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TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 2 mai 1996

.0938

[Traduction]

La présidente: La séance est ouverte.

Je vous souhaite la bienvenue, madame Gagnon. Votre témoignage s'inscrit dans le nouveau processus que nous venons d'adopter concernant les projets de loi d'initiative parlementaire. Essentiellement, certains des membres du comité craignaient que les projets de loi émanant de députés soient mis en veilleuse indéfiniment si nous ne faisions pas l'effort de les rappeler à notre mémoire régulièrement.

Vous êtes la seule députée ayant déposé un projet de loi dont nous sommes saisis que nous n'avions pas encore entendue. Notre comité directeur et le comité plénier détermineront l'ordre d'examen de ce projet de loi d'initiative parlementaire, mais nous voulions d'abord entendre votre témoignage afin que toutes les mesures parlementaires en soient à la même étape.

Nous procéderons selon la formule habituelle. Nous entendrons d'abord votre déclaration liminaire après quoi il y aura une période de questions.

Nous avons environ une heure et demie à vous consacrer, mais je crois que notre séance sera perturbée par un vote. J'ai entendu dire qu'il y aurait peut-être ce matin un vote sur la répartition du temps.

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Ce vote a été annulé. Nous avons donc jusqu'à 11 heures environ.

[Français]

Mme Christiane Gagnon (députée de Québec): Madame la présidente, membres du comité, je vous remercie de me donner le privilège, après une longue attente, de défendre mon projet de loi sur la mutilation des organes génitaux.

Ce projet de loi, que j'avais initialement déposé en Chambre le 29 septembre 1994, a su recueillir l'appui d'un grand nombre de personnes et d'organismes et ce, partout au Canada et au Québec.

Je tiens d'abord à vous entretenir de ce qui m'a poussée à faire rédiger et déposer un projet de loi sur ce sujet très délicat et surtout émotif des mutilations génitales féminines.

En 1987, j'ai effectué un voyage de plusieurs mois qui m'a amenée à visiter quelques pays du Moyen-Orient. J'ai alors découvert avec un certain ravissement les mystères et splendeurs d'une autre civilisation. C'était pour moi la plus belle occasion d'apprendre à connaître et à apprécier des cultures fort différentes de la mienne, mais combien fascinantes.

Quelque temps après mon retour au Québec, des articles de journaux et des reportages ont commencé à faire état de la pratique des mutilations génitales féminines. Ma réaction initiale en a été une de choc et de consternation. Comment concilier les belles images emmagasinées au cours de mon voyage et la terrible réalité vécue par les femmes dans certains de ces pays?

Par la suite, j'ai ressenti une grande compassion pour les victimes de ces pratiques et une certaine colère, je l'avoue, envers les responsables de telles souffrances, tant physiques que psychologiques. Je me suis surtout demandé au nom de quelle tradition on pouvait faire subir de tels traitements à des êtres humains.

C'est lorsque j'ai compris que des jeunes filles et des jeunes femmes qui vivaient ici, au Québec et au Canada, subissaient ces mutilations que j'ai eu envie de bouger et de combattre. Mon élection à la Chambre des communes m'en a donné le moyen et j'en suis heureuse.

J'aimerais d'abord préciser qu'il s'agit d'une pratique qui affecte actuellement 100 millions de femmes, essentiellement dans les pays d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Asie. Bon an mal an, on compte deux millions de nouvelles victimes. Il existe trois types de mutilations appelées à tort «circoncision féminine». Vous comprendrez pourquoi.

Le premier type est la circoncision dite «sunna», qui consiste à exciser le capuchon du clitoris. La circoncision dite élargie comprend l'excision totale du clitoris, l'excision totale ou partielle des petites et grandes lèvres et la couture du sexe à l'exception d'un petit orifice pour l'écoulement de l'urine et du flot menstruel. Enfin, l'infibulation reprend les étapes de la circoncision élargie avec la variable d'une suture faite à l'aide d'un produit censé fusionner les points.

Selon le pays, l'opération est pratiquée par un barbier, une sage-femme ou un professionnel de la santé. Chez les hommes, l'équivalent serait l'ablation totale du gland. C'est pour cela que je dis que la circoncision féminine n'est pas en réalité une circoncision; c'est un geste beaucoup plus grave qui a beaucoup plus de conséquences.

