[Enregistrement électronique]
Le lundi 17 juin 1996
[Traduction]
La présidente: La séance est ouverte.
Je souhaite la bienvenue à tous. Nous allons commencer l'étude préliminaire du projet de loi C-45 et l'étude du projet de loi émanant de M. Nunziata, le projet de loi C-234. Notre premier témoin est le ministre de la Justice.
Bienvenue, monsieur le ministre. Vous avez la parole. Nous aimerions avoir du temps pour vous poser des questions.
M. Ramsay (Crowfoot): Madame la présidente, j'aimerais savoir à quel moment M. Nunziata pourra prendre la parole? M. Nunziata sera-t-il autorisé à poser des questions et si oui, à quel moment?
La présidente: Je veux que tout soit parfaitement clair, je crois qu'avant la prorogation de la session M. Nunziata avait bénéficié d'une heure pour ce qui est du projet de loi C-234. Selon les termes de l'ordonnance de la Chambre qui soumet à nouveau le projet de loi C-234, ce témoignage va être inclus dans les témoignages concernant le projet de loi C-234.
Cela dépend du comité. Dans le cas d'un projet de loi qui suscite beaucoup d'intérêt et de longs débats, la pratique antérieure veut que les députés qui ne sont pas membres du comité n'aient droit à aucune priorité. Néanmoins, dans le cas du projet de loi C-234, que nous examinons en même temps que le projet de loi émanant de M. Nunziata... À moins qu'il y ait des objections, je propose queM. Nunziata siège à titre de député indépendant, et je lui donnerais la parole pour une période de10 minutes, comme je le ferais pour un parti d'opposition et il pourra intervenir ensuite selon l'ordre habituel.
Y a-t-il des objections à cette façon de procéder?
M. Ramsay: Non. J'aimerais simplement savoir quel sera l'ordre suivi? À quel moment prendra-t-il la parole?
La présidente: Il viendra après le Parti réformiste, à moins qu'on ne veuille modifier cet ordre.
M. Ramsay: Cela me convient parfaitement.
La présidente: Il y aura donc le Bloc, le Parti réformiste, M. Nunziata, les Libéraux, et nous allons ensuite alterner, par tranche de cinq minutes, entre l'opposition et le gouvernement.
Mme Torsney (Burlington): Allons-nous procéder ainsi uniquement avec le ministre ou pour le reste de nos audiences?
La présidente: Je propose de procéder ainsi pendant toutes les audiences auxquelles assistera M. Nunziata. S'il y a des objections, j'aimerais les examiner maintenant, sinon nous allons reprendre.
Mme Torsney: Je remarque que nous utilisons la plupart du temps des périodes de 60 minutes et qu'il y a beaucoup de députés de notre côté. Je me demande si cela n'aura pas pour effet d'accorder aux partis d'opposition deux fois plus de temps qu'aux Libéraux.
La présidente: Le greffier propose de limiter M. Nunziata à cinq minutes pour le premier tour et il prendra ensuite la parole selon l'ordre habituel. Est-ce là une solution acceptable?
Mme Torsney: Oui. Puis-je proposer de la mettre à l'essai? Je suis quelque peu préoccupée parce que si le témoin utilise 30 minutes, nous n'aurons même pas le temps de faire un tour complet. Et nous n'aurons eu droit qu'à seulement cinq minutes.
La présidente: Et si nous continuons sur ce sujet, le témoin ne pourra prendre la parole.
Mme Torsney: Excusez-moi.
La présidente: Nous allons essayer cette façon de faire et voir ce que cela donne. Nous pourrons toujours la modifier. Cela vous contient-il?
Monsieur Nunziata.
M. Nunziata (York-Sud - Weston): Madame la présidente, est-ce que le comité étudie les deux projets de loi simultanément?
La présidente: Oui.
M. Nunziata: Va-t-on voter sur les deux projets de loi à la fin des débats?
La présidente: Article par article, oui.
Monsieur le ministre, vous avez la parole.
L'hon. Allan Rock (ministre de la Justice et procureur général du Canada): Merci, madame la présidente.
Je me propose de vous parler du projet de loi C-45. Je sais qu'il s'agit d'une étude préalable de ce projet de loi mais les observations que je vais formuler à ce sujet vont nécessairement m'amener à parler du projet de loi émanant d'un député dont est également saisi le comité.
[Français]
Premièrement, il est important d'examiner l'objectif du projet de loi C-45. Ce projet de loi vise à modifier le régime prévu par l'article 745 du Code criminel, disposition qui prévoit la révision judiciaire de l'admissibilité à la libération conditionnelle dans les cas de peines d'emprisonnement à perpétuité infligées aux personnes reconnues coupables de meurtre ou de haute trahison.
Dans les cas de meurtre au premier degré ou de haute trahison, le délai d'admissibilité à la libération conditionnelle est fixé par la loi à 25 ans. Dans les cas de meurtre au deuxième degré, le délai d'admissibilité est de 10 ans, à moins qu'il ne soit prolongé par le juge jusqu'à concurrence de 25 ans.
Le délinquant n'a pas la possibilité de demander la révision judiciaire du délai d'admissibilité à la libération conditionnelle avant d'avoir purgé au moins 15 ans de sa peine.
[Traduction]
Le processus actuel peut être déclenché à l'expiration d'une période de 15 ans, et la personne qui appartient à cette catégorie a alors le droit de présenter une demande. Le juge en chef désigne un juge de la cour supérieure de la province dans laquelle la demande est présentée pour que celle-ci soit entendue...
La présidente: Monsieur le ministre, puis-je vous interrompre pour une minute?
Je demande aux personnes présentes dans la salle de débrancher leur téléphone cellulaire. Je vous demande de ne pas vous servir de vos téléphones cellulaires dans cette salle. Merci.
Monsieur le ministre.
M. Rock: Pour que la demande soit entendue par un jury.
Il ne faut pas non plus oublier, madame la présidente, que le requérant qui obtient gain de cause devant le jury, dans le sens qu'il obtient une réduction du délai préalable à la libération conditionnelle, n'est pas libéré immédiatement. Cela lui donne uniquement le droit de présenter une demande à la commission des libérations conditionnelles une fois expiré le délai préalable. C'est ensuite à la commission des libérations conditionnelles de décider, en se fondant sur les faits de chaque dossier, si la personne mérite la liberté conditionnelle et à quelles conditions, le cas échéant.
Depuis un an et demi, j'ai entendu beaucoup de choses au sujet de l'article 745 du Code criminel. Il y a des gens qui m'ont fait savoir quelles étaient leurs convictions profondes à ce sujet. J'ai également obtenu des avis à la suite de consultations directes à laquelle j'ai participé moi-même ou auxquelles participait le ministère de la Justice.
Les consultations ont principalement porté sur deux questions. Tout d'abord, l'article 745 mérite-t-il d'être conservé sous une forme ou sous une autre ou devrait-il être abrogé? Et deuxièmement, si l'on veut le conserver et ne pas l'abroger, peut-il être modifié de façon à l'améliorer et à mieux l'adapter à l'objectif poursuivi?
Pour répondre à la première question, madame la présidente, je présente le projet de loi C-45, qui manifestement n'a pas pour effet d'abroger cette disposition. Le gouvernement en est arrivé à la conclusion que, sur le plan des principes, cette disposition devait continuer à faire partie de notre droit pénal. Je souligne le fait que cet article fait partie intégrante de notre régime des peines applicables au meurtre depuis 20 ans. Nous avons estimé qu'en conservant cet élément de notre droit pénal, le régime des peines correspondant au meurtre est sévère tout en étant équilibré et humain.
Je demande au comité de tenir compte du contexte dans lequel l'article 745 a été adopté il y a une vingtaine d'années. En 1976, le débat portait sur la peine capitale. Il fallait décider de conserver ou d'abolir la pendaison pour les meurtriers. À l'époque, les statistiques indiquaient que les personnes condamnées pour un meurtre passible de la peine capitale - c'est-à-dire de la peine de mort par pendaison - purgeaient en moyenne 13 ans de prison avant d'obtenir la libération conditionnelle. Ceux qui étaient condamnés à une peine d'emprisonnement à perpétuité pour un meurtre non passible de la peine capitale purgeaient en moyenne sept ans de prison avant d'être libérés.
Dans ce contexte, la proposition consistant à porter le délai préalable à la libération conditionnelle à 25 ans pour le meurtre au premier degré et à 10 ans, pouvant être augmenté à 25 ans, pour le meurtre au deuxième degré représentait un changement important par rapport à la situation qui régnait à l'époque. Une telle mesure aurait amené le Canada à fixer un délai préalable à la libération conditionnelle dans les cas de meurtres qui serait bien supérieur aux délais prévus dans les autres pays occidentaux avec lesquels nous nous comparons, où la moyenne générale du délai préalable est d'environ 15 ans.
Même aux États-Unis, où la situation est très différente parce qu'il y a encore la peine de mort, les meurtriers qui ne sont pas exécutés purgent en moyenne une peine de 18 ans dans les établissements fédéraux et de 15 ans dans les établissements des États avant d'obtenir la libération conditionnelle.
Aux termes de l'article 745, la réduction du délai pendant lequel le requérant n'a pas le droit de présenter une demande de libération conditionnelle est confiée à un jury communautaire, ce qui constitue un aspect clé de cette disposition. Je reviendrai tout à l'heure sur cet aspect dans un autre contexte.
J'ai mentionné, madame la présidente, que le projet de loi indique clairement que la première question, c'est-à-dire celle de savoir s'il conviendrait d'abroger tout simplement l'article 745, a reçu une réponse négative de la part du gouvernement. Je me hâte toutefois d'ajouter qu'il est clairement apparu au cours des consultations qu'il y avait lieu de modifier certains aspects de cet article et du mécanisme existant.
En premier lieu, on a fait remarquer qu'à l'heure actuelle, c'est le délinquant qui décide de présenter une demande et d'être entendu par un jury. Au cours des rencontres que j'ai eues avec les membres survivants de la famille des victimes de meurtre, et j'en ai rencontré un grand nombre, on m'a dit et répété, en des termes particulièrement convaincants et bien souvent très émouvants, qu'une audience de ce type devant un jury est peut-être une procédure juridique pour un procureur de la Couronne ou un avocat de la défense, un jour de séance comme un autre pour le juge, une expérience captivante pour un juré, un spectacle intéressant pour le public, mais pour les membres de la famille de la victime d'un meurtre, c'est un supplice tellement intense qu'il est difficile de le décrire. Cela remet à vif les blessures qui avaient commencé à se cicatriser depuis la tragédie.
On m'a dit, madame la présidente, que l'essentiel était de veiller à ce que le délinquant ne puisse plus décider lui-même d'être entendu par un jury, et qu'il fallait mettre en place un mécanisme qui permette de déterminer si la demande est apparemment méritoire.
Il y a un deuxième aspect du mécanisme actuel qui fait l'objet de critiques, c'est celui qui prévoit que la réduction du délai préalable à la libération conditionnelle est accordée si les deux tiers des jurés y consentent; c'est là un écart par rapport au principe général de droit pénal d'après lequel la décision d'un jury doit toujours être unanime.
Le troisième aspect du mécanisme actuel qu'il convient de corriger est qu'il traite de la même façon le délinquant qui a commis une infraction et celui qui en a commis plusieurs. Les autres parties du droit pénal et les principes de détermination de la peine font une telle distinction. Les personnes qui commettent plusieurs infractions, même si elles font partie de la même catégorie, sont traitées différemment de celles qui en commettent une seule. Il y a donc lieu d'infliger une peine différente à ceux qui commettent plusieurs meurtres.
Le projet que j'ai présenté la semaine dernière propose de régler ces questions en apportant trois changements à l'article 745. Le premier consiste à supprimer, dans tous les cas, l'accès au mécanisme prévu à cet article pour tous les auteurs de meurtres multiples commis à l'avenir. À cette fin, on entend par auteur de meurtres multiples, quelqu'un qui tue plus d'une personne, que ce soit en même temps ou pas.
[Français]
Deuxièmement, nous avons proposé d'établir un mécanisme de sélection en vertu duquel le juge en chef de la Cour supérieure ou un juge nommé à cette fin par le juge en chef examinerait le dossier de la demande afin de déterminer si celle-ci a des chances raisonnables d'être accueillie avant que la demande puisse être soumise à l'examen d'un jury.
Cette proposition aurait un effet pour l'avenir et serait rétroactif à l'égard de tous les délinquants admissibles à présenter une demande fondée sur l'article 745 du Code criminel, pourvu qu'ils n'aient pas déjà présenté une demande avant l'entrée en vigueur des modifications.
Le mécanisme de sélection a pour but de veiller à ce que seuls les cas qui le méritent soient soumis à un jury formé aux fins de l'article 745.
[Traduction]
Le troisième changement vise à exiger que la décision du jury de réduire le délai préalable à la libération conditionnelle soit prise à l'unanimité.
Madame la présidente, ces changements vont instaurer un régime où le délinquant n'aura pas automatiquement le droit d'être entendu par un jury. Il devra tout d'abord convaincre un juge de la cour supérieure, au moyen d'observations écrites, qu'il existe une possibilité réelle que sa demande soit accueillie en fonction des critères énoncés à l'article 745. En outre, dans le cas où le requérant serait entendu par un jury, parce qu'il a réussi à convaincre le juge à l'étape de la sélection, il doit convaincre tous les membres du jury de lui accorder cette réduction.
J'ai mentionné tout à l'heure que je voulais revenir sur la question du jury parce que c'est un aspect du mécanisme auquel j'attache une grande importance. Certains disent que le droit pénal ne reflète pas les opinions des simples citoyens. D'autres prétendent que les peines inscrites dans le Code criminel et notre conception de la justice pénale ne reflètent pas les opinions ni les valeurs de la population.
Ce sont souvent ces mêmes personnes qui disent que nous devrions voter en suivant l'avis de nos électeurs. Elles sont en faveur des référendums et des plébiscites. Elles préconisent d'accorder aux députés un mandat impératif et de les révoquer s'ils ne respectent pas certaines normes. Elles prônent la démocratie et l'action communautaire.
Je dis à ces personnes que le rôle qui est dévolu au jury dans le mécanisme que je décris ici ce soir correspond parfaitement à leur désir et à leur volonté de privilégier l'action communautaire, parce que les 12 personnes qui vont composer les jurys prévus par l'article 745 seront choisies parmi la population que nous représentons. Ces jurés seront choisis dans les commerces, dans les bureaux, dans les tramways, dans les autobus. Ils seront pris dans la rue. Ils seront assermentés et ils siégeront en salle d'audience.
Si le projet de loi C-45 est adopté, ces jurés entendront des témoignages concernant le délinquant, concernant l'infraction, pourvu que le délinquant ait au préalable convaincu le juge qu'il existe une possibilité réelle que sa demande soit accueillie. Ils vont entendre la victime si celle-ci décide de présenter des éléments au jury. Ils vont entendre le procureur de la Couronne qui peut s'opposer à la demande. Ils vont également entendre le délinquant ou la personne qui le représente.
Ce sera ensuite à ce jury, à ce jury communautaire, composé de simples citoyens, qui viennent parfois, et même en fait souvent, de la collectivité dans laquelle le délinquant cherche à retourner après sa libération conditionnelle, qui vont décider s'il y a lieu de réduire le délai préalable à cette libération. Et si le projet de loi C-45 est adopté, il faudra qu'ils soient tous d'accord pour se prononcer en ce sens.
À ceux qui parlent de démocratie, à ceux qui soutiennent qu'il faut s'en remettre à la sagesse populaire, à ceux qui voudraient que nous prenions nos décisions par référendum ou en sondant les simples citoyens, je leur dis faites confiance aux simples citoyens, faites confiance aux jurés et à ce mécanisme.
Le mécanisme que prévoirait l'article 745 à la suite de ces changements serait d'application limitée et mieux adapté aux objectifs poursuivis; il ne pourrait être déclenché qu'après 15 ans, en imposant au requérant le fardeau de la preuve à l'étape de la sélection, et le jury pourrait refuser expressément d'accorder la réduction demandée ou rejeter la demande parce qu'il n'y a pas unanimité.
[Français]
Donc, je ne suis pas prêt à abroger cet article du Code criminel, notamment en raison de la Charte, mais également pour des raisons de politique publique.
L'article 745 représente l'espoir que les délinquants peuvent changer après avoir purgé 15 ans de leur peine. Je crois que cet espoir doit être maintenu pour les cas exceptionnels et méritoires. Tel sera l'effet de ce projet de loi.
[Traduction]
La présidente: Merci, monsieur le ministre.
Nous allons commencer les périodes de 10 minutes. Monsieur Ramsay. Je tiens toutefois à préciser que, lorsque je parle de «10 minutes», je veux dire 10 minutes, cela comprend les questions et les réponses. Je serai inflexible.
M. Ramsay: Vous l'êtes toujours.
La présidente: Je ne veux pas de minutes de Ramsay ce soir.
M. Ramsay: J'ai toujours pensé que vous pouviez être inflexible, madame la présidente. Je veillerai donc à ne pas l'oublier.
Merci, M. Rock, d'être venu ce soir et de nous avoir rappelé l'essentiel de ce que vous avez déclaré devant la Chambre lorsque vous avez présenté ce projet de loi en deuxième lecture.
Vous avez déployé beaucoup d'efforts pour montrer que le mécanisme choisi est équitable parce qu'il repose sur un jury composé de simples citoyens. Mais c'est ainsi que tous les jurys sont composés; cela n'a pas empêché que ce soit des jurys qui aient commis les erreurs judiciaires les plus graves que nous ayons connues au Canada. Il faut tenir compte du fait que les jurys ne peuvent se prononcer qu'en fonction des renseignements qui ont été mis à leur disposition. Bien entendu, je pense à l'affaire Donald Marshall Jr. et à l'affaire Wilson Nepoose, à laquelle j'ai participé.
Les jurés sont capables de faire du bon travail mais ils ne peuvent faire du bon travail qu'en fonction des renseignements qu'on leur présente. Ces renseignements sont filtrés par la police, par les procureurs de la Couronne et ainsi de suite. Même les procureurs de la défense ne présentent pas tous les éléments de preuve dont ils disposent, et ce, pour des raisons qui n'appartiennent qu'à eux.
C'est pourquoi, lorsque vous affirmez que tout va pour le mieux parce que la décision est confiée à 12 citoyens pris au hasard et en qui nous plaçons toute notre confiance, je crois que cela fait ressortir la faiblesse de votre argument, comme je viens de le montrer.
Après avoir examiné un cas de meurtre au premier degré, s'ils estiment qu'il y a lieu de réduire le délai préalable à la libération conditionnelle, vous faites remarquer à juste titre que le dossier va être confié à une commission des libérations conditionnelles composée elle aussi de simples citoyens choisis dans les différentes régions du pays. Et pourtant l'année dernière, d'après le rapport qu'a soumis M. Gibbs à notre comité, les décisions prises par ces personnes ordinaires ont entraîné la mort de 15 personnes innocentes.
Ils ont relâché des criminels et 15 innocents ont été tués. Ce chiffre est supérieur à l'événement terrible qui s'est produit à l'École polytechnique et il correspond à une année seulement. M. Gibbs était assez content de ce chiffre parce qu'il était inférieur à celui de l'année précédente.
Je veux donc vous poser cette question. Comment pouvez-vous accorder votre appui à un système de libération conditionnelle qui représente une menace aussi mortelle pour la société? Pourquoi?
M. Rock: Ce dont il s'agit ici, ce n'est pas du système de libération conditionnelle mais du rôle du jury dans le cadre d'une demande présentée en vertu de l'article 745. La libération conditionnelle fait l'objet d'une demande ultérieure et M. Gibbs vous a parlé ici, je le présume, du système des libérations conditionnelles.
La critique que M. Ramsay fait au système du jury pourrait aussi bien s'adresser au juge seul. Ce sont des êtres humains qui font fonctionner le système, et si M. Ramsay veut dire que les êtres humains ne sont pas infaillibles, qu'ils peuvent se tromper, je crois qu'il est difficile de le contredire.
Par contre, le jury prévu par l'article 745 va prendre connaissance des faits concernant le contrevenant, concernant l'infraction, ainsi que des observations de la victime si celle-ci souhaite transmettre au jury ses observations, avec les changements introduits par le projet de loi C-41. Les jurés vont donc prendre connaissance des différentes facettes du dossier.
Je voulais souligner ici que la décision de réduire ou non le délai préalable à la libération conditionnelle ne serait pas prise par des juges, par des avocats, par des bureaucrates, par des députés ou par les membres de la commission des libérations conditionnelles. Cette décision sera prise par de simples citoyens.
Oui, je le sais, le système judiciaire n'est pas parfait, mais je ne crois pas que l'on puisse faire mieux que de prendre 12 simples citoyens; les faire siéger sur un jury qui va refléter ainsi les valeurs de la collectivité; leur expliquer le crime qui a été commis, la personnalité du criminel, celle de la victime et l'effet que cela a eu sur la victime; de leur demander d'examiner ce qui s'est produit au cours des 15 dernières années; et de demander ensuite à ces 12 simples citoyens de se prononcer sur la question de la réduction du délai préalable.
Si l'on décide de modifier le processus actuel, je prétends que c'est la bonne façon de le faire - demander à de simples citoyens de prendre cette décision. Voilà l'aspect que je voulais faire ressortir et je crois que c'est un des points forts du projet.
M. Ramsay: Eh bien, la question, bien entendu, est de savoir s'il faut modifier la situation actuelle. C'est là la véritable question.
Le fait est que vous avez décidé de le faire. Votre gouvernement l'a fait, et les organismes gouvernementaux l'ont fait aussi. Ils remettent en liberté des criminels ce qui a amené, l'année dernière, 15 innocents à prendre la vie.
M. Rock: Je voudrais aborder ce point directement, si vous le permettez parce que...
M. Ramsay: Ce que je veux savoir en fait, c'est si vous êtes disposé ou non à continuer d'appuyer un système, qui produit de tels résultats.
M. Rock: J'ai mentionné plus tôt qu'il ne s'agit pas ici de libération conditionnelle mais de l'article 745. Laissez-moi vous expliquer ce que je veux dire par là. Je voulais aborder cette question et, monsieur Ramsay, je tiens à répondre à votre question.
Si vous examinez ce qui s'est passé, vous constaterez qu'aucune des personnes qui a récidivé en commettant un meurtre n'a vu son délai préalable réduit par un jury en vertu de l'article 745.
M. Ramsay: C'est là où je voulais en venir.
M. Rock: Les statistiques que nous avons communiquées au comité et aux députés indiquent que les personnes qui ont vu leur délai préalable réduit aux termes de l'article 745 n'ont pas commis de meurtre et, pour la plupart, n'ont pas récidivé. Il y a une de ces personnes qui a commis un vol à main armée. Ces chiffres indiquent clairement quelle est la situation, mais d'après les éléments dont nous disposons...
J'aimerais en savoir davantage au sujet des 15 personnes dont a parlé M. Ramsay. J'aimerais en savoir davantage sur ces 15 morts tragiques et sur les circonstances de chacune de ces affaires. Aucun de ces événements ne concerne l'article 745 du Code criminel. Si M. Ramsay veut montrer que le système des libérations conditionnelles comporte des lacunes, c'est une chose. Mais de là à laisser entendre que, si l'on adopte le processus décrit dans ce projet de loi pour les meurtriers, ces derniers vont être libérés et commettre d'autres meurtres... Je dirais que les faits ne permettent pas de faire ce genre d'affirmation.
Les faits indiquent plutôt que ce sont ceux qui purgent une peine d'emprisonnement à perpétuité pour meurtre qui représentent les meilleurs risques pour la libération conditionnelle parce que le taux de récidive chez ces personnes est très faible et que la probabilité qu'ils tuent une seconde fois est très faible.
Il y a donc chiffres et chiffres mais pour ce qui est de l'article 745, ce n'est pas ce qui s'est produit.
D'après moi, l'argument le plus fort de ceux qui veulent abroger ces dispositions n'est pas que les condamnés vont commettre un nouveau meurtre s'ils sont libérés, parce que ce n'est pas ce qui se passe et si c'est là l'argument de M. Ramsay, je dirais que ce n'est pas son meilleur argument. Le meilleur argument contre l'article 745 est de dire que les gens qui ont tué ne devraient jamais être libérés. J'ai entendu cet argument et je le respecte. Je ne souscris pas à cet argument, madame la présidente, mais il y a ceux qui disent que celui qui tue renonce au reste de sa vie ou du moins à25 années de sa vie ou ceux qui disent que l'emprisonnement à perpétuité veut dire à perpétuité dans tous les sens du terme. Je ne suis pas d'accord avec cet argument mais je pense que c'est un meilleur argument.
Je dirais pour répondre à cet argument qu'un emprisonnement à perpétuité veut dire à perpétuité dans le sens qu'une personne qui est condamnée à cette peine doit respecter des conditions même si elle est libérée et si elle ne respecte pas ces conditions, elle peut être renvoyée en prison. C'est ce que ces personnes vont vivre jusqu'à leur dernier souffle. En outre, la disposition prévoyant un emprisonnement de 25 ans sans accès à la libération conditionnelle a été adoptée en même temps que l'article 745 qui prévoyait la possibilité d'une révision par un jury après 15 ans de détention.
Si l'on veut parler de la vérité en matière de peine, il faudrait faire beaucoup mieux que ce que nous faisons à l'heure actuelle et expliquer aux gens qui vivent ce genre de tragédie quelles sont les règles dans ce domaine pour qu'elles ne soient pas surprises et traitées cruellement par un système qui dit une chose et en fait une autre. Tant que nous traiterons les victimes avec respect et avec humanité, et que nous leur expliquerons quelles sont les véritables règles, je crois que cela répondra à la plupart des arguments du genre à perpétuité veut dire à perpétuité.
La présidente: Vous avez une minute monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Puis-je offrir ma minute à M. Hanger?
La présidente: Certainement.
M. Ramsay: Très bien.
La présidente: Vous avez 22 secondes.
M. Hanger (Calgary-Nord-Est): Merci, madame la présidente.
J'aimerais demander au ministre ce qu'il entend par victime. Vous avez parlé de victimes - et j'ai assisté à un certain nombre de conférences de presse, monsieur le ministre, en plus de siéger ici - comme s'il s'agissait d'un petit groupe de personnes qui était le plus directement touché par les crimes de violence. J'aimerais vous demander de décrire ce qu'est une victime.
