend que vous étiez un patient difficile. Peu importe ce qu'il y a dans votre dossier, vous avez caché quelque chose. Nous prétendons avoir besoin de ces dossiers, parce qu'il y a peut-être quelque chose là... quelqu'un comme vous, une infraction de ce genre. Il nous faut tout.
M. Ramsay: Donc, il y a...
Mme MacIntyre: On risque de condamner un homme innocent pour quelqu'un comme vous... Dans les dossiers, il y a sûrement des contradictions. Vous êtes allé voir un médecin.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci, monsieur Ramsay. Il nous reste environ huit minutes.
Avant de passer à M. Kirkby, j'aimerais simplement préciser quelque chose. Il a été question à plusieurs reprises d'autres affaires, ou seulement de ces affaires, que sais-je? Je me demande si vous pourriez nous dire exactement quand on ne demande pas les dossiers, comment c'est différent, dans le cas d'une agression sexuelle par opposition à des voies de fait entre deux hommes.
Mme Oleskiw: À l'annexe du mémoire de l'ANFD, il est intéressant de noter... Tout d'abord, j'aimerais que... Vous savez, les agents de police font reconnaître coupables des milliers d'accusés au Canada tous les jours. On ne demande pas leurs dossiers, et même lorsque exceptionnellement on le fait, les demandes sont rejetées. La cour dit: ma foi, vous allez à la pêche. Pourquoi vouloir voir les dossiers personnels, ou d'autres dossiers d'un agent de police?
Pourtant, les agents de police témoignent tous les jours, devant le tribunal, de vive voix, c'est-à-dire sans le moindre bout de papier, sans documents à l'appui. Ils n'ont même pas de preuve corroborante. Parce qu'un agent de police prête serment et dit quelque chose, personne ne demande ses dossiers. Voilà donc une chose importante.
L'annexe au dos du mémoire de l'ANFD révèle aussi que sur 140 affaires, dont 120 d'agression sexuelle, on a présenté une telle demande. Nous avons également constaté que dans ces 20 affaires exceptionnelles, 14 portaient sur des crimes de violence. Si les avocats de la défense ont demandé les dossiers, c'est qu'il y avait eu crime avec violence.
Chose très importante aussi, dans huit de ces cas exceptionnels, on voulait les dossiers de femmes ou d'enfants. Donc, c'était toujours une femme ou un enfant que l'on cherchait à discréditer, même si l'infraction n'était pas de nature sexuelle.
Il est à noter aussi que dans quatre de ces cas exceptionnels, l'avocat de la défense cherchait à obtenir les dossiers de détenus. Dans la mesure donc où l'on peut penser que de prime abord la crédibilité d'un détenu peut faire l'objet de doutes, il semblerait que l'on perçoive les femmes de la même façon.
Quoi qu'il en soit, je vous exhorte à consulter l'annexe de notre mémoire. On y retrouve tout ce que j'ai dit.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci.
Monsieur Kirkby.
M. Kirkby (Prince Albert - Churchill River): J'aimerais poser une question très rapidement. Vous avez mentionné que l'on ne demande les dossiers que dans les cas d'agression sexuelle, ou généralement quand ce sont des femmes et des enfants qui sont les victimes du crime.
Il me paraît bizarre aussi que lorsque les groupes de victimes, les groupes qui prétendent constamment appuyer les victimes, etc., sans réserve, quel que soit le type d'infraction criminelle... Encore une fois, est-ce uniquement lorsque les victimes sont des femmes et des enfants que ces groupes se préoccupent d'une éventuelle condamnation erronée? C'est la seule fois que j'ai jamais entendu ce mot mentionné, et je me demande si c'est symptomatique du même genre de chose.
La vice-présidente (Mme Torsney): Madame Scott.
Mme Scott: À mon avis, l'autre aspect important - et j'aimerais aussi revenir sur le point que soulevait M. Ramsay précédemment - c'est qu'on ne peut pas rédiger des lois en se fondant sur des hypothèses qui n'ont jamais été démontrées. On ne peut pas après tout permettre cela dans notre système juridique.
En fait, monsieur Ramsay, vous savez, nous ne nous opposons pas à ce que l'on produise des dossiers. C'est notre croyance personnelle; c'est la position que nous défendons. Toutefois, nous acceptons les limites qu'impose ce projet de loi. Mais nous disons que ce doit être acceptable. Il faut démontrer la pertinence et tenir compte des droits constitutionnels des deux parties.
En d'autres termes, il faut que les dossiers soient nécessaires pour permettre une défense pleine et entière. Et oui, nous reconnaissons qu'il ne faut pas emprisonner un homme condamné à tort. Toutefois, il faut un seuil élevé et significatif.
[Français]
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Landry, vous avez cinq minutes.
M. Landry: Il me fait plaisir de rencontrer les témoins. J'ai une question très courte. Votre organisme défend certaines causes. Trouve-t-il que le projet de loi C-46 protège davantage l'agresseur que l'agressé, qu'il s'agisse d'une femme ou d'un enfant?
[Traduction]
Mme Tellier: Je m'excuse; malgré mon nom, je ne parle pas français, et je n'ai pas entendu la version anglaise.
La vice-présidente (Mme Torsney): Essayez peut-être le contrôle de volume.