Après avoir entendu la description technique des opérations, on devine que celles-ci ont des répercussions importantes sur les femmes excisées. En voici quelques-unes parmi celles qui ont été répertoriées: hémorragies, infections, complications obstétricales, fistules vésico-vaginales ou recto- vaginales, kystes, douleurs violentes, altération de la réponse sexuelle, perturbations psychologiques, décès.

À cette longue liste de conséquences possibles s'ajoute un autre problème spécifique aux femmes excisées qui immigrent ici. Leur différence peut leur causer des problèmes au niveau de leurs relations sociales et amoureuses ainsi que lors de consultations médicales auprès de praticiens non sensibilisés à la pratique.

Un travailleur social oeuvrant auprès d'immigrants a révélé que de nombreuses fiancées et épouses mutilées avaient été abandonnées par leurs partenaires après que ces derniers aient eu des relations sexuelles avec des femmes non excisées.

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Imaginez le double drame vécu par ces femmes qu'on mutile et abandonne ensuite, contrairement aux attentes suscitées par leur milieu traditionnel et familial pour leur faire accepter l'opération.

Comme cette tradition survit dans de nombreuses régions du monde, on répertorie autant de différentes explications pour la justifier. Certaines sont plus ésotériques que d'autres, mais toutes sont objectivement erronées. J'en nommerai quelques-unes parmi les plus percutantes sans toutefois les commenter. On pense, par exemple que:

Je tiens à souligner que, contrairement à ce qui est parfois véhiculé, aucune religion ne prescrit la mutilation féminine.

Au cours de l'année 1992 seulement, le Canada a recueilli 3 245 nouveaux arrivants en provenance de pays où les mutilations sont pratiquées. De 1986 à 1991, 40 000 de ces personnes ont immigré au Canada. Il y a donc une forte probabilité que le problème ait été importé. Cette probabilité est appuyée par des témoignages indiquant que l'on pratique régulièrement des mutilations génitales sur des fillettes.

Au cours des dernières années, les professionnels de la santé et les intervenants auprès de certaines communautés culturelles ont confirmé cet état de fait. À cause du caractère tabou de la pratique, il est difficile de la quantifier. Cependant, des médecins ont déclaré avoir été sollicités par des parents pour pratiquer la mutilation sur leurs fillettes. D'autres ont dû effectuer des interventions chirurgicales pour réparer les dommages causés à des enfants par les mutilations. Des intervenants sociaux ont été en contact avec des victimes ou des parents de victimes qui les ont sensibilisés à la pratique.

Ainsi, par suite de l'octroi du statut de réfugié à une Somalienne, en mai 1994, le directeur du Ottawa's African Resource Centre, Charles Kyazze, affirmait que de nombreux immigrants africains trouvaient le moyen de faire opérer leurs filles au Canada malgré une directive contraire du Collège des médecins de l'Ontario. M. Kyazze a aussi déclaré que des familles envoyaient leurs filles à l'étranger pour y être mutilées. Il sait que plusieurs médecins canadiens ont été sollicités pour pratiquer l'opération. Il ajoutait que les peurs exprimées par la requérante somalienne étaient fondées parce que la communauté africaine vérifie si les fillettes sont opérées.

Il s'agit donc d'un problème bien réel, bien que difficilement quantifiable. Cependant, diront certains, même s'il existe un problème, cela ne veut pas nécessairement dire qu'il faille légiférer spécifiquement en fonction de ce problème. Je soutiens au contraire que oui et je vous dirai pourquoi.

Tout d'abord, comme vous en conviendrez sûrement, les mutilations génitales sont inacceptables pour bon nombre de raisons: médicales, sociales, psychologiques et légales. Il faut donc prendre les mesures nécessaires pour enrayer cette pratique, à tout le moins au Canada et au Québec. Les organismes internationaux ont tous condamné cette pratique. De plus, toutes les conférences internationales qui touchent les femmes ont parler de l'importance de l'éliminer.

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Par ailleurs, le Canada est signataire des conventions internationales qui s'appliquent à cette pratique. Il a appuyé toutes les résolutions adoptées lors des conférences internationales. Il doit donc agir en conséquence et s'assurer que les mutilations ne sont pas pratiquées sur son territoire ou par ses ressortissants.

Enfin, je désire préciser que même si, comme l'avançait le ministre de la Justice, les dispositions actuelles du Code criminel sont suffisantes pour intenter des poursuites, aucune poursuite n'a encore été intentée au Canada.