M. Rock: Lorsque j'ai parlé ce soir, je faisais principalement référence aux personnes qui ont perdu un membre de leur famille à cause d'un crime. Qu'il s'agisse d'une ou de plusieurs personnes, il est évident que, lorsque quelqu'un est tué, cela touche la collectivité. Je faisais référence, monsieur Hanger, aux personnes qui sont directement et personnellement touchées par ces événements tragiques. Les personnes que j'ai rencontrées étaient pour la plupart épouses, époux, père, mère, frères, soeurs ou enfants du défunt.
La présidente: Voilà.
M. Hanger: Madame la présidente, je sais que la période est écoulée et je reviendrai sur ce point la prochaine fois.
La présidente: Monsieur Bodnar, vous avez 10 minutes.
M. Bodnar (Saskatoon - Dundurn): Monsieur le ministre, comme vous le savez, il y a une question qui me préoccupe beaucoup, comme je vous l'ai déjà dit, c'est la rigidité du système actuel qui prévoit un délai préalable à la libération conditionnelle de 10 ans pour le meurtre au second degré et de 25 ans en cas de meurtre au premier degré.
Il y a toujours des injustices; il est impossible de connaître tous les faits. Je me demande si en présence de circonstances spéciales - et l'on pourrait les qualifier de circonstances extraordinaires ou quelque chose du genre - le Code criminel ne devrait pas permettre au juge de modifier, en donnant les motifs qui l'amènent à le faire, le délai préalable à la libération conditionnelle.
Je vais vous donner un exemple. Si nous prenons le cas de Latimer en Saskatchewan, le juge aurait peut-être pu modifier au départ la déclaration de culpabilité relative au meurtre au second degré et déclarer que, compte tenu des circonstances particulières, Latimer pourrait demander sa libération conditionnelle dans un délai de deux, trois ou quatre ans.
Je vais prendre un exemple qui intéresse particulièrement l'Ontario. Dans une affaire comme celle de Paul Bernardo, le juge aurait pu dire qu'il existait des circonstances particulières et lui imposer un délai préalable à la libération conditionnelle d'une durée de 100 ans. De cette façon, cette personne ne pourrait même pas présenter une demande aux termes de l'article 745. S'il avait la chance de vivre 100 ans, il pourrait alors présenter une telle demande. J'aimerais savoir si, dans ce genre de circonstances tout à fait exceptionnelles, le Code autorise ce genre de décision ou s'il serait bon qu'il le fasse?
M. Rock: Cela va beaucoup plus loin que le projet de loi à l'étude. Je crois que cela serait contraire au principe de la certitude et de la prévisibilité dont s'est inspiré le législateur lorsqu'il a adopté le régime des peines pour le meurtre. Il faut que les délinquants connaissent à l'avance les conséquences de leurs actes, que le public sache que la peine comporte un élément fixe et qu'il n'y ait pas de pouvoir d'appréciation dans ce cas. Comme vous le savez, le juge possède une certaine discrétion en cas de meurtre au deuxième degré mais cette discrétion doit s'exercer à l'intérieur d'une fourchette étroite pour que le public sache à quoi s'attendre en matière de peine.
Je crois que confier un pouvoir discrétionnaire aussi large au juge chargé d'infliger la peine compromettrait gravement ce principe. Ce n'est pas ce qui est envisagé ici. C'est peut-être un aspect sur lequel le comité voudra peut-être se pencher à l'avenir mais je n'ai pas l'intention de proposer une telle modification.
M. Bodnar: J'ai soulevé cette question à nouveau, monsieur le ministre, parce que, comme vous le savez, on a connu il y a des années en Saskatchewan l'affaire Threinen où l'accusé avait tué quatre enfants. Le juge Hughes de la Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan a ordonné que l'accusé purge le délai préalable maximum à la libération conditionnelle, qui était à l'époque de 20 ans. Il a ensuite recommandé à la commission des libérations conditionnelles de ne jamais libérer cet homme. Si le Code criminel avait contenu une disposition de ce type, il aurait pu prononcer son jugement et dire que cet homme n'aurait jamais droit à la libération conditionnelle.
Cela serait clair une fois pour toutes, dans des circonstances très exceptionnelles. Je signale cette possibilité pour que vos fonctionnaires examinent s'il n'y aurait pas lieu de redonner un certain pouvoir d'appréciation aux tribunaux. Comme vous le savez, et je suis d'accord avec vous, les juges font en général de l'excellent travail et il ne serait peut-être pas mauvais de leur confier des pouvoirs discrétionnaires dans des circonstances exceptionnelles.
Il y a un autre aspect que je voudrais mentionner, monsieur le ministre, c'est celui du mécanisme de sélection. Ce processus permet, comme vous l'avez indiqué, d'éviter bien des souffrances aux familles. Il y a un autre facteur qu'on néglige très souvent, c'est le fait que ce mécanisme de sélection permet également d'épargner beaucoup d'argent parce que bien souvent les audiences tenues en vertu de l'article 745 durent plus longtemps que le procès initial. Avec cette sélection, les dossiers qui ne le méritent pas ne seront pas examinés, ce qui évitera aux juges, aux procureurs de la Couronne et aux procureurs de la défense d'avoir à s'en occuper.
J'aimerais poser une question au sujet du rôle des jurés. Lorsque les jurés se prononcent, vous parlez d'unanimité, mais est- il encore possible de demander individuellement aux jurés en quel sens ils ont voté? Dans des circonstances comme celles-ci, poser cette question aux jurés pourrait révéler quels sont les jurés qui s'opposent à la réduction du délai préalable, ce qui pourrait les placer dans une situation très difficile. Je me demande s'il l'on a envisagé de ne pas permettre la divulgation de la façon dont chaque juré a voté dans le cadre des demandes présentées en vertu de l'article 745.
M. Rock: Pas que je sache. Je pense que cette procédure peut être utilisée dans le cadre des demandes de l'article 745 comme elle l'est pour les procès. Il me semble que si le jury prend sa décision à l'unanimité, les jurés devraient être disposés à dire comment ils ont voté, si on le leur demande.
M. Bodnar: Si un jury n'arrive pas à se prononcer et que le procureur de la défense demande à chaque juré comment il a voté et que 11 personnes déclarent avoir été favorables à la réduction du délai préalable et qu'une personne est ainsi amenée à indiquer qu'elle n'y était pas favorable, cela risque de la placer dans une situation très difficile puisque c'est elle qui en définitive scelle le sort du requérant.
Je soulève ce point uniquement pour le signaler à vos fonctionnaires.
Madame la présidente, je n'ai pas d'autres commentaires à faire au sujet de cette disposition.
La présidente: Monsieur DeVillers.
M. DeVillers (Simcoe-Nord): Merci, madame la présidente.
Ma question porte sur l'unanimité. Auparavant, on exigeait une majorité des deux tiers. Monsieur le ministre, avez-vous, ou votre ministère a-t-il, envisagé le cas d'une personne qui serait intraitable - et je crois que vous avez mentionné en avoir rencontré fréquemment au cours de vos consultations - et de l'effet qui pourrait en résulter sur le mécanisme de l'article 745?
M. Rock: Oui. Le même problème se pose, bien évidemment, pour le procès au cours duquel le jury est amené à se prononcer sur des inculpations pénales. Toutefois, le procureur de la partie intéressée peut exercer son droit de récusation, droit qui a été élargi ces dernières années par la jurisprudence et qui permet de vérifier les opinions des jurés de façon à assurer le caractère équitable du processus. Il me semble que le droit de récuser les jurés, le droit de leur poser des questions sur leurs idées et sur leur attitude générale garantit dans une large mesure l'équité du processus.
M. DeVillers: J'ai entendu l'argument voulant que le jury devant être unanime pour déclarer coupable l'accusé, il doive également l'être pour le libérer. Ne reconnaissez-vous pas toutefois qu'il existe une différence importante entre le fait de condamner une personne qui peut être innocente et, dans le cas de l'article 745, celui d'autoriser un condamné à présenter dans un délai plus court une demande de libération à la commission? La commission des libérations conditionnelles représente une garantie supplémentaire.
M. Rock: Mais pour moi, le recours à l'article 745 devrait être exceptionnel. Il serait réservé aux cas méritoires qui répondent aux critères énoncés dans cet article. C'est ce que va assurer le mécanisme de sélection, ainsi que l'obligation pour le jury de se prononcer de façon unanime.
Je crois que ceux qui ont perdu un être cher à cause d'un crime... Je ne me permettrais pas de parler en leur nom mais je crois que les personnes que j'ai rencontrées reconnaîtraient que le système judiciaire ne peut se contenter de répondre uniquement aux besoins des familles des victimes, pas plus qu'à ceux de la police, qu'à ceux des procureurs de la défense, ou à ceux des juges et des parlementaires. Le système de justice pénale est là pour toutes ces personnes et il doit refléter l'intérêt général de la société et non pas uniquement celui d'une catégorie d'intervenants.
Par contre, il y a lieu d'écouter avec beaucoup de respect ce que disent toutes ces personnes. Je dois reconnaître que, lorsque les familles des victimes disent que l'État a présenté des preuves suffisantes pour s'acquitter du fardeau de la preuve et obtenir l'unanimité pour obtenir la déclaration de culpabilité, je trouve cela très convaincant. Cela est maintenant acquis. Quinze ans plus tard, la personne demande que l'on révise son cas. Eh bien, qu'elle vienne, qu'elle présente son dossier. Le législateur a fixé le critère à remplir mais que ces personnes respectent la même norme; qu'elle persuade tous les membres du jury.
Je crois que, si l'on veut réserver le mécanisme de l'article 745 aux cas exceptionnels, si l'on veut instaurer un certain équilibre dans tout ceci, cette position ne me paraît pas déraisonnable.
La présidente: Nous passons maintenant aux périodes de cinq minutes. Monsieur Langlois.
[Français]
M. Langlois (Bellechasse): Monsieur le ministre, ma première remarque a trait au processus. Sans toucher le fond, je trouve un peu bizarre la façon dont ce projet de loi nous est amené en fin de session. Dans une matière aussi sérieuse, j'aurais de beaucoup préféré une approche qui nous aurait permis de conduire notre propre enquête, d'entendre des témoins, un peu comme dans le cas de la Loi sur les jeunes contrevenants, et de faire par la suite des recommandations. Le processus est une chose; le projet de loi dont nous discutons en est une autre.
Pour ce qui est des crimes répétitifs ou des crimes en série, je n'ai pas beaucoup de difficulté à souscrire aux propositions que vous faites. J'aurais besoin cependant que vous me convainquiez de la nécessité d'une audition préalable de la part d'un juge d'une cour supérieure ou d'une cour suprême d'une province.
Je crois comprendre que ce juge aura à déterminer si un jury peut avoir des chances réelles de remettre le détenu en liberté ou de recommander qu'il le soit. J'aimerais avoir des précisions à cet égard.
Deuxièmement, je ne comprends pas tout à fait la règle de l'unanimité que vous proposez d'établir. On n'en est pas ici au moment de la détermination de la culpabilité. Pour moi, le degré de conviction que doit posséder le jury n'est pas le même à ce stade-là qu'au moment de la détermination de la culpabilité de quelqu'un.
On exige l'unanimité lors d'un procès visant à déterminer la culpabilité, car la règle du doute raisonnable s'applique. Chacun des jurés, en son âme et conscience, doit avoir la conviction de la culpabilité de quelqu'un.
Lorsqu'un jury est convoqué en vertu de l'article 745, on ne lui demande pas de faire une détermination de la culpabilité. On ne demande pas une preuve hors de tout doute raisonnable de la part de la Couronne. Cette fois-là, on ne demande pas au détenu de présenter une preuve hors de tout doute raisonnable, mais de faire valoir son point de vue, et le jury juge sur une prépondérance de preuve. Si on impose la règle de l'unanimité, on impose des critères beaucoup plus sévères et on change toute la dynamique de l'application de l'article 745.
Dans une dynamique de groupe, ce jury, en vertu de l'article 745, ne prend pas véritablement de décision, mais fait une recommandation. Ensuite, il y aura la Commission nationale des libérations conditionnelles qui pourra ou devra intervenir s'il y a une décision positive du jury. Exiger que ce jury ait une opinion unanime me semble beaucoup trop lourd. Cela fera en sorte que l'article 745 sera, à toutes fins pratiques, inapplicable.
Dans ces circonstances, si vous avez envisagé la possibilité - je ne dis pas que c'est l'option que je favorise - de reprendre à votre compte le projet de loi de M. Nunziata et d'abroger cet article, les effets seront à peu près les mêmes. Ce sont les questions que j'avais à vous poser à ce stade-ci.
M. Rock: Premièrement, je ne suis pas d'accord que ma proposition quant à l'unanimité du jury équivaut à l'abrogation de l'article. Vous avez dit, monsieur Langlois, que le jury ne décide pas, qu'il fait seulement une recommandation. Ce n'est pas vrai, à mon avis.
Le jury aura une décision à prendre. Il devra décider si le demandeur aura le droit de faire une demande de libération conditionnelle. Comme M. Nunziata a pu le dire, selon les statistiques, un très grand nombre de personnes qui ont demandé une libération conditionnelle ont réussi.
Donc, je ne pense pas que ce soit la même chose. Il s'agit simplement d'un processus pour établir un accord entre 12 personnes qui, après avoir entendu tous les témoignages et étudié toutes les circonstances, y compris le crime et l'histoire de la victime, décident qu'il s'agit là d'un cas exceptionnel et qu'il faut réduire la période d'inadmissibilité.
Deuxièmement, vous avez demandé pourquoi nous avions choisi le mois de juin pour présenter notre projet de loi. J'ai deux réponses à cela.
Premièrement, nous avons présenté des projets de loi pendant toute l'année dernière. En tant que ministre de la Justice, j'ai déposé plus de projets de loi devant le Parlement que tous les autres ministres. Nous sommes très occupés. Nous avons présenté des projets de loi sur divers sujets importants et difficiles et j'ai comparu plusieurs fois devant votre comité en ce qui a trait aux projets de loi présentés.
En ce qui a trait à l'article 745, nous n'avons terminé nos consultations avec les parties intéressées et avec les ministres de la Justice et procureurs généraux des provinces et territoires qu'au mois de mai.
Deuxièmement, votre comité a été saisi pendant longtemps du projet de loi de M. Nunziata qui proposait qu'on abroge l'article 745. Ce projet de loi a été renvoyé à votre comité dès sa deuxième lecture en Chambre, il y a un an et demi. Depuis ce temps-là, vous avez eu l'occasion d'étudier cette question en détail.
Troisièmement, vous avez demandé quels étaient les critères que devaient suivre les juges de la Cour supérieure dans le processus de sélection. Comme je l'ai dit lors de ma présentation devant le comité, l'article 745 lui-même détermine ces critères. Le juge doit décider si, selon les dispositions de l'article 745, le demandeur a la possibilité d'obtenir du succès auprès du jury. Si oui, le demandeur peut se présenter devant le jury. Dans le cas contraire, c'est la fin.
[Traduction]
M. Hanger: Madame la présidente, j'invoque le règlement.
La présidente: Oui, monsieur Hanger.
M. Hanger: Je sais que vous avez averti le comité et les participants qu'il fallait respecter les délais prévus. Je crois que la réponse de M. Langlois a pris 10 minutes au total.
J'aimerais également faire cette remarque...
La présidente: Vous me permettrez peut-être de rétablir les faits à ce sujet, monsieur Hanger. Elle a duré 8 minutes et 57 secondes. M. Langlois en est à sa première intervention, pour laquelle il a droit à 10 minutes.
M. Hanger: Puis-je terminer mon objection?
Compte tenu de l'importance de ce débat et des questions posées au ministre, je vous prie, ainsi que le ministre, de prolonger notre séance de ce soir d'au moins une demi-heure pour que nous puissions continuer à interroger le ministre. Ce projet de loi a été présenté très rapidement. Il n'a pas été possible de l'examiner longuement à la Chambre des communes. Je vous demande donc, madame la présidente, de donner suite à ma requête.
M. Rock: Je n'ai aucune objection, si vous n'en avez pas.
La présidente: Êtes-vous d'accord pour que l'on prolonge d'une demi-heure la période consacrée au ministre?
Des voix: D'accord.
La présidente: Monsieur Langlois.
[Français]
M. Langlois: Merci de vos réponses, monsieur le ministre. J'aimerais faire un parallèle pour qu'on ait davantage d'éclairage.
À l'étape des procédures lors de l'enquête préliminaire, la Couronne a le fardeau de démontrer au juge qu'un jury bien informé en droit pourrait trouver le prévenu coupable. Accepteriez-vous la proposition voulant que le juge saisi d'une requête en vertu de l'article 745 ait à déterminer que le jury à être convoqué pourrait remettre le détenu en liberté si la preuve pouvait lui être soumise?
J'ai de la difficulté à saisir le rôle du juge dans ce cas par rapport au rôle du juge qui préside l'enquête préliminaire à l'étape des procédures.
[Traduction]
La présidente: Rapidement, si cela est possible, monsieur le ministre.
M. Rock: Je crois qu'il s'agit de deux choses tout à fait différentes. Pour l'enquête préliminaire, comme le sait M. Langlois, le critère fixé par la jurisprudence, et en particulier par l'arrêt de la Cour suprême du Canada, United States v. Shephard, est de savoir s'il existe des preuves qui permettraient à un jury, convenablement instruit, de déclarer l'accusé coupable. Le juge qui préside l'enquête préliminaire ne doit donc pas examiner la question de la crédibilité des témoins; il doit uniquement évaluer les preuves présentées pour déterminer si un jury convenablement instruit pourrait déclarer l'accusé coupable.
Ce n'est pas là le critère que propose le projet de loi C-45 pour le mécanisme de sélection. Il est prévu dans ce projet que le juge examine la demande écrite, qu'il étudie la réponse de la Couronne, qu'il tienne compte de ce que la victime lui communique, si celle-ci souhaite participer au processus de sélection, et tout cela se fait uniquement par écrit. Le juge tient compte de tous ces éléments, examine les critères énoncés à l'article 745, et se demande s'il existe une possibilité réelle de succès.
Bien évidemment, cette expression n'est pas définie dans le projet de loi mais elle est énoncée en termes anglais et français qui ont chacun le sens que les dictionnaires indiquent et nos juges ont l'habitude de prendre ce genre de décision dans toutes sortes de contextes et ils vont s'attacher à le faire ici. L'objectif visé par cette disposition est clair. C'est le juge qui décidera s'il existe une possibilité réelle de succès. Peut-on raisonnablement s'attendre à ce que cette personne convainque tous les membres du jury de réduire le délai préalable à une libération conditionnelle en fonction de ce que prévoit l'article 745, si l'on déclenche, dans ce cas, le mécanisme?
J'ai répondu en anglais pour prendre moins de temps, madame la présidente.
La présidente: Excellent. C'est très bien. On vous réinvitera.
Monsieur Nunziata, vous avez cinq minutes.
M. Nunziata: Merci, madame la présidente.
Monsieur Rock, en fin de compte, je crois que toute cette question se ramène à savoir quelle devrait être la peine pour le pire crime du Code criminel, c'est-à-dire le meurtre au premier degré et les meurtres au deuxième degré les plus graves. Vous avez déclaré que le système de justice pénale ne devrait pas être conçu en fonction d'un groupe de personnes en particulier mais pour répondre aux besoins de l'ensemble de la société.
Monsieur Rock, l'immense majorité des Canadiens est favorable à l'abrogation de l'article 745. Les groupes qui représentent les victimes sont tous favorables à cette abrogation. Darlene Boyd, Debbie Mahaffy, Joanne Kaplinski et Gary Rosenfeldt sont tous ici ce soir. Ils sont tous en faveur de l'abrogation de l'article 745. La Chambre des communes a voté il y a un an et demi en faveur de l'abrogation de l'article 745, et un bon nombre des députés présents ici ce soir ont participé à ce vote.
Voilà donc ma question. J'aimerais que vous me disiez quelles sont les personnes qui entretiennent les opinions dont s'inspire le projet de loi, avec lequel vous souhaitez conserver l'article 745, si le système de justice pénale doit être conçu dans l'intérêt de la société et que celle-ci vous indique clairement qu'elle souhaite que le délai préalable soit d'au moins 25 ans dans le cas du meurtre au premier degré? Quelles sont donc ces personnes dont les opinions sont reprises dans ce projet de loi?
M. Rock: Tout d'abord, pour ce qui est de la peine que devrait emporter le pire des crimes, le meurtre avec préméditation, j'estime que la peine devrait être celle que prévoit le code actuel, c'est-à-dire l'emprisonnement à perpétuité. Le code prévoit également à l'heure actuelle la libération conditionnelle et il prévoit actuellement, pour ceux dont le délai préalable à la liberté conditionnelle est supérieur à 15 ans, qu'un jury communautaire pourra revoir le dossier après l'expiration de ce délai. Je suis donc en faveur de conserver le régime actuel tel qu'il existe dans le code, avec les changements qu'apporterait le projet de loi C-45.
M. Nunziata: J'ai posé une question, monsieur le ministre, pour ce qui est des opinions...
La présidente: Monsieur Nunziata, veuillez laisser le ministre répondre.
M. Rock: Vous avez posé trois questions. C'était la première.
La deuxième est que la majorité des Canadiens veut que cette disposition soit abrogée. La plupart des personnes dont vous avez mentionné le nom sont en faveur de cette abrogation. Quelles sont donc les personnes qui sont favorables à ce projet de loi?
Eh bien, un des avantages de ces audiences est qu'elles vous permettront d'entendre d'autres témoins que moi. Vous allez entendre des gens qui sont profondément convaincus qu'il faut conserver l'article 745 tel qu'il est, qu'il ne faudrait pas y changer quoi que ce soit. Il y a des personnes qui ne veulent absolument pas que l'on abroge cette disposition parce que cela ne servirait à rien.
M. Nunziata a déclaré qu'à la deuxième lecture de son projet de loi, la Chambre des communes a voté en faveur de l'abrogation de cette disposition. Ce n'est pas exact. La Chambre des communes a décidé, en votant en ce sens, de renvoyer le projet de loi à un comité pour étude, étude qui, entre parenthèses, n'a jamais vraiment été faite. C'est ce que nous faisons sans doute ici, en partie. La Chambre n'a pas voté l'abrogation de cette disposition et je dois dire que plusieurs députés m'ont déclaré à l'époque que, si le vote avait carrément porté sur l'abrogation, ils n'auraient pas voté de la même façon. Ce vote avait pour objet de renvoyer le projet de loi à un comité. Je crois donc qu'il ne faudrait pas oublier ces faits.
Je réponds à votre question. Attendez une seconde. Vous n'aimez peut-être pas ma réponse. Mais c'est une autre...
M. Nunziata: Mon temps est limité.
M. Rock: C'est pourquoi je ne suis pas aussi sûr que M. Nunziata l'est lorsqu'il affirme savoir ce que souhaite la majorité des Canadiens ou savoir ce que la majorité d'entre eux souhaitent faire de l'article 745. Je suis ici pour vous expliquer la décision politique qu'a pris le gouvernement en présentant ce projet de loi et pour assumer ce choix. C'est à cela que servent les élections. Nos décisions seront jugées au moment des élections.
M. Nunziata: Excusez-moi, monsieur Rock, vous faites une erreur au sujet de la signification d'un vote en deuxième lecture. Le vote en deuxième lecture n'a pas uniquement pour but de renvoyer le projet de loi à un comité. Ce vote vise à adopter le principe du projet de loi et ce sont d'ailleurs les termes exacts de la motion qui a été présentée à la Chambre. La Chambre a donc accepté le principe de l'abrogation de l'article 745 et décidé de le soumettre à l'étude d'un comité. Vous attribuez à ce vote une signification qui n'est pas celle du vote en deuxième lecture.
Quoi qu'il en soit, vous semblez vouloir justifier ce projet de loi en vous appuyant sur plusieurs arguments. Vous avez parlé des autres pays et de la durée moyenne de l'incarcération. C'est bien là la véritable question d'après vous, n'est-ce pas? C'est la période d'incarcération pour le meurtre au premier degré. Vous en avez parlé ce soir. Vous en avez parlé ailleurs. Il me semble que vous pensez que la durée moyenne de l'incarcération devrait être comparable à ce qu'elle est dans les autres pays occidentaux, parce que vous avez utilisé cet argument à plusieurs reprises.
Pour ce qui est des meurtres multiples, si vous voulez marquer la différence qui existe entre une personne qui a tué une fois et celle qui a tué plusieurs fois, pourquoi ne pas proposer l'infliction de peines consécutives pour le meurtre, au lieu d'utiliser cette distinction pour faire adopter ce projet de loi? Je pose cette question parce qu'en fait, vous n'établissez aucune distinction entre quelqu'un qui...
La présidente: Monsieur Nunziata, laissez le ministre répondre et nous passerons au second tour.
M. Nunziata: Je n'ai pas posé ma question, madame la présidente.
La présidente: Eh bien, cela a pris cinq minutes et 20 secondes.
M. Rock: Pour répondre à la première question, sur la durée moyenne de l'incarcération, j'ai parlé de la durée moyenne de l'incarcération pour décrire le contexte dans lequel l'article 745 a été adopté. Certains disent que cette disposition a été adoptée furtivement, qu'elle l'a été grâce à une ruse, qu'on a trompé les gens peu avisés et que cette disposition a été introduite en cachette dans le Code criminel à la suite d'un accord secret en 1976. Tout cela est bien sûr ridicule. Le procès-verbal indique clairement qu'il y a eu un débat. Toutes ces questions ont été abordées à l'époque. Il suffit de consulter le hansard. L'article 745 constituait un élément essentiel du régime des peines pour meurtre qui a été adopté il y a 20 ans.
Quant à savoir si je serais favorable à l'infliction de peines consécutives pour le meurtre, ce n'est pas impossible. J'ai encouragé certains de mes fonctionnaires à travailler sur cette question. Mais il ne s'agit pas ici des peines consécutives pour le meurtre ou pour des infractions multiples. Il s'agit en ce moment de l'article 745 et je dis que quelqu'un qui a récidivé en commettant plusieurs meurtres ne devrait pouvoir invoquer l'article 745.
La question des peines consécutives pour les meurtres multiples sera abordée une autre fois, mais elle mérite d'être examinée.
La présidente: Merci.
M. Nunziata: J'ai une question. Qu'est-ce que...
La présidente: Non, monsieur Nunziata.
Monsieur le ministre, vous pourrez répondre à cela plus tard. M. Gallaway souhaite poser une question.