Mme Scott: Nous sommes persuadées qu'en fait l'accusé sera toujours mieux protégé. C'est sans doute parce que les juges ne comprennent pas les droits constitutionnels du plaignant; ils ne comprennent que les droits constitutionnels de l'accusé. La divulgation jouira toujours d'un préjugé favorable. Donc, essentiellement, le système est pipé en faveur des droits de l'accusé à un procès équitable, parce que ce sont là les droits constitutionnels que comprennent les juges.
Ce projet de loi doit faire comprendre qu'il existe d'autres droits constitutionnels dont on doit tenir compte en vertu de cette loi, de cette Charte.
Toutefois vous avez raison: le système est complètement pipé en faveur de l'accusé, et ce sont toujours les droits de l'accusé à un procès équitable qui l'emportent.
[Français]
La vice-présidente (Mme Torsney): Monsieur Maloney.
[Traduction]
M. Maloney (Erie): Je vous remercie de vos mémoires, et je vous remercie tout particulièrement de nous avoir proposé des libellés d'amendements; c'est très utile.
Madame MacIntyre, dans votre mémoire vous mentionnez qu'il y a eu de nombreuses consultations avec les représentants du ministère de la Justice. Avez-vous attiré leur attention sur ces amendements, ces suggestions, ou vos préoccupations? Dans l'affirmative, les a-t-on rejetés, et si oui, pourquoi?
Mme MacIntyre: Tout d'abord, nous étions encore à la Cour suprême du Canada à défendre un idéal plus élevé. Il est difficile de dire si l'on a en fait tenu compte de nos propositions, même imparfaitement. C'est du moins ce que nous en pensons.
En effet, nous avons fait des propositions, et vous pouvez voir ce que le ministère de la Justice a préparé dans sa tentative de codifier un projet de loi qui tient compte de la Constitution. Ne vous y trompez pas, ce projet de loi part du principe que cinq juges de la Cour suprême se sont trompés dans leur interprétation du droit constitutionnel. Nous considérons qu'on a tort de définir un procès équitable en éliminant quatre autres garanties prévues par la Charte. C'est assez simple.
C'est ce que nous avons proposé. Si vous regardez à la page 6, vous constaterez qu'il est dit dans le projet de loi... L'un des facteurs, en fait, au haut de la liste... D'après ce qui est proposé, une fois que les dossiers sont jugés admissibles, une fois que le juge est convaincu qu'ils sont pertinents, d'après ce qui est écrit ici, il faut que les dossiers soient nécessaires pour permettre à l'accusé de se défendre pleinement.
Nous considérons que c'est là le seuil, selon la Constitution, qu'il faut mesurer en fonction de la certitude absolue qu'il y aura atteinte à la vie privée, qu'il y aura atteinte à l'égalité, qu'il y aura atteinte au facteur de dissuasion et à l'intérêt public dans l'administration et la réputation de la justice. Nous considérons que c'est nécessaire. S'il en est ainsi, on a bel et bien inclus dans le projet de loi nos propositions des deux dernières années et demie. Certainement, le préambule en tient compte.
Donc, en partie, si nous avons raison à ce sujet, ce qui demeure confus c'est qu'on ne peut pas établir un seuil inférieur à ce qui est nécessaire. Il y a eu échange de trois jeux d'ébauches, et nous pensons que le projet de loi le prévoit, mais, à certains égards, d'une façon peu claire.
Il avait été entendu que «il est également vrai que l'un ou plusieurs des motifs suivants ne seront pas admissibles». Les rédacteurs ont oublié un mot. Nous disons toutes deux: arrangeons cela. Nous ne pensons pas que ce soit contradictoire.
On a donc bien entendu nos propositions. Si nous avons bien interprété le projet de loi, la plupart de nos propositions s'y trouvent. Toutefois, s'il y a confusion dans notre esprit, il vaudrait peut-être mieux préciser.
Mme Tellier: J'aimerais préciser que ce que nous avons ajouté dans notre mémoire qui n'a pas été discuté à la table de consultation provient de la pratique quotidienne personnelle de Mme Oleskiw. Je pense que nous avons tous la même intention, que nous nous entendons sur ce qui est souhaitable. Toutefois, j'espère que Mme Oleskiw a réussi à vous persuader sur la question des assignations et d'autres questions. C'est-à-dire, vous avez raison, mais en pratique, devant le tribunal, voici comment cela fonctionne, voici ce qu'il faut changer. Nous espérons donc que vous allez accorder une attention toute particulière à nos propositions en ce qui concerne la procédure.
M. Maloney: Très bien, merci.
La vice-présidente (Mme Torsney): Merci.
Malheureusement, parce que notre témoin suivant comparaît à distance, il nous faut prendre une pause de 15 minutes pour tout mettre en marche; sinon, j'aurais eu environ cinq autres questions à vous poser.
Vous écouter était fascinant, et j'aimerais dire à titre personnel que je suis impressionnée par votre connaissance incroyable de ce sujet. Encore une fois, merci beaucoup de vos exposés. Nous aurons peut-être des questions pour vous dans l'avenir, et nous verrons comment nous y prendre à ce moment-là. Merci beaucoup d'être venues témoigner ici.
Mme MacIntyre: Merci.
Mme Tellier: Merci
La vice-présidente (Mme Torsney:) La séance est levée.