Puisque des indices démontrent qu'il se pratique bel et bien de telles opérations sur notre territoire, on peut en conclure que les policiers et les procureurs de la Couronne ne sont pas plus fixés que les médecins sur le statut juridique des mutilations.

On peut prévoir qu'une disposition spécifique sur la prohibition de ce comportement favoriserait les poursuites, clarifierait la loi pour leur ceux qui l'interprètent, c'est-à-dire les juges, informerait les populations à risque et ceux qui interviennent auprès d'elles, inciterait les médecins à rapporter aux autorités les cas dont ils sont témoins et, éventuellement, diminuerait le nombre d'opérations.

De plus, un élément non négligeable est qu'une loi marquerait sans équivoque la condamnation publique de ces pratiques. Plusieurs pays ont déjà légiféré: la France, l'Égypte, la Suède, le Royaume-Uni, la Hollande et la Belgique. Vous remarquerez que la majorité des pays hôtes d'immigrants en provenance des pays où cette coutume se perpétue ont déjà légiféré. Après avoir pris acte du problème, ils ont réagi. Je propose que nous fassions de même. Tous les intervenants dans ce dossier et tous les témoins disent que le gouvernement doit mener une action sur plusieurs fronts.

Il doit intervenir en légiférant, mais aussi agir en matière d'éducation des personnes provenant des milieux culturels et donner l'information nécessaire aux praticiens de la santé, aux services sociaux, aux corps policiers et aux intervenants judiciaires, procureurs de la Couronne et juges, ainsi qu'aux agents d'immigration. Bref, toute personne directement ou indirectement concernée par la pratique doit être informée des conséquences des mutilations, de l'attitude de notre société et de la loi.

À ces fins, une interdiction formelle dans un texte clair est le meilleur outil éducatif. De plus, le gouvernement pourrait profiter de l'adoption de la loi pour lancer une campagne de sensibilisation et d'information auprès du public portant sur la problématique et la nouvelle loi.

C'est d'ailleurs dans cette optique que de nombreux groupes, organismes et personnes appuient le principe d'une loi spécifique. J'aimerais citer les plus importants de ceux qui se sont dits en faveur d'une telle loi: le Conseil canadien pour les réfugiés, le défunt Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme, le Conseil des travailleurs et travailleuses du Québec, la FTQ-CTQ, le Conseil du statut de la femme, le Centre de documentation sur la recherche féministe, la Fédération internationale de gynécologie et d'obstétrique, de nombreux centres de femmes au Québec, Quest for the Eradication of Female Genital Mutilation, l'Associaton ukrainienne-canadienne des droits civils, les Cercles de fermières du Québec, le Réseau des femmes noires francophones de Toronto, le Centre d'éducation et d'action des femmes de Montréal, la Fédération canadienne des clubs de femmes de carrières commerciales et professionnelles, Family Care International, le ministère de la Justice du Québec, le Multicultural Council of Professionnal Women, le Service d'information en contraception et sexualité de Québec, et le Syndicat professionnel des infirmières et infirmiers du Québec.

Mon projet de loi vise un double objectif: la dissuasion et la protection, soit la dissuasion des divers intervenants et la protection des innocentes victimes. C'est pourquoi le projet de loi comprend deux volets: la criminalisation de l'acte lui-même, qu'on retrouverait à l'alinéa 244.2a), et la punition de toute personne associée à l'opération, qui serait prévue à l'alinéa 244.2b).

Ce projet de loi a donc la portée nécessaire pour qu'on puisse intervenir auprès de toute personne concernée, ce qui est important pour atteindre l'objectif visé, soit l'éradication de la pratique des mutilations génitales féminines.

Je vous remercie de m'avoir écoutée.

[Traduction]

La présidente: Merci.

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Madame Venne, vous avez 10 minutes.

[Français]

Mme Venne (Saint-Hubert): Madame Gagnon, merci de votre présentation.

Nous avons actuellement à l'étude différents projets de loi, dont le vôtre. Vous ne le mentionnez pas, mais celui du ministre de la Justice, dont nous sommes actuellement saisis, traite aussi des mutilations génitales. J'aimerais que vous nous parliez des différences entre votre projet de loi et celui du ministre de la Justice, puisque nous allons devoir les étudier ensemble ici, au Comité permanent de la justice et des questions juridiques.