M. Gallaway (Sarnia - Lambton): Monsieur le ministre, vous avez posé au départ deux questions dont la première était: faut-il abroger l'article 745? Vous avez mentionné que cet article reflétait un principe qui est dans note Code criminel depuis 20 ans. Pourquoi vouloir modifier aujourd'hui un principe qui existe depuis 20 ans?
M. Rock: Comme je l'ai dit dans mon exposé ce soir, je crois que les changements qu'introduit le projet de loi C-45 répondent à certaines difficultés que soulève l'article 745.
Évidemment, il y a ceux qui souhaitent abroger cette disposition et ce projet de loi ne les satisfera pas. Ils veulent se débarrasser de cette disposition et c'est une question de principe pour eux. Mais pour ceux qui ne sont pas contre la convocation d'un jury communautaire après 15 ans, je crois que la situation actuelle soulève certains problèmes. Je ne pense pas qu'il soit bon, monsieur Gallaway, que le contrevenant ait le droit absolu, quelle que soit l'infraction qu'il ait commise, d'obliger la famille de la victime à se présenter devant un jury et à revivre son drame. Je ne pense pas que cela soit bon et cela constitue d'après moi un motif qui justifie l'introduction des changements proposés. Cela n'est pas bon et n'est d'aucune utilité. Si le contrevenant n'arrive pas à convaincre un juge qu'il existe une possibilité réelle de voir sa demande acceptée par un jury, cette demande devrait alors être écartée immédiatement.
Deuxièmement, il paraît approprié de s'en remettre à la décision unanime des 12 membres du jury. Cette procédure doit demeurer exceptionnelle et je crois que, si le détenu réussit à convaincre les 12 membres du jury, cela veut dire que son cas est exceptionnel. Il est important que le fait d'avoir pris une vie soit dénoncé publiquement et c'est pourquoi il faut s'acquitter d'un tel fardeau avant d'écarter le principe d'un délai préalable à la libération conditionnelle de 25 ans.
Troisièmement, pour les motifs que je viens d'énoncer, le moins que l'on puisse dire est qu'il est normal que ceux qui ont pris plus qu'une seule vie se voient infliger une peine différente de ceux qui ont pris une seule vie. Oui, la perte d'un seul membre de sa famille est un événement tragique et cause des souffrances inimaginables. Mais la société a le droit de dire qu'il existe une différence entre le fait de perdre un membre de la société et celui d'en perdre plusieurs, tout comme la société a toujours dit que les récidivistes devaient être traités différemment par le droit pénal que les délinquants primaires ou les délinquants qui n'ont commis qu'une seule infraction. Ce projet va dans le même sens.
L'article 745 existe depuis 20 ans mais les changements proposés répondent aux difficultés que soulève cette disposition.
M. Gallaway: Si une personne tue un policier au cours de la perpétration d'une infraction, elle est normalement condamnée à 25 ans. Si l'on modifiait ce cas hypothétique et que la personne en question ait tué deux policiers, le pire qu'il pourrait lui arriver serait d'être condamné à 25 ans. Pourquoi instituer des critères différents pour les demandes de libération conditionnelle dans le cas des auteurs de meurtres multiples alors qu'à l'étape de l'imposition de la peine, il n'y a qu'un seul critère, celui de la concurrence des peines?
M. Rock: Tout d'abord, je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites que la peine est de 25 ans. La peine est l'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans, sous réserve de l'article 745. La peine n'est pas de 25 ans; c'est l'emprisonnement à perpétuité. Comme je l'ai dit dès le départ, le détenu qui en liberté conditionnelle peut être incarcéré à nouveau s'il ne respecte pas les conditions dont sa liberté est assortie. Le détenu doit respecter ces conditions jusqu'à son dernier souffle.
Deuxièmement, il n'est pas vrai d'affirmer qu'à l'heure actuelle, la personne qui tue une deuxième fois se voit infliger exactement la même peine. À l'heure actuelle, lorsqu'un détenu a purgé 25 ans - en supposant qu'il n'a pu bénéficier de l'article 745 - et qu'il présente une demande de libération conditionnelle, la commission va tenir compte du fait qu'il a commis deux meurtres et non pas un. Cela va influencer l'issue de la demande de libération conditionnelle.
Troisièmement, nous ne sommes en train d'examiner l'infliction de peines consécutives en cas de meurtres multiples, comme M. Nunziata l'a fait remarquer, mais nous examinons une disposition dont l'emploi devrait être exceptionnel. Cette disposition vise à écarter le principe du délai préalable de 25 ans à la liberté conditionnelle pour les meurtres au premier degré. Il me semble que lorsqu'une personne a tué plusieurs fois, nous avons le droit d'en tenir compte. Il paraît raisonnable de dire que ce recours exceptionnel sera refusé à toutes les personnes qui font partie de cette catégorie.
Je ne sais pas pourquoi il est si difficile de percevoir la différence qui existe entre le fait de commettre une infraction et celui d'en commettre plusieurs. Cette distinction se retrouve dans l'ensemble du droit pénal. Je sais que la vie est sacrée et que, si une personne est tuée, c'est un événement tragique mais si deux personnes sont tuées, deux personnes sont mortes au lieu d'une et il y a une différence.
En créant un régime de peines pour meurtre qui comprend, comme nous l'avons décidé il y a 20 ans, un mécanisme permettant à un jury communautaire d'examiner un dossier après 15 ans, nous indiquons qu'il s'agit là d'un recours exceptionnel. Il ne me paraît pas du tout déraisonnable de dire que ce recours exceptionnel peut être refusé pour tenir compte de la différence qui existe entre les auteurs d'un seul meurtre et les auteurs de meurtres multiples.
La présidente: Monsieur Langlois, vous avez cinq minutes.
[Français]
M. Langlois: Merci, madame la présidente. Je reviens essentiellement au critère de l'unanimité. Je fais partie, comme plusieurs de mes collègues ici, de la génération de la fin des années 1940, c'est-à-dire de ceux qui ont fait leur droit alors que les grands changements en matière criminelle au Canada sont intervenus sous le gouvernement de M. Trudeau. C'était une approche un peu rousseauiste du droit criminel qui voulait donner une chance à l'individu, homme ou femme, présumant que celui-ci était essentiellement bon et récupérable. C'était le sens des réformes des années 1970 en matière de cautionnement, par exemple, ou d'abolition des châtiments corporels comme la peine du fouet.
On a vu qu'il fallait faire des ajustements. Ils ont été faits au cours des années 1970 et un peu aussi pendant les années 1980. On a restreint le droit pour toute personne d'être mise en liberté pendant l'audition. Il me semble qu'on s'en va maintenant sur une pente un peu plus raide encore. Je ne sais pas si l'évaluation qui avait été faite à ce moment-là était mauvaise, mais votre ministère semble être animé par une nouvelle dynamique.
Vous avez mentionné vous-même tout à l'heure qu'il y avait eu beaucoup de projets de loi en matière criminelle. Effectivement, il y en a eu beaucoup. Actuellement, il y a un autre vent qui souffle et qui vous amène à présenter d'autres projets de loi qui, à mon avis, sont peut-être un peu trop nombreux et un peu trop souvent rédigés sous le coup de l'émotion. Il faut reconnaître que c'est un domaine où il est facile d'agir sous le coup de l'émotion, surtout quand on considère les victimes et leur malheur.
Je voudrais donc reparler d'un critère qui me pose quelques difficultés et qui est le critère de l'unanimité du jury lorsqu'il doit déterminer la remise en liberté. À ce stade, je perçois beaucoup plus le jury comme étant un jury civil qui doit déterminer par prépondérance de preuve la responsabilité d'une personne qui est poursuivie devant cette cour civile.
Généralement, les jurys en matière civile n'ont pas les mêmes critères pour déterminer leur décision. Ils n'ont pas à observer la règle de l'unanimité. Ça fait longtemps qu'on accepte en matière civile, où on n'a pas à déterminer la culpabilité ou la non-culpabilité, d'accorder au jury une certaine latitude et même un certain droit à la dissidence pour une partie du jury.
Actuellement, le tiers peut être dissident. Je serais peut-être prêt à accepter les trois quarts restants, mais je trouve qu'il y a une différence énorme quand on passe des deux tiers à l'unanimité. Il y aurait peut-être lieu de faire un compromis, étant donné la situation extrêmement différente dans laquelle se trouve le jury.
D'autre part, j'ai toujours pensé que l'article 745 détonnait dans notre droit. Il est apparu de façon un peu bizarre. Dans notre droit criminel, le jury qui correspond à l'article 745 est un jury tout à fait différent des autres jurys que l'on connaît. C'est un jury très spécifique, qui n'est pas sans rappeler la situation un peu difficile dans laquelle le gouvernement de 1976 s'était retrouvé, alors qu'il n'avait pas du tout la majorité pour faire adopter son projet de loi sur l'abolition de la peine de mort.
Est-ce qu'il y a vraiment lieu de maintenir l'article 745? Est-ce qu'une personne ne pourrait pas s'adresser directement à la Commission nationale des libérations conditionnelles? Est-ce qu'il y a lieu de le maintenir dans une forme un peu plus restrictive? Là-dessus, je suis d'accord avec vous.
Je voulais soulever toutes mes questions ensemble pour permettre au ministre d'avoir une vue globale de ma position.
M. Rock: J'ai lu avec intérêt votre discours à la Chambre des communes dans lequel vous décriviez les changements qui ont eu lieu durant les années 1960 et 1970 dans la société canadienne, changements reflétés dans l'approche philosophique du système de justice pénale, et je suis d'accord sur l'analyse que vous en avez faite.
Mais pour moi, il n'en demeure pas moins que les décisions prises par le jury selon l'article 745 ne touchent pas la justice civile. C'est une question qui touche le système de justice pénale. Ce n'est pas la même chose que l'obligation civile.
[Traduction]
Il ne s'agit pas de savoir si l'action est fondée ou si le demandeur a subi un préjudice; c'est une question qui concerne le système de justice pénale. Cela concerne principalement les citoyens. Il faut décider s'il est opportun que cette personne puisse exercer ce recours exceptionnel? Doit-on l'autoriser à demander sa libération conditionnelle avant que le délai de 25 ans soit expiré? Cela met en cause la sécurité des citoyens, le respect dû à la victime, ainsi que les circonstances de l'infraction et la situation du délinquant. Il y a la réinsertion sociale. Toutes ces questions doivent être appréciées par un jury.
Je ne pense pas que l'on puisse comparer cette situation à une demande de nature civile qui oppose deux particuliers. Cela met en jeu les intérêts de la société. Je crois que le fait d'exiger l'unanimité, comme cela se fait pour le procès pénal, reflète l'importance des enjeux sociaux. C'est pourquoi la comparaison avec une affaire civile ne me paraît pas convaincante et il me paraît approprié d'exiger l'unanimité sur cette question.
La présidente: Monsieur Milliken, vous avez cinq minutes.
M. Milliken (Kingston et les Îles): Monsieur Rock, pouvez-vous nous dire en quelle année l'article 745 aurait pu être pour la première fois utilisée par un détenu?
M. Rock: Ma mémoire me dit que cela a dû être en 1988. Est-ce exact?
M. Milliken: Je ne sais pas. J'en doute. Est-ce que la loi...
M. Rock: Cela a dû être 15 ans après 1976.
M. Milliken: Cela devait être dans les années 1990.
M. Rock: Un instant, pas nécessairement. Je ne pense pas que cela se soit produit dans les années 1990 parce que le délai commence à courir à partir de l'incarcération. Le délai ne remonte pas nécessairement au procès.
M. Milliken: Je vois. Avez-vous le chiffre de tous les détenus qui auraient pu invoquer cet article depuis son adoption?
M. Nunziata: Je pourrais peut-être vous être de quelque utilité. La première fois remonte à 1987, c'était Réal Chartrand.
M. Milliken: Très bien. Merci.
M. Rock: Voilà. Je m'étais trompé d'un an. Nous avions ces chiffres, monsieur Milliken, et nous les avons communiqués aux députés. En avez-vous une copie?
M. Milliken: Je voulais simplement que cela soit consigné au procès-verbal.
M. Rock: Très bien, excusez-moi. En décembre 1995, 175 personnes étaient visées par cette disposition.
M. Milliken: C'est votre chiffre le plus récent?
M. Rock: À la fin du mois de décembre 1995, oui.
M. Milliken: Très bien. J'ai les chiffres qui se trouvent dans le document préparé par le service de recherche. J'espérais avoir des chiffres plus récents mais c'est très bien. Je suis prêt à travailler avec ces chiffres.
De ce chiffre, 63 demandes avaient été traitées au 31 décembre 1975. Cinquante des63 demandes ont donné lieu à une réduction. Sur les 50 demandes qui ont fait l'objet d'une réduction, pouvez-vous nous dire le nombre des détenus qui ont été mis en liberté?
M. Rock: Je consulte le même document. Voici quelle est la situation actuelle des 50 détenus qui ont obtenu une réduction du délai préalable: six se sont vus refuser toute forme de liberté conditionnelle; cinq demandes de libération conditionnelle n'ont pas encore été examinées; trois ne remplissent pas les conditions de la libération conditionnelle; 17 bénéficient de la libération conditionnelle totale; huit ont obtenu la semi-liberté; six ont obtenu la permission de sortir sans surveillance; un d'entre eux est décédé; deux ont vu leur libération conditionnelle révoquée pour des violations mineures des conditions dont elle était assortie; l'un est illégalement en liberté; un détenu a récidivé, il a été déclaré coupable de vol à main armée.
M. Nunziata: Excusez-moi, ces chiffres remontent à quand?
La présidente: Monsieur Nunziata.
M. Rock: À décembre 1995.
M. Nunziata: Ils sont à jour au 31 mars...
La présidente: Monsieur Nunziata, vous n'avez pas la parole. Vous risquez de ne jamais l'avoir, si vous ne cessez pas.
M. Nunziata: Je voulais bien faire.
La présidente: Ce n'est pas ce que vous faites.
M. Milliken: Je pensais que oui.
Quoi qu'il en soit, voilà ce que je veux vous demander. Pour ce qui est de la réduction du délai préalable, il y a eu 50 réductions dont trois ne remplissent pas encore les conditions de présentation d'une demande de libération conditionnelle. Ces personnes ont obtenu une réduction du délai préalable mais celui-ci n'est pas encore expiré.
Lorsque vous avez répondu à une question tout à l'heure, vous avez mentionné que ce recours devait être réservé aux cas exceptionnels. Êtes-vous prêt à reconnaître que, lorsqu'on accorde une réduction à 50 détenus, réduction qui, j'en suis sûr, a parfois été symbolique - sur un total de 175, cela veut dire que la réduction n'est accordée qu'à titre exceptionnel?
M. Rock: C'est une façon de voir les choses. Je ne veux pas vous contredire mais on pourrait également affirmer à partir des mêmes chiffres que sur les personnes qui ont présenté une demande, à savoir 74 personnes, 50 requérants, soit 79,4 p. 100, ont obtenu une réduction du délai préalable à la libération conditionnelle. Près de 80 p. 100 des requérants ont obtenu une réduction.
M. Milliken: Il s'agit des requérants mais par rapport aux personnes qui auraient pu présenter une telle demande, il y en a beaucoup qui ne l'ont pas fait parce qu'elles ne pensaient pas pouvoir l'obtenir.
M. Rock: Je ne peux me prononcer là-dessus. C'est peut-être bien la raison pour laquelle elles n'ont pas...
M. Milliken: Cela pourrait être un motif déterminant qui expliquerait pourquoi ces personnes ne l'ont pas fait.
M. Rock: C'est peut-être bien le cas. Je n'en sais rien.
M. Milliken: Il est possible de dire qu'ils ne remplissent pas les conditions de la libération conditionnelle s'ils ne présentent pas de demande. N'est-ce pas exact?
M. Rock: C'est exact.
M. Milliken: Par conséquent, aucune des personnes reconnues coupables de l'infraction de meurtre au premier degré et ayant demandé leur libération anticipée ou reconnues coupables d'un meurtre au second degré et ayant demandé leur libération anticipée aux termes de l'article 745 n'a commis de meurtre une fois remise en liberté?
M. Rock: C'est exact.
M. Milliken: Si tel est bien le cas, n'est-il pas un peu prématuré de vouloir modifier cet article alors qu'il ne s'applique en fait que depuis moins de 10 ans et qu'il a donné jusqu'ici d'excellents résultats, si l'on en juge par le fait qu'il a permis de maintenir les personnes dangereuses en détention et de libérer uniquement celles qui présentent relativement peu de risque pour la société?
M. Rock: Cela est vrai, madame la présidente, si votre seul critère est la sécurité des citoyens. Si le seul critère utilisé pour évaluer l'efficacité de l'article 745 était de savoir si les gens qui ont obtenu leur liberté conditionnelle plus tôt qu'il ne l'aurait obtenu en l'absence de cet article avaient commis d'autres crimes. On pourrait alors en conclure que cet article a donné d'excellents résultats. Mais je ne pense pas qu'il faille se contenter d'un seul critère.
Il me paraît également impératif de tenir compte des autres lacunes du système actuel, celles que j'ai décrites. À l'heure actuelle, le contrevenant a le droit absolu de décider unilatéralement de soumettre la famille de la victime à l'audience d'un jury au cours de laquelle elle va revivre le choc que lui a causé la perte d'un proche. Il y a aussi le fait que cet article n'établit aucune différence entre ceux qui ont commis plusieurs infractions et ceux qui n'en ont commis qu'une seule. Il s'applique aux deux catégories. Il y a aussi le fait que huit jurés sur 12 peuvent accorder la réduction. Je crois qu'il faut également tenir compte de ces facteurs. La sécurité de la population reflétée par le taux de récidive des requérants n'est donc pas le seul critère.
La présidente: Monsieur Hanger.
M. Hanger: Monsieur le ministre, je tiens à signaler qu'aujourd'hui est mon jour de courrier. J'ai reçu deux lettres en fait. La première vient de M. Scott Newark de l'Association canadienne des policiers. La deuxième m'a été envoyée par un M. Clifford Olson. Je vais d'abord vous parler de la lettre de M. Clifford Olson parce que je crois qu'elle concerne précisément le sujet dont nous parlons en ce moment.
M. Rock: Vous voulez vraiment lire cette lettre, monsieur Hanger? N'a-t-il pas attiré suffisamment d'attention sur sa personne?
M. Hanger: C'est peut-être vrai mais je crois que cette attention...
M. Rock: N'êtes-vous pas en train de jouer son jeu?
M. Hanger: Monsieur le ministre, je vous ai posé une question.
M. Rock: Je suis scandalisé. Pourquoi jouer le jeu de M. Olson qui souhaite uniquement qu'on parle de lui?
M. Hanger: Je crois que si cet homme est arrogant, c'est parce que le système le lui permet. Et c'est vous, monsieur le ministre, et les gouvernements qui vous ont précédé, qui lui ont donné cette possibilité.
Une voix: N'est-ce pas ce dont il s'agit avec ce projet de loi, Allan?
M. Hanger: C'est effectivement ce dont il s'agit ici.
La présidente: À l'ordre!
M. Hanger: Cet homme n'abandonnera jamais, il continuera jusqu'à la mort. C'est la deuxième lettre qu'il m'envoie. On voit dans quel piteux état se trouve notre système de justice pénale, lorsque ce genre de personne qui ne mérite aucunement notre attention arrive à faire ce genre de chose. Mais c'est vous qui lui avez donné cette possibilité, monsieur le ministre. C'est vous qui le lui permettez.
M. Rock: Vous lisez sa lettre, monsieur Hanger, et je trouve ça révoltant.
M. Hanger: Je n'ai pas lu un mot de sa lettre. Je peux vous dire qu'il fait de la publicité pour ses jeux de cartes de meurtres en série, si vous tenez à le savoir.
La présidente: Monsieur Hanger, posez donc votre question? Vous avez déjà utilisé une minute et demie.
M. Rock: Il m'écrit aussi régulièrement mais ce n'est pas le genre de chose que je mentionne souvent, monsieur Hanger.
M. Hanger: Je pourrais vous faire remarquer, monsieur le ministre, que c'est ce que l'on va pouvoir lire dans tous les journaux du pays chaque fois que l'on va tenir ce genre d'audience. Les victimes vont voir leur dossier ressortir, ils vont entendre les paroles du meurtrier et tout cela va raviver des souvenirs qu'ils n'arriveront jamais à oublier. Voilà ce que vous tolérez avec le projet de loi que vous avez présenté, avec tous ces appels et le reste.
La deuxième lettre dont j'aimerais parler - et elle porte également directement sur le projet de loi - m'a été envoyée par M. Scott Newark. M. Newark fait du lobbying. Il est membre de l'Association des policiers canadiens mais il fait du lobbying auprès des politiciens de façon très efficace. Cette lettre est adressée à Diane Ablonczy, Jack Ramsay et à moi - dans ce cas particulier, aux membres du Parti réformiste. Il déclare:
C'est pourquoi je vous invite vivement à ce que vos noms ne figurent pas au procès-verbal de la Chambre à côté de ceux qui ont voté contre eux.
... c'est-à-dire le gouvernement...
- Je comprends que vous soyez irrité et même en colère contre le gouvernement libéral et son
comité de la justice qui a toujours docilement refusé de débattre de la véritable question celle de
l'appel mais ce n'est pas parce que nous pensons tous deux avoir droit à un «penalty» qu'il faut
refuser le «coup franc» que représentent ces modifications.
- ... en d'autres termes, le projet de loi...
- J'espère que vous pardonnerez ma métaphore mais je crois qu'elle fait bien comprendre ce que
je pense.
Monsieur le ministre, je vous le dis, je tiens à ce que le procès-verbal mentionne que je fais partie de ceux qui croient qu'il faut mettre en prison les meurtriers et qu'ils n'en devraient jamais sortir; je voterais contre le projet de loi.
Mais j'aimerais savoir ce que vous pensez de l'incarcération définitive dans le cas de M. Olson et des gens de son espèce et de tous les meurtriers qui comparaissent et voient leur nom dans les journaux pour que les victimes ne les oublient pas. Que pensez-vous de cela?
M. Rock: Tout d'abord, c'est vous qui le premier avez mentionné le nom de M. Olson. C'est vous qui avez choisi de le faire. Cela me paraît scandaleux mais c'est vous qui avez décidé de le faire. Je n'ai pas mentionné son nom et je peux vous dire que j'ai clairement indiqué dès le départ, contrairement à ce que John Nunziata vient de dire ce soir, que ce projet de loi ne vise personne en particulier. Ce projet reflète les changements que le gouvernement estime opportun d'apporter à l'article 745 pour le renforcer. Cela est un fait.
Voici les changements que nous proposons dans le but d'améliorer l'article 745, pour les motifs que je vous ai expliqués ce soir.
J'espère que je ne me retrouverai jamais dans la situation des victimes. J'ai rencontré des gens qui ont vécu des choses inimaginables et je trouve cela difficile de rencontrer ces gens parce qu'il y a beaucoup d'émotions et il est difficile de parler à une personne qui a ressenti ce genre de souffrance.
Mais, dans le même temps, je ne vois pas dans cette salle qui aurait la sagesse, les connaissances ou le monopole sur ce que veut la société et qui puisse nous affirmer ce soir, du haut de sa science, que toutes les personnes qui purgent une peine d'emprisonnement à perpétuité parce qu'elles ont tué quelqu'un, quelles que soient les circonstances de l'infraction, quelle que soit la situation du contrevenant, quelle que soit la réaction de la victime et de sa famille, quelles que soient les circonstances, devront rester en prison à perpétuité sans pouvoir demander la libération conditionnelle avant 25 ans, et ce, dans tous les cas. Je ne connais personne qui puisse prétendre posséder cette sagesse.
Le système qui a été mis en place il y a 20 ans de cela avait au moins ceci de bon. Il y a d'un côté une peine automatique, l'emprisonnement à perpétuité mais il y a aussi la possibilité d'obtenir la libération conditionnelle. Oui, en règle générale il y a un délai de 25 ans en cas de meurtre au premier degré, mais après 15 ans la collectivité est prête à revoir le dossier, à tenir compte des circonstances et à en fonction des caractéristiques de chaque cas.
Madame la présidente, avant la fin de vos audiences, vous allez entendre des gens qui ont perdu des êtres chers et qui sont favorables au maintien de l'article 745. Je suis sûr que vous allez entendre ce genre de témoignage.
Chaque cas est un cas particulier... Et je pourrais vous décrire des circonstances, pour ce qui est des délinquants, qui vous émouvraient beaucoup, si vous saviez qui ils étaient, ce qu'ils faisaient lorsqu'ils ont commis une infraction, dans quelles circonstances, pour constater qu'il est vraiment inutile d'incarcérer ces personnes au-delà de 15, 17 voire 20 ans et qu'il est bien préférable, dans l'intérêt de la société, que cette personne soit relâchée et qu'elle apporte finalement sa contribution à la société.
Il est très facile d'être catégorique au sujet de ces choses. Je propose un mécanisme qui vise une petite catégorie de personnes, des cas exceptionnels, qui permet à un juge de sélectionner les dossiers, un mécanisme qui n'est pas ouvert à certaines catégories de délinquants, qui exige la décision unanime d'un jury et qui ne va s'appliquer que dans des cas exceptionnels. Cela introduit une certaine souplesse pour tenir compte des situations que nous ne pouvons prévoir ici ce soir et il imprime cette souplesse au système.
La présidente: Merci.
M. Bodnar: J'invoque le règlement. Je me demande si M. Hanger serait disposé à remettre la lettre dont il a parlé au greffier pour qu'elle soit distribuée à tous les membres du comité. Je parle de la lettre de Scott Newark.
M. Nunziata: Madame...
La présidente: Monsieur Nunziata, pourriez-vous nous laisser examiner cette question?
Monsieur Hanger?
M. Bodnar: Il l'a remise. C'est très bien, je vous remercie.
La présidente: Merci.
Vouliez-vous invoquer le règlement, monsieur Nunziata?
M. Nunziata: Non. Puis-je poser d'autres questions?
La présidente: Non, pas maintenant. Nous avons terminé. Je crois que M. Milliken veut poser une dernière question, mais je ne peux pas vous accorder cinq minutes complètes.
M. Milliken: Je n'ai pas qu'une question à poser.
La présidente: Il y a trois autres témoins ce soir, monsieur.
Oui, monsieur Hanger.
M. Hanger: J'aimerais qu'on me remette l'original de la lettre que je viens de remettre à la greffière. Si elle pouvait simplement en faire des copies...