Je constate entre autres que vous mentionnez, à l'alinéa b), que les personnes qui aident, encouragent ou amènent quelqu'un à commettre la mutilation génitale devraient être poursuivies sous le même chef. Là-dessus, j'aimerais vous faire remarquer que l'article 21 du Code criminel prévoit déjà que ceux qui aident à la commission d'une infraction sont coupables au même titre que l'auteur. Que va ajouter l'alinéa b) à ce que nous avons déjà au Code criminel?

Mme Gagnon: Mon projet de loi et celui du ministre de la Justice sont différents. Celui du ministre ne prévoit pas l'alinéa 244.2b), qui dit qu'est coupable d'un acte criminel toute personne qui:

b) aide, encourage ou amène quelqu'un à commettre l'un des actes visés à l'alinéa a) ou lui conseille de le commettre.

est passible d'un emprisonnement de cinq ans.

On sait très bien que celui qui pratique la mutilation génitale est coupable, mais souvent, plusieurs personnes contribuent à l'acte. Le projet de loi du ministre ne prévoit pas que les personnes qui contribuent indirectement à l'acte sont aussi coupables que celle qui pratique la mutilation.

Mme Venne: Que répondez-vous au ministre, qui nous dit qu'il y a déjà dans le Code criminel un article qui traite de la complicité et qui serait amplement suffisant? Il va falloir répondre à ces arguments du ministre.

Mme Gagnon: Personnellement, je lui dirais que ce projet de loi et cette disposition ont pour but de lancer un message très clair aux communautés culturelles. Les communautés culturelles comprendraient mieux si la mutilation génitale était définie de façon très explicite et liée à un article de la loi très défini. Cette disposition précise que les personnes qui aident ou encouragent la mutilation seront poursuivies en justice.

D'ailleurs, plusieurs intervenants du milieu nous ont dit qu'il fallait lancer un message clair aux communautés culturelles en faisant une grande campagne de sensibilisation à cette loi pour qu'elles en fassent une lecture exacte.

Mme Venne: Dans le projet de loi du ministre de la Justice, une exception est faite dans le cas d'une opération chirurgicale pratiquée par une personne qui a le droit d'exercer la médecine. Vous n'avez pas mentionné cette exception dans votre projet de loi. Ne croyez-vous pas qu'il serait important d'ajouter un tel amendement?

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Mme Gagnon: C'est déjà inclus dans la loi, mais je sais que le lien entre l'opération et la mutilation n'est pas évident, en tout cas pour la personne qui la pratique. Effectivement, il faudrait peut-être l'ajouter.

Mme Venne: Votre projet de loi crée une nouvelle infraction tandis que celui du ministre dit qu'il est entendu que l'excision, l'infibulation, etc. constituent une blessure ou une mutilation. Donc, on n'exclut que le mot «mutilation» qui est déjà dans le Code criminel. On précise l'infraction tandis que vous en créez une nouvelle.

J'aimerais savoir pourquoi vous créez une nouvelle infraction. La façon de procéder du ministre est différente.

Mme Gagnon: Parce que je crois que la meilleure façon d'envoyer un message clair est d'être très précis dans un article de la loi et de définir et d'utiliser le terme «mutilation des organes génitaux». Les personnes qui pratiquent la mutilation des organes génitaux n'ont pas l'intention de mutiler. Elles ne se sentent pas coupables de voie de fait sur une personne. Si on précise de façon très explicite qu'il s'agit d'une infraction, le message sera beaucoup plus clair et détaillé et les gens comprendront mieux la loi.

Ai-je répondu à votre question?

Mme Venne: Pas tout à fait, mais cela ne fait rien.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Ramsay, vous avez 10 minutes.

M. Ramsay (Crowfoot): Merci, madame la présidente.

Merci de votre exposé.

Votre projet de loi n'établit pas d'âge minimal, contrairement au projet de loi C-27 qui fixe l'âge à 18 ans. Ce projet de loi C-27, le projet de loi du gouvernement, indique ici au paragraphe 268(4):

Votre mesure législative ne prévoit pas d'âge minimal. En quoi votre projet de loi se compare-t-il à celui du gouvernement à cet égard? Selon votre projet de loi, quiconque aide, encourage ou amène quelqu'un à commettre l'un des actes visés à l'alinéa 244.2a) de votre projet de loi est coupable d'un acte criminel quel que soit son âge.

Ne croyez-vous pas qu'on devrait prévoir un âge minimal? Le projet de loi du gouvernement permet ce genre d'intervention pour les femmes de 19 ans et plus. Le vôtre l'interdit. Qu'en pensez-vous?

[Français]

Mme Gagnon: Personnellement, je pense qu'il ne devrait pas y avoir de limite d'âge. C'est une atteinte à l'intégrité physique des femmes. On doit défendre toutes les femmes pendant toute leur vie, de leur naissance jusqu'à leur mort.

On ne peut tolérer qu'une personne âgée de 18 ans ou plus soit victime de la culture de son pays. C'est une pratique inadmissible. Pour ma part, je ne pourrais permettre qu'on tolère cette pratique dans le cas des femmes de 18 ans et plus alors qu'on la criminalise dans le cas des personnes de moins de 18 ans. Non, je ne vois pas de distinction.

[Traduction]

M. Ramsay: À mon avis, c'est une question de consentement, du droit de toute personne adulte à subir cette intervention si elle y consent. Croyez-vous qu'on devrait interdire ce genre d'intervention aux femmes de 30 ou 40 ans, même si elles y consentent?

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[Français]

Mme Gagnon: D'après moi, on devrait l'interdire, même si la personne y consent. Un telle pratique est criminelle.

[Traduction]

M. Ramsay: D'accord.

[Français]

Mme Gagnon: C'est mon projet de loi et je suis convaincue qu'on doit interdire cette pratique pour toutes les femmes. Souvent, les femmes sont victimes des coutumes et des cultures. On doit faire cesser ces coutumes.

La mutilation des organes génitaux est un geste très culturel, et il faut un programme d'éducation pour contrer toutes ces croyances et coutumes.

Dans les communautés, certaines personnes disent qu'on doit pratiquer ces mutilations pour se conformer à l'Islam ou par respect pour le patriarcat. On peut invoquer toutes sortes de raisons.

Souvent, on veut perpétuer cette coutume. Le Regroupement des centres de santé des femmes du Québec s'est réuni avec des femmes des communautés concernées. Quand on leur explique que ces croyances devraient être bannies et qu'on les sensibilise aux répercussions qu'elles pourraient avoir sur leur vie psychologique et leur santé, elles en viennent à changer d'idée.

Elles sont victimes des valeurs culturelles et des coutumes qu'on veut perpétuer dans leurs sociétés. On sait que ces sociétés sont en mutation au niveau des idées et on doit les sensibiliser à ces choses.

[Traduction]

M. Ramsay: Ce raisonnement me pose un problème, même si je le comprends. Si nous appliquons ce raisonnement aux autres droits dont jouissent les Canadiens, y compris le droit à l'avortement, on se trouve à permettre au gouvernement d'imposer certaines restrictions aux adultes malgré leur consentement. Cela me pose un problème. Quoi qu'il en soit, vous m'avez expliqué votre raisonnement, et je vous en remercie.

Voici mon autre question. Seriez-vous d'accord pour qu'on modifie votre projet de loi de façon à faire passer la peine d'emprisonnement maximale de cinq à dix ans? Aux termes de votre projet de loi, les tribunaux pourraient imposer une peine d'emprisonnement allant d'un à cinq ans, mais moi, j'estime que la peine maximale devrait être de 10 ans. Les tribunaux pourraient continuer d'exercer leur pouvoir discrétionnaire. Ils pourraient décider de ne pas imposer de peine d'emprisonnement de plus de cinq ans, mais si la peine maximale était de 10 ans, le pouvoir dissuasif de votre projet de loi en serait accru. Cela dissuaderait les médecins et tout le monde d'aider, d'encourager ou d'amener quelqu'un à commettre ce genre d'acte.

Voilà pourquoi je vous pose cette question: envisageriez-vous la possibilité de modifier votre projet de loi de façon à faire passer la peine maximale d'emprisonnement de cinq à dix ans?

[Français]

Mme Gagnon: Présentement, je ne verrais pas un tel amendement, mais je pourrais y réfléchir.

Le Code criminel comporte actuellement un article sur la mutilation. Je ne pense pas que j'aimerais apporter un tel amendement à mon projet de loi.

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Il est déjà difficile de faire adopter un projet de loi comme celui-là, et je trouve que cinq ans... Si la personne mourait à la suite d'une mutilation génitale... Tout dépendrait des conséquences. Il y a déjà certains articles de loi à ce sujet-là.