La présidente: Aucune objection.
Monsieur Milliken.
M. Milliken: Monsieur Rock, depuis combien d'années...
La présidente: Oui, monsieur Nunziata. Excusez-moi, monsieur Milliken.
M. Nunziata: Madame la présidente, le ministre de la Justice est ici ce soir. C'est son projet de loi. Les membres du gouvernement souhaitent poser des questions comme les autres députés. Il serait peu équitable de mettre un point final maintenant à cette discussion, alors qu'il s'agit d'un projet de loi aussi important. Nous pourrions peut-être avoir un autre tour de questions. Le ministre a indiqué qu'il était disposé à répondre aux questions.
La présidente: Je crois que nous aimerions passer aux autres témoins qui doivent prendre la parole ce soir, monsieur Nunziata, il y en a d'ailleurs quelques-uns qui appuient votre position. Je ne sais pas...
Oui, monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Madame la présidente, nous nous sommes entendus sur une demi-heure. Nous avons dépassé l'heure. Si nous ne voulons pas poursuivre au-delà de cette demi-heure, il faudrait finir ici ce tour de questions, si vous ne souhaitez pas prolonger la comparution du ministre.
La présidente: Le ministre a accepté cela. Merci, monsieur le ministre.
M. Milliken: Madame la présidente, j'invoque le règlement, puis-je demander une période supplémentaire?
La présidente: Oui.
Des voix: D'accord.
Des voix: Non.
La présidente: Non, il n'y aura pas d'autre tour. Si tout le monde est d'accord, M. Milliken posera sa question.
M. Nunziata: Je reviens sur ce sujet, madame la présidente, le gouvernement présente ce projet de loi au dernier moment avant l'ajournement des vacances d'été et nous avons ici l'occasion de poser des questions au ministre et pour une raison que j'ignore, les députés du gouvernement veulent mettre fin à ce débat. Comme qualifier ce coup de force pour faire adopter une loi pénale... La nuit est jeune.
M. Milliken: Vous pourrez poser des questions au ministre quand il reviendra après la deuxième lecture.
M. Nunziata: Affirmez-vous que le ministre reviendra?
M. Milliken: Non, mais je le pense.
La présidente: Merci, monsieur le ministre. Nous sommes heureux de vous avoir entendu ce soir. Nous allons passer à notre témoin suivant.
M. Rock: Merci, madame la présidente.
La présidente: Monsieur Healy, veuillez prendre place.
M. Patrick Healy est professeur à la faculté de droit de l'université McGill. Monsieur le professeur, je note que vous êtes un spécialiste des questions juridiques qui nous occupent ce soir, mais pas nécessairement de leurs aspects sociaux; c'est pourquoi je signale la chose à mes collègues. M. Healy, nous avons dû réduire la durée de votre témoignage mais je vous demande de présenter vos observations et nous consacrerons ensuite du temps aux questions.
M. Patrick Healy (témoigne à titre personnel): Merci, madame la présidente.
Je vous suis reconnaissant de m'avoir donné l'occasion de comparaître aujourd'hui. Ce n'est que vendredi que le comité m'a demandé si je pouvais venir et je vous demande donc de m'excuser si je n'ai pas fait tout le travail que j'aurais souhaité faire pour cette comparution. J'espère bénéficier de l'indulgence du comité.
Je suis professeur à la faculté de droit de McGill. J'enseigne le droit pénal. Je suis également membre du barreau mais je comparais ce soir à titre personnel, et je ne représente ni le Barreau du Québec, dont je suis membre, ni mon université, bien entendu.
J'aimerais dire quelques mots très brefs au sujet de ce projet de loi. Je serai aussi bref que possible, vu l'heure tardive.
Ce projet de loi vient légèrement modifier, de toute façon il le modifie, le mécanisme de l'article 745 du code.
Sous sa forme actuelle, l'article 745 donne aux condamnés la possibilité d'une possibilité - autrement dit, la possibilité de comparaître devant la commission des libérations conditionnelles. Il ne donne pas le droit d'être entendu par cette commission; cet article donne uniquement à l'accusé la possibilité de l'être. Comme l'a dit le ministre, cette disposition donne aux condamnés la possibilité automatique de bénéficier d'une autre possibilité.
Ce projet de loi vient limiter la possibilité qu'a le condamné de se présenter devant un jury pour que celui-ci détermine si le condamné devrait pouvoir se présenter devant la commission des libérations conditionnelles. Ce projet interdit donc à une catégorie particulière de délinquants de présenter une demande en vertu de l'article 745; je l'appelle le groupe des tueurs récidivistes.
La deuxième caractéristique de ce projet est que, pour tous les autres détenus qui peuvent invoquer cette disposition, il met en place un mécanisme de sélection qui autorise un juge à examiner le dossier du requérant avant de le confier à un jury; et si le dossier est confié à un jury, celui-ci doit se prononcer de façon unanime.
L'intention derrière ce projet de loi... Ce sujet est manifestement très controversé et je ne me prononcerai pas sur ce sujet. Je ne considère pas qu'il m'appartienne de le faire.
Lorsqu'il s'agit de politique correctionnelle ou de détermination de la peine, l'aspect essentiel, non seulement pour vous en tant que députés mais également pour les tribunaux, est nécessairement la protection de la société. Le véritable sujet dont traite ce projet de loi et qui sera abordé dans les témoignages qui vous seront livrés est celui de l'efficacité des mécanismes de protection de la société qu'offre la libération conditionnelle et la révision judiciaire des peines.
J'estime - et c'est là une opinion strictement personnelle - qu'on ne peut justifier les modifications apportées à l'article 745 en se basant uniquement sur des chiffres. Le membre du comité qui n'est pas ici en ce moment, je crois que c'est M. Milliken, a mentionné une série de chiffres lorsqu'il a eu un échange avec le ministre. Je pense que ces chiffres permettent uniquement de conclure qu'il n'a pas encore été démontré que l'article 745 ne fonctionne pas. Il est possible qu'avec le recul nécessaire, on constaterait que cette disposition ne donne pas les résultats voulus mais cela n'a pas encore été démontré. Comme l'a rapporté le ministre, les chiffres semblent indiquer qu'il n'y a qu'un seul détenu qui ait été libéré plus rapidement grâce à l'article 745, qui ait commis une autre infraction, et il s'agissait d'un vol à main armée.
Il me semble toutefois que, lorsque l'on examine les arguments en faveur de la modification de l'article 745, ce sont les épreuves que doivent subir les membres de la famille des victimes à cause de cette disposition qui constituent le principal argument. Dans un certain sens, ces personnes sont également condamnées à une peine à perpétuité. Elles sont condamnées à se remémorer et à revivre le drame qu'elles ont vécu, pendant toute leur vie.
Ce projet de loi reflète la volonté d'éviter à ces personnes le supplice d'avoir à entendre à nouveau les circonstances de l'infraction et à les revivre, à moins qu'il n'existe une bonne raison de le leur demander. Cette bonne raison est celle que le juge aura découverte grâce au processus de sélection que propose le projet. Si la demande n'est pas justifiée, elle sera bien évidemment rejetée et il n'y aura pas lieu de revoir en détail tous ces éléments de preuve.
Pour ce qui est du droit, madame la présidente, je ne pense pas que personne ne puisse venir vous dire que ce projet de loi, ou pratiquement tous les projets de loi que le Parlement est amené à examiner, ne fera jamais l'objet de contestations fondées sur la Charte. Ce n'est pas ce qui se passe actuellement dans le monde juridique au Canada. On conteste tout. Toutefois, après avoir examiné rapidement ce projet de loi, je signalerais deux aspects qui, d'après moi, feront l'objet de contestations. Bien évidemment, je ne peux pas vous dire quelle sera l'issue de ces contestations.
Il est probable qu'un membre de la catégorie à qui il est interdit d'invoquer l'article 745, c'est-à-dire un auteur de meurtres multiples, attaquera la validité de cette disposition. On sera donc amené à examiner pourquoi le législateur a choisi de refuser ce recours à cette catégorie de personnes.
Il faudra soutenir, pour justifier le projet de loi, que ces personnes qui ont tué non pas une fois mais plusieurs, ont délibérément choisi de prendre plusieurs vies. L'infraction qu'elles ont commise est donc plus grave. C'est cette culpabilité morale qui justifie alors qu'on les prive du droit de présenter une demande aux termes de l'article 745. C'est la culpabilité qui découle du fait que ces personnes ont commis plusieurs fois une infraction très grave.
Si je peux revenir en arrière, je tiens à souligner que l'interdiction faite aux auteurs de meurtres multiples de présenter une demande aux termes de l'article 745 ne vaut que pour l'avenir. Cette restriction aura probablement pour effet de rendre ce projet de loi moins vulnérable aux contestations fondées sur la Charte.
Pour ce qui est du mécanisme de sélection et de l'exigence de l'unanimité, il est évident qu'un avocat représentant un condamné qui présente une telle demande va soutenir que le mécanisme de sélection introduit un obstacle qui n'existait pas auparavant et que cela viole le droit de cette personne à être entendu de façon équitable pour que l'on détermine la durée du délai préalable à la liberté conditionnelle, comme le garantit la Constitution.
Le projet de loi énonce que le condamné a le droit de présenter des observations au juge qui effectue la sélection. Il est vrai que ces observations ne seront pas transmises oralement, du moins selon ce que propose le projet de loi. Cela pourrait également être contesté en vertu de la Charte. Mais le condamné a le droit de présenter des observations au juge avant que celui-ci ne prononce sa décision. Le projet donne donc au condamné l'occasion d'être entendu, au sens large du terme, même s'il ne s'agit pas d'une véritable audition.
Pour ce qui est de l'unanimité, je demande à M. Langlois de bien vouloir m'excuser, mais il est difficile d'établir une comparaison entre ce mécanisme et un procès, qu'il s'agisse d'un procès civil ou d'un procès pénal. Ce recours, qui doit être accordé à l'unanimité, a manifestement pour but de donner à la collectivité la responsabilité de décider si une demande mérite d'être examinée - excusez-moi, c'est le juge.
Je crois que je vais m'arrêter là pour le moment mais je serais heureux de répondre à vos questions.
La présidente: Monsieur Langlois.
[Français]
M. Langlois: J'aimerais que vous élaboriez davantage sur les arguments basés sur la Charte que vous avez soulevés. Vous avez parlé de contestation de la part de tueurs répétitifs qui pourraient invoquer des arguments basés sur la Charte. Quelles dispositions de la Charte pourraient-ils invoquer à ce stade-là?
[Traduction]
M. Healy: Je n'ai pas très bien compris la question. Si vous me demandez si l'on pourrait contester la création de cette catégorie de délinquants en se fondant sur la Charte, la réponse est oui. Il est évident que l'on va contester le fait que le Parlement accorde un traitement particulier aux auteurs de meurtres multiples, ainsi que les raisons sur lesquelles il s'appuie pour refuser à ce groupe de personnes la possibilité d'obtenir une réduction du délai préalable à la libération conditionnelle.
La réponse que l'on pourrait apporter à cet argument est assez brutale; cette disposition reflète la gravité particulière de l'infraction qu'ont commise les membres de cette catégorie de délinquants. Cela amènerait peut-être à remettre en question la validité de la décision du Parlement, s'il devait la prendre, parce qu'il ne semble pas qu'il existe de preuves empiriques convaincantes démontrant que cette catégorie particulière de délinquants est davantage susceptible de récidiver.
[Français]
M. Langlois: Si je comprends bien, la contestation serait faite en vertu de l'article 15 de la Charte?
M. Healy: Non, de l'article 7.
M. Langlois: À ce moment-là, si on applique des critères d'arrêt différents, on peut constater prima facie qu'il y a effectivement une violation. Croyez-vous que le deuxième critère qu'on doit appliquer consiste à dire que ce n'est pas justifiable dans une société libre et démocratique? Il est probable que les contestataires auraient alors un obstacle assez sérieux à franchir dans la deuxième étape de la détermination de l'inconstitutionnalité du projet de loi.
[Traduction]
M. Healy: La question de savoir si la violation de l'article 7 de la Charte peut se justifier aux termes de l'article 1 comporte des aspects jurisprudentiels très complexes et n'a pas reçu de réponse définitive. Néanmoins, je vais élargir ma réponse parce que je crois que si l'on voulait contester ce projet de loi, on pourrait non seulement invoquer l'article 7 mais également certains aspects de l'article 11.
Je dois avouer que je ne suis pas en mesure de vous dire s'il est possible de démontrer que cette disposition est justifiée dans le cadre d'une société libre et démocratique. Il faudrait pour cela disposer de données empiriques que je n'ai pas eu le temps de réunir pour ma comparution d'aujourd'hui. Je n'ai donc pas la réponse à cette question. Il faudrait évidemment étudier de façon approfondie la situation qui existe dans les autres pays libres et démocratiques.
[Français]
M. Langlois: Un des problèmes que je vois dans l'application de cette loi, dans d'autres aussi mais précisément dans celle-ci, est ce que j'appellerais le critère des normes nationales. Il y a bien des secteurs où je n'approuve pas les normes nationales, mais cette matière est carrément un champ de compétence fédérale. En effet, on ne demande rien aux provinces et on applique le droit fédéral de façon unifiée partout au Canada.
Il est manifeste, et les chiffres le démontrent, que selon que vous soyez résident de telle ou telle région au Canada, vous appliquez l'article 745 différemment.
Croyez-vous que le projet de loi C-45 va maintenir cette disparité régionale et qu'un jury d'une province donnée va encore, à cause du climat social et de divers facteurs, être habilité à porter un jugement particulier? Est-ce que vous voyez une façon qui permettrait d'avoir les mêmes critères d'un océan à l'autre pour décider de la remise en liberté? Il me semble, là encore, que le projet de loi ne touche pas cet aspect-là et y ajoute même un élément supplémentaire.
Prenons un juge d'une cour supérieure de juridiction criminelle qui vit dans une province où la majorité de la population et la majorité des intervenants s'opposent à l'article 745. Celui-ci va, en toute bonne foi, être influencé et amené à être beaucoup plus restrictif, alors qu'un juge qui est dans une région du Canada où les approches sont plus permissives va sûrement être plus libéral. Est-ce qu'il est possible, à votre avis, de trouver une norme qui s'applique partout de la même façon au Canada? Si oui, de quelle façon?
[Traduction]
M. Healy: Vous avez posé une question extrêmement complexe. Je répondrai simplement, si je peux essayer de le faire, qu'il est impossible avec un système judiciaire, administré par des êtres humains dont les valeurs sociales reflètent un milieu local, d'avoir un processus de prise de décision qui soit uniforme d'un bout à l'autre du pays.
La Cour suprême du Canada a déclaré au sujet de l'article 745 qu'il s'agissait essentiellement d'une décision discrétionnaire que devait prendre le jury. Cela veut dire que le jury prend sa décision en s'appuyant sur les faits tels qu'il les perçoit et en tenant compte de tous les critères pertinents. C'est pourquoi je ne pense pas qu'il soit possible de créer un mécanisme qui donne des résultats uniformes dans l'ensemble du pays.
J'ajouterais toutefois que, si l'on veut examiner l'application actuelle de l'article 745, il faut tenir compte de la répartition de la population carcérale pour savoir dans quelle région les délinquants présentent leurs demandes. Cela explique peut-être dans une grande mesure les écarts que nous avons constatés sur le plan des résultats. Il semble qu'au Québec les détenus qui invoquent l'article 745 aient de bien meilleures chances d'obtenir une réduction du délai que dans les autres provinces.
[Français]
M. Langlois: Ça m'amène au point crucial dont vous avez brièvement parlé tout à l'heure, et qui est l'unanimité par rapport aux deux tiers. Il me semble que la règle des deux tiers permet justement de mettre un bémol dans tout le processus, en ce sens qu'on a quatre jurys avec lesquels on peut davantage travailler.
Il se peut bien que dans une partie donnée du Canada, on ait une décision unanime ou de 11 voix sur 12, alors que dans une autre partie, on aura une décision de 8 voix sur 12. Cette variable-là, me semble-t-il, permet de normaliser le critère d'application de l'article 745, alors qu'avec la règle de l'unanimité, nous allons nous enfermer dans une situation où un résident de la province de l'Alberta n'aura pas la possibilité de bénéficier des mêmes avantages, objectivement parlant, qu'un résident du district judiciaire de Hamilton, de Chicoutimi ou de Halifax.
C'est là que je voyais une règle de proportionnalité. Il me semble qu'on devrait garder le critère des deux tiers ou établir un critère amélioré ou changé des trois quarts plutôt que de l'unanimité.
[Traduction]
M. Healy: Vous avez peut-être parfaitement raison mais en exigeant l'unanimité, on a voulu réserver l'application de l'article 745 aux cas les plus méritoires. Pour poursuivre dans le même sens, il serait possible d'obtenir ce degré de certitude... Il serait possible d'appliquer l'article 745 sans exiger l'unanimité mais je ne commenterais pas cet aspect. C'est un choix.
Cela soulève également d'autres problèmes. Je ne pense pas qu'ils soient insurmontables mais la façon dont le projet de loi décrit les questions à trancher semble soulever certains difficultés. Par exemple, au cours du processus de sélection, le juge doit décider s'il existe une possibilité réelle que la demande soit accueillie. Cela veut dire, d'après le projet de loi, que le requérant doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il existe une possibilité réelle que sa demande soit accueillie. Il me paraît difficile sur le plan des principes d'établir une possibilité, de démontrer qu'il existe une possibilité réelle de succès. Ce n'est pas un fait.
La présidente: Merci, monsieur Langlois. Monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Je voudrais aborder plusieurs sujets. Nous n'aurons jamais suffisamment de temps pour les aborder tous.
Votre affirmation selon laquelle la première considération doit être la protection de la société m'a beaucoup intéressé. Vous avez également fait allusion à l'échec possible de l'article 745 mais vous n'avez pas défini ce que vous entendiez par là.
Mais au lieu d'aborder ces questions philosophiques, j'aimerais vous poser des questions juridiques et constitutionnelles. D'après notre étude des aspects juridiques de ce projet de loi, le requérant pourrait interjeter appel de la décision du juge de la cour supérieure si celui-ci rejetait sa demande. Est-ce exact?
M. Healy: Je le crois, oui.
M. Ramsay: Pourrait-il interjeter appel devant la Cour suprême du Canada? Jusqu'où peut-il faire appel?
M. Healy: S'il peut interjeter appel de la décision de la Cour d'appel?
M. Ramsay: Jusqu'où peut-il faire appel? Il peut faire appel de la décision du juge de la cour supérieure.
M. Healy: Devant la Cour d'appel.
M. Ramsay: Si son appel est rejeté, que peut-il faire?
M. Healy: Le seul tribunal serait évidemment la Cour suprême du Canada.
M. Ramsay: De cette façon, les auteurs de meurtres au premier degré peuvent faire appel jusque devant la Cour suprême du Canada.
M. Healy: Il est par contre loin d'être sûr que l'appel serait autorisé.
M. Ramsay: Mais là n'est pas la question.
M. Healy: Vous avez raison. Je crois que le projet de loi incorpore la procédure applicable aux appels relatifs aux actes criminels. Si c'est bien le cas, et je le crois, la prochaine étape serait de saisir la Cour suprême du Canada. Mais je ne suis pas certain que le projet de loi le permette.
M. Ramsay: Mais elle permet d'interjeter appel devant la Cour d'appel fédérale?
M. Healy: Non, devant la cour d'appel de la province.
M. Ramsay: Nous nous sommes demandés pourquoi l'on plaçait à part les auteurs de meurtres multiples qui avaient été déclarés coupables avant l'adoption de ce projet de loi. D'après l'avis juridique que j'ai obtenu, ce projet de loi pourrait avoir un effet rétroactif à l'égard des auteurs de meurtres multiples. Que pensez- vous de la constitutionnalité de la rétroactivité de cette disposition si elle s'applique aux auteurs de meurtres multiples?
M. Healy: Je vous garantis, monsieur Ramsay, et je vous parierai n'importe quoi, que la constitutionnalité de ce projet serait attaquée. Il est absolument certain que cela serait contesté.
Je ne sais pas si le projet serait déclaré inconstitutionnel. On pourrait soutenir que l'on modifie les conditions de la peine lorsqu'on interdit ce recours à cette catégorie de délinquants, que l'on modifie les conditions de l'ordonnance décrivant la peine infligée par le tribunal. Si le tribunal retenait cet argument, et cela me paraît tout à fait possible, le projet de loi serait inopérant, tout au moins dans la mesure où il est appliqué rétroactivement aux auteurs de meurtres multiples. C'est sans doute pour cette raison que les rédacteurs du projet de loi ont déclaré qu'il ne s'appliquerait qu'à l'avenir aux auteurs de meurtres multiples.
M. Ramsay: Vous savez bien sûr que la demande doit être acceptée par un juge de la cour supérieure pour que le délinquant ait droit à une audience devant un juge et un jury. S'il obtient gain de cause, l'affaire est transmise à la Commission nationale des libérations conditionnelles.
La Commission des libérations conditionnelles a fait des erreurs, l'année dernière elle en a commis sept, sept erreurs qui ont coûté la vie à sept personnes. Sept meurtres ont été commis à la suite de la libération de prisonniers qui n'avaient pas été déclarés coupables de meurtre mais d'une infraction moindre. Ils ont été remis en liberté par la Commission nationale des libérations conditionnelles et ont commis un meurtre l'année dernière. Si vous estimez que la considération essentielle doit être la protection de la société, que pensez-vous de ces statistiques?
M. Healy: Je ne voudrais pas que vous croyez que je suis insensible à cette situation,M. Ramsay, mais je ne crois pas qu'il existe de système qui soit à l'abri des erreurs.
M. Ramsay: J'en connais un.
M. Healy: Oui?
M. Ramsay: Oui. Vous ne donnez aucune possibilité d'appel à la personne qui a commis un meurtre au premier degré. Qu'elle purge sa peine d'emprisonnement à perpétuité sans pouvoir présenter de demande de libération conditionnelle.
M. Healy: Mais vous ne tenez pas compte de la possibilité qu'il y ait eu une erreur judiciaire, et cela est contraire à toutes nos valeurs.
M. Ramsay: Je ne comprends pas. Qu'entendez-vous par erreur judiciaire?
M. Healy: Que va-t-il se produire si l'on a condamné un innocent?
M. Ramsay: Est-ce que l'article 745 permet de remédier à ce genre de situation?
M. Healy: Mais vous leur refusez le droit d'appel.
M. Ramsay: Par le biais de l'article 745.
M. Healy: Oh, je vois.
Là encore, je reviens à ma remarque générale suivant laquelle aucun système n'est à l'abri des erreurs mais ce projet prévoit un mécanisme de sélection avant que l'on puisse saisir la Commission nationale des libérations conditionnelles. Il y a donc deux étapes avant que l'on envisage vraiment de remettre en liberté un délinquant. Cela n'empêche pas de commettre des erreurs mais cela réduit certainement les possibilités d'en commettre.
M. Ramsay: Que recommanderiez-vous au comité et au ministère de la Justice si cela pouvait sauver une vie?
M. Healy: Monsieur Ramsay, je ne pense pas pouvoir vous donner un avis professionnel sur cette question. Je peux vous donner mon opinion personnelle.
M. Ramsay: C'est très bien.
M. Healy: Je ne voudrais pas que l'on modifie l'article 745 du Code criminel ou tout autre partie de notre système, si cela voulait dire d'exclure la possibilité qu'un délinquant puisse se réhabiliter à l'intérieur du délai préalable.
M. Ramsay: Est-ce que la réhabilitation est un facteur déterminant lorsqu'il s'agit de...
M. Healy: Ce n'est pas le facteur déterminant. C'est un facteur pertinent mais si vous écartez les demandes présentées aux termes de l'article 745, vous ne tenez pas compte de ce facteur. J'estime que ce serait une erreur.
M. Ramsay: Le ministre de la Justice a déclaré en conférence de presse que les victimes pourraient présenter des observations écrites au niveau de la cour supérieure. Par conséquent, dès qu'une demande est présentée à un juge de la cour supérieure, la famille de la victime va devoir revivre toute cette horreur et repasser par toutes ces souffrances. Êtes-vous d'accord avec cela?
M. Healy: Je ne pense pas que l'on puisse l'éviter; cela est vrai.
M. Ramsay: Par conséquent, il importe peu que le requérant atteigne ou non la deuxième étape, celle de l'audience devant un juge et un jury. Cette nouvelle étape de l'appel va placer les victimes, dans une certaine mesure au moins, dans la situation qui était la leur en vertu de l'ancien article 745.
M. Healy: Je crois que les mots essentiels que vous avez prononcés sont «dans une certaine mesure du moins». Cela est vrai. Les modifications proposées prévoient un mécanisme qui va réduire le plus possible l'intervention de la famille de la victime.
M. Ramsay: Pourquoi affirmez-vous cela?
M. Healy: Parce que si le juge de la cour supérieure rejette la demande, compte tenu de tous les facteurs pertinents, l'examen complet de toutes les circonstances ayant entouré l'infraction n'aura pas lieu.
M. Ramsay: Vous voulez dire que tous les faits ne seront pas présentés au juge?
M. Healy: Je crois qu'on lui soumettra un résumé des faits. Je ne pense pas qu'on lui présente tous les faits en détail. Qui plus est, je signale que la procédure utilisée par le juge est pour l'essentiel écrite et non orale, même si cela ne répond pas complètement à votre question.
M. Ramsay: Je suis surpris de voir que vous laissez entendre que le juge de la cour supérieure se prononcerait sans qu'il ait eu accès à tous les éléments de preuve présentés.
M. Healy: Je n'ai pas dit qu'il n'aurait pas accès à tous les éléments de preuve. Il se fonderait sur tout ce que le requérant et les parties jugent nécessaires de lui communiquer pour qu'il décide, de façon provisoire, s'il existe une possibilité réelle que la demande soit accueillie. Vous avez peut-être parfaitement raison lorsque vous dites que la stratégie du requérant consistera à présenter les faits, de la façon la plus complète possible, au juge de la cour supérieure.
M. Ramsay: Merci, M. Healy. Mon temps est écoulé.
La présidente: Madame Torsney.
Mme Torsney: J'invoque le règlement. J'ai noté que M. Ramsay a utilisé des statistiques au cours de cette période de questions et aussi lorsque le ministre était là. On a parlé au premier tour de 15 victimes et au deuxième de sept. J'aimerais savoir si je peux obtenir ces statistiques; elles changent à chaque fois et je ne comprends pas ce dont il s'agit lorsqu'il en parle.