Tout dépend des conséquences. Si la victime d'une mutilation mourait ou si les conséquences étaient graves, la personne qui aurait commis l'infraction pourrait être condamnée en vertu de certains articles de loi qui existent déjà. C'est pour cela que j'hésiterais à apporter un amendement à mon projet de loi.

[Traduction]

M. Ramsay: J'appuie votre projet de loi. S'il se rend jusqu'à l'étape de la prochaine lecture à la Chambre, je suis certain que tous les députés de mon parti, comme moi, l'appuieront. Nous voudrons peut-être proposer des amendements, y compris celui dont je viens de parler au sujet de la peine maximale. Que les tribunaux choisissent d'imposer une peine moindre, peu importe. Avec ce projet de loi, vous indiquez aux Canadiens que ce genre d'acte ne sera pas toléré et que ceux qui font fi de cette interdiction sont passibles d'une peine d'emprisonnement de cinq ans. À mon avis, le message serait encore plus clair si la peine maximale était de dix ans. C'est la seule réserve que j'ai au sujet de votre projet de loi.

Pour le reste, il y a la question du consentement... L'idée de limiter la portée du projet de loi du gouvernement aux mineurs me préoccupe. On semble ainsi permettre ce genre de pratique sur les adultes qui consentent, et ça m'inquiète, parce que dans certaines cultures, il n'y a pas vraiment de différence entre une personne de 18 ans, de 18 ans et demi ou de 19 ans. Cela me préoccupe donc beaucoup. Mais nous en traiterons avec le ministre de la Justice lorsqu'il viendra témoigner sur son projet de loi C-27.

Mme Torsney (Burlington): Je préciserai à M. Ramsay que, aux termes du projet de loi, il s'agirait de voies de fait graves pour lesquelles la peine maximale est de 14 ans.

En ce qui concerne votre projet de loi, premièrement, je suis de toute évidence tout à fait d'accord avec l'intention de votre projet de loi. Toutefois, j'ai des réserves au sujet de votre disposition qui vise ceux qui aident ou encouragent la perpétration de l'infraction. Comme vous l'avez déjà indiqué vous-même, c'est déjà prévu par le Code criminel. Je présume que votre intention est de faire le lien entre ces dispositions et celles qui créent l'infraction de mutilation génitale. Je crois que vous avez dit avoir agi ainsi pour indiquer clairement à ceux qui s'adonnent à ce genre de pratique qu'elle est inacceptable.

Il est évident que nous n'allons pas envoyer des exemplaires du Code criminel à toutes ces collectivités; nous allons toutefois leur envoyer d'autres informations. Ne pourrait-on pas, dans les trousses d'information, recourir aux dispositions actuelles de la loi et faire le lien entre elles et cette nouvelle infraction? Il est évident que nous n'enverrons pas d'exemplaires du Code criminel à ces personnes pour qu'elles se disent: «Tiens, ces deux infractions sont maintenant reliées; ça doit être vraiment sérieux». Nous pourrions atteindre le même but sans répéter cet article du Code criminel.

[Français]

Mme Gagnon: Je ne vois pas pourquoi on ne devrait pas le répéter. En tout cas, je vais répéter ce que j'ai dit plus tôt. C'est une disposition qui précise tout ce qui entoure la mutilation des organes génitaux. Je ne vois pas pourquoi on ne le répéterait pas. C'est beaucoup plus explicite. Dans mon projet de loi, je vise non seulement celles et ceux qui pratiquent ce genre d'intervention, mais aussi toute personne qui encourage ou qui amène quelqu'un à commettre ce délit. Donc, je ne vois pourquoi on ne pourrait pas le répéter et le préciser.

[Traduction]

Mme Torsney: Je crois que vous étiez à la rencontre qu'a tenue le ministre en août de l'an dernier. Nous y avons reçu d'excellents documents d'information, rédigés en Ontario, je crois, s'adressant précisément aux enseignants et aux médecins. Il y avait beaucoup d'informations.

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Cela ne nous permettrait-il pas de transmettre ces informations à davantage de gens, y compris les avocats, les juges et les policiers du pays - que cela est presque plus important que la loi même?

[Français]

Mme Gagnon: C'est un aspect important. Je pense qu'un projet de loi doit être appuyé par une campagne de sensibilisation. D'ailleurs, le Regroupement des femmes du Québec a fait une consultation auprès de différents organismes au Canada et au Québec et a regroupé une trentaine de personnes de ces communautés culturelles.