La présidente: Monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Oui. En fait, ces statistiques sont tirées du mémoire de M. Willie Gibbs. Les15 meurtres ont été commis par des délinquants qui avaient obtenu leur liberté conditionnelle ou leur libération anticipée; les sept meurtres ont été causés par des délinquants libérés par la Commission nationale des libérations conditionnelles. Il y en a 15 en tout, d'après les chiffres que j'ai, mais la Commission nationale des libérations conditionnelles n'est responsable que de sept de ces15 meurtres.
Mme Torsney: J'aimerais mentionner pour le procès-verbal qu'il a déclaré tout à l'heure au ministre que la Commission des libérations conditionnelles avait fait une erreur et que celle-ci avait entraîné la mort de 15 personnes. Je pense qu'il ne faudrait pas jouer...
M. Ramsay: Eh bien, nous pourrons la corriger.
Mme Torsney: ... avec les faits.
La présidente: Très bien. Nous arrangerons cela plus tard.
M. Ramsay: C'est de toute façon un organisme qui relève du gouvernement fédéral, madame la présidente.
La présidente: Pardon?
M. Ramsay: C'est un organisme du gouvernement fédéral qui a pris ces décisions.
Mme Torsney: Malgré ces huit vies?
M. Ramsay: Il y en a eu 15.
La présidente: Monsieur Nunziata, vous avez cinq minutes.
M. Nunziata: Monsieur Healy, n'est-il pas vrai que la disposition relative aux meurtres multiples n'entrerait en vigueur que 15 ans après l'adoption du projet de loi?
M. Healy: Il faudrait que je vérifie le texte de très près. Pour déterminer qui est admissible... Il y a un certain nombre de points difficiles à considérer mais je crois que cette disposition s'appliquerait à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi à toute personne ayant déjà commis un meurtre.
M. Nunziata: Non, elle joue dans le cas des crimes multiples commis après l'entrée en vigueur de la loi.
M. Healy: Ne s'applique-t-elle pas également à quelqu'un qui a déjà commis un meurtre et qui récidive?
Une voix: Non.
M. Healy: Alors, la disposition a une application plus immédiate. Il faudrait cependant que je le vérifie pour en être certain.
M. Nunziata: Comment cela? Supposons qu'un meurtrier qui est en prison soit remis en liberté. Supposons qu'après avoir purgé une peine de quinze ans il soit libéré en vertu de l'article 745 et qu'il commette un nouveau meurtre.
M. Healy: Qu'il récidive?
M. Nunziata: Oui.
M. Healy: En octobre?
M. Nunziata: Oui, s'il...
M. Healy: Je crois que la disposition s'appliquerait.
M. Nunziata: Il faudrait donc attendre 15 ans de plus avant de pouvoir bénéficier des dispositions de l'article 745...
M. Healy: Oh, je vois. Oui.
M. Nunziata: Donc, de toute façon, il y aura une contestation fondée sur la Charte dans 15 ans.
M. Healy: Peut-être.
M. Nunziata: Selon votre interprétation de ce projet de loi, serait-il possible qu'il y ait une contestation fondée sur la Charte d'ici 15 ans, conformément à la disposition relative aux meurtres multiples?
M. Healy: Je n'en suis pas certain. Laissez-moi y réfléchir, je vous donnerai ma réponse plus tard.
Après une journée et demie seulement de lecture rapide des documents, voilà le genre de question à laquelle j'hésite à répondre immédiatement.
M. Nunziata: D'accord. Mais cela ne s'applique manifestement pas aux meurtriers multiples actuellement incarcérés?
M. Healy: Je crois que c'est exact.
M. Nunziata: En ce qui concerne le mécanisme de sélection, le code pénal canadien comporte-t-il une disposition du même genre, selon laquelle un juge doit examiner une requête préalablement à une audience ou à un procès?
M. Healy: Examiner une demande d'admissibilité à la libération conditionnelle?
M. Nunziata: Ou n'importe quoi d'autre, en dehors d'une enquête préliminaire.
M. Healy: À ma connaissance, il n'y a rien de vraiment comparable. Je crois que la situation est presque unique en son genre. Cependant, on peut établir un parallèle avec l'article 690 du Code pénal, en ce sens - je précise bien - en ce sens seulement - que, d'une façon générale, les articles 745 et 690 ont trait à la notion de clémence.
L'article 690 prévoit aussi une demande écrite qui a certains points communs avec ces propositions. La différence, bien entendu, tient au fait qu'il ne s'agit pas d'une décision judiciaire.
M. Nunziata: Conformément à l'alinéa 745.61(1) du projet de loi, le juge n'examinera que des documents.
M. Healy: En effet.
M. Nunziata: Comment juger du bien-fondé de ces documents s'ils ne sont pas présentés sous la forme d'affidavits ou s'ils ne donnent pas lieu à un contre-interrogatoire? Comment déterminer la véracité des éléments d'information soumis à un juge?
M. Healy: Il est bien évident que la capacité du juge de déterminer la crédibilité de l'information qui lui est soumise est très limitée. Je crois qu'il serait bon de rappeler ce que j'ai dit plus tôt. Cette disposition pourrait être contestée parce qu'elle ne permet pas la présentation d'observations orales, la convocation de témoins ni la possibilité de les contre-interroger.
M. Nunziata: À votre avis, quelles seraient les chances de succès d'une contestation?
M. Healy: Je ne parie jamais sur les chances de succès ou d'échec...
M. Nunziata: De quel côté pensez-vous que la balance pencherait?
M. Healy: Il y aurait une possibilité de succès devant une cour d'appel, qu'il s'agisse d'une contestation fondée sur la charte ou une violation des principes de justice naturelle, mais ce n'est pas certain.
M. Nunziata: Donc, s'il y a contestation et si celle-ci aboutit, vous créez d'un seul coup une série supplémentaire d'audiences. En fait, vous auriez deux audiences, la première devant un juge et la seconde devant un juge et un jury.
M. Healy: C'est possible.
La présidente: Monsieur Nunziata, le temps dont vous disposiez est épuisé.
Monsieur Bodnar.
M. Bodnar: Merci, madame la présidente.
Pour revenir sur la question de la preuve par affidavit, il est bien évident que si cet affidavit est contesté, le tribunal ordonnera un procès et permettra de contre-interroger l'auteur de l'affidavit.
M. Healy: Oui, et cela relèverait indiscutablement des pouvoirs inhérents du tribunal, des pouvoirs généraux des juridictions supérieures.
M. Bodnar: Oui, dans ce cas il n'y a donc certainement pas de contestation fondée sur la Charte puisque, lorsqu'il y a une différence d'opinion sur les affidavits écrits, la décision est en fait prise à l'issue d'un procès à l'intérieur du procès.
M. Healy: Oui, mais il demeure qu'il y aurait presque certainement une contestation; quant à déterminer ses chances de succès, c'est une toute autre affaire. À mon avis, les cours supérieures, aussi bien le juge d'origine - le juge de première instance, en quelque sorte - que la cour d'appel, reconnaîtraient la compétence du juge de première instance à entendre des observations orales.
M. Bodnar: Certainement.
En ce qui concerne la disposition relative à une requête à un juge, par le jeu du processus de sélection avant présentation d'une requête en vertu de l'article 745, une contestation est certainement possible mais elle n'aurait guère de chances de succès puisque cette disposition n'existe que pour bien montrer que, dans les cas les plus évidents, les chances de succès d'une telle requête en vertu de l'article 745, sont totalement inexistantes.
M. Healy: S'agit-il d'une déclaration ou d'une question?
M. Bodnar: Des deux.
M. Healy: En ce qui concerne la déclaration, je ne ferai pas de commentaire.
En ce qui concerne la question, il me semble qu'il incombera au tribunal d'assurer l'équité procédurale de l'audience. Je ne crois pas que nous soyons encore parvenus à trouver une définition parfaite de l'équité procédurale qui me permettrait de vous dire ce que vous devriez inclure dans le projet de loi, mais à condition que le juge de la cour supérieure ait compétence pour entendre tout ce qui est nécessaire pour lui permettre de prendre une décision, il me semble que la contestation, quel que soit le processus, serait vouée à l'échec.
M. Bodnar: Si je comprends bien, il serait peut-être possible de contester diverses dispositions en vertu de la charte, mais vous reconnaissez que pour le moment il est très difficile de dire quelle serait l'issue de cette contestation.
M. Healy: Tout ce que je peux vous garantir c'est qu'il y aurait contestation. C'est une des réalités de la vie actuelle. Quant à vous dire quelles seraient ses chances de succès, je n'en sais rien.
Je voudrais cependant revenir au point suivant. Le projet de loi ne nous offre pas une définition radicalement différente de ce que la protection de la société représente dans notre droit; il apporte simplement un aménagement aux mesures de protection que la société exige. À mon avis, cet aménagement est mineur en ce sens qu'il restreint les requêtes qui peuvent être présentées par certains condamnés tout en n'éliminant pas la possibilité de réadaptation d'un contrevenant.
M. Bodnar: Monsieur, je crois savoir - vous me direz si vous êtes au courant de ces faits et si vous êtes d'accord - qu'entre le 1er janvier 1975 et le 1er mars 1990, soit une période de 15 ans, 752 libérations conditionnelles totales ont été accordées à des individus purgeant une peine d'emprisonnement à perpétuité pour meurtre. Cinq d'entre eux, seulement ont récidivé. Le saviez-vous?
M. Healy: Je ne connais pas les chiffres exacts, mais je suis au courant de l'existence de ce pourcentage.
M. Bodnar: Cela représente moins de 1 p. 100.
M. Healy: Oui, et c'est ce que confirment les résultats de l'application de l'article 745 lui-même.
M. Bodnar: En fait, le pourcentage est de l'ordre de 0,7 p. 100, n'est-ce pas?
M. Healy: Oui.
M. Bodnar: Bien. Vous reconnaîtrez aussi qu'aucun des autres bénéficiaires d'une libération conditionnelle totale n'a été condamné à nouveau pour homicide, qu'il s'agisse d'homicide involontaire coupable ou de tout autre crime analogue? Il n'y a eu que cinq récidivistes et il n'y a eu aucune tentative de meurtre ni d'acte causant la mort d'une personne.
M. Healy: Je le répète, s'il s'agit d'une question, je ne peux pas y répondre car je ne connais pas ces chiffres. Dans la mesure où il s'agit d'une simple déclaration, je n'ai rien à dire.
M. Bodnar: Bien. Je peux vous dire que je me réfère simplement à la fiche numéro cinq établie par la Société John Howard.
D'après les études que vous avez faites, reconnaissez-vous que les meurtriers qui bénéficient d'une libération conditionnelle totale représentent le pourcentage le plus bas de récidivistes de tout groupe de libérés conditionnels?
M. Healy: Qu'entendez-vous par le plus bas?
M. Bodnar: Je parle du pourcentage des récidivistes chez ceux qui ont bénéficié d'une libération conditionnelle.
M. Healy: Le pourcentage est très faible, mais je ne peux pas vous donner les chiffres exacts.
M. Bodnar: Bien.
Je partage le temps dont je dispose avec madame Torsney.
Mme Torsney: Certains préféreraient qu'au lieu d'apporter ces changements, nous éliminions l'application de cet article à tous les meurtriers actuellement emprisonnés au Canada. À quelles contestations constitutionnelles un tel scénario donnerait-il lieu? Quand ces contestations auraient-elles lieu?
M. Healy: À la première occasion, certainement. L'abrogation de l'ensemble de l'article pose un problème car cet article s'applique à une catégorie très large de contrevenants. J'ai oublié les chiffres exacts, mais je crois qu'en ce moment, il y a environ 2 000 membres de cette catégorie dans nos pénitenciers.
La difficulté tient au fait que dans le cas de la détermination de la peine et de la politique pénale, la Cour suprême revient constamment à l'idée que chaque cas doit être évalué individuellement. La contestation serait donc fondée sur le refus catégorique d'examen individuel des cas si tous les meurtriers appartenant à cette catégorie se voyaient refuser l'application de l'article 745.
Encore une fois, je ne me prononcerai pas sur les chances de succès d'une telle contestation. Quoi qu'il en soit, l'argument invoqué contre ce processus qu'il est utilisé de manière aveugle, avec une indifférence totale à l'égard des individuels.
Ce projet de loi montre que c'est le Parlement et non les tribunaux ou un organe administratif quelconque... montre que le Parlement vise la catégorie des criminels qui se sont rendus coupables de la faute la plus grave, dans les conditions les plus graves, c'est-à-dire ceux qui ont commis plus d'un meurtre. Du fait de cette optique, le champ de la contestation est donc beaucoup plus étroit, puisqu'il ne s'agit pas de tous les meurtriers incarcérés.
Mme Torsney: Dans ce cas, les résultats d'un appel, quel qu'il soit, s'appliqueraient-ils à tous les membres de cette catégorie distincte, à moins qu'ils ne puissent invoquer un motif supplémentaire d'appel?
M. Healy: Si je vous comprends bien, ces dispositions s'appliqueraient effectivement aux membres de cette catégorie, à moins qu'ils ne puissent démontrer que le système tout entier est invalide.
Si le meurtrier récidiviste obtenait gain de cause, il se retrouverait dans la même situation que tous les autres, c'est-à- dire qu'il pourrait présenter une demande en vertu de l'article 745, probablement modifié pour tenir compte du mécanisme de sélection.
Mme Torsney: Nous avons donc le choix entre une contestation limitée à un domaine étroit d'application, si le projet de loi est adopté, et l'abrogation de l'article 745 pour tous ceux qui sont actuellement incarcérés, ce qui créerait la possibilité de plusieurs types de contestation. C'est bien cela?
M. Healy: Je le crois. Je devrais également mentionner l'existence possible d'un autre motif de contestation fondé sur la Charte - je n'en ai pas encore parlé - c'est la possibilité qu'un tribunal conclue que de refuser l'examen précoce d'une demande de libération conditionnelle à une catégorie tout entière de meurtriers constitue en soi une peine cruelle et inusitée.
Mme Torsney: Donc, à votre avis, l'adoption du projet de loi C-234 déclencherait très rapidement, en fait, immédiatement, des contestations. Ce pourrait être la semaine prochaine, même si...
M. Healy: Le projet de loi C-234. S'agit-il du projet de loi émanant d'un député, du projet de loi de M. Nunziata?
Mme Torsney: Oui.
M. Healy: Je crois pouvoir vous assurer qu'il y aurait contestation et que les chances de succès seraient plus grandes que dans le cas de cette catégorie restreinte.
Mme Torsney: Je crois que c'est terminé pour moi.
La présidente: Merci, madame Torsney.
Une question qui me préoccupe n'a pas encore été posée. Si une personne est incarcérée aujourd'hui pour meurtre au premier degré, cela ne lui permettrait-il pas de faire valoir qu'elle n'a pas été condamnée en vertu de ces nouvelles règles et que ce processus de sélection ne s'applique pas à elle puisqu'il s'agit d'une application rétrospective de la loi?
M. Healy: Oui, ce serait effectivement possible.
La présidente: Existe-t-il des précédents?
M. Healy: Il y a l'affaire Cunningham qui a été soumise à la Cour suprême du Canada et qui présentait certaines similarités, sans être identique. Dans ce cas particulier, la Cour suprême a décidé que l'application rétrospective d'une restriction à l'admissibilité à la libération conditionnelle ne violait pas la Charte. Ce n'était pas une affaire de meurtre; l'article 745 ne s'appliquait pas. La cour avait conclu que la liberté du requérant était en jeu, mais que l'application de la loi n'était pas inconstitutionnelle.
Je ne suis pas du tout convaincu que l'affaire Cunningham permettra de décider de la validité de ce projet de loi, mais elle mérite un examen attentif.
La présidente: L'affaire Cunningham a donc rapport avec ce qui nous concerne.
M. Healy: Elle est pertinente, mais elle n'est pas déterminante.
M. Nunziata: J'en appelle au règlement, madame la présidente, Le témoignage de M. Healy, ce soir, contient des éléments très importants et je me demande s'il lui serait possible de nous présenter son opinion par écrit, de manière à ce que nous puissions l'examiner plus à loisir.
D'autres nous ont déjà donné leurs opinions ou le feront. M. Healy est un expert, et s'il le veut bien, je crois qu'il serait très utile au comité de disposer du texte écrit de ses opinions sur certaines des questions soulevées ce soir.
La présidente: J'ai deux remarques à faire. La première est que tout cela sera écrit puisque le témoignage sera reproduit dans le hansard. Deuxièmement, il est plus que probable que les audiences se termineront demain soir, et j'hésite beaucoup à imposer une telle tâche à M. Healy.
M. Nunziata: Le projet de loi sera également soumis au Sénat et l'opinion de M. Healy pourrait beaucoup intéresser les sénateurs.
J'ai ici un avis juridique qui contredit certains des témoignages présentés. Je voudrais pouvoir comparer les deux opinions.
La présidente: Vous avez le hansard.
M. Nunziata: Si M. Healy pense que le hansard offrira un reflet fidèle de ses vues... J'en doute personnellement.
M. Healy: Si le comité veut bien accepter un énoncé très bref - j'insiste sur le mot bref - des principales conclusions que j'ai présentées ainsi que des préoccupations qui les inspirent, je suis prêt à le faire. Mais si vous le voulez avant demain soir, ma réponse est catégoriquement non.
La présidente: Monsieur Ramsay.
M. Ramsay: J'en appelle au règlement. Le fait que M. Healy n'ait pas présenté de mémoire - en tout cas, je n'en ai pas vu - c'est bien la preuve de la hâte avec laquelle on examine ce projet de loi.
La présidente: Je vous remercie de cette observation.
Monsieur Healy, si vous pouviez nous en faire parvenir un plus tard, nous vous en serions reconnaissants.
M. Healy: Merci, madame la présidente, et si je puis me permettre de le dire, merci à tous de votre attention. Mes commentaires ont été préparés à la hâte, mais j'espère qu'ils vous auront été utiles.
La présidente: Merci beaucoup.
Le témoin suivant est Jim MacLatchie, directeur général de la Société John Howard du Canada. M. MacLatchie, nous vous entendrons avec plaisir; nous aurons ensuite quelques questions à vous poser.
M. Jim MacLatchie (directeur général, Société John Howard du Canada): Je tiens à remercier le comité d'avoir bien voulu prolonger si tard cette audience. Je crois d'ailleurs que d'autres témoins doivent me succéder. Votre résistance physique, pour ne pas parler de vos autres qualités, m'impressionne, madame la présidente. Je tiens donc à vous remercier au nom de la Société John Howard du Canada de m'offrir cette occasion de parler devant vous ce soir.
Je tiens à préciser d'entrée de jeu que nous regrettons beaucoup d'avoir eu si peu de temps pour nous préparer. Nous savions que le gouvernement examinait ce projet de loi et nous connaissions bien sûr l'existence du projet de loi de M. Nunziata. Nous nous estimons cependant contraints de protester, du moins pour commencer, contre certains des communiqués de presse du ministre au sujet du projet de loi. Il y a un certain nombre de points à considérer, notamment le souci du gouvernement d'améliorer la sécurité du public. Nous ne pensons pas que ce soit vraiment le fond du problème et je vais vous expliquer pourquoi.
Nous nous référons aux documents d'information dans lesquels le ministre indiquait que le gouvernement achevait un examen de l'article, après des consultations poussées. Je dois préciser que nous avons eu l'occasion de rencontrer des représentants du gouvernement pour discuter avec eux de l'article 745 mais que l'on ne nous a donné aucune indication sur la forme que prendrait le texte de loi. Nous n'avons donc pas étudié ce projet de loi d'aussi près que nous aurions dû le faire.
À la fin de mes observations, je demanderai donc que le gouvernement envisage d'attendre au moins la fin de l'été, afin de nous donner suffisamment de temps pour effectuer une étude détaillée. Cela donnerait également plus de temps aux autres organisations de le faire. Nous savons en effet qu'il y en a plusieurs, en dehors de la nôtre, qui sont opposées à tout changement à l'article 745.
Je tiens également à signaler au comité que les sociétés John Howard travaillent avec les détenus depuis plus de 75 ans. En fait, à la Confédération, il y avait déjà des sociétés d'aide aux prisonniers. Avec le temps, nous avons donc acquis une grande expérience des détenus et du régime carcéral.
La Société John Howard représente des personnes qui partagent les mêmes vues au sujet de certaines valeurs du système de justice pénale. J'en mentionnerai deux. La première est que les gens ont le droit de vivre en paix et en sécurité. Ce droit implique d'ailleurs une responsabilité à l'égard de la loi. C'est un principe auquel nous adhérons tous. Deuxièmement, tous ceux qui ont affaire au système de justice pénale ont une valeur intrinsèque en tant qu'êtres humains et ont le droit d'être traités avec dignité, équité, justice et compassion sans discrimination fondée sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques. À notre avis, cela vaut pour les détenus.
Une autre des convictions auxquelles nous sommes attachés a peut-être un rapport avec ce dont je veux vous parler. La meilleure façon de servir la justice est de recourir à des mesures qui permettent de résoudre les conflits, de réparer le mal causé et de rétablir des relations paisibles au sein de la société, autant de principes dans lesquels nous avons une foi profonde. Ces principes déterminent en grande partie nos réactions à l'égard de questions telles que celles qui nous préoccupent ici.
Premièrement, nous ne croyons pas que cette loi est mauvaise. Nous considérons que l'article 745 est une bonne disposition législative. Nous le croyons pour deux raisons. Premièrement, elle est universelle et est applicable à tous et, dans le cas qui nous intéresse, à tous les détenus. Deuxièmement, nous pensons qu'elle est bonne parce qu'elle utilise et fait confiance à un principe, celui de la capacité des citoyens, réunis en jury, de juger en notre nom. Cette méthode nous paraît valable.
Nous ne sommes pas d'accord avec ceux qui disent que l'article 745 est la cause d'une crise dans le domaine de la sécurité. En fait, l'application de cet article nous paraît avoir donné d'assez bons résultats et nous sommes fort surpris qu'on le mette aujourd'hui en question. Rien ne prouve qu'il soit un échec, bien au contraire.
Je crois que modifier la loi afin de refuser l'accès à certains détenus au lieu de le refuser à tous, est contraire au principe d'accès universel dont je parlais. C'est un premier empiétement qui nous engage sur la voie d'une redéfinition de notre manière d'agir, conduisant à des méthodes de plus en plus punitives. Ce que nous craignons beaucoup, c'est que la loi soit manipulée à cause des craintes qui gagnent de plus en plus les Canadiens.
Si nous parlons maintenant de meurtriers multiples ou de meurtres multiples, quand allons-nous passer au meurtre simple? Et une fois cela fait, quand en viendrons-nous à l'homicide involontaire coupable? Et une fois là, comment et où nous arrêter si nous nous engageons sur cette voie?
En ce qui nous concerne, la restriction du recours au processus de sélection préjuge la décision qui revient de droit à un jury. C'est simple. Nous croyons à l'efficacité des jurys. Nous estimons qu'en tant que citoyens nous avons le devoir d'y croire. Dans le cas qui nous concerne, les jurys ont bien fonctionné et nous ne pensons pas qu'on devrait y toucher. L'obligation d'unanimité pour le jury garantit pratiquement qu'il n'y aura aucune candidature précoce à la libération conditionnelle car dans ce processus, il n'y a pas la moindre place pour le doute.
Franchement, le recours à un jury et à une décision unanime de sa part convient parfaitement lors du premier procès, car à ce stade, nous traitons des faits, et rien d'autre. Dans la situation présente, nous avons au contraire affaire à des jugements qui sont fondés sur une perception de l'événement après qu'un certain temps se soit écoulé, une perception de l'effet plus ou moins important que son incarcération a eu sur un détenu. Nous formulons donc des jugements qui sont un peu plus éloignés du fait pur et simple.
Nous croyons que l'article 745 offre les garanties d'une audience publique et que le recours à un jury constitué de membres de la collectivité est une façon acceptable et légitime de procéder. Nous croyons que cela apporte un élément d'espoir qui modifie le caractère punitif de la peine et tient compte de la valeur de la réadaptation dans la justice pénale. Croyez-moi, les gens changent; ils peuvent s'améliorer sous l'effet d'influences bénéfiques et prendre leur place dans la collectivité, non sans mesures de protection, bien sûr, ce qui n'est que justice. Nous avons accepté cela. Cet article préserve la possibilité de réagir humainement à des circonstances exceptionnelles.
Nous demandons donc au comité, madame la présidente, de mettre de côté ce projet de loi de manière à ce que nous puissions poursuivre notre réflexion sur la loi existante. Nous souhaiterions que d'autres organisations qui s'intéressent à la question puissent venir faire à leur tour leurs commentaires. À mon avis, lorsque l'on commence à s'attaquer à des principes tels que le système de jury et celui du droit d'accès à la loi, on s'engage sur une pente glissante et cela nous inquiète beaucoup.
Je vous remercie.
La présidente: Merci.
Monsieur Langlois.
[Français]
M. Langlois: Je serai bref. Vous avez soulevé plusieurs des préoccupations que je soulevais lors de mon intervention en deuxième lecture, d'abord le processus et l'urgence d'apporter rapidement des modifications à l'article 745. Je ne suis pas convaincu que cet article soit le meilleur article possible; j'entretiens depuis longtemps de sérieux doutes. Après avoir entendu ce qu'en pensent les gens un peu partout au Canada, il me semble qu'il devrait faire l'objet d'une révision approfondie. Sur ce point, je vous rejoins.
J'étais plutôt favorable à la proposition de restreindre l'accès des personnes qui ont commis des meurtres multiples ou des meurtres en série. Si nous devions prendre une décision rapide, nous ne serions pas en mesure d'analyser qui sera touché par cette disposition et je m'en inquiète aussi un peu. Vous soulevez des problèmes au fur et à mesure que nous progressons dans le débat.
Le texte de l'article 745.1, qui oblige à présenter une preuve littérale devant le juge de la cour supérieure de juridiction criminelle, est aussi un objet de préoccupation. En vertu de la règle audi alteram partem ou du duty to act fairly, il semble y avoir quelque chose qui ne fonctionne pas si un juge n'a à se prononcer que sur des documents, sans avoir la possibilité d'entendre le détenu, les représentants du procureur général et, éventuellement, de tierces parties. Le juge ne pourrait-il pas poser des questions aux gens qui font une requête ou une demande en vertu de l'article 745.1, qui devient un préalable, un tamisage des demandes qui devraient être faites à l'avenir?
Enfin, je souscris entièrement à votre commentaire sur l'unanimité du jury. Je l'ai dit tout à l'heure lorsque le ministre était présent et je l'ai dit en Chambre vendredi dernier: la règle de l'unanimité est reliée aux critères de preuve et de détermination de la culpabilité et liée à la notion du doute raisonnable et du fardeau de la preuve qui en découle.
Ici, le fardeau de la preuve est intimement lié à la notion d'une prépondérance de preuve, d'une discussion qu'il peut y avoir au sein du jury, à savoir quelle va être la prépondérance de la preuve. Une marge d'un tiers m'apparaît acceptable et satisfaisante; elle ne semble pas avoir mal fonctionné.
Au niveau de l'article 745, M. Nunziata a quand même fait un déblayage qui nous a permis de voir des choses. Ce qui m'apparaît avoir mal fonctionné, c'est que lorsque le jury doit faire une détermination en application de l'article 745, il ne dispose pas actuellement de tous les éléments qui lui permettraient de faire une réflexion globale, d'avoir un portrait global de l'affaire.
En ce sens, je pense qu'il y aurait des modifications à apporter à l'article 745, entre autres pour donner aux victimes le droit à une audition pleine et entière et le droit de faire valoir leur point de vue. Mais encore là, ce n'est pas en adoptant à la sauvette un projet de loi qu'on va y arriver.
J'incite donc les personnes responsables de l'administration de la justice dans ce pays, le ministère de la Justice et le procureur général du Canada, à ralentir un peu pour que nous puissions continuer notre étude de cette question.
J'envisage l'étude d'un oeil très ouvert. Cette question me préoccupe beaucoup. J'ai enseigné ces dispositions pendant une vingtaine d'années, soit depuis leur adoption jusqu'à mon entrée en politique; cela me touche beaucoup. Je suis fasciné par la mécanique, l'approche et le compromis auquel on était arrivé en 1976 et qui avait conduit à l'abolition de la peine de mort, mais versus l'acceptation de l'article 745. Ce fut le compromis de la dernière heure.
Mes propos étaient plutôt de nature éditoriale, mais libre à vous de commenter.
[Traduction]
M. MacLatchie: Je crois qu'il y a là deux choses.
Tout d'abord, j'emprunterai sans pudeur certains résultats des travaux du Conseil des églises pour la justice et la criminologie, groupe que vous devez entendre, je crois. Une étude des 40 premières révisions judiciaires, dont six concernaient des victimes multiples a montré que si les changements proposés avaient eu force de loi, les coupables auraient passé dix ans de plus en prison, en dépit du fait que des jurys de citoyens avaient décidé l'admissibilité immédiate à la liberté conditionnelle dans trois des cas, ramené une période d'inadmissibilité à 21 ans et rejeté les deux autres demandes. Les trois personnes concernées sont maintenant de solides citoyens de la collectivité et je crois que c'est quelque chose d'important à se rappeler.
Vos commentaires m'ont aussi rappelé la question des 25 ans. Ces dispositions étaient étroitement liées au fait qu'à l'époque, le temps habituellement passé en prison pour meurtre était d'environ 13 ans. Après tout, 25 années de prison représentent une très lourde responsabilité et c'est une mesure choquante dans ce contexte; maintenant que cette disposition est présentée sous un jour si différent, nous reconnaissons qu'elle mérite d'être étudiée plus à fond.
La présidente: Monsieur Langlois.
[Français]
M. Langlois: Non, ça va.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Merci, monsieur, d'être venu ce soir malgré l'heure tardive.
J'imagine que vous avez eu affaire à des familles dont un membre a été victime d'un meurtre au premier degré.
M. MacLatchie: Oui, notre organisation a eu affaire à elles.
M. Ramsay: Et vous personnellement?
M. MacLatchie: Non.
M. Ramsay: Vous avez parlé de réparer le mal. Comment réparer le mal qu'un meurtre au premier degré fait aux membres de la famille?
Je voudrais vous lire un passage d'une lettre adressée au ministre de la Justice et avoir vos commentaires. La dame qui l'a écrite a comparu devant notre comité à l'occasion de l'examen d'un autre projet de loi. C'est la grand-mère de Sylvain Leduc, battu à mort à Ottawa. Voici ce qu'elle écrit:
- Il n'y a rien de plus douloureux que de vivre en sachant que votre enfant est étendu, nu et froid, à
la morgue...
- Mon petit-fils a passé trois jours à la morgue. J'étais glacée jusqu'au tréfonds de mon âme; je ne
réussissais pas à me réchauffer. J'ai passé trois jours dans une baignoire remplie d'eau chaude.
M'imaginer sans vêtement m'était insupportable.
- Mon coeur est une pompe qui fait circuler le sang dans mes veines. J'ai un endroit spécial et
sacré au-dessous de mon estomac... Je l'appelle mon âme. C'est là que l'amour, l'espoir, la
haine, le courage, la foi, l'humour, la colère, la compassion, le bonheur, la conscience et Dieu
vivent... L'horrible meurtre de mon petit-fils a profondément blessé mon âme. Par moments
elle est comme engourdie, à d'autres, elle est molle et sans consistance. Elle a perdu son appétit,
son goût pour le sexe, pour le plaisir, pour les voyages, pour la lecture, etc. Il y a là un vide, un
creux qui ne sera jamais comblé. Mon petit-fils a quitté cette terre en emportant une part de mon
âme.
- L'horreur et la crainte y ont aussi leur place. Voilà que ce les meurtriers de Sylvain m'ont fait...
Quand tout est silence, je ne peux m'empêcher d'imaginer la souffrance et l'horreur que
Sylvain a vécus avant de mourir.
M. MacLatchie: Monsieur Ramsay, tout cela est réel et profondément émouvant. Je ne pense pas que réparation soit possible et je ne pense pas non plus que changer la loi soit la solution.
Dans l'histoire de notre système de justice pénale, les victimes ont été oubliées. Il reste encore énormément de travail à faire et il faudra pour cela que la société manifeste toute la compassion et apporte toute l'aide dont elle est capable.
Tout ce que nous voulons dire c'est que ce genre de changements ne sont pas la solution. Jamais ils ne permettront de combler ce vide dont parle Mme Leduc.
M. Ramsay: Lorsque nous considérons le principe de justice, il est fondé sur l'étendue du préjudice, sur la valeur de l'objet volé. Comment répondre aux demandes instantes de victimes telles que celles-ci lorsqu'elles expriment leur horreur devant la possibilité que la personne qui leur a infligé tant de peine et de mal bénéficie d'une libération anticipée après 15 ans seulement? Comment faire?
M. MacLatchie: Ce n'est pas facile, mais je peux vous assurer, monsieur Ramsay, que certaines victimes qui ont souffert de manière aussi horrible viendront vous dire, à moins que vous l'appreniez par d'autres organisations, qu'elles ont trouvé quelque part au fond d'elles-mêmes la capacité de franchir ce pas. Pourtant, le vide laissé en elles n'a pas été comblé et rien de ce que la société peut leur offrir ne remplacera ce qu'elles ont perdu.
Cette compassion est absolument essentielle. Il faut que notre société en fasse preuve.
M. Ramsay: Oui, mais que dire aux personnes qui nous expliquent que la libération anticipée du meurtrier ne fera qu'accroître leur peine? Que leur dire?
M. MacLatchie: Voulez-vous savoir ce qu'il faut dire pour accroître encore cette douleur? Vous ne pouvez rien dire qui puisse la dissiper.
M. Ramsay: Je me suis mal exprimé; permettez-moi de reposer ma question. Que dire aux victimes qui nous déclarent que la libération anticipée du meurtrier responsable de leur peine accroîtra encore celle-ci, que de savoir qu'il est libre accroîtra leur chagrin et leur souffrance? Comment répondre à ces personnes?
M. MacLatchie: Il n'y a pas de réponse, monsieur Ramsay, et vous le savez bien. Que peut-on répondre à quelqu'un dont la femme vient de mourir d'un cancer ou dont l'enfant a trouvé la mort dans un accident ou pour une autre raison?
M. Ramsay: Vous n'avez donc pas de réponse à donner.
M. MacLatchie: Non, je n'en ai pas, et vous savez bien qu'il n'y a pas de réponse possible.
M. Ramsay: N'est-ce pas là une question fondamentale?
M. MacLatchie: Elle est tout à fait justifiée, mais aucune réponse n'est possible.
M. Ramsay: Bien entendu, pour ces personnes, la solution consiste à laisser le meurtrier en prison au lieu de lui rendre la liberté.
M. MacLatchie: Indiscutablement, c'est un sentiment légitime.
M. Ramsay: Devrait-on envisager cette possibilité?
M. MacLatchie: Oui, mais je ne pense pas qu'on puisse faire quoi que ce soit. Le fait est que...
M. Ramsay: Ne devrions-nous pas tenir compte de leurs sentiments?
M. MacLatchie: Si, en tant que société, nous devrions nous montrer plein de compassion et leur apporter toutes les autres formes d'aide possible. Je ne pense cependant pas que faire souffrir d'autres personnes ou augmenter ces souffrances est une façon appropriée d'exprimer notre compassion pour la peine que nous éprouvons en tant qu'individus. Ce n'est pas ainsi que se passent les choses.
Une voix: Dites cela aux personnes qui se trouvent dans la salle.
M. MacLatchie: Je n'ai pas du tout envie de le faire. On m'a simplement posé une question et j'essaie d'y répondre de mon mieux.
M. Ramsay: Vous dites qu'il n'y a pas de solution, mais c'est pourtant la tâche du comité.
M. MacLatchie: Effectivement.
M. Ramsay: Il est facile de venir représenter ici le point de vue du meurtrier puisque, après tout, c'est aussi un être humain. Bien sûr, c'en est un. Il est facile pour vous de représenter ces gens-là. Mais il faudrait tout de même trouver un équilibre dans tout cela. De quels intérêts et de quels besoins les législateurs de ce pays devraient-ils se préoccuper avant tout? Ceux des victimes ou ceux du responsable du déchirement, de la peine et des souffrances qu'il a causées.
M. MacLatchie: Il incombe aux législateurs de mettre en place le système le meilleur, le plus équitable et le plus juste possible. Nous considérons que vous avez déjà le système le meilleur, le plus équitable, le plus juste que l'on puisse imaginer. Si vous persistez dans cette voie, a) cela ne résoudra pas le problème auquel vous vous attaquez, parce qu'il est impossible de le faire de cette manière,b) vous vous acheminerez probablement vers l'avènement d'une société régressive dans laquelle la prison et le châtiment occuperont une place de plus en plus importante.
M. Ramsay: Vous parlez d'une société répressive, vous parlez du meurtrier, mais pas de la victime.
M. MacLatchie: Non, je parle des délinquants supplémentaires qui glisseront à travers les mailles si vous persistez à suivre la pente dangereuse des châtiments de plus en plus sévères dont je parlais tout à l'heure.
M. Ramsay: À votre avis, quel est le châtiment que mérite quelqu'un qui, de manière calculée et délibérée, prend la vie d'un innocent? Quelle est-elle?
M. MacLatchie: Nous avons un code pénal, nous avons une politique correctionnelle, et nous avons des procédures équitables à suivre. À notre avis, le système actuel convient parfaitement.
M. Ramsay: Quinze ans de détention vous paraissent donc suffisants?
M. MacLatchie: Il ne s'agit pas de 15 ans. Au bout de 15 ans un individu a le droit de demander sa libération dans le cadre d'un processus que la société et la collectivité que nous formons considèrent comme juste et équitable.
M. Ramsay: Mais le but poursuivi demeure la mise en liberté.
M. MacLatchie: Le but poursuivi est la justice, la recherche d'une solution humanitaire, d'une occasion de réexaminer un ensemble de circonstances.
M. Ramsay: Mais dans la pratique, le but poursuivi demeure la mise en liberté.
M. MacLatchie: Dans la pratique, les résultats sont tout à fait satisfaisants. Nous avons un système qui fonctionne bien.
M. Ramsay: C'est votre opinion.
La présidente: Merci, monsieur Ramsay. Monsieur Nunziata.
M. Nunziata: Il y a ici des personnes dont des êtres qui leur étaient chers ont été victimes d'un meurtre. Ces personnes croyaient que le meurtrier, une fois condamné, purgerait une peine d'au moins 25 ans. Essayez de vous imaginer un instant ce qu'ils éprouveraient s'ils, après avoir cru que quelqu'un paierait pendant au moins 25 ans pour la peine qu'ils éprouvaient, ils se trouvaient obligés après 15 ans de revivre la peine affreuse qu'ils avaient ressentie devant le meurtre de ces êtres chers.
Vous avez dit que garder quelqu'un en prison n'a aucune utilité pratique. Eh bien je vous dirai, moi, que les personnes qui sont dans cette salle ce soir trouvent au moins un certain réconfort dans le fait qu'elles n'auront pas à revivre ce genre de situation pendant au moins 25 ans. Certains préféreraient que les meurtriers demeurent en prison le reste de leur vie. Comprenez-vous un peu leur point de vue?
M. MacLatchie: Bien sûr que oui.
M. Nunziata: Selon vous, quelle est la durée minimum appropriée d'incarcération pour un crime au premier degré?
M. MacLatchie: Mon point de vue est simple: vous avez un code pénal qui sert les Canadiens de manière satisfaisante pour le moment.
M. Nunziata: Vous ne répondez pas à ma question. En vertu du Code criminel, lorsque vous êtes inculpé de meurtre au premier degré, vous êtes condamné à l'emprisonnement à perpétuité.
M. MacLatchie: Non, vous êtes condamné à la prison à vie, mais au bout de 25 ans...
M. Nunziata: Vous êtes condamné à l'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle pendant 25 ans. C'est bien cela?
M. MacLatchie: Oui, vous purgez une peine d'emprisonnement à perpétuité.
M. Nunziata: Êtes-vous d'accord avec cette disposition?
M. MacLatchie: Certainement.
M. Nunziata: Mais vous ne l'êtes qu'à condition que l'article 745 demeure aussi en vigueur?
M. MacLatchie: Ce n'est pas nous qui avons créé la loi, monsieur Nunziata. Nous vivons avec elle, elle fait partie de notre culture.
M. Nunziata: Vous dites que cet article a bien fonctionné, qu'il n'existe aucune preuve d'échec. Sur quels critères vous fondez-vous? On peut penser qu'un taux de succès de 78 à 80 p. 100 montre en fait que l'application de cet article est un échec. Quels critères utilisez-vous pour conclure le contraire, pour dire que c'est une disposition valable, qu'il n'y a aucune preuve d'échec?
M. MacLatchie: C'est tout. Voilà les faits. Personne n'a été indûment mis en liberté, à notre avis, et les chiffres semblent bien le confirmer. Nous considérons que cette loi éliminerait la possibilité d'une libération conditionnelle pour des meurtriers tels que Clifford Olson, ou d'autres meurtriers aussi tristement célèbres. Elle fonctionne très bien.
M. Nunziata: Comment écarte-t-elle ce genre de personnes? Elles ont le droit de...
M. MacLatchie: Elles ont le droit de poser leur candidature mais elles ne seront pas mises en liberté.
M. Nunziata: Comment le savez-vous?
M. MacLatchie: Je fais confiance au système de jury, monsieur Nunziata.
M. Nunziata: Moi aussi, du moins jusqu'à l'an dernier où 15 personnes ont été assassinées par des détenus qui avaient bénéficié d'une libération prématurée, soit d'office, soit conditionnelle. Est-ce là le système auquel vous faites tant confiance?
M. MacLatchie: Oui. Ces individus ont été libérés par un tribunal qui s'est prononcé au nom des habitants du Canada en se fondant sur les meilleurs éléments d'information possible. Voilà un système de justice pénale auquel nous pouvons souscrire.
M. Nunziata: Vous acceptez donc ces défaillances du système, vous acceptez le fait que15 personnes ont perdu la vie à cause de lui? Trouvez-vous ces statistiques acceptables compte tenu du système que nous avons?
M. MacLatchie: Il y a un processus à suivre. Comme je l'ai dit, ces décisions de mise en liberté sont fondées sur les meilleurs éléments d'information dont dispose un tribunal qui prend une décision avec notre bénédiction.
M. Nunziata: Selon vous, le jury est là pour juger. Les dispositions de l'article 745 ont-elles un caractère contradictoire?
M. MacLatchie: Je ne comprends pas votre question.
M. Nunziata: Est-ce le rôle du procureur de la Couronne de contester la demande de libération, les éléments de preuve fournis? Ou son rôle consiste-t-il simplement à s'assurer de l'équité procédurale?
M. MacLatchie: Je n'ai pas compétence pour répondre à cette question, monsieur Nunziata.
M. Nunziata: Ne pensez-vous pas qu'il serait indispensable d'y répondre avant de décider que vous avez pleinement confiance dans le système de jury? Vous prenez pour hypothèse que le jury dispose de tous les éléments d'information et que cette information est honnête et véridique. Je serais heureux de vous communiquer un mémoire d'un premier avocat-conseil de la Couronne en Alberta qui montre que le système est biaisé. Une des raisons du taux considérable de succès des demandes tient au fait que tous les éléments de preuve ne sont pas soumis au jury. Le processus n'est pas contradictoire et ces éléments de preuve sont biaisés en faveur du requérant.
M. MacLatchie: C'est un document que je ne connais pas; je ne peux donc pas faire de commentaires.
M. Nunziata: Bien.
La présidente: Merci, monsieur Nunziata. Madame Torsney.
Mme Torsney: Merci. J'ai deux ou trois questions à poser et je laisserai ensuite la parole àM. DeVillers.
Je ne suis arrivée qu'après le début de l'audience et je vous prie de m'en excuser.
Je voudrais cependant savoir exactement ce qu'est le rôle de la Société John Howard. Êtes-vous un groupe de défense des intérêts des détenus; est-ce là votre seule fonction?
M. MacLatchie: Non. Historiquement, nous aidons les détenus à trouver des moyens d'obtenir leur libération et de jouer un rôle utile de citoyen dans une collectivité. Avec les années, nous avons cependant été amenés à faire certaines observations sur le système judiciaire. Il nous arrive donc, dans l'intérêt de la société, de proposer des mesures qui nous paraissent sages.
Mme Torsney: Vous avez un groupe de prévention criminelle assez actif dans le comté de Wellington, n'est-ce pas?
M. MacLatchie: Oui. Tout ce qui se passe et tout ce qui concerne le système judiciaire nous préoccupe au plus haut point.
Mme Torsney: Donc, manifestement, vous vous préoccupez du sort des victimes et vous essayez de faire en sorte qu'il y en ait moins.
M. MacLatchie: Bien entendu. Les victimes forment un groupe qui n'est jamais loin de nos pensées. En fait, si nous travaillons avec les détenus c'est parce que nous pensons que la collectivité est, elle aussi, une victime. Nous faisons donc oeuvre utile pour tous en aidant les détenus à ne pas récidiver.
Mme Torsney: Bien. Je crois que M. DeVillers va utiliser le temps qu'il me reste.
La présidente: Monsieur DeVillers.
M. DeVillers: Merci, madame la présidente.
Monsieur MacLatchie, au début de votre exposé vous avez contesté les déclarations du ministre de la Justice contenues dans son communiqué de presse au sujet du projet de loi. Vous avez dit qu'à votre avis, il n'y avait pas de problème de sécurité du public. Pourriez-vous préciser les raisons de cette remarque?
M. MacLatchie: Disons les choses simplement, nous avons ici un projet de loi qui prévoit que certaines personnes, selon les circonstances particulières d'un meurtre au premier degré, peuvent faire une demande de révision judiciaire. Je crois que si, après de telles révisions, ces personnes avaient récidivé, nous aurions reconnu que le système ne fonctionnait pas. Si l'on nous apportait la preuve d'une distorsion du processus qui l'empêchait de bien fonctionner, nous serions également prêts à admettre que le système est vicié. Or, les résultats ne semblent pas montrer que la société a souffert en quoi que ce soit des libérations effectuées jusqu'à présent.
Nous avons affaire à deux niveaux de vérification. La première vérification est effectuée par les citoyens de la collectivité dans laquelle le crime a eu lieu. La seconde est faite par la Commission des libérations conditionnelles. Comme je l'ai déjà dit, cette commission est un organe chargé de décider en notre nom s'il convient d'accorder sa libération conditionnelle à un détenu. Pour cela, elle s'appuie sur toute l'information recueillie à son sujet en milieu carcéral. Voilà sur quoi nous fondons notre opinion.
M. DeVillers: Autrement dit, vous considérez que l'article 745 de la loi actuelle ne constitue pas une menace pour la sécurité du public. C'est bien cela?
M. MacLatchie: Absolument.
M. DeVillers: Excusez-moi, je n'avais pas bien compris.
M. MacLatchie: Ce n'est pas grave.
M. DeVillers: M. Nunziata et M. Ramsay ont posé la même question ou fait la même observation aux témoins précédents en ce qui concerne les défaillances du système de probation. La Société John Howard a-t-elle une position officielle au sujet du système de libération conditionnelle en général?
M. MacLatchie: Oui. D'une façon générale, nous sommes satisfaits de son fonctionnement; nous avons aidé une commission des libérations conditionnelles à obtenir la meilleure information possible et en fait, nous avons continué à travailler avec les anciens détenus après leur libération. Nous sommes très actifs dans ce domaine.
Je crois que l'intervenant précédent a soulevé la même question. C'est une affaire de jugement. À partir de l'information qui vous est fournie, vous vous efforcez de prendre la meilleure décision possible en ce qui concerne la libération éventuelle d'un individu. D'une façon générale, le système nous paraît bien fonctionner. Vous ne pouvez pas préjuger ce que quelqu'un va faire. Vous vous appuyez simplement sur les meilleurs éléments d'information dont vous disposez sur l'évaluation du risque présenté par cet individu. C'est une science qui n'est pas parfaite, mais c'est tout ce que nous avons.
M. DeVillers: Quel est, selon vous, le rôle de la justice vengeresse dans la détermination de la peine et dans son application?
M. MacLatchie: Il n'est pas très important. Je crois que l'objectif est d'assurer la sécurité au sein de notre collectivité et, lorsque l'on décide d'effectuer une libération conditionnelle, de décider au mieux de l'information dont on dispose. La notion de justice vengeresse est quelque chose de totalement différent.
M. DeVillers: Bien.
Dans les questions qu'il a posées plus tôt ce soir au ministre au sujet du changement qui imposerait une décision unanime des jurys pour que le requérant ait gain de cause, M. Langlois a dit, je crois, qu'à son avis - si je l'ai bien compris - cela revenait à abroger l'article 745. Il estimait que c'était un changement onéreux et que cela compromettrait les chances de succès des demandes à l'avenir. Qu'en pensez-vous?
M. MacLatchie: Nous sommes d'accord. Encore une fois, je crois que... En fait, nous considérons que c'est le jury, lorsqu'il prend une décision à l'unanimité et demeure fidèle aux faits, comme lors du premier procès, qui est le mieux à même de faire cela.
Nous avons ici affaire à un événement qui s'est produit il y a au moins 15 ans. Les valeurs sociétales changent. Le détenu peut changer. Le système peut changer. Une foule de choses peuvent se produire, et c'est le genre de latitude qu'il faut pour prendre ce genre de décisions.
M. DeVillers: Merci.
C'étaient toutes les questions que j'avais, madame la présidente.
La présidente: Monsieur Langlois.
[Français]
M. Langlois: Je n'ai que quelques commentaires. M. Ramsay demandait tout à l'heure quelle serait la peine qui devrait exister dans les cas de meurtre. Fondamentalement, quand on nous enlève un être qui nous est le plus cher, on nous ramène à la loi du talion.
L'être qui m'est le plus cher dans ma vie est ma fille de 17 ans. Elle m'a invité pour la Fête des pères chez McDonald's samedi prochain, pensant que c'est elle qui paierait. Elle m'a de plus invité au cinéma. S'il fallait que j'apprenne demain qu'elle a été violée ou assassinée, j'aurais probablement beaucoup de difficulté à vivre cette situation parce qu'en tant que citoyen, et probablement en tant que croyant aussi, j'ai exclu la peine de mort; pour moi, c'est quelque chose qu'une société ne peut imposer.
Lorsqu'on a isolé un individu et pris les mesures de protection nécessaires pour que cette personne ne nuise plus, on ne peut pas ensuite l'assassiner sous des prétextes juridiques. J'ai exclu cela. J'aurais beaucoup de difficulté à faire une paix intérieure. Je pense que la paix intérieure vient avec le pardon. On n'est pas obligés de donner le pardon. On peut le retenir jusqu'à la fin de nos jours.
Cela peut prendre des années et même toute une vie pour que des personnes directement touchées par un crime qui est commis aient cette paix intérieure. Elles peuvent même ne jamais l'atteindre. On est dans les tissus humains, dans les valeurs les plus fondamentales qui nous touchent et selon lesquelles nous sommes élevés et pour lesquelles nous prions souvent. On rejoint des valeurs extrêmement importantes et vous les avez touchées.
La façon dont vous envisagez toute cette question est intéressante, pas uniquement du côté répressif, ni uniquement du côté de la réhabilitation. On doit faire les poids et contrepoids à l'intérieur de tout cela et aussi se fier au système. S'il devait m'arriver un malheur, je me dirais que le système est là, qu'il est plus neutre, qu'il peut avoir plus de recul que moi dans la situation que je vis. Mais je comprends qu'on ne tient pas assez compte de la situation des victimes actuellement.
Je suis totalement en faveur d'une plus grande participation des victimes, de ceux et celles qui au premier chef ont souffert lors de la perpétration d'un crime, lorsqu'arrivera le temps d'appliquer l'article 745. Si cet article doit demeurer, je pense qu'on doit donner aux victimes la possibilité d'être entendues. Voilà la nature du commentaire que je voulais faire; le débat qui se déroule est extrêmement enrichissant. Merci.
[Traduction]
La présidente: Avez-vous un commentaire à faire?
M. MacLatchie: Non.
La présidente: Monsieur Gallaway, et vous?
M. Gallaway: Non.
La présidente: Monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Je voudrais simplement résumer.
Voyez-vous, je considère que le système pénal qui conduit à des décisions dont le résultat direct ou indirect se traduit par 15 meurtres par an est un échec. Et je trouve profondément étonnant - je vous le dis respectueusement - que vous voyiez les choses autrement.