Le projet de loi a pour but de lancer un message clair à tous les intervenants, y compris les juges. Quand les immigrants choisissent une terre d'accueil comme le Canada ou le Québec, ils arrivent avec leurs coutumes et leurs cultures. Certaines de ces coutumes ne sont pas acceptables. Allons-nous baisser les bras et dire que nous respectons leurs coutumes et leurs cultures alors que l'intégrité physique des femmes et des enfants est menacée?

Il ne faut pas oublier qu'il faut une campagne de sensibilisation pour appuyer cette loi-là. Il faut aider ces communautés à modifier leurs croyances et leurs mentalités.

[Traduction]

Mme Torsney: Je me souviens que le document d'information s'adressant aux enseignants de l'Ontario était très utile; on y expliquait pourquoi des filles d'un certain âge pourraient... Si ma mémoire est bonne, dans ce document, on mettait l'accent sur ce qui pourrait amener ces jeunes filles à manifester soudainement un manque d'attention, sur ce qu'on doit surveiller lorsqu'on s'adresse à un enfant, sur les mots qu'on peut employer de façon à aborder le sujet de la façon la moins menaçante possible. C'est ainsi qu'on peut amener ces jeunes filles à aller chercher de l'aide.

Le problème, c'est que, même s'il y a une loi, les gens ne comprennent pas leurs obligations et ceux d'entre nous qui ne connaissent pas cette culture n'arrivent pas à les aider, à les diriger vers les autorités compétentes. C'est un obstacle de taille.

Quoi qu'il en soit, je vous félicite de votre initiative et j'espère pouvoir faire en sorte que votre projet de loi sera étudié par la Chambre.

M. Ramsay: J'aimerais ajouter une chose, aux fins du compte rendu. Mme Venne en a déjà parlé.

Le projet de loi du gouvernement prévoit une exemption dans les cas où ce genre d'intervention est pratiqué pour la santé physique de la personne sur laquelle elle est pratiquée. Votre projet de loi ne prévoit pas d'exemption de ce genre.

Ne croyez-vous pas qu'on devrait prévoir une exemption dans les cas où ce genre d'intervention est pratiquée pour la santé physique de la personne?

[Français]

Mme Gagnon: Pas actuellement, mais je vais y réfléchir. Je ne suis pas contre, mais je vais réfléchir aux conséquences de l'inclusion d'une telle précision dans mon projet de loi.

[Traduction]

M. Ramsay: D'après vos recherches, y a-t-il des motifs qui justifieraient cela? Autrement dit, est-ce qu'on pratique cette intervention à certains endroits du Canada parce que c'est essentiel pour la santé physique de la patiente? Ne craignez-vous pas, avec votre projet de loi, de créer un obstacle à la pratique d'une intervention légitime dans certains cas?

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[Français]

Mme Gagnon: Non, pas du tout. Le projet de loi n'a pas du tout cette portée-là. Les médecins sont capables de faire la distinction entre une opération nécessaire et la mutilation des organes génitaux. C'est un type d'opération très spécifique. Je ne crois pas qu'il y aura confusion si le but est de préserver la santé d'une femme.

La mutilation des organes génitaux est un type d'opération très spécifique: c'est, entre autres, l'enlèvement du clitoris et la couture des lèvres. Donc, c'est un type d'opération très spécifique. C'est pour cela que je verrais mal une telle exemption dans le projet de loi.

[Traduction]

M. Ramsay: Je voulais seulement signaler que le projet de loi C-27 prévoit cette exemption. Ce serait peut-être une bonne mesure de protection.

[Français]

Mme Gagnon: Le but du projet de loi n'est pas de limiter la femme à des services médicaux. Donc, je vais y réfléchir et je vais voir la portée de cette exemption-là.

[Traduction]

M. Ramsay: Très bien. Si nous décidons de convoquer d'autres témoins, nous pourrions peut-être faire appel à des experts de ce sujet.

Merci beaucoup.

La présidente: Madame Gagnon, j'allais vous proposer de nous soumettre une liste de témoins possible, lorsque ça vous conviendra.

Nous l'avons déjà. C'est formidable.

Merci beaucoup. Nous vous aviserons lorsque nous amorcerons notre examen de votre projet de loi.

M. Ramsay: J'espère que ce sera dans les meilleurs délais.

La présidente: Nous l'espérons tous.

La séance est levée.

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