M. MacLatchie: Je respecte votre sentiment. Peut-être devriez- vous aussi considérer la profession médicale et toutes ces morts dues au cancer, à des accidents ou au massacre - je dirais même aux meurtres - sur nos routes, et une foule d'autres choses.
Oui, lorsqu'une société s'efforce de s'imposer des règles de manière à fonctionner le mieux possible au profit de la plupart des citoyens, il y a des conséquences. Il y a beaucoup d'autres pays où je ne voudrais pas vivre, monsieur Ramsay, précisément à cause de leurs systèmes judiciaires. Cela vous explique peut-être ma position.
M. Ramsay: Ne faites-vous pas de différence entre un décès dû au cancer et une mort due à un meurtre au premier degré?
M. MacLatchie: Non, ce dont je parle, c'est de votre surprise de voir que j'accepte le système judiciaire du Canada tel qu'il est.
M. Ramsay: Non, ce qui me surprend profondément, c'est que vous acceptiez 15 meurtres au premier degré qui ont été préparés délibérément et que vous considériez que le système qui a permis ces meurtres est une réussite. Je trouve aberrant que cela ne vous préoccupe pas.
M. MacLatchie: Je trouve inacceptable que vous disiez que cela ne me préoccupe pas. Bien sûr que cela me préoccupe. Bien sûr que nous nous sommes efforcés... C'est cela notre travail; notre travail est de collaborer avec le système de justice pénale ainsi qu'avec...
M. Ramsay: Êtes-vous satisfait du système?
M. MacLatchie: Ce que je dis c'est que ce genre de loi ne changera rien à cette situation.
M. Ramsay: Pensez-vous que nous devrions essayer de changer une situation dans laquelle 15 meurtres par an son commis par des personnes qui ont été mises en liberté?
M. MacLatchie: Croyez-vous qu'on y parviendra en changeant cette loi, monsieur Ramsay?
M. Ramsay: Devrions-nous essayer de changer les choses?
M. MacLatchie: Je ne sais pas quoi vous répondre.
Je n'en sais rien.
M. Ramsay: Non, cette loi n'y changera rien. Le projet de loi ne changera pas...
M. MacLatchie: Alors parlons du projet de loi. C'est ce pourquoi je suis ici. Je ne veux pas parler du reste du système.
M. Ramsay: Pourtant, c'est tout le système qui est visé, c'est ce dont il s'agit. Nous ne pouvons examiner le projet de loi indépendamment du système de justice pénale, du système pénal et de ses conséquences.
Je n'ai rien à ajouter.
La présidente: Les députés ont-ils d'autres questions à poser? Non?
Monsieur Nunziata.
M. Nunziata: Je veux bien comprendre la position de la Société John Howard. Vous demandez aux députés de ne pas appuyer le projet de loi C-45, de le rejeter, est-ce exact?
M. MacLatchie: C'est exact.
M. Nunziata: Il n'y a rien dans le projet de loi que votre organisation puisse appuyer.
M. MacLatchie: C'est exact.
M. Nunziata: J'ai une dernière question à vous poser. Croyez- vous qu'il soit possible, dans le système de justice pénale, de parler de punition au moment de déterminer la sentence?
M. MacLatchie: C'est possible, mais il n'appartient pas à la Société John Howard du Canada de s'engager dans ce débat.
M. Nunziata: Je vous demande simplement de répondre à la question. Dans le cas d'un meurtre au premier degré, y a-t-il un élément de la sentence qui porte ou devrait porter sur la question de la punition à infliger pour le délit le plus abject inscrit dans le Code criminel?
M. MacLatchie: Je crois que c'est la peine de 25 ans, l'emprisonnement à perpétuité, pour une période de 25 ans.
M. Nunziata: Vous acceptez donc l'idée qu'une punition doit entrer en ligne de compte.
M. MacLatchie: Nous reconnaissons que cette notion est inscrite dans le Code criminel du Canada, qu'elle fait partie de ce que nous considérons comme la justice dans notre pays.
M. Nunziata: Et c'est là la position de la Société John Howard?
M. MacLatchie: C'est exact.
M. Nunziata: Merci.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur MacLatchie.
M. MacLatchie: Merci beaucoup.
La présidente: Nous allons nous arrêter deux minutes pour nous dégourdir les jambes. Nous entendrons ensuite l'Association canadienne des chefs de police.
La présidente: Nous allons reprendre les travaux.
Nos prochains témoins, M. Julian Fantino, chef du service de police de London, etM. Fred Schultz représentent l'Association canadienne des chefs de police. M. Fantino est membre du Comité de modifications aux lois, dont M. Schultz est directeur exécutif.
Bienvenue, messieurs. Nous allons vous écouter, puis nous vous dirons ce que nous pensons.
M. Fred Schultz (directeur exécutif, Association canadienne des chefs de police): Merci, madame la présidente.
Nous sommes heureux de pouvoir témoigner ici ce soir, même si nous avons eu très peu de préavis. Si nous en avions eu le temps, nous aurions sans doute fait intervenir un plus grand nombre de personnes.
Comme vous l'avez dit, M. Fantino est membre de notre Comité de modifications aux lois. Il s'est absenté de la conférence annuelle de l'Ontario Association of Chiefs of Police, qui se déroule cette semaine à Toronto, pour venir discuter avec vous du projet de loi.
M. Fantino a servi pendant environ 23 ans au sein du corps policier de l'agglomération urbaine de Toronto avant de prendre la tête du service de police de London. Il a été pendant plusieurs années enquêteur à l'escouade des homicides. Je crois qu'il sait de quoi il parle.
Monsieur Fantino, je vous cède la parole.
M. Julian Fantino (Comité de modifications aux lois, Association canadienne des chefs de police): Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de nous donner l'occasion de témoigner devant vous.
Les Canadiens s'inquiètent de plus en plus de leur sécurité, et c'est inacceptable. La sécurité dans les rues et les foyers est un droit fondamental de tous les Canadiens. Les crimes avec violence ont augmenté de 40 p. 100 au Canada depuis 1984, et cela n'est pas passé inaperçu. Le gouvernement conservateur n'a pratiquement rien fait pour lutter contre cette hausse de la criminalité; il s'est contenté de demi-mesures et de grands mots.
- Les armes à feu et les drogues. Des couteaux et d'autres armes dans nos écoles. La violence qui
sévit partout. Des gestes qui se produisaient surtout dans les villes américaines deviennent
monnaie courante dans nos villes. Nous ne voulons pas américaniser le Canada. Nous ne
voulons pas que la violence urbaine américaine se propage dans notre pays. Les Canadiens,
quant à eux, veulent que des mesures soient immédiatement prises pour endiguer la violence.
- - C'est l'honorable Jean Chrétien, notre premier ministre, qui a prononcé ces paroles le 22
avril 1993, quand il était chef du Parti libéral.
- En raison de ces circonstances, la tâche du chef de police est l'une des plus difficiles au pays. Par
comparaison, le travail du ministre de la Justice est simple. Lorsque les chefs de police parlent,
on les écoute.
- - C'est ce qu'a déclaré l'honorable Allan Rock à l'occasion de la conférence de l'Association
canadienne des chefs de police, le 24 août 1995.
Il ne faut pas oublier que nous avons affaire à des assassins qui ont été condamnés à la suite d'un procès équitable. Dans le cas des personnes jugées coupables de meurtre au premier degré, les demandes de libération conditionnelle ne doivent pas être recevables avant au moins 25 ans, comme le prévoit la loi. Dans les cas de meurtre au deuxième degré, cette période devrait être d'au moins10 ans et même plus longue, si le juge qui préside en décide ainsi au moment de la détermination de la peine, comme le lui permet le Code criminel du Canada.
Les amendements proposés n'abrogent pas l'article 745, mesure que l'Association canadienne des chefs de police considère comme la seule raisonnable. Il ne s'agit que de rhabillage. M. Rock a déclaré que l'article 745 pourra être invoqué seulement par les détenus les plus méritants. Il suffit littéralement de compter les victimes. Si un meurtrier n'a fait qu'une victime, on peut considérer qu'il est méritant; son voisin de cellule, qui a tué deux fois, ne l'est pas.
À notre avis, aucun des deux ne devrait avoir droit à une libération conditionnelle anticipée. Les deux ont renoncé à tout droit à un traitement spécial et à leurs privilèges en enlevant la vie à quelqu'un, et leur cas ne devrait faire l'objet d'aucune considération particulière si ce n'est, comme le prévoit la loi, le droit de présenter une demande de libération conditionnelle à la fin de la période minimale imposée au moment du prononcé de la sentence.
L'Association canadienne des chefs de police croit que toute vie est sacrée et qu'il est moralement inadmissible de récompenser un meurtrier simplement parce qu'il a pris une seule vie. En outre, c'est une erreur de viser dans ce projet de loi seulement les pires massacreurs et les tueurs en série. Nous craignons que des criminels qui attirent peu l'attention de la population mais qui sont aussi dangereux et malfaisants n'aient droit à la libération conditionnelle anticipée.
Dans cette dernière catégorie, on pourra donner comme exemple celui du meurtrier qui aurait tué un agent de police ou un gardien de prison. En vertu du projet législatif proposé, rien n'interdirait automatiquement à cette personne de présenter une demande en vertu de l'article 745. L'Association canadienne des chefs de police est d'avis qu'une demande présentée par une telle personne ne doit pas être admissible avant la fin d'une peine de 25 ans.
Pourquoi l'article 745 a-t-il été adopté? Pour contourner la décision initiale du tribunal, prise par un juge d'après des preuves fraîches fournies de vive voix au sujet des circonstances entourant le meurtre et des conséquences du crime pour la famille de la victime et d'autres personnes. L'article atténuait la gravité du geste posé par le condamné. Il était étrange et illogique en ce qu'il accordait un traitement spécial aux criminels les plus dangereux, condamnés pour les infractions les plus graves inscrites dans le Code criminel.
Le gouvernement corrige maintenant un peu le tir, mais son message est ambigu. Ce compromis semble destiné à apaiser les défenseurs des libertés civiles et l'Association du Barreau canadien, qui ne représentent certainement pas la population du Canada. On se contente de diluer l'article 745 alors qu'il faudrait l'abolir.
L'ACCP sait fort bien que le ministère de la Justice est conscient de ses préoccupations et de celles de nombreux autres Canadiens, mais qu'il ne prend aucune mesure en conséquence. Nous nous opposons fermement au maintien de l'article 745, quelle qu'en soit la forme. Cette disposition législative a été mal pensée et doit être éliminée une fois pour toutes. En l'occurrence, la seule solution qui permet de garantir la sécurité publique est de prendre des mesures pour restaurer l'emprisonnement à perpétuité.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, nous réclamons publiquement et depuis longtemps l'abolition de l'article 745. Nous parlons au nom des chefs de police, qui représentent et connaissent bien les collectivités de tout le pays.
Nous répondrons maintenant à vos questions.
La présidente: Merci, monsieur.
Monsieur Langlois.
[Français]
M. Langlois: À la fin de votre exposé, vous disiez que la condamnation à la prison à perpétuité devrait signifier un emprisonnement à perpétuité.
Dois-je en conclure que vous vous opposez à toute libération sur parole, même après qu'une peine de 25 ans ait été purgée, et croyez-vous qu'une personne condamnée pour meurtre au premier degré devrait être irrémédiablement enfermée pour le reste de ses jours?
[Traduction]
M. Fantino: L'emprisonnement à perpétuité, c'est la prison à vie, indépendamment du moment où la libération conditionnelle est accordée. Nous voulons qu'en aucun cas une personne jugée coupable de meurtre au premier degré ne puisse obtenir une libération conditionnelle avant d'avoir purgé entièrement une peine de 25 ans.
Je dois vous dire en outre que j'ai passé huit ans à l'escouade des homicides de l'agglomération urbaine de Toronto; j'ai vu la réalité de près. J'ai connu des victimes et je suis très conscient du caractère sacré de la vie. Tant de meurtriers n'ont que dédain envers la victime, souvent innocente et certainement jamais en mesure de se défendre.
Ce que je veux vous communiquer ici, c'est que même ceux d'entre nous qui connaissent très bien le système, ceux qui enquêtent sur des affaires d'homicide et qui voient les victimes et les meurtriers - et nous savions que la peine capitale allait disparaître - ne se sont pas rendu compte de ce que signifiait vraiment ces 15 ans prévus à l'article 745. Nous étions totalement inconscients ou alors nous n'avons pas bien compris ce qui se passait.
Pour en revenir à votre question, la prison à perpétuité, c'est la prison à vie, quoi qu'il arrive. Ce n'est que dans des circonstances particulières et pour des raisons très précises, d'intérêt public, que des personnes devraient être admissibles à la libération conditionnelle, mais pas avant 25 ans.
[Français]
M. Langlois: Merci. Vous parlez du statut des agents de la paix, et plus particulièrement des policiers qui sont chargés de maintenir l'ordre dans la société. Si l'article 745 était modifié de sorte qu'un meurtrier d'agent de la paix, de policier ou de gardien de prison ne puisse jamais être remis en liberté, que sa peine soit donc vraiment une peine à vie sans aucune possibilité de rémission, croyez-vous que le travail des policiers serait plus sécuritaire? Y gagneraient-ils en respect, sinon en crainte, de la part du reste de la société et, le cas échéant, quel est le raisonnement qui sous-tend l'affirmation ou la réponse que vous allez me donner?
[Traduction]
M. Fantino: Votre question est tout à fait valable. Ce que nous devons considérer, c'est que les agents de police sont vraiment l'instrument du système de justice pénale. Nous sommes habilités, autorisés et mandatés, notre devoir est de protéger la sécurité et l'ordre publics au sein de nos collectivités. Les agents de police et les gardiens de prison, compte tenu de la tâche qui leur est imposée ou confiée, ont droit à une considération particulière.
Je crois sincèrement, tout comme mes collègues, que même si la vie d'un enfant ou d'une autre personne vaut autant que celle d'un agent de police nous devons aussi tenir compte des circonstances. Le Code criminel y a veillé jusqu'à maintenant, bien que nous puissions douter de son efficacité.
Le Code criminel prévoit déjà des peines spéciales pour certains types de meurtre et il tient aussi compte des circonstances qui entourent le crime. Autrement dit, il y a divers degrés de culpabilité et des circonstances atténuantes qui peuvent jouer: qui a été tué, dans quelles circonstances, dans quel but, etc.
Je ne comprends donc pas pourquoi nous devons maintenant discuter de la valeur de la vie humaine. Ce qu'il nous faut discuter et régler, c'est le fait que des meurtriers s'en tirent et que rien ne les incite à modifier leur comportement. Ils sont nombreux à récidiver, soit dit en passant, encore et encore. Il y en a, de ces cas.
On a dit précédemment qu'on oubliait trop souvent les victimes dans ce débat. Je peux vous dire par exemple qu'un trop grand nombre de policiers sont tués dans l'exercice de leurs fonctions; il y en a eu un encore tout récemment. Je crois que les agents de police ont droit à l'entière protection de notre société, en raison du travail qu'ils accomplissent pour protéger cette société, tout simplement. La même chose vaut pour les gardiens de prison et tous ces gens.
La présidente: Merci.
Monsieur Ramsay.
M. Ramsay: Merci, messieurs, d'être venus ici ce soir et d'avoir été si patients.
J'ai quelques questions à vous poser. Premièrement, est-ce que le ministère de la Justice a consulté votre organisation au sujet du projet de loi?
M. Fantino: Nous avons émis certaines opinions. Nous avons fait des exposés, mais nous avons demandé avec constance l'abolition de l'article 745, sans équivoque.
M. Ramsay: Le ministère de la Justice vous a-t-il informés de ce qu'on envisageait de proposer dans le projet de loi C-45.
M. Fantino: Pas directement. Nous nous doutions que l'article 745 allait être remanié ou modifié d'une façon ou d'une autre, mais précisément, concrètement, nous ne savions rien. Nous n'avons pas été consultés.
M. Ramsay: Est-ce que vous diriez que vous avez exercé une certaine influence sur ce qui est maintenant le projet de loi C-45?
M. Fantino: Monsieur Ramsay, la seule notion que nous avons prônée avec constance, c'est l'abolition de l'article 745. Nous ne sommes pas venus ici pour discuter des mérites de ce qui est proposé dans le projet de loi. Nous demeurons convaincus que l'article 745 doit être abrogé.
Je ne parle pas uniquement d'un point de vue policier. Nous travaillons toujours au sein de la collectivité; nous oeuvrons dans la collectivité, nous côtoyons les victimes. Si nous croyons queM. Rock était sincère lorsqu'il a affirmé que la population écoutait les chefs de police... Je représente mes collègues, évidemment, mais nous représentons aussi les collectivités que nous servons et que nous protégeons. Je suis ici pour parler au nom d'un groupe plus large.
M. Ramsay: Passons à un autre sujet. J'ai discuté du projet de loi avec un avocat de la défense qui m'a fait remarquer qu'il sera peut-être plus difficile de condamner les meurtriers récidivistes.
Premièrement, il a affirmé qu'il était déjà difficile de condamner un auteur de meurtres multiples. Il semblait croire que l'adoption du projet de loi rendrait plus difficile encore la condamnation, parce que les accusés auraient intérêt à ne pas admettre leur culpabilité. Si vous avez des preuves indéniables au sujet d'un meurtre mais pas au sujet d'un autre, le meurtrier a nettement intérêt à ne pas confesser d'autres meurtres, parce qu'en vertu du projet de loi C-45 il perdra les avantages qu'il aurait s'il était condamné pour un seul meurtre. Qu'en pensez-vous?
M. Fantino: Moi, j'ai foi dans le système de justice pénale. J'en suis un protagoniste depuis28 ans, j'y participe de très près, j'en ai l'expérience directe. J'ai une confiance inébranlable dans les jurés; je crois qu'ils feront honneur à leurs fonctions, qu'ils prendront la bonne décision. J'ai énormément confiance dans les agents de police, qui font ce qu'il faut pour réunir les preuves nécessaires et les présenter adéquatement, pour qu'à la fin, justice soit faite.
Nous ne pouvons cependant pas fixer des conditions relativement aux résultats, et pourtant c'est exactement ce que nous faisons. Nous déterminons la valeur de la vie humaine, par exemple, et toutes ces sortes de choses. Nous inversons complètement le système de justice de notre pays. Ce que les législateurs disent aujourd'hui ne correspond aucunement à la réalité, à ce qui se passe dans les rues du pays. Les quartiers et les collectivités, la douleur et la victimisation ne peuvent s'accommoder de la lenteur de notre système pénal, compte tenu de ce qui se passe dans nos rues, dans nos collectivités, dans nos foyers et dans nos quartiers.
Pour en revenir à votre question, toute excuse est une dérobade. Reposons les données fondamentales. La vie est sacrée. Le caractère sacré de la vie doit être protégé. Personne n'a rien de plus précieux à perdre. J'ai vu les cadavres empilés par des meurtriers sans scrupules, sans conscience, indifférents, qui demandent maintenant à sortir de prison.
C'est ce qui se passe dans une affaire que j'ai traitée à Toronto, le meurtre de l'agent Michael Sweet, le 14 mars 1980 - un crime abject. L'agent Sweet a été blessé par balle lors d'un vol à main armée et il a été gardé en otage malgré sa blessure. Nous ne pouvions pas l'aider parce que les meurtriers ne nous permettaient pas d'approcher. L'agent Sweet a fini par mourir. Si nous avions pu le secourir quelques minutes plus tôt, il aurait été sauvé. Un de ses meurtriers présente maintenant une demande en vertu de l'article 745. C'est absolument scandaleux. Cela n'a rien à voir avec la justice. Nous parlons du père de trois jeunes enfants, d'un agent de police qui faisait son devoir et qui a été tué.
M. Ramsay, ce ne sont là que des dérobades. Revenons à l'essentiel. Transmettons un message adapté à la douleur et à la colère de la collectivité. Je crois qu'il est grand temps que les législateurs écoutent la population plutôt que l'avocat de la défense dont vous parlez.
M. Ramsay: Cette question est peut-être mal venue, mais je vais la poser de toute façon. Vous avez entendu le témoin précédent, pour qui le système pénal et l'article 745 semblent donner de bons résultats. Comment devrions-nous répondre à cette prise de position? Comment y réagissez-vous?
M. Fantino: Malgré tout le respect que je vous dois, cette perception ne correspond pas à la réalité du monde où je vis et travaille depuis longtemps, du monde où vivent et travaillent mes collègues, ces vétérans. Vous rendez-vous compte qu'en 1994, 596 Canadiens, des gens comme vous et moi, ont été assassinés dans notre pays? Quand en aurons-nous assez? Quand serons-nous disposés à proclamer qu'une seule vie perdue à cause d'un meurtrier, c'est déjà trop?
M. Ramsay: Que pensez-vous des 15 meurtres qui ont été commis l'an dernier pardes personnes en liberté conditionnelle ou en liberté anticipée? C'est l'information fournie parM. Gibbs. Il ne s'agit là que des meurtres. Apparemment, il y a aussi eu 15 tentatives de meurtre, 21 cas de voie de faits graves et 71 vols à main armée.
Les coupables ont été libérés par des personnes pleines de bonnes intentions, qui avaient le sentiment que ces détenus étaient réhabilités et ne posaient aucune menace à la société. Pourtant,15 familles vivent encore l'horreur et la terreur qui accompagnent chaque meurtre au premier degré, 15 collectivités ont été touchées. Le témoin précédent, malgré tout le respect que je lui dois, semble n'y trouver rien à redire. Qu'en pensez-vous?
M. Fantino: À mon avis, il est impossible de quantifier la valeur de la vie humaine, d'une seule vie. Le système doit rendre des comptes, tout comme les législateurs, tout comme quiconque est pour quelque chose dans un incident qui entraîne une perte de vie. Nous ne pouvons jamais excuser ne serait-ce qu'une erreur. Il y a trop d'erreurs aujourd'hui, et quand on les examine elles se ressemblent toutes.
J'ai entendu le témoin précédent parler d'une science inexacte. Eh bien, si vous examinez de très près tous ces éléments, vous découvrirez que ce n'est pas une science du tout. Ce sont simplement des gens qui se sont laissés gagner par la mauvaise cause. Vous constaterez qu'un grand nombre de ces erreurs se préparaient depuis longtemps. Les gens qui ont tué l'agent Sweet avaient des démêlés avec la loi avant même que le policier ne commence sa carrière. Ils ont été condamnés et libérés à de multiples reprises.
Nous devons recentrer nos priorités et tenir compte du bien public dans cette situation; nous devons cesser de prendre des risques et de considérer que les criminels sont réhabilités au bout de15 ans. Je suis désolé, 15 ans cela ne suffit même pas pour surmonter son affliction, et c'est à recommencer parce que les tueurs reviennent quand les victimes sont encore sous le choc et ils les traumatisent à nouveau.
La présidente: Merci. Monsieur Nunziata.
M. Nunziata: Monsieur Fantino, vous exposez avec beaucoup de conviction les raisons pour lesquelles l'article 745 devrait être abrogé.
En termes concrets, quel effet la libération de l'assassin de l'agent Sweet aura-t-elle sur le service de police de l'agglomération torontoise? Je me souviens de ce meurtre comme si c'était hier. Je me souviens encore des grands titre dans le Toronto Star. Si l'assassin de cet agent de police est libéré dans quelques semaines, quel effet cela aura-t-il sur le service de police de l'agglomération urbaine de Toronto et, en règle générale, sur la communauté policière?
M. Fantino: Je vais d'abord vous faire part de mon sentiment, puisque j'ai été affecté à cette affaire dès le début. J'étais là au moment où l'autopsie de ce policier a été pratiquée et j'ai assisté à tout le procès. Je peux vous dire que la douleur ne s'effacera jamais, non seulement la mienne, mais celle de l'ensemble de la communauté policière. C'est un désespoir immense, une perte irremplaçable, une douleur que nous devrons revivre encore.
Je dois aussi vous dire, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité, que je ne veux pas dramatiser. J'ai eu affaire à de nombreuses victimes civiles, et leur malheur a autant d'importance que celui des agents de police. Une victime est une victime, c'est incontestable.
Je peux vous dire que chez les responsables de l'application de la loi, le désespoir règne et, d'après certains, qu'on s'y enfonce de plus en plus. Lisez les journaux, promenez-vous dans les rues des grandes villes, consultez les statistiques sur la multiplication des meurtres. Parce que des actes de violence inutile, déchaînée, aléatoire sont posés un peu partout, nous nous sentons trahis à bien des égards. Nous sommes au sein des collectivités, nous faisons de notre mieux, mais nous nous demandons qui nous appuie.
M. Nunziata: Par qui est-ce que vous vous sentez trahis?
M. Fantino: Par un système de justice qui ne s'adapte pas à ce qui se passe dans nos rues, dans nos quartiers et dans nos foyers, qui n'est pas à la mesure de la victimisation, de la douleur. On ne s'occupe que des agresseurs, que des auteurs de violence. Qui s'inquiète des victimes? Qui s'inquiète des agents de police qui doivent vivre avec des absurdités de ce genre? Le système ne fonctionne pas comme il le devrait, il ne répond pas aux désirs, aux attentes, aux besoins de nos collectivités et des citoyens de notre pays.
Je sais de source sûre que des millions de Canadiens ont demandé l'abrogation de l'article 745 du Code criminel. Cela dure depuis des années, et regardez où nous en sommes: nous nous contentons de rhabillage.
M. Nunziata: J'ai demandé ce soir au ministre quelles opinions et quelles notions étaient reflétées dans le projet de loi, qui les avait prônées. Vous dites des choses que j'entends tous les jours, partout au pays, vous dites que les Canadiens ont de moins en moins de respect à l'endroit du système de justice pénale.
À en juger par les demi-mesures que propose le projet de loi C-45, à votre avis, qui a eu l'oreille du ministre?
M. Fantino: Malgré tout le respect que je lui dois, je dois dire que le ministre a une tâche très difficile et je sais qu'il faut faire quelque chose pour corriger la situation, mais le projet de loi ne reflète pas la réalité. Quantifier les victimes et accorder, en quelque sorte, un rabais aux meurtriers qui n'ont fait qu'une victime, cela n'augure rien de bon. Je ne sais pas; le ministre retient sans doute les points de vue du témoin précédent et de l'Association du Barreau canadien ainsi que ceux d'autres intervenants qui sont aussi éloignés de la réalité qu'on peut l'être.
M. Nunziata: J'ai une dernière question à vous poser. Vous avez déclaré qu'à l'époque, deux personnes ont été condamnées pour le meurtre de l'agent Sweet.
M. Fantino: En effet.
M. Nunziata: À cette époque et à l'époque où vous avez collaboré à des enquêtes et à des poursuites au sujet, j'imagine, d'un certain nombre d'homicides commis dans l'agglomération urbaine de Toronto, saviez-vous que l'article 745 faisait partie du Code criminel? En étiez-vous satisfait ou pensiez-vous plutôt, à titre d'agent de police et d'enquêteur dans des affaires d'homicide, que les personnes jugées coupables de meurtre au premier degré devaient purger une peine d'au moins 25 ans?
M. Fantino: J'étais là lorsque la peine capitale a finalement été abolie. Nous avons révisé les divers articles du Code criminel et apporté toutes les modifications nécessaires. Nous pensions que 25 ans était un minimum. Je ne sais pas où nous avions l'esprit, je ne sais pas si nous étions attentifs, si nous pensions à quelque chose d'autre, mais nous nous sentions enfin à l'aise; nous croyions qu'au moins, les auteurs de meurtre au premier degré seraient sous les verrous pendant 25 ans. Et tout à coup nous nous rendons compte de ce qui se passe vraiment.
M. Nunziata: Quand avez-vous pris conscience pour la première fois de l'article 745?
M. Fantino: Lorsque nous avons compris qu'un certain nombre de ces détenus allaient demander l'examen de leur dossier et des audiences. En fait, il y en a un bon nombre dans mon secteur et croyez-moi, mesdames et messieurs, j'arrive à peine à croire que certaines des personnes qui demandent le réexamen de leur cas en vertu de l'article 745 puissent un jour sortir de prison. Je ne peux tout simplement pas en croire mes yeux et je me considère comme un citoyen canadien plutôt posé.
C'est venu tout à coup. J'accepte une partie de la responsabilité parce que nous aurions dû être plus alertes et c'est pourquoi nous vous présentons ce plaidoyer passionné et, à mon avis, très sincère. Nous ne voulons pas nous retrouver dans la même situation. Nous sommes aujourd'hui mieux informés, nous sommes en meilleure posture.
Je ne suis pas venu exposer des anecdotes, mais je possède de l'information sur des cas précis. Je peux vous parler d'un quadruple meurtre où les victimes ont été battues, blessées par balle, poignardées... Elles ont été ligotées, bâillonnées au cours d'un vol et abattues systématiquement par des criminels qui présentent maintenant des demandes en vertu de l'article 745. Quand en aurons-nous assez de ce cirque?
M. Nunziata: Merci
La présidente: Monsieur Kirkby.
M. Kirkby (Prince Albert - Churchill River): Merci beaucoup de vous être présentés devant le comité.
Vous avez certainement exprimé clairement votre position: vous désirez que l'article 745 soit aboli purement et simplement. Est-ce que cela veut dire que vous vous opposeriez à l'adoption de ce projet de loi? Devrions-nous l'adopter même si l'abrogation totale n'est pas décrétée?
M. Fantino: Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, j'avais prévu cette question. C'est une question piège en quelque sorte. On ne peut pas y répondre correctement. Je peux toutefois vous proposer une option. Il existe déjà un projet de loi que nous appuyons et qui circule depuis quelque temps déjà à Ottawa; c'est celui de M. Nunziata. Je crois qu'on lui a donné un nouveau numéro; c'était autrefois le projet de loi C-226 et c'est maintenant le projet de loi C-234. Nous demandons au comité et au gouvernement d'y revenir. Il n'est pas nécessaire de reprendre le processus à zéro. Nous avons déjà un très bon projet de loi sur la table.
M. Kirkby: Vous n'avez pas répondu à ma question. Je vous demandais si vous vous opposeriez à l'adoption du projet de loi ou si, dans l'éventualité où il serait impossible d'abroger complètement l'article 745, vous l'appuieriez quand même?
M. Fantino: Nous voulons que l'article 745 soit abrogé.
M. Kirkby: Très bien, je vais passer à une autre question. Je vois que vous n'êtes pas disposé à répondre à celle-là.
Vous avez dit que l'emprisonnement à perpétuité signifiait l'emprisonnement à vie, mais vous avez ajouté qu'une personne doit pouvoir demander la libération conditionnelle au bout de 25 ans. N'y a-t-il pas là une contradiction? Pourquoi est-il acceptable que quelqu'un puisse demander la libération conditionnelle au bout de 25 ans mais non pas après 15 ans dans certaines circonstances? Quelle distinction faites-vous?
M. Fantino: Dix ans.
M. Kirkby: D'accord, mais est-ce vraiment la distinction?
M. Fantino: Pour les victimes, c'est dix années de plus dans la paix, la tranquillité, le confort, un délai pour se rétablir; c'est une sanction beaucoup plus significative pour le plus abject des crimes et, il faut l'espérer, de meilleures chances de réhabilitation pour le criminel, qui aura ainsi véritablement conquis le droit de faire une demande. Dix ans, c'est quelque chose qu'il faut exiger, ajouter.
Je le répète, la prison à perpétuité c'est la prison à vie. Nous n'avons pas modifié notre position. La prison à perpétuité, c'est la prison à vie, que les gens obtiennent une libération conditionnelle au bout de 15 ans ou de 25 ans. Ce que nous disons, c'est que personne ne devrait avoir droit à la libération conditionnelle avant 25 ans, comme on le croyait lorsque nous avons pour la première fois examiné la question, dans les années 1970.
M. Kirkby: Maintenez-vous votre position si, par exemple, quelqu'un avait un parent très malade, qui souffrait terriblement, qui vivait quotidiennement dans des douleurs atroces? Que pensez- vous de circonstances de ce genre...? Cet individu est pendant des années témoin de ces souffrances et il décide finalement d'enlever la vie au malheureux qui se débat dans ces souffrances. L'individu en question serait probablement condamné pour meurtre au premier degré. Est-ce que vous dites que dans de telles circonstances, il devrait attendre 25 ans?
M. Fantino: Pas du tout, monsieur. Ce que je dis c'est que le Code criminel, la loi du pays, prévoit déjà des circonstances atténuantes, et il ne m'appartient pas de les définir. Divers degrés de culpabilité sont déjà établis, diverses circonstances atténuantes entrent en ligne de compte au moment de la détermination de la sentence. Il y a les meurtres au premier degré, au deuxième degré, toutes ces questions - l'homicide involontaire coupable, la négligence criminelle... Je ne suis pas juge, monsieur.
M. Kirkby: Le meurtre au premier degré est un meurtre avec préméditation. Quelqu'un décide d'enlever la vie à quelqu'un d'autre et pose un certain nombre de gestes pour mener son projet à bien. Par conséquent, cette personne est coupable de meurtre au premier degré. À votre avis, cette personne ne devrait avoir aucun espoir avant 25 ans?
M. Fantino: Je soutiens que dans le cas d'un meurtre au premier degré le délai préalable à la libération conditionnelle devrait être de 25 ans. La destruction intentionnelle d'un être humain détermine la peine, et tous les autres facteurs entrent en ligne de compte. Je ne suis pas en faveur de l'euthanasie, monsieur.
M. Kirkby: Je n'essaie pas de justifier le geste, mais je vous signale simplement des circonstances qui peuvent se produire. Je ne prône pas ce principe non plus.
M. Schultz: La chose s'est produite en Saskatchewan.
Une voix: L'affaire Latimer.
M. Schultz: Quelle sentence a été imposée dans l'affaire Latimer? Notre réponse est là.
M. Fantino: Ces facteurs entrent en ligne de compte au moment du procès. Nous devons croire que l'avocat de la défense plaide bien sa cause. Nous devons croire que les juristes du Canada sont compétents. Nous devons faire confiance au système, et si le système décrète qu'il s'agit d'un meurtre au premier degré et que toutes les circonstances le confirment, je n'ai rien à ajouter, monsieur.
La présidente: Madame Torsney.
Mme Torsney: C'est intéressant que nous ayons mis l'affaire Latimer sur le tapis. Je vais simplement vous faire remarquer une chose. Premièrement, le problème est double. D'une part, si la peine avait été plus longue cet article aurait pu être invoqué. D'autre part, vous avez mentionné précédemment que nous devions prêter l'oreille à l'opinion de la population, et de nombreuses personnes m'ont dit qu'elles n'étaient pas d'accord même avec la peine de dix ans qui a été imposée. Il y a donc des situations différentes à l'intérieur de la collectivité.
Je veux vous poser une question. À l'époque où l'article 745 a été adopté, étiez-vous favorable à l'abolition de la peine capitale? Les chefs de police n'étaient-ils pas plutôt d'avis qu'il fallait la maintenir?
M. Fantino: Je crois qu'à l'époque, nous étions en faveur de la peine capitale dans des cas très particuliers. Je crois que ce serait encore notre position aujourd'hui.
Mme Torsney: Savez-vous si le meurtrier d'un agent de police ou d'un gardien de prison a déjà été libéré en vertu de l'article 745?
M. Fantino: Nous croyons qu'il y en a un ou deux. Si vous voulez bien patienter un instant, je peux sans doute trouver les noms pour vous.
Mme Torsney: D'accord. Ce serait bien.
M. Fantino: Je sais qu'une demande sera présentée prochainement.
Mme Torsney: Non, je veux parler de ceux qui auraient obtenu leur libération conditionnelle en vertu de l'article 745.
M. Fantino: Oh, je suis désolé. À ma connaissance, il n'y en a eu aucun.
Mme Torsney: Alors, à votre avis, n'est-ce pas là la preuve que l'article 745 donne les résultats voulus? En effet, les personnes qui tuent des agents de police sont considérées avec la plus grande sévérité par les jurys dans les collectivités et par les commissions des libérations conditionnelles. Si une demande était présentée en vertu de l'article 745, concrètement, la libération serait refusée.
M. Fantino: Je crois que ce ne sont là que des hypothèses. J'ai appris il y a longtemps que si quelque chose peut mal tourner, c'est ce qui se produira. Je ne crois pas qu'on puisse laisser quoi que ce soit au hasard. Il faut un certain ordre en ce qui concerne ce qui se passe dans notre pays.
Comment peut-on supposer que rien de tout cela ne se produira, alors que l'on libère des meurtriers convaincus en supposant à tort qu'ils ne commettront pas d'autre meurtre? Ce sont là des erreurs qui ont toujours coûté la vie à quelqu'un.
Mme Torsney: Commençons par apporter quelques précisions. Le premier détenu pour qui le délai préalable à la libération conditionnelle a été réduit avait tué un agent de police. C'étaitM. Chartrand. Dans ce cas, le délai préalable a été ramené de 25 à 15 ans.
M. Nunziata: J'en appelle aussi au règlement, madame la présidente. Il y a eu un autre détenu, du nom de Nichols, qui avait tué un agent de police. Il s'agissait d'une affaire de meurtre, de kidnapping et de vol, et la peine a été ramenée de 25 à 20 ans.
La présidente: Merci. Il s'agit là simplement d'un point d'information.
Mme Torsney: Vous avez parlé de certaines statistiques au sujet de la trop grande proportion d'agents de police victimes de meurtre par comparaison avec le reste de la population. Je n'ai pas ces chiffres et j'aimerais les voir.
En outre, je voulais vous demander si vous aviez parlé aux gardiens de prison. Si j'ai bonne mémoire, au moment où cette disposition a été proposée la situation tout à fait désespérée dans laquelle se trouvaient les détenus suscitait beaucoup d'inquiétude, chez les gardiens de prison et pour les gardiens de prison. J'étais un peu jeune pour bien me souvenir de tous les détails, mais je crois qu'à l'époque, il y avait eu des émeutes et toutes sortes d'incidents dans les établissements correctionnels. En tenez-vous compte dans vos décisions?
M. Fantino: Pas en tant que tel, mais permettez-moi de vous expliquer ce que j'entends par une proportion trop élevée d'agents de police victimes de meurtre. Il y a eu André Lalonde,Odette Pinard, Joe MacDonald, Todd Baylis, Ezio Faraone et un autre agent le week-end dernier. Quand peut-on dire que la coupe déborde?
Mme Torsney: Je ne remets pas ces chiffres en question. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Vous avez cité des statistiques. Je vous demandais simplement si vous les aviez en main et si nous pouvions en avoir copie. La chose m'intéresse.
M. Fantino: J'ai parlé du nombre trop élevé d'agents de police qui sont tués dans le cadre de leurs fonctions. Il y en a eu deux à Montréal au cours des derniers mois et un en Nouvelle-Écosse le week-end dernier.
Mme Torsney: Alors ce nombre est trop élevé parce que...?
M. Fantino: Il est trop élevé parce que la chose se produit beaucoup trop souvent.
Mme Torsney: Soyons sérieux! Si un agent de police est tué, la chose se produit trop souvent.
M. Fantino: Tout à fait. Est-ce qu'il n'y a aucun respect pour le caractère sacré du travail? Vous êtes chargé de protéger la population. Quand on perd un agent de police, je crois que c'est toute la société qui en souffre. Ces personnes risquent leur vie pour protéger la population et elles sont assassinées.
Quoi qu'il en soit, je ne peux pas parler au nom des gardiens de prison, mais je crois qu'ils sont du même avis que nous. Je crois qu'ils présenteraient les mêmes arguments au sujet de leur profession.
La présidente: Merci, madame Torsney.
Monsieur Nunziata, vous avez cinq minutes.
M. Nunziata: M. Kirkby, secrétaire parlementaire du ministre de la Justice, a présenté un exemple pour tenter de justifier le maintien de l'article 745. En effet, il a décrit l'affaire Latimer et il a soutenu qu'il fallait prévoir quelque chose pour les circonstances exceptionnelles. Même si ce meurtre était planifié et délibéré, le tribunal a jugé qu'il s'agissait d'un meurtre au deuxième degré.
M. Kirkby sait aussi qu'il y a dans notre système de justice pénale une prérogative royale de clémence. Cette prérogative peut être invoquée dans l'affaire Latimer ou dans tout autre cas aussi exceptionnel.
La question que M. Kirkby vous a posée m'a un peu surpris, parce qu'elle semblait justifier le maintien de l'article 745 sur la foi d'un exemple qui n'en est pas véritablement un. Quoi qu'il en soit, si l'auteur d'un meurtre au premier degré était condamné à 25 ans d'emprisonnement, la prérogative royale de clémence pourrait être invoquée. Connaissez-vous cette disposition du Code?
M. Fantino: Je connais le système qui, dans des circonstances exceptionnelles, permet que le ministre intervienne, que le Cabinet intervienne, etc. Quand il s'agit de situations hypothétiques, il faut un peu se mettre à la place de Dieu car les réponses touchent la vie des gens. Je ne suis pas disposé à faire cela.
Je veux en revenir à ce que je disais. Après l'application régulière de la loi, et compte tenu de la foi que j'ai dans le système de justice, si quelqu'un est jugé coupable de meurtre au premier degré, il ne m'appartient pas de décider de la peine. Mais nous ne pouvons pas ouvrir toute grande la porte dans les cas de meurtre au premier degré et décréter qu'au bout de 15 ans tous les meurtriers condamnés peuvent présenter une demande et profiter de cette disposition. Dans des circonstances exceptionnelles, on peut s'adresser aux législateurs, au dernier palier.
M. Nunziata: Lorsque l'article 745 a été...
La présidente: M. Kirkby en appelle au règlement, monsieur Nunziata.
M. Kirkby: Je veux simplement préciser que je ne faisais allusion à aucune affaire précise. Je parlais de circonstances hypothétiques.
M. Nunziata: C'est fort semblable à ce qui s'est passé en Saskatchewan.
Quoi qu'il en soit, lorsque cet article a été ajouté au code, en 1976, on en parlait comme de la disposition de la lueur d'espoir. J'ai eu l'occasion de consulter le hansard. J'ai remarqué qu'à cette époque, M. Allmand était solliciteur général et qu'il a participé au débat. On a parlé d'une disposition de la lueur d'espoir parce qu'on la considérait comme une très faible lueur d'espoir pour les personnes reconnues coupables de meurtre au premier degré ou des pires meurtres au deuxième degré. Le taux de réussite est de près de 80 p. 100. C'est-à-dire que 80 p. 100 des personnes qui en font la demande obtiennent une réduction du délai préalable à la libération conditionnelle.
Je vous demande donc, monsieur Fantino, si la base même sur laquelle il a été décidé d'ajouter l'article 745 n'était pas erronée, puisque ce qu'on avait prédit à l'époque ne s'est pas réalisé en ce qui concerne l'applicabilité et l'utilisation de cet article.
M. Fantino: Je suis tout à fait d'accord avec vous, ce qui se produit maintenant est contraire à l'intention énoncée au moment de l'adoption de l'article 745. On destinait cet article à des cas très spéciaux, très rares, mais on a ainsi littéralement ouvert la digue à tous les contrevenants qui commettent un meurtre au premier degré. En fait, 80 p. 100 de ces contrevenants se prévalent de cette disposition.
M. Nunziata: Monsieur Fantino, diriez-vous que l'adoption de l'article 745 a jeté le discrédit sur le système de justice pénale du Canada, que c'est une des raisons pour lesquelles la population canadienne est en train de perdre tout respect à l'égard de notre système de justice pénale? Il y a quelques instants, vous avez affirmé que vous faisiez encore confiance au système pénal, mais vous avez aussi manifesté votre très sincère frustration en ce qui concerne cet article particulier. Dans quelle mesure l'article 745 illustre-t-il ce qui ne va pas dans notre système?
M. Fantino: C'est une très grave lacune du système. La population dans son ensemble croit qu'il y a là un manque de respect pour la vie. Hélas, nous en voyons chaque jour le résultat dans les collectivités: la violence, les meurtres, l'utilisation d'armes à feu, tout ce qui est devenu aujourd'hui réalité. De plus en plus, les gens ont, à juste titre, de l'appréhension au sujet de ce qui se passe dans notre pays.
Prenez par exemple l'augmentation de la criminalité. Je ne veux pas discuter des statistiques sur la criminalité, mais je peux vous dire en toute sincérité que les crimes avec violence se multiplient partout au pays. La population a l'impression - et je le dis sans vouloir offusquer personne - qu'elle a été trahie lorsqu'elle voit ce qui se passe, ces personnes qui sont libérées si rapidement, le phénomène de victimisation qui s'amplifie et les avantages accordés à des meurtriers, très souvent sans aucun égard pour les victimes. Je fais encore confiance au système, si tel n'était pas le cas je ne serais pas venu ici ce soir.
M. Nunziata: Vous avez prononcé le mot «trahi»...
La présidente: Merci, monsieur Nunziata. Monsieur Allmand.
M. Allmand (Notre-Dame-de-Grâce): Merci, madame la présidente.
Je dois dire à M. Nunziata que je n'ai jamais entendu de député utiliser l'expression «disposition de la lueur d'espoir». J'ai déposé le projet de loi. Je n'ai jamais utilisé cette expression. Je ne l'ai jamais entendu prononcer par quiconque... Si vous l'avez vue dans la transcription du débat, c'est sans doute parce que les journaux s'en sont servis et que quelqu'un l'a reprise. Mais aucun d'entre nous, les auteurs du projet de loi, ne l'a jamais utilisée.
J'ai été stupéfait, en arrivant, de vous entendre dire que vous aviez pris conscience de l'existence de l'article 745, ou que l'Association canadienne des policiers s'en était aperçue, seulement des années plus tard. Me dites-vous que l'Association canadienne des chefs de police, l'une des associations les plus prestigieuses de notre pays, n'a pas lu le projet de loi en 1976?
Je vous le demande parce qu'à titre de ministre, j'ai procédé à des consultations. Nous avons tenu des consultations et des audiences en comité beaucoup plus poussées que les audiences en cours. Pourtant, vous me dites que même si les chefs de police sont venus témoigner et ont été consultés ils ne savaient toujours pas que le projet de loi englobait l'article 745.
M. Fantino: Monsieur Allmand, tout ce que je peux dire c'est que nous étions sans doute distraits, parce que nous n'avons pas...
M. Allmand: Vous pouvez me dire sans rire que vous ne saviez pas ce que contenait le projet de loi?
M. Fantino: Puis-je terminer?
M. Allmand: Oui, parce que c'est renversant. Allez-y, je vous en prie.
M. Fantino: Il n'est pas nécessaire de blâmer l'Association canadienne des chefs de police, monsieur Allmand. Si la colère gronde, c'est parce que nous nous sentons trahis. Je veux que vous le sachiez.
En outre, monsieur, je faisais partie de l'escouade des homicides à cette époque et je vous ai déjà dit que nous avons dû être distraits parce que nous n'avons pas prévu le résultat, les conséquences qu'aurait l'article 745.
Vous pouvez blâmer qui vous voulez. J'accepterai ce blâme, monsieur. Mais il demeure que le projet de loi n'est pas adapté à la réalité, à ce qui se passe dans nos rues, dans nos collectivités, dans nos quartiers et au pays.
M. Allmand: Je vais vérifier les dossiers de 1976, parce que j'ai de la difficulté à croire que les chefs... Vous vous êtes peut-être opposés au projet de loi, mais de là à dire que vous n'étiez pas au courant, c'est autre chose.
En ce qui concerne le cynisme croissant de la population...
M. Nunziata: J'en appelle au règlement, soyez franc au sujet de ce qui s'est passé à l'époque.
M. Allmand: Oh, je vous en prie. Je vais vérifier les transcriptions et si je me...
La présidente: Monsieur Nunziata.
M. Nunziata: Je crois que vous devriez être juste à l'égard du témoin. Ce témoin était sans doute un jeune agent à l'époque. Il ne représentait pas l'Association canadienne des chefs de police.
M. Allmand: Je sais bien qu'il n'en était pas président.
M. Nunziata: Il ne représentait pas l'Association canadienne des chefs de police.
La présidente: À l'ordre!
M. Allmand: Vous lui avez posé la question. Il vous a répondu que l'association n'était pas au courant.
Pour ce qui est du cynisme croissant de la population, savez-vous qu'en fait, l'an dernier, nous avons connu le plus faible taux d'homicides en 25 ans au pays et que le taux d'homicides diminue chaque année depuis trois ans? Si la population perd confiance, comment pouvez-vous l'expliquer alors que notre taux d'homicides est le plus faible en 25 ans?
Pouvez-vous me dire en quelle année nous avons perdu le plus grand nombre de policiers?
M. Fantino: Monsieur Allmand, vous êtes disposé à accepter combien de pertes de vie?
M. Allmand: Aucune. Je n'accepte aucun meurtre. Je veux seulement vous signaler que c'est en 1962 que le plus grand nombre de policiers ont été tués au cours d'une même année. Il y en a eu 11. Cette année-là, deux personnes ont été pendues à la prison de Toronto pour le meurtre de policiers.
Je le signale simplement pour vous montrer que le nombre de meurtres de policiers ces dernières années n'a rien à voir avec l'article 745 ni avec l'application ou la non-application de la peine capitale. Lorsque la peine capitale était en vigueur, nous avons eu le plus grand nombre de policiers tués la même année. C'était 11 de trop. Comme quelqu'un l'a dit ici ce soir, un, c'est déjà trop.
Mais on a aussi parlé du fait que la population semble perdre confiance vis-à-vis du système de justice pénale, même si nous avons eu le plus faible taux d'homicides en 25 ans, même si cet indicateur a diminué au cours de trois années consécutives. En outre, lorsque les taux étaient élevés, surtout l'année où le plus grand nombre de policiers ont été tués, nous avons pendu à la prison de Toronto deux détenus condamnés parce qu'ils avaient tué des policiers.
M. Fantino: J'aimerais répondre. J'aimerais inviter publiquement M. Allmand à nous accompagner, mes collègues et moi, quand nous patrouillons dans nos quartiers, pour rencontrer des gens qui se coltinent tous les jours avec cette réalité, qui prennent des coups, qui souffrent et qui participent avec colère au présent débat.
Monsieur Allmand, allons directement à la source, dans les collectivités, parlons aux citoyens. Laissons de côté les statistiques, moi aussi j'en ai des tonnes.
M. Allmand: Quelles sont les vôtres? Je vous le demande. Vous avez des statistiques qui...? Je vous ai demandé en quelle année le plus grand nombre de policiers avaient été tués?
M. Fantino: Je ne représente pas seulement les victimes policières, monsieur Allmand; je parle pour toutes les victimes, celles qui ne sont pas ici et qui ont également le droit à la vie, à la sécurité et à la protection.
Permettez-moi de vous dire, monsieur, que dans l'ensemble du Canada le taux de criminalité en 1994 était de 8 p. 100 supérieur à celui de 1984, que le taux de la criminalité avec violence était de49 p. 100 supérieur.
M. Allmand: Ce que je sais, c'est que le taux d'homicides décline depuis trois ans et que nous connaissons le plus faible taux d'homicides des 25 dernières années.
En passant, moi aussi je suis en faveur de la sécurité publique, mais je crois que nous devons poser des gestes efficaces. À mon avis, il est fallacieux de laisser entendre que l'abrogation de l'article 745 contribuerait à réduire le taux d'homicides de policiers ou de citoyens. Cela n'aura aucun effet. Lorsque la peine capitale était en vigueur, il y a malheureusement eu 11 policiers de tués en une seule année.
La présidente: Voulez-vous répondre à cette intervention?
Une voix: Il déforme les faits.
M. Allmand: Ce n'est pas plus trompeur que certaines des affirmations que j'ai entendues ici aujourd'hui, et je viens d'arriver.
La présidente: Messieurs, pourriez-vous s'il vous plaît laisser le témoin répondre? J'ai été dans la même situation lorsque vous étiez président. Donnez au témoin la chance de parler.
M. Fantino: Je ne veux pas m'engager dans un débat de pure forme. Je veux simplement en revenir à notre mémoire. Notre mémoire met l'accent sur un seul aspect: le meurtre de policiers. N'oubliez pas que j'ai parlé de la situation dans son ensemble, relativement au meurtre, et que le meurtre est toujours grave, quelle que soit la victime.
Nous nous énervons ici à discuter de ce qui s'applique ou non dans le cas des policiers. Il faut aussi tenir compte des autres victimes. Je ne veux pas que le débat, si vous me le permettez, se réduise au nombre d'agents de police tués en une année par comparaison avec une autre année.
Je veux simplement qu'on se rappelle qu'une vie perdue, quelle que soit la victime, par la faute d'un meurtrier, c'est déjà trop. Un point c'est tout.
La présidente: Merci, monsieur.
La séance est levée.